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MÉLISSA SIMARD THÉÂTRE, CULTURE ET SOCIÉTÉ HAÏTIENNE Une exploration interartistique et interculturelle de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée de Guy Régis Jr Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Littérature et arts de la scène et de l’écran pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.) DÉPARTEMENT DES LITTÉRATURES FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2012 © Mélissa Simard, 2012

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MÉLISSA SIMARD

THÉÂTRE, CULTURE ET SOCIÉTÉ HAÏTIENNE Une exploration interartistique et interculturelle de La mort de

soi dans sa longue robe de Mariée de Guy Régis Jr

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en Littérature et arts de la scène et de l’écran

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

DÉPARTEMENT DES LITTÉRATURES

FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

© Mélissa Simard, 2012

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RÉSUMÉ

Le présent essai propose un retour sur un processus de recherche-création entourant la

mise en scène du texte La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, de l'auteur haïtien

exilé à Paris, Guy Régis Jr. La représentation théâtrale eut lieu en avril 2011, au

LANTISS de l'Université Laval. Elle a réuni une équipe de création composée de

comédiens et musiciens, amateurs et professionnels, d'origines brésilienne, centrafricaine,

haïtienne et québécoise. La recherche entourant la réalisation de ce projet a été guidée par

un besoin de réflexion sur un élément déterminant de la culture haïtienne, la mythologie

vaudou comme inspiration du texte dramatique de La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée. L’analyse de la création est donc basée sur certaines études culturelles entourant

le théâtre populaire haïtien, le théâtre rituel et le théâtre anthropologique. Dans un second

temps, l'essai couvre la diffusion de la culture populaire et l'affirmation de l'identité

(imaginaire collectif/ histoire) comme conditions essentielles de résistance contre le néo-

colonialisme mondial et la globalisation culturelle. Finalement, l'essai se penche sur le

métissage et la créolisation comme systèmes de communication interculturelle au théâtre.

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AVANT-PROPOS

Je souhaite remercier chaleureusement toutes les personnes qui m’ont supportée dans

l’accomplissement de ce travail de longue haleine, en premier lieu mes proches, ma

famille et mes amis pour leur soutien constant. Je tiens aussi à remercier mon directeur

de maîtrise, Monsieur Liviu Dospinescu pour son encadrement, ainsi que les professeurs

membres du jury, Madame Irène Roy et Monsieur Luis Thénon. Vos conseils me suivront

à jamais et sauront faire grandir l’artiste et théoricienne que je suis.

Cette recherche-création n’aurait pu voir le jour sans la collaboration acharnée et la

motivation de mon équipe de création. Je veux souligner la participation de Rodrigue

Barbé, Cédric Dessurault, Murielle Jassinthe, Wilner Laforêt, Nadia Méhus-Jules et

Léonardo Spinola. Merci à vous de m’avoir accompagnée dans ce processus fou, avec

tant de confiance et de gentillesse! Merci de m’avoir permis de me nourrir de votre

culture et votre joie de vivre.

Ma pensée va aussi à la communauté de Jacmel et le centre d’artistes (FOSAJ) qui

devaient m’accueillir à l’hiver 2010. Une terrible tragédie aura eu raison de la première

phase de ma création. Je souhaite de tout cœur, habitants de Jacmel, vous rencontrer un

jour.

Merci à Guy Régis Jr pour m’avoir confié les mots de La mort de soi dans sa longue robe

de Mariée pour la partie mise en scène et analyse de ce mémoire. Un court essai est bien

peu, en regard de la complexité et l’étendue de son œuvre.

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Pour Flores Mc Garell (31 août 1974 – 12 janvier 2010)

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ...................................................................................................................................... ii

AVANT-PROPOS ......................................................................................................................... iii

INTRODUCTION ........................................................................................................................... 1

1. RÉFLEXION SUR LE PROCESSUS CRÉATIF ET SUR LE MÉTISSAGE CULTUREL ENTOURANT LA

MISE EN SCÈNE DE LA MORT DE SOI DANS SA LONGUE ROBE DE MARIÉE .................................... 4

1.1 Le fond culturel haïtien dans la dramaturgie de Guy Régis Jr ............................................. 4

1.1.1 Le fond culturel haïtien: le vodou, rituel sacré et théâtralité .............................5

1.1.2 Guy Régis Jr et la culture haïtienne .....................................................................9

1.1.3 La mort de soi dans sa longue robe de Mariée : dramaturgie, thèmes et

accentuations ................................................................................................................14 1.2 Ressources de la création ................................................................................................. 24

1.2.1 Ressource chaos...................................................................................................24

1.2.2 Ressource texte ....................................................................................................27

1.2.3 Ressource corps et musicalité.............................................................................30 1.3 Créolisation et métissage au sein du processus créatif ...................................................... 35

1.3.1 Référents mythologiques: personnages et culture vaudou................................36

1.3.2 Le phénomène de la créolisation ........................................................................38

1.3.3 Le métissage entre les arts, le théâtre et la culture africaine des Amériques.40

CONCLUSION ............................................................................................................................ 45

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 48

ANNEXE – Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée,

Lantiss (Université Laval), 26 mars 2010. (29411-video.mov)

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INTRODUCTION

Le vaudou1 est un culte afro-caribéen souvent alimenté de mille rumeurs sur ses

fondements mystiques et sa pratique2. Syncrétisme entre les religions polythéistes amenées

d'Afrique par les esclaves et la religion catholique imposée par les colonisateurs Européens,

cette religion a évolué et se pratique toujours dans les Amériques. Selon le lieu de pratique,

le vaudou de même que les religions qui s'en rapprochent peuvent prendre l'appellation de

Candomblé (Brésil) ou Santeria (Cuba)3. Le vaudou peut se définir comme religion

transmise par la tradition orale, où les adeptes recherchent lors de cérémonies un contact

direct avec les dieux, les loas. Par le biais de danses, de musiques (principalement des

chants et des percussions afro-caribéennes), les pratiquants de ce culte souhaitent pouvoir

communiquer avec les esprits, et peut-être même être chevauchés par l'un d'eux lors de

transes ou de possessions4. Le vaudou est certes un culte complexe, où s'entremêlent les

pratiques artistiques (danse, musique, peinture, dessins de symboles), le conte, les

superstitions, la médecine traditionnelle, etc. Ce culte renferme la mémoire d'un peuple tout

entier et peut symboliser les grandes luttes contre l'asservissement qui caractérisent

l'histoire d'Haïti.

Nous avons tenté, par le biais du présent essai et d'une mise en scène de La mort de

soi dans sa longue robe de Mariée de Guy Régis Jr, d’explorer la mémoire, le rituel et la

culture haïtienne au théâtre. Nous nous permettons d'émettre d'emblée une hypothèse,

1 Le mot vaudou est présent sous plusieurs formes au sein de la littérature. Dans le cadre de cet essai,

l’orthographe « vaudou » sera privilégiée, bien que les citations d’auteurs comportent parfois d’autres

variantes du terme. 2« L’interaction entre Vaudou, État et Église catholique constitue un terrain fécond en observation pour le

chercheur qui s’intéresse à la société haïtienne et une clé incontournable pour comprendre cette société.

Considéré jadis comme “magie, superstition, fétichisme, idolâtries, etc.” et cause du sous-développement

socio-économique du pays par le missionnaire européen, l’État et un secteur de l’élite haïtienne, ces derniers

se sont à maintes reprises, alliés pour le détruire. » (François Kawas, l’État et l’Église catholique en Haïti aux

XIX et XXE siècles (1860-1980), L’Harmattan, Paris, 2009, p. 169.) 3Claude Planson. Le grand livre du vaudou, Librairie de l'inconnu éditions, Paris, 2000, p. 11.

4Ibid., p. 45.

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proposant que la tentative de valorisation théâtrale des caractères historiques et culturels du

peuple haïtien puisse s’opérer à une fin de résistance et de communication de la réalité

sociale. Cette résistance pourrait-elle s'incarner à la fois de manière sociétale et

individuelle, dans une lutte quotidienne contre l'asservissement de la personne et la mort

d'une culture, voire de la manière de vivre d'un peuple? C'est en élaborant ce

questionnement et en prenant pour point de départ le caractère pré-théâtral5 du vaudou que

nous avons amorcé l'exploration théâtrale. La problématique choisie comme base de la

recherche-création fut celle de concevoir et de tenter la réalisation d'un rituel théâtral

inspiré de l'actualité et du passé culturel et social haïtien. Il fut donc décidé d'utiliser les

différents contextes collectifs d'Haïti, soit la mythologie, la politique et la société, comme

prétextes à une exploration théâtrale.

Nous établirons, à travers cet essai, une réflexion sur l'ensemble du cheminement

entourant la création théâtrale réalisée autour du fond culturel haïtien, soit la mise en scène

du texte La mort de soi dans sa longue robe de Mariée de Guy Régis Jr. Par un travail

collectif avec une équipe multiculturelle composée de comédiens membres de la

communauté québéco-haïtienne, ainsi que d'autres individus, comédiens ou musiciens,

intéressés par la mise en scène d'une réalité afro-caribéenne, nous avons exploré le

symbolisme de la culture haïtienne et le potentiel dramatique et culturel du texte de Guy

Régis Jr. À l’idée de découverte dans l'action d'une mémoire rituelle, sont venus s'ajouter

de précieuses ressources à la création, telles que la notion de chaos, la ressource du texte

dramaturgique et la ressource corps et musique. Ces ressources furent utilisées à diverses

étapes de la création dans le but de servir d'éléments clés pour l'exploration dans l'action.

Moteurs de la création, les éléments-ressources emmenèrent différentes découvertes et

explorations nécessaires à la mise en scène. Finalement, nous mettrons en évidence les

divers procédés de métissage culturel et disciplinaire présents dans la création. Nous

tenterons plus précisément de mettre en lumière les différentes références mythologiques

qui inspirèrent la création, l’explicitation des notions de créolisation culturelle comme

5« Le pré-théâtre est un spectacle global, où le fidèle participe corps et âme, sans restriction, même passagère,

à des croyances qui mobilisent toute son énergie jusqu’à l’exacerbation de ses sens pour une communion avec

le divin, avec le cosmos. » (Frank Fouché, Vodou et théâtre : Pour un théâtre populaire, Mémoire d’encrier,

Montréal, 2008 (1976), p. 50.)

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résultante de la création et une description du processus de métissage culturel et artistique

de la mise en scène.

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1. RÉFLEXION SUR LE PROCESSUS CRÉATIF ET SUR LE MÉTISSAGE

CULTUREL ENTOURANT LA MISE EN SCÈNE DE LA MORT DE SOI DANS SA LONGUE ROBE DE MARIÉE

1.1 Le fond culturel haïtien dans la dramaturgie de Guy Régis Jr

Dramaturge haïtien en exil à Paris demeuré attaché à son pays natal et à ses traditions, Guy

Régis Jr entretient ses racines grâce à l'écriture. À travers une œuvre dramaturgique

engagée, il ne cesse d‘aborder les traits caractéristiques de la culture haïtienne et de

s'inspirer des auteurs qui l'ont précédés afin d'innover et de raconter. Guy Régis Jr affirme

sur son travail d'écrivain et sur les hécatombes qui ont secoué l'histoire haïtienne : « Il

importe donc à ceux-là qui savent NOMMER de NOMMER les choses. Afin qu'une lueur

de compréhension se fasse, peu à peu6. » C'est donc par besoin de décrier et raconter sa

vision des drames humains collectifs que Guy Régis Jr s'adonne à l'écriture du théâtre.

La présente partie de l'essai décrira donc l'une des premières ressources de la

création, celle du texte de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée. Nous survolerons

tout d'abord le fond culturel haïtien, afin de comprendre le rituel vaudou et la théâtralité

qu'il renferme. La seconde étape consistera à établir le rapport qu'entretient l'œuvre de Guy

Régis Jr avec la culture haïtienne. Cela nous permettra de voir les premiers tenants du

théâtre populaire haïtien, et quelques-unes des inspirations de Guy Régis Jr chez les

prédécesseurs issus de sa culture d'origine. Finalement, la dernière étape consistera à

présenter les thèmes du texte de Guy Régis Jr que nous avons jugés incontournables, en vue

de la création et de la mise en scène.

6Guy Régis Jr. De toute la terre le grand effarement, Les solitaires intempestifs, Besançon, 2011, p. 57.

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1.1.1 Le fond culturel haïtien: le vodou, rituel sacré et théâtralité

La culture haïtienne, particulièrement en ce qui concerne le culte vodou, est souvent vue

par les metteurs en scène et par les intellectuels haïtiens comme une rationalisation de la

vie, en plein syncrétisme religieux entre la vision polythéiste provenant de la terre des

ancêtres africains et de la vision du colonisateur occidental. La dévotion aux multiples

dieux de ce culte est donc nécessaire, puisque « pour le vodouisant le Vodou est la prise de

conscience de son Être-au-Monde avec l’ensemble du cosmos et des hommes, c’est un jeu

de possession qui se culmine en transe, où le Iwa, l’esprit vodou, s’y incarne en

chevauchant son adepte »7.

