Tihamer Toth - le caractère du jeune homme

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... Mgr TIHAMER TOTH Professeur à l'Université de Budapest A la Jeunesse Catholique LE CARACTÈRE DU JEU NE HOMME TRADUIT DU HONGROIS par K. DE MARIASSY ÉDITIONS SALVATOR MULHOUSE (Haut-Rhin). 1938

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Mgr TIHAMER TOTH Professeur à l'Université de Budapest

A la Jeunesse Catholique

LE CARACTÈRE DU

JEU NE HOMME TRADUIT DU HONGROIS

par K. DE MARIASSY

ÉDITIONS SALVATOR MULHOUSE (Haut-Rhin).

1938

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NIHIL OBSTAT

É. DERUME, can., libr. cens.

IMPRIMATUR

Tornaci, 14 Sept. 1937.

J. LECOUVET, vic. gen.

REGULUS A CARTHAGE

Carthage devait envoyer une ambassade à Rome pour demander la paix. Un prisonnier de guerre romain, du nom de Régulus, fut chargé de la conduire, mais il dut jurer, avant de partir, que, si sa mission venait à échouer, il reviendrait en captivité ... Imaginez­vous son émotion en se retrouvant à Rome, sa ville bien-aimée! Il aurait pu y rester toujours, si' on avait conclu la paix.

Or, savez-vous ce qu'il fit? De toute son éloquence il engagea le sénat à continuer

la guerre, et, lorsqu'on: lui demanda de rester à Rome en disant qu'un serment fait par contrainte ne pouvait obliger, il répondit :

{( Voulez-vous donc à tout prix que je manque à l'honneur? · Je sais bien que les tortures et la mort m'attendent à mon retour. Mais tout cela n'est rien en comparaison de la honte engendrée par une action malhonnête et des blessures que l'âme reçoit du péché. Il est vrai que je serai prisonnier des Cartha­ginois, mais j'aurai au moins conservé mon caractère de Romain dans toute sa pureté. J'ai juré de retourner chez eux et je ferai mon devoir jusqu'au bout. Coppe;.>; le reste alJX dieux, »

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8 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Et il revint à Carthage olt il mourut dans des tortures affreuses.

Cela, c'était le caractère romain! Or, qu'est-ce donc que le caractère chrétien? Tout le monde ne saurait être riche, ni savant,

ni célèbre. Mais il y a une chose qu'on peut exiger de chacun: c'est un caractère irréprochable. Conquérir des royaumes terrestres est le fait d'hommes excep­tionnels, et la couronne royale est faite pour bien peu de fronts. Mais conquérir le royaume des trésors spirituels et placer la couronne d'un caractère viril sur notre front, c'est là une tâche sublime et sacrée qui doit nous préoccuper tous, sans exception. Tous, ai-je dit. Pourtant, beaucoup manquent de la remplir. Mais toi, mon fils, tu n'y manqueras pas, j'en suis sûr.

Seulement, un caractère irréprochable n'est pas un gros lot qu'on peut gagner sans aucun mérite per­sonnel. Ce n'est pas non plus un nom illustre qu'on apporte avec soi en naissant ou qu'on acquiert sans travail. Un caractère irréprochable est le résultat d'une lutte souvent dure, d'une guerre virile qu'on se fait à soi-même et à ses penchants égoïstes, et qui demande

\ beaucoup de conquêtes, beaucoup d'abnégation et de discipline. Ce combat, chacun de nous doit se le livrer à lui-même et en sortir victorieux.

Le résultat magnifique que tu obtiendras dans cette lutte sera un caractère impeccable. Aujourd'hui, le sens profond de cette expression t'échappe encore, peut-être. Mais le jour olt l'œuvre principale de ta vie sera dévoilée devant la face de Dieu, et olt ton âme, que tu auras formée avec tant de peine, apparaîtra dans toute son incomparable grandeur, tu t'écrieras, ébloui, comme Haydn à la représentation de son œuvre

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 9

« La création» : (( Mon Dieu, est-ce bien moi qui ai fait cela? »

Selon le terme classique de saint Augustin, (( homines sunt voluntates » - c'est-à-dire que la valeur de l'homme est déterminée par sa volonté. De nos jours, on reconnaît de plus en plus que l'école moderne ,11

s'occupe presque exclusivement de l'intelligence des jeunes gens, au détriment de leur caractère et de 1,1 leur volonté qu'elle néglige de développer. De là ce fait si triste que, parmi les adultes, il se trouve beau­coup plus de cerveaux cultivés que d'épaules d'acier, beaucoup plus de savoir que de caractère. Pourtant, la base et le soutien moral de l'État, c'est la pureté morale , et non la science - l' homme et non la fortune - le ~:, caractère et non la lâcheté.

Ce livre n'a qu'un but : exhorter les jeunes gens à se façonner un caractère impeccable, les amener à raisonner ainsi : (( Une responsabilité énorme pèse sur moi, car une tâche sérieuse m'attend et je dois employer ma vie à la remplir. Les germes de mon avenir reposent en mon âme: il faut que je la réchauffe, que je la cultive et que je la développe pour qu'elle devienne une fleur exquise, digne de respirer son parfum devant le trône de Dieu pendant toute l'éternité. Et je ne peux obtenir cela qu'en faisant mon devoir en toute circonstance et en vivant une vie idéale. »

Ce livre voudrait donner aux jeunes hommes un caractère d'acier, en ce temps olt le monde entier est bouleversé de fond en comble et paraît comme marcher sur la tête; à cette époque où la plus grande et peut­être la seule maladie de l'humanité (qui est responsable de toutes ses erreurs et de tous ses vices) est le dépé-

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j rissement effrayant de la volonté; en ces jours de . veulerie presque générale où l'on se plaît à dire que

ce n'est que sagesse de se conformer aux circonstances, et à voir le salut public dans le reniement des principes de la politique réaliste et dans la recherche des intérêts personnels; aujourd'hui où la sensibilité, toujours à

li l'affût d'une offense, s'appelle dignité de soi, et où la jalousie prétend être le sens de la justice; aujourd'hui

1 où l'on évite le travail un peu difficile sous prétexte ! qu'il est impossible à faire, et où chacun recherche

hi. vie aisée et ses jouissances ... Oui, ce livre voudrait '.façonner des jeunes hommes au caractère inattaquable, aux principes justes et solides, - des jeunes hommes dont la volonté ne recule point devant les difficultés,

" \qui sont des chevaliers fanatiques du devoir quel qu'il soit, - des jeunes hommes solides comme l'acier, droits comme la vérité, lumineux comme un rayon de soleil, limpides comme le ruisseau des montagnes, ... des jeunes hommes purs de corps et d'âme.

Il voudrait qu'il n'y ait que des étudiants au caractère d'une seule pièce, et qu'il ne s'en trouve plus aucun à l'âme basse et aux sentiments mesquins, de ceux-là qui ne s'intéressent à aucun problème spirituel, qui ne pensent qu'à jouer un tour à leur professeur, qu'à se soustraire aux leçons difficiles, qu'à voir la nouvelle étoile du ciel du cinéma et qu'à se faire inviter à la réception de Mme X. Mais, hélas! il y en a tant de cette espèce-là! Et les jeunes gens au caractère ferme sont si peu nombreux, en comparaison!

"Eh bien! ce livre veut te démontrer que c'est pourtant : cette minorité qui a raison, celle qui travaille et se fatigue sur le chemin du caractère pendant que les autres sont si insouciants et si gais. - Et ce livre, en

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? II

même temps, veut t'encourager à te' mettre au rang des premiers, car c'est leur vie qui, seule, est digne .j

de l'homme. Je prétends en effet avec Schiller que !; c'est sa volonté qui rend l' homme petit ou grand. Et je i!1 donne raison au baron J. EOtvos, le grand penseur hongrois, qui dit :

« La valeur réelle de l'homme ne dépend pas de son intelligence, mais de la force de sa volonté. Les grands talents intellectuels ne font qu'affaiblir celui qui i,

manque de fermeté; et un grand esprit dont le caractère n'est pas à la même hauteur est la plus malheureuse et souvent la plus méprisable des créatures. )}

Au printemps, le paysan s'arrête près de son champ et promène son regard pensif tout le long des sillons muets.

« Que me donneras-tu, cette année-ci, mon champ? )} semble-t-il dire. J

Mais le champ lui répond par une autre question: ï

« Dis-moi d'abord ce que tu me donneras, toi? )} - C'est ainsi que le jeune homme s'arrête à l'entrée

mystérieuse de la vie : « Que me réserves-tu, ô vie? Qu'est-ce qui m'attend

au cours des années? » Mais la vie, comme le champ, lui retourne sa

question : « Cela dépend de ce que tu me donneras, toi! 1

Tu recevras ce que tu mériteras par ton travail. Tu ' récolteras ce que tu auras semé. )}

Ce livre veut te faire connaître le grand moyen de réussite dans ce grand travail: l'éducation de soi­même. Mais prends garde, mon fils, et ne te laisse pas tromper! Ce livre ne peut que te faire découvrir les ennemis aux aguets, que t'avertir contre les dangers,

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que te désigner les armes, - mais il ne peut pas com­battre à ta place! Si tu veux devenir un caractère il faut que tu fasses ce travail spirituel toi-même, et toi seul.

\ L'expérience te montrera que le chemin du caractère ;' n'est pas un chemin facile. Il faut une volonté bien \ forte pour combattre ses petits défauts et ne jamais . pécher, une volonté qui ne connaît ni arrêt ni trêve:

tu le constateras souvent. Mais n'importe! Oui, n'importe! Je veux, je veux! dois-tu te dire.

Et qu'est-ce que tu veux donc ainsi? - Je veux maîtriser mes sens et mes sentiments. Je veux mettre de l'ordre dans le tohu-bohu de

mes pensées. Je veux réfléchir avant de parler. Je veux considérer les choses avant d'agir. Je veux profiter des expériences du passé, je veux

penser à l'avenir, donc je veux faire le meilleur emploi possible du présent.

Je veux travailler de bon cœur, souffrir sans me plaindre, vivre d'une manière irréprochable et, finale­ment, mourir en paix, dans l'espoir de mon bonheur éternel!

Peut-on s'imaginer un programme de vie plus élevé? Existe-t-il un but plus digne d'être réalisé que celui d'une vie sans tache?

Puisse ce livre aider beaucoup de jeunes gens dans ce travail sublime : la formation de leur camctere!

--.+-<1>--

LE CARACTÈRE

DU JEU NE HOMME

PREMIÈRE PARTIE

QU'EST-CE QUE LE CARACTERE?

Qu'est-ce que le caractère?

Qu'est-ce que le caractère? Et que voulons-nous dire lorsque nous disons de quelqu'un : voilà un caractère? Le mot caractère désigne la volonté humaine ' fixée vers le bien; et un jeune homme est un caractère \ s'il a des nobles principes et s'il n'en cède rien, même si cette constance lui impose des sacrifices. Celui qui, t

au contraire, change de principes selon les circonstan­ces, la société ou les amis, qui abandonne une façon :. d'agir reconnue jusqu'ici comme bonne sous le prétexte ! qu'il ne doit endurer le moindre désagrément pour elle, - celui-là est versatile et peu sûr; il n'a qu'un caractère faible, ou, cas plus grave, il en manque entièrement. 1

CdJ. 5uŒt déjà pour te montrer en quoi consiste l'éducation du caractère. D'abord, il faut t'animer de

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

',l ' nobles principes; ensuite, par un exercice continu, il faut ~ t' habituer à agir selon ces principes en toutes circonstances.

La vie morale d'un homme sans principes est aussi agitée qu'un roseau surpris par la bourrasque. Cet homme agit aujourd'hui d'une façon et demain d'une autre. La première nécessité est donc de former en nous des principes fermes, et, la seconde, d'acquérir la force dont nous avons besoin pour suivre sans

'; broncher la voie que nous avons reconnue pour bonne. Je le répète : Ta première tâche est de former en

toi des principes justes. Or quel est le principe juste concernant les études, par exemple? « Il faut que j'étudie avec une application constante, car Dieu veut

\ que je cultive les talents qu'Il m'a donnés. » - Quel ',i est le principe juste concernant les camarades? « Je dois

leur faire ce que je voudrais qu'ils me fassent. » Et ainsi de suite ... Il faut que tu aies des principes justes en toutes choses.

Ta seconde tâche est beaucoup plus difficile: c'est de suivre ces justes principes, c'est-à-dire de t'entraîner dans la voie du caractère.

On ne reçoit pas un beau caractère en cadeau; on se le fait par un labeur solide et continu, en y travaillant pendant de longues années, des dizaines d'années souvent. L'influence de l'entourage, les penchants bons ou mauvais reçus en héritage peuvent produire une certaine impression sur notre caractère, mais, en

1: fin de compte, notre caractère est notre œuvre person­t\, nelle, le résultat de notre travail d'éducation de nous­: mêmes. Car c'est une double éducation que l'on reçoit:

J la première nous est donnée par nos parents et par li. l'école; la seconde - et c'est la plus importante -V' nous vient de nos propres efforts.

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 15

Sais-tu ce que c'est que l'éducation? C'est l'influence de notre volonté qui nous incite à suivre la bonne voie en toute situation, sans hésiter et avec joie.

Sais-tu ce que c'est que le caractère? C'est l'action en conformité avec nos principes fondamentaux; - , c'est l'effort soutenu de notre âme dans la réalisation de la noble conception qu'on s'est faite de la vie.

Tu peux déjà te rendre compte qu'en cette éduca­tion de soi ce n'est pas la formation du juste principe vital qui est difficile, mais l'effort qu'on doit faire jour par jour pour s'y conformer. « Ceci est mon prin­cipe et je n'en démordrai pas; je lui serai fidèle coûte

1 que coûte. » Et il faut dire que cela exige souvent r beaucoup de sacrifices; et voilà pourquoi on trouve a si peu de caractères dans le monde.

« Rester toujours fidèle à ses principes », « ne jamais se départir de la vérité »,- qui ne s'exalterait pas pour ces belles pensées?... Ah! si ce n'était pas si difficile ' de convertir ces pensées en actions! Si ces beaux desseins , ne s'évanouissaient pas en nous si aisément sous l'influence contraire de la société, des amis, de la mode ... de notre propre « moi» qui n'aime pas à être gêné tout le temps!

Écoute ce que dit le poète là-dessus :

Choisissez bien ce que vous faites; N'imitez pas la girouette. Ayant trouvé le bon chemin, Marchez-y droit jusqu'à la fin 1

(REINICK).

Voilà ce que l'éducation de soi t'enseignera.

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Fais ton éducation toi-même!

Former notre âme à l'image que Dieu s'est faite de nous, voilà l'ouvrage sublime que nous appelons

:: l'éducation de nous-mêmes. Ce travail, mon fils, personne ne peut le faire pour toi; il doit être accompli personnellement par chacun. Les autres peuvent te

1 donner des conseils, t'indiquer le chemin à prendre;

III mais c'est toi qui dois sentir le besoin de faire ressortir

en ton âme la magnifique image que Dieu y a cachée, :1 c'est toi qui dois éprouver le désir de devenir noble, j fort et pur. Tu dois te connaître toi-même, savoir

ce que ton âme a de nuisible et ce qui lui manque en 1 bien. Tu dois faire toi-même cette éducation de ton II âme, sachant parfaitement que le succès te coûtera ,j beaucoup d'efforts, d'abnégation et de maîtrise de soi. , Il faudra que tu te refuses souvent cela même que

tu voudrais bien faire, que tu fasses aussi souvent ce qui n'est pas de ton goût. Par-dessus tout, il te faudra serrer les lèvres et lever courageusement le front pour rester ferme, même si tes bonnes intentions venaient à échouer plus d'une fois.

La formation de ton caractère, de toute ta vie, dépend de ces efforts.

« Semez une pensée, elle portera un désir; semez un désir, il portera une action; semez l'action, elle

" portera l'habitude; semez l'habitude, elle portera le 1 t' l "1 carac ere; semez e caractere, 1 portera votre sort. »

Ton sort, vois-tu, en fin de compte, est tissé de ces pensées et de ces actions que tu croyais sans importance.

« Heure par heure, tourne ton regard vers la vertu

li

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 17

avec amour et respect; ne laisse jamais échapper une seule occasion de faire le bien; et, si telle action se trouvait quelquefois contrarier ton désir ou ton avantage, entraîne ta volonté à triompher de ceux-ci ... C'est ainsi que ton caractère deviendra apte à accomplir de grandes choses et à travailler pour le présent aussi bien que pour l'avenir. C'est ainsi que tu seras aimé et honoré par tes contemporains. » (P. Kolcsey).

Mais il faut aussi que nous amenions notre volonté à se confondre avec la volonté de Dieu. L'école la plus ;\ sublime du caractère, c'est de pouvoir dire du fond du cœur : « Seigneur, que votre volonté soit faite et non la mienne! »

La meilleure forme de l'éducation de soi est de se demander aussi souvent que possible après nos actions, nos paroles, et même nos pensées: « Seigneur, est-ce bien votre volonté que j'ai dite ou faite là? Avez­vous bien voulu que je dise ou que je fasse cela? »

Et c'est maintenant qu'il faut commencer cette éducation de ton caractère, mon fils, maintenant, pen­dant les années de ta jeunesse. Si tu attends d'être par­venu à l'âge d'homme, il sera trop tard. Le caractère ne se développe pas dans le chaos de la vie. Au contraire, celui qui se plonge dans le trouble du monde sans un caractère ferme perd facilement le peu qu'il en avait.

Un cœur d'airain.

Tu sais à présent, mon fils, de qui nous pouvons <'

dire : voilà un beau caracterel Ce ne peut être que Il d'un jeune homme qui a des principes nobles, un idéal II bien haut, et qui sait y rester fidèle . Oui, rester fidèle il

Le Cnrn ctèrp. 2

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

à ce qu'il a reconnu être la vérité, même si personne d'autre ne la professe, même si tout le monde autour de lui est, Sur ce point, insouciant et veule ... y rester fidèle malgré mille exemples contraires, y rester fidele en toute circonstance! - Mais, hélas! comme cela est difficile et pénible quelquefois!

Lorsque de méchants enfants s'amusent depuis une demi-heure déjà à agacer un camarade un peu mala­droit, et que celui-ci, tel un pauvre petit chevreuil poursuivi par des chiens de chasse, implore en vain secours d'un regard suppliant, - détourner doucement l'attention de ces gamins pour leur faire cesser leur cruauté, voilà de la tendresse, du courage, de la fidélité aux principes! Un cœur d'airain!

Lorsque des étudiants plus ou moins sceptiques commencent à se moquer, en plaisantant grossièrement, des vérités les plus sacrées de la religion et essayent de ruiner les enseignements du prêtre avec des « argu­ments » tirés de vieux livres trouvés je ne sais où, -élever la voix en faveur de la vérité religieuse outragée, dénoncer clairement les erreurs et les sophismes de ces « arguments », et cela crânement, mais sans blesser personne, voilà un caractère héroïque! Un cœur d'airain!

, Lorsque les rires insouciants de tes camarades te ;' parviennent à travers ta fenêtre ouverte et te donnent

,1 envie de planter là l'ennuyeux problème d'algèbre que li, tu devrais finir pour courir au jeu avec les autres, -f rester fidèle au devoir et te dire : « non », tout court,

c'est encore la marque d'un caractère ferme, d'un cœur d'airain.

Au cours des · persécutions sanglantes des premiers \ siècles du christianisme, un pauvre paysan fut arrêté l et conduit devant la statue de Jupiter. 1

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

« Jette de l'encens sur le feu et sacrifie à nos dieux! » lui dit-on. « Non! )) répond-il simplement.... On commence à le torturer; il ne bronche pas. On élève son bras de façon que sa main arrive exactement au-dessus de la flamme, et on lui met de l'encens dedans. - « Fais tomber l'encens et tu es libre! )) -« Non! )) répond encore Barlaam. Et il reste là, immobile, le bras étendu ... La flamme se dresse; elle commence à lécher sa main; l'encens fume déjà; mais l'homme ne bouge pas ... La main est brûlée avec l'encens, mais Barlaam préfère le martyre au reniement de , son Dieu. Un cœur d'airain!

0, mon cher enfant, qu'il y en a peu parmi nous, aujourd'hui, de ces caractères de martyrs! De ces caractères que le poète païen chantait déjà

Justum -ac tenacem propositi virum Si frac tus illabatur orbis, lmpavidum ferient ruinae

Voici un autre exemple : ce soldat pompéen que l'éruption du Vésuve trouva à son poste. Tout, autour de lui, est réduit en cendres par la lave bouillante, tout s'est écroulé, le monde semble fini, ... mais lui, il reste là, immobile, fidèle jusque dans la mort au poste où le devoir l'avait placé.

Vois-tu, mon fils, c'est cette droiture, c'est cette '! fidélité aux principes, c'est ce front levé que nous appelons caractère!

Hélas! en jetant mes yeux sur la jeunesse contem­poraine, je vois des types si différents! Oh, tellement, tellement différents! Je vois des étudiants parfumés arpenter la promenade à la mode. l'en vois qui ne

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20 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

sortent d'un cinéma que pour rentrer dans un autre, qui ne recherchent que les distractions mondaines, qui n'ont qu'un souci: celui de leur monocle ou de leurs cigarettes, qui ne vivent que pour les sports. J'en vois de paresseuX'. Oui, je vois beaucoup, beau­coup d'étudiants qui n'étudient pas . . .

Les paroles d'Épictète.

Déjà à l'époque païenne, les penseurs honnêtes tenaient pour vrai que l'on peut être un savant de renom ou un grand artiste, un sportsman distingué ou l'homme le plus riche du monde, et que, cependant, si on manque de caractère, tout cela ne vaut rien . Tiens, lis seulement les paroles tirées des œuvres d'Épictète, un esclave païen :

" « Ne t'occupe pas de satisfaire les besoins de ton estomac, mais contente ceux de ton âme ! » (Gnomo­logium Epictetum 20, ed. Schenkel-T eubner Leipzig 1898-1899). « Plutôt la mort que de vivre ; lal mor; ~ lement!» (Fragm., 32, 422). « Le sort peut lier le corps, mais le mal seul a le pouvoir de lier l'âme . . . Celui qui est libre de corps, mais lié d'âme, est un esclave; celui dont l'âme n'est pas liée par le mal est libre, fût-il lié de son corps ») (Gnom., 32,470). « II vaut mieux pour l'État que des âmes d'élite vivent dans de petites maisons que des gens à l'âme vile habitent dans des palais » (Gnom., 60. 476). « Ton âme est le rayonnement de la divinité, tu es fils de Dieu; estime-toi en consé­quence 1. .. Ne sais-tu point que tu nourris un dieu , quetu portes un dieu en toi? » (II, 8, 12, 125). « Notre

QU ' EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 21

but, c'est d'obéir aux dieux afin de leur ressembler un jour» (l, 13)' « L'âme ressemble à une ville assiégée , dont les défenseurs veillent derrière les murs. Si les ' fondements sont assez résistants, la ville ne sera pas j

prise» (IV, 5, 25). « Si tu veux devenir bon, crois-toi mauvais d'abord » (Gnom., 13, 488). « Retiens-toi de mal faire et renie tes mauvais penchants» (Fragm., 10, 411).« L'âme pure qui a des principes élevés sera sublime et inébranlable dans ses actions » (IV, 1 1,8,39)' « En toutes choses, petites ou grandes, porte ton regard sur Dieu » (II, 19, 31, 1'14). « Fais comprendre aux hommes que le bonheur ne se trouve pas là où ils le cherchent dans leur misère aveugle. Le bonheur n'est point dans la force, car Myro et Ofellius n'étaient pas heureux; ni dans la puissance, car les consuls n'étaient pas heureux; ni dans les deux à la fois, car Néron, Sardanapale et Agamemnon ont gémi et pleuré en s'arrachant les cheveux; ils furent les esclaves des circonstances et de véritables déments. C'est au-dedans de toi que le bonheur se cache, dans la vraie liberté, dans le manque ou la suppression de toute basse frayeur, dans la maîtrise parfaite de soi-même, dans la puissance de la paix et du contentement ... » .

Quelles idées sublimes sorties du cerveau d'un esclave païen!

La puissance d'un idéal.

Un jeune homme devrait toujours prendre la réso­lution de ne pas rester au niveau de la foule, d'atteindre un grand but dans la vie. Toi aussi, mon enfant, choisis-toi donc un idéal; et cet idéal, ne l'oublie

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22 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

jamais; cet idéal, mets toutes tes forces à le réaliser. J e ~e te promets pas que tu y réussiras en quelques mOlS, ou même en quelques années. Il est même possible que tu n'y parviennes jamais. Mais qu'importe! La concentration sur lui de tes pensées et de tes plans t'en rapprochera certainement, même si au début cet idéal semblait se dresser devant toi à ~ne hauteu: ina~ordable. Celui qui met toute son énergie à attemdre un but sublime se découvre de jour en jour des forces nouvelles, des forces qu'il ignorait lui-même la veille.

Pendant la guerre mondiale les incroyables privations des tranchées nous ont révélé ce que le corps humain ~tait capable d'endurer. Tu apprendras que l'âme est egalement capable d'accomplir des prodiges quand on met toute sa force et toute sa volonté au service

i' de l'idéal qu'on s'est fixé.

Tu pourrais, par exemple, prendre la résolution de te déshabituer coûte que coûte du défaut que tu as reconnu prédominer dans ton âme .. . Cell~-ci : l'année passée, ton certificat d'études était plutôt « médiocre» : tu avais quatre 2 et un 3. Cette année-ci, tu n'auras que des I! N'importe ce qu'il t'en coûtera!... Celle-là, encore : tu apprendras la langue anglaise à tes loisirs une d~mi-heure par jour, - mais chaque jour, san~ exceptIOn!. .. Et ainsi de suite.

Et je voudrais encore que tu te fixes un autre but plus élevé. Les livres d'études anglais sont remplis de phrases comme celles-ci : « Commence le travail là où des millions l'ont abandonné. » « Sur les sommets il y a encore place pour beaucoup de braves ouvriers. ); « Les meilleures places du monde ne sont pas encore occupées. » « Le caractère et l'intelligence sont encore

QU'EST- CE QUE LE CARACTÈRE?

demandés : ils sont toujours en hausse à la bourse de la vie. »

Oui, je voudrais trouver dans tous les jeune~ gens la conviction profonde qu'ils doivent devenIr des grands hommes : des esprits cultivés, des caractères impeccables, des âmes d'une be~uté dé~or~ante. ~ou~ ne pourront atteindre ce but, Je le saIS bIen; m~ls SI leurs pensées et leurs efforts, à l'exemple des algIes, prennent toujours leur vol vers ce but ~uprême, ,~ls l'approcheront certainement de plus pres que sIls se contentaient de voltiger au ras de la terre comme ' les hirondelles.

« Mais alors tous les jeunes gens deviendront insupportables à force de se donner des grands airs », diras-tu peut-être .. . Je suis sans crainte là-dessus. Je suis même sûr que celui dont l'âme est réchauffée par un idéal aussi élevé pourra vaincre plus facile~e.nt qu'un autre la tentation des pensées basses et des deslrs sensuels. Bien des jeunes gens se ruinent moralement, peu à peu, justement parce qu'ils n'ont pas fixé une tâche élevée un but sublime à leur vie.

, . l' J'accepte pleinement la maxime que Carnegze, un des hommes les plus riches, mais aussi l'un des plus laborieux de l'Amérique, recommande aux jeunes gens : « My place is at the top!» - « Ma place est à la tête! » Seulement, mon fils, essaye d'y parvenir par un travail assidu, en faisant ton devoir de tout ton cœur, et non par protection, à l'aide de tes parents et de tes amIS.

Je sais bien qu'il y a aussi des jeunes gens qui ne se donnent aucune peine pour étudier et améliorer leur situation, parce qu'ils sont « humbles », « modestes» et « contents de ce qu'ils ont» ... Halte-là, mon enfant!

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24 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

La lâcheté est loin cl' être une vertu, et la paresse ne ressemble pas à l'humilité! La vraie humilité nous " fait di~e : « Je suis un rien, je n'ai aucune valeur propre »,

--:- maiS elle nous fait ajouter tout de suite: « JI n'y a . nen au monde que je ne puisse faire avec l'aide de Dieu. »

Répète Souvent cette magnifique phrase, cette charmante prière d'un de nos saints : « Deus meus Deus meus! Nihil SUin, sed tuis sum! » « Mon Dieu: mo? Dieu, je suis un rien; mais je suis à toi! » Oui, redIs cel~ .souvent au Père Céleste. Et tu verras quelle force spIrItuelle en jaillira.

L'énergie active.

Rien peut-être n'en impose autant aux jeunes gens que le courage et l'énergie active. Et cette admiration n'est que juste, car c'est là l'une des plus belles démons­trations de la volonté de l'homme. Mais que nommons­nous exactement énergie active? Ce n'est pas la rêvas­serie. Je connais des garçons qui aiment à s'attribuer des actes héroïques. Ils racontent à leurs amis des aventures d'une audace à faire dresser les cheveux sur la tête, - mais qu'ils n'ont vécu qu'en rêve. Cela, ce n'est pas du courage. Mais résoudre un problème d'arithmétique difficile, traduire des phrases latines d'un mètre de long ( Livius! ) en bon français, com­ba:t,re ses passions, en un mot agir et non pas rêver ; voIla ce que j'appelle de l'énergie active.

~: ~oici encore toute une liste d'actes qui ne sont pas preCIsement des actes de vaillance dont on doive se glorifier:

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1 l

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

L'étourderie insouciante, ce défaut de tant de jeunes 'gens, - se précipiter au-devant du danger en pensant: le bon Dieu me préservera, - répondre à tous les problèmes sans réfléchir, - déprécier la force des séductions qui nous entourent et qui sont autant d'occasions propices au péché: livres, cinémas, mau­vaises compagnies, -les rechercher imprudemment, -se jeter sur une tâche et l'abandonner dès le lendemain. - Mais ici, mon fils, il faut que je te présente un de mes jeunes amis.

Il commence à apprendre l'anglais, mais, au bout d'une semaine, il est complètement découragé par les difficultés de la grammaire et il jette le livre dans un coin ... Il se met à collectionner des timbres, mais, le troisième jour, cela ne l'intéresse plus ... Le voilà qui se jette sur les sports. Pendant deux semaines il s'entraîne du matin au soir à tous ceux que tu peux imaginer, mais, la troisième semaine, ça l'ennuie et il en reste là. - Tu admets bien que ce qu'il fait est exactement le contraire de l'énergie active.

« Erst wiigen, dann wagen ». - « Peser d'abord, oser ensuite », dit un sage proverbe allemand ... Il te faut commencer par regarder bien en face l'œuvre à accomplir. Il te faut considérer ensuite les circon­stances. Puis, sitôt que tu vois que la chose doit être faite, ou qu'elle vaut la peine d'être faite, ne te laisse plus rebuter par aucun sacrifice ni aucune difficulté. Dis-toi : « N'importe; c'est mon devoir et je le ferai! »

Cela, vois-tu, c'est de l'énergie active, le fait d'un caractère viril.

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26 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Liberté.

Liberté! Ce mot, plus que tous les autres, possède un charme magique aux yeux de la jeunesse. Grandir librement! Se développer librement! Vivre aussi libre que l'oiseau! C'est un désir instinctif qui pousse les jeunes vers la liberté. Eh bien, si ce désir est instinctif , c'est le Créateur qui le leur a donné; et si c'est Dieu qui le leur a donné, Il a certainement fixé des buts plus élevés à cet instinct. Le but de cet instinct de liberté inné dans la jeunesse ne peut être une chose aussi triviale que de faire le plus de bruit possible pendant la récréation, ou de se soustraire à la disci-

" pline de l'école. Le but réel de ce désir dans les jeunes \ âmes ne peut être que la force de résistance contre 1

l', tout ce qui empêcherait le développement de leur \" ·d' 1 ' '(1 ea.

Ton désir de liberté, mon fils, a donc pour but d'assurer la possibilité de ton développement spirituel. Il s'ensuit que tu ne dois pas lutter contre toutes les règles qui te lient, (cela, ce serait de la licence), mais seulement contre les passions, les penchants, les obstacles qui pourraient barrer le chemin au développe­ment de ton caractère. Garde-toi donc bien de com­battre les gênes, - même les difficultés - qui t'aident dans ton progrès. La vigne ne doit pas rejeter l'échalas planté près du cep, car l'échalas n'est là que pour permettre aux jeunes pousses de s'élever en s'appuyant sur lui.

Tout instinct laissé à lui-même est aveugle, l'instinct de la liberté aussi bien que les autres; s'il échappe à la direction du bon sens, il entraîne l'homme à

QU'EST- CE QUE LE CARACTÈRE? 27

sa ruine. C'est pourquoi nous voyons presque quoti­diennement ce fait déconcertant que beaucoup de jeunes gens se perdent parce qu'ils comprennent mal ' la liberté. Leurs instincts qui se dérobent au contrôle du bon sens les emportent aveuglément vers des choses qui sont peut-être bonnes en apparence, mais qui sont nuisibles en fait, et ils les font reculer devant celles qui, si elles paraissent difficiles, seraient pourtant nécessaires à l'harmonieux développement de leur âme. C'est cette pensée qu'un étudiant expri­mait ainsi dans une lettre à son ami : (( Depuis que mon père m'a permis de fumer, j'y ai renoncé entièrement: je n'y trouve plus aucun goût. » Exemple frappant du désir de la liberté déformée qui regarde tous les ordres et toutes les défenses comme une intervention arbitraire.

A cet âge ~ à ton âge, mon enfant - le vœu le plus ardent de tous les jeunes gens est de devenir libres et indépendants. Or, c'est exactement le but de leurs parents et aussi de leurs professeurs. Il faut donc qu'ils les comprennent et qu'ils travaillent en collaboration. Mais, hélas! beaucoup ne font pas ainsi. Ils veulent il être indépendants tout de suite, alors qu'ils devraient ~ apprendre à le devenir d'abord. f

Pour eux, être indépendants consiste à se soustraire aux ordres de leurs parents et de leurs supérieurs. Ils n'ont aucune idée de la véritable indépendance intérieure qui leur donnerait la force, la liberté et la maîtrise sur leur mauvaise humeur, leurs caprices, leur paresse et les autres difformités de leur vie d'instinct.

Comment peux-tu travailler sagement pour acquérir ton indépendance spirituelle? En considérant les ordres

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28 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

de tes parents, les prescriptions de ton collège et tes devoirs journaliers comme des moyens de vaincre ta paresse, ta mauvaise humeur, tes caprices, ton travail trop superficiel, ton manque d'expérience, _ et non pas comme des limitations agaçantes de ta liberté que tu te promets de rejeter aussitôt que tu le pourras. Celui qui regarde les ordres de cet œil et qui tient à son règlement pour cette raison, travaille vraiment à la liberté de son âme.

\ Deo servire regnare est, - dit le proverbe latin : li « Servir Dieu, c'est régner. » L'idéal de l'éducation \

chrétienne est que le jeune homme se développe harmonieusement dans son corps et dans son âme. Pour nous, le corps est aussi sacré que l'âme. Nous croyons qu'il nous a été donné pour nous aider à atteindre notre but éternel. Nous croyons que le corps humain a été sanctifié par le Fils de Dieu Lui-même lorsqu'Il daigna le prendre sur Lui. Et nous croyons qu'un jour notre corps aura sa part de notre bonheur éternel.

Tu vois bien que le Christianisme ne voit rien de diabolique ni de mauvais dans le corps. Il ne veut ni le ruiner ni l'affaiblir. Tous ses efforts tendent seule-

i. ment à en faire un collaborateur obéissant au service Il' des buts éternels. Les commandements de la religion te lient sévèrement, il est vrai, mais ils ne nuisent pourtant pas à ta liberté. Bien au contraire, ils aident et garantissent l'élan de ton âme vers les hauteurs.

On attache les branches de la vigne à un échalas, ;~ non pas pour entraver sa liberté, malS pOllr ai;lsllrer 11

\ la droiture de sa croissance.

iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiîiiiiiiiiiiîiiiiiiiiiiiilliiiiliiiiiiiiiii ________ _____ _ .

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

La contrainte te rend libre!

Vois la vigne: on l'att2.che, Er, en la soulevant de terre,

On la fa i t pousser plus droi te.

(VVEBER, Dreizehnlinden).

Comment resterions-nous en arrière, nous, chrétiens, des exigences de la conception romaine? Eh bien, vois ce que Juvénal demandait déjà:

Orandum est, ut sit mens sana in corpore sano; Fortem posee animum, mortis terrore earentem, Qui spatium vitee extremum inter numera ponat. Naturœ, qui ferre !jueat quoseumque la1wres,

1Vesciat irasci, cujJiat nihil, et jJotiores Herculis œrU11lnas aedat sœvosque lahores

Et venere et cD'mis et jJl1l1nis Sardanapali.

(JUVENALIS, Satyre X).

Voilà: un corps sain, une âme forte, capable d'en­durer les plus lourdes fatigues, . .. de la discipline de soi, de la modestie, de la sobriété!

\, Seules, les grandes âmes peuvent réaliser tout cela.

Les grandes âmes.

Quand je parle de grandes âmes, je ne pense pas aux héros dont j'action a ébranlé le monde, dont le nom résonne partout et qui figurent dans tous les journaux. La plupart des hommes n'ont pas une seule occasion, au cours de toute leur vie, de faire un acte d'héroïsme. Les jeunes gens sont pleins cl' enthousiasme

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

,\ Ils racontent avec feu ce qu'ils feraient dans une 1 expédition au pôle sud, ils affirment qu'ils mourraient C volontiers pour leur foi, qu'ils aimeraient donner leur \,! vie pour le Christ dans les missions, qu'ils sont prêts

à verser leur sang pour la patrie, . . . et bien d'autres choses semblables. Certes, cet enthousiasme est très beau; mais, s'il reste à l'état de rêverie, s'il n'est pas mûri, il ne vaut pas grand'chose dans la simple vie de tous les jours. Car un sacrifice pareil ne sera probablement jamais demandé à ces jeunes gens.

Ce qu'il faut, c'est essayer d'utiliser la force de ce brûlant enthousiasme en lui faisant enfler les voiles des petits devoirs quotidiens. De cette manière, il repré­sentera déjà une énergie motrice considérable. Si tu veux faire un trajet en tram, un billet de cent francs dans ta poche ne te sera d'aucune utilité. Si tu n'as pas de petite monnaie, le contrôleur te fera vite descendre: il n'a que faire d'un si gros billet. Eh bien, il en est exactement ainsi dans la vie morale. Si tu ne changes pas en petite monnaie ton idéal du patriotisme ou ton désir du martyre, tu ne pourras remplir con­venablement les commandements de notre religion ni tes devoirs patriotiques, - tous, jusqu'aux plus infimes, - avec une persévérance invincible. Aujour­d'hui tu peux pratiquer ta foi sans crainte du martyre et, probablement, tu n'auras pas à mourir en héros pour la patrie. Mais ce que la religion et la nation atten­dent de toi, c'est, dès aujourd'hui, une vie héroïque! Et ceci est plus difficile que cela. Tu sais bien, par

~. l'exemple de malheureux suicidés, que, souvent, ~ il faut plus de courage pour vivre que pour mourir.

Pendant la guerre, on dut vacciner nos soldats contre le choléra. Et sais-tu ce que je vis alors, à ma

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

grande surprise, dans l'hôpital de l'arrière où je servais? Ces robustes gars, qui n'avaient pas sourcillé sous une grêle d'obus, se mirent à trembler devant la petite seringue injectrice. Tu vois bien que l'enthousiasme héroïque n'existe guère dans la vie journalière.

Je connais des hommes chez qui le courage est légèreté et vanité beaucoup plus que vertu. Il se peut que ces hommes ne craignent pas même la mort, -mais ce qu'ils craignent certaj!}ement, ce sont les souffrances que la vie' peut leur réserver; et cette crainte-là en fait des lâches et des pécheurs. C'est en tremblant que le public du cirque regarde les sauts périlleux des acrobates; mais ne crois-tu pas que ceux qui mettent ainsi leur vie si légèrement à l'enjeu sont incapables, par exemple, de vaincre le mensonge quand celui-ci peut les aider à se tirer d'affaire en quelque circonstance peu importante? Il faut moins ~

de courage pour se baigner au mois de janvier dans ~ un fleuve glacé que pour rester fidèle à ses principes de pureté morale dans une société mal pensante.

Le courage de dire toujours la vérité! Le courage \\ de rester honnête! Le courage de ne jamais abandonner \1

ses principes! - Voilà ce quil fait les grandes âmes. ,:

« :Egoïste, va! »

Ce n'est pas précisément flatteur de s'entendre dire : « Égoïste, va! » Car qu'est-ce que l'égoïsme, sinon un faux amour de soi? L'amour de soi bien compris est commandé par Dieu. C'est un instinct qu'Il a implanté Lui-même en nous, cet instinct-

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32 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

là qui fait subsister l'individu, ... qui nous pousse à l' éviter tout ce qui pourrait nous nuire. Et l'égoïsme n'est ; que la caricature de l'amour de soi bien compris. Le [\jeune homme égoïste se croit le centre du monde' 1 il est persuadé que tout le reste a été créé pour lui e~

i que la seule raison d'être de l'humanité terrestre est L d' . '1 e serVIr ses trente-sIX caprices. Il ne juge les grands

événements historiques eux-mêmes que d'après le profit qu'il peut en retirer.

Plus l'enfant est petit, plus il est sujet à l'influence de ses sens; c'est-à-dire plus il est égoïste. Observe seulement un enfant de 4 ou 5 ans. Il veut avoir tout ce qu'il voit. Il rassemble tous les jouets qui se trouvent dans sa chambre et les range devant lui, dans le seul but qu'il n'en reste aucun pour les autres. Il n'est jamais trop tôt pour commencer à habituer un enfant au désintéressement; mais il est vrai qu'avec un bébé il faut avoir de l'indulgence. Et passe encore si un petit écolier, fraîchement arrivé au collège, écrit à sa maman vers la fin de septembre:

« J'ai déjà trois amis à l'école: Jules pour le latin, Jacques pour l'arithmétique et Paul pour la grammaire. »

Mais pour toi, mon fils, dont l'esprit se développe de plus en plus, il convient de reconnaître, à mesure que tu grandis, que le monde n'a pas été créé pour toi seul, que ta personne n'est pas précisément la plus importante de toutes, et que, tout autour de toi, vivent des millions d'hommes auxquels tu dois de la con­sidération. Il faut que tu le reconnaisses par toi-même, comme si l'éducation familiale ne te l'avait pas appris ... Nous appelons égoïste celui qui ne veut pas comprendre cela.

Ce qui est singulier, c'est que les jeunes gens sont

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 33

particulièrement égoïstes pendant les années de la 1

puberté, - c'est-à-dire au temps où, justément, ils sont les plus fiers de leur esprit et de leur savoir. Aujourd'hui, si un garçon de 13 à 17 ans est insuppor- 1·

table et irascible à la maison, s'il agace continuellement i 1

ses parents et ses frères et sœurs, s'il bat les portes, s'il est toujours de mauvaise humeur, jamais satisfait de rien, sans considération pour qui que ce soit, on dit: . l

« Il est nerveux, le pauvre gamin! » Mais on se trompe fort. Il est égoïste, « le pauvre gamin »,... voilà tout!

Si un jeune homme riche se vante devant des cama­rades pauvres des magnifiques voyages qu'il a faits pendant les vacances, c'est de l'égoïsme. Lâcher le battant de la porte quand on sait que quelqu'un vient derrière soi, c'est de l'égoïsme. Rire dans une famille •

1

où un événement triste vient de se produire, c'est de l'égoïsme. Se moquer des autres et agacer son entou­rage, c'est encore de l'égoïsme. Et je pourrais continuer sans fin!

Commence à t'exercer au renoncement pendant ta 1

jeunesse. Celui qui ne cherche qu'à se faire prévaloir \1

dans la vie, qui est toujours prêt à fouler aux pieds les t intérêts des autres, fait preuve d'un bien vilain égoïsme. 1 Mais comment en est-il arrivé là? Peut-être a-t-il commencé, dans son enfance, par de petites choses bien futiles. Lorsqu'il explorait les broussailles ~vec ses amis, il marchait devant eux et lâchait les bran­ches derrière lui. Peu lui importait qu'elles aillent cingler leurs visages! Il était le premier et, pour lui,

• cela seul comptait. Par contre, quel honneur pour un jeune homme si

on dit de lui: « c'est un noble cœur! » Un noble cœur est le contraire de l'égoïste ... Si un malheur a frappé

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

ton camarade, essaye de le consoler par quelques chaudes paroles: c'est d'un noble cœur. Si quelque

il chose de joyeux lui est arrivé, réjouis-toi avec lui : il c'est encore d'un noble cœur. L'égoïste, lui, en pâlirait '.J de jalousie ... Tu peux encore pratiquer l'abnégation en

1. partageant ton goûter avec un camarade pauvre, en aidant un ami à faire son devoir, en t'efforçant de faire

\ plaisir à un autre, en parlant poliment aux domestiques, en ramassant le chapeau qu'un étranger vient de laisser tomber, etc., etc ... Tu vois combien d'âme, combien de pensées élevées et d'amour du prochain on peut mettre dans les événements les plus petits d'une vie d'étudiant!

Sais-tu dire : non?

Un jeune homme ne peut pas se vanter d'avoir un r caractère ferme s'il ne sait jamais dire non. Lorsque

le tourbillon des passions et des désirs instinctifs te saisit, - lorsque, à la suite d'une offense, la lave de la colère bout en toi et voudrait faire irruption par ta bouche, - lorsque la tentation t'appelle au péché,­sais-tu frapper du pied et dire: « Non », tout court, d'une façon définitive? - « Non! Pas d'irruption!

,1 Pas d'étourderie! Pas de gifle! Pas de querelle! )) César voulut se déshabituer de paroles irréfléchies

en comptant jusqu'à vingt chaque fois qu'il avait à répondre à des propos qui lui avaient déplu. Le moyen est excellent. Pourquoi? Parce qu'il donne le temps d'intervenir à la réflexion, à notre meilleur moi, que l'explosion subite de nos sens ,avait étouffé un moment.

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 35

Un jeune garçon, chaussé de ses skis, glisse rapide­ment sur une superbe piste à travers la forêt neigeuse. Au bas de la pente se trouve un ravin profond. Ce jeune homme y court avec la rapidité d'une flèche; mais, à quelques mètres du ravin, il s'arrête net, d'un mouvement exercé et sûr, et le voilà debout au bord du précipice, immobile, comme une colonne de granit.

« Bravo! Magnifique! Où as-tu appris cela? » lui crie-t-on.

« Ce n'est pas ici que j'ai commencé, c'est certain )), répond le jeune homme. « J'ai d'abord essayé, et plus de cent fois, de m'arrêter sur des pentes moins dangereuses. »

Le chemin de la vie est aussi une piste, avec beaucoup de ravins. Et ceux qui n'essayent pas cent fois de s'arrêter sur la pente, comme un piquet, comme une colonne de marbre, en disant bravement non à la tempête des passions, finissent un jour par tomber dans l'abîme et par s'y perdre sans retour. Exêrcer Ul

sa volonté, c'est maintenir constamment son esprit t en état de lutte contre l'autorité dominatrice de son 1 corps. L'âme de celui qui cède sans résistance au . moindre désir instinctif manquera de fermeté, et un " \

~ '1 r 1 chaos effrayant régnera.dans ses pensees ... Ce a te lera j

comprendre le mot du Seigneur : « Le royaume des .1 cieux doit être conquis, et les violents seuls peuvent le saisir. »

La première conditiqn d'un caractère ferme, c'est J de lutter contre soi-même et de faire régner l'ordre li dans la forêt-vierge de ses forces instinctives déréglées. 1

Pendant la guerre mondiale on répétait souvent cette maxime: « La meilleure défense, c'est l'attaqué. » Elle est fondée. Il est indéniable que celui qui commence

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

la lutte a déjà un certain avantage sur son ennemi. Et il en est de même dans le grand combat de l'âme. Le meilleur moyen de préserver son caractère des

, défaites est de livrer jour par jour une petite bataille 1 à l'ennemi caché en soi et qui s'appelle : paresse, q insouciance, égoïsme, caprice, gourmandise, curiosité \ ou autre.

Qui n 'apprit pas à dire non A ses désirs, jeune garçon, Et-qui ne résiste jam'lis A son égoïste volonté, S'attaque à lui comme à un ennemi. Avant qu'il ait réflé chi, Ses propres faits l'ont achevé. Le voilà vaincu, suicidé!

(WEBER) .

Je crains que tu ne puisses croire l'histoire que je vais te raconter : il est tellement surprenant de voir un homme se posséder à un tel degré de perfection! Mais écoute-la, pourtant: Un grand savant en histoire naturelle, du nom d'Abauzit, demeurait à Genève. Chaque jour il mesurait la pression de l'air et il la notait soigneusement depuis vingt-deux ans. Un jour, une nouvelle femme de chambre commença son service par un grand nettoyage dans le cabinet de travail du maître. Celui-ci lui demanda en rentrant: « Où avez­vous mis les papiers qui étaient ici, près du baromètre? )) - « Je les ai brûlés, Monsieur; ils étaient tout sales. Mais j'ai mis du papier propre à leur place.)) - Eh bien, pense un peu àce que tu aurais répondu, toi, à ce:te femme!... Et que hIi répondit donc le savant? Il crOlsa les bras (c'était peut-être pour répi'imer l'orage qui

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 37

menaçait de se déchaîner en lui), puis il dit tranquil­lement: « Vous venez de détruire le résultat de vingt­deux ans de travail. Je vous prie de ne toucher' à rien, à l'avenir, dans mon cabinet de travail. ))

Essaye une seule fois de rester aussi calme en face Il\~, d'une contrariété beaucoup plus insignifiante! J

Sais-tu pourquoi un bon nombre de jeunes gens prennent l'habitude de fumer? (Il y en a qui savent parfaitement que c'est une passion tout à fait ridicule, mais cela ne les empêche pas de continuer). Crois-tu que c'est parce qu'ils trouvent du goût au tabac? Pas du tout. Ils fument parce que les autres le font ... Pourquoi ce jeune homme critique-t-il tout et tous à tort et à travers? Pourquoi prend-il des allures légères? Parce qu'il voit les autres faire ainsi ... Il faut une âme bien forte pour oser défendre les vrais

\\ principes de morale dans une société aux vues toutes ' différentes. Il faut un courage imposant pour ne jamais . céder un seul pas à personne sur ses convictions reli­gieuses. Mais celui qui ne possède point ce courage n'a encore qu'un caractère bien faible et loin d'être achevé.

Hélas! je connais des jeunes"'gens qui se comporte- ~ raient en ,héros s'ils devaient ' se défendre dans une \, bataille, mais qui sont gênés pour confesser leur foi J en société, qui ont la plus grande peur du « qu'en ~ dira-t-on)) ? Il y en a un bon nombre qui, malgré leur 1

noble conception morale, préfèrent rire des propos i grossiers qu'ils entendent et en tenir eux-mêmes, ,\ uniquement parce que les autres font ainsi.

Un jeune homme au caractère ferme ne demandera jamais : « Comment font les autres, pour que je les imite. Comment parlent les autres, pour que je parle

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

comme eux. )) La fleur ouvre son calice aux rayons du soleil levant et, sans s'occuper de ce que font les autres fleurs, elle baigne sa petite tête parfumée dans le flot tiède qui l'enveloppe. Face au soleil! L'aigle ne se retourne pas pour regarder craintivement autour de lui et voir si les autres oiseaux le suivent dans son vol; il s'élance comme une flèche vers les cimes les plus élevées. Face au soleil!

En haut, « ad astra )), face au soleil, - c'est aussi la maxime du jeune homme qui veut devenir un caractère.

C'est un grand bien, vois-tu, de savoir dire un non énergique quand l'occasion s'en présente.

Dis non à tes camarades lorsqu'ils t'incitent à faire une action défendue. Crie non aux exigences aveugles

'1 de tes instincts, non à toutes les tentations qui essayent de te prendre dans leur réseau de flatteries.

Extrait d'un journal.

Ici, je te livre quelques pages du journal d'un étudiant de 15 ans. Elles te feront connaître deux types très différents de jeunes gens: l'un qui se laisse entraîner

!~ par le courant de l'indolence et de la légèreté, et l'autre '1 qui sait dire non avec une fermeté d'airain.

« Hier, je suis allé faire visite à Duchêne; mais je n'y retournerai pas de sitôt. Je n'en avais du reste nulle envie; c'est Boireau qui m'a presque forcé à accepter les invitations pressantes de ce garçon pour qui je m'étais pris d'une antipathie étrange dès le

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 39

premier jour, et surtout depuis la fameuse leçon de religion à la fin de laquelle il nous jeta d'une voix cymque:

« La religion? C'est bon pour les petits enfants, et non pas pour des jeunes gens! ))

Mais je commence par le commencement ... Je sonne, et un domestique en livrée ouvre la porte. « Monsieur Paul étudie dans sa chambre )), me dit-il, « Veuillez me suivre. ))

Je traverse un appartement luxueux, rempli de tableaux et de tapis d'Orient, et je frappe à la porte de « Monsieur Paul )). Il a dû se boucher les oreilles pour mieux étudier, car il ne répond pas. J'entre doucement. Il est assis près de sa table, les coudes sur un journal illustré; mais il dort profondément. Sous le journal, sa grammaire latine est ouverte. Dans le cas où son père viendrait voir ce qu'il fait, d'un mouvement rapide il la mettrait dessus ... Si le père fût venu à ma place, le fils eût été joliment ennuyé!

Avant de réveiller l'étudiant laborieux, je regarde autour de moi. Oh, cette chambre! Jamais de ma vie, je n'avais vu un désordre pareil: on eût dit une friperie! Sur la table de travail gisaient pêle-mêle les objets suivants : la doublure trouée d'un ballon de football tachée d'encre, un foret, des bouts de bois, une pompe à bicyclette, un seul gant. Plus loin, une règle tailladée, une gomme, une dizaine de boutons de grandeur différente - c'est très amusant de les faire sauter -et le cahier d'arithmétique. De l'autre côté, un pistolet d'alarme, un tire-bouchon, une boîte d'allumettes, la moitié d'un dictionnaire latin - l'autre moitié est sous la table. Un bout de buvard, 40 à 50 timbres étrangers, une clef de patin, une seule manchette, ces

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

derniers objets autour de la petite lampe électrique. Des livres traînent de droite et de gauche: des romans douteux pour la plupart. Ici, le manuel d'algèbre, là, le livre de lecture anglais, à demi cachés sous des revues illustrées. Un bout de crayon, mâché jusqu'à en devenir informe, et quatre vieux billets de métro complètent le tableau. Et, au beau milieu de ce chaos, Duchêne dort paisiblement.. . Eh bien, si ce garçon est aussi désordre en dedans qu'en dehors, c'est du joli! - pensai-je tout à coup.

A ce moment, « Monsieur Paul » se réveilla. D'un mouvement instinctif, il saisit le journal illustré pour le faire glisser sous la grammaire latine; mais, lorsqu'il s'aperçut que ce n'était pas son père qui venait d'entrer, que c'était moi, il me tendit la main avec une nonchalance qui voulait être élégante.

« Ah! c'est toi! Bonjour, bonjour!... Prends place, mon ami... Je vais t'offrir une cigarette d'Égypte : elles sont fines, celles-là!... »

Il ouvrit un tiroir et fouilla dans ses profondeurs les plus secrètes pour en retirer une poignée de cigarettes.

« Merci, je ne fume pas. Mais à toi, c'est permis! ... De qui as-tu reçu ces cigarettes?

