Traduction Culturelle Et Représentation de l'Autre - RAGUET

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 Prof. Christine Raguet Traduction culturelle et représen tation de l’Autre Université Sorbonne Nouvelle 1 Traduction culturelle et représentation de l’Autre : trans- ou interculturalité ? Si pour certains, la traduction a longtemps représenté un instrument de communication culturelle, les traductions ont également été l’objet de nombreux malentendus culturels, voire le lieu de la mise en place de certains stéréotypes qui sont demeurés tenaces malgré les tentatives de mises au point, qui ont suivi, notamment ère sous forme de retraductions. Toutefois, avant de s’engager dans une quelconque réflexion sur la question, il faut dégager quelques définitions qui serviront de repères. Pour commencer, je m’attacherai à la notion de culture, car, comme l’a signalé Paul Bensimon dans l’introduction au volume 11 de Palimpsestes, Traduire la culture : … traduire est aussi un instrument au service de l’identité nationale, un pont jeté entre « les deux solitudes » ; la traduction se trouve ici investie d’une  fonction identitaire. Par là même la réflexion traductologique s’éloigne déjà du strict domaine de l’équivalence formelle où elle a été longtemps confinée et se tourne vers des problèmes plus larges : la contextualisation du traduire, les fonctions du texte traduit, les présupposés culturels qui agissent sur les processus de la réécriture traductive. (p. 9) Ensuite, il faut cerner les sens à attribuer à transculturel et interculturel, même si ces deux termes ont fait et font encore l’objet de nombreux débats. En ce qui concerne ma pratique traductive, je considère que le transculturel n’implique pas un dialogue, mais renvoie à un passage, une traversée, qui n’est pas sans évoquer les nombreuses métaphores liées à la traduction comme transport, donc

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    Traduction culturelle et reprsentation de lAutre : trans- ou

    interculturalit ?

    Si pour certains, la traduction a longtemps reprsent un instrument de communication culturelle, les traductions ont galement t lobjet de nombreux malentendus culturels, voire le lieu de la mise en place de certains strotypes qui sont demeurs tenaces malgr les tentatives de mises au point, qui ont suivi, notamment re sous forme de retraductions. Toutefois, avant de sengager dans une quelconque rflexion sur la question, il faut dgager quelques dfinitions qui serviront de repres.

    Pour commencer, je mattacherai la notion de culture, car, comme la signal Paul Bensimon dans lintroduction au volume 11 de Palimpsestes, Traduire la culture :

    traduire est aussi un instrument au service de lidentit nationale, un pont jet entre les deux solitudes ; la traduction se trouve ici investie dune fonction identitaire. Par l mme la rflexion traductologique sloigne dj du strict domaine de lquivalence formelle o elle a t longtemps confine et se tourne vers des problmes plus larges : la contextualisation du traduire, les fonctions du texte traduit, les prsupposs culturels qui agissent sur les processus de la rcriture traductive. (p. 9)

    Ensuite, il faut cerner les sens attribuer transculturel et interculturel, mme si ces deux termes ont fait et font encore lobjet de nombreux dbats. En ce qui concerne ma pratique traductive, je considre que le transculturel nimplique pas un dialogue, mais renvoie un passage, une traverse, qui nest pas sans voquer les nombreuses mtaphores lies la traduction comme transport, donc

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    comme opration transculturelle. Quant interculturel, je me rfrerai la dfinition quen a donn Claude Clanet en 1990, comme tant :

    lensemble des processus psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels gnrs par les interactions de cultures, dans un rapport dchanges rciproques et dans une perspective de sauvegarde dune relative identit culturelle des partenaires en relation.1

    Le concept de culture ne remonte pas au-del du XVIIe sicle, et

    lEurope, appliquant au culturel ce quelle avait mis en place avec le politique, a bloqu louverture culturelle sur lAutre en pratiquant la traduction-annexion2 comme le font les ciblistes qui sattachent au signifi alors que les sourciers sattachent au signifiant3 ; celle-ci nie loriginalit de la langue-culture. Henri Meschonnic va mme jusqu parler de linguistique colonialiste dont le projet occidental imprialiste oriente les choix vers leuropocentrisme, le logocentrisme.4 Pour contrer cette tendance, il propose de dcentrer le linguistique tant que le culturel pour aboutir une mise en adquation des deux systmes et tablir un contact culturel au niveau des structures mmes de la langue. Ainsi le sujet traduisant doit-il explorer les limites de son champ daction, donc de sa libert, pour comprendre la part du culturel que contient le texte quil entreprend de traduire. Mesurer cette part, cest aussi prendre en 1 Claude Clanet (1990) Linterculturel. Introduction aux approches interculturelles en ducation et en sciences humaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, p. 21. 2 Le rapport permet de situer la traduction comme annexion ou comme dcentrement. () La rsistance au dcentrement continue lopposition de saint Augustin saint Jrme. Jrme cherchait une hebraica veritas, Augustin tait tourn vers le public rcepteur seul. Au lieu que Jrme cherchait inclure dans la traduction le mode de signifier. Mais aussi Valry Larbaud a-t-il bien pris saint Jrme pour patron des traducteurs (Meschonnic, Potique du traduire, 96) 3 Je nemploie jamais cette terminologie (source/cible) : ces mots sont porteurs de valeurs polysmiques qui en disent encore plus long sur ce quils peuvent connoter. Je parlerai de langue originale, texte dorigine et langue darrive ou de traduction. 4 Henri Meschonnic, Pour la potique II, Paris, Gallimard, 1973, p. 309. Voir aussi p. 327-336.