Le culte, bien qu’il fasse partie de la culture ancestrale de la société traditionnelle

haïtienne, peut donc être choisi comme mode de rationalisation du monde, comme mode de

vie et comme source d’inspiration artistique. Aussi, certains penseurs et artistes haïtiens le

récupèrent comme moyen de résistance à toute forme de dépossession du corps et de la

pensée, à l’instar de certains théoriciens et artistes occidentaux influencés par les formes

rituelles des sociétés traditionnelles. Explorer le rituel et le sacré au théâtre fut d’ailleurs

l’un des espoirs d’Antonin Artaud, afin de redonner à l’art de la scène son caractère sacré :

« Pour lui [Artaud], le véritable problème de l’Occident est de priver la vie de sa magie. Et

le théâtre tel qu’il l’imagine aurait pour but de pallier à ce manque de magie : « Je crois le

théâtre comme une opération ou une cérémonie religieuse, et je tendrai tous mes efforts à

lui rendre son caractère rituel, primitif8. » L’utilisation à des fins théâtrales du rituel est

donc chose possible, tout comme le rituel peut s’exercer parfois à travers des jeux de rôles

et de possessions qui peuvent être considérés comme pré-théâtraux. Rituel vodou et théâtre

partagent ainsi plusieurs affinités dans la manière pour le comédien (théâtre) et le croyant

(rituel) de se mettre en scène, de s’adonner à une célébration artistique (danse, musique,

chants). Aussi, permettent-ils tous deux de perdre possession de soi-même au profit d’un

personnage ou d’un dieu, car « comme dans le jeu dramatique où l’acteur doit suivre la

7Laennec Hurbon, Le phénomène religieux dans la Caraïbe, Éditions Karthala, Collection Monde Caribéen,

Paris, 2000, p. 222. 8Antonin Artaud, dans Marie Wright-Laflamme, Antonin Artaud (1896-1948) : Le théâtre comme moyen de

réintroduire en Occident un sacré qui élimine les frontières entre la nature et la culture et entre l'art et la vie,

mémoire de maîtrise en sociologie, Université Laval, mars 2002, p. 66.

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convention théâtrale, dans le Vodou, la possession pourrait être attribuée principalement à

la convention imposée par le rituel »9. Le rituel vise donc à concrétiser une certaine

mythologie, de prendre consciemment ou inconsciemment possession des codes dictés par

la tradition, pour exercer une action concrète dans le présent. En ce point, il peut se

rapprocher du théâtre qui par une action dramatique dans le présent, tend à redonner vie à la

fiction.

Cette façon de voir la mise en scène ritualisée correspond à devenir soi-même la

légende (ou le mythe), comme souhaitait l’exercer Grotowski : « l’acteur selon Grotowski

ne joue pas simplement un rôle, il devient un acteur sacré qui performe un acte d’auto-

sacrifice »10

. Le théâtre grotowskien est donc tourné vers le rituel au sens où le comédien

délaisse le contrôle de son corps pour se laisser devenir quelqu’un d’autre, un être sanctifié.

Le jeu pour Grotowski est une manière de lâcher prise sur sa propre identité, puisque « si

l’acteur est conscient de son corps, il ne peut pas pénétrer à l’intérieur de son corps ni se

révéler. Le corps doit être libéré de toute résistance. Il doit virtuellement cesser

d’exister11

. » L’acteur, comme l’initié vodou (hounsi), se doit donc de maîtriser les

techniques, une routine stricte et ritualisée, afin de métamorphoser son corps en vue d’une

possession sacrée. La voix, les mouvements, les cris, deviennent les signes de l’autre,

animés par le personnage qui prend vie à l’intérieur même du corps du comédien.

Le corps dépossédé de sa conscience et envahi par une force sacrée est l’une des

principales caractéristiques qui relieraient entre eux le vodou et le théâtre. D’après Frank

Fouché, dramaturge et théoricien haïtien, le rituel vodou peut se qualifier de « pré-théâtre »

par ses chorégraphies et les figures corporelles qui en résultent : « On peut dire même

qu’elle [la danse] constitue un élément aussi fondamental que la crise de possession. Les

évolutions chorégraphiques sont d’une beauté fascinante. La somptuosité des costumes

9Traduction de : « as in acting where the actor most follow the convention of the play, in Vodou, the

theatricality of possession may first be attributed the conventions imposed by the ritual » (Marie-José Alcide

St-Lot, Vodou a sacred theatre: the African heritage in Haiti, Educa Vision, Coconut Creek (Florida), 2003, p.

52.) 10

Ibid., p. 58. 11

Traduction de : « Grotowsky’s [actor] does not merely play a role he is a "holy" actor who perform an act of

"self-sacrifice" » (Jerzy Grotowski, Vers un théâtre pauvre, L’Âge d’homme, Lausanne, 1996, p. 34-33.)

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représente un élément scénographique extraordinaire12

. » Le vodou n’est pas la seule

démonstration spirituelle à intégrer des éléments spectaculaires dans le culte et le mythe qui

la forgent. Il se rapproche d’autres formes de rituels non-occidentaux, centrés sur un

exercice vivant de la religion au travers d’une tradition de costumes, de chants et d’une

théâtralisation du corps :

On pourrait multiplier les exemples et établir des parallèles avec le rituel

d’Obatala, Egungun yorouba et tant d’autres de l’Orient et de l’Extrême-

Orient dans leur organisation esthétique, pour montrer que le vodou,

avec ses spécificités et son ensemble spectaculaire, représente, à n’en pas

douter, un pré-théâtre caractérisé13

.

Ce « pré-théâtre » tend, pour Fouché, à retrouver l’exaltation à la base même de l’art

théâtral. Selon ce dernier, avant son institutionnalisation, dans l’Antiquité, le théâtre n’était

pas un exercice exclusivement réservé à la scène, mais une célébration populaire unissant

les participants. Les membres du public n’étaient pas des spectateurs vis-à-vis des rites

théâtralisés, mais bien acteurs, une partie prenante de l’évènement. C’est cet enivrement

entourant le mythe et l’exercice de la liberté qui a servi de base au théâtre grec : « Peut-on

oublier les dionysies qui soulevaient le peuple grec? On venait de partout pour assister à ces

spectacles qui duraient trois jours de l’aube à la nuit, rehaussés de débordements, la frénésie

des cortèges carnavalesques et des costumes éclatants14

. »

Selon Fouché, l’institution d'un théâtre de la purification, à l’instar de l’instauration

d’une logique aristotélicienne dans la composition dramaturgique et la mise en scène, tend

à faire perdre le caractère de célébration et d’enivrement « populaire » à la base même de

l'art théâtral. Puisque « quand le théâtre, aussi bien occidental qu'oriental, à sa naissance se

détache du culte pour s'offrir comme lieu de jouissance purificatrice – dans la tragédie

grecque comme dans le nô ou le kabuki –, il se dégage en fait d'une croyance : la foi dans

12

Frank Fouché, op.cit., p. 57. 13

Ibid., p. 56. 14

Ibidem.

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l'efficacité pratique et immédiate du rituel15

. » Le théâtre en est conséquemment vidé

d’émotions librement partagées entre la scène et la salle, de communication rituelle autour

d'un événement collectif. La théorie aristotélicienne, puisqu'elle décrit un parcours

culminant en catharsis, relègue le public à un rôle de spectateur, vivant la libération

émotive par l’intermédiaire des actions des personnages présents sur scène. Le rituel dont

émanait le théâtre se voit en ce sens progressivement effacé, pour le bien d’un art plus

logique ou plus efficace. La scène ritualisée se doit donc d'être vue comme canal de la

communication théâtrale, mais aussi comme lien invisible reliant les êtres humains à leur

existence et à leur histoire (collective et individuelle). Les défenseurs du théâtre-rituel

remettent donc en cause le cartésianisme et l’implacabilité de l’œuvre, pour re-permettre un

échange empreint de mythes et pour permettre au théâtre de retrouver sa vivacité :

On pourrait encore s’interroger sur le signe théâtral, sur ce qu’il a perdu dans

ses rapports entre le corps et la pensée, entre le symbolique et le réel, entre le

connu et l’inconnaissable. N’est-ce pas le théâtre, comme il se fait, qu’il faut

vider de sa logique aristotélicienne, de tout ce dualisme cartésien qui l’aliène

et le désacralise pour le remplir de toute cette intuition corporelle, dont le

sens du rythme peut aller jusqu’à la frénésie, à la sublimation de l’Être dans

l’UN primordial : le dieu caché dans l’homme16.

Le but d’un tel théâtre n’est donc pas de purger la passion du spectateur par l’entremise de

la réalisation de l’action scénique, mais bien de l’intégrer entièrement comme membre d’un

rituel théâtral visant à réaliser lui-même l’exercice de la conscience et non une catharsis.

Dans le principe de la tragédie, « la pitié et la crainte sont la condition spécifique qui

permet au spectateur de se fondre au personnage, mais qu’en aucune manière ces émotions

ne se purifient d’elles-mêmes. Elles purifient de quelque chose d’autre qui à la fin de la

tragédie, cesse d’exister »17

. Pour le théoricien du Théâtre de l’opprimé, Augusto Boal, la

tragédie comporte un système coercitif qui nettoiera le public de ses passions, de ses envies

de déroger de la société et des normes instaurées. Selon le la logique boalienne, la tragédie

15

Ibidem. 16

Ibid., p. 51. 17

Augusto Boal, Le théâtre de l’opprimé, Éditions La Découverte, Paris, 1996 (1977), p. 106-107.

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et son principe de purgation des passions, dans un régime totalitaire comme celui qu’a

connu Haïti, passe souvent par la servitude du régime et l’imitation des concitoyens et

l’annulation des passions, pour ne point pousser les envies du spectateur à déroger de

l’éthos social dominant18

. Et ce, aux dépens d’un théâtre qui favoriserait une prise de

conscience, une communion réflexive et physique entre la salle et l’action scénique.

C’est en envisageant cette problématique que certains dramaturges et metteurs en

scène haïtiens, tel Frank Fouché, commenceront par s’intéresser à l’ethnodrame créole pour

ensuite souhaiter rompre catégoriquement avec toute forme de théâtre classique occidental.

Dans l’ultime but de dénoncer le sort de leur peuple, ils prôneront l’avènement d’un

véritable théâtre-rituel. Un théâtre sachant exploiter le principe de possession rituelle qui,

comme « genèse de beaucoup de mouvements révolutionnaires africains […], participe

réellement à la mutation et la libération de l’homme19

. » Le théâtre vodou, bien que rattaché

à un certain texte, tente de se détacher du théâtre tragique et dramatique classique, pour

s’axer davantage sur la performance et la création d’un évènement ritualisé, inspiré du

bagage culturel haïtien et de la façon pour le peuple de célébrer ses croyances et de se

réaliser. Ainsi, il est possible de déceler un caractère symbolique et pré-théâtral dans

l’exercice des cultes afro-antillais (danses, chants et possessions qui entourent leur

célébration), il est aussi possible d’y déceler une certaine forme de théâtralité, qui permet

d’affirmer que « tout rituel est essentiellement dramatique »20

. Le vodou serait donc, de par

sa nature, un rituel possédant une charge symbolique et performative.

1.1.2 Guy Régis Jr et la culture haïtienne

Guy Régis Jr renoue avec les aspirations culturelles de ses précurseurs indigénistes en

refaisant appel aux éléments notoires du vaudou et de la mythologie créole. En Haïti, le

mythe est indissociable des structures rituelles de la tradition vodou, et plus

particulièrement d’une mémoire collective qui vient se manifester à travers la réalisation

18

Ibid., p. 115. 19

Robert Cornevin, Le théâtre haïtien (des origines à nos jours), Leméac, Montréal, 1973, p. 199. 20

Claude Amey (dir.), Théâtre volume 1, l’Harmattan, Paris, 1998, p. 23.

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quotidienne des cérémonies, l’exercice des contes et d’autres traditions sacrées du

patrimoine culturel afro-caribéen. Le mythe est présent dans cette société reliée par des

références mythologiques partagées oralement, à travers « ce récit, inscrit dans la mémoire

collective, [qui] est l’objet d'une croyance collective qu’implique l’appartenance au groupe.

Il est remémoré lors des rites qui célèbrent ou consacrent cette appartenance21

. » Véritable

symbolisation d’une histoire colonisée, d’une tentative de se reforger une identité perdue et

conquise, la culture vodou est le ciment de cette résistance à l’effacement de l’histoire par

les multiples tentatives de colonisations et d’occupations despotiques. La mythologie vodou

forge en soi une mémoire haïtienne, composée de héros et de référents historiques

mythiques, qui tente de redonner à la population un mythe transmissible par une tradition

orale sur laquelle elle peut se baser pour pallier au manque de stabilité. Bien que ce mythe

ne soit pas immuable et qu’il comporte sa part de subjectivité, il fait office de mémoire

collective décousue, unie par la référence à une mythologie commune :

Cette Histoire est un discours sans cesse entrecoupé, une parole trouée de

silences. Si ce discours nous paraît incohérent c’est qu’on ne le lit point comme l’effort d’un muet pour retrouver une parole sans cesse perdue et sans cesse à reconquérir. Mais surtout c’est parce qu’on ne se rend par compte que les périodes d’aphasies et de bégaiement, de glossolalie même, sont camouflées, masquées par ces images fausses, ces mythes creux, vidés de leur sens dont le langage haïtien continue de tisser la toile folle22.

C’est cette mythologie et cette culture du vodou qui inspireront les théoriciens et écrivains

indigénistes, à compter des années 1940, dans leur tentative de réécrire le passé haïtien et

de redéfinir l’identité africaine, en comblant le manque de linéarité de ce qui a jadis été

transmis par l’oralité. L’indigénisme est une tentative de récupération des mythes

fondateurs de la nation et de la tradition vodou, pour tenter de retrouver le passé oublié et

une histoire altérée par l’invasion de la culture européenne. Ce mouvement constitue un

retour aux sources qui s’établit par la reconquête de soi et des cultes venus d’Afrique. Cette

21

Jean-William Lapierre, « Le fondement mythique et la légitimité du pouvoir politique », dans L'horizon de

la culture: Hommage à Fernand Dumont, Presses de l'Université Laval, Institut Québécois de la recherche en

culture, Québec, 1995, p. 188. 22

Maximilien Laroche, La sémiologie des apparences, GRELCA, Collection Essais, no 11, Sainte-Foy, 1994,

p. 86.

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tendance littéraire fut initiée par « les principaux fondateurs de l’indigénisme haïtien ou

mouvement ethnologique haïtien [qu’] étaient les docteurs Jean Price Mars, Jean-

Chrysostome Dorsainville et Arthur Holly ainsi que Jacques Roumain et Carl Brouard. Les

tenants du mouvement ethnologique haïtien visaient à travers leurs œuvres à expliquer la

nature et l’étendue des croyances et des coutumes populaires »23

. Le courant indigéniste,

centré sur l’ethnologie haïtienne, tente donc de renouer avec le passé et les particularités de

la culture haïtienne comme résultante d’une Histoire nationale et d’infimes luttes

quotidiennes contre l’« acculturation24

». Il s’agit de reconstruire une mémoire collective,

pourtant bien ancrée dans un présent et la société immédiate, pour devenir conscient des

affres de la colonisation occidentale et de ses répercussions dans l’actualité. C’est pour

cette raison que, pour plusieurs des auteurs indigénistes, écrire fut « synonyme de crier25

».

