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7/18/2019 These - Les conditions de l’action politique collective à l’épreuve de la mondialisation http://slidepdf.com/reader/full/these-les-conditions-de-laction-politique-collective-a-lepreuve-de 1/406 Université Paris VIII UFR Art, Philosophie et Esthétique Département de Philosophie THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS VIII Discipline Philosophie Présentée et soutenue publiquement par HUNG Shih-Chian Le 30 Juin 2009 Titre Les conditions de l’action politique collective à l’épreuve de la mondialisation Directeur de thèse M. Daniel BENSAÏD JURY Etienne BALIBAR, professeur émérite de l’Université Paris 10, président. Emmanuel RENAULT, ENS de Saint Cloud Jean SALEM, professeur Paris 1 Sorbonne.

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Université Paris VIIIUFR Art, Philosophie et Esthétique

Département de Philosophie 

THESE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS VIII

Discipline::::  Philosophie 

Présentée et soutenue publiquement

parHUNG Shih-Chian 

Le 30 Juin 2009

Titre: 

Les conditions de l’action politique collective à l’épreuve dela mondialisation

Directeur de thèse: M. Daniel BENSAÏD

JURY

Etienne BALIBAR, professeur émérite de l’Université Paris 10, président.Emmanuel RENAULT, ENS de Saint CloudJean SALEM, professeur Paris 1 Sorbonne.

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Remerciements

Le présent travail n’aurait pas vu le jour sans la confiance, la patience, les

encouragements et les conseils précieux de mon directeur de thèse, Monsieur

Daniel BENSAÏD, professeur du Département de la philosophie de l’Université

Paris 8. J’en suis profondément reconnaissant.

Mes vifs remerciements vont également à Monsieur Étienne BALIBAR,

professeur émérite de l’Université Paris 10, qui m’a guidé vers une réflexion plus

approfondie en dirigeant mon mémoire de DEA.Mes sentiments les plus respectueux se tournent vers tous les membres de

mon jury pour toute l’attention qu’ils portent à mon travail de recherche.

Que Monsieur Chiang Nien-fong (1955-1996) qui m’avait éclairé la

philosophie puisse recevoir ici l’expression de ma gratitude. Je n’aurais pas pris

le courage de poursuivre mes études en France si je lui n’avais jamais rencontré.

Toute ma reconnaissance va vers mes chers parents et beaux-parents pour

leur soutien et leur compréhension depuis toutes ces années. Je tiens à remercier chaleureusement Alex Lalandre et Emilie Leverrier pour

la relecture de cette thèse, comme je remercie Chung Liang KONG,

Chong-Ting CHANG, Tsai-Yun HUANG, Jo-La, A-Pan, Chih-Chung, Jin-Sheng,

Jui-Hua, Vivianne et Yueh-Cherng pour leurs gestes amicaux.

Enfin, j’adresse mille mercis à ma femme bien aimée, Ke-Hsin, pour son

soutien indéfectible.

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Résumé

Les conditions de l’action politique collective à l’épreuve de la

mondialisationLa présente thèse envisage une communauté politique de l’avenir. Les règles du jeu du système des

États-nations semblent connaître une modification de la mondialisation. Les enjeux ne sont plus gérablesdans le cadre du monde actuel et remettent en cause le sens traditionnel des notions de citoyenneté, dedémocratie, de droits de l’homme, de frontière, d’identité, de sécurité sociale et de violence.

Nous partons d’une critique démystifiant la rhétorique néolibérale sur la mondialisation pourdévoiler la crise des États-nations qui se manifeste notamment dans la mutation de l’idée de l’étranger.« Les étrangers » se trouvent aujourd’hui tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la frontière, ce qui créesouvent une colonisation interne. Que reste-t-il alors dans la citoyenneté qui servait de base à l’État-nation ?Si ce dernier ne se tient plus, quelle organisation à l’échelle mondiale imaginer?

Afin de mettre en œuvre cette nouvelle organisation, sa légitimité et son pouvoir restent à définir. Parailleurs, ne faut-il pas prévoir également un mécanisme de contrôle et de surveillance afin d’éviter

l’émergence de nouvelles inégalités globales ? Un dialogue sera amorcé entre les différentes pensées degauche sur les stratégies de l’action politique collective pour dégager une piste de réflexion permettantd’affiner l’édification du contenu d’une nouvelle communauté mondiale. Enfin, nous envisagerons unevoie alternative en faveur de l’altermondialisation.

Abstract 

Conditions of Collective Political Actions Reexamined:

Toward an Alternative World after Globalization The present thesis will explore a political community in the future. The rules of the present

nation-state system seem to be modified by the globalization. What is at stake has gone beyond the graspof the current world mode, and citizenship, democracy, human right, borderline, identity, social welfareand violence—the traditional meanings of these all are again called into question.

We start with a critic to demystify the neo-liberal rhetoric about the globalization, with an aim tounveil the crisis of nation-states, especially that of the mutation of the concept of foreigner. The  foreigners straddle across both inside and outside of a borderline, and thus create a situation called internalcolonization. Hence, what place would be left to the citizenship, used to be served as the foundation of thenation-state? And, since the nation-state can no longer sustain itself, what kind of worldwide organizationcould we envisage?

In order to put into function this new organization, its legitimacy and power need to be furtherdefined. Besides, wouldn’t it be necessary to foresee a mechanism of supervision and surveillance so as toprevent a new emerging worldwide inequality? Thus, a dialogue between different leftists upon thestrategies of collective political actions will be initiated to open up a space for reflections that help torefine the establishment of a new worldwide organization. Finally, we will propose an alternative in favorof the alter-globalization.

Mot clé:MONDIALISATION, DROITS DE L’HOMME, SOUVERAINETE, ACTION POLITIQUECOLLECTIVE, TRAVAILLEURS, MIGRANT, DEMOCRATIE

Keywords:  Globalization, Human Right, Sovereignty, Collective Political Action, Worker, Migrant,Democracy

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Les conditions de l’action politique collective à

l’épreuve de la mondialisation

Introduction.............................................................................................................. 8 

Préface................................................................................................................... 8  

A. mondialisation et transformation de la forme de l’État souverain................ 8

B. Les six entraves à l’action politique collective ........................................... 15

C. Le but de cette thèse : redéfinir l’action collective. .................................... 17

 Démarches et directions de la recherche............................................................. 20 

Première Partie

« démystifier » et « dévoiler »

Une révision de l’Etat souverain et de la mondialisation capitaliste

Chapitre I ............................................................................................................... 30 

Un mot controversé::::la mondialisation .............................................................. 30 

1.1 Revisiter le concept de la souveraineté ......................................................... 33 

1.1.1 La souveraineté se fonde-t-elle sur la paix ou sur la guerre ? ................ 34

1.1.2 La souveraineté se fonde-t-elle sur la loi ou sur l’état d’exception ? ..... 41

1.2 Les impasses de l’État à l’heure de la mondialisation ............................... 46  

1.2.1 La crise de l’État souverain .................................................................... 47

1.2.2 L’omnipotence du marché ...................................................................... 49

1.2.3 La dialectique de la fin de l’État............................................................. 55

1.2.4 Réflexions sur la crise de la souveraineté ............................................... 59

Chapitre II .............................................................................................................. 65 

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l’État souverain à l'épreuve de la logique du marché néolibéral ...................... 65 

2.1. la logique du néolibéralisme ........................................................................ 67  

2.1.1 Une relation de concomitance entre la mondialisation capitaliste et

néolibéralisme.......................................................................................................... 69

2.1.2 Le concept de la propriété privée et le rôle de l’État.............................. 78

2.2 Une « économie sous vide » ? .................................................................... 89 

2.2.1 L’« économie mondiale » et l’« économie-monde » chez Braudel. ....... 90

2.2.2 La mondialisation capitaliste peut-elle s’accomplir sans le renfort de

l’État ?...................................................................................................................... 94

Chapitre III .......................................................................................................... 103 

Déterritorialiser ou démocratiser la frontière ?................................................ 103 

3.1. La régionalisation et le multilatéralisme contribue-t-elle à la disparition de

la frontière ? .............................................................................................................. 106  

3.1.1 Extension des capitaux et marché sans frontière .................................. 106

3.1.2 Un monde sans frontière sous l’angle des économistes et lesgéopoliticiens ......................................................................................................... 110

(A)  « Intégration de l’économie mondiale » et « État régional ».........111

(B)  « Monde polycentrique » et multilatéralisme ............................... 115

3.2. Déterritorialisation ou démocratisation de la frontière .......................... 125 

3.2.1 Déterritorialisation au service de l’extension des capitaux .................. 126

3.2.2 Examiner la démocratisation de la frontière......................................... 129 

Deuxième Partie

« La dialectique » et « la réflexion »

Les six difficultés de l’action politique collective

Chapitre IV........................................................................................................... 139 

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Stratégie de l’action face à l’individu atomique................................................ 139 

4.1 Circulation des capitaux et chômage structurel .......................................... 142 

4.1.1 Les travailleurs sans abri victimes de la fluidité et de la flexibilité ..... 144

4.1.2 Individualisme atomique et solidarité................................................ 156

4.2 Un nouveau sujet révolutionnaire ?.......................................................... 163 

4.2.1 Mouvement autonome ouvrier italien et la « multitude »..................... 164

4.2.2 Changer le monde sans prendre le pouvoir ?........................................ 170

4.2.3 Réétudier la classe ouvrière à partir de Lukacs à Poulantzas ............... 175

(A)Reconnaissance de la classe ouvrière ............................................. 175

(B)Réévaluation de la classe ouvrière .................................................. 181

(C)Rediscuter la stratégie de l’action ................................................... 184

Chapitre V ............................................................................................................ 193 

Débats et réflexions autour de la démocratie.................................................... 193 

5.1 La démocratie postmoderne-

la démocratie plurale de la séduction......... 198  

5.1.1 Le point de vue du marxisme postmoderne.......................................... 201

5.1.2 L’institution de l’État ou la lutte de la force ......................................... 217

5.2 La démocratie de l’intempestif -concevoir une démocratie inclusive........ 224 

5.2.1 La démocratie conflictuelle .................................................................. 226

5.2.2 Le concept de la démocratie et du « politique » chez Rancière............ 238

Chapitre VI........................................................................................................... 252 

Violence, racisme et immigration. ...................................................................... 252 

6.1 Les trois origines de la violence structurelle............................................... 254 

6.1.1 Fluidité du capitalisme et colonisation interne ..................................... 255

6.1.2 Nationalisme et racisme........................................................................ 268

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6.1.3 L’immigration:l’étranger de l’absence double................................... 274

6.2 La violence de la résistance......................................................................... 282 

6.2.1 Le nationalisme en tant que violence de la résistance .......................... 2836.2.2 La politique de la civilité et la démocratisation.................................... 289 

Troisième partie

« La praxis » et « la création »

Attiser l’altermondialisation et l’action politique collective

Chapitre VII ......................................................................................................... 299 

Altermondialisation contre mondialisation capitaliste..................................... 299 

7.1 Ce qu’est la lutte pour l’altermondialisation. ............................................. 304 

7.1.1 Affronter le capitalisme ........................................................................ 305

7.1.2 La lutte du champ intérieur de la gauche.............................................. 312

7.2 La lutte transnationale-de Marx à aujourd’hui ........................................ 320 

7.2.1 Stratégie de la révolution-de Marx à la IIIe

 Internationale................. 321

7.2.2 L’altermondialisation de la démocratie radicale................................... 334

(A)  Le paradoxe de la violence au sein de l’action collective............. 335

(B)  Une subjectivité politique fidèle découlant de l’action chez Badiou

........................................................................................................................... 337

Chapitre VIII........................................................................................................ 343 

Le nouvel internationalisme et l’altermondialisation....................................... 343 

8.1 Le chemin vers la démocratisation transnationale...................................... 345 

8.1.1 La démocratie délibérative et le gouvernement global......................... 346

8.1.2 La démocratie alternative ..................................................................... 352

8.2 La stratégie de l’altermondialisation .......................................................... 365 

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8.2.1 Perspectives pour l’altermondialisation................................................ 367

8.2.2 Réaliser l’altermondialisation par l’action collective ........................... 371

Conclusion ............................................................................................................ 382 

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 393 

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Introduction

Préface

A. mondialisation et transformation de la forme de l’État souverain.

La fin de la guerre froide a profondément bouleversé la structure du monde.

La circulation des informations et des capitaux est devenue transnationale, le

monde apparaît alors comme un réseau international. Les analyses autour de

l’État et du cadre de vie des êtres humains se sont radicalement transformées.

Auparavant, le corps politique s’établissait à partir du territoire, de la

souveraineté et du peuple qui formaient la base de l’État-nation. La validité de ce

dernier est aujourd’hui remise en cause par l’économie internationale, le

séparatisme régional et les conflits ethniques : il est devenu un sous État. Le

monde n’est plus ordonnancé par l’État-nation. Les analyses de la société, de la

 justice et de la politique doivent être axées vers une autre direction. La nouvelle

structure mondiale est devenue transnationale, que certains qualifient

d’« Empire » 1 , de « système du capitalisme global » ou de « nouvel

internationalisme ». Elle défie les concepts de la souveraineté traditionnelle, du

citoyen et de la frontière. En conséquence, elle influence fortement les

mécanismes de la démocratie pour créer une nouvelle relation entre les individus

et le groupe.

L’État-nation traditionnel ne supporte plus la nouvelle forme induite par la

mondialisation. Antérieurement, l’État-nation s’établissait à partir de la forme

républicaine, à savoir qu’il regroupait les citoyens, quelles que soient leurs

appartenances ethniques, religieuses, linguistiques... Il unissait les

ressemblances, gérait les différences afin de résoudre les conflits : il permettait

en un mot aux citoyens de « vivre ensemble ». Aujourd’hui, les différences

1  Dans cette thèse, le terme de l’« Empire », fait référence à la définition de Negri et Hardt. VoirM. Hardt et A. Negri, Empire, Exils Editeur, Paris, 2000.

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ethniques, religieuses engendrent des conflits que le régime républicain n’est

plus en mesure de résoudre. L'établissement d'une nouvelle forme de

communauté politique devient alors indispensable, ce qui nous amène à

envisager les facteurs pouvant aider à instaurer un type de communauté quireconstruirait les rapports de solidarité transnationaux (amitié) et de prise en

charge des citoyens (responsabilité). Car la mise en place d’une nouvelle

communauté politique implique de rétablir le sentiment d’appartenance de la

citoyenneté. Comment reconstruire une nouvelle communauté afin de faire face

aux défis de la mondialisation ?

La crise de l’État-nation revêt trois dimensions. La première se situe au

niveau de l’institution transnationale. L’État ne joue plus son rôle d’agent, commeil le faisait auparavant, ce qui instaure à une nouvelle relation entre l’État et les

citoyens. Le plus fort impact se manifeste dans la légitimité du gouvernement, à

savoir la souveraineté étatique. Cette souveraineté (occidentale) est fondée sur

le contrat social, que ce soit selon le modèle de Hobbes ou de Rousseau. Les

deux soulignent un processus évolutif de l’état naturel au social, où l’homme

commence par accéder au droit à la vie et à la propriété individuelle. Pour

exercer la volonté générale, les hommes éprouvent le besoin de déléguer lepouvoir à un agent en vue du bon fonctionnement du contrat social. Durant deux

siècles, les règles de la société et de la loi se sont développées progressivement

pour donner la forme de l’État-nation que nous connaissons aujourd’hui. La

mondialisation qui se caractérise à l’heure actuelle par la fluidité des flux

(capitaux, marchandises, etc.), qui tend à éliminer les frontières. Ce phénomène

entre de ce fait en contradiction avec le concept de souveraineté et remet en

question l’identité citoyenne. Cela signifie que la souveraineté, en se vidant desmembres qui la composent (chez Rousseau) perd également sa légitimité.

La fluidité implique que l’État-nation ne définit plus ses citoyens en fonction

de leurs origines, de leurs lieux de naissance et de leurs ethnies. Cette

transformation place ainsi l’État face à deux défis. D’une part, il se voit obligé de

continuer à protéger les citoyens selon des méthodes traditionnelles, ce qui

représente un réel défi, au sens où la mondialisation tend à ébranler la légitimité

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de l’État-souverain et à transformer le statut du citoyen. D’autre part, il se trouve

confronté aux questions soulevées par les phénomènes d'immigrations et de

populations nomades.

Le premier défi lancé par la mondialisation est de gérer les flux migratoires.

Ces derniers occasionnent, partout dans le monde, des conflits entre cultures,

religions et valeurs et par voie de conséquence des problèmes raciaux à

l’intérieur du pays. Il devient essentiel de déterminer comment reconstruire une

nouvelle communauté politique afin de recréer une nouvelle forme de

souveraineté capable de remplir les fonctions de l’État-nation. Telle est la

principale problématique de notre époque.

Le deuxième défi est la dérégulation de la mondialisation capitaliste. La

fluidité des capitaux va jusqu’à influer sur le pouvoir de l’État, au nom de la

« libéralisation ». Le capitalisme global incite l’État à céder le pouvoir de

gouverner le marché. Aux yeux du néolibéralisme et des mondialistes

capitalistes, liberté du marché et liberté politique – incluant entre autre le

système démocratique - doivent désormais être placées sur un pied d’égalité.

Cette vision du néolibéralisme soulève bien des controverses notamment, parce

qu’elle sous-entend la suppression de toutes entraves à la circulation des

capitaux. Le marché doit bénéficier d'un maximum de libertés et d’un minimum

de limites, les règles du marché relevant du principe de « la main invisible ». La

liberté du marché constitue la règle primordiale. Selon ce dernier, le rôle du

gouvernement doit se borner à maintenir l’équilibre du marché, dont les règles et

les mécanismes de dérégulation s’avèrent tout à fait autonomes et n’exigent

aucune intervention extérieure. Le néolibéralisme nécessite « le libre échange»

et « la libre circulation » ; il encourage les échanges de marchandises et exigede lever les obstacles entravant la circulation des capitaux. Le néolibéralisme

paraît donc placer la priorité dans l’économie et sur les mécanismes du marché,

il met en cause le rôle de l’État afin de le conformer au marché et à l’économie.

Pour le néolibéralisme, le sens de la mondialisation suppose la libre

circulation des capitaux, ainsi que de lier les dimensions politique et économique.

Le néolibéralisme se montre extrêmement critique à l’égard de l’État souverain

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du fait des restrictions qu’il impose au marché. Le néolibéralisme prône la levée

des restrictions politiques et économiques ainsi que la liberté individuelle du

citoyen. Par conséquent, il remet en cause la gestion du territoire par l’État

souverain. Faire tomber les frontières favoriserait en effet la circulation descapitaux. Le marché dépasserait le simple cadre de la frontière, les seules règles

économiques prévaudrait dans la gestion des affaires du monde.

Le néolibéralisme constitue non seulement une théorie de la mondialisation,

mais aussi une force encouragent à l'essor de celle-ci. Par sa force et les

mécanismes du marché, le néolibéralisme préconise d'abattre d’une part la

frontière instaurée par la souveraineté étatique, et d’autre part à affaiblir

l’influence du pouvoir étatique sur le marché. Le monde sans frontière en train denaître rend illusoire l’État-nation. Le processus de mondialisation provoque ainsi

un dysfonctionnement du système politique. Le marché libre ne connaît pas de

frontière et joue au contraire sur sa force attractive, car la libre circulation permet

d’optimiser les profits au maximum. Le néolibéralisme compte accomplir une

nouvelle universalité sans conflits, annonçant ainsi la fin de la politique.

La libre circulation nous fait entrer dans une ère sans frontière. Auparavant,

les citoyens que l’État protégeait dans leurs territoires, possédaient une identité

claire. Avec l’afflux d’immigrants et de clandestins, les profils des citoyens

perdent en lisibilité et l’État ne se charge plus d’eux. Pour résoudre ces difficultés,

il n’a d 'autre choix que d’opter pour une des deux possibilités suivantes. La

première consiste à renforcer sa vigilance et prendre des mesures de précaution,

telles que la séparation raciale ou encore chasser les étrangers en dehors de ses

frontières. La seconde vise à délimiter une zone formant un « état d’exception »

(chez Agamben, à l’intérieur du territoire du pays, par exemple les banlieues enFrance). Ceux qui habitent dans ces zones d’exception mènent ainsi une « vie

nue ». Ils se trouvent en dehors des lois, si bien que le pouvoir peut disposer

d’eux sans motifs et sans restrictions. Cette « vie nue » enlève tout droit à

bénéficier de la protection que l’État est censé fournir. Ces populations n’étant

pas considérées comme des citoyens à part entière se verraient alors classifiées

comme dangereuses. Elles ne bénéficient ni des droits de citoyen, ni même des

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droits de l’homme.

Les nouvelles technologies offrent à l’État des moyens considérablement

accrus pour surveiller les populations qu’il considère comme suspectes. La

souveraineté devient une biopolitique (cf. Foucault), au sens où elle exerce un

contrôle absolu et total sur la population. L’emploi des avancées technologiques

rend possible pour les détenteurs du pouvoir au sein de l’État de surveiller toute

personne, quels que soit le lieu et l’heure, toute personne pouvant ainsi être

considérée comme dangereuse. Cet état de fait est source de ruptures et de

conflits au sein de la république, car l’État n’intègre plus tous les hommes au sein

de son territoire.

Les trois dimensions évoquées ici montrent que l’État-nation traditionnel se

trouve en voie de destruction. L’État souverain ne parvient plus à traiter les

conflits entre les différents peuples qui le composent. La relation entre la

mondialisation et la souveraineté étatique devient le problème clé de cette

nouvelle ère. Cette question exige tout d’abord d'accepter que la mondialisation

transforme la souveraineté étatique. Il faut admettre la diversité croissante des

formes de souveraineté par rapport à l’État-nation traditionnel. Enfin, l’attitude

nouvelle à adopter consiste à re-localiser les sens, les positions, et les fonctions

de souveraineté étatique. L’État souverain constitue pour l’instant une base

importante de la relation internationale et de la dynamique politique. En

conséquence, nous devons envisager une nouvelle forme de communauté

politique permettant de relever les défis de la mondialisation capitaliste.

La mondialisation capitaliste provoque deux bouleversements. Tout d’abord,

en raison de la rapidité des mouvements induite par l’évolution des techniques,

nous vivons dans l’âge de la vitesse, que Virilio nomme « dromologie ».

L’extension de la technique, de l’économie et de l’information résultent de

l’efficacité du « temps-espace comprimé » : plus nous entrons dans une époque

sans frontière, plus les relations internationales se complexifient. À mesure que

les forces militaires, économique et technique croissent, la souveraineté étatique

s’avère de plus en plus menacée. L’émergence d’un « temps-espace

comprimé » est également synonyme de disparition du territoire. Autrement dit,

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la souveraineté perd la base sur laquelle elle se fondait auparavant. Pour

s’adapter à cette nouvelle donne, l’État-nation doit modifier ses méthodes de

gouvernance : nous assistons au passage d’un État synoptique qui s’adressait à

un individu-corps, à un État panoptique qui s’adresse au corps multiple de lapopulation2.

La fluidité des mouvements inaugure une époque post-panoptique3. Les

États jadis souverains se trouvent plongés dans l'incertitude et doivent,

beaucoup plus qu'auparavant, remettre en question tant leur stratégie globale

que leurs stratégies fonctionnelles et les moyens employés. Dénouer les

incertitudes et les insécurités générées par la mondialisation nécessite de

réfléchir à une nouvelle manière de gouverner. Les avancées techniques,notamment biologiques (empreintes digitales, de l’iris, etc.), sont autant de

moyens permettant au pouvoir souverain d’exercer une surveillance totale sur sa

population. Ces nouvelles méthodes permettent d’identifier, les populations et les

zones dangereuses. Le système de répression naguère exercé par l’État

souverain s’est transformé en une biopolitique, mise au service d’un empire

global.

Les techniques exercées par la souveraineté ne reposent plus sur la

punition et la terreur, mais sur une présence ubiquiste. Cette ubiquité engendre

des « guerres de guérillas », qui dépassent la définition de Carl Schmitt4. Il ne

2   Selon la définition de Foucault, la nouvelle technique du pouvoir s’adresse non pas àl’homme-corps mais à l’homme vivant. Elle fractionne l’homme, le considère comme unensemble de parties et plus comme une forme globale. Un tel processus permet au pouvoir de

surveiller chaque individu, de l’utiliser, de le formater et de le punir. Voir, Michel Foucault, Il fautdéfendre la société. Cours au collège de France de 1976, Paris, Gallimard/Seuil, 1997, p. 2163  Zygmunt Bauman, Le Coût Humain de la Mondialisation , trad. par Alexandre Abensour, Paris,Hachette, 1998.4 D’après la définition de Schmitt, l’histoire de la « guerre des guérillas » se situe en Espagneentre 1808-1812. Le peuple espagnol s’organise de façon autonome pour se défendre contrel’envahisseur étranger. Cette guerre n’est pas menée par le biais de forces armées de l’État, maispar celui de la force du peuple. Une telle guerre menée par le peuple se caractérise parl’irrégularité. (Schmitt:2004, 3)Schmitt définit le partisan en quatre points : 1. le partisan est irrégulier. 2. il est engagépolitiquement. 3. il est sans cesse en action 4. il est fortement encré dans sa terre natale

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s’agit plus d’une guerre civile ou coloniale, mais d’une guerre pénétrant partout.

Le pouvoir souverain devient une terreur immanente ou un biopouvoir 5 ,

omnipotente et omniprésente. Toute personne se voit ainsi considérée comme

appartenant potentiellement à une classe dangereuse par la police. Les forcespolicières se militarisent et sont omniprésentes et considèrent tout le monde et

toutes les affaires comme relevant d’un terrorisme potentiel. À la longue, rien

n’échappe à leur vigilance.

La mondialisation a contribué à une évolution de la souveraineté qui remplit

désormais un rôle de « policier » ou de « surveillant ». Cette souveraineté

policière est caractéristique du nouvel État souverain. Il exerce son pouvoir sur le

citoyen qu’il perçoit désormais comme un ennemi éventuel. La souverainetépolicière contrôle ainsi la « vie nue » et déshumanise les gens. La souveraineté

policière distingue le normal de l’anormal, le dedans du dehors, et les inclus des

exclus. L’État-nation était jusqu’alors l’agent du peuple, sous une forme

monarchique, voire despotique ou démocratique. Il est devenu aujourd’hui un

État-policier se servant de la technique pour réguler et surveiller la population. La

loi, le marché et la technique envahissent aujourd’hui l’espace politique, et en

raison des préoccupations sécuritaires, tout le monde se trouve placé soussurveillance. L’empire global engendré par la biopolitique signifie la disparition de

la démocratie et des droits de l’homme, la politique se subordonnant à la

technique et au marché.

La rapidité des flux empêche la division de l’intérieur et de l’extérieur qui

(Schmitt:2004, 9~14)

Lénine prolonge le sens de la guerre partisane. Il pense que c’est à travers la guerre du peupleque le partisan se manifeste. Une telle guerre devient indispensable à la praxie de la révolution,car les peuples s'opposent entièrement et partout au pouvoir de l’État.Cependant, à cause de la technique biopolitique, le biopouvoir envahit non seulementl’individu-corps, mais aussi le corps multiple, c’est pourquoi nous devons étendre la définition dela guerre du partisan. Désormais, nous devons non seulement combattre le pouvoir visible,constitué par les forces armées étrangères ou par le pouvoir de l’État, mais aussi nous défendrecontre l’agression invisible et silencieuse résultant du biopouvoir.5  La définition de « biopouvoir », voir Foucault, le Tome I de l’Histoire de la sexualité : La volontéde savoir, Gallimard, 1976 ; Foucault, Il faut défendre la société, Cours au Collège de France,1975-76, Gallimard/Seuil, 1997.

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définissait le territoire du citoyen et par là même son appartenance. Le rapport

entre la mondialisation capitaliste et l’État-nation peut être envisagé comme une

« auto-colonisation »6  ou « colonisation locale », car il n’existe plus de ligne

claire entre les métropoles et les zones naguère colonisées par ces dernières.Certaines banlieues de la région parisiennes sont ainsi largement constituées de

populations africaines, originaires du pays que la France avait colonisés.

L’extension capitaliste provocante le besoin de colonies, la structure sociale

originelle des autres pays tend à se disloquer. De plus en plus d’immigrants et de

nomades s’entassent alors dans les banlieues, devenant des ouvriers

clandestins ou pour les moins chanceux des sans-abri. La nouvelle immigration

se concentre maintenant dans les mégapoles où se centralise le contrôle del'économie mondiale. Les pays développés révisent leurs politiques

d'immigration de façon à accentuer une séparation stricte. Ces politiques

consistent à fragiliser le statut légal de l'immigré, voire à le nier. Les États

s’efforcent d'institutionnaliser une immigration tournante qui normalise en

quelque sorte l'insécurité. Ce phénomène apparaît symptomatique d’une logique

immanente du dernier stade du capitalisme. Un même pays abrite deux règles,

l'une valable pour les citoyens et l'autre pour les migrants. Des aspects

contradictoires cohabitent ainsi dans cette société mondialisée:

séparation/intégration et centralisation/décentralisation. La décentralisation et la

dispersion internationale de la production vont de pair avec la concentration du

capital et la centralisation du contrôle de la production. Le monde devient en

même temps plus parcellaire et fragmenté. Même si le local et l’international

semblent deux concepts opposés, ils s’interpénètrent et deviennent la nouvelle

combinaison de l’empire global. Cette évolution provoque ainsi une profonde

lutte sociale à l’échelle internationale.

B. Les six entraves à l’action politique collective

6  S. Žižek, “Multiculturalism, or the Cultural Logic of Multinational Capitalism”, New Left Review,N°225, 1997, p. 36.

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La mondialisation capitaliste a transformé l’État souverain et a rendu difficile

l’action politique collective telle qu’elle était menée jusqu’alors. Trois aspects

corollaires à la mondialisation gênent ainsi l’action politique collective.

En premier lieu, force est de constater que les profits économiques

remplacent la police : l’économie dirige la politique. Lorsque l’État n’a plus la

capacité de créer une politique qui satisfasse la majorité ou d’ouvrir un espace

commun pour discuter des affaires publiques, la politique publique se trouve

déséquilibrée et la démocratie paralysée. L’économie s’avérant primordiale, la

discussion politique et la justice sociale se soumettent à elle. Ces modifications

de la structure étatique génèrent une société abritant des groupes faibles ou

marginalisés de plus en plus nombreux. Si ce problème s’étend à l’échelleplanétaire, la mondialisation favorisera les mouvements migratoires, à savoir que

de plus en plus de personnes deviendront hors-la-loi. D’un autre côté, les

citoyens de l’État-nation rejettent les populations clandestines, ce qui renforce

une attitude protectrice de la part de l’État et aggrave les formes d’hostilité et de

discrimination. L’étranger - tant l’immigré en règle que l’immigré clandestin -

devient alors « ennemi », que l’on assimile à la classe dangereuse.

L’action politique collective se trouve face à une deuxième difficulté : la

fluidité. À cause de la fluidité et de la précarité, le marché mondial accentue la

libre concurrence. La fluidité fait qu’il y a de plus en plus de travailleurs immigrés.

Ces derniers sont rejetés par les populations locales, car considérés comme des

concurrents potentiels. Une telle tension mène fatalement à la haine et la

xénophobie. Les gens désunis n’opposent ainsi plus de résistance collective aux

répressions de l’État ou à leur exploitation par les groupes financiers capitalistes.

La justice sociale et l’émancipation ne sont plus la priorité des gens. Laconscience collective ne se situe plus dans la défense des acquis sociaux, mais

dans la défense de l’identité et de la gloire nationale. Pour des raisons de

sécurité, la surveillance panoptique, d'abord destinée aux étrangers se retourne

ensuite contre l’ensemble des citoyens. Agamben montre que le paradigme

politique de l'Occident ne consiste plus en la cité, mais au camp de

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concentration : nous sommes passés d'Athènes à Auschwitz7. Autrement dit, à

cause de la libre concurrence et de la libre circulation, il y a beaucoup plus

d’étrangers. Ces derniers sont considérés comme dangereux. Ils sont surveillés

comme des criminels potentiels et sont enfermés dans des zones d’exception(par exemple, les banlieues) pour mieux être contrôlés. L’inégalité entre les

citoyens est visible dans de telles zones. Les immigrés ne sont pas considérés

comme des citoyens légaux. Ils subissant en effet des traitements inégaux

(discrimination pour trouver du travail par exemple). Ils se voient privés de droits

auxquels ont droit les citoyens, ils sont tout simplement privés des droits les plus

fondamentaux. En exerçant une surveillance permanente sur les gens, la

biopolitique a fait de l’humanité entière une classe dangereuse.La biopolitique constitue la troisième difficulté pour l’action collective. Cette

violence, insidieuse comparée à celle de la répression, apparaît comme une

violence invisible, inconsciente et sans visage. Elle favorise la dissolution de la

solidarité et dénature même le droit de résistance.

Profits économiques, fluidité et biopolitique sont ainsi les trois facteurs

mettant à l’épreuve l’action collective comme nous le verrons dans la première

partie.

Trois autres raisons entravent l’action politique collective : l’individualisme

atomique, le postmodernisme - et plus particulièrement le pluralisme et le

multiculturalisme - et le racisme. La deuxième partie sera donc consacrée à

l’analyse de ces problèmes.

C. Le but de cette thèse : redéfinir l’action collective.

La problématique de cette thèse sera d’envisager quelles épreuves doit

surmonter l’action politique collective et quelle stratégie employer. Trois

tâches serviront à répondre à cette problématique : réfléchir sur le déclin de l’État

7  G. Agamben, Homo Sacer III. Ce qui reste d'Auschwitz : l'archive et le témoin, Paris, Payot &Rivages, 1999.

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souverain ; concevoir la nouvelle communauté politique et conduire l’action

politique collective.

Les deux premières parties seront consacrées à l’analyse des difficultés

issues de la mondialisation. La première traitera des problèmes occasionnés par

le capitalisme et le néolibéralisme ; la deuxième dévoilera les détériorations de la

politique et de la société résultant du postmoderne et du racisme.

Dans la troisième partie, nous répondrons aux difficultés susdites en

élaborant une nouvelle forme d’action politique collective, grâce à laquelle nous

réaliserons la résistance globale et restaurerons la démocratie globale. Nous

créerons un nouvel internationalisme et une nouvelle communauté politique afin

de défendre entièrement les droits de l’homme.

La transformation de l’État souverain exige de réexaminer ses fonctions. Si

la forme de l’État-nation a convenu à des populations ayant vécu ensemble

depuis le 17ème  siècle, elle ne semble plus fonctionner au 20ème  siècle. Nous

devons chercher un nouveau type de communauté politique défendant les droits

de l’homme et garantissant la sécurité des populations. Cette communauté

politique pourra constituer une nouvelle forme d’intégration internationale.

Par conséquent, notre travail distingue les trois dimensions suivantes:

La première dimension concerne le déclin de l’État souverain. Le

changement de la forme souveraine modifie en effet la forme de l’État-nation.

Les bouleversements de l’État nation déterminent son rôle dans cette nouvelle

situation internationale. Appartiendra-t-il aux institutions transnationales?

S'agira-t-il pour lui de coordonner les pays et les régions ? Disposera-t-il encore

de son pouvoir d’équilibre entre des forces diverses ? Si la forme de l’État nationse transformait ou ne convenait plus, comment établir une nouvelle institution

internationale héritant de sa fonction de protéger les droits du citoyen et les droits

de l’homme ? Comment éviter le recul de la démocratie et de la justice sociale

lorsque la priorité est donnée au marché économique ? Auparavant, l’ethnie

constituait un facteur essentiel à la fondation de l’État-nation ; maintenant que

l’ethnie ne définit plus l’État, quel est le nouveau moteur ? Lorsque l’ethnie ne

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représente plus une dynamique, quels sont les nouveaux critères identitaires ?

Comment se manifeste le sentiment d’appartenance ? Dans un contexte

mondialisé, de quelle marge de manœuvre dispose l’État souverain affaibli dans

son action politique ? Quels sont les droits des citoyens ?

La deuxième touche la définition, le contenu, le rôle ainsi que la fonction de

la nouvelle communauté politique. Quel sera le contenu de cette nouvelle

communauté politique ? D’où viendra la légitimité de ce corps politique ? Quelle

relation s’établira entre le citoyen et cette nouvelle communauté ? Quel rôle

 jouera dans la communauté à venir la souveraineté et celui qui détenait le

pouvoir antérieurement ? Comment créer une nouvelle communauté politique

cristallisant le consensus et l’identité réciproque sans risque de totalitarisme etde racisme ?

La troisième dimension renvoie à la stratégie, l’objet et le but de l’action

politique collective face à la mondialisation. Auparavant, nous considérions l’État

comme un instrument de pression, il apparaissait comme un objet clair contre

lequel l’action collective pouvait lutter. Il s’agissait de prendre le pouvoir que

l’État s’arrogeait et ainsi de déterminer des voies possibles pour se défaire de

ses chaînes. Un ennemi clairement définissable représente une cible précise, ce

qui facilite la fixation des objectifs à atteindre et les prises de décision dans

l’action politique. Le déclin de l’État souverain sape malheureusement les bases

de la solidarité et brouille l’objet de l’action collective. Lorsque l’idée

transcendantale se trouve désorientée, l’action collective devient une action à

court terme, elle ne dépasse plus la relation sociale et la structure historique.

L’action collective, à force de se contenter de défendre les profits de groupes

divers devient un simple utilitarisme. En conséquence, ce que nous devrons fairedans cette thèse, sera d’examiner quel type d’action collective est possible face

à la mondialisation.

L’instauration d’une nouvelle institution internationale signifie que la lutte ne

se borne plus à un pays particulier, mais dépasse les frontières. L’institution

internationale deviendra alors l’objet de la lutte. Cette transformation modifie

également la relation entre le mouvement social et l’État. Quand seules

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subsistent les fonctions servant à l’économie et à la technique, l’espace public et

la sécurité sociale disparaissent. Compte tenu de cette évolution, quel rôle

rempliera l’action politique collective ? Qui se trouve désormais en mesure de

créer une nouvelle force d’équilibre politique et d’influer sur une politiquecommune ? Quelles sont les nouvelles formes d’action politique envisageables?

L’action politique devra adopter une nouvelle stratégie afin de s’y conformer. Le

but vise d’une part à renforcer la démocratie et l’espace commun à l’intérieur de

la nouvelle communauté politique et d’autre part à solidariser les citoyens afin de

résister ensemble et défendre la justice sociale.

En partant du constat que les changements de la forme de l’État-nation et de

la souveraineté, pèsent sur l’action collective, cette thèse se fixe trois objectifsprincipaux : chercher de nouvelles dynamiques pour l’action collective, examiner

la relation entre l’action collective et la nouvelle communauté politique et

reconstruire un nouveau contenu pour la communauté politique.

Démarches et directions de la recherche

Cette thèse s’articulera en trois parties. La première partie s’étendra du

premier au troisième chapitre. Le travail de la première partie consistera en une

« déconstruction » ou un « dévoilement » (« aufheben » chez Hegel8). Son but

sera de s’interroger sur les connotations de l’État-nation moderne, en tenant

compte des bouleversements qu’il a connus. Nous réfléchirons aux défis que

l’État-nation traditionnel doit relever et sur le fait qu’il n’assume plus les mêmes

fonctions. Ces interrogations nous amèneront à méditer sur les moyens de créer

une nouvelle communauté politique adaptée à cette époque de mondialisation.

Nous nous focaliserons tout d’abord sur les difficultés que l’État souverain

rencontre face à la mondialisation ; nous définirons ensuite les concepts de

8  « aufheben » chez Hegel est un terme intraduisible. On peut le traduire proche « sursomption ».Ce terme renferme au moins trois sens. Il signifie à la fois « supprimer », « remplacer » et« relever ». Autrement dit, c’est en détruisant une structure, que l’on peut élever une idée à unniveau supérieur. Dans un processus de destruction, seule l’idée primordiale est révélée, elleprédomine alors sur tout, devenant transcendantale et l’universelle.

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souveraineté, de frontière, de citoyen, d’un espace commun et de démocratie. Il

s'agit de réfléchir à la conception d’une nouvelle communauté politique capable

d’assurer la démocratie tout en héritant des fonctions de l’État-nation ancien. Les

textes d’Agamben, de Balibar, de Derrida, de Foucault et de Schmitt nousserviront de support.

La deuxième partie reposera sur la « dialectique » ou la « polémique ». Elle

inclut la section s’étendant du quatrième au sixième chapitre. Elle invitera à

s’interroger sur les moteurs permettant de reconstruire la nouvelle communauté :

la reconnaissance, la mémoire collective, la subjectivité de l’agir et la conscience

classe. Ce n’est qu’en y réfléchissant que nous pourrons répondre à la possibilité

d’une nouvelle action collective. Dans cette partie, nous envisagerons cesquestions à la faveur des textes d'auteurs comme Arendt, Benjamin, Fanon,

Holloway, Laclau, Mouffe, Negri, Rancière, Zizek, etc. Nous développerons les

réflexions soulevées par les théories fondées autour de la nouvelle structure

mondiale et la stratégie de l’action. Cette démarche permettra de réfléchir à un

nouveau contenu du monde, à partir duquel nous pourrons créer une nouvelle

communauté politique. Le mode traditionnel de l’État-nation n’étant plus adapté à

l’ère de la mondialisation, chacun, quelle que soit la discipline (philosophie,économie, politique...), quelle que soit son appartenance politique (gauche,

droite) cherche à créer un nouvel imaginaire du monde. Les partis de droite

perçoivent le marché mondial sous le prisme du néolibéralisme ; la relation

multilatérale par la géopolitique. Les partis de gauche envisagent de gérer

l'échelle mondiale par un gouvernement global ; les partis d’extrême gauche en

place envisagent « l’Empire » par le prisme du marxisme autonome et du

post-marxisme, qui insistent sur l’idée que l’avenir du monde réside dans ladéterritorialisation et dans la désorganisation. Nous débattrons sur ces deux

aspects du marxisme autonome et du post-marxisme. Nous retiendrons l’idée du

pouvoir constituant et de l’hégémonie intellectuelle, de l’antagonisme que nous

élargirons afin de créer un nouveau parti d’extrême gauche basé sur la

résistance globale.

Tel qu’il fut conçu, l’État-nation détenait la souveraineté, il devait garantir les

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droits au travail et les droits de l’homme dans le cadre d’un territoire fixe. Il

agissait non seulement sur les dimensions économiques et sociétales. Il protège

autant les riches que les pauvres, les travailleurs que les non travailleurs... Dès

lors que le monde s’est transformé sous l’effet de la mondialisation capitaliste, lafrontière ne distingue plus le citoyen, et le contenu de la communauté politique

se modifie pareillement. La disparition du citoyen conduit à une réaction en

chaîne. La souveraineté d’une part perd la source de son autorité, elle se trouve

d’autre part confrontée à une crise de légitimité. La disparition de l’idée du peuple

composé de citoyens aggrave la question de la démocratie et de la frontière, les

individus n’étant plus protégés par la communauté politique. Les hommes

subissent des traitements inégalitaires qui renvoient aux questions du racisme,de la violence de l’État, de l’immigration et des droits de l’homme.

Le quatrième chapitre s’attachera à analyser le néolibéralisme à travers

les notions de marché et de propriété privée. De Locke à Milton Friedman, tous

envisagent la propriété privée comme équivalente à la propriété individuelle. Ils

considèrent le marché libre comme un facteur d’émancipation et une garantie

pour les droits de l’homme. Sur cette base, le néolibéralisme renforce le concept

de « privatisation » et de « dérégulation ». Nous discuterons sur ces points àpartir de la théorie de Braudel. Nous analyserons par ailleurs l’émergence de la

nouvelle forme du capitalisme et la logique du néolibéralisme. Afin de réfléchir à

la circulation et la délocalisation, nous évoquerons les théories d'Amin, de

Husson, de Gérard Duménil, de Dominique Lévy et de Bourdieu.

Dans le cinquième chapitre, nous définirons la vision d’un monde multilatéral

envisagé par les géopoliticiens et nous arrêterons plus particulièrement sur

l’ « Empire » selon Negri. Les géopoliticiens préconisent l'émergence d'unmonde multilatéral, jugeant que les organisations transnationales doivent

disposer d'une capacité de coordination. D'après eux, les organisations

transnationales au moyen de la négociation multilatérale prémuniraient d’une

hégémonie unilatérale. Ce type d'organisation deviendrait de ce fait l’agent du

nouveau monde ôtant le caractère de violence de l’État souverain. La

communauté politique d’avenir, au lieu de reposer sur la puissance et la

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répression, se baserait ainsi sur la négociation et l’intégration. Les géopoliticiens

négligent pourtant un aspect crucial : les organisations transnationales sont

basées sur des rapports de force et représentent de ce fait un enjeu entre les

blocs puissants. Cette conception ne règle pas non plus les questions du déficitdémocratique, des inégalités internationales et de la bureaucratie.

Certains gauchistes défendent la démocratie plurielle : le marxisme

autonome et le post-marxisme, définis par des auteurs comme Negri, Holloway,

Laclau et Mouffe. Ces gauchistes tentent d’établir, au sein des organisations

transnationales, un mode démocratique dépourvu de centre. Une telle

conception est censée combler le déficit démocratique, et fait des organisations

transnationales des structures coordinatrices préservant des décisionspéremptoires des pays puissants. Negri propose le concept de « multitude » et

de « pouvoir constituant », selon lequel la force du peuple permet de réaliser la

démocratie et de rééquilibrer la souveraineté. Si la nouvelle souveraineté se

trouvait sans frontière, la force de la multitude formerait une force démocratique

sans frontière. Negri pense que la multitude constitue le sujet politique essentiel

de notre époque. Elle se trouve et résiste ainsi partout. Elle représente la force

de la démocratie contre le nouvel empire global. Nous partageons les idées deNegri sur la souveraineté et sur la démocratie, mais nous n’approuvons pas la

stratégie qu’il propose. Car la question clé consiste à définir la multitude.

Comment rassembler ces multitudes disséminées ? Comment faire émerger à

partir de ces multitudes la force collective ? Comment transformer ces multitudes

de la classe en soi-même à la classe pour soi-même ? Nous répondrons à ces

questions à partir de la théorie de la surdétermination d'Althusser; de la notion de

démocratisation de la frontière selon Balibar ; de la classe sociale par Poulantzaset la démocratie infinie de Badiou.

Dans le sixième chapitre, nous considérerons le point de vue du racisme et

du tolérantisme culturel. La fluidité conduit à un nombre croissant de travailleurs

immigrés et de clandestins. Ces étrangers influencent le système social de leurs

pays d’accueil et conduisent à une forme de néo-racisme. Le néo-racisme se

caractérise par une forme d’hostilité à l’égard des étrangers, il peut être

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également qualifié de racisme biologique ou de racisme culturel. Il revêt une

nouvelle forme du fait qu’il se fonde moins sur les critères raciaux et physiques,

mais plutôt sur la différence culturelle. Ses critères se basent sur le statut

politique, l’économie et les capitaux culturels. Cette classification sert aunéo-racisme à justifier et rationaliser la discrimination et l’exclusion sociale. Les

critères du néo-racisme ne se basent pas sur l’ethnie biologique, mais se situe

plutôt sur le relativisme racial ou le multiculturalisme. Sur ces bases, le

néo-racisme évince les étrangers afin de sauvegarder sa culture traditionnelle.

L’apartheid n’est donc plus considéré comme du racisme, mais comme un

instrument mis au service de la patrie. L’apartheid n’est plus perçu comme de la

hainÉ. Balibar emploie l’expression de « racisme sans race » pour le qualifier. Untel racisme combine non seulement le biologisme, mais aussi le culturalisme. Il

rationalise la discrimination, la xénophobie, voire la violence et l’inhumain,

Balibar qualifie ce type de racisme de « cruauté sans visage » ou de « violence

invisible »9. Dans ce chapitre, nous parlerons de la violence et du racisme en

nous appuyant sur les théories de Balibar, Fanon, Rancière et Taguieff.

La troisième partie comprendra le septième chapitre et le huitième chapitre.

Cette partie peut être envisagée comme un processus d’« établissement »,capable de nous remettre en ligne pour la lutte. Il s'agira d'analyser la contexture

entre l’État souverain confronté à la mondialisation pour en cerner les

problématiques. Le but sera de proposer une nouvelle stratégie pour l’action

politique collective, à partir de laquelle nous pourrons redéfinir les contenus

d’une nouvelle communauté politique. L’action politique collective doit affronter

les défis de la gauche et de la droite. Nous relierons les points abordés dans les

deux premières parties afin de mettre en place une stratégie capable de releverles défis de la mondialisation et de créer une altermondialisation. Dans cette

partie, nous établirons un plan pour le futur, un chemin conduisant vers une

nouvelle communauté politique.

9  É. Balibar, La Crainte des masses , Galilée, 1997 

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Le septième chapitre abordera les stratégies de la gauche face à la

mondialisation capitaliste. Les défis de l’action collective et de

l’altermondialisation découlent non seulement du libéralisme et du capitalisme,

mais aussi du front de la gauche elle-même. Certains gauchistes tententeffectivement d’expliquer la démocratie et la révolution à l’aide des notions de

pluralisme, de dissémination et de décentralisation. La réflexion de la stratégie

doit donc inclure la critique de la gauche elle-même. Dans cette époque ambiguë,

où la gauche et la droite tendent à se confondre, nous devons clarifier les choses

et adopter une position aiguë. Cette dernière devra démasquer les illusions de

l’égalité et de la progression. Les postmodernistes et les néolibéraux prônent

l’égalité et le progrès qui n’existent pourtant pas du point de vue factuel. Notreposition visera à dévoiler les phénomènes d’exploitation, de répression, de

violence, d’inégalité, perpétrés dans notre vie actuelle. Dans ce chapitre, nous

reviendrons sur la polémique entre la deuxième internationale et la troisième

internationale. Cette polémique implique de traiter les sujets de la grève générale,

de la démocratie, du parlementarisme, de la violence et de la révolution ouvrière.

La confrontation des textes de Lénine, Rosa Luxemburg, Trotski et, Kautsky,

Bernstein, contribuera à clarifier l’action aujourd’hui.

Dans le huitième chapitre, qui est aussi le dernier chapitre de ma thèse,

nous définirons le contenu de l’altermondialisation et du nouvel internationalisme,

à l’image du FSM (Forum social mondial) préconisant qu'« un autre monde est

possible ». L’impasse de la mondialisation doit obligatoirement se résoudre à

l’échelle mondiale, à savoir qu'il nous faut mener une action transnationale. Löwy

ou Callinicos parlent de « résistance globale ». Le nouvel internationalisme ne

constitue pas une simple opposition à la mondialisation, il doit lutter contre lalogique du capitalisme. Au travers de l’anti-capitalisme, l’action transnationale

crée une altermondialisation. Cette action s’exerce par la repolitisation et une

redéfinition de la démocratiÉ. Balibar souligne que cette lutte sera longue et

restera encore empreinte d’un matérialisme historique, tant qu’elle restera sous

l’emprise de la relation dialectique de la force.

Le nouveau monde envisagé doit former aussi un ensemble de relations

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sociales. Cela revient à dire que la mondialisation et le monde multilatéral sont

effectivement des prolongations de l’État souverain. La mondialisation est une

extension du territoire, elle doit également sauvegarder les droits. La

repolitisation vise à réincorporer les droits de l’homme, l’égalité, la démocratie,l’humanité, et plus généralement les droits des fondamentaux, etc. L’ordre du

monde ne se subordonne pas seulement à la logique économique, mais plutôt

aux valeurs universelles. Le politique ne se borne pas à la police, elle vise la

réintégration. Le politique introduit sans cesse « la part des sans-part »  10, qui se

cache derrière une structure fixe. De même, le politique est un lieu ouvert,

incluant les exclus et les absents, ceux qui enrichissent le sens de la

communauté politique. Une telle réincorporation instaure un nouveau mondefondé sur la démocratie et l’égalité. Ce lieu démocratique et égalitaire introduit la

possibilité de l’action collective.

10 « La part des sans-part » est une idée importante chez J. Rancière. Elle désigne un groupeexclu. Elle ne dispose pas d’un droit de parole, ses opinions ne sont pas représentées. Elle secache derrière une structure préfixée. J. Rancière envisage ainsi la démocratie moderne commeune démocratie exclusive. La démocratie moderne se révèle imparfaite. Il soutient que ladémocratie et le politique doivent s’établir sur la base de l’égalité. La démocratie et le politiquedoivent inclure « la part des sans-part ». Car elle constitue aussi une partie de la part. Elle estégalement être de parole et accorde également le droit de parole. La démocratie pourrait dansces conditions être véritablement fondée sur la base de l’inclusion et de l’égalité. Nousreparlerons de cette idée dans le 5.2.2. pour redéfinir la démocratie et le politique. Voir, J.Rancière, Aux bords du politique , Gallimard, 2004. J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995.

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Première Partie

« démystifier » et « dévoiler »

Une révision de l’Etat souverain et de lamondialisation capitaliste

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Cette partie est une démystification des discours défendus par le

néolibéralisme11 . En révisant l'histoire de l’État souverain et la logique du

néolibéralisme, nous saisissons mieux la relation entre la mondialisation

capitaliste et l’État-nation. Nous proposerons ainsi une autre dimension possibleque la mondialisation capitaliste. Par la même démarche, nous conclurons sur

les trois épreuves de l’action collective résultant du concept de la mondialisation

capitaliste. Il s’agit de la primauté du marché, de la fluidité et le biopolitique.

Le néolibéralisme s’appuie sur trois discours. Le premier conçoit un monde

économique pur excluant tous les obstacles du marché. Cela permet au

néolibéralisme d’affirmer que nous obtiendrons plus de liberté et renforcerons les

droits de l’homme en nous conformant aux règles du marché. Le deuxièmediscours vante les bienfaits de se dégager de l’intervention des États. Il affirme

donc que le marché mondial remplacera l’État. Le troisième discours tente

d’établir une nouvelle souveraineté transnationale. Le monde de l’avenir est

polycentrique, l’État devient un sous-État. Le néolibéralisme annonce donc « la

fin de l’État ».

Pour ce qui est du premier discours défendu par le néolibéralisme, nous

montrerons que le marché libre n’est pas strictement synonyme de liberté pour

l’homme. Concernant le deuxième argument néolibéral, nous pensons que

même si le monde de l’avenir est un monde polycentrique, marqué par l'absence

de frontières, il est aussi une cristallisation des rapports des forces. La question

clé ne réside-t-elle alors pas sur le recul de l’État ? Ne consisterait-elle pas plutôt

à définir comment démocratiser une institution transnationale et la frontière ?

Une telle institution permet de considérer en continu la démocratie, les droits de

l’homme et les services publics. Par rapport au troisième argument, nousenvisageons l’État lui-même comme un procédé et comme non un concept. Il

s’adapte sans cesse aux nouveaux facteurs, aux nouvelles circonstances et aux

11  Nous définirons de façon plus détaillée le néolibéralisme dans les chapitres suivants. Il est nédans les années 1980. Il insiste sur la nécessité des institutions transnationales et de l’intégrationdes marchés, par exemple, la banque mondiale, le Fonds Monétaire International et l’OMC… Ilpréconise de remplacer l’État par le marché mondial.

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conditions du moment.

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Chapitre I

Un mot controversé::::la mondialisation

Les années 1990 marquent une nouvelle étape dans l’évolution de la

mondialisation. Une révolution technique considérable incluant notamment des

progrès en termes de communication, a aboli les contraintes de l’espace grâce

aux progrès de la communication. Les hautes technologies contribuent ainsi àune baisse des prix du transport et de la communication, ce qui compacte

l’« espace-temps » et favorise les contacts internationaux. Au rythme d’une

extension vertigineuse, le marché mondial a pris une nouvelle forme : celle d’un

marché unique. La mondialisation a fait surgir un nouvel espace et un nouveau

cadre à la mobilisation. L’économie et le politique s’interpénètrent dorénavant,

obligeant ainsi le pouvoir politique à dépasser le cadre traditionnel de la frontière.

L’État est une des conséquences directes. La mondialisation se caractérise parle déplacement du politique traditionnelle, dont les règles et les concepts

fondamentaux ont été interprétés dans le sens d’une cosmopolitique, c’est-à-dire

d’une politique à l’échelle mondiale. Dans ce nouveau contexte, le concept de

l’État n’est pas dépassé, mais doit être révisé.

L'État s’avère fort affecté par les transformations en cours. L'ouverture

économique a réduit la possibilité de définir des stratégies sur des bases

strictement nationales. La mondialisation menace l’État dans sa souveraineté. Lepouvoir étatique abandonne non seulement sa gouvernance sur le marché,

mais il livre son pouvoir au marché. Une telle évolution se trouve qualifiée de

« déclin de la souveraineté étatique » ou de « fin de l’État-nation » par le

néolibéralisme. Un marché mondial est en train de remplacer l’État-nation. Même

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l’« Empire »12, qualifié, par certains, de « Manifeste du parti communiste » du

21ème siècle, admet aussi ce point de vue. Negri et Hardt considèrent que les

organismes transnationaux représentent une nouvelle opportunité de

convergence. Ils envisagent avec optimisme l’avenir du monde. Les migrants, lesclandestins et les chômeurs, victimes de la mondialisation capitaliste, forment un

nouveau prolétariat et la force principale d’opposition à l’« Empire » en

construction. Ces multitudes, de nature à la fois communistes et anarchistes,

agissent comme une force de création. Grâce à la rapidité des mouvements, les

multitudes forment un nouvel internationalisme et jouent un rôle d’opposant au

sein du nouvel empire mondial. La gauche comme la droite s’approprient ainsi le

concept de la mondialisation et emploie ce même terme dans leur propre théorie.Le fait que le néolibéralisme et les gauchistes comme Negri recourent au

même terme pour désigner la mondialisation rend celle-ci obscure. Elle se

confond alors avec le cosmopolitisme, l’internationalisme, le système-monde et

solidarité mutuelle. Ces définitions peu claires, souvent étroites et réductrices, se

révèlent intéressantes dans la mesure où elles montrent la difficulté à

caractériser la transformation du monde traditionnel, dont les valeurs et les

systèmes sont en cours de dislocation. L’État-nation, la relation internationale etle cadre du monde se trouvent en voie de changement. La recherche sur la

mondialisation consiste non seulement à analyser les transformations et les

cadres analytiques de l’État-nation traditionnel, mais également à déterminer une

structure analytique susceptible de reconstruire une nouvelle relation convenable,

permettant aux hommes pour vivre ensemble.

Dans ce chapitre, nous développerons notre argumentation selon deux axes.

Le premier consistera à se demander sur quoi se fonde l’État-nation. Ce sujettouchera les problèmes de la souveraineté, du territoire, de la frontière et du

peuple. Deuxièmement, nous verrons quelle fut son évolution dans l’histoire.

L’État-nation fondé sur la base des pouvoirs suprêmes a évolué du droit

divin au centralisme monarchique et a ensuite pris la forme de la souveraineté

12  M. Hardt et A. Negri, Empire, Exils Editeur, Paris, 2000.

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étatique moderne. À travers le contrat social, la relation entre le dominateur et le

peuple reposait sur le principe du pouvoir exercé par ce premier et sur le don du

pouvoir par le dernier. En confiant le pouvoir à l’État, le peuple devient citoyen.

Autrement dit, il confie son pouvoir afin d’obtenir le droit politique. L’État doit enéchange le protéger et répondre à sa volonté : l’État acquiert ainsi la légitimité

gouvernante. Le déclin de la souveraineté nécessite-t-il de renouveler celle-ci en

tant que concept ? Sur quoi reposent les fondements de la légitimité ?

Dans la section 1.1., nous déterminerons l’essence de la souveraineté et

démontrerons qu’elle est son évolution dans le temps. C’est pourquoi nous

examinerons d’une part le cadre dans lequel est apparu le concept souverain, et

d’autre part le sens de la souveraineté au sein de la pratique politique moderne.Cela nous aidera à saisir les modalités par lesquelles la souveraineté étatique

moderne exerce la domination, et à trouver un moyen de joindre la structure du

pouvoir politique à sa domination sur le territoire.

Dans la section 1.2., nous discuterons la transformation de la forme de l’État

à l’heure de la mondialisation. Nous définirons une telle transformation comme

un processus de l’histoire, l’État s’adapte sans cesse aux nouveaux facteurs, aux

nouvelles circonstances et aux nouvelles conditions du moment. L’État est en

effet lui-même un procédé et non un concept, car il se forme à partir de l’histoire

et des rapports sociaux. À partir de cette définition, nous discuterons de la notion

de la « fin de l’État ». Enfin, dans la sous-section 1.2.4, nous conclurons sur les

trois dimensions de la crise de l’État souverain et les trois signaux potentiels pour

concevoir une nouvelle communauté politique.

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1.1 Revisiter le concept de la souveraineté

La mondialisation revêt plusieurs dimensions : le nouvel impérialisme,

l’immigration, le chômage, l’État providence, etc. Cependant, la souveraineté est

sans nul doute le point central de la question de la mondialisation. La

souveraineté et ses sujets formaient le cadre du monde moderne. Ils

caractérisent la structure de l’analyse et de la décision pour la politique

contemporaine. La théorie de la souveraineté concerne la relation entre l’État et

le peuple et l’équilibre entre le pouvoir politique et la force commune. Elle

représentait un instrument du pouvoir et de la domination, elle est ainsi non

seulement une idée, mais aussi une stratégie.

Le concept de la souveraineté se trouve étroitement lié à l’évolution

historique. La théorie de souveraineté se caractérise par cette figure- la

domination se limite à un terrain particulier sur lequel la souveraineté dispose

d’une supériorité et n’admet aucune autorité plus haute qu’elle. En dehors de son

champ d’action, elle subordonne une partie du monde et se considère comme un

pays indépendant. Ainsi, à travers la reconnaissance réciproque des pays, sur

une base égale, la souveraineté acquiert une légitimité. L’État souverain est

l’agent principal du monde traditionnel. Les peuples sont définis comme des

hommes habitant sur un territoire particulier. Les peuples s’intègrent dans une

communauté politique : quelles que soient leur ethnie ou religion, ils doivent

reconnaître ceux appartenant au même l’État souverain. Plus précisément, la

structure du monde traditionnel se construit sur la hiérarchie du peuple (société)

-l’État-un monde.

Aujourd’hui, la mondialisation capitaliste ignore les frontières. Les trois

mécanismes fondamentaux de l’État-nation traditionnel que sont la démocratie,

la protection sociale et les droits civils, peuvent-ils également connaître cet

élargissement ? L’État joue continuellement un rôle protecteur. Ce qui nous

oblige à déterminer quelle sera la structure qui jouera le rôle de protecteur dans

l’avenir quand l’État-nation ne sera plus l’agent principal du monde et lorsque la

souveraineté disparaîtra de la même façon. Ces réflexions conduiront à se poser

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les trois questions suivantes : que représentent l’État-nation, le peuple, le terrain

et la souveraineté ? Pourquoi l’État posséderait-il un pouvoir supérieur ? Quelle

est l’origine de cette légitimité ?

1.1.1 La souveraineté se fonde-t-elle sur la paix ou sur la guerre ?

La légitimité du détenteur du pouvoir ou de la souveraineté s’adapte aux

différentes conditions sociales et politiques. Au moyen âge, en Europe, quels

que soient les dirigeants et les peuples, les hommes sont tous les sujets de Dieu

à qui ils obéissent. Toute loi naturelle était régie par de la loi divine, qui inscrivait

Dieu au-dessus des humains. Cette loi était considérée comme universelle et

supra-temporelle, tous les hommes s’y subordonnant en tout lieu et en tout

temps. La loi divine représentait la puissance suprême.

À partir du 16ème siècle, la Renaissance fait entrer la civilisation européenne

dans une ère de sécularisation. Le siècle des Lumières apporte le rationalisme et

le scepticisme, deux idées qui affaiblissent la foi en Dieu et conduisant à un point

de vue plurivoque. Cette évolution sape les bases du système politique

 jusqu’alors basé sur la religion. Après le siècle des Lumières, l’homme sépare la

Nature de Dieu. La loi universelle transigeant du même coup de la religion à la

laïcité. La légitimité avait évolué au cours de l’histoire à partir d’une origine

métaphysique et théologique pour laquelle tout pouvoir sur terre tire sa légitimité

de Dieu. Plus encore, elle désignait le caractère suprême du pouvoir : le fait

qu’elle soit abandonnée signifie qu’il n’existe plus d’instance supérieure, le

détenteur du pouvoir ne dépend plus d’aucun pouvoir supérieur, car la

souveraineté ne définit pas l’autorité suprême. Lorsque l’homme perd une

autorité extérieure telle que celle de Dieu, il est obligé d’en chercher une autre

pour établir une loi universelle. Au 18ème siècle, l’homme tente ainsi de trouver

une loi immanente et transcendante à l’aide de la connaissance rationnelle.

Lorsqu’une loi perd son fondement divin, la pensée profane s’universalise,

pour former des principes valables pour tout l’Univers, tout Homme et toute

Société. Le déclin spirituel fournit l’opportunité aux droits régaliens de créer une

monarchie de la sécularisation et un centralisme absolu. C’est la raison pour

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laquelle le principe de l’État souverain réside en une autonomie absolue : l’État

n’appartenant à aucune autre autorité, il constitue la puissance supérieure. À

savoir, le principe de souveraineté est en premier lieu le principe politique

d’autonomie. 13   L’État moderne doit donner naissance à un pouvoir pourremplacer le droit divin sacré. L’État moderne apparaît alors comme un droit divin

sécularisé, le roi devient un agent de la laïcisation et domine les affaires

humaines. En un mot, tous les concepts de la théorie de l’État moderne sont nés

de la sécularisation.

La souveraineté, après Machiavel et Bodin, n’est fondée ni sur dieu, ni sur la

nature, elle est seulement humaine. L’Europe humaniste souligne la

connaissance rationnelle et ne fait plus reposer ses concepts politiques sur desprincipes religieux inébranlables, toutes les affaires doivent passer à l’épreuve de

la raison. Le droit régalien libère l’homme en se désengageant du droit divin et

de la puissance féodale, ce qui crée une nouvelle identité et ainsi un nouveau

rapport entre  la souveraineté et le peuple. Libéré de divers pouvoirs, l’homme

doit faire face à un nouveau dogme universel. La suprématie absolue de Dieu

ayant disparu, il reste au pouvoir séculier de prouver sa légitimité de la succéder.

L’homme qui ne pouvait guère s’élever contre Dieu s’autorise maintenant àcontester ou même à se battre contre la souveraineté étatique. Cette nouvelle

forme de suprématie doit a priori  être reconnue par tous. Sans cette consécration,

la suprématie de l’État souverain sera remise en cause.

Cette situation de disputes à l’égard de sa légitimité se transformera en

rivalités, voire en conflits armés. L’État souverain est facilement contesté, la

guerre devient chose courante, qu’elle se produise entre des pays ou au sein

même d’un pays. Lorsque le droit régalien remplace le droit divin et devient à lafois l’autorité et le fondement de l’État moderne, deux questions élémentaires se

posent à lui. D’un côté, la guerre résulte d’une autorité disparue, qui n’est ni

absolue, ni supérieure, ni universelle. Dans cet état de fait, d’où vient la source

de la légitimité souveraine? Autrement dit, comment un État souverain, fondé sur

13 G. Mairet, Le principe de souveraineté, folio, 1996, p.19.

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une situation de guerre peut-il obtenir une légitimité dominante ?

Dès le début, l’État souverain naît de cette dualité. Il crée une autorité à

partir de l’émancipation cherche l’ordre dans la confusion et gagne la paix dans

la guerre. L’État souverain se trouve lié aux guerres, au droit international et à

l’équilibre des pouvoirs. Il porte en lui à la fois le conflit et la régulation du conflit.

Il naît, se développe et s’affirme dans la guerre. C’est la raison pour laquelle les

penseurs européens, à l’instar de Rousseau et Kant promeuvent « la paix

perpétuelle » et « l'hospitalité universelle ». Kant observe que « qu'on peut

nommer alliance de paix, [qui] chercherait à terminer pour toujours toutes les

guerres. Cette alliance ne vise pas à acquérir une quelconque puissance

politique, mais seulement à assurer et conserver la liberté d'un État pourlui-même… »14. Les pensées de Rousseau et de Kant entendent résoudre le

problème de la guerre, non plus du point de vue interne, mais du point de vue

externe par l’établissement d’une « fédération des peuples », qui réglerait les

conflits entre les États, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la guerre. Les

pensées de Rousseau et Kant relèvent ainsi du droit cosmopolitique et imposent

que nous traitions l’étranger non en ennemi, mais en citoyen du monde. Les

droits de l’homme rendent possible non seulement la coexistence des hommeset des États, mais permettent aussi de vivre ensemble sans user de la violence.

Bodin est le premier à rendre indissociable les notions de pouvoir, de

territoire, et de peuple. C’est en effet à la personne détenant le pouvoir sur son

territoire, qu’appartient l’ultime décision. L’État souverain relève d’une doctrine

associant l’autorité, le pouvoir et la responsabilité. Cette définition correspond

aussi à celle de l’État souverain moderne qui possède une population, un

territoire établi, une reconnaissance internationale, ainsi que la décision suprême.Le but de la souveraineté consiste à établir une puissance supérieure qui

dépasse à la fois la puissance divine et séculière. Une telle puissance est censée

défendre la paix et la vie. La souveraineté dont parle Bodin est indissociable d’un

ordre politique où se réalise une raison interne et repose sur le droit de décider la

14  Kant, Projet de paix perpétuelle, Paris, Vrin, 2002, p. 49.

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guerre ou traiter la paix.

Bodin préconise de transférer la souveraineté de la Divinité et de la royauté

vers l’État. Cette souveraineté ne vient pas d’en haut, mais d’ici-bas. Le peuple

est l’origine de la légitimité de l’État, ce qui distingue la souveraineté moderne de

ses formes précédentes. Même les plus autoritaires des États se fondent sur la

confiance de leur peuple. Bodin voyait dans la souveraineté une unité indivisible,

réglant définitivement la question de la puissance dans l’État15. Bodin est le

premier à lier la mutualité, à la souveraineté et à l’État-nation, considérant

celui-ci comme la puissance supérieure (summa potestas ) : en somme, il est le

premier à théoriser le concept d’État moderne. Il a montré que " la souveraineté

est la puissance absolue et perpétuelle d’une République "16, appelée en latinmajestatem .

Bodin introduit le concept de décision dans la notion de souveraineté. Selon

lui, le pouvoir de « donner et casser la loi », c'est-à-dire de l’élaborer et de la

réformer, contiendrait l’ensemble des pouvoirs marquant la souveraineté. La

souveraineté se définit comme un pouvoir suprême à l’intérieur du royaume,

indépendant de toute intervention extérieure. La prise de décision indépendante

permet à l’État de manifester son pouvoir exclusif et sa légitimité irréfragable. La

souveraineté de l’État est absolue : rien ne vient la limiter, pas même la

disparition du monarque qui exerce temporairement le pouvoir. Chaque système

politique, que ce soit l’État souverain ou le monarchisme souverain, a besoin

d’une puissance absolue, qui constitue l’ultime instance décisionnelle.

Hobbes nous propose une définition différente de l’État. En cédant leur

micro-pouvoir à l’État, les individus lui confient collectivement la responsabilité

de les protéger. Ce processus finit par créer un macro-pouvoir de l’État qui est

suprême, d’où viennent la souveraineté étatique et le fameux Léviathan. Selon la

logique de Hobbes, l’État défend son territoire contre les invasions et protège le

15 C. Schmitt, Théologie politique , Paris, Gallimard, (trad. de Jean-Louis Schlegel), 1988, p.18.16  J. Bodin, Les Six livres de la République, éd. et présentation de Gérard Mairet, Livre I, chap.8.

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peuple à l’aide de la force collective. Il tient ainsi sa légitimité. Dans ce territoire

indépendant, il exerce souveraineté suprême, car lui seul détient la décision

finale. Dans ce territoire, l’État-nation a autant besoin de son peuple qui lui est

subordonné, que le peuple a besoin de l’État pour le protéger. Les personnesvivant dans ce territoire représentent donc les citoyens au milieu de l’État

souverain en exerçant leurs droits et leurs obligations.

Schmitt définit clairement la souveraineté, au début de la Théologie

politique : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle17. » Il

souligne que tout droit est un « droit en situation ». Le souverain établit et

garantit l’ensemble de la situation dans sa totalité, disposant du monopole de

cette décision ultime. C’est là que réside l’essence même de la souveraineté del’État. Sur le plan juridique, la définition de la souveraineté n’est ni celle d’un

monopole de la coercition ni celle de la domination, mais bien celle d’un

monopole de la décision. Ce pouvoir de prendre les décisions s’étend jusqu’où

l’État peut définir et déclarer l’état d’exception. L’État suspend alors l’application

de la constitution qu’il a établie afin d’exécuter les lois extraordinaires. Celui-ci

fait ainsi preuve qu’il est souverain et dispose du pouvoir suprême.18 

Hobbes et Schmitt se distinguent par rapport à leur conception de la

souveraineté. S’ils s’accordent sur le fait que la souveraineté est suprême, ils

diffèrent dans la façon par laquelle la souveraineté détient la suprématie. Pour

Hobbes, le but de l’État vise à éviter la guerre. Les hommes renoncent à l’état

naturel et préfèrent l’ordre étatique par nécessité de surmonter leur crainte19.

Dans l’état de nature, marqué par la guerre permanente, l’homme, craignant

toujours la violence, vit seul et difficilement. Dans ce climat de peur, l’homme ne

poursuit pas des actions productives lui permettant de satisfaire ses aspirationset de mener une vie agréable. Ces dernières donnent pourtant aux hommes

l’envie d’instaurer un état de paix.

17 C. Schmitt, Théologie politique , Paris, Gallimard (trad. de Jean-Louis Schlegel), 1988, p. 14.18 C. Schmitt, Théologie politique , op.cit., p. 23.19 G. Mairet, Le principe de souveraineté, Folio, 1996, pp.59-61

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Au contraire, la guerre, pour Schmitt, constitue l’essence de l’État. Plus

largement, Schmitt voit dans les « pouvoirs d'exception » à la fois l'origine et

l'essence de l'État moderne. Il part même de la guerre et de l'armée pour retracer

la généalogie de l'État. Pour Schmitt, l’État souverain n’affirme son pouvoir ques’il déclenche la guerre. Il observe que l’État, en tant qu’unité politique et centre

de décision, détient et concentre un pouvoir démesuré : il a la possibilité de faire

la guerre et donc de disposer ouvertement de la vie d’êtres humains20.

Schmitt développe ainsi les idées d’« état d’exception » et d’« ami-ennemi »,

mais par rapport à Hobbes, il approfondit la relation entre la souveraineté

absolue et l’État. En premier lieu, il juge très importante la guerre dans la mesure

où elle offre la possibilité de distinguer l’ami et l’ennemi et d’annoncer l’étatd’exception. Deuxièmement, la souveraineté étatique est davantage consolidée

à travers de la guerre, car l’État confirme à nouveau que sa souveraineté est

reconnue par son peuple comme par les États adversaires. Troisièmement, la

distinction ami-ennemi favorise la mobilisation politique interne et ainsi la

solidarité du peuple contre la menace extérieure.

La guerre remplit plus fondamentalement une autre fonction : elle sert à

l’État d’instrument pour étendre son territoire. Grâce à l’extension du territoire et

le recul de l’étranger, la guerre apporte non pas la crainte, mais la sécurité. La

guerre fonde ainsi sa légitimité. Dans ce sens, le but de la guerre serait de

poursuivre la paix. L’État n’abandonnant jamais la guerre manifeste à la fois sa

force et son pouvoir. De la même manière, il intimide ses ennemis et instaure la

sécurité et la paix. L’État naît donc de la guerre et continue par cette dernière

d’assurer à la fois la protection de ses territoires, population et légitimité.

La guerre et l’existence d’ennemis sont les conditions préalables justifiant

l’État souverain. Le fondement de ce dernier découle de la guerre, grâce à

laquelle il acquiert la reconnaissance et la légitimité, tout en protégeant sa

souveraineté et son peuple. En d’autres termes, la guerre s’avère indispensable

20  C. Schmitt, La notion du politique - Théorie du partisan , Paris, Flammarion, 1992. Du mêmeauteur : Parlementarisme et démocratie , Paris, Seuil, 1988, p.85.

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pour la survie de l’État souverain. Il n’est, en effet, pas possible de poursuivre la

paix perpétuelle avec l’État souverain. L’idée de Hobbes paraît tombe dans une

antinomie singulière. L’État, en fondant sa souveraineté sur la guerre, ne semble

pas en mesure d’assurer la paix.

La guerre permet, d’une part d’étendre le territoire, et d’autre part de garantir

le pouvoir souverain. À cet égard, la paix de Westphalie est souvent perçue

comme ayant affirmé l’État-nation et c’est sur cette paix que s’est fondé les

principes d’État nation et d’État souverain. Elle aurait mis en place un nouveau

principe, à savoir que les États souverains s’engagent mutuellement à ne pas

s’agresser. En réalité, elle n’a pas fait avancer la paix, mais a plutôt aggravé les

antagonismes. C’est la guerre et non pas la paix qui a mis fin au Moyen Âge et ainauguré l’ère moderne en Europe.

La comparaison entre les théories de Hobbes, de Bodin et de Schmitt

montre que la naissance de l’État souverain moderne vient de la transformation

du droit divin en État absolu, qui obtient sa légitimité par la guerre. Cela

correspond aussi à la conception du « prince » de Machiavel, pour qui « un

prince doit donc n’avoir d’autre objet ni d’autre pensée, ni prendre autre chose

pour son art, hormis la guerre et les ordres et la discipline de celle-ci. »21 

Foucault explique que la politique s’inscrit dans la continuité de la guerre, qu’elle

est une forme de guerre menée avec d’autres instruments que les armes. Les

pratiques et les institutions de guerre se sont d’après lui progressivement

concentrées dans les mains d’un pouvoir central, car seuls les pouvoirs étatiques

peuvent engager les guerres et employer les instruments de la guerre : c’est un

processus d’étatisation de la guerre22. Pour Foucault, il n’existe de pouvoir

souverain qu’avec la guerre. Le souverain poursuit la guerre d’une autre façonau moyen du schéma guerre – répression. Dans ce schéma, il n’y a plus

d’opposition entre légitimité et illégitimité, mais entre lutte et soumission. Cette

théorie nous renvoie à celle de Schmitt, c'est-à-dire que le politique, en tant que

21  Machiavel, Le Prince , Paris, PUF, l989, p. 116.22 M. Foucault, Il faut défendre la société , 1997, p. 41.

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discipline, permet la distinction « ami- ennemi » et la guerre.

Considérant cet aspect élémentaire, comment composer un État souverain

pacifique ? Ce terme paradoxal renvoie à une idée relevant de «La dernière

Utopie ». Pour trouver un nouveau mode d’existence fondé non sur la

conflictualité, mais sur la solidarité, nous devons réfléchir à la manière dont nous

pouvons dépasser cette contradiction. Il est nécessaire d’abandonner l’idée de

créer une communauté mondiale sur la base de l’État souverain. En revanche, il

faut une nouvelle conception pour le corps politique à l’avenir.

1.1.2 La souveraineté se fonde-t-elle sur la loi ou sur l’état d’exception ?

Il convient de développer davantage ici le raisonnement de Hobbes en ce

qui concerne la légitimité du souverain. Pour lui, c’est la loi de nature, consentie

par l’ensemble des individus, qui garantit la souveraineté. Cette loi précède cette

dernière. Pour Hobbes, le souverain qui établit la loi civile se coupe de la nature.