- Je les ai prises chez Papa .. . c'est-à-dire qu'il me les a données ... enfin, je me les suis procurées ... Toi, tu ne fumes pas encore? Tu fais le saint! Les petits enfants n'osent pas faire ce qui leur est défendu . »

Je sentis la colère monter en moi, mais je me contins et je répondis tranquillement :

« C'est vrai que je ne fais jamais ce que mes parents me défendent. Jusqu'ici, j'ai toujours reconnu qu'ils avaient raison. Mais, si je ne fume pas, ce n'est pas

QU'EST-CE QUE LE CAI~ACTÈRE?

seulement par obéissance, c'est aussi par principe. Et je n'ai pas l'habitude de céder là-dessus. »

Ensuite, Duchêne me parla longuement de ses vacances qu'il venait de passer au bord de la mer; puis, de sa motocyclette. Il me raconta encore un tas de futilités.. . et aborda le terrain des grivoiseries. Je ne riais plus : j'étais furieux. Bientôt, en se vantant de ses conquêtes, il voulut me montrer des photo­graphies représentant des actrices à peine vêtues. Mais je me levai alors d'un bond et je partis . Ma colère, longtemps retenue, allait éclater; et j'avais dû faire effort pour ne lui dire que ceci : « Je croyais que tu m'avais invité pour une causerie digne d'un homme. »

En sortant de chez lui, je me rendis au bord de la rivière. Il me fallait de l'air pur à tout prix! C'était une belle soirée d'hiver et les étoiles brillaient d'un éclat incomparable. Je me promenais tout seul et mon âme agitée s'éleva vers le ciel. « 0 étoiles! m'écriai-je avec ferveur, vous 1 êtes si pures, si brillantes, et si loin de tout ce qui pourrait vous ternir! Oh, comme \ la terre est sale, et comme les âmes sont entachées ' ici-bas!". Aidez-moi à vous ressembler!. .. » Longtemps, longtemps j'errai sur la rive, laissant mes pensées se plonger dans la pureté des choses éternelles.

Telle fut ma première visite chez Duchêne, ma première et ma dernière. »

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Le cerf-volant sur le fil télégraphique.

;ï La maîtrise de soi est à la base de toutes les vertus. '1 Sitôt que l'on devient l'esclave de ses passions ou de

ses instincts, on perd la principale garantie de sa vie morale : le commandement du « moi ». Celui qui, sans aucune résistance, cède à ses désirs sensuels n'est pas un jeune homme de caractère; il ne mérite même plus le nom d'homme, car être homme signifie que l'on sait commander et résister aux exigences grossières de son corps. Dans la vie, nous sommes souvent consternés de voir combien non seulement les enfants, chez qui l'attrait des sens est presque naturel, mais aussi les adultes, agissent sous l'influence du premier

1 moment, combien la maîtrise de soi est faible chez eux. i. C'est cette maîtrise, pourtant, qui les inciterait, avant

d'agir, à se demander si leur action est juste et droite, conforme au but, et quelles en seront les conséquences. Les vagues soudaines de la colère, de la fierté blessée, du sensualisme et de l'orgueil les amènent à faire des actes qu'ils regrettent cinq mir.utes plus tard. Un nombre considérable des péchés de ce monde ne serait jamais commis si les hommes s'exerçaient sérieusement à cette seule vertu : savoir se commander

1 à eux-mêmes. Au temps du paganisme, le peintre Nicodromus

donna un jour un brutal soufflet au philosophe Cratès. Or, sais-tu comment Cratès se vengea? « Il lui rendit son soufflet! » penses-tu. Eh bien non! Mais, sur sa joue enflée, il plaça un billet portant l'inscription sui­vante: « C'est Nicodromus qui m'a fait cela. » Et toute

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 43

la ville apprit ainsi que le peintre n'était qu'un carac­tère faible qui ne savait pas résister à son emportement.

Qui joue avec la vie, n'en finira pas net. Qui n'est maître de soi, restera son valet.

(GŒTHE).

L'un de mes élèves, dans un cas semblable, agit un jour d'une manière bien différente. Il avait poussé un camarade sans le vouloir. Celui-ci se tourna vers lui, en colère : « Tiens, tu es la plus grande bête du monde! » lui dit-il. Et sais-tu ce que mon jeune ami lui répondit, d'une voix calme et polie? « Mais, je t'en prie, comment peux-tu l'oublier à ce degré? »

Il est indéniable qu'aujourd'hui la plupart des hommes ont une manière de penser hideusement matérialiste. C'est là un triste fait. Mais il arrive que ces gens, empêtrés dans la boue, professent une admi­ration profonde pour l'homme en qui l'esprit a triomphé de la matière. Avec quel enthousiasme le monde entier n'accueillit-il pas la bonne nouvelle, il y a quelques années, qu'Amundsen, l'explorateur intrépide qui avait souffert tant de privations, avait enfin atteint le pôle Sud! Et comme la compassion fut sincère et unanime à l'annonce que Shakleton était mort de froid à quelques lieues de son but! etc. Or, qu'est-ce donc que l'humanité honore ainsi chez ces explorateurs qui n'ont ni découvert des mines de diamants ni construit des machines nouvelles, sinon la victoire de l'esprit, de l'âme, sur le corps, la matière, les forces de la nature?

Un jour, dans une petite ville de province, je ren­contrai un petit garçon tout en larmes. Il pleurait

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44 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

parce que son cerf-volant, qu'il avait mis des journées entières à construire et à orner et qu'il venait de lâcher, s'était pris dans les fils télégraphiques. A chaque soufRe du vent le magnifique cerf-volant s'agitait davantage, et l'enfant qui le voyait de minute en minute se déchirer de plus en plus sanglotait bruyamment. Il ne pouvait rien, absolument rien, pour empêcher la ruine du bel ouvrage qu'il avait façonné avec tant de soin.

Chez les jeunes, l'âme est toujours prête à s'envoler vers les hauteurs; mais, hélas! elle se prend souvent ainsi sur les bancs de sable des sophismes, sur les rocs de la morale ou dans les filets des passions; et c'est en vain qu'elle se débat ensuite pour recouvrer la liberté. Le pauvre petit garçon se lamentait en regardant son cerf-volant se détruire sur les fils qui l'avaient capté dans son premier vol. Prends garde, mon fils, que ton âme, dans son élan vers les cimes, ne soit

,1 de même retenue par les griffes de tes passions ou 1 embroussaillée dans la forêt-vierge de tes forces ~ instinctives! l,

Contre le torrent!

Imagine-toi le généralissime d'une grande armée en temps de guerre. Il fait ses plans et il décide du sort de centaines de milliers d'hommes dans une chambre silencieuse, à l'arrière du front. Là, la moindre parole est interdite. Le chef de l'état-major est tout entier à l'étude de cartes gigantesques sur lesquelles chaque route, chaque source et la position de chaque batterie

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 45

et de chaque avant-garde sont notées avec un soin méticuleux. Dans la chambre voisine, c'est un va-et­vient incroyable et continu. A chaque minute, le téléphone sonne ou le timbre du télégraphe retentit. Des automobilistes et des motocyclistes arrivent et s'en retournent presque aussitôt; les rapports se succèdent; des aviateurs annoncent le résultat de leurs raids' , - et rien de ce tohu-bohu ne doit arriver jusqu'au généralissime. Il a besoin de tranquillité et de tout son sang-froid pour réfléchir et rédiger clairement ses ordres. Cet homme, dans cette chambre silencieuse, est comme une pierre immobile dans le torrent des événements; il symbolise le caractère indépendant.

Le jeune homme qui sait rester fidèle à ses convic­tions, sans se soucier du tapage et des moqueries de ses amis, est ce caractère. Contra torrentem! Contre le torrent!

Celui qui, au contraire, vit dans la peur continuelle !"

du « qu'en dira-t-on )), n'est pas encore affranchi; il est 1 l'esclave de ses propres craintes. !

Le prophète Daniel, tombé prisonnier de Nabucho­donosor à l'âge de quatorze ans, fut emmené à la Cour de ce prince. Tu peux t'imaginer à combien de tentations il fut exposé dans ce milieu d'une pompe incroyable! Or sais-tu ce qu'il se disait chaque matin? « Je resterai fidèle à mon Dieu, et je ne goûterai pas à la viande défendue. )) - La tentation dura trois ans, et Daniel ne manqua pas une seule fois à sa promesse. Tous les appâts dont il fut entouré dans ce palais de marbre ne purent l'en détourner. Quel caractère, n'est-ce pas?

Veux-tu d'autres exemples ? .. Lis. Voici une lettre écrite par un jeune homme qui dut

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

abandonner ses études pour la tranchée au cours de la grande guerre.

« J'étais tombé dans une bien mauvaise compagnie. Parmi mes camarades, je n'avais pas un ami qui pensait comme moi; j'étais seul, tout seul... Oh! ce n'était pas la gaieté qui manquait, mais on tournait tout en mal. On dénaturait le texte des chansons, en y mêlant des grossièretés auxquelles il est même défendu de penser. On lisait à haute voix des livres dans lesquels les pires turpitudes étaient décrites avec force détails. Et on

, m'obligait à écouter des choses dont je ne me doutais même pas ... Le plus enragé de tous était notre caporal qui employait tout son mince savoir à ce genre de divertissements... Je disparaissais de la chambrée aussitôt que je le pouvais; mais, quelquefois, je ne pouvais pas sortir. Alors, nous étions tous assis autour de la table, et le caporal commençait ses grivoiseries. J'essayais de m'occuper d'autre chose et de ne pas écouter. Mais, si on s'en apercevait, on m'y contrai­gnait... De bonne heure, et à cause de cela, on s'en prit à moi de tout. On me donnait toutes les corvées désagréables, et j'étais puni avec la plus grande sévérité pour les moindres omissions, pour des choses qu'on ne reprochait même pas aux autres. N'y tenant plus, j'allais porter plainte, lorsqu'on me changea de

, place ... Aujourd'hui,je suis redevenu libre, et personne ne m'oblige plus à écouter de vilaines choses. ))

Quel héroïsme, quelle indépendance, n'est-ce pas, dans ce jeune soldat qui eut le courage de lutter ainsi contre le courant! Contra torrentem!

Pendant la Commune, en Hongrie, il était défendu de prier en classe avant les leçons: Un jour, dans l'une des écoles de la capitale, le « citoyen-maître)), sitôt

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 47

entré, commanda aux enfants de s'asseoir. Mais ceux-ci . restèrent debout. « Quoi? Qu'est-ce que c'est? Mais {. asseyez-vous donc! )) leur répéta-t-il. Et ses élèves .f: de lui répondre en chœur: « Nous n'avons pas encore t, prié! Nous voulons le faire. )) - « Mais vous savez Ir bien ~~e la prière est interdite! )) cria le citoyen, les i~ ye~,x etl~c~lants de colère. « Nous n'avons pas encore pne! )) repeta le chœur. Et il n'y eut rien à faire. « Eh : bien, priez donc! )) cria le maître. - Cette classe se . composait de jeunes héros.

Un homme à la volonté ferme se fraye un chemin partout, telle une chute d'eau parmi les rochers' et les âmes courageuses, les caractères indépendant~ se dressent comme des pyramides dans le désert de l'immoralité et de l'inconstance modernes. Tout le ,~ ~o~d~. n'a pas ~'oc~asion de commettre un grand acte l d herOlsme. TOl-meme, tu ne l'auras probablement il

pas non plus. Mais ta vie tout entière peut devenir ,., un exemple d'héroïsme si tu remplis tous tes petits ;i devoirs quotidiens avec un zèle et une fidélité sans r relâche. t

Surtout, ne te laisse pas intimider par les beaux . parleurs! Si tu défends courageusement tes principes, f tu verras souvent l'ennemi battre en retraite, tout 1 effrayé. D'ordinaire, il ressemblera beaucoup moins à u,n taureau sauva~e irrité qu'à un gros escargot qui s empresse de retIrer ses cornes au premier contact un peu dur.

Nous - la génération de tes parents - nous consta­t~ns avec bonheur que la jeunesse d'aujourd'hui est bIen plus religieuse que ne l'était celle d'il y a vingt ou trente ans. Mais c'est aussi d'une nécessité urgente; sinon la culture européenne est perdue.

{ ,1

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Pendant son voyage en Occident, le poète indien Rabindranath Tagore constata qu'en fait, d~ mor~le 1

œurs de l'Europe dite chrétienne etalent blen es m . , . r inférieures à celles de l'Orient païen. L'espnt matena lste du XIXe siècle qui nie l'âme e~ sa destinée ét~rn:lle, qui rejette Dieu, nous a condUlts au bord de l.abime,

ffet et aucune puissance terrestre ne saurait nous en e , , . préserver de la chute, si ce. n'est celle ~ une jeunesse profondément religieuse qUl a recouvre ses nobles

enthousiasmes pour l'Idéal. . Une jeunesse profondément religieuse! C'est-à.-dire

~ . qu'elle ne doit pas être chrétienne sur le~ registres : seuletnent mais qu'elle doit l'être dans la Vie de tous

, 'd les jours, qu'elle doit marquer les consequen~es e cette pensée sublime : « Nous sommes des jeunes gens chrétiens » dans le plus petit de ses gestes, dans toutes ses pensées, toutes ses paroles et toutes ses actions ... Oui, mon fils, si tu appartiens à cette jeuness~, il faut que ta vie en fournisse le témoignage, - des

.,maintenant, pendant tes années d'étude, et plus tard, sur le chemin de ta profession! Toujours et e~ tout, il faut que tu sois fidèle à tes convictions religieuses!

Le duel.

(( Prends garde, l'ami! Sais-tu bien à qui tu as affaire? Il y a six minutes que je suis décidé à te prov~quer en duel! » Tel était le fier discours tenu par un jeune

1 mme bien intentionné par ailleurs, lorsque, cn 10 , . d '1 t descendant l'escalier après la proclamatIOn es resu ta s

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 49

obtenus à un examen de fin d'études, il fut poussé par un de ses compagnons.

Il s'en vantait avec un sérieux parfait et il était persuadé qu'il avait accompli une chose importante. Mais comme il se trompait 1. .. Il était de ceux qui n'osent . pas lutter contre le courant. Son air pédant reflétait : tous les sophismes et tous les préjugés auxquels ! recourt - bien à tort - . la société moderne pour · essayer de défendre la notion de l'honneur. .

Il ne sera pas superflu pour toi, mon cher enfant, de lire ici quelques réflexions relatives à cette erreur. Car il m'est arrivé plus d'une fois d'entendre de tels propos de la bouche de jeunes gens (( bien pensants ».

(( Oui, le duel est une bêtise, si vous voulez. C'est une manière primitive de se faire justice qui nous est restée du passé. Mais, en certains cas, il est impos­sible de l'éviter .. . En certaines circonstances, on est incapable de venger son honneur autrement. »

C'est cela, parfaitement: venger son honneur. On dit que c'est le but du duel. Mais un homme qUl"a menti, qui m'a trompé ou calomnié, et à qui j'ai dit en face qu'il a fait cela, de quel droit vient-il me demander réparation? Qu'il se corrige plutôt, qu'il se repente de ses péchés : c'est le seul moyen pour lui de racheter son honneur. N'est-ce pas risible de penser que, si un fripon saisit une épée ou un pistolet, il a déjà prouvé son honnêteté. Ce qu'il a prouvé, c'est qu'il sait exposer sa vie bien légèrement. Or, les voleurs, les assassins, les danseurs de corde et les dompteurs de fauves ne font-ils pas de même?

Réfléchis seulement un peu, et tu seras obligé de constater que le duel est un moyen absolument impropre à donner satisfaction à un offensé. Dans un duel, trois

Le Caru,ctère. 4

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5° LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

cas peuvent se présenter : Les deux rivaux reçoivent une blessure; et alors, lequel a l'honneur sauf? -L'offensé, l'innocent, est seul blessé; et alors, où est la réparation qu'il paraissait exiger? - Et enfin, dernière possibilité, j'offenseur est vaincu; supposons même qu'il meurt des suites de ses blessures. Qu'arrive-t-il? .. De nos jours, on entend retentir partout l'affirmation onctueuse que, devant la loi, nous sommes tous égaux. Cela sonne bien, et nous en sommes tout fiers. Mais voilà: si deux jeunes paysans se donnent un coup de couteau après s'être enivrés ensemble, on les met en prison pour de longs mois; ils étaient pourtant à peine responsables de leurs actes lors de leur querelle. Et la même loi se contente de trois jours de la même peine, et avec quels adoucissements, s'il s'agit de deux « gentilshommes» qui, après un entraînement prépara­toire de plusieurs heures, se donnent des coups d'épée, plus ou moins mortels peut-être, froidement, sciem­ment, devant témoins, et avec une technique artistique! Ne crois-tu pas qu'elle est triste « l'égalité » du xxe siècle? Et ne penses-tu pas que le sens de la justice la plus primitive doit s'en trouver offensé?

On se plaint partout que, dans le peuple, on ne sait plus respecter les lois. Mais comment pourrions-nous exiger ce respect des couches les plus basses de la société si, dans les hautes, on peut s'y soustraire impunément et de la manière la plus violente?

Je voudrais que toi, mon fils, tu aies la volonté de ne jamais te battre ainsi lorsque tu seras adulte. Un caractère impeccable, entends-le bien, n'a que de l'aversion pour le duel.

Je sais bien qu'il y a beaucoup d'hommes honnêtes qui, en conformité avec leurs convictions religieuses

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

et le pur bon sens, condamnent le duel, et qui n'osent pourtant pas s'y dérober en certaines occasions, se trouvant alors, disent-ils, sous la pression de la con­trainte sociale. Mais comme ils ont tort!

Ce qui fait l'honneur d'un homme, en effet, c'est sa loyauté, sa droiture. Et, dès lors, c'est l'homme lui-même, tout seul, qui peut, en prévariquant, se déshonorer. C'est se comporter en païen que de croire qu'une offense ou une injure qui vient du dehors peut nuire à sa réputation. Les nobles romains ne se battaient jamais en duel; ils portaient leurs offenses devant le tribunal civil, et personne ne les qualifiait de lâches.

« L'honneur et le courage sont deux nobles vertus de l'âme qu'on ne peut se procurer par les armes; et le manque d'honneur et la lâcheté sont deux souillures .c.

de l'âme qui ne peuvent être lav~es dans le sang)) l (J. Csernoch).

Je ne peux pas nier que cette stupide conception sociale qui préfère recourir au duel, ce moyen si peu efficace quand il s'agit de représailles, que de soumettre ses offenses à la loi, est encore bien vivante et continue chaque jour à faire de nombreuses victimes. J'avoue même qu'ii se trouve encore des hommes, au jugement étroit, pour accuser de lâcheté ceux qui ne se soumettent pas à cet usage barbare. Mais c'est pour cela, préci­sément, que le monde a besoin d'hommes courageux dont la vie en impose par sa pureté et sa droiture, d'hommes vaillants qui n'ont pas peur de rompre ouvertement avec cette antique manière de pensée ... Je connais des hommes qui occupent de hautes positions politiques et sociales, que leur activité désigne pour les places les plus importantes de la vie et qui sont entourés

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52 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

par tous du plus grand respect, bien qu'ils proclament hautement que, suivant leurs convictions religieuses, ils ne se battront jamais en duel. Je n'ai pas besoin de dire qu'en retour ils se font une regle sévere de ne jamais offenser personne. Car insulter quelqu'un et refuser ensuite de lui donner satisfaction, ce n'est pas du Christianisme, c'est de la lâcheté et du manque de caractère. Quand on s'y est laissé aller, ne fût-ce que par étourderie - ce qui est bien humain après tout - il faut certainement plus de force morale pour demander pardon de l'injure faite, en s'accusant soi-

~l même, que pour se battre en duel. Le duel était un moyen brutal de venger son honneur

dans un temps où les droits de la justice devaient se conquérir personnellement et à coups d'épée. Mais, dans un monde cultivé, personne ne peut se faire justice soi-même. Tâche donc de travailler, mon fils, par ton exemple, à ce que cette coutume barbare disparaisse comme a disparu la notion, également très répandue jadis, qu'un meurtre ne pouvait se laver que dans un autre meurtre. Il n'est pas du tout digne d'un jeune homme courageux d'étouffer violemment ses plus nobles principes sous la pression sauvage et terrifiante des préjugés d'une certaine classe sociale.

Tout récemment, j'entendais raconter l'histoire de deux jeunes gens qui se battirent en duel dès qu'ils eurent atteint leur majorité. Ils s'étaient querellés à l'âge de seize ans et ils avaient nourri en eux l'idée de se battre ainsi jusqu' au jour tant désiré où il leur fut permis de la réaliser. .. Ciel! Est-ce possible que de jeunes imbéciles aussi ingénus soient déclarés « mûrs »?

Qu'un jeune homme soit prêt à donner sa vie et son sang pour la justice, pour sa patrie, pour sa foi, pour

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 53

quelque grande idée, - c'est très bien. Mais que ce soit pour une opinion aussi erronée que brutale, -jamais! Le duel est un péché contre Dieu, contre soi­même et contre son prochain. De plus, c'est une folie.

Vois quelle magnifique preuve de courage nous donne l'Église catholique en luttant depuis des siècles contre cette stupide èoutume, en excluant de son giron les duellistes et leurs témoins, en tenant tête ainsi à l'opinion publique et en s'avérant prête à continuer cette opposition jusqu'au jour où les hommes seront revenus de leur erreur. Aujourd'hui, on sourit du moyen âge qui faisait brûler les « sorcières ».

Demain, on ne comprendra plus l'époque où les hommes se battaient à l'épée pour sauver leur honneur.

La principale question à te poser est celle-ci : Que pourrais-tu faire, toi, contre le duel? Le supprimer tout à fait? Cela n'est pas en ton pouvoir. Mais tu peux y travailler. - Respecte l'honneur des autres et tu n'auras pas l'occasion de les provoquer à ce genre de combat. Le jeune homme qui n'a pas l'habi­tude de donner à chacun le respect qui lui est dû, dans ses paroles ou dans ses actes, recourra facilement à quelque expédient de ce genre. - Ne souffre pas qu'on calomnie quelqu'un en ta présence et tu auras peut-être empêché que deux êtres se blessent sur le terrain. -Si ton camarade s'est querellé avec quelqu'un arrange l'affaire dans l'intimité. Ce sont souvent les témoins d'une offense qui sont cause de ce que le duel a lieu. - Si la conversation tombe sur le duel, ne cache pas ce que tu penses de ce moyen tout à fait impuissant à venger l'honneur, et annonce bravement que tu doutes beaucoup que tous les visages sillonnés de coups

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54 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

d'épée recouvrent une âme honnête .... On n'est pas un héros pour avoir blessé quelqu'un en duel. Le héros, ce n'est pas celui qui a vaincu son ennemi; c'est celui qui a triomphé de lui-même.

Sur une pierre tombale j'ai lu ces mots: « Victor hostium et sui. » « Il a non seulement vaincu son ennemi , mais il s'est vaincu lui-même. » Une simple phrase; mais quel suprême éloge! Car si beaucoup de gens savent vaincre leurs ennemis, combien peu savent se vaincre eux-mêmes!

« Victor hostium et sui ».

A I4 ou 16 ans, le système nerveux d'un jeune homme ressemble à des fils chargés d'électricité, et son sang à de la lave brûlante. Rien n'est donc plus difficile que de lui faire comprendre la sublime beauté de la possession et de la maîtrise de soi.

« Comment? me diras-tu. Si un camarade me pousse pour me faire tomber, que je ne lui donne pas un coup de poing violent? Si quelqu'un me cherche querelle, que je ne lui applique pas un magistral soufflet? Si un ami se moque de moi, que je ne lui réponde pas et bien franchement? ... C'est déj à terriblement difficile. Mais accepter, outre cela, que cette retenue, loin d'être de la lâcheté, est la plus belle fleur de la volonté humaine, c'est presque impossible! »

Et pourtant, rien n'est plus vrai. C'est ce qu'exprime la célèbre parole de Goethe:

Celui-là est maître qui sait se borner; Et c'est la loi qui rend la liberté.

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 55

La maîtrise de soi n' es~ ni un silence indécis ni une résignation passive; c'est la manifestation d'une volonté

. disciplinée qui reste toujours maîtresse de la situation et qui sait toujours mesurer à l'avance le poids de la parole qu'on va prononcer.

La maîtrise de soi ne déplaît aux jeunes gens que parce qu'ils donnent un sens erroné à ce mot. La maîtrise de soi ne signifie aucunement que l'on doive endurer tous les affronts avec la patience d'un mouton et essuyer toutes les injures sans mot dire. Un homme . de volonté est parfaitement libre de répondre aux ;' outrages qu'on lui fait; seulement, il évite de ne pas ;, s'abaisser au niveau moral de son adversaire en se livrant :: à de violentes querelles ou en échangeant des coups " de poing. Par sa conduite invariablement digne et par .' ses paroles réfléchies, il touche son rival à son point r.

le plus sensible. Au contraire, si on ne sait pas se maîtriser, c'est comme si on ne savait pas marcher; on chancelle et se heurte aux gens à chaque minute.

Le plus bel exemple de la maîtrise de soi nous a été donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsque, au " cours de sa Passion, un soldat le souffleta. Il aurait pu, t. n'est-ce pas, punir ce sacrilège par la mort? Mais 1 que fit-Il? Il répondit à son offenseur avec un calme ( imperturbable : « Si j'ai mal parlé, prouve-le; sinon, i

\ pourquoi me faire un tel affront? »

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

'0. Tour forte ou girouette?

Dans les petites villes du moyen âge, on rencontre souvent des vestiges de forteresses et de châteaux forts; et, même là où les bâtiments sont réduits à quelques pierres, il n'est pas rare de trouver presque intacte la haute tour du vieux donjon. Or, ces tours qui ont vu disparaître tant de siècles et qui contemplent, à leurs pieds, et de leur regard impassible, le tour­billon de la vie moderne, comme elles donnent bien une idée du caractère tenace! Au-dessous d'elles, tout change, tout se transforme, tout évolue; on vend et on achète; mais rien ni personne ne peut altérer leur granit.

Ces anciennes tours sont le symbole du caractère inébranlable, de l'homme qui fait son devoir virilement. Jadis, la tour était le meilleur refuge des habitants du château; aujourd'hui, l'homme au caractère ferme est le meilleur soutien de la société. « N'abandonne amais la place où ta vocation t'a placé et remplis-en toutes les charges )) - semblent nous dire ces pierres muettes. « Considère le nombre d'années exigées pour ma construction, combien de petites pierres il a fallu, et combien de travail, de bonne volonté et de sueur! Mais tout cela n'a pas été en vain. Je survis à des centaines et des centaines d'années! ))

N'est-ce pas, mon enfant, que tu te laisses décou­rager facilement dans ta bonne volonté? Combien de fois tu t'es élancé dans le bon chemin avec une

i' ardeur juvénile? Combien de fois tu t'es promis

r

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 57

de travailler sérieusement au développement de ton caractère? Mais, n'est-ce pas? au bout de quelques heures, de quelques jours tout au plus, la flamme de ton enthousiasme tombait, ton ardeur disparaissait, }

" et tu te retrouvais le même. Il fallut des années, des ;, dizaines d'années peut-être, pour bâtir la tour; et toi, ] tu voudrais devenir un caractère en un seul jour! t' Tu sais bien pourtant que, si le chemin du péché est agréable et semé de fleurs délicieuses au commen­cement, un dégrisement terrible y attend bientôt le pécheur; - et que, s'il est difficile d'être vertueux en débutant, ce chemin-là devient bientôt de moins en moins dur, et qu'on trouve toujours, à son terme, la paix d'une conscience tranquille.

Mais qu'est-ce que j'aperçois là, à la cime de cette vieille tour?.. cette chose qui ne reste jamais en place, qui tourne à droite et à gauche? .. Une girouette! Elle n'a ni direction fixe ni base stable. Je suis presque tenté de dire qu'elle n'a ni principes ni caractère. :. Car, si elle en avait, le vent aurait beau soufRer, elle ne lui obéirait pas. - Abandonner ses principes, agir contre ses convictions, parce que c'est plus commode, parce que cela assur< une carrière meilleure, parce que, autour de soi, le vent soufRe d'un autre côté, - c'est le fait d'une girouette. Mais dis-moi, mon ami, mérite- ' t-il le nom d'homme celui qui se laisse guider par les circonstances extérieures et par les avis de son entou­rage dans ses actions, dans ses principes et dans ses convictions?

Et pourtant, combien il y en a de ces jeunes gens-là! Tu en connais des douzaines, et moi aussi. Ce sont tous ceux qui ne savent pas marcher sur leurs propres pieds, qui sont encore mineurs spirituellement, qui

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58 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

regardent toujours de droite et de gauche pour VOIr ce que fait le voisin.

En voici un que sa conscience avertit: « Ne lis pas ce livre: tu as entendu dire qu'il est plein d'ordures morales. Pourquoi laisserais-tu la robe blanche de ton âme traîner dans l'eau puante de cette mare infecte? »

- Bon, il ne le lira pas. - Mais arrive un camarade : « Oh! petit saint en miniature, que tu es donc enfant! » raille-t-il. - « Moi, enfant? » et le voilà qui reprend le livre, qui le lit jusqu'à la dernière ligne et qui salit son âme dans la boue qu'il renferme.

En voici un autre à qui sa conscience dit encore : « Neva pas à la représentation de telle pièce, de tel film! Quitte telle compagnie dangereuse! » - « Comment faire? Les autres y vont bien; les autres s'amusent bien de cette façon. Serai-je seul à leur faire front? »

Oui, mon fils, c'est exactement la manière de penser et d'agir des girouettes.

Eh bien, choisis, toi. Que préfères-tu être, une tour forte ou bien une girouette? L'esclave de la peur du qu'en dira-t-on, ou l'esclave de ta conscience?

L'esclave de sa conscience.

L'esclave de sa conscience! Ce titre se lit comme celui d'un roman de détectives, - penses-tu. Mais tu te trompes. Si on peut dire d'un jeune homme qu'il est maître de sa volonté et esclave de sa conscience, c'est le plus grand honneur qu'on puisse lui faire. Si tu es capable d'être invinciblement et continuelle-

\'

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE? 59

ment fidèle à tout ce que ta conscience te commande, tu es un jeune homme au noble caractère.

Dans toute voiture il y a un petit clou qu'on remar­que à peine, mais qui a la plus grande importance : c'est celui de l'essieu. S'il vient à tomber, la voiture peut continuer à rouler encore un peu de temps. Mais la roue ne tarde pas à s'abattre et le véhicule à se renverser.

Sur le chemin du caractère tu trouveras aussi un petit principe un peu superficiel en apparence, mais très important en fait: l'attachement sans réserve à la voix de ta conscience. Et il faut que, toi, tu devien­nes son serviteur soumis, son agneau docile.

Elle a deux ennemis, cette voix de ta conscience. D'abord, autour de toi, le monde qui la contredit presque toujours; ensuite, en toi, tes penchants désor­donnés, tes instincts qui s'éveillent et qui essayent de t'amener à lui faire la sourde oreille.

Il t'arrive quelquefois d'avoir des moments d'en­thousiasme où tu sembles flotter dans les hauteurs éthérées, bien au-dessus des brouillards terrestres, et tu prends alors la ferme résolution de toujours suivre la voix de ta conscience, de ne jamais abandonner le chemin de l'honneur, de ne jamais penser, dire ou faire une chose qui serait un péché. Dans ces moments-là, tu te sens si léger, si bon, si heureux! - Mais une heure plus tard, déjà, tu t'aperçois que tel et tel de tes compagnons, et tel et tel encore, n'observent pas les commandements de Dieu; que tel livre, telle pièce de théâtre, tel film ne font que tourner en dérision tes nobles principes, du premier jusqu'au dernier. C'est l'épreuve, la plus grande des épreuves peut-être; car, si le monde tout entier était mauvais, comment

1· \

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60 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

saurais-tu rester ,bon? Si ton école était toute remplie de jeunes gens sans caractère, comment saurais-tu seul, rester fidèle à ton noble idéal? .. Alors qu~ tout le monde mentirait, il faut pourtant que tu ne mentes jamais . . Alors que tous tes camarades, le dimanche, pendant la sainte messe, irai"T'\t rôder dans les champs, il faut pourtant que tu ne les imites pas. Alors que tous seraient grossiers en langage, il faut que, toi, tu restes réservé.

Et tu rencontreras encore d'autres épreuves, car les ennemis de ta conscience ne sont pas seulement à

1 l'extérieur; il y en a aussi à l'intérieur, dans ton J~ propre cœur.

On aime à nommer la conscience: la voix de Dieu : Et n'a-t-on pas raison? Qui ne l'a jamais entendue: "cette voix, dans son for intérieur?

Chaque fois qu'un petit garçon voulait se battre, une voix aussi douce que le son d'une petite clochette argentine se mettait à retentir en lui: « Ne le fais pas! Ne le fais pas! » Lorsqu'il voulait toucher à ce qui ne lui appartenait pas, la même voix se faisait entendre encore. Et lorsqu'il était tenté de commettre un bien plus gros péché, son bruit se changeait en celui d'une grosse cloche qui bat des coups désespérés: « Ne le fais pas! Ne le fais pas! » grondait-elle.

Jete recommande encore une fois, et bien fort, mon fils, de t'habituer, dès maintenant et sans réserve , à écouter la voix de ta conscience. C'est ta jeunesse qui décidera si, un jour, tu seras un homme consciencieux ou non. Et tu sais bien que, pour la société, l'homme consciencieux est comme le pilier sur lequel repose

,1) l'édifice tout entier. l Qui dit esclave de sa conscience dit esclave de Dieu' " '

QU'EST-CE QUE LE CARACTÈRE?

et qui dit esclave de Dieu veut dire complètement libre. Je ne connais pas de louange comparable à celle qu'on fit un jour d'un député anglais, mort jeune: « Tout son être semble être imprégné des dix commandements de Dieu. »

Ne crains personne ni rien au monde, sauf ta con­science! Celui qui, de peur d'être raillé, omet les choses que sa conscience lui commande, est un caractère bien faible. Le jeune homme qui n'ose pas prier ou se mettre à genoux à l'église, « parce que les gens le regardent », est l'esclave de sa lâcheté et non de sa conscience.

Huxley a bien raison de dire : « La virilité bien 1 entendue, c'est une volonté forte dirigée par une î conscience délicate. »

Celui qui, avant chacune de ses actions, se demande craintivement ce qu'en diront les autres, n'a pas de volonté, et son caractère est loin d'être mûr. Et celui qui agit selon ses instincts, sans écouter l'avis du bon sens, qui place ses désirs agréables avant son strict devoir, n'est pas un caractère ferme.

Le cœur te dira ses désirs, La conscience ton devoir! C'est à elle qu'il faut obéir ' Pour remporter la victoire!

(F. W. WEBER).

Les anciens rois de Perse faisaient mettre dans leur oreiller 5°.000 talents d'or, une somme énorme, afin de s'assurer un bon sommeil. L'empereur Caligula, en plus de sa garde du corps, avait des bêtes sauvages aux portes de son palais pour ne laisser pénétrer personne

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1 ( '1 ,

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62 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

jusqu'à lui pendant qu'il dormait. Artemon mettait un bouclier au-dessus de sa tête pour empêcher le plafond de l'écraser s'il était venu à tomber pendant

\1· la nuit. Mais qu'est-ce que tout cela?... Le meilleur des oreillers est une conscience tranquille.

\1, Sois maître de ta volonté, esclave de ta conscience! Pierre de Vérone souffrit le martyre pour sa foi. Il fut

frappé à coups de stylet. Après les premiers coups, il cria bravement: « Credo! )) « Je crois! )) Et lorsqu'il

l, tomba à terre, ne pouvant plus parler, il trempa son g, doigt dans son propre sang et écrivit sur le sol ce même

mot: « Credo )). C'était un caractère, un esclave de sa conscience.

- ++--

DEUXIÈME PARTIE

LES OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTERE

Le chemin de la formation du caractère est semé d'obstacles qui font trébucher et même tomber beau­coup de jeunes gens ... Malheur à celui qui ne sait pas se relever!

Un premier obstacle au développement du caractère est celui dont je viens de parler: l'inquiétude constante qui raisonne ainsi : « Faire telle chose? .. Il est vrai que ce serait bien d'après mes principes. Mais qu'en diront les autres? )) Celui qui veut plaire aux autres en tout, qui n'hésite même pas, dans ce but, à agir contre ses convictions, ne sera jamais un caractère ferme, car, un caractère ferme, c'est celui qui ne se soucie nullement de l'opinion des autres, celui qui n'écoute -et ne suit que l'opinion de sa conscience ... Quel triste spectacle, par exemple, que de voir des jeunes gens se laisser entraîner par leurs camarades à tenir des propos et à commettre des actions qui répugnent à leur âme honnête et qu'ils regrettent en pleurant, dès qu'ils sont seuls!

D'autres obstacles à la formation du caractère, ce sont les forces désordonnées de notre for intérieur.

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

On n'aboutira à aucun résultat tant qu'on n'aura pas mis de l'ordre dans cette citadelle.

Tout jeune homme a une passion ou un défaut dominant. Reconnaître le tien, mon fils, et essayer de toutes tes forces de le vaincre, voilà le chemin le plus

\ sûr de la formation de ton caractère. Ne perds donc pas ton temps à t'occuper de tes petits défauts. C'est

; le plus grand qu'il te faut prendre à la gorge, et le reste te sera facile. Pour tel jeune homme, le défaut dominant est la paresse ou l'oisiveté; pour tel autre, c'est une gourmandise irrésistible, une loquacité démesurée, une irritabilité excessive, le sentiment outré de sa propre importance, l'entêtement, etc .. Tous ces défauts-là sont des sujets rebelles dans le royaume de ton âme, ,et, si tu ne les mets pas à la chaîne pendant qu'il est temps encore, tu pourras t'en repentir amèrement plus tard.

A vrai dire, le plus dangereux obstacle à la formation du caractère est que cette formation ne se fait pas du jour au lendemain. S'éduquer soi-même demande un travail patient de plusieurs années, de dizaines:d'années même.

As-tu déjà appris les lois de la cristallisation? Tu dois savoir, alors, que, si l'on met un tout petit cristal dans un liquide où des matières différentes ont été dissoutes et dont les molécules sont maintenant toutes mêlées, ce petit cristal exercera une attraction mysté­rieuse sur les molécules de la même matière que lui, et que ces molécules viendront se fixer sur sa surface, - qu'il grossira de plus en plus, et que, si, pendant des mois, rien ne vient troubler ce lent procédé de cristallisation, le petit caillou du premier jour deviendra bientôt un cristal magnifique, - que si, au ' contraire,

ODSTACl.ES A LA PORMATION bU CARACTERE 65

ce procédé est dérangé, le cristal sera tout à fait difforme; C'est exactement de la même manière que la cristalli­

sation des âmes se produit. Si tu as soin d'entretenir toujours des pensées nobles, sublimes, idéales, dans ton « moi » conscient, celles-ci y engendreront nécessai­rement de nouvelles pensées du même genre. Il y a similitude entre le chimique et le moral. Et, dès lors, si tu peux persévérer dans cette façon de faire pendant la dizaine d'années de ta jeunesse, tes bons efforts se seront tellement amplifiés en toi qu'ils seront capables d'éloigner de ton esprit toutes pensées malsaines, ou, au moins, de ruiner leur prépondérance.

Cependant, les molécules de la perversité morale tourbillonnent aussi, et nombreuses, autour de notre « moi» conscient, et beaucoup de jeunes gens troublent la cristallisation de leurs qualités spirituelles par des chutes et des rechutes morales continuelles . Les chutes morales, mon fils, attirent naturellement les molécules du mal, et leurs victimes deviennent très souvent des « cristaux déformés », c'est-à-dire des êtres pervertis.

Feuilles d'automne dans le tourbillon.

Un nouvel obstacle à la formation du caractère, c'est ,la vie agitée, la folle précipitation qui caractérise notre époque, les milliers d'impressions diverses qui se succèdent en nous et qui ne sont nullement propices à i

un travail laborieux. Ah! heureux le jeune homme qui, surtout aujourd'hui, consacre le plus de temps possible

Le Cfl.l'Il,ctèl'e.

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tE CARActÈRE bU JEUNE HOMME

à la grande œuvre de son développement spirituel, qui sait prendre quelques minutes sur sa prière du soir pour descendre au fond de son âme et contrôler si des molécules indésirables, des grains du mal, voire même des cailloux ou des pierres du péché ne se sont pas fixés sur le cristal jalousement surveillé de son âme. Celui qui se laisse emporter par le courant, sans se soucier de rien, ne se connaîtra jamais lui-même. Quelle pitié de penser que nombre d'étudiants connais­sent à fond la contrée de l'Alaska, récitent sans faute le nom des fleuves latéraux du Yang-tsé-Kiang, et ignorent complètement leur propre âme! Car, s'ils la connaissaient, ils frémiraient d'horreur à la vue de l'enchevêtrement de lianes qui étouffent les arbres de leur vie, et des rapaces bêtes fauves - qui ne sont autres que leurs passions effrénées - qui se nourrissent de leur sang et qui se multiplient dans la forêt vierge de leurs idées désordonnées. Ces jeunes gens-là auront souvent à payer de leur vie l'insouciance de leur jeunesse. Même adultes, ils ne seront pas indépendants. Les vagues de leurs intérêts matériels, de leurs points de vue trop humains et de leurs passions, les rejet­teront sans cesse contre les rochers du péché, comme le vent piquant de novembre fait tourbillonner les feuilles mortes. Feuilles d'automne dans le tour­billon! - Ames de feuilles mortes!

~:<' La croix de fer. ~:,

Pendant la guerre mondiale, une patrouille de soldats allemands fut encerclée un jour par toute une armée

1 russe. Le dénouement de la lutte ne pouvait être

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE

douteux ... Les Allemands s'étaient retirés dans une pauvre hutte. L'officier ennemi les engagea à se rendre; mais un feu désespéré lui répondit. Les Russes com­mencèrent alors une terrible canonnade qui se prolongea jusqu'à ce que les armes allemandes fussent devenues muettes ... jusqu'à ce que la petite troupe eut tiré sa dernière balle. Après quoi, ils forcèrent la porte de la chaumière, et ils furent profondément émus devant le spectacle qui s'offrit à leurs regards. Au milieu de ses soldats morts gisait le lieutenant Griesheim, leur commandant, tout couvert de sang, mais respirant encore ... Il n'était plus l'ennemi, mais le camarade souffrant. L'officier russe se pencha sur lui et lui demanda avec compassion : « Vous saviez bien que nous étions cent contre un des vôtres. Pourquoi ne vous êtes-vous pas rendus? » Et, d'un effort suprême, le lieutenant se souleva, et, montrant la croix de fer épinglé sur sa poitrine : « Chez nous, celui qui porte cette distinction ne se rend pas », lui répondit-il.

Eh bien, mon enfant, si tu avais des combats difficiles à livrer sur le chemin de ton caractère, souviens-toi, toi aussi, de la croix que le Seigneur a posée sur ton cœur le jour de ton baptême, et dis bien haut à ces moments-là :

Qu'importe le monde et ses feux d'artifice, Ses chants et ses propos flatteurs? l,

Je porte la croix sur un front jeune et lisse, l' Et le feu de cette croix dans mon cœur.

(EICHERT) .

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68 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

~ , Le chardon dans le champ de blé.

Observe un champ de blé au mois de mai. Parmi les semailles, çà et là, un peu partout, le chardon fait son apparition. D'abord, ses jeunes pousses semblent tout à fait inoffensives; mais, plus elles grandissent, plus elles deviennent rugueuses et épineuses.

Ta vie, mon enfant, est aussi à son mois de mai, et dans le jardin de ton âme, tu vois apparaître le chardon: Tes impertinences et ton entêtement ne semblaient pas bien graves lorsque tu étais petit enfant; mais, à me~u~e que tu grandis, ces défauts deviennent rugueux et e~meux, eux aussi, - et cela d'autant plus que tu néglIges le noble labeur de l'éducation de « soi ».

Or, que devient le jeune homme qui n'a nul souci de combattre ses défauts et de soigner son âme? Oui, que devient-il, si ses jambes s'allongent, si ses

. poumons se développent, si son corps grandit d'année \ en année, et que son âme reste inculte?

Eh bien, voici ce qui arrive : L'ivraie, le chardon et toutes les mauvaises herbes poussent librement en lui - tu sais bien que ces plantes-là ne demandent aucun soin, qu'elles préfèrent, au contraire, une terre inculte - et les bonnes semailles dépérissent 'l'peu à pe~, étouffées par ces parasites ... Le jeune homme qUl en est là répond par une vilaine grimace quand sa mère lui ordonne quelque chose; quand elle lui pose une question, il hausse les épaules d'un air mécontent; quand quelque chose lui déplaît, il ferme les portes avec fracas; quand le lacet de son soulier se rompt, il jette un juron; quand, au jeu, quelqu'un le pousse par mégarde, il réplique aussitôt par un soufflet;

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 69

il aime à chercher noise à ses camarades plus faibles' que lui. . . en un mot, il est insupportable. Le malheureux! Sans plus de peine, il aurait pu devenir un jeune homme au caractère ferme et pur s'il s'était mis à arracher les chardons du champ de son âme, lorsqu'il était temps encore, au lieu d'abandonner au " hasard son développement moral.

Prends garde, mon fils! Le chardon pousse dans toutes les âmes, sans excepter la tienne. Mais le jeune garçon qui a du bon sens ne le laisse pas grandir : il l'observe de très près et il l'arrache de ses deux mains.

C'est cette lutte incessante que nous nommons le combat de l'âme.

Le combat de ,'t2me.

L'âme est donc le théâtre d'une lutte sans trêve entre le bien et le mal. Pendant les années de la jeunesse, cette lutte est particulièrement acharnée. Avec le temps, elle devient moins dure; mais nous ne pouvons jamais dire avec certitude qu'elle a pris fin.

Et qui est-ce qui combat en nous, et contre qui? .. A peine avais-tu atteint ta cinquième ou sixième année, que l'ennemi s'annonça par je ne sais quel attrait, jusqu'alors inconnu, qui te portait vers le mal. C'était comme un poids invisible qui t'entraînait malgré toi vers les profondeurs vertigineuses du péché. - Cet , héritage néfaste,~ que notre religion compte parmi les " conséquences du péché originel, se nomme le penchant J

au mal. . Il est bon de savoir cela, mon fils, que, par sa nature, r

l'homme penche vers le mal beaucoup plus que vers le 1

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

bien, Mais c'est une expérience que tu as dû déjà faire toi-même et plus d'une fois, Que d'obstacles se dressent sur notre chemin quand nous voulons former notre âme

! selon les commandements de Dieu! Nous connaissons l'idéal sublime que Notre-Seigneur a assigné à la vie humaine - à la nôtre par conséquent, Nous sommes tout émerveillés par sa doctrine; nous voudrions tant la réaliser dans notre vie", Mais, hélas! quel partage tragique nous constatons en nous! Si le bien nous plaît, et il nous plaît certainement, le péché nous allèche encore plus, Si la vertu nous attire vers les hauteurs, le vice nous maintient dans les bas-fonds, Nous

, voudrions voler bien haut vers les cimes neigeuses de la perfection, et la tentation accroche à nos ailes un poids de plomb ... Dis-moi, mon fils, n'as-tu pas encore senti en toi cette lutte, ce combat acharné qu'un petit garçon de huit ans exprimait si naïvement en ces termes: « Pourquoi est-ce donc si bon d'être méchant et si mauvais d'être bon? II

Eh bien! vois-tu, celui qui reste vainqueur dans ce combat est un héros.

y a-t-il donc des jeunes gens qui succombent ? .. Hélas! oui. Et combien encore! Un écolier se promène dans la rue; un camarade se met à le taquiner; et les voilà qui se battent à coups de pieds et de poings. Cela, ce n'est pas de l'héroïsme. L'héroïsme, c'est la maîtrise de sa nature et de ses mauvais penchants. Il faut de l'héroïsme pour détourner brusquement ses yeux d'une annonce immorale ou d'une image indécente aperçues à l'étalage d'un magasin; il en faut pour demander pardon tout de suite quand on a offensé

~'. quelqu'un; mais il en faut surtout pour demeurer r fidèle à Dieu dans toutes les occasions du péché.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 71

Sans sacrifices?

Tout cela, j'en conviens, c'est très beau. Et, un caractère d'airain, j'en veux avoir un, moi aussi. Vivre une vie idéale, c'est exactement mon désir ... Mais ne pourrait-on pas trouver un moyen plus facile pour y arriver? N'yen a-t-il vraiment pas d'autres? Ne pourrait-on se procurer ce caractère irréprochable à meilleur marché, sans sacrifices?

- Non, mon ami; sur ce point, impossible de tergiverser. « Celui qui veut venir après moi, qu'il se renie lui-même, qu'il prenne sur lui sa croix et qu'il ,. me suive! II a dit Notre-Seigneur. Qui veut être près de Lui dans son royaume des Cieux, ne peut pas L'aban­donner non plus sur le chemin pierreux du Calvaire ... Et puis, réponds-moi, que donne-t-on gratuitement en ce monde où nous vivons? Rien, absolument rien. Vois comme les hommes s'évertuent jour et nuit au travail, quelle peine ils se donnent pour acquérir les biens éphémères de la vie terrestre! Comment voudrais-tu donc te procurer ce trésor incomparable qu'est un caractère sans en payer le prix?

« Oh! qu'il est heureux! II soupires-tu peut-être, en voyant ton ami s'amuser. « Comme cela doit être bon de vivre ainsi à la légère, de se distraire à sa guise! II

Comme tu t'illusionnes, comme tu te trompes, mon enfant! Si tu pouvais jeter un regard dans ce cœur qui ne fait que rêver aux jouissances de la terre, qu'y verrais-tu? « De la joie et du contentement ll, penses­tu. Ah! non; mais un grand vide et un sOI,nire forçé,

l'

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

L'Écriture Sainte a bien raison de"'dire : « L'impie ressemble à la mer en tempête» ( Is., 27, 20 ). Il est ballotté par l'ouragan des passions et, quand l'orage s'apaise un peu, il se berce dans un rêve amer.

Écoute l'avis du grand philosophe anglais John Stuart Mill : « On ne peut attendre d'un homme qui ne se refuse jamais une chose permise qu'il renonce à toutes les choses défendues. Le temps viendra, je n'en doute pas, où l'on entraînera les enfants et les jeunes gens à l'ascétisme et à l'abnégation, et où on leur enseignera, comme aux temps antiques, à renoncer leurs désirs, à tenir tête aux dangers, et à s'imposer des souffrances volontaires. »

C'est pour cela même que le Catholicisme prescrit l'abnégation, l'ascétisme et la formation de la volonté.

« L'ascétisme? .. Brrr!.. » penses-tu peut-être, car on t'a dit et répété souvent que, pour pratiquer l'ascétisme, il fallait se martyriser soi-même, renoncer à tous les plaisirs et à toutes les joies de la vie.

Eh bien, écoute un peu : La signification originale du mot grec dont cette expression dérive est celle-ci :

i « travail fin, minutieux », - et les Grecs entendaient 'r par là l'entraînement et la sobriété auxquels se con-

traignaient les concurrents qui se préparaient à la lutte, en vue de mettre en action, le jour venu, le plus possible des forces latentes de leur corps.

Le caractère, lui aussi, est le résultat de bien des luttes et d'un long entraînement. Nous ne réussirons jamais à faire « du travail fin » en nous-mêmes si nous ne nous y exerçons pas, et ce sont précisément des exercices d'abnégation que notre sainte religion

\ nous prescrit pour nous aider dans la formation de notre caractère.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 73

Tous les grands succès terrestres demandent du renoncement et des sacrifices; et tu voudrais arriver ;­au plus grand des succès : à la noblesse du caractère, ,':' assis sur de doux coussins! "

Tu sais bien que si quelqu'un veut s'entraîner pour un concours, son entraînement doit porter sur deux points bien différents. D'une part, il doit exercer quotidiennement ses muscles. Supposons qu'il veuille prendre part à un concours de rameurs. Il se lève de bon matin et se rend à pied au port de la société. Il saute dans un skiff et se met à ramer. Trois heures plus tard il aborde, tout baigné de sueur, brûlé par le soleil, tombant de fatigue. Et il recommence le lendemain, et le lendemain encore, et cela pendant des semaines et des mois. - D'autre part, il vit aussi sobrement que possible et se prive de tout plaisir amollissant. Il surveille sa nourriture pour ne pas augmenter son poids. Les cigarettes lui sont interdites;

, l'alcool aussi, à plus forte raison. Il se couche tôt, et à la même heure toujours, etc. Et pourquoi tous ces renoncements? Pour une petite médaille d'argent, pour la gloire d'arriver premier .. . Et la lutte te semble trop dure lorsqu'il s'agit de gagner un caractere!

Et puis, voici encore un point de vue intéressant. Dans la vie, tout le monde fait des sacrifices; celui-ci pour une chose, celui-là pour une autre. Vois l'avare: Il se prive de tout bien-être et s'impose une vie de misère. Il mange à peine et ne porte que des habits déguenillés. Il ne se promène jamais de crainte d'user ses chaussures. Il réfrène ses moindres désirs. Il vit sans joies et sans amis. Et pourquoi tout ceci? Pour amasser des richesses. L'avare sacrifie sa personnalité, sa dignité, son honneur même, à l'argent. C'est assez

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74 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

de privations, n'est-ce pas ?. Et des buts cent fois plus élevés et plus sublimes ne mériteraient pas aussi qudques sacrifices?

Oui, l'avare s'évertue, jour et nuit, sans arrêt ni trêve, pour acquérir une fortune, - la plus grande fortune possible. Le vaniteux est prêt à risquer sa vie pour se faire un nom. Le jeune homme en quête de plaisirs sacrifie son sommeil pour courir de bal en bal; il sue, il s'agite nuit après nuit ... Se donneraient­ils la moitié seulement de toute cette peine pour aider leur prochain?

cc Un saint et un malfaiteur se cachent dans tout être humain » disait Lacordaire, le grand orateur français ... Le malfaiteur, en toi, n'a pas besoin d'être bien soigné, il grandit tout seul. Mais il te faut un entraînement perpétuel et bien pénible souvent pour assurer le règne du saint dans ton âme.

Cette chose-là, en effet, ne peut se faire sans lutte. Le sculpteur qui veut produire un chef-d'œuvre doit tailler le marbre brut avec une patience indicible, et celui qui veut rendre parfaite son âme doit la tailler de même. Une belle statue demande du temps et un travail ardu, l'artiste devant toujours avoir son idéal devant les yeux. Combien plus le caractère! Jete conseille, mon fils, d'adopter la maxime de Charles V: cc Plus! Ultra! » cc Plus! Outre! »

Lorsqu'on demandait à ZEUXIS pourquoi il travaillait si minutieusement à ses tableaux, il répondait: cc Parce que je travaille pour l'éternité! » Eh bien, mon enfant, c'est"exactement ce que tu dois faire. Tu dois travailler pour l'éternité. Un tel travail pourrait-il être payé trop cher?

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 75

Le moine dompteur d'animaux.

Beaucoup de jeunes gens seraient prêts à tuer le dragon dans les bois comme Siegfried; mais, lorsqu'il s'agit du dragon de leurs mauvais penchants, ils n'ont pas la patience de lui livrer combat. Ils préfèrent . renoncer à ce saint travail.