Il s’agit aussi d’une méthode pour rallier les insulaires caribéens vers un passé commun, car

en alliant le syncrétisme des Amériques et tirant parti de la déportation noire, « le mythe

indigéniste transforme la dérive des continents en leur rencontre et métamorphose le choc

des cultures en une harmonisation des ethnies et des idéologies »26

.

C’est au sein du mouvement littéraire indigéniste qu’apparaît le courant de

l’ethnodrame, façonné par certains dramaturges haïtiens, soucieux de rendre compte par le

biais de compositions théâtrales des pratiques religieuses et mythologiques de leur nation.

L’ethnodramaturgie se définit d’ailleurs comme cette possibilité de rendre compte du

potentiel dramaturgique des cultes issus des traditions non-occidentales. Ce caractère rituel

de la performance théâtrale, puisée à même la culture ancestrale, permet la formation d’un

« objet esthétique27

» comme « expression vivante de la religion dramatique, de

“l’ethnodrame” dont parle Prince-Mars et qui rejoint aussi les réflexions d’Antonin Artaud

23

Pierre Étienne Guerrier, Pour une Haïti moderne, Éditions Le Manuscrit, Paris, 2008, p. 47. 24

« Processus de changement culturel résultant de contacts entre des groupes de cultures différentes », cf.

Madeleine Grawitz, dans Philippe Delisle, Acculturation, syncrétisme, métissage, créolisation : Amérique,

Océanie, XVIe-XIXe siècles, Karthala, Paris, 2008, p. 5. 25

Pierre Étienne Guerrier, op.cit. p. 37. 26

Maximilien Laroche, op.cit., p. 187. 27

Bernard Chérubini, Interculturalité et créolisation en Guyane française, Université de la Réunion et

L’Harmattan, Paris, 2002, p. 231.

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sur le “théâtre total”, avec un souci constant de forcer les participants à théâtraliser leur

existence »28

. Les phénomènes entourant la religion vodou, notamment la transe, la

possession, l’hystérie, mais aussi la musique et la danse, sont mis à l’honneur dans cette

démonstration performative du mystique, qui peut être considérée comme une redécouverte

de l’origine du théâtre, par son désir d’imitation de la nature et un rituel profondément

intégré dans la culture populaire haïtienne29

.

Les principaux mouvements littéraires qui suivront celui de l'indigénisme et qui

marqueront une redécouverte surréaliste de la mythologie sont le réel merveilleux et le

spiralisme. Ce dernier fut instauré par Frankétienne. C’est en partie ce mouvement qui

ouvrira la voie à d’autres auteurs haïtiens postmodernes tels que René Depestre, Gary

Victor ou Guy Régis Jr. Chez Frankétienne et René Depestre se retrouvent les phénomènes

surréalistes et mythologiques du vodou, ainsi qu’une volonté forte de décrier les injustices

de toutes sortes que subit le peuple haïtien :

Quiconque lit au-delà des cabotinages tristes-amers de Depestre reconnaît en ce Grand pays zacharien écrasé sous le joug d'une dictature féroce un portrait

satirique d'Haïti et en Zoocrate Zacharie, surnommé le Grand Électrificateur des âmes, nul autre que François Duvalier. Cette métaphore qui représente Haïti comme une île peuplée de zombis aux âmes “électrifiées”, Depestre l'a empruntée à une œuvre antérieure de son compatriote Frankétienne30.

Ainsi, on peut affirmer que l'intervention de plusieurs personnages fantastiques et

surréalistes dans le texte de Guy Régis Jr constitue une poursuite de cet univers

métaphorique et engagé dans lequel plongent les œuvres de Frankétienne ou de René

Depestre.

Le personnage de Lüi, présent dans La mort de soi dans sa longue robe de Mariée,

par son mutisme et sa négation de l'identité, rappelle le personnage du zombi caractéristique

aux écrits spiralistes, personnage dont l'éveil et la prise de conscience sont en suspens.

28

Ibid., p. 231-232. 29

Jean-Michel Oughourlian, Hystérie, transe, possession : un mime nommé désir, L’Harmattan, Paris, 2000, p.

131. 30

Stanley Péan, « Vodou et Macumba chez René Depestre et Mario de Andrare », dans Études littéraires,

vol. 25, no 3, 1993, p. 53.

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L’auteur Guy Régis Jr fait partie d'une génération d'auteurs haïtiens nés dans les années

1970, vers la fin de la dictature des Duvalier qui fit place à une série de succession à la

présidence et une instabilité politique. Ainsi, vers 1990 Aristide prend le pouvoir et

gouverne le pays d'une manière de plus en plus totalitaire. Les jeunes intellectuels et artistes

haïtiens vécurent et créèrent dans un pays dévasté où sévissait un climat de révolution

permanente :

On a travaillé sur la pièce de Frankétienne parce que pour nous c’était un discours d’aujourd’hui. On était dans un combat de la renaissance, un combat de jeunes pour la renaissance d’Haïti. On était aussi contre la dictature, c’était un gouvernement totalitaire, c’était Aristide. À travers cette représentation du

texte de Frankétienne qui annonçait la fin de la dictature des Duvalier, c’était une attaque de la dictature d’Aristide qui, à l’époque, était en train de s’installer31.

Guy Régis Jr est donc de ces créateurs haïtiens qui ont lutté sans moyens financiers et en

contestation contre le pouvoir, pour qui l'exil demeurait souvent le seul salut, comme des

milliers d'autres concitoyens les ayant précédés. Même en désertant le pays, ces artistes et

intellectuels ne peuvent se résoudre à éliminer toute trace de la culture des ancêtres et leurs

origines caribéennes.

Le texte La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, par son caractère poétique

et surréaliste, est un bon exemple de la poursuite d'une tradition littéraire haïtienne ayant

commencé principalement dans les années 1950, puis s'étant poursuivie à travers le théâtre

haïtien, pendant et après l'ère Duvalier. Cette dramaturgie est caractérisée par la création

d'un univers désenchanté, parsemé de référents mythologiques, puisé à même la réalité et

l'horreur des faits historiques. On y retrouve l'émergence de fortes images métaphoriques,

alors que la dénonciation politique rencontre le poétique. Que ce soit par rapport au

mouvement de l'indigénisme, au courant du réalisme merveilleux ou au spiralisme de

Frankétienne, Guy Régis Jr croit que son bagage culturel ne peut le dissocier de ces grandes

tendances de la littérature haïtienne et qu'on ne peut entrevoir le théâtre haïtien sans penser

31

Théâtre croque-mitaine. « Entretien avec Guy Régis Jr », [En ligne],

http://www.theatrecroquemitaine.com/Entretien-avec-Guy-Regis-Junior.html, page consultée le 5 mai 2011.

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à ces précurseurs qui ont tenté théâtralement de redonner vie à la mythologie haïtienne :

« Ce que je retiens du théâtre haïtien, c'est qu'il y a eu un grand moment dans les années 60,

avec la société nationale d'art dramatique […]. De cette école sont sortis Frank Fouché et

Morisseau Leroy, qui ont tenté d'écrire une théorie sur une pratique totalement haïtienne

par rapport au vodou, nommée ethnodrame32

. »

1.1.3 La mort de soi dans sa longue robe de Mariée : dramaturgie, thèmes et

accentuations

Les éléments du culte vodou font indéniablement partie du texte de La mort de soi dans sa

longue robe de Mariée. Les traits caractéristiques de la mythologie haïtienne sont présents

tout au long du texte, à travers les dits et non-dits du texte. De ce fait, tout en étant très

poétique, le texte de Guy Régis Jr comporte des références directes au pays d'Haïti et au

syncrétisme qui caractérise sa culture populaire :

Les deux femmes.-

Nous sommes le revers de la médaille. Nous sommes les écorchures,

les milles replis du diamant. Nous sommes les cintrages têtus de la

perle. Nous sommes le revers de la médaille33

.

Dans cet extrait du texte, il est clairement question de la religion vodou et du caractère

punitif des esprits (représentés par les personnages des deux femmes) envers le personnage

principal. Le protagoniste, qui se retrouve entouré de richesses dans son manoir, doit sa

fortune à un pacte destructeur réalisé avec les déesses. N'ayant pas tenu parole et assuré

fidélité à ces dernières, elles reviennent pour le hanter et prendre leur dû. Par le « revers de

la médaille »34

, celles-ci peuvent vouloir signifier deux aspects. Le premier, c’est l'idée de

32

Guy Régis Jr, dans « Pérégrinations journalistiques en Ayiti », [En ligne],

http://bokotem.blogspot.com/2009/04/les-identites-cannibales-2005.html, page consultée le 13 avril 2011. 33

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, texte inédit, lu aux Francophonies en

Limousin, L'Imparfait du Présent, septembre 2009. 34

Ibidem.

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vengeance de revers de la richesse, le « cintrage têtu de la perle »35

pouvant aussi être

apparenté à la forme brute de la culture haïtienne, celle qu'il est impossible de coloniser

chez la « perle des Antilles ».

Le deuxième aspect est lié à la notion de syncrétisme entre la religion vodou et la

religion catholique. En ce sens, l'iconographie catholique cache son pendant mystique,

chaque Saint de la religion catholique étant représenté dans le panthéon vodou par un dieu

donné, un lwas bien particulier36

. Le personnage de Luï se retrouve pris dans un labyrinthe

intérieur, dans une introspection douloureuse et poétique de laquelle viennent le tirer des

personnages mythologiques au dessein vengeur :

Lüi-même.-

Ouvrez-les [ vos yeux ]. Cela ne vous demande même pas un grand

effort. Il ne suffit que de les ouvrir. Alors que dehors, imaginez quelle

démesurée tâche se donne la lumière pour couvrir tout ça, quel

gigantesque effort font les arbres pour se déployer, s'élargir dans le

vent. Et quelles pirouettes dans le ciel enfantent les nuages? Allez-y.

Ouvrez-les37

.

Cette incursion dans l'univers intérieur du personnage — voyage au fond de son deuil et de

sa noirceur d'où tente de l'extirper son double mythologique, Lüi-même — est façonnée tel

un tumulte qui semble insurmontable. Cette immersion dans un monde hanté par les esprits

et par divers démons n'est pas sans rappeler l'univers infernal tel que traité dans l'œuvre

spiraliste de Frankétienne, pour qui « chacune de ses œuvres est une invocation secrète aux

lois du vaudou, à Aida-Wédoh qui fait surgir l'arc-en-ciel, à Erzulie-aux-yeux-verts ou

Baron-Samedi, gardiens des cimetières. Chacun de ses textes est une descente dans l'enfer

de Dante38

. »

35

Ibidem. 36

François Houtard et Fridolin St-Louis. Le vodou haïtien : reflet d’une société bloquée, L’Harmattan, Paris,

2000, p. 24. 37

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit. 38

Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Lettres créoles, Éditions Gallimard, Collection Folios Essais,

Paris, 1999, p. 246

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Cette exploration spiralesque d'un monde surréel et monstrueux est présente à

travers le texte dramatique de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, où les jeux

langagiers et les allusions au monde du sacré amènent le lecteur, puis le spectateur, dans

une introspection effectuée par le personnage de Luï, bordée de souvenirs et de visions

cauchemardesques :

Lüi.-

[…] Radieuse sa robe. La longue traîne. Longue robe blanche. Nous marier. Je sais. Je ne lui ai toujours rien dit. Nous marchons vers l’Eglise. Tout cela pourrait se transformer en un rêve étrange. Je sais. Un affreux cauchemar. Un spectacle macabre, digne de la vie racontée par-delà les gosiers fétides des monstres et des idiots. […] Puis le deuil, les habits noirs, les pleurs. Et aujourd’hui la clôture des vingt et deux jours de prières indispensables. Toute la famille me fuit. Je suis seul avec ce corps,

elle. Morte à cause de moi. Maintenant qu’adviendra-t-il de moi ? Tout est ombre, tout est fuite dans mon esprit. Aujourd’hui vingt et deux jours de sa mort, les vingt et deux jours, la dernière prière. Qu’adviendra-t-il de moi 39

L'univers surréaliste est présent de plusieurs façons dans ce texte, notamment, par les

évènements, soit la mort inexpliquée et soudaine d'une jeune femme, la présence d'un pacte

avec les esprits et l'incursion inexpliquée de personnages tout aussi mystérieux, des

personnages non vivants survenant entre le rêve, le monde des esprits et la réalité. Le

déroulement de l'action dans un non-lieu, le no man's land d'un manoir sombre, hors de

tout pays est aussi une caractéristique de l'atmosphère surréaliste de la pièce. Le

personnage, hors de lui-même et rongé par l'amertume, se retrouve dans un endroit

indéfini, où il hante et est lui-même hanté, à la fois par son passé, mais aussi par les tenants

mythologiques de sa propre culture. Il nie sa propre existence, souhaite ne plus jamais se

réveiller et nie l'existence d'un monde extérieur à sa personne :

Lüi.-

Puisque je vous l’ai dit. Toute la nuit, je n’ai pas dormi. J’ai veillé. Je suis resté réveillé, je ne sais pas trop pourquoi. Dites-moi vous qui me connaissez, plus que je ne le croie ? Vous qui connaissez le plus profond de moi.

39

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit.

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Lui-même.-

Vous avez dormi. Vous avez dormi tout ce temps. Tout le temps que j’étais là.

Ce n’est pas grave. Dormez. Dormez donc. Mais, dehors, vous ratez, vous laissez passer tout. Pendant que tout est en train de revivre dehors, ressusciter. Toute la ville, le pays entier, bien vivant, éclatant de blancheur, de clarté. Vous ratez la ville baignée de lueur. C’est dommage pour vous. Vous ratez la renaissance de tout ça. Les fleurs qui poussent, les arbres debout, les gens…si vous voyiez les gens ? Tout cela sans vous. Les gens…Les gens…Vous préférez vous fermer les yeux ? Tout ce feu de joie ? Vous aimiez la ville toute

morte ? Maintenant ressuscitée, venez voir de vous-même. Elle, ressuscitée, et vous vous dormez ? Vous fermez vos yeux ?