Étant donné qu’il n’y a pas de loi civile dans l’état de nature, les questions de

 justice ou d’injustice ne se posent pas.

En revanche, pour Schmitt, la souveraineté et la loi sont interdépendant. Ilpense que la souveraineté se trouve, dans le même temps, à l’extérieur et à

extérieur de l’ordre juridique. La souveraineté vient, en effet, de la loi. La force de

la loi égale au moins celle du souverain, mais la souveraineté représente aussi

un pouvoir qui peut suspendre la loi. En d’autres termes, la théorie de la

souveraineté selon Schmitt montre comment un pouvoir peut se constituer, non

pas exactement suivant la loi, mais selon une certaine légitimité fondamentale à

toutes les lois, qui est en fait une sorte de loi générale régissant et généranttoutes les autres23. À savoir, c’est la souveraineté qui détermine la validité des

lois et non pas le contraire. Si ces dernières s’opposent à la souveraineté, elles

risquent de perdre leur validité ou d’être soumises à une révision de la

souveraineté. En fin de compte, la légitimité de la souveraineté précède la

23 M. Foucault, Il faut défendre la société , Gallimard, 1997, p.38.

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création du système juridique interne. La souveraineté ne se contraint pas à

s’appuyer sur le droit interne pour justifier ses décisions. En déterminant le droit

interne, tant dans les cas ordinaires qu’extraordinaires, la souveraineté montre

davantage qu’il ne subordonne à rien.

La souveraineté en tant que détentrice du pouvoir, peut arrêter de

suspendre la loi et décider en dehors de la loi. La souveraineté se situe à la fois à

l'intérieur et à l'extérieur de la « loi ». À l'intérieur, dans la mesure où il est

lui-même une force et où il entreprend de faire appliquer la loi ; à l'extérieur, car il

se soustrait lui-même à l'application de cette loi et il décide de l'articulation entre

le juridique et le politique. La souveraineté proclame l’état d’exception et qui

décide dans cet état d’exception. La souveraineté existe en même temps que laloi et que l’état d’exception, ils sont en symbiose.

Agamben parle de « paradoxe de la souveraineté », la souveraineté étant

celle qui « décide de la situation d'exception ». Sur ce point, Agamben a

parfaitement résumé le concept de souveraineté. Pour lui, la souveraineté se

situe à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la loi. Elle est en dehors d’elle-même

ou plutôt : « Moi le souverain, qui suis en dehors de la loi, je déclare qu’il n’y a

pas rien en dehors de la loi »24. Cette définition est sur ce point, similaire à celle

que propose Bodin, à savoir que c’est la souveraineté qui décide l’état urgence et

qui a la possibilité de promulguer et casser la loi : la souveraineté décide de sa

souveraineté. C’est une puissance absolue au même titre que l’État souverain

qui dispose du pouvoir absolu. Schmitt souligne également que c’est celui qui

possède encore le pouvoir dans l’état d’exception qui est le véritable souverain.

Pour Machiavel et Bodin, la dictature est un pouvoir dominateur, qui est

uniquement exercé dans le cadre de l’état d’exception. Bodin pense qu’un parti

modéré remettant de l’ordre dans l’État et dans les conflits religieux, relève d’une

conception conduisant nécessairement à une monarchie absolue, mais qui n’a

rien d’arbitraire, au sens où elle respecte la loi morale et religieuse. Au contraire,

24  G. Agamben, Homo sacer I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997, p.23.

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pour Schmitt, l’état d’exception constitue réellement la substance du souverain,

la décision en dictature correspond donc à l’état de nature.

Pour Machiavel et Bodin, la souveraineté est suspendue avec l’état

d’exception. Schmitt prétend inversement que la souveraineté choisit d’entrer

dans le cadre de l’état d’exception en vertu d’un droit d’autoconservation.25 

L’état d'exception permet de déterminer avec la plus grande clarté l'autorité de

l'État. Dans les cas extrêmes, la souveraineté fait ce qu’elle juge

« indispensable » sans avoir à recourir à une quelconque norme juridique. Elle

est l’origine même de la légitimité de la constitution. En substance, est

souveraine la personne dont la volonté fonde l’ordre juridico-politique et qui n’est

pas assujettie à cet ordre établi.

La revue des théories de Hobbes à Schmitt, et de Foucault à Agamben,

nous a permis de bien saisir la transformation de la théorie de la souveraineté qui

induit les liens entre le roi singulier et le peuple. Cependant, que ce soit pour

Hobbes, Bodin ou encore Rousseau, la souveraineté nécessite le principe de

supériorité. La souveraineté est d’une part un concept de sécularisation, car elle

résout le problème de la légitimité du droit régalien, d’autre part elle offre un

système de communauté politique différent du système féodal et religieux.

L’État-nation doit surmonter la crise de la légitimité dominante. Les moyens pour

obtenir l’égalité forment les droits des citoyens et les techniques de domination

de la politique moderne. L’État apparaît alors comme un aspect du processus de

la sécularisation et de la rationalisation.

Nous allons tenter de déterminer les caractéristiques de la souveraineté, à

partir de l’intérieur et de l’extérieur. Commençons par définir l’État-nation

moderne, à l’intérieur : celui-ci présente trois caractères.

Le premier est la sécularisation : la territorialisation permet la sécularisation

de la forme-État, telle qu’elle va caractériser la modernité. En assujettissant la

religion, dont il prend la fonction, l’État devient un dieu séculier. Pour obtenir la

25 C. Schmitt, Théologie politique , Paris, Gallimard, (trad. de Jean-Louis Schlegel, 1988, p.22.

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légitimité, l’État séculier regroupe les peuples qui vivent ensemble sur le même

territoire. Il leur donne le droit, il transforme et définit les populations des peuples

en citoyen, qu’il façonne afin de modeler une conscience collective. Une telle

conscience abstraite deviendrait, à l’aide de la guerre, de la punition (juridique),de l’élection, ainsi que la gouvernance (administratif), le corps politique concret.

L’État séculier détermine tout d’abord la citoyenneté, à qui l’État attribue la

légitimité juridique, il mobilise et encourage ensuite les citoyens à participer aux

affaires publiques, ces citoyens assurant par la même la légitimité de la

domination à l’État séculier. En d’autres termes, l’État séculier et le citoyen se

reconnaissent réciproquement, ils reçoivent la légitimité l’un et l’autre. En un mot,

la citoyenneté a une double fonction. Sans l’exercice de celle-ci, la légitimité del’État est remise en question, ce qui nous renvoie au principe de souveraineté

publique. En exerçant leurs droits, les citoyens manifestent leur « capacité

individuelle de participation » à la décision politique. 26   La légitimité de la

souveraineté s’étant détachée de la loi divine, l’État souverain s’appuie sur la

nécessité de sécuriser son peuple pour rester légitime et reconnu.

Le deuxième est la suprématie : la souveraineté se voit obligé de posséder

le pouvoir suprême. D’un côté, dans l’intérieur du pays, elle monopolise légale dela violence. Elle exerce le pouvoir à l’aide d’une structure puissante inhumaine et

mécanique et de la discipline, qui se traduit concrètement par le système

bureaucratique et parlementarisme, la prison, l’armée, la police. Foucault parle

de politique anatomique. Plus encore, de l’État souverain dépendent l’ethnie et

l’autorité, il dispose donc du pouvoir d’exclusion, au travers du processus

« exclusion / inclusion » (qu’Agamben nomme prise du dehors). La souveraineté

définit le citoyen (ou la vie nue), en tant qu’objet sur lequel la souverainetéexerce son pouvoir. D’un autre côté, dans l’extérieur du pays, la souveraineté

apparaît l’autodétermination et la suprématie à partir de deux moyens : la

reconnaissance entre les États, et la guerre. La guerre est toujours étroitement

liée aux à la légitimité de la souveraineté. Au moyen de la guerre, l’État-nation

26  É. Balibar, Les frontières de la démocratie, La découverte 1992, pp.99-100

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obtient à la fois la légalité intérieure et l’autodétermination extérieure.

Le troisième est la territorialisation : dans un terrain particulier, la

souveraineté n’admet pas d’autorité plus haute qu’elle, elle est la supériorité,

indivisible et inconditionnelle. La territorialisation renferme à la fois des sens

concrets et abstraits. Elle permet de concrétiser la frontière géographique de

l’État-nation, et au sens abstrait, de concevoir un l’État natal.27 

L’État souverain absolu se forme en fonction des processus suivants. Tout

d’abord, en détruisant le pouvoir divin et féodal, il permet à l’homme de se libérer

du joug de Dieu et de la féodalité. Il dénonce l’état exception à l’aide de la guerre

et dans cette situation, il décide de l’état d’exception, suspend la constitution et

fonde l’ordre juridico-politique au nom de la préservation de l’État. Par cette

démarche, l’ultime décision appartient à la souveraineté, qui détient un pouvoir

absolu.

27  Au sujet de la guerre, l’État moderne et le concept de l’État natal, voir B. Anderson, ImaginedCommunities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London: Verso. 1991. B.Anderson explique bien l’Etat moderne crée une image de l’État natal par la guerre et dunationalisme.

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1.2 Les impasses de l’État à l’heure de la mondialisation

À cause de la libre circulation, le marché a dépassé la frontière del’État-nation. Le processus de la mondialisation capitaliste induit une forme

d’union économique transnationale qui ne correspond plus à la sphère de l’État

souverain. L’État se voit alors obligé d’adopter une stratégie pour limiter

l’influence de la mondialisation sur les mécanismes étatiques. Le monde dans

l’avenir sera ainsi celui de la transformation. Il s’agira d’un monde reposant plus

sur la multilatéralité et la rapidité des changements que sur un gouvernement

cosmopolitique ou une communauté fondée sur la souveraineté.

Comme nous avons montrés dans la section1.1. L’État-nation moderne

repose sur trois facteurs constitutifs, la souveraineté, le territoire et le peuple. À

ces facteurs correspondent les capitaux, la frontière, et le nationalisme (celui-ci

s’accompagne souvent d’une forme de racisme). Les impasses de l’époque

moderne tournent autour de ces trois éléments. Nous souhaiterions discuter des

trois signes de la crise de l’État souverain : le capitalisme transnational, les

organisations transnationales et le nationalisme. Si nous désirons analyser les

impasses de l’État-nation à l’heure de la mondialisation, nous devons partir des

problèmes de la souveraineté, de la frontière et du citoyen. La crise de la

souveraineté de l’État et l’instauration d’un système de violence de l’économie

mondiale sont les problèmes qui constitueront les axes de cette section. Nous

nous interrogerons pour savoir comment sortir de ces impasses.

Sous l’angle des circulations des capitaux, la frontière de l’État-nation

semble floue. Pouvons-nous affirmer du même coup que la frontière politique adisparu avec le renforcement de la liberté de circulation ? La fonction

économique remplacera-t-elle la fonction politique ? Le marché mondial se

substituera-t-il à l’État cosmopolitique ? L’État souverain, depuis l’époque

moderne, joue toujours un rôle central, celui-ci sera-t-il remplacé par une

organisation transnationale ou le marché mondial ? Si la réponse s’avère

positive, sur quelle base cette organisation pourrait-elle se fonder ? Quelle forme

revêtira la communauté dans l’avenir? Face à la mondialisation, l’État souverain

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se trouve obligé de changer, de gré ou de force. La question clé est la suivante :

comment regrouper une nouvelle communauté politique qui ne soit pas

simplement une union économique, mais une union totale ? Plus important

encore, cette communauté ne serait-elle pas basée sur la guerre et l’exclusion,mais plutôt sur la solidarité et l’inclusion mutuelle ?

La crise de l’État souverain, d’après ce qui vient d’être dit, fait ressortir trois

domaines qui participeraient la perte de la légitimité : politique, économique et de

la société. En premier lieu, l’État-nation ne dispose plus du pouvoir suprême, ni

de l’autodétermination finale. En deuxième lieu, il devient un des acteurs

économiques et se trouve en mesure de répondre aux attentes des groupes

financiers. Le troisième point est qu’il ne recoud plus la fracture de la société entermes de classes, d’ethnies, etc.

Face à la crise de la souveraineté, nous souhaiterions proposer un point de

vue alternatif qui diffère du néolibéralisme. Dans la section 1.2.4., nous

considérons la crise de la souveraineté à partir des trois dimensions évoquées. Il

nous faut sortir de la logique du marché afin de réfléchir par la politique. L’État

doit être considéré comme une surdétermination. La crise de la souveraineté

illustre la transformation de la forme de l’État. Il apparaît ainsi nécessaire de

créer un nouveau modèle de communauté politique et un nouveau sujet politique.

Il s’avère nécessaire de relever trois dangers potentiels : le terrorisme étatique,

le multilatéralisme militaire et le nationalisme. Nous devrons d’éviter qu’ils se

produisent dans le cadre d’une nouvelle souveraineté mondiale.

1.2.1 La crise de l’État souverain

Dans le chapitre 1.1, il est ressorti qu’après le 18ème siècle, l’État-nation est

devenu le centre de la vie humaine. L’État-nation est considéré comme le cadre

de la structure mondiale qui édifie la conception du monde. Cette conception

présuppose l’absoluité de l’État-nation, en tant qu’autorité suprême, il prime sur

tous les autres corps politiques. Il est l’acteur principal des affaires

internationales. Si nous regardons l’histoire européenne, la fonction de

l’État-nation apparaît comme une tentative d’établir un ordre régulateur au sein

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d’un monde plongé dans la confusion : l’État-nation constitue, en somme, une

nouvelle forme commune pour résoudre les problèmes de la modernité. Il

inaugure une nouvelle ère de l’histoire et s’adapte à la nouvelle transformation

du monde. Il instaure un nouveau système politique consolidant la relation entreles individus et les groupes.

Jusqu’aux années 1970, l’État-nation représente la structure principale de la

vie humaine. La mondialisation capitaliste a impliqué comme bouleversement de

dépasser les frontières et de modeler un marché mondial. Cette mutation

engendre des problèmes financiers, tend à détériorer la force du travail et porte

atteinte à l’environnement. Ces chambardements compliquent les relations entre

les pays et remettent en cause le concept traditionnel d’État-nation. Ce derniersemble n’être plus adapté aujourd’hui. Nous devons réfléchir à la création d’un

nouveau modèle du monde ou d’une nouvelle organisation mondiale capable de

coordonner les différends entre les pays, et par voie de conséquence de

déterminer la nouvelle fonction qu’occupera l’État-nation. Le rôle de l’État se

verra transformé, tous les pays seront considérés comme une substance

politique totale pour la paix et la sécurité. Une telle organisation supranationale

sauvegardera l’ordre et le profit international, elle favorisera la convergence deforces de chaque pays. Ces derniers pourront ainsi maintenir la stabilité politique

et de la société, à condition de se coordonner aux organisations supranationales.

Un pays subit en son sein la compétition politique et l’insécurité sociale tandis

qu’à l’extérieur il se trouve confronté à la menace des États puissants. Chaque

État-nation doit en conséquence, s’interroger sur la nécessité ou non de devenir

un membre d’une organisation transnationale afin de dénouer les problèmes

avec les autres pays.L’ampleur croissante des problèmes globaux tend à obscurcir la frontière

étatique. Il devient difficile de distinguer les problèmes qui viennent de l’extérieur

ou de l’intérieur. Car le problème intérieur vient de l’extérieur, et inversement,

quel que soit le domaine concerné : l’immigration, la guerre, le (anti-) terrorisme,

les questions sanitaires et les armes dévastatrices. Ces problèmes se posent

aussi bien à l’échelle de l’État-nation de chaque pays que sur le plan

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international. Un État ne souffre pas de l’intervention d’autres pays lorsqu’il s’agit

de résoudre ses affaires intérieures. Dans le cadre des affaires internationales,

certains pays se voient contraints par d’autres pays à se conformer aux

conditions internationales. Ils sont amenés à prendre des mesures politiques envue d’améliorer la coopération transfrontalière face aux problèmes

transnationaux et d’assumer ensemble cette responsabilité. Les pays membres

et leurs organismes exercent un contrôle en matière d’élaboration politique, ils

sont conduits à recourir les réseaux internationaux existants et à conclure des

accords bilatéraux ou multilatéraux ou prendre d'autres types d'initiatives pour

mettre en œuvre les agendas communs. Face à cette situation, la souveraineté

de l’État apparaît ambiguë.La dénationalisation économique, en particulier les marchés financiers, la

production industrielle et l’extension du marché mondial du travail se

développent et s’étendent très rapidement. Les gouvernements nationaux sont

aujourd’hui forcés d’accepter ces phénomènes au nom des soi-disant impératifs

d’une compétition internationale. Cette dernière a conduit également à aggraver

le chômage de longue durée et à marginaliser une minorité croissante. Les

gouvernements de chaque pays tentent d’établir un mécanisme de coopérationtransnationale afin de conserver les privilèges du pouvoir. De plus en plus de

traités visent à créer une organisation transnationale ou un gouvernement

supranational afin de combler les lacunes de l’État-nation. Une telle vision nie

l’efficacité de l’État souverain moderne, elle tente d’établir un nouveau principe

suprême qui, d’une part dépasse le cadre de l’État-nation, et qui d’autre part

devient le fondement de la politique globale. Ce nouveau principe met en cause

la notion de l’État souverain qui apparaît incompétent et intempestif.

1.2.2 L’omnipotence du marché

La mondialisation apparaît comme une scène reproduisant l’histoire du

développement de l’État-nation moderne. La différence est que le pouvoir du

souverain suprême se désagrège, le pouvoir suprême ne relevant plus ni du droit

divin, ni de l’État souverain. La mondialisation oblige les hommes à la solidarité

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mutuelle, car ils ont besoin de faire ensemble face aux apories des conflits

culturels, à la pénurie énergétique et aux diverses menaces militaires. Si l’État

souverain se contentait de ne traiter que les problèmes économiques et du

développement technologique, son action se révélerait insuffisante. L’État-nationserait obligé de se confédérer à un souverain supranational.

Le chemin des États nationaux vers l’intégration aboutit à un paradoxe, dans

la mesure où l’État-nation s’est toujours fondé sur la distinction et l’exclusion.

Cette définition succincte, pour autant qu'elle s'applique à l'État considéré

comme sujet du droit international, reste juste. Elle dégage deux idées

fondamentales indissociables de la notion de souveraineté. À savoir que l'État

souverain n'agit que selon sa volonté propre et cette volonté ne peut semanifester que dans le cadre des règles du droit. Cependant, cette volonté est

devenue incomplète. Qu’un État-nation coexiste avec une unité politique unique

est une figure inimaginable. Si un État particulier existe encore, l’État se trouve

alors au contraire dans une confédération d’États. S’il s’agit d’une unité

recomposée, cela signifie la fin de l’État-nation.

La nouvelle communauté politique qui en résultera, sera obligée au début

d’affronter deux difficultés. En premier lieu, elle se trouvera confrontée à la

résistance de l’État-nation traditionnel. En deuxième lieu, elle risquera de creuser

un déficit de démocratie, conduisant à une crise de légitimité. De nos jours, la

souveraineté des États est également limitée par l'activité des organisations

internationales qui existent principalement en vue de la coordination interétatique.

Les États ne sont pas parvenus à se constituer en nations souveraines, il

demeure une hiérarchie mondiale de domination et de dépendance. Une

nouvelle unité unique conduirait l’État-nation non seulement à abandonner lepouvoir souverain, mais aussi à menacer le système démocratique. Car une

inégalité internationale, venant du fait que les États faibles seront dominés par

les États puissants, mènera l’État faible à ne plus représenter la volonté générale

de son peuple, mais à se conformer à la volonté et aux décisions des pays

puissants. La « dénationalisation » ébranle les bases de la démocratie en faveur

d’une relation inégale, ce qui conduit à un monde polarisé.

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La crise de la souveraineté vient autant du néolibéralisme que sur le fait que

l’économie se fonde essentiellement sur la base de l’État-nation. L’État intègre,

par tous les moyens possibles, les divers secteurs de l’économie. Polanyi

indique dans son ouvrage célèbre « La Grande Transformation », qu’en Europe,le marché national n’est pas un processus du développement autonomique, mais

plutôt le fruit de la planification étatique. En Intégrant les sources nationales,

l’État obtient la puissance de la domination. Toutes les ressources nationales

doivent être mobilisées pour atteindre le même objectif : la puissance de l’État.

L’unité économique favoriserait la domination de l’État. Marchés nationaux

et États-nations sont ainsi deux réalités coextensives et coexistantes.

L’intégration implique que l’État balaie les obstacles, notamment d’ordre juridiqueet administratif afin d’unifier le marché. Le marché mondial ou la mondialisation

capitaliste signifie une intégration du marché s’étendant de l’échelle nationale à

l’échelle internationale. Si les États ne lui préparent et n’assurent pas le terrain,

l’élargissement du marché ne peut s’accomplir.

Si le marché national se construit dans le cadre de l’État-nation, le souverain

est le décideur du marché. Et lorsque le marché se mondialise, cela rend

nécessaire qu’il y ait un souverain mondial, qu’il s’agisse d’une confédération

d’États nationaux ou d’un gouvernement global. L’émergence d’un marché

mondial nécessitera la création d’un nouveau corps politique transnational,

adapté au marché mondial pour que les obstacles n’entravent pas son

développement. Le marché mondial remettra alors en cause la souveraineté de

l’État-nation qui est considéré comme une entrave à l’extension du marché

mondial. Ce dernier exige la mise en place d’un nouveau mode politique afin de

promouvoir la reproduction de la marchandise et aux capitaux. Le mode politiqueest autant une partie de la reproduction de la marchandise et aux capitaux, car il

produit une idéologie, façonne la conscience collective ainsi que la condition

sociale. L’établissement d’un nouveau corps politique international sert

finalement le marché mondial. En résumé, l’État-nation et le gouvernement

global sont étroitement liés à l’économie, et nous pouvons même dire qu’ils

coexistent avec elle.

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Un conflit intérieur d’intérêts apparaît entre l’État souverain et le marché

mondial. En fait, il n’existe pas de critère universel qui définisse précisément la

mondialisation. Toutefois, on peut s’accorder sur les points suivants : au nouveau

stade de développement du marché capitaliste, à la fin de l’antagonisme mondial,et en la constitution d’un système d’interdépendances planétaires effaçant les

frontières et englobant toute localité dans un tout. Le marché mondial et la

polarisation d’un monde sans frontière modèlent ainsi la mondialisation. Le fait

que la mondialisation apparaisse comme un procès structurellement irréversible,

le « monde » ne désigne rien d’autre que le « marché ». À force de préconiser la

libéralisation, tout le monde poursuit un développement économique durable, et

le taux de croissance économique devient un critère du gouvernement légal. Lalogique du marché amène à une contradiction immanente : elle réduit et renforce

simultanément la puissance de l’État. Ce dernier est en outre contrôlé par des

organisations internationales (OMC, ONU, BIRD, FMI …) toujours liées aux

entreprises transnationales. La dynamique de la mondialisation reposant sur le

partenariat avec les organisations internationales, fait que les entreprises

transnationales échappent de plus en plus au contrôle de l’État. Ce phénomène

influe alors sur le pouvoir de décision de l’État souverain et sur sa distribution

des ressources nationales.

Dès lors que la mondialisation économique, à laquelle participent la plupart

des pays occidentaux, pénètre continuellement d’autres zones géographiques,

où il existe d’autres religions et conceptions du monde ; les peuples habitant ces

régions, notamment des pays musulmans et asiatiques, subissent l’impact des

valeurs occidentales. Et lorsque ces mêmes zones géographiques s’accroissent,

elles défient naturellement la souveraineté, ce qui conduit inéluctablement à deschocs de civilisations28. Quand la mondialisation capitaliste cherche des marchés

28  Le choc des civilisations correspond à la vision de Samuel Huntington. Je ne suis pas prêt àme résigner à sa théorie. Pour lui, « quand la civilisation n’est plus capable de se défendreelle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares »qui viennent souvent « d’une autre civilisation plus jeune et plus puissante. »  (Le choc descivilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.456.). Ainsi, il préconise de même une nouvelleconstruction géopolitique autour d’une zone de libre-échange transatlantique, suivie d’une

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solvables, ces régions sont considérées comme de nouveaux marchés potentiels

et se trouvent obligées de se conformer à la logique de la concurrence. Les pays

occidentaux exploitent les ressources et la force de travail de ces pays. Ils

contribuent à creuser de plus en plus le fossé existant entre le Nord et le Sud et àfonder des colonies à l’intérieur même de leur territoire. Cela conduit, au final, à

produire des situations de racisme et d’antagonisme dans le monde. Le choc des

civilisations qui ébranle le monde entier, n’est pas tant causé par le caractère

conflictuel de telle ou telle ethnie ou religion, mais plutôt, parce que les pays

occidentaux envahissent ces régions  par l’intervention militaire, la sanction

financier, le dumping de la valeur. Or, si les frontières n’existaient plus, les

populations migrantes apporteraient naturellement avec elles des valeursdifférentes, qui choquent les valeurs occidentales, ce qui provoque des conflits

culturels.

C’est la raison pour laquelle Samir Amin appelle à se débarrasser de la

définition courante du capitalisme qu’est le « néo-libéral mondialisé ». Cette

qualification se révèle en effet trompeuse et cache l'essentiel. Il pense que le

marché mondial actuel est contrôlé par une minorité exerçant un oligopole. Cette

dernière ne monopolise pas seulement la finance, mais aussi la culture, lesservices, les transports : elle devient un groupe de l’intervention29. En fait, le

triomphe du libéralisme et la manière dont il s’impose à la planète rendent

nécessaire une consolidation par l'intégration juridique, technologique et

culturelle. Un corps politique transnational permettrait au système actuel de

préserver son hégémonie et d'assurer cette intégration.

Dans le cadre d’un marché mondialisé, le critère de la légitimité de l’État

véritable intégration politique, capable de donner les moyens d’un redressement civilisationnel etde redonner à l’Occident son statut de puissance hégémonique. À la différence de Huntington,Marc Crépon critique aussi fermement l'analyse de l'affrontement entre l'occident et l'islam et lesprésupposés idéologiques de S. Huntington. Marc Crépon appelle telle logique comme « unearme de guerre ». (L'imposture du choc des civilisations ; 2002, p.85.)

29  S. Amin, «A la lumière de la crise en cours, les conditions d’un renouveau socialiste », présentation au Forum Mondial des Alternatives, Caracas le 13 octobre 2008.

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change et ne relève plus de la protection sociale, mais de la croissance

économique. Le discours encourageant la libéralisation du marché défendu par

le néolibéralisme contribue à considérer la sécurité sociale et le service public

comme des obstacles ou des objets inutiles. Aujourd’hui, le marché mondialfrappe l’État souverain au moins au niveau du système de la protection sociale.

La logique de la fluidification et la flexibilisation entraîne des désordres à l'échelle

mondiale, l’entreprise globale pour s'implanter et prospérer dans l'oligopole

mondial doit dépasser le cadre de l’État-nation. Cette vision globale représente la

condition nécessaire à la survie des entreprises de taille importante. Les firmes

et les organisations patronales pratiquent le lobbying contre le système fiscal et

pour la dérégularisation du marché. Elles créent un espace sans obstacle à leursmesures : un espace déterminé par les exigences souveraines de l’économie et

dimensionné par rapport aux exigences productives. Elles contrôlent de plus en

plus les médias qui envoient des messages tels que la baisse des impôts qui est

devenue une politique indispensable. Ainsi, la capitaliste dispose du contrôle

(monopolisation) total : le plan de la société et du politique se soumet au marché.

La culture et l'éducation sont exclues complètement du marché. Les répercutions

politiques et sociales du nouveau système sur l’État-nation sont les

conséquences directes du changement de nature du rôle de l’État. D’une part,

son pouvoir et son autorité dépérissent, mais évidemment pas de la manière

dont l’avaient espérée les socialistes du début du siècle, à savoir au profit d’une

société civile démocratique, mais au profit du capital transnational. D’autre part,

dans la mesure où il sert les intérêts de ce dernier, l’État ne cesse de le renforcer.

Aujourd’hui, l’État n’a pas ou peu de pouvoir pour infléchir la décision des

personnes désirant quitter son territoire. Bien souvent il doit accorder des

avantages tels que des exonérations fiscales sur une longue période pour les

garder sur son territoire. La protection du marché se substitue de ce fait à celle

du droit des citoyens et du droit du travail. La politique sociale se subordonnant à

la politique économique, les hommes politiques deviennent les complices des

entrepreneurs. Cette orientation de l’État représente un grand défi au système

de la protection sociale et à la démocratie.

L’État continue à se livrer à la puissance économique du marché,

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Auparavant, l’État-nation fixait les frontières de son territoire. Il monopolisait,

dans un cadre spécifique, la violence légale à l’aide du contrat social, et de cette

façon, il établissait un système politique. La mondialisation retire à l’État-nation

ce caractère. Les tensions sociales avec lesquelles les bouleversementséconomiques et les transformations du système politique international se

conjuguent et amoindrissent considérablement la capacité de l’État à créer un

nouveau projet, à prendre un nouveau sens. L’État se voit donc obligé de

s’engager dans la concurrence économique et de se subordonner aux décisions

des institutions transnationales afin de continuer à assurer sa légitimité

dominante. L’État contraint son peuple à renoncer à une partie de ses droits, et

malheureusement ce renoncement ne vise pas à avantager les intérêts publics,mais plutôt à privilégier les marchés et les consortiums.

Les populations évaluent un État selon son développement économique,

c’est-à-dire à la manière dont il gère les finances et le commerce international.

C’est au travers des termes économiques que les spécialistes définissent un

« bon État ». Le marché ouvert apparaît alors comme synonyme d’ouverture

politique et de démocratie. Le niveau démocratique marche de ce fait dans les

pas de l’économie. Nous vivons dans une ère où l’économie atteint un statutsuprême, où l’État lui livre ses prérogatives politique et sociale. La démocratie se

réduit au marché, le droit des citoyens à l’autonomie des consommateurs, la

liberté politique à la dérégulation économique. Les partisans du capitalisme

mettent en cause la fonction de l’État-nation et préconisent le recul de l'État. Pour

eux, tout cela traduit « la fin de l’État-nation ». L’État se désintègre encore

davantage sous la pression des entreprises internationales et groupes

industriels.

1.2.3 La dialectique de la fin de l’État

Comme nous avons vu ci-dessus, les capitalistes chantent « la fin de l’État ».

Il s’agit d’une expression populaire ces dernières années qui apparaît souvent

avec celle de « réorganisation l’État-nation » ou celle de « dépasser la frontière ».

Nous entendons aussi régulièrement que la force de l’économie et de l’institution

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transnationale se substitue à l’État-nation. L’État ne réajuste plus les excès du

marché par le biais d’une politique sociale en garantissant l’emploi, l’éducation,

la santé, le logement. Dans le même temps, sa prédominance diplomatique tend

à décliner. Tous ces éléments conduisent à un déficit de légitimité de l’État, tantet si bien que la question de la crise de l’État est désormais explicitement ouverte

et souvent posée en termes de disparition de cette entité politique30. Le déclin du

rôle de l’État dans la sphère économique remet souvent en question le sens

même de la raison d’être de l’État en tant que construction, institution ou acteur

politique. L’État est dominé par la logique du marché, si bien que de plus en plus

d’institutions internationales désirent remplacer la fonction de l’État qui doit

désormais jouer un rôle secondaire.Concernant « la fin de l’État-nation » vantée par les capitalistes, la question

clé de la crise de la souveraineté réside dans l’effondrement du système

politique, de la frontière ainsi que dans le recul de la démocratie. Cela ne signifie

pas pour autant « la fin de l’État-nation ». Auparavant, la frontière et la puissance

étaient les symboles de l’État souverain, que la mondialisation fait aujourd’hui

disparaître. La disparition de la frontière géographique renforce la difficulté à

délimiter la frontière de la société qui s’effondre en même temps que celle dusystème sociopolitique et de la démocratie. La frontière marquait un lieu

matériel –constitué par les frontières géographiques et géopolitiques- et un lieu

social –formé par le cloisonnement des groupes humains. La frontière cristallise

toutes les représentations de l'identité, elle conditionne aussi matériellement

l'existence des gens31. Elle ne constitue pas strictement une linéarisation, mais

plutôt un espace incluant un rapport social et démocratique.

Les frontières en tant qu'espace politique, reflètent l'identité collective et lesidentités communautaires; et par conséquent, la question de « la fin de

30 K. Ohmae, The End of the Nation State: the Rise of Regional Economies, Londres, HarperCollins, 1996; Susan Strange, The Retreat of the State: the Diffusion of Power in the WorldEconomy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.31 É. Balibar, Les frontières de la démocratie, La découverte, 1992, pp.15-16 ; l’Entretient parThierry Paquot le 6 avril 2001, à Paris

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l’État-nation » ne se pose pas qu’en termes de « la fin », mais soulève les

problèmes du droit du travail, de la citoyenneté, de la démocratie, ainsi que des

droits de l’homme. Ainsi, les enjeux de la mondialisation sont aussi ceux de la

démocratie et des droits fondamentaux. La question consiste à savoir si lamondialisation, en affaiblissant la conception traditionnelle de l'État providence,

affaiblit aussi la démocratie ou si, au contraire, elle permet à cette dernière de

s’installer dans de nouveaux territoires dans un cadre global. Il s'agira donc de

déterminer si la mondialisation peut générer une démocratisation et une politique

des droits de l’homme.

La « fin de l’État-nation» présuppose que l’État perd certaines fonctions.

Cette présupposition présume l’existence d’une forme d’État unique etpermanent. Bien que le discours autour de « la fin de l’État-nation » soit

réducteur comme nous le verrons, force est de constater que l’État-nation en

relevant les défis de la mondialisation capitaliste doit modifier son contenu. Quel

est alors l’enjeu ? Le rôle et la forme de l’État sont évidemment des produits

historiques, surtout du point de vue de la communauté politique. Comme le

remarque, à juste titre Balibar, appréhender la question de la fin de l’État-nation

nécessite de se placer au niveau du processus historique, et non pas de réduirel’argumentation à la question de « l’origine » et de la « fin », sortis de leur

contexte. La « fin de l’État » renferme deux sens, le premier est post-national :

l’État-nation ne fonctionnant pas, l’État serait dissout par l’économie ou les

organisations transnationales. Dans un second temps, Balibar observe très

 justement que « la fin de l’État » est un type de phrase qui ne manque ni

d’analogies, ni de précédents : tous renvoient à une certaine tradition de

philosophie de l’histoire, tous impliquent un certain concept d’évolution oud’historicité.

La définition post-nationale de la fin de l’État est acceptable si nous

reconsidérons autrement la notion de la fin de l’État. Elle rend nécessaire de

prendre en compte les débats sur la diversité des modèles nationaux de la

citoyenneté et l’instabilité des combinaisons de la nationalité et de la citoyenneté.

Considérer la notion de « fin de l’État-nation » en tant que fin à proprement parler,

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reviendrait à exclure de leur contexte les notions « d’origine » et « de fin ». Cela

équivaudrait à dire qu’il y a une origine du monde et une fin dans l’absolue. Nous

devons plutôt envisager ces deux notions dans leur contexte historique. En effet,

la nation se trouve en perpétuelle mutation, elle se transforme sans cesse pours’adapter à la société selon les circonstances du moment. Elle offre dans la

durée de nouvelles possibilités. Dans cette perspective, la nation situe toujours à

« la fin », mais aussi à « l’origine ».

La notion de « la fin de l’État » est à nos yeux un concept discutable. La fin

de l’État signifie effectivement qu’il existe une forme originelle de l’État : une

forme immobile et immuable. Une telle perspective conduit à ne pas analyser

l’État dans son contexte moderne. Car, la forme et la fonction de l’État sont desconcepts mobiles, et plus largement, ce sont des concepts illusoires, au sens où

le mot même de concept revient à figer et définir quelque chose, en ôtant la

notion de mouvement. De nouveaux enjeux font sans cesse évoluer l’État. Il ne

peut par conséquent exister aucune définition figée et abstraite de ce dernier.

Plus précisément, l’État est lui-même un procédé et non un concept. Il

s’adapte sans cesse aux conditions du moment. L’État se forme, en effet, à partir

de l’histoire et des rapports sociaux. La « fin de l’État » devient une formule

abstraite résumant l’État en un concept unilatéral qui est aujourd’hui uniquement

évalué sous l’angle économique. La « fin » et « l’origine » ne constituent donc

pas une question en soi. Il convient de souligner ici que nous ne cherchons pas à

vérifier si l’État est mort ou pas. L’intérêt est de revisiter la question en vertu d’un

esprit critique. L’important n’est pas de réviser la forme de l’État, mais de mieux

réfléchir sur le fond. Il nous faut reformuler le discours autour du déclin de

l’État-nation et cesser de parler de l’État-nation sous en termes économiques,mais plutôt en termes de procédé. Il s’agit de créer un nouveau modèle dont les

outils de réflexion prendront en compte les perpétuels changements de

l’État-nation. Le plus important est la capacité de renaissance et de création,

parce qu’une structure n’est jamais perpétuelle. Cette capacité de création nous

permettra de recréer sans cesse une nouvelle forme d’État. 

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1.2.4 Réflexions sur la crise de la souveraineté

Face à la crise de la souveraineté, nous souhaiterions proposer un point de

vue alternatif qui diffère du néolibéralisme. Si la fonction qu’occupait l’État-nationa disparu sous les effets de la mondialisation, que faut-il reconstruire pour la

remplacer? Si l’État-nation ne constitue plus la base des responsabilités

communes de l’humanité et ne se conforme plus à l’époque moderne, comment

renouveler la communauté politique ? Si l’État se subordonne à l’économie de

marché, comment dépasser une telle aporie ?

Pour que l’État puisse jouer le rôle d’une communauté politique durable,

nous devons naturellement chercher une autre forme de communauté politiqueou alors transformer la fonction de l’État. Il faut s’interroger sur le rôle de

l’État-nation en empruntant des directions différentes : le redéfinir sous l’angle de

la communauté politique, plus que sous l’angle de l’économie. Autrement dit,

malgré la menace pesante de la mondialisation ultralibérale sur l’État-nation,

nous tenterons de redéfinir ce dernier afin de créer une nouvelle communauté

politique. Cette communauté devra être solidement pensée et construite pour

imposer des mécanismes de régulation sur les conditions sociales, ledéveloppement démocratique, le commerce, les normes, c’est-à-dire sur tout ce

qui constitue un modèle de développement durable. Cette nouvelle communauté

politique constituera une mondialisation solidaire, démocratique et sociale. À

l’égard du peuple et de la surdétermination32 , elle incarnera la relation entre la

société et de l’espace public.

Nous considérerons la crise de la souveraineté à partir de trois dimensions

suivant :

En premier lieu, selon Balibar, la crise de la souveraineté consiste en la

disparition du peuple et du rapport dialectique entre « pouvoir constitué » et

32  Une totalité sociale est une structure complexe, mais elle n’est pas en fait une simplecombinaison. Elle se présente comme une succession de modes de production dans l’histoire,comme un ensemble d’éléments divers. Voir, L. Althusser, « Contradiction et surdétermination »,in Pour Marx , Maspero, 1965. 

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« pouvoir constituant ». Il remarque aussi que la crise de l’État-nation s’enracine

dans une « précarité de son objet » et une « surdétermination » de la délimitation

des frontières. Lorsque la frontière ne résulte plus d’une décision unilatérale et

relève de la surdétermination, comment dessiner le contour de la communautépolitique ? Quel sera le nombre des souverains et qui représentera la

souveraineté ? En détruisant la notion traditionnelle de frontière, nous touchons

la question du citoyen, de la démocratie et l’identité. Retourner la question

politique d’un point de vue philosophique revient à s’interroger sur ce qu’est un

citoyen. Qui construira la nouvelle institution ? Qui possèdera la décision

suprême ? Autrement dit, redéfinir le peuple et le souverain permettra de

rediscuter l’identité et le droit des sans-papiers, des clandestins et pluslargement de l’immigration. Lorsque ces derniers sont considérés comme la

subjectivité politique, nous retrouvons le membre de souverain. Ils constituent la

base de la légitimité du souverain et le citoyen de la communauté politique. Cela

permettra de rétablir le pouvoir constituant et le mécanisme démocratique. La

crise de la souveraineté ne réside pas dans la disparition du pouvoir de

domination, mais plutôt dans la difficile identification des membres de souverain

ou enfin la disparition de sa légitimité. Selon Balibar, nous nous trouverions dans

" un entre-deux intenable ", c’est-à-dire après la souveraineté nationale classique

et avant l'avènement des souverainetés post-nationales qu’il reste à définir33.

En deuxième lieu, la crise de la souveraineté ne se pose pas seulement

sous l’angle de l’économie. Nous ne pouvons pas en effet concevoir que le

marché libre soit l’unique facteur qui conduise à la disparition de la souveraineté.

Nous devons au contraire sortir de la logique du marché et réfléchir par la

politique. La crise de la souveraineté ne se résume pas à une raison unilatérale,elle est une conséquence multilatérale. Le déclin de la souveraineté est autant

une crise du capitalisme, parce que selon la logique du marché, l’État joue un

rôle important sur l’extension, la reproduction et l’accumulation des capitaux.

C’est à l’État d’assurer la monopolisation capitaliste et le profit exclusif. Comme

33 D. Bensaïd, Souverainetés, Nations, Empires, Forums sociaux mondiaux 2002

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Gérard Duménil et Dominique Lévy le soulignent, l’État s’est certes désengagé

de certaines fonctions par le néolibéralisme, mais globalement, il s’est renforcé34.

L’État, d’une part, presse la force ouvrière pour réduire les pertes des capitalistes.

D’autre part, dans la redistribution sociale, l’État cède aux capitalistes lesservices publics. La crise de la souveraineté ne provient pas de la menace de la

mondialisation capitaliste, au contraire, l’État et le capitalisme entretiennent une

relation symbiotique. Nous ne pouvons donc pas ignorer qu’une telle crise

résulte du capitalisme. L’État, le capitalisme, le domaine militaire, le

néocolonialisme et l’impérialisme s’inscrivent dans un rapport total, la réflexion

autour de la crise de la souveraineté nécessitera alors de se tourner vers les

conséquences du capitalisme.En troisième lieu, la crise de la souveraineté, au sens large, signifie aussi la

transformation de la forme de l’État. Il apparaît ainsi nécessaire de créer un

nouveau modèle de communauté politique et le sujet politique et non pas de

minimiser de la fonction de l’État-nation. La forme de l’État se trouve en

changement perpétuel, car elle est une conséquence de la lutte historique et de

la relation sociale. Depuis deux siècles, l’État apparaît comme une cristallisation

de la classe, il joue un rôle d’organisateur au service des intérêts de labourgeoisie. Ce que nous devons faire est de réfléchir en fonction de l’histoire.

L’État-nation n’est pas uniquement une institution politique, il possède un

caractère culturel permettant aux peuples de vivre ensemble. Le rassemblement

de ces peuples en un groupe ne résulte pas d’un régime politique, mais de la

culture et de l’histoire. De même, ce regroupement n’est pas le résultat de la

géographie, mais plutôt de l’habitude de vivre ensemble.

Il faut espérer que la souveraineté à l’avenir deviendra l’agent principal dansle cadre du monde. Elle aura à résoudre non seulement les problèmes du travail,

de la santé, du logement et de l’éducation, mais aussi les questions ethniques,

de l’immigration et de la discrimination. Il lui faudra reconsidérer le mouvement

34  G. Duménil, D. Lévy, "Une théorie marxiste du néolibéralisme ", 2006, Actuel Marx , Vol. 40, pp.24-38

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émancipateur. La nouvelle souveraineté devra renégocier avec les organisations

partisanes ainsi qu’avec le terrorisme afin d’obtenir la paix et de recomposer un

nouvel équilibre du monde. Les événements du 11 septembre nous ont fait

prendre conscience que même un pays superpuissant pouvait subir une attaquecatastrophique et devenir victime du néolibéralisme.

Nous souhaiterions relever trois signaux potentiels afin de proposer une

nouvelle souveraineté mondiale.

Premièrement, au nom de l’anti-terrorisme, la sécurité est redevenue le

principe essentiel de la politique de l’État. Aujourd'hui, la sécurité se trouve

dramatisée par les États-Unis d’Amérique, et par là-même, elle devient

elle-même un danger potentiel. Lorsque la sécurité se révèle être une trop lourde

charge et l’unique source de légitimité, l’État apparaît comme une organisation

fragile et hypersensible. Cette vulnérabilité le rend épidermique à toute forme de

provocation tant et il si bien qu’il devient lui-même un agent terroriste. Baudrillard

souligne que le terrorisme est le fruit inévitable de la mondialisation, il ne résulte

pas du choc des civilisations ou des religions. Il n’est pas un objet satanique, il

dérive du système même qui a créé les conditions objectives de cette rétorsion

brutale35.

Deuxièmement, le multilatéralisme rejoint la vieille idée du cosmopolitisme

ou de la paix perpétuelle censée préserver des agressions mutuelles et des

dangers intérieurs de la mondialisation globale. Les défendeurs du

multilatéralisme estiment inefficaces, tant l’unilatéralisme que le bilatéralisme,

car ces deux principes ne maîtrisent plus la situation internationale, ils n’assurent

plus la sécurité internationale. Suite aux deux guerres mondiales et à la guerre

froide, le multilatéralisme a accordé une grande importance à l’union des États. Il

n’y a en effet pas de paix et de sécurité que si un pays se trouve confédéré à un

autre pays. L’État-nation poursuit probablement la confédération des États, elle

devient une « Puissance » capable d’exercer facilement une « politique de paix ».

Cette puissance, en acquérant plus d'indépendance tout en étant plus active est

35 J. Baudrillard, L'esprit du terrorisme , Le Monde, 2 novembre 2001

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censée être capable de réaliser son but ultime - la paix, la sécurité et sa propre

protection. Une telle façon de penser encourage le militarisme et le

néo-impérialisme, et par voie de conséquence la confrontation entre les

« puissances », car elle s’inscrit encore dans une logique de guerre. Mettons dèslors l’accent sur le fait que sans politique des droits de l’homme et de la

démocratie, il n’y a pas de paix perpétuelle.

Le troisième signal d’alarme concerne le nationalisme (racisme). Comme

Foucault l’indique, le racisme constitue un mécanisme fondamental du pouvoir

dans les États modernes, ce qui fait qu’il n’y a guère – quelle que soit la période

et quels que soient les degrés -, d’État moderne qui n’existe sans forme de

racisme36. L’État mobilise les peuples à l’aide du nationalisme (racisme) pourdéfendre le souverain et résister contre les invasions étrangères. Il s’agit de

 joindre la souveraineté de l'État à celle du peuple à partir de la guerre, de la

mémoire collective, de la gloire nationale, etc. L’État impérial est devenu un État

des peuples : l’État-nation ; l’État natal. L’État-nation reproduit fidèlement

l’identité globale du territoire et de la population. Cette nouvelle identité élimine

tout résidu d’antagonisme social et dépasse la précarité de la souveraineté

moderne37

. Au nom de la défense contre les invasions étrangères,  l’Étatsouverain annonce l’état d’exception conduisant à l’intégration et favorisant

par-là même l’esprit national et l’identité partielle. L’invasion étrangère renforce

ainsi la légitimité de la souveraineté absolue. Les termes d’« apartheid européen

» (Balibar) ou d’« exclusion » (Agamben), d’une part définissent la frontière, et

témoignent d’autre part de la légitimité de la souveraineté.

Le racisme et le nationalisme sont toujours concomitants. Que ce soit pour

la constitution de l’État-nation ou pour la décolonisation, le racisme joue un rôledécisif. Tous les États-nations se constituent à la faveur de la lutte entre des

races. Autrement dit, l’individu vivant dans l’État-nation moderne soit s’inclut, soit

s’exclut. Dans ces conditions, la personne peut devenir un citoyen, un

36 M. Foucault, Il faut défendre la société , 1997, p. 227.37 É. Balibar, Race, Nation, Classe, Les identités ambiguës  (en collaboration avec I. Wallerstein),La Découverte, 1988, pp.126-130

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« apatride » ou encore une « vie une ». La souveraineté développe son pouvoir

et en cela redéfinit la fonction du Souverain. Si nous envisageons de construire

une nouvelle souveraineté, la question essentielle consiste à s’interroger

comment éviter de faire renaître le racisme.

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Chapitre II

l’État souverain à l'épreuve de la logique dumarché néolibéral

D’une part, nous tenterons de discuter, de la place de l’État-nation dans

cette ère de mondialisation capitaliste, où il tend à reculer et n’en finit pas de se

rajuster. D’autre part, nous tenterons de déterminer s’il existe des perspectivesenvisageables pour l’État-nation à l’heure de la mondialisation.

Ébranlé par la mondialisation capitaliste, l’État-nation a perdu sa fonction

traditionnelle. C’est la raison pour laquelle les mondialistes capitalistes remettent

en cause sa légitimité existante et son essence même. Ma position, concernant

ce sujet est que malgré le fait que la mondialisation capitaliste favorise

l’établissement d’institutions transnationales, il s’agit seulement d’une relation

économique, et non pas d’une mondialisation réelle.

Nous déterminerons une mondialisation réelle qui constituera, en combinant

les aspects politique, économique et sociaux, un modèle de communauté

politique. Car la mondialisation n’est pas simplement un prolongement des lieux

d’élargissement des échanges de la marchandise. La mondialisation réelle

devra obligatoirement s’établir sur une relation synchrone entre l’économie et la

politique. Elle inclura l’économie, l’écologie, le social, la politique, etc. Nous

montrerons que l’État-nation, en tant que communauté politique, doit démystifier

le rôle défini par le néolibéralisme et la mondialisation capitaliste.

Il faut réfléchir aux deux grands problèmes posés par la mondialisation,

« l’avenir de l’État-nation » et « un nouvel internationalisme». Dans ce chapitre,

mes travaux s’articuleront autour de trois questions. En premier lieu, la

mondialisation a-t-elle vraiment exclu l’intervention de l’État sur le marché? L’État

constitue-t-il vraiment un obstacle à la liberté du marché? En deuxième lieu,

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l’État-nation a-t-il vraiment disparu avec la mondialisation capitaliste? Cette

forme de transnationalité sans frontière représente-t-elle vraiment une

opportunité pour la solidarité prolétarienne ? Et enfin, quelle nouvelle forme du

corps politique peut-on envisager ? Nous devons établir un modèle à partirduquel nous établirons des mécanismes démocratiques transnationaux,

nécessaires à la création d’une nouvelle communauté politique. Si l’État-nation

traditionnel ne fonctionne plus ou si son modèle s’est modifié, comment la

nouvelle institution transnationale pourra-t-elle récupérer ce qui constituait

traditionnellement l’institution ? À savoir le rôle de protecteur du peuple et des

citoyens et pas seulement un marché d’intégration.

Pour répondre à ces questions, ma démarche s’articulera en trois étapes.Tout d’abord, nous expliquerons ce à quoi renvoie l’essence de la mondialisation

capitaliste à partir de la logique du capitalisme. Nous mettrons en évidence la

relation compacte entre la mondialisation capitaliste et l’État-nation et verrons si

les idées de « libre échange » et d’« émancipation politique » sont synonymes.

Ensuite, nous expliquerons le changement qualificatif de l’État-nation sous la

mondialisation. Nous démonterons les arguments sur « la fin de l’État » et nous

nous interrogerons sur la possibilité d’un avenir pour l’État-nation. Enfin, sachantque la mondialisation est en train de remodeler la forme de l’État-nation, l’UE se

retrouve face à une rupture entre les droits fondamentaux et la citoyenneté. Dans

cette institution transnationale, la politique et la démocratie reculent, car

l’intégration économique constitue son noyau dur. Une telle communauté

politique se trouve forcément vouée à l'échec. Il faut donc tenter de réaliser une

altermondialisation par rapport à la mondialisation capitaliste, capable de

synchroniser la politique et l’économie.Dans la partie 2.1, nous démontrerons la relation indissociable entre le

néolibéralisme et la mondialisation capitaliste. Dans la partie 2.2, nous mettrons

en avant la relation étroite existant entre la mondialisation capitaliste et le pouvoir

de l’État. Dans la partie 2.2.2, il nous faudra réfléchir aux apories suivantes : quel

sera le nouvel ordre du monde face au néolibéralisme et au déclin de

l’État-nation ?

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2.1. la logique du néolibéralisme

Avec la désagrégation du bloc socialiste en Europe   de l 'Est   ainsi quel’adoption par la Chine d’une économie de marché, le capitalisme a finalement

dépassé sa frontière originelle européenne et occidentale : il est devenu un

phénomène planétaire. En d’autres termes, la mondialisation capitaliste a

prolongé son territoire à la faveur des moyens de production capitaliste et de la

théorie de l’économie de marché.

G. Duménil et D.Lévy indiquent que le capitalisme est entré dans une

nouvelle phase, celle de l’ordre néolibéral et de son exportation à l’ensemble dela planète, que l’on appelle pudiquement « mondialisation ». Le néolibéralisme

revêt une dimension nationale et internationale 38 . Wallerstein, à partir du

caractère de l’accumulation du capital, définit le système mondial moderne,

comme un système mondialisé fondé sur le capitalisme. Depuis le 16ème siècle,

le processus de développement du monde moderne a stimulé le commerce et

l’accumulation du capital. Il s’agit du processus typique de développement du

capitalisme.

Dans la partie 2.1.1., nous analyserons et critiquerons trois discours

défendant l’économie libérale : ceux d’Alchian, de Milton Friedman et de Hayek.

Ce débat nous permettra de mieux comprendre le capitalisme et le

néolibéralisme. De la même façon, nous attesterons de la relation existant entre

la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme.

Notre réflexion se fera autour de deux points de vue du néolibéralisme.

Premièrement, du point de vue économique, la logique du marché libre de lamondialisation capitaliste, menace-t-elle vraiment la souveraineté étatique ?

Est-il vrai, comme prétendent les néolibéraux, que les gens ont plus de liberté, et

que les différentes régions entrent dans un processus de solidarisation ?

38  G.Duménil et D.Lévy, « Ivresse néolibéralisme, arrogance impériale », Quelle Europe pourquel monde ? Syllepse, p.112.

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Deuxièmement, nous devons approfondir la question suivante : l’État s’avère-t-il

un mal nécessaire 39 ? Le marché peut-il remplacer la fonction de l’État ?

L’homme obtiendra-t-il réellement la même protection après avoir exclu l’État ?

La partie 2.1.2. expliquera l’évolution du concept de propriété depuis Locke.

Cela nous permettra d’expliquer la logique du libéralisme économique, la relation

entre le pouvoir de l’État et l’extension de la mondialisation. Selon Locke, les

droits de l’homme sont des droits naturels, et la propriété privée est comme une

propriété de soi-même. Chaque individu a en lui-même la source de la propriété,

car il est travailleur et propriétaire de lui-même et de son travail. La propriété des

biens a le même caractère inviolable que la personne humaine. Et de ce fait, le

droit de la propriété privée est non seulement un concept économique, maisaussi politique. En conséquence, l’État en protégeant la propriété privée du

citoyen défend également les droits de l’homme. Ainsi même, la liberté de la

propriété privée est considérée comme équivalente à la liberté politique et

individuelle.

Cependant, la libre circulation et le libre-échange sont-ils vraiment

synonymes de liberté ? Nous tenterons d’y répondre dans la partie 2.2.

39  Notre réflexion est marquée par des interrogations sur la place de l'État sur son rôle politiqueet social. L'État était définit par un ensemble de la relation de la force. C'est dans la raison d'êtrede l'État que réside son contenu. Il est un lieu institutionnel et il règle la vie en société parl'instauration de lois. L’État empêche les hommes de s’unir contre les autres. L'État représentedonc certes un bienfait pour l'homme.Cependant, les capitalistes perçoivent l'État également comme un obstacle. L’État gêne la librecirculation, tout en perdant sa fonction de coordonnateur et de protecteur. Dans ce cas, l'Étatest-il encore nécessaire ? En quoi constitue-t-il un mal pour l'homme ? De là, pouvons-nous endéduire que c'est cette part « mauvaise » de l'État qui est nécessaire ? Pouvons-nous concevoirun type d'État qui répondrait à cette nécessité tout en évitant le mal ? Au travers de cesinterrogations, nous pourrions répondre si l'État est un « mal nécessaire ».

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2.1.1 Une relation de concomitance entre la mondialisation capitaliste et

néolibéralisme

Alain de Benoist, le chantre du néolibéralisme en France, estime que la

mondialisation n’est ni une transformation ni une innovation radicale, ni un

résultat artificiel. La mondialisation est simplement une partie de la dynamique

capitaliste dans l’histoire sur la longue durée40. Chesnais et Adda indiquent que

la mondialisation constitue un instrument particulier d’accumulation du capital.

Cette tendance signifie que toutes les choses désormais, la nature et la société,

se subordonnent aux règles capitalistes, qui construit l’ordre mondial

contemporain. Ainsi Adda déclare: « Parler de mondialisation, c’est évoquer

l’emprise d’un système économique, le capitalisme, sur l’espace mondial. Cette

emprise se manifeste d’abord sur le plan géopolitique... Elle tend en effet à

transcender la logique d’un système interétatique à laquelle elle substitue une

logique de réseaux transnationaux. Expression de l’expansion spatiale du

capitalisme, qui épouse désormais les limites du globe, la mondialisation est

aussi et avant tout un processus de contournement, délitement et, pour finir,

démantèlement des frontières physiques et réglementaires qui font obstacle à

l’accumulation du capital à échelle mondiale.41»

David Held, professeur à Londres, montre que la mondialisation n’est pas un

phénomène inédit. Pris en son sens étroit, la mondialisation s’est développée au

moins depuis quinze siècles, le marché mondial est comme un produit moderne

du capitalisme, et la mondialisation comme un produit post-moderne du

capitalisme. Ainsi, nous pouvons tirer la conclusion que le « système-monde »moderne établi depuis le seizième siècle jusqu’à la mondialisation aujourd’hui,

correspond précisément au système économique capitaliste. Par conséquent, la

mondialisation économique et le capitalisme entretiennent une relation étroite.

40  Alain de Benoist, “Confronting Globalization” , Telos No. 108, Summer, 1996.41  J. Adda, La mondialisation de l’économie 1. Genèse, Paris, La Découverte, 2001, p.3.

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La mondialisation économique et le néolibéralisme entretiennent de même

une relation étroite. Tout d’abord, nous essaierons définir le sens du

néolibéralisme, pour nous aider à distinguer les concepts de « nouveau

libéralisme » et « néolibéralisme » 42 et comprendre la relation entre« néolibéralisme » et « libéralisme économique classique ». Selon la définition

de Chomsky, le néolibéralisme est un nouveau système fondé avec pour base le

libéralisme économique classique. Ce système se réfère à la théorie d’Adam

Smith, qui est considérée comme un « saint patron». Nous nommons aussi ce

système « Le consensus de Washington » qui chante un nouvel ordre global. En

fait, ce système n’est pas une nouveauté qui hérite des connotations du

libéralisme traditionnel depuis le siècle des Lumières43

. En fait, la mondialisation

42   « Nouveau libéralisme » et « néolibéralisme », en anglais « new liberalism » et « neoliberalism », sont toujours confondus. « New libéral » pour soutenir sa doctrinesociale-démocrate interventionniste. Ainsi, il parle aussi de libéralisme social. Il s’oppose à lathéorie libérale classique et libérale économique. Par exemple, J.S. Mill pense que lelaisser-faire absolu ne fonctionne pas, ainsi, il soutient qu’en remarquant la liberté, il ne faut pasignorer la distribution égale. Autrement dit, la liberté et l’égalité sociale coexistent. (Voir son

ouvrage « On Liberty »). De même, T.H. Green, définit un concept de la liberté qui s’opposedirectement à celui de la tradition libérale anglo-saxonne, depuis Hobbes et Locke. Là où onconsidérait que la liberté consistait seulement dans le fait de n’être pas empêché d’agir, Green ladéfinit au contraire dans le fait que « l’homme dans sa plénitude a trouvé son objet » et qu’il s’est« mis en harmonie avec la loi véritable de son être ». Green distingue ainsi la « libertépositive » – celle pour l’homme de se réaliser – et la « liberté négative » qui consiste simplementà ne pas subir ou à subir le moins d’ingérence possible de la part celle des autres. À savoir, lavéritable liberté est non seulement sans restriction, mais aussi une réalisation de soi-même. AuXXème siècle, les personnages représentatifs de l’école du new libéral  sont, Keynes, J. Rawls, etR. Dworkin. Prenant le contre-pied de « new libéral », le néolibéralisme, au nom de la liberté,adopte un discours avec une obsession, pour la liberté du marché. Il est aussi partisan d’un

nouveau régime politique préconisant la dérégularisation de l’État, et donc refuse touteintervention. Le terme « néolibéralisme » est utilisé depuis 1980, se référant à un phénomènesupposé de renouveau et de radicalisation du libéralisme, en réponse au dogme keynésien etavec Milton Friedman et Friedrich Hayek comme principaux théoriciens. Le néolibéralisme (ounouveau libéralisme économique) dans sa version classique s’est constitué en théorie sousl’influence des philosophes des Lumières, principalement britanniques (J.Locke, D.Hume,A.Smith). Il consiste essentiellement en l’application aux actes économiques des principesphilosophiques et politiques libéraux, qui découlent de la primauté de la liberté individuelle surtoutes les formes de pouvoir. Par conséquent, dans ce chapitre, nous définirons le néolibéralisme(« neo liberalism » en anglais).43 N. Chomsky, Neoliberalism and Global Order, New York: Severn Stories Press, 1999.

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est un processus historique en cours, reposant sur la force économique et

technique, le monde de plus en plus devient une société de coexistence, où tout

le monde partage un espace commun, les diverses ressources, les valeurs

morales, et les systèmes monétaires, les hommes dépassent les contraintes del’espace géographique. Autrement dit, la mondialisation établit des relations

d’influence mutuelles entre les régions, quelles que soient leur force, leur

étendue, et la vitesse des technologies44  . D’ailleurs, Soros exprime une opinion

très proche, il souligne le fait que le système mondial actuel soit non seulement

un système capitaliste, à savoir, la circulation d’articles manufacturés et de

capitaux, mais le plus important consiste à la libre circulation (incluant le libre

échange, marché et investissement), le système mondial moderne parvient à lafois à instaurer la liberté de pensée et la libre circulation des capitaux45.

Pour le néolibéralisme, le sens de la mondialisation est caractérisé par

l’espace, le capital et l’article contraignent à favoriser la libre circulation. La

restriction spatiale et en capital, revêt à la fois une dimension politique et

économique que la souveraineté étatique, ainsi que le néolibéralisme tente de

les démanteler, au nom du désir de restituer les droits politique et économique

aux peuples. Par conséquent, le néolibéralisme conteste le concept de frontièredéfendu par la souveraineté étatique, car le contrôle de l’État sur la frontière

empêche la libre circulation. Par contre, en levant les frontières, aucune barrière

ne doit entraver la circulation des capitaux. Autrement dit, le marché doit

s’affranchir des frontières, afin de créer un système de libre-échange, qui se

conforme aux règles capitalistes.

Le terme « néolibéralisme » est employé depuis 1980, le discours auquel il

sous-tend est marqué par l’obsession du libre-échange au nom de lamondialisation et de la libéralisation. Il insiste sur la nécessité de la mobilité des

capitaux et du marché libre, il soutient la privatisation, la déréglementation, les

dénationalisations et flexibilité. Le néolibéralisme tente de généraliser la logique

44 A. Giddens, The Third Way and Its Critics . Cambridge : Polity Press, 2000.45  G. Soros, Open Society: Reforming Global Capitalism, Public Affairs, 2000.

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du libre-échange à l’ensemble du monde. En établissant un marché planétaire

sans obstacle, il prétend défaire l’économie des obstacles posés par l’État-nation.

Il ne considère plus la relation sociale totale, mais prétend dépasser les

frontières politiques en vue d'échapper à la réglementation étatique et laresponsabilité sociale. En dissociant la relation de la politique, de l’économie et

de la société, il proclame la « déconstruction de l’État-nation ». L’économie n’a

alors plus besoin d’attacher à la société et à la politique, elle devient un concept

dissociable. Les services publics, les vagues de chômage n’apparaissent que

comme des concepts abstraits et de simples chiffres d’analyse. De même, le

néolibéralisme se veut le chantre d’une logique de l’autodétermination ou de

l’autogestion. En échappant au contrôle étatique, il symbolise une certaine formed’émancipation et de liberté, et par cela, constitue un critère sublime de la valeur

universelle. Par cela, le néolibéralisme estime accomplir l’émancipation politique

et économique. De surcroît, nous pouvons considérer la mondialisation

économique et le néolibéralisme comme une relation inséparable, la

mondialisation accompagne toujours la libéralisation du marché et l’extension du

capitalisme. Il en résulte que, d’après cette thèse, la mondialisation économique

apparaît comme « un capitalisme planétaire », « une mondialisation du

capitalisme », « une mondialisation du capital ».

Selon ce qui vient d’être dit, le néolibéralisme met en question la légitimité et

l’efficacité de l’État et s’oppose aux interventions étatiques. En fait, une telle

opinion n’est pas inédite, puisque déjà au XVIIIème siècle, les philosophes des

Lumières ont souvent parlé de « Libéralisme économique classique ». Que ce

soit Alchian ou M. Friedman, tous s’interrogent comment obtenir une rentabilité

maximale. Dans son « Uncertainty, Evolution, and Economic Theory », publié en1950, Alchian tente d’établir un marché non artificiel. Il considère le marché

comme un mécanisme naturel éliminatoire. Autrement dit, les règles de la

concurrence du marché offrent le maximum de profits pour les plus aptes. Ces

gagneurs créent un nouvel ordre économique, à l’instar de la théorie de

l’évolution en biologie, telle se présente la très connue théorie du «survival test »

d’Alchian.

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Alchian souligne l’importance de la propriété privée, qui évite de nuire aux

mécanismes de la libre concurrence. En protégeant la propriété privée, nous

canalisons l’énergie contenue dans la violence dans le processus de la

concurrence, au travers du libre-échange, les hommes se contentant d’échangerpacifiquement les divers articles mis en vente. Alchian remarque que le droit à la

propriété privée inclut que les hommes pratiquent le libre-échange selon leur

libre arbitre, il s’agit d’une liberté stricte, c'est-à-dire la démocratie. En

conséquence, en menaçant la propriété privée, les droits de l’homme se trouvent

par là même agressés. Comment la protection de la propriété privée parvient-elle

à influencer sur la concurrence ? Les ressources ne peuvent être utilisées

efficacement que si nous protégeons la propriété privée, représentant la valeursociale moderne et garantissant la démocratie et l’égalité.

De même qu’Alchian, Milton Friedman défend aussi un marché fonctionnant

selon les règles de la libre concurrence, puisque si le capitaliste peut ajuster

lui-même sa stratégie: d’une part, il maintiendra les fonctions de la production, et

d’autre part, il contiendra ses ennemis. Tout cela servira la reproduction éternelle

du capital. Autrement dit, pour le néolibéralisme, le marché apparaît comme un

état originel, où l’homme se comporte comme dans la nature et s’efforce devaincre la dureté de son environnement pour vivre, il est alors forcé d’acquérir la

capacité pour s’adapter à l’évolution ambiante. Le marché n’a donc pas besoin

d’intervention artificielle, qui biaiserait la situation du marché naturelle et

originelle, car cela conduirait à bien des incertitudes.

En conclusion, nous souhaiterions aborder le point de vue du néolibéralisme

par Hayek, sans doute le plus représentatif des fendeurs du néolibéralisme au

XXème siècle. Hayek expose sa théorie de la liberté dans « la constitution du laliberté »et « Droit, Législation et liberté I, II, III ». D’après Hayek, une bonne

société se fonde sur des valeurs libérales, le libre marché et un gouvernement

s’appuyant sur la loi:

Partant des problèmes de l’économie politique, je tente d’arriver à une conclusion

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ambitieuse, même présomptueuse de les envisager à travers un nouvel exposé général

des principes de base d’une philosophie de la liberté46.

La définition de la liberté selon Hayek se formule en ces termes: 

L’état de choses dans lequel un homme n’est pas soumis à la volonté arbitraire d’un autre

ou de plusieurs, est souvent considéré comme un état de liberté « individuelle » ou

« personnelle »47.

Selon cette définition, l'homme n’obtient, aux yeux de Hayek, la liberté qu'à

la condition où il se libère de la coercition extérieure. Suite à cela, il faut nous

interroger sur ce qu’il entend par coercition : Par coercition nous entendons le fait

qu’une personne soit tributaire d’un environnement et de circonstances tellementcontrôlées par une autre qu’elle est obligée, pour éviter un dommage plus grand,

d’agir non pas en conformité avec son propre plan, mais au service des fins de

l’autre personne48.

Pour Hayek, la liberté signifie donc que l’homme ne se réduit pas à une

institution artificielle. Autrement dit, à part l'homme lui-même, il n’y a aucun

pouvoir extérieur susceptible d’intervenir dans la vie sociale.

Cela conduit à s’interroger comment l'ordre social peut se bâtir sans

l'autorité publique. Hayek estime que le système social s'organise de deux

manières : l’une « spontanée » et l’autre «constructiviste». La première s’incarne

par un « ordre spontané », alors que la deuxième est alimentée par un «ordre

artificiel». Toutefois, seul l’«ordre spontané » est susceptible d’être considéré

comme la base sociale et politique d’une société. Ainsi, l’« ordre spontané »

devient le noyau de la théorie du libéralisme. Le concept de « l’ordre spontané »

se trouve donc au centre de la théorie sociale de Hayek.

Hayek nous offre une vision d’un ordre social qui n’est pas non pas le

résultat d’une intention, mais surgit plutôt « spontanément ». Du point de vue

46  Hayek, La constitution de la liberté, Litec, 1994, p.3.47Ibid., p.11.48Ibid., pp.20-21.

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économique, cet ordre spontané devient la pierre angulaire de l’argumentation

de Hayek en faveur du libre marché, parce qu’il offre une explication très

convaincante de la façon dont les activités contradictoires de milliards d’êtres

humains, poursuivant chacun leur propre voie, peuvent être coordonnées avecdes effets malgré tout bénéfiques, grâce à la libre circulation des informations

contenues dans les prix qui guident toutes les formes d’activités économiques,

sans l’aide d’une intervention autoritaire d’un gouvernement. C’est l’idée d’une

totale liberté de marché. En un mot, la vie de l’homme, pour Hayek, que ce soit la

société, que ce soit le marché, qui postule une « autorégulation ». Dans ce cas,

l’ordre du marché apparaît comme une autorégulation « spontanée », il ne

recourt pas à l’extérieur.De manière plus générale, la théorie économique et la théorie sociale, chez

Hayek, soulignent la complexité du développement de la société, s'organisant

selon « l’ordre spontané », c'est-à-dire que la société se bâtit de manière

naturelle par les activités humaines, elle n’est pas le résultat artificiel d’un projet

de l’homme. Ainsi, il oppose la socialisation du marché et l’intervention de l’État,

en revanche, l’autonomie individuelle et l’action personnelle est l’imprévisibilité,

ainsi que le marché. Par ce biais, Hayek espère promouvoir les libertésindividuelles. Le sens de la liberté chez Hayek se résume de la façon suivante :

l'homme se dote naturellement du droit divin sans intervention extérieure. Par

ailleurs, le système social se trouve à l'origine de règles spontanées. Ils ne

permettent pas d’établir de « projet de société » et de définir des normes d’action

au nom de la notion de « justice sociale ». Hayek s’oppose à toute forme de

politique d'ajustement par l’État, il pense que si une société se fonde sur des

interventions artificielles, elle n'est pas un régime convenable.À partir des trois exemples ci-dessus, nous pouvons en déduire que, aux

yeux du néolibéralisme, le marché favorise deux idées très importantes. La

première, consiste au retour à un état originel, dans lequel l’homme existerait à

l’aide de ses capacités individuelles et potentielles, à l’instar de la « théorie

d’évolution »:se conformer aux lois naturelles et la survie du plus adapté. La

deuxième consiste à montrer que le marché est un état vivant, il faut alors se

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prémunir de toutes les forces susceptibles de le détruire. Un marché qui suit les

lois de la concurrence, oblige l’homme à donner le meilleur de lui-même pour

obtenir le succès et la gloire. Tout cela signifie que les hommes acquièrent une

liberté absolue, il n’y plus d’interdit, l’homme se défait de toutes les chaînes quil’emprisonnaient.

D’après ce qui vient d’être dit, nous comprendrons aisément que le

néolibéralisme souhaite supprimer toutes les contraintes et les interventions au

sein de circulation du capitalisme. Une telle idée naît du libéralisme absolu qui

s’efforce d’affirmer que la liberté pleine du marché est la condition nécessaire et

suffisante : la liberté pleine du marché constitue l’« optimum » du monde.

L’établissement d’un marché mondial implique de faire sauter tous les cadres etrèglements qui restreignent le commerce et les mouvements de capitaux. Il faut

permettre d’instaurer la liberté maximale et réduire au minimum les obstacles et

des règles du marché qui relèvent de « la main invisible ». Tout le monde doit se

plier aux règles du jeu et poursuivre la recherche de profits, à l’image d’un

«capitalisme de casino 49  ». Les fonctions de l’État ou du gouvernement

consistent à maintenir simplement l’égalité compétitive du marché. Quant aux

règles du marché et aux mécanismes régulateurs, ceux-ci sont autonomes etn’ont besoin d’aucune interférence extérieure. En conséquence, le

néolibéralisme exige un « marché libre » et une « libre circulation», il souhaite

que toutes les marchandises et les capitaux circulent sans obstacle. C’est

pourquoi le néolibéralisme souligne la priorité à l'économie et remettent en cause

le rôle des gouvernements et de l’État.

Pour le néolibéralisme, le libre-échange signifie aller « au-delà des

frontières » et la « fin de l’hégémonie de l’État ». Dans ces conditions, lelibre-échange permet de fournir une vie meilleure. Grâce à la libre circulation du

capital, les gens obtiennent en même temps la liberté de mouvement. Le

néolibéralisme considère la propriété privée comme un des droits de l’homme et

du droit des citoyens. Le néolibéralisme prône de réduire le pouvoir étatique, afin

49 S. Strange, Caniso Capitalism , Manchester University Press, 1997

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que les hommes gagnent plus de liberté, ce qui aura pour autre effet de relier les

hommes de différentes régions. Cela permet de solidariser tout le monde et de

réaliser vraiment le rêve d’un monde sans frontière et sans restriction. Le

néolibéralisme prononce que la mondialisation crée une relation internationalecompacte et relie tous les pays et les régions entre elles. La mondialisation

dépasse la limite de l’espace et apporte la liberté de mouvement. Il en résulte

que la mondialisation offre deux apports, le premier, elle apporte la liberté des

capitaux et des individus ; le deuxième est de relier l’ensemble du monde. Cela

revient à accomplir le rêve du néolibéralisme, à savoir d’émanciper à la fois la

politique et l’économie. C’est la raison pour laquelle les mondialistes pourraient

se vanter de mettre en œuvre le libre-échange et l’émancipation politique.Suivant Giddens, la mondialisation est une relation internationale étroite, liant

d’une relation réciproque les affaires intérieures et les affaires étrangères.

Autrement dit, le libéral pense que la mondialisation dépasse la limite de l’espace

et qu’elle favorise la liberté de mouvement. Les gens non seulement obtiennent

la liberté de mouvement, mais aussi la liberté de la propriété privée.

Notre réflexion se fera sous deux angles du néolibéralisme. Du point de vue

économique, le concept du marché libre de la mondialisation capitaliste,menace-t-il vraiment la souveraineté étatique ? Est-il vrai, comme prétendent les

néolibéraux, que les gens ont plus de liberté, et que les différentes régions

entrent dans un processus de solidarisation ? Du point de vue la question

politique, nous devons approfondir la question suivante : l’État s’avère-t-il un mal

nécessaire ? Le marché peut-il remplacer la fonction de l’État ? L’homme

obtiendra-t-il réellement la même protection après avoir exclu l’État ? Le fait est

que le néolibéralisme apparaît une contradiction. D’une part, il pense que l’ordreéconomique doit être avant tout d’ordre juridico-politique. Cependant, d’autre

part, la réalisation du marché libre doit passer par l’intervention de l’État et la

préservation de liberté doit être liée à la limitation de cette intervention. En dépit

des questions auxquelles nous nous sommes interrogés ci-dessus, il faut

réfléchir à ces apories comme suit : quelle nouvelle image et quel ordre du

monde devons-nous nous attendre par rapport à la supposition néolibérale du

déclin de l’État-nation ? Nous les discuterons dans 2.2.2.

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2.1.2 Le concept de la propriété privée et le rôle de l’État

À partir du point de vue économique, le concept du marché libre actuel est

loin de constituer une création récente, il est une production lockéenne, existaitdepuis le siècle des Lumières. Pour Locke, la protection de la propriété privée

importe autant que la liberté des personnes. À ses yeux, les droits de l’homme

sont  des droits naturels,  et  la propriété privée est comme une propriété de

soi-même. Chaque individu a en lui-même la grande source de la propriété car il

est travailleur et propriétaire de lui-même, de son travail. En conséquence, l’État

en protégeant la propriété privée du citoyen défend également les droits du

citoyen. Si l’État interfère sur la propriété privée, cela revient à agresser les droitsde l’homme, qui contribuerait à éroder les principes démocratiques.

Dans « Two Treatises of Civil Government  », Locke propose un concept d’

« appropriation de soi-même », tout le monde s’approprie son propre corps, sa

propre force et le produit de son travail. Une telle appropriation de soi constitue

un droit de l’homme, elle appartient en propre à l’individu, et pas à d’autres.

Personne ne peut agresser sans son propre accord. En fait, Locke distingue la

conscience et la conscience de soi, en tant qu’activité de pensée, c’est-à-dire, lesujet. À travers l’activité, le sujet crée une conscience de soi. Autrement dit,

Locke met en rapport deux autres notions centrales: celles de conscience et

d’identité personnelle. L’identité du soi est enveloppée dans l’acte même par

lequel nous sentons, pensons, voulons, en raison de cette réflexivité. C’est parce

que la conscience accompagne toutes nos sensations et perceptions présentes

que chacun est à soi-même ce qu’il appelle « soi-même » ; on peut alors se

poser comme le même être et penser son identité personnelle ou en être

pensant. En d’autres termes, Locke développe sa thèse sur ce que représente la

notion de personne, il s’arrête d’abord sur ce que c’est qu’être conscient de ses

actes et/ ou de ce qui nous arrive, bref, être conscient de soi.

Comme on va le voir, s’attacher au caractère de l’identité personnelle,

reviendrait à soutenir une notion de la personne à laquelle justement il veut ici

s’opposer, celle des rationalistes qui la définissent comme une substance

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pensante. L’homme, avant toute institution politique, dispose de droits, qui

découlent de sa nature. Il a le droit de vivre et de subvenir à ses besoins. Pour

cela, il met en œuvre ses capacités: il travaille. Or, chacun étant propriétaire de

soi-même, chacun l’est aussi du fruit de son travail, où il a mis de lui-même. Sansle droit de propriété, fondé sur le travail, le droit de vivre ne serait qu’un vain mot.

