Tradition Chiite Et Islamisme Khomeiniste

8/8/2019 Tradition Chiite Et Islamisme Khomeiniste

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Edwige Durandtudes internationales, vol. 25, n 1, 1994, p. 5-24.

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Tradition chiite et islamisme khomeiniste (Note)


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Tradition chiite et islamisme

khomeiniste

Edwige DURAND*

ABSTRACT Shi'ite Tradition and Khomeini-style Islamisfn

If we compare the religious tradition of Shi'ite Islam with the ideology Khomeini

propounded jrom 1979 on, it merges that Khomeini-style Islamism is more oj a

revolutionary political ideology falling within the category oj Western Third-Worldism.

Itdiverges jrom Shi'itism which has traditionally preached the illegjLtimacy oj power,

the need jor contestation, the challenging oj whatever is established, the search jor

social justice, the giving oj support to the oppressed, and the expectation oj a coming

messiah. Khomeini exploited this tradition to serve political ends. He interpreted it in

his own way and instituted a radical, infallible government oj clerics while preaching

anti-Westernism and Pan-Islamism intermixed with the exporting oj his rvolution.Shi'ite Islam has thus lost its traditional religious character, gpiing rise to confusion

between religion andpolitics to the dtriment oj thejormer.

Les Iraniens sont pour environ 90 % des musulmans chiites, ce qui a

surpris les Occidentaux lors de la rvolution de 1979, habitus l'image d'un

pays occidentalis telle que prsente par son souverain. Comprendre la

spcificit du chiisme est essentiel pour mieux cerner le caractre particulier

de la rvolution islamique et du type de socit qu'elle veut instaurer, et aussi

pour mieux apprhender l'idologie propage par Khomeini. Le chiisme faitpartie de l'histoire iranienne et apporte des connotations et des incidences qui

lui sont propres et qui sont profondment inscrites dans les mentalits. C'est

ainsi que se dgagent plus particulirement la tendance considrer tout

pouvoir comme illgitime, le souci de la justice sociale, le got du martyre, et

l'attente d'un gouvernement parfait avec le retour de l'Imam cach. Par

ailleurs, la pntration occidentale au xixe sicle a provoqu un traumatisme

culturel qui a perturb la pense religieuse et l'a conduite se transformer.

On peut se demander si Khomeini a agi dans la tradition chiite dans la

rvolution qu'il a dirige puis dans le gouvernement qu'il a install, ou s'il se

* tudiante au doctoratau Dpartement d'histoire de l'Universit d'Ottawa. Cet article a tcritdans le cadre d'une bourse du CRSH; il estextrait d'un mmoire de matrise prsenten aot 1992dans la mme universit.

Revue tudes internationales, volume xxv, nl, mars 1994

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situe plutt dans une ligne plus idologique s'loignant de la tradition reli

gieuse pour se situer dans l'idologie politique rvolutionnaire proche du

tiersmonclisne, ce qui alors le classerait plus prs d'une pense occidentalise.

Quand suite la victoire de la rvolution est instaure officiellement laRpublique Islamique d'Iran, les mots rpublique et islamique cte cte

sous-entendent le sujet qui nous proccupe: s'agit-il de politique ou de

religion, et sur quelles bases idologiques ou religieuses cette rpublique est-

elle conue? Pour tenter de rpondre, il faut d'abord nous reporter la

spcificit du chiisme, puis la conception mme du gouvernement islamique

tel que dfini par Khomeini, pour ensuite voir ce que la concrtisation d'un tel

gouvernement signifie pour l'islam et l'Iran. Enfin, il nous faut aborder la

vision de la socit et du monde par Khomeini travers ses textes, ses

discours, et les documents officiels publis par la Rpublique Islamique

d'Iran, afin de dterminer si ces ides sont plus proches de l'idologie politi

que que de la tradition religieuse chiite.

I - Le rle du chiisme dans la pense rvolutionnaire

L'histoire du chiisme remonte la succession du Prophte lorsqu' la

mort de ce dernier, en 632, trois califes1 lui succdent: Abou-Bakr en 632,

Omar en 634, et Osman en 644. Un groupe de croyants jugent cette succession illgitime, car elle aurait d revenir Ali, cousin et poux de Fatima, fille

du Prophte, et initi par celui-ci au sens cach du Coran. Ces croyants

prennent alors le nom de chi'aAH, c'est--dire partisans d'Ali, ou chiites, et se

prsentent comme un parti lgitimiste face une usurpation. Aprs la mort

d'Osman, assassin, Ali devient calife en 656, mais, en 657, se voit confront,

lors de la bataille de Seffin, au gouverneur de Syrie et cousin d'Osman,

Moawiyya2. Ce dernier propose un arbitrage qui est dfavorable Ali, mais

nanmoins accept par lui, ce qui fait que les Ommeyades s'emparent du

califat. Ali est alors assassin en 661 Kufa par un kharidjite3

. Les fils d'Ali,Hassan et Hussein, reconnaissent le nouveau calife, mais les conflits incessants

font que tous deux trouveront une mort violente. Hassan est empoisonn et

Hussein doit se battre contre le fils de Moawiyya, Yazid, et est massacr avec sa

famille et ses compagnons Karbala, en 680. Le schisme est alors totalement

consomm entre chiites et sunnites4, et les chiites vont substituer au califat

l'imamat. Ali devient le premier Imam, transmetteur du secret divin cach

dans le Coran, symbole de la justice dfendant le perscut, intermdiaire

1. Le calife est le chef de la communaut musulmane et n'est pas obligatoirement un religieuxou apparent la famille du Prophte chez les sunnites. Chez les chiites, le chef de lacommunaut est l'Imam et doit faire partie de la descendance du Prophte. C'est en premierlieu un guide spirituel.

2. Moawiyya fondera la dynastie des Ommeyades et installera le califat Damas.3. Les kharidjites sont ceux qui ont refus l'arbitrage accept par Aliet croient que le califat doit

revenir un homme juste et pieux, peu importe sa famille.4. Le sunnisme vient de sunna (tradition). Les sunnites forment la majorit des musulmans.


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entre les hommes et Dieu et guide spirituel de la communaut. Onze Imams,tous de la descendance du Prophte par Ali et Fatima, lui succdent, le derniertant Mohammad al-Gham, n en 869. Disparu la mort de son pre en 874,

mais toujours vivant au coeur du croyant, il doit revenir tablir sur terre ungouvernement juste et parfait quand les temps seront venus ; c'est l'Occultation.Le chiisme pratiqu en Perse, en se rfrant douze Imams hritiers spirituelsdu Prophte, prend le nom de chiisme duodcimain.

A Illgitimit des pouvoirs et contestation

Une telle historicit n'est pas sans avoir des consquences sur la vision dumonde et de la socit, notamment la lgitimit du pouvoir. Les chiites voientdans les premiers califes des usurpateurs du pouvoir ce qui fait du chiismeune religion de contestation particulirement critique, et donne tout pouvoirune connotation suspecte. Lie la lutte pour le califat se retrouve ainsi uneperptuelle mise en cause de la lgitimit du pouvoir. Nous avons vu que leschiites ont adopt l'imamat au lieu du califat. L'Imam5 devient donc celui quiguide, qui aide la comprhension du Coran, qui en connat le vrai sens et quiveille sur la communaut. Le chiisme a donc un aspect contestataire, car, enaccordant l'Imam le droit d'interprter le Coran, il est possible d'arriver

rapidement une revendication proche du politique puisqu'il peut y avoirremise en question de ce qui est considr comme tabli. Le chiisme porte enlui un dangereux courant proche de la dissidence perptuelle. C'est ce rapprochement avec la contestation politique, outre son organisation et son indpendance financire, qui va permettre au clerg iranien de regrouper toutes lestendances contre la monarchie partir de 1963. Hussein, martyr et perscut,a cherch rsister Yazid. Devenu le modle du rsistant au pouvoirillgitime et luttant volontairement jusqu' la mort, il a inspir toute unepartie de la jeunesse iranienne pendant la rvolution. Hussein mourant pour

tmoigner est une victime contestataire et sa mort est une passion. Les jeunesmilitants islamiques se sentent revivre cette passion qui les conduit parfois jusqu' la mort.