Un soir, l'abbé d'un monastère demanda à l'un de ses moines: c( Qu'as-tu fait aujourd'hui? » - « Moi, répondit le moine, comme tous les autres jours, j'ai ~i été si occupé que mes faibles forces n'y auraient jamais suffi sans l'aide de la grâce divine. Tous les jours, je dois garder deux faucons, retenir deux cerfs, contraindre deux éperviers à faire ma volonté, vaincre un ver, dompter un ours et soigner un malade. »

- « Que racontes-tu? interrogea l'abbé, en riant. De tels travaux ne se font pas dans notre monastère! » - c( C'est ainsi, pourtant, répliqua le moine. Les deux faucons sont mes yeux, que je dois surveiller continuellement pour qu'ils ne s'arrêtent pas sur un objet défendu. Les deux cerfs sont mes pieds, dont j'ai à ordonner la marche si je ne veux pas qu'ils ' me conduisent sur le sentier du mal. Les deux éperviers sont mes mains, qu'il me faut contraindre à travailler et à faire du bien. Le ver est ma langue, qui a besoin ' d'être réfrénée cent fois le jour pour ne pas tenir des propos vains et superficiels. L'ours est mon cœur, dont il me faut dompter l'égoïsme et la vanité. Et le malade est mon corps, dont il me faut prendre un soin " incessant pour que la sensualité ne s'en empare pas. »

Et ce moine avait bien raison. La lutte contre nos

1

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

instincts désordonnés ressemble au travail du dompteur; et tous ceux qui veulent développer leur caractère doivent se livrer journellement à ce travail... Toi aussi, mon fils.

Le jeune homme qui a souci de devenir un caractère 1 n'excusera jamais ses défauts, en disant: « Il n'y a rien ; à faire, je suis né ainsi, c'est ma nature »; mais il travail­.,1. lera sans répit à perfectionner son âme ... Redis-toi , donc souvent: Si mon âme est remplie de bêtes sau-

vages, je les dompterai! Je ne resterai pas comme je i suis né, je deviendrai ce que je veux être!

cc Nous ne sommes pas nés pour être, mais pour devenir» (Sailer).

On raconte une charmante légende au sujet de saint Colombin, l'apôtre des Bavarois. Ce saint était très pauvre; il ne possédait qu'un âne, une bête naturel­lement calme et patiente qui portait l'humble bagage du missionnaire au cours de ses voyages apostoliques. Un jour qu'ils traversaient une forêt épaisse, un ours sortit des broussailles, se jeta sur l'animal et le déchira. Et que fit le saint? Sans l'ombre d'une crainte, il s'approcha de l'ours et lui mit son bagage sur le dos. (c Frère, lui dit-il, puisque tu as tué mon pauvre âne, il faut que tu portes toi-même mon paquet. »

Et la bête féroce, encore trempée de sang, lui offrit le dos sans résistance et le servit dorénavant avec la douceur et la soumission d'une brebis.

Ne te plains jamais, mon fils, d'être vif, irritable, passionné, avide de gloire, etc. Applique-toi, au COfi­

traire, à dompter les ours sauvages que sont tes passions, et à les atteler à ta voiture. Une passion, en elle-même,

. n'est pas un malheur; mais, r;i tu ne la maîtrises pas, elle j peut le devenir.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 77

On ne peut accomplir de :grandes choses, devenir un grand homme, un grand saint, qu'avec une grande passion. Une passion est comme le vent qui souffie au-dessus de la mer. A défaut de vent, les?ateaux sont réduits à l'immobilité et leurs voiles pendent lamentablement. Mais il ne suffit pas non plus que le vent se mette à souffier. Tout dépend du pouvoir qu'a le marin de le capter dans les voiles et de l'utiliser. Si le marin ne faisait pas cela, le vent ne manquerait pas de renverser son bateau. Ainsi, dans la formation 'q de ' ton caractère, on ne te demande pas d'arracher tes * passions, mais d'en tirer habilement parti, d'en faire )

i

tes alliés, tes compagnons d'armes. N'écoute pas les conseils qu'elles te donnent, mais sers-toi de leurs forces. Si les passions sont mauvaises conseillères, elles sont des aides inappréciables.

C'est justement la passion bien asservie qui rend la volonté ferme. On ne peut vaincre tous les obstacles que si l'on poursuit passionnément un noble but. Tes passions sont des chevaux fougueux attelés au char de ta vie; si tu les laisses galoper à leur guise, ils le feront verser; mais, si tu tiens leurs guides d'une main ferme, ils l'entraîneront à grand train vers l'idéal désiré. La passion ressemble au feu: elle peut être une bénédiction ou une malédiction, comme Schiller le dit si bien dans son cc Chant de la cloche » :

Si l'homme lui a mis un frein, Le feu est puissant pour le bien.

Ne te décourage donc pas et ne te plains plus si :r

tu as un ;tempérament 'passionné, et même si tu as } -hérité de quelques mauvais penchants; il n'y a pas de ~ ta faute en cela. Mais fais tout ton possible pour '1

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

ennoblir ton âme, te souvenant de cette grande et consolante vérité : « Facienti quod est in se Deus non denegat gratiam. )) « A celui qui fait tout ce qui est en son pouvoir, Dieu ne refusera jamais sa grâce. ))

Il s'est levé du pied gauche.

Ton âme, comme le temps, est sujette à la variation. Parfois elle est inondée de soleil, et tu te sens gai comme un pinson. D'autrefois, par contre, et sans que tu en saches la raison, elle est enveloppée d'un épais brouillard humide. Il y a des jours où tu es de bonne humeur et où le travail te semble facile. Et il y a en d'autres où le temps pluvieux, quelque désagrément, un mal de tête, etc. t'attristent au point de te brouiller avec le monde entier.

« Il s'est levé du pied gauche )), dit-on de toi, ces jours-là. Et toi, de ton côté, tu dis : « Je ne suis pas dans mon assiette. ))

Ces états ne dépendent pas de nous;I nous n'en sommes donc pas responsables. Mais il dépend de nous que nous nous efforcions de nous rendre maîtres de ces mauvaises dispositions et de ne pas nous laisser ballotter çà et là, au gré de notre caprice, dans l'accom­plissement de nos devoirs. Quand nous sommes de bonne humeur, profitons-en autant que nous le pouvons; le travail marche cent fois mieux à ces heures-là. Mais si nous n'étudions ' que lorsque nous sommes bien disposés, nous ·ne ferons jamais de bonne besogne. Et, surtout, que deviendrons-nous plus tard si nous

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 79

négligeons les devoirs de notre profession chaque fois que le travail ne nous dit rien? .. Toi, mon enfant, quand • tu n'es pas dispos pour une chose que tu dois faire, essaye quand même de la faire. Livre-toi au travail, qu'il soit de ton goût ou non. Dis-toi: « N'importe! c'est mon devoir, et je le ferai. ))

- « Un travail pareil ne vaudra pas grand'chose )), m'objecteras-tu. Au contraire, il aura l'immense avan­tage de t'habituer à faire ton devoir, à ne pas obéir . à tes caprices, à leur commander. '

Et puis, ce n'est pas seulement dans son travail qu'il faut savoir maîtriser son humeur; c'est aussi dans ses relations sociales et dans toute sa conduite! Si tu es . de mauvaise humeur, il ne faut pas que tu le fasses sentir à ta famille par des bouderies, des réponses sèches, un visage renfrogné. Que de fois on a à regretter des paroles blessantes et des actes irréfléchis auxquels on s'était laissé aller sous l'influence d'une mauvaise . disposition! Que de fois après avoir parlé avec légèreté, ' sans songer à offenser quelqu'un, nous nous écrions, en constatant que nous avons mal agi : « Mon Dieu, je ne le voulais pas! Je ne pensais pas à mal! )) Mais voilà : le repentir vient trop tard!

La vraie grandeur de l'âme se révèle dans l'adversité, aux heures de danger ou de revers. Rester confiant .' pendant les jours sombres, braver le malheur sans broncher, ne pas se laisser écraser par le sort, - c'est ' là la vertu des chênes, des rochers, des grandes âmes! _ Et c'est celle, aussi, de ceux qui savent vaincre leur mauvaise humeur.

Dans les profondeurs de la mer où les rayons du soleil n'arrivent jamais, où la nature n'a plus de cou­leurs, où la température se maintient invariablement

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80 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

autour de zéro, où le peu d'air que l'océan contient se raréfie, où le poids démesuré des eaux devrait tout écraser, dans J ce cimetière obscur des ondes - ô merveille l - vivent des poissons lumineux. Rien n'arrive là de l'énergie rayonnante du soleil, de cette source unique de la lumière terrestre; une obscurité accablante et glacée s'étend sous les flots; mais la

" sagesse du Créateur a eu soin de ces sombres lieux et '; elle a créé des poissons qui se promènent dans 'ces il ténèbres, semblables à des lanternes vivantes. Quelques-

uns ont sur le flanc des glandes qui brillent comme des perles; d'autres portent, en outre, sur le sommet de la tête, comme une sorte de lentille qui reçoit la lu~ière de ces mêmes glandes, qui l'intensifie et qui la projette en avant comme ferait un réflecteur.

Or, mon fils, si les obscures profondeurs de l'océan recèlent elles-mêmes toute une vie rayonnante tu n'as nulle raison, si le bon ordre règne dans t~n âme de te laisser abattre par des idées noires, nulle raiso~ de te lever du pied gauche ... Oui, tâche d'être gai comme l'oiseau, et la force lumineuse de ton âme vaincra ta mauvaise humeur. Sois toujours, à la maison, une source de vie, de joie, de gaieté et de lumière, surtout aux heures où le sombre voile de la tristesse des soucis matériels et des maux multiples de la vi~ recouvre l'âme de tes parents.

, « Pos~ tene~ras spero l~~em! » (Job, 17, 12). Après 1 obscurIté VIent la lumIere; après la pluie, le beau temps!

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 81

Je n'ai pas de chance!

Les jeunes gens s'écrient souvent en recevant une mauvaise note: « Je n'ai vraiment pas de chance! » Et si quelqu'un de leurs camarades fait de rapides progrès, ils ont vite fait de le juger: (1 Il a toujours de la chance, cet imbécile-là! »

Pourtant, le succès n'est pas seulement affaire de chance; et celui-là qui ne compte que sur elle ressemble même à cet autre qui attendait bouche bée qu'un rôti lui tombât du ciel dans le gosier. Oui, si l'on veut arriver à quelque chose dans la vie, il ne faut pas se ,', confier à la chance, mais la saisir au passage et la ~'

retenir d'une main ferme. Est-ce que tu n'as pas à ton service toute','une troupe ~'

d'ouvriers? Tes deux bras bien musclés, tes dix doigts .~

si agiles, tes pieds infatigables, tes yeux à la vue si perçante, tes oreilles si attentives ne sont-ils pas toujours prêts à t'obéir? Et puis, c'est ton cerveau plein de lucidité, ce cabinet de travail muni d'un admirable réseau de fils télégraphiques et téléphoniques, où parviennent et sont classifiées les opérations de tes cinq sens, à plus de cent à la minute. Quel besoin as-tu donc d'un secours étranger? Tu dis que Louis te soufflera ta leçon d'histoire? Tu affirmes que, à la fin ·de tes études, le cousin de ta marraine te trouvera une situation? Crois-moi, un homme qui raisonne ainsi dans sa jeunesse ne contribuera guère à la gloire \ de sa patrie et au bonheur de la société.

Les Musulmans citent souvent ce proverbe: (( Le ~ monde entier appartient à Dieu, mais Il le donne en bail

TJ 8 Caractère. 6

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aux vaillants. » Ce qui veut dire qu'il ne sied nullement au jeune homme d'attendre la chance les mains jointes, ni de courir après les protections, mais qu'il lui importe

" de se faire lui-même son avenir par un travail assidu. « Multa tulit fecitque puer, sudavit et alsit », nous recommande Horace. Dans le combat de la vie, on ne peut rester vainqueur que si on a pris la résolution opiniâtre de triompher, et que si on se remet à l'ouvrage de plus belle après chaque essai infructueux.

Un échec ne doit jamais décourager nos cœurs, Ni un succès banal affaiblir nos efforts; D'un passé en retard héritant les labeurs,

". Nous espérons en Dieu et nous bravons le sort.

(JÉKAI).

Oui, ce qui importe le plus, ce n'est ni la chance ni même les talents personnels; c'est le goût du travail consciencieux et opiniâtre. Les rivages de l'océan de la vie sont peuplés de tristes naufragés qui, avec de remarquables talents, ont manqué de courage, de volonté et de persévérance, pendant que d'autres, beaucoup moins doués, mais d'une volonté tenace et continuelle, s'en allaient à toutes voiles vers le port.

J'ai essayé, mais ça n'allait pas!

L'accablement et le découragement viennent souvent de ce que les jeunes gens ne savent pas distinguer l'effort persévérant du simple désir. Ils se plaignent volontiers, en disant: « Que de fois j'ai essayé de me

, défaire de tel défaut! Que de fois j'ai essayé de devenir

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE

meilleur! Que de fois j'ai voulu faire ceci ou cela!.. Mais ça n'allait pas! »

Eh bien, ces jeunes gens-là n'ont ni réellement i.

voulu ni sérieusement essayé. Ils ont seulement pensé t qu'à l'avenir ils seraient meilleurs parce qu'ils « vou- , laient » l'être; et. il~ n' ont rie~ f,ait pour attei~dre ce 1: but. Il y a une dlfference conSIderable entre « Je vou- ' drais » et « je veux ». Le premier est un soldat de papier ' mâché qui n'intimidera personne et ses défauts encore moins. Le second, au contraire, est une puissance capable de vaincre le monde, et qui saura écraser tous ses défauts.

Par un radieux après-midi de mai, un jeune homme 'l

étudiait près de sa fenêtre ouverte. Tout à coup, un :: hanneton pénétra dans sa chambre et s'abattit sur : sa table. ' Le pauvre insecte était tombé sur le dos et l'étudiant se mit à l'observer. Qu'allait-il faire? , Le hanneton tournoya; il battit l'air de ses pattes, mais sans réussir à se redresser. C'est le « je voudrais ». -

« Si je reste ainsi, je mourrai de faim, ou quelqu'un risquera de m'écraser », doit-il penser. - Mais le voilà qui parvient, après beaucoup de peine, à disjoindre les lamelles de ses ailes sur lesquelles il était couché et à étendre celles-ci. Il bourdonne furieusement, il se \ débat de toutes ses forces ... , et le voici sur le côté. -« Ce n'est pas le moment de me reposer. Si je le faisais, je serais perdu », se dit-il alors. - Et il se remet au travaiL .. , il retombe sur ses pattes .. . , il reprend son vol 'vers un but nouveau, dans le bl:u du ciel; Cel~, 1.

c'est le « je veux ll . • . Le hanneton s est envole, malS J il t'a enseigné la différence entre le « je voudrais » 1 lamentable et le « je veux » triomphant!

« J'ai essayé, ça n'allait pas!» - Pardon, mon amI,

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84- LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

;' il faut que je te dise franchement mon opinion : Ce i: n'est pas vrai, tu n'as pas essayé. Tu t'es seulement dit '~. que ce serait bon d'essayer. Tu es de ces faibles, de . ces inconstants - il y en a tant dans le monde! -'---qui n'osent pas prendre leurs passions à la gorge, avec une fermeté inexorable. Ce serait le seul moyen, pourtant, de t'affranchir de leur emprise sur toi.

« J'ai essayé». - Mais alors pourquoi t'es-tu retourné pour revoir le fruit auquel tu ne voulais plus toucher?. Tu savais, par ta propre expérience, que l'arrière-goût de ce fruit est bien amer, et, pourtant, tu voulais le connaître de nouveau ... Oui, pourquoi fléchissais-tu un peu chaque jour dans la bonne résolution que tu avais prise avec un si grand enthousiasme?

Crois-tu que Christophe Colomb eût jamais décou­vert l'Amérique s'il s'était laissé décourager par ses premiers échecs? Ne dut-il pas jusqu'à solliciter des secours en différents pays pour subvenir aux frais de son voyage? On se moqua de lui, on l'appela coureur

)' d'aventures, on le traita de fanatique, Mais il se cram" '~ ponnait passionnément à son projet. N'avait-il pas

toutes les raisons de croire qu'au-delà des mers, comme tout ne pouvait pas être l'océan, il devait y avoir un continent inconnu ? .. Et il entreprit son grand voyage d'exploration dont ses contemporains ne croyaient pas le voir revenir.

« Nil tam difficile, quod non solertia vincit. » « Il n'y a pas d'obstacle que l'habileté ne peut vamcre, »

Lève-toi donc, et en avant! Tu es un jeune cœur.

i, Et serais-tu seul contre cent, :0 Il faut que tu sois le vainqueur!

(GOETHE).

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 85

Tu ferais bien d'adopter la devise de cette île de la Hollande nommée Seeland. La plus grande partie de cette île est située au-dessous du niveau de la mer, et ce n'est qu'au prix de travaux continuels qu'elle peut se défendre contre l'invasion des eaux. Plus d'une fois, pourtant, elle échoua dans cette lutte contre la mer, et l'océan l'envahit ... Mais elle porte néanmoins dans son blason la fière et célèbre sentence: « Luctor et emergo! » « Je lutte, mais j'émerge! »

Vouloir beaucoup.

« V aide velle! » « Vouloir beaucoup! » Quelle force i{ dans cette expression latine! Et comme elle résume Ît\. bien le chemin du caractère! Car on ne fait pas son caractère avec des soupirs craintifs, des « je voudrais» . doucereux, de faibles efforts sporadiques, mais seule­ment avec un travail persévérant, une volonté toujours dirigée vers le but, et l'activité de toutes ses forces ; morales et spirituelles.

Quand saint François de Sales apprit que saint François Xavier venait d'être canonisé, il s'écria : « C'est le troisième François qui est proclamé saint. Je serai le quatrième! » Et il tint parole. Mais un accès de zèle n'y aurait pas suffi, n'est-ce pas ?. Souvent, les jeunes gens voudra~ent bien ceci et cela. « Comme ce serait bon si c'était ainsi », disent-ils. Mais ils ne font pas le plus petit effort pour approcher de la chose désirée. Réfléchir à fond, se mettre au travail avec courage et persévérer jusqu'au bout, - VQil~ le chemin du caractère.

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86 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Peut-on imaginer un plus bel éloge que l'épitaphe du major Dominik à Kribi dans le Cameroun:

Au NOM DU SEIGNEUR ET PAR TOUS LES VENTS,

NI A DROITE, NI A GAUCHE, MAIS EN AVANT,

Au BUT!

L'homme qui possède une volonté ferme et résolue , est capable d'accomplir des choses incroyables.

! De grandes forces latentes sont cachées en notre t âme, - des forces plus grandes que nous ne pensons.

Ces forces y sont comme enchaînées, mais il suffit que nous croyions fortement en elles pour qu'elles soient délivrées de leurs chaînes. Dis-toi donc toujours en commençant un travail : cc J'atteindrai certainement mon but. » Celui qui ne croit pas à la victoire, d'une foi inébranlable, n'a qu'une volonté faible et super­ficielle qui ne le mènera jamais au succès. Tu es parfaite­ment capable de faire tout ce qui est ton devoir.

A bas les Alpes!

La vie de Napoléon nous offre un exemple magni-fique de la volonté humaine capable de vaincre les plus

1 grands obstacles. L'empereur des Français venait de t

f" faire la conquête de plusieurs pays et d'asservir de

nombreux peuples, lorsqu'on osa dire devant lui qu'il 1 ne parviendrait jamais à franchir les Alpes avec son

armée; ce qui l'empêcherait dc poursuivre sa marche

II triomphale. cc S'il en est ainsi, à bas les Alpes! » répondit

tranquillement Napoléon. Et il fit construire la célèbre

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE

route du Simplon à travers un pays qui, précédemment, ':; n'avait aucun chemin praticable. Quelle volonté de r fer! Si, à cette force exceptionnelle de volonté, s'était trouvée jointe en lui une aussi grande bonté d'âme, si Napoléon avait su vaincre son égoïsme sans limite, ce grand génie, très certainement, n'aurait jamais connu sa fin tragique.

Quoi qu'il en soit, en fait de volonté, tu peux bien le prendre comme modèle.

Sur le portail d'un vieux château fort du moyen âge, se trouve gravé ce seul mot: cc Decrevi! » cc J'en ai décidé ainsi! » Quelle volonté d'acier devait avoir le seigneur-maître de ce château pour s'être choisi une telle devise! J'en ai décidé ainsi, et, désormais, tout est bien réglé. Advienne que pourra, je le ferai! - Toi aussi, mon fils, commence par voir clairement le but que tu veux atteindre. Puis, quand tu es bien fixé, .. que ce soit la mort ou la victoire! .

Veux-tu rester un ver qui rampe à terre ou devenir un aigle qui s'élève dans l'azur? Veux-tu traîner toute ta vie dans la poussière du cc je voudrais », de la honteuse impuissance? Ou bien veux-tu t'élancer dans le ciel, d'un geste décidé, comme font les oiseaux de proie? .j.

La vie réserve ses couronnes aux héros seulement. Pour les rêveurs et les lâches, elle n'a que des bonnets de polichinelle.

Ad augusta per angusta. Ce sont les chemins étroits qui conduisent vers les hauteurs.

Lorsqu'au printemps de l'an 1848 le grand poète hongrois Petofi préparait son célèbre poème intitulé cc Debout, Magyars! », dans son manuscrit original il avait d'abord écrit: cc En avant, Magyars! » - Un ami du poète lui dit alors: cc Ce n'est pas bien ainsi. Il faut

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88 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

commencer par mettre la nation debout. Ensuite tu pourras l'encourager à aller de l'avant et à travailler pour la patrie. » Et Petüfi modifia immédiatement le titre de son magnifique poème.

Toi aussi, mon fils, commence par te mettre debout au milieu des faciles « je voudrais ». Puis, en avant!

,'i Tends ta volonté, agis, travaille! Un point important, ~l \ c'est de ne plus jamais te dire comme autrefois: « Hélas!

je suis si faible, je ne réussirai sûrement pas. »

Hésiter, lâches, Chercher sa tâche, Douter, se plaindre, Pleurer et geindre, Cela n'apporte Jamais de mieux.

Au malheur blême Dire: Quand même! Et tenir tête A la tempête : Cela appelle L'aide des Dieux 1

(GOETHE).

Face au destin !

Sous le portrait de tout grand homme, on pourrait écrire : Il sut vouloir! Un jour, la sœur de saint Thomas

r d'Aquin lui demanda : « Que faut-il faire pour gagner ,~. son salut éternel? » - « Il faut le vouloir! » répondit :1 simplement le saint.

Il ne sied pas au jeune homme de baisser la tête, d'un air abattu, devant les obstacles; il lui sied,

i au contraire, de regarder courageusement, bien en :\ face, les difficultés qui se dressent sur son chemin. i Le ciel peut être tout noir de nuages, - peu importe.

Un jour viendra certainement où le soleil reparaîtra.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE

Et l'hiver le plus rigoureux devra céder le pas au ,~ printemps!

Un jeune homme ne doit jamais se laisser briser. f Le travail est aux jeunes, le repos aux vieux. Pas de frayeurs, surtout! Et à l'assaut contre les difficultés! La plupart des tâches semblent plus difficiles qu'elles ne le sont réellement. Le proverbe anglais a bien raison : « Il ne pleut jamais aussi fort qu'on le voit à travers la vitre! »

Considère un peu comment Sénèque, tout païen qu'il t',

était, pensait déjà sagement là-dessus : « Adversarum fi impetus rerum viri fortis non vertit animum » écrit-il %

(Prov. 2). « Le malheur ne peut briser un homme ~, courageux. » - « Calamitas virtutis occasio est »

(Prov. 4, 6). « La calamité peut faire naître la vertu. » ~ - « Ignis aurum probat, miseria fortes viros » ( prov. ; 5, 8). « Le feu éprouve l'or, et la misère l'homme fort. » ~:

L'histoire des grands hommes contient une foule d'exemples de nature à nous encourager. Souvent .;' le destin lui-même semblait s'être mis contre eux. Les ~, obstacles surgissaient en masse devant leurs projets. ;: Mais ils prenaient un noble plaisir à leur opposer leur ; vouloir et ils finissaient par les vaincre. C'est là où la nature est toujours propice - aux pays du printemps éternel - que l'on trouve des hommes mous et sans énergie.

Je t'ai parlé plus haut des pénibles angoisses que Christophe Colomb dut endurer avant de réaliser ses projets. Pendant dix-huit ans il arpenta les cours de l'Europe où, partout, la calomnie travaillait contre lui. Mais son noble enthousiasme et sa volonté tenace finirent par triompher de toutes les intrigues, et il put enfin exécuter le ~ grand rêve de sa vie : s'en aller à la

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

recherche d'un continent nouveau. Sais-tu quel ' âge il avait à ce moment? Cinquante-huit ans! D'ordinaire,

!. on prend sa retraite à cet âge-là. Lui, c'est seule­ment alors qu'il put commencer la tâche qu'il s'était

;\ imposée. - Beethoven, le célèbre compositeur, était

. presque complètement sourd lorsqu'il créa son plus \,

beau chef-d'œuvre. - Moïse, le grand libérateur des Israélites, parlait en bégayant; avec l'aide de Dieu et en reconnaissant humblement son imperfection, il devint pourtant le chef de son peuple.

Ne sois donc pas pessimiste! Ne gémis pas: « Moi, c'est en vain que je commence quelque chose; le destin me persécute; je ne réussirai jamais rien. » Ne dis pas, comme disent tant d'autres: « Si j'ai de la chance, les cailloux eux-mêmes se changeront en or; si je n'en ai pas, je me casserai fatalement le cou. » - Mais, si le sort te persécute, fais-lui face et regarde-le dans les yeux. Surtout, ne reste pas inactif! Les paresseux et les incapables, seuls, se consolent, en disant que « la chance favorise les imbéciles »; cela leur donne

, la satisfaction de se croire très intelligents. Les hommes sont tellement vains qu'ils accusent toujours les 'autres aux heures de revers. -

Sais-tu comment un élève paresseux se lamentait un jour que son camarade plus appliqué venait de faire une belle réponse? « Bah! sa mère a envoyé un jambon au professeur, pas plus tard qu'hier! Ah! si nous avions des jambons à perdre, nous aussi ! ... » Et, pour tout l'or du monde, il n'aurait reconnu que son camarade était plus studieux que lui et que c'est pour cela qu'il faisait des progrès.

Regarde encore ce commerçant qui calomnie son collègue : « Quand on ne se gêne pas pour voler et

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE

tromper, on s'enrichit bien vite. » - Il se garderait bien de reconnaître que son concurrent se donne plus de peine que lui, qu'il est plus adroit, qu'il est plus sérieux. Il n'avouera jamais qu'il doit sa prospérité, non à ses . vices, mais à ses vertus, à son goût obstiné pour le h travail, à son habileté, à son énergie infatigable, à sa ... prévoyance; et que, s'il ne réussit pas lui-même, ce n'est pas parce qu'il est honnête, mais parce qu'il est 1 maladroit, trop relâché, parce qu'il a la dépense trop : facile et qu'il ne se soucie guère de ses propres affaires . •

Les treize braves.

François Pizarre, le conquérant du Pérou, se trouva • un moment, au cours de son voyage d'exploration, dans une situation particulièrement pénible: l'équipage du navire était révolté contre lui et exigeait le retour. Mais Pizarre prit la parole : « Au nord de cette ligne, dit-il, une vie facile et exempte de dangers nous attend, mais ce serait pour nous l'échec et la misère. Au sud, au contraire, il nous faudra faire des efforts inouïs, engager une lutte difficile, endurer des privations, mais ce sera le succès, l'honneur, la richesse et la gloire! .. . Choisissez donc vous-mêmes! » Et l'équipage, presque au complet, choisit le nord. Il ne se trouva que douze hommes, avec le commandant, pour mettre le pied de l'autre côté de la ligne tracée par Pizarre sur le pont du bateau. Et ces treize braves, au prix sans doute de bien des privations, mais sans se laisser rebuter par les difficultés, firent triompher l'entreprise.

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92 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Il ne faut jamais perdre la tête sous les mauvais coups de la fortune. Il y a des gens qui ont une foule d'épreuves à supporter au cours de leur vie; on dirait presque qu'ils sont poursuivis par le malheur. Si cela

i, te tombait en partage, ne te décourage pas, ne te laisse pas briser! Au contraire, résiste de toutes tes forces, travaille dur et ne désespère jamais!

,'. Ceux qui remplissent leur devoir l'âme joyeuse et les lèvres souriantes font toujours leur chemin dans la vie. Ils sont calmes quand tout leur sourit, et braves quand tout leur résiste, selon le conseil du poète latin:

Aequam, memento, rebus in arduis, Servare mentem, non secus in bonis.

Admettons que tu perdes ton emploi, ta posltlOn. 1: Ce serait un bien grand malheur. Mais il ne faudrait :' pas te laisser aller au désespoir, comme s'il n'y avait :' pas d'autre place ailleurs, dans le monde, pour toi! Tu

ne peux pas savoir quelle est l'intention de Dieu rela­tivement à cette interruption subite de la carrière que tu t'étais choisie. Peut-être que, par cela, justement, Il voudrait te diriger vers ta vraie carrière, ta vraie vocation, comme Il le fit un jour pour le bienheureux Edmond Campion, le favori de la reine Élisabeth d'Angleterre. Al' occasion d'une fête brillante, Campion devait se produire à cheval: il montait admirablement. Mais, cette fois-ci, il tomba de son coursier et, au lieu des acclamations accoutumées, il ne connut que des railleries. Campion profita de la leçon ... Il se repentit de ses péchés, se sentit appelé au sacerdoce, se fit jésuite, devint missionnaire et donna sa vie pour le Christ. Sans son « malheur », peut-être aurÇli~-il payé sa haute situation au prix de son âme. .

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 93

Et quelle extravagante folie de se donner la mort pour éviter les épreuves de l'existence! Aussi longtemps qu'on est vivant, on peut toujours espérer l'occasion de se relever d'une catastrophe, de réparer une chute honteuse. Par contre, le malheureux qui se tue se prive lui-même de cette unique possibilité de réparation, et, de plus, il ajoute l'horrible péché du suicide à ses autres péchés non expiés". « Palma sub onere crescit. )) « C'est la charge qui fait pousser le palmier. » J'ignore si cette vieille sentence est juste; mais je sais parfaite- i' ment qu'un homme à la volonté ferme, loin de se laisser !, briser par les malheurs, s'en fait souvent une échelle t, pour monter plus haut.

Jules César, en débarquant en Mrique, trébucha à sa descente de bateau et tomba à terre. Tout effrayé, son entourage superstitieux chuchota que c'était un mauvais présage. Mais César se ressaisit sur-le-champ. « Je t'embrasse, Afrique!» cria-t-il d'une voix théâtrale, en étendant les bras. Et (( l'amen du mal » lui porta bonheur.

La lutte et les privations ne sont pas seulement " (; du mal »; elles sont aussi la source de vertus héroïques. Sans la tentation, pas de maîtrise de soi. Sans l'épreuve, ' pas de solidité. Celui qui lutte devient plus fort. ~Î C'est en exil, alors qu'il était dans la plus grande misère, que Dante écrivit son chef-d'œuvre : (( La divine comédie ». C'est pendant une grave maladie que Schiller composa ses meilleurs drames; et c'est peu avant sa mort que Mozart acheva son (( Requiem ». Il i: ne serait pas bon pour le fleuve que chaque œuf de ii poisson se développât, ni pour le jardin que chaque i fleur portât son fruit. Il ne serait pas bon, surtout, (: pour l'homme que toutes ses entreprises réussissent. fr

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94 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

' -\

" Le succès constant nous enorgueillirait l'insuccès,au contraire, nous enseigne L'homme peut tout supporter ici-bas,

t' bien-être continuel.

facilement; l'humilité. excepté le

il L'homme supporte tout dans la vie, Sauf les bons jours en longue série.

(GOETHE).

Le danger du succès.

Je sais bien que le succès est un grand encouragement pour l'homme, qu'il l'aide à persévérer dans ses efforts, et que nous sommes vite démoralisés quand rien ne nous réussit. Je comprends parfaitement aussi que les succès et les éloges fassent plaisir à un jeune homme.

" Et pourtant, mon fils, je voudrais t'exhorter à ne jamais te laisser séduire par ces avantages. Car, s'il est vrai que

, la non-réussite peut parfois briser l'énergie, il arrive ; bien plus souvent encore que les louanges reçues trop

vite ou imaginées seulement causent la ruine des talents les plus sérieux.

Voici un jeune homme qui commence à jouer du violon ou à faire de la peinture. A un grand dîner, ses parents et ses amis l'applaudissent comme un nouveau Mozart ou un nouveau Munk:lcsy, Il ne lui en faut pas davantage : il se prend sur-le-champ pour un génie capable d'ébranler le monde, pour un « surhomme », et il commence à se conduire comme il s'imagine que cela sied à un maître. Il devient pédant, original. Rien ne fait plus impression sur lui. Il critique à tort et à travers. Et, surtout, il n'étudie plus. « C'est mon talent qui me fera vivre », dit-il.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 95

J'ignore si tu as déjà couru le danger des éloges abusifs, si on ne t 'a jamais salué comme le grand pianiste ou le grand peintre de l'avenir. Mais je te demande instamment, mon fils, si Dieu t'a réellement donné quelque talent artistique, de le cultiver autant que tu pourras, mais sans perdre pour cela ton juge­ment sain. Ne t'imagine pas trop facilement que tu deviendras un poète célèbre ou un musicien de renom, et que, pour cette raison, tu n'as plus besoin d'étudier d'autre matière. Certainement, tu dois soigner le talent que Dieu t'a donné, mais cela ne doit pas t'empêcher d'obtenir un diplôme ou d'apprendre un , métier qui pourra te faire vivre. Ce serait une grande faute de vouloir se fier uniquement à ses compétences. Dès que tu seras devenu adulte, tu te rendras compte que le marché des talents est plein de talents médiocres, et que ceux-là n'arrivent presque jamais à rien dans l'existence qui ont fondé toutes leurs espérances sur leurs œuvres artistiques. Et puis, avoue-le-toi encore, on se rend plus utile à l'humanité en confectionnant une paire de bottes bien cousues qu'en écrivant un volume entier de vers confus ou en barbouillant quelques mauvaises croûtes.

Où est l'Asie?

S'il ne nous est pas permis d'exagérer les talents que Dieu nous a donnés, que dirons-nous des jeunes gens qui se vantent continuellement de « leur science »? Rien n'est plus grotesque que ces gamins de seize ou dix-sept ans qui s'enflent de leur savoir comme la

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

grenouille de La Fontaine. C'est incroyable tout ce qu'ils savent déjà! Pour eux, le professeur n'est qu' « un être inutile », et le livre d'études qu'une stupidité ...

i. Ils ont déjà tant appris qu'ils peuvent se permettre d'être incroyants. Et ... si la poudre n'eût pas déjà

j; été trouvée, il y a longtemps qu'ils l'auraient découverte! Je ris encore en me rappelant une certaine leçon de

latin qui tourna bien mal pour un jeune homme qui se vantait de tout savoir. Le professeur dictait des textes que ses élèves, après quelques instants de réflexion, devaient écrire en français sur leur cahier. Et le devoir de mon savant jeune homme était plein de phrases comme celles-ci :

Hannibal ante portas = Annibal qui était précédem­ment portier; ... Caesar militibus omnibus in Galliam venit = César et ses soldats allèrent en Gaule en omnibus, etc.

Et puis, il y avait une ligne que le professeur lui'­même ne parvenait pas à s'expliquer. Il s'agissait de l'ode connue d'Horace adressée à Mécène, qui commence ainsi : « Mecenas, atavis edite regibus! » « 0 Mécène, toi qui comptes des rois parmi tes ancêtres! » Or, savez-vous ce qu'il y avait d'écrit sur le cahier? « Tu me mangeras pour souper, mais l'oiseau mangera des rois.»

« Ah çà, Dupont, qu'est-ce que tu as écrit là? demanda le professeur.

- Mais, Monsieur, j'ai traduit votre texte! - Quel texte? - Mais celui que vous avez dicté, Monsieur le

professeur. Me cenas, at avis edit e regibus! » Un fou rire secoua toute la classe. Et notre élève

ne se vanta plus jamais de son savoir. Pense un peu, mon fils, au petit nombre de connais-

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 97

sances humaines qui pouvaient bien se nicher dans la tête de ce gamin si fier de lui! Et compare ses réflexions avec celles que faisait lYewton, le grand savant en histoire naturelle, après les brillants résultats de ses recherches. Son travail, écrivait-il, ressemblait à celui du petit enfant qui ramasse des coquillages sur la rive de l'océan immense :

« J'ignore ce que le monde pense de mon travail; mais, pour moi, dans toutes mes recherches scienti­fiques, je n'ai jamais été qu'un enfant qui joue s~r la plage. Quelquefois, peut-être, j'ai trouvé un cal~lou

plus rond ou un coquillage plus joli que n'en trouvaient · mes compagnons; mais l'océan de la vérité est toujours . resté un mystère à mes yeux. »

La jeunesse d'aujourd'hui ferait bien de se rappeler aussi les paroles du grand écrivain anglais If~lter Scott qui disait modestement après un travail assidu d~ piusieurs dizaines d'années : « Tout le long de ;' ma carrière, ma propre ignorance m'arrêtait et me ;~

tourmentait. » Tu vois que plus on sait, plus on est humble. Plus

on apprend, en effet, mieux on se rend compte que le plus savant des hommes ignore beaucoup encore . . Socrate disait avec raison : « Le plus haut degré dU )l ~~~oi~ humain est de se rendre compte que nous ne ~ savons rien. » Et Sénèque a écrit : « Beaucoup de gens seraient devenus sàges s'ils ne s'étaient pas imaginés !\ l'être déjà. » Et le proverbe hongrois n'a p.as tort: •. « Si tu avais de l'esprit, tu ne t'en vanteraiS pas. » \

On a l'habitude de dire que les poules qui caquettent . beaucoup pondent peu : « Poule crie pour deux; où restent les œufs? » Et c'est cette même pensée qu'un vieux prédicateur allemand, Abraham a Santa

Le Caractère. 7

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

'.'\ Clara, exprimait ainsi: « La bêtise et l'orgueil regardent \ du même œil. »

Un jour, Alcibiade se vantait devant Socrate, son maître, de ses immenses domaines des environs d'Athènes. Socrate étendit alors devant lui une grande carte géographique. « Montre-moi où est l'Asie! »

lui demanda-t-il. Et Alcibiade lui indiqua le vaste continent. - « Bien! Et maintenant, où est la Grèce? »

Et Alcibiade lui montra la Grèce. Mais qu'elle était petite en comparaison de l'Asie! - « Et où est le Péloponèse? » Alcibiade eut de la peine à tro:uver le petit point sur la carte. - « Et où est l'Attique? »

L'Attique y était presque invisible. - « Eh bien, conclut Socrate, montre-moi à présent où sont tes propriétés si étendues? » Elles n'étaient nulle part sur la carte.

Ne crois donc pas, mon fils, que tu as de grandes propriétés spirituelles. Le plus grand savant lui-même ne possède qu'un tout petit grain des immenses trésors de la science du monde . .. Ne te conduis pas comme si tu étais le centre de l'univers; tu n'es qu'un tout petit point microscopique dans l'œuvre de la création ...

1 Et si l'un de tes camarades se vante devant toi de son grand savoir, demande-lui modestement: « Mon ami, dis-moi où est l'Asie? »

Veux-tu me prêter?

Il est très facile de se faire une idée du caractère d'un jeune homme en observant 'les moyens qu'il emploie pour se procurer de l'argent, et sa manière de l'épargner ou de le dépenser... Fais en sorte, toi, au cours de

• j

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 99

ton existence, de ne jamais être contraint d'emprunter; i

il est toujours difficile de rendre. Mais prends garde surtout de ne faire aucune dette tant que tu ne gagneras .; toi-même de l'argent, tant que tu vivras du travail de . tes parents. Un jeune homme qui s'endette prépare sa propre ruine. « Les dettes engendrent une progé­niture terrible; le mensonge, la bassesse, l'avilissement, la fourberie en naissent facilement. Les dettes creusent des rides précoces sur des visages jusque-là loyaux et sincères. Elles taillent le cœur d'un honnête homme comme avec un couteau » (Jerrold).

En faisant des dettes, on devient esclave, dans une certaine mesure, car on vend sa liberté. Si on ne peut payer au jour fixé, on tremble de rencontrer son .créan­cier. Et si on ne peut pas l'éviter, ou bien on lm ment effrontément, ou bien on est obligé de baisser la tête et de s'humilier. Il vaut mieux se coucher sans manger que de se réveiller avec des dettes, car le proverbe a bien raison de dire : « Sac vide ne reste pas debout. » De plus, l'argent emprunté porte rarement bonheur. C'est un fait ratifié par l'expérience qu'on le dépense plus facilement que celui qu'on a gagné soi-même par son travail. .. Garde-toi de faire des dettes. Et ne prête pas ton argent à autrui. ,

Dans certains cas, lorsque tu te trouves en presence d'un besoin réel, tu peux sans doute te départir de cette règle; mais, le plus souvent, tu fais du bien à celui qui te demande un prêt en le lui refu~ant. S'il se fâche contre toi à cause de cela, ne t'en attnste pas : (, ce n'est pas un véritable ami... De ton côté, si t~ dois toi-même emprunter, ne t'adresse pas à un aml; la relation de créancier à débiteur créerait inévita­blement une tension désagréable entre vous.

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lOb LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Fais ton profit de cette réponse faite par un sage de Perse à un derviche qui lui posait un jour la question suivante : {( Que dois-je faire? On me dérange conti­nuellement. Les visiteurs gâtent mes moments les

'1 plus précieux. » Et le sage de lui répondre : {( Prête un : peu d'argent aux pauvres, et demande un prêt aux

riches : tu verras que les uns et les autres ne repa­. raîtront plus. » " Que de vols, de tricheries, de fraudes, de faiblesses

morales et de suicides auraient pu être évités si les malfaiteurs avaient appris dans leur jeunesse à manier l'argent avec prudence!

Le démon de l'argent.

Jadis, avant la guerre mondiale, un étudiant ne disposait que de très peu d'argent. Ses parents lui donnaient tout au plus quelques francs comme argent de poche qu'il pouvait dépenser à son gré. Et il s'en contentait. Mais aujourd'hui, en ce temps anormal où nous vivons, la soif de l'argent, le « auri sacra fames», trouble bien des âmes de jeunes gens. Il n'est pas rare d'en voir spéculer, jouer déjà à la Bourse. Il n'y a que très peu de temps, un jeune homme de dix-

:( sept ans ne se suicidait-il pas parce qu'il ne pouvait t payer les pertes qu'il venait de faire à ce jeu? Quelle l affreuse tragédie! Il ne sera donc pas inutile de parler

un peu ici de ce sujet. { Je voudrais, mon fils, que tu eusses des vues très i nettes sur la valeur de l'argent. Sans doute, on ne peut ~ vivre sans argentj mais il est tout · aussi certain que

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 101

vivre pour l'argent seulement est indigne d'un homme. " Courir après l'argent ne peut être un but digne d'une ii existence humaine; l'argent n'est qu'un moyen pour : se procurer des biens plus nécessaires à la vie. Et si, 1 hélas! le veau d'or a encore autant d'adorateurs que · jadis, au temps où les Juifs se prosternaient devant lui dans le désert, - si, aujourd'hui encore, on estime ! souvent les gens d'après leur automobile ou leurs ' propriétés, - je te demande instamment à toi de ne ;\ les juger que sur l'honneur! "

Un jour, un homme extrêmement riche déclara sur son lit de mort: {( Pendant quarante ans, j'ai travaillé comme un esclave pour amasser ma fortune; le reste dé ma vie a été employé à la garder comme l'aurait fait un détective; et qu'ai-je reçu pour tout cela? Ma nourriture, mon logement et mes habits .. , rien de plus. )) Saint Bernard a eu bien raison de dire : r {( On amasse la fortune avec peine, on la garde avec l inquiétude et on la perd avec douleur, ))

Le bonheur n'est pas dû à la puissance, Ni au luxe, à la splendeur et à la gloire; Et l'océan, dans sa magnificence, Ne vaut pas le ruisseau pour qui veut boire.

(REVICZKY)

N'est-il donc pas permis d'amasser de la fortune, même par des ,moyens honnêtes? Mais si. Seulement la fortune a ses obligations, et un homme riche qui néglige de faire autant de bien qu'il peut pèche grave­ment. Selon l'enseignement sublime de Notre-Seigneur, il n'est permis d'amasser des richesses que si on les emploie à faire la charité. Oh! il ne faut pas être com-

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muniste, ni nier le droit de propriété; mais il faut recon­naître que les énormes fortunes privées qui existent encore aujourd'hui n'ont pas été amassées par le seul propriétaire, que des centaines d'ouvriers les ont arro­sées de la sueur de leur front, - et que, par conséquent, ces fortunes, en partie du moins, doivent être utilisées pour le bien public, le bien de l'humanité tout entière.

« Noblesse oblige JJ dit une devise bien connue. Mais la fortune oblige, elle aussi! Elle oblige à aider, à faire la charité ... N'oublie jamais les graves paroles de Constantin le Grand : « :Ëtre empereur, c'est l'affaire du sort; mais, si le sort t'a mis sur le trône, tâche de remplir dignement tes fonctions! JJ - Jete demande, mon fils, surtout si Dieu t'a donné des

)

1,'/\ parents riches, de cultiver en toi le sens social et de te pénétrer de bonne heure de la conception chrétienne de la charité. « La richesse durcit le cœur plus vite

, que l'eau bouillante durcit l'œuf JJ, dit Borne. Si tu es le fils d'un industriel ou d'un négociant,

songe un peu au nombre de mineurs qui suent et peinent dans les entrailles de la terre à la lueur d'une petite lanterne clignotante, - à celui des ouvriers qui travaillent près des forges brûlantes et des locomotives lancées à toute vapeur, - à celui des accidents dont ils peuvent être les victimes dans leur dure besogne. C'est tout cela pourtant qui apporte des revenus

, énormes dans le coffre-fort de ton père. Tous ces pauvres gens ont une famille : une femme, des enfants

i - des enfants comme toi - qui n'ont souvent pas de quoi manger!.. Si ces pensées trouvent le chemin de ton cœur, tu sauras les aider, ces petits, selon tes moyens. Mais, ce qui est plus important encore, tu

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 103

vivras toi-même de cette autre pensée, si méconnue, hélas! par tant de gens riches, que Dieu t'a seulement prêté ta grande fortune, et que, à ton dernier jour, tu auras à lui rendre un compte exact de son emploi. Crois-moi, si tous les gens riches vivaient ainsi - et c'est cela que notre religion chrétienne leur demande de faire - la question sociale, qui recèle tant de dangers i

et qui menace le monde d'un profond bouleversement, pourrait être résolue en un seul jour.

Ta fortune et tes larges revenus Seront pour toi une bénédiction s'ils te servent à donner plus.

(KAZINCZY).

Oui, donne à ton prochain, donne à ta patrie!... On demandait un jour à quelqu'un, devenu puissamment riche après avoir été excessivement pauvre, comment il avait fait pour amasser une telle fortune? « Mon père, répondit-il, m'a appris à ne jamais aller jouer avant d'avoir fini mon travail et à ne jamais dépenser l'argent avant de l'avoir gagné. JJ Ces paroles si simples cachent la plus grande sagesse. Ne pas dépenser à la légère l'argent que d'autres ont gagné! On n'est pas indépendant, on n'est pas homme, aussi longtemps qu'on dépense l'argent des autres ... Et, même pour un étudiant, il ne pourrait en être autrement. Il est naturel, sans doute, qu'il dépense l'argent de ses parents. Mais qu'il se garde bien de dépenser ne fût-ce qu'un centime en superfluités !... De même, qu'il n'achète jamais rien à crédit; c'est-à-dire qu'il ne dépense jamais l'argent dont il n'entrera en possession que le lendemain ou le surlendemain!

Dépense toujours moins que tu possèdes. Combien

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

sont mécontents de leur sort, non pas parce qu'ils manquent de ressources, mais parce qu'ils se croient dans l'impossibilité de réduire leurs dépenses? Combien de grands propriétaires, maîtres de fortunes immenses, sont tombés dans la pauvreté pour n'avoir pas obéi à cette seule règle. Ils n'ont pas voulu croire ce que Walter Scott fait dire à l'un de ses héros historiques: « Plus d'âmes ont été mises à mort par l'argent que de corps par le fil des épées. » - Des gens aux revenus moyens, par contre, vivent tranquilles et sans soucis en économisant.

Beaucoup de jeunes gens ne savent pas manier l'argent. Je parle de ceux qui sont incapables de passer devant une confiserie, un magasin de photo ou d'articles sportifs, une exposition de timbres ou un cinéma, chacun selon ses penchants, sans y entrer aussitôt, s'ils ont quelques sous dans leur poche. Ces jeunes gens-là auront beau manier des revenus immenses quand ils seront hommes, ils ne seront jamais satisfaits; ils ne seront même jamais riches, car la fortune fondra entre leurs mains comme la neige au soleil.

Comment capture-t-on les singes?

Sais-tu comment les nègres capturent les singes? D'une manière très spirituelle. Ils attachent solidement à un arbre un sac de cuir rempli de riz, le mets préféré des singes. Ce sac a une ouverture tout juste assez grande pour laisser passer la main de l'animal, et celui-ci, s'il ferme le poing sur le riz, ne peut plus en

, r

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 105

retirer sa main ... Regarde-le s'approchant de l'arbre, mettant sa main dans le sac et saisissant une poignée de son aliment favori. Quand il se rend compte qu'il ne peut plus retirer son poing, il grimace et s'agite; il hurle, se débat, fait les mouvements les plus violents. Mais c'est en vain. Le nègre s'approche et le capture ... Qu'il est bête, n'est-ce pas? ce pauvre singe. Il n'avait qu'à desserrer le poing et à lâcher le riz pour recouvrer sa liberté! Mais voilà : plutôt la captivité, plutôt la mort que de renoncer à son butin! ,

Prends garde, mon fils, que l'amour déréglé de !{ l'argent ne te captive de la même manière et ne te jette :; dans la prison des plus noires passions! .

On ne peut pas vivre sans argent, je le répète. Mais il y a une chose que nous devons nous garder d'oublier: c'est que nous ne devons jamais être les esclaves de l'argent, c'est que l'argent, au contraire, doit être notre " serviteur. L'argent n'est qu'un moyen, et il importe de ne pas en faire un but.

Oui, si tu ne le laisses pas régner en maître sur ton âme, l'argent peut être pour toi un bon serviteur. Il peut augmenter tes valeurs spirituelles, te donner le droit de premier-né des fils de Dieu en échange du plat de lentilles des avantages matériels. A la mort de quelqu'un on se demande souvent : Combien a-t-il laissé de fortune? Cela n'a pourtant aucune impor­tance. Ce qu'il faudrait plutôt demander, c'est ceci: Combien d'aumônes a-t-il faites ?. 0 dives, dives! Non omni tempore vives! Si riche que tu sois, tu ne vivras ' pas éternellement!

L'intelligence de l'homme a su vaincre et subjuguer bien des forces de la nature; elle a courbé l'électricité, le feu, la vapeur sous son joug. L'âme chrétienne

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106 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

est également capable de faire servir ses nobles buts par le démon de l'argent.

Je veux encore te dire - tout en espérant que tu n'as pas besoin de ce conseil-là - que les jeux d'argent ont une très mauvaise influence sur la vie morale. -Les jeux de cartes ne te conviennent pas, même si tu jouais sans argent. C'est une distraction qui ne procure aucun délassement aux étudiants. Après être restés assis une grande partie de la journée, ils ont besoin de prendre du mouvement. Quant aux jeux à l'argent, on ne saurait en aucune circonstance les approuver pour eux. La compagnie de tels joueurs, se com­posât-elle de capitaines de hussards et de jeunes comtes, n'est jamais bonne pour un jeune homme au caractère sérieux. Le ton et le genre des discussions au cours des parties, l'ambiance, la surexcitation des nerfs sont de nature à ébranler la finesse d'une âme; et ne pourrait-on pas citer le nom de nombreux jeunes gens à qui souriait un brillant avenir et dont la ruine physique et morale commença à la table de jeu, continua entre les bras des usuriers, et finit dans le suicide?. Oui, on pourrait en citer de ces cas tragiques, et jusque dans les classes les plus élevées.

Et ne crois pas que le danger de cette passion de l'or n'existe que pour les adultes! Un jeune homme pauvre peut toujours avoir un camarade d'école riche, pour qui les études ne sont qu'une occupation secon­daire auprès de toutes sortes de distractions qu'il met au premier plan. Mais, malheur à lui si « l'amitié flatteuse » de ce compagnon lui tourne la tête et si, pour lui plaire, il commence, lui aussi, à dissiper l'argent que ses parents peu fortunés ont gagné avec tant de peine! Il n'est qu'un sans-cœur pour gaspiller

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 107

ainsi un argent qui a coûté aux siens tant de travail et de privations!... Essaie, toi, de toujours mesurer tes plaisirs à tes moyens. Si tu dépenses plus que tu gagnes, ton malheur est tout prêt.

Vivre selon ses moyens.

Tu ne me croiras peut-être pas, mais je t'assure que, si tu veux devenir riche, la première question . que tu dois te poser n'est pas celle-ci : « Combien r puis-je gagner? » ••• mais cette autre : « Est-ce que je \ sais économiser? »

« Qui est le plus riche? » demandait-on un jour à un sage de la Grèce du nom de Cléanthe. « Celui qui se contente du moins », répondit-il. Des prétentions modestes, mon fils, sont le meilleur moyen de faire progresser ses affaires matérielles et, plus tard, d'établir son indépendance: PI,us on sait rétrécir ses prétentions, 1 plus on gagne d'mdependance sous tous les rapports. i Or, la civilisation moderne a précisément le grand tort \ de créer en nous des désirs toujours nouveaux. Et qu'arrive-t-il? Il arrive ceci, que, de deux jeunes gens qui se lancent dans la vie, doués des mêmes talents et animés d'un même zèle, c'est toujours le moins ambitieux qui fait la plus belle carrière. Oui, l'absence d'ambitions est déjà une source de revenus.

Plus on a de prétentions, en effet, plus on est l'esclave des jouissances. D'où viennent tous ces vols, toutes ces escroqueries, toutes ces fraudes que nos journaux relatent presque tous les jours? De ce que les hommes

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108 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

pratiquent le renoncement? Oh! non, et cent fois non. Mais seulement de ce qu'ils veulent jouir. .. Et d'où

'i\ ces millions dc mécontents? De ce qu'ils dépensent 1 plus qu'ils n'ont ... Et d'où encore tous ces suicides?

De ce qu'ils n'ont que des désirs et ne veulent pas connaître leurs devoirs.

Si pauvre que l'on soit, on devrait toujours mettre quelques sous de côté pour se constituer une petite

f réserve, si nécessaire aux jours de maladie, d'accident ! ou de vieillesse, en ces temps où on ne peut plus

compter sur son travail. L'homme qui gagne beaucoup, mais dépense tout ce qu'il gagne, n'est jamais loin de la pauvreté. Il n'a pas le sentiment de la sécurité de soi que donne le capital épargné, si mince soit-il. -Et on peut toujours faire cela, même lorsqu'on n'a qu'un revenu modeste. Et celui qui ne le fait pas se condamne, matériellement parlant, à toujours végéter.

f, Et c'est dès l'enfance qu'il faut apprendre à écono­miser. L'économie fortifie notre caractère et élève notre sentiment d'indépendance. Au contraire, l'habitude de

1 dépenser nous rend légers et nous conduit à la ruine ... Pourquoi donc est-ce si rare de trouver un jeune homme économe? Parce que l'économie est une chose plutôt difficile.

« Mais je suis un étudiant pauvre, et comment, dès lors, puis-je commencer à économiser? » demandes-tu peut-être.

