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1 TRAITE DE LA GRACE "Enfants de Dieu par grâce" (notes d’étudiant) On considère comme connu tout ce qui concerne la théologie de la Création et la doctrine du Péché originel. L'anthropologie théologique ne dit pas tout sur la grâce. L'homme à considérer dans toutes ses relations. L'homme, bien fini, tend vers le Bien. Tout ce cours va essayer d'approfondir le fait que le Bien attire l'homme, et que dans ce mouvement d'attirance, le mouvement de l'homme vers Dieu est accompagné par Dieu, par sa grâce, et même préparé par Dieu. Dans la préparation, dans la poursuite et dans l'accomplissement du bien, la grâce de Dieu est toujours présente et devancière. Introduction générale Ce cours a une incidence spirituelle et morale très forte. La part la plus importante de ce cours doit être relue dans notre vie de prière, dans l'accompagnement spirituel, dans toute notre vie spirituelle. Comment vivons-nous aujourd'hui notre vie d'enfant de Dieu par grâce ? Comparaison d'ordre pastoral : il y a 50 ans, la grâce était une réalité bien plus forte dans la vie du catholique qu'aujourd'hui. On s'interrogeait sur le fait de vivre dans l'état de grâce. On participait à la messe pour renforcer la grâce divine. Faire un traité sur la grâce était plus "accessible" a priori. Influence marquée du Concile de Trente. Aujourd'hui, on parle peu de la grâce dans la prédication, dans la catéchèse . Notre discours ecclésial a été marqué par le nécessaire engagement social, économique. Le risque, c'est que le traité sur la grâce soit superflu. Le non-chrétien peut paraître

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TRAITE DE LA GRACE

"Enfants de Dieu par grâce"

(notes d’étudiant)

On considère comme connu tout ce qui concerne la théologie de la Création et la doctrine du Péché

originel. L'anthropologie théologique ne dit pas tout sur la grâce. L'homme à considérer dans toutes

ses relations. L'homme, bien fini, tend vers le Bien. Tout ce cours va essayer d'approfondir le fait que

le Bien attire l'homme, et que dans ce mouvement d'attirance, le mouvement de l'homme vers Dieu

est accompagné par Dieu, par sa grâce, et même préparé par Dieu. Dans la préparation, dans la

poursuite et dans l'accomplissement du bien, la grâce de Dieu est toujours présente et devancière.

Introduction générale

Ce cours a une incidence spirituelle et morale très forte. La part la plus importante de ce cours doit

être relue dans notre vie de prière, dans l'accompagnement spirituel, dans toute notre vie spirituelle.

Comment vivons-nous aujourd'hui notre vie d'enfant de Dieu par grâce ?

Comparaison d'ordre pastoral : il y a 50 ans, la grâce était une réalité bien plus forte dans la vie du

catholique qu'aujourd'hui. On s'interrogeait sur le fait de vivre dans l'état de grâce. On participait à la

messe pour renforcer la grâce divine. Faire un traité sur la grâce était plus "accessible" a priori.

Influence marquée du Concile de Trente. Aujourd'hui, on parle peu de la grâce dans la prédication,

dans la catéchèse. Notre discours ecclésial a été marqué par le nécessaire engagement social,

économique. Le risque, c'est que le traité sur la grâce soit superflu. Le non-chrétien peut paraître

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meilleur que le chrétien. A quoi servirait la grâce ? Dans le domaine œcuménique, les thèmes comme

grâce et justification, grâce et sacrements sont abordés. Discussions de spécialistes.

Trente : sacrements comme signes efficients de grâce. Le sacrement était mis en relation avec la

grâce. La justification est perfectionnée, rendue complète par les sacrements. Vatican II, SC :

"sacrements de la foi". LG 11 : lien entre sacrements et l'Eglise. Autrefois, on disait que le

baptême communique la grâce sanctifiante. Aujourd'hui, on dit que le baptême nous incorpore dans

l'Eglise. La terminologie d'autrefois insistait plus sur la grâce que la terminologie d'aujourd'hui.

Le Saint Esprit opère dans l'Eglise, et hors des limites visibles de l'Eglise. Charisme : grâce

gratuitement donnée. Vie de grâce dans la vie des non-chrétiens : LG 16 (en lien avec 17).

Une situation n'est jamais une norme de connaissance ni d'action. Pourquoi la doctrine de la grâce

est-elle si peu connue ? Si peu évoquée dans la prédication ? Il faut exprimer la doctrine de la grâce

dans la fidélité à la foi, mais aussi de façon compréhensible. Tenir compte de l'intérêt actuel à "la vie

digne, pleinement humaine". Risque : oublier que la perfection de l'homme réside dans la

divinisation.

Plan :

Fondements biblique / Histoire de la théologie de la grâce

Grâce comme rémission des péchés (justification) / Nouvelle relation avec Dieu (filiation divine) / vie

en Dieu.

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CHAPITRE I – LA GRACE SELON LA BIBLE

L'idée de la grâce est présente dans la Bible, mais plus encore elle la pénètre toute entière. Tout nous

parle de la grâce, au sens où elle nous manifeste l'amour, la miséricorde, le pardon de Dieu, la faveur

dont nous jouissons à ses yeux. L'étude de la doctrine de la grâce pourrait embrasser toute la

théologie biblique. Tout est grâce ! Tout ce qui renvoie au salut n'est que pur don gratuit. Ici on se

limitera à quelques indications très brèves.

Dieu a choisi son peuple ; regard plein de bienveillance pour le pauvre, le désemparé. L'étude des

termes vétérotestamentaires sur l'œuvre gracieuse de Dieu nous servira à étudier comment le NT a

interprété l'œuvre du Christ, lui-même la Grâce. On ne peut parler de la grâce sans parler du salut

offert de Dieu en Jésus-Christ.

1. Terminologie vétérotestamentaire

Khanan / khen : le sens primitif de cette racine, c'est le fait de s'apitoyer, bien œuvrer avec

quelqu'un. Le sens religieux viendra du sens profane. Dans les Psaumes, exprime la corrélation entre

la nécessité, le manque et le pouvoir de Dieu. On demande à Dieu qu'il soit favorable à celui qui

l'invoque. Ps 4,2 ; 23,16 ; 26,11 ; 51,3.4. Réponse à la prière.

Ailleurs, Concession des bénéfices divins, bénédiction du peuple dans le cadre de l'alliance avec

Israël. Ex 33,19; Nb 6,25 ; Is 30,18. L'adjectif favorable, gracieux renvoie à Dieu miséricordieux.

Ex 34,6 :

Et l'Éternel passa devant lui, et cria: L'Éternel, l'Éternel! Dieu, miséricordieux et faisant grâce,

lent à la colère, et grand en bonté et en vérité

Quo transeunte coram eo ait Dominator Domine Deus misericors et clemens patiens et multae miserationis ac verus

Ps 86,15.

Substantif : usage plutôt profane. "Trouver grâce aux yeux de" : bénéficier d'un accueil favorable.

1Sm 16,22 ; 2Sm 14,22. Au yeux de Dieu aussi, on peut trouver grâce. Ex 33,12-17, pour Moïse. Pour

Noé, Gn 6,8. Pour la Vierge Marie, Lc 1,30. Dieu reçoit favorablement l'homme. Jr 31,2.

Le terme "khen" peut indiquer encore la reconnaissance de quelque chose de bon. Dieu reconnaît

quelque chose de bon, qui suscite la bienveillance. Dieu seul peut donner la grâce aux pauvres et aux

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humbles. Gn 39,21 : Joseph gagne la faveur du chef des geôliers. Ex 3,21 : le peuple trouve grâce aux

yeux des égyptiens.

Le terme "khen" signifie aussi la qualité, la beauté de celui qui a reçu la faveur divine. Ps 45,3 ; Pv

13,15.

Le substantif "hésed" : comportement de Dieu dans sa fidélité à l'alliance, dans son amour pour nous.

Bonté, amitié, amour. Attitude fondamentale d'une personne qui va se manifester dans des attitudes

concrètes. Gn 19,19; 24,12-14. Cette attitude s'exprime dans les relations interpersonnelles. Renvoie

à la communauté, au comportement qu'on a en son sein, pas limité au cadre des droits et devoirs

établis, mais ça va beaucoup plus loin. En outre, cette "hésed", c'est vraiment le comportement de

Dieu. Ex 34,6. Ps 144,2 : "mon amour et ma forteresse, ma citadelle et mon libérateur". Amour

sauveur de Dieu. Attitude fondamentale de Dieu et qui va déterminer la fidélité du peuple. La hésed

divine déborde le strict accomplissement du pacte d'alliance. Gn 32,10; 39,21 ; Js 2,12 ; Dt 5,10.

Alliance fondée sur la libre élection amoureuse de Dieu. Dt 7,7. Pas seulement une attitude de Dieu

envers son peuple, mais un attribut de Dieu dont les effets se déploient dans tout le cosmos. Ps

33,5 ; 119,64. Elle dure éternellement : Ps 89,3 ; 103,17 ; 138,8. Parfois, la hésed divine est

personnifiée : Ps 61,8. Tous ces éléments salutaires durant le long exode manifeste les merveilles

de Dieu pour l'homme. Ps 136 : amour manifesté dans la création et dans le salut, et dans

l'attention ininterrompue pour chaque homme.

Chez Jr, Osée, la hésed : attitude amoureuse de Dieu qui aime son peuple. Jr 9,23 ; 16,5 ; 31,3 ; 32,18

; Os 2,2 ;

Le comportement de Dieu exige une attitude correspondante de la part de l'homme, mais si Dieu va

au-delà de cette réponse. Os 4,1 ; 10,12. Dans les Psaumes, la hésed divine est associée à l'hémet :

fidélité. Gn 24,27 ; 32,11 ; Ps 25,10 ; 40,11 ; 57,4.11 ; 85,11 ; 89,15, 138,2. Ces 2 termes, hésed et

hémet sont souvent combinés avec d'autres comme le droit. Justice qui exprime volonté salvifique

de Dieu dans le second Isaïe (40-55).

Dans la Septante, hésed est traduite par "" et khen par "". Khanan traduit par héléo.

Hesed est plus proche du concept néotestamentaire de grâce. Gratuité pas toujours évidente dans le

terme "" : bienveillance accompagnée d'une certaine contrepartie. Sg : idée de grâce et de

miséricorde anticipent le concept néotestamentaire de grâce. Sg 3,9 ; 4,15. Il s'agit des dons du salut

que le Seigneur offre à ses élus.

En général, dans les livres sapientiaux, la sagesse est un don de Dieu lié à la faveur avec laquelle Dieu

nous regarde, un don concédé à ceux que Dieu aime. Sg 1,4.6 ; 4,17 ; 6,12.

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Plusieurs termes, mais tous montrent que ce qui est premier, c'est le comportement de Dieu. Les

notions de l'AT ne se réfèrent pas d'abord à ce que l'homme possède. On n'exclut pas l'exigence

d'une réponse de la part du bénéficiaire de l'amour de Dieu, mais toujours une réponse. La libre

initiative divine précède toujours et déborde toujours toutes nos attentes humaines. Ces termes

concrets ne peuvent être compris qu'à la lumière de l'histoire du salut. Les textes de bénédictions du

temps des patriarches montrent que ce n'est pas l'homme qui demande à être élu, mais c'est Dieu

qui appelle. Cf. Appel d'Abraham en Gn 12. Dieu choisit librement par amour. 1Sm 16 ; Ps 89.

Conjointement à l'idée d'élection, nous trouvons l'idée de pacte, alliance de Dieu avec Israël ; Ex 19.

Avec lequel Dieu se lie, se compromet. Dieu tient toujours ses promesses. Autour du concept

générique de grâce s'articule l'ensemble de la relation Dieu – homme.

2. La grâce dans le Nouveau Testament

Le terme est le prédécesseur immédiat du mot "grâce". Dans l'évolution théologique il a

connu une évolution. Son origine est à comprendre. En général, il désigne le contraire de ce qui est

dû : faveur accordée gratuitement. Le NT, en particulier saint Paul, a forgé une notion définitivement

spécifique du vocabulaire chrétien. Mot absent de Mt, Mc. 3 fois chez Jean. Assez fréquent en Lc et

Ac. Abondant chez Paul pour désigner l'avènement salvifique du Christ.

Chez saint Luc

Lc 6,32 s. : terme employé au sens d'œuvre méritoire pour laquelle on attend une récompense.

32 Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les

pécheurs aiment ceux qui les aiment. 33 Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel

gré vous en saura-t-on ? Même les pécheurs en font autant. 34 Et si vous prêtez à ceux dont

vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des

pécheurs afin de recevoir l'équivalent. 35 Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et

prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande.

Lc 1,28-30 ; 2,40.52 ; Ac 7,46. Les prédicateurs de l'Evangile sont recommandés à la grâce de Dieu (Ac

14,26 ; 15,40). On parle aussi de l'Evangile de la grâce de Dieu, c'est à dire de son amour et de sa

bienveillance (1c 20,24 ; 30,32). A la grâce est unie le pouvoir, la réalisation de signes et de prodiges

(Ac 11,23). Etre dans la grâce de Dieu veut dire demeurer dans la foi de l'Evangile. Ac 13,43. La Parole

de l'Evangile semble être l'expression de l'amour de Dieu, de sa grâce.

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3. Chez saint Paul

Dans le NT, c'est surtout lui qui a introduit le terme dans le vocabulaire chrétien. On doit

d'abord noter que avant tout contenu concret, le terme exprime la structure formelle du salut offert

par le Christ, quelque chose qui est donné gratuitement, par faveur divine. C'est le contraire de ce

que l'on donne parce qu'on le doit (cf. Rm 4,4). Rm 5,15 s : Paul nous parle du don de la grâce plus

fort que le péché, un don qui nous vient d'un seul Homme, le Christ. C'est le don de l'amour de Dieu

manifesté par le salut offert par le Christ. Ce salut inaugure pour nous la possibilité d'une vie

nouvelle. C'est encore le don de la justification (rémission des péchés, le fait d'être rendus juste) qui

vient par le Christ. La grâce de Dieu et la gratuité de la rédemption, Rm 3,24 : ils sont justifiés par la

faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus. Rm 11,6 : Mais si c'est

par grâce, ce n'est plus en raison des oeuvres ; autrement la grâce n'est plus grâce. L'élection divine

survient par grâce, elle est absolument gratuite. Le salut offert par le Christ est gratuit. Et gratuite est

notre participation à ce salut.

Seule la volonté divine fonde la plénitude humaine. Le mot grâce est souvent uni à des termes qui

expriment le contenu matériel du salut : justification, vie, élection, rédemption. Tous ces contenus

concrets sont aussi un don gratuit, une grâce. La dimension formelle du salut est un élément qui ne

peut jamais être séparé de son contenu matériel. Pour cette raison, le concept de grâce rejoint celui

de "foi", les 2 s'opposent aux œuvres, qui impliquent l'action de l'homme. Les œuvres sont la

réponse à un salut déjà objectivement donné. C'est d'ailleurs lui qui va nous permettre de répondre.

On ne peut accueillir notre salut que comme un don gratuit.

La grâce indique aussi l'ensemble des diverses dimensions du salut – elle est un synonyme du salut.

2Co 6,1 : nous vous exhortons encore à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu. Elle est aussi le

milieu nouveau dans lequel l'homme incorporé au Christ va évoluer : "être dans la grâce" (1Co 1,2 ;

2Co 1,19 ; Ga 2,17) qui équivaut à être "dans le Christ". C'est à dire être dans une situation où

l'œuvre de Dieu opérée par le Christ est effective en nous. Nous ne sommes plus "sous la loi", mais

"sous la grâce" (Rm 6,14 ; Ga 1,6 ; 5,4). Une vraie liberté de l'amour face à des prescriptions qui

asservissent devient ainsi possible (Ga 3,23 ; 4,21 ; 5,1). C'est la "vie dans l'Esprit" (Ga 5,18 ; 2Co

3,17).

La grâce n'est pas que le salut que nous apporte Jésus, ni le milieu nouveau dans lequel nous

évoluons, mais c'est Jésus lui-même. Rm 16,20 ; 1Co 16,23 ; 2Co 13,13 ; Ga 6,18 : "la grâce de Jésus

Christ…". Elle peut signifier simplement la "grâce qu'est Jésus Christ". La faveur et l'amour de Dieu

pour les hommes ont acquis en Jésus un visage concret. Ce n'est donc qu'en relation avec le Christ

qu'il sera possible de parler des autres dons que Dieu nous octroie. Rm 8,32 : Qui qui n'a pas épargné

son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute

faveur?

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Le terme "grâce" signifie encore le pouvoir de Dieu, qui rend fort l'homme malgré sa faiblesse (2Co

12,9). Egalement "grâce", la mission reçue de Dieu, le don qui le rend participant dans l'œuvre de

Jésus. Une grâce car il n'est pas digne de la recevoir. Rm 1,5 ; 2,3 ; 15,15 ; Ga 1,15. Ce sens est

proche du mot "charisme", différents dons reçus pour l'édification du Corps du Christ (Rm 12, 1Co

12)

Dans la plupart des cas, le mot "grâce" est le don du Christ au sens où il est le même pour tous

(dimension objective). Contrairement au mot "charisme" qui apparaît au pluriel chez Paul, le mot

"grâce" ne sera jamais au pluriel chez Paul. La grâce n'est pas un don concret, une faveur singulière,

mais la faveur divine qui embrasse tous les dons concrets, manifestée dans la mort et la résurrection

du Christ. C'est d'abord l'avènement salvifique et eschatologique réalisé en Jésus, dont procédera

notre transformation intérieure.

Dans les Lettres deutéro-pauliniennes : dans Ep, la grâce est mise en relation avec le salut offert par

le Christ. Ep1,6. La rédemption, le pardon des péchés nous montrent la richesse de la grâce de Dieu.

Une grâce qui nous fait passer d'une vie de péché à une vie nouvelle. La richesse de la grâce de Dieu

a une dimension universelle (Ep 1,3). Le contenu de ce don gratuit de Dieu n'est autre que

l'incorporation au Christ ressuscité, la vie qui vient de lui. Ep 2,5.

La résurrection avec Jésus, de même que la rédemption par sa mort, n'est autre qu'une

manifestation de la richesse débordante de la grâce divine (Ep 2,7). Nous sommes toujours dans la

surabondance !

Le salut vient de la grâce et non pas des œuvres par la foi. Ep 2,8. La grâce de l'apostolat en Ep,

annonce du mystère caché désormais manifesté. Annonce qui est un don gratuit de Dieu.

Les thèmes pauliniens : Jésus a été constitué Tête de l'Eglise et de toute l'humanité. Col 1,6 :

connaître la grâce, cela équivaut plus ou moins à accepter l'Evangile. Apprendre et comprendre la

grâce de Dieu.

Dans les Pastorales, le Christ est la manifestation de la grâce de Dieu, Epiphanie de la miséricorde, de

la bonté de Dieu. Tt 2,11 : Car la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s'est

manifestée. Tt 3,4-7 :

La Lettre aux Hébreux contient aussi une théologie de la grâce christologique. Aussi la miséricorde

que Jésus nous obtient, 4,16 : Avançons-nous donc avec assurance vers le trône de la grâce afin

d'obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour une aide opportune. L'Esprit de la grâce semble être le

Saint Esprit (9,14). L'amitié avec Dieu est la grâce (Hb 13). La force que Dieu nous délivre s'identifie

encore à la grâce.

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Lettre de Pierre : identification entre grâce et salut. 1P 1,10 s. La grâce de la vie semble se rapporter

au don de la vie éternelle. 1P 3,17. Le Dieu de toute grâce nous a appelés au salut dans le Christ. 1P

5,10.12. 1P 4,10 : la grâce est multiforme, lien aux charismes.

Chez Jean : on ne peut pas se limiter au terme "karis" car il est peu employé. Le terme "demeurer"

sera beaucoup plus important que le mot "karis". Jean 1,14.16.17 : 14 Et le Verbe s'est fait chair et il a

habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils

unique, plein de grâce et de vérité. (…) 16 Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce sur grâce.

17 Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.

14 : lien entre grâce et vérité, hésed et émet. Appliquée à Jésus, la grâce est la bonté du Logos dont

les fruits sont reçus en abondance par ceux qui croient en Jésus. Lien avec la vérité, c'est le don de la

révélation. La richesse de vie divine qui est dans le Logos incarné se communique aux hommes.

Surabondance de grâce : "grâce sur grâce". L'économie de la Loi est dépassée dans l'avènement

eschatologique du Christ avec la plénitude de dons qu'il apporte. Autres occurrences : Ap 1,4 ; 22,21 ;

2Jn (avec miséricorde et paix). Pour Jean, la grâce est unie de manière essentielle au Christ.

Conclusions

Par le terme "grâce", on désigne en général l'avènement salvifique de Jésus, en soulignant selon les

cas certains aspects : la force de l'Evangile, la manifestation de la bonté de Dieu, la rémission des

péchés, l'intercession pérenne de Jésus devant le Père. Dans les Ecrits pauliniens, c'est la dimension

formelle de la gratuité qui est mise en relief, caractéristique du salut que l'amour de Dieu nous

octroie. Le Christ et son œuvre sont la grâce par excellence, le don le plus grand que le Père puisse

nous faire, le don de son Fils. Le don le plus gratuit. Comme elle s'est manifestée dans le Christ, elle a

une dimension objective et embrasse toute la création, créée dans le Christ. Celui qui croit en Jésus

se trouve donc plongé dans la grâce, c'est à dire dans le milieu de vie divine.

D'un point de vue subjectif, la grâce n'est autre que la faveur de Dieu pour chacun de nous, au sens

où elle nous rend participant de la vie du Ressuscité. Pour le Nouveau Testament, la grâce n'est pas

d'abord quelque chose que l'homme possède, mais bien l'activité bienveillante de Dieu, réalisée dans

le Christ. Cette référence au Christ n'est pas fortuite. C'est dans le Christ que se révèle et s'accomplit

le dessein de Dieu caché depuis des siècles. Avec Jésus, le temps eschatologique fait irruption. C'est

pourquoi notre vie personnelle dans la grâce est quelque chose qui nous affecte certes

personnellement, mais aussi toute l'Eglise. L'apparition de la grâce du Christ qui surpasse tout péché,

qui nous recrée, signifie que l'Histoire elle-même acquiert un sens nouveau. C'est l'entrée de

l'homme, même du cosmos dans le milieu divin. Le vocabulaire biblique ne donne pas lieu à la

distinction entre la rédemption et la grâce. La rédemption insiste surtout sur la dimension objective

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tandis que la grâce insistera sur la dimension subjective. Bien que ces 2 dimensions soient toutes les

2 présentes dans le terme de "grâce", cette notion possède une dimension christologique avant

d'être anthropologique. Selon le NT, le substantif "grâce" désigne l'avènement gratuit du salut

eschatologique (les temps derniers sont arrivés –plénitude de la grâce) en Jésus Christ qui est l'auto-

communication radicale du Dieu trine, et l'inclusion de l'homme dans cet avènement par la

participation à la vie même de Jésus.

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CHAPITRE II

LA THEOLOGIE DE LA GRACE DANS L'HISTOIRE

I. Les Pères grecs et la divinisation

La question de la grâce est une question plutôt occidentale, alors que les questions christologiques et

trinitaires étaient plutôt orientales. Le terme "karis" est employé par les Pères dans un sens assez

proche du sens paulinien. Ignace d'Antioche parle de la grâce présente qui s'oppose à la colère à

venir pour celui qui ne se repent pas. Méliton de Sardes : le Christ est la grâce parce qu'il sauve.

Justin : la grâce est liée à l'enseignement de Jésus. La grâce est mise en relation avec le mystère de

l'Incarnation avec les auteurs qui doivent affronter le gnosticisme. Irénée : par la venue de Jésus en

notre chair, une plus grande abondance de grâce paternelle nous est donnée, mais si depuis toujours

le Logos divin est la source de vie pour les hommes. La finalité de l'Incarnation est que les hommes

puissent être rendus parfaits. Notre union au Fils est donc la plus grande perfection à laquelle nous

puissions aspirer. Au fondement de cette adoption, il y a la kénose du Fils.

L'homme est donc appelé à la communion avec Dieu, à participer à la vie de Dieu dans le Christ Jésus.

Les Pères grecs n'ont pas alors craint de parler de divinisation de l'homme. C'est le thème essentiel

de la théologie de la grâce chez eux.

Fondement de cette doctrine, Ps 82,6 : Moi j'ai dit: Vous êtes des dieux, et vous êtes tous fils du Très-haut.

ego dixi dii estis et filii Excelsi omnes

On y voit le lien entre l'adoption filiale et la divinisation, toujours en rapport avec la régénération

baptismale. Jn 10,36 : à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites : "Tu

blasphèmes", parce que j'ai dit : "Je suis Fils de Dieu" !

C'est Clément d'Alexandrie qui emploie le premier le terme de divinisation. La grâce est l'auto-

communication du Logos. Toute l'action de Dieu dans le monde par la médiation du Verbe est grâce ;

Jésus est la source de tout bien. La perspective alexandrine insiste moins qu'Irénée sur l'incarnation.

Pourtant, insistance sur la médiation universelle de Jésus. C'est pourquoi la plénitude définitive de

l'homme ne peut être atteinte que dans la foi. La filiation adoptive coïncide avec l'image et la

ressemblance dernière. En relation avec cette action divinisatrice, les Pères aimaient à dire que le

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Christ a assumé toute l'humanité d'une certaine façon. Cf. Parabole de la brebis perdue, GS, RH

8.13.28.