Lüi.-

Mais de quelle ville parlez-vous ? De quelle ville ? Il n’y a même pas de pays. Quel pays ? Il n’y a pas de pays non plus. Plus de ville. Point de pays. Vous me fâchez. Cette fois, laissez-moi. Mais laissez-moi en paix.

Lui-même.-

Gare à vous. Alors, gare à vous. Dormez. Et ce sera sans vous. Un jour, le jour que vous vous lèverez, on vous dira, quelqu’un vous dira ce que vous avez raté. Et vous regretterez. Vous regretterez que dans tout ça, cet avancement, vous n’ayez pas pris votre part, joué votre rôle40.

Cette négation de sa propre existence est une façon pour le personnage de se détourner de la

réalité pour demeurer perdu dans ses cauchemars, à l'instar du reniement de son histoire

personnelle, ses fondements identitaires. Tels le pays qui n'existe plus et la ville qui est

anéantie, le personnage se retrouve seul, forcé de se questionner, de se retrouver. Même si

cet exercice est douloureux et parsemé de craintes intérieures qui prennent vie sous forme

de créatures, cet exercice est nécessaire afin que le personnage se retrouve et qu'il puisse

affronter la ville, le monde réel. Caractéristique type de l'univers surréaliste ou spiraliste, le

personnage de Lüi ne reconnaît pas sa propre existence : « Questionnant le lieu,

généralement le sujet est absent – d'autant plus effacé, attentif au spectacle du monde dont

il n'est qu'une négligeable composante. Or, si aux yeux des surréalistes le lieu est énigme –

40

Ibidem.

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merveille –, pour ces écrivains la poésie du lieu va de pair avec l'interrogation

identitaire41

. » Cette quête rejoint aussi la méthode créative de l'auteur qui établit son

processus d'écriture comme une longue découverte, une quête de sensations et de lui-

même : « J’écris rarement pour raconter une histoire. J’avoue me soumettre à l’écriture

comme on se plie à un narcotique. C’est au bout de l’expérience que je sais ce que j’ai vécu

– ce que je me suis laissé vivre. À chaque fois, la même pulsion vers l’enivrante

médication. À chaque fois, un même plaisir de m’être laissé surprendre42

. » Cette façon

d'entrevoir l'écriture est certes très imagée et permet de saisir toute l'importance du discours

du personnage qui tente de découvrir la vérité cachée au coeur des souvenirs et des

sensations morbides. Cette révélation sur la méthode de création de Guy Régis Jr rappelle

sans aucun doute les transes, les images fortes de la religion vaudou et la méthode de

création du spiraliste Frankétienne, dont la démarche est qualifiée « d'écriture de la

possession » :

L'expression « écriture de la possession » nous semble pertinente pour

caractériser l'énergie créatrice en circulation permanente dans l'œuvre polymorphe de l'écrivain Frankétienne (né en 1936). L'idée de « possession » renvoie à une double connotation. […] D'autre part elle participe d'une circulation ininterrompue du sacré dans le cadre holiste de certaines religions polythéistes: celle des anciens Grecs, et les religions vaudous du Golfe du Bénin et du Nouveau Monde (vaudou haïtien, santeria de Cuba, candomblé, macumba et umbanda du Brésil). Dans ce deuxième cas, la possession est un

phénomène glorieux, une forme d'épiphanie qui se réalise au cours d'une transe rituelle et structurée, réservée à des initiés dûment choisis et préparés pour devenir, l'espace d'un court instant sacramentel, l'expression momentanée d'une entité divine. C'est à ce deuxième cas que nous nous référons ici car il correspond à l'idée du poète « habité » par les muses et bénéficiaire d'une inspiration d'ordre surnaturelle43.

41

Christine Dupouy. La question du lieu en poésie, Rudopi, Série Faux-titre, Amsterdam/New-York, 2006,

p.51. 42

Guy Régis Jr, « Notes sur La mort de soi dans sa longue robe de Mariée », dans La mort de soi dans sa

longue robe de Mariée, op.cit. 43

Rafael Lucas, « Frankétienne, l'écriture de la possession et de la modernité créole », dans Le monde

Caraïbe: échanges transatlantiques et horizons post-coloniaux, Séminaires et actes du colloque international

Bordeaux – 7 et 8 décembre 2001, sous la direction de Christian Lerat, Pessac: Maison des Sciences de

l'Hommes d'Aquitaine, Bordeaux, 2003, p. 35.

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C'est cette idée de découverte ou de redécouverte de soi et du pays à travers l'inconscient

qu'il est intéressant d'observer à travers l'oeuvre de Guy Régis Jr. Une constante lutte entre

l'oubli et le souvenir qui s'opère tout au long du texte de La mort de soi dans sa longue

robe de Mariée:

Lüi.-

Alors, foutez-moi la paix. Allez, dégagez et foutez-moi la paix, foutez-moi,

foutez-moi la paix. Vous délirez vraiment. Tout cela, cette chose, le réveil, dans

lequel vous voulez que je prenne parti. L’on se croit. L’on se croit toujours.

C’est bête. L’on se croit… tout se fait, se poursuit bien sans nous, l’avancement,

le reculement, la société des gens, les villes, les pays… Que pouvons-nous ?

Comment prendre parti quand déjà avant nous la machine s’est déraillée ? Nous

sommes embarqués. On nous allaite que déjà nous sommes dedans. Que

pouvons-nous ? Que pouvons-nous contre un si grand déchaînement ? Et puis

quelle lassitude ? Pays, ville, quelle lassitude que tout ça ! Ne pouvons-nous pas

être que nous ? Cela déjà suffit. Cette grande tragédie nous suffit amplement. Le

grand drame de la vie. Laissez la communauté, la société des gens régler leurs

affaires ? Ils sont si nombreux. Laissez-les. ADIEU ! Laissez-moi. Qu’est-ce

que j’entends ?44

Cette perte de repères identitaires est caractérisée par une négation du monde par le

protagoniste, mais aussi par une complète aliénation de celui-ci. L'aliénation, « comme

perte de maîtrise sur l'action propre et hétéronomie induite »45

, est en soi une perte des

repères moraux, sensibles et sociaux de Luï. Cette perte peut être associée au rapport du

créateur de l'œuvre avec son propre pays, sa « déterritorialisation »46

, son pays perdu à

travers l'exil et enfoui en lui-même :

Il est aussi à espérer, car cela aussi fait partie de ce que j’ai espéré écrire en me laissant écrire, que cette pièce, même si elle le fait en filigrane, arrive à

44

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit. 45

Stéphane Haber, « Le terme “aliénation” (“entfrendung”) et ses dérivés au début de la section B du chapitre

6 de la phénoménologie de l’esprit de Hegel », dans Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté,

Presses Universitaires de Franche-Comté, 2005, p. 24. 46

« Il faut voir comme chacun, à tout âge, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes épreuves,

se cherche un territoire, supporte ou mène des déterritorialisations, et se reterritorialise presque sur n’importe

quoi, souvenir, fétiche, ou rêve. [...] On ne peut même pas dire ce qui est premier, et tout territoire suppose

peut-être un déterritorialisation préalable; ou bien tout est en même temps. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari,

Qu’est-ce que la philosophie?, Les Éditions de Minuit, Paris, 1991, p. 66.)

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dévoiler l’existence (ou l’agonie) d’un endroit de la terre, d’une ville, d’un pays. Quel qu’il soit, la désignation de ce lieu importe peu. Car les coins de

terre qui nous habitent nous sont des parts de vie dont on ne se séparera jamais47.

Résolu à un ermitage forcé, ne pouvant assumer sa propre vérité et celle de son pays, le

personnage de Luï se résout à vivre dans un monde parallèle, où il souhaiterait l'aphasie ou

la mort. L'ensemble du texte se démarque, en plus de sa faculté à faire appel au surréalisme

— dans lequel on retrouve les mystères du vaudou et la descente aux enfers métaphorique

du personnage principal —, par une lutte continuelle entre la volonté de vivre ou de mourir.

Cette tendance est aussi le reflet du rituel et des croyances vaudou, qui dans une constante

dualité des forces, oscille entre la vie et la mort, le bon et le mauvais, entre l'amour et

l'horreur. Ce sentiment général est à l'honneur dans la relation qu'entretient Lüi avec ses

fantômes. Cette profonde dualité présente dans la pièce évoque pour l'auteur les principes

du « théâtre de la cruauté48

» d'Antonin Artaud : « Ce qui pour moi était essentiel, c’est la

tourmente, l’impossible calme non idoine au désir et son croisement inévitable et fatal avec

l’élément de sa fin. Le cycle cruel dont parle Artaud : Création/Destruction49

. » La mort est

le thème le plus révélateur du texte dramatique de Guy Régis Jr. De ce portrait funeste et

intérieur de la vie de Lüi se détachent tous les thèmes secondaires, soit la solitude, le deuil,

le vaudou, la sensualité, la vie.

Le cycle création-destruction tel que mentionné par Guy Régis Jr est omniprésent et

martèle le rythme de l'œuvre. Le personnage de Lüi tangue constamment entre deux forces,

deux nécessités : affronter la vie (lumière), affronter la mort (noirceur). Cette lutte est celle

d'un rituel incessant, qui sévit telle une spirale sans fin, d'où le récit ne peut sortir. Par cette

tendance, il est possible de constater que non seulement la pièce La mort de soi dans sa

longue robe de Mariée confronte deux réalités universelles de l'homme – la vie contre la

47

Guy Régis Jr, « Notes sur La mort de soi dans sa longue robe de Mariée », dans La Mort de soi dans sa

longue robe de Mariée, op.cit. 48

Antonin Artaud, Le théâtre de la cruauté : manifeste, Gallimard, Paris, 1932. 49

Guy Régis Jr, « Notes sur la mort de soi dans sa longue robe de Mariée », op.cit.

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mort –, mais aussi qu'elle se dévoue entièrement à une notion importante pour toute nation

colonisée, celle de résistance ou d'abandon de sa culture propre. Cette notion de culture de

la nation entre la vie et la mort peut donc renvoyer au mythe de la zombification, tel que

l’exprime l’auteur haïtien René Depestre :

Ce n’est pas par hasard qu’il existe en Haïti le mythe du zombi, c’est-à-dire le mort-vivant, l’homme à qui l'on a volé son esprit et sa raison en lui laissant sa seule force de travail. Selon le mythe, il était interdit de mettre du sel dans les aliments du zombi, car cela pouvait réveiller ses facultés créatrices. L’histoire de

la colonisation est celle du processus de “zombification” généralisée de l’homme. C’est aussi l’histoire de la quête d’un sel revitalisant, capable de restituer à l’homme l’usage de son imagination et sa culture50.

La mort symbolique est présente à travers la pièce, à la fois comme composante importante

de la religion vaudou, comme « revers de la médaille51

», et comme condition et prétexte

au rituel théâtral. Au sein de la religion vaudou, la mort et le deuil sont des principes clés

du rituel, vus comme motifs de la renaissance dans le monde des esprits : « si l'esclavage

est une mort sociale par laquelle l'individu est dépouillé de tous ses droits, l'acte de

sépulture opère paradoxalement la négation de sa condition d'esclave, non pas seulement

en énonçant sa transcendance comme être humain, mais aussi en recréant les liens avec les

familles, les ancêtres et tout le monde invisible de la lignée à laquelle l'esclave

appartient52

. » La mort, vue comme inertie de la vie dans la culture occidentale, est

représentée dans la culture vaudou par le phénomène de zombification. Mais cet état

léthargique du corps et de l'être est souvent utilisé pour caractériser l'oppression politique

haïtienne : cette « image voudouesque à souhait, n'en est pas moins efficace et son

traitement maîtrisé : Haïti a bel et bien vécu, sous le régime duvalériste, presque trente ans

de “ zombification ”, de perte du corps, de la tête et surtout de l'âme »53

. C'est de cette

manière que le personnage de Lüi peut être vu comme une sorte de zombi, un être coupé de

50

René Depestre, dans Lucienne Nicolas, Espaces urbains dans le roman de la diaspora haïtienne,

L’Harmattan, Paris, 2002, p. 80. 51

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit. 52

Louis-Philippe Dalembert et David Damoison, Vodou!: Un tambour pour les anges, Éditions Autrement,

Paris, 2003, p.64. 53

Stanley Péan, op.cit.

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sentiments et du monde extérieur, ce qui se reflète dans la relation et les rencontres

« effacées » avec les autres personnages du texte dramatique :

Josiane.-

Habillé en personnage de théâtre

Je ne suis pas d’ici. Je cherche. Je cherche. Je suis pressée. Je cherche à ce qu’on me voie. Mon vœu semble vous déplaire. Je suis habituée. C’est mon vœu cher. Cela ne compte pas ce que vous pensez. Je passe, c’est tout. Je ne suis pas.

Je suis de passage. Je vais m’effacer sous peu. Cela ne compte pas. Une personne qui parle et passe. Sans vie. Je suis un nuage. Voilà. Un nuage. On préfère à moi ce que je dis, qui reste et demeure. Je suis une sorte de personnage qui porte ce qu’il dit, comme un trésor, que dis-je, un poids qui ne lui appartient pas. Ainsi est ma vie. Je satisfais les drogués de récits vivants et morts, vivants ou morts. Trop encombrés parfois, de leurs vies, quelques récits leur suffisent. Même hachés. Mais, souvent l’histoire des gens, leur tragédie, celle de leur ville

plantée debout vaut mieux que les miennes. Ils m’écoutent quand même. Je sais. Je comprends. Mais que voulez-vous ? Je passe. Je dois passer. Il faut que je passe. Leur faire le récit. Je ne suis pas. Je suis le double de moi54.