La propriété est originairement individuelle et non sociale. Elle n’est donc

soumise à aucune limite. Les hommes sont tous libres de travailler, de

poursuivre l’exploitation de la terre et d’accumuler des propriétés. C’est cette

identique liberté qui fait leur égalité en droit. Ainsi, la propriété privée devient une

partie du sujet et se transforme en une sorte de droit. Cela conduit à une identité

intérieure qui soit la « conscience de soi », la conscience lockéenne est uneconscience morale : « Where there is no property, there is no injustice50 ».

Finalement, la propriété privée est indissolublement logique, morale, et juridique

et psychologique51.

Il en résulte que quand une personne applique sa force et son travail aux

objets, cela signifie qu’une personne se rattache à des objets extérieurs, qui

appartiennent au sujet, à savoir, la conscience elle-même. Locke soutient que la

citoyenneté implique le droit à l’autonomie économique, puisqu’il revient àprotéger aussi le droit naturel (le droit de la propriété privée) qui ne doit pas être

étouffé par l’autorité. En conséquence, la propriété privée est non seulement un

concept de l’économie, mais aussi un symbole de la liberté politique et

individuelle. Pour résumer la pensée de Locke sur la propriété, nous pouvons

dire que la propriété des choses n'est pas seulement requise pour subsister ; la

propriété est une extension de la propriété de la personne. En ce sens, la

propriété des biens a le même caractère inviolable que la personne humaine.Cette personne est conçue comme un rapport de soi à soi en tant que propriété.

Chaque homme est le seul propriétaire de sa personne, de sa vie, de sa liberté et

50   J.Locke, An Essay Concerning Human Understanding , A.C. Fraser's edition, DoverPublications, Inc; N.Y, 1959, Book II, 3:1851  J.Locke, Identité et différence. L’invention de la conscience , édition présentée, traduite etcommentée par É. Balibar, Paris, Seuil, 1998, pp. 87-90.

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de ses biens52. En se basant sur ce concept, le néolibéralisme prétend que

l’individu obtiendra la libération grâce à la mondialisation capitaliste, l’individu

acquerra plus de protection et d’épanouissement.

En somme, la liberté de la propriété privée est considérée comme

équivalente à la liberté politique et individuelle. A savoir, le droit de la propriété

privée est non seulement un concept économique, mais aussi politique. Le

libéralisme prône qu’en retirant les restrictions économiques, les gens

obtiendront plus de liberté politique. Le néolibéralisme hérite de la pensée de

Locke, qui considère le droit privé comme le droit naturel, et préconise de

prolonger tel concept à l’ensemble des individus. Le libéralisme économique

soutient que le marché libre constitue un principe essentiel, il devient nonseulement un critère économique, mais aussi un indicateur de liberté politique,

de démocratie ainsi que du respect des droits de l’homme. Le néolibéralisme

insiste toujours pour que la démocratie politique se base sur le principe du

marché libre.

Le livre « Anarchie, État et Utopie  » de Robert Nozick, prend notamment la

défense d'un État ultra minimal, car il pense qu’un État démocratique doit

nécessairement se baser sur la liberté du marché. Les gens recherchent une

liberté individuelle absolue, le libre-échange et la propriété privée représentent

une part essentielle de la liberté. Il faut permettre la libre circulation. Il prône une

sorte de personne libre qui bénéficierait d’une liberté sans autorité, toute

interaction humaine doit être volontaire et consensuelle (ainsi, Nozick se

considère comme un libéral). Cela nous fait retourner au libéralisme classique, à

savoir que le marché libre égale la liberté individuelle et la liberté politique. Par

conséquent, le néolibéralisme soutient que l’État se soumet aux règles dumarché afin de protéger le droit du citoyen, et de maintenir le fonctionnement

bien de la société.

Pour néolibéralisme, le marché libre représente un état naturel, ainsi, en

protégeant le droit de propriété privée, nous préservons le droit naturel. En outre,

52  R. Castel, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard, 2001, Paris, pp.14-17.

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pour ce qui est de la politique, le degré de liberté du marché agit comme un

critère de la démocratie, autrement dit, plus de protection sur le droit de propriété

privée signifie une progression des droits de l’homme. De même, l'individu

possède sa personne propre. L’État se subordonne au libre marché, c’est par luique le peuple conquiert l’hégémonie de l’État. Nous comprenons dès lors

pourquoi le néolibéralisme juge le marché libre comme une condition sine qua

non à la démocratie. Autrement dit, la mondialisation s'apparente à une véritable

théorie du changement étatique. Elle repose sur la délégitimation du rôle de l'État.

Dans les faits, nous constatons une corrosion de la démocratie par le marché. La

délégitimation des classes dirigeantes devient plus flagrante, dès lors qu’elles ne

se conforment pas à la règle du marché.Par suite ce que nous venons de voir ci-dessus. Au sujet de néolibéralisme,

nous pourrions généraliser que le néolibéralisme souligne que le développement

de la mondialisation est un processus de l’économie pure, et nécessite une

avancée permanente. Elle ne doit ni être arrêtée, ni ne souffrir d’aucune

restriction, la mesure politique doit donc se soumettre nécessairement à

l’économie. Cependant, comme le note Wallenstein, la mondialisation n’est

qu’une extension du système de division du travail mondial, elle n’offre pas dedifférence par rapport à l’extension capitaliste antérieure, elle tente de réifier tous

les articles afin de les inclure dans la chaîne de marchandise. D’une part, la

mondialisation capitaliste réduit les coûts de production et relève la plus-value ;

d’autre part, elle évite les interventions extérieures parmi les processus de la

production. C’est-à-dire que la marchandise est englobée dans une chaîne

marchande, celle-ci non seulement évite toute interférence de l’État, mais aussi

facilite la formation de monopolise sur le marché. Tout cela est très utile pourl’accumulation de capital et l’extension du marché.

Les entreprises pourraient répartir le processus de production et produire

dans plusieurs pays. Elle dépend de moins en moins d’un pays particulier.

Autrement dit, dans le processus de production, l’entreprise pourrait choisir les

meilleures conditions (force du travail, taxes, législation, etc.). En décidant ou

non d’investir des capitaux, l’entreprise transnationale parvient à contrer

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efficacement les politiques étatiques, cela lui permet d’échapper à tout contrôle

étatique. Le temps mondial de l'économie et des transactions financières

surmonte le temps, la région, le pays. La mondialisation suit exactement le

principe du libéralisme économique.

Sous la dimension politique, comme Wallenstein et Amin le montrent, le

système mondial actuel est contrôlé en gros par le système de production

capitaliste, puisqu’il adopte la division du travail à l’échelle mondiale. Wallenstein

et Amin notent aussi que ce système se construit après et à partir de la formation

de l’État souverain. Autrement dit, le capitalisme planétaire est un système où

politique et économie sont inséparables, ils coexistent l’un et l’autre 53 . Le

néolibéralisme évite exprès les questions politiques et sociales afin d’ignorer lafonction étatique. Néanmoins, le système du monde moderne s’est formé à partir

du concept d’État souverain. L’État–nation est fondé sur la souveraineté, à

travers de reconnaissance mutuelle du peuple. L’État souverain protège les

droits fondamentaux des peuples et maintient la protection sociale, il élimine

obligatoirement les sources de « distorsion », que sont les services publics et la

codification des droits sociaux : l’État obtient ainsi la légalité du pouvoir.

Dans 1.1, nous avons vu que l’État souverain était un produit spécifique du

monde moderne. Le concept d’État souverain implique non seulement la

domination à l’intérieur d’un pays, mais aussi un statut international à l’extérieur.

À l’intérieur, l’État souverain dispose du pouvoir suprême, tous les individus, les

groupes, et les institutions officielles, se subordonnent nécessairement à l’État

souverain. À l’extérieur, l’État souverain représente l’inviolabilité, c’est-à-dire que

les autres pays n’ont pas le droit d’intervenir ou d’exercer un pouvoir de

domination. Le néolibéralisme économique évite volontairement la réalité del’État souverain, il tente d’expliquer le marché mondial sous l’angle économique.

Il s’agit pourtant d’un point de vue aveugle. La question se pose de la façon

suivante:existe-t-il vraiment un marché libre sans interférence ? La logique du

développement du capital tend à prouver la relation inséparable entre le

53  S. Amin, Les défis de la mondialisation , l’Harmattan, Paris, 1996, pp.74-75.

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capitalisme moderne et l’État souverain moderne. Cela nous aide à élucider le

rôle de l’État dans le processus de la mondialisation et à répondre aux défis de

l’action collective dus à la transformation de la fonction étatique provoquée par la

mondialisation.

Le premier défi touche le coût de production. Pour le capitalisme, la taxe est

un débours nécessaire, elle est une partie du coût de production. À la différence

de l’investissement en équipement, la taxe ne produit pas de biens, mais instaure

un « environnent de production». Les entreprises capitalistes paient d’un côté le

coût de production (les taxes) à l’État, au travers de divers investissements

publics (infrastructures de transport, d’énergie, etc.), qui créent un

environnement favorable à la production des premières. Autrement dit, commeles achats privés des consommateurs le paiement de l’impôt permet au cycle

productif de se reproduire. L’idéologie capitaliste omet toutefois deux éléments.

Premièrement, ce sont les coûts nécessaires (charges directes) de production

qui créent la valeur monétaire dont une partie sera accaparée par les capitalistes.

Deuxièmement, au sens propre, le financement désigne l’impulsion monétaire

nécessaire à la production capitaliste et à la production non marchande et doit

être donc distingué du paiement. Le capitaliste paie un peu d’argent (les taxes),mais il reçoit en échange l’investissement public. Celui-ci instaure de meilleures

conditions pour la reproduction. En d’autres termes, la société totale supporte

l’ensemble du coût de production capitaliste. Le capitaliste réduit le coût de

production à la faveur de l’impôt, parce qu’une partie (du coût de production)

vient des PME et des travailleurs, ceux qui assument ensemble du coût de

production capitaliste.

Le capitaliste exige la libre concurrence, mais il craint aussi une compétitionincontrôlée, parce qu’un marché incertain menacera la reproduction et

finalement l’accumulation du capital. K. Polanyi montre que le capitalisme

reposant sur le laisser-faire produit incertitude et insécurité, quand les masses ne

seront plus en mesure de financer l’économie, il s’ensuivra inévitablement une

réduction de la capacité de reproduction du capital. Polanyi met en évidence le

concept d’« emboîtement », qui relie la relation de la société et l’économie.

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Selon ce concept, le marché libre n’est pas une forme naturelle, il se fonde sur la

puissance de la classe dominante, et s’exerce au travers du pouvoir étatique.

L’État est un constructeur latent et un garant de la liberté du marché. Telle est la

contradiction immanente du capitalisme, qui tente d’exclure la relation sociale,afin de remplacer les autres relations par le marché libre. Cependant, quand la

relation sociale se soumet au marché libre et observe l’ordre de celui-ci, cela

conduit inévitablement à une incertitude sociale, ce qui nécessite une force de

protection. En conséquence, Polanyi rappelle la nécessité de conserver

l’ensemble des valeurs existantes et d’équilibrer la relation entre le marché, l’État

et la société. Dans le cas contraire, le capitalisme ne surmonterait pas ce

paradoxe intrinsèque54

. Le capitaliste souhaite que l’État devienne un gardienprivé, qu’il se charge de la protection sociale pour maintenir les conditions

meilleures de vie et d’investissement. C’est la raison pour laquelle les capitalistes

acceptent encore le prix des cotisations, afin d’acheter ce « gardien » qu’est

devenu l’État, qui d’une part, assume la sécurité des personnes, notamment le

détenteur du capital, et d’autre part la solidité du marché. Autrement dit, l’État

punit quiconque gêne les mécanismes du marché. En somme, le néolibéralisme

ne conteste l’autorité étatique moins sur la dimension sociale, que sur le marché.

Le néolibéralisme s’érige en héritier de la théorie de la « main invisible »

d’Adam Smith, le marché obéissant à des mécanismes naturels qui ne

nécessitent aucune intervention intérieure. Par contre, la société humaine a

besoin d’une autorité pour maintenir sa stabilité. Le capitalisme exige des règles

sociales pour réduire les risques pouvant peser sur l’investissement et la

production. Le néolibéralisme admet en effet le besoin d’une autorité et

n’envisage pas forcément, comme on pourrait le croire, de supprimer lapuissance étatique. Que prend alors le capitalisme vraiment au sérieux ? La

première chose consiste à produire le maximum de profits, au nom de la libre

concurrence et de l’émancipation humaine. Pour le capitalisme, générer le

maximum de bénéfice représente la principale préoccupation, le faible niveau de

54 K. Polanyi, La Grande Transformation , Gallimard, Paris, 1983.

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risque est un facteur important pour gagner le maximum de profit. La loi est donc

un objet pour lequel le capitaliste investit, parce que dans un environnement de

concurrence, le processus de production rencontre beaucoup d’irrégularité, bien

que le capitalisme n’ait pas besoin de se charger du coût social, à cause del’incertitude sociale, il risque de ne rien gagner possible. Si le capitaliste établit

une relation réciproque avec l’État, la reproduction en tirera profit dans la mesure

où l’État institue des lois afin de protéger l’environnement de production. En

somme, l’État se trouve réduit au rôle d’employé de l’entreprise privé, il

représente une part du coût de production et un facteur du processus de

production. L’État défend non plus un profit collectif, mais plutôt le profit de

l’entreprise.Deux situations peuvent susciter la perte de la propriété privée. La première

survient lorsque l’individu ne dispose pas de revenus équivalents par rapport à

son travail. La deuxième se produit lorsque la personne perd son argent

involontairement, par vol ou pillage. Suivant cette logique, l’État doit réduire

obligatoirement le risque d’investissement (par exemple, la force des ouvriers)

afin de protéger la propriété privée. Pour le capitalisme, le « garde privé » sert à

se préserver contre « les voleurs ». Et ce d’autant plus que l’État joue un rôle degardien, le capitaliste souhaiterait absolument que l’État réduise les menaces

extérieures. C’est-à-dire que l’État limite au maximum les grèves ou tout autre

risque pour l’investisseur. La grève représente un dommage sérieux pour la

propriété privée, parce que si les ouvriers ne travaillent pas pendant un jour, le

capitaliste n’accumulera pas de capitaux pendant ce temps. Le marché assigne

une mission à l’État, à savoir de mener une politique d’investissement public et

de légalisation de l’accumulation du capital. En d’autres termes, l’État offriraitnécessairement le meilleur environnement à l’investissement du capital. Par le

biais de telles mesures politiques  publiques, l’État satisfait les désirs des

capitalistes, même si elles l’éloignent du même coup du peuple. Cela constitue

ainsi une grave menace pour la démocratie et l’action politique collective. Le

capitalisme discrédite l’État, il tente de supprimer tout l’espace public permettant

à l’État d’incarner une opinion commune, parce que l’espace public doit se

borner aussi à la logique du marché : l’État perd donc sa fonction de coordination.

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L’État prend des mesures uniquement en faveur du marché, une telle politique

n’écoute que les intérêts des puissants. L'État, ses lois, ses institutions et ses

mécanismes de fonctionnement ne semblent ni neutres ni planer au-dessus des

intérêts des collectifs. Qu’il soit libéral ou démocratique, l'État ne serait donc pasindépendant, il se trouve étroitement dépendant du capitalisme. Le conflit social

se produirait justement ici, car le choix d’une forme d’État en relation avec un

intérêt particulier en exclurait l’autre et vice-versa.

Le libéralisme ne préconise pas forcément un désengagement de la

puissance de l’État sur le marché. Au contraire, le capitaliste est conscient de la

nécessité d’une relation étroite avec l’État, qui est un distributeur de ressource

sociale, avantagera la monopolisation du marché. En d’autres termes, lecapitaliste réduit le coût de production capitaliste à l’aide des ressources et des

investissements publics de l’État. Pour les capitalistes, aucun investissement

n’est aussi bon marché que l’investissement public. L’État se charge des

problèmes de pollution, du chômage, de la santé et de la pauvreté, dont souvent

le capitaliste se trouve à l’origine. L’État résout ces questions et fournit à la fois la

stabilité sociale, la légitimité de l’État et une ambiance favorable aux

investissements. Les mesures de protection sociale permettent aux hommesd’ignorer les problèmes qui résultent des règles du marché. En revanche, les

citoyens croient qu’il n’y aura de protection sociale qu’avec un développement

économique constant. Les règles du marché représentent donc comme un

remède universel pour résoudre les maux sociaux. Cela permet à l’entreprise de

faire retomber les coûts de production sur tout le service public. Cela veut dire

que l’État et le capitaliste agissent de concert, au nom de l’amélioration des

conditions d’investissement, à instaurer le marché libre. La mission de l’État vise,grâce à diverses mesures législatives et investissements publics à renforcer la

légalisation de l’accumulation et de la monopolisation du capital. C’est-à-dire que

l’État offre le meilleur environnement pour l’investissement.

Nous devons nous interroger si  la forme de mondialisation prônée par le

néolibéralisme est vraiment synonyme de liberté. La libre circulation et le

libre-échange sont-ils vraiment synonymes de liberté ? La mondialisation

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économique permet bien sûr la libre circulation des capitaux qui s’accompagne

d’une maximisation des profits pour les capitalistes. Cependant, pour parvenir à

ce but, les capitalistes appliquent la flexibilité du travail et la déréglementation.

D’un autre côté, ce sont les entreprises multinationales qui bénéficient le plus dupassage à l’économie de marché, à la libéralisation et à la déréglementation.

Elles jouissent ainsi des opportunités offertes de faire des profits financiers sur le

marché des changes ou des produits dérivés, ce qui conduit les ouvriers à perdre

leur protection du travail. Les ouvriers ne peuvent plus faire converger leurs

forces contre les employeurs. En conséquence, les ouvriers vivent sous la

pression du chômage jours après jours. Au nom du libéralisme économique, la

mondialisation enlève tout autre choix que celui d’accepter les règles du marché.Le capitalisme a besoin d’une autorité réduisant les risques pour les

investissements. L’établissement d’une autorité et la prise de mesures de

protection visent à servir les intérêts du capitalisme. Le mode de production

capitaliste a pour conséquence une accélération des accumulations de capitaux,

dès lors que l’État offre les conditions favorables à l’évolution de l’investissement.

Le capitalisme accroît sa puissance, et ses acteurs réclament plus d’avantages

encore de la part de l’État.

Nous entrevoyons aisément ici, la relation d’intérêt mutuel entre le capital et

l’État, ce dernier renforce sa légitimité en résolvant les problèmes sociaux, de

même, le capital s’accroît à l’aide de la protection de l’État. Comme le montre S.

Amin, en l’absence de contrepoids sociaux organisés et de politiques d’État

puissantes pour les soutenir, l’ouverture des marchés a toujours par elle-même

un effet polarisant et non réducteur sur les inégalités 55 . Autrement dit, la

55 S. Amin, Les défis de la mondialisation , Paris, l’Harmattan, 1996, pp.196-197. Même si Aminestime que le système de protection sociale cache le fruit amer du marché, il demeure partisanencore du système de la protection sociale. Le mouvement altermondialiste, au début, n’avaitpas vraiment de but précis. Néanmoins, après le premier forum social mondial, le mouvementaltermondialiste s'est concentré autour de trois notions, parmi elles figure le progrès social, quin’est ni le socialisme, ni un nouveau mode économique. Elle n’est pas une forme unique, ellepossède un sens différent en fonction des pays. Pour l’Europe, le progrès social, c’est le systèmede protection sociale, en revanche, pour d’autres régions du monde, il s’agit de réduire la

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protection sociale réduit les inégalités sociales provoquées par le marché. Les

mesures politiques de protection sociale fonctionnent comme un mécanisme de

redistribution, en redistribuant les ressources sociales. Par le biais de telles

mesures, la société maintient sa fonction basale, à savoir, qu’il n’y a de marchélibre qu’avec un système de protection sociale. Par conséquent, le marché libre

s’établit sur une société stable, les moyens de production capitalistes engendrent

des inégalités sociales, qui ne trouvent de dénouement qu’à l’aide de mesures

de protection sociale, car sinon la société n’aurait plus de stabilité, alors le

capitalisme perdrait un environnement favorable à la reproduction. Il en résulte

que la protection sociale, d’une part, renforce la légalité et l’obligation de l’État ;

d’autre part, elle crée une ambiance profitant au marché. À tout prendre, lesproblèmes du chômage et de la pauvreté se résolvent à la faveur de la politique

publique. L’État tient à la fois son engagement envers le citoyen et le capitaliste,

il protège non seulement les droits des citoyens, mais de même assure

l’accumulation du capital. Tout cela prouve aussi la relation inséparable entre la

mondialisation économique et l’État-nation.

paupérisation, ou les inégalités sociales. Par conséquent, nous pouvons dire qu’Amin soutientencore le système de protection sociale.

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2.2 Une « économie sous vide » ?

La logique capitaliste se caractérise par la monopolisation. Son but estl’expansion du marché qui lui permet de réaliser un maximum de profits. Les

entreprises transnationales des pays puissants, avec l’aide de leurs États,

exigent de la part pays plus faibles de supporter le coût de production (force de

travail, matériels, locaux d’usines, etc.), ce qui leur permet d’instaurer des

situations de monopole 56 . En conséquence, le « marché mondial » est

encore une lutte entre les pays. Autrement dit, le marché libre n’existe jamais

complètement, car il est manipulé, tantôt par les blocs puissants, tantôt par la

logique du marché (de la monopolisation). Le capitaliste tend à créer des

monopoles avec la formation de conglomérats et l’État intervient sur le marché à

l’aide de la législation et par des moyens politiques. La mondialisation capitaliste

est le fruit du pouvoir étatique, l’État établit des confédérations économiques afin

de satisfaire aux exigences du marché mondial monopolisation, par exemple,

l’UE, l’ALENA, FTA (Federation of Tax Administrators )…

Dans la partie 2.2.1, nous démontrerons la relation indissociable entre

l’État et le capitalisme. Le fait que les partisans de la mondialisation économique

prônent de lever les frontières et le désengagement de l’autorité étatique,

traduisent, en fait, la volonté de séparer la question économique de la question

politique. Nous allons tenter d’éclairer cette conception à la faveur de la

théorie de l’« économie mondiale » et de l’« économie-monde » de Braudel. Il

énonce que l’État et l’économie capitaliste possèdent des caractères similaires,

ils relient étroitement au relations sociales. D’après ce qui vient d’être dit, nous

pouvons affirmer que la mondialisation capitaliste, en tant qu’économie pure, est

illusoire.

Dans la partie 2.2.2, nous démontrerons que le discours des néolibéraux,

vantant « la fin de l’État » et s’enthousiasmant pour l’économie pure est un

56  C. A. Michalet, Le Capitalisme Mondial , Paris, PUF, pp.179-182.

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discours fallacieux. En premier lieu, la mondialisation réduit seulement

l’intervention étatique sur le marché. Elle n’affaiblit pas la domination étatique sur

la société, car l’État renforce son contrôle sur le domaine social afin de créer un

marché stable. Autrement dit, le marché libre lève uniquement les contraintesdans le domaine économique, il ne touche pas le domaine social face à la

mondialisation.

En deuxième lieu, l’État ajuste sa fonction afin de s’adapter aux

conséquences de la mondialisation. Cette coordination représente une stratégie

pour contenir sa légitimité de gouvernance. Ainsi, nous ne pouvons pas

simplement considérer cette coordination comme un triomphe du marché libre,

mais plus comme un subterfuge de l’État pour se rapprocher du capitaliste. L’Étatrenouvelle ainsi la légitimité de sa domination, il joue encore un rôle important

dans le processus de la mondialisation capitaliste. Il est en quelque sorte devenu

le complice du marché libre.

2.2.1 L’« économie mondiale » et l’« économie-monde » chez Braudel.

Nous allons tenter à présent d’éclairer cette conception à la faveur de la

théorie de l’« économie mondiale » et de l’« économie-monde » chez Braudel.

Braudel souligne que la circulation internationale des marchandises n’est

pas un phénomène nouveau, elle existe déjà depuis l’Empire romain, voire

l’empire maritime phénicien. Braudel distingue trois phases de l’action

économique depuis 400 ans. La première, qu’il nomme « civilisation matérielle »,

concerne la vie quotidienne, cette époque est marquée par l’autosuffisance. La

deuxième est « l'économie d'échange », à savoir, il n’y a de « marché » que dansla relation d’échanges et le commerce. L'économie d'échange n’appartient pas

obligatoirement au capitalisme, elle peut être contraire au capitalisme. La

troisième idée est que le capitalisme est une monopolisation commerciale

constituée par une minorité qui devient un puissant groupe social. Celui-ci finit

par contrôler non seulement le marché intérieur, mais aussi intervient sur les

marchés étrangers. Braudel analyse la relation entre l’économie et l’État-nation

au prisme du processus historique, il distingue tout d’abord deux concepts,

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« économie mondiale » et « économie-monde ». « L’économie mondiale »

s’étend à l’économie du monde prise en son entier, elle représente le marché de

tout l’univers. Le genre humain ou toute cette partie du genre humain qui

commerce ensemble et ne forme plus, en quelque sorte, qu’un seul marché.

Braudel conceptualise l’économie-monde (Wallerstein appelle aussi le

système-monde), une économie-monde apparaît toujours comme un pôle ou

centre, elle est formée de réseaux hiérarchisés et occupe un espace

géographique donné avec des centres et des périphéries, toute économie-

monde se partageant en zones interactives. Les régions s’étendent autour d’un

centre, dans la mesure où elles forment un tout économique. Braudel pense que

l’économie-monde représente un morceau de la planète économiquementautonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel liaisons et

échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique57. Autrement dit, pour

Braudel, l’économie formant une totalité, n’est pas un objet isolé, elle touche

toujours d’autres domaines. Ce serait tomber dans l’erreur que d’imaginer l’ordre

de l’économie dominant la société entière, déterminant, à elle seule, les autres

ordres de la société. Une économie n’est jamais isolée. Son terrain, son espace

sont également ceux où s’installent et vivent d’autres entités, -la culture, lesocial, la politique- qui ne cessent de se mêler à elle pour la favoriser ou tout

aussi bien la contrecarrer58.

Pour Braudel, l’État-nation moderne lie étroitement l’économie-monde, qui a

constitué la matrice du capitalisme européen, puis mondial 59 , gouvernait

57  F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV-XVIIIe siècles III, Paris, ArlandColin, 1979, p.14.58  Ibid., p.42.59  F. Braudel, La dynamique du capitalisme , Paris, Flammarion, 1985, p.89. D’ici, nous voulonssouligner que l’économie ne disjoncte pas avec la société, à savoir, un rythme harmonique entrel’économie et la société. Par conséquent, nous ne discutons pas la relation entrel’économie-monde et le capitalisme ou l’empire. Nous nous accordons bien entendu avecWallerstein dans sa mise en question des économies mondes. Pour lui, une économie-monde estégalement un système mondial, parce qu’il était plus vaste que toute unité politique juridiquementdéfinie et parce qu’il réunit les parties du système d’ordre économique (voir Wallerstein,Capitalisme et économie-monde   1460-1640, Paris, 1980, t. I, p. 19, 313). Tant l’économie

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l’économie nationale :  « une économie nationale, c’est un espace politique

transformé par l’État, en raison des nécessités et innovations de la vie matérielle,

en un espace économique cohérent, unifié, dont les activités peuvent se porter

ensemble dans une même direction » 60 . Il nous fait remarquer d’ici quel’économie n’existe pas seule, elle se trouve toujours en connexion avec la

société. L’économie–monde change vraiment en suivant les qualités et les

caractéristiques de la société, de l’économie, de la technique, de la culture, de

l’ordre politique, l’économie–monde se déplace pour accompagner une autre

zone. En d’autres termes, État-nation et économie–monde possèdent des

caractères similaires, à savoir qu’ils relient étroitement toutes les relations

sociales. L’État joue un rôle de convergence, il coordonne tous les domaines etmaintient l’équilibre entre la l’offre et la demande. D’autre part, l’État maîtrise

entièrement les ressources sociales, à travers un certain nombre de mesures,

l’État obtient un consensus général permettant d’établir les impôts, la monnaie et

les dépenses publiques. L’État favorise la stabilité de la société en vue de la

régulation du marché.

Selon ce qui vient d’être dit, nous pouvons généraliser que la mondialisation

capitaliste, en tant qu’économie pure, est illusoire. Bien que les économistesaient forgé la notion de « marché » sans intégrer l’existence de l’État, ils insistent

sur le fait que les maîtres du monde seront les entreprises ou les institutions

transnationales. Cependant, à la lumière de la définition chez Braudel, la

mondialisation capitaliste apparaît comme un simple instrument servant à

l’entreprise internationale de pénétrer les marchés étrangers à l’aide de

mondiale que l’économie-monde, il faisait naître ce système à la fin du XVème siècle ou au débutdu XVIème siècle de notre ère, en liaison étroite avec l’avènement du capitalisme.L’économie-monde était également surplombe un ensemble d'États de forces diverses et unifiépolitiquement. Par conséquent, la plupart des économies-mondes inévitables se muèrent enempires. Le capitalisme ou l’empire, aboutissement des économies mondes, se maintient depuiscinq siècles parce qu'il s'étend sur la presque totalité du globe. Le capitalisme surplombe tous lesempires (États) existants. Par contre, pour lui, le système mondial est éloigné del’économie-monde. Il en conclut que seule l'instauration d'un empire universel socialiste pourraitmettre fin au capitalisme.60  Ibid., 1985, p.103.

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différentes filiales. Dans ce processus d’expansion, l’État sera inactif dans le

processus décisif. L’entreprise internationale établit une filiale dans un autre pays,

elle crée notamment des unités de production pour profiter de la faiblesse du

coût de la force de travail. Elle vise le fait que la monopolisation du marché etl’accumulation de capital. Cependant, le siège social de l’entreprise

internationale dépend encore du pouvoir et de la protection de l’État, il coexiste

réciproquement avec l’État et s’étend en taille grâce à l’appui de l’État. Plus

profondément, le mouvement du capital s’est toujours caractérisé par une

interaction étroite entre marché et État. Le processus d’extension territoriale

accompagne l’accumulation du capital, l’État intervient pour le protéger, par le

protectionnisme ou la sanction économique. Par conséquent, nous attestons quela mondialisation capitaliste constitue encore un concept de l’accumulation et la

circulation des capitaux. Elle hérite le caractère du capitalisme, fondé encore sur

une exploitation des ressources et des possibilités internationales, s’appuie

toujours, obstinément, sur des monopoles de droit ou de fait, plus encore, le

capitalisme ne recouvre pas toute l’économie, toute la société au travail ; il ne les

enferme jamais l’une et l’autre dans un système, qui serait parfait61.

Au travers du concept de l’économie-monde, nous savons que, dansl’économie internationale, l’État joue un rôle indispensable. Seul le rôle du

pouvoir, nous entendons aussi qu’il est aussi un agent distributif. L’État établit

une politique propre selon le caractère industriel, cette politique se conforme à

l’environnement de la société intérieure, elle est la correspondance à la condition

sociale. Une telle politique permet ainsi d’échanger des produits divers entre

différents pays, elle n’est plus une division au sein de l’entreprise, mais plutôt

une sorte de division entre pays différents. L’État a besoin de comprendre lecaractère industriel à l’intérieur du pays, puisqu’il joue un rôle décisif pour

échafauder les projets industriels. Dans ce sens, le monde forme véritablement

un vaste marché, plusieurs pays produisent une multitude de marchandise selon

des conditions particulières.

61  Ibid., pp.115-116.

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2.2.2 La mondialisation capitaliste peut-elle s’accomplir sans le renfort de

l’État ?

L’analyse de la relation entre l’économie du capitalisme et l’État moderne,nous permet, si nous retournons à la situation actuelle de l’Europe, de

comprendre que sur le plan des droits de l’homme ou de la démocratie, l’Europe

est en train de se désunir, en copiant la logique libre-échangiste. Une telle

logique distingue la société totale et l’économie. En d’autres termes, la

communauté économique européenne ne propose plus un agenda commun

susceptible de faire avancer les systèmes de sécurité sociale, la société

européenne est confrontée à un grand danger devant la mondialisationéconomique. L’UE n’offre plus de programme pour la sécurité sociale, le droit du

travail, et les droits des citoyens, afin de maintenir un État-providence. L’Europe

a su longtemps préserver l’État-providence, toutefois, celui-ci s’affaiblit de plus

en plus face à la mondialisation. Ainsi, nous pourrions affirmer que les anciens

systèmes européens sont en train de se disloquer, alors qu’aucun nouveau

système n’a encore été établi. L’UE n’apparaît pas comme une nouvelle

communauté politique, mais tout au plus comme une intégration économique.

Autrement dit, l’UE emprunte la voie de la mondialisation, celle-ci n’apporte pas

un meilleur programme de communauté politique, mais instaure plutôt une

logique de concurrence commerciale avec les États-Unis d’Amérique.

Ce bref « état des lieux », souligne l’influence de la mondialisation sur

l’autorité étatique. Néanmoins, si la mondialisation libère le marché de ses

chaînes, elle ne devrait pas témoigner alors du déclin de l’autorité étatique, car

elle dépasse la souveraineté étatique. La mondialisation capitaliste ne surmonte

pas le modèle antérieur, ni ne se défait de l’intervention de l’État. Elle ne répond

pas à ce que préconisent les néolibéraux, c’est-à-dire faire reculer, voire

disparaître toute intervention de l’État sur le marché, et réduire de ce fait le

pouvoir de l’État-nation. En revanche, le néolibéralisme tente de modifier le rôle

de l’État-nation, en souhaitant que celui-ci se subordonne à la logique du marché.

Autrement dit, sous l’angle du néolibéralisme, l’État joue encore un rôle important

dans le processus de la mondialisation.

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Cela veut dire que le capitaliste ne maintiendra une accumulation solide et

durable du capital que s’il s’attache à une relation réciproque avec l’État. La

mondialisation capitaliste nécessite finalement une collaboration avec l’État. Plus

précisément, la mondialisation ne réussira qu’avec un système social équilibré.Les capitalistes se servent de la force de l’État-nation en vue d’instaurer un

marché mondial, et d’accumuler des capitaux et pour contrôler par voie de

monopole le marché mondial. Si l’État dominait plus strictement la société, cela

profiterait à la reproduction et la monopolisation du capital. L’État-nation modifie

sa fonction pour se conformer les défis de la mondialisation économique. Ainsi,

le rôle de l'État a toujours consisté, tant au niveau de sa forme que de sa

légitimité, à gérer la fracture sociale (selon l’expression d’Emmanuel Todd62

) queprovoque inévitablement l'activité économique de la grand entreprise. L’État

disparaît non pas à cause de la mondialisation, mais plutôt l’accompagne

étroitement. La mondialisation est l'intégration accélérée et générale des

marchés, du capital et de la production, un processus qui vise à générer des

profits pour les grandes entreprises.

Par conséquent, rendre prioritaire le marché par rapport à l’État, que le

marché remplisse le rôle de l’État, amène à un paradoxe. La mondialisationconduit de plus en plus à unifier les moyens de production et à un marché global.

Néanmoins, la politique se limite encore dans le cadre d’un État particulier. Cela

veut dire que la mondialisation économique cherche à dépasser le cadre de son

État mais dépend de plus en plus de son autorité et de son influence. D’une part,

elle espère dépasser les frontières fixées par les États, mais d’autre part, elle a

besoin d’emprunter nécessairement la force de l’État, sinon elle perdrait la

protection de celui-ci. Ainsi, nous ne pouvons pas imaginer une mondialisationéconomique sans la force de l’État. En revanche, quand l’extension du capital et

62  Selon E. Todd, la « fracture sociale » prend au moins trois significations. À l’origine - et sansdoute encore pour le candidat à la présidence - c’était ce qui séparait les exclus d’un monde declasses moyennes satisfaites. La deuxième « fracture sociale » a été le référendum surMaastricht qui a vu la France se couper en deux. Il y a eu une différence de comportementpolitique entre les milieux populaires et les classes moyennes. Voir, La troisième « fracturesociale » résulte d’un glissement de sens durant les émeutes des banlieues en 2005.

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l’action économique de l’État ne marchent plus sur le même pied, ce dernier

n’offre plus un environnement favorable à la production, ce qui constitue un

danger double pour la mondialisation. À savoir, elle ne pourra plus accumuler

pas les capitaux, ni étendre les marchés.

Tout cela donne lieu au fait que le développement technologique modifie

aussi le caractère de l’État. Celui-ci encourage la libre concurrence du marché,

en vue de maintenir la compétitivité et réaffirmer la légalité de son pouvoir. D’un

côté le pouvoir étatique est en train de se diluer à cause de la montée des

organisations transnationales, mais d’un autre côté, l’État accroît sa puissance

pour créer un environnement économique favorable. L’État attache tant

d’importance à l’économie qu’il tend à négliger le social. Cela conduit aussi àsubordonner la logique politique à la logique économique, alors, la protection

sociale se trouve réduite à la propriété privée.

S. Amin dénonce le fait que l’union européenne actuelle ne constitue pas

une organisation économique complète, elle s’avère donc encore bien loin de la

communauté politique. S. Amin définit la véritable organisation transnationale,

comme devant combiner la politique et l’économie. L’union européenne ne doit

pas seulement former une simple organisation économique, ni se borner à une

institution politique ou à des composantes nationales. À ses yeux, l’union

européenne actuelle est seulement un grand marché. L’UE se réfère

explicitement à la nécessité de protéger et développer l’économie de marché,

avant d’y incorporer la légalité et les droits de l’homme ainsi que la protection

sociale. Elle est en train de contredire l’idéal de l’UE à la pointe de la

libéralisation et de la démocratisation, ce qui renvoie évidemment pour une part

au libéralisme affirmé de la construction européenne. Elle ne représente pas unnouveau système mondial, puisque les modes de production et la logique de

base n’ont pas réellement changé par rapport au XVIème  siècle. L’union

européenne n’a pas inauguré un nouveau moyen de production européenne, ni

une substance européenne, elle n’est qu’une simple copie du modèle

anglo-saxon.

Me voilà arrivé au moment de conclure, les néolibéraux vantent « la fin de

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l’État » et s’enthousiasment pour l’économie pure. Cependant, c’est un prétexte

fallacieux.

En premier lieu, l’État maintient encore la fonction de protéger la propriété

privée, la mondialisation réduit seulement l’intervention étatique sur le marché.

Elle n’affaiblit pas toute la domination étatique sur la société, l’État renforce

même son contrôle sur le domaine social afin de créer le marché stable.

Autrement dit, le marché libre lève uniquement les contraintes dans le domaine

économique, il ne touche pas le domaine social face à la mondialisation. En

raison de la priorité accordée au marché, au lieu d’exiger de l’État de desserrer la

surveillant sociale, et tend plutôt à la renforcer, voire à l’excès.

En deuxième lieu, l’État ajuste sa fonction afin de s’adapter aux

conséquences de la mondialisation, cette coordination représente une stratégie

pour contenir la légalité de gouvernance de l’État. Ainsi, nous ne pouvons pas

simplement considérer cette coordination comme un triomphe du marché libre.

En revanche, elle est une tromperie de l’État pour se rapprocher du capitaliste.

Quelle que soit la stratégie adoptée, quelle que soit la subordination au marché

libre, cela révèle que l’État tente de reprendre le pouvoir lorsqu’il rencontre face à

la mondialisation et qu’il tombe dans une crise politique, résultant de la logique

du marché. Parce que la mondialisation est, en fait, une logique du concept

économique. Les affaires politiques se conformeraient à la logique du marché, ce

qui renouvellerait ainsi la fonction de l’État-nation.

Le néolibéral tente de distinguer le marché, la politique et la société, afin

d’accomplir un miracle : établir un marché pur. Celui-ci d’une part, limite le

pouvoir de l’État ; d’autre part, échappe à la responsabilité sociale. Comme

Bourdieu montre, le néolibéralisme est une pure fiction mathématique, fondée,

dès l'origine, sur une formidable abstraction : celle qui, au nom d'une conception

aussi étroite que stricte de la rationalité identifiée à la rationalité individuelle,

consiste à mettre entre parenthèses les conditions économiques et sociales des

dispositions rationnelles et des structures économiques et sociales qui sont la

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condition de leur exercice63.

En somme, la mondialisation prône une liberté sans restriction, elle se

présente comme ce qu’il y a de mieux pour la société humaine. Comme Bourdieu

fait observer que : la mondialisation libérale visant à mettre en question toutes

les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur :

nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail,

avec par exemple l’individualisation des salaires et des carrières en fonction des

compétences individuelles et l’atomisation des travailleurs .64  

Même si la mondialisation retourne à l'employé et les salaires le couteau

dans la plaie, elle élude aussi totalement les responsabilités sociales. Elle tente

de changer la propriété commune en propriété privée, à savoir, les services

publics entrent dans le secteur privé. Au lieu de l’État, l’entreprise privée possède

les ressources sociales, toutes les dimensions relèvent de l’entreprise privée,

l’intérêt public devient une priorité privée. La logique marchande mondialisée a

confisqué l’universalisme pour promouvoir de l’uniforme plus que de l’universel65.

Elle exige en même temps de l’État de réduire les budgets consacrés à la

protection sociale et de faire reculer les domaines de l’éducation, de la santé, de

la pension et du domicile. Néanmoins, selon la logique du capitalisme, personne

ne désire se charger de la responsabilité sociale, une telle logique mène à

l’inégalité sociale et donne lieu à la polarisation sociale. En d’autres termes, la

logique du marché aggrave la fracture sociale, à savoir, les inégalités

économiques et sociales dans notre société. L’entreprise gagne plus de profits à

court terme, toutefois, la société subit fréquemment l’incertitude et l’inégalité, ce

qui contribue à détruire l’environnement d’investissement, l’entreprise privée ne

produit donc aucun gain à long terme. Ainsi, le marché ne dissocie pas possiblel’État, il dépend inévitablement d’une puissance pour créer les meilleures

conditions de reproduction.

63 P. Bourdieu, L'essence du néolibéralisme, Le Monde Diplomatique, mars 1998.64 P. Bourdieu, Contre- Feux , Seuil, Paris, 1998, p.11065 D. Bensaïd, Fragments mécréants: Mythes identitaires et république imaginaire, ligne, 2005,p.16.

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À l’instar de S. Amin, nous estimons que la priorité de l’économie sur la

politique, représente un important facteur de crise de l’Europe actuelle. Sous la

logique de la mondialisation capitaliste, la chose politique commune devient une

bagatelle, elle oppose l'individu citoyen à l'individu consommateur. Les mesurespolitiques sont condamnées si jamais elles lèsent les intérêts du marché. C’est la

raison pour laquelle S. Amin se montre pessimiste quant à l’avenir de l’UE, il

pense que la relation entre l’État et le capitalisme est comme celle d’une

conspiration mutuelle. Face cette situation, les actions politiques collectives

traditionnelles (la grève générale, la manifestation, la négociation collective et la

réforme de la démocratisation) sont à rejeter, puisqu’elles vont à l’encontre du

principe du marché. Par conséquent, les affaires publiques deviennent uneaffaire morale, la protection sociale devient une affaire de la charité. Elle perd

son sens originel de société solidaire, et constituent un critère de discrimination

légale66. La mondialisation que nous vivons n’est qu’une mondialisation partielle:

ce qui est mondialisé, c’est le capital, et les réseaux politiques à son service.

L’État devient un fantôme, en même temps, que disparaissent le code du travail,

le mécanisme démocratique, l’espace commun…

Autrement dit, l’UE actuelle souffre d’un manque de mécanismedémocratique, ce qui conduit à un déficit au niveau du processus de décision et à

une rupture de la démocratie. L’État perd peu à peu la légitimité de l’autorité, il

est mis en cause sur le plan de la légalité et de la capacité. Un pays particulier ne

peut plus protéger ses citoyens, car les décisions viennent de l’étranger. Elles

sont censées profiter au peuple des États puissants et sont contredites dès lors

qu’elles sont appliquées aux citoyens des pays faibles. La décision n’appartient

plus aux populations qui subissent pourtant les conséquences de ces décisions.Les populations influencées par ces décisions et les décideurs appartiennent à

des groupes différents, d’où un déficit de démocratie. Le citoyen ne dispose plus

d’espace, ni de voie pour engager le processus de décision. Toutes les

possibilités et les décisions sont monopolisées par les institutions

66  M. Husson, « Le nouveau cadre théorique de la Banque Mondiale  », La Gaule, 11 août 2003.

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transnationales et les États puissants.

Balibar a le même souci, il pense que la politique et la démocratie sont en

train de reculer, si jamais le noyau de l’UE n’accomplit que l’intégration

économique ou ne se dirige pas vers la politique, une telle communauté politique

se trouve forcément vouée à l'échec. Il estime aussi que le néolibéralisme

(ultralibéralisme) introduit une rupture dans la « social-démocratie » européenne,

cela se satisfaire économiquement souhaitable. Cependant, un démantèlement

complet des régimes de sécurité social européens serait synonyme d’exclusions

insupportables et peut-être d’explosions politiques. Le processus de formation

d’une « sphère publique », à la mesure des enjeux de la politique mondialisée a,

non pas progressé, mais régressé en une dizaine d’années. C’est conduirel’Europe vers un conservatisme européen.

De même, Balibar observe que l’UE se trouve au niveau d’une rupture entre

les droits fondamentaux et la citoyenneté de constitution. Pour lui, l’UE se réduit

au niveau des institutions et à une constitutionnalisation étriquée, l’UE ne

représentera un progrès que si elle renferme des droits fondamentaux. En ce

sens, il préconise l’idée que l’UE contribue à la constitutionnalisation des droits

de l’homme et les droits fondamentaux. Cela inscrira l’UE dans la qualification du

citoyen, du coup, elle n’apparaîtra plus comme une composition de nations, mais

plutôt comme une constitution de la citoyenneté67. La vision de Balibar implique

manifestement que la Communauté européenne – au sens social et politique–

doit être quelque chose de fondamentalement différent d'un État-nation ordinaire.

Par conséquent, il soutient que la construction européenne dépend de la

possibilité d’inscrire dans une « constitution » progressive de la citoyenneté,

c’est justement souligner cette alternative radiale, où l’Europe institue lacitoyenneté sociale sur des bases plus solides et plus larges que

précédemment68.

67  É. Balibar, Europe Constitution Frontière, Passant, p.84.68 É. Balibar, Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières, l'État, le peuple, Paris, La Découverte,2001, pp. 299-301.

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Il n’y a de marché parfait qu’à la condition d’un système politique solide. À

savoir, une stagnation de la structure politique, freinera d’autant le

développement économique, sinon aucun projet du marché unique d’Europe ne

pourra voir le jour. En d’autres termes, la nouvelle communauté politique devraits’établir obligatoirement sur une relation  synchrone entre l’économie et la

politique, à savoir, la réintroduction de l’économique dans l’écologique, le social

et le politique. La mondialisation du capitalisme représente seulement une

première échelle de la nouvelle communauté mondiale. Dans cette étape, oublier

que l’État joue un rôle important, c’est se montrer aveugle. Parce que l’histoire

moderne démontre que l’économie se conforme au développement de la

politique et la société. C’est-à-dire, un moyen de production de pays et unsystème politique d’État coïncidant ensemble dans l’histoire de l’économie

politique. En conséquence, la mondialisation capitaliste est seulement une partie

du système mondial par rapport au processus historique de l’État-nation

moderne antérieur. D'après cette définition, une nouvelle communauté ne doit

pas revêtir qu’une dimension économique.

Tout ce dont nous avons discuté témoigne que, à l’aune de la mondialisation,

l’État-nation est une unité élémentaire pour reformuler une institutiontransnationale. Nous admettons que la mondialisation capitaliste influence

l’État-nation et la souveraineté. Néanmoins, nous percevons clairement que

l’État-nation et la souveraineté possèdent encore le noyau de la force au sein de

la politique intérieure et extérieure. Si la technologie et les slogans prônant un

monde « sans frontière » diminuent dans une certaine mesure la puissance

étatique, cela n’empêche pas d’analyser le monde au travers de la structure de

l’État-nation et de la souveraineté. Même si envisageons l’État-nation commeune communauté politique achevée, l’État-nation moderne n’en constitue pas

moins encore un produit de la conscience collective, il est un agent de la volonté

générale et dispose de la légalité. Ce nouveau rôle donne lieu de croire que

l’État-nation changeant sa forme et sa fonction, existe encore sous la

mondialisation. C’est-à-dire que l’État-nation joue encore un rôle de distributeur

ou celui de coordinateur, tant dans le système vieux que dans le nouveau

système mondial de la mondialisation capitaliste. Par conséquent, l’État-nation

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ne disparaît pas avec le développement de la nouvelle communauté politique,

mais plutôt joue un rôle indémontable.

L’État est impliqué dans le processus de la mondialisation, il devient un

maillon de nouvelle situation du monde. La nouvelle forme de division du travail,

et nouvel échelon de la politique internationale, nous oblige à redéfinir la

souveraineté étatique qui aujourd'hui ne se conforme plus la nouvelle figure

mondiale. La théorie de Hobbes nous éclaire sur un point: même si sous la

mondialisation, l’État peut coordonner et renforcer les intérêts communs, il peut

construire aussi un monde de la souveraineté dans un ordre parfait, celui-ci

permettra de résoudre des conflits possibles par des moyens pacifiques.

Autrement dit, la nouvelle communauté n’évite absolument pas les conflits, maiselle peut les arranger. L’autorité ne marche que si elle est appliquée et converge

vers des intérêts communs, cela permet de dénouer les conflits en faveur de la

non-violence, nous pouvons développer une pensée créatrice et trouver des

actions concrètes qui modifieront les systèmes économiques et politiques pour

passer d'une mondialisation capitaliste à une mondialisation solidariste, d'une

logique de pillage à une logique de partage.

Par conséquent, la mondialisation est en train de reformuler la forme de

l’État-nation. Le mondialiste s’oppose à l’autonomie, mais l’un et l’autre,

construisent une nouvelle substance dans le processus de la mondialisation. En

se mondialisant, chaque pays se passe de son autonomie. C’est comme une

réponse des anticorps, l’autonomie est un anticorps dans le processus de la

mondialisation. La différence consiste en ceci, la mondialisation instaure une

certaine homogénéité, par contre, l’autonomie implique l’hétérogénéité. Il en

résulte que la mondialisation ne résilie pas l’autonomie de l’État, en revanche, lamondialisation l’accentue. Le défi de la mondialisation est de conférer un

nouveau sens à l’autonomie de l’État, qui est en train de se recomposer dans le

processus de la mondialisation. Il faut tenter de réaliser une altermondialisation

par rapport à la mondialisation du capital, capable de synchroniser la politique et

l’économie.

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Chapitre III

Déterritorialiser ou démocratiser la frontière ?

Nous avons traité dans le deuxième chapitre de la faillite des systèmes

sociaux dans le processus de mondialisation capitaliste. Les institutions

transnationales influent sur la souveraineté étatique et la frontière de l’État-nation(et par voie de conséquence sur le mécanisme de la démocratie). La structure de

l’État se modifie, de même que la stratégie des mouvements sociaux et plus

largement la société civile. La forme et le caractère de la vie politique se trouvent

en voie de transformation. Un vote transnational bouleverse le cadre mondial et

influe sur la vie ordinaire des populations de nombreux pays. La mondialisation

rajuste la structuration mondiale. Le monde ne se fonde plus sur l’État-nation,

mais doit se considérer comme « un tout ». Nous ne pouvons non plus concevoirle monde dans le cadre d’un État particulier, mais par rapport à celui de la

multinationalité ou transnationalité. La mondialisation oblige à réfléchir à la

souveraineté, à l’identité du citoyen, à la frontière et à la réorganisation

polycentrique des champs socio-juridiques.

L’État s’adapte pour se conformer aux défis de la mondialisation. Le pouvoir

étatique se sert des nouvelles technologies pour renforcer le contrôle des

frontières. La mondialisation ne fait pas disparaître la souveraineté étatique et lafrontière. Le pouvoir et la frontière sont devenus ainsi plus invisibles. Ces

nouvelles technologies constituent, en fait, le véritable facteur d’affaiblissement

de l’action politique collective. La technologie génère la biopolitique, elle introduit

une forme d’apartheid intérieur en fournissant des capacités accrues de

surveillance panoramique et d’immigration recolonisée. Autrement dit, la frontière

ne disparaît pas, elle se transforme et devient invisible. Elle pénètre dans la

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structuration physique et incorporelle. Telle se présente la véritable difficulté de

l’action politique collective qui a pour conséquence la transformation simultanée

de la stratégie et la cible des mouvements sociaux.

Nous commencerons par réfléchir sur la souveraineté, la frontière et

l’organisation transnationale, en considérant les agressions dont souffre

l’État-nation à cause de la mondialisation. Ces attaques remettent en cause la

protection sociale, l’identité citoyenne et les mécanismes démocratiques.

Auparavant, les mouvements sociaux traditionnels agissaient dans un cadre

national, dans un pays donné, afin de désunir l’appareil étatique et contrer les

classes dirigeantes. Aujourd’hui, les mouvements sociaux revêtent un mode de

lutte transcendant les frontières, en rassemblant des peuples de pays divers afinde s’opposer à la gouvernance globale. Les mouvements sociaux apparaissent

comme des mouvements transnationaux qui ne semblent pas se constituer,

comme les anciens États-nationaux, à partir d’une langue et d'une culture

unique. Les conflits ne se déroulent plus dans le cadre d'un territoire fixe face à

un ennemi commun bien défini. Ils se caractérisent par la diversité de langues et

la création d'identités multiples. Les conflits s’étendent socialement et intègrent

de plus en plus d’organisations, de mouvements et d’associations ou de courantspolitiques. La gouvernance globale se renforce au sein d’un nouvel ordre global :

l’importance du mouvement dépasse le cadre de l’État et de la société.

Dans ce chapitre, nous envisagerons la fin de l’État-nation dans une ère

mondialisée, à partir de la dimension économique. Nous réfléchirons et mettrons

en cause le discours d’« un monde sans frontière », vanté par le néolibéralisme.

Nous soutiendrons que le monde apparaît comme un champ de forces

multiples. Auparavant, la conception du « monde » se définissait à partir d’un

encadrement de la loi. L’ordre mondial se fondait sur la loi internationale. Les

institutions supranationales représentent à la fois la forme et le produit de la loi.

Lorsque que nous discutons des changements et des effets de la mondialisation,

il ne faut pas se focaliser sur l’évolution des relations internationales, ni sur

l’impact du libre échange, mais plutôt envisager la question de façon radiale, à

savoir, quelle conception du monde émerge et influence la mondialisation ?

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Le monde et la souveraineté se définissaient autrefois en fonction du contrat

social ou du pacte international qui se révèlent désormais inadaptés. Quel est

l'avenir du concept du monde ? D'un côté, la mondialisation des échanges et la

constitution d'autorités supranationales battent en brèche les compétencestraditionnelles de l’État. D’un autre côté, ce dernier se trouve menacé par le

régionalisme et la décentralisation.

Nous tâcherons d’abord de réfléchir à la restructuration du monde à

l’épreuve de la mondialisation. Si les critères de la loi ou de l’économie

disparaissent, d’où vient maintenant la souveraineté ? Quel est le cœur de la

politique dans le contexte de la mondialisation ? Peut-il exister un monde sans

frontière ? Pourrions-nous dresser encore la frontière sous l’ère de lamondialisation ? Qui sera en mesure de la dresser ?

Dans la partie 3.1., nous examinerons les théories ayant trait à la fin de

frontière, sous l’angle des économistes et des géopoliticiens. Paul Krugman

propose le concept « d’intégration de l’économie mondiale ». Kenichi Ohmae

préconise l’« État régional », tandis que Bertrand Badie soutient un système

« polycentriques ou multipolaires ». Nous conclurons sur ces théories en

montrant qu’elles insistent sur l’institution transnationale, par laquelle peut exister

un monde sans frontière et la disparition de la souveraineté étatique. 

Dans la partie 3.2., nous examinerons l’autre théorie typique de la sans

frontière. Dans la section 3.2.1, nous introduirons la théorie de la

déterritorialisation chez Negri. Réinterprétant l’idée chez Deleuze, Negri pense

que l’ère de l’« Empire », le monde serait la déterritorialisation. Dans la section

3.2.2. Nous emprunterons l’idée de la « démocratisation de la frontière »

développée par Balibar, qui nous permettra de pondre aux questions soulevées

par la frontière.

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3.1. La régionalisation et le multilatéralisme contribue-t-elle à la disparition

de la frontière ?

Dans cette section, nous discuterons de la relation paradoxale entre

l’extension capitalistique et la frontière. La mondialisation capitaliste occasionne

une transformation de la frontière. Les économistes préconisent un monde sans

frontière. Un tel monde serait fondé sur un marché mondial et non plus sur la

souveraineté étatique. En dehors des économistes, les géopoliticiens imaginent

également un monde sans frontière, qu’ils voient multilatéral ou polycentrique.

Dans la section 3.1.1, nous analyserons ces photocalques de nouveau monde

sans frontière.

Nous mettrons à l’épreuve la question de la frontière, de la « réorganisation

du monde » ou de la « recomposition des États » à partir des points de vue du

« régionalisme économique » et du « multilatéralisme ». Concevoir

l'accomplissement du déclin de la souveraineté étatique uniquement à partir de

l’économie et de la diplomatie empêche de saisir l’essence de la frontière.

Comment alors construire un nouveau monde capable d’inclure et d’intégrer les

fonctions du niveau local au niveau mondial ? Comment rétablir un système de

résistance ? Parler de mondialisation oblige à concevoir un nouveau

matérialisme du monde à venir. Pouvons-nous encore songer à la perspective de

l’abolition des guerres, comme Kant l’envisageait dans son projet de paix

perpétuelle ? La suppression des conflits entre les États doit passer par une

étape supplémentaire de la souveraineté.

3.1.1 Extension des capitaux et marché sans frontière

Le monde se fondait auparavant sur un territoire fixe, délimité par des

frontières, partagé entre les États-nations. Aujourd’hui, les situations de

monopole, frontières et autres barrières commerciales sont perçues comme de

graves obstacles pour l'extension capitalistique (circulation des capitaux). Pour le

capitalisme, l’État-nation représente simplement une étape de transition. Les

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deux renferment une contradiction essentielle, au début, le capitalisme a

prolongé son territoire grâce à la force de l’État, mais il buta finalement contre la

frontière. Cette dernière est devenue un obstacle pour le capitalisme.

L’État-nation servait de cadre pour le monde moderne, or la mondialisationcapitaliste a contribué à vider ce cadre. La souveraineté des États s’est érodée.

L’État perd ainsi le contrôle sur le développement économique global. Face à la

force du capital, l’État joue un rôle paradoxal et se trouve devant deux choix : se

fondre dans la logique capitaliste ou se transformer. Les États-nations s’intègrent

à un État suprême qui renforce son pouvoir. La logique du marché mondial ne

renvoyant ni à un intérieur, ni à un extérieur, les problèmes internationaux

deviennent des affaires intérieures. Tant le marché mondial que l’impérialismesuivent alors une logique identique.

L’extension du capital bute non seulement sur la frontière, mais aussi sur

celle du système politique (institutions sociales…). L’une est corporelle, tandis

que l’autre est invisible. Le capital doit surmonter la frontière à l’aide des

nouvelles technologies, même si celles-ci demeurent incapables de résoudre les

obstacles issus du système politique. L’action économique transnationale est

obligée de résoudre les obstacles politiques et sociaux. L'édification d'unmarché global nécessite un système politique adapté. Chaque pays abritant des

conditions sociales différentes, les mesures politiques ne peuvent pas toutes

convenir aux attentes du capitalisme transnational. L’État-nation se voit obligé de

consentir à des concessions vis-à-vis du capital transnational. Le rôle de l’État

évolue afin de favoriser la prospérité des régions économiques nationales et

assurer la pérennité économique de la nation. La mondialisation économique

bouleverse la conception de territoire traditionnelle pour la substituer par celle demarché global. L’État-nation perd ses prérogatives dans le processus de

décision politique. De tels bouleversements ébranlent ainsi la souveraineté.

Le dépassement de la frontière et le système politique réclame en même

temps un espace fluide et une institution de coordination et de distribution

mondialisée, à savoir une organisation appartenant au marché mondial. En ce

sens, la mondialisation économique prolonge à la fois du marché et renforce les

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organisations transnationales. L’extension du marché et des organisations

transnationales vont toujours de pair et évoluent en symbiose. Le capital les

projette dans son extension, ce qui signifie l’obsolescence de l’État-nation. Les

limites, tant du territoire corporel que des systèmes politiques « invisibles »,doivent être surmontées. Le marché mondial et les organisations transnationales

s’opposent donc dans leur essence à la conception de l’État-nation. La force du

capital élargit l’espace de circulation qui dépasse la frontière de l’État-nation

traditionnelle. Le capitalisme globalisé et les organisations transnationales

dominent la politique des pays. La mondialisation capitaliste élargit à la fois

l’espace de la circulation du capital, la coordination internationale et la

prédominance politique. C’est-à-dire que la force internationale devient unfacteur important, elle est maître de la politique intérieure. Les États s’incluent à

un niveau supranational pour en former une partie : chaque État est un membre

international. L’État-nation joue un rôle de coordinateur par rapport à celui de

l’autorité antérieure. Les affaires intérieures et extérieures se confondent.

L’État-nation ne constitue plus un critère discriminant.

La mondialisation capitaliste tend à une intégration de l’économie globale, la

souveraineté se transfère de l’État-nation vers l’organisation supranationale.L’État-nation se soumet à un niveau supranational ou à une organisation

transnationale. L’État-nation devient une partie du chaînon de gouvernement

entre l’institution transnationale et le gouvernement local. Le rôle de l’État en tant

que centre de pouvoir se révèle dépassé, le pouvoir se concentre de plus en plus

entre les mains de pays minoritaires. Ceux-ci se regroupent en alliances

régionales d’États-nations, voire constituent une puissance régionale ou

mondiale, susceptible d’impressionner la communauté internationale par sapuissance économique. Les pays puissants savent qu’ils peuvent compter sur

d’autres pays pour développer un partenariat particulier convenant à son statut

de puissance régionale. Ils détiennent le pouvoir de contrôler les pays faibles.

Cette transnationalité ne constitue pas une forme « d’État mondial ». Bien au

contraire, des structures tout à fait nouvelles se sont créées et favorisent aussi

bien la diversité que la coopération dans le cadre mondial. Ce développement

est basé sur la création d’une nouvelle forme de création de plus-value. Les

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coordinations ou les coopérations encourageant la circulation des capitaux

transforment l’ensemble des domaines de la vie.

La circulation du capital franchit les frontières. La protection de l’État à divers

niveaux implique l’exclusion de personnes du système protection. L’État apparaît

comme un supplément, il rend possible les articulations complétant ces

différences : il joue un rôle de convergence. Il est exigé de la part de l’État de

participer aux institutions internationales, alors que dans le même temps, le

pouvoir et les ressources du gouvernement local sont décentralisés.

L’État-nation relie l’institution internationale et le gouvernement local. Il joue un

rôle de coordinateur, alors qu’autrefois il faisait converger les différentes classes

au sein d’un territoire limité. En tant que coordinateur, il se trouve obligé decoordonner son action avec ses partenaires. Si l’État-nation joue encore malgré

tout un rôle important, les institutions internationales comme l'unique remède

pour résoudre le problème de la mondialisation. Cela ne signifie pas que l’État

disparaisse ou qu’il soit remplacé par une institution transnationale. En

centralisant la puissance, la souveraineté de l’État-nation devient floue, la

frontière est décidée par d’autres pays dominants. L’État-nation ne dispose alors

plus du pouvoir suprême, il en résulte une conception différente de la frontièrequi n’est plus déterminée par un État souverain, mais plutôt par les grandes

puissances et les organisations internationales. Ce sont les puissances qui

déterminent réellement le dedans et le dehors. La frontière ne désigne plus le

territoire de l’État-nation, mais définit l'ampleur de la domination des pays

puissants. Les pays les plus faibles sont engloutis par les grands opérateurs des

organisations supranationales. Les conséquences potentielles qui en résultent

permettent un accroissement des richesses, mais aussi des conflits, de laviolence, de la destruction et des guerres... Le monde « poli » décrit par le

néolibéralisme s’avère donc illusoire.

Une époque post-nationale semble s'ouvrir à nous. Le système du monde

basé sur la conception de l’État-nation née au 17e siècle en Europe semble en

voie d’anéantissement. L’ère post-nationale ne confère plus à l’État-nation le rôle,

au sein d’un territoire particulier, d’intégrer le politique, l’économie, et la société.

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Les tendances évolutives viennent modifier une constellation historique qui

s’était distinguée par le fait que l’État, la société et l’économie étaient coextensifs

à l’intérieur des mêmes frontières nationales. Le système économique

international se transforme en une économie transnationale. Ce qui compte ici,c’est en premier lieu l’accélération des mouvements de capitaux partout dans le

monde et l’évaluation sans appel des lieux de production nationaux par les

marchés financiers organisés en réseaux au niveau mondial. L’époque

post-nationale tend à supprimer les liens constructifs qui, à l’intérieur des

frontières de l’État-nation, relient la politique et les systèmes juridiques aux

circuits économiques et aux traditions nationales. L’État se trouve de plus en plus

empêtré dans les interdépendances de l’économie et de l’internationale.L’État-nation perd à la fois son autonomie, sa capacité d’action et sa substance

démocratique. Ce produit à nouveau de la violence et remet en question des

structures communes.

La mondialisation capitaliste contredit fondamentalement l’État-nation, les

organisations transnationales sont nées de cette contradiction. Le monde est

considéré comme unique, les organisations transnationales servent à lever les

obstacles établis par l’État-nation. La mondialisation capitaliste et lesorganisations transnationales brouillent la frontière de l’État-nation traditionnel et

invitent à une communication des affaires internationales sans obstacle. Elles

tentent même de regrouper un monde en une société unique. De ce fait, la

mondialisation économique redéfinit la fonction de l’État-nation, de l’économie à

la politique et de la société : elle reconstruit sa propre figure du monde.

3.1.2 Un monde sans frontière sous l’angle des économistes et les

géopoliticiens

Ce que nous avons montré ci-dessus nous a permis de saisir les caractères

de la mondialisation : la fluidité s’oppose essentiellement aux frontières de

l’État-nation. Elle s’inscrit dans la nouvelle forme que prend l’entreprise

transnationale dans le cadre du marché mondial ; elle bouleverse l’État-nation

dont la forme fondamentale consiste à se fixer un territoire ; elle renforce les

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effets transfrontaliers. Le caractère du capitalisme réside dans l’extension

permanente, elle se suffit à l’envie intérieure de se servir de l’exploitation

extérieure. Au travers de l’élargissement de l’espace extérieur, le capitalisme

résout la contradiction intérieure de l’hyper-accumulation. Dans ce processusd’extension du capitalisme, l’espace devient une partie de la stratégie du

capitalisme, ce nouvel espace remplit et retarde les crises du capitalisme. En

levant tous les blocages anciens (taxes douanières, obstacles financiers, etc.), le

capitalisme poursuit l’édification d’un marché mondial, abolissant la frontière

entre marché intérieur et marché extérieur. Face à la logique du capital, le monde

devient « un tout », tous les endroits extérieurs où il se capitaliserait

deviendraient un intérieur : il n'y a plus d’extérieur. Si la frontière tombe, lemonde ne comporte plus ni d’intérieur ni d’extérieur pour former une sorte de

surface polie.

((((A))))  « Intégration de l’économie mondiale » et « État régional »

Les économistes proposent une nouvelle définition de l’État, afin d’expliquer

les bouleversements du monde induits par la force économique. P. Krugman, un

partisan de la mondialisation économique, insiste sur l’intégration du marché. Ilpropose une théorie de la « nouvelle économie géographique. »  69  L’économie

géographique vise à fournir des clés pour mieux saisir les relations complexes

liant mondialisation et inégalités spatiales. Il nous rappelle que l’État-nation se

fonde aussi sur une conception de l’espace, le commerce international

représenterait alors une action au sein de l’espace. Il emboîte ainsi le concept de

l’espace au commerce international, désormais, ce dernier ne désigne plus une

action entre pays différents, mais favorise la circulation dans un cadre spatial. Lamondialisation produit un effet évident, à savoir l’émergence d’un

« espace-temps comprimé ». Ce dernier modifie les conceptions du territoire, de

l’État-nation, de la région et du local, qui ne se distinguent plus aussi facilement

69  Voir, P. Krugman, Geography and Trade , Cambridge, MA: MIT Press, 1991; P. Krugman,“Increasing Returns and Economic Geography”, Journal of Political Economy, 99, (1991),483-499.

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qu’auparavant. L’organisation traditionnelle se renouvellera grâce à la force

capitaliste, qui absorbe et assimile l’espace adjacent.

La mondialisation capitaliste intègre les moyens de production et les

politiques économiques de toutes les régions du monde, elle concentre une force

suprême. En transformant le système économique, la mondialisation capitaliste

devient maîtresse des organisations qui lui permettent d’agrandir les espaces

qu’elle contrôle. L’État ne maîtrise plus le commerce international, ce dernier ne

définit plus la relation entre les pays, mais se limite à la circulation des biens

échangés dans l’espace. L’économie impose une conception de l’espace qui ne

s’accorde plus à la souveraineté politique : elle définit une circulation sans limite.

La frontière ne doit plus exister, le commerce doit se dégager de la souverainetéétatique et se replacer dans la conception abstraite d’un espace sans État.

L'espace de liberté, de sécurité et de justice élimine les contrôles aux frontières

intérieures, permettant la libre circulation des personnes et des marchandises.

L’espace commercial équivaut ainsi à l’espace mondial.

P. Krugman propose ainsi un concept « d’intégration de l’économie

mondiale »: les obstacles commerciaux de plus en plus délimitent les pays. Les

facteurs de la production : force du travail, matériaux, et capitaux, circulent

librement, ce qui permet d’intégrer peu à peu les marchandises, les services et

les ressources, afin de développer un marché intégré. Les gouvernements

deviennent un conjoncteur pour la régulation. Les pays adjacents forment des

économies régionales, que ce soit l’ALENA (Accord de libre-échange

nord-américain), l’EFTA (European Free Trade Association ), ou l’ASEAN. De

plus en plus d’États et de régions s’intègrent et se plient ainsi aux règles du

marché. L’intégration économique influence la redistribution et le choix de larégion industrielle : elle guide le développement économique régional. Cette

régionalisation engendre une recomposition géographique de l’économie. Ces

mécanismes d’intégration permettent un partage légal des fruits des échanges

de valeurs, de biens et d’idées. La nouvelle construction mondiale s’appuie sur le

principe du marché. L’État, qui joue le rôle d’ajustement constitue simplement

une partie du marché mondial. L’État se subordonne aux décisions des

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entreprises transnationales et des groupes industriels. P. Krugman pense qu’il

n’y a plus de compétition entre les États, mais entre les entreprises. Le rôle de

l’État est assumé finalement par l’entreprise transnationale.

L’économiste politologue japonais K. Ohmae se fait l’écho des thèmes

développés par P. Krugman. Pour lui, dans le monde d’aujourd’hui, deux forces

existent, celle du marché mondial et celle de l’entreprise transnationale. Ces

forces ne subordonnent pas de l’État, car la taille des États et des entreprises

transnationales ne peuvent pas être mises sur le même plan. L’État doit donc se

cantonner au rôle d’un gouvernement local. L’économie n’est pas soumise à un

État particulier, mais au contraire, c’est ce dernier qui forme une partie du

marché mondial, il n’est plus maître de l’économie mondiale. L’État est obligé dese subordonner et s'ajuster à l’économie mondiale. L’État est censé prendre des

mesures efficaces et fournir des services publics utiles, lesquels favorisent

l’essor économique. S'il n’est pas efficace, il n’est pas nécessaire.

K. Ohmae appelle à examiner le déclin de la souveraineté à partir de quatre

dimensions : investissement, industrie, technologies de l’information et

consommation domestique 70 . La force du marché franchit les lignes de

l’État-nation, les frontières ou les remparts commerciaux. Cela traduit également

un partage du pouvoir et de la souveraineté. La force du marché repose sur

l’autodétermination économique et contrôle la décision politique de l’État-nation.

K. Ohmae explique la perte de pouvoir de l’État-nation traditionnel face aux

entreprises transnationales et à la mondialisation dans son ensemble. Il indique

qu’avec l’apparition croissante de « sous régions », l’État-nation perd son

pouvoir gestionnaire sur l’économie. K. Ohmae nomme une telle forme

économique « État régional » (region state ): l’État-nation recule au profit de l’Étatrégional71. Ces régions s'avèrent à la fois nationales et transnationales, elles

représentent des zones à forte densité économique : à l’intérieur d’un

l’État-nation ou à cheval sur plusieurs d'entre eux. Les modes de consommation

70 K. Ohmae, The End of Nation State: The Rise of Regional Economies, New York: Free Press,1995.71 K. Ohmae, De l’État-nation aux États-régions, Paris, Dunod, 1996.

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produisent des contenus communs et créent une nouvelle identité, de nouvelles

frontières... L’ensemble du monde partage les mêmes marchandises et des

valeurs identiques. Ces valeurs uniques sont une retombée de « l’État

régional ».

K. Ohmae nie la nécessité des organisations politiques, de transition et de

l’État. Il considère que le politique a définitivement été absorbé par le marché.

Une communauté ne se construit pas par la politique, la relation sociale, mais par

l’économie, le mode de consommation. L’économie devrait être totalement

indépendante, livrée à elle-même et assujettie uniquement aux règles du marché.

La logique du marché fait de la valeur ordinaire un critère distinctif. Le marché

mondial et les organisations transnationales dépassent la frontière del’État-nation et remplacent la frontière fixée par la souveraineté. La souveraineté

ne se délimite plus par la frontière, le marché et les puissances transnationales

deviennent les véritables maîtres. La soi-disant fin de l’État constitue en fait une

frontière en voie de changement, sa taille ne dépend plus de la souveraineté,

mais de la marchandisation. Dans un monde sans frontière, les choses circulent

librement : les frontières dépendent du capitalisme. L’État devient impuissant et

asservi complètement à l’économie capitaliste mondiale. Non seulementl’économie mondiale fonctionne en dehors de tout contrôle de l’État, mais la

résistance à la mondialisation est considérée comme futile, voire nuisible au

bien-être économique et social de l'État-nation. L’économie et l’État régional

deviendraient un nouveau cadre pour la souveraineté, ils décideraient le critère

du politique. Autrement dit, il n’existe plus de frontière de la souveraineté étatique.

L’État ne se cantonne plus à un rôle d’harmonie sociale, c’est le marché qui fixe

les nouvelles frontières et désigne les nouveaux dirigeants. Au sein de l’Étatrégional, la frontière dépend désormais de la taille du marché.

K. Ohmae dénonce la gêne qu’occasionne l’État-nation sur la libre

circulation : l’État souverain apparaît non seulement superflu, mais plus encore

comme un obstacle. Il décrit comment les États-nations perdent peu à peu leur

capacité d’acteurs économiques et comment ils sont remplacés par des

institutions transnationales (États-Régions), ensembles plus vastes, plus aptes à

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contrôler les marchés. Dans ces conditions, la fin de l’État-nation semble

nécessaire et tout à fait légitime. Les partisans de la mondialisation soutiennent

l’établissement d’une institution transnationale formée par le marché mondial.

Cette nouvelle institution, d’une part, maintient les conditions favorables pour lesinvestisseurs à l’aide de la puissance étatique, d’autre part, tente de créer un

principe universel dépassant l’État-nation. Ce principe devient l’une des bases

d’un nouveau modèle dominant. Au point de vue économique, la souveraineté

étatique se transforme : elle passe de l’État-nation vers un autre type

d’organisation (supranationale). Cette évolution suppose une dégénérescence

de la souveraineté vers une nouvelle forme, qui consiste à des regroupements

entre des pays voisins et à l’établissement d’organisations transnationales. Cettenouvelle forme contrôle les domaines politique, social et judiciaire. Certains

parlent « d’État mondialisé »72 

((((B))))  « Monde polycentrique » et multilatéralisme

Nous devons indique que la perspective de l’économiste réduit la

mondialisation à un phénomène essentiellement économique, assez librement

piloté par le capital, y compris par les investissements supportant aussi bien laproduction transnationale que les nombreux flux financiers. Cependant, la

mondialisation est beaucoup plus qu’une simple force économique. Elle s’avère

multidimensionnelle : économique, politique, culturelle et écologique... Cette

conception plus large de la mondialisation renvoie à l’idée d’un ordre

international tout puissant dans lequel l’autonomie de l’État a été

considérablement réduite. Une telle intégration régionale diffère de la vision

cosmopolitique néolibérale à l’œuvre dans les relations internationales, car lamondialisation convergerait alors vers les mêmes objectifs : démocratie,

économie de marché, pluralisme culturel, citoyenneté universelle, etc.

La mondialisation capitaliste possède sa propre logique. Elle encourage les

négociations économiques internationales, notamment les projets d’accords

72  Z. Laïdi, « L'État mondialisé  », Esprit, octobre 2002, pp 136-157

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multilatéraux sur les investissements et les autres conventions internationales en

matière économique. Se dessine alors un contexte cosmopolitique cohérent.

L’idée est celle d’une liberté économique globale. Aux yeux des libéraux, la

mondialisation signifie tout à la fois l’émergence d’un système économiqueglobal dépassant le contrôle d’un seul État (y compris les États dominants

antérieurs), l’expansion des réseaux de liaisons transnationales et de

communication sur lesquels les États particuliers exercent peu d’influence.

L’énorme croissance des organisations internationales a la possibilité de limiter

le rayon d’action des États les plus puissants, le développement d’un ordre

militaire global. D’où la nécessité d’aborder plus précisément la question des

relations internationales.La souveraineté moderne apparaît toujours comme duale. En désagrégeant

la force suprême traditionnelle, la nouvelle force naît du passage du pouvoir divin

au droit régalien, puis au pouvoir peuple. Ce processus implique la

transformation de la légitimité dominante et administrative. Si l’État-nation ne

fonctionnait plus, les hommes tenteraient de reconstruire une nouvelle figure du

monde à partir du point de vue des relations internationales.

La mondialisation remet en cause la vision traditionnelle de l’État pour ce qui

touche ses fonctions minimales à l’intérieur et à l’extérieur. À son crépuscule,

l’État s’est vidé d’une bonne part de sa substance politique. La politique et la

société ont déserté l’État : nous pouvons légitimement parler d’impuissance de

l’État. Impuissance extérieure en raison des circuits mondiaux et des

organisations supranationales que l’État ne contrôle pas et qui affectent

l’économie, la monnaie et même la production. Impuissance interne aussi, car

l’État ne peut plus résoudre les nouvelles apories. D’où le besoin d’un nouveausystème de coopération mondiale afin de répondre aux questions dans un cadre

planétaire. C’est pourquoi de nombreux pays cherchent à se regrouper au sein

d’alliances possédant une dimension mondiale.

L’État-nation subit des pressions à la fois intérieures et extérieures et

recherche un mode de coopération dans un processus de désorganisation. Ces

unions manifestent que la structure du monde dans la mondialisation se

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caractérise par une « fragmegration   » (terme inventé par James Rosenau). Il

s'agit d'un monde simultanément fragmenté et intégré, où l’État-nation rencontre

simultanément les pressions venant de l’intérieur et de l’extérieur.