L'union de Jésus avec l'humanité, par le fait d'avoir assumé notre nature, permet la communication à

tous de sa vie de ressuscité. En outre, elle est le fondement de notre participation à sa relation au

Père. Notre condition de fils dans le Fils n'est possible que si Jésus n'est réellement le Fils de Dieu et

qu'il partage réellement la nature de Dieu. Les hérésies trinitaires qui ne prennent pas en compte la

véritable identité du Christ vont détruire la doctrine sotériologique et même la doctrine

anthropologique. C'est le salut de l'homme qui se trouve mis à mal si on n'accepte pas la véritable

divinité et la véritable humanité de Jésus. Nous sommes rendus participants par grâce de la filiation

qu'il possède par nature.

Non seulement mais aussi l'Esprit Saint joue un rôle fondamental dans notre vie d'enfants de Dieu.

L'Esprit Saint est le don de Jésus ressuscité que l'on reçoit au baptême. Pas d'économie du Saint

Esprit différente de l'économie du Verbe. Grâce au Saint Esprit, on peut avoir part au salut offert en

Christ. Pour les Pères grecs, c'est grâce au Saint Esprit qu'on peut être sanctifiés, divinisés.

Controverses au 4ème s. sur la divinité du SE, pneumatomaques à Constantinople I. Si l'Esprit n'était

pas Dieu, il ne pourrait pas nous mettre en communion avec le Père. Notre vie filiale dépend par

conséquent de sa possession. "Il fait de nous des dieux" (Basile de Césarée). La question

d'anthropologie théologique est contemplée par les Pères grecs à la lumière de la doctrine trinitaire.

Elle ne peut être considérée isolément. Elle constitue l'unique fondement possible de tout

l'enseignement sotériologique. Il existe en notre divinisation un dynamisme trinitaire. Il commence

avec le Père qui envoie le Fils puis l'Esprit et se poursuit dans le mouvement d'ascension de l'homme

qui s'unit au Fils dans l'Esprit pour se diriger vers le Père. Dans ces premiers temps de la théologie, la

distinction nature / grâce n'est pas encore définie. Ce qui domine depuis Vatican II, c'est une vision

unitaire de l'économie divine, de la création de l'homme à l'image de Dieu jusqu'à sa parfaite

ressemblance. Ce n'est pas un obstacle pour comprendre que le don de Dieu est un don

complètement gratuit. Notre filiation survient par grâce. Seul l'amour de Dieu nous déifie. Cette

gratuité radicale ne signifie pas cependant pour les Pères grecs que quelque chose d'extérieur à

l'homme vienne s'ajouter à l'être de l'homme. Pour les Pères, diviniser l'homme n'est pas le contraire

de l'humaniser. C'est faire en sorte qu'il parvienne à sa vocation définitive. La divinisation signifie la

filiation en Jésus qui a assumé notre humanité. Bien plus, il en est le modèle.

A partir du mystère de l'Incarnation, on peut parler réellement d'une vocation divine de l'homme.

Pour cette raison, l'anthropologie est étroitement unie chez les Pères à la doctrine trinitaire et à la

christologie. L'anthropologie patristique ne peut être comprise sans une référence intrinsèque à la

théologie. Dans la théologie orientale antique, pas de controverses sur le mystère de l'homme

proprement dit (à la différence de l'occident avec la crise pélagienne, la question de la justification à

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la réforme, et autres comme le jansénisme, etc.). On a pu dire que la mentalité occidentale a eu des

difficultés à comprendre le mystère de la grâce car elle a cru se trouver devant l'alternative "Dieu ou

l'homme". Faux dilemme : Dieu veut que l'homme atteigne sa plénitude, laquelle n'est qu'un don de

Dieu. La liberté humaine ne s'oppose pas à la grâce, elle est grâce elle-même, et ne peut être vécue

que selon Dieu.

II. Saint Augustin et le pélagianisme

1. Les protagonistes de la crise pélagienne

Augustin, "Doctor gratiae". Quels sont les protagonistes principaux de cette crise pélagienne ? Ils

sont trois : Pélage, Celestius, Julien d'Eclane. 1/ Pélage est d'origine britannique (né en 354), vient à

Rome vers 380, baptisé à Rome. A la suite du sac de Rome en 410, va en Afrique puis en Palestine.

Mort en Egypte vers 427. Des trois, le plus spirituel, le plus modéré. "Un saint homme qui n'était pas

peu avancé dans la vie chrétienne", dit saint Augustin. Grand écrivain spirituel, exégète, théologien.

Grand succès chez les jeunes. 2/ Celestius, juriste romain d'origine britannique, disciple de Pélage.

Afrique, Orient. Plus hardi que son maître. Il écrit moins et beaucoup moins bien que son maître.

C'est lui qui le premier a attiré l'attention de l'Eglise de Carthage. Il sera condamné le premier. Pélage

s'écartera de lui. Augustin affirme qu'il y a entre les 2 pensées identité de fond, mais diversité de ton.

3/ Julien d'Eclane : le plus polémique et le plus loquace. Né dans les Pouilles. Evêque d'Eclane en 416,

à environ 30 ans. Deviendra assez vite le porte voix de la résistance pélagienne. Il ajoute seulement

quelques positions radicales sur la nature de l'homme et sur le mariage. Ecrit peu mais très

longuement. A tous les trois, Augustin, Lettre 140 : "ils ignorent la justice de Dieu".

2. L'intention de Pélage

L'intention de Pélage pourrait sembler bonne. Il veut tout d'abord lutter contre le manichéisme (deux

principes bien et mal, égaux en puissance, dont l'homme est le lieu de combat). Il veut affirmer la

bonté de la création, "le bien de la nature". L'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de

Dieu. Dieu ne peut en aucun cas être l'auteur du mal. Par conséquent le mal ne relève que de la

responsabilité de l'homme. Par la liberté, l'homme peut ou non accomplir ce que Dieu lui commande.

Dieu éduque l'homme. Pélage voit d'abord la grâce comme une médiation extérieure, historique qui

peut orienter l'homme vers le bien (la Loi, les exemples de Jésus). Dans la raison et dans la liberté, il

contemple une autre dimension de la grâce. Aide concrète pour que nous puissions faire le bien.

Nous ne faisons pas le bien sans notre volonté.

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3. Caractérisation de la pensée pélagienne par saint Augustin

De heresibus, § 83 : principales déviances pélagiennes

- les pélagiens sont ennemis de la grâce de Dieu au point de retenir possible pour l'homme

l'observance des commandements divin sans la grâce de Dieu.

- Ils parlent exclusivement de la grâce du libre arbitre : un don gratuit concédé par Dieu. Le fait d'être

libre, c'est ça notre grâce.

- Ils nient que soit concédé la charité, c'est à dire le don du Saint Esprit. Ils concèdent que la science

soit don de Dieu, mais pas la charité. 1Co 8,1.

- les pélagiens s'en prennent aux prières de l'Eglise pour les infidèles, pour ceux qui résistent à la

grâce pour qu'ils se convertissent, pour que les prières croissent dans la foi. Pour Pélage, la liberté et

la connaissance de la doctrine suffisent pour mener une vie digne des chrétiens. Pas besoin de prier

pour eux !

- ils en viennent à enseigner que la vie des justes sur cette terre est absolument sans péché. Ce sont

eux qui constituent l'Eglise qui serait déjà ici, sans tâche ni ride.

- les pélagiens nient que les petits enfants aient contracté la contagion de la mort ancienne. Ils

affirment que au sens strict, le baptême n'est pas complètement reçu. Il sert à passer d'un état de

bien à un état de meilleur.

- ils affirment qu'Adam lui-même, même s'il n'avait pas péché serait mort. Mort non pas à cause de la

faute, mais par condition de la nature.

Ce que saint Paul dit sur la présence de Dieu en nous semble ignoré. De manière inconsciente, c'est

ici que commence le dilemme Dieu ou l'homme. Il s'agit de diminuer le premier pour exalter le

second.

4. La réponse augustinienne

Un seul objectif : enseigner la foi de l'Eglise. Ses réponses sont celles d'un pasteur. Il s'en prend à la

nouveauté des pélagiens, mais n'a pas l'intention de faire œuvre nouvelle. De plus, sa réflexion est

toujours biblique.

Pour les pélagiens, la grâce, c'est soit la liberté, soit la loi, mais encore la rémission des péchés.

Augustin insiste pour dire que ces 3 modes sont insuffisants, il manque la charité, le don de l'Esprit

Saint qui nous aide à observer la loi divine… Augustin insiste sur la fait que par le baptême nous

sommes arrachés au péché, nous devenons membres du Christ et nous sommes incorporés à l'Eglise.

Il parle aussi de l'aide de Dieu qui est nécessaire pour que l'homme puisse accomplir le bien : c'est un

élément nouveau par rapport à la tradition (ça ne posait pas de problème !). La présence de Dieu en

l'homme donne la force d'accomplir ce que la nature ne peut faire de ses propres forces. Distinction

nature / grâce. Cette aide divine donnée gratuitement est nécessaire à tout moment. L'homme juste

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a besoin constamment de la grâce pour faire le bien. La grâce n'élimine pas la liberté. Bien au

contraire, elle rend possible la liberté. Dieu agit en nous, nous pas par une impulsion physique mais

par une attraction d'amour qui exige notre réponse. Le bien est connu, et nous l'aimons. La quête du

bien est ainsi source de joie. La grâce ne nous montre pas seulement la vérité des choses mais aussi

la charité. Le goût (delectatio) vainc l'ignorance et la faiblesse humaine. Puisque tout est grâce, on ne

peut pas se glorifier en soi, mais en Dieu seul de qui nous avons tout reçu.

On a souvent voulu opposer la vision augustinienne de la vision des Pères grecs. En raison de la

polémique avec les pélagiens, on a perdu la vision de la grâce comme globalité du salut chrétien (cf.

approche biblique, et approche des Pères grecs). La grâce devient un moyen pour obtenir le salut. La

notion se trouve peut-être trop concentrée sur l'aide divine. Grand mérite d'Augustin : ouverture

radicale de l'homme à Dieu. Les 2 ne sont pas concurrents. La grâce est bien la plénitude de notre

liberté.

5. Sur la prédestination et la "massa damnata" (masse damnée) chez Augustin

Question difficile qui a donné lieu à des réponses hétérodoxes. Des écrits tardifs d'Augustin peuvent

laisser croire à une restriction de la volonté salvifique universelle. Restriction à quelques élus qui

seraient arrachés à la masse des hommes tombés dans le péché. Une première distinction s'impose

entre prédestination et préscience. Il distingue la préscience divine qui connaît les péchés, de la

prédestination. "Dans sa préscience, Dieu connaît d'avance les pécheurs qu'il guérira. Il ne les rend

pas pécheurs." Prédestination des saints : "la prédestination a le bien pour objet et elle est comme je

l'ai dit la préparation de la grâce, alors que la grâce est l'effet de la prédestination." Donc la

préscience existe sans la prédestination dès lors que le péché apparaît. Dieu sait très bien ce que je

vais faire dans le futur. Je suis libre, mais il sait ce que je vais faire. Mais la prédestination ne peut

nous pousser qu'au bien. Il n'y a pas pour Augustin de prédestination au mal. Personne n'est poussé

au mal1.

Saint Augustin soutient que l'humanité tout entière est damnée en sa racine, en Adam, en vertu d'un

juste jugement de Dieu (Rm 9,21). "Le potier n'est-il pas maître de l'argile pour faire avec la même

masse un vase d'honneur ou un vase d'usage vil ?" Mais l'homme peut être sauvé, il peut passer de la

mort à la vie, du charnel au spirituel, par l'unique médiation du Christ. Selon le P. Folié, il ne s'agit pas

d'une expression augustinienne. Traduction de Rm 9,21. Dans le codex des épîtres pauliennes,

Augustin trouve ou "massa" ou "conspartio" (répandue). Il retient "massa" pour désigner l'humanité

en tant qu'elle est corrompue par la faute. "conspartio" désigne la pâte, la terre du potier – l'argile.

1 De fait, Dieu donne toujours la grâce suffisante, mais est-elle toujours efficace ?

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Moins péjorative que "massa", car on peut la travailler. Cette expression n'est pas d'origine

proprement augustienne, mais elle viendrait de l'Ambrosiaster, IV, Commentaire de saint Paul. Le

contexte dans lequel ce terme est employé : dans la Bible, en Rm 9 (Dieu choisit librement Isaac

plutôt qu'Ismaël – contexte de salut qui souligne l'évocation de la miséricorde divine). Quand st

Augustin l'utilise, il le fait pour bien saisir l'ampleur du mystère de l'incarnation. Humanité affaiblie

bien que le Christ lui-même ne soit pas marqué par le péché. Il n'a pu nous sauver qu'en prenant lui-

même notre humanité vouée à la mort par suite du péché. Pour Augustin, la médiation christique se

déploie selon une double dimension. Le Christ est médiateur en tant qu'il est exemple d'humilité et à

titre de sacrement. Souvent chez Augustin "exemplum et sacramentum". Les pélagiens se limitent à

l'exemple. Sacrement : grâce de rénovation intérieure pour que nous puissions accomplir les œuvres,

les exemples du Christ. L'exemplarité est nécessaire mais ne suffit pas.

6. Concile de Carthage XVI

En 418, 16ème Concile de Carthage, dont les canons 3.4.5 parlent de la grâce contre les pélagiens.

Can. 3. Il a été décidé de même : Quiconque dit que la grâce de Dieu, qui justifie l'homme par

notre Seigneur Jésus Christ, vaut uniquement pour la rémission des péchés déjà commis, mais

non pour aider à n'en plus commettre, qu'il soit anathème. (DS 225)

Il y a une grâce de justification donnée dans la rémission des péchés.

Can. 4. De même : Quiconque dit que cette même grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus

Christ nous aide à ne plus pécher en ce sens seulement qu'elle nous révèle et nous ouvre

l'intelligence des commandements, en sorte que nous sachions ce que nous devons désirer et

ce que nous devons éviter, mais qu'elle ne nous donne nullement l'amour et la force de faire

aussi ce que nous avons reconnu comme notre devoir, qu'il soit anathème. Car, puisque

l'Apôtre dit : " La science enfle, mais la charité édifie " 1Co 8,1, il est très impie de croire que

nous avons la grâce du Christ pour la science qui enfle et que nous ne l'avons pas pour la

charité qui édifie, puisque c'est également un don de Dieu de savoir ce que nous devons faire

et d'avoir l'amour pour le faire. Ainsi, la charité qui édifie empêche que la science ne nous

enfle. Comme il est écrit de Dieu : " Il enseigne la science à l'homme " Ps 94,10, il est aussi

écrit: " La charité vient de Dieu " 1Jn 4,7 (DS 226).

Can. 5. 11 a été décidé de même : Quiconque dit que la grâce de la justification nous est

précisément donnée pour pouvoir accomplir plus facilement par elle ce que nous devons faire

par notre libre arbitre, en sorte que, si la grâce n'était pas donnée, nous pourrions pourtant,

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quoique avec moins de facilité, observer sans elle les commandement de Dieu, qu'il soit

anathème.

Lorsqu'il parle du fruit des commandements, le Seigneur ne dit pas : " Sans moi, vous pouvez

le faire plus difficilement ", mais: " Sans moi, vous ne pouvez rien faire " Jn 15,5 (DS 227).

Dans ces trois canons, on ne décrit pas l'essence de la grâce, mais ses effets : la rémission des péchés,

l'aide pour ne pas retomber dans le péché. Non seulement elle nous donne la connaissance du bien,

mais aussi l'amour du bien et la force pour l'accomplir. Tout ceci est don de Dieu. Carthage affirme

aussi la radicale nécessité de la grâce. Sans la grâce, on ne peut accomplir les commandements

divins. Concile ratifié par le pape Zozyme.

III. Le semi-pélagianisme

C'est une désignation qui date du 16ème s. Cela remonte au milieu 5ème s., dans des monastères du

sud de la Gaule. Saint Jean Cassien. Les semi-pélagiens acceptaient les 2 thèses de fond d'Augustin

sur la critique du pélagianisme (PO, nécessité de la grâce). Mais ils n'acceptaient pas la nécessité de

la coopération du libre arbitre à la grâce, et la question de la prédestination. Sur ces 2 points,

Augustin insista sur la primauté de l'initiative divine. Les semi-pélagiens insisteront sur la primauté de

l'initiative humaine.

Leur propos se fonde sur l'exemple de Zachée qui a dû monter dans l'arbre pour que Jésus le vit. Le

commencement de la foi, le premier mouvement vers Dieu et l'Eglise est entre nos mains. Dieu veut

sauver tout le monde, mais il faut faire ce premier mouvement pour recevoir la grâce.

Sémi-pélagianisme : pour éviter une trop grande dépendance de l'homme envers Dieu, on rend Dieu

dépendant de l'homme. Si l'homme ne se bouge pas, Dieu ne peut pas agir ! Il faut maintenir le

primat absolu de l'amour de Dieu qui seul peut attirer le pécheur à lui. Jn 6,44.

La controverse semi-pélagienne va se poursuivre. Fulgence de Ruspe écrit contre Fauste de Riez. La

réaction de l'Eglise se trouve dans l'Indiculus et dans les canons du second Concile d'Orange.

L'indiculus, c'est une compilation d'écrits de papes, de Conciles, réalisée peut-être vers 435-443 par

Prospère d'Aquitaine à Rome. DS 238-249. On y enseigne que tout ce qui est bon en l'homme

procède de la grâce de Dieu.

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Extraits de l'Indiculus

Chap. V : Ne plaît à Dieu que ce que Lui-même nous a donné.

DS 243 : Chap. 5. Tous les efforts, toutes les oeuvres et tous les mérites des saints doivent être

rapportés à la gloire et à la louange de Dieu. Personne ne lui plaît sinon grâce à ce qu'il a

donné lui-même. C'est vers cette idée que nous dirige l'autorité décisive du pape Zosime,

d'heureuse mémoire, lorsque, écrivant aux évêques de l'univers entier, il dit : " Pour nous,

c'est par une motion divine (tous les biens doivent être en effet rapportés à leur auteur, de qui

ils proviennent) que nous avons tout remis à la conscience de nos frères et collègues les

évêques ". Les évêques d'Afrique vénérèrent avec tant d'honneur cette parole, où rayonnait la

lumière d'une très sincère vérité, qu'ils écrivirent ainsi à leur auteur : " Cette phrase des lettres

que vous avez pris soin d'envoyer à toutes les provinces, en disant : " Pour nous, c'est par une

motion divine, etc. ", nous avons considéré que vous la disiez pour pourfendre rapidement,

comme en passant, avec le glaive dégainé de la vérité, ceux qui exaltent la liberté du libre

arbitre contre l'aide de Dieu. Qu'avez-vous fait avec un si libre arbitre sinon tout rapporter à

notre humble conscience ? Et cependant, vous avez vu avec sincérité et sagesse que vous

faisiez cela par une motion divine, et vous l'avez dit avec véracité et courage. C'est pourquoi,

puisque " la volonté est préparée par le Seigneur " Pr 8,35 LXX ; voir Can.374, lui-même

touche les coeurs de ses fils par ses inspirations paternelles, pour qu'ils fassent quelque bien. "

Car tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu " Rm 8,14 ; ainsi, nous ne pensons pas

que notre libre arbitre nous manque et nous ne doutons pas que, dans chacun des bons

mouvements de la volonté humaine, l'aide du Saint-Esprit ne soit prévalente ".

Toute bonne pensée, tout pieux dessein vient de Dieu sans lequel nous ne pouvons rien faire.

DS 244 : Chap. 6. Dieu agit dans le coeur des hommes et dans le libre arbitre lui- même, de

sorte qu'une sainte pensée, un pieux dessein et tout mouvement de volonté bonne viennent

de Dieu : nous pouvons quelque bien grâce à celui sans lequel nous ne pouvons rien Jn 15,5. Le

même docteur, Zosime, nous a formés à le dire, lorsqu'il parlait aux évêques de l'univers

entier du secours de la grâce divine : " Y a-t-il donc un temps, dit-il, où nous n'ayons pas

besoin de son secours ? En tout acte, toute situation, toute pensée, tout mouvement, notre

aide et protecteur doit être invoqué ". C'est orgueil, pour la nature humaine, de se targuer de

quelque chose, alors que l'Apôtre proclame : " Ce n'est pas contre des adversaires de chair et

de sang que nous avons à lutter, mais contre les principautés et les puissances de l'air, contre

les esprits du mal des espaces célestes " Ep 6,12. Et comme il dit encore : " Malheureux

homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? La grâce de Dieu

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par notre Seigneur Jésus Christ " Rm 7,24. Et encore : " C'est par la grâce de Dieu que je suis

ce que je suis, et sa grâce envers moi n'a pas été stérile ; mais j'ai travaillé plus qu'eux tous :

pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi " 1Co 15,10.

La pratique de la prière nous montre que nous devons tout espérer de Dieu.

DS 246 : Chap. 8. Outre ces décisions inviolables du très saint Siège apostolique par lesquelles

nos saints pères, en rejetant l'orgueil de cette néfaste nouveauté, ont enseigné que les

commandements de la bonne volonté, l'accroissement des efforts louables et la persévérance

en eux jusqu'à la fin sont à attribuer à la grâce du Christ, considérons aussi les mystères des

prières dites par les prêtres. Transmis par les apôtres, ils sont célébrés uniformément dans le

monde entier et dans toute l'Eglise catholique, pour que la loi de la prière constitue la loi de la

foi2.

Lorsque ceux qui président aux saintes assemblées accomplissent la mission qui leur a été

confiée, ils présentent à la clémence divine la cause du genre humain et, toute l'Eglise

gémissant avec eux, ils demandent et ils prient pour que la foi soit donnée aux infidèles, pour

que les idolâtres soient délivrés des erreurs qui les laissent sans Dieu, pour que le voile qui

couvre le coeur des Juifs disparaisse, et que la lumière de la vérité luise sur eux, pour que les

hérétiques se repentent et acceptent la foi catholique, pour que les schismatiques reçoivent

l'esprit d'une charité ranimée, pour qu'à ceux qui sont tombés soient donnés les remèdes de la

pénitence, pour qu'enfin aux catéchumènes conduits aux sacrements de la régénération soit

ouvert le palais de la miséricorde céleste.

Ces demandes ne sont pas adressées à Dieu formellement ni vainement : les faits le

montrent effectivement. Car Dieu daigne attirer nombre de victimes de toutes sortes d'erreurs

; " arrachés à la puissance des ténèbres, il les fait passer dans le Royaume de son Fils bien-

aimé " Col 1,13 et, " de vases de colère ", il en fait " des vases de miséricorde " Rm 9,22-23.

Tout cela est si fortement ressenti comme l'oeuvre de Dieu que l'action de grâces continuelle

et la louange de sa gloire sont adressées à Dieu qui fait ces choses, pour avoir illuminé et

corrigé ces hommes.

DS 248 :

Ces règles de l'Eglise et ces preuves fondées sur l'autorité divine nous ont tellement confirmés,

avec l'aide du Seigneur, que nous professons que Dieu est l'auteur de tous les bons

mouvements et des bonnes actions, de tous les efforts et de toutes les vertus qui, depuis les

2 Origine de la formule : Lex orandi, lex credendi. (DS 246)

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commencements de la foi, nous font tendre vers Dieu. Nous ne doutons pas que sa grâce

prévienne tous les mérites de l'homme. Par lui, nous commençons à " vouloir " et à " faire "

quelque bien Ph 2,13.

Cette aide et ce secours de Dieu n'enlèvent certes pas le libre arbitre, mais ils le libèrent, pour

que d'obscur il soit lumineux, de pervers il soit droit, de languissant il soit sain, d'imprudent il

soit sage. Si grande est en effet la bonté de Dieu pour tous les hommes qu'il veut que nos

mérites soient ses propres dons, et qu'il nous donnera une récompense éternelle pour ce qu'il

nous a prodigué. Il agit en nous pour que nous voulions et fassions ce qu'il veut, et il ne

souffre pas que demeure en nous inactif ce qu'il nous a donné pour nous en servir, non pas

pour le négliger, afin que nous soyons aussi les coopérateurs de la grâce de Dieu. Si nous

voyons quelque chose s'alanguir en nous par suite de notre lâcheté, recourons instamment à

celui qui guérit toutes nos langueurs et rachète notre vie de la mort Ps 103,3-4, lui à qui nous

disons chaque jour : " Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal.

Toute l'initiative vient de Dieu ; tout l'accomplissement vient de Dieu. Ce sont des grâces. Le Seigneur

travaille constamment notre liberté pour que nous puissions être coopérateurs de la grâce.

Ce grand débat a trouvé son achèvement en 529, 2ème Concile d'Orange. Ce Concile a été quasiment

oublié jusqu'au Concile de Trente. Il fut présidé par saint Césaire d'Arles et conclu en faveur

d'Augustin. Il est approuvé par le pape Boniface II, en 531. Césaire avait été élève des moines de

Lérins.

L'enseignement d'Orange II :

- tous les baptisés, avec la grâce divine, peuvent réaliser tout ce qui est nécessaire au salut de leur

âme. On récuse toute prédestination au mal ; de même on récuse l'idée que la grâce amoindrirait

notre liberté.