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    compte la part individuelle de luvre, son identit propre, telle que les structuralistes lavaient dfinie, comme aboutie et absolue luvre portant en elle, de par sa composition, sa signification propre et immuable qui lui attribue sa littrarit. Il est toutefois possible dadhrer aux thories structuralistes et post-structuralistes et de savoir accorder la rfrentialit un rle non ngligeable et dainsi pouvoir prendre en compte la dimension culturelle dune uvre.

    Or, avant de pousser plus avant cette tentative de prsentation de lespace de traduction culturelle, je voudrais marrter sur les quatre niveaux anthropologiques que nous rappelle Jean Svry5 (tude des socits des textes dorigine, de la socit de lauteur [daprs Bourdieu et la notion dhabitus6], de la socit de la digse7) :

    le corpus dhabitudes (vtements, repas, salutations, change de cadeaux) les diffrentes faons dorganiser le temps selon les socits (outre les calendriers, notamment la slection des moments forts de la vie)

    5 Palimpsestes 11, p. 135. 6 On peut dfinir simplement lhabitus comme la faon dont les structures sociales simpriment dans nos ttes et nos corps par intriorisation de lextriorit. cause de notre origine sociale et donc de nos premires expriences puis de notre trajectoire sociale, se forment, de faon le plus souvent inconsciente, des tendances penser, percevoir, faire dune certaine manire les choses, ces dispositions, nous les intriorisons et incorporons de faon durable. Elles rsistent en effet au changement. Lhabitus fonctionne comme un systme car les dispositions sont unifies et constituent dailleurs un lment dunit de la personne. Lhabitus renvoie tout ce quun individu possde et qui le fait. On a pu dire que lhabitus se forme davoirs qui se transforment en tre. En somme, lhabitus dsigne des manires dtre, de penser et de faire communes plusieurs personnes de mme origine sociale, issues de lincorporation non consciente des normes et pratiques vhicules par le groupe dappartenance. Dans La distinction, Bourdieu montre que nos choix et nos gots esthtiques rvlent (tout en les masquant) notre statut social mais galement nos aspirations et prtentions. (site internet Bourdieu) 7 Voir Grard Genette, Figures III, 1972. Il sagit de tout lunivers spatio-temporel dsign par le rcit ; du rcit en tant quhistoire.

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    les systmes de parent et la structuration du groupe (famille groupe social), tout ceci tant intimement li aux fonctions conomiques et politiques le niveau symbolique qui se caractrise par les diffrentes faons doccuper lespace, de concevoir lenvironnement. Sil nexiste pas de hirarchie entre ces plans, cest parce quils

    constituent un rseau que lon appellera tissu social , lui-mme renvoyant la notion de culture.

    Or traduire, cest gnralement transporter des mots de la langue, et cest justement cette langue qui vhicule la culture, la langue-culture8. Do lintroduction de la notion de transculturalit. Traduire implique de transfrer laide dun systme linguistique autre le systme linguistique dune nation, par lequel cette nation exprime ses coutumes sociales, sa perception du monde et de ltre sa culture. Or, dans le cas des uvres littraires, il sagit de transfrer leur valeur individuelle en tant quuvres dart mais aussi la traduction des donnes culturelles que lartiste a fait porter la langue-culture qui lui a servi doutil.

    cela viennent sajouter des facteurs hirarchiques entre les cultures et les langues, entre dominants et domins quil parat difficile de faire disparatre dun trait : lAutre tant toujours celui qui drange et qui inquite, celui que lon souhaite voir disparatre chercher entreprendre un dialogue avec lui dans le but de le rendre encore plus visible relve donc de la gageure. LAutre peut venir de lextrieur, mais lAutre peut galement tre intrieur ; dans tous les cas 8 La langue-culture laquelle je fais allusion ici est celle que propose Henri Meschonnic en 1973 dans Pour la potique II propos du dcentrement : Le dcentrement est un rapport textuel entre deux textes dans deux langues-cultures jusque dans la structure linguistique de la langue, cette structure linguistique tant valeur dans le systme du texte. Lannexion est leffacement de ce rapport, lillusion du naturel, le comme-si, comme si un texte en langue de dpart tait crit en langue darrive, abstraction faite des diffrences de culture, dpoque, de structure linguistique. Un texte est distance : on la montre, ou on la cache. Ni importer, ni exporter. (308)

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    de figure, il sagira dune inquitante tranget comme la nomme Jean-Louis Cordonnier9 daprs le concept freudien (das Unheimliche) de limage drangeante10. Donc, compte tenu de toutes ces remarques, il convient de suivre la voie qui commence par mesurer comment la culture occidentale conoit la traduction et comment elle conoit notre rapport ltranger et de rappeler derrire sa voix que lOccident a encore tendance considrer ses propres valeurs comme universelles et donc mettre lcart les modes dtre de lAutre ce que confirme la pratique traduisante annexioniste (Cordonnier, 12).