La fragmegration   semble favoriser l’émergence d'une dynamiqueintégrationniste dont le rôle premier vise à résister à la mondialisation. En

matière de décentralisation, de désintégration et de fragmentation, une partie du

pouvoir de l’État est transférée au niveau régional, au sein des organisations non

gouvernementales et supranationales qui se partagent la puissance intrinsèque

de l’État. L’autre partie, au travers de la centralisation, la cohérence, l’intégration,

la puissance de l’État, se concentre aux mains des organisations minoritaires.

L’État-nation subit ainsi simultanément des phénomènes de« conflit-fragmentation » et de « coopération-intégration » dans le processus de

la fusion/scission du monde. L’intégration du marché mondial fracture la société

locale et le marché international. La question du centre ne se focalise plus

uniquement sur le pouvoir de l’État, mais conduit à s’interroger comment celui-ci

modifie son rôle et se conforme à la structure globale. Il se transforme afin de

rebâtir une fonction englobant à la fois les affaires domestiques et les affaires

extérieures. L’État joue un rôle de négociateur dans les conflits entre les affaires

internationales et sociales intérieures afin de lier d’une part la force sociale pour

contenir la vie sociale et d’autre part renforcer l’égalité entre pays afin de parer

aux pressions internationales.

Contrairement au régionalisme économique, les traités de géopolitique

préconisent des relations de coopération entre les pays, car la mondialisation

influe naturellement sur l’État-nation : la souveraineté étatique doit se partager.

La rapidité des flux pousse à instaurer un nouveau système mondial substituantune relation concurrentielle en faveur d’une relation coopérative. Au lieu de la

confrontation ou de la polarisation du monde, cette nouvelle confédération

globale étendrait ainsi la globalité du monde.

Chaque État-nation devient un membre du monde et assume les

responsabilités des affaires internationales, dans le cadre de ce qu’on appellerait

« l’internationalisation de l’État». La mondialisation instaurerait alors un nouvel

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ordre conduisant inévitablement l’État-nation à rajuster sa fonction. Les

organisations internationales, en remplaçant l’État-nation, imposent leur

domination sur l’ordre mondial. Les domaines domestiques et étrangers se

confondent, brouillant ainsi la frontière. Les affaires intérieures et extérieures semélangent et relèvent d’un gouvernement global.

La décentralisation, la désintégration et la fragmentation transforment

l’État-nation en une sous-nation ou un non-gouvernement. Dans le même temps,

à la faveur de la centralisation, la cohérence et l’intégration, le monde tend vers

un étatisme global, un monde à la fois stato-centrés et multi-centrés. À l’ère de la

mondialisation, la crise de la souveraineté se hisse au premier plan des débats

politiques, touche l'ensemble des champs de la frontière de l’État. L’idée consisteen la contestation du rôle de l’État dans ce domaine. Le renouveau de la thèse

supranationale ébranle les formes traditionnelles de l’État en faisant de celui-ci

un modèle de sous-État appartenant à un État composite. Le concept traditionnel

d’État-nation rencontre des limites concrètes. Fondement des relations

internationales et principal cadre d'existence et d'exercice de la souveraineté et

de la démocratie des communautés humaines contemporaines, l’État-nation se

trouve, à la fin de XXe

  siècle, remis en question par les phénomènes derégionalisation et de mondialisation.

Le néoréalisme établit une ontologie de gouvernement global sous l’angle

des relations internationales. La structure internationale dépendrait ainsi de la

force de la politique internationale, à savoir le fruit des rapports de force. L’ordre

international dépend des circonstances, des luttes et des rapports de forces. Une

telle structure décide de la diplomatie et de la stratégie. L’État-nation représente

l’agent principal dans la relation internationale, cependant c’est la position dansla structure internationale qui décide aujourd’hui du rôle de l’État. Le néoréalisme

annonce l’ère de la « migration de la frontière, reconstruction de l’autorité, le

déclin de l’État-nation et la croissance des organisations non

gouvernementales »73. Il évolue au-delà des simples relations d'États à États qui

73  Sur le néoréalisme, Kenneth N. Waltz, Theories of International Politics , Little Brown, 1979.

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ont été au centre de la théorie traditionnelle des relations internationales. Si

l’État-nation possède toujours la souveraineté, son autorité décline dans un

monde plus réciproque où les frontières sont rendues plus floues. Le pouvoir de

l’État se morcelle, un pays particulier ne peut plus se protéger tout seul, ce quiaffecte d’autant la situation internationale. L’ordre international n’est plus fondé

sur le système de l’État-nation, l’État souverain ne représente qu’un type parmi

d’autres au sein des différents types d’organisation politique dans les affaires

mondiales, et il peut être distingué seulement par son statut légal particulier

comme étant indépendant et souverain. Il est toutefois bâti au sein d’un système

« polycentriques ou multipolaires ». Un étatisme sans État devient un agent

décisif dans les affaires internationales. Chaque forme d’institution politique estconçue pour assumer différentes formes de pratiques, il ne faut donc pas se

contenter de mentionner seulement les États souverains. La notion d’hybridité

est souvent employée dans les analyses consacrées au rôle croissant des

acteurs non étatiques et des mécanismes informels de transformation du pouvoir

dans le contexte de la mondialisation. Un tel concept pour les institutions

intergouvernementales rend compte de la complexité des enjeux renfermant à la

fois une dimension territoriale (local/ national/régional/ mondial), une dimension

économique (public/ privé/ mixte/ associatif/coopératif), une dimension sociale

(expression des besoins des pays particuliers à travers leur engagement) et une

dimension politique (individu/citoyen/société).

Pour l'un des auteurs les plus représentatifs de cette école, Bertrand Badie,

un défaut d’intégration internationale (inégalités des richesses ou des pouvoirs)

suscitera des résistances collectives et l’insécurité. C’est la raison pour laquelle

les États puissants butent contre les obstacles personnifiés dans les acteurssus-nationaux (infra-étatique) ou transnationaux. Badie dissèque ainsi la fonction

du Léviathan qui est passée de la communauté politique nationale à la

communauté internationale. Cette dernière est fondée sur un régime

démocratique, établissant l’ordre de la société humaine. Pour lui, faire face à

l’aporie de la mondialisation chaotique implique de réintroduire le

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multilatéralisme, au travers du soutien du multilatéralisme, unique chance de la

communauté internationale d’équilibrer ce déficit de puissance74. L’asymétrie de

puissance et de richesses conduiraient un monde bipolaire à de nouvelles

violences et favoriseraient l’émergence de classes dangereuses. La réaction desÉtats faibles est considérée comme susceptible de « produire de la violence ».

Plus la puissance d’un État se renforce, plus celui-ci se trouve en mesure de fixer

les critères définissant la violence, le terrorisme et le crime. La justice

internationale se trouve ainsi prise en otage.

Bertrand Badie a mis en évidence l'idée selon laquelle « le monde

polycentrique », qui s’oppose tant à une union intergouvernementale (une

confédération) qu’à un État fédéral centralisateur conduit à l'uniformisation et à ladisparition des différences. Cette nouvelle forme de relations d’États à États

instaure un autre monde qui compte une infinité d’acteurs cherchant d'abord à

protéger et à promouvoir leur autonomie et jouant davantage sur la coopération

(ou du refus de coopération) que de la force, et échappant aux normes

traditionnelles de la diplomatie75. Au principe de la souveraineté s’est donc

substitué celui de l’interdépendance des États. Les organisations internationales

reposent sur la multilatéralité, un mécanisme de coordination. L’organisationinternationale peut fournir une certaine autonomie et les organisations

intergouvernementales ne doivent pas seulement être des arènes diplomatiques

où les États poursuivent leur politique de puissance par d’autres moyens. Au

contraire, nous pouvons les considérer comme un ensemble structuré de

participants appartenant à des pays différents coordonnant leurs actions en vue

d’atteindre des objectifs communs 76 . En d’autres termes, le principe de

multilatéralisme doit contribuer à ouvrir une véritable alternative face à cette« impuissance de la puissance ».

74 B. Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999, pp120-122.75  B. Badie.《De la souveraineté à la capacité de   l’État 》in Marie-Claude Smouts (dir.) : LesNouvelles Relations internationales. Pratiques et théories, Presses de Sciences Po. 1998,pp.46-50.76 Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales , Paris, Éd. Armand Colin, 1995, p. 12

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Selon P. Moreau Defarges, la mondialisation s’accorde nécessairement à la

géopolitique. Avec la fin d’un ordre mondial bipolaire et la mondialisation de

l’économie de marché, un questionnement surgit concernant la place à accorder

aux nouveaux acteurs internationaux comme les multinationales et lesorganisations internationales. La mondialisation représente seulement un rêve,

issu du souvenir de la confédération mondiale. Au lieu de limiter l’État-nation, les

hommes pourraient fonder un monde inédit, un monde multilatéral. Moreau

Defarges souligne la distinction entre le multilatéralisme et la multipolarité, la

première étant fondée sur la coopération, la seconde sur la concurrence. Le

concept de la multipolarité est une relation de tensions et d’équilibres, les

liaisons entre les pôles ne se forment qu’à partir du profit, sans lequel rien ne leslierait. L’équilibre du monde se fonde sur l’exclusivisme mutuel ou isolation

mutuelle. Un monde multipolaire ne tend pas vers la paix du monde, mais sert

plutôt son propre profit. À l'inverse, la multilatéralisation se base strictement sur

le contrat international. Celui-ci relie les hiérarchies, regroupe les entreprises

internationales, les organisations mondiales et les organisations non

gouvernementales. Par le biais de la coopération mondiale, l’ordre mondial est

restauré. À la différence de la conception de l’État régional actuel, tendant vers la

confédération nationale, le multilatéralisme s’instaure pour la paix internationale.

À l’opposé, la multipolarisation vise à la concurrence durable. En dehors de la

paix mondiale (la fonction traditionnelle du principe diplomatique), le

multilatéralisme est et doit être inclusif. Il ne peut fonctionner correctement qu’en

parvenant à ne laisser personne à l’extérieur. Le multilatéralisme promeut la

démocratie et l’égalité en s’efforçant d’intégrer tous les États dans une même

connaturalité de règle77. Il regroupe un système coopératif, un profit commun.

Les relations d'États à États doivent s'établir sur la base de l'égalité et du respect

mutuel, les différends susceptibles de survenir entre eux doivent se résoudre par

le dialogue et la négociation78.

77 P.M Defarges, « Le multilatéralisme et la fin de l’Histoire » publiée dans la revue Politiqueétrangère , automne, 2004.78 P.M Defarges, Les organisations internationales contemporaines , Paris, éd. Seuil,1996, p. 7-9.

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En ce qui concerne le multilatéralisme, les premières graines d’une telle

forme d’intégration multilatérale pour la paix et la stabilité internationale ont été

semées dès les 17e  et 18e  siècles. Grotius, Hobbes, Rousseau, Kant

s'interrogent sur la nature de l’État souverain, ainsi que sur les moyens d'assurerla paix entre les pays. Les États forment une société, les lois internationales

tentent de les enserrer dans des réseaux d'obligations réciproques. Pour eux,

plus spécialement Rousseau et Kant, la conception du contrat social ne saurait

se limiter à l’État particulier, mais s’étend aux fédérations entre les États, voire

au-delà, entre tous les hommes. Le fédéralisme faisait partie intégrante du droit

politique moderne : il devait représenter le corollaire de la formation de l’État. Le

fédéralisme constituait le prolongement logique de la formation de l’État. Commeles hommes de l’état naturel avaient assuré leur sûreté et leur liberté en

établissant une puissance publique par le contrat social, les États devraient à

leur tour adopter un « pacte fédéral » qui civiliserait leurs relations sans abolir

leur souveraineté.

Kant y revient, une génération plus tard, dans ses réflexions sur la « paix

perpétuelle». Nous devons préciser ici, qu’au sujet du fédéralisme, Kant

s’intéresse peu à la puissance du gouvernement fédéral, mais cherche plutôt àdéterminer des mécanismes de règlement des différends. La justice

internationale ne pourra exister qu’avec un gouvernement mondial. Mieux encore,

la paix « perpétuelle » requiert un pacte entre ces États, fixant leurs droits et

leurs devoirs. Entendu au sens large, le fédéralisme définit les modes de

relations entre des entités politiques fondées sur la coopération pacifique et

l’arbitrage juridique. Dans le cas contraire, un tel gouvernement mondial porterait

la tare rédhibitoire de l'uniformité et du despotisme. Pour Kant, l’essence de lapaix perpétuelle se caractérise comme la propre raison de l’homme, par cette

dernière, l’homme fait obstacle à la guerre, la paix devient un penchant humain79.

Le multilatéralisme se trouve donc déjà en gestation dans cette approche

rationnelle et raisonnable des rapports interétatiques, il ne repose pas sur

79  Kant, Projet de paix perpétuelle, Vrin, Paris, 2002, pp.75-77

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l’uniformisation, mais sur l’universalisation. Un monde et un État unique peuvent

ainsi s’organiser afin de former une communauté universelle supérieure aux

États particuliers et les englobant tout en elle.

Nous mettons à l’épreuve la question de la frontière la « réorganisation du

monde » ou « recomposation des États » à partir des points de vue du

« régionalisme économique » et du « multilatéralisme ». Le régionalisme

économique suppose que la mondialisation se déploie dans un espace où

s’emboîtent les logiques endogènes de l’État-nation et celles exogènes

découlant de la dynamique transnationale du capitalisme. La capacité

d’autorégulation l’État-nation s'effrite à l’heure de la mondialisation. La

technologie bouleverse les conditions matérielles et les fondements du monde.Le nouveau monde se dirige vers une intégration à grande échelle, rendant

caduque la simple frontière de l’État-nation. Le multilatéralisme appelle à

concevoir autrement le concept de la souveraineté. L’État-nation était auparavant

fondé sur le profit étatique et représentait l’intérêt général, le profit de tous. Le

profit total s’étend de nos jours en taille. L’État-nation ne constitue plus le premier

bénéficiaire, les profits s’inscrivent à l’échelle du monde ou tout au moins

régionale. Le multilatéralisme fonde la nouvelle souveraineté sur la coordinationmultilatérale.

Concevoir l'accomplissement du déclin de la souveraineté étatique

uniquement à partir de l’économie et de la diplomatie empêche de saisir le noyau

de la frontière. La question est de déterminer comment construire un nouveau

monde incluant et intégrant les fonctions du niveau mondial au local ? Comment

rétablir un système de résistance ? Parler de mondialisation amène à concevoir

un nouveau matérialisme du monde à venir. Pouvons-nous encore songer ici à laperspective de l’abolition des guerres, comme Kant l’envisage dans son Projet

de paix perpétuelle ? La suppression des conflits entre les États doit passer par

une étape supplémentaire de la souveraineté. La réflexion ne doit pas se borner

à une simple analyse des changements de l’État-nation, à partir de l’économie ou

de la relation États-États, mais doit s’interroger sur ce que désigne la conception

et la représentation du « monde ». L’existence d’une institution transnationale

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conforme à une époque de libre circulation de la mondialisation capitaliste

n’empêche pas l'installation d'organisations complémentaires. Aucune différence,

ni fossé ne doivent entraver les droits de l’homme et la protection sociale. Un

mécanisme démocratique peut s'établir à une époque transnationale. Lamondialisation ne représente pas un processus final, elle est un processus en

développement. Ce processus influence la sécurité étatique, le gouvernement, la

souveraineté, l’identité collective, et légitime, la démocratie. Ces concepts

nécessitent une redéfinition, voire une transformation radicale. Les systèmes

étatiques, sociétaux, économiques et démocratiques se reforment et constituent

les nouveaux défis pour l’État-nation. Selon Balibar, la question des frontières

politiques est  et sera  une question centrale pour toute réflexion sur les rapportsentre politique et mondialisation. Telle se présente la possibilité d’un jeu de mots

renvoyant aux différences acceptions du mot « frontière »80. En conséquence,

notre travail commencera par les problèmes de la frontière.

80  É. Balibar, Nous, citoyens d’Europe? Les frontières, l’État, le peuple, Editions La Découverte,Paris 2001, p163.

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3.2. Déterritorialisation ou démocratisation de la frontière

Les problèmes clef de la frontière ne renvoient pas à la

désinstitutionalisation ou la déterritorialisation. Le plus important n’est pas la

disparition de la frontière, ni le clivage extérieur/intérieur, ni la nouvelle forme de

souveraineté. Il s’agit de retrouver une institution de frontière favorisant la

démocratie et les droits de l’Homme.

Nous emprunterons l’idée de « la démocratisation de la frontière » et « la

surdétermination » de Balibar pour redéfinir la frontière. En considérant la

surdétermination et la démocratisation de la frontière, nous pourrons répondre

aux critiques néolibérales et à celles des géopoliticiens. Nous ne devons pas

considérer simplement la frontière comme un bord ou une « superfrontière »

géopolitique, ces dernières était seulement un « frontière-monde »81. La question

de la frontière oblige à déterminer comment contrôler les pouvoirs (l’État ou

l’organisation supranationale) à l’aide des mécanismes démocratiques ?

Comment inventer une nouvelle forme de citoyenneté ?

Selon nous, la frontière de la démocratie trouve son fondement dans la

forme sociale concrète. Cette dernière l’organise politiquement et la justifie

dans le rapport au peuple résultant de ce fondement. La frontière de la

démocratie est issue de « décisions complexes ». Il s’agit moins de la

multipolarité que de la surdétermination. Le nouveau monde ne doit pas se

fonder sur un nouveau pôle du pouvoir, mais au contraire s’opposer à toute

forme d’hégémonisme et d’unilatéralité.

La frontière, au lieu de déterminer une ligne ou un bord, forme un lieupermettant aux peuples de vivre ensemble. Elle n’est plus ni l’expression d’une

simple autorité de l’État, ni une barrière entre la souveraineté de l’État et la

souveraineté du peuple. Elle n’est plus une ligne de violence, de l’ethnie, de la

souveraineté, car la frontière ne rime pas avec rideau de fer. Elle ne se borne

81 É. Balibar, Europe Constitution Frontière, Passant, 2005, p.95

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moins à des rapports de force qu’à des rapports sociaux.

3.2.1 Déterritorialisation au service de l’extension des capitaux

La mondialisation actuelle, sans être la première de l’histoire, est

caractérisée pour la première fois par le développement de technologies qui

abolissent les distances et se jouent des frontières. Ces technologies favorisent

les échanges et les interdépendances entre pays, donc contribuent à un

affaiblissement des États et de leurs systèmes de droit, soumis à un processus

d’internationalisation sous la double influence de la globalisation économique qui

ouvre les frontières à des pratiques de nature transnationale, ainsi que la

frontière partagée entre plusieurs États membres. « L’empire » propose le

concept de « déterritorialisation ». Le monde apparaît comme un monde

dépourvu de frontières et de centre. Cette conception est empruntée dans

l’« Anti-Œdipe », de Deleuze et Guattari : le capitalisme déterritorialise le désir du

sujet dans un territoire qui constitue le rapport à la société, tandis que le désir du

sujet se reterritorialise dans une nouvelle relation sociale et une nouvelle logique

du capitalisme.  Le monde se reterritorialise paradoxalement sur la

déterritorialisation même82. Par le terme d’État-nation, nous désignons l’identité

citoyenne dans un territoire limité. En revanche, la rapidité des flux induite par la

mondialisation dépasse les frontières et conduit à des effets de

déterritorialisation. Les critères politiques et économiques ne sont plus définis au

prisme de l’État-nation, mais empruntent plutôt le cadre plus large du monde.

Les flux transnationaux participent à la fois à la déterritorialisation et à la

reterritorialisation. Selon Deleuze, le capitalisme et son bord ne se définissent

pas simplement par des flux décodés, mais par le décodage généralisé des flux,

la nouvelle déterritorialisation massive, la conjonction des flux déterritorialisés.

Le capitalisme est donc d'abord le résultat d'une disparition des formes d’État

antérieures selon une logique unique et linéaire, celle d'un décodage montant et

généralisé : « le décodage des flux, la déterritorialisation du socius forment aussi

82  Deleuze et Guattari, l’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972, pp.306-308

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la tendance la plus essentielle du capitalisme. Il ne cesse de s’approcher de sa

limite, qui est une limite proprement schizophrénique »83. La frontière ne se

distingue plus, le monde devient une union chaotique. Incertaine et ubiquiste, la

frontière de l’État-nation établit une frontière interne au sein du monde.

Les frontières de l’État-nation sont nées en Europe, elles ont contribué à

définir la souveraineté, la relation d’États à États, les pactes et les organisations

transnationaux. Ces derniers éléments ont construit l’image du monde et marqué

la coordination réciproque de leur place dans celui-ci. Les lignes et les contours

ont déjà commencé à se dessiner, ils sont comme le symbole du monde, les

contenus du monde. Les facteurs juridico-politiques décident ainsi du monde à

venir, si celui-ci sera égalitaire ou non. Car tracer une frontière revientprécisément à définir un territoire, le délimiter et ainsi enregistrer son identité ou

la lui conférer. Cependant, l’« Empire » est un mécanisme de décentralisation et

déterritorialisation, un agencement récrivant l’ensemble du monde à l’aide de

l’ouverture des frontières. La déterritorialisation et la reterritorialisation vont de

pair, la mondialisation et la localisation se développent simultanément. En

abattant les frontières, le capitalisme crée une nouvelle frontière, il redéfinit la

conception de territoire et procède à une refonte de l’espace. L'Empirereprésente un pouvoir en réseaux constitués par des États dominateurs, des

grandes entreprises capitalistes et des institutions supranationales. Tous ces

acteurs saluent la transition capitaliste dans l'histoire contemporaine. L’image et

le contenu du monde évoluent continuellement, en naissant dans une ville, une

métropole et un centre, le monde devient ainsi comme une campagne, une

banlieue et une périphérie.

La déterritorialisation et la reterritorialisation ne renvoient pas à unprocessus chronique, mais plutôt à une relation réciproque. Territorialisation et

déterritorialisation ne sont pas deux phénomènes parallèles ou

chronologiquement distincts, mais deux procès simultanés : la mondialisation

déterritorialise, fluidifie, favorise l’expansion réticulaire ; mais elle reterritorialise,

83  Ibid, p.41

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édifie des murs, déplace des frontières sans les abolir, fait surgir de nouveaux

États… Le monde se caractérise à la fois par la désagrégation et l’intégration, la

déterritorialisation et la reterritorialisation. Le nouveau monde et la circulation

globale vont de pair, l’espace de domination accompagne le développe ducapitalisme. Dans son ouvrage « La bombe informatique», Virilio observe que,

pour les États-Unis, le globe apparaît comme un. Le reste du monde ne désigne

plus l’étranger, mais s’avère périphérique, ni non plus extérieur, mais le marginal.

L’« Empire » prête toujours une attention exagérée à la dimension de la

souveraineté, comme par exemple, la transformation de la souveraineté de

l’État-nation en celle de l’Empire. Negri ignore les racines du questionnement

autour de la mondialisation : la théorie de la crise du capitalisme, la force detravail... tout cela conduit à surestimer le travail immatériel. Si nous concevons

une nouvelle image et un contenu du monde, copiant le mode ancien, à savoir, le

mode contractuel, souverain et la frontière, nous ne dépasserons pas la question

de la frontière ancienne, ni ne créerons un nouveau mode du monde. Nous

pourrions croire, superficiellement, que la disparition des frontières internes entre

les États membres a créé un espace de circulation commun et a étendu le

nombre de sujets susceptibles de jouir d’une liberté de mouvement transnational.À y regarder de plus près, la responsabilité réciproque entre les États, contenue

dans le concept de communautarisation des frontières, a transformé toutes les

frontières internes et externes en une frontière unique qui appartient à chacun

des États membres. C’est ainsi que les notions d’ordre public et de sûreté

nationale élaborées dans chacun des États membres ont été transposées dans

tous les autres. Même si le monde devient un bloc, une telle déterritorialisation

ou absence de frontière transforme seulement les questions étrangères enquestions internes : le monde extérieur s’internalise, rien ne change les rapports

de force entre les pays. La frontière interne ne modifie rien à l’inégalité, ni à

l’insécurité. La frontière est devenue un critère déterminant de la distinction entre

la police et la politique en instaurant un contrôle inégal et en facilitant la

circulation de capitaux, de biens, de personnes, d’informations. Tout cela ne

contribue qu’à favoriser les puissances. C’est la raison pour laquelle nous

préconisons la démocratisation des frontières.

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Le point sociétal nous servira à démontrer que la fluidité, fondant les valeurs

d’un monde sans frontière, n’implique pas une égalité plus large à l’échelle

mondiale. Nous commencerons donc par envisager les rapports de force en jeu

dans la lutte afin de mieux appréhender la mondialisation.

Tout d’abord, la déterritorialisation à laquelle la mondialisation contribue

nous semble ne pas avoir été suffisamment étudiée sous l’angle du marché

mondial, ni sous celui de la réorganisation des gouvernements, ni encore sous

celui de la relation diplomatique multilatérale. Il s’avère pourtant nécessaire

d’étudier la déterritorialisation à partir de la lutte entre l’État et la société.

La déterritorialisation ne signifie pas la disparition de la frontière ou que

celle-ci ait été remplacée. Elle témoigne au contraire un impact extérieur, sur le

pouvoir ou les capitaux. C’est un phénomène paradoxal de la mondialisation. Il

s’agit d’une désagrégation de la relation sociale. Tant les relations internationales

que les pays particuliers souffrent de désintégration/ polarisation,

transfrontière/colonisation internalisée, circumnavigation/clandestin,

métropole/marge.

La déterritorialisation, loin de représenter un processus d’intégration, se

trouve à la source de conflits. La déterritorialisation contribue à la disjonction

entre la forme sociale concrète et la logique juridico-politique de l’État. Les

frontières déterritorialisées, dont Balibar souligne à juste titre l’émergence,

s’avèrent au contraire des lieux d’intense frottement. Une telle disjonction conduit

à des apories pour la démocratie, les droits de l’homme et les droits des citoyens.

Nous devons alors discuter la déterritorialisation à partir de cette disjonction. Si

nous construisons une nouvelle organisation politique, celle-ci sera encore une

organisation dominatrice. Elle ne résoudra pas la rupture entre la société et l’État

ou les inégalités dans le monde, et par voie de conséquence, elle ne favorisera

pas la démocratie ou les valeurs universelles.

3.2.2 Examiner la démocratisation de la frontière

Les principaux problèmes de la frontière, si nous la considérons comme une

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institution, résident dans l’inégalité entre le pouvoir constituant et le pouvoir

constitué. Une telle inégalité ne changera pas avec l’établissement d’une

nouvelle organisation. Il faut s’efforcer de modifier la structure des rapports de

force et la façon dont le pouvoir émerge. Il ne s’agit pas simplement de créer unnouveau monde sans frontière (transfrontalier), mais de relancer un débat sur les

questions des avancées démocratiques après l’État-nation, de la transformation

du statut des frontières, de la dimension multiculturelle, des conditions de

formation d’un citoyen capable de contrôler la délégation de ses pouvoirs.

Comme Etienne Balibar l’a observé, le positionnement des frontières ne

concerne plus ses marges, il est transporté au milieu de l’espace politique84.

Nous ne devons pas considérer simplement la frontière comme un bord ou une« superfrontière » géopolitique, ces dernières était seulement un

« frontière-monde »85. La question de la frontière oblige à déterminer comment

contrôler les pouvoirs (l’État ou l’organisation supranationale) à l’aide des

mécanismes démocratiques ? Comment inventer une nouvelle forme de

citoyenneté ?

La reconnaissance insère un deuxième sens à la déterritorialisation, à savoir,

la frontière, au lieu de déterminer une ligne ou un bord, constitue un lieupermettant aux peuples de vivre ensemble. Cependant, la déterritorialisation

arrache les rapports essentiels entre le peuple et le territoire. La frontière n’est

plus l’expression d’une simple autorité de l’État, ni non plus une barrière entre la

souveraineté de l’État et la souveraineté du peuple. La frontière n’est plus une

ligne de violence, de l’ethnie, de la souveraineté, la frontière ne rime pas avec

rideau de fer. Abattre la frontière politique ne signifie pas que nous la rejetions,

au contraire, nous tentons de modifier son caractère et de la réinterpréter à partird’une autre dimension. Il faut formuler une autre définition de la frontière qui ne

doit pas tant consister à tenir les intrus, mais à démocratiser l’institution de

frontière. Elle doit être contrôlée par la collectivité et se mettre au service des

hommes. Cette frontière sociale place les formes d’institutions politiques « en

84 É. Balibar, Nous, citoyens d’Europe? Op.cit., p.175.85 É. Balibar, Europe Constitution Frontière, Passant, 2005, p.95

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devenir », dans le sens où l’évolution politique est constante. Le domaine d’une

forme d’institution politique consiste en l’ensemble des personnes s’identifiant à

elle et respectant ses directives. Par définition, toutes formes d’institution

politique et de sphère sociale se chevauchent. La frontière de la démocratietrouve son fondement dans la forme sociale concrète qu’il organise politiquement

et sa justification dans le rapport au peuple qui en résulte. La frontière devient

une frontière sociale et démocratique, elle représente un passage possible de la

démocratie et inclut la dialectique à son antagonisme.

Balibar insiste sur la frontière de la démocratisation, à savoir que si nous

souhaitons sortir des conflits du monde multipolaire, il faudrait tout d’abord

réfléchir sur l’institution de la frontière. Pour lui, le concept de la souveraineté sefonde sur un territoire particulier, les frontières sont comme des institutions

historiques, elles désignent la fonction juridico-politique, dont elles déterminent

également les tracés, les reconnaissances et les franchissements. Ses rites et

formalités se sont déjà transformés à diverses reprises en définitions de la

frontière. Autrement dit, il n’a jamais existé de « frontière naturelle ». Depuis trois

siècles au moins, il n'y a pas eu d'autodétermination conceptuelle, mais au

contraire un rapport de présupposition réciproque entre la conceptualisation dela frontière et la représentation de la forme dans le monde. Le principe de

réalisme envisage l’État souverain comme l’agence principale du monde

politique. La notion de frontière comporte donc un principe de territorialité du

politique. Sans gouvernement international, l’État particulier dépend de

l’unilatéralisme pour protéger ses propres pouvoirs et profits. D'après la théorie

traditionnelle, le monde moderne se fonde sur le régime de l’État-nation, qui

définit la frontière, désigne le centre du pouvoir, ce monde modèle un« frontière-monde ». Dans l’exercice du pouvoir, la frontière devient une

barrière, une ligne et remplit la fonction d’expulsion et de distinction. Elle est liée

à une conception archaïque de l’identité nationale, centrée sur des héritages

exclusifs. Elle désigne à la fois un système de confinement vers l'extérieur et un

système de divisions internes. Selon Balibar, la frontière se pose désormais au

milieu de l’espace politique, elle ne fonctionne plus comme de simples bords,

des limites externes pour la démocratie, elle devient de plus en plus une source

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de conflits86.

Concernant le concept de la multilatéralité, la question est que si nous en

restons à la notion de la souveraineté traditionnelle, nous ne pouvons pas

résoudre les apories de la souveraineté. A savoir, la souveraineté fondée sur

l’institution de la frontière. La mémoire collective, la géopolitique traditionnelle

s’avèrent incapables de créer une nouvelle image du monde. Tant l’unilatéral que

le multilatéral se fondent sur la notion de la souveraineté traditionnelle, qui

emploie encore le Rousseauisme, les deux concepts ne pourraient pas résoudre

les problèmes que l’État-nation rencontre. Le multilatéralisme ne s'insère pas

dans les stratégies de la résistance contre la mondialisation, car il n’est que le

fruit du compromis entre les États puissants, les capitaux transnationaux et lesorganisations supranationales.

Les déclins de la souveraineté et de la frontière désignent seulement des

phénomènes traduisant la mondialisation. Le fiat est qu’elle consiste à

comprimer et intégrer le monde. Nous sommes désormais obligés de réfléchir à

la question de la mondialisation à partir d’une structure monobloc. La

globalisation pousse à mondialiser, nous ne pouvons plus séparer un morceau

du monde ou trancher sur un domaine privilégié : le militaire, la politique,

l’économie, la culture, l’environnement, l’écologie, résultent de « décisions

complexes ». Loin de la multipolarité, il s’agit plutôt d’une surdétermination. Cette

« politisation de l’espace » permet à la structure mondiale de dépasser une

simple relation d’États politique ou économique. Elle toucherait d’autres

domaines tels que la culture, la société, l’histoire… Ce sont les facteurs décisifs

sur lesquels le monde doit établir un nouveau mode. La frontière ne consiste plus

à la géographie ou à la souveraineté. Pluristrafiée, elle est le fruit superposition.Balibar propose le concept d'« une politique de l’im-puissance ». Le nouveau

monde ne doit pas se fonder sur un nouveau pôle de puissance, mais au

contraire s’opposer à toute forme d’hégémonisme. La puissance ne vient pas

seulement de la force militaire ou de l’économie, mais puise sa légitimité sur

86 É. Balibar, Nous, citoyens d’Europe?op.cit., pp. 173-175.

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d’autres ressources. La relation entre politique et puissance peut revêtir d’autres

formes.

Balibar observe trois équivocités historiques de la frontière : la

surdétermination, la polysémie et l’hétérogénéité. La notion traditionnelle de

frontière s'avère pour lui toujours conditionnée par la violence, parce qu’elle

réduit la complexité de la frontière en confondant tous ses aspects : historique,

identitaire, géopolitique, etc. Balibar appelle alors à « un supplément de

simplicité ». Ce dernier est une réduction « Hobbesienne », à savoir une simple

autorité centrale sacralisée par le droit et armée par le monopole de la violence

légitime. C’est l’institution frontalière elle-même, - en particulier les différences

qu’elle présente entre les frontières de sécurité et de simples délimitationsadministratives - qui produit l’étranger comme un type social et un fait

anthropologique. La notion de surdétermination permet de réfléchir à une

nouvelle figure du mondÉ. Balibar observe qu’ « on remarque moins qu’aucune

frontière politique n’est jamais la simple limite de deux États, mais toujours

surdétermination, et en se sens à la fois sanctionnée, redoublée et relativisée par

d’autres divisions géopolitiques…. Sans la frontière de configuration du monde

qu’elles remplissent, il n’y aurait pas de frontières ou pas de frontièresdurables  »87. Nous ne sombrons pas ainsi dans la dualité de l’extérieur et de

l’intérieur, car nous ne pouvons pas attribuer à la frontière une essence qui

vaudrait pour tous les lieux et tous les temps. Il n’a jamais existé de type de

frontière originel, la question de la disparition de frontière n’a donc pas de sens.

La racine du problème ne réside ni dans la stabilité, ni la disparition des

frontières (notamment entre États).

Les problèmes clés de la frontière ne renvoient pas à ladésinstitutionalisation ou la déterritorialisation. Pour nous, le plus important n’est

pas la destruction de la frontière, ni le clivage extérieur/intérieur, ni la nouvelle

forme de souveraineté. Il s’agit de retrouver une institution de frontière favorisant

la démocratie et les droits de l’Homme. La démocratisation de la frontière

87 É. Balibar, La crainte des masses, Galilée, 1997, Paris, pp.373-375.

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s’interpose toujours entre le peuple et sa souveraineté théorique. Par

conséquent, nous souhaiterions former une alternative non pas en générant un

nouveau discours néolibéral ou géopolitique, mais en imaginant un type

d'organisation capable de démocratiser l’institution de la frontière. L’objectif estde la placer au service des hommes et la soumettre à leur contrôle collectif, en

faire l’un des objets de leur « souveraineté ».

Une frontière n’est jamais qu’une ligne sur laquelle on va se battre. Le

monde n’est pas aussi poli qu’on ne le laisse entendre, le processus

différenciateur et homogénéisé, où la déterritorialisation et reterritorialisation

produisent des effets différents. Ceux qui soutiennent un monde poli ignorent

volontairement la question des systèmes différentiels, notamment sur le plansocial et de la loi. Ils envisagent le développement autonome et sans frein, d'un

mode de vie identique au sein de l’État régional. Au sein de l’État régional, quelle

que soit la coopération, la concurrence, ce monde poli ne contribue pas non plus

à l’établissement d’une société solidaire, démocratique, respectant les droits de

l’homme, mais repose sur des relations commerciales ou de forces. Telle est la

« Stratégie de la Déception » adoptée par les États puissants ou les groupes

industriels. Si la frontière constituait une surdétermination, il n’y aurait pas plus àperdre qu’à gagner : non tant dans l’essence ou la substance de la frontière,

mais dans la capacité de la démocratie et la sphère de la reconnaissance

mutuelle. Il faut contribuer à créer un espace à l’échelle mondiale afin de

favoriser en retour l’émergence de mouvements sociaux et la citoyenneté active

de l’ensemble des résidents du monde.

Un idéal politique implique normalement la réunification du genre humain et

l’avènement kantien de la « république universelle des États ». Et ce, par ledépassement des frontières et par une reconnaissance sans équivoque de la

suprématie universelle du Droit. La question ne vise pas à tracer la frontière, ni à

désigner un bord en fonction de considérations géopolitiques, ni à composer une

organisation transnationale (fondée sur le fédéralisme). Il s’agit plutôt de créer un

espace politique (espace juridico-politique, démocratisation de l’institution de la

frontière), construit dialectiquement et surdéterminant. Cet espace incluant les

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valeurs diverses devient une démocratisation de la frontière. Au lieu d’un clivage

et d’une réduction simple entre l’intérieur et l’extérieur, cet espace politique

implique un continuum de statuts correspondant à des fonctions stratégiques,

administratives, économiques et sociales, culturelles, dont la coïncidence s'avèrerelative. Cet espace vise enfin à ce que les frontières internes et externes soient

toujours surdéterminées. Autrement dit, la frontière désigne tout autre chose que

la simple action de s’emparer du pouvoir, de gouverner ou de gérer l’État. Elle ne

se borne pas à des rapports de pouvoir, mais correspond aussi à des rapports

sociaux. En considérant la surdétermination et la démocratisation de la frontière,

nous pourrons répondre aux critiques néolibérales et à celles de la géopolitique.

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Deuxième Partie

« La dialectique » et « la réflexion »

Les six difficultés de l’action politiquecollective

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Dans le premier chapitre, nous avons décelé les trois difficultés de l’action

politique à l’heure du néolibéralisme. À savoir, la primauté du marché, la fluidité

et le biopolitique.

Dans la deuxième partie, nous discuterons et dialoguerons distinctement sur

les trois autres raisons gênant l’action politique collective. En effet, le mouvement

autonome risque de favoriser l’individualisme atomique, tandis que le

post-marxisme menace de sombrer dans le postmodernisme. Le

multiculturalisme, quant à lui, pose le danger du néo-racisme.

Les intentions de Negri, Holloway, Laclau et Mouffe sont certes tout à fait

louables. Il s’avère effectivement nécessaire d’approfondir la démocratie,

d’élaborer une stratégie de l’action et de créer un sujet révolutionnaire afin de

mener la résistance à l’échelle mondiale. Par conséquent, nous nous accordons

avec l’idée chez Negri de la nécessité de restaurer un pouvoir constituant. Nous

admettons de même la notion de la révolution quotidienne chez Holloway.

L’articulation des antagonistes s’avère en effet pertinente afin d’établir une

démocratie ouverte et éviter le totalitarisme.

Cependant, nous ne croyons pas en la possibilité d’un mouvement spontané.

Negri et Holloway défendent la conception d’un mouvement social sans

organisation, mais d'où vient alors l’énergie de la multitude ? Comment

regrouper un sujet migrant ? Comment exercer le pouvoir constituant ? Même si

la révolution découle de la vie, quel est le contenu profond de la vie ? Nous

questionnerons aussi Laclau et Mouffe sur les points suivants : comment un

mouvement décentralisé peut-il générer une idée continue procurant à la

révolution une durabilité et développant une conscience.

Nous débattrons des discours exposés ci-dessus à l’aide des idées de la

« démocratie conflictuelle » chez Balibar, de « la mésentente » chez Rancière et

la « vide » chez Badiou. Nous réexaminerons ainsi le concept de la classe

prolétaire et le contenu de la démocratie.

La stratégie de la révolution touche inévitablement la réflexion de la violence.

Nous revérifierons la forme de la violence pour manifester que le néo-racisme se

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cache derrière le multiculturalisme. Ces deux dernières représentent la violence

subjective et la violence objective. Nous discuterons aussi du rôle de la violence

au sein de la révolution et de la décolonisation. Par cette démarche, nous

désirons défendre la nécessité d'une politique de la civilité qui doit suivre laviolence de la résistance que nous voulons mener.

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Chapitre IV

Stratégie de l’action face à l’individu atomique

La mondialisation capitaliste préconise la fluidité 88 , la flexibilité, la

libéralisation ainsi que l’individualisme. Ces caractères de la mondialisation

conduisent les êtres humains à vivre dans l’insécurité et dans l’incertitude. Ils

contribuent par ailleurs à l’affaiblissement de l’action collective.

Ce chapitre s’articulera autour de deux axes. Le premier sera exposé dans

la section 4.1. Nous y démontrerons l’importance de la sécurité sociale. Celle-ci

ne s’oppose pas au marché libre. Sans ce stabilisateur de la société, il n’y aurait

effectivement pas de lieu pour le marché libre. Une société incertaine fragilise

ainsi l’économie. Nous développerons cette section à partir du problème du

chômage et des travailleurs immigrés. Ces problèmes résultent directement de la

fluidité et de la libéralisation du marché.

Le second axe, présenté dans le 4.2, montrera que la difficulté de l’action

collective résulte de la fluidité et de l’individualisme atomique. Negri et Holloway

proposent distinctement une stratégie de l’action. Negri parle de la notion de la

« multitude » qu’il considère comme la nouvelle subjectivité politique. Cette

multitude transfrontalière deviendrait la résistance mondiale… Holloway soutient

de son côté la révolution quotidienne. Il préconise donc de « Changer le monde

88  Voir. Z.Bauman, Liquid Modernity , Cambridge Polity, 2000. Dans cette thèse, la fluidité signifiela circulation des capitaux. Bauman remarque qu’avec la technologie nous a fait entrer dans l’èrede la fluidité. Cette époque modifie la structure politique et la vie quotidienne. En raison de lacirculation, le néolibéralisme (par exemple : Peter Druker) prône facilement l’émancipation. Ainsi,Bauman souligne que nous devons réfléchir à formuler des discours sur la fluidité qui ne soientpas issus du néolibéralisme. Bauman réfléchit sur l’impact de la fluidité à partir de cinqdimensions : l’émancipation, l’individualité, l’espace- temps, le travail et la communauté. Ilcherche à trouver une autre interprétation de la fluidité.

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sans prendre le pouvoir ». Il pense que la révolution ne se fait pas à travers

l’appareil étatique, mais s’effectue plutôt dans le quotidien. Il soutient que la

révolution vise moins à prendre le pouvoir qu’à détruire le pouvoir. Holloway

développe des groupes de concepts opposés, y compris celui du « pouvoir de »(power-to) et du « pouvoir sur » (power-over). En opposant ces deux notions, il

prétend obtenir le «pouvoir-de » du « pouvoir-sur ». L’action peut ensuite

s’appuyer sur le premier en se libérant du dernier. C’est-à-dire que nous n’avons

pas besoin de prendre le « pouvoir-sur ». Ce « pouvoir-sur » correspond aux

logiques de l’État et du capitalisme. Nous devons donc établir un « pouvoir-de »

venant de notre agir et correspondant à la force sociale. Cela permettra à la

subjectivité révolutionnaire de naître de l’agir commun et au but révolutionnairede transformer radicalement le monde.

En résumé, pour Negri et Holloway, la stratégie de l’action consiste à élargir

le front des participants : le sujet révolutionnaire n’est plus constitué par le

prolétariat ou les ouvriers, mais plutôt par les clandestins, les chômeurs et les

migrants.

Nous contesteront les idées de Negri et de Holloway dans la section 4.2.3.Nous examinerons de plus près les classes prolétaires et ouvrières en nous

appuyant sur les idées de Lukacs, d’Althusser, de Poulantzas et de Mandel.

Nous tenterons de démontrer que l’action désorganisée ne favorise pas la

convergence des forces. Au contraire, nous souhaiterions prouver qu’il n’existe

de subjectivité politique que dans l’action organisée. Par cette dernière, nous

cristalliserons les forces disséminées. Nous pourrons ainsi créer une conscience

pour soi-même permettant de faire émerger la force de l’action. Nousréévaluerons le potentiel de la classe prolétaire, grâce auquel nous élaborerons

une nouvelle stratégie de l’action.

Nous devons nous interroger sur le contenu de la révolution quotidienne. La

vie quotidienne des hommes est aussi une structure du pouvoir. La structure du

pouvoir existe toujours, elle ne disparaît pas parce que nous l’omettons . La

question clé se formule ainsi : comment rassembler les masses ? Comment faire

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surgir la conscience collective ? Et comment faire émerger la force de l’action ?

Comment le mouvement autonome peut-il s’assurer que les partisans

participeront à l’action et comment garantir une résistance continue ?

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4.1 Circulation des capitaux et chômage structurel

Nous augmenterons tout d’abord que la fluidité et la flexibilité conduisent à

la précarité et à l’incertitude. En raison du dynamisme insuffisant de la protection,elles occasionnent un chômage structurel et un déficit de droit du travail. Elles

provoquent également une fracture sociale, la discrimination raciale et la

xénophobie.

Ensuite, nous décoderons la logique de la libre concurrence fondée sur

l’individu atomique. Elle isole l’individu, détruit la force collective et le service

public. En vivant de façon solitaire, l’homme cultive plus facilement un sentiment

d’insécurité et de haine. Quand ce mécontentement se généralise à toute lasociété, plus les hommes se défendent égoïstement, plus ils sont solitaires. On

entre alors dans un cercle vicieux.

Les arguments cités ici nous permettent de conclure que la fluidité et

l’individualisme mettent l’action politique dans une impasse. Il faut souligner que

la protection sociale constitue une forme de solidarité permettant de réparer la

fracture sociale.

Les mesures de protection sociale sont donc indissociables de l’État

moderne et sont devenues le fondement à partir duquel un gouvernement

possède la légitimité et le pouvoir de gouvernance. La protection sociale est ainsi

devenue un caractère essentiel de l’État moderne.

Au nom de la libéralisation du marché, en créant de la richesse sociale, le

marché libre comporte en même temps des inconvénients. Le marché libre

passe par l’introduction de nouvelles technologies qui élargit la taille du marchéet aggrave la concurrence. Dans cette logique, l’homme devient

malheureusement « un outil lucratif ». Cette libre concurrence aggrave la

dissimilation entre les hommes et introduit des relations interpersonnelles qui

deviennent des relations d’intérêt. Marx souligne que le marché mondial déchire

impitoyablement les liens complexes et variés entre individus pour ne laisser

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d’autre lien que l’intérêt et les dures exigences du « paiement comptant »89. Les

hommes sont ainsi abandonnés à la concurrence du marché. Le capitalisme

rajuste la structure du marché, ce qui plonge les ouvriers dans la misère et les

condamne, soit à réapprendre de nouvelles techniques, soit à perdre leur travail.

En d’autres termes, le marché libre, en accroissant la richesse sociale et la

fiscalité délie les relations interpersonnelles. La libéralisation du marché, d’une

part parcellise la société, et d’autre part renforce l’État afin de protéger le profit

du marché. Cela signifie que l’État ne dispose plus de la capacité de concorder et

de coordonner les affaires communes et le service public.

En résumé, l’État se renforce grâce à l’instauration de la fiscalisation et à sa

redistribution. En fortifiant le contrôle social, l’État consolide la capacité

distributive des ressources sociales et inversement. L’État moderne se

caractérise par la gouvernementalité et la distribution. La concurrence du marché

introduit une répartition inégale des richesses et occasionne une grave crise

sociale. Toutefois, grâce au système de protection sociale, l’État moderne répare

la fracture sociale.

L’État moderne doit adopter des mesures de protection sociale afin de

prendre en charge la vieillesse, la maladie, les handicaps et le chômage. Pour ce

faire, il faut privilégier deux démarches. Premièrement, l’État moderne doit

assurer réellement la protection des droits des travailleurs. Deuxièmement, il lui

est nécessaire d’envisager une nouvelle conception de la propriété permettant

de rassurer les non-propriétaires. Ces deux approches sont étroitement liées

l’une avec l’autre et ne s’appliquent pas toute seule.90  L’État moderne permet en

effet à la fois la liberté des échanges marchands et la protection des défavorisés.

À l’issue de ces échanges, il fait preuve de sa légitimité. L’origine de l'État

providence est donc fondée sur la notion de sécurité. L’idée de la sécurité sociale

se base essentiellement sur l’égalité. Le marché libre a créé et continue à créer

89 K. Marx, Le Manifeste du parti communiste , union générale d’éditions, Paris, 1962, p.21.90  R. Castel, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé?, Paris, Seuil, Coll. La Républiquedes idées, 2003, pp.27-30.

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des victimes des inégalités. Le rôle de l’État moderne est de remédier ces effets

de déséquilibre social. Ses mesures sont complémentaires et prévoyantes,

couvrant alors les questions de retraite, de chômage, de pauvreté et des divers

droits socio-économiques. Le système de protection sociale consolide lalégitimité de l’État, permettant à ce dernier de gagner la confiance du peuple.

4.1.1 Les travailleurs sans abri victimes de la fluidité et de la flexibilité

Nous avons montré dans la partie 1.1, que ce qui caractérisait l’Etat

moderne consistait en la puissance, au pouvoir et à l’autorité. La puissance

garantissant la sécurité du peuple par l’armement ou la diplomatie, le peuple

pare aux menaces intérieures et extérieures. Le pouvoir implique le fait de

détenir la force de domination et de gouvernementalité91. L’autorité réside dans

un corps politique qui réajuste toutes les forces précitées et qui possède la

légitimité pour appliquer la violence. Autrement dit, la sécurité est une des

fonctions de l’Etat moderne. Elle lui permet de l’Etat moderne disposer de

l’autonome politique et de renforcer ainsi la légitimité de la gouvernementalité.

Plus précisément, l’Etat moderne se construit autour de trois facteurs : le

premier réside dans la légitimité dominante ; Le deuxième est fondé sur la

dissolution des conflits, l’assimilation des dissidences, et l’absorption des

mécontents. Le troisième consiste en la capacité de l’Etat à de transférer et

redistribuer les richesses. Ces trois facteurs se développent conjointement et

posent les bases de l’Etat moderne. L’Etat d’une part encourage l’économie et il

en contient la dynamique, d’autre part, il assure la cohésion de la société à l’aide

de la sécurité sociale. En d’autres termes, l’Etat peut prendre des mesures pour

stimuler la croissance d’un côté, et de l’autre, prendre des mesures sociales de

façon à favoriser simultanément le dynamisme de l’économie et assurer

l’intégration sociale.

91  Voir Foucault « La gouvernementalité ». Cours au Collège de France, année 1977-1978:Sécurité, territoire,population,4e leçon,le 1er février 1978. Magazine littéraire   269, septembre1989, pp. 96-103. Dits et écrits: 1954-1988 , t. III. Edition établie sous la direction de Daniel Defaitet François Ewald. Paris: Gallimard, 1994. 635-656.

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Après l’industrialisation, le modèle dominant du travail va se bâtir autour de

la figure de l'employé salarié, stable, en contrat à durée déterminée et à temps

plein. Le travail salarié, comme expérience centrale dans la vie de l'individu, est

devenu le modèle idéal du travail de la société capitaliste contemporaine. L’Étatprovidence se caractérise par la souveraineté de l’État et par un renforcement de

sa fonction sociale. L’État providence a créé la possibilité de penser l'emploi et la

citoyenneté comme des droits garantis dans un contexte européen marqué par la

stabilité du système de production. Si l’appareil étatique ne fonctionne pas, l’État

ne peut distribuer les ressources sociales, ni faire tourner la roue de

l’administration de la socialité (protection sociale), ni prévoir le développement

économique. Dans ces conditions, l’État ne met pas en oeuvre une forme desouveraineté moderne.

Pour le néolibéralisme, la protection sociale désigne autre chose. Il coupe le

monde en un monde économique et un monde non économique, il sépare ainsi

la relation entre le marché et la responsabilité sociale. Une telle dichotomie

implique que les gens existent sous la logique du marché et que le monde du

marché n’inclut pas la responsabilité sociale. Par l’instauration d’un monde

économique pur, le néolibéral prône une mondialisation heureuse. Les rejetés dumonde économique : les chômeurs, les immigrés, les clandestins, sont

considérés comme des « hommes superflus » sous la logique capitaliste. Ils sont

soit placés sous surveillance, soit expulsés. Plus encore, la logique du capital

tente d’exclure tous les obstacles du marché : l’État, l’association solidaire, la

responsabilité et les « rebuts » sociaux, etc. Le chômage n’existe que parce que

le travail n’est pas une véritable marchandise. En tant que coût et profit, le salaire

devrait baisser et s’ajuster pour favoriser la reproduction et l’accumulation.Dans ce cas, salaire minimum, des protections sociales ou du droit du travail

ne sont que des rigidités nuisant au bon fonctionnement du marché. Cette

logique, d’un côté, réduit la dynamique de la collectivité, d’un autre côté permet

de couper la relation entre les individus et la société. Les gens mènent une

existence isolée, vivent dans un vacuum, une vie abstraite. Ils n’ont de valeur

qu’à condition qu’ils disposent d’une force de travail. Comme des machines, ils

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sont soumis à la division du travail et à l’aliénation de la société, il n’y a de

relation réciproque que dans le libre l’échange.

À partir des années 80, le système de production sociale est entré dans une

phase de récession qui trouve son origine dans la dénommée mondialisation

capitaliste, caractérisée par un nouveau paradigme productif et organisationnel.

Le système de production a été substitué par un système de production flexible,

reposant sur la flexibilisation de l'emploi pour répondre en temps réel aux

oscillations du marché. Cette stratégie consiste à réduire les salaires ouvriers et

augmenter la productivité ponctuelle du travail. La logique des néolibéraux

reposant sur la flexibilité et la fluidité, qui a rompu avec la stabilité du système de

production et du marché du travail, se trouve à l'origine de pertes d'emploismassives. La logique des néolibéraux renforce plus spécialement, pour les

entreprises multinationales, les opportunités de profiter de l'ouverture des

marchés en délocalisant leurs activités dans des zones géographiques où les

salaires se révèlent moins élevés. Le chômage et la précarité professionnelle

constituent donc le fruit amer de ce nouveau paradigme productif.

Les néolibéraux acceptent l’aggravation des inégalités sociales et sont

convaincus que le marché mondial financier s’équilibrera de lui-même. Les

partisans de la mondialisation affirment que nous obtiendrons plus de protection

en se conformant aux règles du marché. Les libéraux invoquent l’histoire afin de

montrer que l’essor des échanges dans le monde favorise la croissance

économique tandis qu’au contraire le protectionnisme est porteur de régression.

Toutefois, cette affirmation n’est pas sans incohérence, parce que cela signifie

que, encore une fois, le capitalisme aggrave le fossé séparant l’économie de la

société. Or, la mondialisation a justement rompu l’équilibre du politique, de lasociété et l’économie, en émancipant le capital des contraintes politiques que les

syndicats et la gauche politique pouvaient lui imposer dans le cadre de

l’État-nation. Ce nouveau contexte ne contraint plus le patronat à un compromis

social et ne l’incite plus à cofinancer l’État social.

La flexibilité et la fluidité sont devenus les nouveaux paradigmes productifs.

Cette évolution, apparemment contradictoire, caractérise ce que nous appelons

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« la mondialisation capitaliste ». Au sein du système de production capitaliste et

l’État-nation, la flexibilité et la fluidité contribuent à former de temps en temps un

système mondial. Le capitalisme constitue à la fois l’essence et l'aspect du

monde moderne. La révolution technologique, en modifiant la structure du capital,accroît la nécessité en capitaux et diminue la force du travail.

La mondialisation capitaliste, au lieu de renforcer la force du travail, exige

l’extension du marché et la circulation des capitaux, ce qui a pour conséquence

d’exclure la force du travail durable dans les processus de production. Elle incite

à produire de plus en plus de marchandises qui soient sources de profits, tout en

réduisant la force de travail. Les entreprises, au nom de la libéralisation,

encouragent autant la circulation des capitaux, qu’elle appelle désaccoupler leprocessus de reproduction. À partir de ce processus, le capital trouve aisément

de la force du travail à moindre coût. Autrement dit, les investisseurs et les

ouvriers ne sont pas de la même nationalité, les uns d’un côté engendrent des

profits, tandis que les autres subissent cette disjonction sociale. Les bénéficiaires

de ce système ne sont plus responsables du coût social, au contraire, ce sont les

masses qui s’en chargent. Voire même, ces mêmes masses subissent les

conséquences de la reproduction capitaliste: la pollution, l’inflation et lechômage... Cela révèle une contradiction de la mondialisation capitaliste : en tant

que composante du capital constant de la production, la force du travail

n’accompagne pas la circulation des capitaux, au contraire, elle se fixe dans un

pays particulier. Lorsque les entreprises et les capitaux se retirent d’un pays, les

capitaux, en quelque sorte, « nomades », font de même, si bien que les

opportunités de travail reculent dans ce pays. Par conséquent, la circulation des

capitaux produit des masses de chômeurs énormes, dont le coût pèse sur laprotection sociale que garantissait l’État-providence.

L’essor des marchés émergents incite les entreprises internationales à

délocaliser leurs usines, ce qui décroît l’emploi du pays d’origine. Ce processus

empêche l’État à établir une planification à long terme sur le marché intérieur.

Les organisations financières internationales, en se substituant aux prérogatives

traditionnelles de l’État, préconisent de prendre des mesures économiques en

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fonction des critères du marché. Une telle évolution approfondit la crise du

chômage, or le chômage de longue durée aggrave encore la pression sur la

sécurité sociale. Les indemnités sociales deviennent de lourdes charges pour

l’État-providence. Cela provoque en même temps une crise de légitimité, uneremise en cause des droits de l’homme, des droits du citoyen et du droit du

travail… Les États-providences démantèlent peu à peu leurs systèmes de

sécurité sociale, les questions sociales sont transférées à l’individu. Les pauvres

se retrouvent plus que jamais isolés, tant dans le pays d’origine que dans le pays

d’accueil, les chômeurs et les clandestins se voient délaissés…

Nous souhaiterions soulever deux questions qui participent à la destruction

de la protection sociale (la solidarité), et l’aporie de l’action collective. À mesyeux, ces phénomènes touchent la force du travail, qui se manifeste par la

relation entre la déqualification et la remplaçablité.

Le développement de nouvelles technologies a pour résultat que les hautes

techniques et les formations longues sont remplacées par la déqualification et la

divisibilité. Le travail se caractérise désormais par la précarité et la remplaçabilité.

Selon Marx, la logique du capitalisme induit une division du travail en de

multiples tâches, les travailleurs deviennent ainsi des « travailleurs partiels », ils

s’apparentent à la pièce d’une machine, sont remplaçables en toute heure et en

tout lieu.  92 En raison de cette parcellisation du travail, aucune tâche complète

n’est plus possible, les travailleurs deviennent un investissement superflu. Les

femmes et les enfants, voire l’ouvrier sans savoir professionnel, remplacent les

ouvriers traditionnels93. Le développement technique diminue aussi la nécessité

des travailleurs. Comme Marx le montre, la reproduction du capitalisme consiste

en la divisibilité et la répétition du travail par la machine : les ouvriers se trouventainsi assimilés à celle-ci. La divisibilité du travail conduit à la remplaçabilité du

travail, le développement technique encourage la fluidité des capitaux et la

précarité du travail. Il en résulte une déqualification du travail qui caractérise le

92K. Marx, Le capital . Livre I, Paris, PUF, 2006, 2ème édition, p.381 ; p. 404.93Ibid., p.443.

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mode de production pratiqué sous la mondialisation. Ce dernier point mérite de

s’y attarder, car avant la mondialisation, la relation entre la force et la

reproduction reposait sur la machine qui remplaçait la force du travail. Cela a

conduit à la constitution d’une force de réserve, à savoir, les chômeurs, qui,obligés d’accomplir des travaux précaires, forment une classe exploitée,

abandonnée à l’arbitraire. Un tel processus accentue encore le chômage et la

pauvreté.

Comme la précarité et la déqualification résultent de la mondialisation, les

entreprises n’ont pas besoin de verser de hauts salaires. Les travailleurs qui

maîtrisaient une technique et qui avaient de hauts salaires, sont remplacés par

des novices. Ainsi, la déqualification signifie la recherche de bas salaires. Lafluidité incite les dirigeants d’entreprises à délocaliser, ce qui provoque

l’émergence d’une masse de chômeurs. Avoir une vaste main-d’œuvre à

disposition n’est plus une nécessité, car la force de réserve est devenue

superflue. Cela veut dire que les chômeurs ne sont plus des producteurs, ni

même une force de réserve. Le chômage n’est plus temporaire, mais une

situation incompressible jugée comme normale. Les chômeurs étaient

auparavant au moins considérés comme une « armée industrielle de réserve »,alors que désormais, les chômeurs deviennent superflus, parce qu’ils n’ont plus

l’opportunité d’être engagés pour un travail. Ils ne sont pas les simples victimes

d’une exploitation, mais d’une surexploitation. Les chômeurs sont considérés

comme des hommes inutiles, en quelque sorte des hommes jetables, dont il faut

se débarrasser. En les excluant, les patrons s’efforcent de maintenir la stabilité

du marché et de faire baisser les prix de production.

La mondialisation a favorisé l’émergence d’un marché global du travail. Enraison de la fluidité des transports et de la mobilité des capitaux et des

travailleurs, les employeurs peuvent acheter la force du travail dans tous les

pays. Le développement industriel et le marché du travail se trouvent désormais

en concurrence dans tous les domaines de l’économie. Il nous faut tenir compte

ici de la différence entre les ouvriers étrangers et locaux, car les deux

conceptions du coût de la production sont différentes. Les ouvriers locaux sont

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effectivement les habitants du pays si bien que leurs salaires incluent la santé,

l’éducation, le logement... Autrement dit, les salaires, non seulement incluent le

prix du travail individuel, mais aussi celui du budget familial. Les salaires ne

comprennent pas seulement le prix de l’ouvrier individuel qui vend sa force etson temps dans l’usine, ils renvoient à une relation totale entre la famille et la

société.

Au contraire, les travailleurs étrangers sont des émigrants et habitent seuls,

leurs salaires n’incluent pas les prix de la vie et du budget familial, mais

également ceux du travail manuel. Comme Marx le montre, autrefois le

travailleur vendait sa force de travail, il vend désormais femme et enfant94. Par

conséquent, les salaires concernent les ouvriers individuels, tandis que se défaitla relation familiale et sociale. Auparavant, le capital se chargeait obligatoirement

au travers du travail des dépenses qui permettaient aux ouvriers d’élever leurs

familles. Aujourd’hui, dans un souci de rationalisation de la production, le capital

limite au maximum les dépenses. Les ouvriers doivent alors compter sur leurs

propres moyens et sur la protection sociale étatique. Les personnes qui

acceptent une aide sont considérées comme des bénéficiaires, paradoxaux et

ridicules, dont les capitaux s’estiment victimes.

Pour les mêmes raisons : la précarité, la remplaçabilité et de la fluidité, mais

surtout l’essor des techniques, les entreprises trouvent la possibilité de recruter

des ouvriers étrangers. Cette tendance d’un côté, provoque un chômage de

masse, de l’autre côté, encourage de grandes vagues des migrations ou les

clandestins. Le travail fixe et durable s’oppose à la logique du capitalisme, cette

dernière incite à la concurrence et la flexibilité. Le capitalisme exige des facilités

dans le marché du travail, ce qui favorise la précarité, la parcellisation et laremplaçabilité. Les gens se soucient plus du risque de devenir chômeurs que de

chercher à s’aider mutuellement, de crainte d’aider un concurrent potentiel. La

concurrence remplace ainsi la solidarité. Le souci d’ubiquité conduisant à la

solidarité devient moins un comportement moral et humaniste qu’un modèle

94  Ibid., p.445

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social. La protection sociale ne vise pas à protéger les pauvres, ni  à se replier

dans des associations marginales, mais bien à se réinsérer dans l'économie. La

protection sociale s’oppose à la logique du capitalisme, parce qu’elle représente

un investissement insensé, car la moralité ne convient pas aux principes deconcurrence et de profit.

Il ressort de ce qui vient d’être évoqué que le chômage naît d’une « violence

structurelle » ou «ultra objective » propre aux conditions sociales du capitalisme.

Le chômage s’avère donc nécessaire ou comme un symptôme social intrinsèque

au capitalisme. L’essor du chômage comporte deux conséquences, d’une part,

les chômeurs vivent à l’aide d’allocations de chômage. L’État déclare aux

ouvriers et aux chômeurs qu’il ne peut rien face à la mondialisation. L’État affirmeson impuissance contre les licenciements illégaux et le chômage. Ces chômeurs

deviennent des travailleurs migrants, ils déménagent vers d’autres pays pour

vivre mieux, et ils sont obligés de consentir à des salaires bas pour obtenir un

travail. De surcroît, les travailleurs migrés subissent de dures épreuves pour se

rendre à leurs pays d’accueil. Ces immigrants sont effectivement originaires des

pays où sévissent le chômage et la pauvreté. Cependant, quand ils arrivent à

leur destination, ils sont accusés de concurrencer les travailleurs nationaux, cequi aggrave d’autant la précarité de leurs statuts, et fait baisser les salaires et

accroître le chômage. Les populations des pays d’accueil renforcent leur

législation dans le sens de lutter contre les travailleurs migrés afin de protéger

leurs acquis. Tout cela montre une contradiction entre la mondialisation

économique et le renforcement des restrictions que les États imposent aux

mouvements migratoires. Les travailleurs migrés non seulement perdent la

protection de leur pays d’origine, mais aussi une bonne partie de leurs droits(droit du travail, droits de l’homme…) dans le pays d’accueil. Nous discuterons,

dans le sixième chapitres95, du lien entre immigration et le droit du citoyen,

notamment parce que le problème de l’immigration touche les questions du

racisme et de l’identité citoyenne dans la nouvelle communauté d’avenir.

95  Voir la sous-section 6.1.3. l’immigration : l’étranger de l’absent double.

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La mondialisation du capital via la fluidité a pour effet de rompre cette

intégration sociale. L’État-providence occidental a inspiré l’intégration sociale, en

coordonnant le marché et la société, tout en dénouant les conflits sociaux.

Cependant, la crise financière étend le chômage et l'économie informelle. Cesdeux dernières à la fois réduisent la fiscalisation et accroissent les dépenses

publiques. Le système de l’État-providence se trouve aujourd'hui mis en question

en raison des convulsions de la mondialisation capitaliste. L’État-providence se

trouve confronté à la crise du chômage, cette crise se révèle à la fois

conjoncturelle et structurelle, elle ne se limite pas à une région singulière, mais

plutôt se généralise considérablement. Le chômage structurel étant une

conséquence de la mondialisation s’établit sur le long terme.

Face à la libre circulation des capitaux, l’État se voit contraint petit à petit,

d’assouplir le marché du travail et de réduire le budget consacré à la sécurité

sociale, d’alourdir la fiscalité… Par ces mesures, l’État tente d’attirer les

investissements afin de renforcer la compétitivité du pays. L’État brade les

services publics et la fiscalité ainsi que les autres avantages offerts aux

investisseurs étrangers. Il en résulte une détérioration des salaires et des

conditions de travail, ainsi que la montée du chômage, de la précarisation du

travail, le démantèlement des acquis sociaux. Comme aucun capitaliste ne

désire acheter les forces du travail de réserve, le risque est la stagnation, voire le

déclin pour l’économie globale du pays. Par conséquent, l’État subit une pression

double. D’une part, il perd les ressources liées aux taxes, d’autre part, il accroît le

prix des charges sociales, tout cela ne peut que contribuer à aggraver le

chômage.

La mondialisation du capital se caractérise par la destruction de

l’État-providence qui faisait coïncider les structures politiques et économiques.

Au cours des années 1990, les pays européens ayant essayé d’assouplir le

marché du travail en imitant le « modèle anglo-saxon » n'ont pas réussi à faire

reculer le chômage de manière significative et ont dû renoncer à la redistribution

de l’État social et à la réforme. Les pays européens retournent à une situation

proche de celle du début du 20ème  siècle : la déroute de l’État-providence

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aggrave de façon effarante la progression des inégalités, de la pauvreté… Aux

États sociaux européens, pressés par la classe patronale de comprimer les

indemnités de chômage, il ne reste plus qu'à restructurer la sécurité sociale et à

inclure les groupes marginalisés dans la garantie du minimum d'existence. L’Étatne se trouve plus vraiment en mesure d'assurer la sécurité et la cohésion

sociale96. Les coupes apportées dans les budgets consacrés aux politiques

sociales publiques montrent que la logique de la mondialisation capitaliste ne

considère plus ces dépenses comme socialement nécessaires et faisant partie

du coût de l'entretien et de la reproduction de la force de travail. Elles

apparaissent comme superflues dans la mesure où tout travailleur migré précaire

peut être remplacé, déplacé, expulsé, selon les besoins de la production.En négligeant l’importance de l’intégration sociale, la mondialisation en

cours renforce une centralisation du contrôle et de la gestion des capitaux. Au

contraire, l’État de plus en plus ne peut plus supporter le prix de la sécurité

sociale et les services publics. Ainsi, la mondialisation capitaliste ébranle les

fondements de la social-démocratie européenne. La mondialisation place l’État

devant un choix difficile, car son pouvoir et sa responsabilité prennent des

chemins contraires. L’État exige du peuple de lui accorder plus de pouvoir afin degarder sa capacité de gouvernance. De surcroît, l’État retire une partie des droits

du peuple, afin d’instaurer une meilleure flexibilité du travail, pour laisser plus de

liberté aux entreprises. Tout cela génère du chômage et la misère se généralise,

tant dans les pays industrialisés que dans les pays en développement, avec un

nombre élevé de travailleurs dans des emplois précaires ou temporaires. Les

personnes issues de groupes sociaux défavorisés s’avèrent particulièrement

touchées, perpétuant ainsi le cercle vicieux de la pauvreté et de l’exclusionsociale. La pauvreté est devenue un phénomène social, les pays pauvres

s’appauvrissent, les salaires reculent, car les travailleurs perdent de la

compétitivité. Les travailleurs étant mal payés, l’État manque de plus en plus de

ressources. La libre concurrence s’éloigne de l’image d’une économie libre, car

96 E. Mandel, Le troisième âge du capitalisme, Paris, Les Editions de la Passion, 1997.

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un petit nombre d’acteurs économiques détiennent l’essentiel des ressources : la

libre concurrence devient une malédiction pour l’État. Plus on renforce la

compétitivité pour se débarrasser de la pauvreté, plus on aggrave la pauvreté.

Ce cercle vicieux se déroule aussi dans tous les pays.

La logique du marché conteste la notion même de coût humain. Elle ne

raisonne que sur le modèle de l’entreprise. Le pouvoir de l’État s’est affaibli à

plusieurs niveaux: en premier lieu, en tant qu’acteur économique et par voie de

conséquence, dans son rôle d’employeur, de régulateur de l’économie et de

mécanisme de redistribution du produit social à travers la fiscalité. Tout ce qui est

bon pour la firme est bon pour l’économie. Les conséquences sociales de cette

logique se trouvent ignorées. Le coût social lui-même a disparu. La montée duchômage nous informe sur la fragilisation du droit du travail face aux

mouvements de restructuration de l'économie globalisée. Or, cette évolution du

droit du travail dans le sens de la flexibilisation des relations de travail représente

un véritable défi à la construction théorique de la citoyenneté.

La fin de l’État-providence fait renaître les crises qu’il était parvenu à

contenir. D’où la réapparition des frais sociaux qu’une société libérale risque de

se montrer incapable de supporter. L'État-providence ne semble plus capable de

maintenir l'équilibre social. Comment alors affronter ces situations de crise ?

Cette crise conduira à la disparition de l’État-providence au profit d’un État

concurrentiel. L’État-nation se trouve confronté à la question suivante : comment

introduire une régulation du marché, permettant l’égalité sociale et la démocratie ?

Comment mettre efficacement à profit les fonctions de protection sociale et

d’intégration des classes diverses afin d’éviter une redistribution inégale

incompatible avec les conditions d’intégration propres aux sociétés libérales

dotées d’une constitution démocratique ?

Tout d’abord, l’État s’avère indissociable de la société et cela n’a guère de

sens d’opposer strictement l’un et l’autre, comme on le fait parfois. Pour autant,

pour que la démocratie ait un sens, l’État ne doit pas se confondre avec la

société. Et l’autonome de celle-ci doit pouvoir se manifester pleinement. Les

deux notions renvoient à des réalités tellement imbriquées qu’on est parfois tenté

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d’y voir deux façons de penser une même totalité. En effet, si l’État exerce un

pouvoir sur la société, il est aussi l’incarnation de celle-ci, le garant de sa

pérennité, de son unité et de sa cohésion.

La plupart des études actuelles sur les migrations négligent le rapport entre

la mobilité des capitaux et celle du travail. Il s’agit d’une grave omission, parce

que le marché du travail global ne crée pas vraiment d’emploi. En effet, le

capitaliste possède le pouvoir de licencier et d’embaucher à sa convenance les

ouvriers. Dans la mesure où la circulation des capitaux et de la production

transnationale n’est pas dissociable de la force de travail, ces trois facteurs

constituent des traits essentiels du capitalisme moderne. Par conséquent, il faut

mettre en œuvre une analyse sur l'immigration, mettant en rapport le mouvementde la force de travail et celui des capitaux. La mobilité des capitaux s’avère

indispensable à la circulation de la force du travail. La force du travail migrante

concerne la question de la citoyenneté, de l’identité nationale, des droits du

travail. Ces dernières consistent aussi à la problématique actuelle de la

mondialisation.

Des signes révèlent l’augmentation de la pauvreté et de la précarité sociale,

liées à la disparité croissante des revenus. Nous ne saurons pas non plus

délaisser les tendances à la désintégration sociale. Quelle dimension celle-ci

prend-elle à l'ère de la mondialisation ? Comment sinon l'atteindre, du moins s'en

rapprocher ? De nouveaux risques d'exclusion et de chômages apparaissent

aujourd'hui. Les services publics constituent-t-ils encore une réponse adéquate

pour gérer ou diminuer ce risque d'exclusion ? Nous aurions tendance à

répondre par l’affirmative. Aujourd'hui, nous cherchons les remèdes les plus

appropriés pour régler les questions sociales. Cette réflexion conduit certains à

dénoncer le poids des actions politiques collectives, parce qu’elles défendent les

intérêts des faibles. Il s’avère, au contraire, souhaitable que les dirigeants de

l’État soient confrontés en permanence aux différents intérêts et aux différents

points de vue de l’intérêt général qui cohabitent dans la société. À condition, bien

entendu, que tous les points de vue soient entendus et que les compromis qui en

résultent ne servent pas uniquement les intérêts des plus forts. Tout cela montre

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que le service public et l’action politique collective constituent une réponse

pertinente à une série de nouveaux risques. Cela représente un tournant. Un

autre contenu de la mondialisation s’exprime, celui des citoyens se battant pour

une société plus juste et plus humaine. Bien que la démocratie sociale ne soitpas une voie parfaite pour dénouer les problèmes liés au libéralisme, elle limite

au moins le coût social, issu du libéralisme, ne serait-ce qu’à un niveau

acceptable.

4.1.2 Individualisme atomique et solidarité

Depuis la fin de la guerre froide, avec le triomphe des idées libérales, le

recul de la protection sociale devient le thème de prédilection des études sur les

pays en développement. Beaucoup de causes expliquent le déclin de la

protection sociale, en dehors de la fluidité, le néolibéralisme se caractérise par

l’individualisme qui a mené au moralisme autour de la protection sociale. C’est

pourquoi nous souhaiterions discuter à partir de l’individu atomique. Le

phénomène de la mondialisation apparaît comme marqué par « l’incertitude » et

la « discontinuité ». La mondialisation se fonde sur la liberté individuelle et la

concurrence, au nom de « l’autoréalisation » entre les individus et l’absence de

concept d’égalité sociale. Elle ne suit pas d’autre logique que celle du marché,

chaque individu vivant comme une existence atomique sans qu’il n’y ait de

relation sociale : une « rupture du lien social ». Il n’existe de contact qu’à travers

la logique du capitalisme. C’est pourquoi, nous pouvons affirmer que la

mondialisation prônée par le néolibéralisme est une illusion. Elle n’en aboutit pas

moins à une désunion de la société. Quand la mondialisation, pour réaliser la

libéralisation du marché, déstabilise les relations existantes à l’intérieur de la

société, il n’y a plus de relations humaines, ni de relation familiale, ni de relation

amicale… Toutes les relations sociales tendent à devenir parcellaires.

En abstrayant toute relation sociale, le monde se réduit à des données

pures, une logique qui penche au profit du marché capitaliste. Autrement dit, le

néolibéralisme à l’aide de la rationalité scientifique et de l’individualisme,

contribue à défaire tout concept de société solidaire. La société se réduit à

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l’individu atomique et à une règle unique considérant l’intérêt économique

comme une priorité. La libéralisation, la flexibilisation, la privatisation, etc. sont

des généralisations appuyées par la mondialisation économique. À cause de la

libéralisation et de la dérégularisation, les problèmes sociaux s’avèrentinévitables et conduisent l’État providence à disparaître et à renforcer les

tendances au conservatisme.

La libéralisation économique parle seulement en termes de prix et de profits,

elle dissout tout ce qui s’oppose à la logique du marché afin d’élargir la

puissance du marché. En conséquence, il reste seulement un individu isolé,

quand toute la force collective a disparu, l’homme vit de façon solitaire : il n’y a

plus de relations sociales, mutuelles et réciproques. Dans ce cas, naît enl’homme un sentiment d’incertitude et d’insécurité, quand cette inquiétude se

généralise dans toute la société, les hommes se montrent plus préoccupés à

s’occuper d’eux-mêmes. En même temps, ils se sentent plus solitaires, ils

entrent dans un cycle vicieux. En d’autres termes, en désunissant la collectivité,

le néolibéralisme accule les hommes à l’individu atomisé. Il n’y a plus de

collectivité (notamment sur le concept de la responsabilité collective), toutes les

responsabilités sont attribuées à l’individu qui doit assumer tous les risques. Toutcela réduit indirectement le prix du produit de l’entreprise, c’est la raison pour

laquelle le néolibéralisme prône la libéralisation et promeut l’individu.

Contrairement à la solidarité, qui apparaît comme une forme de lien social

stable, le néolibéralisme prêche le dogme de « s'aider soi-même  ». Ce dernier

principe relève de la responsabilité de chaque individu. En d’autres termes, la

mondialisation a contribué à la disparition de mécanismes intermédiaires, si bien

que le citoyen ne peut plus attendre de protection de la part de l’État et plusgénéralement du reste de la société. L’entreprise vante ainsi sa supériorité

absolue et applique une législation du travail qu’elle a elle-même conçue. Dans

le même temps, la force de négociation et d’association des syndicats s’est

considérablement affaiblie. Les ouvriers subissent une exploitation qui va en

s’aggravant, sans rien pouvoir faire pour s’y opposer. La majorité des ressources

se trouvent entre les mains d’une minorité qui réclame plus de protection pour

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leur propriété privée97. Cela signifie plus de restrictions sur les êtres humains. 

Les apologistes de la globalisation annoncent une « bonne » nouvelle : la

libéralisation des marchés encourage la croissance. L’ennui est de savoir où et

pour qui? La mondialisation, la liberté est fondée sur l’interdit et profite seulementaux riches. Mais pour la majorité des gens, cela signifie moins de liberté.