'.1 Commence par noter exactement, chaque jour, tes revenus et tes dépenses, et ne dépense jamais plus que tes revenus. Ensuite, ne perds jamais un sou

\, à des achats superflus. Quand on achète des choses dont on n'a pas besoin, on est bientôt obligé de vendre celles dont on a besoin. Observe le jeune homme

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 109

vaniteux : que de dépenses inutiles il fait, sous le seul prétexte que « les autres» font de même : tabac, habits à la mode, futilités de toutes sortes, con­fiserie, etc. Mais le vaniteux jouit à peine de ce luxe, car il ne le fait que pour plaire aux autres. Que d'hommes ne se sont ruinés que parce qu'ils avaient voulu se procurer des habits, des chapeaux, des diver­tissements, des chevaux et des automobiles, « comme les autres »!

Efforce-toi surtout de dépenser le moins possible tant que tu ne disposeras que de l'argent de tes parents. - Lorsque tu gagneras ta vie toi-même, je n'aurai plus besoin de t'exhorter à modérer tes désirs. -Je te dirai, d'ailleurs, que je ne suis nullement satisfait de cette expression : gagner de l'argent. Elle semble dire que c'est chose facile. L'Anglais « fait» de l'argent (to make money). L'Allemand le « mérite » (geld verdienen). Nous, nous le « gagnons ». C'est pourquoi, peut-être aussi, nous le dépensons si facilement!

L'économie a toujours un grand avantage. Grâce à elle, le jeune homme le plus pauvre se met en état d'aider ceux qui sont encore plus indigents que lui; et c'est là un bonheur spirituel dont personne ne : devrait se priver. C'est déjà si beau de voir un étudiant i donner à l'un de ses camarades pauvres ce qu'il ne tient que de ses parents riches; - mais prélever quelque chose sur ce qu'on a gagné soi-même et faire un sacrifice personnel pour venir en aide à une vraie misère, quelle joie sublime cela procure, et, pour l'édu­cation d'un caractère, quel appoint cela représente!

Celui qui sait en rabattre sur ses prétentions, c'est .. à-dire celui qui sait économiser, saura toujours faire du bien, même avec un revenu modeste, Il en

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110 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

fera plus peut-être que cet autre qui a une grande fortune et de grandes ambitions.

Summae opes inopia cupiditatum, dit Sénèque. « La i plus grande richesse, c'est de ne pas avoir de

prétentions. »

Les joies du travail.

Si tu aimes ta patrie, réfléchis un peu à ce que le comte Istvcm Széchényi, « le plus grand des Magyars ", écrit dans l'un de ses livres: « La vraie puissance d'une nation est dans le nombre de ses citoyens cultivés ...

; Ce ne sont pas les plaines fertiles et les montagnes riches " en minéraux qui rendent fort un État, c'est l'esprit " qui sait les utiliser sagement. »

Ne crois pas qu'un jeune homme paresseux et indolent devienne jamais un membre utile de la société? Ne crois pas qu'une jeunesse sans principes et ennemie du travail puisse jamais assurer l'avenir de sa patrie? Comment pourrait-il remplir son devoir à l'âge mûr, celui qui, jeune homme, ne fait que ce qu'on l'oblige à faire?

i Pourtant, le paresseux n'est pas tranquille; il est , le pire ennemi de son propre « moi ". On ne peut j s'imaginer, en effet, un sort plus affreux que celui de : toujours trouver prêt ce dont on a besoin, de ne

manquer jamais de rien, de se voir entouré de serviteurs épiant ses moindres désirs. Pour celui qui travaille, le temps s'envole; pour l'oisif, les minutes elles­mêmes sont longues. Perdre son temps, c'est le travail le plus pénible du monde.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE II 1

tf Et qu'est-ce donc qui lui manque, à cet homme qui J ne fait rien du tout? La joie du travail. Le travail est Jq un excellent éducateur pour le caractère; il nous habitue . à la maîtrise de nous-mêmes, à l'abnégation, à la persévérance, à la réflexion.

Celui qui a été contraint à l'inaction pendant un temps plus ou moins long - pour cause de maladie, par exemple - sait seul estimer à sa juste valeur le bienfàit du travail. En interdisant à un prisonnier tout travail, on augmente la rigueur de sa punition, on le torture atrocement. Rester des heures, des jours, des semaines, sans rien faire, dans une cellule étroite, -cela peut conduire à la folie.

En l'année 211, l'empereur romain, Septime Sévère, était gravement malade, en Bretagne. Le tribun vint lui demander le mot d'ordre de l'armée. « Laboremus II

« Travaillons ", répondit l'empereur, - l'empereur malade. Il savait que pour chacun le devoir naît avec .\/ la vie et qu'il ne prend fin que lorsqu'on cloue sur 1,1

lui le couvercle du cercueil. ~ Sans travail, la vie n'est qu'un songe vain et inutile.

L'esprit de l'homme paresseux perd sa lucidité, et sa volonté dépérit. Car, pour développer la volonté, rien n'égale le travail, rien ne vaut les petits efforts continus. Celui qui travaille n'a pas le temps d'être mécontent et de ronchonner contre le sort. Le travail que nous faisons avec plaisir peut nous absorber si ' complètement qu'il réussit parfois à nous faire oublier momentanément de petits malaises physiques, comme un mal de dents ou un peu de fièvre. Un travail appliqué et soutenu peut même nous en débarrasser complètement.

Je voudrais que les étudiants paresseux, ceux qui

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II2 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

aiment à perdre leur temps et à manquer leurs leçons, réfléchissent une seule fois à fond sur ce sujet. Ils seraient obligés de reconnaître que l'étude serait une grande distraction pour eux. - Les autres, les travail- ,

lN leurs manuels, ceux qui passent leurs journées à l'usine,

à l'atelier, à la charrue, pour se procurer leur pain .' quotidien, ignoreront toute leur vie une foule de choses

intéressantes. Et eux pourraient si facilement s'en instruire en lisant et en étudiant! Les héros et les sages de tous les siècles passés sortent pour ainsi dire de leurs tombeaux pour leur parler, les poètes leur racontent leurs rêves, les historiens leur font revivre les peuples disparus, les plus grands esprits les initient à leurs plans et à leurs réalisations. - Les autres, qui n'ont pas les loisirs d'apprendre, ne sauront

, jamais rien de tout cela! Et eux n'ont qu'à ouvrir les , yeux pour voir les prodiges des océans profonds, de " l'immensité du ciel étoilé, des lois merveilleuses de

la nature ... Comme tu devrais être reconnaissant d'être 1

à même d'étudier! L'étudiant sérieux est conscient de cet avantage. Il se

réjouit de pouvoir travailler et ne s'effraye pas de la durée de ses études. Il apprend autant qu'il peut. Et

'. lorsque l'après-midi consacré à ses livres est achevé -, même si, à l'heure du dîner, il est brisé de fatigue -

il se réjouit dans son âme du travail qu'il a fourni. Car, comme Schiller l'exprime si bien dans son « Chant de la cloche » :

Si l'ouvrage est bon,

La sueur du front Doit couler en abondance . . .

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 113

« Excusez-moi, Monsieur, j'avais mal à la tête. »

Maintenant, c'est du caractère mou que je vais te parler,... du plus antipathique de tous les types d'étudiants: Dehors élégant, pardessus à la dernière coupe, souliers jaunes à la semelle élastique, mouchoir parfumé, ... et, dans l'âme, un vide insondable. Sur son cahier, il a bien mis son nom, avec, au-dessous, « élève de VIe »; mais, s'il avait voulu être franc, il aurait dû i écrire : « N. N. fainéant de VIe ». Car cet élève-là fait tout, excepté s'instruire.

Il est toujours pénible pour un professeur d'entendre un jeune « paon » de cette trempe lui faire cette réponse: « Excusez-moi, Monsieur le Professeur, je n'ai pas pu apprendre ma leçon, j'avais mal à la tête. »

Il avait mal à la tête? C'est un mensonge effronté. Il était paresseux, tout simplement.

Je voudrais lui montrer, à ce garçon-là, des douzaines de jeunes gens bien doués que leurs désirs, leur zèle et leur volonté conduiraient vers l'étude, et qui doivent y renoncer faute d'argent ... , ou, s'ils trouvent le moyen de poursuivre quand même leurs études, quelles incroyables privations ils doivent s'imposer pour cela.

Et lui qui a toujours « mal à la tête »! La paresse a déjà si bien usé sa volonté, que se lever de son divan et prendre un livre de classe sur sa table est presque déjà pour lui une souffrance physique. S'il travaille une petite demi-heure, c'est le soir, après son souper, et il ne le fait qu'en caressant sa chevelure toute relui­sante de brillantine, - son cher « moi», évidemment,

Le Caractère,

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114 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

demeurant toujours au premier plan. Le lendemain, il ne sait pas sa leçon; et rien de plus naturel, car, comme le dit encore si bien Schiller:

A l'effort seul que rien ne fait pâlir S'ouvrent les sources de la vérité; Le marbre ne consent à obéir Que sous les coups du sculpteur inspiré.

Chacun de nous a constamment besoin des biens de ce monde: aliments, vêtements, etc., et il faut que nous en payions le prix. Or c'est grâce à notre travail que nous pouvons le faire. Celui qui ne travaille pas est donc une charge pour la société; il consomme continuel~

lement sans jamais remplacer ce qu'il use ou détruit. C'est ce que saint Paul nous dit si simplement et si dai-

M rement dans sa lettre aux Thessaloniciens : « Celui qui t ne travaille pas ne mérite pas de manger. »

Le travail est une obligation pour tous, et non pas seulement pour ceux que leur gagne-pain y oblige. Oui, mon fils, il faut que tu travailles, même si tu es riche, même si tu as à profusion les biens de ce monde, car l'oisiveté engendre la ruine morale et le dépéris­sement spirituel. Si on n'étudie pas, on ne peut pas juger le monde d'une façon équitable et on devient vite l'esclave des hommes plus instruits que soi, fût-on, en apparence" assis sur un trône royal.

L'homme qui travaille beaucoup, au contraire, ne tarde pas à être pris pour ùn sage de l'humanité. Sa voix retentit à travers les siècles pour montrer aux autres le bon chemin, longtemps après que son corps est redevenu poussière. Les grands poètes classiques nous parlent encore, dans leurs chefs-d'œuvre, avec une fraîcheur toujours vivante. Platon nous enseigne

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE Il5

toujours la sagesse; Virgile, Dante, Shakespeare nous remuent toujours, et ils sont morts depuis bien des siècles. Le fruit du travail est un monument « plus ii\

il

durable que l'airain », monumentum aere perennius ... l Ah 1 si les étudiants qui ont toujours mal à la tête voulaient bien méditer sur ce sujet 1

L'abeille et le bourdon.

Ce n'est pas sans raison qu'on aime à citer l'abeille li comme un modèle de diligence. L'application soutenue r avec laquelle elle recueille le miel de fleur en fleur est 1 une chose admirable. L'abeille affairée et l'étudiant studieux se ressemblent. Nous autres, humains, - à l'âge d'étudiants surtout - nous devons tirer de bien des livres, de beaucoup d'observations et d'expé­riences, les connaissances qui nous seront nécessaires dans la vie, et cela réclame de nous une persévérance infatigable.

Mais cette ressemblance entre l'abeille et l'étudiant s'étend encore plus loin. Tous les deux ont une parenté peu honorable. L'abeille a un cousin dégénéré : le bourdon. Il a des traits communs avec sa cousine; il ronronne exactement de la même façon, même plus fort; il vole de fleur en fleur comme elle. Parfois, il se pose sur un rocher avec un sérieux parfait, comme s'il voulait dire : « Moi, je tire du miel même de la pierre. » Mais, après toute une journée d'activité, il revient toujours sans miel à la maison.

Et comment fait le bourdon-étudiant? Il se tient

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J 16 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

assi!; devant son livre ouvert, exactement comme ses camarades. Il le feuiHette tout autant, même plus. Il écarquille les yeux avec un sérieuy parfait, comme s'il disait lui au~si : « Moi, je tire de la science jusque de la couverture de mon livre. » Sa maman le caresse avec compassion: « Mon pauvre enfant, tu te donnes vrai­ment trop de peine 1 » Mais il fait seulement semblant de s'appliquer à étudier. Car, si les idées se succèdent dans son esprit, elles n 'ont, la plupart du temps, aucun rapport avec la leçon ... Et cela passerait encore; mais il arrive aussi que des images et des représentations malsaines trouvent asile sous ce crâne d'enfant. Et alors la ressemblance avec le bourdon devient complète: c'est sur le fumier que les larves de cet insecte se développent le plus souvent.

Le livre des Proverbes de l'Ancien Testament ébauche un excellent portrait de l'homme paresseux qui « veut et ne veut pas» (13, 4), qui meurt « tué par ses propres désirs» (21, 25). Sa vie tout entière n'est-elle pas qu'un enchaînement c~ntinuel de soupirs et de désirs infructueux?

Le paresseux ne peut jamais se résoudre à rien; il 'aperçoit dans un travail dix fois plus de difficultés

\ qu'il n'yen a réellement; îl a le frisson devant le moindre labeur et il finit presque toujours par s'y dérober. « Un lion se promène dehors, il pourrait m'égorger dans la ruel » (22, 13), se dit-il, tout effaré. « Cette leçon d'algèbre 'est ' hor,riblemerit difficile: il m'est impossible de l'apprendre », et il fetmeson livre

) avant même !l'avoir commencé àla lire. It essay~ _de

,) ~u~; il 3:, une petite ~d.ée ,de', t9ut: m,' ai, s il ".ne, sa,it rien à , .,fond. 11 ressemble , à~esgro~cap.1fs qUI, en plus ' du.

cou~eau, p'Qrtentun:: tix"ê~1Jo1Jc~pn, ~.në. c~il1ei: minuscule'

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE Il7

des ciseaux et un tire-bouton, mais dont tous ces outils sont de très médiocre qualité. . Q.ue je te plains, pauvre étudiantgbourdon, qui perds

amsl les meIlleures années de ta jeunesse!

La grue qui avait perdu sa queue.

Nombre de jeunes gens déploient ainsi un véritable talent à perdre leur temps pendant les huit années si importantes de leurs études secondaires, dont ils ne profitent que très peu. Ils ne vont au collège que parce qu'on les y contraint, et la moitié de leur cœur et de leur esprit, leurs yeux et leurs oreilles sont toujours ailleurs. C'est très distraitement qu'ils écoutent les explications de leur professeur : ils sont presque tout entiers à la partie de football à laquelle ils se livreront à leur sortie de classe. Ils reviennent bien à la réalité de te~ps en ~emps, mais c'est seulement pour quelques mmutes : Ils sont vite replongés dans les « Mirifiques aventures de M. Hercule» qu'ils lisent sous la table. ,. Leur maître vient-il à quitter sa place, ils se ressaisissent subitement pour le suivre d'un regard aussi intelli­gent que s'ils avaient découvert la cire à cacheter. . Oui. je les plains de tout mon cœur, ces pauvres Jeune~ gens. Je les plains parce que ce qu'ils font n'a pas la momdre valeur. Ils ont beau prétendre être capables de faire les deux choses, de prêter attention à la fois à l'enseignement qu'on leur donne et à la lecture de leur roman, la psychologie réfute leur affirmation. Le 'temps passe pour ~ux comme il passe pour

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118 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

les élèves laborieux; mais alors que ceux-ci savent déjà leur leçon après l'explication . de leur professeur, ceux-là ont vite fait, sitôt arrivés à la maison, de se débarrasser , de leurs livres parce qu'ils n'y compren­nent rien de rien.

Par une belle journée d'automne, une troupe de grues passait dans le ciel au-dessus de nos têtes. Elles filaient en forme de V et semblaient couper l'air de leur vol majèstueux et sûr. Mais, à une certaine distance derrière elles, une pauvre retardataire battait désespérément des ailes. Elle avait perdu, celle-ci, les longues plumes de sa queue qui lui servaient jadis de gouvernail, et elle avait beau s'agiter deux fois autant que ses compagnes, elle ne parvenait pas à les rejoindre. L'étudiant dont je viens de parler ressemble à cette grue qui a perdu sa queue : il travaille, mais sans faire de progrès.

Dans « Peer Gynt », Ibsen décrit l'état d'un tel jeune homme. Il lui fait adresser des reproches par les talents et les heures qu'il a gaspillés : « Nous sommes les pensées que tu aurais dû penser, lui disent-ils. Nous sommes les chants que tu aurais dû chanter. Nous sommes les larmes que tu aurais dû répandre. Nous sommes les actions que tu aurais dû accomplir. »

Je voudrais que tous les jeunes gens prissent la peine de copier les graves paroles suivantes, qu'un riche marchand fit graver sur sa pierre tombale - ils feraient bien même de les encadrer et de les mettre' bien en vue sur leur table de travail :

« N'oublie jamais que le travail est une des tâches les plus importantes de la vie. , - Le temps est de l'argent; n'en dépense aucune

minute en folie; tiens compte de chacune.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 1 19

- Fais toujours à ton prochain ce que tu voudrais qu'il te fît.

- Ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd'hui . . ' - Ne confie jamais à d'autres le travail que tu

peux faire toi-même. - N'envie jamais ce qui est à autrui. - Attache de l'importance aux plus petites choses, - Ne dépense pas ce que tu n'as pas encore gagné. - Ne laisse pas ton revenu diminuer, essaye plutôt

de l'augmenter. - Toutes tes actions doivent être ordonnées

sévèrement. - Pré(~ccupe-toi de faire le plus de bien possible

. pendant ta vie. - Ne te prive pas des commoditès de l'existence;

mais mène une vie simple, honnête et économe. - Et, pour accomplir tout cela, ne cesse pas de

travailler jusqu'à ton dernier jour. )) Si tu aimes le miel, ne te laisse pas rebuter par les

abeilles. Car le poète hongrois, Gergely Czuczor, a bien raison de dire :

On dit qu'en l'ancien temps - mais cela me paraît louche­Un poulet tout rÔti vous volait dans la bouche ...

La flamme vacillante d'une bougie

Je connais des jeunes gens, d'une nature singulière, qui travaillent toute la journée, qui touchent à tout, et qui sont, malgré leurs efforts, les victimes lamen­tables de leur manque de volonté. Ils sont incapables

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ut LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

de s'occuper de la même chose pendant plus de dix minutes. Au fond, ils ne font que dissimuler leur oisiveté, avec une adresse incomparable, en se donnant l'apparence d'une activité fiévreuse.

Considère un peu l'après-midi d un tel jeune homme. Après dîner, il commence à chercher ses mots de latin dans le dictionnaire. Trois minutes plus tard, il repro­duit un modèle de dessin. Bientôt, étendu sur son divan, il lit à haute voix les campagnes de Napoléon. Tout à coup il ferme son livre : il vient de se rappeler que des épreuves de photographie sont exposées au soleil depuis midi, et il court retirer ses cadres. Il prénd ensuite un roman, en lit dix-sept pages et l'abandonne pour se mettre à résoudre un problème de physique. Il a à peine commencé ce travail qu'une mouche vient se promener sur son cahier. Il l'attrape avec une adresse merveilleuse, lui arrache une aile et la place sous son petit microscope ... Et l'après-midi est achevé. Sa maman le plaint : « Mon pauvre garçon, comme tu as bien travaillé! » - Elle se trompe : son fils a seulement fait semblant de travailler.

L'histoire raconte que J'empereur Domitien s'enfer­mait souvent dans sa chambre sous le prétexte d'étudier les affaires d'État les plus graves, et qu'il défendait de le déranger. Mais, en réalité, c'était pour s'amuser à attraper des mouches et à les piquer sur des épin­gles .... Tout comme l'étudiant qui, en présence de sa mère, se tient assis, avec la gravité d'un juge, devant son cc De Viris ", et qui, dès que sa maman s'est éloignée, déploie (c Le 'sport national » et en fait sa distraction.

Par ailleurs, un travail qui manque de continuité . $!~ 4e méthode est bien plus fatigant qu'une étude \

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE Ul

suivie; et, de plus, il n'a aucune valeur, car l'esprit de l'homme est incapable de se fixer avec attention sur plusieurs choses à la fois. Donc, rien d'étonnant que l'étudiant quj touche à tout, en changeant continuelle­ment d'occupation, ne puisse aboutir qu'à des résultats

• 1 médiocres. Ce garçon-là, même s'il étudie, n'apprend rien à fond, et ne retient rie~ des choses sérieuse~. Étudier attentivement pendant trois heures, pour jouer ensuite, la conscience tranquille, pendant trois autres heures, cela vaut cent fois mieux que de rester assis devant ses livres pendant six heures, les coudes sur la table, rêvant et bâillant, sans jouer ni apprendre. On ne se relève que désabusé, comme on l'est toujours après

" tout travail fait à demi. Le meilleur étudiant, celui qui deviendra un jour un homme utile à son pays, est celui qui, pendant le temps de ses études, 9\}blie son entourage, le temps, ses propres soucis - le monde entier en un mot - pour fixer toute son attention sur la tâche qu'il a devant lui.

Laisse-moi supposer que tu ne me blâmeras pas de soutenir que, si l'on se prend à méditer sur le principe de Carnot tout en dansant le quadrille, on risque de glisser et de tomber sur le parquet:. Et dès lors comment veux-tu que celui qui a pensé à sa leçon de danse de la soirée tout le temps qu'il aurait dû consacrer à ses devoirs, ne reçoive pas une mauvaise note d'arithmétique?

Ne te mêle pas de tout, toi, et ne fais jamais qu'une seule chose à la fois. Mais, ce que tu as commencé, mène-le à bien et fais-le de tout ton cœur. Age quod agis!iC Ce que tu fais, fais-le à fond 1 II

Une opinion aussi moderne qu'erronée nomme les gens qui sautent d'une entreprise à l'autre comme

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

des âmes en peine : {( hommes actifs », {( esprits créa­teurs ». QueUe monstruosité 1 Les grandes découvertes et les grandes inventions, celles qui ont vraiment marqué un progrès de l'humanité dans le champ de la culture spirituelle ou technique, sont toutes nées .d'études laborieuses faites dans le silence fertile des laboratoires, des bibliothèques et des cabinets de travail. Les grands maîtres de l'histoire, de la science, .de la littérature, de l'art ou de l'industrie, doivent tous leurs succès à leur application assidue qu'un long travail concentré n'a jamais su rebuter. Si l'on pouvait gagner les hautes cimes d'un seul élan héroïque, bien des jeunes gens seraient prêts à le tenter; mais c'est seulement après des centaines et des milliers de petits pas, après des efforts inlassables qu'on y parvient. Avant de les atteindre, il faut éviter bien des obstacles, escala.der de nombreux rochers, se hisser sur les pics ... les redescendre parfois. Surtout, il faut toujours travailler.

Crois-moi~ mon fils, ce n'est pas l'homme capable d'agir audacieusement quand l'occasion s'en présente qui mérite le nom de héros, c'est celui qui sait exécuter fidèlement toutes les petites actions de sa vie. Quand, après ton dîner, le repos t'apparaît doux et qu'au lieu de céder au sommeil tu prends en main ton livre d'algèbre, tu fais preuve de courage! Lorsque, le matin, il ferait si bon rester encore un peu de temps sous ta couverture bien chaude, et que l'heure de tori lever arrive et que tu sautes à bas de ton lit sans retard, tu fais montre de courage! Quand le soleil de mlli te sourit du dehors et que tu voudrais bien sortir pour t'amuser, si tu n'as pas fini tes devoirs et que tut'ob'iges ' à rester près de ton livre, cela

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onSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 123

encore c'est du courage 1 Quand il te déplaît de faire une chose et que tu la fais quand même de bon cœur, parce que c'est le commandement de Dieu, c'est toujours du courage, toujours de l'héroïsme 1

Le lièvre et l'escargot.

Un beau jour, le lièvre et l'escargot décidèrent de rivaliser à la course. Le but était l'orée d'un bois, en

. face d'eux. L'escargot se mit en chemin avec ardeur; il suait, il peinait. Le lièvre se roulait par terre au soleil, content de lui et certain de sa victoire. « Pauvre bête, va 1 pensait-il, pourquoi te donner tant de peine? Un saut ou deux, et je t'aurai si bien dépassé que tu n'apercevras même plus ma queue 1 » Mais l'escargot travaillait, rampait, glissait, avançait; - et lorsque le lièvre s'arracha enfin à son agréable rêverie, son rival n'était plus qu'à quelques centimètres du bois. « Oh, là, là: mon amil Allons-y, à présentl » cria-t-il. Un saut - àeux sauts, - mais, avant qu'il eût fait le troisième, l'escargot était arrivé au but ...

La .persévérance et l'application peuvent primer le talent.

La première condition du travail intellectuel est ég~lement la persévérance. ' .. ,

, Le proverbe français affirmant que « le génie est une longue patience» n'est pas tout à fait exact, mais il est loin d'avoir tout à fait tort. Je pourrais te fournir une longue liste de jeunes gens bien doués qui furent les victimes de leurs trop grandes aptitudes. Ils avaient

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

terminé brillamment leurs études secondaires, sans se donner la moindre peine; mais, lancés ensuite dans la vie, ils n'ont rien produit parce qu'ils ne s'étaient jamais habitués à un travail ardu; ils ne sont parvenus à rien. - Par contre, nombre de nos hommes les plus éminents n'avaient que des dons moyens au temps de leurs études, mais ils surent suppléer à leurs talents par un zèle intrépide et un travail inlassable.

L'étude facile peut devenir ,très dangereuse . pour beaucoup de jeunes gens. « Moi, je peux me passer d'apprendre, je suis si intelligent! .» se disent-ils. Pourtant -- même si cela était - l'intelligence n'est pas le savoir, c'est seulement le moyen de se le procurer! Et j'ai connu bien des étudiants très intelligents qui n'ont même pas fini leurs études parce qu'ils se refusaient à utiliser les talents que Dieu leur avait donnés.

« Le travail opiniâtre vient à bout de tout. » « LaboT omnia vincit improbus », dit Virgile. - L'escargot peut dépasser le lièvre!

Génie ou persévérance.

Un travail opiniâtre, soutenu pendant un long temps, ressemble à l'eau qui coule paisiblement depuis des siècles: il se creuse u~ lit profond.

Tout le monde ne peut pas devenir un génie : cela­n'est donné qu'à un tout petit nombre, Mais tout homme doit se choisir un but sublime qu'il poursuivra ensuite pendant toute sa vie avec une persévérance

OBSTACLES A LA FOR~lATION DU CARACTÈRE 125

assidue,.. un but qu'il ne devra jamais perdre de vue et qui sera eOmme l'ossature, l'épine dorsale de son activité. Le génie lui-même est contraint à cette loi : il doit s'attacher profondément et passionnément à une certaine branche de l'art ou de la science.

Les œuvres d'art et les résultats scientifiques qui font le plus grand honneur à l'esprit humain ne sont pas le fruit d'une inspiration passagère du génie, mais celui d'une patience inlassable, pareille à celle des fourmis. En conséquence, les jeunes gens d'un talent moyen peuvent prétendre, eux aussi, à des résultats étonnants s'ils ont une volonté active et persévérante, car, le secret du succès en ce monde, c'est de nous attacher, avec un « je veux» tenace, à 'quelque but sublime. La seule différence entre un grand homme et un homme insignifiant n'est très souvent qu'une énergie toute-puissante et une volonté implacable, qui manque à celui-ci et qui caractérise celui-là, 'au service d'un but commun. La persévérance, l'application et le travail ont fait incomparablement plus de bien au monde que le génie avec ses dons les plus brillants.

Sans application soutenue, pas de récompense. Le travail inspire toujours le respect. - « Vite, vite; finissons-en au plus tôt! » c'est là la devise de bien des étudiants. Eh bien, sais-tu combien de temps Dante a mis pour finir son œuvre immortelle : « La divine comédie»? Juste trente ans. Dickens, le grand écrivain anglais, a dit que chacun de ses livres lui avait coûté un travail énorme. L'historien américain Preseott était déjà presque complètement aveugle lorsque, poux:.~ terminer son gr~"d ouvrage: « Ferdinand et Isabelle d'Espagne )J, il trouva indispensable d'apprendre les

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126 LB cARACTÈRE DU JEUNE HOMME.

langues modernes, et il y consacra dix ans. Neœton, le célèbre astronome, recommença quinze fois son « Arithmétique Universelle» avant d'en être enfin satisfait. Titien, le peintre immortel, en envoyant son tableau « La dernière Cène » à l'empereur Charles V ~ ~~~ écriv~it : « Sire, je vous envoie un tableau auquel J ru travatllé presque chaque jouret souvent même la nuit pendant sept ans.» Virgile mit vingt ans à composer son «. Énéide » et, avant sa mort, il voulait détruire ce poème, ne le trouvant pas assez bon. Fénekm recopia dix-huit fois son livre si célèbre sur l'éducation, intitulé « Télémaque », et la dernière fois encore il y faisait beaucoup de retouches. Edison était à peine sorti de l'enfance lorsqu'il passait déjà une partie de ses nuits à lire - non pas des romans - mais des ouvrages scien­tifiques sur la mécanique, la chimie et l'électricité.

Tolstoï était le plus sévèré des critiques pour ses propres livres. Il aimait à dire qu'il fallait les laver et les passer bien des fois au van pour en retirer les grains d'or; il en corrigeait non seulement les brouillons mais aussi les copies, ne prenant toujou;s que la troisième seulement pour son texte définitif, et encore n'était-il pas rare qu'il la retouchât, elle aussi. Stephenson travailla quinze ans à perfectionner sa locomotive avant de connaître la gloire. Watt se ,cassa la tête pendant trente· ans avant de trouver la machine à vapeur condensée. Herschelvoulut construire un miroir coti"; cave pour l'un de ses télescopes. Le premier ne le satisfit pas; le second, pas davantage. 11 en fit un troisième,un quatrième, ... un ceritième qu'il rejeta comme' les autres. Il construisit plus de deux cents miroirs concaves avant d'èn produire un qui 'fo.t absolument· parfait· mais il resta vainqueur 1 Tu vois bien que .1a persévé~

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTERE'" 127

rance et l'application sont· une aide puissante pour les plus grands génies eux-mêmes. Lorsqu'on de~andait à Newton, qui était doué, certes, d'un esprit exceptionnel, comment il était arrivé à faire ses grandes découvertes, il répondait modestement : « En y pensant toujours. » On est presque tenté de dire qu'il était d'une application exagérée, car, pour se reposer, il ne faisait que changer l'objet de ses études.

Nous trouvons un magnifique exemple illustrant les brillants résultats dus à des exercices précoces et à la discipline dans la vie de Robert Peel, un des plus grands orateurs du parlement anglais, qui réfutait les arguments de ses adversaires politiques les uns après les autres avec une mémoire admirable. Ses talents, pourtant, n'étaient pas au-dessus de la moyenne. D'où lui venait donc cette excellente mémoire? Tout enfant encore, son' père le faisait monter sur une 'table, chaque dimanche, en revenant de l'église, et lui faisait répéter le sermon qu'il venait d'entendre. D'abord, cela n'alla guère; mais, plus tard, l'exercice .affinasi bien son esprit que Peel pouvait répéter le ser~on presque mot à mot. Et c'est à ce dur travail qu'il dut ses grands succès de politicien.

Stephenson, l'inventeur de la machine à vapeur, était fils de parents tellement pauvres qu'ils ne purent pas l'envoyer à l'école. Quand il avait travaillé douze heures par jour près de ses machines, il passait une pàrt~e de ses nuits à apprendre à lire et à écrire. A dix-neuf ans seulement, il sut écrire son nom. Son seul plaisir était de s'instruire, et il s'y livrait même pendant son dîner. Il n'était pas rare de le voir résoudre des problèmes d'arithmétique en les écrivant à la craie sur le côté des voitures noires de charbon.

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128 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Dans la tranchée.

Chez beaucoup de gens, le naturel ne favorise guère ce travail tenace et sans relâche. Je parle de ceux qui s'enflamment facilement, comme un feu de paille, et qui ne savent pas rester tranquillement assis près d'un travail méthodique. Pendant la guerre mondiale, les hommes de ce tempérament-là partaient à l'attaque avec un héroïsme invincible, sans le moindre souc~ d'y perdre leur vie; mais rester inactifs pendant des semaines entières au fond d'une tranchée n'était pas du tout de leur goût. Finalement, c'est pourtant la méthode des tranchées qui nous assura la victoire. De même, dans la vie, ce ne sont ni les élans héroïques ni les enthousiasmes subits qui nous font atteindre le succès, c'est le travail persévérant et continu pendant des années et des dizaines d'années. Un tel travail peut te paraître ardu au premier abord, mais il faut que tu t'y entraînes coûte que coûte. C'est cette patience inébranlable qui a élevé les pyramides de l'Égypte au prix d'un travail incroyable; c'est elle qui fit écrire et recopier aux moines du moyen âge les œuvres des classiques grecs et latins, à la pâle lueur de leurs veilleuses, tout le long de leur vie; c'est elle encore qui, après des essais infructueux de plusieurs siècles, finit par découvrir. les lois des forces de .la nature et qui les mit au service de l'humanité, les unes après les autres. Le savoir, l'instruction,.1a science, le progrès . ". . . _. sont des fruits de la pat~I.H~.Ç.

Ce n'estp~ en vain que le grand poète hongrois,

OBS1'ACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE Ug-

Vôrosmarthy, demande à Dieu de faire . de ses compatriotes des travailleurs qui persévèrent .. :

Aide-nous, Dieu!... 0 Dieu des nations, Fais que nous soyons de bons travailleurs; Qu'une fois commencés, nous puissions Mener à bien nos plus importants labeurs; Que nous n'attendions jamais de nos frères Ce que nos mains, nos esprits peuvent faire.

(Hymne national) .

Et le grand compositeur Haydn avait bien raison de dire: « Le secret de l'art consiste à concentrer toutes ses forces sur ce que nous avons résolu de faire. YI

On fait mieux de ne rien commencer du tout que de sauter d'un projet ou d'un travail à un autre projet ou à un autre travail.

Pour un jeune homme, c'est un très grand malheur s'il est incapable de travailler méthodiquement et

! inlassablement; c~r c'est l'effort modéré, mais ~o~ti~?, 1 qui est à la base de tout progrès, et non l'enthousIasme

qui dure le temps d'un feu de paille. Avec quelle énergie l'étudiant paresseux se met à ses

études avant un examen 1 Mais que vaut cet élan. de quelques jours après dix mois de paresse? •• Tu ferais bien, toi, de suivre la devise d'un ordre de chevaliers polonais du XVIIe siècle : « Vicisti,vince! » Tu as vaincu? Très bien 1 Réjouis-t'en 1 Mais n~en tire pas un orgueil exagéré 1 Continue à lutter et à vaincre 1

Car. J . llDnu:n ... - 9.

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13° LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

L'éducation de la volonté.

. Trois choses ont une grande influence sur la volonté: .le sentiment, l'imagination et le tempérament. Nous ne sommes pas tout à fait maîtres 'de l'un ni de l'autre; le « libre arbitre» de l'homme n'est donc pas complet en nous. Tu as dû remarquer toi-même que, tel jour, tu te lèves tout triste .et abattu, et que le lendemain, par contre, tu es si gai que tu aurais presque envie de danser; et tu ne pourrais dire la raison ni de l'abattement d'lùer ni de la gaieté d'aujourd'hui.

C'est la même chose pour ton imagination. Tout d'un coup, et sans cause aucune, les souvenirs d'un événe­ment passé émergent dans ta mémoire, ou bien des idées absurdes et des images trompeuses se dessinent sous les plis de ton front. D'où viennent-elles? Pour­quoi se présentent-elles à cette minute précise? Tu ne. saurais le dire ... Et c'est souvent que notre imagination nous joue ainsi de bien mauvais tours, souvent qu'elle nous montre des difficultés énormes et des obstacles insurmontables sur le chemin de nos travaux pour nous en dégoûter. Si tu as une mauvaise dent à faire extraire ou soigner, ce n'est pas le travail du dentiste qui est le plus douloureux; c'est la demi-heure que tu ·passes dans la salle d'attente, laissant libre champ à ton imagination qui te montre, en l'exagérant atrocement, la souffrance qui t'attend.

Eh bien, mon fils, si nous ne sommes pas tout à fait les maîtres de nos sentiments et de notre imagination, il n0US faut pourtant essayer d'étendre le règne de notre volonté jusque sur leur activité; il nous faut veiller ~ur ceux-ci et prendre en main les rênes de celle-là.

OBSTACLES A LA FORMATION DU CARACTÈRE 13~

T'es-tu éveillé de mauvaise humeur? N'importe 1 Tâche de sourire et de chanter, et tu seras déjà victorieux, en partie du moins.

Tu as un devoir d'algèbre à faire. Ton imagination te le peint sous des images effrayantes : « Écoute, te dit-elle, ce problème est si difficile .que tu vas suer comme un cheval1 » Eh bien, contredis-la 1 Dis­lui: « Ce n'est pas vrai 1 Tu es une trompeuse, ma chère imagination! La solution n'est pas si terrible que tu me la montres; tu grossis les difficultés; tu voudrais me les faire paraître plus grandes qU'elles ne sont ... je les affronte. »

Tu le vois, l'éducation de la volonté est un travail opiniâtre en vue d'assujettir toutes les facultés intellectuelles qui ont une influence sur son action, tels: l'inteU:gence, le sentiment, la mémoire, l'imagi­'nation, etc. Il ne suffit donc pas d'exercer et de fortifier sa volonté; il faut surtout s'efforcer de la mettre aussi

\ complètement que possible au service des buts spirituels . k s plus élevés, c'est-à-dire de la mettre sans réserve "sous l'empire de son âme.

Celui qui Vèut devenir un caractère ferme doit s'entraîner à commander à ses sentiments dans toute la me<)ure qu'il le peut. La cause de bien des péchés : dureté, pensées jalouses et · méchantes, offenses irré­fléchies, querelles - querelles surtout - n'est pas dans une màuvaise volonté, mais dans une volonté faible qui ne sait pas encore se dresser devant des sentiments qui surgissent à l'improviste. C'est sans efforts extraordinaires qu'on peut vaincre une. petite mauvaise humeur, par exemple; et pourtant combien préfèrent en souffrir, trop paresseux qu'ils sont pour se livrer à ce petit travaill

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132 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

L'entraînement des sentiments est donc en même temps l'entraînement de la volonté. L'influence du sentiment sur la volonté ne consiste pas seulement à la déterminer à l'action; elle se fait sentir jusque sur son entrain et sa persévérance. Qui donc oserait nier qu'un bienfait jaillit cent fois mieux de la chaleur du cœur que d'une froide lueur de' la raison? Et un motif de plus, encore, pour éduquer tes sentiments, c'est que ta volonté, travaillant sans ton cœur, pourrait facilement se changer en une machine à vouloir, insensible, égoïste et têtue; ce qui ne ferait de toi qu'une vilaine cari­cature du jeune homme au caractère impeccable que tu veux devenir.

L'homme raisonnable s'efforce non seulement de vaincre ses sentiments moroses et de les remplacer par d'autres plus joyeux, - mais aussi de toujours garder la paix de son âme.

Le corps et l'âme sont en conjonction étroite en. nous ... Quand tu te sens découragé, quandtu vois la tristesse envahir ton âme saris que tu saches pourquoi, essaye de mettre un sourire sur tes lèvres, frotte-toi gaiement les mains, et tu verras · que ta tristesse dispa­raîtra. Quand tu souffres d'une douleur physique, occupe ton esprit avec des pensées enjouées, et tu oublieras en partie tes souffrances.

Même si un malheur te frappe, essaye d'en tirer un profit spirituel. Deficiendo discamus - Profitons même de 1UJS fautes. T'a-t-on volé ton porte.-monnaie dans l'autobus? Ne te metS pas èn colère, mais réfléchis un peu : . Comment as-~u pu être si distrait pour ne pas le remarquer" et quels sOÎDSprendras-tu à' l'avenir pour que cela ne t'arriVé plus ?T'a-t-on marché sur le pied? Ne laisse pas échapper le « Aie! »' furieux -qui

OBSTACLES A LA FORMATION .DU CARACTÈRE 133

te brûle les lèvres, mais dis-toi tout bas: « Cette petite douleur. me vaut au moins un peu de maîtrise de moi-même. »

.' Veux-tu être un roi tout-puissant? 1 •

• Règne sur toi-même en attendant 1

Rester toujours maître de ses sentiments. ct ne jamais se laisser entraîner par eux, voilà un b{en haut degré de la perfection spirituelle.

Mais ceci nous a conduits au chapitre le plus impor­tant de ce livre : Comment soumettre son caractère à l'entraînement? .

--......... -

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TROISIÈME PARTIE

COMMENT ENTRAINER SON CARACTtRE?

Les moyens d'éduquer son caractère c

Je veux! Quelle force irrésistible se dégage de cette expression 1 Avec elle, l'impossible devient possible ... En voyant les Alpes toutes couvertes de neige et de glace, on s'écrie presque malgré soi : « Impossible de les franchir. » Or Annibal et Napoléon se dirent : « Je le veux! Il le faut! Je les franchirai! » et ils les franchirent avec des armées entières. -

En 1866, avant la bataille de Lissa, l'amiral autrichien Tegethoff voulut donner à sa flotte cette devise : « Muss der Sieg von Lissa werden » « Il faut que la bataille de Lissa devienne une victoire. » Mais à peine avait-on commencé à en dicter les deux premiers mots que le combat s'engagea. La devise en resta au « Il faut » mystérieux, et la force de ce mot conduisit les Autrichiens au triomphe ... « Ille faut ! Je le veux! »

Quelles puissantes paroles! Il y a quelques années, j'étais en excursion avec de

Jeunes élèves dans une belle contrée montagneuse et

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? i35

boisée. Il faisait si beau que mes enfants jouèrent, coururent et s'ébattirent au point que nous en oubliâmes l'heure du retour et que, quand je regardai enfin ma montre, il était six heures et demie du soir. Notre ville était à deux bonnes heures de là, et mes enfants avaient promis à leurs parents de rentrer à huit heures.

Comment faire? Au coup strident de mon sifflet, la troupe se ras­

sembla en moins de deux minutes. « Mes enfants, leur dis-je, nous sommes en retard. Il est six heures et demie; vous avez promis de rentrer pour huit heures, et il nous en faudrait bien deux de marche pour regagner la ville. Voulez-vous cependant être à la maison à l'heure convenue? »

« Oui, oui, nous le voulons », crièrent-ils. « C'est bien. Alors, pressons-nous!.. Louis Préault

en tête... Tous les autres, alignez-vous!.. A droite, Marche! »

A cet ordre, vingt~huit paires de semelles frappèrent gaiement le sol. « Droite, gauche, droite, gauche ... Ne parlez pas!.. Ne sortez pas du' rang!.. Droite, gauche, droite, gauche. » - La chaussée en retentissait.

Au bout d'une demi-heure, l'élan commençait à faiblir. Les garçons avaient tant couru toute la journée! « Oh, oh! pensai-je, c'est le moment de faire quelque chose. )) Et je criai : « Chantez, mes -enfants! Je commence : Allons, allons, le soleil est levé ... » Jacques Monfort, qui avait la plus belle voix, tt:üuva tout de suite la note et se mit à battre la mesure en marchant. Les autres suivirent son exemple. Après une première chanson, nous en entonnâmes une seconde ... , une dixième ... , une vingtième ... Personne ne traînait_ plus; personne ne sortait du rang. Et la

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LE CARACTÈRE DU JEUNB HOMME

cloche avait à peine sonné huit heures que la troupe joyeuse des écoliers atteignait la ville, couverte de poussière et aussi de fleurs. Nous avions fait un chemin de deux heures en une heure et demie. Et comment cela? A l'aide d'un petit mot magique. Mes enfants avaient dit : « Je veux! II

Je voudrais que, pour toi aussi, mon fils, ce mot ait la même puissance, que tu comprennes bien quelle sou~ce d'énergie il renferme.

1 Je veux 1. .. Qu'il a de force, 1 Ce mot lancé tout court 1

Il aspire aux étoiles Et les atteint toujours.

(Fr HALM)

~Sais-tu vouloir? ... Sans doute, il t'arrive souvent de dire : « Si je voulais, je pourrais faire ceci ou cela ... Si je voulais, je pourrais être le premier de la classe. Si je voulais, je pourrais toujours être .-à l'heure ... Si je voulais, je pourrais toujours faire ma prière du matin et du soir... II

Quid quisque possif, nisi tentando nesciat, dit le pro­verbe latin. Tu ne vois ce que tu peux faire que lorsque tu t'y essayes. Mettons que c'est toujours comme tu dis. Essaye donc au moins une fois de vouloir!

... '

«( Je pourrais, si Je voulais. »)

Notre volonté n'est pas assez ferme; et c'est cela qui est l'origine de presque tous nos défauts. Si elle l'était davantage, nous serions bien yiteparfaits ...

r

COMMENT ENTRAîNER SON cARACTÈRE? 137

Caligula, le tyran de Rome, s'exclamait un jour: « Je voudrais que tous les Romains réunis n'eussent qu'une seule tête, pour la faire abattre d'un seul coup! »

-- Eh bien 1 tu n'as qu'une seule tête à abattre, toi aussi; et cette tête, c~est la faiblesse de ta volonté.

J'entends souvent des jeunes gens me dire : « Mais je pourrais bien faire ceci et cela, si je voulais. » -

Si je voulais ... Toujours ce « si ll.

Or, ces jeunes gens qui prétendent avoir une volonté n'essayent jamais de s'en servir. C'est cet essai, pourtant, qui témoignerait qu'ils en ont vraiment. Et ces jeunes gens, dès lors, ressemblent à· ces caricatures de soldats qui tiennent toujours leur fusil en joue, avec un visage terrible, comme pour dire: « Je tire de suite! » et dont personne ne s'effraye car ils ne tirent jamais. -

, C( Je pourrais si je voulais. » Si ... si ... Ah! si seulement ce si n'était pas là! , Aucun art ne réclame de la sagacité comme celui de la formation de notre âme, car notre âme est plus noble que le marbre le plus pur et que le métal le plus précieux.

On t'a parfois parlé du libre arbitre de l'homme. Je crains même qu'on ne l'ait fait trop souvent. Eh bien, oui, la volonté humaine est libre, mais elle est faible aussi; et la tienne comme celle des autres, à moins que tu ne l'entraînes depuis longtemps. Une volonté ferme n'est pas un cadeau du ciel que nous trouvons dans notre berceau; c'est un trésor d'une grande rareté que chacun de nous doit acheter au prix de luttes incessantes. Il serait donc ridicule de nous imaginer que la nôtre peut devenir telle du jour àu lendemain . .. . ridicule de nous écrier dans un moment d'enthou­siasme : « A partir ,d'aujourd'hui. ie veux avoir une

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

, volonté de fer 1.. » Cette volonté de fer, nous ne l'attein­drons jamais que par un travail pénible et assidu. - La force de volonté se mesure aux efforts déployés par chacun pour se procurer ce trésor, aux violences

! qu'il se fait pour se soustraire à l'empire de ses sens . . Elle consiste dans la discipline de soi, dans le règne des sentiments élevés de l'âme sur les désirs matériels du corps. Ta volonté ressemble à une graine semée dans ton âme. Si tu la soignes, si tu l'aides à se déve­lopper, elle deviendra un chêne puissant qui résistera à toutes les tempêtes. Mais, si tu la négliges, les fourmis de tes petits défauts la rongeront et la feront pourrir. La liberté morale ne peut être que la récompense de petits efforts inlassables, d'un travail lent, d'un amen­dement continu. La plupart des hommes reculent devant ce travail austère qui exige des efforts quotidiens. Plutôt que de l'entreprendre, ils préfèrent rester sous le joug du péché.

\\ « Je pourrais, si je voulais ... II Mais essaye donc de vouloir I.Si tu veux devenir un homme sérieux, c: est par

1 là qu'il faut commencer. Le « je voudrais » et le « je veux» diffèrent l'un de l'autre comme les petits chiens dorlotés sur les genoux des vieilles dames diffèrent des bons chiens de garde. Les premiers ne savent ni aboyer, ni . mordre, ni se rendre utiles de quelque façon que ce soit; ils ne font que manger et gémir; et, avec cela, ils coûtent cher d'entretien. Les seconds ne gémissent point, mais 'ils aboient de toute leur force, et,s'il le faut, ils n'hésitent pas à planter leurs crocs dans les mollets du visiteur importun. Ainsi, le jeune homme qui a de la volonté ne se plaint pas, mais il aboie bien haut contre les tentations du péché; il les mord. même de toutes ses dents pour les empêcher

, , ~

r

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 139

de nuire; il ne les lâche que lorsqu'il a atteint son but. Et comment cela se fait-il? Exactement comme nous

l'avons dit plus haut. Jete pose, par exemple, la question suivante : « Veux-tu être le premier de ta classe? l) -

« Je le veux! »me réponds-tu. Eh bien, dis-toi donc tout de suite: « En avant 1 » c'est-à-dire: « Je commence immédiatement à apprendre ma leçon de demain! »

Mais immédiatement, sans délai, sans attendre la semaine prochaine!.. Et puis, droite, gauche, droite, ~auc,he, à l'assaut de ladite leçon. Ta table de travaIl, c est l'enclume sur laquelle tu forges ta bonne ou ta mauvaise fortune pour l'avenir.

Veux-tu être fidèle à tes prières? « Je le veux! »

Alors, tu commenceras dès aujourd'hui, dès ce soir. -« Mais j'ai tant de devoirs à faire! » N'importe 1 Tu . ., , peux toujours prendre cinq mmutes sur ta Journee. -« Et le matin, il faut que je me presse pour ne pas arriver en retard à l'école! » Tu ne me feras jamais croire que tu ne peux te lever dix minutes plus tôt!

Le jeune homme volontaire .

Un jeune homme volontaire!.. Aujourd'hui, c'est un sens tout à fait étrange qu'on donne à ces mots. Ils ne servent guère à désigner que quelqu'un d'agressif, de têtu, de désobéissant. Mais moi, j'en reviens au sens original de cette expression. Par un jeune homme volontaire, j'entends un jeune homme qui a une volonté de fer. L'entêtement et l'obstination ne sont pas le fait d'une volonté de fer, ils ne sont qu'une

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LI! CARACTÈRn DU JEUNE HOMME

crampe de la volonté. Un jeune homme volontaire, ' dans le sens vrai du mot, est celui qui sait commander à ses muscles faciaux, à ses yeux, à ses oreilles et à son estomac.

Examinons de plus près quel malheur c'est pour quelqu'un de n'avoir qu'une volonté faible, et quelle bénédiction, au_ contraire, cc serait d'en avoir une de fer.

r' 1° ~elui qui n'a pas une volonté bien entraînée et

bien docile est incapable d'accomplir une tâche sérieuse, .' quelle qu'elle soit. Tu connais sûrement des étudiants

qu'on ne peut pas accuser d'oisiveté, et qui, malgré cela, ne font aucun progrès dans leurs études. Je les ai baptisés plus haut : « étudiants-bourdons ». Ils

, travaillent beaucoup, ces malheureux, - plus peut-, être que les autres - mais sans aucun résultat. Ils ne savent pas ce que c'est qu'étudier attentivement, et ils s'occupent de tout, sans jamais s'attacher franche.., ment à rien. Ils ont toujours un livre d'étude devant eux, mais ils le changent chaque quart d'heure, le trouvant déjà « horriblement ennuyeux Il! Ils sont toujours au travail, mais ils se gardent bien de faire le plus petit effort; et, sans efforts, il n'y a pas de travail efficace. En somme, ils ne font que dissimuler adroitement leur paresse en lui donnant l'apparence d'une activité fiévreuse. Mais vienne la fin de l'année, comme ils se plaignent amèrement! « J'ai tant travaillé, disent-ils, et j'ai quand même manqué mon examen. ' )1

Et que deviennent-ils, unefois sortis de leur collège? ... Les victimes de leurs impressions du moment, des hommes sans principes, qui oublient facilement leurs devoirs. qui traînent leur existence sans plan -ni but.

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 14-1

Les malheureux! Et quel est donc le défaut qui les a menés là? C'est la faiblesse de leur volonté.

1 20 Passvns à un autre type; à celui du jeune homme ,' dont la volonté n'est pas disciplinée... Celui-là est \ absolum;;;t i~capable d'observer une chose à fond.

Quiconque, pourtant, veut augmenter le nombre de ses connaissances ou coimaître le succès, se doit de s'habituer à une observation rapide et juste des choses. Et il faut nécessairement une volonté parfai­tement disciplinée pour en arriver là ... , pour en venir à distinguer impartialement ce qui est plus important de ce qui l'est moins, pour se faire -une idée exacte de la situation dans laquelle on se trouve et pour

, agir en conséquence ... Une volonté disciplinée n'est pas seulement à notre service quand il s'agit pour nous de voir, d'entendre, de dire ou de faire quelque

, chose; elle nous obéit encore et nous préserve de bien des péchés quand il nous faut ne pas regarder, ne pas écouter, ne pas dire et ne pas faire ce que nos sens dépravés voudraient et que les lois de la morale nous défendent.

30 Je vais plus loin: Celui qui n'a pas une volonté disciplinée ne peut ni ,réfléchir ni développer SOIl

esprit. Pour rencontrer la vérité, il faut travailler ferme. Un jeune homme de nature instable est impatient, même en lisant. Il tourne les pages de sbnlivre d'une main agitée. Il se presse pour arriver à la dernière le plus vite possi~le. Et cela ne lui profiteen-ri:n. L.e jeune homme àla volonté docile, aucontrau:e,c lit lentement et attentivement; il s'arrête aux phtases les plus importantes; il n'accepte pas au hasard les

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142 · LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

)dée~ qu'elles renferment, mais ily réfléchit sérieu­sement pour1bien se rendre compte si l'auteur a tort ou raison; il prend des notes aux passages les plus intéressants, etc ... C'est seulement ainsi qu'on peut s'approprier des connaissances nouvelles. Et cela aussi suppose une volonté ferme.

r 4° Il faut encore une volonté forte pour se rappeler , les choses. Il est des élèves qui se croient sortis d'em­

barras quand, au lieu de réciter leur leçon, ils ont affirmé hautement: « Je sais, Monsieur le professeur; seulement ça m'échappe en ce moment » ... ou bien, si on leur a confié une tâche et qu'ils l'oublient, qui s'imaginent que « l'oubli» est une excuse acceptable ... Pourtant - à part le cas de maladies de nerfs -l'habitude d'oublier les choses doit être inscrite le plus souvent au chapitre de la volonté indisciplinée. Si un mot, un nom ou un événement ne te viennent pas à l'esprit, ne regarde pas tout de suite dans ton livre -­c'est ce que font les étudiants paresseux, - mais · donne-toi de la peine pour te les rappeler toi-même et pour affermir ainsi ta volonté. Si l'on te confie quelque commission, ne te contente pas de nouer le coin de ton mouchoir pour te la rappeler, mais penses-y fréquemment, plusieurs fois le jour, et tu

verras que tû ne l'oublieras pas. L'oublieux qui fait cela se guérira facilement de

sa mauvaise habitude. L'homme peut se rendre maître de sa volonté au point de ne perdre son autorité sur elle à aucun moment, pas même en dormant. Je connais des gens qui se sont entraînés à s'éveiller tout seuls à la minute exacte qu'ils s'étaient fixée à l'instant de leur coucher. ~ Si, au contraire, un jeune homme

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 143

n'a pas lutté contre cette habitude d'oublier les choses, il reste oublieux quand il a grandi, on hésite · à lui demander quelques services, et il a toujours des désa­gréments. Entre-t-il dans les chemins de fer et lui : confie-t-on la surveillance de la voie ferrée? Il omettra un jour ou l'autre quelque signal et le train déraillera. _ Devient-il professeur? il négligera de donner sa leçon. - Avocat? d'aller à la plaidoirie. - Il pourra même se faire qu'il oublie le jour de son propre mariage!