La recherche de la justice prend galement une place particulire dans lechiisme. En se considrant comme opprims et vincs, les chiites ont rclamla justice tout au long de leur histoire avec comme symbole celui du justeperscut, Hussein. Aussi, le rle de l'Imam ne se limite-t-il pas l'interprtation du Coran ; il doit se ranger au ct de l'opprim et contre l'oppresseur

quel qu'il soit. Toute l'histoire de l'humanit souffrante s'identifie dans labataille de Karbala, et chaque instant de la vie doit tre consacr au triomphede la justice. L'oppresseur, les religieux l'ont clairement dsign avant larvolution de 1979: le chah et sa politique d'occidentalisation, associs auxEtats-Unis et Isral. Leur promesse d'une socit plus juste et moins corrom-

5. ne pas confondre avec l'imam qui est un officiant religieux et dirige la prire dans lesmosques.


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pue leur a aussi permis, outre l'aspect religieux et culturel, de trouver une base

solide chez les plus pauvres des Iraniens.

Tourments par l'imperfection du monde et la perscution injuste, leschiites ont dvelopp un vritable got pour l'abngation et le sacrifice. Le

martyre d'Hussein Karbala est clbr rgulirement tous les 10 du mois de

Moharram, le jour de l'Achoura. Les croyants qui participent cette clbration

vivent pour ainsi dire la passion d'Hussein, symbole de la lutte du Bien et du

Juste, contre le Mal et l'Usurpation, personnifis par Yazid. Le dernier chah

s'est d'ailleurs vu de nombreuses fois compar Yazid, Hussein reprsentantle peuple opprim. L'histoire des douze Imams chiites s'ajoute la tradition

du martyre puisque tous se sont fait assassiner l'exception du dernier qui a

disparu. Cette recherche du martyre associ au triomphe de la justice confreau chiisme une attitude militante6 prsente tout au long de l'histoire contem

poraine iranienne.

Pour beaucoup d'Iraniens, Khomeini s'est confondu avec la personne deHussein, car il a t lui mme perscut par le pouvoir en place. N'oublions

pas que la rvolution clate en dcembre 1978 Thran, et que ce mois

correspond au Moharram cette anne-l, le mois de l'Achoura. Les crmonies

qui se droulent ce jour-l sont impressionnantes, les participants se flagellant

et se frappant pour simuler l'assassinat d'Ali et le massacre d'Hussein, ainsique les perscutions des Imams. La tradition veut que celui qui meurt au cours

de ces clbrations aille directement au paradis. Quand les premiers morts

s'croulent, la foule les considre comme martyrs, ce qui lui donne une force

sans limites pour combattre les forces gouvernementales. Depuis la France,

Khomeini lance le slogan : N'hsitez pas verser votre sang pour protger

l'islam et renverser la tyrannie, quoi la foule rpond : Comme notre Imam

Hussein, nous sommes martyriss7.

Cette tradition du culte du martyre et du paradis est rcupre pour des

fins plus politiques. Combien de fois avons-nous vu les images djeunes gens

partir au front lors de la guerre Iran-Irak en souhaitant la mort qui les

transforme en martyrs l'image d'Hussein et qui peuvent ainsi accder au

paradis. Cette croyance en a fait des combattants redoutables. Pour pouvoir

maintenir l'effort de guerre, le rgime a jou sur ce sentiment religieux, car,

voue au culte du martyre, la population a moins tendance contester le

pouvoir islamique8 sur la poursuite meurtrire de la guerre aprs 1981. Ce

mme got du sacrifice se retrouve lors d'actions suicidaires, notamment au

Liban. Enfin, la fontaine du cimetire de Thran, l'eau rouge rappelant lesang vers par les martyrs de la rvolution ou de la guerre, fait partie de ce

long processus d'identification au martyre d'Hussein pour la juste cause, cause

6. H. ALGAR,Sources et figures de la rvolution islamique en Iran, Le Dbat, 14, juillet-aot1981, p.56.

7. Propos rapports par P. ROCHOT, La grande fivre du monde musulman, Paris, Le Sycomore,1981, p. 31.

8. C. HAGHIGHAT, Iran, la rvolution islamique, Paris, ditions Complexe, 1989, p. 180.


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dont la limite entre le religieux et l'idologie politique au service de l'Etatdevient de plus en plus difficile situer.

B De la tradition chiite au pouvoir politique

Une des forces du chiisme est son aspect de combat permanent, mais c'estaussi une esprance avec l'attente du retour de l'Imam cach, le Mahdi, celuiqui ne doit apparatre qu'au moment o le monde sera sauv du mal avecl'tablissement d'un gouvernement parfait sur le modle de celui du Prophte Mdine. L'occultation du Mahdi et son retour pour l'instauration d'ungouvernement parfait renforce non seulement l'ide d'illgitimit de toutpouvoir, par dfinition imparfait, mais amne le combattre comme un devoir

religieux. Khomeini, en propageant l'ide que le gouvernement doit tre dirigpar des thologiens, en attendant le retour du Mahdi, pour limiter l'imperfection de gouvernements illgitimes en place et guider le peuple, se sert d'unefaon politique de la croyance religieuse :

[...] si l'application des lois islamiques est indispensable, mme aprsMahomet, l'tablissement d'un pouvoir excutif le devient galement,sans quoi une situation d'anarchie s'installerait, accompagne d'une corruption tous les niveaux [...] L'unique solution [...] est bien la mise en

ordre de tous les rouages de la socit par l'apparition d'un gouvernement islamique9.

En ayant vcu 15 ans en exil avant de revenir Thran, Khomeini peutparatre au yeux du peuple comme une sorte d'Imam cach, ou son reprsentant, revenant instaurer la justice. Il emprunte la vision mystique du chiismel'image du guide spirituel absolu, mais nous verrons que la vision mystiquebascule dans la vision temporelle de l'organisation sociale et politique. Bienque se dfendant d'tre le Mahdi attendu, Khomeini laisse entendre qu'ilremplit, comme un rgent, la fonction du douzime Imam, et s'arroge lepouvoir de diriger ses contemporains vers une socit idale qui devient unesocit bien humaine et temporelle, la Rpublique islamique.

Or, l'ide d'un gouvernement dirig par des religieux n'est pas conformeau chiisme duodcimain puisque le gouvernement parfait ne peut tre quel'uvre du Mahdi et que toute forme de gouvernement ne peut tre qu'imparfaite, illgitime et contestable. Le rle des religieux est de guider, de veiller l'application de la loi musulmane, de participer la vie sociale, d'assurer leurindpendance vis--vis de l'tat pour pouvoir le contester, mais non de

gouverner et de diriger politiquement l'tat. En rompant avec la tradition,Khomeini met la religion en danger de se transformer en idologie politique etlui supprime son rle de rgulateur moral et de contestation du pouvoir quelqu'il soit. De plus, en se proclamant unique dtenteur de la vrit, il usurpe lepouvoir rserv aux Imams, au seul Mahdi, au Prophte et Dieu. L'islamprofesse que rien ni personne n'atteint la perfection sur terre, celle-ci tant

9. R. KHOMEINI, Pourun gouvernement islamique, Paris, Fayolle, 1979, p. 27.


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rserve Dieu. Se vouloir dtenteur de la vrit en matire de vision dumonde est un concept idologique, la vrit dans la religion tant rvle parDieu aux hommes par l'intermdiaire d'un prophte.