Conclusion de Césaire d'Arles, DS 397 : Nous croyons aussi, selon la foi catholique, qu'après

avoir reçu la grâce par le baptême tous les baptisés peuvent et doivent accomplir, avec l'aide

et la coopération du Christ, tout ce qui concerne le salut de leur âme, s'ils veulent fidèlement y

travailler. Non seulement nous ne croyons pas que certains hommes soient prédestinés au

mal par la puissance divine, mais s'il était des gens qui veuillent croire une telle horreur, nous

leur disons avec toute notre réprobation : anathème !

Nous confessons et nous croyons aussi pour notre salut que, dans toute bonne oeuvre, ce

n'est pas nous qui commençons et qui sommes ensuite aidés par la miséricorde de Dieu, mais

que c'est lui, sans aucun bon mérite préalable de notre part, qui d'abord nous inspire et la foi

et l'amour, pour que nous recherchions fidèlement le sacrement du baptême et qu'après le

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baptême nous puissions accomplir avec son aide ce qui lui plaît. C'est pourquoi nous devons

croire très nettement que la foi si admirable du larron appelé par le Seigneur à la patrie du

paradis Lc 23,43, celle du centurion Corneille à qui l'ange du Seigneur fut envoyé Ac 10,3 et

celle de Zachée qui mérita de recevoir le Seigneur en personne Lc l9,6, ne fut pas un don de la

nature, mais un don de la libéralité de la grâce divine.

- On répète souvent la nécessité absolue de la grâce dès le premier instant. Ce n'est que par grâce

que l'on peut invoquer la grâce.

DS 373 : Can.3 Si quelqu'un dit que la grâce de Dieu peut être donnée à la demande de

l'homme et que ce n'est pas la grâce elle-même qui nous fait demander, il contredit le

prophète Isaïe ou l'Apôtre qui dit comme lui : " J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient

pas, je me suis rendu visible pour ceux qui ne m'interrogeaient pas " Rm 10,20 ; voir Is 65,1

Ce n'est que par l'Esprit que l'on peut désirer être purifié :

DS 374 : Can.4. Si quelqu'un prétend que Dieu attend notre vouloir pour nous purifier du

péché, et s'il n'admet pas que même notre volonté de purification est un effet de l'infusion et

de l'opération du Saint-Esprit en nous, il résiste au Saint-Esprit lui-même qui dit par Salomon :

" La volonté est préparée par le Seigneur " Pr 8,35 LXX et à l'Apôtre en sa prédication

salutaire: " C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir " (voir Ph

2,13 ).

La nécessité de la grâce est totale à tout instant. C'est elle qui nous rend humble et obéissant.

DS 376 : Can.6. Si quelqu'un dit que la miséricorde nous est donnée par Dieu lorsque, sans la

grâce, nous croyons, nous voulons, nous désirons, nous faisons des efforts, nous travaillons,

nous prions, nous veillons, nous étudions, nous demandons, nous cherchons, nous frappons à

la porte et qu'il ne confesse pas que notre foi, notre volonté et notre capacité d'accomplir ces

actes comme il le faut se font en nous par l'infusion et l'inspiration du Saint- Esprit ; s'il

subordonne l'aide de la grâce à l'humilité ou à l'obéissance de l'homme et s'il n'admet pas

que c'est le don de la grâce elle-même qui nous permet d'être obéissants et humbles, il résiste

à l'Apôtre qui dit : " Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? " 1Co 4,7 et : " C'est par la grâce de Dieu que

je suis ce que je suis " 1Co 15,10.

Aucun bien de la nature ne peut nous obtenir le salut.

DS 377 : Can.7. Si quelqu'un affirme qu'il peut par la seule force de la nature concevoir,

comme il convient, une bonne pensée touchant le salut de la vie éternelle ou la choisir ou

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donner son assentiment à la prédication du salut de l'Evangile, sans l'illumination et

l'inspiration du Saint-Esprit qui donne à tous son onction lorsqu'ils adhèrent et croient à la

vérité, il est trompé par un esprit d'hérésie et ne comprend pas la parole que Dieu a dite dans

l'Evangile: " Sans moi vous ne pouvez rien faire " Jn 15,5, ni ce mot de l'Apôtre : " Ce n'est pas

que nous soyons par nous-mêmes capables de concevoir quelque chose comme venant de

nous, mais c'est de Dieu que vient toute notre capacité " 2Co 3,5.

DS 391 : Can. 21. " Nature et grâce. De même qu'à ceux qui, voulant être justifiés par la Loi,

tombèrent hors de la grâce, l'Apôtre dit avec raison : " Si la justice vient de la Loi, alors le

Christ est mort en vain " Ga 2,21, de même on dit avec raison à ceux qui pensent que la grâce,

que la foi au Christ recommande et reçoit, est la nature : si la justice vient de la nature, " alors

le Christ est mort en vain ". La Loi en effet était déjà là et ne justifiait pas, et la nature aussi

était là et ne justifiait pas. C'est pourquoi le Christ n'est pas mort en vain, afin que la Loi fût

accomplie par celui qui a dit : " Je ne suis pas venu détruire la Loi, mais l'accomplir " Mt 5,17,

et afin que la nature perdue par Adam fût réparée par celui qui a dit être venu " pour chercher

et sauver ce qui était perdu " Lc 19,10.

Nécessité absolue de la grâce pour tous (contre ceux qui disaient que certains sont sauvés par grâce

et d'autres par leur libre arbitre).

DS 378 : Can. 8. Si quelqu'un prétend que certains peuvent arriver à la grâce du baptême par

la miséricorde, d'autres par le libre arbitre, dont il est clair qu'il est vicié en tous ceux qui sont

nés de la prévarication du premier homme, il démontre qu'il est étranger à la vraie foi. Il

affirme en effet que ce libre arbitre n'a pas été affaibli en tous par le péché du premier

homme, ou au moins il croit qu'il a été lésé seulement, de telle sorte que néanmoins certains

hommes peuvent encore d'eux-mêmes, sans révélation divine, conquérir le mystère du salut

éternel. Combien cette doctrine est contraire, le Seigneur le montre, qui atteste que ce ne sont

pas certains mais personne qui peut venir à lui " si le Père ne l'a attiré " (Voir Jn 6,44), comme

il dit aussi à Pierre : " Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair

et le sang qui te l'ont révélé mais mon Père qui est dans les cieux " Mt 16,17 l'Apôtre dit aussi

: " Personne ne peut dire : 'Jésus est Seigneur', si ce n'est dans l'Esprit Saint ". 1Co 12,3.

L'aide de Dieu est nécessaire pour toutes les œuvres accomplies après notre justification (qui

survient au baptême et à chaque fois que nous nous confessons). Nécessaire pour toute bonne

œuvre et pour la persévérance finale.

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DS 379 : Can. 9. "L'aide de Dieu. C'est par un don de Dieu que nous avons de bonnes pensées,

et que nous préservons nos pas du mensonge et de l'injustice ; chaque fois en effet que nous

faisons le bien, Dieu opère en nous et avec nous pour que nous opérions ".

DS 380 : Can. 10. L'aide de Dieu. Les régénérés et les saints doivent eux aussi toujours

implorer l'aide de Dieu pour parvenir à la fin bonne ou pour pouvoir persévérer dans le bien.

La grâce rend l'homme meilleur après le péché d'Adam.

DS 385 : Can. 15." Par rapport à l'état dans lequel Dieu l'avait formé, Adam a été changé mais

en pire, par son iniquité. Par rapport à l'état dans lequel l'iniquité l'a fait, le fidèle est changé,

mais en mieux, par la grâce de Dieu. Le premier changement est dû au premier pécheur, le

second " changement " selon le Psalmiste, " est dû à la droite du Très-Haut " (voir Ps 77,11).

La grâce répare notre libre arbitre

DS 383 : Can. 13. Le rétablissement du libre arbitre. Le libre arbitre blessé dans le premier

homme ne peut être rétabli que par la grâce du baptême ; " ce qui a été perdu, celui-là seul

peut le rendre qui a pu le donner. Aussi la Vérité elle- même dit : " Quand le Fils vous aura

délivrés, alors vous serez vraiment libres " Jn 8,36.

La grâce justifie.

DS 391 : Can. 21. " Nature et grâce. De même qu'à ceux qui, voulant être justifiés par la Loi,

tombèrent hors de la grâce, l'Apôtre dit avec raison : " Si la justice vient de la Loi, alors le

Christ est mort en vain " Ga 2,21, de même on dit avec raison à ceux qui pensent que la grâce,

que la foi au Christ recommande et reçoit, est la nature : si la justice vient de la nature, " alors

le Christ est mort en vain ". La Loi en effet était déjà là et ne justifiait pas, et la nature aussi

était là et ne justifiait pas. C'est pourquoi le Christ n'est pas mort en vain, afin que la Loi fût

accomplie par celui qui a dit : " Je ne suis pas venu détruire la Loi, mais l'accomplir " Mt 5,17,

et afin que la nature perdue par Adam fût réparée par celui qui a dit être venu " pour chercher

et sauver ce qui était perdu " Lc 19,10.

On nous parle de la grâce comme une aide, comme force de Dieu pour faire le bien. Ca rétrécit

quand même la perspective. Grâce et liberté ne sont pas contradictoires. C'est seulement en vertu de

la grâce que la liberté est rendue possible. On insiste beaucoup sur la nécessité de la grâce. Insistance

sur les effets "sanants" de la grâce. L'unique principe du salut est l'Esprit Saint. Mise en relief de la

gratuité de la grâce. La justification ne peut être obtenue qu'en vertu de la mort du Christ, mais on

ne met pas en relation avec Jésus les biens concrets que la grâce nous octroie.

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Changement d'accent notable par rapport à la vision néo-testamentaire de la grâce. L'influence de

saint Augustin a été déterminante. En puissance, et parfois en acte, nous sommes tous des semi-

pélagiens.

IV. La scholastique

On trouve des différences par rapport à la pensée augustinienne, qui demeure cependant toujours le

point de départ. Influence de la philosophie aristotélicienne. Distinction entre le courant franciscain

et le courant thomiste. Une grande nouveauté ? Il semble que ce soit la préoccupation de déterminer

ce qui signifie pour l'homme la présence de la grâce. Formation d'une doctrine appelée plus tard la

grâce créée.

Quand on parle de grâce incréée, c'est Dieu lui-même. Grâce reçue au baptême, Dieu en nous. Cela

opère ensuite une transformation en chacun qui sera différente en chacun, c'est la grâce créée.

Point commun chez les médiévaux : L'homme est appelé à la communion avec Dieu. Pas de moyen

de parvenir à notre plénitude si nous ne sommes pas en communion avec Dieu. Cette fin est

supérieure à la fin que l'homme peut atteindre par ses forces naturelles. Il a besoin d'une aide

proportionnée à la fin vers laquelle il tend. Il a besoin d'une aide qui l'élève au dessus de sa condition

de simple créature. Une aide qui lui donne la possibilité de réaliser le bien qui est proportionné à

cette élévation. Cette aide, c'est la grâce.

St Thomas d'Aquin

Dans la Somme théologique, dans le contexte des actes humains, il s'agit des principes externes de

ces actes : la Loi (ST Ia-IIae, 88-108) et la Grâce (ST Ia-IIae, 109-114). De Ver., q. 27, a. 3. A

l'insuffisance à atteindre la fin qui découle de notre condition, s'ajoute le fait que notre nature

expérimente les conséquences du péché. Nous ne sommes pas dans un état d'intégrité. La grâce doit

donc avoir un effet sanant. Elle doit nous concéder les forces dont notre nature a été privée. Sans

cette grâce, l'homme ne peut demeurer longtemps sans pécher. Cf. Q. 109, a. 2. La source de cette

grâce n'est autre que l'amour de Dieu et sa bienveillance à notre égard.

De même que nous aimons quelqu'un, nous aimons en lui des qualités qui préexistent avant notre

amour pour lui, de même, Dieu crée en l'homme ce qu'il aime. Pour cette raison, l'amour de Dieu

produit un effet en nous ; il cause une modification de notre être. La bienveillance divine induit des

effets en son destinataire. L'âme est ainsi élevée et transformée. Elle reçoit une participation à la

nature divine, un certain être surnaturel (Ia-IIae, 110, 2). De sorte que l'homme transformé par la

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grâce peut posséder et exercer les vertus théologales. Le sujet de ces vertus est l'homme justifié.

L'homme justifié reçoit une nouvelle forme, un nouveau mode d'être, une qualité permanente de

l'âme, un habitus (entitatif acquis) (110, a. 3-4). Cette qualité n'est pas substantielle car elle est

donnée à un sujet qui est déjà constitué. C'est une forme accidentelle qui donne au sujet une

nouvelle perfection. Dieu agit par une forme créée et l'homme continue d'être l'homme qu'il est (De

Ver., Q. 27, a. 1 et Q. 29, a. 3). Selon st Thomas, la grâce est accidentelle en l'homme car elle est au-

dessus de sa nature. Le fait que la grâce soit un accident signifie qu'elle opère une opération

profonde, mais l'homme pécheur demeure un être humain.

L'amour existe en Dieu, mais aussi en nous. La grâce est la présence de l'amour de Dieu. L'homme est

alors rénové au plus profond de l'être.

Cette insistance sur la transformation intérieure doit être comprise comme une réaction à Pierre

Lombard. Selon Pierre Lombard, notre charité s'identifie avec l'Esprit Saint qui a été répandu en nos

cœurs.

IIa-IIae, 23, 2 :

"Le Maître des Sentences étudie cette question et il affirme que la charité n'est pas quelque

chose de créé dans l'âme, mais le Saint-Esprit lui-même habitant notre âme. Il n'entendait pas

dire que le mouvement d'amour par lequel nous aimons Dieu est le Saint-Esprit lui-même,

mais qu'il procède du Saint-Esprit sans l'intermédiaire d'aucun habitus, alors que d'autres

actes vertueux en procèdent par la médiation des habitus d'autres vertus : d'espérance, de

foi, etc. Et il parlait ainsi à cause de l'excellence de la charité."

C'est pour sauver le caractère de sujet de l'homme, que st Thomas veut parler de la grâce comme

d'une forme accidentelle. Cependant on ne peut pas considérer cette grâce comme quelque chose

qui nous appartiendrait. Elle n'est pas coupée de sa source. Cet amour de Dieu est le principe

permanent de notre transformation.

En vertu de l'amour de Dieu pour nous et de son effet en nous, l'homme participe à l'être même de

Dieu. L'homme est en quelque sorte divinisé (I-IIae, 112, 1). Il ne s'agit pas de "chosifier" la grâce,

mais de voir que s'opère une transformation totale dans l'homme qui la reçoit (I-II, 110,2). Cette

recréation de l'homme ne se produit pas sans la présence en nous des trois Personnes divines. La

doctrine de l'inhabitation trinitaire n'est pas organisée de façon systématique chez st Thomas.

L'Esprit Saint se donne à nous dans le don de la grâce. Par conséquent, chez st Thomas, on ne peut

pas parler d'une grâce créée séparée ou préalable à la grâce incréée. (Ia, 43, 3 ; IIIa, 7, 13)

St Thomas connaît aussi l'enseignement sur la filiation adoptive, même s'il considère que le sujet de

cette adoption est la Trinité bien qu'on l'approprie au Père. IIIa, 23, 2 ; 32, 1 ; 45,4. La forte

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accentuation de l'unité divine dans les opérations ad extra a provoqué un certain oubli de

l'importance de la vie trinitaire dans la vie chrétienne. Mais chez St Thomas, tout don de grâce vient

du Christ dans laquelle se trouve la plénitude du Saint Esprit à laquelle nous participons. L'humanité

du Christ est l'instrument dont Dieu se sert pour nous communiquer sa grâce (IIIa, 19,4 ; 48, 2).

En certain moment de sa vie, il n'a pas appelé grâce le premier mouvement de l'homme qui se

tourne vers Dieu. Même si l'homme ne possède pas encore la grâce sanctifiante donnée au baptême,

cette approche est déjà une grâce.

Distinction entre gratia gratum faciens (grâce qui nous rend agréable ou grâce sanctifiante, grâce de

la justification) et la gratia gratis data (grâce actuelle : celle qui nous pousse vers le Seigneur, ou bien

celle qui nous pousse à faire le bien quand on est justifié ; c'est aussi les charismes). La grâce

habituelle (justification, de sanctification : elle nous rénove complètement reçue au baptême et à la

confession) / grâce actuelle (grâce qui nous pousse à demander le baptême et quand on est justifié à

accomplir le bien)

St Bonaventure : Il pense la grâce christologiquement. Breviloquium, V,1,5 : avoir la grâce, ce n'est

pas seulement posséder Dieu, mais être possédé par lui.

A partir de Bx Duns Scot, la liberté de Dieu va prendre de plus en plus de place dans le traité de la

grâce. La liberté de Dieu ne peut l'obliger à accepter la créature. Il n'y a rien en l'homme qui oblige

Dieu à entrer en communion avec lui. Les nominalistes diront que de puissance absolue, Dieu peut

justifier l'impie sans le rendre intérieurement juste par la charité, car il est libre. De puissance

ordonnée, Dieu a décidé de ne pas agir ainsi, en opérant la rénovation de l'homme. La distinction

entre ces 2 puissances veut sauvegarder la liberté et la transcendance de Dieu. Il semble que le plus

important ne soit pas la transformation de l'homme – grâce créée – mais la relation entre la liberté

de Dieu et la liberté de l'homme. Risque d'une conception plus extrinsèque de la grâce.

Dans l'évolution de la scholastique, la possession de la grâce habituelle tend à se séparer de la

présence de l'amour de Dieu en l'homme. La grâce créée devient parfois le présupposé de la grâce

incréée.

V. La Réforme protestante – la théologie de Trente et post-tridentine

Luther a réagi contre l'idée d'une grâce créée et d'un habitus tel qu'il les comprend. Il comprend qu'il

y a en l'homme (grâce créée) qui une fois qu'elle est possédée, force Dieu de nous donner la vie

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éternelle. Une sorte de présupposé pour notre action méritoire, qui nous donnerait un certain droit

au salut. Ainsi, la grâce finit par être plus odieuse que la Loi, au sens où elle s'appuie sur ce que

l'homme fait et où elle s'éloigne de la primauté absolue de Dieu. D'où sa négation de la grâce créée

car la justice du chrétien ne se rapporte pas à une substance, ni à une qualité, ne dépendant que de

la faveur divine.

L'action du Christ pour nous ne se manifeste pas directement en nous. Pas de rénovation intérieure

oubliant l'élément extrinsèque de notre transformation. "Simul peccator et iustus" : en même temps

pécheur (foncièrement corrompu) et juste (car Dieu lui impute sa justice de façon totalement

extérieur).

Le Concile de Trente essaie de répondre à Luther, sans rentrer dans les disputes d'école. Il affirme la

réalité de notre justification et considère comme insuffisante la non-imputation du péché. La grâce

n'est pas seulement la faveur de Dieu pour nous. Elle est aussi inhérente à nous.

Grâce selon Trente : 1/ action de Dieu qui nous conduit à la justification et nous fait persévérer dans

le bien (lignée augustinienne). 2/ l'amour, la faveur de Dieu manifestée dans la rédemption, par le

Christ; la terminologie est paulinienne. 3/ don reçu de Dieu, présent en nous. Terminologie

scholastique.

Trente souligne la primauté de Dieu quant au salut et met en relief l'effet de la grâce divine. la grâce

n'est jamais quelque chose que l'homme possède indépendamment de sa source (Dieu). Présence de

l'Esprit Saint.

Le décret sur la justification parle de la réalité de la grâce en nous, mais aussi de notre "nouvelle

relation" avec Dieu. Thème de l'adoption filiale et de l'amitié avec Dieu.

C'est vraiment avec Trente que le thème de la grâce devient si important. 2 points : 1/ réalité de la

justification avec la transformation intérieure. 2/ la coopération de l'homme à la grâce.

Fin 16ème-17ème : dispute de auxiliis (les aides qui nous sont données). Rapport entre la grâce de Dieu

et la liberté de l'homme. Le titre de la controverse indique : la grâce comme "aide divine", impulsion

nécessaire pour accomplir le bien. Opposition caricaturale entre dominicains et jésuites. Théologiens

thomistes (Banez) / Molina (suivis par la plupart des jésuites), La concorde du libre arbitre avec les

dons de la grâce. 2 points de vue en présence :

- Baniez : partir de la primauté de Dieu et de sa volonté salvifique. Elle est manifestée dans la grâce

donnée à l'homme. Cette grâce, Dieu voulant qu'elle soit efficace, est accompagnée par une

prémotion physique (donc sur tout acte) qui pousse l'homme à agir comme cause libre. Ceci survient

de telle sorte que la grâce va mouvoir la liberté pour que la liberté agisse comme Dieu le veut.

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- Molina : partir de la liberté de l'homme. Seule cette liberté de l'homme fait que la grâce est

vraiment efficace. Dans la science de Dieu, on distingue la science de vision par laquelle Dieu connaît

tout le réel et la science d'intelligence par laquelle Dieu connaît tous les possibles. Entre ces 2,

Molina invente "la science moyenne" : Dieu, par sa science moyenne connaît ce que fera l'homme en

telle circonstance déterminée. Ce ne sont pas tous les possibles, car l'homme n'est pas insensé. Ce

sont les "futuribles", qui ne se sont pas toutes les actions libres simplement possibles, mais toutes les

actions libres qui auraient certainement eu lieu dans les circonstances déterminées. Réduction des

possibles (possibles sensés). Dieu va placer l'homme dans les circonstances qu'il veut pour que

l'homme à son tour puisse opérer par sa liberté. La primauté de Dieu est sauvegardée, et la liberté de

l'homme pour que la grâce soit efficace aussi.

St François de Sales a été un des artisans de la paix théologique ! Les résultats : d'un côté dans la

position moliniste, on a du mal à comprendre la primauté de la toute puissance de Dieu. Baniez : du

point de vue ontologique OK, du point de vie psychologique, plus difficile. Paul V a tranché en 1607 :

vous pouvez suivre votre opinion, mais interdiction de vous condamner mutuellement. La question

reste ouverte.

Le problème est sans doute mal posé. La grâce n'est jamais et ne peut jamais être une limite à notre

liberté humaine. C'est la grâce qui meut la liberté. Elle manifeste sa primauté en suscitant notre

liberté. La liberté de l'homme renvoie à Dieu et à sa grâce comme au Seul qui puisse donner à notre

liberté son sens profond. L'œuvre de Dieu et l'œuvre de l'homme n'interfèrent pas car elle ne se

place pas au même niveau. La présence de la grâce suscite et rend possible notre liberté, qui doit

toujours s'appuyer sur Dieu. Le mieux, c'est de tenir les 2 extrêmes. Le mode concret entre les 2

actions nous échappe.

Problème des possibilité qu'a la nature pure de réaliser le bien moral.

Que peut faire l'homme quand il ne bénéficie pas de la grâce de Dieu ? La théologie catholique

maintient que le pécheur ne pèche pas en toutes ses œuvres. Une bonté de créature reste en lui qui

ne disparaît pas par le fait d'avoir péché. A cette époque, le véritable pécheur, même quand il est

privé de l'amitié et de la grâce de Dieu n'agit pas seulement avec les seules forces de sa nature.

Même quand il est dans une situation de refus de la grâce, il demeure appelé à la communion avec

Dieu. Il n'est pas abandonné par Dieu.

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VI. L'augustinisme post-tridentin

Un courant post-tridentin hétérodoxe qui a voulu régler les problèmes post-tridentins en recourant à

l'autorité de saint Augustin. Faute herméneutique !

Baius (1513-1589) : professeur à Louvain ; sa grande idée, ce sont les droits de l'homme face à Dieu.

Il considère que la justice originelle est due à la nature humaine. Elle consiste en l'obéissance de la

partie inférieure en l'homme (le corps) à la partie supérieure (l'âme elle-même soumise à Dieu).

L'idée d'un créateur bon est incompatible avec le fait qu'on vienne au monde avec la concupiscence.

Baius explique que dans l'état de justice originelle, l'homme pouvait accomplir les commandements

et donc la vie éternelle est comme un dû. Premier dû à l'agir bon de l'homme. Conception optimiste

avant la chute. Après la chute, conception très pessimiste. L'homme est radicalement corrompu.

Toutes les œuvres des pécheurs sont des péchés, marquées par la concupiscence. Chez lui, la grâce

sanctifiante, l'habitus n'ont aucune importance. La justice, ce serait d'avoir un agir conforme à Dieu.

Les bonnes œuvres ne sont pas une conséquence de notre transformation intérieure. La réalité de la

justification semble s'identifier avec les bonnes œuvres. La grâce intervient, mais que comme une

aide extrinsèque, sans transformation intérieure de l'homme. On arrive alors à la position : un

homme peut avoir la charité sans avoir obtenu la rémission des péchés car il demeure corrompu en

lui-même. Pour l'obtention du mérite qui découle des bonnes œuvres, la liberté n'a pas beaucoup

d'importance.