Le personnage de Josiane traduit cette faculté du zombi d'agir comme un fantôme à la

dérive du monde des vivants. Au sein du récit, ce personnage est le reflet d'une sensation de

Lüi, celle de ne pas exister, « d'être un nuage », mais aussi celle de rapporter l'information

politique, les drames du pays, comme des banalités. Une sorte de pulsion de vie, à travers

la pulsion de mort, un corps dépossédé de son vivant, symbolisant l'acte de résistance que

constitue le texte dramatique, car « seul l'acte de résistance résiste à la mort, soit sous la

forme d'une œuvre d'art soit sous la forme d'une lutte des hommes »55

.

La fonction communicative de la pièce est un acte de résistance en soi, qui lutte

contre la mort et contre la désacralisation du monde, en abordant la nécessité de prendre

conscience du pays extérieur et intérieur (imaginaire ou rêvé) propre à chaque être humain.

La lutte contre l'anéantissement ou la mort, pour la poursuite du monde, est une lutte

universelle à laquelle se voue le texte de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée.

L'agonie du pays, telle qu'énoncée par Guy Régis, n'englobe pas seulement la désignation

54

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit. 55

Gilles Deleuze, « Qu'est-ce que l'acte de création? », Conférence donnée dans le cadre des Mardis de la

fondation FEMIS, Paris, 17 mai 1987.

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physique du lieu, mais aussi tout ce qu'il comporte comme caractéristiques sociétales, à

l'instar de l'humain, la culture, le souvenir, la mémoire. Le pays anéanti, dont il est question

dans le texte de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, renvoie au pays d'Haïti et à

son peuple qui se bat littéralement pour sa survie, au niveau physique et culturel. La

description de ce territoire dénaturalisé met donc en scène le monde des esprits

(mythologie) et la notion de lutte contre la mort, l'anéantissement. La transposition de cette

métaphore au sein du texte dramatique, même dénudée de toute visée représentative,

contribue à forger le sacré et les conditions théâtrales du mythe : « Le théâtre comme le

mythe est venu confirmer une transformation dans le rapport à la survie des âmes. La scène

joue le simulacre de ce qui ne meurt plus. Elle raconte l'abomination de ce qui n'aura pas

lieu... pour confirmer le passage d'un mode de société à un autre56

. » Cette qualité mythique

du texte permet de voir le caractère sacré que tend à transmettre Guy Régis Jr, inspiré par la

vision théâtrale d’Artaud. Soit, l’établissement d’une conscience parallèle du monde à

travers la prise en charge des mystères de l’inconscient :

Le théâtre a donc pour objet de détruire notre « conscience individuelle », afin de nous ramener aux conflits primordiaux. Refaire la création dans un second temps, celui de la lutte, c'est provoquer une remise en cause non seulement de tous les aspects du monde objectif et descriptif externe, mais du monde interne,

c'est-à-dire de l'homme considéré métaphysiquement […], remettre en cause organiquement l'homme, ses idées dans la réalité, et sa place poétique dans la

réalité.57

Le cycle mort/vie de l'Homme est donc importante dans la tradition du rituel théâtral, tel

que le conçoit Antonin Artaud dans ses théories. Il s’agit en fait d’une lutte contre

l'anéantissement de ce qui relie l'être humain au vivant.

56

Serge Ouaknine, « Sacrifice et mort. Les tréteaux universels du théâtre », L'Annuaire théâtral: revue

québécoise d'études théâtrales, no 19-20, 1996, p. 88. 57

Jean Verdeil. Dionysos au quotidien: essai d'anthropologie théâtrale, Presses Universitaires de Lyon, Lyon,

1999, p.93. Cit. de Antonin Artaud, Oeuvres complètes, tome 4, p. 110.

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1.2 Ressources de la création

Les thèmes présents au sein du texte de la Mort de soi dans sa longue robe de Mariée ont

vu leur sens prendre forme et être accentué tout au long de notre processus créatif. Sans

cette exploration, il n'eut été possible de les approfondir dans leurs rapports à la mythologie

vaudou. La ressource dramaturgique (texte), amalgamée à la ressource « chaos » que

renferme le rituel vaudou ainsi qu’à la ressource des corps et de la musique, se sont vues

transformées et investies du regard de l'équipe de création. Chacune de ces ressources

peuvent être traitées de manière indépendante, mais aussi comme un tout serti d'une

mission particulière: celle de promulguer et voir naître les diverses significations au sein de

la création finale.

Une méthode s'inspirant en quelque sorte du principe de la « ressource sensible58

»

fut empruntée dans le cadre de notre projet de recherche-création afin de bâtir

collectivement la mise en scène et de permettre les diverses explorations. La mise en scène

de la pièce La mort de soi dans sa longue robe de mariée s'est opérée à l'aide de certains

éléments, thématiques ou images de départ. Ainsi, nous avons exploré la culture haïtienne

en utilisant les ressources du chaos, du texte dramaturgique et du rythme corporel. La

présente partie de l'essai se penchera donc sur le survol de ces ressources. Certaines furent

matérialisées par le biais d'exploration, alors que d'autres furent des points centraux de

réflexion créative et laissèrent plus tard leurs traces à travers la représentation.

1.2.1 Ressource chaos

La ressource chaos qui a inspiré le processus de création est présente à deux niveaux. Il

s'agissait, plus précisément, de parcourir au fil des explorations et des discussions cette idée

de chaos, dans un premier temps, le chaos comme catalyseur de sens au sein de la création,

58

« Cette ressource est scindée en ressource sensible (les participants, leur personnalité, leurs attentes, ainsi que les objets, les mots auxquels ils attribuent un pouvoir évocateur) et en ressource matérielle (contraintes de

temps, d'argent, équipement disponible, etc.). » (Jean-Marc Larrue, « De l’expérience collective à la

découverte des cycles », dans L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, no 8, 1990, p. 22.

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(tel qu’envisagé par certaines approches créatives comme le spiralisme) et dans un

deuxième temps, puiser l'inspiration dans l'émergence d'images présentes au niveau

politique (particulièrement en Haïti) et qui se reflètent de manière poétique dans le texte de

Guy Régis Jr. Bref, deux types de chaos ont été envisagés au sein du laboratoire : un chaos

comme état présent et nécessaire à la création, et l'autre comme figure nourrissant

l'imaginaire, élément essentiel pour une exploration théâtrale. Plus précisément, à l'aide de

diverses ressources matérielles, textuelles et musicales, nous avons tenté d'explorer

théâtralement et de varier les images possibles du chaos.

L’idée de chaos comme élément essentiel à la création du sens est bien reconnu par les

créateurs, notamment ceux de la méthode des Cycles Repère. Selon cette approche, le chaos

n'est pas un obstacle à la création. Au contraire, il aide à recréer des nouveaux sens, à

organiser les concepts et amener la lecture des ressources vers d'autres horizons. Dans cette

quête de sens, il « s'ensuit à chaque fois une reconfiguration de son parcours mémoriel, une

nouvelle syntaxe du monde. Du seul fait de la réorganisation aléatoire des objets, la lecture

se trouve sans cesse renouvelée. Les récits que l'on peut tirer d'un nombre limité d'objet

peuvent emprunter de nouveaux méandres et déboucher sur d'innombrables récits neufs59

. »

Dans le même ordre idée, cette méthode peut aussi être comparée à la méthode haïtienne

spiraliste du créateur Frankétienne. Chez Frankétienne, le chaos peut devenir la mort, la

perte de l'homme et le règne de terreur (comme sous Duvalier). Il faut donc s'inspirer de cet

état afin de créer une esthétique du chaos, ouvrant sur des moments de lucidité : « J'ai pris

conscience du phénomène du chaos dans tous les aspects de la vie, que le chaos est une

constante et non une exception, que les lueurs de la rationalité étaient des exceptions. C'est

ce constat, cette découverte, renforcée par mes lectures scientifiques qui m'ont permis cet

acheminement vers cette forme linéaire de la spirale60

. » En ce sens, le chaos peut être

source d'inspiration pour créer un nouveau mouvement (spirale), sortir du carcan du

labyrinthe. S'inspirer du désordre et de l’esthétique du chaos afin de créer un nouvel ordre.

59

Isabelle Boisclair, « Re: c'est toujours à accomplir », Contact l'Encyclopédie de la création, [En ligne],

http://contacttv.net/i_regard_contenu.php?id_article=933&id_rubrique=230, page consultée le 24 mai 2011. 60

Frankétienne, cité dans Rafael Lucas, op.cit., p. 39.

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Il n'est pas paradoxal à mon sens, mais plutôt complémentaire de vouloir s'inspirer

du chaos comme procédé de création et en tirer le sens qui en découle. À cet effet, nous

avons tenté d'explorer les diverses représentations et possibilités présentes dans l'imaginaire

développé autour du chaos afin d'organiser cette « image » et lui donner un sens épuré,

nouveau pour la pièce. Ainsi, les images du chaos présentes au sein de la pièce ont été

relevées et tentées d'être accentuées grâce au processus de création. Dans cet aspect, le

chaos en lui-même et son idéation a permis de développer plusieurs significations et

figures, soit une idée de spirale sans fin, de désordre et de labyrinthe. Il s'agissait donc de

faire ressortir tous les sens métaphoriques et réels que pouvait prendre le chaos et les

énoncer, les expérimenter, les sélectionner. Les images du chaos social sont survenues, ont

pris forme à travers des dessins, des discussions ou des expérimentations physiques, et sont

de ce fait revenues comme « récurrences » au cours de plusieurs échauffements, exercices,

répétitions, même lorsque d'autres ressources servaient de base à l'inspiration. Cela

consistait à puiser en nous-mêmes toutes les représentations (imaginaires, réelles et

universelles) que pouvait prendre le chaos, notamment des images de chaos puisées à

même l'actualité haïtienne. Source d'inspiration, certes, pour notre création, la situation

haïtienne est des plus chaotiques. Par son instabilité et la noirceur que symbolise Haïti, il y

était facilement possible de puiser l'imagination nécessaire au développement de l'élément

chaos de la pièce, que ce soit en se référant au contexte politique, à la pauvreté, aux

conditions environnementales, etc. L'image du chaos a aussi inspiré diverses explorations

puisées à même l'idée de la religion vaudou. Cet univers polythéiste permet de créer des

images en relation avec l'inconnu (inexpliqué, la peur et le mystère entourant le vaudou et

sa mythologie). Ainsi, « ce qui caractérise les sociétés traditionnelles c'est l'opposition

qu'elles sous-entendent entre leur territoire habité et l'espace inconnu et indéterminé qui

l'entoure : le premier c'est le “Monde” (plus précisément “notre Monde”), le Cosmos; le

reste n'est plus un Cosmos, mais une sorte “d'autre Monde”, un espace étranger, chaotique,

peuplé de larves, de démons, “d'étrangers” »61

. S'inspirer de telles images et de l'imaginaire

afin de bâtir la logique de la pièce fut l’un des éléments les plus significatifs de la ressource

chaos.

61

Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Éditions Gallimard, Paris, 1965, p. 28.

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Travaillée de pair avec la ressource texte, la ressource chaos a permis de révéler

divers autres aspects du texte de Guy Régis Jr, dont celui de l'égarement et du tourbillon

infernal entourant le personnage principal. Il fut possible d'explorer l'image de ce chaos au

sein du texte dans les divers passages où le personnage principal se retrouve coincé entre

lui-même, le personnage qui agit comme son double et d'autres personnages

(représentations mythologiques). Il fut aussi intéressant d'explorer, à l'aide du mouvement

ou en décortiquant le texte, cette idée d'égarement, de labyrinthe dans lequel est enfermé

l’univers de la pièce.

1.2.2 Ressource texte

Le premier élément intégré dans le processus de création, la ressource première fut sans

aucun doute le texte de l'auteur Guy Régis Jr. Par son caractère poétique, son surréalisme et

l'atmosphère mystique qui s'en dégage, le texte de La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée recelait en lui-même un immense potentiel de création. Comme point de départ, il

fut décidé de commencer à traiter le texte telle une ressource sensible, à l'instar de la culture

haïtienne, comme base neutre pour de futures explorations avec les comédiens. Le texte

serait adapté aux futurs objectifs du spectacle, à l'interprétation et aux contraintes créatives

pour lesquelles nous allions le transformer, le rendre plus conforme à certains concepts nés

au fil du processus de création, notamment l'inspiration du rituel et la culture haïtienne. Par

le processus de création, nous entendions effectuer un travail exploratoire né de cet

élément. Plus précisément : « Plusieurs ressources peuvent être utilisées durant l'élaboration

du spectacle. À part la première, instauratrice et déclencheur du processus, d'autres

viennent se greffer au fur et à mesure qu'avancent les répétitions, suivant le hasard... ou la

nécessité62

. » Il était primordial de garder en tête ce principe de ressource, afin de parcourir

les idées et images présentes au sein du texte et de nous les approprier. La ressource

dramatique pouvait composer une lame à double tranchant : assez poétique pour favoriser

la création et être facilement adaptable, ou bien assez poétique pour ne pas être comprise, à

62

Irène Roy, dans Marcel-Li Antunez, Béatrice Picon-Vallin et al., Les écrans sur la scène: tentations et

résistances de la scène face aux images, Age d'homme, Collection Théâtre du XXe siècle, Lausanne, 1998, p.

177.

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la fois par le public ou par les comédiens. Cela fut donc le risque à prendre. Le risque de

faire émerger le sens du texte au fil des explorations, coûte que coûte, peu importe nos

idées préconçues.

Bien que le caractère mystique et religieux haïtien soit présent dans le texte de base,

nous avons choisi, somme toute, de rendre plus évidente la présence du rituel, soit la

présence de divinités vaudou, de forces obscures, d'effets de surréalisme, etc. Il fut donc

déterminé, par contrainte de temps et pour servir les besoins de la création, de sélectionner

des passages qui rempliraient davantage le besoin de cette atmosphère lourde, mystérieuse

où s'engage une lutte constante entre la vie et la mort.