En se compromettant la tte de l'tat, les religieux qui suivent Khomeiniprennent le risque d'tre critiqus leur tour en tant que gouvernement, paressence illgitime et mauvais. Les religieux, en n'tant plus les gardienscouts et respects, risquent leur tour d'tre contests en cas de dsillusionde la population et d'entraner dans leur chute l'aura de la religion devenueotage de la politique. Le rle historique du shi'isme reste la critique dupouvoir et non la prise du pouvoir. [...] force d'idologisation et de politisationextrme, les valeurs spirituelles dont l'Islam est porteur ne risquent-elles pas

d'tre marginalises10

?Une autre particularit, entre autres, propre aux chiites considrs comme

hrtiques et longtemps perscuts, est la dissimulation de la pense,attitude contre laquelle s'lve Khomeini pour qui cette faon d'agir correspond une sorte d'acceptation passive alors que le croyant, guid par lesreligieux, doit plutt revendiquer ce qu'il considre comme juste et conformeaux prescriptions de sa religion. Khomeini prche la contestation active etl'action nergique et immdiate et s'insurge contre ce qu'il considre commetant de la rsignation, adoptant ainsi une position proche du militantismervolutionnaire.

Ce sont les Safavides qui ont impos le chiisme comme religion d'tat en1501, mais celui-ci n'est devenu majoritaire en Perse qu' la fin du xvie sicle etn'a atteint sa diffusion actuelle qu'au xvme sicle11. Les Safavides ont comprisl'importance du chiisme comme instrument de mobilisation nationale et derestauration d'un Empire persan contre les Ottomans tents de s'tendre l'Est12. Cependant, les Safavides sont rests une dynastie sculire et lesreligieux n'ont pas t installs au pouvoir, ni n'ont cherch le prendre.

La Perse, par ailleurs, s'est vu confronte partir du xixe sicle lapntration conomique et politique occidentale, ce qui a tabli une situationnouvelle engendrant une sorte de traumatisme dans la pense musulmane etdans l'action des croyants. Insult par la monarchie plusieurs reprises, leclerg ragit fortement et s'intresse davantage au monde contemporain, etaux courants idologiques, philosophiques et conomiques modernes, conformment la voie trace au xixe sicle par le rformateur al-fghani13. C'estd'ailleurs essentiellement partir du xixe sicle que les religieux s'agitent

politiquement et prennent partie pour des ides qu'ils ne comprennent pastoujours. En effet, de nouveaux concepts accompagnent la pntration occidentale et provoquent des interrogations jusque-l ignores comme la monar-

10. M-R. DJALILI, Religion etrvolution, l'Islam shi'ite etl'tat, Paris, Economica, 1981, pp. 56 et 63.11. J-P. DIGARD, Shi'isme et tat en Iran, in O. CARR, L'Islam etl'tat dans le monde d'aujourd'hui,

Paris, PUF, 1982, p. 67.12. A. TAHRI, Khomeiny, Paris, Balland, 1985, p. 182.13. P. BALTA, et C. RULLEAU, L'Iran insurg, Paris, Sindbad, 1979, p. 151.


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chie parlementaire ou le nationalisme. Ainsi, les religieux vont par exemplesoutenir la constitution en 1906, de modle britannique, ou le nationalismede Mossadegh, un nationalisme acquis au lacisme, plus pour lutter contre la

monarchie hostile leur gard que par conviction du bien-fond deces nouveaux courants. En voulant renverser une monarchie juge tropoccidentalise, les religieux se trouvent dans la situation contradictoire d'utiliser des armes politiques occidentales qui risquent de se retourner contre eux tout moment. En effet, soutenir une constitution signifie que le Coran neconstitue plus l'unique fondement de l'tat et puisque les lois sont dans leCoran, laisser des reprsentants du peuple lgifrer dans le cadre d'unemonarchie parlementaire est totalement hrtique. Ce danger sera vinc parKhomeini dans sa conception du gouvernement islamique sans pour autantrestituer au Coran son rle de livre sacr au-dessus du combat politique.

II - L'idologie de Khomeini

Le gouvernement islamique se prsente sous la forme de sparation despouvoirs : le Parlement islamique, le Majlis, constitue le lgislatif et est compos de 270 dputs lus pour quatre ans au suffrage universel, un Conseilsuprieur de la justice compos de cinq membres forme le judiciaire, et un

Prsident de la Rpublique lu au suffrage universel pour quatre ans reprsente l'excutif. N'en dduisons pas pour autant que la Rpublique islamiquefonctionne comme une dmocratie parlementaire occidentale. Le Parlementest sous le contrle d'un Conseil de Surveillance compos de six juristes et desix ulmas, tous dsigns par l'Imam Khomeini, le Conseil de Justice est placsous le contrle d'un Conseil suprieur de la Justice, et le Prsident de laRpublique rpond au Guide de la Rvolution, Khomeini14. Si l'on ajoute cesinstitutions le Conseil de direction attribu au Guide suprme ainsi que lesGardiens de la Rvolution islamique, les Pasdarans, cette rpublique possde

des aspects qui lui sont tout fait propres et dont le vocabulaire politique,emprunt aux institutions occidentales, rpond nanmoins une conceptionparticulire de l'ide de gouvernement.

A Le vilayat al-faqih

Pour bien saisir ce type de gouvernement et l'idologie qui se met enplace, il faut commencer par comprendre ce qu'est un gouvernement islamique de type khomeiniste. La base de ce gouvernement repose sur la concep

tion de Khomeini du vilayat al-faqih. Le faqih, c'est le lgislateur, le juristespcialiste du feqh, la connaissance de la Loi divine, et le vilayat al-faqih, c'estle fait d'interprter la Loi divine, d'en tre le gardien, et de veiller sonapplication jusqu'au retour de l'Imam cach : en d'autres mots, c'est exercer lepouvoir du lgislateur. partir de ce principe, Khomeini labore un gouvernement dpendant entirement du faqih et bti sur une hirarchisation par-

14. Regards sur la Rpublique Islamique d'Iran, ministre des Affaires trangres de la RpubliqueIslamique d'Iran, pp.56 -57.


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12 Edwige DURAND

tant de Dieu. Le principe est le suivant: Dieu a rvl la Loi au Prophte et

celle-ci est explique dans le Coran et par le Prophte. Or, Dieu a ordonn

d'obir au Prophte, puis aux Imams qui transmettent sa Loi. Par ailleurs, le

faqih connat la Loi et veille sur Elle, mandat en quelque sorte par Dieu. Legouvernement doit donc couter le faqih et devient alors le gouvernement de

la Loi, qui est un ordre de Dieu, et doit rgner de faon absolue sur tous15. Le

Coran et la tradition, la Sunna, contiennent toutes les lois ncessaires pour le

bonheur et la perfection de l'homme16. La Loi est valable pour tous les temps

et tous les hommes, et son application est ncessaire. C'est pourquoi

aujourd'hui et jusqu' la fin des temps, il sera indispensable qu'un imam veille

sur l'ordre et les lois islamiques17.

Selon Khomeini, il n'est pas logique que Dieu ait abandonn son peuplesans un guide18. Le peuple, qui est imparfait, a besoin d'un exemple parfait.