L'exemple de Démosthène.

Démosthène n'avait que sept ans lorsque son père mourut, et son peu scrupuleux tuteur le dépouilla de toute sa fortune ... Se trouvant un jour au Palais de Justice au moment d'une audience, il fut enthousiasmé par le magnifique discours d'un avocat; et, en voyant le peuple porter celui-ci en triomphe, il lui vint l'idée de se faire orateur, lui aussi.

A partir de ce moment, il n'eut pius, jour et nuit, que cet unique but devant les yeux ... Mais ses premiers débuts ne furent pas très heureux. Son premier discours fut étouffé par les rires et les cris de la foule; il ne put même pas le finir. Découragé, il rôdait dans les rues depuis plusieurs semaines, quand un vieillard, ranimant son énergie, le pressa de reprendre son entraînement. Démosthène se remit à ses travaux avec une nouvelle ardeur, et, quand ses adversaires se moquaient de Id, il n'y prêtait pas attention. De temps en temps, il se retirait complètement du monde et passait

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144 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

des journées entières à parler devant les murs de quel­que grotte souterraine. Comme il bégayait un peu, il plaçait un petit caillou sous sa langue pour la mieux faire remuer. Pendant ses longues promenades solitaires au bord de la mer, il s'exerçait à crier fort - ses poumons étaient plutôt faibles - et à déclamer ainsi, en plein air, des vers et des discours. Chaque fois qu'il avait été témoin d'une grave querelle, il se retirait bien vite dans sa chambre, et, là, il pesait et repesait les arguments des deux adversaires, essayant de bien voir lequel avait raison . Et grâce à ces efforts de volonté continuels et inlassables, il triompha de toutes ses faiblesses et il devint ce maître de l'éloquence dont tous ceux qui préténdent aljX succès oratoires sont obligés, aujourd'hui encore, deux mille trois cents ans après sa mort, d'étudier les discours. Ah! quel exemple nous donne là un pauvre petit orphelin bégayant! Et quelles forces merveilleuses se trouvent cachées au fond de l'âme humaine!

Parfois, ce sont les souffrances corporelles les plus àtroces qui nous montrent ce que l'homme est capable d'endurer.

Pendant les premiers mois de la grande guerré, je servais au front de Serbie. Un jour, on nous apporta un hussard qu'on venait de trouver dans un marécage. Sa formation, tombée aux mains de l'ennemi, avait disparu tout entière sous la mitraille. Lui seul avait échappé aux balles en se cachant dans les eaux boueuses d'un marais. Mais il avait dû prolonger son séjour dans le marécage, car, montés dans les arbres voisins, les soldats serbes avaient ' continué, pendant plusieurs jours, à inspecter les environs. Ce ne fut qu'après leur départ que les nôtres trouvèrent ce pauvre hussard,

horriblement affaibti~ . · et quYils · nous l' al'Port~rent. C'était le septième jour qu'il n'avait mangé~ que de l'herbe 1. Voilà ce dont un homme est, capable t

Peut-être a-t-on déjà cité devant toi. de ces: cas <;le mourants dont, seule, la forte volonté retenait leur âme dans leur corps affaissé, ... parce qu'ils voulaient revoir encore une fois, par exemple, leur femme ou leur enfant qui revenait en hâte vers eux. Oui, une forte· volonté est le meilleur des remèdes pour un· corps malade; et dès lors garde-toi donc bien, mon fils, de te laisser , , ~. , aller à la tristesse, même si la Providence ne t a donné qu'un co~ps faible et maladif!

Un grand seigneur hongrois, le comte Géza Zichy, mort il y a quelques années, avait perdu un bras à la chasse, dans sa jeunesse. Avec une seule main, il devint pourtant l'un des plus éminents virtuoses de pian~ de son temps... Combien de jeunes gens se seraient écroulés sous un coup pareil! Perdre un bras, dans sa plus belle jeunesse! Vois donc ce que peut la force de la volonté même dans un corps mutilé! , .

Tu serais bien plus reconnaissant envers la PrOVi-dence de tes plus petits talents, si tu voulais te rappeler que les plus grands hommes de tous les siècles ont souvent dû lutter contre de tout petits défauts,contre les calamités, voire même contre des maladies héréditaires! Wallenstein, le célèbre chef de l'armée allemande pendant la guerre de trente ans, avait les nerfs tellement malades qu'il ne pouvait pas même entendre un c~q chanter. Richelieu, l'éminent homme d'état français, pâlissait de frayeur à la seule vue d'un écureuil. Bayle ne pouvait supporter d'entendre l'eau s'égoutter.L' odeur du poisson donnait la fièvre à Érasme de Rotterdam. Scaliger se mettait à trembler de tous ses membres

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

quand il voyait du lait. Gœthe souffrait indiciblement de la fumée de tabac.

Et voici des cas plus surprenants encore. L'lùstoire a conservé le nom de bien des hommes qui portèrent une âme de génie dans un corps faible et maladif. Helmholz, le physicien célèbre, avait la tête énorme des imbéciles. Le philosophe Spinoza et le poète clas­sique Schiller étaient atteints de tuberculose. Descartes, Kant, Milton, n'avaient qu'une très petite santé; ce dernier était même aveugle. Pourtant, quel nom éclatant ils se sont fait par leur travail! ... Voilà ce que peut la volonté ferme! Oui, l'âme est certainement capable de remédier, en partie du moins, à la faiblesse corporelle.

Il arrive souvent que des jeunes gens chétifs se lamentent en voyant leurs camarades rayonnants de santé. Ne t'afflige pas, toi, mon enfant, si cela était ton cas. Si tu n'as reçu,en naissant qu'une faible santé et qu'un corps débile, ce n'est pas de ta faute. Et cela ne saurait t'empêcher, d'ailleurs, de mener une vie utile et vraiment grande.

La grande leçon de gymnastique.

Veux-tu connaître le premier principe de l'éducation de la volonté? "Exerce-'tol êliaquë jour à quelque petii

"renoncement, et, en quelques années, tu auras une . volonté aussi ferme que le roc. Une volonté forte

demande d'innombrables petits efforts. Il ne suffit pas d'une résolution, fût-elle prise avec le plus grand

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1 1

COMMENT ENTRAîNER . SON CARACTÈRE? 147

enthousiasme. Le puissant courant d'un accumulateut se compose de mille petites étincelles électriques réunies. Celui qui veut devenir agile à la barre fixe doit faire d'abord, et pendant des années, les exercices de gym­nastique les plus simples. Pour devenir un bon pianiste, ilfaut répéter longtemps, et sans se lasser, les morceaux les plus ennuyeux. On ne peut commencer par jouer du Beethoven; cela demande des doigts exercés et inlassables.

Eh bien, il est plus difficile encore de se faire une volonté ferme sans de petits exercices de la volonté, répétés sans cesse, indéfiniment, car nulle leçon de piano ou de gymnastique n'est plus ardue que la tâche qu'on s'impose en se proposant de vaincre son penchant au mal. Comment voudrais-tu jouer aux échecs si tu ne connais même pas la marche des différentes pièces?

l' Et, de même, comment pourrais-tu avoir une volonté ferme dans des combats importants, si tu ne sais même pas te commander dans les petites choses?

Non, personne ne doit se soustraire à cette grande leçon de gymnastique qu'est l'éducation de la volonté.

.' Je dirai même que plus une volonté est faible, plus elle en a besoin. - .

Les germes d'une foule de qualités et de défauts sont en chacun de nous à l'état latent; et chacun de nous ést . responsable de laisser la prépondérance à reux-ci oü' à - ceii~s-Ïà. Qu'on traîne une voiture à droite ou à gauche, n'importe, au départ; mais, plus tard, c'est sur un chemin battu qu'elle roulera le plus facilement. Ne te plains donc pas si tu as une nature difficile; car, si la nature ne se laisse pas complètement détruire, on peut toujours l'activer ou la freiner.

Tu dis, peut-être, que tu es sujet à la colère subite

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148 LE CA~CTÈRE DU JEUNE HOMME

et que tu n'y peux rien, ... que, lorsque ton camarade te tire la langue ou que ton paquet de livres s'échappe de ton bras, tu es furieux malgré toi. Cela"peut être. vrai en partie. Que, dans ces occasions-là .tu deviennes , ' "

rouge comme une pivoine, évidemment, tu n'y p~ux rien. Que ton cœur se mette à battre bien fort tu , .

n'y peux rien encore. Mais écoute un peu. Tu serres aussi les poings, n'est-ce pas? Tu peux très bien les desserrer. Tu fais une grimace furieuse, n'est-ce pas? Tu peux très bien essayer de la remplacer par un sourire - et tout de suite, tout furieux que tu es. Et des paroles rien moins que polies voudraient bien sortir de ta bouche, n'est-ce pas? Tu peux très bien fermer les lèvres et te taire, tout fâché que tu es ... Essaye un peu de faire cela. . .

Sais-tu demeurer tranquille et poursuivre tes recher­ches avec calme quand les mots latins ou anglais ne te sautent pas tout de suite aux yeux dans le diction­naire? Sais-tu relire trois ou quatre fois une phrase que tu .ne comprends pas à première lecture?

La colère a besoin du poing serré, du regard furieux, de paroles grossières. Si tu la prives de cela - ce que tu peux très bien faire - ta nature brutale, ne trouvant plus sa nourriture, s'adoucira de plus en plus. Vois donc comment tu peux la freiner sur tel point comme sur tous les autres.

Qu'est-ce qu'un flocon de neige? Une petite chose bien jolie et bien innocente 1 Mais si les flocons de neige se réunissent en masse, ils peuvent devenir une ravine capable de déraciner les arbres et de faire écrouler les maisons!

COMMENl ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 149

Le Jeune indien et le gibier.

Il est donc bien inutile d'admirer l'homme qui, à la moindre occasion, devient rouge de colère, serre les poings et commence à se quereller, voire même à se battre. L'irritation et les discussions sont deux signes d'une volonté faible.

Et pourquoi donc rencontre-t-on ce caractère si souvent, sinon parce qu'il ne coûte aucune peine, aucun effort. Dans une vive querelle, on laisse les choses aller à leur gré, les petites et les grandes. La maîtrise de soi, au contraire, demande un travail laborieux; des marais de l'instinct, il faut monter à la cime de la volonté qui triomphe de tout.

r~a vraie maîtrise de soi n'est donc ni la patience d'une brebis, ni une lâcheté ' efféminée; elle J uppose 'de la force, <;lu courage, de la persévérance! Souffres-tu

" d'une désillusion cruelle? T'ennuies-tu? Es-tu mécon­tent ou découragé? N'importe 1 N'en laisse rien paraître sur ton visage, dans tes paroles et dans ta conduite. C'est là de la maîtrise de soi! - Un jeune camarade, depuis un grand quart d'heure déjà, prend plaisir à t'agacer. Tu pourrais le jeter à terre d'un revers de main. Mais tu ne le fais pas. Ta main, au contraire, tu la poses bien doucement sur ses épaules, et tu lui dis:

« Écoute, je suis beaucoup plus fort que toi. Laisse­moi tranquille, veux-tu? » C'est là de la maîtrise de soi 1

L'irritation, par contre, est toujours une marque de faiblesse. Les instincts qui nous poussent à agir s~s réflexion sont ceux de l'animal; et il impC!.rte

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LE CARACTÈRE mi JEUNE HOMME

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à l'homme de les mettre sous le contrôle de sa raison et de sa volonté, Plus un enfant est petit, plus il est irritable; tu peux le constater par toi-même. Il s'obstine, il trépigne, il crie. Mais, lui, il est incapable encore de se servir de sa raison et de sa volonté, il est soumis à ses instincts de petit animal, et on le supporte, tandis qu'on ne supporte pas un jeune homme QU, à plus forte raison, un adulte qui est l'esclave de ses instincts et qui le témoigne par un visage rouge et boursouflé, par des paroles grossières et même par des coups.

Toi, mon enfant, tu ne veux pas rester l'esclave de tes instincts, n'est-ce pas? Observe donc de très près ce qui a tendance à t'agiter, à te faire mettre en colère. Puis, sans rètard, CQmmence à lutter contre toute étourderie et tout mQuvement irréfléchi. C'est là un excellent moyen de te faire éviter bien des jugements téméraires, bien· des parQles légères et bien des actions dont tu te repentirais plus tard. \ Dans certaines tribus d'Indiens, il est d'usage d'envoyer les jeunes gens qui viennent d'atteindre l'âge de la puberté et qu'on veut initier à l'existence, dans un endroit gibQyeux où ils resteront deux sem:ainesentières. On les a préalablement munis d'un arc et de flèches; mais, en même temps, on leur a dQnné un Qrdre étrange : « Défense de tirer 1 Défense de tQucher au gibier 1 » Les lièvres fourmillent autQur d'eux; les cerfs et les chevreuils paissent en toute liberté ... Ils SQnt fous du désir de tirer, et cela leur est défendu. Leur séjQur 'én pleine fQrêt est CQmme Ule SQrte de jeftne. Et, seuls, ceux qui obéiSient jusqu'au bQut SQnt déclarés hommes ... Comme il est triste d~ penser qu'au milieu des tribus sauvages o.n

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

sait que la maîtrise de soi est la meilleur~ préparation aux luttes de la vie et le plus beau signe de virilité, alQrs que chez nous, Européens efféminés, nous y prenons à peine garde.

Cependant, ce qui importe ce n'est pas de lire et de savoir beauc~up sur la maîtrise de soi et de sa volonté, ç'est de s'y exercer. Le savoir n'est que de l'action en théorie,' mais l'action est le savoir mis en pratique. Il faut fortifier, ennoblir sa volonté par tous les moyens pos­sibles, et en commençant ,dès sa jeunesse. Ce 'sont les jeunes pousses du rosier sauvage qu'on greffe pour . leur faire produire de nobles fleurs. Vn vieux rosier sauvage n'est plus bon à rien.

C'est un bien triste spectacle que celui qui nous est donné par un jeune homme sans volonté qui ne peut se résoudre, sans un très grand effort de Sa part, à mur­murer un simple « oui » ou un simple « non ». Pour lui, commencer une tâche qu'il vient de décider est presque une chQse impQssible. Même à seize et dix-sept ans, il ne peut se résoudre à réfléchir en pleine indépendance et à se choisir des principes, et il en sera so:uvent incapable toute sa vie. D'un œil anxieux, il observe la conduite des autres pour les imiter. Vn tel jeune homme n'est qu'une marionnette sans volonté, qu'un bébé en grands pantalons.

Hélas! je n'ai pas de volonté.

Qu'est-ce donc qui anéantit une vQIQnté d'une manière si pitoyable? C'est une vie trop facile. Vnjeune homme qu'on met à l'abri de tQutes les difficultés, qui n'a qu'à

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- LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

désirer quelque chose pour l'avoir, qui ne sait jamais tien sc refuser, qu'on n'a pas entraîné à l'obéissance, ... n'aura jamais qu'ùne vol~nté déformée, amollie, falote ' et doucereuse.

Oh! ce jeune homme-là, je le sais bien, n'est pas incapable de tout élan. Il lui arrive même de s'emporter violemment, .. de tyranniser les siens parfois. Mais ce n'est pas sa volonté qui se manifeste alors en lui; ce n'est que le trépignement des instincts inassouvis d'un jeune animal.

La question de la force de volonté est extrêmement complexe et mystérieuse... Prenons-en quelques exemples.

Voici le cas d'un enfant de douze ans qui était aussi gourmand qu'un chat. On ne pouvait rien laisser devant lui sur la table que cela ne disparût immédiatement dans son estomac. Ses parents le ,-grondaient tous les jours. Lui-même, sincèrement honteux de son défaut, avait promis plus de cent fois de se corriger. Néanmoins, à la première occasion il recommençait, et il se plaignait ensuite à sa mère en pleurant : « Je n'y peux rien, je n'ai pas de volonté! »

, Pourtant, ce même garçon s'entraînait chaque jour, pendant l'lusieurs heures, à toutes sortes de sports. II courait à perdre haleine, il sautait comme un chat, il faisait de l'escrime, il nageait, il jouait surtout~au football. Tout cela lui demandait beaucoupld'abrié-, gation, beaucoup d'efforts, une grande persévérance. Il savait donc vouloir à ses heures!

Voilà le cas d'un autre enfant qui était horriblernent paresseux. Il semblait avoir toujours sommeil et ne s'intéressait à rien; on aurait dit qu'il avait dans , les veines de l'eau sucrée au lieu de sang. Il détestait '

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 153

l'étude et le jeu. La gymnastique était une véritable torture pour lui. Il somnolait devant sa table pendant des journées entières. Ce garçon-là avait pourtant de la volonté, mais il ne la dirigeait que sur un seul point: il entendait ne pas être dérangé dans sa paresse. Sa mère le grondait, son père le punissait, ses camarades riaient de lui; il s'en moquait. Rien ne pouvait le faire sortir de son inaction. Il déployait une volonté obstinée à ne rien céder à sa somnolence de Turc ... Oui, il avait lui aussi de la volonté, ... mais seulement pour la paresse.

Tu vois par ces deux exemples que la volonté ne doit pas être entraînée de la même manière chez tous les jeunes gens. On peut même distinguer trois genres d'éducation de cette faculté, bien différents les uns des

l" autres. Pour les garçons vifs, gais et, facilement enthou­siastes, qui ne savent ni réfléchir dans le calme ni agir posément, la meilleure école de la volonté consiste à s'exercer a.~l renoncement et à la maîtrise de soi. Ceux qui sont un peu frivoles, qui s'essayent à tout, mais qui n'ont pas la patience de terminer une tâche

, .'

commencée, doivent fortifier leur volonté en s'obligeant ~ ne jamais laisser inachevé un travail et en s'exerçant

" ~ la patience et à la persévérance. D'autres sont rêveurs ou trop silencieux: pour ceux-là, ce ser~ l'action qui rendra plus ferme leur volonté. D'où trois principaux moyens de former sa volonté, que nous résumerons en ces trois mots: Abstine! Sustine! Aggredere! Apprends à· te renoncer 1 Apprends il persévérer! Apprends à agir l,

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154 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Absfine!

Au cours des longues années que j'ai consacrées à l'éducation religieuse des jeunes gens, j'ai eu de nombreuses et douloureuses désillusions. Dans les classes inférieures, j'avais toujours un très grand nombre d'élèves dont le regard brillant et la vive intelligence me promettaient une belle moisson pour

,l'avenir; mais les astucieux ennemis de leur âge : 1 les passions,' la frivolité, ~ le manque d'expérience et

t les ' mauvais désirs détruisaient bien vite, à mesure qu'ils passaient dans les classes plus élevées, les belles espérances que j'avais fondées sur eux. Combien de fois j'ai dû voir, d'un cœur serré, la plante de cette bonne volonté enthousiaste qui pousse dans l'âme de presque tous les enfants de dix à douze ans dépérir d'année en année sous l'action de ces quatre ennemis!

Le plus puissant d'entre eux était toujours le premier ... Oui, mon fils, le plus grand écueil pour la jeunesse, c'est cette honteuse mollesse qui entraîne tant de jeunes gens d'aujourd'hui à satisfaire leurs passions, à obéir, presque sans résistance, aux instincts de leur nature animale.

Aujourd'hui, on ne veut plus qu'une chose: « jouir)), se divertir JJ. Et c'est précisément pour cela que je

mentionne la maîtrise de soi et le renoncement comme le premier moyen d'exercer sa volonté.

La maîtrise de nos sens, la soumission à certaines règles, l'abnégation, la restriction de nos désirs ne 1

sont pas un but, ce sont des moyens pour affranchir notre âme. Donc, quand je te conseille avec instance

COMMENT FNTRAÎNER SON CARACTÈRE? 155

de t'imposer souvent de petits sacrifices, quand je te dis, par exemple : « Fais toujours ton devoir joyeusement, même quand il ne te plaît pas. Renonc.e

'parfois à une distraction, à un plaisir, à un plat favon, même quand il t'en coûte beaucoup J), c'est pour un motif très grave que je le fais. L'abnégation doit nous aider à atteindre un but sublime: celui de donner des ailes à notre âme, de substituer en nous le règne de l'esprit à celui du corps.

Je sais bien que ces exercices ne sont que l'entraîne­ment de la volonté; mais cet entraînement de la volonté nous conduit à une vie morale plus digne. Ce n'est pas sans une grande clairvoyance que les Latins don;. nèrent le même nom de ({ virtus J) à la vertu et à la force. Ils voulaient signifier par là que, sans efforts et sans les victoires que nous gagnons sur nous-mêmes, il n'y a point de vertu.

La théorie et la pratique justifient chaque jour les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : {{ Celui qui veut me suivre, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sur lui sa croix et qu'il me suive! J

C'est un mauvais jardinier celui qui, s'apitoyant sur le rosier, ne coupe pas inexorablement ses pousses sauvages. Le rosier ménagé ainsi par le sécateur ne

1 portera point de roses ... Le jeune homme qui ne s'est j,amais rien refusé n'aura jamais non plus une volonté

ferme. Qu'est-ce donc qui fait marcher l'horloge? C'est la

force comprimée dans le ressort. Eh bien, la maîtrise de nos passions est une force semblable. Ne va donc pas t'imaginer que cette maîtrise parfaite que j'exige de toi te nuira de quelque façon, sera un obstacle à ton bonheur. Bien au contraire, c'est elle qui te sa1}vera

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156 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

du dépérissement de la volonté et de mille autres maladies spirituelles.

Qui sait se dompter s'affrmchit du joug Que la nature il mis à notre cou.

(GOETHE) .

Il n'y a que cette maîtrise de nous-mêmes qui peut nous donner la vraie liberté; et cette maîtrise ne s'obtient que par le renoncement. C'est cette idée profonde que Thomas a Kempis aime à· nous rappeler dans son « Imitation de Jésus-Christ » : « Autant tu pourras vaincre ta volonté, autant de progrès tu feras dans le bien. 1)

Les raisins de l'ermite.

Un jour, un paysan frappa à la porte de l'ermite Macaire qui vivait dans le désert. « Père, lui dit-il, je t'apporte une magnifique grappe de raisin. Accepte­la et rafraîchis-toi avec elle. » Macaire prit le raisin, remercia le paysan et le bénit; mais, en regardant de plus près la superbe grappe, il se dit : « Je crois que l'humble vieillard dont la cellule est près de la mienne en aurait plus besoin que moi. » Et il lui porta la grappe. Celui-ci la reçut avec reconnaissance et joie; mais, à son tour, il se mit à réfléchir. « Comme ce fruit ferait du bien au pauvre frère Nazaire qui est malade 1 »- et le voilà déjà en route vers la cellule. de ce dernier. Mais Nazaire ne voulut rien entendre. « Comment mangerais-je ce magnifique raisin? s'écria- ' t-il. C'est du fieLbien amer qu'on donna à boire à

COMMEN'f ENTRAÎNER SON CARACTèRE? r 57

mon Sauveur sur sa croix. Et je veux être son disciple. Il

La grappe fit ainsi tout le tour du monastère . . : Vers le soir, quelqu'un la présenta de nouvea~ .a Macaire. Et le vieil ermite versa des larmes de JOIe en voyant de quels compagnons mortifiés il était

entouré, Vois-tu, mon enfant, cela, c'était de la force de

volonté! Ces moines-là savaient se renoncer et se renier eux-mêmes! Essaye, toi aussi, au moins une fois, . de faire quelque chose de pareil. - Nulla dies sine li1lea! Pas un seul jour sans écrire au moins une ligne! c'était la devise de bien des savants. Adopte-la en la modifiant ainsi : « Pas un seul jour sans faire un petit exercice de renonc<:ment. » Oui, fais tous le.s

, -jOttrS quelqu"e chose qui te déplaît; c'est là, pour tOI, le meilleur des entraînements. Ce n'est pas sans raison que le baron Joseph Eôivôs, ce grand génie hongrois, disait un jour: « Nous ne possédons que ce à quoi nous pouvons renoncer le cas échéant. Car nous ne sommes pas les maîtres, mais les esclaves de ce que nous croyons indispensable ... Celui qui veut enseigner les hommes ou régner sur eux. doit d'abord se vaincre lui-même et maîtriser ses propres passions ... La religion chrétienne, en nous demandant le renoncement, ne fait qu'énoncer un principe qui est à la base de toute saine Philosophie. ))

Diem p.erdidi.

On dit que le noble empereur romain Titus a~ait pris la résolution de faire chaque jour un peu de. bien, et que, la nuit venue, lorsqu'il estimâit n'av~ir pas

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

tenu cette résolution, il se le reprochait en ces, termes: « Diem perdidi. » « J'ai perdu ma journée. »

Toi aussi, exerce ta volonté chaque jour, sans en excepter . a~cuI2 ' Non pas seulement 'quèiquef ois, et liU"hasard, mais~'après un plan préconçu, et d'heure en heure. Tu n'as pas beaucoup à en rechercher les occa­sions; elles se présentent toutes seules, et par centaines chaque jour, même dans la vie d'un étudiant. Ainsi, quand tu ne peux pas éviter un mal, une épreuve, une souffrance quelconque, ne grince pas des dents, mais essaye de le ~upporter sans te plaindre. Ne gémis pas: « Que j'ai soif! » - - « Ah! que j'ai mal à la tête! » - « Ouf, je n'en peux plus, mes souliers sont trop étroits! » mais essaye de te soulager; et, si tu n'y réussis pas, jette un regard sur le Christ crucifié et efforce-toi de souffrir en silence comme Lui. T u dois faire aussi, ,coûte que coûte, ~e que tu as décidé. Tu dois persé­vérer dans ce que tu as commencé, et ne pas imiter ces jeunes gens que je connais et qui changent d'occu­pation chaque quart d'heure. Tu dois remplir tes devoirs journaliers avec fidélité et exactitude, même les moins importants, car, si une chose vaut la peine d'être faite, elle vaut aussi la peine d'être bien faite. Il ne faut pas, le matin, que tu t'amollisses sur ton oreiller, mais il faut te lever dès que l'heure en est venue ... Combien de jeunes gens succombent ici 1 -Il faut que tu sois le maître non seulement de ta mauvaise, mais encore de ta bonne humeur, que tu gardes la juste mesure dans ta gaieté et tes enthou­siasmes, dans tes paroles comme dans ton silence.

Pour fortifier sa volonté, rien ne vaut les efforts que l'on fait pour dompter !tes sens. Ne promène: donc pas constamment tes yeux autour de toi. Ne regarde

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 159

jamais ce qui peut éveiller inutilement ta curiosité. Vois-tu une grande foule rassemblée dans la rue, et meurs-tu d'envie de t'y joindre? Dis-toi: « Je n'irai pas. »

Reste maître de ta langue aussi! C'est incroyable­ment difficile, je le sais bien; mais ce n'est pas impos­sible. Donc, ne trahis jamais le secret qu'on t'a confié. Ne parle jamais des défauts des autres avec une joie maligne. Ne leur cause jamais d'ennui. Ne fais pas des remarques désobligeantes ou ironiques sur les personnes présentes. Ne critique pas les absents. Ne sois pas le seul à parler en société, mais laisse souvent la parole aux autres. Ne dis jamais rien sans avoir réfléchi à ce que tu vas dire. Et, surtout, ne te vante jamais ... Et puis, ~outiens toujours la vérité, même à ton propre détriment. Ne mens jamais, même en choses peu "importantes: pas même si un petit mensonge devait te procurer un grand avantage.

Et ce n'est pas seulement la table de travail qui fournit d'excellentes occasions à ces exercices de renon­cement, c'est au~si celle du dîner. Ne sois pas difficile, et mange de tout. Ne sois pas trop avide de desserts, et ne t'en gave pas à en être malade. C'est dans le manger que bien des gens perdent la maîtrise sur leur volonté.

Vois-tu comme elles se multiplient les occasions d'exercer ta volonté? Mais il ne te suffit pas de t'instruire de ces exercices, il faut encore que tu les fasses toi­.même. Tune saura's pas nager pour avoir lu un traité

-de natation, mais pour avoir pratiqué les mouvements du nageur. On aura eu beau t'expliquer quelque évolution à la barre fixe, tu ne sauras vraiment la faire qu'après l'avoir essayée bien des fois.

C'est là une vérité profonde que saint Paul .nous a

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160 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

soulignée dans sa lettre aux Galates, V, 16-17: cc Marchez selon l'esprit et vous n'accomplirez pas les convoitises de la chair. Car les désirs de la chair sont contraires à ceux de l'esprit et ceux de l'esprit contraires à ceux du corps. » Et dans sa lettre aux Romains, il écrit, VI~, .22, 23 : . cc Selo~ l'homme intérieur, je prends plaIsIr aux IOl~ d.e ?leu; mais dans mes membres, je trouve une 101 dlfferente, qui lutte contre les lois de mon esprit et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres. »

Chacun de nous a certainement senti en lui-même ce partage tragique de sa triste nature à double face cette lutte du mal contre le bien; et il a compris tou~ le biert"fondé de l'ancien proverbe : Video meliora prohoque, deteriora sequor.

. Si donc tu veux te faire une âme libre et virile 'hé' , n sIte pas, mon fils, à lutter violemment contre tes

p~opres aises .et ta propre mollesse. Chaque jour faIS quelque bIen et pratique quelque renoncement.

Tu as certainement entendu parler . de l'héroïsme du roi David, dont tu as lu l'histoire dans l'Ancien Testament. Encore tout enfant, lorsqu'il gardait les troupeaux de son père et qu'un OUrs ou un lion ravissait une de ses brebis, il le poursuivait, le tuait et lui arrachait la mâchoire. cc Quel héros! » disent les enfants de douze ans. '- Plus tard, avec sa fronde il tua le géant Goliath. c( Quel héros! » s'écrient les j:unes gens de quatorze ans. - Plus tard encore, il triompha dans nombre de batailles contre les Philistins. « Quel héros! » répètent ceux de quinze ans.

Eh bien, mon fils, tout cela ne me dit pas grand'chose à moi. Mais sais-tu ce qui me plaît en David? C'es; ceci: Un jour que son armée se trouvait en face des

COMMENT ENTRAîNER SON . CARACTÈRE? 161

philistins entre Jérusalem et Bethléem et que la chaleur accablante avait tari tous les ruisseaux et toutes les sources, le roi soupira: « Ah 1 si je pouvais boire une gorgée seulement à la source fraîche qui jaillit aux portes de Bethléem! » Trois de · ses hommes parmi les plus braves l'entendirent. Ils se frayèrent un chemin à travers les rangs des Philistins, risquant leur vie à chacun de leurs pas, et ils puisèrent de l'eau qu'ils rapportèrent à David. Celui-ci, tout mourant de soif qu'il était, ne voulut pas la boire, mais il en fit une libation au Seigneur, en disant : « N'est-ce pas là le sang de ces hommes qui ont risqué leur vie pour moi? Comment donc le boirais-je? » (Livre des Rois, II, :23, 14.-17).

Oui, c'est cela surtout qui me plaît en David ... Au fait, qu'a-t-il sacrifié? Une petite gorgée d'eau. Et qu'a-t-il perdu? Un tout petit instant de jouissance. Et qu'a-t-il gagné par ce noble geste? Le respect fanatique de ses soldats, une volonté fortifiée, et, par­dessus tout, la grâce de Dieu, car il avait répandu l'eau en sacrifice au Seigneur.

Vois .. tu, on peut se montrer héroïque, on peut faire un sacrifice à. Dieu - même en se refusant une gorgée d'eau!

Les disciples de Pythagore avaient coutume de s'asseoir, à jeun, devant des tables sur lesquelles on avait déposé les mets les plus succulents. Et ils restaient là, à les regarder, pendant des heures entières. Et ils se retiraieritsans avoir touchéàùn seul. ,

« Quels imbéciles 1» s'écrieraient des enfant$. Mais toi, mon fils, ~ il réfléchiSSant attentivement et longue­nient, tu ressentiras certainement cette émotion respec­tueuse que, la vu~ de l'héroïsme inspire toujo~Jrs ...

'èar,J. ltotn'Yle:,- 11.

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162 LE CARACTÈRE DU JEUNE: HOM~

Ces païens comprènaient parfaitement l'importance du renoncement, de la maîtrise de soi, de l'entraînement de la volonté.

Fais-en, toi aussi, de ces exercices d'abnégation, et tu connaîtras ces douces joies de l'âme que seul le renoncement peut procurer et que tant de jeunes gens, hélas 1 ne ressentent pas, ces joies si ,pures ef si profondes, si durables aussi, qui jailliront en foi, e~ t'inondant de gracieuses délices, toutes les fois que tu auras triomphé d'un désir ou d'un penchant mauvais, toutes les fois que tu auras fait un sacrifice, que tu auras rempli tœ devoirs, que tu auras été gé,néreux pour les autre~.

Le coq du peintre japonais.

Une tradition japonaise nous raconte qu'un jour un riche marchand confia à un peintre l'exécution d'un étrange tableau ... Il devait représenter un coq - et rien de ,plus, -mais ce coq devait être aussi parfait que possible. "

Sa commande faite, ie marchand iut plusieurs années sans recevoir aucune ,nouvelle de l'artiste, et, surpris de ce long silence, il se décida enfin à retourner le voir... Le tableau n'était même pas ébauché; mais . le peintre, après avoir fait asseoir son visiteur, se mit immédiatement à l'exécuter et ' il le teqnina en ' quel­ques minutes. C'était un véritable chef-d'œuvre qui, combla de joie le marchand. Lorsque ce1ui~ci voulut payer, il faillit tomber à la renverse en entendant le peintre lui demander une ' somme énorme pour« cet

COMMENT~.ENTRAïNER SON CARACTÈRE?

ouvrage d'un quart d'heure », et il lui tint de violents propos. Mais l'artiste, lui montrant le volumineux amas de papiers qui atteignait presque le plafond de son atelier et dont toutes les pages étaient couvertes d'images de coqs : « Voilà, lui dit-il, mon travail de trois ans 1 Ce n'est qu'à lui que je dois d'avoir pu faire aujourd'hui cet excellent tableau en si peu de temps. Il est donc juste que je sois payé non seulement pour le tableau, mais pour mes esquisses de ces trois années. » Et le marchand se rendit aux raisons du peintre et il lui paya la grosse somme sur-le-champ.

C'est exactement ce que nous constatons dans la question de l'entraînement de la volonté.

Si nous voulons arriver à ce que notre volonté nous obéisse docilement en toutes choses, qu'elle exécute toujours fidèlement et d'une "manière parfaite le bien que nous avons projeté de faire, il nous faut nécessairement l'y entraîner pendant les années de notre jeunesse. Il nous faut travailler ferme et longtemps au développement du caractère idéal que nous voulons être le nôtre. Il nous faut la patience du peintre qui ne se repose que lorsqu'il.a reproduit trait pour trait sur la toile l'image qui était dans son esprit.

Et ne te laisse pas effrayer par cette tâche 1 A chaque nouveau dessin le peintre trouvait une difficulté de moins, et son dernier tableau ne lui demanda que quelques rninutes de travail. De même, dans l'entraÎne-

, ment, dans l'éducation de la volonté, _~e sont toujours les commencements qui sont les plus difficiles .. . . Plus

. tu t'exercenls au bien, plus le bien te deviendra aisé. Je me rappelle ' qu'étant jeune homme je trouvais

beaucoup de difficulté à . réussir certain e,xercice de gymnastiqu,e., Pendant des mois 'mcs efforts fUJent ,

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164 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

presque vains, quand, un beau jour, rassemblant tout mon courage, je m'en tirai parfaitement, et, depuis ce moment-là, l'évolution ne fut plus qu'un jeu pour , moi. Il en est exactement ainsi dans la vie spirituelle. Au premier abord tout semble horriblement pénible; il en coûte beaucoup pour se renoncer et pour lutter; mais, avec le temps, on n'y trouve plus aucune difficulté. Chaque jour, mon fils, pour fortifier ta volonté,

, exerce-la donc un peu, te privant, à l'occasion, même .de petites choses per~ises. Le matin, quitte ton lit promptement, en te disant: « Un petit renoncement! »

- Si tu as mal aux deJits, ne te plains pas, mais répète: « Un petit renoncement 1 » - Lis-tu un livre qui t'in­téresse beaucoup? Ferme-le à la page la plus attrayante. « Un petit renoncement 1» - As-tu grand faim? Attends cinq minutes avant de toucher au plat qu'on te présente. « Un petit renoncement! »

Et tu peux trouver mille autres petites choses comme celles-ci pour exercer ta volonté. Et plus tu te renon­

! ceras dans ces petites choses, plus t u ' resteras maître , de toi dans les grandes. --"--, Encore un autre exemple : Tes parents sont allés faire une visite et tu leur as promis de rester . à la maison pour terminer tes devoirs d'écolier. Quelques minutes plus tard, ton ami Jean frappe à la porte: « François, viens jouer au football avec nous! Tous les camarades sont là! » Dehors, .il fait un soleil radieux. Ici, dans tà . chambre, des problèmes d'algèbre attendent leurs solutio~.Et voici qu'en toi la lutte s'engage ... Diras­,tu : oui? Diràs-tu : non ? - « J'ai prooûs de rester à la maîson~ Mais les camarades se moqueront de moisi je gâte leur plaisir... Ce $erait si bon de sortir, mal8 j~ai~ p~, .d.·~tr~ gft>ndé ••. Si ,je reviens avant mes

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE? 165

parents, ils ne sauront pas que je suis sorti. .. Et mes problèmes de mathématiques?. . Ah! j'ai trouvé! Demain, j'oublierai tout simplement d'emporter mon cahier à l'école ... Mais ce n'est pas honnête, tout ça ... » Et c'est ainsi que le pour et le contre se répondent dans ta pauvre tête. Et tes camarades s'impatientent .. Enfin, après un dur combat avec toi-même, tu leur dis : « Excusez-moi, mes amis, je ne peux pas sortir aujourd'hui. » Et ils s'en vont, et tu restes seul. Au premier moment, tu regrettes peut-être de ne pas être allé avec eux. Mais bientôt le sentiment du devoir honorablement rempli inonde de joie ton âme. 'Si la chose se renouvelle le lendemain, ta décision te sera déjà plus facile; et si elle se répète encore, tu trouveras tout naturel bientôt de préférer tout de suite le devoir au jeu... Le peintre japonais, rappelle-toi, en vint à peindre ses coqs d'un seul coup de pinceau. .P fau!_~tl_e_.~~.~Eriy~s .. ~. faire_ l~. ~ien .!2ut ,nattlrelle­

ment sans hésitation, sans réflexion même. Tu seras l ' ...... ~., _....... • ..... _...... ~ ...

vraiment récompensé de tes efforts lorsque tu ne devras plus peser le pour et le contre avant chacune de tes actions, lorsqu'une longue habitude aura déposé en toi gn réel penchant .pour, le bien e! 1Jn~ véritable aversion pour le mal. Tu seras récompensé, dis-je, non

. pas en argent, mais par la promptitude, par la facilité, par la joie avec lesquelles désormais tu pourras toujours agir selon tes bons principes; c'est-à-dire que tu seras devenu un· jeune homme de caractèreJ

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166 LB CARACTÈRE DU JEUNE HOMMB

:Sustinè 1

Le second moyen pour entraîner sa volonté c'est l , '

. endurance, la persévérance. - James, l'un des plus célèbres psychologues américains, recommande aux jeunes gens de faire tous les jours quelque chose qui leur répugne, pour le seul motif de pouvoir rester fermes avec eux-mêmes. Dans un collège allemand on en parla un jour aux élèves; et sais-tu ce qu'ils firent? Ils allèrent au jardin et mangèrent des han­netons tout vifs, parce que ce n'était « pas du tout de leur goût » 1 ... C'était là un zèle bien exagéré et bien enfantin; mais c'était aussi un sacrifice qui comptait comme entraînement de leur volonté. -- -

Je ne te demande pas d'imiter cet expmple, et tu n'as nullement besoin non plus de faire brûler vif ton bras comme le fit Mucius Scévola. La vie journalière d'un étudiant est remplie d'occasions dont tu peux profiter pour t'exercer à une patience héroïque. Tu peux endurer, sans te plaindre, tes petits malaises quotidiens. Tu peux apprendre tes leçons sans nervosité et sans colère. Tu peux parler poliment à la maison, ne jamais r~pondre à tes parents, ne jamais leur faire de grimaces fil leur montrer de la mauvaise humeur. Si quelqu'un te fait souffrir, t'ennuie ou te contrarie, tu peux étouffer tes sentiments, te taire un moment, et, pendant ce temps, écouter ce que te dit la raison. Tu peux ne pas commettre des actions dont tu aurais à te repentir peu après. (Cette dernièi:e consigne a une importance spéciale pour les jeunes, gens fougueux et étourdis.)

Etce n'est pas seulement la patience passive, l'endu­rance silencieusè que je te recommanne: c'est plus

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

encore 1~ patience active, je veux dire 'la persévérance. - Notre-Sé1gneur'ïïous donne un avertissement bien

ii I grave lorsqu'il nous dit: (( .Qelui-l~ seul qui persévère, t. jusqu'à la ~' sera sauvé. » Ces pa.roles sont profo~-

' dément vraIes non seulement du pomt de vue de la VIe éternelle, mais aussi de celui des succès terrestres. Le manque de persévérance fait souvent s'écrouler au dernier moment le résultat d'un long travail. Il aurait suffi parfois d'un jour de plus, d'une heure seulement peut-être, pour mener la chose à bien; mais ce jour, cette heure a manqué. Chavez fut le premier pilote qui survola le Simplon, mais en atterrissant il se brisa les jambes. Il avait su vaincre la tempête glaciale et les terribles tourbillons de l'atmosphère. Son but était presque atteint. Il voyait la foule l'acclamer; fêter son retour. Mais il manqua de persévérance. Il ne voulut pas attendre cinq minutes de plus pour se laisser glisser lentement sur le sol. Il voulut descendre tout de suite. Et son avion heurta le rocher. Et le choc causa la mort de Chavez... Cinq minutes seulement de persévérance l'auraient sauvé 1

Tu ferais bien de toujours voir plus loin ou plus haut que ton devoir. Quand tu veux faire une marche de trois heures, prépare-toi pour une marche de quatre heures. Si tu veux étudier pendant deux heures, fixe à ta volonté deux heures et demie. Ainsi, tu te réserves toujours un peu de force.

Persévérance 1 Persévérance 1 Par une magnifique matinée de juillet, deux jeunes

étudiants commençaient l'ascension d'une haute cime. Tous deux venaient de la plaine, et ils n'avaient jamais vu de montagne aussi grandiose. Ils s'en allaient d'un pas leste et le cœur gai. A un certain moment. ils

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168 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

dépassèrent un vieillard et sourirent de le voir monter à pas si lents et si mesurés. « Comment, à cette allure d'escargot, pourrait-il bien atteindre le sommet de la crête? » pensèrent nos jeunes gens, qui, se retournant dix minutes plus tard, .ne le virent guère plus gros qu'une fourmi, ... loin, très loin au-dessous d'eux ... Mais les poumons de nos deux étudiants commen­cèrent à se fatiguer, et, bientôt, ils durent faire de petites haltes chaque demi-heure,... et, bientôt encore, multiplier et prolonger leurs arrêts. Vers midi, complètement exténués, et couchés à même le rocher près d'une petite chute d'eau, ils aperçurent tout à coup l'homme-escargot qui débouchait au tournant du chemin. Il passa près d'eux, du même pas tranquille et posé que le matin. Il les dépassa, ... montant toujours, ... et toujours plus haut, . .. si haut · que, de nouveau, il n'apparut guère plus gros qu'une fourmi à nos deux écoliers qui s'étiraient sur la mousseJ

tellement las qu'il leur était impossible de continuer l'ascension. Eh bien, vois-tu, pour monter dans la vie, pour atteindre l'idéal qu'on s'est fixé, il ne suffit pas de l'élan de la jeunesse ni d'un enthousiasme de la durée d'un feu de paille; il faut en plus une grande, une patiente, une continuelle persévérance.

Souffrir sans se plaindre.

La vie humaine n'est qu'une suite mmterrompue de joies et de tristesses; et, pour beaucoup d'entre nous, les j9urs . sombres sont bien plus nombreu~

COMMENT ENTRAÎNER SON -CARACTÈRE?

que les jours cnso.leillés. Qui di~ vivre, ~it souff.rir. Dans la vie d'un Jeune homme, Il y a déJà des dIffi­

cultés, des épreuve:) plus ou moins dures, des ins1.lccès, . des malen!endus, des maladies, des souffrances phy­siques ct morales. Et là où son caractère se x:évèle le _mieux, c'est précisément dans sa façon d'endurer les coups qui le frappent. Sustine! ,

Souvent, les indigents regardent les riches d'un q!il jaloux et les écoliers pauvres envient leurs camarades plus fortunés. Ils ne semblent pas croire que chacun sur la terre a sa part d'affiictions, d'une manière o~ d'une autre.

11 y a des hommes qui serrent furieusement le poing ct qui blasphèment contre le sort au temps de la souffrance; ils n'ont que des âmes grossières. Il y en à

. d'autres qui, tête basse et la mort dans l'âme, pleurent sur leur destin avec une résignation impuissante; ils n'ont que des âmes faibles. Et il y en a encore qui, tout en souffrant aux heures d'épreuves ou de maladie, tout en pleurant la mort d'un être cher, savent que la souffrance virilement endurée est le feu qui donne la plus belle trempe à l'acier du caractère. On peut être pauvre ct heureux, riche ct malheureux en même temps. On peut être heureux avec un corps maladif, et malheureux avec une santé de fer. On peut être ' aveugle et joyeux à la fois, comme mélancolique avec

r des yeux d'aigle. Tout dépend de la .manière d~nt nous laissons la souffrance opérer dans notre âri1c. Utilise-la donc, mon fils, dans l'éducation de ton. carac­tère. Rappelle-toi toujours qu'une douleur endurée patiemment accroît la valeur d'un homme, que celui qui se fait petit se grandit, que celui qui sait s'humilier s'élève, que la colère ·étouffée rend plus fort; en ,un

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

mot, que la souffrance supportée avec Dieu rend l'âme plus pure et le caractère plus noble.

Un tableau a toujours sa lumière et ses ombres. Le talent de l'artiste consiste précisément à fondre ces deux contrastes et à en faire sortir le beau. -Dieu, qui est notre Père céleste, connaît nos difficultés. C'est Lui qui a permis que tel malheur nous arrive. Tel malheur fait donc partie de son dessein sur nous. Quel est ce dessein? Comment le saurions-nous avec notre petite cervelle humaine? Nous punit-Il pour nos péchés passés? Veut-Il nous rendre plus forts en vue de l'avenir? nous purifier? nous tendre plus sérieux? Veut-Il nous donner l'occasion de faire provision de mérites? Nous ne le savons pas. Mais il y a une chose que nous savons: c'est que notre âme doit sortir plus pure, plus profonde, plus grave, meilleure, en un mot, du feu de la souffrance. Notre prière, en ces jours sombres, sera celle-ci :

Seigneur, que votre volonté soit faite A travers les bons jours, à travers la tempête! Seigneur, que votre volonté soit faite! S'il faut souffrir, je courberai la tête; Seigneur, que votre volonté soit faite! Vous savez pourquoi, et mon âme est prête!

La souffrance endurée sans se plaindre est un excellent moyen pour développer son caractère et fortifier sa volonté. Que l'homme essaye de se délivrer de la souffrance, c'est naturel. Mais, s'il' n'y réussit pas, qu'il cherche à se soulager en se lamentant et en pleurant, cela est un tort ... Essaye, toi, de toutes tes forces, à te résigner à ce que tu ne peux pas changer, à mettre la paix dans ton âme, et tu auras fait beaucoup

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 171

pour fortifier ta volonté. L'âme à la volonté faible se laisse réduire en poussière sous les coups de mar~eau

d la souffrance. Le caractère viril, au contraire, Jette e l" 1 eut-être des étincelles, mais, ainsi que aCier, 1

~evient ensuite plus résistant. « On peut montrer tout tant d'héroïsme sur un lit de malade que sur un

au . . 'fi champ de bataille », dit Sénèque; ce qUl Slgnl e que la souffrance est la Ineilleure école du caractère.

, Si t~ es d~;"s la peine, rappelle-toi les paroles du baron J. EOtvos : « Les épreuves de la vie n'ont pas le pouvoir d'abattre celui qui sait, au :nilieu d'atroc~s tortures, garder confiance dans la PrOVidence. )l Et pn; de toute ton âme avec lui : « Donnez aux autres, 0

Seigneur, les chemins unis sur lesquels on peut marcher longtemps sans beaucoup de fatigue. Donne~-l.eur le~; biens qu'ils désirent le plus. Mais, pour mOl, Je V011f;

demande un sentier raboteux, avec une belle vue pour­tant, qui me conduise toujours .pl~s haut e: que je puisse suivre avec la convictIOn que Je ne

m'égarerai pas ll. •

Si les Romains disaient que « c'est une vertu romame que d'accomplir de grandes choses » - jortia agere romanum est, - ajoutes-y, toi, que « c'est une. vertu. chrétienne que de souffrir beaucoup II - fortta patt

christianum est. . Sonac un peu à la tristesse sans nom, au noir pessl-

mismeb

à la mélancolie indicible qui inondaient les âmes les plu~ nobles au temps du paganisme. Aujourd'hui je ne trouve pas un seul être qui, à leur place, n'eùt préféré la mort à cette existence. Les jouissances déréglées des sens leur donnaient le dégoùt du monde; et ils n'avaient pourtant d'autres désirs que ceux-là. Un oU deux.se.u­lement eurent comme un pressentiment du Chnstla-

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

nis~e; ce. 'qui les éleva dans des régions plus pures. VOlS, par exemple, les Furies danR les drames d'Eschyle; elles n'inspirent qu'une désespérante tristesse. Quand ils sont dans l'épreuve, le païen et l'incroyant ne sa~ent que grincer des dents; tandis que le chrétien, lUI, supporte sa douleur patiemment, et non avec leur fatalisme aveugle. Oh! sans doute, le Christianisme ne peut faire d.isparaître de ce monde la misère, la souf. france et les tentations multiples qui conduisent au ~éc~é, mais il sait au moins en fournir l'explication, JustIfier les vues de Dieu.

Sou.ffres-tu beaucoup, mon enfant? Es-tu pauvre~ maladIf? Tes parents sont-ils dans la misère? Ren-, contres-tu de dures épreuves? Demande-toi où Dieu veut en venir. Peut-être te punit-Il pour tes péchés passés 1 Peut-être veut-Il mûrir ton âme pour une vie ~lu~ fervente, Atremper ta volonté comme le feu trempe 1 aCIer 1 Peut-etre encore veut-Il accroître tes mérites pour la vie éternelle! Peut-être te conduit-Il à travers l'existence comme le guide de la montagne conduit le ~our.iste ! - « Pourquoi choisis-tu ces sentiers escarpés, etrOlts, rocheux et incommodes? » demande celui-ci. - « Il ~e faut bien, répond celui-là, car il n'y a que ces sentIers qui conduisent au site merveilleux que ,nous' voulons voir. Par les grands et larges chemins, nous serions bientôt redescendus dans la plaine. il - cc Pour­quoi dois-je tant souffrir? » t'écries-tu de même. Mais que peux-tu en savoir? C'est Dieu seul qui le sait. Observe seulement un beau tapis de Perse. Quelle magnifique unité dans ses lignes et ses couleurs! Mais retourne-le: à l'envers, tu ne verras qu'un enchevê­trement de fils. Eh bien, il en est de même de la vie. Nous n'en voyons que l'envers. L'endroit, c'est-à-dire

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE! 173

la grande pènsée unifiante, est dans la main de 'Dieu. e'est le Dieu Éternel Lui-même qui tisse le tapis de notre existence, et notre esprit limité ne peut saisir ses intentions. Ses pensées ne sont pas nos pensées et ses chemins ne sont pas nos chemins.

Cessez, reproches humains! .L'Éternei sait ce qu'II doit faire, Et l'honune aveugle ignore ses desseinl!. Lui demander raison est défendu.

(PETOFl).

Un jour, sainte Catherine de Sienne eut à lutter contre une tentation extrêmement violente. L'ayant vaincue à grand'peine, elle se plaignait tristement : « Où étais-tu, mon Jésus, pendant .que l'obscurité envahissait mon cœur? » - « J'étais en ton âme, répondit le Rédempteur. Si je n'eusse été , là, les pensées qui assiégeaient ton esprit eussent pénétré , dans ta volonté et causé la mort de ton âme. » Lorsque tu souffres, ne t'effraye donc pas, mon e'nfant. La force de tout un océan déchaîné peut se briser contre un seul rocher!

N'imite pas les plantes qui portent haut la tête tant , que le soleil les caresse, mais qui se ferment et selaissent ' faner dès que le crépuscule.est venu. La souffrance ' est une œuvre d'art de Dieu taillée dans le marbre de ton âme. Cé que Dieu voudrait trouver dans ton âme. c'est de l'or. Et l'or, tu le sais bien, ne gît paS 'à la surface; il faut sonder les profondeurs pour Je rencontrer.

Le marbre doit étouffer plus d'un sanglot sou~ ,tee coups de marteau , du sculpteur. Mais. n'est-ce paslJ

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I74 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

si rartiste y prenait garde, il ne pourrait jamais en faire une belle statue, ... un chef-d'œuvre ...

D?nc, ne recherche pas la souffrance; mais, si elle survIent, regarde-la bien en face.

Remercie Dieu lorsqu'II t'afflige. Remercie-Le quand II te sourit.

(GOETHE).

Obéir sans murmurer.

Un autre moyen de former son caractère c'est l'obéi~sance ... Il est pénible d'obéir quand ~n est jeune. Mais, en y réfléchissant bien à ton âge où l'esprit commence à mûrir, tu verras que l'obéissance est

.If': pase indispensable de ta propre liberté et de toute la vie sociale. -- . , "

Comme c'est beau de voir une troupe de scouts emboîtant le même pas d'un même élan magnifique, et restant cloués sur place à un seul mot de comman­dementl Mais qu'est-ce donc qui nous donne cette i. . ImpresslOI?- ag;-éable, sinon leur obéissance parfaite?

Et pourquOl faut-il que tu obéisses? D'abord, parce que tu n'es pas un être indépendant.

« Q~oi? Je ne suis pas indépendant? De qui, ... de qUOI donc est-ce que je dépends? l>

,Tu dépends, mon ami, d'une foule de personnes ' et de choses. Tu es loin d'être le centre du monde et tu ne peux pas vivre comme si tu n'avais be~oin de personne. Sais-tu qui pourrait vivre ainsi, indé­pendant de tout, sans se .soucier de qui et de quoi '

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE ? I75

que ce soit? C'est celui qui se donnerait lui-même la vie, qui se mettrait au berceau et se nourrirait lui­même, qui grandirait à la hauteur qu'il a décidée, qui n'aurait besoin d'aucun bien terrestre, qui, en mourant, se coucherait tout seul dans son cercueil, creuserait sa propre tombe et s'enterrerait lui-même. - Tu ris? Tu dis qu'un tel homme n'existe pas? Tu as parfaite­ment raison. Tu viens de constater par toi-même qu'un homme parfaitement indépendant ne se trouve pas sur: la terre.

Ensuite, il faut obéir parce que c'est l'obéissance qui nous rend parfaitement libres. - « N'est-ce pas plutôt la désobéissance? » penses-tu. Non, mon ami. La désobéissance ouvre la porte aux excès et à la licence. Observe le cheval qui, déchirant son harnais et brisan1 ses rênes, se précipite en avant d'un galop rapide. Est-il libre ? Non. Il ne sait pas 011 il va. Il peut se tuer .