Double liberté pour Baius : la libertas a necesitate (liberté privée de nécessité) et la libertas

asservitute (liberté privée d'asservissement). La première se rapporte à la volonté. Peut s'exprimer

quand elle n'est pas contrainte par quelque chose d'ext. La 2ème : inclination de l'âme vers son vrai

bien quand elle est mue par l'amour. On peut posséder la première, mais on ne peut pas échapper

complètement à la servitude du mal car on est toujours soumis à la concupiscence. La grâce du Christ

nous libère de cette servitude, bien que demeure une nécessité intérieure. La grâce est

nécessairement efficace sans que notre liberté joue un rôle spécial. En marge, ou hors de la grâce,

tout est péché. Aucun bien en dehors de l'Eglise. Avec la grâce, par contre, on ne peut rien faire

d'autre que le bien. Forme d'automatisme de la grâce.

Baius fut condamné par saint Pie V, DS 1901-1980. Quelle fut la valeur de cette condamnation ?

Il oublie complètement la grâce sanctifiante, au profit de la grâce actuelle seule. On ne peut pas non

plus accepter son idée selon laquelle tout ce que fait le pécheur est péché.

Point positif : il prend en compte le fait que rien n'est indifférent pour le salut. Pas d'acte humain

moralement indifférent. Soit on va vers le salut, soit on s'en éloigne. Son erreur : la grâce ne peut

être donnée que dans les frontières visibles de l'Eglise.

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Jansénius : il veut défendre la primauté de la grâce. L'homme fait toujours nécessairement ce qui lui

est le plus agréable. Faire le mal "su specie bonis" (sous l'apparence du bien). Delectatio vitrix :

délectation victorieuse. L'homme accomplit le mal ou le bien selon son attirance vers le péché ou

vers Dieu. L'homme avait besoin d'une aide divine. Par son impulsion divine, l'homme n'a pas la

liberté de choisir. Il fait spontanément le bien. Pour cette raison, il est libre, car il n'y a pas de

nécessité extérieure. Nécessité intérieure. Mais dans l'état originel, la liberté de pécher existait déjà.

De fait l'homme a péché.

Après le péché, la concupiscence est plus forte que l'attirance vers le bien. Ce n'est que parce que la

grâce de Dieu nous libère que nous pouvons accomplir le bien. Cette grâce va mouvoir notre liberté.

Une aide qui infuse un amour pour le bien qui doit surpasser la concupiscence. Cette grâce donnée

après la chute doit nous relever d'un état plus bas qu'Adam avant la chute. Donc l'aide dont nous

avons besoin aujourd'hui est plus importante que l'aide dont avait besoin Adam. Mais la grâce était

quand même nécessaire dans l'état originel.

Comme pour Baïus, cette grâce est actuelle ; elle opère à chaque instant quand l'homme en a besoin.

Volonté non-universelle du salut : La grâce n'est pas donnée à tous. Elle n'est pas donnée hors de

l'Eglise : on ne pourrait pas comprendre comme gratuit un don qui est donné à tous. Finalement, le

Christ n'est pas mort pour tous.

Condamnation par Innocent X : elle n'a pas mis un terme à tout ce débat. Le jansénisme n'est pas

seulement un courant théologique, mais aussi spirituel. Différentes condamnations. Pas l'image d'un

Dieu amoureux de l'homme.

VII. Rénovation catholique

2ème moitié du 17ème s., discussion théologique sans grand écho. Préparation de la rénovation à venir.

Petau, sj qui a voulu revenir aux Pères grecs dans le but de récupérer le rôle primordial de la grâce

incréée, présence de Dieu en l'âme. On parlait beaucoup plus du don créé en lutte aux protestants (il

y a quelque chose à l'intérieur). Discussion sur la théorie des appropriations : les Personnes divines

ont une fonction propre dans notre relation à Dieu. 19ème : Scheeben, qui revendique la centralité de

la présence de Dieu dans l'homme, priorité de la grâce incréée sur la grâce créée, qui est secondaire.

Affirme que la Trinité agit dans notre rénovation intérieure. Ecole de Tubingen : Mohler, grande

liberté par rapport aux études thomistes. Etudes thomasiennes fécondes. Concile Vatican II : presque

aucun enseignement explicite sur la grâce, mais de très fréquentes allusions à ce mystère (catégorie

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de la présence de Dieu en nous, union avec le Christ). Participation à la vie divine, vie filiale…LG 2-4.7.

L'universalité de la volonté salvifique de Dieu est aussi exprimée. LG 16 ; GS 22 ; AD 7.

VIII. Perspectives actuelles

On a pris conscience de la gratuité de l'œuvre de Dieu en l'homme. Sans oublier cet enrichissement

progressif, la théologie veut retrouver le noyau autour duquel il convient d'articuler tous les

problèmes : cette grâce radicale qu'est le Christ et le don que Dieu nous fait de lui-même en Jésus et

en son Esprit.

Passé : grâce incréée / créée, grâce habituelle / actuelle, grâce sanante / élevante. Beaucoup de

distinctions. La grâce sanctifiante : don créé, distinct de l'âme, de l'Esprit Saint. Le premier effet de la

grâce sanctifiante, c'était notre participation à notre nature divine (2P 1,4). Une explication qui n'est

pas facile. On prenait comme point de départ la nature commune des trois Personnes divines. La

participation nous place dans le cadre de l'analogie et n'affecte pas la substance de l'homme.

L'habitus est considéré comme le fondement de nouvelles relations avec Dieu, qui est Trine en son

Unité. Son agir ad extra est commandé par son unité de substance. Les trois Personnes divines

habitent de manière égale dans l'âme du juste en raison du mystère de la périchorèse, même si on

parle de façon particulière de la présence du Saint Esprit. Pour bien agir, on a besoin de la grâce.

Place de la grâce pour la justification et pour la persévérance, articulation liberté / grâce.

Changement de perspective : on ne discute plus sur la légitimité qu'il y a d'insister sur le don créé. On

s'est rendu compte que la notion de don créé est très peu connue dans l'Eglise primitive.

La présence de Dieu en nous prend vraiment la première place aussi bien dans le NT que dans la

première Tradition de l'Eglise. de plus, seule la présence de Dieu peut élever l'homme au sommet de

sa relation à Dieu. Seul Dieu peut nous élever à lui. Dieu seul peut nous rendre digne de lui. Cette

présence de Dieu doit être considérée en relation à l'unité de Dieu et la trinité des Personnes.

Présence transformante, divinisation. Mais on ne peut étudier la grâce en dehors de cette "faveur"

de Dieu pour nous. Il y a un salut qui est déjà donné. La rédemption est déjà opérée objectivement.

Autres accents : communion entre les hommes, justice (théo de la libération : Boff, Segundo). Le don

de Dieu ne peut pas se rapporter à l'homme individuel. Le don de Dieu affecte toute l'humanité,

toute l'histoire.

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CHAPITRE III - PARTIE SYSTEMATIQUE

LA GRACE COMME PARDON DES PECHES - LA JUSTIFICATION

La grâce comme faveur de Dieu manifestée dans le Christ et qui a pour effet notre salut. L'amour de

Dieu pour nous se manifeste d'abord pour nous dans l'envoi du Verbe incarné. La grâce n'est pas un

ajout à une nature pure. L'appel à la communion avec Dieu en son Fils est ce qui nous caractérise au

plus profond de nous-même. Tout homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu pour

parvenir à reproduire l'image du Fils de Dieu. Nous savons que l'homme a péché : il s'est placé en

contradiction avec lui-même. Le Christ, Tête de l'humanité, fondement ultime de la création, est

aussi notre rédempteur.

L'action salutaire de Dieu dans le Christ possède une fonction fondamentale de pardon des péchés –

justification. Le parallèle entre Adam et le Christ (Rm 5) nous renvoie à la dimension de justifié dans

le Christ. Poids du péché (cf. Ecritures). La condition pécheresse de l'homme ne l'affecte pas

seulement individuellement.

La force du péché, la privation de grâce, la surabondance de l'amour rédempteur sont déjà présents

au moment où nous avons été conçus. La justification n'est donc pas seulement un moment

chronologique, mais l'aspect justificateur que possède la grâce de Dieu est un aspect essentiel de

notre salut. Même si nous n'avons pas péché personnellement, nous nous trouvons affectés de la

privation de grâce, due au PO. Passage d'Adam au Christ est nécessaire pour tous, car nous sommes

tous affectés par le péché. La surabondance de grâce du Christ est mystérieuse mais nécessaire pour

tout homme.

Avant la justification, qu'est-ce que l'homme pouvait faire ? Discours important dans les manuels De

gratia traditionnels. Après Vatican II, on a renoncé à étudier l'état de l'homme avant la justification.

Pour l'homme, une unique finalité : Dieu lui-même. Finalité surnaturelle. Toute notre vie se meut

dans cette dimension là. Absolument rien ne peut être différent à cette unique fin. Que l'on soit dans

les frontières visibles de l'Eglise où hors de ces frontières, l'homme se trouve dans un monde qui est

marqué depuis toujours par le Christ, donc dans l'acception ou la récusation du salut. Pas d'acte

moralement indifférent. Tout nous rapproche ou nous éloigne de Dieu. Signification universelle du

Christ. Nécessité absolue de la grâce. Tout a à voir avec cette fin. Comme nous nous trouvons de fait

dans l'ordre surnaturel, nous sommes donc toujours à tout moment sous l'influence divine, ou contre

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! Le pécheur se trouve aussi dans un "ordre de grâce". A l'exception du péché, nous avons tout reçu

de Lui. Pas d'autosuffisance de l'homme pour poursuivre son salut. Pas non plus de corruption totale

par le péché.

Justification par la foi : connaître et acceptation (accueil et mise en œuvre) du salut en Christ. On

parlera de la justification du chrétien.

I. La justice de Dieu, fondement de la justification de l'homme

A. La justice de Dieu dans l'AT

Paul : justice de l'homme comme conséquence en l'homme de la justice de Dieu. Rm 1,17 ; 3,21.

Cette notion de la justice de Dieu n'a pas de définition explicite chez Paul.

Dt 33,21 : Et il s'est choisi la première partie du pays: car là était réservée la part du législateur; et il

est allé avec les chefs du peuple; il a accompli avec Israël la justice de l'Éternel (hw"hy> tq:Üd>c /

dikaiosu,nhn ku,rioj) et ses jugements.

Pas d'abord une propriété divine mais un comportement de Dieu par rapport à son peuple dans le

cadre de l'alliance. Justice de salut, manifestée dans les faveurs que Dieu octroie aux siens. Jg 5,11 ;

1Sm 12,7 ; Ps 103,6. Justice comme fidélité de Dieu à sa promesse (cf. Ps 40,11 ; 48,11 ; 71,2 ; 143,1

Les hommes sont invités à pratiquer la justice (Ps 15,2 ; 24,3) et à la louange (Mi 6,5 ; 7,9 ; Ps 22,32).

L'homme doit proclamer que Dieu est juste (Is 41,26 ; Ps 119,137). Chez certains prophètes, relation

entre justice et proximité de la libération messianique (Is 9,6 ; Jr 23,5). Chez Isaïe : justice et salut.

Justice : salut que Dieu apportera à son peuple. L'expérience de l'Exil a fait surgir l'espérance d'une

rédemption future, d'une alliance qui ne sera pas rompue. Lien entre justice et jugement. Dieu

combat avec son peuple. Dieu juge favorable à son peuple (Is 50), mais les bénéfices de cette justice

s'étendent aussi à tous les peuples (Is 42,4).

Après l'Exil, changement : on passe à la justice de l'homme, des justes (Ps 1). Ensuite, on parle de la

justice comme quelque chose que le juste possède, même si le juste ne se considère pas tel devant

Dieu. Idée d'un salut personnel.

LXX : dimension juridique de la justice de Dieu. Idée de contrat bilatéral entre Dieu et l'homme. Dieu

rétribue celui qui pratique la justice. Moins d'insistance sur l'initiative divine et sur le salut.

Si : Dieu juge chacun selon ses œuvres. Dn 9,18 : opposition de la miséricorde de Dieu aux œuvres

justes des hommes. Dans le judaïsme tardif, on retrouve les différents accents évoqués : mais

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toujours une justice par dérivation. Le rabbinisme en revanche va insister sur les œuvres des justes.

Etre juste : accomplir la loi. Le juste doit mettre sa confiance dans la miséricorde de Dieu. Tendance

quand même à avoir confiance en sa propre justice.

B. La justice de Dieu dans le Nouveau Testament

Si on excepte les écrits pauliniens, les références néo-testamentaires qui traitent de la justice de Dieu

ne sont pas très nombreuses. C’est l’idée de possession de ce bien par l’homme qui domine. En Mt,

la notion de justice est mise en lien avec le Royaume de Dieu (Mt 6, 33) ; en Jc 1, 20, il est dit que la

colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. Pourtant, en 2 P 1,1, la justice de notre Dieu et

Sauveur Jésus-Christ est décrite non comme une propriété de l’homme mais du mode d’action de

Dieu qui se manifeste dans le salut. Idée dominante de l’Ancien Testament réinterprétée à partir du

Christ.

Chez saint Paul. C’est le théoricien de cette question dans le Nouveau Testament. 1 Co 1, 30 : « le

Christ est pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption ». Le Père est

l’origine de toute l’œuvre du salut, la justice vient de Dieu. Selon 2 Co 5, 21, « afin qu’en lui nous

devenions justice de Dieu », la justice de Dieu se convertit en une qualité de l’homme mais on ne

peut l’acquérir que par l’œuvre du Christ. « Le Christ se fait péché pour nous » dit saint Paul. Un

échange s’est produit. Par cette formulation paradoxale est mise en relief l’initiative salvifique de

Dieu face à notre péché et notre impuissance.

Dans Rm, on ne trouve pas de définition de la justice de Dieu mais elle est en relation avec l’amour

de Dieu dans le Christ avec la fidélité de Dieu à sa promesse de salut : l’homme reçoit le salut en

étant justifié par la foi. Rm 1, 17 : introduction de tout le développement doctrinal de Rm. Paul nous

parle de la force de l’Évangile, salut pour ceux qui croient, révélation de la justice de Dieu, son

pouvoir salvifique, qui se convertit en don pour l’homme. Est ainsi mise en valeur la préséance de la

justice divine : l’homme ne peut être justifié sinon par don de Dieu. L’action divine n’est autre que

notre salut. La justice atteint l’homme par la foi : « de la foi à la foi ». La citation d’Habacuc 2, 4

introduite en Rm 1, 17 indique l’accomplissement de la promesse de salut de l’Ancien Testament. Le

moment où le juste peut vivre de sa foi en Jésus-Christ est arrivé. La justice comme propriété de Dieu

apparaît quand on considère l’injustice de l’homme. Tous ont péché. Il n’y a donc pas de différence

entre eux (Rm 2, 17). Ainsi, notre injustice met en relief la justice de Dieu : Rm 3, 5. L’infidélité

d’Israël à l’Alliance ne peut pas provoquer l’infidélité de Dieu à ses promesses (Rm 3, 3). Dieu seul est

fidèle et juste. Cette justice va se manifester dans le Christ : Rm 3, 21-31. On y trouve le thème

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central de la justice de Dieu déjà annoncé plus tôt. En 3, 21-26, il est question de la révélation de la

justice et de la possibilité offerte aux croyants d’y avoir accès.

Rm 3, 21-26 : « 21 Mais maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu s'est manifestée, attestée

par la Loi et les Prophètes, 22 justice de Dieu par la foi en Jésus Christ, à l'adresse de tous ceux

qui croient - car il n'y a pas de différence : 23 tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu

- 24 et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie dans le

Christ Jésus : 25 Dieu l'a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la

foi ; il voulait montrer sa justice, du fait qu'il avait passé condamnation sur les péchés commis

jadis 26 au temps de la patience de Dieu ; il voulait montrer sa justice au temps présent, afin

d'être juste et de justifier celui qui se réclame de la foi en Jésus. »

Rm 3, 27-31 : justification par la foi et non par les œuvres : « 27 Où donc est le droit de se

glorifier ? Il est exclu. Par quel genre de loi ? Celle des œuvres ? Non, par une loi de foi. 28 Car

nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi. 29 Ou alors Dieu

est-il le Dieu des Juifs seulement, et non point des païens ? Certes, également des païens ; 30

puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui justifiera les circoncis en vertu de la foi comme les

incirconcis par le moyen de cette foi. 31 Alors, par la foi nous privons la Loi de sa valeur ?

Certes non! Nous la lui conférons. »

Le motif de la justice de Dieu est introduit au v. 21 qui montre le changement de temps occasionné

par la venue de Jésus : « maintenant ». L’adverbe temporel veut exprimer le commencement de l’ère

eschatologique. Ce temps du Christ est caractérisé par la révélation de la justice de Dieu qui advient

sans la loi (celle ne faisant que l’annoncer). La justice de Dieu est l’action salvatrice, judiciaire et

eschatologique, de Dieu dans le Christ. Rm 3, 22 spécifie les caractéristiques de cette justice : elle se

révèle par la foi en Jésus-Christ : elle suppose une acceptation personnelle de l’Évangile. La situation

de l’homme est objectivement nouvelle ; la foi est l’adhésion personnelle à cet acte salvifique

objectif réalisé par le Christ.

La justice de Dieu révélée dans le Christ à laquelle nous participons par la foi va avoir une

conséquence : la justification. Elle survient par grâce en vertu de l’amour de Dieu manifesté par le

Christ. En montrant sa justice, Dieu a exhibé Jésus comme instrument de propitiation par son sang

moyennant la foi. Deux pôles du processus de justification : l’initiative gratuite de Dieu et la foi en

Jésus-Christ de chaque homme. Saint Paul nous explique qu’il y a une double présentation de la

justice de Dieu : une première dans le temps de l’Ancien Testament ; une seconde, définitive, qui

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survient au temps présent : maintenant, qui provoque la justification. Ce n’est pas une simple

condescendance. Rm 3, 27-31 développe l’opposition entre la foi et les œuvres de la loi. C’est Dieu

qui a établi la loi de la foi : l’ordre des choses fondé en Christ ; face à cet ordre, une seule réponse : la

foi (Ga 3, 23-25). L’homme n’est donc justifié que par la foi mais il ne spécifie pas clairement l’objet

de cette foi. Il va répéter la négation de la valeur salvifique des œuvres de la loi. Rm 3, 30 affirme

l’universalité de la justification par la foi. Le salut offert par le Christ ne connaît pas de frontière.

Enfin, 3, 31 permet à Paul de signaler que par la foi, la loi ne perd pas sa valeur : elle est confirmée,

transcendée par la foi.

Rm 10, 3 sv : l’unique justice est celle de Dieu. Pas de justice humaine. Reconnaître la justice de Dieu,

sa fidélité, son amour, c’est croire en Jésus-Christ, en sa résurrection et en sa seigneurie (v. 9)

(mainmise suaviter et fortiter). En Ph 3, 9, Paul nous dit qu’il veut être trouvé en Jésus-Christ n’ayant

que la justice de la foi.

Ces différents passages nous permettent, même en l’absence d’une définition explicite, de tirer

quelques conclusions. Saint Paul s’inscrit dans la lignée de l’Ancien Testament mais il réinterprète ce

concept à la lumière de l’avènement salvifique du Christ. Dans le Christ, la fidélité divine à l’Alliance

s’est manifestée. L’infidélité des hommes fait briller plus encore la justice de Dieu. Nul ne peut se

dire juste par ses propres œuvres. Mais la justice de Dieu se révèle dans le Christ en qui la fidélité de

Dieu à notre égard parvient à son accomplissement. Pour Paul, dans le Christ, la justice divine est

toute entière pénétrée de pardon, de miséricorde qui surpasse tout péché humain. Si ce péché est

universel, la révélation de la justice de Dieu devra affecter tous les hommes et se manifester dans la

justification du pécheur. Ce n’est que dans le Christ que nous est donnée la justice salvifique de Dieu.

Tout autre chemin de salut, en occurrence la loi et les œuvres, reste privée de valeur. La doctrine de

la justification par la foi est la conséquence de la primauté absolue du Christ dans le salut.

II/ La justification par la foi selon saint Paul

Dieu est juste et justificateur de celui qui croit en Jésus. Notre justification est le résultat de l’accueil

de la justice de Dieu. Cet accueil ne peut avoir lieu que par la foi en Jésus-Christ : c’est en lui que s’est

révélée cette justice. Chez Paul, justice et justification d’une part, foi, d’autre part, sont des termes

qui apparaissent souvent ensemble (Rm 4, 3 ; Ga 2, 16).

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La foi dans l’Ancien Testament - racine hébraïque : quelque chose de ferme, de sûr. Appliquée à

Dieu elle peut exprimer les différents aspects de son Être divin, elle se manifeste dans ses actions.

Appliquée à l’homme, elle signifie l’ensemble de ses relations avec Dieu : Ex 14, 31. La foi est la

confiance mise en Dieu qui rend possible l’existence du peuple d’Israël et qui garantit son futur : Is 7,

9. Dans un sens similaire, , dans le Nouveau Testament signifie la confiance. On voit aussi

fleurir d’autres thèmes liés à cela : l’obéissance, la fidélité (fides : la foi). L’originalité du Nouveau

Testament, c’est le lien avec l’accueil du message chrétien, la reconnaissance de Jésus comme

Seigneur et Sauveur, la décision d’établir avec lui une relation totale au point que c’est Jésus lui-

même qui vit dans le croyant. Ga 2, 20. Cette décision en faveur de l’Évangile est ce que Paul appelle

l’obéissance de la foi (Rm 1, 5 ; 2 Th 1, 8). La foi en Dieu signifie donc la reconnaissance de son œuvre

de salut opérée par le Christ, le renoncement à s’appuyer sur soi et sur ses propres œuvres. Pour

cette raison, la foi est l’acceptation de la justice de Dieu qui va produire en nous la justification. La foi

est le moyen par lequel l’homme se place dans une situation nouvelle : la situation de justifié. Par

elle, on accepte le message chrétien, on se confie à Dieu en renonçant à se fonder sur nous-mêmes.

La justice de Dieu doit toujours être vue en lien avec son pouvoir salvifique. Le reconnaître est

incompatible avec l’intention de se sauver soi-même. La révélation de la justice de Dieu est son

accueil par la foi possèdent donc une relation intrinsèque.

La foi exclut toute prétention d’auto-justification. Elle n’est pas une alternative aux œuvres. On ne

peut pas penser que la foi puisse invoquer des droits face à Dieu. Elle équivaut au contraire à

reconnaître la primauté absolue de Dieu et de son œuvre de salut : prior dilexit nos. C’est pour cela

que la foi est unie à l’obéissance. La prédication évangélique suppose un moment de liberté de

l’homme. La foi est donc un acte personnel et libre qui, paradoxalement, est le contraire de

l’affirmation de soi. La foi signifie donc abandonner toute confiance en nos propres œuvres. C’est

exclure d’invoquer devant Dieu tout droit, tout mérite. La foi, acte libre, ne peut être considéré

indépendamment de Dieu. La justification qui procède de Dieu et la justification par la foi sont

identiques. Elle ne procède pas de l’homme. La foi étant libre n’est pas une œuvre de l’homme au

sens des œuvres de la loi. Le salut procède exclusivement de Dieu. Elle peut se convertir en point de

départ de notre justification : comme attitude, elle fonde la vie toute entière. La justification procède

de la foi : lorsque le croyant s’abandonne à Dieu, il vit de la foi. Le justifié est celui qui vit de la foi,

celui qui tient le Christ comme le point central de référence de toute son existence (Rm 4 et Ga 3 :

exemple d’Abraham : Gn 15). Abraham est tout d’abord d’accord avec lui. La justice n’est pas alors

une propriété d’Abraham mais une façon juste de se comporter face à Dieu. La foi d’Abraham est sa

confiance en Dieu. Saint Paul va insister sur le fait que tout vient de Dieu à propos de ce même

passage. Les œuvres ne servent à rien pour se glorifier devant Dieu, ni à atteindre la justification. Si

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Abraham fut justifié, ce ne fut pas en vertu de ses œuvres. On compte comme justice la foi de celui

qui, sans opérer d’œuvre, croit en celui qui justifie l’impie. Il est inutile de dire que celui qui ne

travaille pas est un paresseux mais celui qui renonce à s’affirmer par ses œuvres. Justification par la

foi et justification gratuite = deux dimensions inséparables d’une même réalité.

Foi = reconnaissance du don gratuit du salut dans le Christ, l’attitude de l’homme qui laisse toujours

plus de place au don de Dieu. La justification par la foi est d’abord une grâce. Il existe un lien

intrinsèque entre la foi et la grâce. Plus précisément, Abraham est le père de tous les croyants parce

que, par la foi dans le Christ, tous peuvent être justifiés. En laissant de côté la loi que seuls quelques

uns possèdent, la foi ouvre à tous le chemin du salut. Notre foi n’est pas distincte de celle

d’Abraham mais c’est la foi en Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts ; pour Abraham c’était

une promesse, pour nous c’est une réalité. En Ga 3, Paul se sert aussi de l’exemple d'Abraham. Gn

12 : bénédiction de tous les peuples en Abraham : annonce de la justification par la foi en Jésus. En

lui, la bénédiction d’Abraham va atteindre son but.