Le néolibéralisme est concrètement l’équivalent du conservatisme 98 

reposant sur une foi historique en la primauté de la propriété privée sans autre

moyen de régulation que le combat individualiste. À tel point qu’on pourrait dire

que le concept de liberté se trouve circonscrit seulement à la liberté individuelle. 

Il s’agit d’un libéralisme vulgaire appelant uniquement au profit individuel et à la

concurrence entre les individus. Pour les néolibéraux, la capacité personnelle

97   La mondialisation a renforcé la tendance naturelle de l’économie de marché à unegénéralisation des relations de type marché, à savoir une « sacralisation de la propriétéindividuelle », qui la différencie de la propriété publique ou de la propriété sociale. Tout se vend,la culture, l’information, est vue comme une marchandise. Par exemple, pour les droits d’auteur,on peut les considérer comme un droit de la personnalité, voire un droit de l’homme (selonLocke), à savoir, une propriété privée. Un individu s’approprie et transforme la nature par son

travail, donc on a besoin d’établir une loi pour protéger la propriété privée, c’est pourquoi lesdroits d’auteur doivent être respectés. Ils constituent à priori un obstacle à la libre utilisation.Toute production culturelle est fondée ainsi sur le droit de la propriété privée et est considéréecomme une marchandise. Elle est aussi subordonnée à la logique du marché, même si elle n’estpas une chose concrète. Elle est seulement un idéal, une chose abstraite, mais elle équivaut àune marchandise. Robert Castel, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Paris,Fayard, 2001, pp.14-17, 66-6998  En général, le libéralisme et le conservatisme sont perçus comme des concepts opposés, carle libéralisme insiste sur l’ouverture de la société. Le conservatisme est à l’inverse unecontre-révolution. Néanmoins, ils invoquent des principes proches pour défendre lamondialisation. D’abord, ils demandent à l’État de protéger les intérêts du libéralisme et du

conservatisme, plus spécialement la propriété privée et la supériorité dans le commerce. Ensuite,ils s’opposent à « l’État- providence». Après les années 1980, les pays occidentaux ont dû faireface à des problèmes financiers. Le néolibéralisme et le conservatisme estiment que l’État doitsupprimer ou réduire le budget de la sécurité sociale et ne doit pas consacrer son argent auxpauvres, dépenses qui ne contribueront qu’alourdir les charges de l’État. En même temps, tousles citoyens doivent payer plus de taxes ce qui est considéré comme une forme d’inégalité. Auxyeux du néolibéralisme et du conservatisme, les chômeurs et les pauvres n’ayant pas la capacitéde travailler, l’État n’a aucune obligation de les protéger, car ils constituent des obstacles à la libreconcurrence. Autrement dit, le néolibéralisme et le conservatisme ont un même objectif à l’égarddu rôle de l’État, à savoir qu’ils demandent une limitation du pouvoir de l’État. I. Wallerstein,L’après libéralisme, Ed. Aube, 1999.

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encourage le progrès du monde total, il faut donc exclure tout ce qui risque de

gêner l’individu à exercer ses talents. Au sens le plus fort du mot, la

responsabilité sociale empêche la personne de réaliser tout son talent. Elle

diminue ainsi la compétitivité de l’individu. Aux yeux du néolibéralisme, laresponsabilité sociale apparaît comme un objet répulsif, en dehors de toute prise

économique. Si un travailleur ne trouve pas d’emploi, cela signifie qu’il est

inemployable, quelles que soient ses qualifications, il n’a pas les compétences

requises. Cela relève de sa seule faute personnelle, il doit démontrer qu’il

possède des capacités indispensables pour occuper un poste de travail. Dans le

même temps, les responsabilités des patrons et des gouvernements s’estompent.

Ils ne sont ni responsables, ni coupables.Le concept de compétition personnelle soulève des problèmes de société: 

chômeurs, immigrés légaux ou personnes marginalisées. Ces populations

doivent être traitées à l’aide du renforcement des moyens de surveillance, de la

prison et l’exclusion, afin d’éviter qu’elles ne perturbent la stabilité du marché. Le

néolibéralisme tente d’exclure toutes les forces faisant obstacle au marché :

l’État, les associations sociales, les confédérations du travail ou la responsabilité

sociale abstrait. Le néolibéralisme, d’une part, petit à petit fait reculer l’espacedes fonctions collectives, d’autre part, transforme l’individu en un simple

« pronom » de l’économie. L’individu est envisagé seulement comme un être

abstrait, une machine de travail. La mondialisation est fondée sur la liberté

individuelle, tout le monde est réduit à une existence atomique, les individus

vivent sans relation sociale. Cette dernière se caractérise par la division et

l’aliénation, le lien social ne passe que par le libre l’échange. Le néolibéralisme

défait de plus en plus la notion de solidarité. La mondialisation capitaliste perçoitla société comme une « société de la propriété » (ownership society ). Tout le

monde est sa propriété et doit assumer les risques. Les individus vivent isolés, et

dans cette logique, doivent se soigner par leurs propres moyens. L’État n’a plus à

supporter le coût de la santé, l’éducation, la protection sociale, qui relèvent

désormais de la responsabilité du peuple lui-même. En somme, le concept de

liberté sur lequel le néolibéralisme insiste n’est pas un concept de solidarité. La

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responsabilité collective est considérée comme une notion attardée. Le

néolibéralisme promeut un retour à l’individualisme et la destruction du système

de protection sociale. La mondialisation capitaliste est un monde fondé sur le

marché, ce qui s’oppose à un monde fondé sur le social. La mondialisationdésire justement éviter les responsabilités sociales. D’après les mondialistes, les

responsabilités vis-à-vis de la société sont à rechercher en dehors du domaine

de l’économie.

À l’opposé du néolibéralisme, le concept de solidarité ne se limite pas à une

simple juxtaposition d’individus. Un tel concept est un mode alternatif et assure la

concorde de l’espace privé du marché et l’espace public de la société. Le

concept de solidarité relie l’individu et la société et contribue à l’harmonie entre lemarché (l’espace privé) et la société totale (l’espace public). Le concept de

solidarité ne s’éloigne pas de la responsabilité sociale, il établit une relation forte

entre l’individu et la société dans laquelle il vit. Il construit un réseau capable de

protéger toutes les personnes vivant en son sein. Il permet à l’individu de rester

libre par rapport à la société afin qu’elle ne devienne pas une prison pour

l’individu99. La liberté individuelle se trouve toujours jointe au lien social, à

condition que la société totale construite ferme la relation réciproque, l’individuvivra sans souci. La solidarité est un concept qui entretient et inclut tout le monde,

pour n’exclure personne. Plus important encore, nous voulons mettre en

évidence que, généralement, à part l’économie, la protection sociale doit être

considérée comme relevant de l’aide humanitaire. Lorsque la protection sociale

devient de la charité, l’aide devient un mot répulsif et une source de

99  Nous pourrions reprendre le concept de I. Berlin. Dans son livre célèbre, « Four Essays ofthe Liberty  », il distingue deux sortes de liberté, « la liberté positive » et « la liberté négative ». Laliberté négative signifie qu’il n’y a aucun interdit sur l’individu, les gens pourraient accomplir toutce qu'ils désirent. Par contre, la liberté positive magnifie un droit de participation, autrement dit,les individus s'engagent dans le rapport social, ils participent aux affaires publiques. A travers laliberté positive, tout le monde devient autonome. Subordonnés au rapport social, ils possèdent lemême niveau de liberté dans la société. En conséquence, on pourrait avancer que lenéolibéralisme est une liberté négative, une liberté vulgaire, parce qu’il ne respecte que la libertéindividuelle. Voir I.Berlin: Four Essays of the Liberty , London, Oxford, 1969; Charles Taylor,What’s Wrong With Negative Liberty, The Idea of Freedom , Oxford University Press, 1979. 

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discrimination.

Pour le capitalisme, le RMI (RMA) est un véritable superflu, non pas tant

parce que ses bénéficières ne sont pas producteurs de richesses, mais surtout

parce qu’ils ne sont pas consommateurs. En d’autres termes, l’instauration du

RMI traduit au mieux cette nouvelle conception de gestion de la force de travail. Il

signifie concrètement que l’État pense qu’il y a un nombre durable d’exclus de la

sphère de production et de la consommation. Tout cela contribue à estimer les

chômeurs et les indigents comme des parasites sociaux. Le RMI se loge dans

domaine de la morale, ainsi, il s’insère dans l’infra-juridique et l’infra-politique. A

savoir, qu’il est un outil destiné à réduire les inégalités et les conflits, sous l’angle

économique en insistant sur le coût social du démantèlement des servicespublics, il est aussi infra-étatique.

Nous tentons d’expliquer par la relation entre le capitalisme, l’État et le

travail afin de comprendre mieux l’essence de la protection sociale. Selon la

logique du capital, pour mieux fonctionner, le capital être doit acheter la force de

travail. En conséquence, dans la mesure où la force du travail est une

marchandise, elle doit être de bonne qualité et à un prix modique afin d’attirer les

consommateurs (les capitalistes). Par conséquent, l’État doit instaurer des

conditions favorables à cette relation entre vente et achat afin d’inciter les

entreprises à acheter la force du travail. Au travers de la protection sociale, l’État

réalise la marchandisation entre l’ouvrier et le capital, nous pourrions ainsi

considérer la protection sociale comme une politique où le capital obtiendrait de

façon continue, qualité et bas prix, et la force de réserve.

Cependant, à mes yeux, à partir de la solidarité, loin de se borner à une

affaire morale, la protection sociale est un concept pour sauver le droit de vive.

Elle ne s’inscrit jamais sous l’angle de l’économie ou de la moralité, mais sous

celui des droits fondamentaux. Elle n’est pas simplement un système salvateur,

essentiel, elle évite un échec total pour la société humaine. La protection sociale

ne sert pas seulement à assurer les conditions de base pour vivre, mais permet

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également à ses bénéficiaires d’appartenir à une société de semblables100.

Dans nos espaces publics divers, au lieu de simplifier l’opposition des droits

individuels et des droits collectifs. Il faut s’approprier le conflit vers la cohésion et

recréer en permanence une communauté de communes, à partir des différences

et des conflits101. En tant que membre d’un collectif, l’individu est doté d’un statut

social et dispose du droit civil. Ce statut apparaît trans-individuel et permet de

surmonter l’opposition individu/communauté, car il est porté par des individus au

sein du collectif.

100   R. Castel, L'insécurité sociale: qu'est-ce qu'être protégé ?   Seuil, 2003, 73-74; Lesmétamorphoses de la question sociale, folio, 1995, p. 624.101  Nous devons rappeler le concept développé par Balibar de « démocratie conflictuelle » publié« l’Europe, l’Amérique, la guerre ». Nous approfondirons cette question dans le cinquièmechapitre.

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4.2 Un nouveau sujet révolutionnaire ?

D’après ce qui a été évoqué dans la partie 4.1, les problèmes du chômage,

de l’immigration internationale, de l’individu atomique et de la déconfiture de la

protection sociale sont induits par la libéralité, la fluidité et l’atomisation. Des

gauchistes proposent des stratégies de l’action comme par exemple le

mouvement autonome ouvrier italien de Negri. Il réfléchit à partir de l’expérience

du mouvement italien depuis 1960 et propose l’idée de « multitude » et de

« production immatérielle ». Holloway préconise en outre de « Changer le monde

sans prendre le pouvoir ». La stratégie de ce mouvement s’inspire elle-même du

zapatisme. Toutes ces approches appellent à renoncer au concept de classe, de

parti, d’État et de pouvoir. Elles nient la subjectivité ouvrière et refusent l’idée

d’établir un programme politique commun. Les tenants de cette approche

espèrent l’émergence d’un anti-pouvoir, un nomadisme d’esthète ou un

post-anarchisme. En cela, ces mouvements sortent de la révolution ouvrière afin

d’accumuler le plus de possibilités de convergence et d’organiser une résistance

ubiquitaire. Dans cette section, nous étudierons le concept de « multitude » et

celui de « révolution sans le pouvoir ».

Dans cette section, nous discuterons aussi du concept de la classe

ouvrière et de la lutte des classes. Nous devons vérifier la validité de l’idée de

« la production immatérielle » chez Negri, annonçant la disparition de la classe

ouvrière. Nous souhaiterions aussi examiner l’idée de « pouvoir-sur » et

« pouvoir-de » chez Holloway. Il soutient ainsi que la révolution découle la vie

quotidienne.

Par rapport aux idées de Negri et Holloway, il apparaît que la conscience est

à la fois la représentation de l’action et du rapport de production, elle ne se

trouve pas devant l’action. Elle est au contraire une cohésion de l’action et enfin

elle en concrétise le contenu. L’action prolétaire n’est pas motivée par l’identité,

mais plutôt par le fait que le prolétariat connaît bien la relation sociale dans

laquelle il se trouve. C’est la relation sociale qui décide de l’action et de la

conscience prolétaire qui n’est pas naturelle.

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Le rôle du sujet révolutionnaire sera envisagé à partir des théories de

Lukacs, Althusser, Mandel et Poulantzas qui nous permettront de répondre aux

questions suivantes : à quoi correspond le sujet révolutionnaire aujourd’hui ?

A-t-il existé un sujet révolutionnaire désorganisé ? Est-il possible de parlerencore de classe ouvrière ou de lutte ouvrière ? Existe-t-il une stratégie

alternative à l’épreuve de la mondialisation ? Peut-on établir un autre statut que

celui de l’ouvrier afin de regrouper divers mouvements ?

4.2.1 Mouvement autonome ouvrier italien102  et la « multitude »

« L’Empire » chez Negri reconstruit la théorie du peuple sur lequel en

s’efforçant de réfléchir comment sortir de l’État-nation et comment retrouver un

nouveau concept du peuple susceptible de devenir le noyau du politique. Negri

définit la « multitude » à partir de trois dimensions. Tout d’abord, la « multitude »

s’oppose au concept actuel du peuple au sein du système souverain. La

« multitude » diffère du peuple ou de la masse, elle ne s’inscrit pas dans une

représentation concrète, mais est un concept composé. Comme la « multitude »

s’oppose à la classe, sous l’angle de la nouvelle relation du travail, les ouvriers

deviennent les producteurs d’un travail immatériel, non pas physique, mais

102 Nous n’allons pas écrire ici une histoire du mouvement autonome ouvrier italien. De même,nous devons rappeler que Negri ne représente pas entièrement ce mouvement. Ce dernier inclutMario Tronti, Maurizio Lazzarato,  Paolo Virno, etc. Nous voulons d’ici seulement marquerl’origine de la notion de la « multitude » et les caractères de ce mouvement. Le mouvementautonome insiste sur l’inorganisation et la décentralisation. La plupart des participants viennenten effet du sud italien, ils sont les travailleurs migrants. Ils sont aussi la marge sociale. Ils incluent

les chômeurs, les jeunes, les immigrés des banlieues, etc. Par rapport aux travailleurs du norditalien et au parti communisme, ce mouvement se caractérise par la pratique quotidienne etl’auto-organisation.À cause de l’expérience des mouvements autonomes depuis les années 1960, Negri conclut quela force de la révolution réside dans celle qui inclut tous exploités du capitalisme. Elle contientnon seulement les ouvrières, mais aussi les chômeurs, les clandestins, et les nomades. Cesdernières sont considérées par Negri comme la nouvelle subjectivité révolutionnaire. Negri lesnomme « multitude ». Il pense que les ouvriers ne sont plus la subjectivité principale de larévolution. Ils sont une partie de la multitude. En ce qui concerne l’histoire du mouvementautonome ouvrier italien, voir Paolo Virno & Michael Hardt ed., Radical thought in Italy: a potentialpolitics, Minneapolis, Minn, University of Minnesota Press, 1996

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intellectuel. Face à une telle transformation, l’ouvrier ne désigne plus une classe,

il devient une partie de la « multitude ». La « multitude » est plutôt un concept

politique, dont la force même pourrait définir un nouveau concept politique103.

Pour Negri, la multitude se caractérise par l’inorganisation et la

décentralisation, elle est une auto-organisation biopolitique. Negri redéfinit tout

d’abord le concept de prolétariat. Pour lui, le sujet du travail et la révolte se

trouvent en cours de changement. Sous l’ère de l’impérialisme, à cause de

l’industrialisation, l’ouvrier était devenu le noyau de la révolution. En revanche,

sous l’ère de l’« Empire », les entreprises et les organisations internationales

remplacent l’État-nation, le travail immatériel modifie à la fois l’essence du travail

et le sujet de la révolution. L’exploitation capitaliste ne se limite plus à l’usine,mais envahit la vie quotidienne. La structure du prolétariat doit se transformer et

s’élargir à une catégorie plus vaste. Elle doit inclure tous les exploités directs et

indirects dans les processus de production et la reproduction du capital, tous

ceux qui se subordonnent aux capitalismes. Les ouvriers représentèrent le

prolétariat à l’époque industrielle. Cependant, ils ne forment plus qu’une partie

des exploités sous l’ère de « Empire ». Dans ces conditions, la classe ouvrière

n’existe plus, le nouveau prolétariat se trouve plutôt formé par la multitude. Cettedernière constitue concrètement les bas-fonds de la société. La multitude, en se

substituant à l’ouvrier industriel, est le nouveau sujet de la révolution.

Autrement dit, pour Negri, la multitude sort de la classe ouvrière et prolonge

la force de la convergence. Elle est une force plurale et ubiquiste. Aujourd’hui, le

concept de prolétariat ne fonctionne plus comme un sujet organisé autour du

système d’autorité, il est recoupé selon divers plans par des différences et des

stratifications. Negri se sert, afin d’appuyer son argumentation, des événementscélèbres des deux dernières décennies du 20e  siècle, il pense que les

participants n’ont pas su inspirer un cycle de luttes et ne peuvent pas appartenir

à un contexte ou à une organisation unique. Les événements manifestent une

103  A. Negri et M. Hardt, Multitude , éditions La Découverte, Paris, 2004. ; Negri, Pour unedéfinition ontologique de la multitude , multitude9, mai-juin, 2002

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lutte diverse et constituante104. Negri considère ainsi la multitude comme un sujet

décentralisé par rapport à la révolution. Au contraire du prolétariat, la multitude

comprend l’ensemble des pauvres, la classe prolétarienne, les anarchistes, les

antimondialistes, etc. La multitude s’oppose à toutes les formes d’organisation,elle ne mise aucun espoir sur l’État, les partis ou les syndicats. Elle ne prétend

pas non plus combattre totalement la mondialisation. Elle est un nouveau sujet

politique, créant une nouvelle forme de démocratie et de pouvoir constituant.

Pour la multitude, la révolution représente une partie de l’histoire, elle change de

forme selon des conditions matérielles précises. Et en fonction du contexte

auquel elle se rapporte, elle crée une nouvelle subjectivité politique.

Negri distingue aussi la multitude, le peuple et la masse. Il souligne le faitque la multitude dispose de la conscience et d’une intention. Elle est multiple et

irréductible, elle consiste en la singularité, inspirée de la notion de Deleuze, en la

virtualité. Elle est un mouvement de différence interne, une différence en

elle-même. Elle est toujours un rapport d'intensités et comprend la multiplicité

intensive. Negri pense que la multitude n’appartient pas à un système social

unique. Nous formons une multiplicité de la singularité, la multitude se compose

à partir des singularités qui constituent un sujet social différent. Aucun individun’est ainsi diminué, ces individus de la singularité à l’aide de coopération

établissent un réseau de force commun (le pouvoir)105. Negri affirme que la

« condition commune » ne réside pas dans l’identité, mais au contraire, dans la

différence. À travers l’action collective, nous communiquions et collaborons,

enfin, nous engageons ensemble un projet politique commun, par cette

démarche, nous dépassons les limites de la différence106. Autrement dit, l’agir

existe encore dans la singularité, l’individu appartient à la fois à la commune et àlui-même. Dans le sens de l’ontologie de la multitude, cette démarche évite

l’exclusivité du concept de classe ouvrière.

La multitude tente de prolonger la ligne de combat, elle ne nie pas

104  M. Hardt et A. Negri, Empire, Exils Editeur, Paris, 2000, p.83-87.105  Ibid., pp.6-8, 126106  Ibid., p. 132.

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l’organisation ouvrière traditionnelle, mais tente plutôt d’attirer non pas

seulement la classe ouvrière, mais aussi les paysans, les femmes, les jeunes,

les chômeurs, à l’instar du mouvement zapatiste qui regroupe les forces

différences. Afin d’accomplir ce mode d’agir, Negri fonde la multitude sur ladimension immatérielle, à savoir, sur la production de la subjectivité ou sur la

biopolitique. Il se demande comment produire une nouvelle subjectivité pour

contrer l’ « empire » et faire converger l’action collective ? Du coup, il tente

d’abandonner le concept de la classe du marxisme pour le substituer à un

nouveau concept convenant aux nouvelles conditions imposées par la

mondialisation. Comme nous avons dit, la multitude s’appuie sur de multiples

dimensions, elle ne concerne pas que l’économie, mais aussi le politique. Negricrée la notion de « production biopolitique » afin de remplacer celle de produit du

travail. Pour lui, comparé au travail industriel, le travail aujourd’hui ne produit pas

que des marchandises matérielles, il crée dans le même temps une relation

sociale immatérielle. Cette production biopolitique construit à la fois la relation

sociale et la forme de la vie. En reliant la société et l’individuel, il déchaîne la

relation entre la subjectivité et l’État. L’État n’est donc plus visé, il s’agit plutôt

d’envisager la vie quotidienne. Car la production biopolitique ne considère pas

l’État comme une conséquence de la connexion du sujet. Au contraire, elle

produit, non pas seulement une production matérielle, mais aussi une société

concrète de coexistence et de forme de vie.

En d’autres termes, la production biopolitique en tant que lieu où l’on forme

la relation réciproque et échange les modes de la vie. Un tel mode de production

fonde la dialectique de la vie sociale et modifie la forme de la vie. La production

biopolitique née du contenu social découle de la connexion des relationssociales et des circonstances élémentaires vitales au sein desquelles ils sont

insérés. C’est-à-dire qu’elle reproduit la subjectivité. La production s’articule

complètement à travers la production de subjectivité. Elle n’appartient plus à la

société, mais renvoie à l’immanence sociale, elle crée la forme sociale en

fonction du travail coopératif. Autrement dit, la forme sociale se construit à partir

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du projet de la multitude107. La subjectivité connote la force productive et la

relation individuelle et celle du groupe. Tout cela permet à la subjectivé de sauter

le cadre de l’État, et de transformer de la société. Une subjectivité, induite par la

production biopolitique, ne distingue plus l’individu du groupe, ni la dimension del’économie ou de la société. Elle articule toutes les conditions dans lesquelles

l’individu vit. Les relations entre la subjectivité et l’organisation, les groupes, la

société, ne nient pas la collectivité, mais la reconnaissent. La subjectivité

représente à la fois une structure et une superstructure, une production et une

reproduction108. La forme de l’organisation insiste sur une démocratie interne et

une organisation décentralisée, ainsi, le mouvement doit s’accomplir à l’échelle

mondiale. Que ce soit au niveau local, régional et le mondial, il s’agit d’une luttetotale. Ce n’est plus un mouvement exclusivement tourné vers l’ouvrier, mais qui

touche tous les acteurs potentiels. La multitude est une multiplicité de différences

singulières, de même, elle ne réduit pas les diversités en une unité ou constitue

les différences en une identité singulière.

Pour Negri, une telle multiplicité de différences singulières résout

simultanément deux problèmes : la démocratisation de l’organisation, et

comment la multitude peut-elle devenir un nouveau sujet politique remplaçant leprolétariat ? Il pense que la nouvelle stratégie à adopter, ne doit plus se limiter au

seul cadre d’un État particulier. Ainsi, la lutte des classes et celle des races

obligent à étendre le cadre global, et à associer la lutte locale. Autrement dit, la

nouvelle stratégie réside à la fois dans la convergence transnationale et la

résistance locale. Le concept de multitude tente de créer une nouvelle

subjectivité, un pouvoir de réseau, à la différence du mouvement traditionnel. Un

tel concept ne se focalise pas sur les classes dirigeantes, mais plutôt essaie defaire ressortir un groupe démocratique, multiple, ouvert. Les groupes ne reposent

ni sur une appartenance, ni une hiérarchie, mais sur la négociation et la

coordination. Aucune organisation ne doit avoir de dirigeant.

107  M. Hardt et A. Negri, Multitude , op. cit., pp.120-121.108  M. Hardt et A. Negri, Empire, op. cit., pp.56-57.

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À cause de la réflexion précitée, Negri emprunte la notion de singularité qui

vient de l’ontologie sociale de Deleuze, une telle notion se fonde sur trois

éléments : le désir, la pensée et le corps. Ces trois éléments s’entrecroisent dans

l’histoire, un homme, dans cette situation, au lieu d’être un individu indépendant,en forme en une partie. L’identité d’un homme construite par la diversité des

positions sociales se caractérise par une grande fluidité. La multitude se

présente sous trois formes, le nomadisme, la désertion, et l’exode109. Pour lui, la

multitude dans l’empire, remplace la classe prolétaire. Cela montre le sujet

révolutionnaire ne se limite plus aux ouvriers dans les usines, il consiste en une

fluidité permanente. Ainsi, le champ de la révolution ne se limite au produit

économique, mais s’étend aux domaines du politique, de la société, et le désir.Par conséquent, la multitude prolonge la ligne de la révolution, et

supplémente la théorie à propos de l’industrie moderne chez Marx. Negri apporte

ainsi une nouvelle possibilité au mouvement social. Il analyse à partir des

méthodes et des formes de l’organisation politique. Tout d’abord, il souligne que

la multitude ne désigne ni une identité ni une organisation unique, à savoir, c’est

un groupe facultatif et hétérogène. Il faut alors trouver ce qu’il y a de commun au

sein de la multitude afin de partager les expériences et aboutir à un consensus.Ce dernier issu des disputations, des coopérations, des conflits, devient le point

de départ de l’action. Negri estime donc que le corps n’est pas découvert, elle est

produite. Autrement dit, par rapport à la classe ouvrière, la multitude ne consiste

pas à l’identité ou à l’organisation, mais plutôt rassemble et exerce les

expériences de résistance110. De plus, les deux caractères de la multitude

dénouent les questions de la multiplicité sociale et de la fluidité mondiale

aujourd’hui : comment maintenir à la fois la différence interne et l’actioncollective ? Ou bien, au travers de la production biopolitique, Negri crée un

nouveau sujet révolutionnaire, et de la notion singularité, répondent les apories

de la démocratisation de l’organisation et le rôle de la multitude.

109  Ibid., p.263.110  Ibid., p.480.

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4.2.2 Changer le monde sans prendre le pouvoir ?

Suite à l’expérience historique du mouvement zapatiste, Holloway propose

de changer le monde sans prendre le pouvoir (« Change the World without takingPower »). De même que Negri avec les autonomistes italiens, il insiste sur le

mouvement d’autonome pour étendre les participants et prolonger les lignes de

la révolution. Pour Holloway, la révolution ne vise pas l’État, mais plutôt la région.

Il appelle tout le monde à s’engager dans l’action à partir de dimensions et de

zones différentes. Il faut chercher les fissures au sein du système du capitalisme.

Les gens s’engagent à partir des affaires qui les intéressent et qui se trouvent

plus proches de leur vie. Par conséquent, Holloway brise la relation entre larévolution et l’État. Holloway souligne que la révolution aspire au changement

radical, loin de la marginalisation, elle s’incorpore de plus en plus dans nos vies

 journalières.

Pour Holloway, l’État n’est pas une forme d’institution qui s’oppose

l’autodétermination ni un objet abstrait, mais plutôt une relation sociale ou un

processus de concrètement de la relation sociale. Cela veut dire que la lutte

contre le capitalisme nécessite de trouver d’autres stratégies, le but n’est pasl’État, mais la forme de la relation sociale. Autrement dit, changer le monde ne

passe pas obligatoirement par prendre le pouvoir de l’État, mais exige de

développer un concept de la force fondé sur la relation sociale. Cette issue vient

de l’expérience du mouvement zapatiste. Pour lui, en face de la fluidité du

capitalisme, on doit procéder à un changement radical, ce qui implique de

changer radicalement le concept de révolution. Par conséquent, la révolution doit

se défaire du lien avec le pouvoir de l’État, à savoir, changer le monde sans s’en

emparer.

Pour Holloway, l’État constitue aussi une partie du pouvoir des réseaux, une

figuration de pouvoir, il n’est pas le pouvoir véritable. Ainsi, si nous voulons

changer de façon radicale le pouvoir, il ne faut pas viser l’État, mais plutôt le

quotidien. Autrement dit, la tâche ne consiste pas seulement à détruire ou

prendre le pouvoir de l’État, mais aussi à trouver la source du pouvoir. Prendre

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ce « pouvoir général » a pour but de contrer toutes les expressions de

l’exploitation au sein de la société et de la vie quotidienne. C’est-à-dire que

Holloway tente d’aller au-delà la théorie de l’étatisme. Il cherche le pouvoir à

partir de l’agir, qui réside au centre de la vie, et est construit par le pouvoir. Ausens le plus fort du mot, bien que Holloway s’accorde sur le fait que le travail

constitue le potentiel humain, et qu’il crée et change le monde. Cependant, pour

lui, la classe ouvrière se trouve de nos jours en pleine mutation, elle s’est formée

dans la relation de la production, elle n’est pas l’essence, ni ne correspond à la

définition, selon Marx, du produit du capitalisme. Ce dernier n’est pas seulement

un produire de la production, de la plus-value, mais aussi la relation de la

reproduction et de la société capitaliste, en un mot, le produit du capitalismeforme un monde à son image111. Le capitalisme dépend de la séparation de

l'objectivité à la subjectivité, l’agir de la société humaine devient une

représentation de la reproduction, les hommes constituent une partie de la

structure du capitalisme : la subjectivité apparaît comme une existence contre

elle-même. Ils se trouvent « en soi». Néanmoins, la notion de la lutte classique

tourne autour d’une classe présupposée, la classe est une définition donnée, elle

réside « pour soi», elle préétablit le travailleur comme appartenant au capital.

C’est sur cette base que l’on développe la notion de la lutte.

La lutte des classes ne signifie pas combattre sous une structure complète

du capitalisme, mais plutôt au sein des processus à partir desquels la relation

sociale se construit. Ces processus s’inscrivent dans la lutte des classes. La lutte

des classes étend sa sphère et son contenu, à savoir, tous les agir du quotidien

sont une partie de la lutte, le but de la lutte, ne vise pas l’État, mais les

ressources du pouvoir, le mode de la lutte. Il ne s’agit plus de détruire le systèmedu capitalisme, mais de combattre dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Dans ce cas, la révolution ébranlera véritablement les fondements du capitalisme,

car les gens deviendront les véritables sujets révolutionnaires. En sortant des

instruments de manipulations des structures du capitalisme, les véritables sujets

111 K. Marx, Le manifeste du parti communisme, Ed. de Union Générale, Paris, 1962, pp.25-26.

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révolutionnaires sont « pour-eux-mêmes ». Ni l'un ni l'autre ne sont une

conception du capital : la révolution transforme le "en-soi " en "pour-soi ". 

Nous pouvons distinguer ici clairement deux concepts différents du pouvoir.

Le pouvoir de l’État désigne un pouvoir de déposition et de domination. Le

pouvoir de l’agir, implique de disposer de la capacité de créer les choix, il est le

pouvoir de la société, parce que les gens qui disposent de cette capacité

dépendent toujours d’une personne. Ainsi, il représente un pouvoir de la société,

un pouvoir collectif, fondé sur la relation sociale, autrement dit, notre agir

constitue toujours une partie du flux social. Par cette démarche, nous

supprimons les murs nous séparant de l’autre personne, l’agir n’est pas pour

l’individu particulier, mais pour la collection. L’individu s’insère sur l’autre, ainsi,les groupes représentent la condition préliminaire, Ainsi, le pouvoir de l’agir

détruit la logique du noyau du capitalisme, le monde du capitalisme s’oppose à

soi-même.

Holloway nous rappelle qu’il faut refuser la langue et la logique de l’État,

tous les rythmes et règles que l’État nous impose. Pour lui, l’État est comme une

production du capitalisme ou la relation du capitalisme est enchâssée dans l’État

lui-même. L’État est une institution qui s’aliène et dissocie la société. Le parti est

une part de l’État, ainsi, il copie la logique de l’État, ils sont une aliénation de la

relation sociale. Il est nécessaire de trouver les fissures à l’intérieur du

capitalisme en vue d’une autonome à partir d’angles et d’endroits différents. A

savoir que la révolution ne commence pas par l’État, mais plutôt par la vie

quotidienne, par les événements qui les intéressent, sur le lieu qui leur est

proche. Holloway pense que la révolution traditionnelle, incluant Rosa

Luxembourg, Lénine, se focalise sur l’État, mais du point de vue de Holloway, larévolution consiste à changer la vie quotidienne, le système de la relation sociale,

et non pas l’État. Au fond, au contraire de la révolution traditionnelle qui insiste

toujours sur l’identité, surtout sur la classe ouvrière qui forme la subjectivité

révolutionnaire.

Holloway, le but la révolution ne dépend pas de l’identité, en revanche, il faut

la détruire, surtout l’identité politique. Pour lui, la subjectivité révolutionnaire n’est

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pas seulement la classe ouvrière, disons que “nous ”, elle «ne peut pas être

définie »112. Par conséquent, la révolution, loin de prendre le pouvoir, vise à

détruire le pouvoir. De surcroît, ils s’agissent d’un concept

« ordinaire-donc-rebelle »113, soulignant que la révolution ne vise pas à dominerl’avant-garde ou à prendre le pouvoir. En revanche, elle détruit le pouvoir, fondé

sur la base de la force sociale, ainsi, elle change le monde au sein de la société,

la révolution s’attache toujours aux pieds de la société.

Du coup, les nouvelles formes de mouvements doivent éviter de reproduire

les logiques de l’État et du donné antérieur. Il s’agit de créer une nouvelle

communauté, un monde différent. La question consiste en ceci : comment faire ?

Comment surmonter le fait de la forme d’État afin d’éviter de copier la hiérarchieet la bureaucratie ?

Holloway développe des groupes de concepts antagoniques, le refus et

l’accès ; le « pouvoir de » (power-to)  et le « pouvoir sur » (power-over ) ; la

démolition et le créé ; les fissures et l’engagement. Bien qu’il s’agisse de

concepts antagonistes, ces derniers n’en sont pas en contradiction. A savoir

qu’en aspirant à changer le monde, nous nous engageons non seulement pour

contrer le fait actuel et l’identité, mais aussi renforçons pour créer un nouveau

monde et une stratégie. Holloway se concentre sur la notion du « pouvoir de » et

du « pouvoir sur », il tente de libérer l’agir du travail, et le « pouvoir-de » du

« pouvoir-sur ». Cela permet à la subjectivité révolutionnaire de naître de l’agir

commun, et permet au but révolutionnaire de changer radicalement le monde.

Pour lui, le contre-pouvoir n’est pas vraiment la révolution, nous devrions

développer un anti-pouvoir. Celui-là fondé aussi sur le « pouvoir-sur », il entre

encore dans la logique du capital ou de l’État. Au contraire, celui-ci consiste ennotre action et agir. Autrement dit, loin du « pouvoir-sur », la révolution ou

l’anti-pouvoir doit dépendre du « pouvoir-de ». La révolution ne vise pas à

construire un contre-pouvoir ou à s’emparer du pouvoir, mais à obtenir la liberté

112 J. Holloway, Change the World without Taking Power, London: Pluto Press, 2002.p.62113  Ibid., p.25

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le « pouvoir-de » : en abolissant le « pouvoir-sur », nous nous retirons du

pouvoir-de. Nous changeons le « pouvoir-de » du « pouvoir-sur », et les choses

extérieures de l’intérieur114.

Selon les explications exposées ci-dessus, nous pourrons distinguer

clairement deux formes de pouvoir, très différents du concept de pouvoir et

reposant sur une logique différente. La logique du « pouvoir-sur », une logique

du capital, de la hiérarchie et de la fragmentation. Elle nie la subjectivité, les gens

se subordonnent à l’institution ou la construction. Par contre, le pouvoir-de insiste

sur la réciproque et la solidarité, au travers du dénie le capital, les gens

retrouvent leur subjectivité. Cependant, cette dernière ne correspond pas

l’individu, mais la société. A savoir, l’agir de l’individu devient une socialité et lareconnaissance au travers du flux social, cette façon s’intègre dans une

coopération de l’action, mais ne résulte pas de l’exercice du pouvoir. Bien

entendu, une telle subjectivité instaurerait un pouvoir, mais ce pouvoir sert à

construit la validation sociale, par rapport au « pouvoir-sur », qui est l’interruption

du flux sociale, le « pouvoir-de » en est une convergence.

Autrement dit, le changement du monde à partir de notre agir, au travers de

l’autocritique et de l’auto-négation de la vie quotidienne, de l’agir. Nous

établissons une forme et une pensée de l’action qui contienne une sociabilité

consciente. Du coup, la révolution n’est plus seulement la lutte des classes, elle

est une lutte inégale. L’inégalité existe partout dans la vie capitaliste, de ce fait,

nous dénierons la vie capitaliste et en même temps construirons le

« pouvoir-de » au sein du capital. Nous changerons radicale la construction du

pouvoir au cœur du capitalisme, tous les agir en fonction de notre action.

Nous pouvons en déduire que Holloway pense que nous n’avons pas besoin

de prendre le pouvoir, un « pouvoir-sur » extérieur, mais plutôt d’établir un

pouvoir, qui vient de notre agir, qui corresponde inévitablement à la force sociale.

Notre action dépend de concepts antagonistes, elle ne vise pas seulement à

former une force de résistance, mais aussi à construire une force selon laquelle

114  Ibid., p.37

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une nécessité commune, produite par la reconnaissance, c’est-à-dire un

sentiment, l’immatériel. Son argument ne s’envisage pas sous l’angle de

l’anti-impérialisme classique et du point de vue révolutionnaire de la lutte, il s’agit

plutôt d’« un refus pour accepter »115  : nous refusons d’accepter l’humiliation,l’oppression, l'expérience quotidienne de l'exploitation et l'injustice da la

dé-humanisation. En revanche, il insiste sur la nécessité d’inventer un nouveau

concept, un nouveau langage. Cela ne signifie pas abandonner le concept

traditionnel de la valeur, de l’expérience, du travail. Ces derniers nous donnent

tout de même la possibilité sur le changement du monde. Cependant, nous

devons réfléchir et réétudier de temps en temps pour correspondre aux

nouvelles circonstances actuelles. Ainsi, Holloway juge que la problématiqueprime sur la réponse.

4.2.3 Réétudier la classe ouvrière à partir de Lukacs à Poulantzas

Notre réponse aux traités de Negri et de Holloway s’articulera en deux

parties. Il s’agira premièrement de s’interroger s’ils ne sous-estiment pas la force

du travailleur. Au fond, à correspond vraiment la classe ouvrière ? Qu’entend-on

par la conscience de la classe ouvrière ? Nous s’efforcerons d’apporter des

éléments de réponse à l’aide des théories de Lukacs, Althusser et Poulantzas.

Notre deuxième interrogation sera de déterminer si la multitude peut vraiment

remplacer le prolétariat pour devenir le sujet révolutionnaire sous l’ère de la

mondialisation ? La décentralisation et la désorganisation représente-elles des

stratégies efficaces dans le contexte de la mondialisation ? Un mouvement

organisé n’offre-t-il pas plus de démocratie ?

((((A))))Reconnaissance de la classe ouvrière

Le but du mouvement autonome consiste à étendre le nombre de partisans,

considérés comme défenseurs de la démocratie et de l’autonome. Cependant,

comment le mouvement autonome peut-il s’assurer que les partisans

115  Ibid., p.6

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participeront à l’action, et comment garantir une résistance continue. Autrement

dit, si les partisans décident de se séparer sans raison, le mouvement autonome

sombrera dans une crise. En réalité, même si Negri affirme à travers la libre

circulation, la multitude se réapproprie l’espace et se constitue comme un sujetactif, il ne répond pas comment organiser les existences potentielles du pouvoir

politique et concentrer la force d’action116. Les populations nomades ou exclues

expriment peut être un désir de libération, mais, le désir ne signifie pas la force,

la multitude apparaît comme une subjectivité potentielle, comment alors devenir

une subjectivité d’agir ? Negri désire explorer les conséquences de l’extension

des rapports marchands. Cependant, l’hétérogénéité des sujets sociaux n’est

pas une nouveauté, elle pose toujours problème aux mouvements ouvriers, lalogique de la concurrence n’est pas non plus nouvelle, elle a toujours existé dans

la division du travail. Negri change de mot, mais ne modifie pas le problème, car

il n’analyse pas les défaites sociopolitiques à partir des exploités, car il ne

cherche pas une voie politique pour reconstruire les rapports de forces117.

Ceux qui annoncent la défaite de la classe ouvrière, délimitent la classe

ouvrière, la catégorie d’hommes et de femmes travaillant dans les usines, et qui

est exploitée directement par le capitalisme. Ils présupposent la forme, lecaractère, la limitation, et le résultat de la lutte ouvrière. Selon cette définition,

d’une part, ils nient toute possibilité de relier la lutte ouvrière avec d’autres

mouvements, par exemple, les mouvements des femmes, de l’environnement,

des paysans. La lutte ouvrière devient seulement une entreprise contre le capital

ou le travailleur contre l’exploitation. Par conséquent, ceux qui jugent la lutte

ouvrière comme inefficace ou incapable de changer quoi que ce soit du monde.

D’autre part, cette définition exclut d’autres professions, par exemple, lesprofesseurs, les fonctionnaires, voire, les partisans zapatistes. Cependant, cet

argument se révèle comme une tautologie. A savoir, cette logique, à force de

réduire le cadre de la classe ouvrière, définit la classe ouvrière comme perdante.

Autrement dit, les ouvriers se limitent à un groupe particulier, disjoint des autres

116  M. Hardt et A. Negri, Empire, op. Cit., p.478-479.117 D. Bensaïd, Résistance , Fayard, 2001, pp.206-208

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professions, et sont regardés comme un objet de recherche. Ainsi, ils deviennent

un groupe de désocialisation : un objet mort, ils ne s’inscrivent plus dans aucune

relation sociale, ni dans la vie réelle.

Redéfinir la classe ouvrière contribue à accentuer la contradiction entre

l’ouvrier et la relation de la production, les ouvriers fondent une conscience de

classe à l’aide de ces contradictions. Cependant, quand les ouvriers engagent la

lutte, ils s’aperçoivent des contradictions qui les entourent. Ces diverses

contradictions permettent aux ouvriers de s’organiser en groupes différents pour

combattre les conflits potentiels, et permettre aux ouvriers d’avoir la capacité de

détruire le système du capitalisme. Par conséquent, le lieu de la lutte, ne réside

pas seulement dans l’usine, mais dans la vie quotidienne. L’objet de la lutte, nevise pas un capitaliste particulier, mais un système complet du capitalisme. Ces

luttes concernent à la fois l’intérêt immédiat et l’intérêt fondamental. Ainsi, la lutte

ouvrière doit définir l’action capable de renverser un système pour poursuivre

l’intérêt fondamental. Dans ce cas, c’est évident que le but de la lutte des

ouvriers consiste à réajuster l’intérêt immédiat et l’intérêt fondamental. A savoir,

elle doit correspondre à tous les conflits qui, dans les règles du capitalisme, se

manifestent par la parcellisation, l’hétérogénéité, et l’incohérence. Il faut réajusterces forces diverses de la lutte afin de reconstruire une nouvelle épistémologie,

une nouvelle structure, en vue d’établir une force organisée susceptible de

combattre de façon efficiente le capitalisme.

La lutte ne se définit pas parce que l’on est ouvrier, mais plutôt en tant

qu’homme. Il ne faut pas comme Holloway, isoler tel mouvement auquel l’ouvrier

participe des autres mouvements. L’ouvrier contribue à la lutte, non seulement

en tant qu’ouvrier, mais aussi et surtout en tant qu’homme. Il s’oppose au capital,car celui-ci est une source d’exploitation directe. Autrement dit, l’ouvrier mène

une lutte à partir de sa vie, de la pression plus proche, dans le lieu qui l’entoure.

Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que l’ouvrier ne résistera pas à

d’autres formes de pouvoir (autorité), dès lors qu’il subit l’exploitation et

l’oppression. Plus précisément, l’ouvrier ne lutte pas uniquement à cause de son

état d’ouvrier, parce qu’il veut tout changer, de l’usine à la vie qui l’entoure. Dans

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cette optique, lorsque l’ouvrier s’engage dans un mouvement, il passe de la

classe du travail du « dans-soi-même » à celle du « pour-soi-même », mais en

même temps, il lutte en tant qu’homme. Par conséquent, l’ère de la

mondialisation n’a pas empêché l’exploitation, la pression et la lutte. Notrerésistance ne s’inscrit pas simplement dans la classe, dans l’usine, mais aussi

dans une relation symbolique, plus largement dans la vie.

Nous voulons emprunter ici la notion de Lukacs, celui-ci montre que la

classe n’est pas un objet fixe, nous ne pouvons pas définir arbitrairement une

classe. De même, la réalité d’une classe ne produit pas nécessairement une

conscience de classes, mais c’est plutôt, en tant que condition nécessaire, la

classe élève la conscience de classes. Une action du prolétariat n’équivaut pas àune conscience de la classe prolétaire. Une résistance du prolétariat, apparaît

peut-être à une action individuelle, en raison du sentiment individuel ou du

mécontentement de la vie réelle. Cela représente seulement une résistance de

l’identité, non pas celle de la conscience. Il s’agit d’un prolétariat basé sur une

identité, non pas sur une conscience, par méconnaissance de son

positionnement dans la société. Car il ne connaît pas la relation réciproque

concentrant les forces permettant de combattre les formes d’exploitation, et ilignore de même que ces forces puissent faire émerger une l’action renfermant à

la fois l’organisation, la conscience et le but ultime.

Il ne faut pas confondre le « dans soi-même » et le « pour soi-même » dans

la lutte ouvrière. Lorsqu’une action prolétaire est seulement une action

individuelle, l’acteur n’a pas la conscience de son action, celle-ci est séparée

avec autrui, la relation sociale et le contexte historique. Une telle action ne

constitue pas une action collective ni une action organisée, ni une actionconsciente, ce qui autorise à douter de son efficacité. Cela renvoie

immédiatement à la notion de la multitude : si celle-ci apparaît comme un

prolétariat, c’est justement à partir de son identité et non pas de sa conscience.

Car aucune conscience de soi-même n’émerge dans la relation sociale où la

multitude se trouve. Cette action n’aurait pas de force collective, ainsi, la

multitude ne pourrait en aucun cas devenir une nouvelle subjectivité

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révolutionnaire. Parce que la conscience de la classe prolétaire, au lieu de se

borner à une réaction d’humeur individuelle, renvoie plutôt à une épistémologie

concernant l’être humain. A savoir, comment l’homme parvient à l’émancipation

et, à la dissolution de la classe.

Selon Poulantzas, la classe sociale n’est pas composée par les agents, elle

ne constitue pas un groupe empirique construit par l’individu. De même, elle ne

représente pas la totalité du groupe social. Autrement dit, la classe sociale n’est

le calcul des membres, ni une relation interindividuelle. L’appartenance de classe

décide de la place de la classe à laquelle appartiennent les agents. De plus,

l’appartenance de classe ne se détermine pas par l’origine de classe, ni par

l’origine sociale118. Dans ce sens, il souligne l’importance de la reproduction desclasses sociales. Pour lui, la relation des groupes sociaux ne dissocie pas la

classe sociale qui, loin d’adopter une forme de concrétion, prend celle de la lutte.

Par conséquent, la détermination de la classe ne réside pas dans la position

sociale, mais dans le rapport de production, un rapport s’avère en même temps

une structure du rapport de force de la société dans lequel les gens possèdent

une idéologie. L’idéologue et les rapports de la production décident donc la

pratique politique. En agissant, l’idéologie émerge et se transforme. Autrementdit, le rapport de production décide l’idéologie, qui décide encore l’agir, qui

décide la classe sociale…

En somme, la conscience est à la fois la représentation de l’action et du

rapport de production. Sous le sens de la construction, elle n’est pas devant

l’action. Au contraire, elle est une cohésion de l’action et enfin, dont elle

concrétise le contenu. Tout cela fait que la classe sociale n’appartienne ni au

prolétariat, ni à la bourgeoise, la détermination structurelle de la classe socialeconcerne non pas seulement le rapport économique, mais aussi le rapport

idéologique et politique119. L’appartenance de classe (la conscience) se construit

dans la lutte et dans le discours.

118  N. Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui,  Paris, Seuil, 1974,pp.19-20.119  Ibid., pp.220-223.

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La conscience prolétaire est la conscience qui cherche l’émancipation de la

classe prolétaire. Plus important encore, l’action prolétaire n’est pas motivée par

l’identité, mais plutôt par le fait que le prolétariat connaît bien la relation sociale

dans laquelle il se trouve. Ainsi, c’est la relation sociale qui décide l’action et laconscience prolétaire, non pas une conscience originale qui guide l’action

prolétaire. Tout cela nous permet de revenir à la notion chez Marx, de production

des idées, des représentations et de la conscience. Ces notions sont d'abord

directement et intimement mêlées à l'activité matérielle et au commerce matériel

des hommes : elle est le langage de la vie réelle.120 

La lutte, au lieu de nous somme la classe de l’ouvrier, plutôt que de résister

à la hiérarchie, devient au contraire la classe de l’ouvrier exploité. La raison justifiant de nous réunir ensemble ne réside pas dans l’appartenance à une

classe cohérente, mais à l’exploitation et à la hiérarchisation de la société

qu’entreprend le capitalisme. Plus précisément, la classe ne possède ni

d’ontologie, ni même une essence. Elle constitue un processus de

hiérarchisation, elle découle de la lutte. Autrement dit, la lutte des classes, tant

celle entre les classes différant que le combat contre la hiérarchisation, se

produit au quotidien. Elle s’intériorise au sein de notre agir, pénètre notre vie, tantl’individu que le groupe. Dans ce cas, notre lutte ne distingue plus « dans

soi-même », ni le « pour soi-même », ni même la classe ouvrière. Elle devient

une action et une réflexion par lesquelles nous vivons. Ainsi, la classe se forme

dans l’action commune, les participants partagent, une vie et une action

commune, un même intérêt, un même but.

Ainsi, il n’y a pas de possibilité que la révolution se commande par une

classe dominante ou d’avant-garde. En revanche, ce sont les participants quidécident de devenir un groupe volontaire, afin de mobiliser le plus d’acteurs, de

cristalliser la force potentielle, d’élever plus loin l’action. Au travers de l’action

organisé, les participants exposent leurs envies, leurs buts et leurs idéaux. Par

conséquent, objections de Negri ou Holloway s’avèrent ineffectif. Car toutes les

120 K. Marx, L'idéologie allemande. Ed. sociales, Paris, 1972, p71

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révolutions n’existent pas d’après un mode établi ou un stratège constante, ces

dernières ont été décidées par la lutte. Que ce soit sur le plan de la formation de

l’organisation ou de la ligne de l’action. Nous ne les avions point prévus au début,

elles sont les produits de l’action induite par l’interaction entre l’agent et leparticipant. Dans cette optique, un militant répondra à la critique de Negri ou

Holloway qu’il n’appartient pas à la classe ouvrière ou ne se range pas aux côtés

des progressistes, il agit plutôt comme un participant lié à des intérêts existants

et à un idéal qui se réalisent dans l’action.

Selon ce qui vient être dit, il apparaît que le mouvement autonome italien

soulève deux questions : premièrement, il ne discute pas clairement du concept

de classe ouvrière. Deuxièmement, Il tend à sous-estimer la force de l’ouvrieractuel et surestime la force de la multitude dépourvue pourtant de centre et

d’étatisme. Nous discuterons de ces questions dans les pages qui vont suivre.

((((B))))Réévaluation de la classe ouvrière

Le rêve du néolibéralisme serait de pouvoir employer les ouvriers dans

différentes zones et domaines. Le risque est de perdre un type d’union efficace

et la possibilité d’une résistance structurelle. La capacité de résistance a été

affaiblie par la flexibilité et la fluidité. Autrement dit, la multitude comporte une

possibilité d’entraver l’action collective. Pour Negri, sous l’ère « Empire»,

l’entreprise et l’organisation transnationale dominent l’État-nation. La multitude,

qui consiste en l’immigration, sans identité et sans cohérence, remplace le

prolétariat, pour devenir la subjectivité politique. La multitude est considérée

comme une subjectivité par lequel l’État-nation et la frontière s’effondrent. Plus

encore, Negri emploie des notions de Deleuze, comme par exemple, ladéterritorialisation, la singularité ou d’autres telles que la multiplicité, la

désorganisation et le travail immatériel. Néanmoins, cela ne permet pas d’éviter

d’analyser les fondements matériels réels.

La question réside sur qui produit les choses, comme Žižek remarque, ceux

qui annoncent que la classe ouvrière est en cours de disparition, pensent qu’il

n’est plus valide de discuter encore sur la classe ouvrière, il faut plutôt regarder

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par qui et où sont produits les montres et les chaussures 121… E. Mandel indique

que la classe ouvrière, au niveau du globe, se trouve en pleine expansion. Il faut

songer à une réorganisation au niveau international de la classe ouvrière

industrielle, qui décline aux plans politiques, économiques et sociétal, dans lespays occidentaux. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que la classe

ouvrière ait disparu dans les pays sous-développés. Au contraire, la classe

ouvrière, qui s’efface en occident, s’accroît dans les pays en développement122.

Cependant, le mouvement ouvrier est considéré en voie de disparition, ce qui est

source de l’hétérogénéité des mouvements ouvriers historiques entre les

différents pays.

En fait, dans le marché du travail mondial, au moins de deux sortes despeuples subirent sévèrement l’exploitation sans cesse : les pays au bas de

développement et les pays colonisés dans leur historique récent. La classe

ouvrière n’a donc jamais réellement disparu. Elle était devenue invisible, parce

que de l’accroissement de la circulation et de la déqualification, elle est formée

de travailleurs migrés, de clandestins ou de travailleurs temporaires. Ils

continuent de travailler, mais sont devenus invisibles dans les sociétés qui les

abritent. Ainsi, l’euphorie néolibérale détruit la société, et appelle à plus de travailde la part du travailleur.

Pour l’instant, il faut regarder deux choses. Premièrement, la classe

ouvrière n’est pas tout à fait homogène, de plus, les mouvements ouvriers

connaissent dans chaque pays des expériences diverses123. Deuxièmement, les

ouvriers existent sous la menace du chômage, ce qui a pour résultat de

désagréger leurs forces. Surtout, la mondialisation et l’entreprise internationale

sont étroitement liées, cela permet de concentrer leurs forces, voire de manipulerl’État-nation. Contrairement au néolibéralisme, le mouvement ouvrier européen

est toujours divisé selon les frontières nationales et les courants

idéologico-politiques. Par conséquent, l’empire nous semble comme une faute

121 S. Žižek, Vous avez dit totalitarisme?  Ed. Amsterdam, Paris, 2004, p105122 E. Mandel, Long waves of capitalist development -  A Marxist interprÉtation, Ed. Verso, 1995123 E. Mandel, Introduction au Marxisme, la Brèche, 1983, Paris, pp. 141-142.

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de logique, celle qui était indiquée dans la pensée de E. Mandel, à savoir,

considérer le mouvement de l’ouvrier occidental(plus spécialement d’Europe)

comme celui de l’ouvrier mondial.

Negri paraît ignorer la diversité géographique, et explique exagérément la

situation des autres pays par rapport au contexte européen. Selon la définition de

l’ « Empire », les gens des régions sous-développées se trouvent englobés dans

la multitude. Cependant, les ouvriers asiatiques, à cause de la pensée

traditionnelle, se soumettraient à l’autorité. Ils ne résisteraient que lorsqu’ils sont

confrontés aux crises de la vie. Ainsi, le contexte dans lequel ils vivent les

empêcherait de construire une force autonome. S’ils résistent contre les patrons,

il s’agit seulement d’une action fragmentaire et individuelle. Cette action se

révèle insuffisante pour contrer l’autorité et le système capitaliste, elle disparaît

rapidement sans une aide étrangère. C’est pourquoi les manifestations des

sous-développées sont considérées, par le mouvement autonome occidental,

comme de simples mouvements locaux. Ainsi, le militant occidental s’engage,

non par solidarité internationale, mais par l’option individuelle.

De plus, la force de travail que les entreprises transnationales emploient en

Asie, est composée essentiellement d’ouvriers, de paysans, d’illettrés. Comment

ces populations pourraient-elles participer à la fabrication de produits

immatériels ? Ce n’est pas tant la disparition du mouvement ouvrier que l’on

observe, mais plutôt l’absence de solidarité internationale. Il n’existe pas de

mouvement autonome sans organisation. La solidarité internationale doit exister

du niveau local au niveau international. Par conséquent, nous rappelons le point

de vue de E. Mandel, selon lequel il faut se réapproprier la pratique et la théorie

d’auto-activité et d’auto-organisation des ouvriers, et leur permettre de constituerun moteur d’émancipation. Tant le syndicat, les partis, le gouvernement que

l’appareil l’État sont des instruments indispensables, mais, le plus important est

qu’ils soient subordonnés à l'auto-activité et l'auto-organisation du prolétariat.124 

124 E. Mandel, La crise socialiste et le renouveau du marxisme, publie un ouvrage collectif intitulé"Marxism in the Postmodern Age", Guilford Press,1995

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((((C))))Rediscuter la stratégie de l’action

Par rapport à l’option proposée par Mandel, Negri ne propose pas la

collectivisation, il faut se demander alors d’où vient l’énergie de la multitude ? Laclasse prolétaire doit réfléchir sur ce qu’il faut retenir des critiques sur les luttes

de classe, la logique capitaliste, et la liberté de mouvement. Plus profondément,

même si la révolution découle de la vie, d’où vient la vie ? Qu’est-ce que le

contenu profond de la vie ? Comme Negri remarque, la question de la multitude,

ne consiste pas tant à s’interroger à quoi correspond la multitude, mais d’où

peut-elle venir ? Telle est aussi notre question, en fait, ce livre ne nous

convaincra pas que la multitude puisse résoudre les conflits entre la singularité et

le groupe social. Autrement dit, nous ne trouvons pas de processus du

mouvement de la singularité qui nous permette de penser l’action collective. Car

le mouvement social ne doit pas se limiter pas un « câlin gratuit » ou à organiser

des foules éclair…

Negri annonce que, la production immatérielle devient la production

principale à l’ère de la mondialisation. La forme révolutionnaire traditionnelle a

échoué, parce que d’une part, les gens ne trouvent plus un ennemi précis,

d’autre part, le signe révolutionnaire ne se translate plus. La révolution relève de

plus en plus de la localisation, devient une affaire régionale. Elle ne suscite pas

d’aide étrangère, ainsi, elle ne forme une grande ligne internationale. Par

conséquent, la révolution ne dépend pas de la classe ouvrière, mais plutôt des

nomades, des clandestins. Ces derniers au nom de la multitude, qui est un

producteur immatériel, deviennent le sujet révolutionnaire.

La subjectivité semblerait se former à partir d’une réflexion sur la vieordinaire et l’état social, et non pas à cause de l’identité. Ce n'est pas

certainement la fluidité, qui permet la multitude, ainsi ce n’est pas la multitude qui

fait émerger la force révolutionnaire. Nous admettons certes, que la technologie

favorisera l’union des forces de la classe prolétaire. Cependant, c’est une image

irréalisable, car la fluidité ne conduit pas nécessairement à la multitude. Grâce à

la technologie, nous pouvons faire circuler les informations plus rapidement et

attirer plus de participants, qui viendraient de domaines et de niveaux divers.

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Néanmoins, il n’existe pas d’organisation, qui fasse la rééducation, de façon à ce

que les participants permettent de créer la conscience de soi-même. Ils ne

connaissent pas bien le contenu la lutte, et la relation entre l’action et soi-même.

Dans ce cas, un tel mode d’action n’aura pas un but permanent. Autrement dit,s’il n’avait pas pénétré la relation entre l’action et le participant, entre l’autre et

moi-même, une telle action réduirait une réaction sentimentale ou un regard

compatissant. Dans ce cas, il semble évident que cette action n’est pas une lutte

à partir de la subjectivité et une communauté. Au contraire, elle constitue

seulement un mécontentement.

Par conséquent, la fluidité n’induit pas nécessairement la subjectivité et la

révolution. Elle n’explique pas la qualification de l’acteur, voire elle ne favorisepas la volonté de concrétiser le contenu de la révolution. Dans ce cas, la

révolution entre peut être une situation dangereuse. Elle ne possède plus

l’universalité. En revanche, elle se réduit à un combat local ou au combat pour

des intérêts particuliers. Il en résulte que l’ouvrage de Negri surestime la force

des populations nomades, immigrées et clandestines. Plus important encore, il

n’explique pas comment organiser les forces de la multitude afin d’en faire une

force active sur plan politique.

La classe ne peut pas simplement se définir par la catégorie professionnelle,

car elle est une relation sociale. En fait, face à la mondialisation, la question ne

résiderait-elle pas sur la classe ouvrière si celle-ci disparaissait vraiment? Plutôt

qu’est-ce qui change le monde ? Si la réponse était le capitalisme, la

responsabilité de la gauche ne consisterait pas à décrire la disparition de la

classe ouvrière, mais à retrouver la force du travail. La disparition ou la fin du

travail ne signifie rien. La notion d’empire, comme Marx le dit, est expliquéetoujours par l’histoire par la conséquence, ce qui revient à figer l’origine de

l’histoire, et à penser qu’elle a une issue inévitable. Cependant, cela revient à

oublier que l’histoire est le produit de la vie, or c’est la vie qui décide l’histoire ou

le système, non pas l’inverse. Ainsi, la multitude n’est pas un produit naturel de la

mondialisation, en même, elle ne peut pas concentrer l’autonome de la force de

lutte. Si « Empire» s’avère incapable d’expliquer l’origine de la force, nous ne

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pouvons pas affirmer que la multitude représente le nouveau sujet

révolutionnaire dans la mondialisation.

Au travers de « Empire », qui forme un sujet révolutionnaire divers.

Beaucoup de post-modernistes ou post-marxistes empruntent la notion de la

multitude. Car elle favorise le mouvement individuel ou le mouvement de la

désorganisation. Par cela, ces derniers se présentent comme des mouvements

autonomes, et se méfient de tous les partis, les services gouvernementaux, les

syndicats. Ils ne veulent pas proposer de projet planificateur pour contrer la

mondialisation capitaliste. En revanche, ils insistent sur l’action directe et

détachée. Un mouvement autonome qui attire le plus possible de partisans ne

peut pas bâtir une réflexion suffisamment approfondie et ni entreprendre uneaction continue.

Quant à l’opinion de Holloway, le prolétariat n’engage pas la révolution pas

pour obtenir le pouvoir d’État, mais au contraire, pour terminer le pouvoir d’État.

Pour lui, le plus important ne vise pas à comprendre le rôle de la construction

politique ou de l’État, mais plutôt à créer une subjectivité en dehors la politique et

de l’État. Par rapport à Holloway, en effet, un monde prolétaire, différent du

monde capitaliste et construit par le prolétariat, est fondé sur la reconnaissance,

l’agir et la création de celui-ci. Un tel monde s’avère à la fois différent du

capitalisme et correspond aux aspirations du prolétariat. Autrement dit, il s’agit

d’une subjectivité identique, le but de la lutte, n’est pas pour l’autre, mais pour se

réaliser soi-même. Voire, dans une telle lutte, sans exception, tout le monde se

trouve partie participante et prenante. Parce que cette lutte vient de la vie

ordinaire, il n’y a pas de spectateur, tout le monde est participant. Par

conséquent, la subjectivité et l’objectivité s’inscrivent dans une unité. A savoir,Nous participons à une lutte, qui à la fois réside en dehors et en dedans de ma

vie.

Bien entendu, nous sommes d’accord que la révolution doit rejoindre la vie

ordinaire. Cependant, le point de vue de Holloway soulève deux questions, d’une

part concernant le rapport entre la révolution et l’État, d’autre part, concernant la

définition de la vie ordinaire.

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Au sujet de la première question, le rapport entre la révolution et l’État, à

l’instar de la réponse d’Alex Callinicos, nous ne discutons pas de la relation avec

l’État, cela ne signifie pas que l’État n’obtient plus le pouvoir125. Au contraire, il

n’est pas possible d’éviter les questions suivantes : qui obtient le pouvoir etcomment ? Suivant son hypothèse, l’État constitue « une force de prolongation »

du capitalisme et de la mondialisation. Holloway ignorons que l’État dispose du

pouvoir réel, ce qui signifie qu’il est d’accord avec les actions de l’État.

Notamment lorsque l’État diminue la protection sociale, le laisser-faire

économique, les licenciements abusifs, le démantèlement des services publics,

etc. Cela revient à pratiquer le politique de l’autruche. Ainsi, la question clé, au

lieu de s’intéresser sur ce que l’on obtient comme pouvoir d’achat, de quoi doits’occuper l’État, devrait consister à demander comment développer une force

permettant de casser le système actuel et de créer un nouveau régime plus

démocratique et une vie alternative. Par cette démarche, la force de la résistance

provient de la participation et de l’organisation ouvrière. Cette dernière doit

consister à établir un système reposant sur l’autodiscipline. Autrement dit, nous

ne tentons de pas trouver un espace où nous pourrions éviter les interventions

de l’État. C’est justement un espace d’utopie, telle l’autonome ou

l’autodétermination, est comme un mythe disjoint. En ce sens, Bensaïd critique

Holloway réduit l’histoire du mouvement révolutionnaire, cela conduit à son

hypothèse sur l’aboutissement.

Par conséquent, même si nous ne savons pas le de venir du capitalisme,

nous pouvons réfléchir aussi sur le sens de la révolution. Tout d’abord, il exprime

toujours une liberté d’oppression. Ensuite, il est à l’épreuve de la relation sociale

actuelle, car nous ne pouvons pas imaginer une stratégie qui vienne de l’avenir.Pour raison, la révolution naît donc de la lutte même et de la mémoire

souterraine des expériences passées126. En somme, ce que nous devons faire,

125  A debate between J. Holloway and A. Callinicos World Social Forum, 27 January 2005Published in “International Socialism” issue 106126  D. Bensaïd, La Révolution sans prendre le pouvoir ? À propos d’un récent livre de John  Holloway , Contretemps n°6, 2003, pp.52-53

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au lieu d’annoncer la fin de la révolution, consiste à fonder une confédération de

gauche pour contrer le capitalisme, et faire avancer la lutte. Tout cela permettrait

de réaliser un altermondialisme, qui passe par une révolution organisée.

A propos de la deuxième question, la théorie chez Bourdieu constitue une

idée pertinente et complémentaire par rapport au traitement de la classe. Tant le

marxisme structural que le marxisme autonome réduisent le cadre de l’ouvrier.

L’homme est bien une production sociale, il est un agent intégré dans la structure

sociale : tant la relation propriété que la relation du pouvoir, voire l’idéologie,

construisent la base de la classe. Néanmoins, comme Bourdieu le fait remarquer,

le marxisme structural insiste trop sur la relation de produit, il considère la

construction économique(matérielle)  comme la base réelle et comme une

relation de pouvoir. En fait, selon Bourdieu, dans la sociale capitaliste, la position

de la production où les gens résident, représente seulement une sorte de relation

pouvoir. La relation du pouvoir social revêt plusieurs dimensions, il ne réduit pas

la dimension économique. Bourdieu affirme que la classe sociale non seulement

se définit par la position de la relation du produit, mais aussi par l’habitude, qui

accompagne toujours la position sociale. Par cette démarche, Bourdieu étend la

théorie de la classe du marxisme, il insiste à la fois sur le réel social, la relationhistorique et l’être objectif. Il discute à la fois la structure objective et la

construction subjective.

Par rapport au marxisme structurel, Bourdieu avance la notion de frontière

de la classe. Le marxisme structurel pense qu’il existe une ligne de classe claire

entre les différents groupes. Telle ligne se détermine en fonction de la position

par rapport à laquelle les gens suivent la relation de la production ou du travail.

Au contraire, Bourdieu pense qu’il n’existe pas une ligne de classe claire, il n’y apas de critère objectif pour distinguer la classe. En se construisant, au travers

de la lutte, la classe s’est trouvée de plus en plus distincte et reconnaissable. La

catégorie de vie sociale consiste justement dans la lutte. La ligne de classe serait

aussi une lutte, parce que la classe dépend de la participation, au lieu de se

définir par la sociologie ou par l’avant-garde, elle se forme dans le mouvement.

Autrement dit, c’est tout à fait la lutte qui définit la ligne. Il s’agit non seulement

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d’une lutte de pouvoir, mais aussi une lutte du symbole et de mode de vie.

Comme Bourdieu le rappelle, l’« habitus », est un système de dispositions

durables, de structures structurées, qui explose notre position qui vient de

l’éducation, famille, et qui nous détermine l’action et la pensée de manièreinconsciente. Autrement dit, l’habitus est toujours une inconscience et un

potentiel. Cependant, il se trouve aussi lié à la relation sociale et à l’histoire, et

toujours il détermine les choix et l’action.

Nous pensons que cette théorie pourrait faire écho à l’aporie de Holloway. A

savoir, la participation potentielle concentre une force concrète. Selon la théorie

de Bourdieu, le mode et la logique de la pratique se constituent dans la relation

avec l’habitus. L’action apparaît comme un système de structure, qui vient deschèmes historiques. L’action est comme une intériorisation de l’extériorité,

permettant aux forces extérieures de s’exercer selon la logique incorporée et

manière durable systématique127. Par conséquent, la classe se détermine à la

fois par la base matérielle et la reconnaissance. Du coup, Bourdieu insiste à la

fois sur le réel concret (la base matérielle) et le symbole abstrait, en discutant la

lutte, nous devons étudier la force du symbole. Autrement dit, le symbole

construit aussi le concept de la classe et la reconnaissance de la classe. Ainsi,nous ne comprendrons bien la classe qu’en se rendant compte du réel objectif et

symbolique. Dans ce cas, nous ne confondrons plus le « dans-soi-même » et le

« pour soi-même ».

Ces années dernières, les critiques, à l’encontre du marxisme, se focalisent

sur le rôle de la classe ouvrière. En fait, à mon avis, il faut considérer cette

critique comme une lutte de la ligne du mouvement. Pour eux, la révolution

ouvrière a échoué, d’une part, la classe ouvrière a disparu dans l’ère de lamondialisation. D’autre part, la révolution ouvrière ne s’est pas produite, le

mouvement ouvrier s’est subordonné finalement à l’appareil d’État. Encore une

fois, ces critiques réduisent question de la classe ouvrière, ceux-là pensent que

la lutte ouvrière se manifeste seulement dans la relation salariale. Cependant, la

127 P. Bourdieu, Le sens pratique, Edition de Minuit, Paris, 1980, pp. 88-92

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lutte ouvrière fait en réalité partie de la vie et a lieu au quotidien.

En répondant à ces critiques, nous voulons emprunter ici la notion de

Lukacs, qu’il a développée, dans « l’histoire et la conscience de la classe » de

classe prolifératrice. Au début, celle-ci disposait de la capacité de la

reconnaissance de l’essence sociale, suite aux processus de la lutte, la classe

prolifératrice se découvre en elle-même, à partir de son fondement vital ; elle se

transforme en un sujet-objet identique, qui connaît bien sa situation et sa mission

historique : ainsi, un « nous » prolétariat naît. A savoir, la classe prolétaire passe

du « dans  soi-même » au « pour  soi-même ». Lukacs insiste sur l’idée que la

classe prolétaire, à la fois objectivité et subjectivité de l'histoire, est comme un

sujet-objet identique qui n'est pas immédiat, mais dialectique du processus socialet historique. Dans ce cas, l’Homme est un rapport concret. A savoir, un rapport à

la société comme totalité, l’homme devient un être existence qui représente la

société et l’histoire. En tant que telle subjectivité, sa conscience se justifie, se

comprend à partir de la situation sociale et historique128. La conscience de sa

classe est aussi la conscience de la totalité. Lukacs estime donc que la

connaissance de soi se trouve en même temps pour le prolétariat dans la

connaissance objective de l’essence de la société129

.

Autrement dit, la classe prolétaire, dans l’histoire humaine, est la première et

l’unique qui se soit considérée elle-même comme une classe sujet-objet. Elle est

une subjectivité historique mais aussi une objectivité historique. En tant que

subjectivité, elle crée l’histoire, en tant qu’objectivité, elle est un produit de

l’histoire. Par conséquent, la capacité de la classe prolétaire, tout d’abord

consiste en la reconnaissance de l’histoire. Et par suite, elle crée l’histoire à

l’aide de la reconnaissance total sur l’histoire et la société. Enfin, elle décidel’histoire et la société. Ainsi, la classe prolétaire doit bien appliquer la notion de

totalité, à la base de la révolution. Ainsi, à propos du système capitaliste, que les

gens ne disposent réellement d’une connaissance totale que dans la classe

128   G. Lukacs, Histoire et conscience de classe : essais de dialectique marxiste,  Ed. deMinuit, Paris, 1962, pp. 72-74.129  Ibid., pp.188-189.

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prolétaire. Ainsi, il évoque Marx, pour qui le prolétariat ne s’accomplit qu’en se

supprimant, qu’en menant jusqu’au bout sa lutte de classe et en instaurant ainsi

la société sans classe130.

D’après ce qu’a développé Lukacs, nous voudrions répondre à la critique du

mouvement autonome et de Holloway. A notre avis, en fait, l’héritage de la

conscience bourgeoise aboutit au résultat que nous pensons que le mouvement

se caractérise les choix divers. Parce qu’il engage ce qu’il veut selon ses intérêts,

là où la lutte se trouve plus proche sa vie. Dans ce cas, le mouvement perd toute

chance pour unir les organisations entre le local et le monde. En même temps,

nous perdons toute chance de prolonger la ligne de lutte. Autrement dit, le

mouvement doit accepter une conception de totalité, qui se base sur l’histoire, etne constitue pas un idéal ou une subjectivité individuelle. Cette conscience de la

totalité permet au participant de pénétrer la lutte ordinaire dans la dialectique

historique. C’est-à-dire, en tant que pressions au lieu en question, il faudrait

mener aussi la lutte en cours. Par conséquent, un militant, comme sujet-objet de

la totalité, n’existe pas en fonction d’un choix, car il s’emboîte dans la société et

l’histoire totale. Lorsqu’il a le droit du choix, cela signifie qu’il réside en dehors de

l’histoire. Bien entendu, il faut renverser le monde et créer un nouveau monde.Ainsi, le plus important consiste à déterminer comment former une conscience

qui diffère de la conscience bourgeoise.

D'après Marx, le mouvement d’émancipation propre vise à changer la

société, le peuple change sa propre conscience : c’est grâce à leur expérience

pratique de lutte que les gens se libèrent eux-mêmes. Marx a déclaré que toute

émancipation n’était que la réduction, du monde humain, des rapports, à

l'homme lui-même. L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'hommea reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare

donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique131.

130  Ibid., p. 106.131  K. Marx, La Question Juive, Présentation et commentaires de Daniel Bensaïd, Ed. Lafabrique, Paris, 2006, p.63.

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Selon ce qui vient d’être démontré, nous pourrions dire que le mouvement

autonome permet à la petite bourgeoisie de trouver un prétexte grâce auquel il

peut adopter une position sociale. Autrement dit, à force d’insister sur l’autonome,

les participants décident librement s’ils engagent ou pas. Ils n’ont aucunementbesoin de réfléchir à la relation entre le mouvement et soi-même ou de

considérer soi-même comme une partie de la société. Ils adoptent une attitude

indifférente ou leur action consistant à s'attendrir sur les pauvres. À leurs yeux, le

mouvement, se rapproche plus de l’action humanitaire que de la lutte. En fait, la

notion du mouvement d’autonome, est un mode reposant sur l’association

autonome et temporaire afin de recruter les partisans. Le mouvement

d’autonome relie et coordonne diverses organisations, il s’agit d’un mouvementnon centralisé. Bien sûr, cette approche peut se révéler efficace sur le court

terme et permettre d’éviter le risque de bureaucratisation et l’hégémonisme au

sein du mouvement. Cependant, un mouvement, fondé sur l’opposition,

s’avère-t-il capable de transférer la force positive afin de construire un plan

politique. Diverses organisations peuvent converger temporairement pour

contrer les puissances transnationales, mais cela ne signifie pas pour autant

qu’elles coopéreront toujours et cristalliseront immédiatement la force d’individus

(pour Negri : la multitude potentielle) parsemés dans les quatre coins du monde.

La stratégie du mouvement autonome, même si elle peut mobiliser la multitude à

agir ensemble et rapidement. Hélas, les divers acteurs concernés s’avèrent trop

inorganisés. Ceux-ci diffèrent trop souvent en terme de stratégies, d’intérêts, une

telle stratégie basée sur principe de l’autonome, finira par détruire la révolution.

La lutte ne doit pas consister à développer une notion d’autonomie ou d’absence

d’organisation, mais à produire une conscience du prolétariat qui, à l’instar de

Lukacs, surmonte les intérêts actuels. Au travers de la dialectique interne, le

prolétariat s’empare de sa force productive sociale en supprimant le mode

d’appropriation qui était le leur jusqu’ici, et par suite, tout l’ancien mode

d’appropriation132.

132  G. Lukacs, op.cit.,p.97.

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Chapitre V

Débats et réflexions autour de la démocratie

La mondialisation confronte l’État-nation à des apories. Premièrement, elle

pose la question de la souveraineté, du territoire et de l’autodétermination

politique. Ces questions influencent directement la citoyenneté, elles touchent le

concept même du mécanisme démocratique. La deuxième, conséquente de laprécédente, renvoie à l’appartenance et à l’identité résultant du caractère de plus

en plus flou de la frontière. Nous tenterons de distinguer les concepts de

l’étranger et de l’autre, qui transforment l’État en un instrument d’apartheid. L’État

rencontre deux problèmes qu’il faut régler de façon urgente : le mécanisme de la

démocratie et le statut de la citoyenneté. Dans ce chapitre, nous nous

demanderons qui est inclus dans ce processus. Qui est considéré comme un

membre? Comment engendrer une décision collective ?

Un corps politique doit détenir la légitimité de domination. Ainsi, l’État

moderne apparaît comme le défenseur de la souveraineté du peuple. Il

regroupe des populations vivant dans un territoire déterminé, à qui il accorde la

protection et un certain nombre de droits (propriété privée et liberté individuelle).

Les membres de ces populations deviennent ainsi des citoyens. Le rôle de

l’État-nation apparaît comme celui d’un agent : le peuple lui conférant la volonté

générale. La légitimité dominante consiste alors en cette dernière. L’institution etl’appareil étatique constituent une souveraineté opposable, lorsqu’ils ne se

conforment pas à la volonté citoyenne. L’État souverain devient un dominateur

légal et aide à l’exercice de la volonté du peuple. Au travers de la mobilisation

collective, l’État produit la mémoire collective et l’identité nationale. Les peuples

se lient sur un sujet politique abstrait que l’État concrétise. C’est par ce

processus qu’il obtient la légitimité.