    Si le fait culturel rsiste lopration de traduction cest parce quil est ancr dans son espace culturel dorigine. Nanmoins, des stratgies traductives permettent de combler cet cart et dabolir ce que lon appelle distance culturelle ; en effet les traductions font connatre ltranger dans la langue o il est reu et pour elle. Cet esprit dassimilation risque de jouer comme obstacle culturel lapprentissage des langues () on peut viser, par la traduction, tendre le domaine dune culture. 11

    Distance culturelle interne et externe12 : On appelle distance culturelle, lcart peru entre la culture dorigine et la

    culture daccueil. La distance culture interne se situe au sein mme du texte original tandis que la distance culturelle externe se situe entre loriginal et sa traduction.

    Un auteur a mille faons dinsrer une distance culturelle interne lintrieur dun texte. Ceci peut seffectuer par lutilisation de mots trangers, de rfrences culturelles, de lemploi dun vernaculaire ou le recours divers

    9 Traduction et Culture, Crdif, Hatier, 1995. 10 Article de 1919, traduit en franais par Marie Bonaparte en 1933. 11 Allal Sinacur, Histoire, culture et traduction , Traduire lEurope, Franoise Barret-Ducrocq (d.), Paris, Documents Payot, 1992, 43. 12 Voir Jean-Pierre Richard, Palimpsestes 11, 151 ff.

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    lectes ; le but tant toujours de produire une inintelligibilit relative dont le traducteur devra valuer le degr.

    La distance culturelle externe se manifeste divers degrs : le degr zro relve du pittoresque qui dsoriente sans rvler grand chose pour autant. Plus avant, lon trouvera ce qui relve de lexotique (souvent sous forme de strotypes) ce qui constitue lAutre en tant quAutre dans les dtails du quotidien qui nous sont trangers, mais que lon reprsente alors par des clichs. Enfin, la dernire tape est celle du linguistique, celle du vivant-cratif quil va falloir rendre par du vivant-cratif et non par du factice ou par un vivant autre. Ainsi le lexique, les registres de langue et lhumour participent au creusement de ce foss entre deux cultures. En outre la distance culturelle externe se situe aussi au niveau des structures syntaxiques : la ralit ntant pas perue de la mme faon dune nation lautre. Lutilisation des temps verbaux fait aussi lobjet de variations, notamment entre les tournures actives et passives qui ont un trs fort impact sur la rception de lAutre. En effet, une structure plus dynamique et plus directe produira une image positive, alors quune structure passive et indirecte produira une image ngative. Le problme tant que lorsque la distance culturelle qui spare la culture dorigine de la culture daccueil est trop vaste, cest le concept mme de traduction qui est mis en pril et qui soulve la question de lintraduisible. Cette notion ne du mythe Babelien,13 la tradition la 13 Admettre lhypothse de C. Hagge, selon laquelle il y aurait unicit du langage pour lensemble des hominiens, et le droulement en un grand nombre de lieux diffrents, dun processus qui aurait conduit la naissance des langues elles-mmes, permet de sortir la traduction du culpabilisme et du psychologisme dans lesquels la enferme le mythe de Babel. On peut ds lors recentrer sur les rapports dialogiques interculturels la rflexion concernant la traduisibilit ; on carte du mme coup la fatalit de lintraduisible. Cependant, la grande diversit des langue-cultures situe la complexit des interactions. Interactions ncessaires, dans le besoin de lAutre. Ces contacts avec les autres cultures permettent de complter la perception quune culture a delle-mme. Or, cette perception nest jamais totale. Les changes culturels donnent la possibilit de soulever le voile du caractre inconscient dune culture quelle quelle soit, den prendre conscience, et daccder ce que Bakhtine appelle la finitude humaine. Depuis la trs lointaine priode de la naissance des langues, la traduction est le mdium qui permet daller vers une telle finitude. (Cordonnier, 12-13)

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    situe purement au niveau linguistique, alors que lintraduisibilit se situe bien plus largement dans les rapports interculturels, cest--dire au niveau des changes. En outre, admettre le caractre intraduisible dune uvre, cest limiter le champ daction du traduire, cest ignorer la relation dialogique que le texte entretient non seulement avec les textes qui lentourent directement, mais aussi avec les textes qui lui sont extrieurs14 ceux qui constituent lespace culturel auquel il appartient. Confesser un degr dintraduisibilit, cest reconnatre linachvement de la traduction, et ainsi la sortir de la chane intertextuelle dans laquelle loriginal avait sa place :

    On le sait, lintraduisible nest pas une notion absolue ; cest simplement ce quun traducteur et sa langue ne peuvent pas encore traduire hic et nunc. La temporalit du traduire est une temporalit finie : on ne traduit jamais que rechtzeitig, au bon moment . Cest dans cette finitude du traduire que le commentaire vient se loger, en manifestant le pouvoir fondamental qua sa langue dclairer ce qui ne peut encore tre traduit. claircissement qui prpare la traduction venir . Il ny a l aucun pis-aller, mais une structure dentre-appartenance. Tmoignage certes de sa finitude, le commentaire est pour la traduction son Autre et la Figure discursive de son achvement.15 Dans le cas de cultures Autres, le foss culturel est dautant plus

    infranchissable que non seulement il nest pas possible de traduire par adquation, rien ne se correspondant, mais il nest pas non plus envisageable de trouver des quivalents car il nen existe pas. La difficult tant que les symboles ne sont pas universaux. Alors, deux catgories de risques se dessinent :