Ultimement, le texte a proposé les mots et les extraits qui furent un prétexte à la

création. La mise en scène a été bâtie à travers l’action, comprenant les explorations

corporelles, textuelles, rituelles et musicales. Notamment, dans le cas de la scène 2 (celle de

l'apparition des deux déesses), où le texte a permis d'instaurer un rythme et inspiré la

création d'une danse et de différents mouvements. Cette mise en œuvre et mise en rythme

du texte a dicté la manière dont le texte fut interprété, changé dans son ordre ou tronqué. Le

sens du texte et celui de la mise en scène furent traités séparément, pour que l'un puisse

servir l'autre, et non s'assimiler dans un tout conforme, afin que chacun procure un sens

propre, dans un esprit de confrontation, tel que le suggère Patrice Pavis : « Si les deux

sémiologies doivent garder leur autonomie, c'est parce que texte et représentation répondent

à des systèmes sémiologiques différents et que la mise en scène n'est pas la réduction ou la

transformation de l'un a l'autre, mais au contraire leur confrontation63

. » Cette mise en

interrelation était donc explorée par un travail de recherche avec les comédiens; ces

explorations et les résultats furent la base de la mise en scène, le ciment de chaque

ressource.

Le texte constitue, bien évidemment, un des noyaux de la création. Il fut cependant

adapté ensuite pour servir les explorations et les choix de la mise en scène, pour représenter

certaines images cadrant davantage à la situation actuelle du pays. La mise en scène

63

Patrice Pavis, Le théâtre au croisement des cultures, José Corti, Paris, 1990, p. 29.

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souhaitait représenter, au sein du spectacle, le rituel en intégrant des aspects

scénographiques, sonores ou des éléments de jeu qui rendraient mieux compte de l’univers

culturel haïtien et de l’actualité. Nous avons donc décidé que le propos du texte final, après

l'avoir lu, relu, travaillé en explorations (puis modifié selon ces explorations), devait

tourner davantage et amalgamer les autres éléments de la mise en scène autour de l'idée de

deuil. Par ce deuil, nous entendions l'exil (ou référence au séisme haïtien), la lutte avec ses

propres forces intérieures (conscience présente dans le personnage de Lüi-même, son

double) et la hantise de fantômes du passé et des voix du pays. Suite à cette interprétation et

à la sélection du caractère que nous désirions donner au texte, quelques modifications

mineures ont été effectuées pour guider les comédiens dans la manière de jouer ou pour

décider comment utiliser tels éléments de décors à travers le texte, quel personnage serait

présent dans la représentation, lequel serait évincé du texte final, etc. Et ce, en tenant

compte des diverses contraintes : temps, niveau d’expérience des comédiens et ressources

techniques disponibles. Le texte est donc devenu un des moteurs de la création, une des

ressources principales, tout en s'amalgamant à une vision créative, en se modifiant au fil du

processus et en étant interprété de temps à autre avec divers sens ou tonalités. Les phrases

et les scènes sélectionnées ont servi de partitions aux explorations des comédiens : jeu,

parole, chansons, mouvements. Le texte dressait la trame derrière laquelle se déroulerait

l’histoire, une sorte de prétexte à l’exploration ritualisée et un point d’ancrage pour les

variations et le début du processus créatif. Finalement, la plupart des indications scéniques

(didascalies de l'auteur) dans le texte, celles des passages sélectionnés, furent changées ou

sommairement respectées. Elles étaient souvent élaguées ou réinterprétées selon le sens des

explorations corporelles ou musicales.

L'espace de découverte ainsi créé et inspiré souhaitait mettre en relief les sens

possibles présents au sein du texte, autrement dit, forger notre propre sens à partir de

l’écriture dramaturgique de Guy Régis Jr. La libération corporelle amenait souvent une

ouverture de l'imaginaire. Plusieurs répétitions furent basées sur des improvisations puisées

à même les Jeux pour acteurs et non-acteurs: pratique du théâtre de l'opprimé64 d'Augusto

64

Augusto Boal, Jeux pour acteurs et non-acteurs: pratique du théâtre de l'opprimé, Éditions la découverte,

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Boal. Cette exploration basée donc sur le concept de libération, comportait des danses et

entraînements du corps d’inspiration rituelle, souhaitait ouvrir la conscience des comédiens,

autant de manière spirituelle que sociopolitique. On peut en tant que créateur prendre

conscience de sa société, de ses racines, mais il faut souvent d'abord prendre conscience de

son appartenance au groupe de création. Le processus de création comme rituel peut se

définir comme ceci :

Le rituel assure le maillage de la communauté en tissant des fils horizontalement dans l'espace présent et vécu, et verticalement dans le temps. C'est un geste de surdétermination du monde par l'imagination. C'est une méditation une manière d'ériger un pont entre un ici et des ailleurs, entre le passé et le présent, entre le matériel et le symbolique, entre soi et l'autre65.

Le corps intégré au processus de création théâtrale devient ainsi une porte ouverte sur

l'imaginaire et l'historicité de l'être humain.

1.2.3 Ressource corps et musicalité

Le corps des participants comme objet de communication et objet culturel, autant celui de

l'acteur que le corps imaginaire du personnage, sont des éléments dont il fallait tenir

compte et qui devaient être explorés au sein de la création. Selon la vision d'Eugenio

Barba, le corps comporte en soi une structure de laquelle peut émerger le récit. Le corps

fait donc sens par son rapport culturel, son appartenance, favorisant les interprétations et

les références. Le corps en lui-même est un élément permettant l'émergence d'images et un

échange communicationnel entre le spectateur et la scène. Ainsi, le corps renferme :

Une sémiologie qui serait soucieuse non des résultats et des signes visibles, mais des réinterprétations culturelles où l'on devine encore l'ancien sous le nouveau,

comme “ces esquisses qui gardent encore autour du personnage achevé les traces d'autres mouvements et d'autres traits ébauchés par l'artiste66”, comme ces traces où

Paris, 1983. 65

Céline Schmitt, « Le rituel, un geste scénopoétique », dans Inter, art actuel, numéro 106, été 2010, p. 43. 66

Berthold Brecht, Cité dans Petit organon pour le théâtre, L'Arche, Paris, 1970, p. 53.

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l'on voit à la fois ce qui vient d'être exproprié et ce qui est approprié, la déculturation autant que l'acculturation67.

Le corps agit donc en tant que mémoire, révélation d'une identité physique et culturelle et

canal de la vie, des émotions. Il semblait donc logique d'impliquer cet élément au sein de

l'exploration du texte La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, d'autant plus que le

travail créatif avait lieu avec un groupe d’origines diverses : africaine, brésilienne,

haïtienne et québécoise. Les corps pouvaient donc être considérés en tant que mosaïque

culturelle à reflets et référents multiples (historiques, poétiques, comportementales), que ce

soit à travers le rythme, la musicalité, les mouvements, la danse, etc. Le travail exploratoire

nous aura donc permis de prendre conscience des diverses possibilités de la corporéité à

l'aide d'exercices, tout en nuances et en contrastes. Nous avons tenté de découvrir le corps

libéré, le corps transi, le corps zombifié, le corps envoûté.

Au fil du processus de création, le corps des comédiens a servi pour expérimenter

les éléments du texte68

, mais aussi pour que les comédiens se découvrent et prennent

conscience de leurs propres identités sociale et culturelle. En ce sens, il semble approprié

de se référer aux propos d'Augusto Boal sur le corps de l'opprimé. Pour Boal, le premier

pas dans la création avec un groupe, surtout un groupe de non professionnels, est la

libération corporelle de la pression sociale :

C'est pourquoi il ne faut pas commencer par quelque chose qui leur soit

étranger (les techniques théâtrales que l'on enseigne et que l'on impose),

mais par le corps même des personnes qui se proposent de participer à

l'expérience. Il existe une quantité d'exercices pratiques pour rendre

chacun conscient de son corps, de ses possibilités et des déformations

consécutives au genre de travail qu'il pratique. Pour que chacun sente

l'aliénation musculaire que le travail impose à son corps69

.

67

Patrice Pavis, op. cit., p. 181. 68

Les expérimentations physiques furent particulièrement prisées pour les scènes des deux déesses qui

reviennent hanter le personnage principal et la scène du personnage de Josianne. 69

Augusto Boal, Théâtre de l'opprimé, Éditions La Découverte, Paris, 2006 (1975), p. 20.

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C'est de cette manière qu'avant même de commencer à travailler le texte, nous procédions à

des échauffements, suivis d'exercices corporels, avant toute répétition. Pour bâtir ces

explorations corporelles, je m'inspirais de danses ayant un certain lien avec la culture

africaine et avec le rituel. Dans un premier temps, je demandai à Rodrigue Barbé, conteur

africain professionnel et comédien pour le projet, d'animer quelques réchauffements à

l’africaine. Ces exercices eurent comme mission de faire ressortir l'africanité des

comédiens et de libérer le corps collectif ainsi que l'esprit du groupe. Par les chants et la

danse, conjuguées aux rythmes de notre percussionniste brésilien, nous fîmes sortir de nos

corps une musicalité et une spiritualité partagées. Ces exercices furent à l'image de la

redécouverte des racines de l'Amérique, où « la redécouverte d'une culture et d'un passé

africains a coïncidé dans l'élaboration d'une esthétique afro-américaine, où la musique et la

danse, entre autres, ont joué un rôle primordial »70

. Véritable prise de conscience, les

exercices, sous forme de rituels africanisés, nous permettaient de rencontrer, ou de

s'exercer à rencontrer, les conditions nécessaires à l'acteur-rituel, plus précisément : « La

structure initiatique de l'Étoile à cinq branches qui symbolise dans le rituel traditionnel

l'accomplissement de l'homme, l'acteur devra contrôler les cinq pointes (le corps, l'émotion,

la pensée, la volonté, la conscience) pour les rendre toutes opérationnelles : il faut qu'elles

atteignent toute la conscience pour favoriser ainsi la liberté et la créativité71

. »

À la suite de cette série d'échauffements à saveur africaine, nous pratiquions

certains extraits du texte, en accompagnant l'exploration de mouvements puisés dans

diverses danses à connotation rituelle. De prime abord, il est important de comprendre que

toute danse comporte une musique, un rythme. L'utilisation de ces danses comme outil est

donc venue ajouter un défi rythmique et axer la création sur l'alternance et la découverte de

différentes mélodies et tempos. Par exemple, nous utilisions le tango pour découvrir et

expérimenter l'idée de lutte, de confrontation parlée et physique, présente au sein du texte.

Il semblait utile de façonner les exercices à l'aide du tango, puisque cette danse peut se

définir de cette manière :

70

Stefania Capone, Les Yoruba du Nouveau Monde: religion, ethnicité et nationalisme noir aux États-Unis,

Éditions Karthala, Paris, 2005, p. 331 71

Marie-Josée Hourantier, Du rituel au théâtre rituel : contribution à une esthétique théâtrale négro-africaine,

L’Harmattan, Paris, 1984, p. 226-227

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33

Il s'agit de rapport entre les gens, de l'histoire de l'émigration, de la quête de l'identité. Il s'agit de la lutte entre les sexes, entre les classes économiques, entre

les peuples de races différentes. Il y a du désir, de la passion et de la trahison. Cet héritage culturel rencontre le corps dans l'acte de l'art de danser le tango. Tout comme le corps et l'esprit sont indissociables, la danse évoque des changements secrets et elle engendre la transformation d'une personne72.

Le but de l'exercice n'était pas de devenir de parfaits danseurs et danseuses de tango et d’en

maîtriser tous les mouvements, mais simplement de découvrir le texte accompagné de

quelques mouvements et de l’énergie de cette danse. Guidés par l’un des comédiens, qui

possédait une longue expérience de tangeiro, nous explorions les luttes entre divers

personnages, notamment entre le personnage principal et les personnages féminins

mythologiques. Nous découvrîmes le côté rituel, combatif et sensuel du tango, une sorte

d'énergie complémentaire aux confrontations textuelles. Cette découverte corporelle et

textuelle allait de pair avec une découverte identitaire, une quête de l'identité des

personnages à travers le corps des comédiens.

Une autre phase de la découverte corporelle consistait en l'utilisation de

mouvements de la capoeira, un art brésilien à mi-chemin entre l'art martial et la danse. La

capoeira, plus particulièrement les mouvements de roda (ronde dansée et jeux d'échange de

positions entre les participants) et la jinga (mouvement de balancier des bras et des

jambes). Ayant de l'expérience en danse afro-brésilienne et en capoeira, je m'inspirai de

quelques notions de cette danse pour bâtir des exercices et des explorations avec le corps

du texte, créer de nouveaux effets rythmiques et une dynamique entre les personnages. Le

principe premier de la capoeira repose sur une bonne communication entre les participants,

une connexion visuelle et un équilibre des corps. Un effet de balancier est toujours

recherché et sert à ce que chacun participe à l'échange. C'est cet effet d'équilibre à travers

la roda et la jinga que nous avons surtout pratiqué, accompagnés des rythmes brésiliens

interprétés par notre percussionniste, afin d’explorer les significations que nos corps

72

Citation de www.users.telenet.be/Tango-E-Vita, dans Geoffrey Edwards, « Le tango dansé, la corporéité et

le jeu identitaire », Tango, corps à corps culturel: danser en tandem pour mieux vivre, Presses de l'Université

du Québec, Collection Santé et Société, Québec, 2009, p. 164

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34

pouvaient prendre à travers ses mouvements. Certains des échanges opérés grâce à ces

mouvements furent gardés pour la création finale, dans une scène en particulier, où les

déesses reviennent hanter le personnage principal. Les essais physiques élaborés au fil du

processus de création visaient à saisir un rythme, une respiration, les expressions et

accentuations présentes au sein des corps. Le but étant de valoriser toutes les parties du

corps, en particulier celles laissées de côté par les activités quotidiennes de l'être humain

moderne.

La musique conjuguée au corps est aussi un élément important de la découverte de

la corporéité. Sans musique, l'exploration ritualisée du texte n'aurait pas pu être possible.