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L’État produit une image collective et attribue l’identité citoyenne. Au travers

du contrat social, l’État souverain obtient la légitimité et il converge avec la

volonté générale. Il apparaît alors comme un agent du peuple. La citoyenneté

 joue un rôle essentiel. D’une part, elle est la source de la légitimité de lasouveraineté et d’autre part elle se présente comme une image collective. En

devenant l’image collective du peuple, l’État suscite un sentiment

d’appartenance des citoyens. La citoyenneté est à la fois le délégant et

l’occupant. Elle est une mesure de la légitimité de l’État souverain. Cela signifie

également que la citoyenneté s’inscrit dans un processus dialectique ouvert, elle

décide à la fois de la transformation de l’État et constitue aussi de la puissance

réelle des citoyens.La citoyenneté dans l’État moderne, est à la fois le facteur et le contenu, elle

constitue aussi la clé du parlementarisme. Elle est d’une multiplicité infinie, elle

regroupe l’「un」133  et exerce le parlementarisme. Elle assure également la

légitimité de l’État et lui permet de s’appuyer sur la souveraineté du peuple. En

traçant la frontière, qui se définit par la démocratie représentative, la

souveraineté du peuple demeure le pouvoir réel. Elle synthétise de façon

générale la subjectivité politique individuelle et collective, elle apparaît aussicomme l'autonomie de la propriété privée et de l'égalité juridique. Dans ce sens,

le peuple, la démocratie, l’espace du territoire et légitimité de l’État sont liés. Cela

veut dire aussi que la forme démocratique constitue le noyau de l’État moderne.

Les considérations évoquées ci-dessus renvoient à la théorie de Rousseau

qui suppose que l’État moderne joue le rôle de l’agent de la volonté générale et

de dominateur. Le néolibéralisme remet en question le rôle de l’État et le

considère comme une institution trop puissante et un obstacle au libre marché.La fluidité et la libéralisation doivent permettre d’effacer la limite de la frontière en

rendant floues les limites de l’État. Nous assistons à une relativisation de la

133 Nous définirons l’« un » d’ici comme un pronom de « nous », « l’ensemble », « un groupesocial », « la totalité » « une relation entre nous et l’autre », « un corps politique ». En somme, ilest comme une totalité ou un membre complet. Nous discuterons ce concept dans la section5.2.2.

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frontière. L’État perd-il le critère qui lui permettait de désigner et de définir

l’ « un » ? Sur quels critères repose maintenant la désignation de

l’ « un » ? Lorsque l’État ne joue plus le rôle de l’「un」, dans une époque

trans-étatique, le peuple disparaît et il devient impossible de définir lacitoyenneté dans le cadre de l’État-nation. D’où peut venir la légitimité du

gouvernement? Le parlementarisme et la souveraineté du peuple n’apparaissent

plus possibles dans ce nouveau contexte.

L’État n’est désormais plus le souverain suprême, sa souveraineté s’est

transférée vers les organisations ou les entreprises transnationales. Cette

évolution laisse apparaître une aporie immanente de la théorie du contrat social.

Les organisations internationales deviennent les maîtres du peuple, alors

qu’elles se trouvent normalement au-delà de l’État-nation et de la frontière.

Cependant, la légitimité ne vient plus du peuple, ni du contrat social, ni du

parlementarisme, mais du pouvoir. Le constat d’une crise de la démocratie (si la

base de la démocratie est fondée encore sur le contrat social) et de la

citoyenneté est incontestable. Cette crise tient d’une part, aux institutions

transnationales qui ont tendance à bafouer les droits des citoyens. Les citoyens

doivent faire face une domination croissante venant de l’étranger, il ne peut pascontrôler ce pouvoir. D’autre part, le citoyen subit une pression venant d'une

menace invisible et d'une violence innommable.

La forme du contrat social n’existe pas concrètement, il s’agit d’un concept

abstrait. À force de supprimer les différences, les peuples pluriels se concentrent

en l’「un」. Au travers de l’exclusion des perturbateurs, qui ne s’incorporent pas

dans la structure, la souveraineté choisit ses membres du souverain134. Cela

veut dire que certains ne bénéficient pas des droits des citoyens. En désignant

134  À propos du concept de « Membre du souverain ». Selon la définition chez Rousseau, nous leconsidérerons comme le concept du citoyen. Il dit que « On voit, par cette formule, que l'acted'association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaqueindividu, contractant, pour ainsi dire avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport;savoir, comme membre du souverain envers les particuliers, et comme membre de l'Etat enversle souverain. » Voir, Rousseau, Du Contrat Social , Union Générale d’Editions, 1973, pp.74-75

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l’absence et l’exclusion, l’État souverain accomplit la démocratie. La légitimité de

la démocratie est fondée sur un mécanisme d’exclusion. Nous qualifions ce

modèle démocratique de démocratie exclusive. L’「un」consiste alors en la

violence et en l’élimination des différences.

La démocratie doit faire face à deux urgences, à savoir régler le problème

de la démocratie sans peuple et de la démocratie exclusive. À mon avis, le

modèle démocratique tel que nous le connaissons aujourd’hui est une

contradiction fonctionnant par l’exclusion. La réponse devrait pencher vers une

nouvelle idée démocratique qui se conformerait au niveau mondial : la

démocratie inclusive.

Notre réflexion doit se focaliser sur le sens de la démocratie. Elle revêtira

deux dimensions. La première consiste à réexaminer le parlementarisme : La

démocratie du parlementarisme est-elle réellement une démocratie ? Il serait

alors nécessaire de redéfinir la démocratie. La deuxième dimension oblige à

nous interroger sur ce point : la démocratie élargie signifie-t-elle d’inclure plus de

participants ? Tout le monde disposerait alors de la même opportunité,

c’est-à-dire que la démocratie s’accompagnerait toujours de l’égalité. Personne

ne serait exclu à cause de son appartenance de classe.

Pour répondre aux problèmes de la démocratie, dans la section 5.1, nous

examinerons l’idée de la démocratie du post-marxisme de Mouffe et Laclau.

Dans la section 5.2., par un dialogue avec le post-marxisme, nous introduirons

les idées de « démocratie conflictuelle » et de « chantiers de la démocratie » de

Balibar. Nous mentionnerons aussi l’idée de «la part   des sans -part » et du «

politique » chez Rancière. Nous nous approprierons la notion de la « démocratie

vide »135  de Badiou. Celle-ci ne résulterait ni du présupposé, ni de l’exclusion, ni

d’une structure donnée. Badiou observe que la vérité et la démocratie sont un

ensemble de multiple inconsistant, elles surgissent donc d’un excès, elles ont

135  Nous approprions l’idée du « vide » chez Badiou. Le vide se présente comme multiple etl’ensemble universel. Ainsi, la démocratie fonde sur le vide, elle réalisera une démocratieinclusive. Nous discuterons détaillé ce concept dans la section 7.2.2.

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plus des sens que la structure préexistante. Nous romprons avec les relations

préétablies et produirons un futur que nous n’avions pas prévu. Une telle action

permettra de faire resurgir toutes les possibilités, c’est une ouverture et une

légalité réelle.

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5.1 La démocratie postmoderne----la démocratie plurale de la séduction

Dans les chapitres précédents, nous avons discuté de « la fin de

l’État-nation ». La libre circulation abolissant les frontières, la mondialisation

capitaliste annonce la « fin de l’État-nation» sous trois aspects : la décision

suprême, le système de sécurité sociale et le droit du citoyen. Le recul de

l’État-nation dans ces trois dimensions marque sa défaite face à la

mondialisation capitaliste 136 . L’État se trouve dépouillé de sa capacité de

domination, il ne détient plus la décision suprême sur les plans politique,

 judiciaire et du système social. L’État-nation ne remplit plus le rôle de gouvernant,

il assure seulement un service public minimum indispensable à la bonne

circulation des capitaux internationaux. L’État ne dispose plus de la décision

suprême, il est soumis aux ordres des institutions transnationales et des

entreprises internationales. Il devient une institution politique secondaire. Dans le

processus de décision, l’État ne peut plus maintenir un espace public permettant

de discuter de la politique publique. La disparition de l’espace public aboutit ainsi

à un déficit de démocratie.

Le critère de la frontière n’étant plus distinct, l’État perd son membre de

souverain : le citoyen. Cela conduit à la crise de la démocratie et aboutit à la

perturbation du parlementarisme. Celui-ci représentait au moins un mécanisme

de démocratie formelle, même s’il s’agissait d’une démocratie litigieuse.

Une telle destruction provoque un déséquilibre dans la politique publique et

une disparition de l’espace commun. Ces derniers mènent à la polarisation et à

la marginalisation sociale. Lorsque le pouvoir décisif concentre de plus en plus

de populations minoritaires, le décideur s’oppose toujours à l’intérêt majoritaire ;

quand les puissants se décideraient pour les «résidus», les pauvres sont

toujours placés dans une position de faiblesse.

Les gens ne pourraient plus voter contre leur dominant (décideur), parce

136  Habermas, Après l’État-nation, Paris, Fayard, 2000, p.131

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que la décision et la règle s’appliqueraient où qu'ils aillent. Nous ne disposons

plus du pouvoir de résistance, ni de désobéissance, parce que la juridicité est

contrôlée par des individus minoritaires qui s’avèrent bien éloignés de la majorité.

Au nom de la mondialisation, les institutions transnationales extérieuresinterviennent dans les affaires intérieures d’un pays. Qu’entend-on par institution

transnationale ? Le terme désigne une institution trouble, elle serait un ordre sur

lequel se fonde les États puissants. Ces derniers contraindraient les institutions

transnationales à adopter une politique aidant à résoudre leurs propres difficultés

intérieures. Les États puissants exigent de tous les pays de se charger ensemble

de leurs problèmes intérieurs (chômage, inflation, déficits financiers). L’État

pauvre se met au service de l’État puissant, les institutions transnationalesdeviennent ainsi des outils pour ce dernier.

Face au déficit de la démocratie, Negri bâtit une nouvelle notion de la

démocratie à partir de la décentralisation, la désincorporation, la dissémination.

Negri s’interroge sur la possibilité d’instaurer une nouvelle souveraineté sous

l’empire. Constitue-t-elle une souveraineté sans frontière ? Quelle nouvelle

stratégie adopter pour la contrer ? Autrement dit, Negri tente de créer une

nouvelle stratégie de résistance qui irait au-delà de la frontière. Cette stratégieinclurait plus de participants, pour égaler la souveraineté globale, dont la force

contraire instaure un équilibre. Negri défend l’idée d’un mouvement autonome et

propose la notion de multitude pour la substituer à la notion de peuple. La

multitude renvoie à l’irréductible, à la décentralisation et à la

déterritorialisation au travers du pouvoir constituant. En détruisant la politique

préétablie, elle créerait une nouvelle politique qui n’est ni organisée, ni

centralisée.Laclau   et Mouffe   définissent la démocratie radiale en trois points :

l’hégémonie, la contingence, et l’articulation. Le contenu de la démocratie

politique réside dans le conflit, l’antagonisme et l'incertitude, elle demeure donc

toujours paradoxale. Pour Laclau et Mouffe, la démocratie se fonde sur la

contingence de l’hégémonie. À cause de la force d’opposition et de

l’antagonisme, le pouvoir central se transforme de temps en temps, si bien que la

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force de la lutte devient une forme de la démocratie. La contingence de

l’hégémonie consiste à la fois à éviter la bureaucratie et à résoudre la question

de la dictature. Cette voie est la démocratie réelle, personne n’est contraint par

un ordre et une organisation.

Selon ce qui vient d’être dit, dans cette section, notre réflexion se fera entrois points.

En premier lieu, nous évoquerons les l’idée de Negri, Laclau et Mouffe.

Nous nous concentrons sur la notion du « pouvoir constituant » chez Negri et sur

la « contingence » de l’hégémonie chez Laclau et Mouffe. Nous souhaiterions

répondre à la question qu’ils soulèvent sur la bureaucratie et du parlementarisme

grâce aux théories de Mandel et de Poulantzas. À notre avis, en réduisant lecontenu de la dictature, le marxiste postmoderne propose une désorganisation et

une contingence. Or, il semble ignorer la base de l’histoire, car la démocratie

institutionnelle n’est pas qu’elle est également démocratie réelle. Cela renverrait

sinon à une logique tautologique et nous perdrions l’essence de la démocratie.

Nous ne pensons pas non plus que la décentralisation et la déterritorialisation

soient forcément démocratiques et préservent de la bureaucratie et de la

dictature.

Dans un deuxième temps, nous tenterons de dialoguer avec Negri, Laclau et

Mouffe. Bien entendu, nous sommes d’accord avec le fait qu’il est nécessaire

d’éviter la bureaucratie et de développer une action plurale. Nous revenons à la

question de départ, en nous interrogeant sur la possibilité de l’action collective.

Les possibilités qu’offrent le « pouvoir constituant » et « la multitude » sont

illimitées. Si nous pouvons nous accorder avec les points de vue exposés

ci-dessus, la question ne consiste-t-elle pas plutôt à déterminer qui est le sujet dupouvoir constituant ? Si la réponse est la multitude, que désigne celle-ci ?

Comment regrouper un sujet du monadisme? Comment exercer le pouvoir

constituant ? Et comment concentrer la force sans organisation ?

En troisième lieu, en discutant avec le post-marxisme, nous distinguerons

deux stratégies, l’une concernant le totalitarisme et la bureaucratie et l’autre,

l’action collective. Pour le post-marxisme, la crise de la démocratie se situe au

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niveau du mécanisme de la pratique. La question consiste à définir les moyens

de restaurer un mécanisme démocratique évitant le totalitarisme. Cependant, à

notre avis, la question ne réside pas sur le mécanisme démocratique, mais plutôt

sur la qualification égale du participant. La question consiste plus à redéfinir ladémocratie elle-même, car pour nous la démocratie n’est pas un système, mais

une action. La démocratie n’est pas une règle donnée à laquelle les gens

obéissent, elle est au contraire une conséquence de l’action des gens. Nous

décrirons la démocratie inclusive, et nous la développerons dans la section 5.2.

5.1.1 Le point de vue du marxisme postmoderne

Face au défi néolibéral, la gauche réfléchit à partir de diverses dimensions

de la démocratie. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons envisagé la notion de la

démocratie accomplie dans le cadre de l’État-nation. L’écoulement des frontières

incite à développer une nouvelle forme de démocratie, qui aille au-delà des

frontières nationales. Elle doit aussi pouvoir s’appliquer sur les institutions

transnationales. Les libéraux insistent sur la nécessité de créer une démocratie

pluraliste ou multilatérale. L’État-nation est alors considéré comme un

coordinateur ou un médiateur : il représente un enjeu important. Le nouveau

système mondial se fonde sur une coordination permettant d’articuler

l’État-nation et l’institution transnationale. La coordination d’une part amenuise le

conflit entre le pays particulier et la puissance internationale, entre la justice

sociale et la circulation du capital. D’autre part, elle remédie au défaut de

démocratie. L’État-nation apparaît encore comme un enjeu important et un

facteur essentiel, car si les institutions transnationales désirent appliquer leurs

décisions à tout le monde, l’État joue un rôle de coordinateur. D’une part, il

détient le pouvoir des affaires intérieures, d’autre part, il constitue une partie de

la division des affaires internationales. L’État devient alors un membre de la

société internationale. Cela donne lieu de croire que l’existence de l’État-nation

est nécessaire. Car il joue un rôle de distributeur et de coordinateur, tant dans le

système traditionnel que dans le nouveau système mondial de la mondialisation

du capital. L’État-nation atténue les ruptures de la démocratie et les conflits

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provoqués par les organisations transnationales et des pays industrialisés.

Comme Habermas, David Held préconise de fonder une démocratie et un ordre

planétaire basés sur une structure trans-étatique.

Face à la notion de gouvernement global, Habermas propose celle du

citoyen européen. Il souligne trois principes : une société civile européenne, un

espace public à l’échelle de l’Europe et une culture politique susceptible d’être

partagée par tous les citoyens européens. Celles-ci constituent le départ de la

démocratie européenne, l’Union européenne démocratique étant formée par les

trois principes. Habermas soutient le principe de la constitution européenne, il

affirme que l’Europe doit s’appliquer à elle-même « la logique d’une création

circulaire de l’État et de la société » qui a donné forme à l’histoire moderne despays européens137. » Pour Habermas, l’espace public et la société civile sont la

base pour qu’une organisation internationale restaure la démocratie

transnationale et accélère le processus de la démocratisation. La constitution

européenne catalyse la démocratie transnationale et accélère le processus de la

démocratisation. La constitution européenne pourrait avoir selon lui un effet

d’induction138. En tant qu’espace public de la démocratisation, la démocratie

globale représenterait une amélioration parlementaire, dans la mesure où unetelle démocratisation ne viserait pas tout particulièrement à l’intérêt d’un pays

individuel. La décision ne dépendrait pas uniquement des les plus pays

puissants, mais résulterait du dialogue et de l’intersubjectivité partagée. Elle

serait le support permettant le développement d’un dialogue égalitaire.

Cependant, une telle démocratisation ne changeait pas grand-chose. Elle ne

résoudrait pas non plus la question de la démocratie au cœur des organisations

transnationales. Car elle ignore les rapports de force au sein des organisationstransnationales. Les institutions ne sont pas neutres, les organisations

supranationales reprennent la logique de l’État-nation (géopolitique). La

constitution européenne ne disposerait ainsi d’aucun pouvoir de contrainte sur

137  Habermas, De l’usage public des idées, Fayard, paris, 2005, pp.245-246138  Habermas, L’intégration républicaine- Essais de théorie politique, Fayard, paris, 2003, p.157

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les États puissants. La question clé ne se situerait-elle pas moins à établir un

mécanisme de démocratisation au sein de l’institution transnationale, mais plutôt

consisterait à se demander ce qui constitue la substance politique de la

citoyenneté ? Un nouveau chapitre de l’histoire du citoyen s’ouvre. Il fautréétudier le nouveau contenu de la citoyenneté et non pas rattacher encore la

notion de citoyen à un échelon supranationale.

Nous devons aller au-delà du contrat social chez Rousseau, car la question

ne réside pas tant sur la réforme institutionnelle. Il ne s’agit pas non plus de créer

de nouveaux mécanismes qui perpétueraient l’exclusion, les inégalités

économiques, religieuses… La question tourne autour de la racine du concept de

la citoyenneté et de la démocratie. La démocratisation est celle qui inclut le plusde participants, permet de parler et de décider ensemble. Elle se consacre non

seulement à l’économie, mais surtout aux droits des citoyens, aux droits

fondamentaux. Le peuple possède à la fois le pouvoir constituant et le pouvoir

constitué, il doit respecter la loi, il possède en même temps le droit d’instituer la

loi et celui de s’instituer contre la loi. Nous ne devons plus désormais chercher

d’issue dans le même cadre, mais échapper au concept du contrat social

classique et se défaire du mode de pensée produit par la classe dominante.Comment restaurer la notion de démocratie dont nous avons montré les défauts ?

Nous souhaiterions formuler des possibilités dans les discussions suivantes.

En dehors du gouvernement global chez Habermas et du constitutionalisme,

le « marxisme postmoderne » propose une autre thèse sur la démocratie. Cette

thèse est défendue par Laclau et Mouffe. S’ils ne partent pas de la réforme

institutionnelle, ils insistent sur la désinstitutionalisation et sur la force de la

subjectivité de l’action. Ils considèrent l’organisation comme une vaste machinebureaucratique et préconisent une révolution sans organisation. La subjectivité

révolutionnaire pourra émerger selon eux grâce à l’articulation contingente.

L’action collective agit comme une coalition de sujets sociaux refusant de se

subordonner à une contradiction réputée principale.

Que désignent la coexistence et l’articulation du marxisme postmoderne?

Cette question se pose avec acuité dans les luttes d'émancipation. Pour lui,

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avant le gouvernement global, il faut dépasser deux concepts, et en premier la

relation entre la démocratie et le parlementarisme formant la base du

républicanisme. Le deuxième concept renvoie à la notion de souveraineté,

celle-ci manifeste l’unité et exclut la multiplicité qui entre en contradiction avec lasouveraineté. Aujourd’hui, chaque nouvelle conception de la démocratie: le

parlementarisme et la souveraineté rencontre un obstacle, parce que la

souveraineté se base inévitablement sur la situation réelle. C’est-à-dire qu’elle

refuse le facteur a priori  anagogique. La souveraineté se forme dans la catégorie

du capitalisme qui est une figure concevable et praticable. Lorsque nous

proposons une autre forme de souveraineté que celle du capitalisme, la question

à laquelle nous sommes confrontés depuis le début demeure la réalisabilité decette nouvelle souveraineté. Le parlementarisme est considéré comme la forme

obligée de la démocratie. Au travers de l’élection, nous réalisons la volonté et

confions nos droits à un représentant. Quel est le contenu de la démocratie si le

parlementarisme ne peut plus être considéré comme une forme équivalente à la

démocratie ? Ce questionnement devient le problème central de la politique.

Nous avons traité au-dessus de la notion de « pouvoir constituant » et

« pouvoir constitué ». Negri pense que la démocratie est construite sur le pouvoirconstituant, la constitution attribue le pouvoir constituant et le pouvoir constitué.

Néanmoins, pour l’instant, nous possédons celui-ci, mais ignorons celui-là.

C’est-à-dire que notre gouvernement insiste sur la nécessité de respecter la loi,

mais en omettant de préciser que la désobéissance constitue aussi un pouvoir

du peuple. Le pouvoir constituant et le pouvoir constitué sont des forces en

équilibre. En tant que pouvoir constituant, nous avons le droit de résistance, nous

pouvons mettre en question le gouvernement et contrer l’autorité. Dans sonouvrage « La multitude », Negri fonde son analyse sur deux bases, la démocratie

doit faire face à la crise, tant au niveau de l’État-nation qu'au niveau de la planète.

La notion de démocratie résulte seulement de la démocratie parlementaire. Elle

dévie le pouvoir constitué, mais n’implique pas le pouvoir constituant. Poursuivre

une telle démocratie équivaudrait à ne rien changer. La démocratie se retrouvera

encore dans une situation de crise et de ruine. La question ne consiste donc pas

à prolonger le cadre de la démocratie, mais à renouveler la notion de démocratie.

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Cela rend nécessaire de recréer un contenu profond de démocratie de manière à

se conformer à une souveraineté globale.

Negri indique clairement dans son ouvrage que : « Parler de pouvoir

constituant, c’est parler de la démocratie 139  ». Il recourt à deux notions

opposées : premièrement, la souveraineté et la démocratie, deuxièmement le

pouvoir constitué et le pouvoir constituant. Pour lui, le pouvoir constituant est une

force qui interrompe complètement l'ordre existant. Cette force visant à annihiler

tout équilibre préexistant établi sur la logique de la bourgeoisie. À ses yeux, le

pouvoir constituant n’est pas un produit politique, il est l’essence et la substance

de la politique. Il ne provient pas de la politique, ni n’en est la conséquence : il en

est la source même. Le pouvoir constituant n’est pas uniquement une force dedestruction, mais plus encore une force création. Negri souligne ainsi que le

pouvoir constituant est toujours un acte, une durée indéfinie et infinie, il passe

toujours par la révolte permanente. C'est par cela que se construit la définition de

la politique et que les actions deviennent la subjectivité de la politique et de

l’histoire. Autrement dit, l’action devient le principe de la politique.

Pour Negri, la subjectivité de l’acteur s’est éloignée de la classe ouvrière,

elle renvoie aujourd’hui à la « multitude ». Negri insiste sur l'idée que la multitude

ne constitue pas une organisation ouvrière, elle renvoie à un concept qui tente

d’inclure des forces d'une plus grande diversité. En ignorant la théorie des

classes de Marx, Negri tente de déterminer une force de résistance à l’heure de

l’Empire. La stratégie de la multitude est bâtie sur une subjectivité multiple, car

elle coalise des organisations diverses, non seulement ouvrières, mais aussi

sexuelles, et écologiques… La multitude se regroupe autour d’une organisation

composée de membres issus d’horizons différents et travaillant dans des sujetsdivers. Elle apparaît ainsi comme un espace nomade qui ne possède ni centre, ni

frontière. C’est un mouvement qui s'effectue dans le cadre de la planète.

Pour Negri, la multitude établit une résistance complète face à la

décentralisation et de la disparition des frontières. La multitude manifeste ainsi

139 Antonio Negri, Le Pouvoir constituant, Paris, PUF, 1997, p.1

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une démocratie multiple, marquée par l’ouverture et l’égalité. La nature de la

relation entre les diverses organisations n’est pas celle d’une direction ou d’une

subordination, il s’agit plutôt d’une relation de partage et de coordination. Il

n’existe alors pas de représentation : aucun dirigeant, aucune d’avant-garde.Cette nouvelle stratégie du mouvement social correspond à la souveraineté

ubiquiste de l’Empire. La nouvelle subjectivité politique de la multitude se

caractérise par l’ouverture et l’ubiquité. Par rapport à l’analyse de Marx, qui

s’oppose au capitalisme, la subjectivité révolutionnaire renvoie à la classe

ouvrière. La multitude n’existe pas dans une organisation spécifique. En

revanche, elle se trouve partout. Ainsi, la multitude diffère du peuple, elle ne

possède pas d’identité et n’appartient à aucune organisation fixe.Le pluralisme existe au sein de la multitude, elle constitue la différence

multiple, sous l’angle de l’ouverture, de l’égalité et du pluralisme. La multitude

possède le caractère de la démocratie, elle ne supprime pas l’hétérogénéité,

c’est une collection hétérogène. Comme Rancière souligne aussi, nous

discuterons cette notion chez Rancière dans la partie 5.2.2. Pour Negri, la

question consiste à déterminer comment communiquer et relier les différences

multiples. En somme, la démocratie chez Negri est fondée sur deux bases: lepouvoir constituant et la multitude. Ces deux bases permettent de mener partout

la résistance et de restaurer le concept de la démocratie, issu de la possibilité de

la démocratie globale.

Negri prône de remplacer le parlementarisme par un pouvoir constituant et

de créer la démocratie planétaire par la multitude. Ce qui permet de se

conformer à la nouvelle forme de souveraineté de l’Empire. Laclau et Mouffe ne

défendent pas les valeurs du système, ils préfèrent insister sur la pratique ducitoyen et la responsabilité politique. Ils préconisent l’hétérogénéité, voire

l’antagonisme entre les citoyens. L’hétérogénéité et l’antagonisme constituent

pour eux le fondement de la démocratie140. La société pluraliste ne peut être

140  C. Mouffe, Post-Marxism: "Post-Marxism: democracy and identity" Environment and PlanningD: Society and Space 13(3), p. 263

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reconnue que si elle n'empêche pas des relations antagonistes, préserve du

totalitarisme grâce à la diversité de l’espace politique. La démocratie peut se

transformer à condition que la société soit pluraliste141. La démocratie radicale

appelle à briser la conscience collective et unique sur laquelle la société estfondée, elle demande aussi de critiquer le rationalisme. Du point de vue de

Mouffe et Laclau, la démocratie radicale nierait le matérialisme historique. Elle

pencherait vers la position postmoderne anti-essentialiste, non-autoritaire,

irréductible, et non-déterminable142.

En interprétant la procédure de la totalité chez Hegel, Laclau et Mouffe d’une

part défendent l’hétérogénéité, d’autre part, ils critiquent la société enfermée.

Pour eux, aucune société ne possède d’essence a priori , toute société doit seformer en fonction d'une relation réciproque. La société est la conséquence de

l’articulation. En fonction d’une subjectivité propre, chaque société conçoit un

modèle différent. Elle ne répond pas à une logique figée, ni à un règlement

constant. L’articulation est une conséquence de la contingence, elle ne repose

sur aucune certitude, chaque acte de l’articulation ne parvient pas au point

terminal. Autrement dit, il n’existe pas de société complète et finale, mais

seulement des sociétés temporaires. L’ordre social dispose d'une figurationtemporaire dans l’essence ouverte. La société ne peut pas absorber toute

l’hétérogénéité, elle demeure toujours dans l’hétérogénéité interne143.

Laclau et Mouffe proposent une démocratie radicale à travers leur critique

de la théorie de Marx. Ils insistent sur la nécessité pour le politique de reposer

sur l’ouverture, sans une origine fixe et a priori . Le politique articule des identités

et des acteurs différents et instaure une hégémonie. Laclau et Mouffe définissent

tout d’abord deux concepts : l’articulation et le moment. À partir de l’articulation,ils structurent la notion de la démocratie. La démocratie consiste selon eux à

articuler les hétérogénéités, qui font apparaître (inclure) un autre et renvoient à

141 C. Mouffe, Deliberative democracy or agonistic pluralism , politic science 72; 2000; pp.14-15142 C. Mouffe, Return of the political , Verso, 1993, p.22143  E. Laclau, and C. Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy Toward a Radical DemocraticPolitics . London: Verso, 1985. p.96

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l’antagonisme. La relation antagoniste implique que la totalité ne se forme que si

elle inclut l’antagoniste. La totalité emboîte toujours un antagonisme qui ne

résulte pas d’une relation de l’objet extérieur, mais surgit plutôt de la limite de

l’objectivité: « what cannot be said can be shown 144  ». De surcroît, Laclau etMouffe remarquent que toute pratique établit une relation parmi des éléments, ce

qui permet de modifier l’identité en raison de l’articulation pratique. Nous

désignerons par le terme « moments » les positions différentielles, en tant

qu’elles semblent s'articuler dans un discours. Chaque élément a été réduit à un

moment au sens de la totalité, toute pratique sociale constitue une partie de cette

articulation145 . Laclau et Mouffe soulignent que l’hégémonie émerge là où

fonctionne la pratique de l’articulation.Laclau et Mouffe envisagent la pratique de l’articulation dans la totalité

(l’hégémonie), elle s’accomplit à la condition de la contingence. À travers la

surdétermination chez Althusser146, ils insistent d’une part sur le caractère de la

contingence de la totalité, et d’autre part, sur la totalité qui ne peut pas assimiler

toutes les différences. La société s’édifie en fonction de la décision pluraliste, il

n’existe pas de conséquence fixe, ni de cause nécessaire. Laclau et Mouffe

défendent donc une théorie de l’hégémonie non-essentialiste. L’élément necorrespond pas à un moment préexistant, cet élément peut s'articuler librement

et non pas se fixer. Si l’élément devient un moment, cela signifie qu’il s'agit d'une

partie de la structure. Il s’attache à un signifié, la pratique de l’articulation ne

fonctionne plus et il n’y a d’hégémonie que dans l’articulation. L’articulation

conduit à la démocratie pluraliste. Laclau et Mouffe insistent sur la nécessité

d’articuler les forces de luttes où elle apparaît dans divers domaines. Il faut

transformer et faire converger ces forces. Il faut embrasser une positionnon-essentielle, en bâtissant une relation de l’équivalence entre la proposition

différente. En suspendant temporairement la différence, un consensus peut se

former, il incarne une hégémonie. Face à une telle hégémonie non-essentielle,

144  Ibid. , p.125145  Ibid. , pp.105-113146  Ibid. , p.111

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nous pouvons développer une relation avec les hétérocentriques. Autrement dit,

le non-essentiel constitue le premier pas vers l’hégémonie démocratique.

Remarquons ici que Laclau et Mouffe inscrivent le paradoxe de la

démocratie dans une communauté unique fondée sur le respect de

l’hétérogénéité multiple. Ils proposent ainsi la notion d’«hégémonie ». Celle-ci

concentre les idées, les valeurs, les profits, elle devient un centre. Si l'on

emprunte la notion chez Lefort de « centre vide »147, celui-ci apparaît comme un

lieu de signification vide. Le cœur de l’hégémonie est reconnu comme un vide, il

n’est pas achevé, il est en constante construction. La relation de pouvoir est

décidée encore par la force, le centre vide a pour signification que le pouvoir ne

peut pas imposer sa décision sur une force diverse. Dans une telle relation depouvoir, c’est le lieu du pouvoir qui est vide et absent. Il n’y a de pouvoir que

dans une relation de lutte : ce n’est pas le pouvoir qui influe sur la force. Une

place symbolique, déclarée vide, n’est occupée par le pouvoir, qui se déroule

dans la vitalité des relations sociales. La force constitue en fait l’essence du

pouvoir. La force ébranle la relation du pouvoir différent, que Laclau appelle

« contingence ». L’ensemble des forces diverses concentrent le pouvoir, ce qui

implique l’existence d’une autre force qui ne se conforme pas à un pouvoircentral, dans lequel les forces diverses sont inclues, par rapport à la force qui est

incluse dans le pouvoir. Elle est un dehors, elle devient une hétérogénéité, un

antagonisme, elle est une force opposée. Autrement dit, dans un centre, il existe

toujours l’extérieur148.

Nous concentrons une hégémonie à l’aide d’un nom universel, tant la

révolution que l’émancipation, ne deviendraient pas devenir une totalité absolue.

L’hégémonie empêche toute émancipation complète, cela veut dire aussi qu’ilexiste inévitablement des gens qui s'inscrivent en dehors de l’hégémonie. Ces

personnes sont une hétérogénéité, un antagonisme. La démocratie doit produire

continuellement le signifié vide, la communauté ou l’hégémonie arrive à la

147  C. Lefort, Essais sur le politique, Points, p294148  Ibid. , P.186

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représentation et l’universalité à l’aide d'un nom (signifiant). Cependant, si ce

nom attachait un signifié particulier, il ne se déplacerait plus et il perdrait son

autonomie, dans ce cas, la démocratie mourrait149. Malgré l’hégémonie, nous ne

pouvons pas supprimer toutes les différences, le pluralisme ou l’universalismedétendrait les inégalités. Une société unique n’est pas le meilleur choix, si elle se

réalise sous la pression, par l’intimidation. La tension entre les inégalités et les

hétérogénéités, au lieu de disparaître, doit constituer une base pour la

démocratie.

L’hégémonie démocratique est toujours un signifié vide, et une contingence.

Elle change de temps en temps selon la lutte de la force. Chaque force devient

un pouvoir central, et tend à s’approprier celui-ci. Dans ces conditions, nous nepourrions discuter de la démocratie qu’en soulignant l’hégémonie de la

signification vide et sa contingence150. Parce que l’hégémonie est un lieu de

pouvoir absent, elle insiste sur la décentralisation et la diversité des forces. Ainsi,

elle détruit le pouvoir central, de même elle apparaît comme une forme

d’anti-totalitarisme, elle est donc la démocratie. En outre, à cause de ces

derniers caractères, la signification vide et la contingence sont la possibilité de la

réarticulation. Sinon, le pouvoir central de la signification vide et la force concrètene peuvent pas développer une relation de reconstruction ou d’altération. Par

conséquent, l’hégémonie démocratique n’est pas le totalitarisme. La démocratie

réelle consisterait même à re-centraliser continuellement un tel espace pour

l’antagonisme.

Pour Laclau et Mouffe, la démocratie se fonde sur la contingence de

l’hégémonie151. À cause de la force d’opposition et de l’antagonisme, le pouvoir

central se transforme de temps en temps, si bien que la force de la lutte devientune forme de la démocratie. Autrement dit, le pouvoir et l'hégémonie agissent

comme un signifiant vide, ils peuvent disparaître à tout moment. Le vide du

149 E. Laclau, Democracy and the Question Power, Constellations, Volume 8 Issue 1 Page 3-14,March 2001, P.12150  Ibid. , P.8151  J. Butler, E. Laclau, S. Žižek, Contingency, Hegemony, Universality, Verso, 2000

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signifiant permet au mouvement d’inclure plus de sujets, même si au début, le

mouvement ouvrier lutte contre le capitalisme, il poursuit d’autres valeurs dans le

processus du mouvement. Le mouvement ouvrier dépasse le particulier, il

combine des demandes différentes. Les demandes différentes sont liées, ellesapparaissent comme une ligne. Au lieu d'une subordination, les demandes

différentes agissent comme une relation égale. Les demandes différentes

forment une unité, elles s'insèrent dans une relation égale. Dans cette relation,

les demandes différentes existent dans la différence. Plus de demande différente

amène à la revendication et la révolte dans divers domaines, le mouvement

s'élargit. Cela signifie que nous volons nous grouper dans une demande de

consensus, cette demande possède l’universalité. Ainsi, elle établit une placecommune entre les opinions différentielles.

En d’autres termes, une négociation équivalence n’existe jamais, parce que

le conflit et l’antagoniste s'inscrivent dans la ligne de la société démocratique.

Ces hétérogénéités constituent la dynamique de la démocratie. Celle-ci ne

consiste pas en une règle fixe, nous n’avons pas envie d’une institution donnée,

nous reconstruisons une chose qui articule les éléments divers. Cette chose

change à tout moment en fonction des participants, il n’est ni un terminus, ni unproduit fini ultime. La démocratie ne vise pas créer une institution complète, elle

surgit en cas d’insuffisance. Elle apparaît comme un objet « sans plein »,

c’est-à-dire une chose impossible à remplir, cette insuffisance devient la

possibilité, la racine et la logique de l’action politique. La démocratie doit

accepter la nécessité de la multiplicité et articuler les multiplicités, l’articulation

doit en faire continuellement.

Nous devrions réfléchir plus profondément sur le sens de l’hégémonieinsatisfaite. En concentrant l’hégémonie, l’institution inscrit une limite, c’est-à-dire

que le processus de l’institutionnalisation se forme par une délimitation du bord.

La centralisation existe toujours par rapport à un extérieur et un intérieur, ce qui

signifie qu’il y a quelque chose qui ne s’inclut pas ou s’exclut. Le centre apparaît

donc comme un vide interne et une insuffisance. Une telle insatisfaction

représenterait une possibilité pour restaurer un centre. L’extérieur est

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généralement considéré comme « l’autre », comme un antagonisme, un objet

opposé. Cependant, sous l’angle de l’insatisfaction, l’extérieur surgit du vide

interne. Cela manifeste également que le centre existe encore dans l’espace

pour assimiler plus de différence. Dans ce cas, l’autre, l’extérieur etl’antagonisme apparaissent non plus comme une menace, mais comme une part

de l’hégémonie. Pour Laclau et Mouffe, l’antagonisme est un facteur

indispensable, l’hégémonie n’est pas une place fixe. L’hégémonie accomplit le

rattachement entre les différences, elle assimile et s’élargit en permanence152.

En d’autres termes, Laclau et Mouffe envisagent la limite et l’antagonisme

comme une série en deux dimensions, la limite indique l’essence de la totalité :

l’insatisfaction. La totalité interne est un signifiant vide, tandis que l’antagonismerend visible la limite, en désignant un extérieur. Nous supprimons ainsi

temporairement l’hétérogénéité et nous attachons à une ligne unique. Une ligne

unique surgit sous la forme d'un signifiant vide.

La relation entre l’extérieur et l’intérieur n’est pas celle de l’opposition ou de

l’antagonisme. L’extérieur n’existe pas en niant l’intérieur, il apparaît comme une

exclusion, il ne s’inclut par l’intérieur. L’extérieur ne représente pas pour

l’intérieur le droit de décision : il n’a de position, ni de fonction. S’il joue un rôlenon fonctionnel, il n’a pas disparu pour autant : il s'avère indispensable pour la

possibilité de la totalité. L’extérieur et l’hétérocentrique ne fonctionnent donc pas

au sein de l’intérieur, mais ils sont la condition indispensable de la totalité.

L’antagonisme, la dispersion, l’articulation, l’insatisfaction et l’hétérogénéité

constituent la théorie de l’hégémonie. Laclau et Mouffe nous rappellent que

l’extérieur et l’intérieur ont un effet réciproque, rendant de ce fait flottante la

frontière de l’antagonisme. Si la relation de l’antagonisme n’était pas celle de lamodification, l’extérieur et l’intérieur formeraient deux blocs fixes. La condition

permettant l’action politique n'existe alors pas. Le signifiant vide marque

l’insatisfaction de l’hégémonie en exprimant une insatisfaction constante.

L’hégémonie doit pour cela inclure plus de différence. La question porte sur ce

152 E. Laclau, Why do Empty Signifiers Matter to Politics , in Emancipation(s), 1994, pp. 36-46.

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qui se trouve en dehors du système. L'intégration du système possède

effectivement toujours cette nature double : toutes les contradictions particulières

se concilient dans le système, mais elles représentent aussi la lutte universelle

contre le système. Ce mouvement de la lutte particulière manifeste le « signifiévide » à l’aide de la critique universelle. Cela signifie également que les

hétérogénéités se rallient et la lutte est menée de façon permanente. De ce fait,

le signifié est vide parce qu'il n'est pas complètement identifié avec une lutte

particulière (un signe particulier). Il évolue librement, car il repose sur la

contingence et peut se remplir à tout moment. Nous devons réfléchir à la

démocratie à partir du dehors du système, et non pas tenter de restaurer une

institution à partir de l'intérieur du système ou de rediriger un mécanismedémocratique. Le signifié vide reflète une insatisfaction constance, à cause de

cela, il pourrait ne plus inclure et poursuivre plus de différence.

Laclau et Mouffe proposent une notion de l’hégémonie possible à condition

de la contingence et l’incomplétude. Ces dernières permettent de fixer des règles

par lesquelles divers éléments s’articulent. Par la même règle, l’hégémonie

s’étend continuellement, se transforme et assimile plus d’éléments, elle crée au

final un espace politique unique. Cette notion, à l’instar du bloc historique chezGramsci, d’une part insiste sur le fait que les éléments divers se concentrent en

une hégémonie à l’aide de l’articulation, d’autre part, elle insiste sur le fait que

tous les éléments sont liés. Il n’existe donc pas de relation interne, les éléments

sont reliés à la faveur de la régulation et de la dispersion « regularity in

dispersion »153  . L’hégémonie réconcilie à la fois l'universalité, la valeur de la

démocratie et l’espace commun. La force spécifique de l’hégémonie lui permet

de négocier continuellement entre l'universalité et le particulier. Laclau et Mouffene croient possible l’universalité que si elle se réalise dans le particulier ou bien

si elle renverse le particulier, et vice versa. Le particulier ne relève pas du

politique sans universalité. La démocratie constituerait dans ce cas le seul

régime réel. Le politique, la démocratie et l’hégémonie paraissent alors

153  E. Laclau and C. Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy Toward a Radical DemocraticPolitics, op. cit., p.136

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similaires154.

La démocratie radicale possède trois caractères: l’hégémonie, la

contingence, et l’articulation. Le contenu de la démocratie réside dans le conflit,

l’antagonisme et l'incertitude. Elle demeure donc toujours paradoxale. La

constitution inscrit la règle de la démocratie, pourtant la force de la démocratie

réside toujours dans l’excès de la constitution. La démocratie pluraliste évite le

totalitarisme, elle apporte également le conflit. À moins d’accepter l’inéluctabilité

du conflit dans la démocratie, sinon, l’universalisme s’avère le seul moyen

d’abriter toutes les différences. Certains partisans de la démocratie radicale

s'opposent à toutes formes de coercition politique. La démocratie radicale se

caractérise par la lutte permanente et la résistance, car la démocratie impliquel’antagonisme, le conflit. L'absence de ce paradoxe signifie la mort de la

démocratie.

L’antagonisme et l’hétérocentrique renvoient à l’ontologie politique de Laclau

et Mouffe. Ces auteurs critiquent la notion de la multitude dans l’Empire. Pour

eux, la multitude n’est pas un sujet politique, car ce dernier oblige de coordonner

l’articulation et l’antagonisme. La multitude n’offre pas de translation, ni

d’articulation. Chaque élément est comme un moment, il constitue un point du

pouvoir, un moment pour l’individu et la structure. La multitude figure le caractère

de l’hétérocentrique, mais elle n’explique pas la dynamique de l’articulation. Par

rapport à l’hégémonie, elle ne forme pas de force concentrée, ni

d’élargissement155. Comment alors créer une structure d’État et une alliance

politique permettant l’autonomisation ? Il n’y a de politique que si nous

demandons de modifier la structure de l’État, l’autonomisation et l’alliance

politique. Il faut alors incorporer les exclus de l’espace social. Dans cesconditions, nous aboutissons à une guerre de position pour Gramsci156. La

154 E. Laclau, Democracy and the Question Power, Constellations, Volume 8 Issue 1, pp. 3-14,March 2001, p.10 155  E. Laclau, Can Immanence Explain Social Struggles, Diacritics   - Volume 31, Number 4,Winter 2001, p. 5156  Ibid, p. 9

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démocratie radicale consisterait alors à trouver un antagonisme commun et à

établir une relation égale parmi une hétérogénéité diverse. Nous luttons donc au

sein d’une hétérogénéité commune et égale.

Nous conclurons aux positions du marxisme postmoderne, Laclau et Mouffe,

définissent la démocratie en trois dimensions. Tout d’abord, elle est une notion

du conflit. Sur ce point, il formule la même supposition que Balibar, à savoir que

le sujet émergent se constitue dans un conflit permanent. Ensuite, le pouvoir

constituant est indéfini et infini, à l’instar de la procédure de vérité chez Badiou.

La vérité est toujours infinie et en excès. Comme le pouvoir constituant, il est

aussi une rupture continuelle et immanente. Enfin, la démocratie et le peuple,

sont l’irréductibles. Sur ce point, il s’accorde avec Rancière, la démocratie n’estpas la notion du membre, elle ne peut pas se réduire à un groupe convergent.

Elle est « l'un en plus ». Selon ces principes, le marxisme postmoderne admet

au moins que la démocratie se caractérise par le conflit, l’indéfini et l’infini,

l’irréductibilité.

La question ne réside pas sur le mécanisme démocratique ou la façon de

participer, mais plutôt sur la qualification égale du participant. La question

consiste plus à redéfinir la démocratie elle-même. La démocratie n’est pas un

système, mais une action. La démocratie n’est pas une règle donnée à laquelle

les gens obéissent, elle est au contraire une conséquence que les gens exercent.

Pour le Marxisme postmoderne, la crise de la démocratie se situe au niveau du

mécanisme de l’exercice. La question consiste donc à définir les moyens de

restaurer un mécanisme démocratique évitant le totalitarisme. Il faut engendrer

une nouvelle idée démocratique. Comme le remarque Balibar, la démocratie se

construit sur la longue durée par l’exclusion, par l’expulsion des perturbateurs,qui ne s’incorporent pas dans la structure. Nous devons former un ensemble

dans lequel nous exerçons la démocratie157. La démocratie s’exerce dans un

cadre où les membres s’accordent sur une règle unique, ceux qui ne sont pas

d’accord sont exclus de la démocratie. C’est comme une démocratie exclusive.

157 É. Balibar, Le retourner de la race. Mouvements, n°50, 02/2007, p. 162 à 171

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Ceci constitue un paradoxe, car nous n’avons pas le choix que ce soit au niveau

du respect des règles ou du type d’exclusion. Nous n’avons effectivement pas le

choix, ni le droit de s’opposer, c’est une tautologie. Nous exerçons la démocratie

dans un cadre limité où d’autres personnes ont décidé les règles. C’est la raisonpour laquelle Badiou évoque l’absence à partir de laquelle la démocratie se

construit. Cette absence constitue le véritable facteur de la démocratie, dans le

cadre de la démocratie. Nous ne trouvons la démocratie que dans cette absence.

En désignant l’absence et l’exclusion, nous accomplissons la démocratie.

Si nous voulions une démocratie réelle, il faudrait d’abord créer une

« démocratie vide » chez Badiou158. Celle-ci ne résulterait ni du présupposé, ni

de l’exclusion, ni d’une structure donnée. Badiou observe que l’événement, fruitdu hasard, permet de faire apparaître le fait impossible ou de se passer d’autres

dimensions. La vérité et la démocratie deviennent un excès, nous rompons avec

les relations préétablies et produisons un futur que nous n’avons pas prévu.

Rancière montre également que la véritable participation. C’est l’invention de ce

sujet imprévisible qui aujourd’hui occupe la rue, de ce mouvement qui naît de

rien, sinon de la démocratie elle-même. La garantie de la permanence

démocratique, ce n’est pas le remplissage de tous les temps morts des espacesvides par les formes de la participation ou du contre-pouvoir ; c’est le

renouvellement des acteurs et des formes de leurs actions, c’est la possibilité

toujours ouverte de l’émergence nouvelle de ce sujet à ceux qui ont été

éclipsés159. Un tel acte permet de faire resurgir toutes les possibilités, c’est une

ouverture et une légalité réelle. Dans ces conditions, nous réexaminerons la

notion de démocratie à l’heure de la mondialisation en partant des théories de

158  Nous nous approprions l’idée de Badiou. Selon la définition de Badiou, le vide est un conceptontologique. L’être(la vérité, l’universel) se présente comme un multiple inconsistant, dont lefond est vide. Le vide se présente comme multiple et un ensemble universel. Le vide est unensemble de multiples inconsistants. Le vide ne peut se présenter comme un. Il est un ensemblede sous-ensembles. L’ensemble vide est en position d’inclusion universelle, dans tous lesensembles. Toute situation, parce qu’elle inclut l’ensemble vide, génère donc structurellement lepassage au point d’excès, l’excès absolu, l’infini, de l’ensemble sur les sous-ensembles. Ainsi, sila démocratie est fondée sur le vide, elle réalisera une démocratie inclusive.159 J. Rancière, Aux bords du politique , Gallimard, 2004, p.110 ; La Mésentente , 2005, p. 45-50.

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Balibar, Rancière et Badiou.

5.1.2 L’institution de l’État ou la lutte de la force

Comme nous l’avons vu, Negri bâtit une notion de la démocratie à partir de

la décentralisation, la désincorporation, la dissémination. Negri s’interroge sur la

possibilité d’instaurer une nouvelle souveraineté sous l’empire. Constitue-t-il une

souveraineté sans frontière ? Quelle nouvelle stratégie adopter pour la contrer ?

Autrement dit, il tente de créer une nouvelle stratégie qui irait au-delà de la

frontière. Cette stratégie inclurait plus de participants, pour égaler la

souveraineté globale, dont la force contraire instaure un équilibre. Negri défend

l’idée d’un mouvement autonome et propose la notion de multitude pour la

substituer à celle de peuple. La multitude renvoie à l’irréductible, la

déterritorialisation au travers du pouvoir constituant. En détruisant la politique

préétablie, elle crée un nouveau politique qui n’est pas organisée, ni centralisée.

Car l’essentiel consiste à la fois à éviter la bureaucratie et à résoudre la question

de la dictature du prolétariat. Cette voie est la démocratie réelle, personne n’est

contraint par un ordre et une organisation.

La multitude est un sujet indéfini et infini. Elle s’avère également sans

frontière et pour la même raison, elle possède suffisamment de force pour

contrer la souveraineté supranationale. Les possibilités qu’offrent le pouvoir

constituant et la multitude, sont illimitées. Si nous pouvons nous accorder avec

les points de vue exposés ci-dessus, la question ne se consiste-t-elle pas plutôt à

déterminer qui est le sujet du pouvoir constituant ? Si la réponse est la multitude,

que désigne celle-ci ? Comment regrouper un sujet illusoire? Comment exercer

le pouvoir constituant ? Et comment concentrer la force sans organisation ? Bien

entendu, nous sommes d’accord sur la nécessité d’éviter la bureaucratie et de

développer une action multiple. Nous revenons à la question de départ, en nous

interrogeant sur la possibilité de l’action collective.

Tout d’abord, nous souhaiterions élucider la question de la bureaucratie et

du parlementarisme par Mandel et Poulantzas. À notre avis, en réduisant le

contenu de la dictature, le marxiste postmoderne propose une désorganisation et

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contingence. Or, il semble ignorer la base de l’histoire, car la démocratie

institutionnelle n’équivaut pas strictement à la démocratie. Cela renverrait sinon

à une logique tautologie et nous perdrions l’essence de la démocratie. Toutefois,

nous ne pensons pas non plus que la décentralisation et déterritorialisationsoient forcément démocratiques et préservent de la bureaucratie et dictature.

L’analyse sur la nouvelle souveraineté globale chez Negri ou du totalitarisme

chez Laclau et Mouffe, montre que ces auteurs s’érigent contre la bureaucratie.

La question ne consiste pas à améliorer le mécanisme de la démocratie, mais à

rediscuter le sens de celle-ci. Discuter la nouvelle souveraineté ne permet pas

d’élucider et redéfinir la signification de la démocratie. Parce que cela signifie

que la bureaucratie et le parlement ne manipulent plus dictatorialement l’appareilétatique, les groupes sociaux et l’espace politique possèdent plus d’autonomie.

Cependant, une telle démocratie ne change rien, elle est aussi l’héritière du

parlementarisme et de la technocratie.

Notre réflexion doit se focaliser sur la fin de la démocratie bureaucratique,

mais non pas sur celle de l’État. À notre avis, la réflexion sur le sens de la

démocratie revêt deux dimensions. La première consiste à réexaminer le

parlementarisme : la démocratie du parlementarisme est-elle réellement

démocratique ? Il serait alors nécessaire de redéfinir la démocratie. La deuxième

dimension oblige à s’interroger si la démocratie élargie signifie inclure plus de

participants. Dans la procédure de l’engagement, tout le monde dispose de la

même opportunité. C’est-à-dire que la démocratie s’accompagne toujours de

l’égalité. Personne n’est exclu à cause de son appartenance de classe.

Nous l’avons déjà montré, sous l’angle de la tradition politique, l’État est une

monopolisation légale. La démocratie est donc limitée au cadre de la

souveraineté par le concept du contrat social. Le rôle du peuple ou du citoyen est

celui du membre du souverain. Le peuple ne sert qu'à témoigner la légitimité de

la souveraineté. Cela oblige l’État à assimiler l’ensemble des blocs afin d’obtenir

le pouvoir de domination. Il s’agit d’une structuration politique habituelle. Par ce

biais, l’État à la fois organise et apaise les conflits. Cette action double permet à

l’État de concentrer la puissance et d’affaiblir les forces opposées. L’État aussi

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fonde sa puissance sur la centralisation et l’extension de la puissance, il fait

converger aussi des profits différents. Dans le même temps, il accomplit une

déstructure politique dans le domaine du mouvement social, lorsque celui-ci

paraît menacer sa domination. L’État agit alors au niveau de la sécurité sociale,de la législation du travail ou de la réorganisation des forces sociales…

En d’autres termes, les forces de la reproduction et de la renaissance des

organisations sont la base de l’État, qui possède la capacité de reproduction en

faisant converger des forces diverses. Comme l’État dispose de la capacité de la

renaissance, il s’avère impossible de le défaire complètement. La question ne

réside pas tant dans la manière de détruire la structure de l’État, mais plutôt à

s’interroger comment le mouvement social peut disposer aussi de la capacité deconjonction. Puisque l’État réajuste des forces diverses, cela prouve aussi que

l’État abrite de nombreux conflits internes. En tant que point de conjonction, l’État

devient un terrain de lutte, il est une conséquence de la lutte. Toute relation

sociale émerge de ce champ qui exprime un rapport de forces. Cela signifie

aussi qu’afin de maintenir la domination, l’État perd son autodétermination, il

n’est plus un objet indépendant, mais il s’attire des forces (ou des profits)

provenant de blocs différents.

Ce que nous devons faire ne consiste pas à ignorer la force des blocs

différents au cœur de l’État, il faut faire surgir les forces différentes, dans une

relation de forces et de luttes. En concentrant ces forces, nous changerions la

structure de l’État160. La forme de l’État paraît toujours à la fois constituante et

constituée. Cela accentue la signification d'une indépendance relative de l’État,

qui se trouve toujours tiraillé entre les intérêts de la classe dominante et ceux de

l’exploité. L’autodétermination de l’État modifie sa position afin de se conformer àla nouvelle relation du pouvoir. En général, l’État semble devoir s’accompagner

du capitalisme, cependant, qu'en est-il lorsque le rapport de force profite au

peuple? L’État s’éloignerait des intérêts bourgeois, il transformerait la démocratie

160 N. Poulantzas, Political Power and Social Classes, London: New Left Books & Sheed & Ward,1973. Pp.287-288

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prolétaire. Poulantzas préconise la démocratie directe, au travers de la

démocratie directe et du parlementarisme, la démocratie socialiste pourrait

s’accomplir.

Dans EPS (L’État, le pouvoir, le socialisme ), Poulantzas envisage l’État

comme un champ, il est à la fois le champ de la lutte et de la

reproduction. Toutes les pressions et les idéologies proviennent de ce champ.

L’État réconcilie ainsi toujours le rapport social, celui-ci ne peut pas être réduit à

un rapport de classe ou à un rapport d’exploitation. Il s'agit plutôt un rapport de

forces, ces forces symbolisent et cristallisent concrètement la forme de l’État. Le

sens de la démocratie ne se définit pas seulement par la bourgeoisie, mais aussi

par le prolétariat161. Le prolétariat doit créer une forme de démocratie différentede la démocratie bourgeoise et de la démocratie représentative. Le socialisme

est forcément démocratique, sinon il ne s’agit pas de socialisme 162 . Pour

Poulantzas, l’État ne doit pas être considéré pas comme un appareil de

domination au service de la classe bourgeoise, mais plutôt comme un lieu où la

conscience de classe se produit: il est le champ du conflit de classe. Par

l’intervention, l’État homogénéise la différence, ainsi les forces différentes

peuvent mener une lutte sur une position d’égalité. C’est-à-dire qu’il faut gagnerle pouvoir de l’État. Il devient une arme de lutte permettant de développer toutes

les forces.

Nous pourrions dire que l’État ne tend pas fatalement au capitalisme, ni au

communisme, l'important réside dans la conséquence de la lutte. Nous pensons

que l’intérieur de l’État modifie les forces antagonistes à l’aide de la lutte. Il

devient alors possible de changer la structure à l’intérieur de l’État, ce qui

favorise le développement du socialisme. L’État est un ensemble de relations,qui n’est point contradictoire avec la cristallisation, et un champ de la lutte de

classe. Gagner le pouvoir de l’État ne signifie pas gagner une partie du pouvoir,

mais gagner un ensemble. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement de

161 É. Balibar, Nicos Poulantzas , publié dans Actuel Marx, n. 40, 2e trimestre 2006162 N. Poulantzas, State, Power, Socialism , London: New Left Books, 1978, p.256

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s'emparer du pouvoir. Le but est de modifier les rapports de force par la lutte afin

de transformer la nature de la démocratie parlementaire. La question ne réside

pas dans le parlementarisme, mais dans un rapport de force susceptible de

modifier le contenu de la démocratie. Une contradiction surgit au sein de l’État,nous pourrions changer la forme de l’État ou la démocratie en gagnant le

pouvoir.

Plus encore, gagner le pouvoir de l’État ne signifie pas détruire les

institutions. Il s’avère illusoire d’envisager la fin de la bureaucratie après avoir

gagné le pouvoir. Il ne s'agit pas de se focaliser sur les mécanismes de

l’institution de l’État, ni de détruire cette structure ou gagner une position au sein

d'une structure. Nous souhaiterions revenir à son état primitif, c’est-à-dire la luttede la force. Cette dernière permettrait de changer la connotation de la

démocratie. L'existence d'un parlement et de l’État n'empêchent pas de changer

la forme de la démocratie. Grâce à la lutte, nous accomplissons la dictature du

prolétariat. Nous pouvons donc admettre le parlementarisme, la liberté politique

et la démocratie pluralisme. La question clé situe sur la nécessité de mener la

lutte et de changer la définition de la démocratie bourgeoise. Cela conduit à

approfondir la réflexion sur le passage de la démocratie bourgeoise à ladémocratie du prolétariat. Au lieu de nier complètement le parlementarisme,

nous devons changer le caractère de la démocratie du parlementarisme. La crise

de la démocratie n'est pas une crise de légitimation de l’État. La réflexion doit

porter sur l'exigence d'engager une transition socialiste, notamment sur la

résistance du mouvement ouvrier à sa complète social-démocratisation.

Il faut développer la lutte interne au cadre de l’État. La lutte dans le

parlement accentuera les contradictions internes de l’État. Les rapports de forced'opposition entre la classe bourgeoise et prolétariat pencheront au profit du

peuple et faciliterons la transition du socialisme. La démocratisation s'exerce par

des antagonismes et des crises internes. Nous devons redéfinir le sens de la

démocratie. Elle est pour une part essentielle un système politique, en partie

imposée par les luttes elles-mêmes. Nous insisterions sur la nécessité d'étendre

la lutte à tout l’appareil étatique, y compris le parlement, l’administration,

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l'appareil juridique et militaire, ainsi que la police. La lutte ne se limite pas au

cadre de l’élection dans le cadre la démocratie parlementaire, elle modifie la

force d'opposition à l'intérieur de l’État.

En fait, la démocratie directe exercée en dehors de l’État permet de reformer

la démocratie parlementaire en dedans de l’État, de faciliter la force opposée. Ce

processus tend vers le socialisme et fait surgir une transformation essentielle : la

démocratie parlementaire se convertit de la classe bourgeoise à la classe

prolétaire. Autrement dit, cette institution interne est obligée d'évoluer suite aux

pressions des forces externes. Nous contraindrons ainsi l’institution interne à

changer. Quel que soit l’intérieur ou l’extérieur, l’État devient une relation de la

lutte.

Nous voulons faire remarquer que le mode de la démocratie capitaliste

cache le caractère de la classe. En constituant une unité, le parlementarisme

supprime les différences entre les individus, les différences de classe ne

disparaissant pas avec la démocratie. Les mesures politiques prises par une

démocratie bourgeoise ne conviennent pas à la classe ouvrière. La proposition

de Poulantzas, définissant l’État capitaliste comme une « condensation

matérielle de rapports de forces » entre les classes (traduisant l'hégémonie

stratégique de l'une d'elles, mais aussi les oppositions et résistances d'autres

forces), cristallise ces divergences. L’État capitaliste comme catégorie met en

évidence les relations entre les structures de l’État capitaliste et la construction

de ses classes dominantes. D’une part, la classe dominante isole la classe

ouvrière, l’individualise et l’atomise, D’autre part, dans le domaine politique, l’État

capitaliste réorganise ces ouvriers isolés. Une telle réorganisation éloigne

l’ouvrier de la classe ouvrière, car il est considéré comme un citoyen possédantle droit de voter. Par le biais de la règle de la démocratie bourgeoise, l’État

redéfinit la qualification de l’ouvrier, en s’assimilant à un citoyen de la démocratie

capitaliste. La démocratie réduit la classe ouvrière à une masse, l’ouvrier devient

une partie du peuple. La classe ouvrière deviendra un ensemble d'individus,

l’homme est isolé. Les règles de la démocratie capitaliste enlèvent toute chance

pour la classe ouvrière de gagner le pouvoir de l’État. Au contraire, elle s’assimile

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dans ce dernier. Poulantzas pense que la définition de la classe ouvrière renvoie

à la transition du socialisme et de l’hégémonie. La définition ne doit donc pas à

être réduite à la proportion du nombre. Pour Poulantzas, la classe ouvrière est

attachée nécessairement à la conscience des classes. Le peuple n’est passynonyme de classe ouvrière, car celle-ci produit le plus de valeur.

Éviter la dictature du prolétariat revient à tomber dans la logique de

l’institutionnalisme bourgeoise. Poulantzas espère parvenir au socialisme à la

faveur de la démocratie. Pour lui, le socialisme n’existe que dans la démocratie,

les deux s'avèrent inévitablement attachés. Que désigne le mode démocratique

du socialisme ? C’est un mode de lutte. Poulantzas juge préférable de préserver

le parlementarisme, dont il est possible de reformer la substance. Le repenserpermettra de tendre vers le socialisme 163 . Le « socialisme démocratique »

concerne le lien historique ayant toujours existé entre l'intensité des luttes de

classes populaires et le degré de développement de la démocratie politique, y

compris la démocratie représentative.164 Autrement dit, il faut s’emparer de

l’appareil d’État et du parlement165.

L’embarras de la démocratie ne réside pas dans le fait que l’État finisse par

appartenir à une institution internationale ou qu'il devienne un service secondaire.

Il ne s’agit pas non plus de préconiser la décentralisation pour remplacer

l’appareil étatique et le parlement, ni non plus de chercher un nouveau

mécanisme démocratique pour parvenir à une nouvelle institution démocratie. Le

fait de devoir renvoyer la démocratie à elle-même sera discuté dans les pages

qui vont suivre à travers les théories de Balibar et Rancière.

163  Ibid. , p.283164  É. Balibar : Nicos Poulantzas , publié dans Actuel Marx, n. 40, 2e trimestre 2006165  Althusser montre que les appareils idéologiques d'État peuvent être non seulement un enjeu,mais aussi le lieu de la lutte des classes. Nous pouvons considérer l’Etat comme une lutte depositions. Voir L. Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État   », POSITIONS, LesÉditions sociales, 1976, pp. 67-125.

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5.2 La démocratie de l’intempestif----concevoir une démocratie inclusive

Dans la section 5.2.1, nous aborderons la notion de démocratie radiale.

Nous verrons que la démocratie comporte deux sens. Le premier est que la

démocratie n’est pas un système, mais plutôt un espace commun qui converge

en un rapport de force, de lutte entre les groupes sociaux. Elle ne désigne pas

seulement l’unité, car l’important réside dans la différence. La démocratie est une

unité incluant l’exclu. Elle inclut les « perturbateurs ». La démocratie renvoie à un

espace s’ouvrant au groupe social. Dans ce lieu, la force différente mène la lutte.

La démocratie consiste en l’intégration, à la faveur de l’élargissement, des

participants, elle encourage la participation de l’autre, de la politique

impersonnelle.

Le deuxième aspect est que la démocratie apparaît comme un droit

universel. Elle doit mener une politique de l’universalisation des droits. Elle se

compose de deux parties indissociables : l’égalité et la liberté. La démocratie ne

se réalisera qu’en exerçant l’égaliberté et un droit universel à la politique. Elle

n’est pas seulement le droit de l’égalité dans le cadre d’un pays particulier, mais

un processus de démocratisation élargissant les droits du citoyen aux droits de

l’homme. Dans ces conditions, le droit, la démocratie, l’action politique et l’égalité

s’emboîtent. Grâce au concept de l’égaliberté, nous mentionnons aussi que les

droits de l’homme sont supérieurs aux droits du citoyen. Les premiers définissent

effectivement une politique universelle et les droits fondamentaux.

Ces définitions nous montrent concrètement ce qu’est la notion de

pouvoir constituant, à laquelle nous aspirons. La démocratie est à la fois la force

de création et de destruction. L’espace commun démocratique est le pouvoir

constituant. Ce dernier repose sur la puissance créant ou récréant l’ordre

politique et qui est préalable à toutes les institutions : ce pouvoir se manifeste

comme une désobéissance civique. La démocratie ou le pouvoir constituant est

une force créatrice et résistante. L’espace commun profite à l’action politique : le

pouvoir ne vient pas de la constitution, mais de ses membres, à savoir le peuple.

Le peuple, au sein de la constitution, possède aussi le droit de désobéissance.

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Ce dernier doit être considéré comme un droit du citoyen, ainsi que comme un

droit de l’homme.

Le pouvoir peut être mis en cause en tant que force du peuple par laquelle la

constitution est devenue un pouvoir interchangeable. Le peuple doit donc

disposer d’une force d’insurrection et de constitution. En ce sens, la démocratie

apparaît aussi comme une force de la destruction.

Dans la section 5.2.2., nous continuerons de parler de la démocratie à partir

de Rancière. Celui-ci s’est effectivement intéressé à l’hétérogénéité. Nous

argumentons que la démocratie, telle que nous la concevrons devra inclure

l’autre, l’antagonisme et l’hétérogénéité. Elle apparaîtra simultanément comme

une contradiction et un conflit. La démocratie se fait avec l’autre, nous ne

pouvons pas imaginer de démocratie ne contenant pas de facteurs opposés.

Nous analyserons trois idées de Rancière : « l'un en plus », « la mésentente » et

« le régime de l’esthétique politique ».

Nous parlerons du concept « l'un en plus », qui nous permettra d’une part de

répondre à la question de la « fin » et de « multiple » du postmodernisme, et

d’autre part d’élaborer une conception de la démocratie.

Nous aborderons aussi le concept de la « mésentente ». Sur la base de

l’égalité, tout participant possède un droit égal de parole et peut exprimer ses

idées. Grâce à l’égalité, la démocratie inclut et assimile les voix de « la part des

sans part » (des exclus, des immigrants, des clandestin, etc.). Le sens de la

démocratie s’élargit en incluant plus de différences. La politique démocratique ne

repose en effet pas seulement sur le consensus, mais aussi sur la mésentente.

Elle constitue une place commune se cristallisant dans le litige. Dans ce

processus de discussion, se forme une place commune, qui d’une part détruit

l’institution donnée, et d’autre part crée une nouvelle espace commun.

Rancière parle également du « régime de l’esthétique politique » ou du

« partage du sensible ». La politique est une place et un processus de partage

où les opinions cristallisent la perception et deviennent une règle interne

universelle. Une telle perception accentue le litige et la différence et permet à

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chaque individu de participer en continu à la place commune et de l’alimenter.

Autrement dit, un être politique est un être de parole, il s’inscrit toujours dans la

collectivité et la coexistence.

5.2.1 La démocratie conflictuelle

Nous avons vu plus haut, que pour Negri, la crise de la démocratie tenait au

fait que nous n’avons pas créé un mode de démocratie mondial qui soit

susceptible d'instaurer une institution mondiale équilibrée. Selon Laclau et

Mouffe, la crise vient de l'absence d'une démocratie incluant l’hétérogénéité et

l’antagonisme. Les trois auteurs préconisent de créer un nouveau mode

démocratique se conformant à la mondialisation. Ils espèrent possible de créer

une démocratie radicale susceptible de rallier divers mouvements et de

développer un mouvement social pluriel et autonomique.

Le constat d’une crise de la démocratie (si la base de la démocratie est

fondée encore sur le contrat social) et de la citoyenneté est incontestable. Cette

crise tient d’une part, aux institutions transnationales qui ont tendance à bafouer

les droits des citoyens. Le citoyen doit faire face une domination croissante

venant de l’étranger, il ne peut pas contrôler ce pouvoir. D’autre part, le citoyen

se subit une pression qui venir d'une menace invisible et d'une violence

innommable. Le citoyen perd ses droits, il ne décide plus de la politique décidant

de sa vie. Il ne peut plus rejeter certaines décisions, même si celles-ci nuisent

aux droits des citoyens. Il n’a pas de choix, sauf celui de défendre ses intérêts

particuliers. Les institutions transnationales ont modifié les rapports de force qui,

dans le cadre de l’État-nation, opposent et équilibrent la puissance de l’État…

Cela conduit le citoyen à réfléchir sur la relation entre le corps politique et

l’individu. La mondialisation économique tend actuellement à aggraver la

pauvreté. C'est-à-dire que des êtres humains, hommes, femmes et enfants

passent de la précarité à une plus grande misère. En changeant la notion de

l’État et du citoyen, le citoyen est privé de sa relation avec l’État, ainsi, il ne sait

pas ce qu’il doit respecter.

Comme nous avons eu déjà l’occasion de le souligner, l’État peut être

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considéré comme la conséquence de la lutte, comme un champ de force : il

représente l’ensemble de la relation sociale. L’État domine le peuple, il n’est pas

seulement par la loi et ne remplit pas seulement la fonction de la bureaucratie, il

constitue plutôt un espace commun. L’État n’est pas seulement un conceptgéographique, il est un espace commun cristallisant la culture, l’histoire, les

rapports sociaux et plus globalement un mode de vie. Ces derniers facteurs

construisent l’État. Le peuple à partir de ces facteurs bâtit une appartenance, il

reconnaît les contenus de l’État. L’identification civique institue l’initiative. En

reconnaissant l’État, le citoyen exprime sa volonté et ses intérêts. L’État

souverain transfère un rôle, au lieu une puissance, qui ne s'oppose pas au

peuple, mais l'intègre et la complète. Il s’agit d’une puissance entièrementcontenue dans la société. Un citoyen devient ainsi une partie de l’État, il partage

les valeurs avec les autres membres de la communauté. Grâce à cette

interactivité, les citoyens ont la possibilité de créer leurs systèmes politiques et

leur mode de vie. Le citoyen, dans l’État, ne joue pas seulement un rôle

d’observateur. Il est avant tout un instituteur qui assume la responsabilité

d’établir un espace de communication et reproduit la condition initiative. Au lieu

du simple respect de la loi, le droit et la responsabilité du citoyen consistent à

maintenir la capacité de l’action. Il s’agit plus d’une pratique et d’un processus

que d’une forme stable.

La démocratie ne se définit pas par un État disposant d'une légitimité par

une démocratie formelle, elle procède du droit à l’initiative pour le peuple

d’instituer, à savoir le pouvoir constituant. Si l’État était anéanti, le peuple vivrait

dans un endroit sans mutualité. Les entreprises et des puissances

internationales seront les seules à pouvoir décider de l’avenir des hommes.Toute chose devient incertitude et « incontrôlabilité ». Les individus ne trouvent

alors pas de tranquillité au sein de la communauté. Cela signifie de même la

disparition des droits civiques et des forces collectives du citoyen. Comme

Balibar fait le constat suivant : " Le fond de la crise de la souveraineté, c'est la

disparition du peuple " et de la dialectique entre pouvoir constituant et pouvoir

constitué. De ce fait, nous n’analysons plus le politique ou la démocratie au sein

de la catégorie du droit du citoyen. Une crise de la démocratie en résulte, ce qui

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nécessite de réétudier le sens de la démocratie. Si nous voulons discuter la

démocratie mondiale, nous aborderons ce sujet à partir de la surdétermination et

du pouvoir constituant.

Le citoyen et l’État-nation sont des notions modernes, celle d’État-nation

revête deux dimensions, à savoir l’État et la nation. La première renvoie à la

bureaucratie, la seconde au peuple (le citoyen). L’État-nation coordonne la

domination bureaucratique et le conflit sociale, il est à la fois le pouvoir dominant

et la représentation des intérêts. L’État est simultanément un dominateur et un

agent, le peuple est à la fois un membre de souverain et un dominé. Le peuple

dans l’État dispose du droit d’initiative, de décider du contenu de l’État, au moyen

de la désobéissance ou la résistance. Les membres partagent des valeurs et desprincipes politiques. La relation entre le peuple et l’État est une relation

dialectique et dualiste, les deux sont en contradiction, mais également

réciproques. Comme Balibar le fait remarquer, « Depuis les révolutions

bourgeoises, la notion de « souveraineté du peuple » ne cesse de faire problème.

Elle se divise en deux intérieurement, entre une face étatique (nationaliste) et

une face démocratique (participative)166  ». Notre démocratie traverse une grave

crise, la modernisation de la politique et la redéfinition des valeurs civiques quien résultent, au travers de « préférence nationale », des politiques de

discrimination contre les immigrés se trouvent ainsi justifiées. Le droit du citoyen

s'organise autour de l'analyse d’une crise qui affecte aujourd'hui les modèles

traditionnels de la citoyenneté et en accuse du même coup les ambiguïtés et les

contradictions. Nous devons nous interroger sur ce que signifie d'«être citoyen».

Quels critères définissent le citoyen ? Quel statut implique la «préférence

nationale»?Nous voulons souligner que le droit du citoyen concerne toujours la frontière

et l’espace commun. Le libéralisme envisage l’espace commun comme un lieu

de coordination, alors que nous estimons qu’il est un lieu de conflit. La

166  E. Balibar, L’Europe, l’Amérique, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne,  LaDécouverte, Paris 2003, p.76

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démocratie et le pouvoir constituant sont des concepts de conflit. À mes yeux, la

démocratie actuelle serait une contradiction fonctionnant par l’exclusion. Elle

constitue un tout à l’aide de l’exclusion ou du refus. Il n’y a de démocratie qu’à

condition de l’exclusion. Ces exclus marquent la frontière de la démocratie, lecentre de la démocratie ne réside ainsi pas au-dedans de la démocratie, mais

sur la frontière. Les exclus seraient ainsi une partie de la démocratie, voire même

ces absents seraient la véritable cause constituante de la démocratie.

La fonction de l’espace commun ne consiste pas dans le droit de propriété

(comme Locke), ni la communication (comme Rousseau ou Habermas), elle est

un pouvoir constituant, une activité. Le pouvoir constituant doit reposer sur la

puissance créant ou récréant l’ordre politique et qui est préalable à toutes lesinstitutions : ce pouvoir se manifeste comme la désobéissance civique. Le

pouvoir constituant du peuple dépasse ainsi toute constitution et fonde son

caractère démocratique167. L’espace commun profite à l’action politique : le

pouvoir ne vient pas de la constitution, mais de ses membres, à savoir le peuple.

Le peuple, au sein de la constitution, possède aussi le droit de désobéissance.

Ce dernier doit être considéré comme un droit du citoyen ou d’un contenu de la

démocratie.

En d’autres termes, le pouvoir constituant joue deux rôles. En effet, il

privilégie la légalité et la puissance créatrice. Il peut être mis en cause en tant

que force du peuple par laquelle la constitution est devenue une puissance

interchangeable. Negri préconise le pouvoir constituant et le pouvoir constitué,

Balibar croit également en l’idée d'immanence du pouvoir par opposition à la

tradition européenne de la transcendance du pouvoir. Il souligne donc que le

peuple doit disposer d’une force d’insurrection et de la constitution. Ladémocratie n’est pas un système, mais plutôt un espace, qui converge un rapport

de force, de lutte, entre les groupes sociaux. La forme de la désobéissance ou

de l’insurrection est inhérente au pouvoir constituant. Ces conséquences de la

lutte s’incarnent dans la constitution. Au lieu du principe selon lequel la

167 É. Balibar, Droit de cité, Paris, PUF, 2002, p.19

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constitution accorde le pouvoir au peuple, le peuple doit élaborer une constitution

et s’attribuer à lui-même le pouvoir et la responsabilité. Cela touche aussi, selon

Balibar, le chantier de la démocratie, la constitution ne dépend pas du citoyen,

mais d’une diversité de personnes. Balibar propose l’idée de « chantiers de ladémocratie », des chantiers d’initiative transnationaux permettant de songer à

une citoyenneté transnationale (au moins dans le cadre européen) ; il avance

quatre exemples : les luttes pour la création d’un espace juridique européen, plus

démocratique que les espaces nationaux ; les luttes sociales et syndicales pour

la réorganisation du temps de travail à échelle européenne ; la démocratisation

des frontières168.

Cette notion amplifie à la fois le participant et le cadre du mouvement. Lapolitique de la constitution n’est pas décidée par l’État. Au contraire, par la

résistance, elle protège non seulement les droits civiques, mais aussi les droits

de l’homme. La démocratie n’est pas seulement le droit de l’égalité dans le cadre

d’un pays particulier, mais un processus de démocratisation élargissant les droits

du citoyen aux droits de l’homme. Autrement dit, un élargissement du pays à

l’échelle du monde. La démocratie doit être un politique de l’universalisation des

droits. Elle se compose de deux parties indissociables : l’égalité et la liberté. Ladémocratie ne se réalisera qu’en exerçant l’égaliberté et un droit universel à la

politique. Dans ce cas, le droit, la démocratie, l’action politique et l’égalité

s’emboîtent ensemble. Pourra être créé un espace commun à l’échelle de la

planète et de l’universalité. Comme Balibar le montre, le « droit de chacun

devient le sujet ou l’acteur de la politique à partir des formes spécifiques de son

activité, de sa vie »169. La démocratie renferme deux sens. Selon le premier, elle

ne désigne pas seulement l’unité, car l’important réside dans la différence. Ladémocratie est une unité incluant l’exclu170. Le deuxième aspect renvoie à un

espace s’ouvrant au groupe social. Dans ce lieu, la force différente mène la lutte.

168  É. Balibar, L’Europe, l’Amérique, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne, op. cit.,2003169  É. Balibar, Les Frontières de la démocratie , Découverte, 1992, pp.247-249; Etienne Balibar,Droit de cité , PUF, 2002, pp.23-25170  C’est-à-dire le perturbateur, celui en dehors de la frontière.