    14 Cordonnier, 179-186. 15 Berman, Critique, commentaire et traduction , Po&sie, 1986, n 37, 106.

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    lanthropologisation (qui consiste ajouter des notes vise didactique) la recherche de lexotisme (qui va correspondre un dcentrement artificiel) Peut-on envisager de ne pas traduire ? Cest--dire inclure des mots

    trangers dans un texte au risque dtre incompris ? Ce sont gnralement les mdias qui servent de relais, le plus souvent par souci de dplacer le reportage et de transporter le lecteur vers le lieu de lvnement pour crer un effet de rel malheureusement, les choix lexicaux relvent frquemment du clich qui vise conforter le lecteur dans lide quil a dj de la couleur locale du milieu qui lui est dcrit. Dans ces circonstances, ces emprunts deviennent des outils critiques qui renforcent les priori que le lecteur entretient propos de la culture de lAutre.

    Quels sont les outils du traducteur pour rduire cette distance ? 1) Les outils concrets : les notes de bas de page montrent le non-dit et linconnu de lAutre

    (Cordonnier, 182) : toujours trs controverses parce quelles ralentissent la lecture, la fragmentent, dtournent le lecteur de son propos initial. Elles brisent le rythme et la musique du texte littraire pour en faire un trait anthropologique. Pourtant elles peuvent clairer le lecteur et laider se retrouver dans un monde qui lui est tranger car elles informent sur la culture de ltranger. En outre, la lecture tant une ouverture sur dautres mondes, fussent-ils purement fictionnels et peupls de rfrentialits uniquement littraires, ils sont censs nous conduire vers dautres cultures, alors les notes peuvent offrir une validit en ce quelles instruiront le lecteur. Situation somme toute paradoxale ce sera au traducteur den user avec parcimonie.

    les explications, insertions de dfinitions, quivalences et glossaires : beaucoup dlments distincts qui relvent toutefois du mme dsir dexpliciter

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    sans toujours avoir lair de le faire, et donc dune approche moins anthropologisante ; lobjectif tant toujours de clarifier le sens. Lexplication ou linsertion de dfinitions plus ou moins dguises est une forme dadaptation au rcepteur qui va lui donner accs une rfrence obscure ou des faits culturels supposs inconnus. Placer lexplication lintrieur mme du texte et, de plus, proximit du terme tranger, va respecter un peu mieux la fluidit de loriginal sans modifier lnonc proprement parler et sans interrompre le processus de lecture. Par ailleurs, le sujet traduisant doit conserver lesprit que la connaissance du milieu tranger du rcit saccrot mesure que la lecture progresse. Enfin, les glossaires placs en fin de volume peuvent offrir une solution stimulante car le lecteur les utilisera ou non, au moment de la lecture qui lui convient, donc parfaitement sa guise. Ce procd laisse donc au rcepteur un plus grand champ de manuvre et est, somme toute, plus respectueux de son choix de projet de lecture.

    les introductions, prfaces, ou postfaces ont un double rle : Elles servent naturellement replacer le texte traduit dans lintertextualit et donner les informations cls pour entrer dans luvre. Mais elles ont pour rle aussi, dans le cadre de lthique, de montrer la position du traducteur face sa traduction, donc en fait, face lpistm de son poque. (Cordonnier, 183). Quelques prcisions dans une prface du traducteur, dans laquelle il

    prsentera son projet de traduction et situera luvre dans son contexte socioculturel, peuvent donc tre une solution la fois efficace et moins encombrante que le recours aux notes ou de trop nombreuses explicitations intratextuelles.

    Dans tous ces cas de figure, la dmarche va natre de lvaluation du degr dincomprhension et de mconnaissance du lecteur moyen, en admettant

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    quon puisse le jauger. Elle va aussi se situer dans une dmarche transculturelle visant faire connatre la culture de lAutre selon certaines modalits qui ne sont pas sans mriter discussion, comme cette remarque dAlexis Nouss :