Il faut encore obéir pour apprendre à commander. ­La volonté humaine ne s'incline volontiers que devant une forte personnalité; et plus tu te soumettras de.,bon gré à la volonté légitime des autres, plus ton âme gagnera en force. Lè chemin qui conduit à la liberté spirituelle porte le ~'~t « obéissance » en guise d'enseigne. ( ' Mon âmè était le plus complètement libre lorsque j'obéissais )), fait dire Gœthe à son Iphigénie (V, 3)'

L'obéissance est un excellent moyen de fortifier sa volonté. Tu sais bien que ceux qui te commandent - tes parents, tes professeurs - ne le font ~~,"p0tlr ton bien, et non pas dans l'intention d~ t'agacer ou de

t'-~"._~-... , ' te faire enrager. Tu avoueras toi-même qu'un écolier de quatorze ou de seize, ans ne p'eut avoir uI,le expé~ rience et un jugement aussi sages que son père qui en a quarante ou cinquante. Si donc tes parents ou tes

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176 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

maîtres t'ordonnent quelque chose, fais-le immédiate­ment, sans murmures et sans mécontentement, -même iil te semble que, cette fois, ils sont durs à ton égard. Songe que tu es encore bien étourdi et bien inexpérimenté, que tu éprouves encore bien des diffi­cultés à te soustraire à l'influence des dehors trompeurs et des impulsions aveuglantes de tes sens. Je n'ai jamais encore entendu quelqu'un, parvenu à l'âge d'homme, se plaindre de la sévérité de ses parents pendant son enfance. Mais j'en connais beaucoup qui, plus tard, ont amèrement regretté de ne pas leur avoir mieux obéi lorsqu'ils étaient jeunes.

Je sais que toi, mon cher enfant, tu es obéissant. Reste-le toujours, non parce qu'il le faut, , rnai~

parc..~.fl11:.e~.!1f le, :p~,.l!,X, parce que tu sais que c'est pour ton bien. Entraîne-toi à vouloir faire ce que tu dois faire; cela te profitera doublement. Répète souvent la sublime prière de saint Augustin : « Seigneur, pèrmettez que je fasse votre volonté, et ensuite ordon­nez-moi ce que vous voudrez. >l

Ne jamais mentir!

Ne jamais mentir 1 Voici encore un devoir important et qui demande beaucoup de fermeté. - Seul de toutes les créatures, l'homme a reçu le don de la parole. Le perroquet sait imiter les mots humains, tRais l'homme seul èst capable de les créer.

Ne sens-tu pas déjà la responsabilité que cette faculté éxceptionnelle donne à l'homme? Car, si la parole est son droit exclusif, c'est aussi son devoir d'en use,

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 177

\

convenablement. « En vérité, je vous le dis, au jour du jugement, les hommes rendront compte de chaqu~ parole inutile qu'ils auront prononcée >l, a ~éclare Notre-Seigneur (Matth., XII, 36). Et Notre-SeIgneur ne se contenta pas d'enseigner cette vérité, il en donna Lui-même l'exemple. En lisant les Évangiles, tu ne peux pas ne pas remarquer la pondération, la dignité et la noblesse des paroles qui sortaient de Ses lèvres.

L'animal hurle, piaille, crie, mais il ne parle pas. Sa voix est un corps sans âme. La parole humaine, elle a une âme, quelque chose qui fait du mal ou du bie~, qui gâte ou qui répare, qui offense ou qui plaît, - et c'est ce qui fait l~énorme ,responsabilité de la parole prononcée. Celui qui ne réfléchit pas avant

'i.' de parler est bien loin d'être un caractère. !.-'idéal de -" l'éducation chrétienne, c'est de former un jeune homme

qui sait êtrë' poli sans flatterie, franc sans grossièreté, ' honnête sans maladresse, dévoué sans inconstance

et fidèle à ses principes sans offenser autrui. Le soleil accomplit sa course céleste avec une splendeur sans tache et une régularité sans . mystère; le visage des hommes se déride en se tournant vers lui et y puise la force, la gaieté et la vie. Le juste est un soleil vivifiant pour la société; cela nous fait du bie? de le voir et .nous pouvons toujours compter sur lUI sans la momdre crainte d'être déçus.

Peut-on mieux louer un jeune homme que de dire de lui: « Il est parfaitement conscient de la respon­sabilité de chacune de ses paroles. Il ne joue jamais avec sa langue. On peut toujours se fier à ce qu'il dit 1 Il parle toujours avec douceur et ne se départ jamais de la vérité!

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LBèARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Pourquoi mentir?

Pg1,1rtant, ··beaucoup de jeunes gens mentent. _ Et pourquoi? Par frayeur, très souvent ... Ils ont fait quelque chose -qûn~ür était défendu et ils ont peur d'être punis. Ils font la sottise de vouloir effacer une faute en en commettant une autre .. Souvent leur « faute »

n'était qu'une maladresse: ils ont cassé un verre ou renversé leur café, et maintenant ils ne disent pas la vérité pour ne pas être réprimandés. Ils ressemblent à celui qui, pour effacer une tache de boue sur son habit blanc, se roulerait dans une mare? Ne serait-ce pas plus sage de se dire : « C'est vrai que j'ai commis une faute, et que, si je l'avoue, je serai grondé. Mais après? Je l'ai bien mérité, je crois ... Demain, la punition sera oubliée et je me réjouirai d'avoir été franc et honnête. Si, au contraire, je réussis, par un mensonge, à éviter la réprimande, ce mensonge fera dans mon âme une profonde blessure dont il me faudra longtemps souffrir parce qu'elle aura ôté la paix à mon cœur. J'aime bien mieux avouer franchement ma faute : « Mère chérie, j'ai été bien maladroit, j'ai été grossier, j'ai commis une étourderie; mais je tâcherai de ne plus recommencer; punissez-moi! » Vois-tu, ainsi l'honneur est sauf; et j~ suis même persuadé qu'après un aveu

. pareil il n'y aura pas de punition. Et si, pourtant, il y enavait une? II faudrait dire alors : «( J'aime mieux $auffrir pour la justice que. de faire sauffrir la justice par ma/autel»

D'autres mentent pa~ -!~~~,~té.,~ Voici des jeunes gens qui parIent cntre eux de religion, de principes moraux, d'idéal; et quelques-uns commencent à s'en

COMMENT ENl'RAÎNER SON CJ\RACTÈRE? 179

r moquer. Ce serait le moment de se mettre ouvertement du côté de Dieu et de l'Église; mais on n'ose pas, on a peur des regards ironiques, on préfère mentir. C'est de la lâcheté!

li y en a q~i le font parjalousie. Loue-t-on devant · eux un de leurs camarades? « Oh! il ne le mérite pas! Il a tel défaut! » disent-ils, et ils le calomnient. -Pour se procurer des avantages : « Ce n'était pas un « goal », ce n'est pas vrai, la balle n'a pas touché! J)

- Par~fidélité.mal comprise, quand, par exemple, on veut aider un ami à sortir d'une mauvaise passe. -Pour se vanter: « Oh! si tu avais vu la belle voiture que nous avions cet été 1 » ou bien: « Quelles magnifiques aventures j'ai eues 1 » alors que rien ou presque rien de tout cela n'est vrai. - A l'école, on ment en récitant une leçon qu'un. camarade nous soufRe ou en copiant le devoir d'un autre, car on fait parade alors de quelque chose qui ne nous appartient pas. En ces occasions-là, le jeune homme au caractère ferme répond à la tentation : ft. Je suis bien trop fier pour essayer de m'avantager par des moyens malhonnêtes. »

J'en ai même vu le faire par pu!.~}~g~'Ë~' Ceux-là ne mentent pas au sens strict du mot; mais leur étour­derie leur joue parfois de bien vilains tours. On ne peut pas se fier à eux, car ils ont pris l'habitude d'être imprécis et de jouer sur les mots. Relis sur ce point le chapitre précédent. - Et puis, prends garde aussi, mon fils! Si le jeune homme au caractère droit s'abstient toujours des gros mensonges, il s'en permet parfois des petits et cela, encore, gâte son caractère. Un jeune homme honnête ne dira jamais: « Ce n'était pas moi 1 » quand c'était lui; mais il lui arrivera de dire: : « Je suis allé parfois avec tel camarade », alors qu'il

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180 'LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

devrait avouer qu'il est coutumier du fait; - ou bien ': « J'irai certa1nement», quand il devrait dire: « J'irai si je le peux. » - Ne fais pas ainsi, toi!

Tout ce qui est contraire à la vérité et à la droiture est un mensonge. On peut donc mentir non seulement par des paroles, mais aussi par un silence de circon­stance, par une' condùite hypocrite, etc.

Un homme avec qui on ne sait jamais où l'on enest~ qui ne dit jamais que la moitié de ce qu'il pense, qui a' toujours recours à de faux-fuyants, ment tout aussi bien que s'il soutenait une chose erronée.

Tu vois quelle forêt vierge est le mensonge!

Est-ce que cela vaut la peine de mentir?

« Dis-moi, est-ce que cela vaut la peine de mentir? » demandai-je, un jour, à un' écolier. - cc Nonl » me répondit-il avec fermeté. - cc Et pourquoi donc? II _

« Parce que tôt ou tard le mensonge est découvert; et, alors, c' c;:t est fait de l'honneur!» ,

Ceci encore est un argument. On ne peut s'imaginer une situation ' plus h9nteuse que celle d'un jeune homme qui jusqu'ici était entouré de considération et de respect, qu'on croyait sur parole, et qui vient d'être pris en flagrant délit de men.songe. Et il est très vrai aussi que tôt ou tard tout menteur est connu pour tel.

'C( Bah! dit un autre, qu'on ne mente pas si l'on est si maladroit que cela 1 Mais on peut très bien mentir quand on est intelligent. Lorsqu'on a préalablement

.,..------,~ --~

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE? 181

songé à ce qu'on répondra à telle ou telle question qui pourra nous être posée, on ne peut manquer de réussir.» ,

Mettons que cela réussisse une fois. Cela ne réussira certainement pas toujours, certainement pas longtemps, crois-moi. « L'âne a beau se câcher derrière la porte, ses oreilles dépassent toujours < dit un proverbe. Et c'est en vain qu'un autre proverbe latin avertit le menteur d'avoir une bonne mémoire - cc mendacem oportet esse memorem» - tôt ou tard, le menteur s'embrouillera dans ses contradictions; il lui faudra nourrir un mensonge avec un autre mensonge pour que ce premier reste un peu véridique; et ,ce second mensonge en appellera un troisième, et le troisième un quatrième, et ainsi de suite. Celui qui abandon~e le chemin de la vérité se trouve vite sur un terram. marécageux et il s'y enfonce de plus en plus~ Dès le lendemain il a oublié le sujet de son mensonge de la veille, et c'est bientôt la honte et le déshonneur. Le mensonge n'est qu'un monstre enfanté par la langue; et les monstres-nés n'ont jamais longue vie.

Et puis, supposons que le mensonge reste caché. Il y a des gens assez habiles pour ne pas se laisser' prendre. Réfléchis encore un peu à ce qui s'ensllivr~. Il sied au jeune homme sérieux non seulement de vOIr lef; résultats immédiats de ses faits et gestes, mais aussi de peser leurs effets les plus éloignés. .

Don,;, le menteur n'est pas découvert. Mais, lorsqu'j~ ,

est seul à la maison, la voix plaintive du remords lUI parle au fond de lui-même: « Tu n'as pas de caractère. On ne peut pas se fier à toi! » Et cette voix qui l'accuse ' lui fait passer des moments bien. amers. - Oui, mon fils, malheur à celui qui se laisse aller à me~tir 1 Le

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18z LE _ c~ctÈRE DU JEUNE HOMME

mensonge vient de ces profondeurs obscures où le diable à sa demèure, et c'est pourquoi n assombrit l'âme, c'est pourquoi il assombrit-jùsqu'au visage du menteur. Celui-ci a une peur extrême que son regard troublé le trahisse.

Lis seulement la plainte d'Iphigénie :

f Malheur au mensongel Il n'allège PM, Comme le font les paroles de vérité ; Le cœur se serre sous son poids.

(GOBTtm).

Aujourd'hui, les médecins n'ordonnent plus aussi fréquemment qu'autrefois des poisons en guise de remèdes, car ils savent que, si les poisons gUérissent certaines maladies, ils peuvent en causer d'autres, et de bien plus graves que celles qu'ils ont guéries.

C'est exactement le cas du mensonge. Au premier moment, il semble nous avoir délivrés d'un désagré­ment; mais son effet désastreux ne tarde pas à se faire sentir à de multiples points de vue.

Et réussirait-on à étouffer la voix de sa ';onscience, il viendra un jour, celui du Jugement dernier, où le Dieu l'Éternel, que le plus habile des menteurs n'aura jamais su tromper, produira en pleine lumière tous les mensonges, tout-es les hypocrisies et toutes les ruses de la terre. ({ Les lèvres menteuses sont en horreur devant le Seigneur » dit l'Écriture Sainte, (Proverbes, XII, 22). Dieu est la Vérité même; à chaque mensonge nous renions, nous défigurons donc la ressemblance de notre âme avec Lui.

On prétend que le renard pris au piège ronge son propre pied ou sa propre queue pour se sauver. Celui

COMMENT ENTRAiNER SON CARACTÈRE?

qui essaye de se préserver d'un mal par un mensonge fait bien pis: il ronge son propre honneur, son propre caractère.

~entir, c'est de la lâcheté 1 Rester fidèle à la vérite à tout prix, c'est de l'héroïsme 1

As-tu réussi à tirer profit d'un mensonge? Tu l'as payé trop cher. - As-tu évité un mal quelconque par un mensonge? Tu es tombé dans un mal bien plus grand. - As-tu gagné le respect des autres par un mensonge? A tes propres yeux tu as perdu l'honneur.

Un seul homme, une seule parole /

MalS il Y a pourtant des cas où il est permis de mentir, penses-tu. Tu as des camarades qui ont vite fait de s'excuser: « J'ai menti par plaisanterie, ... ça ne peut pas être un péché! ça n'a fait de mal à personne! x

Dans ce cas, le mensonge n'est pas un péché bien gros, c'est vrai; mais il est toujours une faute. S'il n'a fait de mal à personne, il en a fait à son auteur. Le men­songe est toujours une tromperie. - Le grand mal de ces mensonges innocents est de conduire à des men­songes plus pervers. Les grands hommes de tous les temps les redoutaient plus que tout. Nous en trouvons de beaux exemples chez les païens eux-mêmes. Tu as appris à l'école qu'Aristide ne mentait jamais, pas même pour plaisanter : « Aristides adeo fuit veritatis diligensut ne joco quidem ment-iretur. »

.Sans doute. il faut avoir une notion exacte d'l

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

mensonge. ~entir, c'est dire ce qui e~t faux dans le but d'induire quelqu'un en erreur. Donc, s'il est évident qu'on ne fait que jouer, folâtrer pour amuser les autres, ce n'est pas un mensonge. Mais il n'est jamais permis d'amener quelqu'un à croire ce qui n'est pas vrai. J'avoue qu'on peut se trouver parfois _ et cela nous est très pénible - dans une situation telle que l'on soit obligé de choisir entre un désagrément sérieux et le mensonge. Mais le principe : « Je ne mentirai jamais» doit rester intact coûte que coûte.

Et, pourtant, si le désagrément qui menace est grave, que faire? - Dans ce cas, le meilleur moyen de résoudre le problème, c'est de ne pas répondre. Ton silence montrera à ton interlocuteur que le sujet t'est désa. gréable, et, peut-être, ne te poussera·t-il pas à bout ... Si tu es habile, tu peux donner une réponse évasive, « parler à côté du sujet », « détourner la conversation » . ' ,

toujours sans mentir, bien entendu l... Mais souvent cela ne réussit ·pas et il ne reste alors qu'à accepter les conséquences éventuellement déplaisantes d 'une façon héroïque, pour l'amour de la vérité l , ,

une des plus belles vertus qu'on puisse trouver dans un homme. '

Oui, évite les désagréments si tu peux; mais, si tu ne le peux pas, ne te départis jamais de la vérité, même si cela devait te faire tort. « Fiat justitia et pereat mundus. » Dire la vérité, toujours, en toute circonstance, ce n'est pas facile; c'est une vertu héroïque!

Il est facile de pardonner a un petit enfant quand, dans sa frayeur de la baguette, il a laissé échapper un mensonge. Un petit enfant n'est pas un caractère, un être parfaitement raisonnable.

Mais que dire des jeunes gens qui, trop souvent,

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE?

sont si fiers de leur intelligence, de leur courage et de leur honneur? Comme il est triste de les voir mentir lkhement, grossièrement, pour s'épargner une punitIOn bien méritée ou pour se tirer d'une situation un peu gênante? . .

Comme il en impose, au contraire, le Jeune homme qui ne permet jamais au mensonge de so~i1~er se~ lèvres et qui se tient toujours du côté de la vénte, coute que coûte, pour la raison qu'il est incapable de mentir! Aucune situation ne peut le contraindre à manquer de loyauté. Quelle joie de le rencontrer! Chacune de ses paroles est aussi vraie que chaque m,ot des saintes Écritures., Et comme on est heureux , de pouvoir compter et se reposer sur lui en toutecÎrconstance !... Un seul hqmme, une seule parole!

L'homme rougit lorsqu'il ment. Dieu l'a créé ainsi pour lui rendre le mensonge plus odi:ux .. Il est vrai qu'à force de s'y exercer on peut s habituer à mentir tout naturellement et sans rougir, comme si on lisait son mensonge dans un livre, mais c'est là une chose bien triste.

Toi, mon fils, aie à cœur de ne jamais mentir! Et vous tous, mes enfants, qui donnez la plus grande importance à votre honneur, à votre virilité, à votre caractère, ne vous départez jamais de la vérité, fût-ce d'un se~l mot. Le jeune homme qui prend l'habitude de mentir met lui·même la pioche au fondement ' de son caractère, et s'en va court au-devant de sa propre déchéance, , , . , sans espoir de retour. Celui qui manque à la vente ne se fera aucun scrupule de manquer aussi à ses autres devoirs. S'il sait tirer paÎti de paroles équivoques, il voudra faire son chemin dans la vie par des moyens tout aussi douteux. S'il devient fonctionnaire, il se

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186 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

laissera corrompre. S'il se fait négociant, il fraudera. Quoi qu'il fasse, il ne sera qu'un misérable. « Celui qui commence par le mensonge finira par le gibet Il,

dit un proverbe. Il va un peu loin; mais, au fond, il . exprime une grande vérité.

La première devise d'un jeune homme de caractère, c'est: « La vérité à tout prix! » « Celui qui ne manque pas à sa parole est un homme parfait », dit l'Écriture Sainte (Jacques, III, 2). Renier la vérité, c'est renoncer à sa dignité d'homme, trahir son devoir le plus sacré.

Je ne connais aucune occasion où il serait permis de mentir, de jouer avec la vérité. Aucun motif n'est une excuse suffisante pour cela. Je sais bien que les jeunes gens aiment à expliquer la chose : « Cette fois-ci, j'ai été obligé de mentir »; mais voilà : on n'y est jamais obligé! Je dirai plus : si l'on admettait que la chose pût parfois se faire, c'en serait bientôt fait de toutes les autres observances. « Cette fois-ci, je ne pouvais faire autrement », dirait-on après chaque transgression.

Et que deviendrait la société si le mensonge gagnait du terrain? On ne pourrait plus avoir foi en personne. L'enfant ne croirait pas à ses parents, ni les parents à leurs enfants. A chaque moment, on serait en droit de penser : « C'est faux, ce qu'on me dit » •.. Je n'oserais pas manger ma soupe de peur d'être empoi­sonné par la cuisinière. Je n'oserais pas faire venir un médecin, car il . pourrait me tuer, etc. Et il serait impossible de vivre ainsi. Tu le vois, le mensonge est l'ennemi de la société.

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

cc Jure-le! »

Celui qui dit toujours la vérité n'aura jamais . besoin de recourir à l'expédient dont se servent tant 1 d'étudiants de caractère faible, aux serments prononcés

à la légère. . . « Viendras-tu jouer au football cet après-nudl? » -

« J'irai! » - « Jure-leI » ... « Veux-tu me prêt~r ;on dictionnaire? » - « Oui. » - (! Jure-le 1 » ... Et ams.t de suite. Ces jeunes étourdis jurent à tort et à. travers, et pour les choses les plus insignifiantes.

Toi, ne te laisse pas influencer par tes camarades S'ils te pressent, réponds-leur avec calme et ferm~té : « C'est promis, et je n'ai pas l'habitude de me~tlr. »

Faut-il te l'avouer, mon fils, si j'entends un Jeune homme faire des serments à tout moment, cela me fait penser tout de suite: « Ce garçon doit .avoi~ l'h.abi­tude de mentir. Cette fois-ci, par exceptlOn, il dlt la vérité' mais il a peur qu'on ne le croie pas, et c'est pour~uoi il jure. » Celui qui n'a .pas l'habit.ude de, mentir n'a pas besoin de prendre Dleu à témom pour

des futilités. 1 Sois toujours fidèle à ta parole et à tes promesses.

Réfléchis bien avant de promettre quelque chose. ~e donne pas ta parole à la légère; mais, si tu as promls quelque chose, tiens-la coûte que coûte. Tu n'aura~ un caractère ferme que lorsqu'on pourra se fier à to~ en toute circonstance. Falsus ore caret honore. Celu~ qui trompe les autres se déshonore. Par con~re , celU1 qui reste toujours fidèle à ses ~romesses. frut preuve d'une imposante maîtrise de SOI. La soclété S écrou-

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188 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

lerait si elle ne se composait que d'hommes qui jouent avec leur langue.

« Un seul homme, une seule parole », dit une ancienne et fière devise. Elle a raison 1 Celui qui joue avec sa parole n'est pas digne du nom d'homme. _ Quoi qu'il t'arrive dans la vie, console~toi comme notre roi François 1er en répétant après lui : cc Tout est perdu, fors l'honneur. » Omnia si perdes, famant servare memento.

Et je voudrais encore ici attirer ton attention Sur un point du plus haut intérêt : ce n'est pas seulement avec les autres que tu dois être t>incère, c'est aussi avec toi-même 1

Comment cela?

Quoi que tu aies fait, demande à ta conscience si tu as bien fait. Mais ne ~trompc ' pas toi-même 1 Si tu osais être franc avec toi-même, tu devrais t'avouer bien Souvent que ton excuse de tel matin: (c Je n'ai pas eu le temps de faire mes devoirs », n'était pas fondée, que ce que tu as fait passer pour un acte généreux n'était au fond que de l'égoïsme, qu'en regardant telle nudité, ce n'était pas la beauté artistique que tu étudiais, comme tu le disais avec tant d'aplomb, et que, l'autre jour, lorsque tu t'f'S mêlé à telle conversation malsaine, tu as menti en disant que « tu n~tais plus un petit enfant », car tu es loin d'être un homme, tu n'es qu'un lâche qui n'ose pas défendre ses principes 1

Ah 1 si tu voulais toujours être franc avec .toi-même 1 ... Essaye donc de t'examiner Souvent dans un tête-à-tête silencieux pour te connaître davantage 1

Avoue-toi, aussi, que tu es encore bien jeune et que c'est en jeune homme, par conséquent, que tu dois te

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

conduire. Tu te rendrais ridicule en voulant imiter les adultes dans leur tenue ou dans leurs distractions. Ne critique pas à tort et à travers et ne juge pas de haut

' ce que tu ne connais pas ,et ~e. peux pas encore connaître car le jugement et 1 expenence te manquent. Ne crois ~as tout comprendre - e~ très bi~n ~ncor~ ­ni qu'il soit bon pour toi de tout hre et d lmlter n lm­porte qui en n'importe quoi. Tu es jeune; tu ne peAux donc pas exiger pour toi ce que des hommes mu~s n'ont acquis, bien souvent, que par un dur travall. Tu ne gagnes pas encore ta vic; ne ~épense don~ pas en bagatelles l'argent gagné par d autres ... VOls-tu, c'est autant de choses dans lesquelles tu dois être franc!

Et par-dessus tout, mon enfant, ,sois toujours sincère avec Dieu' Pour chaque battement de ton cœur, pour chacune de tes respirations, et à chaque minute, tu dépends de Lui. Quelle aberration ce serait .si un jeune homme essayait de se persuader q~e la f~rce

de sa jeunesse lui suffit et qu'il n'a pas beSOin ~e Dle~' Comme il se férait du mal en vivant selon ce fol sentl­ment d'orgueil? .. Peut-on le dire sincère, cet étudiant qui a la foi, qui èroit en sa religion, mais qui n'en vit pas ou qui les renie lâchement devant les autres?

f Le jeune homme dissimulé néglige facilement ses devoirs religieux pendant les vacanc~s. So~ cam~ade plus ouvert, au contraire, fait ses pnères Journ~hèr~s avec une ferveur redoublée. Il ne manque Jam31s la sainte messe et fréquente d'autant plus volontiers les sacrements qu'il a maintenant .plus de loisir pour le faire. Il ne voudrait à aucun prix se dérober à ses

1 grands devoirs envers Dieu' Et il se l~isse . attirer i . vers le Tabernacle par l'amour pur de son Jeune cœur.

Dieu est la V~rité éternelle. Le' culte de la vérité.

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

de la sincérité est donc un culte que nous Lui devons. La 'gloire de Dieu se manifeste dans la parole de celui qui dit vrai, et elle apparaît également dans les actes de celui qui s'est mis au service d'un sublime idéal sans ruse ni arrière-pensée. Oui, quand les paroles et les actes d'un homme sont aussi purs et aussi calmes que le ruisseau des montagnes, dans sa vie, ouverte comme un livre, le règne de Dieu est établi.

Vois-tu, mon enfant, la tâche magnifique qui nous incombe, c'est d'être justes et de propager le règne de la vérité; c'est, en un mot, de préparer la demeure de la Vérité et de la Justice parmi les hommes 1

Regarde autour de toi. Tu verras, hélas 1 un peu partout, les taches sombres du mensonge. Que de fraudes, que de duperies, de ruses, de fausses appa­rences, de choses superficielles 1 Tout cela, c'est de l'obscurité; ce n'est pas le règne de Dieu. Que pourrais­tu faire pour y remédier?.. Prêcher contre le men­songe? Cela ne t'avancerait pas beaucoup. Mais si toi-même tu es fanatiquement partisan de la vérité, si tu mets toujours la justice dans tes paroles, dans tes actions et dans ta vie, alors, chacun de tes actes est comme un coup d'épée pour l'avènement du règne de Dieu!

Aggredere!

Pour se former un caractère, il ne suffit pas du renoncement, de l' « Abstine ll, ni de la persévérance, du Cl Sustine ». Il faut, de plus, l'action courageuse de la volonté active : Ji « Aggredere ». La chance

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE?

favorise les audacieux. - Je connais des jeunes gens qui n'ont aucune difficulté à pratiquer le renoncement ct la persévérance, mais qui n'aiment pas le travail actif, positif. Ce n'est pas la perfection. Par « jeune \ homme de caractère» nous n'entendons pas le lâche qui baisse lEt .tête et ne sort pas de son coin. Le renon­cement est loin d'être facile, et la vie chrétienne ne consiste aucunement dans ùn repos calme et tranquille; elle est plutôt faite d'une activité débordante. Ne nommons-nous pas la félicité céleste la «sù éternelle» ? Notre religion n'a pas seulement des commandements qui nous disent ce que nous ne devons pas faire, elle en a tout autant qui nous montrent çe que nous devons faire.· Donc : « Aggrede1'e! II - « Agis! Il

On dit que le sort a un poing de fer qui peut assommer l'univers. N'importe 1 Car, toi, tu as une âme qui peut te rendre plus persévérant, plus résistant et plus souple que le monde matériel tout entier. « Si tu veux quelque chose, mets-y la m.ain ll, dit le proverbe. La lame d'acier plie, mais elle est résistante quand même. Et qui donc lui adonné cette souplesse et cette solidité extrêmes? C'est la trempe de feu, l'ardeur des flammes.

La vie humaine n'est qu'un enchaînement de petits incidents. Considérés un à un, ils semblent bien insignifiants, mais, au fond, c'est d'eux qu'est faite la vie tout entière. Le plus grand édifice n'est qu'un amas de petites pierres; la plus longue vie n'est qu'une

1 suite de petits événements; et, les plus grandes chutes morales n'ont commencé que par de petits écarts. Ne les craignons donc pas, ces grandes chutes morales, si nous savop.s nous mettre en garde contre les petites fautes. Qu'est-ce qui fait tomber les gens

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

dans la rue? Ce ne sont pas les grosses pierres qu'ils aperçoivent de loin, c'est un noyau de cerise qui fait glisser leur pied.

« On m'agace tant avec toutes sortes de petits riens!» s'écrient souvent les jeunes gens, et par ce mot « riens » ils entendent tous les petits ordres qu'ils reçoivent et auxquels ils n'attachent aucune importance. Pourtant, est-ce un rien si les roues d'une splendide machine ne s'accordent pas à un centimètre près? Est-ce un rien si, au violon, tu prends une demi-note seulement plus haut qu'il ne faudrait? Est-ce un rien si, en allemand, tu appliques la conjugaison faible à un verbe fort? Demande donc à ceux qui se connaissent en chevaux quelle . énorme différence de prix il peut y avoir entre deux de ces animaux également racés, également fougueux, également noirs, si l'un a une petite, une toute petite tache blanche seulement sur le front?

Les plus petites choses ont de même une très grande influence dans la vie morale. Napoléon était un grand génie et il aurait pu rendre d'immenses services à l'humanité. 'Mais l'unique défaut qu'il avait, un orgueil

~ démesuré, l'entraîna à la ruine. Souvent, aussi, la 1 perte d'un jeune homme ne commence que par de petits ; ',manquements, bien innocents en apparence. A l'école,

il viole un point du règlement, - il ment une ou deux fois pour excuser sa paresse, - il s'en va jouer avec de mauvais camarades au lieu de faire ses devoirs, - ce n'est pas tellement si affreux! Mais les actions répétées deviernient vite des habitudes; les bonnes, de bonnes habitudes; les mauvais~s. de mauvaises habitudes. Au début, sa conscience lui reproche de renier ses bons principes pour plaire à de mauvais condisciples,

COMMENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE?

mais, « c'est si bon d'être avec eux!» Et dès latroisième, dès la quatrième fois, cela est devenu déjà si facile de céder à l'entraînement, si commode d'étouffer la voix

de sa conscience 1

La puissance des petites choses.

D'où vient-elle, cette puissance des petites choses? ... Rien au monde ne se perd sans laisser de trace. Chaque petit incident - ne serait-il qu'une fraction infime de l'unité constituée par notre vie - concourt de son petit tantième à former nos habitudes. On peut s'habituer à agir saintement tout aussi bien qu'à se laisser aller au péché. Après un certain nombre de petites actions vertueuses, la vertu devient plus aisée; mais le péché attire aussi, et irrésistiblement, tous ceux qui se sont habitués à une vie pécheresse.

Plus une chose est parfaite, plus elle est soignée dans les moindres détails. Les hommes de l'ancien temps ne connaissaient l'univers que très vaguement, mais ils entrevoyaient déjà ses proportions gigantesques et celles-ci les faisaient tomber à genoux devant le Créateur. Combien plus ferme est l'hommage que nous rerdons à Dieu, depuis que, à l'aide des télescopes et des microscopes, nous sommes capables de pénétrer dans les détails du mécanisme merveilleux de la Création, et que notre raison s'arrête, muette d'éton­nement, devant l'incroyable perfection de l'ordre, de l'harmonie et de l'enchaînement · qui y règnent. Que cette précision de tous tes détails qui caractérise lçs

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

œuvres de Dieu soit aussi le modèle de notre caractère! Considérée à ce point de vue, la plus' petite chose

trouvera dans ton esprit l'importance qu'elle mérite. Et, dès lors, tu vois déjà la force éducatrice de l'obser­vation d'un précepte qui pouvait te sembler jusqu'ici de peu de gravité, comme, par exemple, celui du jeûne que nous fait notre sainte religion. Et, dès lors aussi, tu auras plus d'estime pour les petites choses. Au cours . d'une excursion, tu essayeras de rester un peu de temps assis près d'une source avant d'étancher ta

soif. Si tu as appris quelque chose d'intéressant et que tu brûles du désir d'en informer tes camarades, tu t'imposeras de ne pas aIler le leur raconter tout de suite. Tu ne te précipiteras pas vers la foule assemblée dans la rue pour satisfaire ta curiosité. En te contraignant à cela, tu auras accompli un travail sérieux dans le but de libérer ta volonté de l'esclavage de tes actes instinctifs. Mais tu peux aussi te rendre compte dès maintenant que si la religion catholique te parle tant du renoncement et de la maîtrise de soi, elle est loin de contrecarrer tes succès et ta réussite dans la vie. Elle ne veut, au contraire, que t'aider à mener une vie vraiment digne

\ d'un homme, que te procurer la vraie liberté. Celui qui ne s'exerce pas au renoncement ne peut être vraiment pieux, car les âmes vraiment pieuses doivent chaque jour triompher de la matière, de leur corps.

« Toute chose reçoit le SCeau de la grandeur ou de la petitesse de ses conséquences et de ses effets, dit le .baron Wesselényi, et une chose qui produit des résultats importants n'est jamais une bagatelle, si petite qu'elle soit. »

Me Croiras-tu si je te dis qu'une bataille fut un jour perdue... à cause d'un clou? Le cheval du général

COMMENT ENTRAINER SON CARACTERE? 195

était mal ferré; il manquait un clou à l'un de ses fers. Or il arriva qu'un autre clou se détacha; que l'animal, énervé, heurta quelque obstacle; que l'officier, ayant fait une mauvaise chute, fut pris par l'ennemi et fusillé; et que ses troupes, faute de chef, perdirent la bataille ... Oui, une défaite pour ... un vil clou à ferrer!

Gulliver garrotté.

Le chemin de l'âme ressemble à la glace qui, l'hiver, recouvre nos étangs et sur laquelle les écoliers s'amusent à glisser. Cette glace est bjen raboteuse tout d'abord; mais, après chaque glissade, elle devient plus lisse; et, bientôt, ,nos jeunes patineurs peuvent la franchir d'un seul élan. II en est ainsi pour nos actions. Plus souvent nous en répétons une bonne ou une mauvaise, plus elle nous devient aisée . . Tu connais bien l'histoire de Gulliver, n'est-ce pas? Au pays des nains, quel géant c'était! Et pourtant, les Lilliputiens réussirent à le garrotter. Lui qui, jusqu'ici, brisait toutes leurs cordes d'un tour de main, fut ligoté, une nuit, pendant son sommeil, avec mille et mille petits brins de fil qu'il fut impuissant à rompre quand il se réveilla..

Cela te fera comprendre, mon fils, pourquoi les hommes sages essayent de se défaire jusque de leurs plus petits défauts. Celui qui cède à ses penchants désordonnés dans des choses peu importantes en appa­rence ne demandera plus conseil bientôt à sa conscience dans les grandes non plus. On reste frappé d'épouvante

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196 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

r devant le nombre de jeunes gens qui dôiment les plus belles espérances pendant les années de leur adolescence, et qui, plus tard, se trouvent entraînés sur la pente du péché uniquement parce . qu'ils sont

, négligents et relâchés dans les petites choses. Oh! ils. grandissent eux aussi, ces garçons-là; ils deviennent. des hommes; mais. à vrai dire, ils ne seront toujours qu'une caricature de l'homme véritable; ils ressembleront au « bonhomme de neige » qui lui aussi a des yeux, une bouche, et un bonnet sur la tête. · Il leur man- , quera toujours un caractère et une volonté ferme.

Je me suis souvent écrié, le cœur rempli de tristesse, en voyant la chambre ou la tabie de travaîl de tel . où tel de mes élèves: « Mon Dieu, Seigneur, si cet enfant-là avait un semblable désordre dans son âme aussi!... » La brosse à souliers, le dictionnaire latin, une pompe à gonfler les ballons, le cahier de mathématiques, de mauvais boutons, une règle, un morc.eau de pain sec, la pâte dentifrice, tout cela, pêle-mêle, l'un sur l'autre... te

Mets de l'ordre, toi, sur ta table, dans ton armoire~ dans ta chambre. D'abord, parce que l'ordre extérieur ' n'est pas seulement l'expression du recueillement intérieur, mais aussi le meilleur moyen de l'encourager; celui qui tient ses affaires en bon ordre saura mieux qu'un autre ordonner ses pensées. Ensuite, parce que l'homme ordonné, seul, peut être exact et ponctuel; celui qui ne l'est pas perd beaucoup trop de temps à chercher ce dont il à besoin, ce qui, presque ~oujours~ le met plus ou moins en retard. Toi, n'est-ce pas? tu n'es pas ain$i.Mais avoue que tu connais plus d'un étudiant qui, dix minutes seulement avant la classe, constatent avec terre}.!f · que leur cahier d'allemand a

-COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 197

disparu. Et ils se mettent à le chercher. Ils jettent et rejettent tous les objets qui leur tombent sous la main dans le chaos indescriptible qui règne sur leur bureau. Et toujours pas de cahier ... Le voilà, enfin,.. sous la table, près d'une décrotteuse, sous une boîte remplie de clous... Mais il est huit heures cinq et il faut courir maintenant!. .. En retard et une mauvaise note, voilà le résultat du désordre! Et cette fois-ci, passe encore; ce n'est qu'à l'école qu'ils sont arrivés trop tard. Mais lorsque ce sera à la sainte messe? lorsque ce sera là où les appellent les plus importants devoirs d'état? Médecins, ils causeront la mort de plus d'un malade en oubliant de noter sur leur ordonnance une toute petite dose d'un certain médicament. Pharmaciens, ils prépareront mal leur mixture pour n'avoir parcouru l'ordonnance que d'un œil distrait.

Et ces cahiers de devoirs? Quel griffonnage! Les lignes se querellent, les caractères s'emmêlent, le tout est richement décoré de taches d'encre. Et ces livres marqués de caricatures au crayon? On prétend que lorsqu'un négociant a fait faillite, la vérification de ses livres prouve presque toujours la négligence ou la mauvaise m.éthode de ses comptes. A ce point de vue, aussi, il ne serait pas sans intérêt d'examiner les livres des étudiants faillis 1

Prends garde, mon fils, de ne pas laisser ton caractère se garrotter lui-même avec les fils de petites mauvaises habitudes, de petites négligences, de petites légèretés!

Et pour cela, tiens toujours en ordre tes affaires ' matérielles et sointuelles, les petites aussi bien que ! les grandes:-- Ne 'laisse jamai'~ ton crayo~ manquer de

point é. ,lIfe tolère pas que ta règle reste tachée d'encre. Ne.c"Ob:serve sur ta table de travail que le nécessaire, ce

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

dont tu as besoin pour apprendre, avec, tout au plus, un ou deux objets décoratifs. Que chaque livre, chaque cahier, chaque plume aient leur place pour que tu puisses les trouver même dans l'obscurité. Chaque matin, mets ta montre à l'heure exacte. Prends un soin tout spécial des objets qu'on te prête: livres, dictionnaire, compas, etc.. Ne les prête jamais à d'autres. N'attends pas qu'on te les redemande, malS rends-les dès que tu n'en as plus besoin.

Le verrou hors d'usage.

Une petite négligence peut causer de grands dom­mages; c'est la morale de l'histoire suivante, racontée par Say, le grand économiste français :

Dans une ferme, le verrou d'une étable était hors d'usage. On aurait pu le réparer par un travail de quelques minutes, mais le propriétaire. qualifiait la chose de bagatelle et le verro].! restait tel. Comme on devait s'y attendre, poulets et canards sortaient comme ils le voulaient. Mais il arriva un jour qu'un porc réussit à s'échapper et qu'il se mit à courir à travers la campagne. C'était trop fort! Tout le monde s'élança à sa poursuite: les propriétaires, le jardinier, le vacher et la laveuse. Ce fut le jardinier qui l'aperçut le premier. Il voulut sauter un fossé pour lui couper le chemin; mais il manqua son coup, et le voilà qui se fit une vilaine entorse qui le retint au lit pendant . plusieurs semaines. En regagnant son travail, la laveuse jetta des cris désespérés: le' linge qu'elle avais mis à sécher près du four était tout brûlé. Le vacher.

COMMENT ENTRAINl!R SON CAiAcrËRE? 199

dans sa hâte de sortir, avait oublié d'attacher une des vaches; elle fit un saut, se prit le pied dans la crèche et se le cassa. Et tout ce dommage ... pour un malheu­reux verrou qu'on avait négligé de réparer!

l'arfois, le plus petit détail a une importance capitale ,dans la vie humaine. Est-il chose apparemment plus insignifiante qu'un brin de varech adhérant au flanc d'un bateau, en plein océan? Pourtant, lorsque les marins de Christophe Colomb voulurent se révolter contre lui à cause du long voyage resté jusque là sans résultat, le célèbre navigateur leur répondit . « Voici déjà les varechs, la côte ne peut être loin. »

Songe aux grands musiciens. Il faut qu'ils s'exercent chaque jour pendant de longues heures s'ils veulent devenir habiles dans les m~indres détails de la technique. François Liszt disait: « Si un seul jour je ne fais pas mes exercices, je m'en aperçois; et si je ne les fais pas pendant trois jours, le public s'en rend compte à son tour. »

Sais-tu ce qui constitue les fameux « rochers blancs» de l'Angleterre? Ils sont faits entièrement de coquillages de mollusques si petits qu'on ne les aperçoit qu'au microscope. - Et qu'est-ce qui meut les machines à vapeur, ces monstres effrayants? Ce sont de simples gouttelettes d'eau qui se changent en vapeur. - Quelle chose merveilleuse que le télégraphe 1 Or, sais-tu ce qui donna la première idée de cette étonnante découverte? Ce furent les observations de Galvani qui s'aperçut de ce fàit, sans intérêt au premier abord, qu'au contact de divers métaux, la cuisse coupée · d'une grenouille se mettait à faire des mouvements convulsifs.

prends rhabitude, toi, de ne jamais rien qualifier d'insignifiant dans ton travail.

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200 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Les cheveux d'Absalon.

Un roman de, Bjortlson est intitulé « Les cheveux d'Absalon ». Les personnages qui y sont décrits n'ont pas de grands défauts de caractère, mais ils se perdent tous à cause de leur mépris continuel des petites choses . . Seul, en effet, celui qui sait se discipliner dans les petites choses saura le faire aussi dans les grandes; et seul celui qui sait utiliser les plus courts instants saura se rendre maître du temps. Comment pourrait­on accomplir de grandes actions héroïques quand on néglige celles qui sont insignifiantes?

Essaye, toi, d'être toujours exact et ponctuel dans tes devoirs, ceux-ci te sembleraient-ils mesquins. Si tu es dans un pensionnat où, à six heures précises, chaque I?atin, on sonne le réveil, ne reste pas une minute de plus dans ton lit bien chaud, alors même que tu le pourrais. Mais lève-toi sur-le-champ et cours à ta t~lette. (( C'est là une bagatelle », dis-tu. En apparence seulement. En réalité, c'est un excellent exercice pour tremper ton caractère; car, chaque jour, c'est une nouvelle victoire sur la paresse~ - , , Si c'est l'heure de l'étude, ne bâille pas, ne tourne pas les pages de ton livre d'un air à moitié endormi

" . .. . , ne t etlre pas; malS faIS une petite prière confiante et fervente, et mets-toi au travail! - « C'est encore une bagatelle, cela! » - - Non, non! C'est une victoire du renoncement, c'est la trempe de ton caractère.

D'aucun criminel, d'aucun condamné à mort on n'aurait pu dire, dans sa plus tendre jeunesse, qu'il finirait sur l'échafaud. Mais les funestes suites de

COMMENT ENTHAÎNER SON CARACTÈtl.l:: 201

n'alcool, le « deliri~m trem,ens » .~!'~~l!l~~~e!lt au p.~~~l,w verre d'eau de VIe (on devraIt dU'e : « eau de mort »

plutÔt). Le point de départ de l'escroquerie, c'est la cupidité qui s'empare d'un jeune homme à son premier gain d'argent aux cartes. Le faussaire de lettres de change copiait, au collège, les devoirs de ses camarades. Et l'homme perdu de mœurs qui passe ses nuits dans les lieux de débauche n'en est venu là qu'en regardant des images indécentes, qu'en lisant des livres immoraux, qu'en s'amusant, tout jeune encore, avec des camarades

1 dépravés. Oui, on ne peut attendre d'un jeune homme qu'il se garde de grands écarts que s'il se corrige de ses petits défauts. On ne peut être sûr qu'il restera loyal en toutes circonstances que s'il évite fidèlement les plus petits mensonges,... qu'il restera honnête en toutes occasions que s'il l'est dans les moindres détails de la vie quotidienne. C'est ce que nous dit Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même: (( Celui qui est fidèle dans les petites choses, le sera aussi dans les grandes; et celui qui est infidèle dans les petites choses, 'le sera dans les grandes également. »

Tu dois comprendre maintenant la parole de saint Augustin : (( Quod minimum est, minimum est; sed in minima fidelem esse, maximum est. » « Ce qui eS,t une petite chose est une petite chose; mais être fidèle dans les petites choses est une chose considérable. »

Si tu veux devenir un bon escrimeur, il faut que tu apprennes tout d'abord à tenir l'épée ou le fleuret, que tu t'exerces aux positions de la main, aux parades, aux tenues de garde, etc, ... aux petits détails de l'escrime, en un mot. Au piano, tu ne joueras vraiment bien les sonates de Beethoven qu'après avoir acquis un excellent doigté au prix d'un patient et

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LE CARACTÈRE DU JEUNe HOMME

laborieux travail de plusieurs années. - As-tu vu \', des soldats faire l'exercice? Tu as dû remarquer alors quels mouvements de pieds et de mains presque grotesques on leur commande. Mais ces exercices ne sont grotesques et inutiles qu'en apparence; en fait, ils sont absolument indispensables en vue de mouvements d'ensemble plus compliqués. , « Nous dépensons notre fortune par florins et notre vie par heures; notre conscience s'émousse quand nous cédons aux petites choses; et, de même que, d'après les découvertes modernes de la science, des chaînes entières de montagnes ne sont formées que de débris d'animaux invisibles à l'œil nu, ainsi les plus grandes difficultés de la vie ne sont constituées que par une foule de bagatelles que nous remarquons à peine prises une à une » (Baron J. Eotvos).

La lampe du sanctuaire de la cathédrale de Pise.

En général, on attache peu d'Importance à une bonne faculté d'observation. Pourtant, cette faculté nous

' est un excellent moyen d'augmenter nos connaissances, de favoriser notre réussite dans la vie, et, aussi, de forti1,iernotre caractère.

Apprends donc à bien te servir <le tes sens, à tenir tes yeux fixés 'sur 'les événements de la vie, en d'autres termes à développer sciemment ta faculté d'observation.

Les yeux ne font que regarder, mais l'âme (jbserve.

COMMENT ENTRAlNER SON CARACT~RE?

Pour les Indiens, un brin d'herbe piétiné, des pas presque effacés dans le sable sont. comme un livre ouvert. Les astrologues arabes de l'ancien temps, qui ne connaissaient pas encore le télescope, avaient cependant de profondes connaissances sur la marche des étoiles. Les peintres chinois rendaient les mouve­ments de l'oiseau avec une fidélité incroyable. Tous, ils avaient une 'excellente faculté d'observation. ," ,

Ce ne sont pas seulement les pilotes d'avions et les équipages de sous-marins qui ont besoin de présence d'esprit et d'expérience pour prendre des décisions promptes et précises, ce sont tous ceux qui veulent voyager en sécurité sur le grand océan de la vie.

Le jeu scout appelé « Kim » est extrêmement utile pour développer la faculté d'observation. Au préalable, on place trente à quarante objets divers sur une table. Les joueurs peuvent les observer pendant quelques minutes; puis, leur tournant le dos, ils doivent les énumérer les uns après les autres. Essaye urt peu, ... tu verras qu'en commençant tu n'en nommeras guère que la moitié.

Un autre exercice de ce genre peut consister à se raconter, un soir d'excursion ou le lendemain', un événement dont plusieurs qui sont présents ont été les témoins. Tous, sois-en assuré, le feront d'une façon différente. - Ou bien, encore, on s'aligne les uns derrière les autres; le premier dit une phrase quelconque à l'oreille de son voisin; celui-ci la répète au suivant, et ainsi de suite. Lorsqu'elle sera transmise au dernier, ce ne sera plus du tout la même. - Elle est bien faible, notre faculté d'observation! Si faible qu'elle se trompe même sur les choses que nous voyons tous les jours.

Demande à ton ami: « As-tu déjà vu une montre?

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Que dis-tu? Mais je vois la mienne tous les jours! - Eh bien! dessine-moi son cadran. Je parie que

tu ne sauras pas le faire. J .? T . 1 - e ne sauraI pas.... u veux nre .. . . »

Et le voilà qui se met à dessiner, et dans son dessin il commet deux fautes: il écrit la quatrième heure ainsi: IV, et sur sa montre c'est. IIII, et il note le signe VI,

,qui ne figure pas sur le cadran ,car l'aiguille qui marque les secondes le remplace. - Voilà comment nous pouvons nous fier à la précision de notre observation!

Oui, exerce-toi à observer les choses à fond. On peut faire des découvertes très intéressantes en obser­vant la vie des ammaux, par exemple. Note comment l'écureuil casse la noisette; comment mangent le chien, le chat, l'oie; comment on donne à manger aux poules; comment l'oiseau de proie déchire son butin; comment rampent l'escargot, le serpent et la chenille; etc ... Tu vois tous les jours des chevaux aller au pas, au trot et au galop, mais pourrais-tu me dire cc qui carac­térise le mouvement de leurs pieds à chacune de ces allures?

Un badaud aurait-il les moyens de faire d,e grands voyages à l'étranger, il n'en tirerait aucun profit 1

: parce qu'il ne sait pas observer. Il regarde, mais 'il ,ne voit pas. Celui qui sait observer se plaît. au contraire, à analyser tout ce qu'il aperçoit. -

La faculté d'observation bien entraînée a déjà aidé l'humanité à faire des découvertes me.rveilleuses .. Que d'hommes avaient vu', une pomme' tomber du pommier avant Newton !Mais il fut le premier' à, Y réfléchir et il le fit si profondément qu'il trouva ,la loi de la gravitation. - Que ,d'hommes avalent vu la vapeur' soulever ' le couvercle d'une marmite! Mais PaPin

COM1'l'lENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE?

fut le premier qui approfondit ce phénomène etii découvrit le principe de la machine à vapeur. ~ Rontaelt trouva une plaque gâtée dans son appareil phot~graphique. Tu crois qu'il la rejeta avec colè.~e? Pas ' du tout. Mais il se demanda comment la lumlere avait pu pénétrer dans la chambre noire de son apparei~ et il découvrit les rayons, appelés de son nom, qUl traversent même les solides ... Voilà les résultats d'une observation attentive! ,

Le capitaine Bro'lPn, fort préoccupé de trouver un moyen de bâtir à peu de frais un pont sur le Tweed, se promenait un jour dans son jardin lorsqu'il aperçut tout à coup une toile d'araignée qui, de ses fils soyeux, reliait deux buissons l'un à l'antre. « Mais voilà ce qu'il me faut! s'écria-t-il. Un pont soutenu par des chaînes de fer, d'après ce plan! » Et, bientôt, le premier pont suspendu était construit. .

Ce fut de cette même manière que l'idée d'un tunnel vint à l'esprit de l'ingénieur Brunei. Il fixa son attention sur un petit insecte qui forait le bois d'un bateau, d'un côté d'abord, puis de l'autre, pour se frayer un passage. Et cette observation fut le point de départ d'une des œuvres les plus merveilleuses de la technique. le tunnel sous la Tamise.

Et sais-tu comment Galilée découvrit la loi du pen­dule ? ' En observant le sacristain du dôme de Pise verser de l'huile dans la lampe du sanctuaire, qui.

' suspendue à la voûte par une longue corde, brûlait devant l'autel. Combien de fois avait-on versé de l'huile ainsi dans cette lampe depuis des sièclesl Et que de gens avaient w cette opération si sim~le! Mais il fallait l'œil attentif, la faculté d'observatIon de Galilée pour lui fairé ren:.arquer le mouvement

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206 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

oscillatoire si régulier qu'un tout petit choc venait. d'imprimer à la lampe. Et Galilée se mit à réfléchir sur ce phénomène; et, après un travail assidu de cin­quante années, il trouvait la loi du pendule qui, depuis, lors, joue un rôle si important dans la mesure du temps et dans les calculs sidéraux. .

Travailler avec aine. . ..:r ...

Un· nouveau moyen ~~ -tout preniier 'ordre -po~r . entraîner sa volonté et former son caractère, c'est le

1 _ travail, l~ devoir quotidien qu'on fait avec' joie ' et de tout son C<l!ur. Les païens trouvaient le travail dégra­dant, indigne d'un homme libre. C'est le Christianisme qui en fit une vertu en enseignant précisément qu'il ennoblit celui qui s'y adonne, et en montrant en lui l'une des plus grandes puissances formatrices du caractère. Le travail,' en effet, fortifie grandement la volonté, car il demande de la maîtrise' de soi, du renoncement et de la persévérance. Celui' qui poS$ède une volonté assez forte pour travailler sans relâche et avec une exactitude consciencieuse se montrera: plus i courageux dans la maîtrise de ses passions que le : paresseux. qui est négligent et capricieux dans son 1

travail. Le travail 00116 rend sai1l6 et dispos de corps· et d'âmè, tandis que l'inactioo et l'oisiveté . nous lassent et mous affaiblissent. Le travail $Outenu fonne des hommes sérieux, honnêtes et patients.. . • Tu ne croirais pas, mon fils, combieri ceci ,fortifie" une volonté d'étudiant: faire ses devoirs et apprendre

,,-.. ~ ....... __ .-.. - ,," ,--- ..

,8:S leçons ~haque jour, ~egU1ièrement, ~e bon cœur, et aux heures fixées. Fais-toi donc uri programme bien précis pour chacune de tes journées, et, quand le moment de l'étude est venu, ne laisse aucune autre

.' occupation t'en détourner. Que le divan te promette un bon petit somme, que tu aies trouvé un roman très intéressant à lire, que tes camarades t'appellent pour jouer, n'importel Le devoir avant tout! Pr~nds joyeusement ton livre de classe. Le devoir accompli avec âme recèle une immense force éducatrice pour la volonté. Mais c'est seulement le vrai travail, le travail sérieux, qui a cette valeur éducatrice, celui qui nous assure une véritable victoire sur nos caprices, notre inconstance et l'amour de nos aises, et non le bricolage, ce travail auquel on ne se livre que pour faire passer le temps. Oui, fais-toi un principe d'accomplir tous tes travaux l~_ mieux possible. '. . J'ignore si tu as eu l'occasiort de voyager à l'étranger et d'admirer les magnifiques églises et les autres splendides édifices que le moyen âge nous a légués. Mais veux-tu savoir ce qui m'impressionne le plus, moi, quand je m'arrête sous les voûtes élancées du dôme de Cologne ou au milieu des saints en marbre blanc de la cathédrale de Milan? C'est la pensée que les artistes d'autrefois: architectes, sculpteurs, peintres, qui ont donné ici le meilleur de leur travail, qui ont mis toute leur force et toute leur âme dans ces œuvres, ont dû sérieusement ennoblir leur caractère! Aujourd'hui, hélas! le travail humain est si précipité, si superficiel, si mercenaire!

Tu goûteras un réel et grand plaisir en apprenant à travailler avec dme, c'est-à-dire en faisant le moindre travail avec bonne humeur, avec joie, de tout ton cœur.