La foi, unique moyen d’atteindre la justification n’est pas notre œuvre. Mais l’œuvre salvifique est

reconnue et acceptée dans la liberté. Les œuvres du chrétien ne sont pas privées de sens. Foi =

remise totale à Dieu par Jésus, en lui. C’est une option de l’homme tout entier qui doit se manifester

dans toutes les dimensions de sa vie. La foi agit par la charité (Ga 5, 6). La réponse positive à Dieu et

l’acceptation de son œuvre de salut comporte une conséquence. Il n’est pas juste d’opposer foi et

œuvres. Si les œuvres ne sont pas conséquentes à la foi que l’on professe, c’est foi n’est pas

authentique : 1 Co 13. Mais l’opposition évoquée entre foi et œuvre a pour but d’éviter toute

complaisance dans nos œuvres. Notre conduite n’est évidemment pas indifférente au salut. Mais les

bonnes œuvres sont elles aussi des dons de Dieu.

Jc : il s’oppose à Paul ? L’exemple d’Abraham est employé pour montrer que ce sont les œuvres et

non la foi, qui sauvent.

Jc 2, 17-26 : « 17 De même, la foi qui n'aurait pas d'œuvres est morte dans son isolement. 18

Mais quelqu'un dira: «Tu as de la foi; moi aussi, j'ai des œuvres ; prouve-moi ta foi sans les

œuvres et moi, je tirerai de mes œuvres la preuve de ma foi. 19 Tu crois que Dieu est un? Tu

fais bien. Les démons le croient, eux aussi, et ils frissonnent.» 20 Veux-tu te rendre compte,

pauvre être, que la foi est inopérante sans les œuvres ? 21 Abraham, notre père, n'est-ce pas

aux œuvres qu'il dut sa justice, pour avoir mis son fils Isaac sur l'autel? 22 Tu vois que la foi

coopérait à ses œuvres, que les œuvres ont complété la foi, 23 et que s'est réalisé le texte qui

dit: Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice, et il reçut le nom d'ami de

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Dieu. 24 Vous constatez que l'on doit sa justice aux œuvres et pas seulement à la foi. 25 Tel

fut le cas aussi pour Rahab la prostituée: n'est-ce pas aux œuvres qu'elle dut sa justice, pour

avoir accueilli les messagers et les avoir fait partir par un autre chemin? 26 En effet, de même

que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte. »

Jc parle des œuvres non de la foi mais de l’amour. En elles la foi se perfectionne. Il s’agit de la

conséquence logique de notre foi en Jésus. Dans ce même contexte, Jc rappelle aux croyants leur

devoir d’amour envers tous. La foi qui ne se manifeste pas dans la vie concrète est morte.

L’affirmation selon laquelle les œuvres montrent la foi nous dit qu’il n’y a pas d’opposition entre les

deux. Jc 2, 19.

III/ Le contenu de la notion paulinienne de justification

Jusqu’à présent, nous avons vu la justice de Dieu, sa fidélité à ses promesses, de la nécessité de la

réponse de l’homme pour que la justification soit opérée. Mais en quoi consiste-t-elle pour l’homme

qui la reçoit ? Depuis la Réforme, on se demande si la justification de l’homme est forensique

(extérieure) ou bien s’agit-il d’un changement effectif dans l’homme, d’une transformation

intérieure ? Paul ne se pose pas cette question, mais on peut trouver quelques indices.

Il existe un certain consensus pour reconnaître que le concept de justice de Dieu possède une

certaine structure forensique. On parle de la justice de Dieu en relation au jugement où Dieu

intervient, où il prouve sa fidélité à l’Alliance. On lie la justification de l’homme à la déclaration de

Dieu. Dieu justifie celui qui croit en Jésus, il opère gratuitement une transformation. Son jugement ne

cherche pas d’abord à vérifier ce qu’il y a en nous mais à offrir le salut et à le produire en nous. Parce

que Dieu justifie, l’homme possède la justice. Ce qu’est l’homme dépend de ce que Dieu réalise en

lui. Rm 2, 13 ; 3, 4 ; 3, 20. Paul souligne aussi le caractère gratuit de notre justification ainsi que son

contenu christologique (1 Co 6, 11 ; Ga 3, 24). Il ne semble pas qu’il faille voir entre la déclaration de

justice de la part de Dieu et la nouveauté de l’être de l’homme une alternative insurmontable : les

deux sont conciliables. La déclaration de Dieu est première, elle opère par suite une transformation

en l’homme. Ga 2, 16 et Ga 3, 2-5 montrent que la justification équivaut pour Paul au don du Saint-

Esprit. L’une comme l’autre s’obtiennent par la foi et non par les œuvres. Il y a là deux façons

distinctes de parler d’une même réalité. La justification signifie un changement réel en nous : Rm 8.

Par conséquent, malgré une certaine structure forensique d’une certaine justification, son contenu

matériel va au-delà d’une certaine structure. La Parole de Dieu est créatrice. La foi a précisément

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pour objet ce pouvoir créateur et recréateur. La réalité de la justification ne veut pas dire que

l’homme puisse se glorifier en lui-même. La justice de l’homme est la conséquence de sa foi qui

reconnaît que notre justification vient de Dieu. La justification produit donc en nous une réelle

nouveauté dans la mesure où elle est le fruit d’une relation nouvelle avec Dieu : relation d’amitié, de

filiation. La nouvelle réalité de l’homme n’est donc jamais une possession autonome de sa part.

IV/ La justification par la foi dans la Réforme protestante

Cette doctrine de la justification par la foi n’a suscité dans l’Église aucun débat jusqu’au 16ème siècle.

C’est une question délicate chez Luther ; on ne peut la distinguer de ses positions théologiques. Le

fondement de la pensée luthérienne se trouve dans la distinction entre la loi et l’Évangile. Loi =

expression de la volonté de Dieu sur l’homme ; mais, du fait du péché, l’observance de la loi est

impossible : l’homme n’a pas la force pour cela. La loi accuse donc constamment l’homme. L’Évangile

est la libération de toute accusation et de tout châtiment suscité par le péché et révèle le sens de cet

impératif impossible à observer. Tandis que la loi nous dit : ‘fais ce que tu dois’, l’Évangile annonce :

‘tes péchés te sont pardonnés’. Avec l’Évangile, la fonction accusatrice de la loi disparaît. La loi cesse

d’avoir valeur justificatrice. Le caractère de parole de Dieu que possède la loi ne disparaît pas, mais,

par la satisfaction que le Christ accomplit, Dieu attribue au pécheur la justice d’un autre : celle du

Christ. L’annonce de l’accomplissement de la loi dans le Christ, c’est l’Évangile. Luther s’oppose à la

substitution de la loi ancienne par une loi nouvelle : le Christ n’est pas législateur pour lui, il est

Sauveur. Loi = désespoir. Ainsi, la valeur de libération produite par l’Évangile est mise en valeur. Un

espace est créé pour que la grâce du Christ soit appréciée. La loi exerce une fonction pédagogique

vis-à-vis du Christ : elle montre l’échec de la justification produite par nos œuvres. Cette fonction de

la loi ne peut être comprise qu’à la lumière de l’Évangile. L’Évangile accomplit ce que la loi ordonne :

aimer Dieu avant toute autre réalité. Croire = exclure l’affirmation de soi par nos propres œuvres. Loi

et Évangile = unique parole de Dieu avec double efficacité : 1/ condamnation de celui qui veut s’auto-

justifier ; 2/ salut de celui qui croit.

Cette structure fondamentale se reflète dans la doctrine de la justification. Péché = seul fruit des

forces humaines. Il embrasse toute l’existence humaine. L’être de l’homme est totalement chair au

sens paulinien du terme. Ce manque de foi nous ferme la voie de la justification, celle du Christ

Sauveur. Conséquence de la gravité de ce péché : corruption totale de la nature humaine :

impossibilité d’aimer Dieu à cause de son réflexe à chercher en lui son fondement. L’homme est

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péché tant qu’il ne vit pas selon l’Évangile. La volonté ne peut opérer le bien ni même le vouloir.

Refuser cela, c’est nier la toute puissance de la grâce. Luther a développé cette thèse contre Érasme.

Pour sauver la primauté totale de la grâce, Luther n’hésite pas à sacrifier le libre-arbitre. Ce n’est que

si Dieu concède à l’homme le libre-arbitre que ce dernier pourra être une réalité. Ceci ne signifie pas

que Dieu soit responsable du péché de l’homme. Lui seul est coupable. L’insistance sur le pouvoir du

péché et son impossibilité de produire le bien a comme unique finalité de souligner la valeur de

l’œuvre rédemptrice opérée par le Christ. Cette réconciliation avec Dieu se réalise propter Christum,

à cause de sa passion et de la mort. Le Christ a changé la colère de Dieu en grâce. Il est mort de la

mort du pécheur dans l’éloignement de Dieu, sans l’avoir mérité. La colère de Dieu n’avait pas à se

déverser sur lui mais il est resté désarmé : dans son abandon, Jésus continue à aimer Dieu.

Selon Luther, la mort et la résurrection de Jésus ont un sens par leur effet en nous. Foi : être disposé

à ce que le jugement de Dieu se réalise en nous. Le sujet de la foi est le Christ. Il devient la personne

du croyant, au sens où la foi fait du Christ et du croyant une seule réalité. La foi que le Christ met en

nous est le moyen d'accueillir le salut de Dieu.

Pour Luther, la question de la justification est vraiment le centre de toute la prédication chrétienne.

L'annonce du Christ si elle n'est pas accompagnée par l'annonce de la justification par la foi demeure

inopérante. Elle n'a pas de lien avec l'homme à laquelle elle est destinée. Dieu nous impute la justice.

Toute justice de l'homme est étrangère à l'homme, au sens où seule la justice de Dieu justifie le

pécheur. "Iustitia Dei passiva" : justice par laquelle l'homme est rendu juste par la foi. L'homme

reçoit de Dieu sa justification. Dans la reconnaissance de nos péchés, Dieu est "justifié" par nous qui

reconnaissons sa justice. L'homme justifié est valorisé par Dieu d'une manière nouvelle, car Dieu ne

tient pas compte de ses péchés. Dieu considère juste l'homme justifié. Le péché est un obstacle pour

le rapprochement en l'homme et Dieu. Dieu pardonne à l'homme ; il lui impute sa justice. Ce n'est

pas une qualité inhérente à l'homme.

Le péché continue à exister dans l'homme qui est simultanément juste et péché (simul peccator et

iustus). La justification est un événement continuel. Nous avons continuellement besoin du pardon

de Dieu. La justification a donc pour lui un caractère forensique (extérieure à l'homme). La grâce est

donc pour Luther plus qu'une qualité de l'homme, une nouvelle relation avec Dieu.

Le Christ seul par la foi seul (Solus Christus, sola fide). Si on accepte par la foi la Parole de Dieu qu'est

le Christ, on accepte le jugement sur le péché que la mort de Jésus nous manifeste. Ainsi l'homme

cesse d'être dans la colère de Dieu dans laquelle il se trouvait avant d'accepter la foi. La foi est une

œuvre du Christ et de l'Esprit Saint, suscitée dans le cœur de l'homme par la Parole de Dieu.

Evénement de grâce. Sola gratia.

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L'assurance du salut : Pas une assurance fondée sur les forces de l'homme, mais sur l'action de Dieu.

Dans la foi le véritable salut est présent. Si je n'ai pas la certitude du salut, cela signifie que je n'ai pas

la foi.

V - Décret sur la justification du Concile de Trente

La réaction catholique à Luther va trouver son expression dans le Décret sur la justification, 13 janvier

1547. 16 chapitres, 33 canons. On n'y fait pas mention des réformateurs. Le décret préfère le chemin

de l'exposé positif, même si les canons condamnent les doctrines erronées. L'ensemble représente

une synthèse très satisfaisante du la justification. La théologie catholique du 16ème s. ne possédait pas

en la matière de nombreux éléments. C'était une question nouvelle. Le point de départ du décret,

c'est la doctrine du Péché originel exposé à la session précédente (5ème session).

Le plan en 3 parties :

Chap. 1-9 : la première justification (celle du baptême)

1-4 : sa présupposition dans l'économie du salut

5-6 : sa préparation chez l'adulte

7-9 : sa définition et ses causes

Chap. 10-13 : la vie de l'homme justifié

Chap. 14-16 : le recouvrement de la justification

Commentaire du décret :

Chap. 1 :

La première présupposition, c'est la situation pécheresse de l'humanité. Tous les hommes sont

incapables, radicalement, de se libérer de la servitude du péché, aussi bien les païens que les Juifs.

Tous les hommes gardent une capacité radicale d'être libérés. Le libre arbitre n'est pas éteint

(minime exstinctum, Concile d'Arles, 473), mais affaibli et dévié (attenuatum et inclinatum). Les

hommes restent des hommes. Le libre arbitre est le lieu où le salut peut nous atteindre, et donc le

lieu où nous pouvons répondre.

Chap. 2 :

Deuxième présupposition : la bienveillance divine. La venue du Christ concerne à la fois les Juifs et les

païens. NB : le terme "rédemption" exprime le terme plutôt objectif, global du salut, tandis que la

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"justification" exprime la dimension subjective du salut. Un don positif offert : la qualité d'enfant de

Dieu. Référence à Rm 3,25 qui annonce le thème de la justification par la foi. Chapitre centré sur la

personne du Christ.

Chap. 3 :

On passe au plan subjectif de la justification.

1/ Le Christ est mort pour tous (2Co 5,15) : donc pas de prédestination au mal !

2/ Le salut accompli pour tous doit encore être accueilli par chacun dans son histoire personnelle.

Salut "communiqué". Une solidarité dans l'injustice entre tout homme et Adam (indépendante de

notre volonté). Analogiquement, il existe une solidarité nouvelle dans la justice, entre l'homme

justifié et le Christ, du fait d'une renaissance. Nécessité du consentement.

16ème s : on ne prend pas encore le thème de la création dans le Christ. Solidarité dans le Christ plus

profonde que celle avec Adam. Cf. GS.

3/ Justification comme "transfert d'héritage" dans le Royaume. NB : Renaissance et baptême : au

moment du baptême, identité parfaite. C'est l'objectivité du baptême.

Chap. 4 :

1/ Une première définition encore approximative de la justification : transfert de l'état dans lequel

l'homme naît à un état de grâce et de fils adoptif. Notre relation avec la Sainte Trinité est une

relation différenciée (nous devenons des "enfants de Dieu", des "autres Christ", pas des Esprit Saint,

ni des Pères !)

2/ Baptême de désir : souhait conscient du baptême. Le baptême souligne la dimension

sacramentelle et ecclésiale et la priorité de l'œuvre divine car nul ne peut se baptiser lui-même. On le

reçoit.

3/ "Après la promulgation de l'Evangile" : le décret sur la justification ne vise que le temps de l'Eglise.

2 interprétations de l'expression : a. régime de chrétienté (à partir de la Pentecôte où est instaurée le

temps de l'Eglise). b. à partir du 19ème, on précise que cela dépend de l'effectivité locale et temporelle

de la prédication (pour que l'Evangile ait été vraiment promulgué, il faut un témoignage authentique

!).

Chap. 5 :

Chez les adultes qui peuvent se positionner : Dieu et l'homme. 2 préoccupations : 1/ exclure tout

semi-pélagianisme : la grâce de Dieu est première. 2/ rejeter tout protestantisme : nécessité de la

libre coopération de l'homme.

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2 tendances présentes : une plutôt augustinienne d'être un peu restrictive sur le libre arbitre ; une

autre qui insiste sur l'idée de mérite (cf. Scot). Le Concile vise l'équilibre. Ce qui est dit de la liberté

humaine survient toujours dans la grâce.

2 idées principales : 1/ il existe une grâce prévenante de Dieu par Jésus-Christ, un appel et une aide,

le commencement de la foi. Grâce prioritaire chronologiquement et logiquement (elle fonde). Cette

grâce est l'illumination du Saint Esprit. 2/ la coopération de notre liberté est possible et requise. La

liberté dans l'acceptation est confirmée par la liberté qui s'exprime dans le refus. Quelle est cette

réponse libre ? En acquiesçant et en coopérant. Cf. can. 4 : "consentir en coopérant" (les 2 sont

noués). Acquiescer est la manière humaine de coopérer avec Dieu. Za 1,3 ; Lm 5,21 : 2 références qui

viennent illustrer la vérité de la doctrine. Aujourd'hui, on fait l'inverse.

Chap. 6 :

Les Pères ne cherchent pas à décrire toutes les étapes par lesquelles l'homme doit passer pour être

justifié.

1/ Le point de départ est bien la grâce.

2/ triade : foi, espérance, charité ? On n'est pas encore dans la vertu théologale. Le catéchumène vit

un commencement de foi, mais ne vit pas encore la foi théologale. De même pour la charité,

"commencement de charité". Sinon, à quoi servirait la justification ? Une extériorité qui va se réduire

jusqu'au moment de la justification. A ce moment la grâce va devenir le principe surnaturel

immanent pour l'agir de l'homme en question.

Acte de foi (concevant en eux la foi qu'ils entendent prêcher"), d'espérance ("ils s'élèvent à

l'espérance, confiants que Dieu…") et commencement de charité ("commence à l'aimer") ? Un acte

de foi et d'espérance, mais pas encore de vertu théologale (inhabitation). Le catéchumène croit à ce

qui va survenir après : Dieu va vraiment venir habiter en lui. Dieu n'habite pas encore en lui. Sa "foi"

est bien plus que la connaissance naturelle de Dieu (Un, créateur…). Sa "foi" vient bien de la grâce

quand même.

3/ Ordre logique : surtout ici une foi intellectuelle, pas encore la foi-confiance. La crainte : engendrée

par l'acte de foi qui révèle le péché. C'est la Parole de Dieu qui va nous révéler le péché. Espérance,

confiance en Dieu, à cause du Christ. Puis un commencement d'amour. Peut-on concevoir un amour

naturel de Dieu ? Ce commencement d'amour : seuil précis où la préparation à la justification va

basculer dans la justification elle-même. L'amour de charité coïncide avec le don de l'Esprit d'amour.

1527 : emploi un peu artificiel de citations.

Chap 7 : Cœur du décret

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1/ la définition de la justification est faite ici à partir de ses effets : rémission des péchés (notion

négative) et la rénovation intérieure (dimension positive).

2/ métaphysique des causes pour expliciter tous les aspects dans lesquels Dieu peut être dit l'auteur

de notre justification.

3/ la première cause mentionnée : la cause finale. C'est elle qui détermine toutes les autres : gloire

de Dieu et vie éternelle. cf. Irénée : la gloire de Dieu, c'est la vie de l'homme… La gloire de Dieu et du

Christ ; la gloire du Christ, c'est le Christ au cœur du dessein de Dieu. La cause efficiente : Dieu

Trinité, à savoir le Père miséricordieux, le Fils comme cause méritoire et le Sceau et l'onction de

l'Esprit. Cause instrumentale : baptême, sacrement de la foi.

4/ l'unique cause formelle. Pourquoi "unique" ? A Cologne, Pighi avait cherché à élaborer une voie

moyenne pour essayer de réconcilier catho et protestants : doctrine de la double justification. Une

justice supérieure qui reste celle du Christ et qui nous est imputée et une justice inférieure, qui tient

compte de nos œuvres, mais qui est insuffisante. Pb : la justice du Christ n'est plus alors la nôtre et

notre justice n'est plus celle du Christ. Rome et Luther ont refusé cette thèse. Le Concile pose une

affirmation dialectique : c'est la justice du Christ qui devient effectivement notre propre justice, tout

en demeurant toujours don gratuit du Christ. On ne met pas la main sur Dieu ! Autre distinction : la

justice éternelle de Dieu demeure transcendante à celle qu'elle peut réaliser en nous. Si la justice de

Dieu nous divinise, nous ne devenons pas Dieu pour autant. Nous resterons toujours des créatures !

NB : Pas de cause matérielle, car ce serait l'homme, mais l'homme n'est jamais la cause de sa

justification. Les Pères du Concile ont volontairement omis la cause matérielle. L'unique

cause est Dieu lui-même.

5/ quand s'accomplit la justification ? Au moment où la charité de Dieu est répandue dans le cœur au

point de devenir inhérente. Au même moment le justifié reçoit la rémission des péchés et les dons

infus de foi, d'espérance et de charité. Autrement dit, la justification a lieu au moment où la foi

devient amour, une foi vive. Cf. tradition théologique de la foi comme habitus, grâce créée. Le

Concile préfère le vocabulaire biblique.

6/ Le résultat de la justification : le don infus de la justice doit se traduire par la charité et

l'obéissance aux commandements. En aucun cas ses œuvres n'interviennent comme cause de la

justification. Les œuvres surgissent de la justification opérée par Dieu.

Chapitre 8 :

1/ la justification par la foi, c'est le grand débat avec les protestants. La foi (acte qui prépare la vertu

infuse) est la racine de la justification.

2/ Trente joue sur 2 binômes : foi / œuvres et foi / charité. Sur le binôme foi / œuvres, Trente est

parfaitement paulinien. Ce ne sont pas les œuvres qui contribuent à notre justification. Elles

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contribuent seulement à une augmentation de la grâce. Sur le binôme foi / charité, Trente ne suit pas

toujours Romains. Rm considère la foi au sens d'une vie dans l'Eglise où la charité est engagée.

Trente, à la lumière de 1Co 13, oppose la foi, "commencement de la justification", éventuellement

morte si elle est contredite par l'agir, et la "foi vive" lorsque la justification s'accomplit dans la

charité. La foi permet alors à la personne de poser des actes de charité.

3/ Exclusion de tout mérite antécédent à la justification. "Promeretur" exclue le mérite au sens strict

(ce que l'on doit / de condigno) et non au sens large (prime – de congruo).

Chap 9 :

Pour Luther, nous avons une assurance fondée sur l'action de Dieu. Dans la foi, le véritable salut est

présent. Si nous n'avions pas cette certitude, cela voudrait dire que nous n'aurions pas la foi. "Celui

qui doute est damné… Le texte tridentin avait sans doute une vision incomplète de ce que Luther

entendait pas la "certitude de foi".

1/ Grande controverse de l'époque entre thomistes et scotistes : pour les thomistes, il est impossible

d'atteindre la certitude de la justification (conjecture par les signes). Pour les scotistes : il y a une

certitude, mais elle n'est pas de foi.

2/ Personne ne peut se targuer d'être justifié sur la base de la certitude de foi qu'il en a. la

justification ne peut et ne doit pas se ramener à l'expérience subjective qu'on en a.

3/ Réciproquement, on ne peut pas professer que cette certitude subjective est nécessaire à la

justification. Conséquence : il n'y a pas de corrélation nécessaire entre la certitude du pardon des

péchés et ce pardon effectif. On est invité à avoir une confiance légitime en la miséricorde de Dieu.

4/ CEC 2005 :

Etant d'ordre surnaturel, la grâce échappe à notre expérience et ne peut être connue que par

la foi. Nous ne pouvons donc nous fonder sur nos sentiments ou nos oeuvres pour en déduire

que nous sommes justifiés et sauvés (cf. Cc. Trente: DS 1533-1534). Cependant, selon la

parole du Seigneur: "C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez" (Mt 7,20), la considération

des bienfaits de Dieu dans notre vie et dans la vie des saints, nous offre une garantie que la

grâce est à l'oeuvre en nous et nous incite à une foi toujours plus grande et à une attitude de

pauvreté confiante:

On trouve une des plus belles illustrations de cette attitude dans la réponse de Sainte Jeanne

d'Arc à une question-piège de ses juges ecclésiastiques : "Interrogée, si elle sait qu'elle soit en

la grâce de Dieu;

répond: 'Si je n'y suis, Dieu m'y veuille mettre; si j'y suis, Dieu m'y veuille garder'" (Jeanne

d'Arc, proc.).

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La vie de l'homme justifié

Chap. 10 :

"chair" : nos tendances égoïstes. Opposition chair / esprit.

1/ référence à Jc 2,24 : rôle des œuvres après la justification.

2/ croissance dans la justice. 3/ en un sens, le moment de la justification coexiste à tout instant de la

vie de l'homme justifié. Don toujours actuel.

Chap. 11 :

Personne ne peut sur la terre éviter le péché véniel.

1/ l'observation des commandements est possible en même temps que nécessaire. Car non

seulement Dieu ne commande pas l'impossible. Mais il demande de faire ce qu'on peut, et de

demander ce qu'on ne peut pas. Dieu donne ce qu'il ordonne (st Augustin). Dieu n'abandonne

personne. S'il y a une séparation réelle d'avec Dieu, cela ne peut venir que de nous. "Dieu ne les

abandonne pas, à moins qu'il ne soit d'abord abandonné par eux."

2/ La prétention d'un salut donné par la foi seule ne doit pas constituer un alibi aux exigences de la

vie nouvelle, aux nécessaires combats. La fidélité aux commandements surgit de la justification

reçue.

3/ il serait erroné de dire qu'en toute bonne action, le juste pèche même véniellement.

Chap 12-13 : prédestination et persévérance

1/ Cf. chap 9 : on ne peut avoir une certitude subjective absolue. 2/ tout homme demeure capable de

pécher.

NB : il n'y a de prédestination qu'au bien. 3/ La fragilité humaine est telle que celui qui pense être

debout doit prendre garde de ne pas tomber. L'attitude authentiquement chrétienne doit tenir

ensemble la "plus ferme espérance" et "l'humble vigilance".

Chap 14 : Le recouvrement de la justification

1/ la structure du nouvel acte de justification est semblable. 2/ 1ère justification : le baptême. 2ème :

sacrement de pénitence. 3/ il y a ici des œuvres humaines. Condensé du concile de Trente sur le

sacrement de pénitence.