Puisque le gouvernement islamique est le gouvernement de la Loi, l'autorit

qui a la charge de l'application de cette Loi doit tre un vritable juriste, et

l'excutif lui est subordonn. Par essence, les lois sociales ncessitent des

hommes pour les excuter [...] Dans l'Islam, l'Imam est galement charg de

l'excutif19. Cependant, tant donn l'occultation du douzime Imam, com

ment s'assurer de l'application de la Loi en attendant son retour ? La rponse

devient vidente: par l'instauration d'un gouvernement islamique sous le

contrle du faqih et guid par l'Imam, devenant une seule et mme personne,c'est--dire par Khomeini. Celui qui conteste ce gouvernement nie la ncessit

de l'application de la Loi, son universalit et l'ternit de l'islam20, donc

dsobit Dieu et au Prophte et est coupable, s'il est musulman, d'apostasie.

On peut reprocher cette conception une sorte d'infaillibilit du faqih

qui risque de conduire la totalitarisation politique. Pour asseoir l'autorit du

faqih, on assiste une confusion entretenue entre la Charia (la Loi) et les

hadiths (paroles du Prophte) toutes deux d'obdience divine, donc idal

moral et religieux immuable, et le fiqh, qui n'est que jurisprudence adaptableet modifiable, donc du domaine du temporel puisque que fait par les hom

mes21. Cette confusion est loin d'tre anodine, car, en fait, elle vhicule la

justification d'une version politique et morcele du tout que constitue l'islam,

lui enlevant ainsi son caractre religieux, soit la misricorde, la tolrance, et

tout le ct spirituel. Bien que Khomeini prcise que le gouvernement islami

que n'est pas despotique mais constitutionnel, pas au sens occidental du

terme, mais au sens o les dirigeants sont tenus un ensemble de conditions

dfinies dans le Coran et dans la Sunna du Prophte en ce qui concerne

l'excutif et l'administration22, l'autoritarisme total du Guide est assez claire-

15. R. KHOMEINI, Pour un gouvernement islamique, op. cit., p. 44.

16. lbid., p. 29.

17. lbid., p. 40.

18. Ibid., p. 38.

19. lbid., p. 26.

20. lbid., p. 28.

21. M. AL-ASHMAWY, L'islamisme contre l'islam, Paris, La Dcouverte, 1989, pp. 11 -2 9.

22. R. KHOMEINI, Pour un gouvernement islamique, op. cit., p. 43.


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ment dfini. Les conditions dfinies tant les lois islamiques et le lgislateur

suprme tant Dieu, et sur terre son reprsentant, le faqih, personne ne peut

mettre d'autres lois. Tout est donc subordonn au seul lgislateur. Le parle

ment, qui ne peut lgifrer, ne doit que confirmer la loi telle qu'interprte par

le faqih. La Constitution iranienne est d'ailleurs prcise sur le sujet de l'auto

rit:

[...] sous la direction de la Haute Autorit de l'Ayatollah Ozma Imam

Khomeini [...] Assurer les liberts politiques et sociales dans les limites de

la loi [...] En l'absence de l'Imam du Temps [...] la gestion et l'Imamat des

Croyants est la charge d'un docteur du dogme juste, vertueux, au

courant de l'volution de l'poque, courageux, efficace et habile, qui est

accept comme guide par la majorit du peuple. [...] Les pouvoirs souverains dans la Rpublique Islamique sont le pouvoir lgislatif, le pouvoir

excutif et le pouvoir judiciaire placs sous le contrle de l'autorit de

l'Imamat sur la communaut23.

L'excutif doit donc se conformer aux dcisions du lgislateur suprme,

ce qui apparat comme une ralit autoritaire, et tout est fait pour que cette

autorit soit difficilement contestable parce qu'il lui est donn un aspect sacr.

En effet, l'autorit suprme c'est le Logos, la Parole divine, car le Coran est,

pour le croyant, la Parole mme de Dieu, donc le Logos. Si l'on croit que leCoran est le Logos, il est difficile de ne pas tre d'accord sur son application24,

mme si on le transforme en Loi et si cette Loi a subi des interprtations

multiples au cours des sicles. Khomeini privilgie sa propre interprtation du

droit et veut instaurer une Logocratie fonde sur la Parole, devenue la Loi

divine. Tout autre gouvernement qui n'applique pas la Loi est corrompu et

anti-islamique parce qu'il exerce ses fonctions en dehors de la lgitimit

canonique, alors que le gouvernement islamique ne fait qu'appliquer la Parole

divine, et que l'on peut difficilement accuser Dieu d'tre despote, d'o la

considration que le gouvernement islamique n'est pas despotique. Le grandproblme du gouvernement islamique khomeiniste, c'est que le Logos est

avant tout un concept spirituel et divin, alors que le lgislateur va faire face

une application concrte qui ne concerne pas seulement l'interprtation de la

Parole, mais aussi le politique, le social et l'conomique. Aussi, plus que

thocratie, pouvoir considr comme venant de Dieu et exerc par ceux

investis de son autorit, hirocratie, pouvoir venant du sacr, ou logocratie,

pouvoir au nom du Verbe, le rgime se dirige malgr lui vers l'autocratie,

autorit du faqih, puis vers le totalitarisme idologique rejetant tout ce qui

n'est pas conforme, non pas l'islam, mais l'idologie de l'islamisme.

Quelles sont alors les qualits requises pour tre le faqih, chef du gouver

nement islamique pendant l'Occultation ? D'abord connatre la Loi et avoir le

sens de la justice, puisque le faqih juste est le vritable successeur des

23 . Constitution de la Rpublique Islamique de l'Iran, premier, troisime (7), cinquime et cin

quante-septime principes. Voir aussi cent-septime principe non cit.

24. J-P. CHARNAY, Les socit musulmanes face au dfi de la modernit, Table ronde au xiv*

Congrs international de I'AISLF, Lyon, France, 10 juillet 1992.


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prophtes25 , tre pur, vertueux, digne de confiance et dsintress des biensde ce monde. Il n'est pas raisonnable de faire une diffrence entre le Prophte, l'Imam et le faqih26. Sans le faqih, l'islam est condamn disparatre

puisqu'il est gardien de la foi et de la Loi. Pour assurer le succs de sa mission,il doit se doter des pleins pouvoirs et ne pas hsiter se sacrifier commeHussein mort pour l'islam. Magistrat suprme, il devient la Loi et le peuple estsous sa protection. Le peuple et les musulmans sont libres l'intrieur ducercle des rglements de la Loi divine, c'est--dire qu'aprs avoir agi enconformit avec ceux-ci27. Il y a donc condition pour la libert du peuple. Legouvernement islamique affiche sa forme idologique totalitaire et non pasreligieuse, et le Logos s'efface derrire l'initiative personnelle de l'interprtation du Coran. On est loin du compromis de 1906 laissant aux religieux undroit de regard sur la constitution, mais n'exerant pas le pouvoir politiqueproprement dit. Or, si dans la religion, la soumission Dieu se faitvolontairement et avec amour par chacun, dans l'idologie politique, toutesoumission devient contrainte pour tous impose par la volont d'un seul.

On comprend qu'une partie du clerg ait t choque de la libertd'interprtation de Khomeini du chiisme. Le devoir traditionnel des religieuxdans le chiisme est de veiller au respect des principes de l'islam et l'application de la Loi, mais sans se compromettre dans la direction du pouvoir, celui-

ci revenant un souverain temporel, car, impliquer la religion dans l'exercicedirect du pouvoir la rend vulnrable, et pire, sculire, tant donn qu'elleprend le risque de s'abaisser au compromis politique. L'interprtation deKhomeini du gouvernement islamique verse, par consquent, dans un aspectcontraire au chiisme. L'ide du vilayat-el-faqih est considre comme uneinterprtation personnelle de Khomeini cherchant en faire une loi religieusede source divine, mais qui sert essentiellement lgitimer le pouvoir absoludu clerg sur les affaires de l'tat.