Sans corps, la musique n'existe pas. L'exploration corporéité vis-à-vis musicalité est un

échange constant, une communication sans fin. Le corps humain, celui d'un danseur ou

d'un comédien, peut jouer une musique, tout comme la musique peut danser. La musique

prit part au rituel d'exploration en devenant une ressource alliée de celle des corps. Les

percussions vinrent ajouter le rythme nécessaire au fil du processus de création, et

accompagner les corps dans leur mouvement. Les pièces musicales et les rythmes créés

s'inspirèrent aussi des explorations corporelles de comédiens, et de certains fragments du

texte. Certains rythmes improvisés par le percussionniste, tels la samba, le maculêlê, ou la

rara, bâtirent les interludes entre chaque scène et permirent de guider les comédiens dans

une improvisation dansée. Plus encore, la musicalité put intervenir dans la manière de voir

le texte, de le raconter. La musique permettait de transposer le rythme intérieur des corps,

celui que Boal appelle le « rythme interne73

», à un rythme extérieur. La musicalité et

l'esprit présents dans la percussion permettaient de transposer les rythmes internes des

comédiens, les émotions et les impressions du texte, de les amalgamer et de les transposer

vers l'extérieur, vers la création d'un rythme des personnages, de la pièce. La musique a

donc permis une liaison entre le rythme de la pièce, le texte et différentes atmosphères

sonores.

73

L'auteur définit le rythme interne, comme étant composé de rythmes personnels, « chacun de nous plusieurs

rythmes personnels : le coeur qui bat, la respiration, la marche, le rire, un rythme de parole, un rythme de

l'attention dans l'écoute, un rythme pour manger, un rythme pour faire l'amour, etc. » (Augusto Boal, Théâtre

de l’opprimé, op.cit., p.20.)

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35

1.3 Créolisation et métissage au sein du processus créatif

En élaborant une création qui explore le fond social haïtien, à l'aide de participants

provenant de différents milieux (Québec, Haïti, Brésil, Centrafrique), je me suis proposé

d'explorer les possibilités du métissage au sein de l'œuvre théâtrale. Ce métissage s’est plus

concrètement opéré en exploitant la culture haïtienne dans un contexte nord-américain

(vision de la metteure en scène québécoise, public québécois, etc.) et conjugué à la

participation d'intervenants provenant de différents horizons culturels. Cette volonté de

recourir au spectacle métissé aurait pour objectif, comme l'affirme Eugenio Barba, de

découvrir le vrai sens du niveau de la pré-expressivité théâtrale, différente et préalable au

niveau de l'expressivité. Cette mise en place d'une œuvre interculturelle permettrait plus

facilement de matérialiser cette caractérisation pré-expressive :

Les principes-qui-reviennent, la danse des sats, les manières de canaliser et de modéliser l'énergie des acteurs sont des exemples qui appartiennent au niveau

pré-expressif. Le travail de l'acteur sur lui-même et la méthode des actions physiques de Stanislavski, la biomécanique de Meyerhold, le système du mime de Decroux fournissent un énorme matériau d'analyse. […] Mais c'est surtout par le travail pratique et la recherche empirique avec des acteurs de différentes traditions que nous pouvons tester la validité du choix qui nous fait penser le pré-expressif comme un niveau d'organisation virtuellement dissociable du niveau expressif74.

De cette manière, le métissage est la base même de la pré-expressivité et devient donc

condition à l'expressivité. À travers la création La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée, nous avons exploré en équipe cette pré-expressivité présente au sein de la culture

haïtienne, plus précisément à travers les rythmes et la mythologie vaudou. Cependant, pour

bien comprendre comment l'expressivité s'est ensuite matérialisée, il importe de prendre en

74

Eugenio Barba, Le canoë de papier – traité de l'anthropologie théâtrale, Éditions L'Entretemps, Saussan,

2004, p. 163.

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compte les paradigmes du métissage, des différentes circonstances entourant la mise en

place d'une création interculturelle et interdisciplinaire. Dans la prochaine partie de cet

essai, j'aborderai donc le phénomène du théâtre métissé. Plus précisément, je tenterai

d’abord de définir le terme de la « créolisation » et expliquerai la façon dont il s’applique

au processus de création. J'aborderai ensuite les différents paramètres de la transmission, à

travers la communication théâtrale, de la mémoire et de l'imaginaire culturels. Enfin, je

décrirai les propriétés de métissage entre la culture, le théâtre et divers arts afro-américains

présents dans le processus de création et la mise en scène de La mort de soi dans sa longue

robe de Mariée.

1.3.1 Référents mythologiques: personnages et culture vaudou

Afin d’intégrer le texte de Guy Régis Jr à la mythologie haïtienne, nous avons associé

chaque personnage du texte dramatique à un référent loas (dieux du vaudou). Cette

personnification devait aider les comédiens à comprendre le rôle de leur personnage et

l’histoire de trahison de Luï qui n’a pas su respecter un pacte de fidélité amoureuse et de

richesse avec les déesses Erzulie (les personnages de Femme 1 et de Femme 2). Dans la

mythologie vodou, les dieux (loas) sont des esprits pouvant communiquer avec les êtres

humains lorsqu'ils s'incarnent, chevauchent ou entrent en possession d’un adepte. Ainsi,

comme l’affirme Peter Brook :

Dans le vaudou haïtien, pour commencer une cérémonie il suffit de rassembler les

gens et d’avoir un poteau. On commence à battre du tambour vers l’Afrique

lointaine et les dieux entendent cet appel. […] Il faut maintenant un homme comme

médium, et ils choisissent un des participants. Un coup de pied, un ou deux

gémissements, un bref paroxysme, et un homme est possédé. Il se lève, n’étant plus

lui-même, mais rempli d’un dieu. Le dieu a désormais pris forme. Il est quelqu’un

qui peut plaisanter, s’enivrer et être attentif aux doléances de chacun. La première

chose que fait le prêtre, le Hougan, lorsque le dieu arrive, est de lui serrer la main

et de lui demander s’il a fait bon voyage. C’est un dieu bien sûr, mais il n’est plus

irréel : il est à notre niveau à notre portée. L’homme et la femme ordinaire peuvent

lui parler, lui prendre la main, discuter, le maudire, coucher avec lui – et ainsi

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chaque soir, le Haïtien est en contact avec les grandes puissances et les mystères

qui gouvernent sa vie75.

Il existe donc un rapprochement possible entre la pratique du culte vaudou et le théâtre qui

pourrait établir un rituel entre le public et les comédiens. Car, à l'instar du loas qui prend

vie devant les adeptes grâce à la crise de possession, le personnage du texte dramatique se

révèle au public grâce à l'incarnation de celui-ci par l'acteur. Le personnage se sert donc de

l'acteur au même titre que le dieu pour devenir présent vis-à-vis des participants.

Cependant, il existe une différence entre le théâtre et l'exercice du culte vaudou, au sens où

les spectateurs théâtraux ne sont pas toujours intégrés au sein de la communication

théâtrale en tant que participants, contrairement aux pratiquants de la religion pour qui le

rituel est incontestablement un élément de leur réalité immédiate. Ainsi, la re-sacralisation

du théâtre permet parfois aux acteurs de transposer et de donner vie aux personnages, tels

des « médiums »76

.

De cette manière, les référents mythologiques furent accolés aux personnages de

notre mise en scène de la pièce de Guy Régis Jr. En premier lieu, les personnages féminins

furent associés à la déesse Ezili. Par leur rôle dans le texte dramatique, la manière dont

elles se vengent par jalousie et reviennent hanter le personnage principal77

, Luï, ces

personnages de Femme 1 et de Femme 2 ressemblent en tous points à Ezili Dahomey, la

déesse vodou de l’amour et de la fertilité, souvent représentée sous l’effigie de la Vierge

Marie. Un homme mortel peut par le biais d’une cérémonie se marier à la déesse Ezili mais

doit, en échange, se dévouer entièrement à elle. La déesse n’accepte pas de se voir tromper

par ses fidèles : « Pour ne pas être supplantée par une femme mortelle, elle exige d’être

épousée la première. Si le fidèle hésite ou tarde trop, les avertissements surnaturels

75

Peter Brook, L’espace vide : écrits sur le théâtre, Éditions du Seuil, Paris, 1977, p. 89. 76

Ibid., p. 145. 77

Guy Régis Jr, La Mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit.

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deviennent de plus en plus nombreux et pressants : de légers déboires suivis d’échecs et

d’accidents78

. »

Le personnage de Luï-même, en tant que double de Luï et esprit qui veut l’inciter à

la vie fut associé par ses vêtements (chapeau noir et costume noir) au loa Baron Samedi,

équivalent de Saint-Pierre dans la religion catholique. Baron Samedi est le gardien des

cimetières et de la mort, il détient un pouvoir de vie ou de mort sur chaque être humain :

On s’adresse aussi à Baron Samedi pour capturer une des deux âmes d’une personne vivante, soit l’âme dont émanent la pensée, la raison, la mémoire et la volonté. […] La personne visée devient un zombi. Les expéditions dépendent du bon vouloir de Baron Samedi et les envoûtements ne sont efficaces que si on s’est concilié Baron Samedi au préalable; même le sorcier le plus puissant ne pourrait tuer sa victime sans son consentement79.

Finalement, en ce qui concerne le personnage de Luï, nous avons associé son personnage

au référent mythologique du zombi, une âme errante, prise à la croisée des chemins. Le

zombi dans le vodou haïtien est « un individu auquel un sorcier a capturé l’âme ou le gros

bon-ange et qui vit dans un état léthargique comme un mort-vivant80

. »

1.3.2 Le phénomène de la créolisation

Dans le cas de la création entourant le présent essai, il s’est opéré une certaine forme de

métissage. Plus précisément, la création s’est produite à partir du texte d’un auteur haïtien

en exil à Paris, en compagnie d’un groupe de comédiens et de musiciens d’origines diverses

(principalement de tradition africaine et créole) dirigés par une metteure en scène

québécoise. Au contact des cultures présentes au sein du processus créatif s’est produit une

sorte de mélange des imaginaires, des traditions, des manières de concevoir le monde et de

comprendre le texte. Ces différentes visions furent importantes pour le travail de la mise en

scène et permettaient de dresser une mosaïque culturelle intéressante.

78

Hans-Wolfgan Ackermann, Les Esprits du vodou häitien, Éduca vision, Coconut creek (FL), 2011, p. 149. 79

Ibid., p. 100. 80

Laënnec Hurbon, Dieu dans le vodou haïtien, Payot, Paris, 1972, p. 258.

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À titre d’exemple, le jeu de l’acteur jouant le rôle de Lüi-même, conteur africain

professionnel, empli de mimiques, était différent de la manière de jouer de l’acteur

incarnant Lüi, comédien amateur d’origine haïtienne81

. La façon d’interpréter le texte par ce

dernier était d’ailleurs teintée de la manière traditionnelle de voir le théâtre dans les

Caraïbes, fondée sur les principes de la déclamation présente dans le théâtre classique,

emmené par les Européens82

. On peut donc affirmer que cette manière haïtienne de

déclamer est un fait culturel. Le même phénomène de choc des cultures s’est produit du

côté de l’expérience musicale en direct, ou un percussionniste d’origine brésilienne, habitué

à jouer des rythmes de capoeira et de samba, devait improviser en compagnie d’un

contrebassiste québécois, œuvrant dans le milieu de la musique « nord-américaine » blues,

folk et jazz. Chacun des individus impliqués dans le processus de création a apporté sa

couleur culturelle à l’interprétation du texte et à la réalisation du spectacle. C’est pourquoi

l’on peut considérer le spectacle comme étant un exemple de création métissée.

Le métissage opéré grâce aux différentes composantes culturelles présentes par les

personnes impliquées dans la création répondait à l’image du chaos dont s’inspirait le

processus créatif et à l’image du « chaos-monde » tel que défini par l’écrivain Édouard

Glissant, soit « l’imprévisibilité totale [qui] représente et évoque toute la promesse et la

richesse des Antilles multiformes et multicolores »83

. L’interculturalisme de la

représentation peut se définir aussi comme une créolisation à travers la création. La

créolisation, comme concept sur le métissage, amène une nouvelle vision du non-lieu, du

sens et de la culture à créer : « Ce que j’appelle créolisation va plus loin. J’appelle

créolisation cet enjeu entre les cultures du monde, ces conflits, ces luttes, ces harmonies,

ces disharmonies, ces entremêlements, ces rejets, cette répulsion, cette attraction entre

81

Voir à titre d’exemple la scène 1 : Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée, Lantiss (Université Laval), 26 mars 2010, 4 min 15 s. à 8 min 11 s. 82

La déclamation est en soi une manière lyrique de réciter le texte, particulièrement présente dans le jeu

tragique, reconnue pour l’expression de la passion. La déclamation « fait entendre “ la coloration affective qui

constitue le fond […] de la voix parlée ”, parce qu’elle fait remonter des profondeurs de la langue les

passions qui bruissaient en son fond. » (Thomas Dommage. Instruments de résurrection : étude philosophique

de la Passion selon saint Mathieu de J-S Bach, Vrin, Paris, 2010, p. 214. Cit. de J-J Rousseau, article «

récitatif », dans Dictionnaire de Musique, p. 406.) 83

Jean Faustman, Le creuset des cultures : la littérature antillaise, Peter lnag, New-York, 2004, p. 10.

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toutes les cultures du monde. Bref, un métissage, mais avec une résultante qui va plus loin

et qui est imprévisible84

. »

La créolisation est donc le résultat de la transplantation des cultures au sein d’un

même territoire (ici le territoire créatif), qui grâce à la liberté d’exploration et au chaos des

idées, conduit à la création. La créolisation agit donc en tant que processus créatif, mais

aussi en tant que résultante à part entière, le produit de nouvelles références culturelles et

l’amarrage au sein du spectacle de cultures exilées. La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée est donc une création créolisée, puisqu’elle prend son sens à travers les cultures qui

la composent afin de se réaliser. La création est soumise à un processus et une finalité de

créolisation, issue d’individus eux-mêmes créolisés, que ce soit à travers le texte d’un

auteur haïtien exilé à Paris, la présence de comédiens haïtiens de deuxième et première

générations, un musicien brésilien, etc. La notion de créolisation prend donc en compte la

notion de non-lieu, ou plutôt de nouveau lieu, celui qui se transforme, se crée et prend vie

au contact des cultures de l’« ailleurs ». Ce nouveau territoire et cette vision se créent donc

à même le chaos, résultant de l’imprévisibilité et du changement en continu.