Chap 15 :

1/ Réciproque de l'analyse du chap. 7 (pour celui qui a péché gravement).

2/ la foi qui n'est pas vive ne justifie pas, mais elle peut "demeurer" dans celui qui a péché

gravement. Heureusement, sinon, pas de repentance possible.

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3/ pour les luthériens, la foi comprend toujours la charité. Ce qui n'est pas la compréhension

catholique. NB : si la personne pose un acte de contrition parfaite et qu'elle veut aller se confesser,

elle est justifiée sur le champ.

Chap 16 :

1/ long développement parénétique (exhortation) qui cite l'Ecriture Sainte avec beaucoup de

chaleur.

2/ sens du mérite : Dieu se lie aux effets de sa propre grâce que sont nos œuvres.

3/ la doctrine du mérite n'est autre que la conséquence de l'affirmation du chap 7 : Dieu unique

cause formelle de notre justification.

VI. La justification : action de Dieu en l'homme

1. Action de Dieu

Pour affirmer l'initiative divine, nous sommes dans l'incapacité radicale d'aller vers Dieu si Dieu ne

vient pas vers nous. Initiative divine dans la création, dans l'incarnation du Verbe, et dans la

justification. // entre la Parole créatrice et la Parole recréatrice qui nous justifie.

La vie réelle du Christ peut réellement nous atteindre car Jésus est le premier-né d'entre les morts

(Col 1). En lui, un nouveau mode d'être homme est inauguré. Toute notre justice vient de Dieu dans

le Christ. Elle nous vient donc du dehors. Dimension ecclésiologique de notre justification, associée à

une dimension personnelle et christologique.

Dans l'événement objectif de notre rédemption, notre intervention est exclue. Le salut nous précède

toujours. Dans l'événement subjectif de notre salut, l'initiative vient toujours de Dieu. Mais la

grandeur de l'œuvre divine va se manifester dans notre coopération. L'assentiment, la coopération

de l'homme ne sont pas des limites à l'action de Dieu, mais au contraire la plus grande bonté de Dieu.

On trouve une trace de l'intervention humaine à la justification dans la foi. Trente reprend Rm 1,5 :

l'obéissance de la foi. Justification par la foi et justification gratuite sont synonymes. Foi : d'abord

l'initiative de Dieu ; le renoncement de l'homme à prendre appui sur soi ; renoncement à toute

prétention suffisante d'obtenir le salut par nous-même. Don de Dieu mais aussi réponse à Dieu.

L'homme a foi en Dieu quand il attend de Dieu et non de lui-même le salut définitif. Selon les

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Evangiles, l'homme sauvé est celui qui s'approche de Jésus en toute confiance. La foi reconnaît que le

salut tout entier vient de Dieu.

DV 5 : A Dieu qui révèle est due "l'obéissance de la foi" (Rm 16,26 cf. Rm 1,5 2Co 10,5-6), par

laquelle l'homme s'en remet tout entier et librement à Dieu dans "un complet hommage

d'intelligence et de volonté à Dieu qui révèle" (4) et dans un assentiment volontaire à la

révélation qu'il fait. Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu,

ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le coeur et le tourne vers Dieu, ouvre

les yeux de l'esprit et donne "à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité" (5). Afin

de rendre toujours plus profonde l'intelligence de la libération, l'Esprit-Saint ne cesse, par ses

dons, de rendre la foi plus parfaite.

La première note de l'obéissance de la foi : l'abandon confiant à Dieu. L'assentiment, dimension plus

intellectuelle, vient après (un aspect de la foi). DV insiste sur la liberté. La liberté est aussi nécessaire

à la foi. La liberté de la remise de soi et la liberté de l'assentiment sont fondamentalement des

œuvres du Saint Esprit. Cette coopération humaine se fonde en Dieu. L'acceptation de Dieu et de sa

grâce est vraiment ce qui nous rend réellement libre. La justification est une action de Dieu.

On ne peut croire qu'en celui en qui nous avons confiance. Sans la charité, la foi n'est ni vivante, ni

opérante. La foi est informée par la charité. Sans elle, les vertus ne peuvent être ce qu'elles sont.

2. "En l'homme"

La justification est vraiment unie à la sanctification, c'est-à-dire au don du Saint Esprit, qui est

vraiment le nouveau Principe d'action de l'homme justifié. Pas d'acte qui soit moralement

indifférent. C'est de la présence divine en nous que surgit la plus grande nouveauté à laquelle nous

pourrions aspirer. L'œuvre de Dieu est vraiment féconde en nous. La justice de Dieu devient vraiment

notre justice (en nous, cf. chap. 7).

VII. Essai de compréhension de l'expression de Luther : simul peccator et

iustus ?

On ne peut accomplir le bien sans Dieu. Nous avons besoin constamment de la présence, de la force

du Saint Esprit. En ce monde, le risque de pécher demeure pour l'homme justifié. Luther : l'homme

est justifié par une justice du dehors. Il demeure pécheur en lui, mais Dieu recouvre la laideur de son

péché.

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Tout homme qui vient au monde reste immergé dans un monde marqué à la fois par le péché et par

la grâce salvifique du Christ. Avant l'Incarnation, la grâce existait déjà. Après le Christ, le péché existe

encore. La confrontation durera jusqu'à la fin des temps. Pourtant, le péché est déjà vaincu. La fin de

l'histoire nous est déjà connue. Une véritable nouveauté objective s'est produite, même si on en

attend la pleine manifestation lors de la Parousie du Seigneur. S'il est vrai que la présence de Dieu

nous transforme réellement, la justification ne nous atteint pas sans notre coopération.

Notre coopération est-elle toujours satisfaisante ? Il y a des degrés divers de l'acceptation de l'œuvre

de Dieu en nous. Le salut nous est donné avec toute sa force (notamment dans les sacrements). Le

baptême, sacrement de la foi nous configure pleinement enfant de Dieu.

La vie spirituelle doit toujours nous pousser à reconnaître notre condition de pécheur. Il y a donc une

part de vérité dans l'affirmation de Luther.

Dans la répétition de nos fautes vénielles, on voit la fragilité de notre amour pour lui. Un "reste de

péché" : il n'y a en nous qu'un assentiment partiel à la grâce. La concupiscence (qui n'est pas péché)

nous montre que nous ne sommes jamais totalement libre de notre propension au mal. La

justification plénière est toujours de l'ordre de l'espérance. Tant qu'il y a du péché dans le monde,

aucun homme ne peut être complètement libre par rapport à lui.

L'Eglise sainte souffre aussi du péché de ceux qui vivent en son sein. On ne peut pas penser l'Eglise

idéale. Elle accueille en son sein les pécheurs que nous sommes. Elle est "sainte et toujours en voie

de purification".

Il n'y a pas de noyau de résistance dans l'homme justifié. La présence de l'Esprit de Dieu est une

présence transformante. Il nous appelle à être ce que nous sommes appelés à être depuis toujours. Il

y a une différence essentielle entre l'homme justifié et celui qui ne l'est pas. Le péché n'appartient

jamais à notre essence.

1957, thèse de Hans Küng sur la justification (Trente et Barth)

1957, 3 volumes d'H. Bouillard, sj, critiques sur Barth. Rapport de Malte, 1972. 1994, Document sur la

justification.

31 octobre 1999, le cardinal Cassidi a signé à Augsbourg la Déclaration commune sur la doctrine de la

justification (pas encore un accord).

1. La méthode : le consensus différencié ; § 40

2. 41 et 42 précise que les condamnations du passé ne concernent plus l'enseignement

actuel (tout en étant justes)

3. il ne s'agit pas d'une concorde qui réaliserait la communion. Des questions demeurent et

exigent à être clarifiées : la Parole de Dieu et l'enseignement de l'Eglise. NB : la Parole de

Dieu, c'est d'abord le Christ !

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CHAPITRE IV

LA GRACE COMME NOUVELLE RELATION AVEC DIEU

LA FILIATION DIVINE

Le pardon des péchés nous est donné par le Christ. "D'injuste, l'homme devient juste ; d'ennemi, ami

(Décret sur la justification, 7). Réellement, Dieu nous accueille en lui. Son obéissance jusqu'à la mort

devient la mort, si nous croyons en lui. Dans la théologie catholique, on a toujours dit que la

sanctification est le versant positif de la justification. Elle provient donc uniquement du Christ. Ce

qu'en vertu de la rédemption que l'homme peut recevoir la grâce qui le transforme. Non seulement

Dieu nous a sauvé par son Fils unique, mais ce salut consiste en une insertion en lui. Enfant de Dieu

dans le Fils unique. La conformation dans le Christ et la nouvelle relation au Père ne sont possibles

que parce que le Saint Esprit nous a été donné. Primauté à cette présence divine en l'homme justifié

(grâce incréée), par rapport à la transformation opérée en chacun (grâce créée). Ainsi on peut parler

de la relation au Christ sans aucune médiation créée.

On étudiera donc en quoi consiste la présence de Dieu en nous, cette nouvelle amitié – notre

insertion dans le Christ. NT : filiation adoptive, inhabitation trinitaire, amitié avec Dieu – ces concepts

ne sont pas toujours unifiés.

Nous ne sommes pas créatures de Dieu parce que nous existons, mais nous existons parce que nous

sommes créatures de Dieu. De même pour la justification : parce que Dieu nous justifie, nous

sommes justifiés. Primauté de Dieu dans l'ordre de la création, et dans l'ordre de la justification. On

partira d'une notion relative pour essayer d'articuler les différentes facettes de notre condition

nouvelle. NT : "enfant de Dieu dans le Christ".

Notre relation avec Dieu n'est pas seulement établie avec le Dieu Un, mais aussi, inséparablement

avec le Dieu Trine. Il est en lui-même différencié. Cette différenciation ne peut être indifférente pour

la donation qu'il fait en lui-même. Ep 2,18 : "dans l'Esprit et par Jésus, nous avons accès au Père".

Nous partageons en un sens la place de Jésus.

Jésus est le centre de la création, médiateur unique et universel. Si toute la création, et de façon

spéciale l'être humain existe par le Christ, la plus grande perfection de l'être humain sera la

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communion de vie avec Jésus, la participation en ce qu'il y a de plus profond en son être de Fils, c'est

à dire sa relation au Père. L'être humain est l'objet de l'amour que le Père a pour son Fils Jésus.

I. La filiation divine dans l'AT

La paternité de Dieu par rapport aux créatures et aux hommes n'est pas propre au christianisme. Elle

est souvent liée aux idées de fabrication, de fécondation, de création. L'AT emploie assez peu l'idée

de paternité. Lien à la création : Ma 2,10 ; Is 49,10. Le peuple d'Israël n'a pas contemplé la paternité

de Dieu selon une visée universaliste, mais la relie à l'amour de prédilection que Dieu a montré dans

l'alliance, terre promise. Ex 4,22 s. : Israël, fils aîné. Dieu, Père du peuple qu'il a choisi (Dt 32,5). Dieu

Père : Is 63,16. Père aux entrailles de mère : Os 11 ; Jr 31 ; Is 49. Métasexualité divine : Dieu ni

homme, ni femme. Ep 3,15 : paternité divine origine et mesure de toute paternité. CEC 238-239.

Paternité envers un individu concret, David : 2Sm 7,14. Ps 2,7 ; 89,27. Paternité divine exercée sur les

justes dans les Ecrits sapientiaux : Pv 3,12.

II. La paternité de Dieu et la filiation divine selon le NT

A. La filiation divine de Jésus

L'enseignement de Jésus sur le Père apparaît dans la Providence de Dieu sur le monde. Mt 6.

Omniprésence du Père dans le Sermon sur la montagne. Jésus révèle en outre que cette paternité de

Dieu s'exerce avec des entrailles de miséricorde, Lc 15. Nouveauté radicale et conscience qu'a Jésus

d'être Le Fils du Père. La filiation des hommes par rapport à Dieu est désormais la conséquence et

l'application de notre enracinement dans le Fils (Jn 15). En Jésus, nous sommes réellement fils de

Dieu (analogie d'attribution intrinsèque, réalisation propre en chacun).

Jésus est l'image du Dieu invisible (Col 1). Nicée : Jésus, consubstantiel au Père (identité de nature,

mais aussi identité numérique – un seul et même Dieu). Jésus dit qu'il doit être aux affaires de son

Père. Pour entrer dans le Royaume, il faut faire la volonté de son Père qui est aux cieux. Jésus parle

de son Père dans une immédiateté totale (Mt 15,13). Le Père lui a remis tout pouvoir. Mt 11,27 : nul

ne connaît le Fils si ce n'est le Père et nul ne connaît le Père… Egalité de connaissance ; or la

connaissance suit l'être, on y discerne leur identité de nature.

Sur la Croix, "Mon Dieu" en citant Ps 21. L'unicité de sa filiation apparaît dans le fait qu'il enseigne à

prier, mais lui prie toujours seul. Lc 3,21.

En Jean, la relation Père-Fils est éternelle. Jésus possède une existence antérieure à sa conception

selon la chair. Jn 6,24 ; 17,5. Union qui n'est pas seulement de l'ordre de l'opération, mais vitale,

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éternelle. "Le Père et moi, nous sommes un" (Jn 10,30). Jésus est le propre Fils de Dieu, Fils de

l'amour du Père (Col 1,13), Fils par qui il a fait les siècles (Hb 1,2 ; Jn 1,18).

B. Dieu, Père des disciples selon les synoptiques

Jésus se réfère à Dieu comme Père des hommes, au moins des disciples. Jésus a enseigné à ses

disciples à invoquer Dieu comme Père (Lc 11 ; Mt 6). Dieu Père miséricordieux, proche des hommes,

attentif à tous, particulièrement aux pauvres. De même que la filiation divine de Jésus se reflète dans

toute son existence, de même l'existence concrète des disciples doit tirer des conséquences de la

reconnaissance de la paternité du Père. Sermon sur la montagne : expressions qui mettent en lien

l'attitude des disciples et la paternité divine. Les disciples doivent aimer, accomplir le bien sans

distinction. Mt 5,45-48 ; Lc 6,27-36. Le disciple doit vivre dans la confiance au Père du ciel. Entre la

filiation de Jésus et celle des disciples, il y a une relation essentielle : c'est seulement parce qu'il est

Fils de Dieu et qu'il l'appelle Père qu'il peut nous enseigner à l'appeler ainsi. C'est lui qui nous

introduit dans cette relation.

La filiation de Jésus et celle des disciples ne sont pas mises au même plan. La relation de Jésus à son

Père est unique. Synoptiques : on n'explicite jamais cette relation des 2 filiations. Sequela Christi,

configuration au Christ (Mt 16,24 s. ; Mc 8,34s. ; Lc 9,23s.).

C. La filiation du Chrétien chez saint Paul

Dieu Père des hommes, seulement en tant qu'il l'est du Christ. 1Th 1 ; 3,11-13 ; 2Th 1,1 ; 2Co 1. Il y a

quelques passages où le motif de la filiation divine des hommes est développé tout en montrant la

dépendance à l'égard de la filiation de Jésus.

Ga 4,4-7 :

4 Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la

Loi, 5 afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale. 6 Et la

preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui

crie : Abba, Père ! 7 Aussi n'es-tu plus esclave mais fils ; fils, et donc héritier de par Dieu.

Dieu a l'initiative. La plénitude des temps n'est déterminée par aucun événement étranger au bon

vouloir divin, mais précisément par le dessein du Père d'envoyer son Fils. La finalité de l'incarnation

ici, la filiation adoptive. La filiation de Jésus est le modèle à partir duquel nous pouvons être

considérés comme enfant de Dieu. Jésus le Fils rend possible par son incarnation notre filiation. La

métaphore de l'adoption ne doit pas affaiblir notre condition filiale. Dieu veut nous unir à son Fils. Ga

3,26 : vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus. Les divisions entre les hommes

disparaissent pour que nous soyons unis dans le Christ Jésus. La vie d'enfant de Dieu consiste à

participer à la relation de Jésus à son Père. Une expression de cette participation est "abba", la

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même que pour Jésus. Mais pour nous, le sujet de l'invocation, c'est le Saint Esprit, envoyé par le

Père. Par cette formulation (cf. Rm 8 ; Ph 1 ; Ac 13), saint Paul veut mettre en relief le lien entre la

mort-résurrection de Jésus et le don de l'Esprit. La mission du Fils atteint l'effet escompté. Il est

vraiment le principe de notre vie filiale.

Rm 8,14-17 :

14 En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 15 Aussi bien n'avez-vous pas

reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils

adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! 16 L'Esprit en personne se joint à notre esprit

pour attester que nous sommes enfants de Dieu. 17 Enfants, et donc héritiers ; héritiers de

Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui.

Dès le début de Rm 8, opposition entre l'Esprit et la chair (de péché – tendances égoïstes qui nous

animent). V. 14 : introduction de la raison de la filiation, être animé par l'Esprit. La présence de

l'Esprit détermine notre filiation. 15, "esprit de fils adoptifs" : on parle ici du don reçu par chacun,

grâce créée. Par l'œuvre du Saint Esprit, nous avons un esprit, une attitude de fils. A la différence de

Ga 4, ici, nous sommes le sujet direct de l'invocation au Père. Poussés par l'Esprit nous pouvons nous

adresser au Père avec les mêmes termes que Jésus. La filiation donne droit (en ayant déjà reçu un

don gratuit) à l'héritage.

Saint Paul précise que notre condition d'héritier de Dieu vient de notre condition de "cohéritier avec

le Christ". Le contexte de ce passage est très riche en considération sur l'existence filiale que l'Esprit

Saint rend possible. L'Esprit qui habite en nous, en vertu de la résurrection de Jésus, est la garantie

de notre résurrection future (Rm 8,11). Dimension eschatologique de notre filiation divine. Notre

condition d'enfant de Dieu n'est pas encore pleinement révélée. Le passage de l'esclavage à la liberté

de la gloire des enfants de Dieu (19-22). La pleine filiation signifie la rédemption totale de notre corps

et la possession plénière de l'Esprit saint dont nous possédons déjà les prémices. V. 28 : vocation et

prédestination des hommes à la gloire. La justification définitive et la glorification en relation avec la

parfaite image du Christ (cf. 1Co 15,49 ; Ph 3,21). Le Christ sera ensuite le premier-né d'une

multitude de frères.

La filiation divine selon ce passage : une fraternité avec le Christ et avec tous les hommes. La filiation

divine en lien avec le thème de l'homme à l'image de Dieu.

Ep 1,1-5 :

5 déterminant d'avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le

bon plaisir de sa volonté,

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v. 11, on lie aussi l'héritage dont les arrhes sont l'Esprit Saint (v. 13). Selon Ep, la filiation divine nous

ouvre à une dimension de futur, à une plénitude que nous ne possédons pas encore. Dynamisme

trinitaire de notre condition de sauvé. Ep 2 ,18 : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul

Esprit, libre accès auprès du Père.

La filiation divine porte toujours avec elle la dimension de la fraternité universelle. Le lien qui nous

unit entre nous, et au Christ est l'Esprit Saint.

D. La filiation divine selon saint Jean

Au lieu de la métaphore de l'adoption, il emploie l'image de la nouvelle naissance (Jn 1,12 ; 1Jn 2,9 ;

3,9. 4,7 ; 5,1.4.18). Etre né de Dieu veut dire est "de Dieu" (1Jn 4,4). Cette nouvelle naissance est

aussi une naissance de l'Esprit (Jn 3,3-6 ; 6,63). L'agent immédiat, le principe de notre filiation divine

est encore l'Esprit Saint. L'Esprit est le don de Jésus ressuscité et glorifié, don fait aux disciples, Jn

7,39 ; 20,20-22. Un don qui rend possible la connaissance et le témoignage du Christ (Jn 14,16 ;

15,26). Celui qui est né de Dieu croit, aime, pratique la justice.

Dieu est aussi le Père des hommes (Jn 11,52 ; 1Jn 3,10). La relation et la différence entre la filiation

de Jésus et la nôtre est exprimée en Jn 20,17. distinction entre la paternité divine à l'égard de Jésus

et à notre égard, mais st Jean souligne que c'est la paternité envers Jésus qui ouvre, donne sens à la

paternité de Dieu envers nous.

1Jn 3,2 :

Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas

encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons

semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est.

Double interprétation possible : 1/ ce qui doit se manifester, c'est ce que nous serons. Alors notre

ressemblance sera avec Dieu que nous le verrons tel qu'il est. 2/ le vb "se manifester" se rapporte à

Jésus en 1Jn 2,28 et 1Jn 3,5. On ne peut donc pas exclure que le sujet implicite soit Jésus. Dans ce

cas, Jésus serait l'objet immédiat de notre ressemblance.

La filiation divine nous parle clairement de notre relation au Père. La réalisation eschatologique de la

filiation est unie ici à la ressemblance (pas seulement à l'image). 1Jn 2,20 ; 2,27 ; 3,24 ; 4,13. Les

écrits johanniques attestent clairement la dimension essentiellement trinitaire de notre salut.

III. La communion avec le Christ et l'inhabitation divine selon le NT

La filiation sans la relation-communion de vie au Fils est impossible. Quand Jésus invite ses disciples à

le suivre, il les invite à partager toute sa vie (Lc 9,57 s.). La filiation divine acquiert un visage très

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concret. Les écrits pauliniens exhortent à l'imitation du Christ. 1Co 4,16 ; 1Th 5,6 ; Hb 12,2. "Mourir

avec", ressuscité avec (Rm 6,8 ; 2Tm 2,12. Par la Sequela Christi, il vit en nous (Ga 2,20). 150 fois,

"dans le Christ" : expression qui met toujours le croyant en lien avec le Christ. La vie chrétienne est la

conformation à sa vie et à sa mort. Jn : vie du chrétien comme une communion avec le Christ

(demeurer en Dieu ; Jn 15). La parabole de la vigne et des sarments exprime cette communion au

Christ.

Le Christ est aussi dans le croyant (Jn 14,20 ; 17,26). Réciprocité qui se fonde sur l'inhabitation du

Père et du Fils. Analogie avec elle (Jn 17,21). Celui qui est unit au Christ est plongé dans le mystère

trinitaire. Thèmes de la lumière, de la vie (qui vient du Christ, ultimement du Père). Etre en Jésus,

participer à la vie qu'il possède est bien le centre, le fondement de notre existence croyante, et c'est

la plénitude à laquelle nous pouvons et devons aspirer. Notre vie de communion d'insertion, de

communion dans le Christ ne peut survenir que par l'Esprit.

De nombreux textes nous montrent l'action multiforme du Saint Esprit dans le croyant. La présence

de l'Esprit Saint dans le chrétien est un enseignement constant chez saint Paul. 1Th 4,8 : Dès lors, qui

rejette cela, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous a fait le don de son Esprit

Saint. 1Co 6,19 : notre corps est le temple du Saint Esprit. Nous sommes membres de son corps. 1Co

6,15 : avec lui, nous formons un seul esprit. Etre le temple du Saint Esprit et être membre du Christ

revient au même. 1Co 3,16 : nous sommes temple de Dieu parce que l'Esprit Saint habite en nous. La

présence de l'Esprit Saint en nous équivaut à celle du Christ. Il n'y a pas d'autre façon d'être en Jésus,

sinon celle qui découle de sa condition "pneumatique" de ressuscité (1Co 15,45). Le don de l'Esprit

saint est la conséquence de la résurrection de Jésus. Toute son action dans l'homme est comme

rapportée au Christ. Il nous donne la possibilité de le connaître, de confesser notre foi en lui (1Co

12,3), de comprendre la Parole de Dieu (2Co 3). Il n'y a aucun effet du don du Saint Esprit qui ne

serait en relation avec le Christ. L'Esprit Saint intériorise et porte à son achèvement l'œuvre

accomplie par le Christ.

Christ présent aussi en nous (Ga 2,20 ; Ep 3,17). La présence de l'Esprit en nous est la garantie que

Jésus demeure en nous. Jn 14,23. Selon les écrits johanniques, l'œuvre de l'ES toujours rapportée au

Christ ; il rappelle les paroles de Jésus.

L'Esprit Saint selon le NT habite en nous de même que Jésus et le Père. Mais on ne peut pas déduire

des données du NT une inhabitation de la Sainte Trinité sans aucune différentiation. La majorité des

références se rapporte à l'Esprit Saint, par excellence le don de Dieu. Sa présence est la garantie de la

présence de Jésus, la preuve que nous sommes à lui. Il rend présent le Christ, de même que le Christ

nous unit au Père.

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Nous sommes en communion avec la Sainte Trinité, mais on n'est pas conformé au Père ni à l'Esprit

Saint.

IV. La grâce comme participation de l'homme dans l'Esprit Saint à la relation de Jésus à son Père

Selon les textes bibliques, il faut utiliser les catégories de la christologie pour parler de l'homme

sauvé. Jésus est l'unique médiateur entre Dieu et les hommes. Adopter l'attitude de Jésus par

rapport à son Père. La création du monde dans le Christ a pour conséquence que l'être humain

parvient à être lui-même quand il réalise le dessein de Dieu sur lui, c'est à dire de participer à la

relation à Dieu et aux autres (filiation et fraternité) qui sont propres à Jésus. Jésus, Fils unique de

Dieu, voit son être défini par sa relation unique au Père. Son être divino-humain sous la primauté

absolue de la divinité consiste en un rapport absolu à son Père. Ce rapport nous est révélé par le NT.