    La pratique de la traduction constitue un moyen privilgi dinstaurer entre deux cultures un espace et un temps de dialogue transculturel: sans la pratique quotidienne des traducteurs et des interprtes, aucune culture ne peut dialoguer avec une autre. tant une pense du lien, de la relation et de la transformation, la traduction est surtout une pratique professionnelle mtisse (c'est--dire, la fois mtisse et mtissante) et, par consquent, elle est bien plus une opration transculturelle quune procdure interculturelle ou une modalit multiculturelle. 16 De mon point de vue, la vise transculturelle induit un dsir dunit

    lAutre, qui conduit plus au placage de certaines donnes dorigine sur lAutre que dune laboration issue dun change interculturel. Dailleurs il utilise le nom procdure pour le rattacher interculturelle sans compter quil inclut pour faire bonne mesure, encore une autre notion, la modalit multiculturelle, tout ceci revenant parler dans ces deux derniers cas de mthode ou encore de mode opratoire. Cest pourquoi jinsiste sur le fait que la traduction interculturelle nest ni une opration, ni une procdure, ni une modalit, mais le rsultat dun change, comme Victor Segalen avait pu les concevoir, en pionnier quil tait.17 Bien sr, sa rflexion ne sappliquait pas la traduction, mais la perception-rception de lAutre, dans le cadre des notes pour son trait de lexotisme qui ne fut publi que longtemps aprs sa disparition. Non seulement il introduit la notion de Divers telle quelle sera reprise par Glissant et tous les penseurs de la 16 Alexis Nouss, Plaidoyer pour un monde mtis, Paris, Editions Textuel, 2005: 43. 17 Victor Segalen, Trait sur lexotisme. Les notes pour cet essai ont t prises entre 1908 et 1918, en pleine priode de la littrature coloniale .

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    diversit, voire de la diversalit,18 mais aussi il refuse la relation Je Tu, dans le cadre dune relation dominant-domin. Donc, il refuse lethnocentrisme, il privilgie lchange en termes esthtiques et potiques : pour lui, cest dans la confrontation des deux versants irrductibles du Divers que jaillit limage potique. Pour convaincre ses lecteurs, il voque le Bovarysme, savoir ce principe de lerreur cratrice qui consiste se concevoir autre que lon est. Et donc, de transposer cette image fausse sur tout ce qui nous entoure et den percevoir le reflet.

    Pour revenir la question des outils daide la rception de laltrit littraire, il ne faut pas oublier que le systme de dcodage de la traduction met en place une nouvelle grille de lecture, diffrente de celle de loriginal et il faut tre conscient que les facults de comprhension du lecteur sont souvent sous-estimes. Au fil de la lecture, ce qui tait tranger devient de plus en plus familier de sorte que le sujet traduisant doit toujours se poser la question de laccessibilit au texte.

    2) Les outils abstraits : en premier lieu, il y a la subjectivit du traducteur : Antoine Berman a

    labor le concept dhorizon traductif qui se dfinit daprs les paramtres linguistiques, littraires, culturels et historiques dterminant ce que ressent, pense et fait le sujet traduisant. Selon lui, traduire est toujours un acte individuel parce quil mane dun individu, ft-il soumis des normes. Il revient donc au traducteur la tche de lvaluation, de linterprtation et du choix de lquivalent adquat. De plus, une traduction est le reflet dune priode car elle est toujours

    18 Notion introduite par Patrick Chamoiseau : Le Lieu est ouvert et vit de cet ouvert []. Le lieu volue dans la conscience des mises sous-relations [] Le Lieu vit sa parole dans toutes les langues possibles []. Le Lieu smeut, reconnat et active ses sources multiples en tendue []. Le lieu participe dune Diversalit []. Le Lieu ne se peroit quen mille histoires enchevtres []. (Chamoiseau : 205-206)

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    inconsciemment marque par les mouvements sociaux, artistiques et politiques de son temps et elle peut mme subir linfluence de certains mouvements de pense extrmes dont lobjectif sera dorienter la lecture. De tels excs peuvent aboutir la dformation de loriginal afin de le soumettre au courant de pense dont se rclame le sujet traduisant. Ceci aboutira ncessairement une rcriture.

    face aux carts culturels, que peut donc faire le traducteur ? Il pourrait assumer le rle de facilitateur , celui qui va chercher rendre purement le sens, du moins celui quil croit voir dans le texte. Dans ce cas, dans le dbat entre la lettre et lesprit, seul lesprit compte. Cest--dire que la traduction vise le public en privilgiant la lisibilit. Alors tout ce qui peut ouvrir ltranger disparat. Cest l que sopposent deux modes de traduire : - la communication avec quelquun (celui qui impose un mode de rception donn un public donn). - la communication de quelque chose (celui pour qui le texte prvaut) Dans ce cas, on peut parler de traduction-dvoilement (Cordonnier 179) qui provoquera tonnement, voire stupeur, et parviendra progressivement duquer les lecteurs ltranget19.

    Jaimerais prsent entrer un peu plus avant dans ce dialogue interculturel

    en partant dune remarque gnrale sur la traduction laquelle lon ne reconnaissait quune fonction ancillaire : elle tait au service du texte traduire. Alors, pour branler quelque peu la notion dancillarit, je pourrais faire appel Yves Bonnefoy et sa trs belle prsentation sur la traduction potique lors des Treizime Assises de la Traduction Littraire en Arles :