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208 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Peu importe que ce travail soit très important ' ou , tout à fait insignifiant; ce qui importe, c'est que tu y

mettes auta7!:! ._~e_t.C!.n_ â.me que possible. Peut-être as-tu déjà entendu citer le nom de Carlyle,

le grand philosophe-historien anglais. Un jour , que son épouse faisait cuire du pain pour lui, elle dut rester près du four toute la nuit, le pain ne cuisant pas. A un moment, elle perdit courage et s'écria : « Pour­quoi suis-je obligée de m'occuper d'un tel travail? » Mais elle se reprit tout de suite et continua : « Est-ce que Benvénuto Cellini ne veilla pas une nuit entière

'près du four où l'on faisait cuire sa célèbre « Persée»? Or, quelle est la différence entre Cellini qui fait cuire sa statue et une femme qui fait cuire du pain pour son mari?» Voilà comment on peut faire cuire du pain avec âme! - Celui qui se comporte dans les petites choses aussi consciencieusement que dans les grandes est seul digne de respect.

Ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait. Quand tu ne voudras pas bien faire une chose, tu feras mieux de ne pas y toucher du tout.

Un ami de Michel-Ange, venant le visiter, s'étonna de le trouver toujours à son même travail. « Mais votre travail n'avance pas du tout! » lui dit-il. - cc Au contraire, répondit l'artiste, je l'ai beaucoup corrigé. Ici, j'ai ôté un peu d'argile; là, j'ai accentué cette ride. Ici encore, j'ai adouci les traits; et là, j'ai modifié l'expression de la bouche.» - cc Mais ce ne sont 'que des llÛnuties, ces retouches 1 » reprit le visiteur. (C C'est vrai, riposta le maître, mais ce sont les minuties qui' font la perfection, et la: perfection n'est pas une minutie 1»

Au cours d'un voyage à Milan, je montai sui' le toit de sa magnifique cathédrale, faite tout entière d'un

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 2°9

marbre blanc d'une incomparable beauté. Les tourelles qui surmontent le toit sont ciselées dans le même marbre, comme, également, les statues de saints, toutes plus belles les unes que les autres, qui « habitent » dans les niches de ces tourelles. On raconte que, lors de la construction de cette partie du dôme, quelqu'un demanda un jour au sculpteur: cc Pourquoi cet immense travail? D'en bas, personne ne verra ces statues. » -« Non, d'en bas, on ne verra rien, répondit l'artiste;

" mais Dieu les verra! » ... Dieu voit mon travail et cela me suffit! Que d'âme il y a dans un travail fait

, ' avec ce sentiment? Oui, le devoir rempli de tout cœur ennoblit l'âme;

mais le travail négligé et superficiel lui est nuisible dan.s la même mesure. Le travail fait sans âme, sans plaisir, à contre cœur, est pire que l'oisiveté la plus grande: il donne l'illusion du travail honnête, il n'est qu'un mensonge.

Est-on profane dans un ' art et veut-on s'y livrer quand 'même, on ne fait que des caricatures avec cette même matière qui sert à l'artiste pour créer des chefs­d'œuvre. De même on peut avoir l'amour du travail et s'en servir pour polir son caractère, comme on peut aussi ne s'y adonner que servilement et fléchir sous son joug.

L'homme est né pour travailler. Si donc tu dois le faire nécessairement, que ce soit de bon cœur, et la tâche la plus dure te deviendra douce.

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210 _ LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Le devoir.

Le-devoir 1 Quelle force magique a ce mot 1 Le dèvoir bi~il rempli enrichit l'individu et les nations; le devoir négligé peut les ruiner. Les peuples qui font leur devoir sont toujours victorieux de leurs ennemis; et ceux qui sont nonchalants sont appelés à disparaître. Dans une vieille église d'un pays étranger, j'ai vu, un jour, une image fort intéressante qui représentait les diverses vocations qui attendent les hommes. On y voyait le pape dans toute sa pompe, avec cette inscription au-dessous: « C'est moi qui vous enseigne tous » ... un empereur avec cette autre mcntion : « C'est moi

. , , 1 d' 'l'é' qUI vous gouverne tous » ... un gcncn\ armee, pce à la main, qui annonœ : « C'est moi qui vous défends tous )) ... un laboureur qui creuse un long sillon avec sa charrue ct qui dit: « C'est moi qui vous nourris tom; JI ... ct, tout au bas du tableau, un diable grimaçant qui ricane : « Et moi, je vous emporte tous, si \'Cms Ile faites pas votre devoir. » .

Quelle idée profond~ se cache derrière ces couleurs! Que tu sois empereur ou ' bboureur sur cette terre, qu'importe, si tu fais ton devoir! La vie humaine est une immense pièce de théâtre, et ~'.est Dieu Lui-même qui en distribue les rôles. Il ne dépend pas de toi de recevoir celui-ci ou celui-là, mais il dépend de toi de bien jouer ou de mal jouer le tien. Ce qui est important c'est comm~nt on joue, et , llon ce qu'on joue. Il peut arrive~ qu'on siffle celui qui remplit le rôle de l'empereur ' parce qu'il a mal joué; et qu'on acclame, au contraire, celui qui tient le rôle plus modeste d'un apprenti cor-

COMMËNT ENTMiNER SON CARACrÈRE?

délnnier, A tout moment, j'entends des jeunes gens me dire; en se lamentant : « Je ne sais quelle carrière choisir! Il y il trop de monde partout! » - Ne cràins rien, toi, mon fils! Dans toutes les carrières, il y a toujours pénurie d' hommes habiles, laborieux et fidèles à leur devoir!

Une fidélité inébranlable à son devoir recèle une grande force éducatrice. Fais toujours ce que ta situation est en droit J'attendre de toi, et, surtout, tout ce que tu n'aimes pas faire. Crois le poète' qui nous assure que la valeur de la vie ne se mesure pas aux désirs satisfaits, mais aux devoirs accomplis :

t Ton vrai bonheur, ô genre humain, 1 •

Dans cette pauvre VIC,

N'est pas dans les désirs atteints Mais dans les tâches remplies,

Une vie sans travail ressemble à un cadre,sans image. Pendant la guerre mondiale, les deux occupants d'un avion furent at,teints par un obus au moment où ils rentraient après un « raid » d'observation. L'officier chargé de notifier les positions de l'ennemi fut tué sur le coup, mais le pilote, malgré ses blessures mor­telles, réussit à atterrir à l'arrière de ses propres lignes. On se précipita vers lui. Et sais-tu ce que furent ses dernières paroles? Par phrases entrecoupées il décrivit les positions ennemies enregistrées dans l'appareil photographique que son compagnon serrait encore dans sa main crispée. Et, à l'heure où on les enterrait tous deux, on prenait les dites positions. Quel héros du devoir rempli jusqu'au bou,.!!

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212 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

({ Je ne suis pas disposé aujourd'hui! »

L'étude et le succès dépendent en premier lieu de la volonté et non des dispositions du moment. Pour­tant, j'entends souvent des écoliers s'excuser ainsi : " Je suis incapable d'apprendre aujourd'hui. Je ne suis pas disposé. Ce serait peine perdue d'essayer. Demain, je travaillerai pOl~r deux.;.

N'oublie pas, toi, que le travail remis au lendemain est toujours plus difficile qu'il ne l'eût été le jour même .

. ~c fais jamais dépcn.~re tes devoirs det~s ,dispositions. Un devoir remis est comme un revenant: il est pJu'~ menaçant d'heure en heure, il en vient à gâter nos plaisirs ... Si l'on a des dettes, on fait bien de s'en acquitter au plus t0t. - N'oublie jamais cctt~ r':gle si simple : ,Le devoir avant le plaisir!

J'en entcnch souvent d'antres me dire: « Je suis un oiH'au de m:llhcur. » - « Le professeur m'à pris en gïÏppc. )) - (C Je n'"i pas de chance ), etc ... La plupart de l'CS jeunes gens n'ont qu'un l'cul déff\ut : chez eux, c'est le plaisir qui vient au premier rang; après le plaisir, c;'('st nn gr:lnd rien; ct puis, bien loin par derri':~rc, c'er,t enfin1e devoir.

Tu a::: certainem·:nt entendu raconter l'histoire du soldat de Pomp0i. Lorsqu'cn l'an 79 J'éruption du Vésuve inonda la contrée de lave et de cendres brûlantes, et que les habitaIlts de la région, désespérés, affolés, s'enfuyaient dans le plus grand désordre pour échapper à la mort, ce soldat romain resta à son poste, debout, sans broncher. Dans le désarroi général, on avait

cœ,'!MENT ENTRAîNER SON CARACTÈRE? 21 3

oublié de le relever; et, par devoir, il continuait sa faction ... La lave descendait vers lui en bouillonnant, et les vapeurs sulfureuses qui s'en dégageaient n'allaient plus tarder désormais à l'asphyxier. C'était un véritable enfer qui le menaçait ... Mais le soldat resta fidèle à sa consigne. Il se laissa enterrer vivant dans les cendres brùlantes, ainsi que l'attestent des fouilles faites récemment. (Aujourd'hui, le casque, la lance et la cuirasse de ce soldat sont conservés au musée Barbo­nico à Naples). Fidèle à son devoir jusqu'au bout, il se laissa brûler par la lave plutôt que d'entacher l'honneur du soldat romain. -

Peut-être, mon fils, les obligations militaires ne seront-elles jamais les tiennes; mais d'autres, non moins grandes, t'attendent à coup sûr! Tu en as envers Dieu, envers ton prochain, envers l'Église, envers ta patrie. Ce que je vais te dire maintenant te semblera dur peut-être; mais je dois le faire, car il ne s'agit de rien

'I l moins que de ta dignité d'homme. Ce n'est pas pour \~ y être heureux ni pour y prendre le plus de i! jouissances possible que nous sommes sur la terre, f J mais pour j faire notre devoir, pour y accomplir la tâche ~:

Il que Dieu nous a confiée. « Ma nourriture, c'est d'ac-complir la volonté de mon Père », a dit le Rédempteur du monde, et c'est ce que nous devons répéter après Lui.

Beaucoup de jeunes gens passent tout leur temps à attendre de meilleures dispositions, une humeur plus favorable pour étudier. Pourtant, comme le dit Horace, celui qui s'est mis au travail l'a déjà accompli à moitié; et celui qui tarde toujours à mettre en pratique ses bonnes résolutions ressemble fort au paysan qui se tiendrait les bras croisés tant que les eaux qui

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMM,E

inondent ses terres ne se sont pas retirées, alors qu~fl, pourrait les empêcher de monter, empêcher surtout l'action néfaste de leurs vagues.

Di'llidium facti, qui cœpit, habet; sapere aude. lncipe! Qui recte vivendi prorogat horam, Rusticus expectat, dum defiuat amnis, at ille Labitur et labetur ill omnc volubilis alVllm.

Toute ' créature, au ciel et sur la terre, est soumise à la volonté éternelle et divine du Créateur. Les lois de la nature Lui obéissent avec une fidélité et une exactitude minutieuses. Les étoiles font leur révolution ct les planètes tournent ' autour de leurs soleils, non' par leur volonté propre, mais parce qu'elles y sont contraintes. Seul, l'homme n'est pas contraint d'obéir aux lois de Dieu, car Dieu Lui-même lui a donné le libre arbitre. Il peut s'opposer à sa sainte volonté, et c'est précisément cela que nous nommons le péché. Mais s'il ne veut pas vine dans les ténèbres, s'il ne veut pas se perdre et périr, il doit pourtant se soumettre aux lois divines - tout aussi bien que le moindre insecte ou le plus petit brin d'herbe. - Toi, mon fils, sois donc bien fidèle à tous tes devoirs, aux plus insi­gnifiants eux-mêmes, et accomplis-les toujours le plus scrupuleusement possible afin que l'on puisse répéter de toi l'éloge que l'on faisait un jour d'un simple maçon: (1 A chaque tuile qu'il posait sur la tuile précédente, on pouvait voir comme il était consciencieux. Il

Nelsou, le célèbre amiral anglais, mourut en disant: " Dieu soit loué, j'ai fait mon devoir! Il Quelle immense ct sublime consolation, au terme d'une vie passée dans le travail! J'aimerais qu'un jour tu puisses en dire autant de toi-même.

COMMENT ENTRAIN ER SON CARACTÈRE? 2JS

n est né trop tard!

Cela pourra te sembler étra.nge, et p~ut-êtrene me croiras-tu pas en ce moment, si je te dis .que l'homme inactif ne peut pas être heureux, Le travail est néces­saire même pour assurer la santé physique. Si la charrue traîne dans un coin, elle rouille; mais ell~brille au soleil si elle sert au labour. Eh bien, clest là même chose pour les hommes; l'esprit du fainéant se rouille et les yeux de l'homme laborieux brillent de joie. Car on ne peut changer la condition de l'homme, qui

J est de manger son pain à la sueur de son front. La nature elle-même confirme cçtte loi par ce fait très curieux que les hommes inactifs n'ont pas ~ne longue., vie, et que, par contre, les hommes qui atteignent l'âge le plus avancé sont précisément ceuX qui ont passé leur vie entière à travailler. La peur du trava11 est une maladie moderne. Ici, encore, l'absence de fermeté dans les décisions se fait sentir, car il est indéniable que. le travail demande de la maîtrise de soi, de la discipline,

'une volonté forte, en un mot. Personne n'est travailleur par nature. De même que la loi de la gravitation attire 1

la matière vers la terre, de. même la nature molle de. l'homme nous porte à ne rien faire. Si, po,:rtant,<' d'un noble élan, on réussit à vaincre cette paresse umée" on jouira plus tard avec bonheur des bénédictions du

travail. Le secret du succès, c'est de toujours prendre goût

au travail! Je connais des jeunes gens qui se préparentf

à i'étude penùant une heure avant de se ~écider .à commencer, mais ils ne sont pas au travail depU1S 'une demi-heure qu'ils en ont déjà assez.

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

« Mais si mon travail ne va pas 1 Mais si mon devoir m'ennuie 1 » N'importe 1 Une volonté énergique et virile est capable de vaincre cet obstacle comme les autres. Commence-le toujoursl Tu verras qu'une fois à l'ou­vrage tout ira bien malgré ta mauvaise humeur du début. Mais si tu bâilles pendant une demi-heure, si tu t'étires sans fin, si tu remues tes livres et tes cahiers avec dégoût avant de commencer d'apprendre, tu as déjà créé une atmosphère défavorable au travail. Et puis, observe un certain ordre, même dans tes études. Serva ordinem et ordo te servabit. « Sers l'ordre et l'ordre te servira )J, disaient les anciens. Les devoirs accomplis méthodiquement ont une double valeur. Par le travail désordonné, sans but, et fait au hasard, on ne peut, au contraire, que perdre son temps. Les occupations dispersées ne valent guère plus que l'inaction.

Les biographes de beaucoup de grands hommes nous font constater que, chaque soir, ceux-ci se faisaient pour le lendemain un ordre du jour où chaque travail et chaque occupation avaient leur place bien déterminée. Essaye d'en faire autant, au moins dans les grandes lignes. Mais alors n'en cède rien 1 Par exemple : A une heure, je reviens de l'école; c'est l'heure du dîner. Je me repose jusqu'à deu" heures et demie. Ensuite, jusqu'à cinq heures, je fais mes devoirs; de cinq à six, je joue ou je sors; de six à sept, je fais de la musique ou bien je prends une leçon d'anglais; après souper, je lis; ~ neuf heures du soir, je fais ma prière et je me couche.

Quand l'heure -du -travail est arrivée, il faut t'y mettre de suite. Mais là, tout de suite, à la minute, inexorablement. Même si une petite voix intime te

. murmure à l'oreille que tu as bien le temps, que tu

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 2 17

peux attendre à demain matin, qu'il fait un beau soleil aujourd'hui ... ne te laisse pas fléchir! Le devoir avant toutl

Tu t'apercevras qu'en distribuant bien ton temps tu feras bien plus de choses qu'en voltigeant d'une tâche à l'autre sans plan bien arrêté. La vie est si courte, et il y a tant de choses dignes d'être apprises 1 ... Économise donc bien le peu de temps qui t'est accordé. Le proverbe anglais dit avec raison :

·'f Pour devenir riche, sage et sain, Couche-toi tôt Et lève-toi toujours de bon matin!

i /

J'ai connu un écolier qui, invariablement, était toujours en retard. Il ne lui arrivait même pas par exception d'être exact. Ses compagnons le plaisantaient continuellement. « Il est né cinq minutes trop tard, disaient-ils, et il n'a jamais pu rattraper ces cinq minute~-là. )) A l'âge d'homme, il devint absolument incorrigible. Üans sa profession, il avait des désagré­ments journàliers à cause de son retard habituel...

\

N'arrivera-t-il pas en retard au ciel? En retard de cinq minutes seulement 1. ..

cc Notre horloge retarde. })

Un homme se précipite dans la salle d'attente, hors d'haleine. « De grâce, laissez-moi Basser; il faut que je prenne le train de XI ... » - « Il vient de partir », lui répond le contrôleur avec calme. - « Mais c'est

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218 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

affreux!... Que faire à présent?.. Il faut de toute nécessité qùe je parte ce matin! ... Cela va me causer une perte immense! » se lamente le voyageur navré. A vrai dire, il n'a pas le droit de se plaindre; le train était parti à la minute précise. C'est lui qui n'était pas à l'heure. En général, les choses de la vie sont toujours exactes, ce sont les hommes qui ne le sont pas.

Je crois vraiment que cet homme qui vient de manquer son train se levait à huit heures moins cinq lorsqu'il était écolier et qu'il est toujours arrivé en retard à l'école. Ces premières petites inexactitudes ont probablement engendré sa manière · de penser si légère et si superficielle d'aujourd'hui.

Au juste, qu'est-ce qu'être exact? Une chose très simple, en somme : «( commencer tout de suite une chose dès que le temps en est venu, et la cesser tout de suite dès que le temps en est passé. » Celui qui s'en tient à cette règle si simple fera tout ce qu'il doit faire et, de plus, il fera tout à temps. L'exactitude com­mence de bon matin. Voici le moment de te lever, disons 6 heures. Aussitôt, il te faut sentir clairement que le temps du repos est fini et sortir du lit d'un bond héroïque. Si tu fais cela, tu n'auras pas lieu de te plaindre que tu n'as pas le temps de faire ta prière du matin. Ce n'est que lorsqu'on se retourne de l'autre côté et qu'on s'attarde sur son oreiller pendant un quart d'heure que le temps fait défaut pour prier.

Vient l'heure de l'étude. Quel bonheur si tu peux être exact ici encore, si tu peux commencer tout de suite, sans t'y préparer pendant une demi-heure en bâillant, en t'étirant, en comptant les boutons de ton habit, en murmurant: « Dois-je commencer ou non? Dois-je apprendre ou non? » - En partant à l'écQle,

COMME.~T ENTRAINER SON CARACTÈRE? 21 9

en écolier exact, n'oublie à la maison ni ton cahier ni ton livre; et, quand tu en reviens, ne les jette pas pêle­mêle dans ta chambre. Tu n'auras pas ensuite à t'excuser, en disant: « Je ne s:lÎs pas oùje les ai mis ... »

On peut toujours se fier à un jeune homme exact qui tient ses affaires en ordre, car il prouve tous les jours la fermeté de son caractère.

ttre exact 1 quels mots sans éclat, n'est-cc pas? Pourtant, l'exactitude a une importance inccmparable dans l'éducation du caractère. Etre fidèle à son deyoir cent fois par jour, autant de fois que le tra\'ail l'exige, être consciencieux jusque dans les plus petits détails,

il travailler a'1Jec âme, même si personne ne nous voit. peut-on imaginer un appui plus efficace pour arriver à la grandeur morale et à la gravité dignes de toute confiance? Le proverbe a bien raison de dire que « l'exactitude est la politesse des rois ), car il faut vraiment une grandeur royale, un courage et une per­sévérance héroïques pour vaincre tous les obstacles et ce rendre toujours à l'appel sacré du devoir sans jamais chercher à s'y soustraire. Les grandes tâches de la vie ne peuvent être confiées qu'aux hommes qui savent être exacts toujours et partout. Le jeune homme exact est presque toujours plus riche que son camarade inexact, même si celui-ci reçoit plus d'argent de poche de ses parents. Comment cela se fait-il? C'est bien simple. L'un ne le dépense que pour les choses dont il a vrai­ment besoin et après avoir pris l'avis de ses parents; Fautre, au contraire, achète tout ce qui lui plaît dans le premier magasin venu. Celui qui connaît la vakur du temps est toujours exact. Celui qui ne se fait pas attendre témoigne qu'il sait apprécier son temps et celui des autres. Par contre, l'homme qui s'habitue à être

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_ ... _~-".---_ ........ ~ 220

LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

fan~que et inexact deviendra peu à peu incorrigible et fi111ra par manquer à sa parole.

, On ne peut guère se fier à la parole d'un homm mexact; et l'homme inexact qui manque à sa parole fai;

Lauta~t de mal à la société qu'un violent agitateur e Jeune h' . .

omme qUI, au contraire, est exact dans toutes ses occupations prouve ch '

, , ' aque Jour sa volonté sa probIte et son caractère. - Sais-tu ce qui est enco ' un effet du caractère? Si tu as dit « oui» il faut ~e ta parole soit inébranlable' et SI' tu d . d" q e '1 f ' OIS 1re « non» 1 aut q~e tu aies le courage de le dire franchement' l' C( MonslCu~ le professeur, notre horloge retarde» c'es~

excuse habItuelle des écoliers en retard M" "1 voulaie t At f . aIS, SIS

n e re. rancs, ils devraient dire : « Monsieur le profess~ur, Je suis en retard parce que je suis négli-gent et desordonné. » Ta montre retarde ~ S' ce W. h' .... aIs-tu , que . ~s l.ngton répondit à l'un de ses clercs ui

s eXcusaIt amSI de son retard? ( Eh b' q une autre . (Ien, proc/urez-vous

L' '. montre, ou Je me procurerai un autre clerc» amIral Nelson disait: « Je dois tous mes .succè . ,

ce que J"ai t' fi . s a , OUJours 111 meg tâches un quart d'heure

avant 1 heure convenue. » Je le crois volontiers.

L'étudiant pauvre.

J~ sui~ toujours ému quand je vois la lutte presque sur umame. que q~elques jeunes gens ont à soutenir pour pOUvoIr contmuer leurs études J'e . d t 1 . n reVOIS un

on . es parents très pauvres vivaient à 1 t ét . . a campagne

e aIent mcapables de l'aider effi . cacement sur ce

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 221

point. Le jeune homme apprenait bien; il était très appliqué. Il se levait tôt pour avoir le temps de faire ses propres devoirs et d'instruire un camarade plus jeune. Il ne déjeunait pas le matin, et, le midi, prenait son repas dans une famille compatissante. Son habit était rapiécé. L'hiver, sa chambre n'était pas chauffée. lin étudiant élégant et parfumé était son voisin de classe. Celui-ci avait un col de fourrure à son manteau 'd'hiver et, pendant la récréation de dix heures, il débalo

. lait· avec nonchalance un petit pain beurré avec du jambon en canapé. Mon pauvre jeune ami le regardait faire et les larmes lui venaient presque aux yeux. «(Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi dois-je lutter si amèrement?.. ;) disait-il.

Écoute, mon fils, si tu es un de ces étudiants pauvres, je voudrais te consoler. La pauvreté n'est pas une honte. Et puis, les années d'études passées dans la lutte ont une immense valeur ' éducatrice. Ton camarade riche, qui grandit dans le bien-être, gaspillera facilement le temps précieux de' sa jeunesse, qui ne reviendra pas, dans les divertissements, les plaisirs, les distractions continuelles, dans les sports poussés à l'extrême, ce qui serait encore le moindre mal. Pour lui, l'école dérange ses distractions habituelles, tandis que pour le pauvre l'étude est un plaisir, un rafraîchissement, une conso­lation, l'espoir d'un avenir meilleur. Je connais beaucoup de jeunes gens chez qui le manque d'idées

. sérieuses et l'absence de goût pour le travail sont justement motivés par un trop grand bien-être. En 'compagnie d'amis également légers, ils perdent leur temps à jouer des tours, à se promener dans les rues élégantes, à danser et à flirter. Oh t je ne veux pas nier que la pauvreté puisse nous donner bien des moments

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, LECARAÇ!tÈRE DU iEUNE HOMME

-ame.~s, qù'elIe ' puis~e mê'me couper les ailes à plus d'un tal~nt; mais. je . suis sûr qù'un beaucoup plus grand nO!D-?re Ade talent~ ct de caractères se sont dans noyés le. blen-etre. Le Jeune homme très riche .n'a aucune raIson pour travailler. Pour le piùvre, au contraire, le m.on~e est comme un magasin où, grâce à son traAvall, Il pe\lt ,s'ac~eter ce qu'il veut; et si, à l'âge mur, s~n travaIl lUl 'procure un~ bonne position il verra 1.Ul-même combien il est redevable aùx privati~ns de sa Jeunesse. .

Le je~ne h?mme riche. - même s'il n'a que de , bonnes ~ntentlOns .- ~e se procure qu'un diplôme

par ses etudes; malS le Jeune homme pauvre acquiert, en outre, en souffrant de la faim et du froid au cours de ses années de collège, la confiance en lui-même la fermeté, la promptitude dans la décision et la fac~lté d~ se dominer dans toutes les situations. Sans doute ble? ~es ~alents se perdent dans la besace de la pauvreté, malS 11 s en perd l-ien plus encore dans le bien-être que procure la richesse. - ---

« Les d~eux vende~t tou~es leurs marchandises pour de la monnaIe de travall)J, dIt un proverbe grec. Et André Carné?ie, le milliardaire ôien connu, nous donne toute une ltste de grands industriels américains qui com­me~cèrent le.ur carrière comme simples ouvriers ou petlts commIS sans fortune : Wanamaker Claflin FO,rd, Field, Barr, Rockefeller, Gould, S~ligmanri: . Wllson, etc. .

a.arfi;el~ q~i, plus tard, devint président des États­U?IS, etaIt SI pauvre dans sa jeunesse qu'à l'â e de seIze ans, quand l'idée lui vint de s'embarquer, ~l dut se présenter comme moissonneur chez un fermier p~ur gagner les frais de son voyage. Le fermier le

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE? 223

refusa, en disant que pour cet ouvrage-là il avait besoin d'hommes et non de jeunes garçons; .

« Et si le .jeune garçon peut faire l'ouvrage d'un homme, ne vaut-il pas tout autant? )) lui demanda Garfield d'un ton respectueux, mais ferme. Et la réponse plut au maître qui gagea le jeune homme

sur-le-champ. Le lendemain, le fermier l'envoya faucher avec

quatre hommes dans la force de l'âge, q~i, après avoi.r plaisanté le nouveau moissonneur, se mIrent au travaIl avec vigueur, croyant bien que leur jeune compagnon perdrait vite haleine. Mais ils se trompaient. Celui-ci les suivit si bien qu'ils furent bien contents tous les quatre de se reposer à midi. Les mains de Garfield étaient pleines d'ampoules, mais il ne se plai~nait pas. Après dîner il pria même les autres de le laIsser con .. , "1 duire la moisson: il voulait montrer au maître qu 1

savait travailler en homme. Les moissonneurs Y consen­tirent, muis ils le regrettèrent bientôt car Garfield mena le travail à une telle allure que ces quatre hommes, qui ' se piqüaient de ne pas rester en arrière, étaien~, quand vint le soir, complètement fourbus. Garfield, lUI, ne semblait pas du tout fatigué; et, lorsque les autres furent couchés, il demanda même une chandelle au fermier. _ « Pourquoi faire? )J s'étonna celui~ci. -« Je voudrais étudier un peu, répondit Garfield, car, pendant la journée, je n'en ~i pas eu l~ tem,ps. ':-: « IVlais, mon garçon, tu as travaIlle pour trOIS aUJourd hUI" tu as besoin de repos. Au fait, comment t'appelles-tu?)) _ « Je m'appelle James Abraham Garfield», répondit-il en prenant sa chandelle. Et il monta dans sa chambre, et il étudia une bonne partie de la nuit. Ce pauvre étudiant devint le président des États-Unis l

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Et je pourrais t'en écrire des pages et des pages de ces histoires-là. La vie est pleine de ces exemples encourageants.

Les jeunes gens pauvres qui sont devenus des grands Ilommes.

Stephenson, l'inventeur de la machine à vapeur, naquit dans une misérable cabane de mineur. Son père passait ses jours à surveiller la machine qui remontait le charbon de la mine. Lui-même fut d'abord employé à trier le charbon; puis, plus tard, à conduire le cheval qui tirait la machine. - Watt fabriquait des orgues, des flûtes et des boussoles pour pourvoir à sa subsis­tance alors qu'il se cassait la tête à ses grandes décou­vertes. - Herschel, le célèbre astronome, était musicien dans un orchestre. Pendant les entractes, il s'empressait de sortir pour observer les étoiles avec son télescope; après quoi, il s'en retournait faire de la musique. Il n'était qu'un petit musicien inconnu lorsqu'il décou­vrit la planète Uranus, ce qui le rendit célèbre d'un seul coup. ,- . Franldin vécut longtemps de travaux typographiques et de la vente de livres. - Fergusso1Z était portraitiste. - Canova, le sculpteur incompa­rable, était carrier comme son père et son grand-père; et c'est tout en travaillant à cet humble métier qu'il développa son grand talent. - Tintoret était tein­turier; - Caravage, aide-maçon; - Giotto, pâtre. ­Le père de Haydn était maître-charron, et très pauvre. - Celui du grand physicien Faraday était

COMMENT ENTRAi NER SON CARACTÈRE? 225

forgeron. Lui-même fut ouvrier-reheur jusqu'à l'âge de vingt-deux ans. - Copernic était fils d'un boulanger polonais; - Kepler, celui d'un aubergiste allemand. -Newton et Laplace appartenaient à de simples familles de paysans. Et qui sait? S'ils n'avaient eu à soutenir une lutte aussi pénible avec les circonstances, peut-être n'auraient-ils pas réussi aussi bien à faire valoir leur talent et leur application. Quels exemples magnifiques et consolants, n'est-ce pas? pour illustrer ce fait que le vrai talent et le travail soutenu peuvent vamcre les plus grands obstacles!

Mais continuons. Les poètes hongrois GrégOlre Czuczor, Jean Arany

et Michel Tompa étaient fils de simples paysans. -Le père de Michel Vorosmarthy, poète également, était un pauvre intendant qui mourut tôt, laissant beaucoup d'orphelins; et Michel dut gagner sa vie, à partir de seize ans, en instmisant des camarades plus jeunes. - Le grand peintre hongrois Munkdcsy com­mença sa carrière comme apprenti-menuisier; - - et Joseph Kàtona, écrivain hongrois, dut aider son père dans son métier de tisserand.

La vie de Shakespeare nous est inconnue; mais nous savons qu'i! était fils de parents pauvres. Johnson, plus tard Président des États-Unis, fut ouvrier-tailleur dans sa jeunesse. - Un autre Président du même pays, Lincoln, était fils d'un journalier, et lui-même fut bûcheron, puis charpentier, pendant dix ans~

Continuons encore. Nulle part les circonstances ne sont aUSSI .propices

aux jeunes talents que dans l'Église Catholique. T out le monde sait que les hommes élevés aux plus hautes dignités ecc1tt~astiques sortent très souvent deR familles

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226 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

les plus simples. Le célèbre cardinal Georges Frater de 1I1artinuzzi était si pauvre au temps de sa jeunesse qu'il devait gagner son pain en chauffant des fours; il avait seize ans passés lorsqu'il commença ses études. - Jean Vitéz, archevêque d'Esztergem, était fils d'un pauvre paysan slave. - Et voici toute une lignée d'archevêques qui viennent d'en-bas : Szelepcsényi était si indigent qu'un évêque dut subvenir aux frais de ses études' Scitovszky était fils d'un modeste maître d'école; le~ parents de Jean Csernoch étaient de simples paysans.­Même parmi les papes, voici Grégoire VII, l'un des plus grands, qui était fils de charpentier; Sixte V, fils de berger. Le père d'Adrien XIV était un batelier tellement miséreux qu'il ne pouvait pas même acheter une bougie pour éclairer sa chambre le soir; et son fils qui plus tard devint pape dut apprendre ses leçons à la lueur des lampes de la rue.

Et quel est donc le secret de toutes ces carrières merveilleuses? Le talent? Oh 1 oui, sans aucun doute. Mai~,. plus encore, une volonté de fer, la persévérance, la dilIgence, un bon emploi du temps.

La valeur du temps.

Les anglaison,t un proverbe très court quet9utle monde connaît : « Time is money » - :« Le temps"c'est

de l'argent, » Mais il ne dit pas assez. Le temps est plus que l'argellt : il est l'étoffe clans laquelle nous taillons notre vie~Celui qui veut réussir dans la vie doit con­naître la valeur du temps et n'en perdre aucune minute:

COMMENT ENTRAINER SON CARACTERE?

De nos jours, le temps gagne continuellement en importance. La vie devient si agitée que ce n'est plus que dans les tout petits villages qu'on peut se permettre de causer de la pluie, de la condition des semailles et de la santé de toute la famille, avant d'en venir au fait ou de conclure un marché.

Dans les bazars d'Orient, il est encore d'usage que le marchand - en vue de tromper son client - vante sa marchandise, fasse des compliments, assure que tel article lui a coûté à lui-même plus cher qu'il ne le vend, qu'il est incapable de céder sur le prix, etc. Il parle tellement que, le temps de conclure une affaire, il aurait pu en traiter dix. Mais dans les pays avancés en économie sociale, négociants, clients, hommes d'affaires et fonctionnaires parlent peu. En Angleterre et en Amérique surtout, il n'est pas rare de voir des inscrip­tions comme celles-ci, suspendues aux murs des maga­sins : « Si vous avez fini vos achats, allez-vous en, s'il vous plaît. » - « When you have done your business, please trot» ou : « Nous voyons nous-mêmes quel temps il fait. » - « We know aU about the weather »

ou bien encore: « Nous avons lu tous les journaux» -« We have read aU papers. »

Dans les grandes bibliothèques, je m'arrête souvent, étonné, devant les nombreuses œuvres de saint Augustin, de saint Bonaventure, de saint Thomas d'Aquin, etc. Comment ces saints qui furent si occupés pendant leur existence ont-ils trouvé le temps d'écrire toutes ces pages? Pour la plupart, ils n'ont eu qu'une vie relativement courte,. p<:>urtant.

Je contemple, par exemple, les ' œuvres de ûiint Thomas d'Aqùin : trente-quatre volumesin-f61io! Comment cet hOl1).me, qui. pendant sa vie de tiri';

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

quante-deux ans seulement, prêcha et enseigna beau­coup, a-t-il pu trouver le temps d'écrire tout cela? Et puis, ce ne sont pas des romans qu'il a publi~s, mais des traités sur les plus graves problèmes de la philosophie et de la théologie.

Oui, où prenaient-ils tout ce temps, les saints ?. Ils le gagnaient en ne gaspillant jamais une seule minute de leur vie. Celui qui veut créer quelque chose de grand doit concentrer toutes ses forces jusque dans les plus petites choses;

Le secret des grands hommes, c'était le bon emploi de leur temps. L'heure est faite de minutes, et celui qui sait utiliser toutes les minutes finit par gagner des heures et des journées entières. « Tempus omnia fert, sed et aufert omnia tempus. » - « Le temps amène tout, mais il emmène tout aussi. » C'est une grande science que de tirer profit de chaque minute. Un moine de l'ancien temps écrivit sur l'horloge du couvent de Hamersleben :

Prœteritum effiuxit, nonclum venereIutura; PK.:2SenS in puncto vertitur, illud habes; Pllnctum illud prœsentis habes, recte utere; merttf Virtuti, vitio pœlla superstes erit.

- Le passé s'est enfui, l'avenir n'est pas encore venu; Le présent est un point dont tu es le maître; . Ce point du présent qui t'appartient, utilise-le parfaitement; Une récompense pour la vertu, et pour le vice un châtiment; C'est tout ce qui en survivra.

Il avait parfaitement raiscm! Mais on peut aussi faire l'expérience contraire. Très

fréquemment, ce sont justement les oisifs qui n'ont pas le temps. L'étudiant paresseux remet toujours: son ·

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

travail au dernier jour, à la dernière heure, et il écrit son devoir de français pendant la nuit qui précède la classe. Et puis, crois-tu que ce sont les gens riches, vivant sans soucis, qui travaillent-le plus pour le bien public, pour l'humanité, ou qui écrivent les meilleurs livres scientifiques? Non, mon ami. Le plus souvent, ce sont justement ceux dont les journées sont occupées du matin au soir. - Elle est vraiment bien grande, la valeur du temps t

20 minutes = 12.000.000 de dollars !

Évidemment, le temps est une chose bien précieuse! Mais, après tout, combien vaut-il? Ceci : vingt minutes valent 12.000.000 de dollars! Comment cela? demandes-tu. - Entre Buffalo et New-York, la voie ferrée contournait originairement une vallée profonde, la vallée de Tuckhannock. Plus tard, les Américains construisirent au-dessus de la vallée, pour y faire passer le chemin de fer, un viaduc gigantesque qui coûta 12.000.000 de dollars. Ce viaduc raccourcit le voyage de New-York à Buffalo de vingt minutes. Les Américains donnèrent donc 12.000.000 de dollars pour gagner vingt minutes!

C'est très vrai ce que Gœthe écrit dans son « Faust »,

même en le faisant dire à Méphistophélès :

Usez de votre temps vite écoulé, C'est l'ordre seul qui aide à en gagner.

Ce .qui importe surtout, c'est que tu profites des . années de ta jeunesse pour étudier et pour travail\Fr:

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

car ces années sont précisément celles où tu dois te préparer à la vie, faire provision de savoir et de capitaux ~pi~itueJs en vue de l'avenir.

Les sociétés d'assurance ne demandent qu'une somme excessivement petite ame jeunes gens qui n'ont pas encore atteint leur vingtième année pour les assurer sur la vie; car elles savent bien que la plus petite somme mise de côté dans la jeunesse, grandie par les intérêts, deviendra importante au cours des années. Or cette règle est également valable pour le capital spirituel amassé dans la jeunesse. Celui, par exemple, qui apprend l'allemand à quarante ans, en profitera pendant vingt ou trente ans, selon les probabilités humaines; mais celui qui l'a appris à vingt ans, en profitera pendant quarante à cinquante ans. Et non seulement pourra-t-il s'en servir deux fois aussi longtemps, mais il en aura le bénéfice à l'âge où il choisira sa carrière, et cela ne sera pas sans utilité pour lui dans sa détermination. Retiens bien, mon fils, qu'il ne dépend que de toi d'amasser ainsi des capitaux spirituels pour ton avenir. Et n'oublie pas que tout le savoir que tu auras acquis au temps de ta jeunesse te rapportera de réels intérêts tout le long de ta vie.

'., L'organisme humain lui-même démontre cette thèse. On ne fait pas aussi bien les exercices de gymnastique à l'âge mûr que dans la jeunesse; l'organisme complète­ment développé n'en a pas alors, du reste, aussi grand besoin. De même, on n'apprend pas aussi facilement lorsqu'on a grandi que lorsqu'on est jeune: nos facultés intellectuelles n'ont plus la même élasticité. Si l'on n'a pas terminé ses études à l'âge de vingt-quatre ou vingt­cinq ans, il est bien probable qu'on ne les finira jamais. Les dispositions à l'étude diminuent d'une façon appré-

CPMMENTENTRAINER SON CARACTÈRE? 23 1

ciable vers la seconde moitié de la vingtaine. L'intel­ligence est alors plus apte à produire qu'à reèevoir. Siron ne possède pas une chose à fond à cette date, on ne la saura probablement jamais qu'imparfaitement.

Je n'ai pas besoin de te dire que je n'ai nullement l'intention de tendre les gens malades à force de trayait Tout le monde a besoin de délassement, je le sais bien; et le repos lui-même doit avoir son temps. Mais n'essaye pas de mêler le travail et la distraction; cela nuirait à tous les deux. Si tu travailles, fais-le de toute ton âme~ et si tu te reposes, ne donne plus aucune pensée au travail, mais ris, amuse-toi, goûte aux joies pures de la vie. Surtout, ne perds jamais ton temps à rêvasser et à ne rien faire!

cC' Transeunt et imputantur ! »

Jadis, on aimait à inscrire sur les grandes horloges de sages maximes qui rappelaient la rapidité du temps. L'une d'elles porte l'inscription suivante: « 1'ranseunt

t, et imputantur. » Ce qui signifie à peu près : « Les minutes s'écoulent les unes après les autres, mais de Joutes tu devras rendre compte. » Est-ce que cela ne, te d()nne pas une idée de la soup1esse des heures,

,de'J'agilité des minutes, de leur hâte à défiler et à 4isp~raître? Ne sens-tu pas .la brise du te~ps qui l'ass~ ,en ,te frappant au visage? , ·.'Tran$~nt et imputantur! Le sotivenir de cet avertis­..$e,~en(n'e ferilit certainement , pas de mai à la plupart dçs.1eunê$~1t~),1~. 11 Y,en a tant qui excellent dans Vârt

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LE CARACTÈRE DU JEUNB HOMM!

de voler le temps, qui ne veulent pas comprendre que 1 le travaille plus important e§t celui qu'on fait dans sa

jeunesse parce que c'est alors qu'il faut se créer un 'fonds pour toute la ... ie. .

'. , Le travail est le sel de toute vie, Qui la préserve de toute avarie;

r On ne peut s'attendre à l'aide de Dieu Que si l'on a travaillé de son mieux.

(TOMPA)

A un certain moment de leur adolescence, les jeunes gens deviennent facilement rêveurs.

Ils font des vers sur le clair de lune; ils tissent le roman de leur avenir; leur imagination leur montre les situations les plus brillantes et, pendant ce temps, ils négligent tout travail sérieux. Un tel travail leur demanderait bien plus de volonté que le roman ébauché dans leur imagination; et ils n'ont pas de volonté ... Ils sont capables, ces rêveurs-là, de passer des semaines entières à contempler le héros de leur roman favori et à murmurer à son adresse les mots les; plus tendres ... Et le temps s'envole sans qu'ils en aie~t profité.

« !-a rêverie indolente corrompt la vie », dit le poète hongrois Vorosmarthy. Peut-on s'étonner sile jeune homme qui s'y adonne a de la peine à quitter ce monde. aux couleurs sentimentales pour descendre dans le grave domaine du devoir et du travail? Si on l'y oblige, il travaille sans ambition, sans bonne volonté, sans entrain. C'est surtout à celui-là que je voudrais crier l'avertissement de l'horloge: Transeunt et imputantur/

\ ' "

COM!\'IENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 233

Quand le passé redeviendra présent.

Pourquoi donc ne t'est-il pas permis de gaspiller ton temps dans l'oisiveté ou dans des distractions inutiles?

1 La première raison, c'est que !e temps et , la vi.e. terrestre ne t'appartiennent pas! :qieu te le~ ~ a prêtés

, seulement et, un jour, tu devras Lui en rendre un compte 1 exact.-'Quand~ ë(;la? T'u l'ignores. Tu sais seulement , . .

que tu peux mourir à chaque minute, et qu'alors ton Dieu prendra en main le grand livre de ta vie, et qu'à

'\ ce moment-là ton passé redeviendra présent. !l fau! \) donc que tu te tiennes prêt il. chaque ins~nt. Cela \ 'ne te ferait aucun mal d'y perrser quelquefois ... « Mais j'en suis si loin encore », dis-tu. Bon; admettons que cela soit vrai. Il est non moins vrai que chaque heure de ta vie t'en rapproche un peu!.. Et qui sait si tu en es aussi loin que tu le penses? Le vieillard doit mourir, mais le jeune homme peut mourir aussi. J'en ai déjà tant vu disparaître de douze, quinze, dix-huit et vingt ans.

Une idée étrange me vient ici. Que ferais-tu si un grand médecin te disait, après t'avoir examiné à fond, que tu n'as plus que huit jours à vivre? Comment emploierais-tu ces huit jours, dis? N'aurais-tu pas bien des choses à réparer? Ne devrais-tu pas demander pardon à celui-ci et à celui-là? Ne devrais-tu pas te défaire de bien des défauts et laver ton âme de bien des péchés?

Qui que tu sois, Je suis persuadé que tu utiliserais cette dernière semaine de ta vie bien mieux que tu n'as utilisé les autres .. Pourtant, l'expérience donne cent fois

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234 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

raison au proverbe allemand: « H.eute rot, morgen toto Il

- Sur les joues, aujourd'hui la rougeur de la vic, et demain la pâleur de la mort.

Écoute comment Michel-Ange, le célèbre artiste du XVIe siècle, qui, pourtant, avait créé des chefs­d'œuvre d'une beauté incomparable, se plaint, sur ses "ieux jours, d'avoir perdu son temps :

Malheur, malheur à moi 1 Ils m'ont trompé, Les jours fuyants et le miroir si franc Qui, pourtant, dit la vérité toujours A ceux qui le regardent dans les yeux. N'hésitez pas, hâtez-vous, mes amis! Le temps s'enfuit, et, comme il m'arriva, Vous vous réveillerez un j our vieillards. Repentir, bon vouloir et bons conseils Viennent trop tard. Je sens la mort de près. Et, mon propre ennemi, Je verse en vain les larmes de mon cœur La pire des pertes est la perte du temps

Et voici la même pensée dans les beaux vers de Rückert·

"Le temps Il'arrête pas, mais l'mstant a disparu. S'il ne t'a pas servi, ru ne l'as pas vécu Il n'y a pas d'arrêt pour toi nOn plus, jamais' Si tu ne deviens pas meilleur, tu deviens plus mauvais . Si tu omets un j our ce que tu devrais faire, :ru refuses la grâce accordée p2r ton Père.

« Vulnerant omne$, ~,Itima llecat. J) « Chacun de ses coups te blesse, le dernier te tuera )J, ... encore une inscription trouvée Sur une vieiiIe horloge. Réfléchis-y un peu : Comme la vie humaine est courte 1 On compte à peu près trente ans pour une génétation : une goutte

COMMENT ENTRA!NER SON CARACTÈRE? 235

dans l'océan du temps ! Le quart des enfants qui naissent meurent avant l'âge de sept ' ans; la moitié n'atteint pas les dix-sept; un seul homme sur cent vit jusqu'à soixante; et un seul sur cinq cents arrive à quatre­vingts. Chaque jour, 120.000 hommes meurent sur la terre et je ne compte pas dans ce nombre les victimes de la guerre. Cela fait cinq mille par heure, et quatre­vingts par minute. Représente-toi cela : jour et nuit, quatre-vingts hommes meurent à la minute!.. Puis­qu'elle est si courte que cela, notre vie, comment nous serait-il donc permis de la gaspiller à ne rien faire?

Profite autant que tu le peux du temps qui t'e,st donné! Comme elles sont tristes ces paroles du sage Sénèque: « La plus grande partie de la vie des hommes se passe à faire du mal, une autre grande partie à ne rien faire, et presque tout le 1'este à faire autre chose que ce qu'on devrait faire. »

'l Pour vivre sagement, il faut savoir que nous mourons 1 continuelleruent. C'est là une idée bien grave! Tu as

beau tirer en arrière l'aiguille de l'horloge, la mort la pousse en avant malgré toi ... , et le temps s'envole ... , vite, très vite ... , et les années que tu as vécues jusqu'ici appartiennent déjà à la mort ... Et combien t'en reste-t-il encore à vivre? Qui le sait, hormis le Tout-Puissant? C'est là une excellente raison pour bien employer chacune de leurs heures. - Le passé n'est plus tien; l'avenir ne l'est pas encore; seul, l'instant présent est à toi. Utilise-le donc aussi bien que tu peux. Quand tu auras vieilli, tu te rappelleras avec joie tes jeunes années passées dans un travail honnête.

Pendant qu'il en est temps, profite de tes jours; Les instants envolés sont perdus pour toujours.

dit le poète hongrois Czuczer.

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Les jeunes gens sont souvent prodigues de leur temps. « J'ai tant d'années encore à vivre !)) pensent-ils. La pensée des grandes éventualités qui les attendent dans la vie les laisse insouciants et légers; ils s'enivrent de leur perspective comme le fait celui qui aperçoit l'immensité de l'océan pour la première fois. Pourtant, l'océan a aussi ses côtes, et, si jeune que tu sois, l'océan de ta vie n'est pas infini non plus.

Aujourd'hui, l'homme sait mesurer la vitesse des atomes, compter les centaines et les milliers de vibra­tions qu'ils font à la seconde, mais il est incapable de mesurer le temps lui-même car le temps s'enfuit encore plus vite que cela. - « Mais nous avons des horloges d'une finesse et d'une sensibilité extrêmes! )) dira-t-on. Non, le temps ne se mesure pas. La plus .fine des horloges ne montre qu'une chose: que le temps s'envole avec une rapidité incroyable!

Non numerantur .••

Du temps, seule la minute présente nous appartient ... Oui, tâchons de l'utiliser aussi bien que possible.

Le temps a trois allures tour à tour : Le pas de l'avenir est hésitant, Le présent s'échappe en une seule seconde, Et le passé reste fixé pour toujours.

(SCHILLER).;

Au fond, nos horloges et nos montres nous illu­sionnent. En recommençant chaque j our à nous indiquer

COMM[NT ENTRAÎNER soN" CARACTÈRE? 237

le présent , ('1 1,, :, : ' (" <~ «1,,1 ,,,1 "f'~ ' i' ·, ' If' "ernps (":c,nL

ne revient plus jan\.I;·L~. _, t, 1 1~ \."- .~ l e. r..L de penser qu 'un seul instant dçmt nous avons mal profité peut avoir une influence décisive sur notre vie tout entière. - Un petit train local ne retarde-t~il que d'une minute seulement, cette seuJ.e minute peut nous faire manquer le départ du rapide.

I( l\'Ionsieur perd une heure chaque matin, et il ne la retrouve plus de la jouL1ée n, disait un serviteur de son maître qui était trop paresseux pour se lever à temps. C'est, dans le cas, une observation bien juste !

«( Il vécut vingt ans )), dit une inscripti,on sur la pierre tombale d'un jeune homme. « Comme c'est peu!)) dit quelqu'un à côté de moi. Peu? Non. S'il a vécu ses vingt ans, c'est-à-dire s'il les a utilisés selon la volonté de Dieu, s'il a profité de chacune de leurs minutes, il a rempli un temps immense en peu d'années.

( Non numerantur, sed ponderantur. Dieu ne compte pas les années, il les pèse.

Les hommès Îisent volontiers les l~vres qui ont des titres comme ceux-ci: «( Le secret d'une longue vie. )) « Que faire pour vivre longtemps ?)) etc. C'est un désir bien naturel de vouloir prolonger sa vie ici-bas, et je te conseille, mon fils, de tout faire dans l'intérêt de ta santé. Mais n'oublie jamais ceci: la plus longue vie terrestre ~rrive bien vite a satin; et"i l es~ sage, dès iôrs, pour se procurer le droit à la vIe "éternelle - à une vie éternellement heureuse - de l'employer tout èntière au service de la vertu. . '

Celui qui se souvient que la vie terrestre est bien éphémère ne fait pas d'écarts et ne perd pas son temps .

. Celui qui pense souvent à la mort · devient de plus en plus ,!érieux. En face de la mort toutes)es sottes

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

vanités, toutes les avidités et tous les soucis matériels s'évanouissent.

La plus importante de nos luttes avec le sort, Le plus grand de nos actes, c'est la mort. En récompense de ce fait si grand, La couronne céleste nous attend.

(WElS, Sagesse de la vie).

A la pensée de la mort, la chaleur de notre sang sc refroidit d'un seul coup. Nous posons la plume et, passant la main sur notre front couvert de sueur, nous nous demandons: « Mon Dieu, en fin de compte, pourquoi toute cette agitation, tous ces soucis, si, au bout du chemin, le tombeau nous attend? » Et c'est ici que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous console en nous parlant de la vie éternelle qu'Il nous réserve par-delà le tombeau.

Si la pensée de la mort fait pâlir l'ambitieux et l'égoïste, elle ne paralyse nullement le travail humain bien compris. Vivit Christianus ut aliquando motiturus, moritur ut semper victurus. Çelui qui cherche encore !a vie au-delà de la tombe ne craint pas de regarder la Tort en face. Il sait qüe « si toute chose passe, la valeur de la vie vertueuse reste éternellement. » « Om1lia cumpereunt, est virtus sola perennis. »

Quand la vie éternelle projette en avant ses premiers rayons, déjà le moribond voit sa vie terrestre dans une lumière toute différente. Ah! Plaise à Dieuqu.e per­sonne, absolument personne, ne se voie contraint de prononcer sur son lit de mort, de Ses lèvres décolorées, cette terrible phrase : {(J'ai vécu en .vainl Oui, en vain! J'ai toujours poursuivi des choses viles et passagères. Et, maintenant, je dois me présenter devant mon Juge les mains vides! )

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE? 239

Que de mourants j'ai vu ainsi pleurer, à leur dernière heure, sur la légèreté insouciante de leur jeunesse 1 ... Mais je n'en ai jamais rencontré aucun qui se soit

, repenti, à cet instant suprême, d'avoir été le fils pieux et obéissant de son Créateur. .,

Ars longa~ vita brevis.

Les proverbes ne so~t pas toujours justes, mais celui-ci a cent fois raison: « Ars longa, vita brevis.») « Nous en avons long à apprendre et la vie est courte. » Je dirai même qu'il devient de plus en plus vrai car . 1 d ' ,

SI a. urée moyenne de la vie humaine ne diminue pas senSiblement, le champ d'action de l'esprit s'élargit de jour en jour en des proportions immenses. Les connaissances que nous pouvons nous app,roprier par l'étude augmente continuellement, et la courte durée de la vie terrestre n'y suffit plus.

« Si nous ne pouvons pas apprendre tout, il serait plus sage de ne rien apprendre », remarque Jean­le-paresseux. Et il se réjouit d'avance de cette belle perspective.

Mais comme il se trompe!.. Parce que c'est un terrain impossible -à mesurer que nous avons à exploiter, il nous faut précisément utiliser chaque minute de notre .temps; .habilement et sérieu~eP1ent . • Celui qui . sait éco~onùser son tempspeut~ accomplir ' une ' foule de choses ici-bas, ne vivrait-il .. que quelques années.

Réfléchis un peu à ceci, qu'on entend souvent dire: « Bah! pour dix minutes, pour un quart d'heure,

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

ça ne vaut pas la peine de commencer quelque chose 1 »

Si on commençait quand même, on pourrait gagner des heures, des jours, voire même des semaines en une seule année. Et combien cela en ferait-il au cours d'une existence! Et qu.elle en serait la valeur? - Ah! quelle folie de laisser tous ces quarts d'heure se noyer dans la mer sans fond de l'éternité, sans en avoir profité! Personne ne peut savoir combien de temps lui est accordé ici-bas; mais cette pensée doit nous inciter d'autant plus à bien utiliser celui dont nous disposons.

Celui qui aime à profiter de son temps ne dira jamais que, dans le quart d'heure qui vient, il est vain de commencer quelque chose. Gœthe a bien raison de dire: « Il vaut mieux faire une chose de toute petite importance que d'estimer une demi-heure sans importance. »

J'ai lu quelque part que la femme d'un écrivain lui servait habituellement ses repas avec un quart d'heure de retard, et que, pendant ces quarts d'heure, il écrivit l'un de ses livres. - « Le temps est de l'argent. » On ne peut rien acheter avec de la petite monnaie, m.ais on ne la jette pas à cause de cela; on peut très blen la placer à la caisse d'épargne. De même, il ne faut pas gaspiller les petits fragments de notre temps, mais les utiliser habilement. Il est vrai que pour utiliser ces petits bouts de temps - cinq minutes, dix minutes -il faut non seulement de l'intelligence, mais encore une volonté ferme! Et, par contre, il ne faut vraiment pas avoir une volonté bien forte pour prendre la résolu­tion, au mois de septembre, d'être bien appliqué à ses études « à partir du mois de mai prochain ».