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La démocratie consiste en l’intégration à la faveur de l’élargissement des

participants. Elle encourage la participation de l’autre, des exclus.

Comme nous l’avons déjà mentionné au début, le sujet oscille entre la

souveraineté et l’insurrection. C’est à la fois le point d’appui et une limite de la

citoyenneté. Le concept de la démocratie contredit en fait celui de souveraineté.

Les deux sont pourtant liés au sein des systèmes politiques modernes. Le couple

des concepts suivant, tout à fait contradictoire, doit donc être clarifié : homme et

citoyen. Cette contradiction démontre le caractère inachevé de toute

communauté politique et il faut proposer des chantiers pour la démocratie. La

citoyenneté moderne ne peut pas se réduire aux seuls droits politiques, ni

s’identifier à la seule nationalité. Elle ne peut être considérée comme un statutindividuel. Il ne s’agit pas simplement du rapport entre le citoyen et l’institution.

La citoyenneté s'est aussi constituée autour de la conquête des droits sociaux.

Le politique revête ainsi une forme double, elle n’est pas un système fixe mais

circulaire. La souveraineté est un concept exprimant la capacité de la cohésion

sociale et de la représentation d’un peuple. Le citoyen dispose du droit de

susciter le conflit pour faire renaître le système, la puissance se résumerait dans

le cas contraire à la dictature et la violence. Le conflit n’apparaît donc pluscomme une violence, mais comme une force de contre-violence, de « résistance

à l’oppression »171 , qui est la dynamique de la démocratie. La démocratie crée

un espace politique plus large, cet espace reprend toute la nouvelle subjectivité

politique. Le politique est ainsi composée de dimensions plus diverses.

L’insurrection et le dominateur n’entretiennent pas une relation de désaccord,

mais un rapport réciproque. La résistance constitue le moteur de la démocratie et

un des droits fondamentaux de l’être humain. Grâce au concept de l’égaliberté,Balibar explique que les droits de l’homme sont supérieurs aux droits du citoyen.

Les premiers définissent effectivement le politique et les droits fondamentaux.

L’équation d’après laquelle les droits de l’homme sont moins importants que ceux

du citoyen résulte d’une instabilité constitutive. Un tel concept inégal, d’une part,

171 É. Balibar, Le droit de cité , PUF, 2002, p.37

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accentue l’existence du droit de la politique potentiellement universel, et d’autre

part induit la coexistence de deux politiques antinomiques, une politique

d’insurrection et une politique constituante. Ces dernières peuvent être

considérées comme une politique de la révolution permanente, tandis quepolitique de l’État relève de l'ordre institutionnel. Le politique ne génère pas

d'ordre institutionnel, mais se fonde plutôt sur les droits universels,

fondamentaux et inaliénables. L’inégalité entre les droits de l’homme et ceux du

citoyen fait de la résistance à l’oppression une nécessité constante. Ces deux

droits ne sont rendus équivalents que sous l’égaliberté172. La puissance s'avère

légitime dans la mesure où elle ne contredit pas certaines lois supérieures de

l'humanité.La démocratie apparaît comme un droit universel. Balibar fait remarquer

qu’un concept du citoyen fondé tout d’abord sur la constitutionnalisation des

droits fondamentaux. De même, les concepts de frontière et d’identité du citoyen

doivent s’appuyer sur un équilibre. Autrement dit, toute la question de la

citoyenneté a toujours été surdéterminée par les sociopolitiques. Le sens de la

constitutionnalisation des droits de l’homme, donc de leur transformation en «

droits fondamentaux » inscrits dans la définition de la citoyenneté, consiste àtraduire de façon contraignante, au niveau des institutions, les avancées

historiques des mouvements d’émancipation et des luttes pour la

reconnaissance des deux valeurs fondamentales que sont l’égalité et la liberté

(l’absence de discrimination et l’élimination des pouvoirs arbitraires

indépendants du contrôle des citoyens)173. En fait, la citoyenneté mondiale est

une position trop précoce. Elle ne se trouve pas après  la fin de la souveraineté

nationale classique, mais avant   le début d’une véritable souverainetépost-nationale, alors même que la mondialisation conteste la notion de

« souveraineté » en tant que telle.

Pour l’instant, les droits de l’homme ont été remplacés par les frontières

172 É. Balibar, Les frontières de la démocratie, La découverte, 1992, pp.138-139 ; pp.131-132173 É. Balibar, Europe Constitution Frontière, Passant, 2005, pp. 82-85

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politiques, ils ne constituent plus le principe de la démocratie. Le travailleur

migrant devient un sans abri. Cela nous incite à réfléchir sur le droit des citoyens,

des travailleurs migrants, des clandestins, des nomades. Nous devons nous

interroger si le travailleur migrant n'est pas une partie de nous. S’il n’est pas uncitoyen, si nous n’affirmons pas sa citoyenneté, comment alors protéger ses

droits? Comme la frontière ne n’est jamais fixe, nous devrions créer une frontière

démocratique se caractérisant par la légalité et dépassant la frontière politique.

La frontière ne doit plus fixer la limite, mais représenter une surdétermination.

Les êtres deviennent des sujets supranationaux. Leurs droits légaux ne

correspondent plus aux droits des citoyens, mais résultent d’un consensus

commun.Nous pensons que le prolétariat dépasse la définition de Marx. Il est un

producteur et un fondateur. Le prolétariat transforme le monde et s’émancipe

lui-même, il dissout l’ordre existant et ainsi se transforme lui-même. Le prolétariat

devrait être considéré comme autre chose qu’une force dominatrice et un bloc de

pouvoir. Il regroupe les extérieurs, les exclus, les anormaux. Le prolétariat

bouleverse ainsi la règle de domination. D’après cette définition, la règle de la

domination apparaît comme une virtualité produite par le dominateur. Or, leprolétariat contredit cette virtualité. Il n’y a pas de non-violence, la violence se

manifeste sous différentes formes. Pour le prolétariat, la violence doit aboutir à

un non-rapport de forces et à une démesure. Il s'agit de détruire la domination et

d'établir une place où s'affrontent politique et résistance. Ce type de violence ne

vise pas à nuire à la paix, la démesure lui permet de briser les règles des fausses

apparences. Cette violence de la démesure vise de prouver que l’incertitude

politique, ne vient non pas de la résistance, mais de l’imagination du dominateuret d’une violence structurelle. C’est une violence extrême induite par le

dominateur. En favorisant la stabilité sociale, le dominateur prolonge la légalité

dominante. Une telle légalité apparaît contraire aux rapports sociaux. Le cœur de

la lutte prolétaire réside dans le conflit social, par cela, nous reviendrons à la

force sociale fondamentale et un politique antagoniste. Le prolétariat joue alors

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encore son rôle d’initiateur et d’acteur actif174.

À mes yeux, une société harmonieuse ne résulte pas d’une société unique.

À travers l’exclusion ou la violence structurelle, elle prend la forme d'une

symphonie, les notes différentes apparaissent respectivement et en même

temps elles composent une mélodie harmonieuse. La force de la lutte ne résulte

pas de la violence, elle inclut plus d’hétérogénéités pour créer une place évitant

l’isolement de l’individu. La véritable unité ne consiste effectivement pas à

expulser, mais à assimiler la pluralité. L’unité renvoie à l’un, mais aussi à une

compatibilité. L’unité devient l’interaction et l’interdépendance de tous les

individus. La lutte prolétaire pourra alors créer une classe universelle de

l’histoire.

La démocratie ne magnifie jamais la majorité ou le calcul des nombres, elle

est une procédure. Dans cette procédure, la multitude (le peuple) renvoie aussi

bien à la dispersion qu’à l’organisation, elle désigne l’hétérogénéité entre l’un et

l’autre. Dans Droit de cité, Balibar montre que le fond de la vitalité démocratique

a toujours été formé par la réalité du conflit social ; une dynamique d’action

collective où les processus cognitifs se construisent dans des contextes de

conflit. L'espace de la politique est hétérotopique et inhabituel sur un exercice

politique. La démocratie surgit de l’absurdité d’un système formel, tandis que

l'espace politique est celui où la politique est mise en bouteille et présentée

comme impossible. Le sens de la démocratie inclut des positions différentes. La

démocratie se construit par la contradiction, le politique et la vie dans son

ensemble deviennent ainsi des objets interchangeables et actifs. Le politique ne

se limite pas au parti, ni à un système stable, elle est un processus imprévisible.

L’institution ou le parti n’est pas le facteur de la démocratie. Le fondement de ladémocratie nie tout système habituel, elle refuse la convention contraignante, à

savoir la « démocratie conflictuelle ». Balibar décrit ainsi la démocratie

conflictuelle comme un mouvement historique du XXe  siècle en Europe,

174  É. Balibar, Violence et civilité. Sur les limites de l'anthropologie politique,  La question del'humain entre l'éthique et l'anthropologie, sous la direction de Alfredo GOMEZ-MULLER,l'Harmattan, 2004, pp.191-192

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sous-tendu par les luttes du monde ouvrier et de la contradiction sociale175.

Si la totalité désigne la singularité, elle existe pareillement dans le rapport de

la lutte, c’est-à-dire le fait que l’individu s’oppose à l’autre. Ce rapport de la lutte

ne vient pas de la contradiction ou de l’opposition, mais plutôt de l’hétérogénéité.

Une telle lutte n’est donc pas un rapport de destruction, elle crée au contraire

une place plus vaste et homogène. Balibar, reprenant Spinoza et Simondon,

envisage une coexistence du sujet et le tout (la relation sociale). Le sujet est

comme une monade, une singularité plurielle et une partie du tout . L’individu

devient rigoureusement transindividuel. L’individu possède une dynamique au

sein de la totalité, il n’est pas un individu singulier. Ne se limitant pas

complètement à la totalité, le transindividuel apparaît comme un produit del’ensemble des rapports sociaux. Opposé à la totalité ou à l’individu essentiel, le

transindividuel constitue une puissance négative. Par l’individu, l'émergence d'un

sujet politique est rendue possible, plus particulièrement d'un sujet

révolutionnaire176.

Nous devons retourner à Marx et relier les concepts de démocratie, du

citoyen et de l’humanité. La démocratie se fonde sur le droit fondamental. Elle

est ainsi l’universalité et dépasse les frontières. Le citoyen et l’humanité

partagent un même concept, à savoir le total des rapports sociaux. Du concept

de relation constitutif, il ressort que l’essence humaine ne réside pas dans

l’individu particulier, mais dans les relations multiples et actives. La démocratie,

le citoyen et l’humain se fondent sur une relation actuelle et concrète. La

démocratie n’est plus un principe abstrait, mais plutôt la cristallisation de la

relation sociale et de l’action collective. Le citoyen ne désigne plus la

souveraineté d'un peuple abstrait, il est un acteur réciproque par lequel l’hommeétablit la société commune. Pour la même raison, l’humanité n’est plus une

essence humaine abstraite, elle est un produit formant l’être de l’homme, sur la

base de la matérialité, le fait que les hommes soient à la fois l’individu et la

175 É. Balibar, Europe constitution frontière , p.84 ; L’Europe, l’Amérique, la guerre , pp.127-131176 É. Balibar, La philosophie de Marx, pp.30-31, Lénine et Gandhi : une rencontre manquée ?" É.Balibar, Violence et civilité. Sur les limites de l'anthropologie politique. 

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collectivité (trans-individuelle).

Nous résolvons alors l’opposition entre individu et collectivité, la

revendication et l’émancipation deviennent une action collective. Une telle

réappropriation fait ressortir les concepts ci-dessus selon une double face : à la

fois comme une forme d’universalisation relative et comme une forme de

particularisation des rapportes humains. Ces deux concepts s’éloignent de

l’abstraction, ils se réalisent dans un exercice concret et incarnent ainsi

l’universalité et le rapport de la société. Au sujet de la démocratie, de la

communauté politique et l’identité citoyenne, nous croyons que la dynamique

démocratique s’appuie sur l’idée de l’ensemble des relations sociales. Avant de

bâtir une nouvelle communauté politique dans le cadre planétaire, l’enjeu nesitue pas sur l’essence ou sur l’origine.

Balibar parle de concept de la surdétermination chez Althusser. Ce concept

concerne la pratique se présente au travers de la multiplicité. Structurer

l’ensemble des pratiques ne revient pas à autre chose qu’à rendre intelligible la

façon dont elles interagissent. La pratique s’accomplit uniquement sur le mode

d’une surdétermination essentielle et irréductible, en deçà de laquelle aucune

réduction de complexité ne permettra jamais de retrouver la simplicité d’un

déterminisme linéaire177. Si le sujet possède un caractère différent, il ne se

sépare de la totalité en intégrant une totalité. Le changement qualificatif se

manifeste dans la formulation réciproque de la différence entre les sujets. Pour

Balibar, la détermination en dernière instance surgit de la nécessité d’une

domination hétérogène. Cela annule la détermination singulière de l’économie

pure. La surdétermination devient un obstacle contre lequel l’économie prend la

décision prioritaire. Cet obstacle est considéré comme le contenu de la lutteclassique et un véritable moteur de l’histoire. La surdétermination empêche de

faire de l’économie une décision et une domination définitive, la pratique multiple

devient une partie de la structure. Concernant la rupture, il souligne le fait que

nous ne reconnaissions la structure historique véritable qu’en cas de rupture,

177 É. Balibar, Avant-propos pour la réédition de 1996, Pour Marx , p.8

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surtout sous la structure capitaliste. Nous devons éviter tout déterminisme

économique, afin de refonder une structure multiple et hétérogène.

Un tel concept explique la nécessité de l’exclu et de la rupture au sein de la

structure. Il témoigne de la possibilité de la reconnaissance mutuelle entre des

mouvements différents. Cela répond à la question posée par le post-marxisme :

avons-nous besoin d’un centre révolutionnaire ? Existe-t-il un type de révolution

qui à la fois éviterait le pluralisme (renvoyant au libéralisme) et le totalitarisme (à

l’instar du stalinisme) ? Le post-marxisme, afin d’éviter tout risque de

totalitarisme ou de centralisme, préconise la décentralisation et rallie les forces

d’opposition au sein des différentes dimensions quotidiennes. Le rattachement à

plus de diversité contribue à élargir le nombre de membres au sein d’unmouvement social. Le membre ne constitue pourtant pas à lui seul la force, car

celle-ci ne réside que dans l’action collective. Sans réorganisation, la force de la

révolution s’avère impossible. En supprimant le centralisme, que nous apportera

une force hétérogène ?

La destruction du centre et la rupture est seulement une façon de

restructurer l’histoire, en reliant la base matérielle sociale, qui ne concerne pas

seulement l’économie, mais aussi les dimensions diverses. Une telle rupture

favorise l’émergence de plus de facteurs structurels que l’économie. La structure

historique jusqu’à aujourd’hui est une figure de la rupture discontinue. De même,

la structure historique re-conjoint aussi les rapports sociaux. Nous conquérons

l’histoire sans conscience, ni contingence, car l’histoire s’appuie sur une intention

de la subjectivité, non pas sur le pluralisme ou la dissimulation. Nous ne

poursuivons pas le pluralisme ou la multiplicité, mais cherchons à sortir de la

logique du capital. La question de la rupture permet de reparler d’une idéologiedifférant de l’idéologie et l’histoire ancienne. À cette condition, nous pourrons

accomplir une révolution instaurant une authentique structure multiple. À travers

la surdétermination, Althusser reconstruit à la fois le matérialisme historique et

évite toute décision singulière, que celle-ci relève de l’économie

unidimensionnelle ou du totalitarisme.

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5.2.2 Le concept de la démocratie et du « politique » chez Rancière

Rancière s’est intéressé à l’hétérogénéité. Il propose le concept « l'un en

plus » lui permettant d’une part de répondre à la question de la « fin », et d’autrepart d’élaborer une conception de la démocratie. Chez Rancière la démocratie

ou l’événement éloigné de l’« un » dichotomique, constitue « l’un en plus ».

Autrement dit, l’« un » correspond à la surdétermination. Les facteurs au sein de

l’« un » engagent un conflit mutuel. Dans ce processus, ces facteurs figurent

finalement l’ « un ». Ce dernier apparaît comme une place où se développe la

discussion, l’exposition, la lutte et le conflit. Ces derniers se passent dans

l’ « un » sans aucun déterminateur : tout le sujet est « in-between », unentre-deux178. L’« un » ne désigne pas uniquement la totalité, il constitue au

contraire une place incluant plus de nuance, l’hétérogénéité. Il est ainsi une

conséquence de la disputation. L’ « un », souligne donc non pas l’unité, mais la

mésentente.

Plus exactement, l’ « un » ne renvoie pas à une origine unique ou une

totalité. Il est un concept informe ajoutant des nuances à tout moment. Il ne

désigne pas un début ou une fin, il prend des figurations différentes, dépendantde l’interaction des nombres. La nuance confère à « l’un » une permanence, elle

ne cause pas la destruction de l’ « un ». Composant l’« un », elle est un

consensus issu de la mésentente. La question ne consiste pas tant à définir la

démocratie, ni son origine. Il ne s’agit pas non plus annoncer la fin de la

démocratie. À mes yeux, la question doit se focaliser sur le cadre de

reproduction et relier le rapport social. La démocratie doit être considérée

comme une relation commune, car elle est la conséquence de l’exercice de la vie.

En revanche, elle ne constitue pas un principe ou une discipline singulière.

La démocratie doit-elle amener à réfléchir à faire entrer l’autre dans l’ « un » ?

Si l’ « un » crée et enrichit continuellement le contenu, l’un assimile plus l’autre.

Rancière renverse ainsi le rapport entre l’ « un » et l’ « autre ». L’ « un » est un

178 J. Rancière, Aux bords du politique, Gallimard, 2004, p.119

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processus s’élargissant continuellement et où l’« un » s’enrichit par l’autre. Il est

ainsi toujours une conséquence de l’interaction produite par l’individu et le

groupe. La démocratie inclut l’autre, la critique, l’hétérogénéité. Elle apparaît

simultanément comme une contradiction et une mésentente. Tels sont lescaractères de la démocratie. Pour nous, la démocratie consiste en l’autre, nous

ne pouvons pas imaginer de démocratie ne contenant pas de facteurs opposés.

Les facteurs antagonistes accentuent justement la force de la démocratie qui la

renforce et l’étend incessamment en assimilant la force opposable. Elle se

compose ainsi à la fois de la similitude et la dissimilitude s’assoit toujours sur un

affrontement constant.

Loin de former une disposition unifiée, pour Rancière, le parti se trouveenvisagé comme une disposition infinie. Le parti ou la classe prolétarienne sont

un nom propre, les individus, au sein de ce nom, sont un in-between, un

anonyme, au travers de l’agir. Ils se relient aux autres existences, ils deviennent

un sujet de l'action. Rancière montre que le processus de subjectivation réside

dans la formation d’un un   qui n’est pas un soi , mais la relation d’un soi à un

autre179. Dans ce sens, les prolétariats font converger les divers exclus et

reconstituent une force, qui manifeste le scandale de la constitution donnée. Lescontours de la politique se trouvent définis et déterminent l’ouverture ou la

fermeture d’une politique. Pour Rancière, l’équilibre d’une politique entre

l’intérieur et l’extérieur n’est possible qu’en incluant et en assimilant de manière

continue ceux du dehors et ceux des bords, l’autre et le banni/le paria . Une

politique ne peut trouver son équilibre qu’en s’ouvrant et élargissant les bords.

Rancière n’envisage pas le peuple comme un groupe. Le concept de peuple

n’est pas synonyme de citoyen, il ne renvoie à aucune dépendance ou ethnie quiapparaissent, selon cette logique, comme des concepts illusoires. Le peuple

n’est un objet constitutif, ni une totalité imaginaire. Il constitue, en fait, la

coexistence de l’individu et de groupes divers. Il contre et refuse la coopération

imposée par la contrainte. Rancière montre ainsi que la démocratie n’est ni une

179  Ibid, p.118

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autorégulation consensuelle des passions plurielles de la multitude des individus,

ni le règne de la collectivité unifiée par la loi à l’ombre de déclarations de droits.

Le rôle du peuple constitue la force de la démocratie et ne repose pas sur

l’accompagnement, ni sur la différence. Autrement dit, le peuple n’est pas unconcept arithmétique. La force du peuple détruit au contraire le rapport de la

polymérisation et l’institutionnalisation et dépasse toute disposition politique. La

puissance des dèmos  n’est ni l’addition des partenaires sociaux, ni la collection

des différences, mais tout au contraire le pouvoir de défaire les partenariats, les

collections et les ordinations180.

La puissance du dèmos  peut être considérée comme ce qui permet de se

séparer soi-même. La conjonction et la puissance du dèmos font converger l’unde la collectivité et accomplissent la répartition des espèces sociales. Cette

puissance propre du démos excède toutes les dispositions que peut prendre le

législateur 181 . Rancière reconnaît certes que la démocratie tend vers une

communauté de partage et de vie. Les membres évoluent dans un monde uni. Il

souligne toutefois que le rapport qu’entretiennent les membres entre eux n’est

pas le produit de la coordination, mais doit être envisagé comme un antagonisme.

Plus important encore, le peuple ne posera les conditions pour vivre ensembleque si ses membres coexistent dans l’hétérologie.

Rancière emprunte ici la notion de Lefort. Il propose la thèse de la division

élémentaire. Si le peuple est le sujet de la démocratie, il ne constitue pas un total

uni, mais émerge plutôt d’une déconstitution. Le peuple se divise incessamment

et forme une position antagoniste. Rancière pense que la division élémentaire a

lieu dans chaque corps politique. Celle-ci consiste d’une part en l’aporoï ,

désignant la majorité, tandis que le pauvre, l’autre partie appartient à l’euporoï ,qui possède l’outil de production. La souveraineté moderne ne fait pas du peuple

la source de la domination légitime, ni la base de la démocratie. Il est exclu par la

communauté politique et ne possède pas d’identité. Bien qu’il vive dans la

180  Ibid, pp.66-67181 J. Rancière, Mésentente, op.cit., p.23

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communauté, il n’est en pas considéré comme une partie. Le peuple n’est pas un

nom uni, il est un nom divers.182 

Rancière observe qu’il y n’a de politique qu’en incluant la part des sans-part,

une partie ou un parti des exclus. L’interruption constitue comme le départ de la

politique. Celle-ci existe lorsque l’ordre naturel de la domination est interrompu

par l’institution d’une part des sans-part183. La démocratie se fonde, pour lui, sur

le dèmos . Depuis Athènes, dèmos  ne désigne pourtant pas tout le peuple, mais

seulement la propriété. Le peuple n’est pas le peuple réel, car la démocratie

sépare les riches des pauvres. Les deux corps s’opposent et relèvent de l’ordre

de « irréconciliable ». L’origine de la démocratie se caractérise par la torsion et le

litige, le tort contribue à faire de la démocratie un vide et un litige184. Rancièrerenverse la notion de démocratie : la politique nous inclut dans un antagoniste.

La reconnaissance et la compréhension ne forment qu’une partie de la politique,

c’est-à-dire que nous n’exerçons la politique et la démocratie que si une

institution dominante donnée est interrompue par la part des sans-part. Par

conséquent, Rancière préconise de fonder la démocratie sur le tort, qui est

appelé à être réparé.

La démocratie n’est pas une forme de gouvernement représentatif, ni ne

résulte d’un ordre arithmétique du capitalisme ou des classes les plus riches. Elle

est une dynamique de la politique, elle se produit elle-même et naît de son

contraire. La pratique de la démocratie ne consiste pas à exercer une institution

donnée. Au contraire, elle naît de la pratique par laquelle l’institution se construit,

la démocratie est induite par le processus de la pratique elle-même, à la manière

de la rupture, de l’opposition, du scandale. En se créant une place, les

participants bouleversent l’ordre préexistant. Ces méthodes et ces processusconstituent la démocratie. Autrement dit, la démocratie apparaît comme un

processus de la pratique. En créant un espace, par l’action ou la dissension, tout

182 J. Rancière, Aux bords du politique, op.cit., pp.37-39183 J. Rancière, Mésentente, op.cit., pp.30-35184  J. Rancière, Magazine littéraire, n°331, avril 199 5, pp.146-150 ; Mésentente, Galilée, 1995,pp.106-111

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le monde se rencontre dans cet espace.

Nous pouvons alors considérer la démocratie comme le vide dans la mesure

où elle assimile toutes les différences. La mésentente ou la discussion donne

naissance à une nouvelle entité. La démocratie n’est plus un outil de domination

ou de légitimité, elle n’est pas non plus un contrat par lequel l’esclave revend son

droit au dominateur. Elle n’est pas une forme de l’incarnation de la souveraineté.

La démocratie crée un espace, un supplément et un vide, elle se remplit et se

renouvelle par les actions des participants. Lefort et Rancière soulignent que le

caractère de la démocratie réside dans le fait qu’elle n’est pas un système

préexistant et prévisible. Il n’existe pas de principe politique suprême et définitif,

elle est une indétermination185. Nous pensons que la démocratie n’est passimplement une égalité géométrique. Elle s’oppose à toute ordination, elle ne

résulte pas simplement de l’équilibre des intérêts entre les individus, mais d’un

ordre déterminant le partage du commun. La démocratie crée un espace vide qui

permet de manifester le tort de la politique. Elle est la force du scandale

rééquilibrant les inégalités de la politique actuelle. À l’inverse de la politique

institutionnelle, la démocratie se manifeste comme une multiplicité et un rapport

de force : elle est révélatrice des défauts de la politique. La démocratie n’est passeulement une critique de la politique, elle crée  la politique. Elle ne repose pas

sur la coordination ou l’harmonie, mais sur le conflit. En luttant, la démocratie

entend et enrichit le contenu de la politique. La démocratie ne se base pas sur

une relation coordonnée et stable, elle se fonde sur la violence, l’opposition,

l’incertitude et non-structure. Elle naît de la non-démocratie et non-politique (aux

yeux de la classe dominante).

La démocratie apparaît comme une dé-relation, une an-archie, undé-principe. Elle constitue une disposition du sujet qui ne coïncide pas avec des

parties de l’État ou de la société. La démocratie se caractérise par l’interruption,

l’indétermination et la désidentification. Un processus de subjectivation est ainsi

185  C. Lefort, Essais sur le politique.XIXème-XXèmsiècle . Paris : Le Seuil, « Points essais »,2001 ; J. Rancière, Mésentente , op. cit., p.140

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un processus de désidentification. La politique démocratique suppose, à l’inverse,

des actions générant des conditions d'"inclusion" des "exclus". Rancière souligne

que la démocratie est une puissance du scandale. Se manifestant d'abord

comme une interrogation, une telle puissance permet aux sans-parts departiciper à l’espace public. De même, la démocratie ne vise pas à chercher le

consensus. Ce dernier est un concept post-démocratique, une tentative

d’harmoniser le réel et l’ordre policier. Il réduit le sens de la démocratie aux

dispositifs étatiques et aux intérêts sociaux. La démocratie devient une

conséquence de compromis ou de la complicité. Il en résulte une tendance à

sous-estimer la force du peuple et à considérer la lutte comme un litige entre

individus. Anis, la démocratie n’est ni le simple règne de la loi commune inscritedans un texte juridico-politique, ni le règne pluriel des passions. Elle est d’abord

le lieu de tous les lieux dont la facticité se prête à la contingence et à la résolution

du tracé égalitaire 186 . Rancière n’envisage pas la politique comme une

négociation, ni comme une mesure ou un compromis, car la politique deviendrait

la règle du nombre : « la grandeur de la permanence de la démocratie, ne résulte

pas du simple remplissage des temps morts et des espaces vides par la

participation ou les contre-pouvoirs. Grâce au renouvellement des actions et des

formes de leurs actions, c’est la possibilité toujours ouverte d’une émergence

nouvelle de ce sujet à éclipses »187 .

Rancière montre que la démocratie n'est pas une constitution, mais un

« bazar » de constitutions qui les contient toutes et où chacun peut choisir celle

qu'il lui plaît188. La politique se caractérise pour lui comme une esthétique, elle

est un processus de partage. Elle est comme un lieu de partage du sensible

découlant de la passion de l’action collective, voire emboîtant la vie quotidienne.Le partage du sensible fait de tout le monde un être de parole possédant la

même opportunité d’exposer et de partager ses opinions. Les opinions

différentes s’échangent dans un lieu incluant tous les participants. Ce processus

186 J. Rancière, Aux bords du politique , Gallimard, 2004, p.173187  Ibid, p.111188  Ibid, p.79

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enrichit la politique en élargissant les contenus et la frontière. La distraction du

sensible devient la base de la politique et de l’égalité. Le sens de l’égalité

désigne ici un droit de parole qui ne serve pas uniquement à la discussion, mais

à créer un cadre où tout le monde puisse s’exprimer et trouver les critères luiconvenant. L’ensemble des individus provoque le litige, l'exposition des idées de

chacun contribue à développer la subjectivation. La place politique n’est pas

destinée à instaurer l’harmonie, ni à former un consensus, mais plutôt à créer

une plus large place permettant à tous de s’engager et s’inclure. Dans ces

conditions, personne ne sera exclu.

Plus concrètement, tout le monde est l’égalité, la politique n’est pas un ordre

donné. Elle rend visibles au contraire l’inégalité et la déraison. La politique semanifeste comme la défectivité elle-même. La reconnaissance de la politique se

trouve induite par la mésentente et par le scandale. Cette démarche fournit

politiquement plus de place et d’opinion, en instaurant plus d’égalité et de place à

la parole du partage. Une telle politique inclut les exclus et se renouvelle sans

cesse. La politique est un lieu où les gens se réunissent et partagent des valeurs

et des attitudes. Dans ce processus, tout le monde bénéficie de l’égalité et

dispose du droit de partager son opinion. La politique n’est pas la simpleredistribution du pouvoir politique. En revanche, elle invite à une repolitisation du

monde à travers le partage de l’égalité.

La politique est comme l’esthétique, toutes les deux reposent sur la

créativité et la contingence. Le politique fait surgir par elles de nouvelles

possibilités qui ont été cachée par l’institution policière. La politique et

l’esthétique ne doivent pas se limiter à un cadre fini. Elles sont une activité de

révolte pour tenter de changer l’institution donnée, voire même détruire la logiquedominante et la fonction de gouvernance. Rancière souligne que la politique

n’existe que comme subjectivation d’une « part des sans part ». En actualisant

« la contingence de l’égalité, ni arithmétique, ni géométrique, des êtres parlants

quelconques », elle bouleverse le « compte des parts ».189 Dans la politique, à

189 J. Rancière, La Mésentente , op.cit , p. 50

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cause de l’égalité, tout le monde possède un droit de parole. Il s'agit d'une des

formes de la liberté et qui à cause de la l’égalité et la liberté rend visible la faute

de l’institution. Si cette faute n’est pas remédiée tout de suite, elle devient une

visibilité et un litige, ce qui permet de susciter une nouvelle opinion commune.Cette dernière devient une base pour la société et l’actualité réelle. Rancière, au

nom de la perception, estime que la politique surgit lorsque les gens discutent

d’une affaire délaissée et négligée. La politique émerge dès lors que les gens

disposent et usent de leur droit de parole.

En un mot, la politique et la démocratie constituent des lieux de coexistence,

de partage. Les hommes peuvent accentuer à la fois les fautes politiques et créer

une nouvelle communauté. Une telle communauté ne repose pas sur leconsensus, mais au contraire sur la mésentente. S’avérant discutable, elle est

une possibilité infinie. Elle n’est pas le contenu qu’on a décrit auparavant, mais

se fonde sur des formes dialogiques. Le politique repose donc sur l’égalité qui

constitue l’essence du politique. L’égalité suscite la reconnaissance de l’autre,

c’est le produit d’une désidentification par rapport à un certain soi. La

subjectivation politique implique toujours le « discours de l’autre ». De même,

respecter l’autre ne relève pas de la compassion, mais de la discipline d’uneaction politique. Elle est une subjectivation politique, un rapport de l’inclus à

l’exclu, sans conférer un nom spécifique au sujet. Rancière définit ainsi

revendications de ceux qui ne rentrent pas dans le « compte » des régimes de

« police » qui impulsent le surgissement de « nouveaux droits, nouveaux

pouvoirs, nouvelles visions »190.

Rancière rappelle ainsi le régime de l’esthétique politique ou le partage du

sensible. Le politique est une place et un processus de partage où les opinionscristallisent la perception et deviennent une règle interne universelle. Une telle

perception accentue le litige et la différence et permet à des individus de

participer en continu une place commune. Autrement dit, un être politique est un

être de parole, il s’inscrit toujours dans la collectivité et la coexistence. Le

190  Ibid. p.101

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politique ne repose pourtant pas seulement sur le consensus, mais aussi sur la

mésentente. Le politique constitue une place commune qui se cristallise dans le

litige. Le participant ne s’engage dans la communauté qu’en tant qu’il est un être

parole. À travers la parole, il exprime la subjectivité et est rendu visible.Autrement dit, l’identité du membre est née de la parole et la visibilité.

Nous devons considère la mésentente comme un processus. Il ne constitue

pas un simple système de valeurs, mais un mode de partage polémique : ce

processus est aussi le processus de la démocratie. Il repose tout d’abord sur le

conflit et produit la force de scandale, qui accentue la défaite de la politique

donnée. La démocratie est donc liée à une limitation du pouvoir de la propriété.

Elle ne consiste pas non plus dans les compromis, ni dans les désordres d’unsystème étatique. Sur la base de l’égalité, tout participant possède un droit égal

de parole et peut exprimer ses idées. Dans le processus de la discussion se

forme une place commune, qui d’une part détruit l’institution donnée, d’autre part

crée une espace commun. En tant qu’être de parole, le participant se forme à la

subjectivation, et en raison de la participation, il se forge peu à peu une identité.

Il ressort de ce qui vient dit ci-dessus que Rancière renouvelle le concept de

politique et de démocratie en remplaçant le concept de « la politique » par celui

« du politique ». Les concepts du  politique et du non-politique s'opposent à celui

de la   politique, et s'opposent à la politique du plus grand nombre. Rancière

établit une distinction entre les trois concepts suivants : la police, la politique et le

politique.

Rancière fait observer que la police, avant d’être une force de représentation

« musclée », constitue d’abord une force d’intervention prescrivant le visible et

l’invisible, le dicible et indicible. Et c’est par rapport à cette prescription que la

politique se forme. Conçue comme loi de ce qui apparaît et de ce qui s’entend,

de ce qui se compte et ne se compte pas, la politique ne se déclare pas par

rapport à la guerre, elle se déclare par rapport à la police191. Rancière montre

que les individus considèrent normalement la police comme une disposition. Un

191 J. Rancière, Aux bords du politique, op.cit., p.211

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système concernant la légitimation et la distribution peut néanmoins être

considéré comme une police. Elle apparaît comme une technique

gouvernementale établissant un ordre dominateur et un système d'intérêt afin de

dissoudre les conflits, ce qui favorise le renforcement de la représentation légale.La police s’oppose à la politique, à savoir que la politique s'oppose à la police et

tente de détruire les limites de la police. Elle constitue toujours un mode de

manifestation qui défait les partages sensibles de l’ordre policier. Par la mise en

acte d’une présupposition, elle poursuit la visibilité et la sensibilité des sans-parts.

Rancière préconise par conséquent de réserver le mot de « politique » à une

activité bien déterminée et antagonique à la police. L’activité politique déplace un

corps du lieu qui lui était assigné ou modifie la destination d’un lieu ; elle fait voirce qui n’avait pas lieu d’être vu, fait entendre un discours là où seul le bruit avant

son lieu, formule en discours ce qui n’était entendu que comme un bruit192.

D'après la définition de Rancière, le politique apparaît comme le terrain de la

rencontre entre la politique et la police dans le traitement d’un tout. Attendu que

la seule politique universelle est l’égalité, le politique devient un processus

d’émancipation reposant sur la vérification de l’égalité de tout être parlant avec

tout autre193

. Le politique est la rencontre litigieuse de deux processushétérogènes. Le premier est le processus du gouvernement, que nous

désignons par le terme de «police». Le second est le processus d'égalité ou

d'émancipation consistant dans le jeu des pratiques guidées par la

présupposition de l'égalité de tous et par le souci de la vérifier. Nous pouvons

nommer ce terme par le terme d’émancipation194.

Rancière souligne que, à la condition de l’égalité, nous sortons de la dualité

entre l’un et l’autre et entrons le processus de subjectivation. Ce processus est laformation d’un un qui n’est pas un soi, mais la relation d’un soi à un autre. La

subjectivation politique est la mise en acte de l’égalité ou du traitement d’un

192 J. Rancière, La Mésentente , op.cit., pp. 51-55193 J. Rancière, Aux bords du politique, op.cit., pp.116194  Ibid., pp.112

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tort195. L’égalité permet effectivement de redécouvrir le sujet politique réputé non

visible ou soustrait à la visibilité, elle manifeste aussi le tort196. Cette action crée

ainsi une autre place pour la communauté. L'émancipation est un processus de

subjectivation qui est à la fois processus de « désidentification et dedéclassification ». L’inégalité ne se cache pas sous l’égalité. Cette égalité de

l’égalité et de l’inégalité possède son propre nom : le progrès.

Le politique ne résulte pas du conflit entre deux corps et deux logiques. Pour

Rancière, le politique est la constitution d'un «lieu commun». La scène politique

est donc une hétérogénéité. La logique du politique correspond à la logique de

l’autre, le politique ne repose pas sur l’identité, il le renie. Le politique présuppose

l’existence de l’autre, même si celui-ci propose une position contraire. Une tellehétérogénéité et une telle désidentification instaurent une place commune, non

pas dans le sens de chez Habermas, dans cette place. Au lieu d’un compromis

ou d’un consensus, la démocratie résulte de reconnaissance de l’identité à l’aide

de l’hétérogénéité. Une telle place ne vise pas à prouver une identité, mais plutôt

à faire surgir le tort et l’égalité dans l’inégalité. Le politique est tout d’abord un

processus de désidentification et de déclassification. Grâce à l’égalité de parole,

les hommes deviennent une subjectivation politique anonyme. Cettesubjectivation constitue également un nom propre. Les membres dans ce réseau

ou ce rapport sont « in-between » (entre-deux). En tant qu’acteurs et êtres de

parole, ils constituent ensemble un nom propre. Un tel un  est en fait un en plus. 

Ils coexistent grâce à l’égalité, ils sont le sujet de l’action. Dans l’action, ils

réalisent la subjectivation et l’émancipation. Pour Rancière, l’égalité signifie que

l’émancipation est la sortie d’une minorité. L’émancipation ne vise pas à faire

sécession, elle constitue une relation et relie toutes les parts et les sans-parts.Même si les apparences semblent contraires, elle s’affirme comme le co-partage

d’un monde commun où l’on peut jouer le même jeu que l’adversaire197.

Le politique est une place de parole permettant à tout le monde de

195  Ibid., pp.119196  Ibid., pp.212-215197  Ibid., pp.90-91

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s’engager et s’exprimer à travers l’action et la participation. Les participants

deviennent de ce fait une subjectivité. L'égalité ne représente pas un but en soi,

au sens d'un mode de vie semblable pour tous. Elle est une présupposition du

politique. L’égalité est le pouvoir de n'importe qui, la contingence de toutes lesdominations. L'idée n’est pas que le pouvoir doive travailler pour le bien du plus

grand nombre, mais que le plus grand nombre ait vocation à s'occuper des

affaires communes. L'égalité fondamentale renvoie d'abord à la capacité de toute

personne à discuter des affaires de la communauté et à les mettre en œuvre.

Nous souhaiterions en conclusion formuler des éléments de réponses aux

interrogations de Laclau et Mouffe. À notre avis, si nous désirons en sortir avec

la définition de la démocratie formulée par le capitalisme ou les classes riches, ilfaut renverser la notion de la démocratie. La démocratie ne doit pas se réduire à

une institution. Elle naît de l’exercice et appartient au refoulement de la politique

elle-même. La démocratie n'est pas une forme particulière de gouvernement, elle

est l’institution du politique elle-même et renvoie toute domination à son

illégitimité première. Son exercice dépasse nécessairement les formes

institutionnelles de la représentation du peuple. C’est-à-dire que la démocratie

ne s’attache pas à un système fixe, elle est un résultat inséré dans les mentalitéset la vie quotidienne du peuple après l’action. Le lieu d’exercice de la démocratie

ne se limite pas à des institutions ou au parlementarisme, car la démocratie est

un mode de subjectivation de la politique. L’émergence de la démocratie n’est

possible que si les quatre conditions suivantes se trouvent réunies : l’existence

d’une sphère d’apparence du peuple ; la présence d’un acteur politique qui ne

soit ni l’agent du dispositif étatique, ni les parties de la société ; la possibilité

d’une collectivité déplaçant les identifications en termes de parties de l’État ou dela société ; la conduite d’un litige sur la scène de la manifestation du peuple par

un sujet non identitaire198.

Nous pensons aussi que le sens de la démocratie ne consiste pas à

chercher le consensus ou la coordination, ni à construire une constitution que

198 J. Rancière, La Mésentente , op.cit., pp.141-142.

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tout le monde pourrait respecter, ni à former un système unique. Le sens de la

démocratie se fonde plutôt sur l’égalité, cette dernière n’est pas « une

distributrice d’égalité », elle permet à tout le monde de disposer des mêmes

droits de parole. Ainsi, elle favorise l’espace commun. Les règles de police ou lespolitiques des gouvernements rendent invisibles et ignorent ceux qui ne sont pas

admis. Autrement dit, les exclus se situent à la frontière de la démocratie. Sous

l’angle politique, la démocratie doit inclure et assimiler les voix des sans-parts et

des exclus. Le sens de la démocratie se tend en incluant plus de différences. La

lutte entre les différences lui permet de créer la Subjectivité combinant

subjectivité et objectivité. La démocratie ne constitue plus une limite ou une

violence, mais une lutte : elle est productrice de subjectivité.Laclau, Mouffe et Rancière par rapport à la démocratie raciale insistent sur

la nécessité de dépasser la limite à l’aide du conflit intérieur, tant en ce qui

concerne l’hétérogénéité que la mésentente. Ils soulignent la nécessité d’un

centre pluraliste ou l’un en plus. Pour eux, la question clé de la démocratie

radicale consiste à déterminer comment trouver l’antagonisme et non pas à

trouver un compromis. Ils croient en une communauté politique établissant un

rapport égalitaire entre les autres. La communauté ou l’hégémonie n’émerge pasdu compromis ou de la négociation, mais de la lutte. Bien qu’ils proposent la

notion de contingence pour rompre les institutions fixes, Laclau et Mouffe ne

désignent aucun chemin d’exercice. Tout d’abord, ils ne distinguent pas le peuple

et les dèmes. Même s’ils préconisent une articulation, qui en est le sujet ? Pour

nous, la classe ouvrière ne disparaîtra pas sous l’ère de la mondialisation. Nous

ne pensons pas non plus que des mouvements différentiels puissent exister

dans une relation égale. Ils entrent aussi dans une relation de force. L’articulationne dépend pas seulement de la contingence, mais repose également sur une

base matérielle réelle199. Autrement dit, l’autre et l’hétérogénéité ne sont pas des

199  D. Bensaïd insiste sur la nécessité de ne pas réduire le mouvement social à la centralité de laclasse ouvrière. Il est aussi la lutte de la force en courant, de même, l’hégémonie n’est pas unkaléidoscope, ni la conciliation de positions différentes. Elle constitue au contraire un champspécifique de forces réciproquement déterminées. Cf. D. Bensaïd, dans L’Eloge de la politique

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objets abstraits, ils constituent, selon les mots de Rancière « la part des sans

part » : l’immigrant, l’exclu, le clandestin, etc. Pour nous, l’hégémonie ne sert pas

à intégrer ces différences, mais à créer une plus large place aux différences. Une

telle place n’induit par un compromis ou une stratégie de confédération, elle estl’un en plus. Les personnes se trouvant dans cette place sont, tout d’abord, des

êtres de parole qui possèdent les mêmes opportunités de s’exprimer. Dans le

partage du sensible, elles forment un total. Ce total existe dans la mésentente, la

lutte, la contingence et la multiplicité… Il repose en même temps sur l’égalité, la

créativité et la subjectivation.

profane , Albin Michel, 2008, pp. 231-234. S. Žižek se demande si l’articulation et l’hégémonie nebrouillent pas les hétérogénéités, les inégalités au nom de l’universalité ou la contingence.L’hégémonie est aussi la lutte par la force, ainsi qu’une relation sociale, attendu que la relationsociale et historique est ambiguë, Laclau et Mouffe ne répondent pas par une contingenceélémentaire transsubstantielle, une expression de la nécessité. S. Žižek, J. Butler, E. Laclau,Contingency-Hegemony-Universality, verso, 2000, pp. 227-231

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Chapitre VI

Violence, racisme et immigration.

Dans ce chapitre, mon travail sera axé autour de trois questions.

J’examinerai tout d’abord le rapport entre la mondialisation capitaliste et

l’inégalité. Ensuite, je souhaiterais discuter de la relation entre le nationalisme et

le racisme, j’expliquerai comment le racisme est corollaire du nationalisme. Enfin, j’analyserai le rapport entre le racisme, la violence et la xénophobie.

Toutes ces questions concernent le statut des sans-papiers et des

travailleurs immigrés qui subissent la discrimination et la violence. Nous

constaterons les épreuves de l’action collective face au racisme.

Nous voudrions en outre reparler du concept de droit du citoyen, du droit de

résidence et des droits fondamentaux. La mondialisation capitaliste nécessite

d’étudier comment créer une sauvegarde transnationale fondée sur l’égalité,l’universalisme et la solidarité. Un tel objectif serait lié aux mouvements

syndicaux, aux droits fondamentaux, à la justice et à l’identité civile. Son

accomplissement doit se faire à l’échelle mondiale, elle doit être inconditionnelle,

applicable à toutes les populations sans exception. Une telle conception

passerait non pas par la suppression des frontières, mais par la reconnaissance

de leur franchissement, dans la perspective d’un droit à la circulation et à la

résidence. Nous envisageons une mobilisation internationale des citoyensaspirant à la vie dans un monde pacifié, solidaire et surdéterminant.

Nous devons réfléchir sur les enjeux que représentent les frontières. Elles

ne sont pas tant d’ordre géographique, mais s’inscrivent dans le champ politique

composé de la matérialité, la brutalité, la violence et les rapports de force. En ce

sens, la frontière ne se fixe pas uniquement sur la marge d’un pays, mais aussi à

l’intérieur. Elle ne vise pas simplement à définir ce qui relève de l’étranger, mais

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également à déterminer les antagonismes internes. Car il n’existe pas de ligne

claire entre le citoyen et le clandestin. Qui protège alors leurs droits

fondamentaux ? De quelle manière ? Nous soutenons qu’il faut surmonter la

frontière étatique. Les gouvernements d’accueil devraient leur fournir uneprotection identique à celle des autres citoyens, cette protection ne devrait pas

différer en raison de la race, de la nationalité ou de la religion.

Dans la section 6.1, nous envisagerons encore la fluidité du capitalisme.

Cette dernière est génératrice de flux migratoires et de chômage. Nous voulons

démontrer que le capitalisme, le racisme et le nationalisme sont inséparables. Ils

cristallisent la violence structurelle.

Dans la section 6.2, nous étudierons les deux concepts suivants : la violence

de la résistance et la politique de la civilité. Leur compréhension nous permettra

de répondre aux questions de la violence structurelle et du racisme.

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6.1 Les trois origines de la violence structurelle

Nous aborderons la violence structurelle trouvant son origine dans lecapitalisme, le racisme et le nationalisme.

Dans la section 6.1.1, nous décrirons les liens indéfectibles entre la violence

et le capitalisme. Le capital sacrifie la force du travail, tandis que la circulation

des capitaux renforce la concurrence. Le capitalisme encourage le

développement du travail provisoire qui se substitue aux emplois stables. Dans

le même temps, le travailleur immigré remplaçant son homologue local. Des

conflits se déclenchent au sein des pays, les populations locales s’opposant auxpopulations étrangères. En ce sens, tout le monde devient ennemi.

Sous l’angle du capitalisme et du colonialisme, les immigrants, les

sans-papiers et les clandestins figurent parmi les populations exclues de la

structure par laquelle le capitalisme se construit. Ces populations sont ainsi

considérées comme des classes dangereuses, comme une catégorie

d’« hommes jetables ». Elles sont perçues comme source d’insécurité et se

trouvent de ce fait discriminées et rejetées.

Le gouvernement néolibéral applique une immigration sélective, par le biais

notamment des « quotas ». Ces derniers agissent comme un filtre éliminant les

« inaptes » et les « inutiles ». L’immigration issue des anciennes colonies ou des

quasi-colonies dans les centres capitalistes constitue une forme de

« tiers-monde à domicile » et d’« intériorisation de l’extérieur ». On peut ainsi

parler de colonie interne. Du coup, ces immigrations subissent la violence ou le

traitement inégalitaire.

Dans la section 6.1.2, nous argumenterons sur le fait que le racisme

incorpore nécessairement le nationalisme. Le racisme n’est pas une expression

du nationalisme, mais un supplément du nationalisme et plus encore un

supplément interne au nationalisme.

Ensuite, nous examinerons le racisme et le néo-racisme. Le premier

désigne un racisme se réduisant à une théorie scientifique, comme par exemple,

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le racisme colonial, qui du point de vue biologique, se fonde sur les « races

humaines » et de « sang pur ». Le deuxième type de racisme préfère conserver

les différences. Un tel racisme est non seulement subordonné à la biologie et au

principe scientifique, mais également intègre le multiculturalisme. Lenéo-racisme, d’un côté au nom de la disparition des frontières, chante la fin de

l’apartheid. D’un autre côté, au nom de la tolérance à l’égard de la différence

culturelle, ce type de racisme perçoit la culture comme une objectivation

inébranlable.

Il faut démasquer les ruses du néo-racisme. Dans le vocabulaire néo-raciste,

le mot « race » a presque disparu pour être remplacé par celui de culture,

d’hétérogénéité et de choix pluriels. Ces derniers deviennent une matrice faisantpasser le racisme par l’identité culturelle et la différence. Le racisme affirme

défendre aujourd’hui le respect des différences, il ne prétend plus éliminer l’autre,

ni même l’assimiler, mais assure promouvoir la « sauvegarde de la diversité »200.

Dans ces conditions, la xénophobie ne prétend pas exclure l’étranger, mais au

contraire insiste sur la spécificité des cultures. Elle joue sur le respect et la

valorisation des différences. Cette logique fait apparaître le néo-racisme comme

un racisme différentiel. Les cultures des immigrés ne pourront ainsi jamaisfusionner avec la culture locale. La culture des immigrés est considérée

essentiellement comme une agression extérieure. Le néo-racisme se montre

ainsi hostile à l’immigration, remonte encore un mur au sein de la société.

6.1.1 Fluidité du capitalisme et colonisation interne 

Le quatrième chapitre avait fait ressortir que la stratégie de la mondialisation

économique via le libéralisme reposait sur une dichotomie du monde : un monde

économique et un monde en dehors de l’économie. Pour le libéralisme, la

capacité individuelle constitue le principe prioritaire permettant d’accroître

globalement le progrès. Le monde parvient alors à une meilleure situation, toutes

choses se trouvent alors exclues si elles limitent le talent individuel. Du même

200  Pierre-André Taguieff, Face au racisme , La Découverte, Paris, 1991, p.23.

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coup, la responsabilité sociale devient un objet intempestif. La responsabilité

sociale réduit la compétition personnelle, elle contraint la personne à développer

ses capacités. La responsabilité sociale abolit la responsabilité morale de

l’entreprise. Certaines populations (les chômeurs, les immigrés, les nomades)doivent s’adapter à la séparation par les prisons et les bidonvilles, au nom d’une

conformité aux règles du marché et de la nécessité d’assurer la stabilité de

dernier. Le néolibéralisme appelle à lever tous les obstacles pour l’établissement

d’un marché pur. Son discours vise par exemple l’État, les confédérations du

travail, la protection sociale abstraite et plus largement la morale de l’entreprise.

Il faut balayer tous les obstacles s’opposant à la logique du capitalisme, tant sur

le plan des valeurs sociales que des systèmes sociaux, au nom d’un soi-disant« développement durable ». Cela revient à promouvoir les valeurs du capitalisme

qui constituent le critère de justice, de démocratie et globalement de progrès…

À l’opposé, les valeurs du capitalisme stigmatisent et distordent les valeurs

différentielles. La présence de nombreux étrangers ou immigrés menacerait ainsi

l’emploi et l’ordre public. Les valeurs différentes représentent alors des obstacles

insurmontables à la cohabitation, voire risquent de « dénaturer » nos identités

traditionnelles201

. Le néolibéralisme d’une part érode peu à peu les mécanismescommunautaires et collectifs. D’autre part, il réduit l’individu à un simple élément

de l’économie et de force du travail. L’individu apparaît alors comme une

existence abstraite, il est réduit à une machine de travail. La mondialisation se

fonde sur la liberté individuelle, tout le monde représente une existence atomique,

les gens vivent sans relation sociale. Le libre échange remplace les relations

sociales, la connexion réciproque ne passe plus que par libre l’échange. La

mondialisation apparaît comme une illusion créée par le néolibéralisme. Laconscience collective pèse sur des marginaux, dont le nombre ne fait que croître

et bénéficient de moins en moins de protection.

La flexibilité et la fluidisation sont devenues les nouveaux paradigmes

productifs. Cette évolution, apparemment contradictoire, caractérise ce que nous

201 É. Balibar, Existe-t-il un racisme européen ? Multitudes Web, Mise en ligne 2004. 

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appelons la mondialisation capitaliste. Elle s'accompagne de l'émergence d'un

secteur de services modernes, d’un haut niveau technique, concentré dans

quelques mégapoles, devenus les lieux spécialisés de la finance, de la gestion,

de l'information et du contrôle d'une production dispersée. Ce secteur estdemandeur d'une force de travail nouvelle, bon marché, soumise et souple. La

mondialisation capitaliste et la domination de puissantes firmes multinationales

qui l'accompagnent ont pour conséquence le pillage irraisonné des ressources

de la planète, l'insécurité croissante et l'uniformisation des systèmes locaux,

régionaux et nationaux. La structure urbaine et la composition humaine de ces

mégapoles se transforment. Tel se présente le système de production capitaliste.

Ces mégapoles se développent dans l’État-nation afin de former un systèmemondial. De ce fait, le capitalisme est considéré à la fois comme l’essence et

l’apparence du monde moderne. La révolution technologique, en modifiant la

constitution du capital, renforce la nécessité des capitaux, et diminue la force du

travail.

La soi-disant libre circulation encouragée par la mondialisation capitaliste se

limite à la circulation des capitaux et des biens, et non pas tant celle des

travailleurs. En ce sens, à moins que la circulation ne supprime radicalementtoutes les limites et s’ouvre aux migrants. Le libre marché vanté par le

néolibéralisme s’avère un pur mensonge. Si la libre circulation des travailleurs

peut paraître comme une libéralisation, elle s’exerce dans les conditions de

vente et d'achat. La force de travail constitue une marchandise. S’avérant

essentielle à la circulation des capitaux, elle n'est "libre" que dans la logique du

marché. Voire, elle ne constitue pas vraiment une libéralisation, il s’agit d’une

immigration sélective.La flexibilité et la fluidisation détruisent à la fois les frontières et la notion

d’État souverain. Le néolibéralisme considère l’État comme une institution de

pouvoir, un instrument de chauvinisme, un symbole de la puissance paternelle et

surtout un obstacle à la libre circulation. D’un côté, sur le plan politique, le

néolibéralisme préconise de réduire la force de la souveraineté étatique. De

l’autre côté, il recommande la dérégulation et la flexibilisation : les capitaux ne

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doivent plus s’attacher à un pays particulier. Une telle circulation renforce la

concurrence, le travail provisoire se substitue aux emplois stables, le travailleur

immigré remplace son homologue local. En ce sens, tout le monde devient

ennemi. Des conflits se déclenchent au sein des pays, la population locales’opposant à la population étrangère. Une telle opposition inclut les conflits de

classe et de race, dans la mesure où la concurrence et l’hostilité que celle-ci

engendre contre l’autre, contribuent à détruire solidarité. Du coup, la

mondialisation capitaliste occasionne une redistribution des rapports de

dépendance et de domination. Si la circulation des capitaux et des marchandises

s’émancipe des frontières, le marché mondial du travail demeure segmenté. Les

frontières ne sont pas abolies, mais déplacées, voire renforcées par denouveaux murs de la honte. Des difficultés surgissent pour coordonner l’action

collective, notamment des luttes de classes, car les travailleurs locaux et migrés

entretiennent une relation de concurrence et non de solidarité. L’ennemi de

l’ouvrier n’est plus le capitaliste, mais lui-même.

La mondialisation capitaliste accroît les incertitudes et produit un effet de

répulsion mutuelle entre les travailleurs techniques spécialisés. Le travail fixe se

trouve remplacé par le travail provisoire, rémunéré par de bas salaires. Cestravailleurs sont originaires des pays sous-développés ou des populations

rurales pauvres. D’un côté, le travail flexible permet de réduire le coût des

produits, le capital paie seulement le salaire individuel, mais ne permet plus

d’assurer l’existence de la famille, ni toute autre forme de relation sociale du

travailleur. Auparavant, le salaire permettait d’assurer les dépenses pour

l’éducation, la santé et le logement, ce que le capital ne permet plus aujourd’hui.

Le capital ayant besoin de sacrifier la force du travail, le gouvernementnéolibéral applique une immigration sélective, par le biais notamment des

« quotas ». La mondialisation apparaît comme une colonie interne. L’immigration

issue des anciennes colonies ou des quasi-colonies dans les centres capitalistes

constitue une forme de « tiers-monde à domicile » et d’« intériorisation de

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l’extérieur »202. Sous l’angle du capitalisme ou du colonialisme, les immigrants,

les sans papiers et les clandestins figurent parmi les populations n’entrant pas

dans la structure par laquelle le capitalisme se construit. Le travail précaire et la

fragilisation des liens sociaux aggravent la vulnérabilité qui se manifeste commeun déficit identitaire203. Ces populations sont ainsi considérées comme la classe

dangereuse et source d’insécurité. Elles sont perçues comme génératrices de

crise sociale et d’incertitudes. Elles menacent ainsi la stabilité de la société et le

développement économique.

Balibar observe que le racisme moderne se fonde sur deux logiques

opposées, le nationalisme politique et la concurrence économique. S’inscrivant

dans un cadre limité, le premier phénomène renvoie à la fermeture de l’identité.L’exclusion constitue donc l’essence de la nation204. Le second phénomène est

marqué par l’abolition des frontières, il n’existe plus ni intérieur, ni extérieur. À la

différence de la l’État-nation, la concurrence du marché n’exclut personne, elle

agit comme un filtre qui élimine les « inaptes » et les « inutiles ». Cette logique se

manifeste dans la crise des systèmes de protection sociale205. Cette classe

d’« inutiles » se compose d’immigrés et de pauvres. Ces derniers sont

considérés comme la source de la crise de sécurité sociale et se trouvent de cefait discriminés et expulsés. Le système de protection sociale devient un critère

de discrimination légale. Cette évolution tend à renforcer le racisme et le

néo-colonialisme. Les effets conjoncturels des contradictions insolubles dans

lesquelles se trouvent plongés l’économie néo-libérale et surtout le système

politique dit représentatif206. En ce sens, la mondialisation capitaliste aggrave la

polarisation et la xénophobie, elle n’encourage pas la liberté, mais l’apartheid. La

mondialisation conduit à l’inégalité, à l’exclusion, la discrimination et la violence.

202  É. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe, La Découverte, 1997, pp.62-63 ; É. Balibar,Nous, Citoyens d’Europe, La Découverte, 2001, p.78.203 R. Castel, « De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation. Précarité du travail et vulnérabilitérelationnelle . », Dans DONZELOT, Jacques, (dir.), Face à l’exclusion. Le modèle français, Paris,Éditions Esprit, p.148.204 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, La découverte, 2001, p.47.205 É. Balibar, Le retour de la race, le mouvement, La découverte, n°50,2007,p. 170  206 É. Balibar, Existe-t-il un racisme européen ?  Multitudes Web, Mise en ligne 2004. 

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Ces dernières redéfinissent l’immigration, la clandestinité et la citoyenneté.

La mondialisation abrite une contradiction résidant dans la disparition de la

médiation entre la société et le monde. Auparavant, le monde se décomposait en

trois niveaux : la société civile, l’État et le monde. La destruction de la fonction de

l’État-nation fait d’autant décliner les droits du citoyen. Ces derniers

n’apparaissent plus comme un critère primordial, c’est l’économie qui le devient.

L’économie devient un critère avec lequel le gouvernement détermine la

citoyenneté, de l’étranger, de l’immigré ou du clandestin. Les capitaux

deviennent les critères définissant la citoyenneté, ainsi trois types d’homme

subsistent : celui qui s’adapte le mieux à la mondialisation, est un homme ayant

réussi ; celui se conformant avec effort à la mondialisation, est un existant ; celuiqui ne s’adapte pas à la mondialisation est un exclu. Autrement dit, tout le monde

est susceptible d’être rejeté. La personne ne se conformant pas aux critères de

l’économie sera désignée comme un « homme sauvage ».

Dans la logique du capital, la clandestinité ne signifie pas l’illégalité, le

clandestin est un asocial du capitalisme. Il s’agit d’un concept éliminatoire sous

l’angle de la logique concurrentielle, les individus sont considérés comme inutiles,

s’ils ne parviennent pas à obtenir les biens approuvés dans la société où ils

vivent. Cela revient à créer un véritable apartheid, une frontière de

l’internalisation émerge au moment de la formation d’une souveraineté et d’un

nouveau « peuple ». La question clé ne consiste pas dans la frontière, mais à

déterminer comment renverser et redéfinir ceux qui ne se conforment pas aux

règles du capitalisme. La frontière détermine aujourd’hui la classe sociale qui

déterminera comment seront prodiguées la justice ou l’éducation…

Negri dans son ouvrage célèbre « l’Empire », explique que, après la guerre

froide, nous entrons non pas dans une ère d’impérialisme, mais dans une

époque dominée par la souveraineté de l’empire. L’impérialisme apparaît comme

le fruit de l’époque moderne, tandis que la souveraineté de l’empire devient la

forme actuelle. Dans cette nouvelle phase, l’État-nation devient de moins en

moins identifiable. Pour lui, le nouvel ordre global se manifeste à trois niveaux, la

multitude, l’institution supranationale et la superpuissance des États-Unis qui

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apparaissent comme une forme de l’empire. En même temps, Negri reprend de

nombreuses notions de Deleuze pour expliquer la force de la déterritorialisation,

à partir de laquelle Negri imagine une nouvelle figuration de la multitude, celle du

sujet politique et de la résistance contre la mondialisation207.

Comme Arrighi indique que la concurrence du marché global est devenue

de plus en plus âpre, notamment celle entre les travailleurs migrants et locaux.

Une telle concurrence antagonique renforce le patriarcat, le racisme et le

chauvinisme national. C’est la raison pour laquelle Arrighi pense que la voie de la

citoyenneté mondiale et la garantie des revenus stables des citoyens s’avèrent

plus difficiles à obtenir que ne l’imagine Negri. Pour Arrighi, la période après la

guerre froide a été suivie par la défaite de la structure de l’ordre mondial, nousvivons dans un monde plus en plus violent208.

Arrighi estime que lorsque nous parlons de mondialisation, il ne faut pas

ignorer la relation entre l’économie et l’inégalité, la violence et le racisme au sein

de la mondialisation. En effet, le marché global et le racisme entretiennent un

rapport inséparable. Le processus d’extension du marché use inévitablement de

la violence coloniale. Une telle violence serait sans précédent. Comparée au

colonialisme impérial, elle ne passe pas par les armes, mais par l’économie et la

technique. Une société colonisée se trouve clivée dans une frontière brouillonne

définie par le critère économique. Une telle frontière n’est pas une ligne

géographique ou institutionnelle définissable concrètement, mais constitue une

ligne invisible. Elle produit une division entre une « zone de vie » et « zone de

mort », c’est aussi une frontière cruelle. Deux conséquences apparaissent

lorsque la zone de mort s’est trouvée définie par l’économie. D’un côté, ceux qui

s’y trouvent subissent la surexploitation par l’économie du capital, d’un autre côté,ils deviennent une cible d’alliances d’État politico-militaires. Ils deviennent un

207  Negri et Hardt, Empire, Exils, 2000, pp.377-379, 473-474.208  Arrighi, Lineages of Empire, Historical Materialism 10, 3, 2002. Reprinted in G. Balakrishnan,ed., Debating Empire. London and New York: Verso, 2003.

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instrument de la biopolitique ou bioéconomique209.

Balibar inscrit un concept de la reconfiguration géographique impliquant une

nouvelle géographie politique. La relation entre la frontière et la souveraineté, le

positionnement des frontières ne se situent plus aux confins des territoires, ne

concerne plus les marges, mais sert d’instrument de contrôle au service des

mécanismes du capitalisme impérial210. Balibar indique que l’exclusion constitue

comme une forme extrême de l’inégalité. Sous l’ère de la mondialisation, à la

différence de la frontière de la souveraineté, le marché préconise le concept

d’absence de frontière. D’après ce concept, personne ne se trouve vraiment

exclu par le marché, parce qu’il n’existe rien d’autre que le marché. Le concept

d’exclusion ne réside pas dans la frontière géographique, mais par rapport à lasociété intérieure. L’opposition et la marge ne décident pas de la position

géographique, mais la qualification sociale, culturelle et financière. Les exclus

logent à la marge de la société, ils sont privés du droit par l’ordre du capitalisme.

Avec la mondialisation, il n’existe plus d’exclus réels, mais plutôt des individus

fonctionnant ou expulsés par les capitaux. Nous définissons les immigrants, non

pas par l’identité citoyenne, mais en fonction de leur faculté d’adaptation au

capitalisme. On ne doit pas oublier que la violence entre nécessairement dansl’économie de l’idéalité.

La régulation et la normalisation remplacent la violence et le châtiment.

Sous la mondialisation, du fait de la biopolitique, l’homme devient un sujet

technologique et économique. L’État-nation se composait auparavant par la race

ou l’origine, alors que conformément à la notion juridique incorporée à

l’imaginaire national, l’État-nation inscrit une frontière cartographique, celle qui

devient le bord du territoire et marque le point où sa souveraineté cesse.Cependant, la mondialisation sans frontière implique la disparition de race pure.

En effet, les pays les plus puissants abritent de plus en plus d’immigrés et de

209 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, op. cit., pp.195-196 ; É. Balibar, La Crainte des masses ,op. cit., p. 413.210 É. Balibar, L’Europe, l’Amérique, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne , op. cit., p.164.

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clandestins, dépourvus de droits du citoyen. Le protectionnisme et de

conservatisme se voient renforcés au nom de la défense de l’intérêt national. Les

défendeurs de ces idées se montrent hostiles à l’étranger et deviennent les

pourvoyeurs d’un centralisme ethnique et raciste.

La mondialisation sans frontière se caractérise par la flexibilité et la

déterritorialisation, tant et si bien qu’aucun contrôle strict sur les migrations n’est

applicable aujourd’hui. La défense de la souveraineté passe alors par la création

de nouvelles techniques de domination afin d’assurer le contrôle le plus complet

possible sur la population. Les nouvelles techniques ne recourent pas à une

violence visible, mais à un mode de surveillance ubiquiste contrôlant les

populations dans l’inconstatable et l’inconscience. Au nom de la peur, le contrôlese retourne particulièrement contre la pauvreté. Les pays puissants exercent une

surveillance globale afin d’endiguer l’entrée les migrants venus des pays pauvres.

Pour éviter cette catastrophe, les gouvernements s’efforcent de fixer tout ce qui

relève de l’instable, comme par exemple, les travailleurs immigrants, les

populations nomades et clandestines… Ces derniers sont le fruit de la

colonisation économique et de la mondialisation. Les gouvernements modernes

doivent disposer de la capacité de contrôler ces masses de populations, soit parla surveillance, soit en les plaçant dans des lieux concentrés, comme par

exemple, les HLM, les hôpitaux, les hospices, voire même les écoles... C’est une

nouvelle méthode de gouverner afin de s’adapter aux conséquences de la

disparition des frontières résultant de la mondialisation. Cela représente

également une nouvelle forme de souveraineté succédant à l’État-nation : une

souveraineté sans frontière ou une frontière variable.

Ce que nous entendons au sens de la fluidité et la décentralisation - au nomde la libéralisation – pour favoriser la liberté de mouvement, implique la

nécessité d’un nouveau système de sécurité capable de maintenir la stabilité de

la société et du marché. Ce nouveau paradigme « sécuritaire » vise à restreindre

les libertés et accroître les pouvoirs policiers de façon à exercer un contrôle

toujours plus étroit sur les personnes. En d’autres termes, tout le monde rentre

potentiellement dans la catégorie des classes dangereuses. Cette évolution

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participe à la production des conditions générales de l’autoritarisme auquel

aspire le capital, tant le néolibéralisme fait preuve d’instabilité à un niveau

panoramique. Sa fonction autoritaire se trouve facilitée à différents niveaux. D’un

côté, il pose une série de vérités – impossibles à remettre en question – commeessences immuables du cosmos. Ces vérités proclament clairement un dedans

et un dehors, un bien et un mal, un ami et un ennemi, ceux qui contribuent à la

marche de la souveraineté et du pouvoir. Les gouvernements ont lancé plusieurs

initiatives visant à mettre en place une infrastructure mondiale de fichage et de

surveillance. Un tel procédé permettra de « ficher » des citoyens, partout dans le

monde, de surveiller leurs déplacements à l’échelle planétaire, de suivre et

d’intercepter aisément les « suspects » et ceux qui représentent des « dangerspotentiels ». Il deviendra ainsi aisé de conserver les renseignements recueillis

dans des bases de données publiques et privées sur des individus, de coupler

ces renseignements, de les analyser et de les mettre à la disposition des agents

des services de sécurité. Au nom de la sécurité mondiale et de la « guerre contre

le terrorisme », les puissants créent un nouvel instrument de domination. Le

programme politique au niveau international introduit un surveillant omniscient

mettant à l’épreuve l’action politique collective. En un mot, le néolibéralisme, la

biopolitique et le racisme agissent simultanément sur l’État souverain et l’action

politique. L’État se dotera de nouvelles techniques de domination dans le but de

comprimer les problèmes précités.

Les questions de la citoyenneté et de frontière apparaissent tout aussi

incertaines qu’indissociables. Dans ce nouveau mécanisme de gouvernement, le

racisme incarne comme une sorte de réaction de défense d’une identité

nationale, il combat contre une sécurité sociale « menacées ». Autrement dit, lafluidité provoque l’immigration et la frontière. Ces problèmes font émerger un

nouveau mode de gouvernement agressant les droits de l’homme, la démocratie

et les systèmes de protection sociale. Ces agressions sont pourtant appliquées

dans la légalité au nom de l’antiterroriste ou anti-violence. En un mot, la fluidité

accompagnant ce nouveau mode de gouvernement détruit plus ou moins la

valeur de la démocratie, de la solidarité et de la protection sociale. Elle brise en

même temps la base de l’action politique collective.

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La domination dépasse aussi les frontières, les hautes technologies

introduisent une surveillance panoramique. Le souci d’insécurité rend ordinaire

l’état urgence. Une telle évolution a été décrite par Foucault et Agamben. Selon

Foucault, le biopolitique inscrit le racisme comme un mécanisme d’État, ilintroduit tout d’abord une hiérarchie raciale en fonction du caractère biologique. Il

existe une « race bonne » qui devient le critère de qualification de la race. La

souveraineté distingue ceux qui doivent vivre et ceux qui doivent mourir.

C’est-à-dire que la souveraineté établit une césure, séparant les gens en

groupes différents en fonction du type biologique. La souveraineté prend à sa

charge certaines populations, tandis qu’au contraire, d’autres sont reléguées

dans une zone morte (la vie nue). Foucault montre que le racisme permetd’établir, entre ma vie à moi et la mort de l’autre, une relation qui n’est pas une

relation militaire et guerrière d’affrontement, mais une relation de type

biologique211. Agamben pense que le nouveau pouvoir de domination ne se

trouve plus aux mains d’un gouvernement, mais sur ce qui définit l’état

d’exception. Le pouvoir se trouve ainsi à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du

système. En suspendant la loi, le pouvoir conduit en même temps la loi dans

l’inclus de l’exclusion. Cela signifie que la souveraineté exerce et expose la

puissance à l’intérieur de la loi. La souveraineté appartient à celui qui décide de

la situation exceptionnelle.

Balibar approfondit ce concept : le capitalisme tend à se transformer en «

bio-capitalisme », fondé sur le développement d’une bio-économiÉ. Il combine la

notion de Marx et Foucault. La bio-économie remplace pour l’instant la

biopolitique qui devient un nouveau mécanisme de gouvernement. Pour lui, le

sens du biocapital ne concerne plus seulement les services et les industries dereproduction de la force de travail, mais vise également à systématiser le corps

humain. Le corps humain devient un objet, une matière première destinée aux

pratiques pharmaceutiques, médicales, eugéniques différentielles. Autrement dit,

le corps humain n’est plus seulement un objet de gouvernement. D’après la

211 M. Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard, Paris, 1997, pp.227-228.

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définition de Foucault, le gouvernement régularise et normalise grâce aux

technologies. Le plus grave est que le corps humain a l’obligation d’être un objet

utile, sinon il fait partie des choses à éliminer. Une des conséquences de

l’apparition de la bio-économie est d’avoir produit un « homme jetable »212.

Les mécanismes de la bio-économie capitaliste rendent superflus les

pauvres et les chômeurs. Dans le cadre de l’État-nation, l’homme jetable ne

possède pas de citoyenneté, il se trouve exclu de la protection sociale : il devient

un homme sans droits. La logique d’exclusion des frontières étatique et

géographique définit les droits du citoyen, elle crée une circulation en vase clos

dans la citoyenneté, la protection sociale et l’insécurité. Cette définition fermée et

exclusive de la citoyenneté et de la protection sociale écarte légalement« l’homme jetable ». Sous l’angle de la bio-économie capitaliste, les hommes

 jetables sont de façon prévisible les travailleurs immigrés, les sans-papiers, le

peuple des pays colonisés. Il s’agit d’un racisme sans race. Les travailleurs

migrants sont mis à l’écart des relations sociales et subissent une double

aliénation:l’aliénation du travail et celle de l’identité.

Ce nouveau mode de gouvernement non seulement est un racisme sans

race, il constitue également une forme ultra-objective d’une violence ou d’une

cruauté sans visage213. En ce sens, nos sociétés deviennent des sociétés de

violence. Les ouvriers sans-papiers et sans domiciles vivent dans un climat de

violence permanente. Les étrangers issus de cultures différentes deviennent la

figuration de la violence, des zones d’incivilité. Surtout après le 11 septembre,

ces zones se trouvent subordonnées aux valeurs du néolibéralisme en vue d’un

monde sans frontière. Un monde qui n’a ni intérieur, ni extérieur. Sinon, on

entrerait dans une guerre permanente au nom de la justice permanente et laguerre contre le terrorisme.

Nous devons réfléchir sur les enjeux que représentent les frontières, elles ne

sont pas tant d’ordre géographique, mais s’inscrivent dans le champ politique

212  É. Balibar, Le retour de la race, le mouvement, La découverte, n°50,2007,p. 165213 É. Balibar, La Crainte des masses , Galilée, 1997, p. 415.

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composant la matérialité, la brutalité, la violence et les rapports de force. En ce

sens, la frontière ne se fixe pas uniquement à dans les marges, mais aussi à

l’intérieur214. Elle ne vise pas seulement à déterminer ce qui relève de l’étranger,

mais également les antagonismes internes. En outre, puisqu’il n’existe pas deligne claire entre le citoyen et le clandestin, qui et comment protègent ses droits

fondamentaux ? Il faut surmonter la frontière étatique, les gouvernements

d’accueil devraient fournir leur fournir une protection identique à celle des gens,

cette protection ne devrait pas différer pas en raison de la race, de la nationalité,

de la religion.

La frontière constitue, ne l’oublions pas, aussi un espace public des rapports

de force. Balibar redéfinit la célèbre phrase Hegel « Il n’y a plus d’État enEurope »215 . L’Europe agit comme une médiation, un fil conducteur. Nous

pouvons ainsi observer le processus la mondialisation sur le continent européen.

Autrement dit, l’Europe unifiée devient une nouvelle puissance, sans pourtant

constituer une puissance concurrente de l’Amérique : elle ne représente ni un

vaste marché unique, ni une force militaire. Elle ne doit se fonder pas sur la

puissance politique ou économique, mais sur le modèle social. Cela veut dire

qu’elle doit travailler sur l’émergence d’une solidarité, une nouvelle politiqued’altermondialisation. Il serait nécessaire de rééquilibrer les relations de

coopération avec le Sud, en vue d’une redistribution des pouvoirs au sein des

institutions internationales (l’ONU, l’OMC, etc.), qui modifierait les rapports de

puissance dans le monde. Cette institution se fonderait sur plus de démocratie et

plus de social216. Par conséquent, la question n’est pas de s’interroger comment

créer une citoyenneté transnationale, mais comment faire émerger un concept

de citoyenneté fondé sur un progrès démocratique dans des domaines les plusfondamentaux. La reconnaissance des droits sociaux, la participation aux

214 É. Balibar, Droit de cité, PUF, 2002, pp.81-82.215 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, La découverte, Paris, 2001, p.238 ; É. Balibar, L’Europe,l’Amérique, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne , Editions La Découverte, Paris,2003, p.33216  J. Derrida, Le Monde, 19, août, 2004 ; É. Balibar, L’Europe, l’Amérique, la guerre. Réflexionssur la médiation européenne , Editions La Découverte, Paris, 2003, p.84

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affaires publiques et les possibilités de contrôle du pouvoir institutions

supranationales apparaissent acceptables et même désirables pour la population.

C’est-à-dire défendre une « citoyenneté transnationale ». Parler de « pays des

frontières », c’est parler du lieu même où les contraires se mélangent et où lesétrangers que nous avons stigmatisés deviennent nos semblables217. Sinon, la

soi-disant mondialisation ou déterritorialisation ne constitueraient que des

notions relevant de l’économie et de la technologie.

6.1.2 Nationalisme et racisme

Le nationalisme et le racisme s’avèrent inséparables. Comme le montre

Balibar, il n’existe pas de racisme invariable, le raciste ne possède pas de

frontières fixes. Celles-ci varient en fonction des circonstances historiques, le

rapport de force et la forme de la société. Le racisme constitue donc un rapport

social, et non pas un simple délire des sujets racistes. Le racisme lui-même ne

renvoie pas directement à l’apartheid et à la violence, car le nationalisme et le

racisme constituent à l’origine des produits du colonialisme. La mondialisation a

modifié la forme du racisme, elle est devenue par ce que nous pouvons désigner

par le terme de néo-racisme. Nous expliquerons ici la relation entrecroisée entre

le nationalisme, racisme et le colonialisme.