    19 Voir Berman, La traduction et la lettre.

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    si chaque traduction est moins que loriginal, le traduire comme tel, lactivit que lon appelle traduire, va (), en tre, la longue, lquivalent et sans doute mme davantage, puisquelle fait ainsi paratre au grand jour la vie intime du texte, cette vie que lauteur, pour sa part, avait rfrne autant que produite. () le pome () est non la cause mais la consquence de la traduction () traduire a donc tre considr, non comme une tche ancillaire, aux marges de la vritable invention, mais lactivit primordiale de la pense au travail. On soulignera par exemple, et bon droit, que le traducteur, dcouvrant dans sa version dune uvre, des aspects de celle-ci qui ny paraissaient pas en surface, cause quelquefois des refoulements, des illusions, des idologies inaperues, de la langue originale, va aider sa propre langue, celle dans laquelle il traduit, dceler ses insuffisances elle, dans le rapport du conscient et de linconscient, lui permettant ainsi dexplorer des pouvoirs encore virtuels. Que de pomes, cest vrai, que de grands pomes innovateurs, sont ns proximit de traductions faites, ou projetes, dune faon novatrice !20

    Si cette nouvelle force cratrice peut se dgager de la frquentation du dire dun autre, cest justement lcoute de cet autre qui le permet, car non seulement sagit-il de manipulation langagire, mais aussi de la mise en place dune relation intersubjective entre deux acteurs de lcriture. Pour ce faire, nul besoin, comme cest le cas de Bonnefoy, dtre un pote reconnu, il suffit davoir ce quil nomme le souci de posie 21, car la composition potique est accessible au traducteur de posie quel quil ou quelle soit. Laccs la poticit cratrice, celle qui peut-tre laissera ses traces, vient du dialogue qui peut se mettre en place entre auteur et traducteur, en ce que ce dernier recherche

    20 Bonnefoy, 1997, pp. 27-28. 21 Bonnefoy, 2000, p. 8.

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    les multiples facettes de son interlocuteur, qui proposeront le spectre linguistique de luvre venir. En effet, point de traduire sans change avec la matire initiale pendant le faonnage : lobjectif du traducteur au cours de lopration traduisante nest-il pas dinscrire la trace de lauteur dans sa propre trace afin de le mener au-del du dire premier et de louvrir dautres lectures ?

    Pour illustrer ce dveloppement, je souhaiterais introduire quelques exemples extraits dun pome ddouard Glissant, compos en 1955, Les Indes et de sa traduction anglaise, The Indies parue en 1992. Dans cette relativement courte composition, Glissant retrace les passages vers les Indes Occidentales, comme il lindique dans lintroduction la dernire partie, La Relation : Le pome sachve lorsque la rive est en vue, do sloignrent jadis les dcouvreurs. Retour ce rivage o lamarre est toujours fixe. (Glissant, 1992, p. 191). On trouve dans ce texte certaines caractristiques de lcriture de lantillanit , une affirmation culturelle ; ainsi surgissent des lments croles dans le discours potique : un lexique emprunt au crole, comme morne traduit par morne22 (110/10), alors que ce mot ne sutilise pas en crole base anglaise, le traducteur, Dominique ONeill, a conserv cette forme qui permet de situer le lieu en territoire francophone, par contre dans le cas de mots comme vezou / cane juice23 (118/18) ou case / cabin24 (158/58), il procde une explicitation dans un cas et une adaptation dans lautre. Le vesou est le liquide extrait du broyage de la canne pour la fabrication du rhum, et il se trouve que dans ce vers, le mot est employ mtaphoriquement dans son orthographe crole, pour

    22 Comme le ngre, sur les mornes, qui prdit / Le vol proche dun bateau porteur de femmes nouvelles et de casseroles // Like the negro, on the mornes, who predicted / The nearing flight of a ship bearing new women and saucepans. (mes italiques) 23 Cendre de cale et des vezous de soute !) javais connu lapproche de cette eau. // Ash of ship hold and cane juice of bilge!) I had known the coming of this water. (mes italiques) 24 () Chienne ! Je brlerai midi sur ton ventre, et jgorgerai / La brebis de chaque case, et violerai lenfant de ta nuit douce, pour ce rve ! // () Bitch! I will burn noon upon your belly, and I will slaughter / The ewe from each cabin, and I will rape the child of your gentle night, for this dream! (mes italiques)

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    dsigner les esclaves lors du passage du milieu entre la Cte dOr et Maracabo ; quant case, il correspond en crole la maison, tandis que cabin voque davantage un habitat sommaire surtout par sa rfrentialit au clbre roman dHarriet Beecher Stowe. Ici le traducteur imprime une trace socio-culturelle forte un pome au cur duquel se situe la problmatique de lhomme noir dans ce monde insulaire, qudouard Glissant prsente la fois dans la complexit de ses origines et de sa culture, mais aussi dans lantillanit quil a forge. Donc, sur trois mots, lon observe trois positions divergentes qui d-marquent le pome, pour utiliser une composition de type crolisant. Justement, autre facteur linguistico-cratif distinctif, la prfixation ou suffixation, comme dans dvole / sweeps down25 (187/87) ou dsirade / island of desire26 (194/94). L encore la traduction offre une lecture referme sur le monde peru selon le regard occidental de ce qui tait initialement ouvert sur lunivers carabe. En effet, la drivation affixale joue un rle majeur non seulement en crole, mais aussi dans le processus de nologisation des auteurs de la Carabe. Dans le cas de dvole, ladjonction du d- na pas valeur dannulation ici, mais indique le contraire de la base verbale ainsi transforme, selon le principe : dgarer = sortir la voiture de lendroit o elle est gare 27 ; donc si vole se rapproche de senvole dans un mouvement ascendant, dvole renvoie un mouvement descendant, sens renforc par la quasi homophonie avec dvaler. Le franais crolis conserve la notion de vol et introduit, grce cette affixation, le mouvement de contre-vol, la valeur mtaphorique culturelle se concentre en 25 Le vent dvole des volcans, vent, cavale des terre ! et lesprit na plus de souffle qui ne soit / Souffle des laves // The wind sweeps down from the volcanos, O wind, O blood mare of the lands! and the spirit has no breath that is not / Breath of lavas (mes italiques) 26 Bientt la plaine aura cern, dun seul coup dailes, ce qui fut / Montagne et mer de lesprance, et dsirade o la souffrance gt. // Soon the plain will have encircled, in a single wing thrust, what once was / Mountain of sea and hope, and island of desire in which suffering lies. (mes italiques) 27 Cit par Bernadette Cervinka dans son article Remarque sur quelques interfrences franais-crole lexamen du systme prfixationnel en guadeloupen , in franais-crole / crole-franais, pp. 85-143.