B Gouvernement clrical et interprtation personnelle

Il semble intressant, avant de poursuivre, d'examiner comment se compose le clerg chiite iranien qui se divise en deux tendances : pour ou contreun gouvernement islamique. Il sera plus ais alors de voir comment l'idologieislamiste de Khomeini cherche des racines dans le chiisme tout en le contredisant. Au sommet du clerg se trouvent les mujtahids, c'est--dire ceux quiaspirent l'ijtihad, l'approfondissement de la foi, et qui sont aptes interpr

ter la Loi divine. Aux plus savants d'entre eux est accord le titre d'ayatollah,celui qui est le signe de Dieu. Cependant, aucun mujtahid n'est considrcomme infaillible dans l'interprtation de la Loi28. Aussi, quand Khomeini sepose en chef incontestable de l'interprtation et de l'application de la Loi,

25. R. KHOMEINI, Pour un gouvernement islamique, op. cit., p. 58.26. Ibid., p. 53.27. Ibid., p. 67.28. E. HOOGLUND, Social origins of the revolutionary clergy, in N. KEDDIE et E. HOOGLUND, The

Iranian Rvolution and the Islamic Republic, New York, Syracuse University Press, 1986, p 75 .


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certains le considrent comme outrepassant les droits accords par le chiismeet comme un hrtique. Seuls les onze Imams jouissent d'une rputationd'infaillibilit. En se prsentant comme un Imam intrimaire en attendant leretour du Madih, Khomeini profite d'une confusion dans l'esprit populaire, etfait accepter une conception que la religion lui refuse. 11 ne se prsente pascomme le Madih, ce qui serait hautement sacrilge, mais, se servant dusymbolisme du chiisme, se laisse percevoir comme un perscut et un justicier, poursuivi par un pouvoir temporel arbitraire et illgitime, la monarchie.Sorti vainqueur, il est, par consquent, estim tre comme un juste dtenteurde la vrit, comme un Imam.

Khomeini joue aussi avec le message messianique du Mahdi qui doit

instaurer sur terre le gouvernement parfait et une socit juste, ce qui luipermet d'tre accept par la grande majorit du peuple comme un vritablesauveur qui a dlivr l'Iran du chah, compar Yazid, mal absolu chez leschiites. Quant Hussein, il perd son caractre mystique du juste sacrifi pourdevenir essentiellement un combattant et un militant justifiant la rvoltearme contre les rgimes considrs comme usurpateurs29. Ali portait casque, cuirasse et sabre. De mme Hassan, Hossein [...] aujourd'hui on nous ditque si nous voulons instituer un gouvernement islamique, il faudra que nousgardions notre turban et notre robe, sinon nous aurons agi contre la justice30 !

Le spirituel et le religieux se trouvent ainsi vacus et perdent toute leursymbolique pour justifier une idologie rvolutionnaire. D'autre part, aucunayatollah n'a de primaut sur un autre, la tradition acceptant plusieurs coles.C'est donc presque un schisme qui s'tablit parmi le haut clerg. Quant auxmollahs, ils sont en majorit favorables Khomeini, celui-ci leur redonnantune place prpondrante et respecte dans la socit et dans l'tat, placefortement menace sous les Pahlavis.

La conception d'un gouvernement clrical est donc tout fait nouvelle

dans l'histoire du chiisme et incompatible avec la tradition religieuse qui veutque tout gouvernement soit imparfait, et que le rle du clerg se borne veiller la bonne application de l'islam. En mettant le clerg en premireligne, Khomeini lui enlve son rle religieux et le transforme en parti politiquecompos de militants politiques. When Ayatollah Beheshti first establishedthe IRP, it appeared as ifIran was obtaining its own clrical version of a highlystructured and disciplined communist party with its politburo, centralcommittee, chairman, first secretary, and so on31. Par ailleurs, il y a unautre risque contraire la tradition: que les titres religieux ne soient plus

accords sur la connaissance thologique et la sagesse, mais sur la fidlitpolitique, si bien que la charge si importante de l'interprtation de la Loidivine et de guide du peuple peut se retrouver entre les mains de religieuxplus proches de la politique que de la mystique religieuse. C'est ainsi que ladsignation de l'ayatollah Montazeri comme successeur de Khomeini, en

29. N. KEDDIE, IS Schi'ism revolutionary?, in N. KEDDIE et E. HOOGLUND, op. cit., p. 113-122.

30. R. KHOMEINI, Pourun gouvernement islamique, op. cit., p. 19.31. E. ABRAHAMIAN, in N. KEDDIE et E. HOOGLUND, op. cit., p 84.


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1985, a provoqu des remous, celui-ci tant considr par une partie de sespairs comme pas assez religieux, et par d'autres comme trop pragmatique enmatire de politique32. De plus, accepter une interprtation de la Loi divine

d'un ayatollah plus que celle d'un autre remet en cause le principe admis queles ayatollahs vivants ont prsance sur ceux qui sont morts, et admettre uneseule interprtation dfinitive dfendue en plus par un successeur et excute par un gouvernement se rvle contraire au chiisme pour lequel plusieurscoles peuvent coexister outre le fait que tout gouvernement est imparfait. Onpeut aisment comprendre les problmes devant lesquels se sont trouvsconfronts les religieux dsirant rester fidles non seulement au chiisme, maisaussi au rle fondamental de la religion.

C Guide religieux chiite ou chef politique radical

Ce type de gouvernement, sous le contrle d'un Guide, entrane unvritable culte de la personnalit accompagn d'une intensive propagande.Khomeini possde le profil du leader charismatique qui prche une idologieradicale s'inspirant d'un message messianique. Il commence par s'adresserd'abord un groupe constitu de talabehs, c'est--dire d'tudiants en thologie aspirant devenir mollahs, puis progressivement le message se politise

mesure que le groupe dpasse le stade des disciples pour s'largir en un vastemouvement regroupant l'opposition la monarchie. Khomeini cristallise ainsiautour de sa personne toutes les oppositions, s'autorise interprter le Coran,ce qui est normal dans la tradition chiite, mais impose sa propre interprtationaux dpens des autres, ce qui est moins normal, puis il n'hsite pas utiliser lapropagande pour propager son idologie islamique et recommande vivementcette mthode :

Tablighat (ideology-oriented publicity work) is not the task solely of theMinistry ofGuidance, but of ail scholars, public speakers, writers andartists. The Foreign Ministry must do its best to ensure that our embassiesabroad will hve ideology-oriented publicity periodicals to unveil thebrilliant visage ofIslam33 [...]

Khomeini a d'ailleurs de l'exprience en matire de propagande puisque,lors de son exil, il accorde de multiples entrevues, recueille des dons, crit, etsurtout parle aux Iraniens par l'intermdiaire de cassettes qui ont un impactextraordinaire. Quand, dans la nuit du 27 novembre 1979, la population deThran est persuade d'avoir vu apparatre son visage dans la pleine lune34 ,

Khomeini ne publie aucun dmenti, bien que cet vnement soit plus prs del'idoltrie populaire et de l'hallucination collective que de l'islam pur. Ildevient rapidement le reprsentant de l'Imam cach, le rgent de l'Imamat enattendant l'instauration du gouvernement parfait, une sorte de Madih par

32. Khomeini cartera d'ailleurs lui-mme Montazeri de sa succession en mars 1989 pourmanque de zle islamiste et sympathie pour le camp des pragmatiques.

33. R. KHOMEINI, mam's jinal discourse, Tehran, Ministry ofIslamic Guidance, 1984, p. 43.34. A. TAHRI, op. cit., pp . 252-253.