Le point immédiat de référence pour comprendre l'adoption filiale est le Verbe fait chair (et non pas

le Fils éternel). Ce n'est qu'à partir de l'humanité de Jésus que nous pouvons avoir accès au mystère

de Dieu. Seul chemin pour participer à la vie de Dieu : l'incarnation et la mission du Fils.

Dieu s'est fait ce que nous sommes pour que nous puissions devenir ce qu'Il est : formule que l'on

retrouve chez beaucoup de Pères (cf. Irénée, AH, préface du 5ème livre) – influence paulinienne.

L'homme est appelé, dès le premier instant, à être configuré au Christ. Les hommes existent depuis

Adam parce que Jésus devait exister (cf. Tertullien, Irénée). La christologie demeure le principe et la

fin de l'anthropologie chrétienne. C'est vraiment en participant à la vie filiale de Jésus que nous

recevons notre perfection.

A. L'Esprit Saint qui descend sur Jésus est communiqué aux hommes

Selon NT, la vie filiale de l'homme a pour principe le Saint Esprit. L'Esprit Saint s'est rendu présent en

Jésus pour qu'il mène à son terme la mission qui lui a été confiée. Considérer la dimension

pneumatologique de la christologie. L'Esprit Saint est le lien, le trait d'union entre le Verbe fait chair

et les hommes.

Le NT unit à l'idée de filiation divine de Jésus l'idée de présence de l'Esprit Saint en lui. 3 moments

clés de son existence : incarnation, baptême et la résurrection. Chez Luc, onction qu'il reçoit au

Jourdain pour l'accomplissement de sa mission messianique. Jésus va au désert après son baptême

poussé par l'ES ; c'est aussi par l'ES qu'il expulse les démons. Selon Jn, l'Esprit Saint demeure en lui.

Le Père lui donne sans mesure (Jn 3,34). L'Esprit est encore la force divine qui ressuscite Jésus d'entre

les morts (Rm 1,4). Dans sa résurrection, Jésus est fait "Esprit vivifiant", c'est à dire source de l'Esprit

que les croyants doivent recevoir comme un don venant de lui (1Co 15). Comme Jésus a vécu dans

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une pleine union avec le Père, il peut nous communiquer ce don, cette plénitude. En tant qu'homme,

il a cheminé vers le Père. Dans son exaltation, il a reçu l'Esprit Saint qu'il répand ensuite sur les

hommes (Ac 2). Le don de l'Esprit Saint par Jésus ressuscité et exalté accomplit la promesse de Jean-

Baptiste, Mc 1,8. Jésus promet aussi l'Esprit Saint avant son Ascension (Ac 1). Selon Jn, il existe un

lien profond entre la glorification de Jésus et le don du Saint Esprit (Jn 7). Jésus avant sa Passion

promet l'Esprit que le Père ou lui-même enverront. Le don de l'ES est en lien avec la parfaite

communion de Jésus avec son Père, et avec la glorification de Jésus (Jn 17). Jn place encore autour de

la résurrection le premier don du Saint Esprit, ou même en Jn 19.

Il y a dans la relation entre Jésus et l'Esprit Saint 2 moments essentiels : 1/ au cours de sa vie

mortelle, Jésus reçoit l'Esprit du Père. NB : Jésus avait besoin dans son humanité de l'onction du Saint

Esprit au baptême. Pas seulement pour être exemple pour nous. Dans la vie terrestre de Jésus,

"inversion trinitaire" : si dans la vie trinitaire, l'ES vient après le Père et le Fils, dans la vie terrestre,

l'ES vient "avant" le Fils. 2/ après sa résurrection, Jésus glorifié offre l'ES à ceux qui croient en lui. Il le

donne comme Esprit du Fils et du Père. La raison du changement entre ces 2 moments, c'est la

résurrection et l'exaltation du Christ. Dans la résurrection, survient la plénitude de l'incarnation.

L'humanité est alors totalement pénétrée par la force de Dieu, totalement divinisée. Elle entre dans

la gloire de Dieu comme humanité du Fils. Par la pleine révélation du Fils dans la résurrection, la

révélation du Père est consommée. Selon le NT, la confession de Dieu est inséparable de la

résurrection du Fils, car elle a essentiellement le Père comme agent. Alors se manifeste l'ES comme

Esprit du Père et Esprit de Jésus. Esprit qui nous rend capable de vivre en enfant de Dieu, qui nous

libère, etc. Si l'humanité terrestre de Jésus, d'une certaine façon "contenait" l'Esprit Saint, l'humanité

glorifiée se convertie en source du don de l'Esprit pour nous.

Au premier temps, Jésus, Fils de Dieu, reçoit le Saint Esprit pour qu'il soit le principe de la réalisation

historique de sa mission de Fils. Jésus est le Fils de Dieu. Mais c'est l'Esprit Saint, et non pas le Fils, qui

agit sur le Christ. Jésus est oint ; il est celui à qui Dieu a donné son Esprit. C'est l'Esprit Saint qui le

rend obéissant à la volonté du Père. C'est précisément parce que Jésus est le Fils, pure relation au

Père, qu'il est vraiment son interlocuteur originel, fondamental. L'action de l'Esprit Saint le conduit

dans l'histoire vers le Père. Elle est le principe de sa réponse humaine à l'action de Dieu. Il est le lien

amoureux du Père et du Fils. Dans l'Esprit Saint s'actualise l'obéissance du Fils incarné, c'est-à-dire sa

libre identification à la volonté du Père. Tant qu'il vit dans sa condition d'esclave, l'obéissance est son

mode d'expression. On ne peut pas opposer l'Esprit et le Christ, car l'être personnel du Christ est

constitué par sa relation au Père dans l'Esprit Saint. En vertu de ce même Esprit, il s'identifie

pleinement à la volonté du Père dans son humiliation et son exaltation.

Cet Esprit qui guide Jésus et dont il est rempli lors de sa résurrection est celui-là même qui nous est

communiqué en tant que croyant. Jésus ne nous donne pas quelque chose qui lui serait étranger,

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mais le principe même de son action. En raison de sa condition de Fils unique, la relation de Jésus à

son Père ne peut être reproduite. Précisément pour cela, c'est parce qu'il possède l'ES dans sa

plénitude, qu'il devient pour nous principe d'une vie nouvelle qui peut être potentiellement reçue

par toute l'humanité. Jésus nous donne comme Esprit de filiation l'Esprit du Père qui a reposé sur lui.

L'Esprit marqué par le sceau de Jésus qui le donne (cf. Basile de Césarée). "Jésus qui est l'Unique n'a

pas voulu être seul" (cf. St Augustin, Sermon 25). Par son incarnation et par le don de l'ES il fait de

nous des enfants de Dieu. Ainsi toute son humanité remplie de l'ES se convertit en exemplaire pour

qu'en tous se réalise ce qui s'est réalisé de manière unique en lui. L'Esprit Saint est la Communicatio

Christi. L'Esprit est principe de vie du Christ.

B. La relation du justifié avec les trois personnes divines

La présence du SE dans le croyant est en lien avec les 3 moments clés évoqués dans la vie de Jésus.

Le mystère de la grâce reçue par l'initiative du Père est très intimement lié au mystère du Christ et à

l'histoire de la vie du Christ. Dans cette histoire apparaissent les différentes Personnes dans leur

différenciation tout en maintenant leur unité indissoluble. Pour cette raison, nous devons penser que

la Sainte Trinité agit comme telle (trine) dans notre incorporation au Christ et dans notre vie filiale.

NT insinue cette différenciation ; nous sommes en communion avec Jésus parce que nous possédons

l'ES qu'il nous a envoyé. LG 7 : cet Esprit unique est le même dans la Tête et dans les membres. Il est

le principe de notre rénovation dans le Christ. Il est celui qui vivifie, qui unifie tout le corps qu'est

l'Eglise. L'ES est le don de Dieu par excellence.

D'une certaine façon, l'ES est la Personne la plus immédiatement proche de nous. Quand il s'agit du

mystère de notre divinisation, il serait périlleux d'invoquer sans aucune nuance le principe de l'unité

de l'action de Dieu ad extra (unité de substance, donc unité d'action…). Dieu nous appelle à

participer à la communion de vie trinitaire qu'il est lui-même. Une présence indifférenciée de la

Sainte Trinité ne suffit pas. Revenir au NT, aux Pères. Le Père, le Fils, et l'Esprit Saint ne sont pas en

relation avec nous de la même façon. Même si, tous trois sont Un seul et même Dieu. Le Père, ou

Jésus nous envoie l'Esprit, mais on ne peut pas inverser la phrase…

Les Personnes divines sont en relation avec nous de manière distincte, bien qu'il y ait toujours dans

leur action une unité très intime. Il est légitime d'affirmer que l'ES est la Personne "la plus proche" de

nous. Ne pas conclure que notre communion avec Dieu qui est de participer à la nature divine tel

qu'elle subsiste dans l'ES. L'ES nous renvoie à Jésus, nous unit à lui. C'est l'Esprit de filiation. Par

l'Esprit Saint, nous sommes fils dans le Fils. L'ES nous assimile bien plus à Jésus qu'à lui-même. Dans

notre participation à la vie divine de la Sainte Trinité, nous sommes fils et filles et non pas Père, ni

Esprit Saint. On peut donc déduire de cela que seul Dieu le Père est en toute rigueur le sujet actif de

notre adoption filiale. Nous ne sommes pas fils du Fils, ni même de toute la Trinité. Il y a quelques

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années, les théologiens affirmaient qu'on était adopté par toute la Trinité (par le principe d'unité des

opérations divines ad extra). L'invocation "Notre Père" est adressée aux trois personnes divines (III,

23, 2 : adoption appropriée au Père comme à son auteur, au Fils comme à son exemplaire, à l'Esprit

comme à ce qui imprime en nous l'image de cette exemplarité). Le recours à la théorie des

appropriations (ex : le Père Tout-puissant ; l'ES est Consolateur) risque de se produire une

approximation par rapport au point de vue biblique et patristique.

Dans la grâce, Dieu ne nous donne pas quelque chose qui lui est extérieur (grâce créée). Lui-même se

donne à nous. L'ES est ce don divin dans lequel le Père et le Fils se donne à nous. Si Dieu est

communion de Personnes, l'auto-donation de Dieu ne peut pas faire l'économie d'une telle prise de

conscience. Rahner : identité entre Trinité immanente et Trinité économique, et réciproquement.

Critique : Dieu n'a pas besoin de l'histoire pour se réaliser. Entre l'être de Dieu et la façon qu'a Dieu

de se donner, il y a une correspondance substantielle. Dieu se donne lui-même. Il se donne à nous

comme Un et Trine, d'une façon qui reflète les relations ad intra. Dans le Christ Jésus, Dieu se révèle

à nous comme Père, et Jésus se donne à connaître comme Fils. Celui qui est déjà Père dans le

mystère de sa vie trinitaire, nous adopte. Il se donne à nous en tant que Père, en nous admettant

dans la communion que Jésus a avec lui. Il nous aime avec l'amour dont il aime le Fils éternel (cf. st

Augustin, Commentaire sur Jn). Le Père qui a exalté son Fils à sa droite nous contemple tous comme

morts et ressuscités avec le Christ (2Co 5). Le Père de Jésus se révèle à nous comme étant "notre

Père".

Le Fils est la cause exemplaire de notre adoption. Notre filiation dépend de la sienne. Le point

immédiat de référence de notre filiation, c'est bien Jésus, le Verbe incarné (pas le Fils éternel). Il s'est

fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu'il est. Malgré l'unicité de la relation de Jésus

à son Père, nous sommes réellement ses frères (Mt 12,48-50 ; Jn 20 ; Rm 8,29 ; Hb 2,11-17). Au

fondement de notre filiation se trouve l'Incarnation. En s'incarnant, le Fils de Dieu a assumé, d'une

certaine manière, toute l'humanité. Vatican II, GS 32 :

De même que Dieu a créé les hommes non pour vivre en solitaires, mais pour qu'ils s'unissent en société, de même il lui a plu aussi "de sanctifier et de sauver les hommes non pas isolément, hors de tout lien mutuel; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté"(13). Aussi, dès le début de l'histoire du salut, a-t-il choisi des hommes non seulement à titre individuel, mais en tant que membres d'une communauté. Et ces élus, Dieu leur a manifesté son dessein et les a appelés "son peuple" (Ex 3,7-12). C'est avec ce peuple qu'il a, en outre, conclu l'Alliance du Sinaï (14). Ce caractère communautaire se parfait et s'achève dans l'oeuvre de Jésus-Christ. Car le Verbe incarné en personne a voulu entrer dans le jeu de cette solidarité. Il a prit part aux noces de Cana, il s'est invité chez Zachée, il a mangé avec les publicains et les pécheurs. C'est en évoquant les réalités les plus ordinaires de la vie sociale, en se servant des mots et des images de l'existence la plus quotidienne, qu'il a révélé aux hommes l'amour du Père et la magnificence de leur vocation. Il a sanctifié les liens humains, notamment soumis aux lois de sa patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de sa région.

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Dans sa prédication, il a clairement affirmé que des fils de Dieu ont l'obligation de se comporter entre eux comme des frères. Dans sa prière, il a demandé que tous ses disciples soient "un". Bien plus, lui-même s'est offert pour tous jusqu'à la mort, lui, le rédempteur de tous. "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis"(Jn 15,13). Quant à ses apôtres, il leur a ordonné d'annoncer à toutes les nations le message évangélique, pour faire du genre humain la famille de Dieu, dans laquelle la plénitude de la loi serait l'amour. Premier-né parmi beaucoup de frères, après sa mort et sa résurrection, par le don de son Esprit il a institué, entre tous ceux qui l'accueillent par la foi et la charité, une nouvelle communion fraternelle: elle se réalise en son propre Corps, qui est l'Eglise. En ce Corps, tous, membres les uns des autres, doivent s'entraider mutuellement, selon la diversité des dons reçus. Cette solidarité devra sans cesse croître, jusqu'au jour où elle trouvera son couronnement: ce jour-là, les hommes, sauvés par la grâce, famille bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à Dieu une gloire parfaite.

Cette union avec toute l'humanité fondée sur l'assomption de la nature humaine, est en un certain

sens, le présupposé pour que puisse être communiquée à toute l'humanité le don de Dieu qu'est l'ES.

C'est seulement ainsi, réunis en un seul Esprit qu'on peut former le corps du Christ. Tous les

membres du Corps peuvent participer à la vie de la Tête par l'Esprit Saint.

L'Esprit Saint est le "lien d'union" entre les 2 première Personnes. Il nous unit tous en Jésus pour que

par lui, nous ayons accès auprès du Père. Il est vraiment envoyé par le Père et par le Christ ressuscité.

Ce n'est que par sa présence que nous pouvons vivre en enfant de Dieu.

La grâce qui est l'amour de Dieu, sa faveur pour nous, prend forme en Jésus, en sa Personne, en son

œuvre, en sa vie toute entière. Tout ce qui survient en lui est pour nous et pour notre salut. Il n'y a

pas d'autre perfection pour la créature que de participer à la vie même de Dieu. Le mystère de

l'inhabitation trinitaire ne peut être séparé du mystère de la communication que Dieu fait de lui-

même à la créature dans la profondeur de son être trinitaire. Dieu qui nous crée distinct de lui, nous

accueille dans l'intimité de sa vie. Notre divinisation n'est donc pas une absorption en Dieu, pas une

disparition de notre être contingent, mais elle est la perfection maximale de notre être de créature.

C'est précisément parce que Dieu est trine qu'il y a en lui de l'espace pour nous accueillir en son sein.

Dieu nous aime en son Fils Jésus, mais en nous aimant en lui, il nous aime nous-mêmes. De même

que l'union hypostatique ne signifie pas une diminution de l'humanité du Christ, mais au contraire en

faire l'homme parfait, de même, la présence en nous de l'ES qui veut reproduire l'image de Dieu en

nous, signifie la plénitude de notre humanité. Il n'y a pas d'opposition entre la divinisation et

l'humanisation. La plus intime union avec Dieu équivaut à la plus grande réalisation de notre être de

créature. Si dans le Christ est réalisée la perfection de l'homme, en nous aussi, une plus grande

plénitude nous sera offerte dans la mesure où nous nous identifierons à lui.

C. La filiation divine comme plénitude d'être personnel

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La personne se caractérise par sa capacité de se donner. L'homme en raison de sa subsistance

comme créature dépend totalement de Dieu. Mais il y a une différence fondamentale entre cette

référence (subsistance dans l'être) et la relation de Jésus à son Père. La création considérée en elle-

même n'implique pas la communion personnelle. Tout en étant "personne", nous ne le sommes pas

complètement. D'une part, nous ne nous possédons pas complètement, et notre être n'est pas une

pure référence dans une communion personnelle. Notre ouverture à l'autre, ce décentrement de

nous-même, rencontre en nous une certaine tension, avec notre auto-possession.

Nous avons été créés pour la communion avec Dieu dans le Christ. L'appel à la filiation divine nous

constitue en ce que nous sommes, tout en restant absolument gratuit. Il n'existe pas un être

personnel qui serait préalable à l'offrande de grâce. L'appel à la communion avec Dieu nous constitue

comme "personne". Ainsi, on ne peut pas considérer comme indifférent l'acceptation ou le refus de

la grâce de Dieu. Pas de plénitude humaine qui puisse être atteinte hors de la grâce. Notre auto-

possession doit se traduire en donation, option libre en faveur de Dieu et des hommes (filiation

adoptive et fraternité). L'Esprit du Christ est le don par excellence du Ressuscité rend possible cette

pleine donation à Dieu et aux hommes. Il vient nous libérer de nous-mêmes ; il est ce principe de

notre réponse à l'appel divin, de même qu'il fut le principe du cheminement historique et humain de

Jésus vers son Père. Notre vie filiale est donc la plénitude de notre être personnel par une

conformation à la Personne de Jésus qui s'est possédé pleinement en se donnant lui-même jusqu'à la

mort.

V. La dimension communautaire de notre incorporation au Christ

Dimension sociale de notre être. Appel à la fraternité envers tous. La reconnaissance de la paternité

divine entraîne la reconnaissance de la fraternité universelle. Nostra Aetate 5 : Nous ne pouvons

invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers

certains des hommes créés à l'image de Dieu. La relation de l'homme à Dieu le Père et la relation de

l'homme à ses frères humains sont tellement liés que l'Ecriture dit : "Qui n'aime pas ne connaît pas

Dieu".

L'unité du genre humain ne tient pas son fondement définitif en Adam, mais dans le Christ.

L'humanité ne constitue une unité devant Dieu par les liens humains seulement, mais notre

fraternité est fondée sur la paternité qui découle de notre union au Christ. Nous sommes appelés, et

nous le sommes déjà, uns. Car dans le Christ, nous connaissons le chemin vers notre Père commun.

Notre filiation divine exige la fraternité, qui par principe n'exclut personne. LG 1. Ce caractère

communautaire de notre union dans le Christ ne méconnaît pas cependant la singularité des

personnes. Chaque membre tient une place particulière. Place particulière pour chacun, 1Co 12.

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Diversité de dons. La vocation commune à la configuration au Christ est nuancée en chaque cas par

un don particulier selon la fonction à laquelle chacun est appelé. Le don de l'ES n'est jamais une

possession privée, mais un don à partager. Les charismes ou les dons personnels pour l'édification

commune constituent la manière propre à chacun de participer à la filiation divine de Jésus, en étant

inséré dans son corps pour le bien de tous. Tous les dons qui nous sont concédés pour le bien du

Corps mystique tout entier (pour que tous parviennent à Dieu) doivent être nécessairement être un

élément "configurateur" de notre vie filiale et fraternelle. Ces dons constituent en quelque sorte la

manière personnelle que nous avons d'être agréable à Dieu. D'une part, jamais l'Esprit Saint ne nous

est donné pour nous seul, et d'autre part jamais nous ne sommes de simples instruments

impersonnels au service des autres. C'est ainsi que se réalise la communion des saints, au double

sens de l'expression. Cf. CEC 948 : communion aux choses saintes (sancta) et aux personnes saintes

(sancti) : "ce qui est saint pour ceux qui sont saints". Col 1, Ep 1 et 5 présentent Jésus comme Tête de

l'Eglise. L'Eglise est le Corps du Christ, mais aussi sa plénitude. Dans l'Eglise, tous les hommes sont

invités à entrer.

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63

CHAPITRE V – LA GRACE COMME NOUVELLE CREATION

LA VIE DE L'HOMME JUSTIFIE

Aujourd'hui, on est attentif à rendre la primauté à la grâce incréée (présence de Dieu en nous) sur la

grâce créée (effet de la transformation). Dieu habite en nous, mais notre être de créature demeurera

hier. La présence de l'Esprit de Jésus, et avec lui la présence du Fils et du Père, ne reste pas sans

effets. C'est pour cela qu'on peut parler d'un re-création, d'une re-naissance, liées au baptême et à la

justification. NB : dans la confession, il y a une véritable "re-création" – Dieu ne peut pas faire

autrement. Dans l'acception de la communion à Dieu, l'homme parvient à sa plénitude. L'œuvre de

Dieu est alors consommée en lui. La doctrine catholique sur la grâce créée constitue l'expression de

cette dimension qu'il ne faut jamais oublier. Le salut se réalise vraiment en nous et avec notre

collaboration. L'Ecriture en témoigne.

I. La transformation intérieure de l'homme selon le NT

Saint Paul parle plusieurs fois d'une nouvelle création. Le simple fait de mentionner la création

renvoie à Dieu qui seul peut donner à l'homme ce que lui ne peut acquérir par ses seules forces. 2Co

5,17 : Si donc quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle : l'être ancien a disparu, un être

nouveau est là. Ga 6,15 : Car la circoncision n'est rien, ni l'incirconcision ; il s'agit d'être une créature

nouvelle (kainh. kti,sij). Rm 3,21-31 ; Ga 2,16 s. Pour Paul, notre insertion dans le Christ est la

cause et non pas l'effet de la nouvelle réalité de l'homme justifié et réconcilié avec Dieu. Primauté de

la grâce incréée sur la grâce créée.

Paul parle aussi de régénération et de rénovation. Ti 3,5-6 : 5 il ne s'est pas occupé des oeuvres de

justice que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le

bain de la régénération et de la rénovation en l'Esprit Saint. 6 Et cet Esprit, il l'a répandu sur nous à

profusion, par Jésus Christ notre Sauveur… Rm 8,14-17 ; Ga 4,4 s. 1P 1,3 : Béni soit le Dieu et Père de

notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a engendrés de nouveau par la

Résurrection de Jésus Christ d'entre les morts, pour une vivante espérance. 1P 1,22-23 : En obéissant à

la vérité, vous avez sanctifié vos âmes, pour vous aimer sincèrement comme des frères. D'un coeur

pur, aimez-vous les uns les autres sans défaillance, 23 engendrés de nouveau d'une semence non

point corruptible, mais incorruptible : la Parole de Dieu, vivante et permanente.

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Les écrits johanniques. Jn 1,13 ; 1Jn 2,29 ; 1Jn 4,7 ; 1Jn 5. Jn 3,3 s. nous parle de la renaissance du

baptême de l'eau et de l'Esprit. Ici, l'Esprit est l'agent immédiat de la régénération. Ailleurs, le lien est

moins établi. Les enfants de Dieu, ceux qui sont nés de lui possèdent en eux un germe divin. 1Jn 3,9.

La transformation intérieure de l'homme implique donc une nouvelle façon d'agir – c'est la vie dans

l'Esprit qui seul peut mener les hommes à la vie d'enfant de Dieu. La présence intérieure de l'Esprit

Saint perfectionne notre être créé et le mène vers sa plénitude. Si Dieu est présent en nous, il nous

transforme vraiment.

II. La transformation intérieure de l'homme et la grâce créée

La doctrine de la grâce créée s'est développée surtout à partir de la grande scholastique. Pour que

l'homme puisse accomplir des actes qui soient proportionnés à sa fin surnaturelle, il faut que Dieu lui

concède la capacité pour cela. On ne peut réaliser des actions qui tendent vers cette fin par nos

seules forces naturelles. De l'autre côté, position de Pierre Lombard : la charité s'identifie à la

présence de l'Esprit Saint répandue dans nos cœurs. Pas acceptable, car risque d'occulter le fait que

c'est toujours l'homme et lui seul qui est le sujet des actes qu'il pose. Sa liberté ne doit jamais

disparaître. Nécessité d'élaborer une doctrine de la transformation intérieure de l'homme par la

grâce de Dieu. Alexandre de Halès met en relation l'amour de Dieu et sa "force transformante" en

nous qui a pour effet la grâce créée. Saint Bonaventure parle d'habitus créé qui informe l'âme. Forme

concédée par Dieu qui rend l'homme agréable à Dieu et qui lui permet de faire des œuvres bonnes.

Saint Thomas d'Aquin recueille cette idée d'habitus mais toujours sous forme d'accident. L'homme

non-justifié demeure un homme. Trente parle de la justice inhérente à l'homme. Selon l'opinion

majoritaire des théologiens catholiques jusqu'à une époque récente, cette réalité créée dans

l'homme constitue le fondement de sa présence en nous. Aujourd'hui, la théologie de la grâce tend à

expliquer les choses différemment. Pour autant, il ne faut pas nier l'importance du concept de grâce

créée. Il faut maintenir la réalité de la rénovation intérieure de l'homme. la réalité de sa condition de

sujet face à Dieu. L'homme demeure un sujet face à Dieu, et donc la capacité qu'a l'homme de faire

le bien n'est jamais sans l'aide de la grâce. Grâce créée : c'est la transformation intérieure opérée par

Dieu, mais qui est quand même limitée par notre collaboration et notre disposition intérieure.