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    dbut de vers avec laccentuation allitrative sur le v et la rptition de vol (dvole / volcan), valeur crase dans la traduction qui explicite le vocable, mme si une forme de balayage est prsente dans la rptition du son w. Mme type de procd pour dsirade, mot qui voque lle du mme nom, certes, mais qui peut se lire : dsir-ade, o le suffixe ade, dans le processus de fabrication nominale de nologisme, va dterminer une activit, comme dans frissonnade qui correspondra une nominalisation de frissonner pour dcrire le processus. Dans lexemple extrait de Glissant, le mot dsirade est charg polysmiquement puisquil voque spontanment un lieu devenu destination exotique (tiquette quil navait pas encore en 1955), mais il insiste aussi sur la puissance du dsir (explicitement exprim deux vers plus haut : Pour une fois encore je salue laube naissant sur un pome non connu et un dsir ), dsir que le lieu de lesprance ( Montagne et mer de lesprance ) pouvait laisser entrevoir, mais qui sest transform en lieu de souffrance. Dans ces deux autres cas, le traducteur a une fois partiellement conserv une vocation antillaise, mais a globalement imprim le sceau de la vision occidentale sur lambigut polysmique de loriginal. Dautres exemples lexicaux pourraient tre fournis, comme le recours aux compositions de mots-valises un procd (qui fait) que la fulguration rvlatrice chre aux potes franais modernes () se ramne ici un procd commun qui indique et ne dvoile pas par illumination. Limag crole est trop usuel pour quun tel procd (rapprochement indit de deux lments du rel ordinairement loigns) soit ici rvlateur (Glissant 1997, p. 614) ; cette catgorie savre noffrir quune possibilit limite de surprise en traduction vers langlais puisque la composition est une pratique laquelle se livre naturellement cette langue, ainsi en va-t-il pour gobe-ciels / sky-gobblers28 par exemple. Donc dans un cas comme dans lautre les solutions proposes ne 28 Louest est un lac, est pture de lune o dautres gobe-ciels / Naissants se mlent ceux qui mangent dinjustices et de crimes. // The West is a lake, is fodder for the moon where other sky-gobblers / Newborn mix with those who eat of injustices and crimes. (mes italiques)

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    seront pas vraiment loquentes quant la crativit de lun ou de lautre auteur, puisquil faut oser reconnatre cette dimension aussi au traducteur29. Par contre, le choix de termes rares ou archaques peut tre plus productif : il sagit dune survivance en milieu antillais o la langue franaise na pas volu de la mme faon quen mtropole. Prenons comme exemple accouvi / incubated30 (180/80), o accouvi ici drive de couver au sens de brler sous la cendre du feu, mot qui contient de la violence, laquelle dans les contextes interne et externe rappelle le petit feu destructeur auquel taient soumis les esclaves, ide, totalement absente de incubated qui, lui, annonce une naissance : encore une fois, le choix est personnalis et impose une nouvelle perception des choses. Cependant, lensemble du pome anglais frappe par la cadence de son criture dans laquelle llan des mots entrane de strophe en strophe vers la rsignation finale du rve :

    course ! Ces forts, ces soleils vierges, ces cumes Font une seule et mme floraison ! Nos Indes sont Par del toute rage et toute acclamation sur le rivage dlaisses, Laurore, la clart courant la vague dsormais Son Soleil, de splendeur, mystre accoutum, nef, Lpre douceur de lhorizon en la rumeur du flot, Et lternelle fixation des jours et des sanglots. (199)31

    29 Paul Fournel, prsident de la Socit des gens de lettres, concluait par ses mots ironiques sa confrence inaugurale lors des Douzimes Assises de la Traduction Littraire en Arles : il mavait sembl entendre dire que les traducteurs pourraient ne pas tre des crateurs part entire. Ce genre daffirmations sont de celles dont on rit dabord, tant on les trouve normes. Ensuite, on prend ses prcautions. On nest jamais assez prudent avec lnorme. (p. 30) 30 Sur la rive de glaise, o le vent rouge sinsinue, dabord il y eut mille roides tincelantes givrures, sous leur cendre de mort accouvies, et muettes. // On the clay shore, into which the red wind seeps, first there was a thousand streght sparkling icicles, incubated under their ash of death, and mute. (mes italiques) 31 O course! These forests, these virgin suns, these foams Are one and the same flowering! Our Indies are Beyond all rage and all acclamation abandoned on the shore, The dawn, the light henceforth chasing the wave Its Sun, of splendour, usual mystery, O vessel,