1.3.3 Le métissage entre les arts, le théâtre et la culture africaine des Amériques

Le métissage entre différentes notions culturelles et différents procédés artistiques issus de

la tradition africaine des Amériques avait comme but premier l'interactivité entre les

éléments (mythologie, jeu, musique, danse). Ainsi, ce métissage permet de voir le théâtre

comme « le produit de plusieurs arts qui se rencontrent […]. À présent, l’heure est à la

confrontation des principes et des spécificités, à leur mise en interaction, plus qu’à la

création d’une synthèse ou d’une distanciation : il s’agit d’expérimenter des rencontres où

chaque art s’obstine à maintenir son identité et ses principes85

. » Plus précisément, les

éléments utilisés au cours de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de

Mariée cherchaient à se répondre entre eux, à interagir et à s'influencer réciproquement.

84

Sylvie Kanté, Discours sur le métissage, identités métissées, L’Harmattan, Paris, 1999, p. 49-50. 85

Patrice Pavis. Vers une théorie de la pratique théâtrale : voix et images de la scène, Presses universitaires du

Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2007, p. 13.

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L'utilisation de différents procédés artistiques indépendants visait donc l'émergence d'un

sens commun, l'établissement d'un univers symbolique et le façonnement des thèmes du

spectacle (deuil, exil, chaos). Le mouvement dansé et non dansé ainsi que le jeu des

comédiens, la musique en direct, les projections et le montage sonore effectuaient ensemble

une exploration potentielle de l’interartistique afin de façonner différents référents

mythologiques et symboliser le chaos mondial actuel.

En premier lieu, nous avons pensé et travaillé, en compagnie des comédiens, le jeu

de l'acteur afin que celui-ci fasse partie d'un tout, mais aussi d'un élément parmi les autres.

Le jeu se devait d'être indépendant, mais aussi tributaire des autres éléments artistiques et

devait savoir laisser suffisamment d'espace à la musique, aux projections et au montage

sonore. Aussi, le jeu en soi provenait de diverses expérimentations et prenait racine dans

des mouvements bâtis sur l'improvisation et l'inspiration de diverses traditions afro-

américaine, comme la danse des orixâs brésilienne. En l'occurrence, la scène avec les deux

déesses Erzili86

fut inspirée par les mouvements corporels caractéristiques de la danse des

orixâs (dieux du candomblé brésilien), où chaque entité est représentée par des gestes qui

instaurent son rapport entre la terre et le ciel, définissent son rôle ainsi que son

appartenance territoriale. Par exemple, Yemanja, déesse de la maternité et de l’abondance,

est représentée dans la danse des orixâs par des mouvements ondulatoires et des pas qui

rappellent les vagues, faisant référence à l’eau salée, son élément87

. Nous avons souhaité

ainsi faire des liens entre les différentes cultures africaines des Amériques et nous servir de

mouvements dansés de cette danse sacrée afin de les intégrer dans la performance théâtrale.

L’incursion dans cet univers dansé fut développée par les improvisations des deux

comédiennes à partir de mouvements empruntés à la danse rituelle. Les mouvements

dansés furent donc intégrés de cette manière à la mise en scène du texte de Guy Régis Jr.

Nous avons tenté de marier ces mouvements à une perspective onirique, du rêve et

de la hantise, puisque les rêves détiennent un véritable pouvoir dans la mythologie vaudou.

86

Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op.cit., 8 min 11 s. à 12 min 39

s. 87

Carmen Bernard, Du candomblé à l’umbanda, cultes de possession au Brésil, [En ligne],

http://www.clio.fr/bibliotheque/pdf/pdf_du_candomble_a_l_umbanda_cultes_de_possession_au_bresil.pdf,

page consultée le 3 mars 2012.

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La scène en question commence par des rythmes lents et saccadés de tambour et des

frottements inquiétants de l’archet de la contrebasse souhaitant évoquer le cauchemar sans

fin, la spirale des souvenirs, dans lequel est plongé le personnage principal (Lüi). On

retrouve ensuite un changement d'éclairage, des lumières diffuses rouges apparaissent

soudainement sur les côtés. Les deux femmes (déesses) font leur entrée. Sur des sons

produits en direct par les musiciens et en suivant le rythme qu'ils leur imposent, elles

s'avancent vers le lit de Lüi. Lüi ne les reconnaît pas, il est amnésique, apeuré. Il ne se

souvient plus de sa zombification, de son pacte avec celles-ci, etc. En l'entourant, elle

devait l'étourdir et s'inspirer des mouvements élaborés lors du processus créatif, soit les

échanges de capoeira (transfert de poids, changement de place entre les participants,

mouvement de balancier, jinga). Dans la deuxième scène des déesses, les mouvements

devenaient davantage dansés88

.

La musique a elle aussi accompagné le jeu tout au long du la représentation. En

accompagnant l’action dramatique, les musiciens (percussionniste et contrebassiste) ont

bâti une trame sonore en improvisant, parfois même en fonction du jeu des acteurs ou

même en cherchant d’influer sur leur jeu. Nous avons choisi d’intégrer les musiciens dans

l’espace scénique, de les rendre visibles pour les spectateurs et de les faire interagir avec

les comédiens en théâtralisant leur interprétation. La musique n’était pas présente en tant

que simple accompagnement, mais elle posait des actes envers les personnages interprétés

en scène par les acteurs.

Les musiciens sont ainsi devenus eux-mêmes personnages dans la représentation,

s’ajoutant ainsi à ceux qui étaient prévus par le texte dramatique. La musique fut intégrée

dans la représentation et, à certains moments, faisait partie de la diégèse du spectacle. Par

exemple, dans la scène du deuxième retour des déesses89

, le personnage de Lüi se voit

entouré par les femmes qui dansent et l’assaille de leurs mouvements. Un rythme de rara

endiablé se fait entendre. Le personnage de Luï dit alors : « Mais qu’est-ce que cette

musique macabre? Qu’est-ce que ce maculêlê affreux! ». On comprend alors que la

88

Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op. cit., 16 min 16 s. à 19 min

40 s. 89

Ibidem.

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musique fait partie de sa hantise, son acharnement pour effacer une mémoire douloureuse,

son cheminement à travers l’oubli. Afin d’aider à la création de l’atmosphère de transe ou

au délire que vivait le personnage de Lüi, les musiciens non seulement jouaient de la

musique, mais leur performance corporelle, pendant l’interprétation des pièces musicales,

symbolisait une certaine agressivité envers le personnage de Lüi, comme si les musiciens

étaient des esprits qui essayaient de le posséder ou de le hanter.

Dans la scène culminante90

, entre Lüi et Lüi-même, Lüi tente d’oublier le chagrin et

se réjouir. Il s’adresse alors directement aux musiciens, qui lui répondent encore une fois

par des bruits inquiétants et en théâtralisant leurs mouvements pendant qu’ils jouent de

leurs instruments. Lüi leur demande d’emplir ses oreilles d’une note agréable. Ceux-ci

rétorquent en l’affrontant et continuant leur musique macabre. Ces scènes montrent le

rapport qu’entretiennent la musique et les personnages tout au long de la pièce. La musique

et les musiciens font partie de l’univers de Lüi et s’intègrent dans la représentation, en

ajoutant ainsi un niveau de fiction qui n’est pas prévu par le texte dramatique à travers

l’élaboration de cette musique en direct et d’une interaction entre comédiens et musiciens.

Les projections, bien qu’elles fussent en panne lors de la première représentation,

apparaissaient pendant un interlude, entre la première et la deuxième apparition des

déesses. La première projection91

était composée d’images d’une femme, en robe de

mariée, avec comme fond une porte d’église. Cette projection représentait le souvenir de

Luï, sa hantise. La deuxième projection92

, quant à elle, montrait des symboles vaudou

(vêvê), des icônes de divinités et des statuettes. Ces projections avaient pour but de

matérialiser la comparaison entre la représentation et la culture haïtienne. Au même titre

que le montage sonore (extrait de bulletins de nouvelles sur Haïti), celle-ci confrontait le

spectacle, l’image, le symbolique de même que la réalité sociale et historique. Nous avons

voulu créer un contraste entre le pays imaginaire, le non-lieu et le pays réel. Plus

précisément, amener la métareprésentation au sein de la représentation théâtrale, en

amenant la représentation médiatique, voire la représentation construite de la réalité, à

90

Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op. cit., 31 min. 55 s. 91

Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op. cit., 12 min 49 s. 92

Vidéo de la représentation de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée, op. cit., 15 min 17 s.

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même le théâtre. En tenant compte des événements qui ont secoué Haïti dans les deux

dernières années, pour ne pas dire dans les trente dernières années, nous avons choisi de

mettre en relief cette réalité et d'intégrer clairement la parole de l'actualité à travers le

montage sonore et le montage des images. Ces interludes à l'action dramatique devaient

amener le spectateur à se questionner sur le lien entre le théâtre et l'actualité politique et

sociale actuelle.

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CONCLUSION

Le présent essai avait comme but de montrer l'inspiration et la réflexion derrière la mise en

scène de La mort de soi dans sa longue robe de Mariée. Le projet de recherche-création

avait comme objectif premier d’explorer la culture haïtienne à partir du texte dramatique de

l'auteur Guy Régis Jr et des formes rituelles spécifiques à l’espace caribéen. Plus

précisément, l’essai souhaitait exposer les prémisses de la création. Ainsi, dans un premier

temps, nous avons abordé les sources d’inspiration et les prédécesseurs de Guy Régis Jr, en

débutant par les liens entre religion vaudou et théâtralité, puis en situant l'œuvre de Guy

Régis Jr dans la culture haïtienne et en présentant les thèmes marquants du texte

dramaturgique et leur accentuation à travers la création. Dans un second temps, nous avons

décrit les ressources à la création (texte, chaos, corps et rythmes). Finalement, furent

élaborés les divers principes de créolisation et métissage présents au sein du processus de

création théâtral, notamment les référents mythologiques, la définition du phénomène de

créolisation et le métissage entre les arts, le théâtre et la culture africaine des Amériques.

À la base de la recherche-création se trouvait un objet, une partition, ayant nourri la

réflexion de cet essai, soit le texte de Guy Régis Jr. Ce dernier proposait une certaine

manière d'aborder le non-lieu et l'amnésie collective à travers le personnage de Lüi. Nous

avons tenté (comédiens, musiciens, metteure en scène) d'amener ces thèmes sur scène en

suscitait la fabrication d'images, de rythmes et de jeu afin d'aborder une certaine vision du

monde, de la société actuelle. En ce sens, ce qui compte n'est pas tant le résultat artistique

final que cette capacité à exprimer un message de résistance culturelle, en donnant vie aux

propos de Guy Régis Jr et à la critique sociale qu’ils renferment. Le but principal était donc

la communication interculturelle entre la société occidentale et celle de « l'autre

Amérique », pauvre économiquement, mais tellement riche culturellement (traditions,

légendes, croyances). Le projet s'est donc surtout opéré dans un esprit de recherche de

nouvelles formes d’expression avec des comédiens d'origines diverses (brésilienne,

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centrafricaine, haïtienne et québécoise). Il a fallu, au sein de l'équipe de création,

développer une manière d’universaliser la culture haïtienne dans un travail collectif afin de

réaliser aussi ce qu'implique la création en situation interculturelle. Autrement dit, nous

avons instauré au sein de l'équipe un certain mode de communication des connaissances à

travers l'exploration des ressources, afin de permettre à chacun d'expérimenter et d'apporter

sa vision de la création et sa culture. La notion de pouvoir d’agir, utile à la création

collective, fut donc mise de l'avant, pour favoriser l'expression. Chacun des participants a

donc eu l'occasion, à maintes reprises à travers chacune des étapes de la création, de

s'exprimer sur l'adaptation, la mise en scène et l'exploration du texte de Guy Régis Jr. Le

jeu de la découverte culturelle s'est donc opéré de manière collective et libre, en permettant

à chacun d'apporter sa couleur, son rythme et son identité. C'est de cette manière et avec

ces objectifs de liberté d'expression que nous avons poursuivi l'exploration de la culture

haïtienne et du texte et que nous avons tenté de dépeindre à travers la représentation une

vision de la situation actuelle d’Haïti. Nous avons transformé la parole de l'auteur haïtien

exilé, Guy Régis Jr, dans une vision à la fois poétique et politique sur une terre affaiblie, un

no man's land postapocalyptique, et sur des personnages hantés ou désincarnés.

Il existe certainement une difficulté à mettre en scène une culture qui est autre.

Principalement parce que toute l'ampleur des traditions et la force des croyances peuvent

être inconnues a priori, pour les néophytes de la culture vaudou que nous sommes.

Considérant l'étendue des légendes et des peurs véhiculées depuis des siècles à ce sujet, les

mythes d'origine de la société haïtienne sont parfois devenus menaçants, en considérant la

vision hollywoodienne ou celle de la religion chrétienne sur le sujet. Il est donc important

de préciser que nous avons touché ces mythes artistiquement et en empruntant certains

symboles et certaines formes artistiques (danse, musique) à la culture africaine des

Amériques, et non avec la volonté de reproduire les cérémonies du vodou. Le but n'étant

pas de s'approprier le culte en tant que tel, mais plutôt l’esprit de la culture : produire une

réélaboration de ce fait de culture qu’est la mythologie vodou et non se l'approprier, afin de

mettre en valeur la vision poétique de Guy Régis Jr. Il s'agit donc d'une adaptation, d’une

création puisant dans les symboles mythologiques afin de dépeindre tout d’abord une

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réalité universelle (vision artistique) et ensuite de marquer le présent et la souffrance d'un

peuple (vision documentaire). Ainsi, la représentation ne souhaitait pas avoir le dernier mot

et l'ultime regard sur la culture et la réalité haïtienne. Il s'agissait plutôt d'une manière

d'exprimer un regard universel, sensible et accessible afin de communiquer au public des

émotions et des états d’âme, bref une synthèse de l’Autre haïtien.

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