Tâche donc,mon fils, d'utiliser tes moindres ins­tants. Consacre-les, par exemple, à l'étude d'une langue

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE?

étrangère. Tu verr!ls quels progrès étonnants tu peux faire en quelques mois seulement en ne . t'y livrant guère que quelques minutes par jour.

Tu peux très bien, aussi, profiter de ces petits instants pour faire quelque travail qui ne demande pas une attention très fixe ou qui ne . requière pas un entraînement préalable de l'esprit dans une certaine direction; par exemple, pour écrire une lettre, pour recopier le brouillon d'un devoir, pour mettre de l'ordre dans tes notes, etc. Les écoliers qui demeurent en ville peUvent gagner beaucoup de temps en se livrant à une lecture facile pendant les trajets qu'ils doivent faire en autobus ou en tramway. Ceux que le bruit de la ville et le vacarme des rues ne gênent pas peuvent même utiliser ce temps d'une manière plus sérieuse. 11 m'arrive souvent de voir des jeunes gens, des étudiants de l'université, apprendre de l'anatomie, des mots anglais ou des mathématiques en se rendant à leur cours. C'est bien, cela! Cela fait gagner un bon nombre de quarts d'heure qui, autrement, seraient perdus.

cc Quieti, non otio. )}

Sans doute il faut aussi se reposer, se délasser du travail. L'arc toujours tendu perd son élasticité, ' sa force de tension. Mais il faut que le repos succède au travail et non à la paresse. Seul, l' homme qui a précé­demment travaillé se repose. Celui qui « se repose »

sans avoir travaillé est un fainéant. Les Romains inscrivaient , sur le portail de leurs 1

Cal' , ,J, Homme, - 16

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LE CARACTÈRE. DU · JEUNE HOMME

villas d'été : cc Quieti, non otio. » « Pour le repos et non pour l'oisiveté. » C'était une devise d'une grande sagesse. Le repos et la paresse sont deux notions qui s'excluent mutuellement. Ne permets donc jamais, toi, que le repos prenne dans ton esprit la signification de l'oisiveté. Sois toujours occupé à quelque chose. Si tu n'étudies pas, livre-toi à un exercice quelconque.

Je ne vois aucun mal à ce que, pendant tes vacances, tu délaisses la stéréométrie, la trigonométrie, les bons vieux Thucydide, Euripide, Tacite et Salluste. Mais ...

. n'oublie jamais ce que dit un poète allemand _

Dans le repos, on fait bien quelque chose; Et, au travail, un peu on se repose.

(LOGAU)

Même si tu n'habites pas dans une belle contrée pittoresque, tu peux toujours faire de jolies excursions qui serviront non seulement à tremper ta force phy­sique, mais aussi à recréer ton âme. Si tu appartiens à une troupe de scouts bien conduite - je souligne le mot: bien conduite - ta vie de camp sera une distrac­tion d'une grande valeur qui remplira très profita­blement une partie de tes loisirs. Tu peux te distraire aussi en travaillant à tel ouvrage manuel qui te fait plaisir, . ou en pratiquant tel exercice physique dans lequel tu veux te perfectionner. Promenades, excur­sîons, ouvrages manuels, lecture, tout cela est parfait en guise de repos pendant les vacances.

Fais n'importe quoi, mais ne t'ennuie pas! Je voudrais te prouver maintenant que l'ennui est

dangereux non seulement pour l'âme mais encore pour le corps, que la paresse et l'oisiveté endommagent la

'.

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE?

santé bien plus ·que le travail, que celui qui s'ennuie raccourcit sa propre vie. Cela, tu ne l'aurais pas cru, n'est-ce pas? cc C'est justement pour ménager mes forces que je reste inactif », me diras-tu. Eh bien, {

' écoute un peu. Celui qui 's'ennuie commence à bâiller. Or, sais-tu quelle est la cause d'un bâillement? C'est que le sang, à la suite d'un ennui, ne se répand pas librement à travers les poumons parce que, alors, le cœur et les vaisseaux sanguins ne travaillent pas suffi­samment. Si notre oisiveté et notre ennui durent longtemps, la circulation de notre sang sera troublée, nos organes digestifs deviendront paresseux, et ceci entraînera une langueur et une anémie générales, en un mot, certains désordres dans la r~gularité de notre vie corporelle.

Observe un peu en quel temps les hommes com­mettent le plus de péchés, sc laissent aller aux querelles et aux assassinats. C'est dans leur temps libre et non pendant celui de leur travail.

Tu as dû en faire l'expérience toi-même, il t'est cent fois plus facile de garder ton âme contre les mauvaises pensées et les mauvaises actions pendant les mois d'études, lorsque tu es chargé de travail, que pendant les vacances, alors que tu n'as rien de très pressant à faire. La langue allemande a la même expression pour dire (c paresseux » et cc pourri » : (c faul. » Est-ce une coïncidence seulement? Quoi qu'il en soit, elle semble affirmer que l'âme du par,eSseux commence à se gâter, à pourrir. c( Never to he doing nothing » était

A l'excellente devise de Walter Scott: « Ne jamais rester \' sans faire quelque chose. » .

, Tdus les écoliers attendent impatiemment les grandes vacances, et il fattt avouer que ceux q,ui on~ vraiment

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

travaillé pendant dix mois en ont un réel besoin. Après ces dix mois d'études presque ininterrompues, ils peuvent enfin fermer leurs livres et prolonger leur sommeil; mais cela ne veut pas dire qu'ils doivent rester au lit, par paresse, longtemps après leur réveil, car c'est le corps seulement qui est paresseux. L'esprit ne se repose pas, il produit continuellement des pensées; et quand ces pensées ne sont pas de la bonne graine, elles sont des chardons, des mauvaises herbes, de l'ivraie. L'âme humaine ne cesse pas de travailler, elle ressemble à un moulin. Si on lui sert du bon grain, elle fournit de la farine bien blanche; mais si on ne lui donne rien à moudre, c'est-à-dire si on la laisse paresser, elle se broie elle-même.

Mets en pratique l'excellent conseil que saint Jérôme donnait au jeune Népotien : « Semper te diabo/us occu-

( patum inveniat. » « Q~ue le diable te trouve toujours occupé », et tu n'auras jamais rien à craindre de lui! . Si ton jardin est bien entretenu, le chardon et les mauvaises herbes ne pourront guère y prendre rHcine; mais ils l'auraient vite recouvert si tu le laissais inculte.

\ De même, si tu ne fais « rien du tout » pendant le:; vacances, les mauvaises herbes morales se multiplieront dans ton âme.

Encore une excellente distracuun pour le temps des vacances : la lecture. Tu ne pourras jamais réaliser aussi bien ce que je t'ai recommandé sur ce sujet dans mon livre « 'L'instruction du jeune homme » que pendant ces jours de liberté,

Et puis, que les vacances éprouvent aussi la force dè tes sentiments religieux! C'est pendant leur durée que tu montreras si la piété de ton âme est sérieuse ou non. Au c~llège, tu es obligé d'assister à la messe,

COMMENT ENTRAÎNER SON CARACTÈRE? 245

de te confesser régulièrement, etc. Mais, en vacances, personne ne t'y contraint, personne n'est là pour te contrôler; et si, en ces circonstances, tu négliges tes devoirs religieux, tu n'es pas un beau caractère.

Tu vois bien que les vacances ont leur réelle impor­tance malgré qu'elles soient un temps de repos pour les études ... A l'automne, les arbres paraissent cesser tout travail mais, en réalité, ils ne restent pas oisif:;; à cette époque et pendant tout l'hiver, ils ra~semblent leurs forces pour le bourgeonnement du printemps prochain. Eh bien, les vacances sont aussi le temps où tu dois faire provision de forces pour les études de l'année qui va commencer bientôt.

La chose la plus difficile du monde?

On sourit malgré soi en regardant ces anciennes cartes géographiques où figurent de vastes territoires inconnus marqués par des taches blanches sur lesquelles se trouve écrit . : « Hic sunt ieones » « Ici, demeurent des lions. »

Eh bien, beaucoup d'étudiants qui savent par cœur quels minéraux se trouvent dans les mines des Monta­gnes-Rocheuses et quelles bêtes fauves habitent dans les forêts vierges du Congo, ignorent complètement les valeurs latentes de leur âme et n'ont aucune idée des passions farouches qui dévastent leur propre cœur. Déjà, le païen Pythagore recommandait à ses disciples de se poser les questions suivantes deux fois par jour,

';11

avant midiet dans la soirée: « Qu'ai-je fait? Comment, ,\ L'ai-je fait ?, Ai-je fait tout ce que je devâis faire? » _

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LE CARACTÈRE DU JEUNE · HOMME

Sextius se demandait chaque soir: cc A quelles faiblesses de mon caractère ai-je cherché remède aujourd'hui?( Quels défauts ai-je combattus? En quoi suis-je devenu meilleur? » - Sénèque, païen également, écrit : c( J'ai l'habitude de m'examiner chaque jour. Le soir, après a voir éteint la lumière, je parcours ma journée en pensée et je mets toutes mes paroles et toutes mes actions sur le plateau de la balance. »

Ils avaient raison. On ne peut être maître de /Soi­même que si on se connaît à fond. Le mécanicien n'est maître de sa machine que s'il la connaît jusqu'à la dernière vis, que s'il sait exactement le degré de tension que la chaudière peut supporter, que s'il sait régler les soupapes, etc.

Mais sais-tu pourquoi les hommes n'aiment pas pénétrer jusqu'au fond de leur âme? Parce qu'ils ont peur du spectacle qui les y attend, de la multitude de défauts, de faiblesses, de sentiments égoïstes et de manquements à la charité qui s'y trouvent. Peut-être t'es-tu déjà trouvé toi-même dans une telle situation, as-tu dit et fait des choses dont les hommes t'ont vanté, mais que tu reconnais, en y réfléchissant sérieu­sement, n'avoir dites que par vanité, n'avoir faites que par égoïsme, n'avoir omises que par entêtement.

Celui qui ne connaît pas sa propre âme aime à rendre les autres ou les circonstances responsables de ses propres fautes. « Il n'y a rien à faire, je n'ai pas de 'chance! » affirme un jeune garçon qui a échoué en latin. S'il voulait être franc, il devrait dire: « Je ne me suis pas appliqué. » - (c On m'agace toujours à la maison », ajoute un autre, alors qu'il devrait parler àinsi:« Une autre fois, je tâcherai. de. ne pas être si insupportable et si capricieux. »çe n'est pas en vain

COMMENT ENTRAIN ER SON CARACTÊRE? 247

que le temple de Delphes portait Cette inscription : cc Connais-toi toi-même! »

Un jO,ur, on demandait au sage Thalès quelle était la chose la plus difficile du monde? (c La chose la plus difficile, c'est de nous connaître nous-mêmes, répon­dit-il, et la plus facile, c'est de médire des autres. »

l' Nous connaître nous-mêmes est une tâche difficile, mais l . ~ndispensa.ble! Pose-toi donc souvent ces questions :

cc Quelle est ma véritable nature? Quels sont les désirs, les forces, les tendances qui se trouvent en moi? Tel livre, telle musique, telle chanson sont du goût des autres; qu'est-ce qui me plaît à moi? Les choses attrayantes ou sévères, sérieuses ou gaies? - Les autres se comportent de telle façon en société; quel y est mon maintien, à moi? Suis-je timide ou hardi? -Quelle est mon occupation favorite? Vaut-elle la peine que je lui consacre tant de temps, peut-être tant d'argent? - Pour quelle fin ai-je été créé par Dieu? II a donné un but spécial à toutes ses créatures: quel est le mien? - Quel est mon principal talent ?. ( mon défaut dominant? - Qu'est-ce qui me réussit le mieux? - Quelles sont mes vertus, mes qualités ? .. J'en ai si peu, et il ne dépend pourtant que de moi d'en avoir davantage! - Quels sont mes défauts? J'en ai tant, et il ne dépend que de moi, encore, d'en avoir moins! etc. ·»

Nomme-moi celui qui t'en impose, celui qui sait soulever ton enthousiasme, et je te dirai qui tu es. Si tu es en admiration devant les riches, tu as une mentalité de matérialiste. Si tu te plais à te frotter aux hommes élevés aux dignités, tu es vaniteux et ambi­tieux. Si l'homme honnête, probe; sérieux, est ton idéal, c'est que tu l'es toi-mê~e. ~

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

Vois-tu, mon fils, le jeune homme qui se pose fréquemment de telles questions met chaque jour un peu plus de lumière en son âme, et, au bout de quelques années, se connaît parfaitement. Il connaît ses aptitudes, ses dispositions, et, ses examens passés bril­lamment, il n'hésite pas un seul instant à choisir sa carrière.

Tout va bien!

A bord des grands paquebots transatlantiques, il est d'usage, à l'heure du crépuscule, avant que les passagers se retirent, de faire monter un matelot à la vue perçante dans la hune de vigie. Il promène len­tement ses regards sur les eaux qui s'étendent à perte de vue tout autour de lui; puis, d'une voix haute et grave, il prononce ces mots: « Ail right! » « Tout va bien!" - Reposez-vous en paix. - C'est ce même regard scrutateur que je voudrais, mon fils, te voir jeter sur ta journée, chaque soir, à _~~n examen de conscience.

Si nous voulons charger des accumulateurs élec­triques, il nous faut tout d'abord les isoler; autrement, le ' courant se répandrait partout. De même, tu dois isoler. ton âme des impressions du dehors dont les ondes tourbillonnent tumultueusement dans le monde, et, le soir venu,réfléchir avec calme et faire la lumière dans ' ta conscience.

Des champignons vénéneux et des mauvaises herbes <le tO'utes sortes ont. vite fait de croître là où le soleil p:e pénèt~tpas. Je. te con.seille donc. de t'arrêter,

COMMENT ENTRAîNER SON . CARACT~RE? 249

au milieu de ta prière du soir, avant de te' co~cher. pour reparcourir ta journée en pensée et te poser la question : ~( AU right? » « Tout est-il bien? Qu'ai-je fait aujourd'hui? Qu'ai-je omis de ce que je devais faire? Ai-je bien fait ce que j'ai fait? » Et si tu trouves que tu as commis une faute ou un péché, que tu as omis un devoir, lève les yeux vers ton Crucifix et prie ainsi : « Seigneur, je suis coupable. Pardonnez-moi. Je ferai mieux demain. »

Benjamin Franklin, ce grand fils des États-Unis, l'inventeur du paratonnerre, travaillait avec un sérieux admirable à purifier son âme de ses moindres défauts. Il savait quel pouvoir les choses les plus insignifiantes , ont sur nous, et il composa pour son usage personnel un tableau-statistique qui devait beaucoup faciliter le contrôle quotidien de ses actes. Il groupa toutes les

1 vertus en treize principales sur lesquelles il ne manquait jamais de s'examiner avant de prendre son sommeil: sobriété, discrétion, ordre, décision, ingénio- . sité, application, franchise, justice, modération, pureté, paix du cœur, chasteté, humilité. Et, chaque -soir,_ il. se réjouissait de ses victoires ou pleurait sur ses omissions.

« J'ai désiré vivre de manière à ne jamais commettre. de faute, écrivait-il un jour. J'ai résolu de combattre toutes les faiblesses, sachant, ou du moins cr.oyant savoir ce qui est bien et ce qui est mal. Je ne pouv~is pas m'imaginer que je ne serais pas capable de toujours faire le premier et de toujours éviter le second. ».

Il était très sévère avec lui-même. -Chaque soir il notait par de petites croix dans son tableau-statistique s'il avait péché contre telle ou telle ' vertu. Voici l'un de ses comptes rendus d'une semaine

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250 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

D L M M J V S - -------1------- - ---

DiSCRETION............ + + + -------- -- -- -- - - -- -- --ORDRE .................. + + + + + + 11------ -- -- - - -- -- -- -- --DÉCiSION •••.•..•.•. ••.•

f:coNOMIE .......... .. 11---- - --- -- - - _. - - r-- -- - "-

ApPLICATION ......... 11---------1--- - - -- -- - - -- - -

SOBRIÉTÉ ..... .. ... . ... .

ETC ... . ................. .

Ne pourrais-tu pas pratiquer toi-même, mon fils, pendant quelques années, cet excellent moyen de t'éduquer toi-même ? ... Si tu trouves trop ennuyeux

, ce contrôle par le tableau, ?u moins n'omets .lamais ton examen de conscience au cours de ta prière du soir.

Chaque fois qu'on enterre un Président des États­Unis, tout travail et tout commerce s'arrêtent pendant cinq minutes au moment de la sépulture. On ferme les magasins fourmillants de monde; les trains station­nent en pleine campagne; les piétons s'arrêtent dans les rues .. . Pendant cinq minutes, c'est une pause silen­cieuse qui doit rappeler le grand événem~nt. -­L'éducation de ton âme est une tâche assez importante, je pense, pour que tu t'imposes chaque soir un momellt de silence, pour que tu fermes ton esprit aux impres­sions du dehors et que tu fasses sérieusement un retour sur toi-même.

Mais sois inflexiblement f~~~ëdans cet examen? On ne trompe personne aussi facilement que soi-même.

Que trouveras-tu au fond de ton âme? Des choses qui te surprendront parfois. Mais si tu

COMMENT ENTRAIN ER SON CARACTÈRE ?

as le courage de ne pas te mentir, tu pourras souvent répéter l'aveu de Franklin après un examen de con­science rigoureux: « Je voyais avec horreur que j'avais bien plus de défauts que je ne pensais; mais j'avais la satisfaction qu'ils allaient toujours diminuant. Souvent, j'ai été tenté de cesser mes examens de con­science de chaque jour; cette exactitude minutieuse que j'exigais de moi-même me semblait u~~ m~s~~iner~e morale. Je continuais cependant. Et SI Je n al Jamais pu atteindre la perfection que je recherchais avec tant d'enthousiasme - à dire vrai, je suis même resté bien loin derrière elle - ces efforts m'ont néanmoins aidé à devenir meilleur et m'ont rendu plus heureux sur tous les points. »

Au cours de cette enquête intime, tu remarqueras que tu es naturellement porté à la colère, à la paresse, au mensonge, à une sensibilité exagérée, à la gourman­dise, à la moquerie, etc. Neva pas te rassurer comme tant d'autres, en disant: « Je n'y peux rien. C'est ma nature, et on ne change pas sa nature. » C'est exactement ici que commence le travail de ton éducation personnelle. On ne peut pas étouffer sa nature, c'est vrai, ni la détruire; mais on peut très bien l'ennoblir, la grandir,~ 'en un mot: l'entraîner. On peut pratiquer les vertus contraires à ses défauts; c'est même un excellent moyen de mettre de l'ordre dans ses penchants instinctifs désordonnés.

Et puis, mon enfant, dans l'éd~cation de ton ~aract~re il faut que tu observes un certam ordre. Examme bien tes défauts les uns après les autres, et commence par combattre ceux auxquels tu as l'habitude de céder.

-" sciemment et volontairement, les yeux ouverts,ét en dépit ,des "protestations de ta conscience. ~Ceu~-ci

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

vaincus, continue par tes ,étourderies et tes légèretés; puis, après avoir triomphé ici encore, par tes petites imperfections. .

Celui qui ne salt pas se maîtriser n'est pas encore un caractère parfait. Mais il est clair que pour savoir se maîtriser il faut d'abord se connaître. - Quel degré de tension telle chaudière peut-elle supporter? Combien de combustible demande-t-elle? Laquelle de ses sou- ' papes travaille le plus? Où montre-t-elle trace d'usur~ ? Où doit-on graisser le plus souvent? .. Seul, le méca­nicien qui connaît à fond cette machine est capable de répondre à ces questions, n'est-ce pas? - Je te recom-

"mande donc de te poser non seulement la question : « Quels gros péchés ai-je commis aujourd'hui? » -

car, Dieu en soit loué, beaucoup de jeunes gens vivent pendant des mois sans commettre de gros ,péchés -

,mais de te demander aussi: « Comment ai-je pu être assez lâche pour renier tel de mes nobles principes par crainte d'un petit sourire ironique? Comment ai-je pu manquer de délicatesse au point de dire du mal d'un ami pour plaire à quelques camarades? En quoi aurais-je pu être plus aimable, plus prévenant, plus exact, plus sobre, plus indulgent? Ai-je travaillé si peu que ce soit à propager le royaume de Dieu dans mon âme ou dans celle des ' autres? etc. » Quelques-unes de ces déficiences, qui ne sont pas des péchés, sont pour­tant des imperfections capables d'altérer la beauté de ton âme.

Surtout, ne crains pas de descendre jusqu'au tréfonds de toi-même, même si tu devais y découvrir un grouil­lement de vices plus ou moins honteux. Plus souvent tu les éclaireras avec le réflecteur de ton examen de conscience, plus vite ils périront.

COMMENT ENtRAÎNER SON CARACTÈRE? 253

Notre examen de conscience ne doit pas être un banal

Icompte rendu de nos actes de la journée, mais il doit chercher à découvrir la cause de chacune de nos fautes.

l ' , '. , """" INe te contente donc pas de déterminer le mal, mais :essaye encore de répondre à cette autre question :

1

« Quelle peut être la cause de mon péché? .. de ce que j'ai été capable de renier mes convictions? » La cause, )la racine de ta déficience, c'est cela qu'il te faut trouver, ! cela qu'il te faut détruire!

Sur ce sujet tu pourras faire plus d'une découverte intéressante. « Aujourd'hui je me suis mis en colère plusieurs fois. Pourquoi? Une fois parce que l'un des mets, au dîner, n'était pas de mon goût et que l'on m'a contraint à le manger; une seconde fois parce qu'on m'a dérangé dans mes jeux de l'après-midi en m'envoyant travailler; et une troisième parce que j'ai perdu mon cahier de latin et que j'ai dû fouiller partout pour le retrouver. » - Eh bien, de quoi te repentiras-tu, en ce cas? Quelle résolution prendras-tu? De te tenir sur tes gardes contre quoi? Promettras-tu de ne plus te mettre en colère? Pas du tout. Tu te promettras de te corriger de tes manies d'enfant gâté. C'est là la racine de tes fautes. C'est elle qu'il faut arracher. ",

({ Je me SUIS querellé aujourd'hui. » Pourquoi? « Parce qu'un de mes camarades a raconté à mon père que ce matin, en classe, j'avais mal répondu en algèbre, •• , parce qu'un garçon cordonnier s'est moqué de moi.»­De quoi vas-tu te repentir? De t'être querellé? Non. Mais d'avoir été paresseux et égoïste.

·Et ainsi de suite; pou!' tous tes défauts. Toujours en chercher la racine 1

Souv~ni: l,es jeunes gens se aécouragent parce qUe

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254 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

le développement de leur caractère ne se fait pas du jour au lendemain. Beaucoup seraient prêts à faire un grand effort, à prendre une grande résolution: 1

« V a pour le caractère sans peur et sans reproche 1 )l

Mais quant au travail simple, minutieux et continuel, qui, seul, pourrait modeler leur caractère, ce serait trop leur demander.

Pourtant, iCi, cc ne sont pas les grandes résolutions qui importent, mais les petites victoires remportées chaque jour. , Tu rendras ton examen de conscience encore plus fructueux en te mettant, pendant quelques mois, quand tu auras bien déterminé la racine de tes fautes, à lutter surtout contre ton défaut dominant. Oui, mon fils, la première et la plus importante de tes tâches, c'est

,~I'{l' abattre Jon d{faut dominant. Te souviens-tu de ce ' que Goliath criait à l'armée

juive? « Choisissez un homme parmi vous, et qu'il vienne se battre en duel avec moi. S'il reste vainqueur, nous serons vos sujets; mais si je triomphe sur lui, c'est vous qui serez nos esclaves. » Eh bien, ton défaut principal joue exactement le rôle de Goliath. Quand tu auras réussi à le vaincre, tu ne tarderas plus à triompher des autres:

Tous. les jeunes gens ont un défaut dominant qui est à la base' de toutes leurs faiblesses. L'un est sujet à la colère subite; l'autre ment, facilement, exagère toujours, se laisse entraîner pat son imagination;éelui-ci est fort paresseux, et relâché; celui-là, enclin à la sensualité, etc.'

Eh bien, ce qu'il le~r faut faire en tout premier lieu, c'est ceci: déclarer la 'guerre à ce défaut dominant 1 Une guerre inexorable ! - Chaque matin, pendant ta

COMMENT ENTRAINERSON CARACTÈRE? 255

prière, arrête-toi un moment et essaye de te représenter d'une manière tout à fait concrète à quel moment de la journée et dans quel endroit tu pourras bien te trouver dans une situation telle que tu te mettras en colère, par exemple, ... à l'école pendant la récréation, au jeu avec tes frères et tes sœurs. Quelques minu.tes suffisent à cet examen. Puis, prends une résolutlOn bien ferme : « Quoi qu'il arrive, je ne me laisserai pas aller à l'emportement; je ne commettrai pas un acte irréfléchi. Mon Dieu, aidez-moi! » ,Et renouvelle cette bonne résolution plusieurs fois au cours de la journée. Enfin, pendant ta prière du soir. tu examineras si tu as réussi à tenir ta parole et en quelle mesure. -Tu n'y as pas réussi? Tu seras plus fort demain. -Tu y as réussi? Réjouis-toi et remercie Dieu.

Dans certains monastères on a coutume de s'avertir publiquement et mutuellement de ses négligences. ': certains jours, les moines se rassemblent ct chacun dOIt dire quelles fautes il a remarquées dans l'un ou l'autre de ses confrères. - Si tu possèdes un ami intime et dévoué, tu peux lui demander de t'avertir ainsi; ce serait un moyen très efficace pour l'entraînement de, ton caractère. Là où l'amour de nous-mêmes nous montre tout en blanc, l'œil plus perspicace d'un ami peut trouver quelque tache. Réjouis-toi 'si tu en trouves un qui veuille bien te prévenir de tes fautes avec 'une

affection sincère.

Aux pieds du Seigneur.

Mon livre touche à sa fin et tu dois certainement être surpris de ce que, après t'avoir indiqué tant de

j

1 ! ,

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

moyens de former ton caractère, je ne te parle qu'ici, en tout dernier lieu, du plus excellent de tous :

Il J'imitation de Notl'e-Seigneur Jésus-Christ, ce modèle J; incomparable de tout caractère humain.

Mais ne crois pas pourtant, mon fils, que je voudrais le reléguer à la dernière place dans mon exposé. D'une part, la nécessité d'3imer Dieu, de mener une vie profon­dément religieuse brûle, comme un feu sacré, derrière chaque ligne de ce livre. Et d'autre part, si je n'en ai pas parlé plus longuement jusqu'ici. c'est que « Le caractère du jeune homme» sera prochainement suivi de deux autres volumes, intitulés « La religion du jeune homme », qui traiteront exclusivement des rela; tions d'une jeune âme avec Dieu.

Du reste, tu as dû voir par toi-même, à chaque page de cet ouvrage, que le choix de justes principes vitaux et le fait de les suivre fidèlement, c'est-à-dire la formation d'un caractère impeccable, n'est vraiment facilité que par la religion. En ces pages, je t'ai cent fois recommandé de te choisir une directive, des principes, une manière de voir le monde, en un mot: un but, un idéal, et de t'y tenir coûte que coûte. « Ceci est la directive de ma vie, et ni les livres ni mes amis ni mes épreuves ne m'en détourneront jamais! Je sais bien que ma vie ne deviendra belle et heureuse que si moi-même je deviens - selon les paroles de saint Paul - un vinctus Christi, c'est-à-dire que si fattache complètement ma volonté au Christ. »

On ne peut être un caractère vraimerÏt-f~rme que si l'on a pris sa racine en Dieu, que si l'on a édifié sa . vie sur Lui. C'est ce que le poète allemand Arndt exprime si bien dans ces beaux vers :

COMMENT . ENTRAINER SON CARACTb~?

Devant les hommes, un aigle- fier;· Mais, devant Dieu, un pauvre Ver.

l, Celui qui devant Jésus s'humilie Est seul puissant en cette vie.

La prière est. une aile puissante de la volonté, et. la vie profondément religieuse le meilleur stimulant de l'éducation du caractère. Il suffit de lire les premières lignes du catéchisme pour y voir mentionné le but le plus sublime que l'homme puisse atteindre, et pour trouver l'encouragement le plus efficacè à travailler ferr"e à le réaliser en nous: (e Nous sommes sur la terre pour apprendre à connaître Dieu, pour l'aimer, le servir, et, par ce moyen, mériter la vie éternelle., 1)

Chaque jour, tu avanceras autant Sl,lI' le chenun , de ton caractère que tu réussiras à rapprocher ton

âme du modèle sublime de totit caractère : Le Ch,;,t,

Gaudeamus t~tur •...

{ Gaudeamus igitur ju'VentS dum sumus. «( Réjouissons­

nous d'être jeunes encore Il, dit un vieux refrain d'étu.­diants. Il a bien raison, ce refrain. La joie pure est encore. un moyen de fortifier .sa volonté, Elle .est une source d'énergie active et un préservatif du péché. On trouve toujours facile ce qu'on fait avec plaisir ..

La joie est un rayon de soleil, et le rayon de soleil est toujours porteur d'énergie vitale; il chasse te moisi,. la pourriture, le renfermé . . Une noble· joie fait taire les bas instinct~qui voudraient nous porter au p6ché.

C&r. J. H'·~e. - 17.

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• LE :CARACTÈRE . DU -JEUNE HOMME

Mais;"mondus, prends bien soin de ne'pas confondre la « joie » ayec le (1 plaisir )1. Il est curieux c!e voir com­ment les conceptions des hommes ' diffèrent sur ce

1 point. La joie, pour beaucoup, c'est l'ivresse, le café 1 )

noyé dans la fumée de tabac, la débauche,.la paresse, la promenade à la mode. Je tapage, etc. Mais ne prends

1 •

pas modUe sur eux. Pour toi, la joie, ce doit être les 1 bois où chant(~nt les oiseaux, les prés flel,.lris, le devoir accompli consciencieusement et suivi de jeux innocents,

:' toutes ces petites ,occasions de se recueillir dont la vie , d:un jeune homme est parsemée comme la prairie

est jçmchée de fleurettes. L'abeille suce le miel dans mille p,etits calices. SuC\':r le miel de mille petites joies dans mille petites occasions est l'une des , plus belles tâches de l'art de. vivre.

" . ,Une vraie et rayonnante gaieté' !le peut jaillir que d'une conscience pure. Celui qui a quelque chose sur la conscience essaye en vain d'être gai. A celui qui trouve plaisir aux choses défendues, au péché, je recommande de retenir cette épitaphe qui se trouve sur un. tombeau , d'étudiant dans un cimetière de Bologne: « 0 quam fragilis, nosce teipsum, ruit voluptas. » - « Apprends combien la volupté est éphémère. » , Le: jeune homme qui s'adonne ~f l'ivresse, aux débauches . qui durent toute une nuit, au sommeil ' qui se' prolonge jusqu'au soir; . qui jette, l'argent par la feirêtre~, qui reste. oisif, ne contribuera· jàmais, à' la' prospérité,i dè', son' pa~ Le~ paién Sénèque, reproche , à', san" tempscte, prOdUire;, des· hommes' qui', Îiltetver­tissent-:1es~ occupations; du jauret œllès de' là nuit , et qui; le · 8OÎtvenu,8e\ frottent , les yeux après l'iVresse du, jour' qui , $:'achève. «: Sunt qui,:ojJicià lacis, noctisque: ~ nec: ante.' didùcant ·· oculos ,Nestema graves'

• • ' • • - . ~~--- .~ ' . . ... .. ·. _ .... J·1H · - •.

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE? 259'

crapula, quam' adpetere MX 'coepit ' fi (Epist. mOT , 105). Je ne suis pas ,bien sûr qu'on ne puisse en dire autant de bien' des jeunes' gens d'aujourd'hui 1

Ces jeunes gens sont vraiment dignes de pitié , qui passent leurs années d'études 'à s'àmuser jour et- nuit, quise privent ainsi des joies les plus, pures, qui n'ont aucun · noble', enthousiasme; qui gaspillent un temps précieux et qUI dépensent ' follement l'argent gagné par leurs parents dans , un travail bien'! dur parfois. Et combien y 'en a-t-il de ces Jeunes gen!\ sur qui on était en droit de . fonder les ' plus belles ' espérance; et qui ont ruiné leur talent en se donnant à la boisson et, à, la débauche pendant leurs années d'université? Saint ' Jérôme nous affirme que le ' jeune homme qui boit 'se ruiile inévitablement · : «, Vinum' et adolescentia duplex , incendium voluptatis; », (Epist. ad Eust.) « Le vin et :la jeunesse ' sont un double ' fouet pour exciter les' désirs sensuels: » Et , c'est pour ' cela que' Salvien , déslraÎt itant écrire en,guise d'épitaphe sur les ruines -de , l'empire' romain jadis si puissant: «' Sola nos morum Mstrorum vitia vicerunt »è (De, gubernatt'one mundi, , 1"7;' c;~, 23);,· « La cause unique 'de notre chute fu,t ·.notre immoralité. » ~

Neute:J méprends pas: sur ' mes ,paroles, mon: fils. Je, suis ' loin ' de:, vouloir t'.aigrir ' et : te ,rendre ', m.orose. Ce~ que· je vaudrais; au contraire, c'est :tevoir gai, joyeux;

• t ' . . .. sounan ;, c 'est .que, tu : ne ' 8OuLpas, un' petlt ,maD.81eur, léger. , pat~ew" inutilei qui perd . tout SOn~. temps :, àl s'amuser •. Je~ ne te:, cons~le . p8S ' de; courir,. au~devant des dangers avec une folle audace; 'maÎ$ je serais!hanteux,; pour toi si tu te mettais à sifiler par peur dans une chambre obscure. Je ne désire nullement te voi,r a~bate; mais je serais content de te voir nager comme

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~6o I.E CARACTÈRE DU -JEUNE HOMME ·

un poisson et tourner sur la barre fixe avec vigueur et adresse. Je ne veux pas te voir le visage sombre; mais, lorsque tu ris, je voudrais que tu le fasses toujours de tout ton cœur.

Autant j'aime les étudiants gais, joyeux, remuants, autant je suis inquiet quand j'en trouve de tristes, d'inoccupés, de vieillis avant l'âge. Un jeune homme qui s'assied tristement dans un coin a l'âme ou le corps malade. Tâche, toi, d'être toujours gai, de sourire et de chanter, comme cela convient à quelqu'un de jeune et de bien' portant. Montre-toi de bonne humeur par pure prévenance pour les autres, même quand ton cœur saigne, et même si cela te demandait une force de volonté peu commune. Et, ce qui est encore plus imposant, reste calme et d'une grande sérénité d'âme, même' quand tu voudrais bien céder à la tristesse. Te laisser aller à la tristesse? Ah! ~aisnon. Je ne te le permets pas. La tristesse ne doit pas être un élément de ta vie. Tu dois avoir assez de volonté, toujours, pour remettre le . baromètre de ton âme au temps qui te plaît! Tu ne te lamenteras jamais. Non, jamais!

Jamais? Et si tu as mal fait? Si tu as commis Un péché? Si tu dois susciter le repentir dans ton âme, te confesser? Eh bien,même alors, tu ne te conten­teras pas d'une pure lamentation. Une vie meilleure ne pourrait pas germer dans un sol pareil. Si tu veux que ta lamentation ne . soit pas inefficace, mais l'arc­en .. ciel d'une vie vraiment nouvelle et plus · noble, . il faut que tu mettes une certaine note joyeuse jusque dans tes . larmes de repentir,! ,.

COMMENT ENTRAINER SON · CARACTÈRE? 261

J

Reviens, 8 Jeunesse 1

Une chose qu'on se rappelle toujours très volontiers lorsqu'on a vieilli, c'est le temps de sa jeunesse. J'ai vu des hom~es mûrs ~t réservés s'émouvoir dès que la conversatiOn tombaIt sur leurs premières années. Pourquoi cela: Parce que l~ jeunesse est le plus beau temps de la VIe. Parmi les saisons, le printemps est la plus agréable; c'est l'époquè du développement et de la floraison, des p!antes. Eh bien, la jeunesse est le prin­tem~s d une VIe. Regarde un jeune arbre; il est plein de VIgueur, avide de croissance, bouillonnant de sève! Contemple un jeune homme; pour lui le monde a chaque jour des aperçus nouveaux; son imagination est fraîche,. sa mémoire est vive; il se réjouit du présent tout en faIsant des projets mirifiques pour l'avenir! L'un et l'autre se ressemblent; ils s6nt tous deux gonflés de vie et en pleine floraison printanière!

,Et puis, la jeunesse est belle, aussi, parce que les mille soucis de l'existence n'ont pas encore effleuré son âme. « Comment? t'écries-tu, mais j'ai mes propres soucis aussi bien que les autres! Ce sont mes problèmes de mathématiques, mes devoirs de latin, mes .... » - Ah! mon fils, si tu n'avais jamais d'autres sou.CtS que ce.ux-là sur la terre, ce seràit le paradis 1 OUt, le ~ar~dls! Car tu n'as pas le droit de dire que tu con~aI~ 1 amertume de la vie, que tu as déjà goûté à ses afflictIOns et à ses tourments. Mais quand je te p:u-Ie . d'u~e jeunesse sans soucis, je n'entends pas dire une · Jeunesse insouciante. Absence de soucis et insouciance sont deux termes qui ne signifient .. nulle-

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.LE :CARACTÈRED,U JEUNE HOMME

ment, comme beaucoup de jeunes gens se l'imaginent, ' une seule et inêmeèhose. Et cc sont ceux-là qui le pensent qui utilisent mal leur jeunesse, qui gaspillent avec une légèreté incroyable des années qui nerevien-

; drontplus jamais. Pourtant,si on ne ' tire pas profit de sa jeunesse selon le plande Dieu qui veut qu'elle soit up temps de .préparation à l'âge mûr, celui des fruits, cette · jeunesse ne . sera qu'un rêve confus; embrouillé,qui" plus tard, sera suivi d'un bien doulou­reux réveil. N'oublie donc pas, toi, mon enfant, que la jeunesse passe aus'sivite que l'ouragan et la fleur: « Ut fios veZ ventus, sic transit nostra juventus. Il

, Je sais bien que , « même le juste tombe sept fois . par jour» et qu'un jeune homme connaît bien des chutes et bien des rechutes de l'ordre moral. Cela est bien triste; mais c'est le sort de l'humanité, et il n'y apas lieu, à caUse de cela, de parler d'une jeunesse corrompue. Je ne désespère que du caractère qui recule lâchement,

, sans lutter, devant les mauvais penchants dont aucun homme n'est exempt, qui, bien que conscient de l'im­! perfection de son âme, 'n'a aucun souci de l'améliorer, J qui ne prend pas au sérieux l'éducation de soi. Mon idéaJ, c'est le jeune homme au caractère noble et pur qui sait .concentrer sa volonté . pour la lutte,tenir la btide de ses sens, vaincre la lâcheté et la mollesse, qui, connaissant la valeur de son âme, unique et immortelle, rie craint pas de combattre pour la conserver pure, qui cùltive sqn' cœur et son intelligence et qui sait sOllrire joyeusement devant les labeurs les plus difficiles. Mon

l, \( idéal, c'est l'étudiant le plus appliqué à ses devoirs, le It Plus fervent à lapn'ère et le plus ardent au jeu. Toi, que veux-tu devenir?

COMMENT ENTRAlNER SON C~Cl'ÈRE?

Que veux-tu 'devenir'

Oui, que veux-tu devenir? Au premier abord, tu crois peut-être , que je m'intéresse au choix de ta carrière. Non; .ce n'est pas cela. Je ne te demande pas si . tu_ veux devenir médecin ou négociant, ingénieur ou prêtre, avocat ou industriel. ' Où · que tu ailles, où que te conduisent tes talents, ta . vocation, les circon­stances, ton rang social, cela m'importe peu ici. Mais ce qui m'importe . beaucoup, c'est que tu deviennes un homme et que tufasses ton devoir dans la situation que tu auras choisie.

Oui, que veux-tu devenir? Si je te pose cette question en gUIse d'adieu, c'est que je voudrais savoir si tu t'es jamais demandé quel était' le vrai but, la vraie tâche de l'homme ici-bas? Car tout, en ce monde, jusqu'à l'insecte le plus minuscule, jusqu'au moindre grain de poussière, a un sens, une signification, · un enchaî­nement étroit avec l'univers tout entier. Souvent ce but, cette fin des choses est à peine discernable, mais elle existe néanmoins pour tout.

Et l'homme .seul n'aurait pas la sienne? La sienne, au contraire, est la plus sublime de toutes.

Et quelle est-elle donc, cette fin de l'homme?.. La glorification de Dieu et son propre bonheur. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que tu dois

employer toutes tes forces à réaliser ton. être essentiel. la substance de ta vie dans sa totalité entière. En d'autres mots, que tu dois devenir un homme de caractère, un chrétien et un . patriote au caractère irrép~ochable.!

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LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME.

Et qui est un homme de caractère? Celui qui ose braver la corruption morale sous toutes ses formes.

Et qui est un chrétien et un patriote au caractère irré­prochable? Celui qui ne joue pas au patriote avec des paroles théâtrales, mais qui sert sa patrie par une vie honnête et une fidélité inviolable à son devoir.

Mes fils, de toute l'énergie indomptable de vos jeunes âmes, travaillez à devenir des chrétiens qui font honneur à leur patrie!

La grande nation des temps anciens édifia à Rome un temple magnifique. On le nomma « Panthéon » et on y apporta tous les dieux des peuples assujettis. Des idoles plus étranges les unes que les autres trou­vèrent leur place dans ce temple bâti avec un art incomparable, et ces images grotesques - signes des tâtonnements confus de l'âme humaine - don­naient une note triste et dissonante au milieu des riches trésors accumulés sous les merveilleuses .arcades des colonnes corinthiennes.

Un jour, au début du Ive siècle, des voyageurs étrangers arrivèrent dans cette ville : c'étaient des Chrétiens venus de bien loin. Ils entrèrent au Panthéon, et, à la vue de toutes ces divinités païennes aux faces étranges, ils furent saisis d'une tristesse sans nom. L'un d'eux prit alors le petit crucifix qu'il portait sur sa poitrine et, l'ayant posé au pied de l'énorme statue d'un dieu, il se retira en silence avec ses compagnons.

Vois-tu, mon fils, cette petite scène ressemble beaucoup à la lutte qu'un jeune homme chrétien

, doit soutenir aujourd'hui dans le panthéon des idoles 1 modernes. Sitôt sorti de l'école, tu sentiras, toi aussi,

le souffie glacé du paganisme contemporain passer sur l'idéal de ta jeune âme. Dans le monde où on se '

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE?

.pousse et s'écrase .pour avancer, tu te trouveras bien

.vite devant un panthéon d'erreurs et de préjugés malsains devant lesquels tant de tes compatriotes seront à genoux et comme en extase, un panthéon où, seule, l'àdoration du ,vrai Dieu n'aura pas sa place.

Et - que tu le veuilles ou non - tu seras obligé de pénétrer dans ce panthéon, de rester dans cet entou­

~ . rage de paganisme nouveau. Ce qui importera alors, \ ce sera de bien te garder de devenir païen toi-même. -Si tu portes la croix de Notre-Seigneur sur ta poitrine et dans ton cœur, si tu vis selon les principes chrétiens, 'Si tu ne rougis pas de ton crucifix, toi non plus, dans

1 : ton entourage, au milieu de tes compagnons et de tes amis, dans l'exercice de ta profe<;sion, dans la société,

\ ·et. cela tout le long de ta carrière, tu resteras chrétien, \ tu, rayonneras la lumière, la joie, le bon exemple. Et, 1 ainsi, « d'adolescent de caractère Il tu deviendras un '\ « homme de caractère l).

' .~

Une triste nuit de Saint-Sylvestre.

N'oublie jamais, mon fils, la vérité qui vient de te sauter aux yeux à chaque page de ce livre : en toi est

\ caché 1<? "plus grand des trésors, u~e âme ùn:ique et 1 immortelle. La grande tâche de ta vie terrestre, c'est , de rendre "cette â~è" aussi belle, ~ussi sublime, aussi riche que possible en nobles qualités. P.Q.'!!L.é~~~n de nous, ' le bonheur de la vie éternelle dél?.end du ~.éri~x avec lequel nous 'travaillons ici-bas à perfectionner

' ~~tre Ame. "-1 ~, " - ,- - ' - ,

Tu asS'Ûl'ement entendu parler de l'agavé, cette

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266 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMMB

plante étrange qui ne : fleurit qùetous les cent ans mais qui donne une fleur d'une , beauté merveilleuse. ' Pendant tout un siècle, elle se prépare . pour ce . beau jour, elle rassemble ses forces, .elle .se pare, ,s'embellit par un travail invisible et· secret. Un .siècle tout'entier! Et, lorsque le temps en est arrivé,.elle ouvre ses corolles toutes blanches pour , en charmer ceux qui viennent voir le prodige.

Eh bien, mon 'fils, tu dois devenir, toi .aussi, un agavé fleuri. Tu dois déployer , toutes tes . forces pour atteindre cet unique et grand but : faire , épanouir la fleur de ton caractère! Tu es .un jeune arbre en pleine croissance ... un bouton qui i cherche à s'entrouvrir ... une semence qui doit mûrir. Pendant ta jeunesse, tra­vaille sans. relâ€he à . former ' ton âme, à , en couper les pousses sauvages; rassemble toutes tes énergies pour devenir un homme au caractère si · pur . et si ferme que même les anges du ciel puissent s'en réjouir.

Toute âme demande à être conquise, et toute conquête \. .

se paye par des luttes. Les désirs de la chair ne s'accordent guère avec les nobles aspirations de l'âme, et voilà le combat qui s'engage. C'est la lutte de l'âme pour conquérir sa liberté. Qui doit régner sur moi, le corps ou l'âme? Qui doit commander, le maître ou le serviteur? Qui doit tenir le gouvernail, le capitaine du navire ou le mécanicien? Quel chemin prendra-t-il, le vaisseau de ma vie? Voyagera-t-il à l'aventure parmi les bancs de sable et les rochers : sous-marins, sans cesse avarié, ou bien ira-t-il droit vers le port natal? Où .abordera-t-il, . mon vaisseau? .. Sur les rivages du bonheur éternel, .. ; ou bien dans l'ét~rnelle damnation? · .Ne trouves-tu pas qu'il vaut la peine de lutter pour . un but ·pareil ? .

( !

COMMENT ENTRAINER SON CARACTÈRE?

Un grand écrivain allemand, Jean Paul, nous donne un tableau poignant de l'état d'âme désespéré d'un naufragé de la foi.

Une nuit de Saint-Sylvestre, un vieillard rêvait près de sa fenêtre. Son regard 'craintif et sombre s'élevait vers le ciel semé d'étoiles étincelantes, puis s'abaissait sur la terre silencieuse enveloppée d'un linceul de neige. Ses yeux brûlés par l'insomnie et son cœur d~sabus.é ne connaissaient plus de repos. La tombe s ouvr~lt devant lui. Il en approchait chaque jour et, ~lel~ d'épouvante, il s'apercevait que, de toute savlC SI

longue, il n'avait rapporté qu'une foule d'erre~rs, de péchés et de maladies, un corps ruiné et une. ame empoisonnée par les jouissances. Les beaux .Jours de sa jeunesse qui surgissaient dans sa mémOire le faisaient trembler comme devant des revenants. Il se revoyait jeune homme, par un délicieux matin de ~ai, quand son père le laissa partir, seul four la pre~lere fois, sur le chemin inconnu de la vie. Il revoyait le moment fatal "où ruinant d'un seul coup les belles espérances qûe ~es parents avaient fondées .sur lui, et tournant le dos au chemin raboteux qUI assure la paix du cœur, celui de la vertu, de l'honneur, du devoir et du travail, il mettait le pied sur la grand.e route des jouissances grossières et d~ ?éché ~UI, tout en lui promettant la joie, le condUIsait astucieu­sement à sa perte. Et le cœur du vieillard aux blancs cheveux était déchiré par une plainte inexprimable. Et le sanglot douloureux qui lui échappait semblait crier au ciel: « Ah ! si les années de ma jeunesse pouvaient revenir! 0 Père, donnez-moi encore une fois la possi­bilité du choix afin que je puisse choisir autrement 1 »

Mais le . silence glacé de la nuit engloutissait la

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~

268 LE CARACTÈRE DU JEUNE HOMME

plainte du vieillard sanglotant. Ett de répons.et il nt y 1 en avait point. Pour luit la possibilité du choix était 1 l'as sée - sans retour ...

• • • Toit mon fils, tu peux encore choisir. Et tu peux

bien choisir. Un printemps sans fleurs, Un ciel sans étoiles, Un jeune homme sans noble idéal, Non, tu ne le seras pas!

J'ai le choix?

• • •

Eh bien, voici: j'ai choisi. Je veux être un jeune homme au caractère impeccable. Je veux vivre de telle sorte que mes actions, mes

paroles et mes pensées, nobles et pures, puissent voltiger autour "'de moi comme des oiseaux joyeux. Je veux que chacune de mes actions et chacune de mes pensées soient pour mon meilleur Ami, mon Seigneur et mon Père, pour le Christ qui m'attirera doucement vers Lui et qui me baisera sur le front en guise de récompense.

Oui, je me range au côté de Jésus-Christ, et rien ne pourra jamais plus me séparer de Lui.

Jamais 1 jamais 1

•••

TABLE DES MATIÈRES

PREMI:ERE PARTIE

Qu'est-ce que le caractère?

Régulus à Carthage ............ :............ .................... 7 Qu'est-ce que le caractère ?.................................... J3 Fais ton éducation toi-même !.......................... ....... 16 Un cœur à toute épreuve ............................... · .. ·· .. · 17' Les paroles d'Épictète.................. .............. .......... 20

La puissance d'un idéaL......... ........ .. .. ........ .... ....... 21

L'énergie active ................................ · .... · .. · .. ·· .. ···· 24 Liberté .......................... .................................... 26 Les grandes Ames ......... , .. ................. · .... ! ........ ·· .. • 29 Egoïste, va 1 .......................................... • .. · .. ·•· .. •· 3 J

Sais-tu dire .: non ?.............................................. 34 Extrait 'd'un journal ................................... · .... · .. ·· 38 Le cerf-volant sur le fil télégraphique....................... 42

Contre le torrent! .......................... ··.. ................... 44 Le.duel ....................................................... · .. ·.·· 48 VictOr hostium et sui. .......................... .......... ... .... S4 Tour forte ou girouette?...................................... S6 L'esclave de sa conscience...................... ........ ....... S8

DEUXI:aME PARTIE

Les obstacles à la formation du caractèr~?

FeUilles d'automne dans le tourbillon ....................... · 6:; La crobr de fer ...... ~.... ........................................ 66 Lec.hardon dans le champ de blé.: .... ..................... · 68 Le combat de l'âme ................................. ·· .... · .... · 69

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TABLE DES MATIÈRI!S '

Sans sacrifices? ................................ ......... .. ...... .. Le moine dompteur d·animau ............................... .. Il s'est levé du pied gauche ......... . .. . .. .. ... .. .. .. ........ .. Je n'ai pas de chancel ..... ~ .................................... .. J'ai essayé, mais çao·allaii ,pas!.. '" .............. . ......... . Vouloir beaucoup ......................... .. . . .... .. ............ . A bas les Alpes "-............................ , ... .. .............. . Face au destin l. ................................................ .. Les treize braves ........ . .......... .. ...... . ................... . . Le danger du succès .............. .............................. . Où est -l'Asie? .................................................. .. Veux-tu me prêter·?; .......................................... . Le démon de·l'argent ; ......................................... . Comment ·capture. t-on·les singes?' ......................... . Vivre selon 'ses moyens ........................................ . Les joies du ·travail ................... . ................. . ..... . . : Excusez'-moi, Monsieur,.j'avais mal à ·la ·tête .............. .. L'abeille et -lc ·bourdon ........... .............. . ..... ........... . La grue qui avait perdu sa queue .......................... .. La flamme ' vacillante-d ·une· bGugie ............ . ............ .. Le lièvre et" l'escargot' ............................... . ....... . . . Génie ou persévérance~ ........................................ .. Dans la tranchée· ........................... .. ................... . L'éducation de la volonté , ....................... .. ... ... .... ..

TROISItME PARTIE

Lea moY~' ~:éduque~son èaractè1'e .................... .. Je poU1T8JS, 81 Je voullUs ......... .. ................. .. .. . ...... . Lejeune homme volontaire ............................... . ...... . L"extllllple de Démosthètle ..................................... . La, grande leçon de gymnastique ...... . ..... : ................ .. Lejeune indièn. et le.gibier .... : ................................ . Hélaalje o'ai pas de volonté ..... , .......................... .. Abstin.el •••••••••••••• : •• · •• p ...... . ............ ~ .......................... . Les raisins de l'e,rmite ... . ... . ............. . ..... . ....... ..... .. Djem pudid.i ••••••••••• •••..• · ....... _ ............... .-••• : ••••.•••..•..

)Le ~ du ~trejaponais ... ~ ..................... ; ........... : ~I ........................................ ~ .•..•..•.•.•.•••.• 4 •• • ••

71 75 78 81 8a 85 86 88 91 94 95. 98'

100 ·

J04 107 JJO

JJ3

J'IS, JJ7 ' II9 123 124 u8 130

134 136 139: 143 ' 14(1: . 149, 151 154 JS6 157 J6a 166

TABLE DES MATIÈRES

Souffrir sans se plaindre........ . . . ........................... J68 Obéir sans murmurer .............. . ......................... .. Ne jamais mentir 1. ............................................. . Pourquoi mentir?............. ... ........... .. .............. .. Est-ce que cela vaut la peine de mentir ? ................. .

. Un seul ,homme, une seule parole 1.. ....................... . Jure-le 1 ................................. .......................... . Aggredere 1 ...................................................... .. La puissance des petites choses..................... .. ..... .. Gulliver garrotté ......... .. .................................. .. Le"verrou hors d·usage ....................................... .. Les cheveux d' Absalon........................................ . 200 La lampe du sanctuaire de la cathédrale de Pise......... 20Z

Travailler avec âme.............................................. 206 Le devoir ............ .. ........................ .................. 210 Je ne suis"pas disposé aujourd'hui 1...... .................... 212

Il est né t~op tard !............................................... 215 Notre horloge retarde.................................... .. ..... 217 L'étudiant pauvre... . .. ............ .............................. 2ao Les jeunes gens pauvres qui sont devenus des grands

hommes ........................................................ 224-La valeur du temps............................................. 226 20 minutes = 12.000.000 de dollars 1 ...................... 229 Transeunt et imputantur !.............. ...................... 231 Quand le passé redeviendra présent......................... 233 l'kin numerantur............... ................................. 236 Ar~ l~nga, viÜl; brevis...... .. ............................ ........ '2'39 Qweu, non ouo.............. ...... ... ............................ 241, La chose la plus difficile du monde?.. ..................... . 245 Tout va bien 1...................... ....... ... ............ ........ 248

Aux pieds du Seigneur........ . .................. . ............... 2SS Gaudeamus igitur............................................ ..... 257 Reviens, Ô jeunesse 1... ........ ......... .. .......... .. ............ ~6,1' Que ve\U:-tu devenir? ..... .. .................................. ,,, '263 Une triste nuit de Saint-Sylvestre ................ .......... . 265'