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    Comme le souligne Yves Bonnefoy, laccession la musique des vers

    du texte initial doit aider le dire se propose(r) nouveau comme du vcu en puissance 32 pour que le traducteur se dcouvre crateur et donc prt laisser une trace de son passage sans justement dfigurer loriginal. Et cette volont sest galement manifeste dans lorganisation de ce recueil o la premire partie est consacre au pome traduit, et la seconde loriginal ; le choix dlibr de ne pas offrir une dition bilingue avec les deux versions en regard mise en page qui sectionne la lecture reflte un dsir de reconnatre au pome anglais, la traduction, son statut de pome part entire.

    La littrature caribenne, en gnral, et la posie en particulier, est un champ privilgi pour ltude des traces, car le contrat de lecture peut tre sensiblement diffrent selon la langue et la sensibilit culturelle des rcepteurs, surtout si un vritable dialogue ne parvient pas se mettre en place entre le pote et son lecteur par lentremise du traducteur, celui-ci ayant pour mission de faonner sa production selon les capacits rceptives en langue seconde. Cette parole initiale que lon sattend retrouver au stade final, aprs le passage dans une autre langue, est si lon en croit les tudes sur le texte de Julia Kristeva, htrogne : le discours producteur de concept incorpore le ngatif au lieu mme de la formation du concept ; cest dans la mesure o il exhibe la ngativit lhtrognit le produisant travers le sujet et dans lhistoire, que le concept est dialectique.33 Ceci permet dtablir un lien avec la notion dchange dialectique au cours du traduire et de comprendre quel point elle est essentielle, puisque le concept produit par le texte est dordre dialectique, quil est porteur dhtrognit. Si lon suit ce raisonnement, force est de constater The harsh gentleness of the horizon in the waters murmur, And the eternal fixation of days and of weeping. (99) 32 Bonnefoy, p. 33. 33 Kristeva, p. 22.

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    que le pluriel est prsent dans le texte initial, que lun y est double, quen quelque sorte le mme et lautre sy trouvent dj (du moins lun crole et son double), en ce que la complexit de lauteur, celle qui constitue son altrit, appelle tre reconnue par le lecteur-traduisant. Limplication du traducteur ne serait pas dimprimer une marque de fabrication qui chercherait raliser de simples ornements, mais qui viserait conduire un jeu dchanges afin de faire natre chez le lecteur second une jubilation comparable celle de lacte jubilatoire dcriture que lauteur premier aurait russi transmettre au lecteur premier.

    CONCLUSION En rsum, lorsquil sagit de reprsenter lAutre, les traducteurs risquent

    davoir recours des stratgies dvitement dans leur recherche dune forme structurante quils veulent propre. Au cours de ce processus, les traces quils dposent sur la version traduite pourraient tre mesurables en termes de pourcentage : la quantit de marques sera moindre du fait de la limitation due aux contraintes de la forme, mais leur impact pourra tre plus marquant sil y a invitation la nologisation grce la prsence, mme discrte, dune langue comme le crole encore considre par les linguistes comme en devenir. Parlant de devenir, Berman ne soulignait-il pas il y a plus de trente ans la volont de la traduction de devenir une pratique autonome, pouvant se dfinir et se situer elle-mme ? (Berman, 1984, p. 12), ce qui tait dj un appel la reconnaissance de la marque du traducteur. La gageure du traduire tiendra relever le dfi de la relation soi tout autant qu lautre dont on sapproprie le texte et elle pourra sans doute se rsoudre dans une qute de lautre en soi pour en rvler une facette encore inconnue, celle perue par une langue-culture (Meschonnic, 1997, p. 412) diffrente de celle de lauteur, car comme le dit Wolfgang Iser laltrit nest pas une abstraction, elle devient tangible dans ses

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    manifestations34. La confrontation cre une situation complexe que le traducteur rsout en se manifestant lui-mme dans ses crits35.

    BIBLIOGRAPHIE ( faire) Meschonnic, H. 1973. Pour la potique II. Paris : Gallimard.

    34 Otherness is by no means an abstract notion, but it becomes tangible only in individual manifestations. () encountering the other awakens awareness of a duality which results in an experience of difference; bracketing, suspending, or even excluding the other allows for an exploration of difference that raises the question of why there are such disparities; incorporating the other aims at assimilation, which leads to a politics of cultural relationships; appropriating the other highlights goals of utilization that are meant to remedy existing deficiencies; reflecting oneself in the other entails heightened self-awareness, which leads to self-confrontation; recognizing the other as primordial generates a call to responsibility prior to any possible knowledge of the other, and may produce an ethics based on imponderable commitment. (Iser, 1995, p. 32) 35 Jentends ici ses traductions au mme titre que ses compositions originales.