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intrim. Il est dans le coeur des masses populaires l'Imam, dans le sens deguide mais aussi de sauveur. Il est le chef incontest et incontestable. Cetteimage est d'ailleurs largement entretenue par la propagande gouvernementale

diffuse aussi bien en Iran qu' l'tranger :

[...] les masses populaires musulmanes lui (Khomeini) ont attribu par lasuite spontanment et d'un libre choix le titre d'Imam pour insister surl'importance historique de l'Imam Khomeini en tant que chef. C'est lepremier cas o l'on attribue le titre d'Imam un chef religieux en Iran,depuis la disparition du dernier Imam pur35.

Ses portraits sont promens lors des manifestations, prsents dans leslieux publics, les lieux de travail, les coles comme dans les foyers. Les titres

qui lui sont donns et ce culte de la personnalit, que des religieux qualifientde sacrilge parce qu'ils amnent une sorte d'idoltrie, est assez typique desqualificatifs attribus aux chefs idologiques des rvolutions. Quant aux multiples portraits, il suffit de nous remmorer les impressionnants dfils communistes pour nous rendre compte que ce type d'action est plus proche del'idologie que du comportement religieux. En agissant ainsi, Khomeini accepte le risque que la rvolution fasse passer Dieu au second plan, le premiertant attribu son reprsentant.

On assiste aussi un phnomne d'identification avec les peuples opprims quels qu'ils soient, ce qui amne Khomeini, dans la plupart de sesdiscours, dnoncer l'exploitation du Tiers monde par les grandes puissances,notamment les tats-Unis. Les peuples combattant pour leur libration, c'estlui, nouvel Hussein rdempteur non pas par la mystique du sacrifice, maisplus par l'appel bien rel la rvolte arme : You Moslems of the world, it isnow time for you to arise and dfend Islam [...] We support ail the oppressednations. This is a duty [...] we will triumph over the enemies of humanity36.

Cependant, tablir une nouvelle forme de gouvernement, mme si elleest ardemment souhaite par une majorit de la population et que tous lesmoyens soient employs pour son instauration, ne peut satisfaire tout lemonde et conduit automatiquement une critique, mme mineure, pouvantdevenir contestation en cas d'chec de la ralisation des attentes espres.N'oublions pas que la rvolution a triomph grce un consensus de forcesassez disparates qui s'est tabli autour de la personne de Khomeini contre lechah, et rassemblant des tendances aussi diverses que les religieux, les nationalistes, les communistes du Toudeh, les Moudjahedines, les Feddayins, ainsi

que les tudiants, le proltariat urbain, les intellectuels, et mme des personnes de la classe dirigeante. Une fois la monarchie renverse, Khomeini se posecomme chef incontestable et tablit son gouvernement. Mais, si la religion aun caractre messianique porteur d'espoir qui la rend indestructible, ungouvernement est porteur de la vulnrabilit des institutions humaines tou-

35. La chute de la base de fourberie, diffus par l'ambassade d'Iran, p. 36.36. R. KHOMEINI, Discours du 25 novembre 1979, Selectedmessages andspeeches ojlmam Khomeini,

The Ministry of National Guidance, Tehran, pp. 80-81.


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jours en risque d'chec, ou alors il refuse sa vulnrabilit et devient totalitaireen obligeant ses administrs lui reconnatre une sorte de non-responsabilitquels que soient les vnements qui se produisent. Nombre de partis de

gauche ou nationalistes, une fois la monarchie renverse, entendent bien faireentendre leur voix et raliser leurs propres aspirations. Mme au sein dumouvement islamiste plusieurs tendances se dessinent, mais le PRI et lespartisans de Khomeini n'entendent pas lcher du lest au profit d'une quelconque tendance, car la tolrance de l'islam s'est perdue dans l'infaillibilit del'idologie islamiste.

Nombre des forces qui ont particip la rvolution vont commencer secombattre et, en 1981, malgr la guerre avec l'Irak, l'Iran connat un climat

intrieur proche de la guerre civile. Pourtant, Khomeini a su faire les compromis ncessaires avant de russir monopoliser le pouvoir. Si Bazargan estnomm Premier ministre et Bani Sadr Prsident de la Rpublique, c'est pourrassurer les nationalistes, la bourgeoisie, les modrs, les libraux et les paysoccidentaux en donnant une image de remise en ordre de l'tat. C'est partirdes lections lgislatives de 1980, donnant la victoire au PRI, que le clergprend peu peu toutes les commandes de l'tat, sonnant ainsi la fin d'undbut de multipartisme qu'il a laiss entrevoir. On assiste alors une opposition de plus en plus srieuse des principaux courants qui vont se dresser

contre les pleins pouvoirs que se fait donner Khomeini comme faqih .

Une partie du clerg s'oppose Khomeini. Ainsi, l'ayatollah Shariamadari,grande figure religieuse iranienne, se dissocie de la violence politique, ets'oppose l'intervention des religieux dans la direction de l'tat37. L'ayatollahTalequani refuse la dictature qu'il considre comme une forme d'idoltrie etcontraire au principe premier de l'islam38. Nous n'entrerons pas dans lesdtails des querelles des ayatollahs, fort complexes. Cependant, il est remarquer que le bas clerg est plus nombreux soutenir Khomeini que le haut

clerg, et que les opposants sont rapidement carts.Les nationalistes, les libraux et les modrs sont touchs travers

Bazargan qui se heurte aux lments les plus extrmistes de la rvolution.Nomm le 5 fvrier 1979, il dmissionne le 6 novembre de la mme anne.Quant Bani Sadr, bien que croyant et ayant une vision tiersmondiste rapporte de Paris o il.a vcu les vnements de mai 1968, il refuse la prise dupouvoir par le clerg et s'oppose lui pendant l'affaire des otages amricains.Pour lui, personne ne peut tre le reprsentant de Dieu et le pouvoir politiquedoit tre exerc par des lacs, et il appelle le peuple rsister en juin 1981avant de s'enfuir en France en juillet. Les Moudjahedines, un autre groupeayant particip activement la rvolution, s'opposent Khomeini qu'ilsconsidrent comme un usurpateur ayant confisqu la victoire de la rvolution son profit. Leur opposition commence avec le refus de la constitutionsubordonne au pouvoir du faqih, et, aprs une priode de coopration, ils

37. C. HAGHIGHAT, op. cit., p. 34.

38. E. MORTIMER, Saith and Power, the Politics ofIslam, London, Faber, 1982, p. 333.


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appellent, en juin 1981, au renversement du Guide. C'est ainsi qu'une luttefroce les oppose aux forces gouvernementales, et que les arrestations et lesexcutions vont aller en croissant. Leur chef, Rajavi, s'enfuit en France en

compagnie de Bani Sadr. Les Moudjahedines, surtout composs de jeunesgens, sont attachs l'idologie d'Ali Shariati qui voulait rformer l'islam dansle sens d'un systme galitaire sans distinction de classe. L'idologie deShariati a beaucoup influenc la rvolution iranienne, et son impact est tel surla jeunesse tudiante que ses publications resteront en vente en Iran. La visionde Khomeini est plus hirarchique et divise la socit dans laquelle chacun aun rle bien prcis, mais son discours sur le monde divis en oppresseurs etopprims, ces derniers devant tre protgs par le gouvernement islamique

qui doit s'internationaliser, est trs proche de Shariati. Nous avons le devoirde dfendre les opprims et de combattre les oppresseurs39 est une ide fortede l'idologie de Khomeini et se retrouve dans nombre de ses discours et deses crits. Quant aux communistes du Toudeh, considrs comme infods Moscou et athes, il sont pourchasss et le parti dissous en mai 1983.