Nouveauté par laquelle nous parvenons à la plénitude de notre être. Cette transformation intérieure

ne peut être qu'une conséquence et non pas la cause de la présence de Dieu en nous. Aucune réalité

créée n'est capable de fonder la relation avec Dieu ou une nouvelle relation avec lui. En effet, la

distance entre la créature et la Créateur demeure toujours infranchissable en partant de nous ; seul

l'Amour divin peut la franchir.

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65

En quoi consiste cette nouveauté de notre être ? Le NT nous dit que la condition nouvelle de

l'homme gracié consiste en une participation à la nature divine. 2P 1,3-4 : 3 Car sa divine puissance

nous a donné tout ce qui concerne la vie et la piété : elle nous a fait connaître Celui qui nous a appelés

par sa propre gloire et vertu. 4 Par elles, les précieuses, les plus grandes promesses nous ont été

données, afin que vous deveniez ainsi participants de la divine nature, vous étant arrachés à la

corruption qui est dans le monde, dans la convoitise. Nouveauté qui se manifeste dans l'opposition à

la corruption du monde provoquée par la concupiscence. Jn 10,34-35 (cf. Ps 82,6) :

Jésus, en assumant la nature humaine s'est uni à nous tous. Il a partagé notre condition pour que

nous puissions partager la sienne. Cet échange est le seul qui nous permet de parler de condition

filiale et de divinisation. Notre ascension vers Dieu est fondée sur la descente de Dieu vers nous – la

kénose – et sur son retour auprès du Père, aussi bien dans sa nature humaine que comme Tête de

l'humanité sauvée. L'humanité de Jésus est pleinement divinisée dans sa résurrection quand le Père

l'accueille complètement dans son sein. Notre divinisation ne peut être conçue que comme

incorporation à l'humanité divinisée de Jésus. C'est pourquoi nous pouvons dire que l'Esprit Saint

nous unit à Jésus et nous rend fils dans le Fils. Cette divinisation n'est possible que par l'action de

Dieu. Elle ne peut être réduite à la production d'un effet créé. On ne peut pas non plus considérer la

présence divine et la transformation de l'homme comme des causes conjointes qui concourraient à la

production d'un effet qui serait notre sanctification. On ne peut pas mettre sur un même plan les

grâce créée et incréée. La grâce créée et la grâce incréée doivent toujours être comprises dans leur

relation intime. La créature ne peut être transformée que par la présence divine, laquelle n'a aucun

sens si elle ne nous assimile pas à Dieu. La grâce créée signifie que nous sommes plus que de simples

créatures. L'effet créé ne peut pas s'expliquer par le seul régime de la création, mais par le don que

Dieu nous fait de lui-même (la présence d'inhabitation n'est pas la présence d'immensité).

La grâce créée atteint alors un sens plus grand. Cette transformation intérieure ne survient pas sans

la collaboration de notre nature humaine. Trente a signalé la nécessité de la préparation à la grâce et

la nécessité de la coopération. Notre coopération intérieure ne peut pas se réaliser sans notre

assentiment et notre accueil personnel. NB : le cas du baptême des petits enfants est un cas limite.

La justification survient sans l'assentiment intérieur, mais cela n'exclut pas la nécessité de l'accueil

libre et conscient quand il pourra.

L'action divinisatrice de l'homme n'est pas donnée une fois pour toutes. Dieu opère constamment en

nous. Notre transformation ne peut se maintenir sans sa présence continuelle. Par la fragilité de

notre condition, nous avons constamment besoin de l'aide de Dieu. Ce n'est que par l'amour de Dieu

que l'homme n'est maintenu dans son être nouveau de justifié : on ne peut persévérer que par grâce.

C'est Dieu qui libère notre liberté. Seul l'amour de Dieu peut nous empêcher de glisser dans le péché.

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Il existe une sanctification continuée, un don divin constant par lequel nous pouvons être agréable à

Dieu. Notre être nouveau dépend à tout instant de l'action de l'Esprit.

III. Les grâces actuelles

On désigne par "grâces actuelles" des impulsions qui viennent de Dieu, des illuminations de

l'intelligence, des motions de la volonté, des inspirations qui nous poussent à faire le bien. Mc 2,17 ;

Jn 6,44 ; 15,5 : c'est seulement par la grâce de Dieu qu'on peut faire le bien. Saint Augustin a

beaucoup insisté sur ce point avec la notion d'adiutorium, d'aide. Magistère - Décret sur la

justification : la grâce prévenante est nécessaire pour la justification et pour commencer notre

chemin vers Dieu ; pour l'observance des commandements. Sans la grâce, on ne peut persévérer

dans la justice. Sa force précède, accompagne, et suit toute œuvre bonne. On ne peut donc nier ce

que la théologie scholastique désigne comme grâce actuelle possède des fondements dans l'Ecriture

et la Tradition.

Grâce habituelle, grâce sanctifiante ou grâce de la justification : moment et transformation

profonde qui survient au baptême ou dans la confession. Grâce actuelle ("pour cet acte là") :

grâce qui prépare la grâce habituelle et celle qui accompagne la personne déjà justifiée. Ce

n'est pas elle qui justifie. La grâce donnée dans la communion eucharistique fortifie la grâce

habituelle, mais elle ne la restaure pas.

Historiquement, la distinction grâce actuelle / grâce habituelle est due aux actes qui précèdent la

justification. Il ne faut pas se limiter à la préparation à la justification. La nécessité de l'impulsion

divine s'impose aussi pour les œuvres bonnes de l'homme déjà justifié. Toute œuvre bonne trouve

en Dieu son principe. A chaque instant, Dieu nous soutient dans notre être de fils. Actualisation aussi

pour celui qui s'est détourné de lui, car Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. La nature pure

ne doit jamais être conçue comme ayant existé. Notre être de créature est toujours inséré dans

l'ordre de la grâce. Aucun aspect de notre vie n'est sans référence à Dieu par le Christ. Tout ce qui

nous rapproche de Dieu est produit en nous par l'Esprit Saint qui à tout instant vient actualiser notre

être d'enfant de Dieu.

L'impulsion gracieuse n'annule pas notre liberté, mais la rend possible. Cf. débat De auxilliis. Dieu

rend possible, soutient notre action libre. Nous devons sans cesse affirmer les 2 principes : grâce

divine et liberté humaine en renonçant à expliquer comment ils s'harmonisent. Notre liberté

humaine peut opposer une résistance à l'action de Dieu. Mc 10,17-22 ; Mt 25,1-13. La grâce ne cesse

jamais d'être telle, même quand on s'y oppose.

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Division de la grâce actuelle : Grâce efficace et grâce suffisante. Grâce efficace : mouvant notre

liberté, elle atteint l'agir bon. La grâce suffisante est celle qui n'atteint pas la finalité escomptée bien

que l'action de Dieu fut proportionnée à la fin voulue. On s'y est opposé. Ce qu'il faut retenir, c'est

que Dieu ne peut jamais être tenu pour responsable (DS 2306).

IV. Le monde et l'histoire comme "grâce"

La faveur de Dieu comme impulsion pour agir bien est traditionnellement vue comme l'action

intérieure invisible de l'Esprit Saint dans notre cœur. Pour autant, ce n'est pas incompatible avec la

considération de notre environnement comme "grâce", au sens où les événements de notre vie

peuvent être considérés comme don de Dieu, comme des manifestations concrètes de l'amour de

Dieu et comme un appel à notre responsabilité humaine. Les autres hommes et notre

environnement peuvent être un moyen dont Dieu se sert pour nous toucher, pour nous pousser à

accomplir le bien. La vie visible de l'Eglise est aussi une manifestation de la grâce. Col 1,16 : tout ce

qui existe chemine vers le Christ. Les défis historiques peuvent être autant de "grâces" pour réaliser

notre être de fils de Dieu. A la lumière de la Croix du Christ, il est possible de découvrir la grâce dans

la disgrâce de l'homme. cf. Exultet. Autant de manifestations de l'amour rédempteur de Dieu et de

notre identification à Jésus par la souffrance. La vision chrétienne peut vraiment découvrir que tout

est grâce. Rm 8,28.

V. La liberté des enfants de Dieu

La grâce rend possible et soutient notre liberté. Bible : la liberté dont jouit le justifié s'oppose à la

servitude du péché et de la loi. Cf. Ga. : Paul insiste sur l'absence de valeur salvifique de la loi de

Moïse. La loi a été d'une part une pédagogie qui conduit au Christ, mais d'autre part, elle a provoqué

la chute. Etre sous la loi signifie être esclave. Rm 6,14.

Au contraire et la liberté et la loi nouvelle de l'amour s'identifient. Ga 5,13 s. Ainsi, de même que la

soumission à la loi équivaut à vivre selon la chair (influence du pouvoir contraire à Dieu), de même

l'homme qui croit en Jésus-Christ vit sous la loi de l'Esprit Saint (Ga 5 ; Rm 8). L'Esprit de Jésus nous

libère pour que nous aimions. La loi nouvelle n'est pas un nouveau code de normes. Un principe

nouveau et intérieur nous est donné. C'est l'Esprit Saint qui dirige notre existence à la suite du Christ.

Les prophètes annonçaient déjà la nouvelle alliance inscrite au fond des cœurs (Jr 31). Cette annonce

est accomplie dans le don du Saint-Esprit par le Christ ressuscité. IaIIae, 106, 1 : "la loi du chrétien est

précisément la grâce du Saint Esprit donné à ceux qui croient au Christ". Ainsi, la liberté coïncide avec

la loi de l'amour car l'Esprit Saint est celui qui rend possible les deux. 2Co 3,17 : Le Seigneur, c'est

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l'Esprit et où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. Ga 5,22. C'est dans l'amour que nous est donnée

la liberté la plus profonde et aussi la plus grande exigence de don de soi. Ce n'est que dans cette

perspective que l'on peut comprendre l'adage augustinien : "aime et fais ce que tu veux" (Dilige et

quod vis fac). La loi extérieure continue d'avoir du sens car nous ne sommes pas encore parvenus à la

plénitude de l'amour. Loi comme un chemin vers cette plénitude.

La liberté chrétienne est donc un don du Christ sauveur. Elle est toujours une liberté libérée du

péché. Le chrétien a été libéré par amour par le Christ. D'une part, il y a l'esclavage du péché, d'autre

part, il y la liberté dans l'acceptation dans la suite du Christ ; le Christ qui s'est livré pour nous et qui a

mis le bien de l'homme comme norme suprême de toute sa vie. C'est la liberté qui, comme don de

soi, se fait obéissante au dessein du Père. La liberté est vraiment l'attitude propre aux enfants de

Dieu. Une liberté opposée à la crainte qui caractérise la condition d'esclave. Rm 8,14 s. ; Ga 4,3-7. Le

chrétien est vraiment libre pour aimer. Le chrétien est libre car il se sait aimé par Dieu. Libéré de

toute angoisse pour lui-même, il peut se donner aux autres.

VI. Croissance dans la grâce et mérite

La justification entraîne un changement radical dans notre relation à Dieu. Transformation qui

n'intervient pas seulement à un moment précis ; elle est vue dans un processus dynamique. Dieu ne

cesse d'agir en nous. Pourtant nous sommes conscient que notre accueil de la justification est très

imparfait. Notre libération n'est jamais plénière, par notre faute. Notre option positive vers Dieu ne

nous oriente jamais définitivement vers lui. La relation personnelle avec Dieu est susceptible d'être

enrichie, intensifiée. Elle peut aussi décroître, jusqu'à la rupture de l'amitié avec Dieu. On s'occupera

de la croissance dans la grâce.

Notre vie dans la grâce possède un caractère dynamique. Dieu nous invitant constamment à

intensifier notre amitié avec lui. Bible : la vigne et les sarments (Jn 15) ; allusion en Ep 1,10 ; 2,21 s. ;

3,16 ; 4,14 s. ; Col 1,6.10 ; 2,19. Tout accroissement de notre confiance et de notre abandon à Dieu

produit une croissance de notre insertion dans le Christ.

La doctrine de la croissance dans la grâce est liée à la question du mérite. Toute la théologie de la

grâce souligne la gratuité du don de Dieu. A première vue, cette notion de mérite semble s'opposer à

la gratuité. Le justifié est rendu capable de l'agir bon. Les bonnes œuvres ne sont pas une

récompense que Dieu nous devrait, ni des occasions pour nous de nous affirmer face à Dieu. Elles ne

peuvent naître que d'une attitude humble face à Dieu. NT : Dieu jugera chacun selon ses œuvres (Mt

16,27 ; 25,31 ; Rm 2,6 ; 14,10-12 ; 1Co 3,8 ; 2Co 5,10). A la lumière de ces textes, on peut employer

l'image du salaire ou de la récompense. Mais ce n'est qu'une analogie. La dissemblance provient du

fait que les disciples demeurent toujours les serviteurs non-nécessaires. La récompense excède

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toujours tout ce qu'on peut imaginer. Toute œuvre bonne demeure une grâce (1Co 3,7 ; Ph 2,13). La

récompense finale n'est en rien un droit mais un don gracieux (Jn 6,39 s.). La morale du NT est

fondée sur l'amour de Dieu qui nous a aimés le premier et qui attend de nous une réponse d'amour

(elle-même œuvre de Dieu en nous). La récompense de l'homme est cette communion avec le Christ.

La doctrine du mérite a été très développée dans la scholastique. ST IaIIae, 114 : il ne peut y avoir de

correspondance entre l'œuvre accomplie par le seul libre arbitre de l'homme et la vie éternelle. mais

quand l'œuvre est un fruit de la grâce du Saint Esprit, il y a une correspondance, car la grâce rend

l'homme participant de la nature divine, fils adoptif du Père. Bien que la grâce de l'Esprit Saint ne soit

pas identique (en acte) et la gloire du Paradis, en revanche, virtuellement, tel est le cas. 114, a. 3, ad

tertium : La grâce du Saint-Esprit telle qu'elle est en nous présentement égale la gloire, sinon

actuellement du moins virtuellement : comme la semence de l'arbre qui a en elle de quoi produire

l'arbre tout entier. Et pareillement par la grâce habite en l'homme le Saint-Esprit, qui est la cause

suffisante de la vie éternelle ; c'est pourquoi l'Apôtre l'appelle « les arrhes de notre héritage » (

2Co 1,22 ) .

Le mérite ne vient donc pas d'abord de l'homme, mais de Dieu. Ce n'est que lui qui peut donner à

l'homme la possibilité de mériter. Nouvelle dignité qui permet à l'homme de poser des actes qui ont

une portée salvifique. Actes ordonnés à la vie éternelle. Dieu, principe et fin de cet agir du justifié. Il y

a alors une certaine correspondance entre la vie humaine et la vie éternelle.

L'école franciscaine insiste surtout sur la relation de l'homme à Dieu, sur la soumission, sur

l'acceptation de l'homme par Dieu, dans la fidélité à ses promesses. Le nominalisme insistera un peu

plus encore sur l'acceptation gracieuse de l'homme à Dieu et donnera moins de correspondance

entre les œuvres de l'homme et leur finalité, la vie éternelle. Luther attaquera la doctrine du mérite

pensant qu'elle fait de l'ombre à l'unique médiation du Christ. La justification étant un pur don, elle

exclue pour Luther toute coopération humaine. Luther insiste pour dire que cette récompense, Dieu

seul l'opère par son Esprit.

Trente, Décret sur la justification, 16 : Long développement parénétique avec citation ; sens du

mérite : Dieu se lie aux effets de sa propre grâce que sont nos œuvres ; la doctrine du mérite n'est

qu'une conséquence de l'affirmation du chap. 7 de l'unique cause formelle de notre justification.

Autres remarques : 1/ il y a une nécessité d'être uni au Christ pour toute œuvre méritoire et agréable

à Dieu. Cf. Ep 4,15 ; Jn 15. 2/ Tout homme est soumis au jugement de Dieu. Nul ne peut juger

personne car seul Dieu pénètre et connaît le fond des cœurs.

La société à le droit et le devoir de juger les actes, mais en aucun cas les personnes. Dieu seul est juge

des personnes. Envers nous-mêmes, Dieu seul aussi est notre juge. On n'a pas le droit de se juger ni

en bien, ni en mal.

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Le concile de Trente a renoncé à des spéculations théoriques sur l'essence du mérite. En l'homme, en

vertu du mérite du Christ, il y a une justice qui le justifie réellement. Il est alors rendu capable de

faire des œuvres bonnes qui "méritent" la vie éternelle. Ces œuvres ne peuvent être accomplie que

par l'action constante du Christ et par sa grâce en nous. Par sa bonté infinie envers nous, ce don se

convertit en mérite pour nous. De même que la toute puissance divine suscite notre assentiment

humain et notre coopération. De même, le don de Dieu nous rend méritant de sa récompense.

Augustin, lettre 194 : "lorsque Dieu couronne nos mérites, il couronne ses propres dons".

Ce serait une erreur de concevoir une relation extrinsèque entre nos bonnes œuvres et la vie

éternelle. Toute œuvre bonne inspirée par l'Esprit Saint produit en nous une plus grande assimilation

au Christ, une relation plus intime avec lui. Notre croissance dans la grâce est le reflet nécessaire en

notre être de la croissance de notre relation d'amour avec Dieu un et trine et de l'intensification de

sa présence en nous. Entre notre croissance dans la grâce et la récompense de la vie éternelle, il y a

une correspondance intrinsèque (la vie éternelle a déjà commencée), mais qui demeure gratuite. La

vie éternelle est la plénitude de la communion avec Dieu le Père par Jésus Christ dans l'Esprit Saint.

Cette communion ne se réalise pas sans notre libre acceptation suscitée par Dieu. Dieu se donne plus

dans la mesure où augmente notre vie de foi, d'espérance et de charité.

VII. La vie du justifié dans la foi, l'espérance, et la charité

Trente signale que lors de la justification, les vertus théologales sont infusées dans l'âme (DS 1530).

Ces vertus définissent toute la vie du chrétien. Foi : confession de Jésus comme Seigneur et Sauveur.

La foi implique l'espérance : si la foi signifie s'appuyer sur Dieu en renonçant à toute prétention

humaine, elle comporte nécessairement la confiance en Dieu qui accomplit ses promesses. La foi en

Jésus Ressuscité nous renvoie à la Parousie du Seigneur. La foi et l'espérance sont liées en Ep 1,12 s. ;

4,4 s. Le salut déjà réel est encore espéré (Rm 8,24 ; Hb 11). Notre vie chrétienne est un

cheminement (Hb 12,2).

La foi implique aussi la charité : réponse à l'amour de Dieu pour l'homme. la foi se rend opérante par

la charité (Ga 5,6 ; Jc 2,17). Si la foi est l'acceptation de l'œuvre de Dieu en reconnaissant sa primauté

en toute chose, la charité est la réponse active. Paul accorde à la charité une certaine primauté sur

les autres vertus. La charité est liée à l'espérance (1Co 13,7 : la charité croit tout, espère tout).

Trois aspects d'une attitude authentiquement chrétienne. La foi et la charité sont soulignées par

Jean. La foi en Jésus est l'unique chemin du salut (Jn 3,33 ; 11,25-27). La charité accompagne la foi (Jn

4,10.19). charité manifestée dans l'offrande de Jésus pour tous (Jn 3,16), signe distinctif de la

communauté chrétienne (13,34 s.). elle requiert le don de soi jusqu'à la mort. L'amour de Dieu et du

prochain sont inséparables sous peine de mensonge. Seuls ceux qui sont nés de Dieu peuvent croire

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et aimer. La foi possède une dimension de confiance dans les promesses divines. La foi et l'espérance

mènent à la charité. St Bernard, Sermon 83, § 4 s. ; St Jean de la Croix, Cantique spirituel, str. 19.

Dieu est l'objet de notre amour. Certes, il n'a pas besoin de notre amour. Mais aimer seulement ceux

qui ont besoin de notre amour risquerait de perdre le sens de l'amour. Aimer quelqu'un c'est désirer

sa plénitude, c'est se réjouir de son bien comme s'il était le nôtre. L'amour de Dieu consiste dans la

louange, la joie qu'il soit Dieu. Notre amour a Dieu comme premier destinataire. L'amour de Dieu et

du prochain n'est pas une dimension partielle de notre vie. "Tel on aime, tel on est" (st Augustin,

commentaire de 1Jn). Nous nous convertissons en ce que nous aimons.

VIII. L'expérience de la grâce

Trente s'oppose à Luther en disant qu'on ne peut pas savoir absolument si on est en état de grâce ou

non. Pas de certitude de foi. On se méfiera ensuite de la notion d'expérience de la grâce. Le

quiétisme par exemple consolidera cette opposition concernant la certitude de foi sur l'état de grâce.

En distinguant la nature pure et le surnaturel on a progressivement ôté du champ de conscience tout

ce qui se rapporte à la vie de grâce. On admet l'expérience de la grâce mais seulement dans certains

phénomènes mystiques extraordinaires. Trente ne voulait pas éliminer la possibilité d'autres types

d'expériences de la grâce de Dieu. NT : il existe une certaine expérience de la grâce. Paul parle de

l'illumination du cœur (2Co 4,6), de la connaissance et du discernement (Ph 1,9) ; Jean parle du

témoignage de l'Esprit Saint (14,26)… La joie semble être une constance dans l'expérience des

premiers chrétiens. Jésus l'annonce ; elle est un fruit de l'Esprit.

Rahner sur l'expérience de la grâce, cf. Ecrits théologiques : théorie sur l'existential surnaturel. Si

l'homme existe dans un ordre supérieur à l'ordre de simple créature, ce fait là doit avoir une

répercussion dans la conscience humaine. Répercussion par nécessairement thématique

(conscientisée). Même si Dieu ne peut être connue comme les choses ou comme les personnes,

notre façon de le comprendre et de l'expérience doit refléter ce que nous sommes. Le discernement

des esprits n'aurait aucun sens s'il ne partait du présupposé qu'une certaine expérience de Dieu en

nous est possible.

Comment comprendre cette expérience intérieure de l'Esprit. Rahner dit que la présence divine en

nous peut être découverte en nous quand nous sommes capables d'être désintéressée, quand nous

aimons le bien pour le bien. Nous expérimenterons Dieu en nous quand nous nous oublierons. Imiter

Jésus qui s'abandonne au Père.

L. Boff : fonde sa théologie de la grâce quasi-exclusivement sur l'expérience de la grâce gratuite.

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IX. Dimension eschatologique de la justification et la filiation divine

Articulation grâce / gloire, continuité / discontinuité entre notre vie présente et la vie éternelle.

Notre justification a un caractère progressif : début avec le baptême ; fin avec la résurrection. La

régénération concerne non seulement le baptême (Tt 3,4 ; Mt 19) mais aussi la résurrection. Rm

8,15.23 (adoption à venir). Paul évoque un salut déjà opéré en nous. Ne pas reconnaître ce que

donne le baptême, c'est corrompre la foi ; dire qu'il donne tout ce qu'on attend patiemment, c'est

mutiler l'espérance. La foi requiert que l'on attende dans l'espérance ce qu'on ne voit pas encore

dans la réalité.

La fin ultime de tout le créé est d'être une réalité nouvelle. Les prémisses de cette nouvelle création

ne sont autres que Jésus ressuscité. La résurrection constitue pour nous les prémisses de l'humanité

victorieuse de la caducité du monde. La transformation commencée dans le Christ Tête aura des

répercussions dans toute l'humanité. GS 22 : le mystère de l'homme ne s'éclaire que dans le mystère

du Verbe incarné. Sa vocation plénière sera manifestée dans la résurrection.

Conclusion

1Tm 2,3 : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés…

Dieu souhaite le salut de tous (volonté salvifique universelle) et Dieu Trinité est notre Sauveur. La

volonté salvifique de Dieu trouve son expression et sa réalisation dans l'œuvre rédemptrice dans

l'unique médiateur qu'est le Christ qui s'est livré en rançon pour tous. Il faut tenir les 2 ensemble. Le

jansénisme a limité la volonté salvifique universelle. Aujourd'hui on a tendance à limiter la médiation

unique du Christ. Au cœur, la question de la prédestination. 1Co 2,7 ; Rm 8,29 s. ; Ep 1,5.11. Dans son

origine, cette question s'enracine dans l'appel de tous les hommes au salut et dans la configuration

de l'être humain au Christ pour qu'il soit le premier né d'une multitude de frères. Pas de fondement

néo-testamentaire à l'idée de double prédestination (bien / mal). Le magistère de l'Eglise a

condamné très tôt (Concile d'Arles, 473 ap. JC) la prédestination au mal. Canon 17 du décret sur la

justification.

K. Barth parle d'élection plutôt ; "salut pour tous". Seul le fondement christologique permet de

répondre correctement à la question de la prédestination. L'élection biblique est tout le contraire

d'un exclusivisme. L'élu exerce une fonction pour le bien des autres. L'Eglise n'est pas un cadre

exclusif de salut, mais dans le Christ, elle en est comme le sacrement. Par le don de l'Esprit Saint qui

ne connaît pas de frontière, le Père donne à tout homme la possibilité d'être associé au mystère

pascal de son Fils.