D Radicalisme, panislamisme et Occident

Contest, le gouvernement islamique se trouve devant deux choix: ac

cepter des compromis avec ses ex-allis ou se radicaliser et combattre touteforme d'opposition. Son intransigeance le conduit prendre la deuxime voie. partir de 1983, le ton se durcit encore plus et les arrestations se multiplient.La rpression prend alors le visage de l'intraitable Khalkhali, rapidementsurnomm le Fouquier-Tinville iranien.

Pour faire fonctionner l'tat islamique, et faire de la socit un seul blocconforme la loi islamique concentre entre ses mains, Khomeini se doit defaire contrler non seulement les institutions d'tat, mais galement la socitcivile. C'est la radicalisation propre aux rvolutions porteuses d'une idologie,l'islam en tant que religion ne portant pas en lui de radicalisme. C'est ainsi queles pasdarans, devenus une vritable milice, se chargent dsormais de contrler les universits, les coles, les lieux publics et mme les individus, afin devrifier si tout un chacun se conforme la loi islamique telle que dfinie parl'tat. La rvolution du peuple se trouve confisque au profit de militantsidologiques. C'est la purification, ou plutt la priode des purges, appelesaussi rformes. L'ducation est particulirement surveille o livres et professeurs doivent correspondre dornavant aux aspirations et aux objectifs d'une

socit vritablement et firement rvolutionnaire

40

. Publications, presse,radio et tlvision sont galement au service de la rvolution :

[...] now that the universities and teaching collges are being reformedwith an acadmie and administrative purge [...] anywhere we shouldhappen to encounter a symptom of dviation we should try to rectify it asspeedely as we can [...] But most important of ail are our theological

39. R. KHOMEINI, Pour un gouvernement islamique, op. cit., p. 37.40. Regards sur la Rpublique islamique d'Iran, op. cit., p. 78.


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schools in which the purge must be carried out with the joint effort of our

respectable theological teachers and senior scholars and with the approval

of religious authorities of the time41.

La religion quitte ainsi le domaine du sacr et du coeur de l'homme pour

tre transforme en doctrine enseigne par des idologues portant l'habit

religieux, mais en contradiction avec l'islam chiite admettant plusieurs coles

de pense, comme avec la tolrance et la misricorde du divin. Afin que

l'islamisme soit pratiqu avec ferveur, une vritable rvolution permanente

est instaure, dment contrle par les lments les plus extrmistes et les

plus militants. Ces militants, qui ne craignent pas la mort, identifient leur

cause celle d'Hussein et se qualifient volontiers de martyrs de la rvolution ;

mais ils n'hsitent pas tuer au nom du mme Hussein qui perd ainsi sonaspect mystique du juste martyr de l'oppression et du perscut, et prfrant

la mort la victoire par les armes. Le culte du martyre va devenir une vritable

idologie pour la cause de la victoire de l'islamisme, emprunt au dsir

religieux purificateur du chiisme : We are people who cherish martyrdom.

Our people dsire martyrdom. [...] Our people consider martyrdom to be an

honor42 [...] Cette recherche du martyre va tre utilise non pas des fins

spirituelles, mais pour le recrutement de combattants volontaires lors de la

guerre avec l'Irak, pour appeler les peuples se soulever contre leur gouverne

ment et adopter la voie de l'islamisme, et galement pour inciter des jeunesgens se sacrifier lors d'actes terroristes. La mort est reue lors du jihad qui

n'est plus la lutte avec soi-mme pour arriver au dpassement de soi, mais est

confondu avec toute guerre d'indpendance ou rvolutionnaire et devient

ainsi une vritable lutte arme dfensive ou agressive contraire au principe de

la religion avant tout source de vie43.

Le panislamisme de Khomeini, confondu avec l'exportation de sa rvolu

tion, est, avec le rejet de l'influence occidentale, le coeur de son idologie. Il

est galement indissociable du rejet de l'Est comme de l'Ouest, exploiteurs etoppresseurs des peuples du Tiers monde, au profit d'une autre voie, et rejoint

ainsi le tiersmondisme tout en privilgiant la solution islamique: L'Islam est

la religion de ceux [...] qui rclament la libert et l'indpendance. Il est l'cole

des combattants du colonialisme44. La Constitution iranienne confirme dans

son prambule que la rvolution est un mouvement pour la victoire de tous

les dshrits sur les puissants, et que l'Iran se doit de dployer ses efforts

pour]...] renforcer la lutte engage pour la dlivrance des peuples dmunis et

opprims dans le monde entier45. Khomeini souhaite regrouper sous sa

bannire les pays du Tiers monde, en commenant par les pays musulmans,mais en ne se limitant pas eux. Il veut exporter la rvolution et se faire le

41. R. KHOMEINI, Imam'sfinal discourse, op. cit., pp. 33 et 40.42. R. KHOMEINI, Discours du 22 novembre 1979, op. cit., p.77.43. Voir notamment Ayatollah Mutahhari, Jihad, Tehran, Islamic Propagation Organization,

1985, o Fauteur cherche justifier la lutte arme par le Coran.44. fyid., p. 10.45. Constitution de la Rpublique Islamique de l'Iran, prambule.


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champion d'une rvolution culturelle permanente devenant idologie de la

libration, chassant tout ce qui peut rappeler l'Occident et retournant, non pas

aux sources culturelles et religieuses de chacun, mais aux sources de l'islam

primitif, modle universel et juste :

Le droit islamique est progressiste, perfectionniste, universel.!...] Les

peuples opprims ont beau s'efforcer de se librer de la mainmise de

dirigeants pillards, dans l'espoir d'accder une vie meilleure, ils sont

freins dans leur lan par les minorits au pouvoir et leurs appareils

gouvernementaux46 [...] You Moslems and deprived people of the world,

give your hands to each other [...] trust in Islam and revolt against the

arrogant and the oppressors of the right of the people [...] Islamic

countries must dfend ail freedom organization of the world47

.Cependant, en agissant ainsi, Khomeini adopte les armes de ses ennemis,

les puissances occidentales, puisque le modle d'universalisation de la pense

et de la globalisation des modes de vie, par le renversement des gouverne

ments rcalcitrants s'il le faut, est une des caractristiques des principales

idologies occidentales: le fascisme, le communisme et le capitalisme libral.

Khomeini ne libre pas, il impose, et lance de vritables appels la rvolte :

Les colonialistes, en plus de leur domination politique sur certains

peuples [...] ont divis le monde en deux: les oppresseurs et les opprims. [...] Nous avons le devoir de faire sortir de leur oppression et leur

dnuement ces populations dfavorises48 [...] You must stand fearless

against your enemies whether they be America, International Zionism or

Eastern or Western super-powers. [...] Eastern and Western super-powers

are plundering both our material and spiritual benefits. They are keeping

ail of us in poverty. They are trying to make us politically, economically,

culturally and military dpendant upon them. Ail deprived people of the

world, arise ! Rise and unit. Push the oppressors off the stage [...] Arise

in revolt and rescue yourselves from the claws ofthe enemies of humanity.Do not continue to submit to injustice, for God will aid the oppressed49.

Nous avons vu que Khomeini a une interprtation personnelle et politi

que de la Loi. Mais il situe sa vision et son message dans son temps, c'est--

dire la guerre froide qui divise le monde suivant deux ples. Ni Est, ni

Ouest est, depuis Bandoeng, le slogan favori des pays non-aligns. Khomeini

reprend ces ides politiques contemporaines et agit comme un chef politique

dtermin mener une action politique immdiate. Il s'loigne de la religion

qui, en dehors de son aspect sacr, adresse son message pour l'ternit, et nonpour rsoudre un problme politique immdiat. Sa haine des systmes occi

dentaux se situe dans la continuation de la lutte anti-colonialiste du rforma-

46 . R. KHOMEINI, Pourun gouvernement islamique, op. cit., pp. 13 et 36.

47 . R. KHOMEINI, Discours du 31 octobre 1979 et du 3 novembre 1979, op. cit. pp.44 et 47.

48 . R. KHOMEINI, Pourun gouvernement islamique, op. cit., pp. 36 et 37.

49 . R. KHOMEINI, Discours du 24 septembre 1979, du 23 dcembre 1979 et du 6 janvier 1980,

op. cit., pp. 41, 83 et 90.


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teur al-Afghani50, ne de la confrontation avec les puissances coloniales du xixe

sicle, et il appelle la rvolution avec ds termes plus proches d'une termino

logie marxiste occidentale que du Coran: Oh you impoverished masses of

the world ! Arise in revolt and rescue yourselves from the claws ofthe enemiesof humanity. Do not continue to submit to injustice, for God will aid the

oppressed51. Dans son testament, on retrouve cette obsession de la libration

politique, conomique et culturelle des peuples du Tiers monde des grandes

puissances, qu'il se plat appeler devouring powers, et des gouvernements

locaux leur service :

My last word to Muslims and oppressed masses of the world is : You

should not sit back and expect to be gifted with indpendance and

freedom by the people at the helm ofyour country or by the foreignpowers [...] those governments (local ones) hve either tyrannized and

strangulated their own people [...] or hve been puppet governments of

the big powers52 [...]

Il faut dire que Khomeini a vcu lui-mme une bonne partie de ce xxe

sicle pendant lequel l'Iran s'est retrouv pour ainsi dire colonis par les

puissances occidentales, et il s'en souvient :

I can remember the two world wars [...] At that time [...] I saw Russian

soldiers where I lived in Khomein. We had been invaded by them at thattime. Some of you may recall the Second World War in which we were

invaded by three powers: American, British, and Soviet troops were

spread throughout Iran [...] When Britain and the U.S. had direct

involvement in this country, we were left with virtually nothing. We were

alienated from our culture [...] Ail projects were designed by foreigners53.

L'idologie islamiste, se base sur le principe de l'universalit. Hors de

l'islamisme, point de salut pour les hommes de cette terre. Jusqu' sa mort,

Khomeini soutiendra cette thse : What I need to remind everyone hre is

that my politico-religious testament is not written solely for the noble people

of Iran, but it is an advice for ail Muslim nations as well as the oppressed

people ofthe world, regardless ofnationality and creed54. L'homme islamiste

doit retourner aux sources du Coran, dvoy tout au long des sicles par un

clerg ignorant ou par des politiciens le voulant leur service.

The more dviant institutions endured, the greater become the dviations

and distorsions to the point that the Holy Qur'an [...] was misused by

tyrannical government and by the more wicked preachers [...] And

50. Al-Afghani prchait un retour l'islam pur en gardant ses valeurs tout en empruntant

l'Occident sa technologie. Il ne tire donc pas un trait sur la civilisation occidentale, mais veut

en utiliser les armes trs consciemment.

51. R. KHOMEINI, Discours du 6 janvier 1980, op. cit., p. 90.

52. R. KHOMEINI, Imam's final discourse, op. cit., p. 62.

53 . R. KHOMEINI, Discours du 4 juin 1980, Imam Khomeini andNovember4th, Ministry ofIslamic

Guidance, novembre 1982, pp.34 et 35.

54. R. KHOMEINI, Imam's final discourse, op. cit., p. 12.


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we are proud today that we want to excute the precepts of the Qur'an 35

Pour que le peuple soit fidle la rvolution islamique, que l'Iran et toutautre pays du Tiers monde se librent du joug postcolonial et que soit rejet lemode de vie occidental considr comme dcadent, c'est un homme nouveau,rgnr, vivant dans une socit nouvelle que veut crer Khomeini. Pourraliser ce projet il utilise tous les moyens de propagande. Certes, il proposeun idal de justice, d'galit, d'amlioration des conditions de vie, d'identit etd'indpendance retrouv par un retour aux prceptes de l'islam pur. Cependant, le langage utilis est plutt simple : si la population suit les prceptes dugouvernement islamique, tous les problmes seront rsolus. Il offre une

renaissance islamique en rejetant les idologies de l'Ouest comme de l'Est,considres comme imprialistes, et s'adresse avant tout aux pauvres et laclasse moyenne, mais aussi aux tudiants et aux intellectuels parmi lesquels iltrouve ses meilleurs militants. En d'autres mots, tout en gardant son caractrespcifique, le khomeinisme est une sorte de populisme, non seulement l'chelle de l'tat iranien, mais d'une protonation islamique.

En conclusion, nous pouvons dire que la religion peut tre adapte n'importe quelle tendance par qui sait la manipuler avec adresse, car elle n'est

pas faite pour la politique qui, elle, se doit de s'adapter une poque et descirconstances particulires. Etant rvl, l'islam est sacr et immuable dansson message et non manipulable, sinon, perdant son sens premier, le rapportavec le divin, il devient temporel, fractionn, discours justificateur d'unevision du monde, celle de l'idologie. Les rvolutions suivent un ordre : celuide l'volution de la pense dans une culture donne lie des conditionssociales et conomiques que rejette une forte majorit de la population, le toutdans un contexte international dtermin. Les religions sont les gardiennes del'ternit de l'esprit de l'homme dans sa totalit et dans sa condition, tout en

encourageant celui-ci par la recherche de la connaissance amliorer sacondition morale et physique dans le cadre de la rvlation pour tenterd'arriver l'harmonie parfaite. Elles ne peuvent tre prsentes par un hommecomme la justification de sa politique, sinon il y a destruction et reformulation.Khomeini a-t-il alors un discours religieux ou politique ? Il rpond lui-mme cette question :

Islam is a political religion [...] It is a religion in which prayer is combinedwith politics and politics is considered to be a kind of prayer56 [...] It

(islam) is an ideology which, unlike irreligious idologies, has guidelinesfor and oversees every aspect of the private life of the people as well as thesocial, material, spiritual, cultural, political, military and conomie Systemof the society57 [...]

55 . M . , pp. 7, 8 et 9.56. R. KHOMEINI, Discours du 24 aot 1979 et du 24 septembre 1979, op.. cit., pp. 22 et 40.57. R. KHOMEINI, Imam'sfinal discourse, op. cit., pp. 16 et 17.


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24 Edwige DURAND

L'islam chiite a dfinitivement quitt, dans ce type discours, son lienprivilgi avec la religion, ainsi que bien des conceptions traditionnelles plustemporelles. La confrontation avec la pense et les idologies occidentales,

vritable choc, a amorc une cassure culturelle qui cre une totale confusionentre la tradition et les conceptions de l'Ouest. Alors que la tradition chiiteparle d'illgitimit des pouvoirs politiques, de l'imperfection des gouvernements, de la ncessit de contester et de rechercher la justice et de soutenir lesopprims, Khomeini se donne lui-mme une lgitimit et une infaillibilit quirefusent toute remise en question et combat toute opposition. C'est alors unaspect totalitaire idologique qui l'emporte, et le religieux, dont le rle doittre de guider, de veiller et d'assurer son indpendance vis--vis de l'tat pourcontinuer le combat permanent de l'esprance du retour de l'Imam cach, setransforme en lgislateur suprme, le faqih, dtenteur de la vrit et secompromettant la tte de l'tat. La dfense de l'opprim et de l'vinc, ainsique la recherche de justice, se transforment en tiersmondisme antioccidentalainsi qu'en une identification avec les victimes du nocolonialisme. C'est ainsique la tradition chiite est rcupre des fins politiques lui faisant perdrel'aura que lui avait gagne sa mfiance vis--vis de tout pouvoir.

Tradition Chiite Et Islamisme Khomeiniste

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