La souveraineté a servi de pierre angulaire pour la construction de

l’européocentrisme et en grande partie à travers les relations du sous-continent

européen avec l’extérieur, et tout particulièrement à travers ses entreprises

coloniales et la résistance des colonisés. La souveraineté moderne est donc

apparue comme le concept de la réaction et de la domination européenne, à la

fois à l’intérieur et en dehors de ses frontières218. Jusqu’au 17ème siècle, l’Europe

considère la souveraineté du peuple dans le cadre d’un territoire limité. Deux

cents ans durant, l’Europe a développé une forme de légalité par la démocratie

et après la fin de la seconde guerre mondiale, elle a établi des systèmes de

217  É. Balibar, Europe Constitution Frontière, Passant, Paris, 2005, pp.151-155.218  Negri et Hardt, Empire , Exils, 2000, p.103

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sécurité sociale. En deux siècles, l’État souverain s’est fondé sur la régulation, la

légalité parlementaire et la protection sociale. La citoyenneté, la race et la

protection sociale s’emboîtent avec la souveraineté. Par rapport au nationalisme,

au colonialisme et à l’impérialisme capitaliste, la race constitue un élément del’État-nation. À l’heure de la mondialisation, la race ne représente plus la base de

l’État, dont la structure a été modifiée. On ne trouve pas d’ethnie pure, car un

pays particulier abrite le plus souvent diverses ethnies. Se produit alors un

phénomène d’antagonistes internes et de colonie interne.

Au début du nationalisme, l’ethnicité se construit pour un groupe social, au

nom de la collectivité, par une ethnie, une langue, un territoire, des valeurs

traditionnelles et une origine commune. Cette identité fait converger tous leséléments sociaux composant un groupe social. Ces éléments forment une

communauté naturelle. L’identité et la communauté ainsi formées transcendent

les individus et les conditions sociales. Le concept de nation n’est pas lié avec

l’État, il vise seulement à inscrire un groupe entretenant une relation et habitat

mutuels, à cause de l’environnement. Ce groupe développe ses habitudes et sa

culture, si bien que jours après jours, des valeurs internes se créent. À travers la

langue, il transmet et entretient ces relations auprès de ses membres.

En d’autres termes, une nation fondée sur des relations sociales et des

bases matérielles diffère du sens de l’État. Comme Balibar et Habermas, il faut

distinguer la notion d’ethnos  et de dèmos , le premier renvoie à la race ou l’ethnie,

tandis que le second désigne le peuple. L’ethnos  caractérise le groupe collectif

politique, il est un processus d’homogénéisation. Comme l’être national, il repose

sur l’exclusivité. En revanche, le terme de démos   désigne la population, il

exprime une inclusion. L’ethnos   tend à remplacer le démos   pour cristalliserl’identité et l’appartenance à une nation219. Cette notion se joint aussi, nous

l’avons montré dans le cinquième chapitre, à la définition de la démocratie et de

la politique. Le politique proprement dit renvoie au démos   qui se fonde sur

219  É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, La découverte, Paris, 2001, pp.24-25, 259 ; Habermas,l’intégration républicaine , p.122.

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l’hétérogénéité et l’antagoniste, il désigne le multiple, et non à l’ethnos  dont le

principe repose sur l’homogénéité et l’unicité. C’est pourquoi la notion de

communauté politique sera la communauté du démos et non pas de l'ethnos .

En réalité, la nation marque le passage du pré-politique à l’État moderne,

composé du citoyen et non de la race. Si l’identité nationale ne provient pas de la

race, le peuple peut exercer ses droits de citoyen : l’ethnos   se transforme en

dèmos . Cette naturalisation aggrave la substantialité territoriale et assimile

plusieurs groupes sous une même identité. Cependant, le colonialisme et

l’impérialisme ont fait du nationalisme une idéologie de domination et d’exclusion.

Le nationalisme constitue une idéologie organique correspondant à l’institution

étatique, celle-ci repose sur la formulation d’une règle d’exclusion parl’établissement de « frontières » visibles ou invisibles, mais toujours

matérialisées dans des lois et des pratiques. L’exclusion est donc l’essence

même de la forme de l’État.

Le racisme incorpore donc le nationalisme, le racisme n’est pas une

expression du nationalisme, mais un supplément du nationalisme, mieux encore :

un supplément interne au nationalisme, toujours en excès par rapport à lui, mais

toujours indispensable à sa constitution, et pourtant insuffisant pour achever son

projet220. Le racisme serait de ce fait une conséquence du nationalisme et du

colonialisme, bien que cette relation ne soit pas systématique. La discussion du

problème du nationalisme et du racisme renvoie au démos . En ce sens, nous

entrons dans une citoyenneté concrète et non pas dans une forme abstraite de la

race. Le démos permet la démocratie, la souveraineté du peuple et la

citoyenneté. Les membres agissent comme un pouvoir politique constituant.

Par conséquent, la recherche du racisme ne vise pas à écrire l’histoire du

racisme, mais à élucider la dynamique de la puissance et dans quelle condition,

le racisme pénètre le système dominant. La race, la nation et la classe

connaissent de profonds bouleversements aujourd’hui, ces concepts s’avèrent

ambigus et conduisent à la crise de l’État souverain qui se répercute sur l’identité,

220  É. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe, La Découverte, 1997, p.78.

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la démocratie et la citoyenneté. L’évolution du rôle de l’État implique un nouveau

rôle pour le racisme. Par rapport rôle de la race, au sens large, il apparaît

nécessaire de distinguer deux types de racismes : le racisme et le néo-racisme.

Le premier désigne un racisme qui se réduit à une théorie scientifique,

comme par exemple, le racisme colonial, qui au point de vue biologique, se

fonde sur les « races humaines » et le « sang pur ». Il considère certains

groupes comme infrahumains en raison du sang, de l’hérédité et de la couleur de

la peau. Autrement dit, ce type de racisme affirme une théorie de la hiérarchie

des races. Il divise l’espèce humaine en fonction des caractéristiques physiques

héréditaires et pseudo biologiques. C’est un racisme scientifique ou académique

dans son discours, il raisonne sur la discrimination et les inégalités des races. Ils’agit ainsi d’un racisme du déterminisme, basé sur des critères préférentiels qui

bâtissent un système de valeurs. Il constitue un protoracisme et fonctionne au

service des intérêts de la classe dominante221. Le racisme colonial, le racisme

scientifique ou le racisme biologique s’inscrivent dans cette catégorie. Le

racisme colonial est un racisme extérieur qui pousse à l’extrême la xénophobie

en combinant la crainte et le mépris. Le racisme colonial exclut continuellement,

en droit et en fait, les colonisés en dehors la citoyenneté, de la culture dominanteet de la puissance sociale. Les colonises excluent donc indéfiniment222. Le

nationalisme en soi forme une idéologie de l’exclusion ou de la domination. Le

nationalisme se rattache à l’appareil étatique, ainsi, il crée des règles d’exclusion

et fixe des frontières visibles ou invisibles.

Le deuxième type de racisme préfère conserver les différences. Un tel

racisme est non seulement encore subordonné à la biologique et au principe

scientifique, mais également intègre le culturalisme et le différentialisme223. Ce« néo-racisme » se manifeste comme un racisme culturel et/ou différentialiste.

Ce racisme juge impossible tout système ethnique à cause de la flexibilité de

l’identité. Par conséquent, le néo-racisme, d’un côté, au nom de la disparition

221  Pierre-André Taguieff, Le Racisme, Flammarion, Paris, pp.31-33.222  É. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe , La Découverte, Paris, 1997, p.61.223  Pierre-André Taguieff, Le Racisme , Flammarion, Paris, p.52.

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des frontières, chante la fin de l’apartheid. D’un autre côté, au nom de la

tolérance (la différence culturelle), ce type de racisme considère la culture

comme une objectivation inébranlable. Sous cette définition, la culture humaine

devient une nature différente et un essentialisme culturel, un tel racismeenvisage la culture comme une incommunicabilité radicale. La culture représente

la frontière et introduit une ségrégation intérieure. Par conséquent, le racisme

culturaliste défend la conservation des autres cultures. Elle constitue dans le

même temps une menace intérieure, en raison de son caractère implacable et

inassimilable.

Dans le vocabulaire néo-raciste, le mot « race » a presque disparu pour être

remplacé par celui de culture, d’hétérogénéité et de choix pluriels. Ces derniersdeviennent une matrice faisant passer le racisme par l’identité culturelle et la

différence. Le racisme n’a nul besoin de recourir au terme de race pour s’opposer,

il suffit de postuler une différence insurmontable, une incompatibilité mutuelle et

une impossibilité d’assimilation réciproque entre la population locale et la

population immigrée. Le racisme affirme défendre aujourd’hui le respect des

différences, il ne prétend plus éliminer l’autre, ni même l’assimiler, mais assure

promouvoir la « sauvegarde de la diversité »224

. Dans ces conditions, lexénophobe ne prétend pas exclure l’étranger, au contraire, mais au contraire

insiste sur la spécificité des cultures. Il joue sur le respect et la valorisation des

différences. Le raciste remonte encore un mur au sein de la société. En ce sens,

la différence fait de la société la légalité. Autrement dit, la différence pérennise la

hiérarchie sociale, la discrimination et le préjugé devient un phénomène rationnel.

De même, le respect de la différence amène à défendre l’hétérophilie plutôt que

l’hétérophobie

225

. L’hétérophobie renvoie à la peur de l’étranger, de celui quenous ne connaissons pas bien. C’est ainsi que naît la méfiance, l’étranger

représente un danger potentiel et une sorte d’ennemi intérieur. Sous la base de

cette nouvelle forme de racisme, fondé sur la différence de culture différente,

224  Pierre-André Taguieff, Face au racisme , La Découverte, Paris, 1991, p.23.225  Taguieff, La force du préjugé . Essai sur le racisme et ses doubles , La Découverte, Paris,1988.p.14

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l’immigration est érigée en un enjeu social et politique majeur. Le néo-racisme se

tourne contre l’immigration. Il est un racisme de la décolonisation et de la

scission de l’humanité à l’intérieur d’un espace politique unique. Ce néo-racisme

ne fonde pas ses préjugés sur la race, mais sur différence de culture. Cetteforme de racisme s’éloigne du racisme colonial, pour laisser la place à un

racisme culturaliste. Autrement dit, il s’agit d’un racisme sans races226.

Comme René Girard le souligne, la société occidentale a instauré un

mécanisme de violence légal afin de maintenir une stabilité sociale et prévenir

tout risque de crise sociale. René Girard avance le concept de « bouc

émissaire » dans le cadre d’un processus de régularisation de la violence. Pour

lui, l’ordre sociétal fondé sur la différence se retrouve dans tous les domaines. Leconflit apparaît de ce fait inévitable et conduira à la violence et menacera le

groupe social dominant. Trouvant les destructeurs pour reprendre l’ordre social.

En général, les immigrants, les pauvres représentent toujours un groupe

inassimilable et inclassable, ils forment un groupe exclu. Ils deviennent alors

naturellement les figures classiques et idéales du bouc émissaire. En tant que

destructeur, le bouc émissaire facilite pour la société la désignation de la source

de la violence, un immigré est refoulé parce qu’il représente une menace pourl’ordre public. La société croit trouver en l’exclusion du perturbateur un moyen lui

permettant de ressouder le groupe. Autrement dit, le bouc émissaire est sacrifié

et son élimination permettra de résorber la crise. Dans les sociétés modernes,

cette ritualisation de la violence s’avère obligatoire. La violence apparaît légitime

à la majorité de la communauté, sa fonction visant à la reconduction des règles

de différenciation. En se sens, la violence est pérennisée par la peur et la

ségrégation. Ces mécanismes de violence rituelle et sacrifiée deviennent unevoie de stabilité sociale et s’emboîtent dans l’institution étatique.

D’après ce qui vient d’être dit, la différence entre le racisme colonial et le

néo-racisme apparaît clairement. Auparavant, le racisme agissait comme un outil

226  Taguieff, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles , La Découverte, Paris,1988. ; É. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe , La Découverte, Paris, 1997, p.32

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de domination, grâce auquel le colonisateur exerçait une exploitation forcenée.

Le racisme colonial écarte le non-blanc afin de faciliter la domination de

servitude. Les pauvres se trouvent encore admis dans la société, bien qu’ils

soient cantonnés dans les marges, car ils servent toujours de force du travailexploité. Il s’agit d’un racisme inégalitaire. Le néo-racisme est un racisme

différentiel, il se montre hostile à l’immigration, considérée essentiellement

comme une agression extérieure. Selon cette logique, les cultures des

populations immigrées ne pourront jamais fusionner avec la culture locale. Il faut

ainsi exclure ou discriminer ces cultures avec lesquelles la communication

s’avère impossible.

La question du racisme ne tient pas à la différence de culture, elle ne serésout pas par le pluralisme culturel ou une attitude tolérante. La question réside

dans le fait que le racisme représente un instrument du dominateur. La clé ne se

trouve pas dans le pluralisme et la tolérance, car ces principes se subordonnent

aux valeurs des puissants. Le système des valeurs ne fonctionne pas comme

une détermination unique, mais une surdétermination. La question du racisme ne

consiste pas à créer une valeur multiculturaliste,  mais à lutter contre la

manipulation dominante. Elle ne vise pas à développer la tolérance ethnique,mais contribue à soutenir une haine sévère contre un ennemi politique

commun227.

6.1.3 L’immigration::::l’étranger de l’absence double

Précédemment, il est apparu que la question du racisme ne résidait pas tant

dans la culture, mais concernait la question du dominateur, qui manipule et

exerce violence et discrimination pour imposer sa domination. Réfléchir au

racisme nécessite de discuter en même temps de la violence et de l’identité.

Balibar considère la question de l’apartheid comme liée à la violence de la

frontière. Fondée sur le concept de la souveraineté, la frontière entrave ainsi les

227 S. Žižek, The Fragile Absolute , verso, 2000, pp.10-11.

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droits de l’homme. Balibar critique l’équation citoyenneté = nationalité . Il indique

que la notion du citoyen entretient une tension entre deux concepts du peuple228 :

le rapport entre le droit du citoyen et les droits de l’homme. Auparavant, ces deux

concepts incluaient « das Volk », une communauté repose sur le principed’égalité et de justice sociale. Après l’État-nation, le rapport devient « ein Volk ».

Cette communauté se forme à partir de la nation, l’État-nation réduit ainsi le

concept de l’homme à celui de citoyen qui renvoie à l’identité de l’appartenance.

La citoyenneté moderne définit la relation à l’État souveraineté, ainsi, elle

désigne une identité juridico-politique. Dans sa dimension politique, le citoyen est

un membre de la souveraineté. Dans sa dimension juridique, le citoyen possède

les droits et responsabilités. Une telle relation est ébranlée par la fluidité, lesimmigrants apparaissent comme des citoyens « branlants », qui compromettent

directement la notion de souveraineté et de citoyen. La fracture entre l’identité du

citoyen et celle de l’immigrant provoque une crise politique, dans la mesure où

beaucoup de gens ne sont pas insérés dans le processus de construction

politique. Du point de vue de l’État, les immigrants constituent un groupe sans

gouvernement. Les immigrants apparaissent comme un groupe ne disposant

d’aucune protection. L’écart ne cesse de se creuser entre les immigrants et les

politiques officielles. La crise de la souveraineté transparaît également sur l’État

qui ne peut plus prendre de mesure politique tout seul. L’État ne réalise plus ses

structures lui-même. Face à l’immigration, l’État se voit obligé de changer les

règles citoyennes.

L’État doit s’adapter à la présence d’une présence considérable d’immigrés

dans son territoire. Le concept de citoyen ne suffit plus à répondre aux enjeux

actuels, car il s’avère trop contraignant. En d’autres termes, la citoyenneté, entant que mécanisme démocratique doit se fonder sur l’exclusion, la sélection et

l’apartheid. Au sujet de l’apartheid, Balibar propose le concept « d’impuissance ».

Pour lui, ce phénomène revêt deux dimensions : d’un côté, l’État contrôle de

façon apathique les flux mondiaux, notamment les flux financiers, tandis que

228 É. Balibar, Droit de cité, PUF, 2002, p.67.

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l’État se montre impuissant à se réformer par lui-même. L’État manque ainsi de

capacité au devant de la crise. D’un autre côté, le peuple se montre incapable

d’exercer une quelconque influence sur son gouvernement. L’État tente de se

renforcer en tentant de réguler les conséquences de la fluidité. En établissantdes mesures sécuritaires invisibles, l’État institue un système d’apartheid qui

repose sur la préférence nationale, censée assurer la distinction entre les

individus situés « du bon côté » et les « sous-hommes229  ».

Balibar observe un phénomène de « frontière interne », qui favorise la

délimitation administrative, faisant de l’étranger un type social et un fait

anthropologique. Les frontières servent aux États d’instruments de distinction,

soit par la naissance, soit par la naturalisation. De telles frontières nes’appliquent pas seulement au territoire, mais aussi à la culture, au système et

au droit230. Le statut étranger ou civique ne se décide pas seulement par la race,

mais également par la langue, la culture et la position sociale. Il résulte de cette

nouvelle forme d’étranger que la frontière ne réside pas dans la marge, mais à

l’intérieur du territoire. De nouvelles frontières de classe se trouvent ainsi tracées,

instaurant un système d’apartheid mondial. Ces frontières cibles non seulement

les immigrants, les étrangers, mais aussi les pauvres, et plus globalement lesfaibles. Ce type de frontière invisible conduit beaucoup de personnes,

volontairement ou involontairement, en dehors de la loi. Ces populations ne

disposent d’aucun droit, ni d’aucune protection (logement, travail, santé).

Sous l’angle de la dimension culturelle et physique, les immigrants quittant

leur famille, leur village ou leur pays, sont considérés comme des absents, des

traîtres à la patrie d’origine. Une telle stigmatisation incite les gens à ne quitter

que difficilement leur région. La condition de l’abiotique les oblige pourtant à fuirpour vivre. Le droit de circulation est un droit fondamental, même si les

conséquences des migrations se révèlent douloureuses. Malheureusement,

l’ironie est que lorsqu’ils parviennent au pays d’accueil, ils sont considérés

229  Ibid., pp.112-113.230 É. Balibar, Europe Constitution Frontière , Passant, Paris, 2005, p.135.

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comme des étrangers. Ils incarnent la force du travail ou des forces destructrices.

Les immigrants deviennent une double absence. Leur identité s’avère troublée.

D’un côté, évoluant dans un environnement étranger, les populations locales les

envisagent par la haine. D’un autre côté, ils ne trouvent pas facilement du travaildans ce pays. Ils sont en quête de valeur subjective et de reconnaissance

sociale. Il leur est quasiment impossible de s’adapter. Un immigré sera toujours

un immigré, le travailleur immigré est considéré comme un "non-national". Tel se

présente le malaise des migrations.

Les immigrants souffrent non seulement d’un traitement différent, mais aussi

d’un sort inéquitable. Les immigrés apparaissent comme des « nomades sur

place ». Ils se trouvent dans une citoyenneté incertaine, leur qualification decitoyen tend à disparaître. Même s’ils sont naturalisés, ils souffrent encore de

préjugés et sont considérés comme une classe dangereuse et menaçante. Ils

subissent un contrôle encore plus étroit. Les immigrants se trouvent doublement

exploités par la puissance. Ceux qui méprisent les immigrants se sentent du bon

côté, parce qu’ils, d’une part, réprimandent le « mal », d’autre part, défendent les

valeurs traditionnelles. La souveraineté contribue ainsi au développement d’un

racisme institutionnel et d’une violence institutionnelle, influençantinsensiblement sur des attitudes collectives et sur la vie quotidienne. Un tel

racisme institutionnel favorise l’émergence d’un système de préjugés ou

d’idéologies de rejet de l’Autre. En détestant les immigrants, les dominants

établissent une forme de « bien », l’équation se manifeste ainsi : étranger = le

mal, la patrie = le bien. En outre, il s’agit d’une xénophobie double, concrète sur

le plan ethnique, et abstraite au niveau culturel abstrait. Les immigrants sont

stigmatisés comme source de terrorisme. Aujourd’hui, l’exclusion stigmatise nonseulement le terrorisme, mais aussi les bénéficiaires d’aide humanitaire, les

sans-papiers, les bidonvilles231.

Balibar emprunte la notion de Schmitt : la souveraineté se reconnaît dans

l’état d’exception. Elle s’établit dans le cadre de la frontière et s’exerce avant tout

231 S. Žižek, Que veut l’Europe , Climats, Paris, 2005, p.67.

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dans l’imposition des frontières. Celles-ci sont considérées comme le lieu où sont

suspendus  les contrôles ou les garanties de l’ordre juridique " normal " et le lieu

où le " monopole de la violence légitime " prend la forme d’une contre-violence

préventive. La violence est censée domestiquer la violence en la mettant auservice de la rationalité étatique232  La frontière ne doit pas être simplement une

ligne, mais un lieu où il est possible d’intégrer la force, la société et la puissance.

Autrement dit, dans ce lieu, nous distinguons l’ami et de l’ennemi, et par voie de

conséquence « nous » et « l’étranger ». Ce lieu ne se décide pas par une simple

ligne géographique mais par la culture ou l’économie. On pourrait parler de

frontière invisible. Il est possible de trouver un ennemi intérieur, au sein même de

la société elle-même. Un tel ennemi est déterminé sur les pauvres, lesimmigrants, dont la vie est marquée par l’instabilité, et donc par l’insécurité, le

danger, l’insociabilité. Les nouvelles « classes dangereuses » du prolétariat

international sont tendanciellement subsumées sous la catégorie de

l’« immigration ». En ce sens, ils s’inscrivent également dehors de la frontière

sociale, ils forment des existants marginaux. La violence légale exerce sa

puissance au-delà de tous les cadres juridiques, la souveraineté pourrait imposer

un raisonnement de violence à exercer sur les pauvres. Ceux qui se trouvent

également comme un ennemi intérieur, ne viennent pas de l’extériorité, mais de

l’« Einbildungskraft » Kantienne. Le pouvoir transcendantal de l’imagination : afin

de reconnaître l’ennemi, il est nécessaire de « schématiser » la figure logique de

l’Ennemi, en lui apportant les caractéristiques concrètes qui feront d’elle une

cible appropriée de la haine et de l’acharnement233.

Quand les racistes cherchent les sources de la violence, ils visent d’abord

les étrangers, les populations qui ne sont pas installées. L’insécurité sert auxracistes à modeler une symbolique au sens de la vie quotidienne, ce qui leur

permet d’affirmer aisément que les étrangers sont essentiellement la source de

la violence. Ces préjugés et cette stigmatisation se mettent au service des

exemples ordinaires, les étrangers subissent une violence irrationnelle. Les

232 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, La découverte, Paris, 2001, p.266.233 S. Žižek, Que veut l’Europe , Climats, 2005, pp.79-80.

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racistes jouent un rôle de justice et rationnel, ils obtiennent de ce fait une légalité

dans la discrimination et la xénophobie. Après le 11 septembre 2001, nous

sommes entrés dans une guerre permanente antiterroriste. Nous sommes

placés sous la menace d’un état d'urgence permanent sans guerre. La paix et laguerre sont devenues indiscernables. C’est une menace totale, tout le monde

devient l’« ennemi intime ». Cependant, une telle menace ne vient pas d’un État

déterminé, mais de forces anonymes, au nom du Bien contre le Mal234. Comme

Badiou décrit, Sarkozy est représentatif d’une société qui a peur et qui demande

qu’on la protège. Cette société réclame un maître protecteur capable de recourir

à la violence contre ceux se trouvant à l’origine de la peur. La demande de

protection et Sarkozy sont révélateurs de ce phénomène. Le vote pour Sarkozyreflète une demande de protection235.

La question de l’immigration repose sur une complicité avec la xénophobie

et la ségrégation : l’attraction et la répulsion existent inextricablement dans notre

société. Un tel contexte obscur pénètre notre quotidien et devient une

quasi-ontologie, l’immigration est considérée comme un ennemi intérieur. En ce

sens, la discrimination contre les immigrants est légalisée, nous disposons

même le droit d’imposer sa violence contre eux. Il faut donc renouveler la figurede l’immigration. Balibar emprunte la notion chez Derrida : la frontière est un

concept courant. Le centre et le périphérique constituent également un concept

fluide. La soi-disant frontière n’est pas non plus d’un abord unique, mais s’avère

modifiable. La question sur la détermination des droits du citoyen peut alors sans

cesse se modifier. Les droits du citoyen ne se décident pas par la frontière, ils se

déterminent par rapport à un espace commun. Le droit du citoyen ne se

détermine pas par la qualification du citoyen, mais par la personne résidant surce territoire. En d’autres termes, la frontière ne constitue pas une marge, mais

une relation totale et un espace. Lorsque la frontière se prolonge, elle inclut plus

de membres : tous doivent bénéficier d’une protection égale. Dans ce cas, les

234 D. Bensaïd, Eloge de la politique profane , Albin Michel, 2008, p.102.235  A. Badiou : « Notre société est une société de violence », Entretien à propos de la sortie deson livre : De quoi Sarkozy est-il le nom ? Sur France 3, 31 octobre 2007.

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migrants sont de simples voyageurs qui mettent en relation des communautés

étrangères et des territoires236. Balibar appelle à renforcer les droits sociaux en

droits politiques pour les travailleurs immigrés, voire même les sans-papiers, afin

de lutter contre l’apartheid et la surexploitation. Cela contribuera à faciliterl’intégration des travailleurs dans la citoyenneté par des procédures de

naturalisation ou de double nationalité237. Les immigrants sont aussi des citoyens

actifs, ils décomposent et recomposent différemment les frontières à l’intérieur

de l’État et démocratisent les instructions politiques et frontières.

Balibar préconise également de reconstituer un démos  pour la démocratie :

« das Volk », qu’il faut privilégier par rapport à « ein Volk »238. Cela implique de

préférer la civilité à la nationalité. L’État-nation actuel ne permet pas d’étendrepas les droits de l’homme et les droits sociaux. La citoyenneté est une

citoyenneté imparfaite et un concept encore obscur. Pour rétablir la démocratie,

la citoyenneté ne doit pas non plus être une demi-citoyenneté ou une citoyenneté

limitée, elle doit constituer un accès aux droits fondamentaux pour le plus de

membres possibles. Pour tout individu sur la terre et il doit exister au moins un

lieu où il peut bénéficier de ses droits de citoyen.

Nous pourrions dit que le droit de cité239  dépasse le concept de citoyen, car

il s’oppose à la notion de sans-papiers et envisage la loi nationale comme un

obstacle. La notion de la citoyenneté nous semble trop restreinte, car elle se

236 É. Balibar: L’Europe, l’Amérique, la guerre. Réflexions sur la médiation européenne , ÉditionsLa Découverte, Paris 2003, p.168.237 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe, La découverte, 2001, pp.79-80.238 É. Balibar, Existe-t-il un racisme européen ?

239  Le droit de cité   n’équivaut pas strictement au droit du citoyen, ni au droit de résidence. Ilpossède un sens plus large sens que les deux derniers termes. En effet, le droit de cité  accordeégalement aux exclus un droit de décision. Les exclus ont alors la possibilité de s’engager dansles affaires publiques et les discussions communes. En s'engageant activement, les excluss’intègrent dans la société totale. Ils apparaissent comme un participant positif, non pas commeune population illégale. Ils participent à l’élaboration et à la création de la société de l’avenir. Parconséquent, ils se manifestent comme une partie de « nous ».Nous considérons le droit de cité comme une idée de l'égalité. Bien que l’exclu ne dispose pas dequalification de citoyen, il bénéficie également d’un droit de participer aux affaires publiques. Àtravers l’idée du « droit de cité », nous élargissons non seulement le concept de citoyenneté,mais encore l’associons au concept des droits de l’homme.

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limite dans un cadre de l’État souverain. Elle distingue la population légale de la

population illégale, la sociale se trouve scindée en deux groupes. Le droit de cité

constitue un des droits fondamentaux, il relève de l’universalisme et de

l’appartenance à l’ordre politique. Le droit de cité permet donc de participerdirectement aux affaires publiques. Nous devons lier directement le droit de cité

et les droits de l’homme. Il s’agit d’ouvrir un principe d’inclusion et de

généralisation de droit, le droit du logement est donc un droit généralisé, non pas

seulement un droit du citoyen. Les droits de l’homme ne doivent pas être

subordonnés aux droits du citoyen, au contraire, les premiers se trouvent

au-dessus des seconds. Le problème doit dépasser le simple niveau de l’État

souverain. Le droit de cité inclut tous les éléments intermédiaires entre un droitde résidence comme normalité de l’existence sociale et un exercice des droits

politiques dans les lieux et les ensembles où les individus et les groupes ont été

« jetés » par l’histoire et l’économie. Il faut considérer le droit de circulation

comme un droit fondamental, il s’avère nécessaire de sortir de la logique

répressive et de reconsidérer le principe de frontière commune. Cela n’entre pas

uniquement dans les intérêts des clandestins divers de ne plus avoir de risque de

repartir. Cela ouvre également des perspectives de transformation sociale, ainsi

que pour la civilité dans cette ère de mondialisation. Plus les frontières se

ferment, plus les gens vivent en dehors de toute protection, c’est pourquoi les

pays de départ et d’accueil gagnent tous les deux à rétablir le droit de circulation.

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  282

6.2 La violence de la résistance

Nous pensons lutter contre la violence structurelle par les deux concepts

suivants : la violence de la résistance et la politique de la civilité, par lesquelles,

nous exercerons la décolonisation et l’anti-violence. Nous acquérions surtout la

liberté et nous créerions une société de « l’égaliberté »240. Nous démontrerons

que la violence de la résistance ne consiste pas seulement aux aspects négatifs

de la violence structurelle, puisqu’elle crée aussi un lieu pour la discussion

publique. Un tel lieu fait renaître la politique et la démocratie.

Dans la section 6.2.1, nous montrerons que la violence de la résistance

n’est pas non plus une force de contre-violence ou ne vise pas à insuffler plus de

violence. La violence du dominé est toujours une résistance, elle constitue une

non-violence ou une anti-violence dans les mouvements de décolonisation. Il

s’agit de chercher un équilibre entre les groupes ethniques dans le cadre des

frontières existantes. La violence de la résistance est obligatoirement une praxis.

Le colonisé ou le dominé se libère dans et par la violence. Le sens de la violence

dans ce cas ne signifie pas de l’employer comme un instrument de domination,

comme c’est le cas de l’impérialisme ou du colonialisme, mais plutôt de

constituer une arme de résistance.

La force de la décolonisation vise à lutter contre les structures politiques

dominantes aggravant l'exclusion ethnique. La violence de la résistance cherche

à rétablir une relation sociale. Elle ne détruit pas seulement le système du

colonisé, mais instaure une relation solidaire.

La violence de la résistance peut donc être considérée comme une forcepositive, elle apparaît comme un « lieu » dans lequel se forment des subjectivités

actives et des solidarités collectives.

Dans la section 6.2.2, nous mentionnerons la civilité en tant qu’espace

public, conflictuel, polémique et en tant que lieu ouvert au dialogue. La politique

240 É. Balibar, Les Frontières de la démocratie , Découverte, 1992, pp.124-150 ; 248-249

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de la civilité renferme deux sens : d’une part, elle élargit les horizons de la

démocratie et l’anti-violence ; d’une part, elle est un processus continuel

contribuant à se rapprocher d’un ordre public idéal : si un tel ordre accentue le

conflit, il défend la dialectique ouvertement.

La politique de civilité s’avère aussi antipolitique. Elle détruit la politique

préexistante, celle qui sert d’instrument de contrôle policier, de ségrégation

sociale et de distribution inégale. La civilité constitue aussi une force, elle tente,

au sens de « l’égaliberté », de concentrer les forces diverses afin de contrer la

violence et restaurer la démocratie. La civilité évite alors la violence et

particulièrement les répressions sanglantes, voire les massacres.

6.2.1 Le nationalisme en tant que violence de la résistance

Le racisme en tant que violence de l’objectivité, la souveraineté construit un

système institutionnel, elle attribue l’identité de terroriste aux immigrants, aux

étrangers, sur lesquels elle exerce de façon licite la violence et la discrimination.

Dans ces conditions, nous pouvons parler de néo-racisme, car des personnes se

trouvent privées de tous droits, non pas à cause d’un crime, mais du fait qu’elles

se trouvent dans l’inégalité, qui se décide par des critères économiques,

techniques, la culturels, voire la couleur de la peau.

Balibar distingue deux modes de violence dans le capitalisme d’aujourd’hui :

la violence objective et la violence subjective. Ces deux modes, quoique

opposés s’avèrent complémentaires241. L’"ultra-objectivité" de la violence ou

violence structurelle est instituée par le capitalisme et incorporée par les

conditions sociales. On pourrait avancer qu’il s’agit d’une violence invisible et muette, parce qu’elles font corps avec les fondements de la société et de la

culture. La violence objective loge au sein de la condition sociale de l’empire du

capital, elle produit autonomie d’être homme inutile et exclu. Elle sert d’outil de

241  É. Balibar, La Crainte des masses , Galilée, 1997, p. 415 ; É. Balibar, Gewalt ; Violence etcivilité. Sur les limites de l'anthropologie politique , coll. La question de l’humain entre l’ethnique etl’anthropologie, sous la direction de Alfredo Gomze-Muller, l’Harmattan. 

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marginalisation aux détenteurs de la "force légitime". Toutes ces violences

s’inscrivent dans un contexte général de dégradation des rapports sociaux et de

dissociations du lien social242. Elle pénètre structurellement les mécanismes de

domination et d’exploitation. La violence institutionnelle n’apparaît passimplement par l’État et l’institution, mais aussi par des structures sociales et

dans le quotidien. Bourdieu parle de violence symbolique, tout pouvoir de

violence symbolique impose des significations comme légitimes en dissimulant

les rapports de force se trouvant au fondement de sa force. Ce pouvoir ajoute sa

propre force, spécifiquement symbolique, aux rapports de force243. L’idée de

Bourdieu soulève trois problèmes, tout d’abord, la violence coexiste avec toutes

les règles tacites du jeu institutionnel, ensuite, la violence est un processusd’imposition, et enfin, une telle imposition n’est pas considérée comme une

répression ou une violence cruelle. Cette violence est au contraire intégrée à la

légalité. Ce processus tend à attacher une structure sociale justifiant une relation

de pouvoir. La violence se cache et se reproduit au sein de la structure sociale,

une telle violence structurelle apparaît comme une « cruauté sans visage ».

Arendt montre également que l’État constitue un instrument de violence au

service de la classe dominante. Celle-ci n’exerce toutefois pas son pouvoir enrecourant à la violence. Son pouvoir réside dans son rôle de classe dirigeante

dans la société ou plus exactement, dans le processus de production244. La

violence structurelle n’impose pas uniquement une exemplarité du crime, elle

s’exerce sur les étrangers. Elle se lie au social et exclut automatiquement les

individus « jetables ». Cela contribue de même à disjoindre une population inutile,

superflue et en quelque sorte « jetable ». Nous pourrions rappeler

l’"ultra-objectivité" de la violence, qui reproduit le processus de l’homme jetablesur les chômeurs, les immigrants et les sans-abri (en référence à « la vie nue »

d’Agamben). Ces populations subissent la violence, celle-ci ne s’applique pas

242 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe , La découverte, 2001, p.87243  Bourdieu, Passeron, La reproduction, Les Editions de Minuit, 1970, p.18 ; Bourdieu, RaisonPratique , Seuil, 1994, p.54244  Hannah, H. Arendt, Du mensonge à la violence , Calmann-Lévy, 1972, p.114.

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seulement aux citoyens étrangers ou aux sans-papiers, mais aussi à tous les

exclus de la part. Par conséquent, cette part des sans-parts n’accomplit pas

l’idée de liberté et de l’égalité.

Žižek élucide un discours en cours, la violence objective est un concept de

l’inconscience et de l’anonyme. Cependant, Žižek souligne que la violence

objective n’apparaît jamais inconsciente. Les fantasmes de la réalité et du

mensonge de la l’inconscience s’écroulent, même si la violence semble invisible

et muette, le pouvoir (de l’État) et le capitalisme exercent celle-ci toujours

volontairement. Žižek, selon la perspective lacanienne, distingue d’abord le

Réel du Symbolique. Le Réel désigne cet inaccessible qui nous échappe. D’un

autre côté, le Symbolique contribue à simplifier l’ordre idéologique et inconscientqui nous structure à notre insu. Au Réel et au Symbolique vient s’ajouter la

sphère de l’Imaginaire, où prennent forme tous nos fantasmes individuels et

collectifs.

L’imaginaire de la violence est une création humaine, ce sont les hommes

qui créent une Symbolique qui, à la fois procède et se déroule dans la vie

quotidienne. Une telle Symbolique devient la réalité et peut être considérée

comme la Réalité. La violence renvoie ainsi à l’inconscience et l’inconstatable. La

réalité symbolique remplace la relation sociale réelle, les hommes prétendent à

la réalité et au critère dans le Symbolique. Cette Symbolique inconsciente

domine les valeurs ordinaires. Des populations incarnent ainsi la figuration des

étrangers, cette Symbolique inconsciente rend les étrangers dangereux et

irraisonnables. Le Symbolique apparaît comme une violence structurelle, même

s’il semble inconscient. Par la légalité, la justice, il s’avère possible d’imposer

naturellement la cruauté aux étrangers, la discrimination et la xénophobie. PourŽižek, le Symbolique se compose aussi de la logique spectrale du capitalisme,

ce capitalisme abstrait domine la société réelle, il représente un « autre »,

auxquels les gens doivent se subordonner et se conformer à sa logique. La

réification, la marchandisation, le libre échange ne sont pas forcément dans la

société réelle, ils sont l’imaginaire et le symbolique de la légalité. Le Réel existe

toujours en dehors du Symbolique. Žižek analyse la mondialisation et les

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mantras du libre échange comme faisant partie de la « violence systémique et

anonyme » du capitalisme. Cette violence n'est plus attribuable à des individus

concrets et à de "mauvaises" intentions de ces derniers. Elle est purement

"objective", systémique, anonyme 245 . La subjectivité se cache sous leSymbolique, elle n’est pas la capacité de l’interrogation et de la réflexion : elle est

intégrée dans le Symbolique. La société réelle n’existe pas, la subjectivité

poursuit et exerce la réalité du Symbolique246.

À l’opposé de l’"ultra-objectivité" de la violence, se trouve l’"ultra-subjective"

de la violence (la violence subjective) des nouveaux fondamentalismes

ethniques. La violence subjective, issue du fondamentalisme religieux ou de la

race. La violence du racisme, au nom de l’ensemble et de la protection, instaureune circulation fermée. L’ethnique apparaît simultanément comme une

communauté imaginaire d’appartenance et comme un sujet collectif de la fidélité.

Il noue une tension entre l’aspiration à l’universalité de la vérité et construit la

définition d’une identité politique particulière. Autrement dit, le racisme est

alimenté par la peur, qui permet de raisonner la discrimination et d’imposer une

loi d’exception à l’étranger. La race d’un côté s’organise la communauté

imaginaire, d’un autre côté, reproduit la citoyenneté afin de faciliter la désignationde l’étranger. L’État place l’étranger dans l’état d’exception. Le droit du travail, du

citoyen, voire plus largement les droits de l’homme disparaissent. Tant la

violence objective que la violence subjective sont une imposition et sont

complémentaires.

Il faut se défendre d’identifier simplement la violence des dominants à celle

des dominés. Passant par Benjamin Sorel, et Bensaïd indiquent que la violence

comporte deux contenus, la violence fondatrice et la violence conservatrice. Lapremière est une force instituante et une violence d’en bas, qui crée un droit

nouveau et se trouve exercée par la population ; la seconde est une force

instituée et une force d’en haut, qui conserve un droit acquis et révèle la brutalité

245  S. Žižek, Le spectre rode toujours. Actualité du Manifeste du Parti Communiste , EditionsNautilus, 2002, pp. 13-14246 S. Žižek, The Fragile Absolute , Verso, 2000; Sublime Object of Ideology, Verso, chapter V, VI,

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de l’État247. La violence du dominé apparaît toujours comme une résistance, elle

constitue une non-violence ou une anti-violence dans les mouvements de

décolonisation. Il s’agit de rechercher un équilibre entre les groupes ethniques

dans le cadre des frontières existantes. La force de la décolonisation vise plutôtla lutte contre les structures politiques dominantes renforçant l'exclusion

ethnique. Le colonisé ne peut sortir du monopole de la violence que dans la

violence de la société coloniale. La violence est exercée sur la colonie,

cependant la violence caractérise aussi la décolonisation. Elle constitue toujours

un phénomène violent, elle est dialectique. Elle surgit à la fois de la situation

coloniale et de la décolonisation.

D’après Fanon, la violence est toujours à rattacher à son contexte historiqueet économique. Dans la situation coloniale, elle est une réalité dérivée et

médiatisée par les processus d’exploitation du colonialisme. Fanon remarque

que la violence a présidé à l’arrangement du monde colonial en faveur de la

destruction des formes sociales indigènes. Le colonisateur redéfinit les valeurs

du monde colonial, qui dessinent un monde manichéen, le colon fait du colonisé

une sorte de quintessence du mal. La société colonisée n’est pas seulement

décrite comme une société sans valeur et elle est l’ennemie des valeurs248

. La justification de la violence est fondée sur le postulat qu’elle transforme le

psychisme de l’homme opprimé. Il s’agit seulement d’une partie de la violence,

dans la mesure où le colonisé est dominé et non pas domestiqué. Malgré la

contrainte, Fanon pense que le peuple colonisé s’organise toujours pour la lutte

et l’émancipation. La violence est une arme dialectique, pour le colon, elle est un

instrument répressif, tandis que pour le colonisé, elle représente une voie

d’émancipation. La violence de la décolonisation signifie à la fois déconstructionet reconstruction, le colonisé d’une part détruit le système colonial, d’autre part, il

construit une pensée de la violence au sein d’un contexte historique. Fanon

observe ainsi que « le colonisé découvre le réel et le transforme dans le

mouvement de sa praxis, dans l’exercice de la violence, dans sons projet de

247 D. Bensaïd, Le pari mélancolique , Fayard, 1997, pp.177-178248 F. Fanon, Les damnés de la terre , La découverte, 2005, p.44

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libération249 ».

Pour Fanon, le sens de la violence ne signifie pas servir d’instrument de

domination, comme dans le cas de l’impérialisme ou du colonialisme, mais

constitue une arme de résistance. La violence de la résistance n’est pas non plus

une force de contre-violence ou ne vise pas à insuffler plus de violence. Fanon

souligne que la violence ne sert pas à lutter contre la violence, mais plutôt à

détruire le système dominant. À cause de la répression qui renforce les progrès

de la conscience nationale, le peuple colonisé investit spontanément sa violence

dans la tâche coloniale de destruction du système colonial250. La violence ne

détruit pas seulement le système du colonisé, elle instaure une relation solidaire.

Nous considérerons la violence de résistance comme une force positive, elleapparaît comme un « lieu » dans lequel se forment des subjectivités actives et

des solidarités collectives251. La violence de la résistance cherche à rétablir une

relation sociale, Fanon entrevoit la violence comme une praxis. Pour le colonisé,

cette violence représente la praxis absolue. Le colonisé se libère dans et par la

violence252. La violence de la résistance doit relever d’un universalisme, et non

d’un universalisme extensif fondé sur l’idéologie dominante. Il s’agit plutôt

d’« universalismes intensifs », renvoyant à un universalisme de libération, denon-discrimination.

La décolonisation, par le nationalisme, apparaît comme une force de révolte

qui concerne d’une part l’émancipation de l’individu, d’autre part, tente de

surmonter la barrière de la race, pour constituer une idéologie totale (et non un

totalitarisme)253. Elle s’avère capable d’intégrer un grand nombre d’identités et

249  Ibid., p.59250  Ibid., pp.70-71251 É. Balibar, Violence et civilité. Sur les limites de l'anthropologie politique , coll. La question del’humain entre l’ethnique et l’anthropologie, sous la direction de Alfredo Gomze-Muller,l’Harmattan, pp.172-173252  Fanon, Les damnés de la terre , La découverte, 2005, pp.82-83253  Nous pourrions nous référer à l’idée de M. Löwy. Celui-ci considère la délocalisation commeune révolution sociale. La délocalisation concerne toujours la liberté et la révolte. Le nationalismedevient un nationalisme de la résistance (le nationalisme socialiste). Ce dernier s’oppose aunationalisme idéologique. En ce sens, le nationalisme favorisera l’internationalisme socialiste.

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d’appartenances différentes, lutte contre la xénophobie et la répression de

l’empire. Le nationalisme, en tant qu’outil de la décolonisation, s’apparente à une

universalité qui s’oppose à la conception du monde totalitaire fondée sur la

perspective d’un destin commun ou sur la naturalisation de l’identité. Il serapproche aussi de l’hégémonie de Gramsci, il peut devenir une force de

résistance pour défendre l’égalité254. Il en résulte que la violence de la résistance

agit comme une force, qui à la fois rappelle la reconnaissance au rapport social

et au contexte historique, et détruit le système dominant. La violence élargit

l’espace social et libère les hommes.

6.2.2 La politique de la civilité et la démocratisation

De ce qui vient d’être dit, la violence de la résistance est apparue à la fois

comme une force de déconstruction et reconstruction. Autrement dit, l’extrême

violence sert pour lutter contre la domination et obtenir l’égalité. Le but ultime de

la violence vise toutefois à établir un nouveau modèle social. Après une

révolution violente, d’autres moyens doivent être trouvés pour assurer l’égalité et

l’émancipation. Il est possible d’emprunter le concept de la civilité chez Balibar.

Ce dernier distingue sous l’angle de la critique d’abord trois formes de la politique

démocratique : l'émancipation , qui renvoie au sens "autonome" du politique

compris comme une fin en soi et non comme une forme du social.

L'émancipation se trouve aujourd'hui liée à la réflexion sur le sens et le sort de la

politique démocratique, elle ne doit pas se réduire à la constitution de la

citoyenneté ; Les transformations structurales , qui désignent l’aspect

"hétéronome" de la politique, et enfin la civilité   qui consiste à produire des

conditions de possibilité de l'action politique au travers de la réduction des

formes d’extrême violence255.

Il faut élucider d’abord les concepts de la citoyenneté et de la civilité, la

Voir, M. Löwy, Patries ou planète ? Nationalismes et internationalismes de Marx à nos jours ,Éditions Page Deux, 1997.pp.82-84 254 É. Balibar, Quel universalisme aujourd'hui ?, 3 décembre, 1993.255 É. Balibar, Nous, Citoyens d’Europe , op.cit., pp.183-184.

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définition de la modernité de la citoyenneté statuant les droits et les devoirs, ce

qui contribue de réconcilier l’individuel et le collectif. Sa figure juridique puise ses

sources dans le droit naturel moderne, dans les Déclarations des Droits de

l'Homme des révolutions nord-américaine et française, et dans les principes desouveraineté des États nationaux. La Civilité   trouve la même racine latine que

celle du citoyen, elle est porteuse d'une expectative et d’une condition

d’ouverture. Elle insiste sur la permanence et la recréation d'un espace public de

régulation des conflits.

Face à la xénophobie et la violence, Balibar préconise le concept de la

politique de la civilité, parce que la démocratie ou la violence réduisent la

possibilité de la politique. Pour lui, la politique de la civilité renferme deux sens:

l’élargissement des horizons de la démocratie et l’anti-violence. D’une part, elle

est un processus continuel contribuant à se rapprocher d’un ordre public idéal : si

un tel ordre accentue le conflit, il défend la dialectique ouverte. La civilité se

caractérise comme un espace public, conflictuel, critique, mais également une

ouverture au dialogue. En ce sens, elle s’avère aussi antipolitique, elle détruit la

politique préexistante, servant d’instrument de contrôle policier, de ségrégation

sociale et de distribution inégale. La civilité constitue aussi une force, elle tente,au sens de l’égaliberté, de concentrer des forces diverses afin de contrer la

violence et restaurer la démocratie. La civilité évite alors la violence

particulièrement d’induire des répressions sanglantes, voire des massacres.

La civilité ne consiste pas à provoquer une plus grande violence pour

contrer la violence, mais à arrêter la cruauté. Sous l’angle de la démocratie et de

l’anti-violence, la civilité renvoie simultanément à l’action collective et à la

résistance. Elle n’intervient pas seulement au niveau de la citoyenneté, mais surl’humain. Elle n’est pas simplement une désobéissance citoyenne, mais une lutte

permanente. Les sociétés démocratiques modernes rendent incontournables la

question de la citoyenne, la détermination structurelle du capitalisme rend

inévitable également celle de la résistance violente. En modifiant le mode de

production, nous accomplissons l’idée politique de la civilité. La civilité inclut le

principe de l’égalité, elle inclut la différence et le conflit. Pourtant, la solution ne

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réside pas dans la répression, mais dans l’approfondissement une discussion

équitable.

Nous pouvons pousser plus loin le raisonnement sur la relation entre la

violence, la citoyenneté et la civilité. Il a été montré que la forme de la démocratie

moderne fondée sur l’exclusion figure une démocratie exclusive et «limitée».

Autrement dit, la démocratie moderne valide seulement, sous la forme du droit

légal, certains hommes et non d’autres. Elle se maintient sur un mécanisme de

ségrégation sociale, ce qui implique une « préférence nationale ». En expulsant,

la démocratie choisit ses membres « incorporables », au contraire des exclus qui

sont inassimilables (« désaffiliation » chez Castel) pour des raisons diverses.

Ces derniers apparaissent comme source d’instabilité et de ce fait comme unemenace contre la démocratie. L’État moderne, au nom de la démocratie,

accomplit une recolonisation de l’immigration et favorise un racisme institutionnel.

Elle apparaît ainsi comme une puissance/violence, même si elle constitue une

structure récessive et invisible. Tous ces phénomènes inscrivent cette question

dans la longue durée. Le mécanisme de l’exclusion est fondé sur l’addition des

citoyennetés nationales. Même si nous créons une nouvelle communauté sans

frontière, qui semblerait s’étendre à d’autres populations et pays membres, ellerepose aussi essentiellement sur l’inclusion exclusive. La nouvelle citoyenneté

de communauté hérite du concept ancien, elle se trouve définie comme une

addition de citoyennetés préexistantes. La nouvelle communauté réunit encore la

citoyenneté par l’exclusion. Les immigrés sont toujours étrangers, demeurent

des "exclus de l’intérieur" et des "citoyens de deuxième classe". Ils subissent

encore la stigmatisation en raison de leurs origines ethniques.256 

Les concepts de citoyenneté et de démocratie ne résident pas dansl’universalisme. Les droits du citoyen surpassent ainsi les droits de l’homme, ils

n’en constituent pas le verso. La véritable démocratie doit être fondée tout

d’abord sur l’égalité, l’instauration d’un monde véritablement sans frontière doit

passer par la lutte contre le régime de ce nouvel apartheid. La civilité apparaît

256  Ibid., pp.190-191.

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pour Balibar comme une action collective de lutte incessante, elle est attachée

indissociablement à la « démocratie des frontières » ou à l’« invention

démocratique » (Lefort) pour le droit de passage contre le contrôle à discrétion,

pour l’identité multiple contre l’identité monolithique exclusive, pour la sécuritécollective contre l’insécurité institutionnelle257. La frontière du politique devient

une frontière intérieure des libertés civiles et sociales, pour les étrangers, une

telle frontière s’avère très singulière, car ils viennent à la fois d’ailleurs et vivent

complètement d’ici. Il n’y a pas besoin d’un nouveau mode de domination grâce

aux nouvelles technologies numérique et biologique. Autrement dit, nous

remplaçons la domination de la police par les droits fondamentaux.

Pour prétendre à l’égalité et à une véritable émancipation, nous ne devonspas répondre à la violence par la non-violence, ni par la démocratie exclusive, ni

un régime d’apartheid, mais par la civilité ou par une redéfinition de démocratie

ainsi que par une repolitisation. Le pouvoir institutionnel implique une dialectique

de la violence entre pouvoir et contre-pouvoir, dans la mesure où le pouvoir

s’organise lui-même comme une contre-violence préventive. Il monopolise la

définition de la violence. Il est possible de qualifier le pouvoir de l’État comme

« la violence de fondation »258

. Nous avons besoin d’une démocratie conflictuellequi ne soit pas seulement contre-pouvoir, mais qui crée un espace commun. Elle

est une surdétermination conflictuelle, elle assimile la force de la résistance et

favorise l’émergence d’une alternative institutionnelle et du conflit ouvert, qui

nous permet de sortir de la logique de l’espace national ou d’une confrontation

globale. Nous ne devons pas nous limiter à la catégorie de la globalisation du

capitalisme et de l’anti-globalisation.

Au travers de la civilité, nous dénouons l’aporie de la souveraineté : ladémocratie exclusive et la violence monopoliste. D’après Schmitt, la

souveraineté désigne ce qui décide dans l’état exception. La souveraineté est

une violence légale, ce que l’on désire consiste à transformer la souveraineté en

257  Ibid., p.203.258 É. Balibar, La Crainte des masses , op.cit., pp. 407-410.

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un lien social. La communauté politique doit incorporer les droits fondamentaux,

car la question réside dans le caractère démocratique de la communauté

politiquÉ. Balibar défend une Europe plus démocratique que ses composantes

nationales. Pour lui, si une nouvelle communauté politique ne progresse pas parrapport à ses droits fondamentaux, elle ne représentera pas la multitude de

citoyens des différentes nations 259 . La démocratie ne dépend pas de la

citoyenneté, qui se limite au cadre juridico-politique et de la souveraineté du

peuple. En se sens, la démocratie moderne constitue seulement une institution

d’exclusion. Elle est marquée par l’imperfection. La civilité constitue au contraire

une tentative de relier le concept de l’égalité, elle ne contraint plus dans le cadre

de la souveraineté, mais inclut ceux qui ont été exclus par le corps politique (« lavie nue » chez Agamben, « la part des sans parts » chez Rancière). Cela

implique de redécouvrir l’accès à la démocratie et la voie des droits

fondamentaux. La civilité élargit les horizons de la démocratie, ainsi, il s’avère

nécessaire de généraliser la civilité au-delà du cadre de la citoyenneté et de la

reconnaissance institutionnelle de l’égalité des droits. La civilité apparaît alors

comme l’essence de l’ordre politique précaire, néanmoins, elle fait surgir aussi

une autre forme de démocratie, à savoir la démocratie conflictuelle, avec un

espace commun élargi.  Il ne faut pas retourner à la pré-politique, qui conduit à

retourner à la haine que renferme le racisme et à l’« état de nature » hobbesien.

Il faut à l’inverse envisager les valeurs et les habitudes communes issues des

relations sociales. Celles-ci produiraient une appartenance qui soit plus

universelle que l’identité étatique.

Se rapprochant du concept de la civilité ou de la démocratie conflictuelle

chez Balibar, la démocratie se manifesterait dans les affrontements politiques quirenversent l’institutionnalisation. C’est-à-dire que la démocratie est une force

permettant à l’institution de susciter le scandale au sein d’un espace commun et

grâce à la possibilité d’un antagonisme. La démocratie incarne la force collective,

elle redevient un rapport de force et un espace commun. Elle est à relier aux

259 É. Balibar, Europe Constitution Frontière , Passant, Paris, 2005, p.84.

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droits fondamentaux et ne doit pas consister à diminuer les droits du citoyen.

Chez Rancière, le principe d’égalité est toujours avancé au nom d’une catégorie

à laquelle nous dénions le principe de cette égalité ou de sa conséquence. Aux

yeux de Rancière, la politique constitue en fait un «affrontement constant ».

Rancière reproche à la philosophie occidentale de s’être toujours fondée

l’homonymie. L’ordre politique s’exercerait selon la raison de l’être humain et se

conformerait à tout le monde. Cependant, l’être homme ou le démos est un

concept abstrait, voire ils sont le compte de l’incomptable260. Depuis Platon, la

philosophie politique abrite un paradoxe démocratique, à savoir comment

expliquer l’existence de personnes en dehors la société ? Dans la Grèce antique,

ces individus n’avaient pas, selon la loi, de statut, ni d’identité, et par cela, ilsn’avaient pas de droit de s’engager dans la vie publique. Dans la politique

athénienne, deux peuples cohabitaient : le démos  et le prolétariat, le démos  est

le sujet de l’identité de la partie et du tout ; le prolétariat subjectivise cette part

des sans-parts qui définit l’être exclu de cette communauté.

La philosophie traditionnelle propose trois possibilités pour expliquer ces

exclusions. La première est une hiérarchie justifiant une position différente au

sein de la structure sociale. Dans une société, il existe nécessairement des

catégories différentielles. Deuxièmement, ils sont considérés aussi comme des

membres de la souveraineté, comme une partie de la puissance. Leur capacité

ou leur personnalité les empêchent de posséder une part de cette puissance : ce

sont ceux ayant le plus de force ou d’excellence qui s’en saisissent.

Troisièmement, une hypothèse critiquant la thèse susdite souligne que l’ordre

politique doit se dérouler selon la volonté générale et les rapports sociaux. La

volonté générale forme une société totale. Dans cet ordre politique, la politiquene joue qu’un rôle administratif et de distribution des affaires261.

Pour Rancière, la démocratie est fondée sur l’égalité sur le droit de parole :

260  J. Rancière, La Mésentente , Galilée, Paris, 1995, pp.63-64 ; J. Rancière, La haine de ladémocratie , la Fabrique, 2005, pp.41-43 ;261 J. Rancière, La Mésentente , op.cit., pp.65-67.

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l’homme démocratique est donc un être de parole262. La subjectivité de la

politique devrait inclure la part des sans-parts qui ont été exclus du corps

politique. Il faut exiger l’égalité et lutter contre les torts. Rancière insiste

également sur l’idée que la politique implique la révolte d'un groupe et laconstitution d'un espace commun de polémique.

Rancière montre un autre type d’inclusion politique, qui ne repose pas sur la

morale, mais dénonce justement la trop simple opposition263. Nous devons

adopter le droit de l’autre, non pas par la tolérance, ni par respect de l’opposé.

L’inclusion n’est pas une action morale, mais politique. Toute politique de l’action

et de l’affrontement vise à élargir et préserver la communauté. En d’autres

termes, l’autre est une figuration de la politique, l’hétérogénéité existenécessairement en politique, voire, elle définit la politique. Parler de politique ou

de démocratie nécessite d’inclure les autres, sinon la politique est imparfaite ou

la démocratie limitée. De même, nous et les autres sommes également une

partie de la politique, l’autre en tant qu’existant est exclu par l’institution. La

manifestation permet à l’autre de révéler les torts de l’institution, elle crée un

espace et s’oppose toujours à l’institution préexistante. Elle crée une

subjectivation politique, un rapport de l’inclus à l’exclu, sans un nom spécifiquede sujet264. La politique nous fait cohabiter avec l’autre, l’autre ne constitue ni

une menace, ni l’inassimilable : il est purement une coexistence. Les immigrants,

les clandestins et les prolétaires constituent également une partie de la

démocratie et de la politique. Il ne peut y exister de démocratie et de politique

qu’avec les autres.

Les phénomènes du racisme et de la xénophobie révèlent un déficit de

démocratie ou une faute politique, car ils impliquent un refus de l’autre ou celuide l’hétérogénéité. Les sans-papiers peuvent être considérés comme les autres,

car ils ne sont pas légitimés au sens de la citoyenneté. Politiquement (selon la

définition de Rancière), ils représentent également la subjectivation politique et

262 J. Rancière, Aux bords du politique , op. cit., p.95.263  Ibid., p.202.264  Ibid., p.214.

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ne se rattachent plus au concept de la souveraineté ou la démocratie exclusive.

En conséquence, au lieu du droit du citoyen, ils doivent procéder au droit de

l’homme.

En guise de conclusion pour ce chapitre, le monde « sans frontière », que

l’on décrit aujourd’hui se trouve en réalité déterminé par les superpuissances. Il

s’avère donc nécessaire de rééquilibrer le rapport de force. Les frontières

censées avoir disparu ont en fait été remplacées par des frontières indéfinies.

Aucun pays n’étant plus déterminé par des frontières géographiques, la

démocratisation ne passe que par la civilité et la démocratie conflictuelle. La

frontière est comme un lieu commun, elle est aussi un rapport de force. Le

contenu de l’autre (l’étranger, l’immigré, les sans-papiers) s’est ainsi transformé,ils constituent une partie de l’espace commun. Les frontières construisent la

façon dont nous nous voyons le monde, la manière dont nous réagissons quand

nous rencontrons autrui265. La frontière, la politique et la démocratie ne se

fondent plus sur l’exclusion parce que l’action collective ne se borne plus à un

groupe donné à cause de la citoyenneté ou de l’ethnique, mais en raison de

l’engagement politique et la praxie. Nous pourrions imaginer une possibilité

d’action collective sans frontière où l’action serait l’élément d’une politique activeet consciente. Les appartenances collectives ne relèvent pas de la race, du sang,

mais développent l’action collectivement. La nouvelle figuration de l’action

collective ne se limite plus au cadre de l’État-nation, elle diffère de la xénophobie

en raison de l’ethnique, de l’origine, de la religion et de la langue… Elle constitue

une organisation transnationale, l’une et l’autre s’incluent équitablement à travers

de l’action commune. Cela signifie que la lutte démocratique et la résistance sont

aussi transnationales. Elles s’envisagent à l’échelle mondiale. Les et les autrespeuvent établir une relation sociale où ils s’expriment par eux-mêmes et réalisent

leurs idéals dans le processus de l’action.

 

265 É. Balibar, Très loin et tout près , Bayard, 2007, pp.34-35.

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Troisième partie

« La praxis » et « la création »

Attiser l’altermondialisation et l’actionpolitique collective

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Après le travail de dévoilement et de discussion entrepris dans les parties

précédentes, nous exposerons ici notre stratégie de l’action collective. Nous

tenterons de mettre l’idée de l’altermondialisation à l’abri des idées de la

résistance mondiale et la solidarité transnationale.

Nous examinerons la stratégie de la lutte transnationale. Notre travail

commencera par l’évocation des discussions au début du 20e siècle entre Lénine,

et Rosa Luxemburg. Ces controverses portent sur la question de savoir ce que

nous devons faire. La lutte quotidienne ou la lutte de la classe ? La sociale

démocratie ou le parlementarisme? La révolution ou de la réforme ?

En délibérant des questions susdites, nous définirons une stratégie de

l’action afin de réaliser l’altermondialisation.

Nous devons concevoir un nouveau corps politique et une action politique

qui dépassent la simple échelle de l’État. Un tel mouvement transnational

permettra de défendre les droits de l’homme, la démocratie et l’universalisme. Il

s’agit donc d’inverser et de recréer le contenu de la démocratie, de la justice

ainsi que les droits fondamentaux.

Nous conclurons en formulant les huit stratégies de l’action politiquecollective. Celles-ci serviront à créer une altermondialisation sur la base de

l’action collective, la démocratisation et la politisation. La condition de l’action

politique collective consiste dans les points suivants : l’organisation, la division

du travail (comme la position de guerre), la compréhension approfondie des

circonstances sociopolitiques propres à chaque pays, le renforcement de la

théorie de la lutte, la sauvegarde réciproque, la coexistence de la différence, un

espace public et une fidélité de l’action.

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Chapitre VII

Altermondialisation contre mondialisationcapitaliste

Ce chapitre se fixera trois objectifs : le premier sera de cibler l’objet de la

lutte de l’altermondialisation ; le deuxième visera à élaborer une stratégie de la

lutte. Nous formulerons les questions suivantes : comment organiser l’action derésistance pour que celle-ci dépasse l’échelle de l’État et se développe à

l’échelle internationale ? Les stratégies de résistance donnent-elles un nouveau

souffle à la réflexion politique face à la mondialisation ? Dans un troisième temps,

nous expliquerons le contenu de l’altermondialisation.

Le centre de l’altermondialisation se situe à la fois dans une action

destructrice et créatrice. À savoir, lutter pour instaurer un système abolissant à la

fois la discrimination par rapport au sexe, au racisme et à la violence.L’altermondialisation ne constitue pas uniquement un contre-pouvoir ou une

anti-mondialisation, elle est bien plus encore : elle a pour but d’anéantir la

complicité entre le capitalisme et l’impérialisme. Ainsi, il ne s’agit pas simplement

d’une anti-mondialisation, mais d’une altermondialisation offrant la possibilité

d’une mondialisation alternative.

Notre réflexion sur la stratégie politique s’articulera autour de deux points :

lutter contre le néolibéralisme et remettre en question le post-politique. Larésistance constitue bien plus qu’un contre-pouvoir, elle est une création

alternative aidant à la lutte, commençant par l’État et se prolongeant à l’échelle

mondiale.

Une question fondamentale se pose à nous : un autre monde est-il possible ?

La stratégie commence par le domaine économique et doit s’étendre à tous les

domaines. C’est-à-dire qu’elle doit franchir un pas décisif avec la conquête du

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pouvoir politique, mais il lui faut également s’étendre et s’approfondir par « une

révolution culturelle ».

Callinicos nous met en garde contre le caractère attirant de

l’anti-capitalisme qui risque de développer l’individualisme ou l’égoïsme. En effet,

comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, tant à travers le marxisme

autonome que le marxisme postmoderne, Negri, Laclau et Mouffe insistent sur

l’autonomie de l’individu, ils considèrent la liberté individuelle comme la base de

la démocratie. Ce point de vue se fonde sur l’individualité, mais non pas sur la

solidarité. Cette conception rejoint pour moi celui du libéralisme. Car dans ce cas

de figure, l’autonomiste imposant cette conception aux organisations ouvrières

fait que l’action collective mène inéluctablement à une action demécontentement266.

Žižek dénonce l’individualisme libéral comme une entrave à l’action

collective. Car la mondialisation capitaliste assouplit une situation « intelligente »

(smart ), non seulement au moyen du produit, mais également de la pensée et du

discours. Une telle ruse permet à l’individualisme d’assimiler librement les

positions de la gauche et de la droite. Elle se proclame donc comme une

troisième voie ou comme un communisme libéral267.

Dans la section 7.1, nous ferons apparaître que la cible de la lutte passe par

le clivage entre camp extérieur/camp intérieur. Le premier camp inclut le

capitalisme, le néolibéralisme et l’individualisme atomique. Dans la section 7.1.1,

nous parlerons de la stratégie de la gauche dans le combat de l’anti-capitaliste.

Le second camp est le post-politique. Il inclut le marxisme autonome, le

post-marxisme et le multiculturalisme, que nous les critiquerons dans la section

7.1.2.

Nous élaborerons une stratégie et évoquerons la possibilité de l’action

collective, après avoir ciblé la lutte. Il nous semble indispensable de définir le

266 A. Callinicos, An Anti-Capitalist Manifesto, Polity Press, 2003, pp.100-101267 S. Žižek, The Fragile Absolute: Or, Why is the Christian Legacy Worth Fighting For? , London:Verso, 2000, pp.54-63

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sens de l’altermondialisation. Selon moi, la lutte contre la mondialisation ne

réside pas dans l’anti-mondialisation, c’est pourquoi nous désirons créer une

mondialisation alternative. Faire de l’altermondialisation un contre-pouvoir

réduirait sa force et son contenu. Comme le stipule la déclaration de FSM(Forum social mondial), le but de l’altermondialisation est de s’opposer à la

guerre, au racisme et au capitalisme.

Comme Althusser ou Foucault le font remarquer, l’appareil étatique et la

disposition politique n’ont pas strictement une fonction répressive, mais

également une fonction de reproduction ou de cohésion. L’appareil étatique n’est

pas une partie isolée, mais une totalité. Il est à la fois une constitution organique

et un mécanisme généalogique. Par conséquent, nous ne parlerons pas del’appareil étatique sous un angle unique, mais dans sa totalité. Bien entendu, la

convergence et l’articulation s’avèrent primordiales, c’est la raison pour laquelle

nous devons insister sur l’action collective. L’action collective n’est pas

simplement un anti-pouvoir : elle tente de former une possibilité alternative, c’est

pourquoi la stratégie de l’action ne devra pas à accentuer la dispersion. Elle

deviendra un nouveau modèle collectif, elle changera radicalement la relation

sociale. Par cela, elle restaurera un lieu de la coexistence.

L’action collective consiste d’un côté en l’analyse approfondie du

mécanisme de la disposition, et de l’autre à faire converger des forces diverses.

Une telle force s’emboîte dans une action organisée abritant un antagoniste en

son sein. Cette action collective ne doit pas résulter de l’indiscipline. Elle doit

reposer au contraire sur le consentement d’aider à la lutte et à la discussion

commune. Autrement dit, l’action collective ne sera pas fondée pas sur la

moralité ou sur la tolérance. Elle ne sera pas formée par la conscience despersonnes, mais par la relation réciproque : elle consolidera la relation entre l’un

et l’autre.

La section 7.2 fait apparaître que l’action collective se fonde obligatoirement

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sur des idées fidèles268 et plus particulièrement en défendant la démocratie et

les droits de l’homme. Ces dernières engendrent aussi la fidélité dans le

processus de l’action collective. Nous pensons que la gauche ne doit pas

renoncer à la révolution de la démocratie. Elle doit élargir et approfondir lecontenu de la démocratie. Cette fidélité ne repose pas sur le pluralisme ou la

décentralisation, elle consiste au contraire à partir de la base et à descendre

dans la rue.

L’action collective n’est pas une action facultative. Comme Badiou l’énonce,

la subjectivé politique s’attache à la vérité et à l’événement. L’action collective

suivant toujours fidèlement une idée, Badiou pense que la subjectivité, la

conscience elle-même et l’autonomie n’existent pas automatiquement et qu’ellesne sont pas non plus spontanées. Elles s’avèrent, au contraire, introduites par

l’événement. Pour Badiou, le sujet était caché par et sous la structure. La

subjectivité ne surgit uniquement par l’action, c’est aussi une procédure de la

subjectivisation. Ce processus est aussi valable pour la vérité. À savoir qu’il

n’existe pas de subjectivité transcendantale ou trans-historique, mais seulement

des vérités en situation et en relation, des situations et des relations de vérité. La

vérité ou l’universalité d'un énoncé politique n’est expérimentable que dans lapratique militante qui l'effectue269.

Dans la section 7.2, nous réexaminerons aussi la stratégie de la lutte

transnationale. Nous centraliserons sur la discussion historique entre Lénine, et

R. Luxemburg. Leurs discussions touchent-elles les sujets de la démocratie, de

la révolution ou de la réforme ? De la grève générale et de la violence ? Dans la

section 7.2.2, nous analyserons les relations qu’entretiennent le sujet d’agir, la

268   La fidélité, la vérité et l’événement sont des idées importantes chez Badiou. Ellesapparaissent dans les ouvrages « Peut-on penser la politique ?  Paris, Éditions du Seuil, 1985 ». « L'Être et l'Événement , Paris, Éditions du Seuil, 1988 »,  « Saint Paul. La fondation del'universalisme , Paris, PUF, 1997 ». Il soutient qu’il n’y a de sujet que dans cette articulation à uneprocédure de vérité. C’est-à-dire que la subjective politique résulte du processus de la fidélité - lavérité – l’Événement. Dans le 7.2.2, nous tenterons de démontrer l’importance de la fidélité ausein de l’action politique. Au travers de la fidélité, nous répondrons au marxisme autonome et aumarxisme postmoderne.269 A. Badiou, Huit thèses sur l'universel ; Abrégé de métapolitique , Seuil, 1998, pp.155-167.

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vérité et l’événement selon Badiou. Par cela, nous étendrons la démocratie

radicale à l’altermondialisation.

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7.1 Ce qu’est la lutte pour l’altermondialisation.

Il est ressorti du quatrième chapitre que le néolibéralisme insiste sur lacapacité individuelle. Il refuse ainsi tout concept de collectivité et de totalité. De

plus en plus d’individus se retrouvent isolés, dissociés de la société. Cette

dernière étant basée sur la question de l’origine, tout le monde se ligue contre

tout le monde, l’autre devient un ennemi. Dans un tel monde, l’intérêt général

n’existe plus et ne laisse place qu’à l’intérêt individuel.

Le néolibéralisme se prétend le défenseur d’un monde humaniste. Cette

ruse met ainsi en exergue la responsabilité sociale et l’aide humanitaire. Ildémontre que ses valeurs sont fondées sur l’égalité et la tolérance, que son but

est le partage des ressources au profit de tous. D’un autre côté, il exploite les

ouvriers. La libre circulation lui permet d’exploiter la force du travail la moins

coûteuse et enfin d’anéantir les systèmes de protection sociale et les services

publics.

Le post-marxisme réduit l’État à un dispositif politique servant au marché et

à l’autorité. Il préconise ainsi de démanteler l’appareil de l’État en vue d’exercerle pluralisme et un humanisme tolérant. Cependant, le post-marxisme tend à

réduire le rôle de l’État et le sens de la lutte prolétarienne. Dans ces conditions,

la lutte politique devient une négociation et un recours.

Le marxisme autonome, le post-marxisme et le multiculturalisme tentent de

rassembler le plus de participants. La question importante est de déterminer le

rôle de la classe ouvrière et la stratégie de l’action. La post-politique apparaît

comme une résistance contre la bureaucratie et le totalitarisme. Elle réduit par làmême le contenu de l’État. Elle insiste aussi sur l’individu atomique. Elle suit

encore la logique de la libre circulation du capitalisme. Ainsi, pour Žižek, le

véritable ennemi de la gauche n’est pas tant le libéralisme, mais la post-politique.

Elle joue le rôle d’un réparateur pour en fait finalement restaurer les

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imperfections du capitalisme270.

Par conséquent, face à mondialisation capitaliste, nous devons élargir le

front de la lutte : le capitalisme, l’individualisme et la posture postmoderne.

Dans cette section, mon travail consistera à répondre aux questions que

soulèvent le néolibéralisme et la post-politique pour ensuite dessiner une

stratégie de l’action. 

7.1.1 Affronter le capitalisme

Nous discuterons d’abord sur la stratégie pour lutter le camp extérieur : le

capitalisme ou le néolibéralisme.Dans la première partie, nous avons évoqué que la mondialisation était un

nouveau mode d’accumulation du capital dépendant des progrès techniques et

s’accomplissant au nom de la libre circulation et du libre-échange. Elle accumule

ainsi plus efficacement et plus rapidement des capitaux. De plus, la

mondialisation passe à travers la puissance de l’État, étend son importance. Elle

monopolise par conséquent le marché mondial, ce qui fait apparaître le marché

comme un phénomène unique et total.

C’est-à-dire que nous devons contrer l’expansion violente du capitalisme,

mais surtout il faut reconnaître le rapport coexistant de l’État et la mondialisation

du capital. L’accumulation du capital et le capitalisme, sont interdépendants et

sont obligés de prolonger leur territoire là où il n’y a pas encore de capitalisme271.

C’est-à-dire, introduire la saveur du capitalisme à l’extérieur du capitalisme. Le

capitalisme ne saurait exister sans marché extérieur, le capitalisme entre

inévitablement dans une crise lorsqu’il a épuisé les espaces exploités et nonexpansibles. Autrement dit, L’accumulation du capital possède une dimension

double. D’une part, il maintient sa fonction au moyen d’une exploitation

excessive de la force du travail, ainsi, il ne vise pas seulement à élargir le marché,

270 S. Žižek, The Parallax View, Cambridge, Massachusetts: MIT Press , 2006, p.360271   R. Luxemburg, Oeuvres IV : L’accumulation du capital (2). Contribution à l’explicationéconomique de l’impérialisme, Petite collection Maspero, no 48. 1969.

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mais également la force du travail. D’autre part, l’exploitation de la force se

trouve étroitement liée à la colonisation, ce qui fait que l’accumulation du capital

dépend aussi de la violence.

La concurrence dans la lutte pour acquérir plus d’espaces non-capitalismes,

les impérialismes renforcent la violence sur les colonisés ou les espaces

non-capitalistes. De ce fait, plus de répression dans cette espace, cela revient à

engendrer plus de résistance, du coup, à cause de la résistance et l’épuisement

des ressources, la base de l’accumulation du capital s’affaiblit d’autant plus. Par

rapport à l’ère de l’impérialisme, après le 11 septembre, l’État n’a pas relâché

son emprise pour faire avancer la mondialisation capitaliste. C’est-à-dire aussi

que l’homme subit à la fois l’exploitation de la mondialisation capitaliste et lamenace de la mondialisation militaire. Comme L’évènement de Genève en 2001,

l’État a consolidé ses moyens armés, non pas pour protéger ses citoyens, mais

pour assurer la sécurité des entreprises internationales. Ainsi l’anti-capitalisme

peut être considéré comme contre la logique de l’accumulation capitaliste sur

laquelle elle fonde l’exploitation et la concurrence.

Depuis les années 1980, un conservatisme est apparu en Angleterre et aux

États-Unis qui s’oppose à la fonction de l’État. Il demande à l’État de ne plus

intervenir sur le marché, ce que l’on appelle « dérégulation », ce qui conduit

l’État à quitter la fonction publique afin que tout devienne privé : l’éducation, la

santé, le logement. Le secteur public subordonne l’entreprise privée, ce que l’on

appelle « privatisation ». Ceci représente un important phénomène de la

mondialisation, dans la mesure où pour l’entreprise privée, la recherche du profit

constitue la priorité. Le profit privé remplace le service public, le grand profit

devient la règle. En conséquence, la personne qui admet cette règle estréformatrice, celle qui ne l’admet pas ne l’est pas.

La mondialisation devient un discours de l’évidence, un fait indiscutable.

Tout le monde l’envisage comme un phénomène inéluctable accompli au nom de

la libéralisation. Mais en fait, elle est le fruit d’une pensée conservatrice, parce

qu’elle conduit à obtenir de grands profits par des restrictions dans la vie

quotidienne des populations. Elle limite les libertés fondamentales de l’homme

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afin de favoriser le libre échange. Elle prône le libre échange qui encourage le

développement de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme. D’après

ce que nous venons de montrer, nous comprenons aisément que la

mondialisation n’offre pas tous les avantages qu’elle semble promouvoir. Enrevanche, elle souhaite remplacer les services publics par les entreprises privées,

elle favorise la privatisation qui s’accompagne de plus de restrictions et

d’oppressions sur les peuples. C’est la raison pour laquelle nous devons briser

l’illusion de la mondialisation, à savoir, casser le mythe de l’« inéluctabilité

historique », afin, non pas de créer une politique individuelle mais une politique

de solidarité. C’est seulement par ce biais que l’on peut arrêter la monopolisation

de l’entreprise privée.Il ressort de ce que nous venons de dire précédemment que la

mondialisation développe le concept de liberté et de propriété aux profits des

individus fortement impliqués dans le néolibéralisme. Mais ce dernier évoque

l’image d’un individualisme réduit, trop parcellaire. Les objections sont de deux

ordres. Tout d’abord, seule la logique du marché est prise en compte, ensuite, on

constate l’absence de toute solidarité et de totalité. Comme le montre Bensaïd, la

mondialisation accomplit l’éradication des lieux. Cependant, la déterritorialisationmarchande généralise, au lieu d’une fixation au sein de réseau mondialisé, elle

au contre, émiette la solidarité et les liens de réseau272.

Le problème le plus évident de la mondialisation est lié à la logique de

marché face aux institutions de l’État, le mode de vie de l’homme, c’est-à-dire

que par ce principe, tout peut être jugé comme le critère de démocratie ou de

bonheur pour les hommes ou comme l’unique critère de liberté du marché

permettant d’estimer la liberté d’un État et de l’homme. Par exemple, un Étatdoit-il ouvrir son marché ? Existe-t-il des barrières à la libre circulation des

marchandises ou à la pénétration du marché intérieur ? Les mondialistes

pensent que la seule liberté du marché conduit forcément à celle des hommes et

d’une société sans le contrôle de l’État.

272 D. Bensaïd, Le pari mélancolique , Fayard, 1997, pp.52-53

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Ensuite, nous devons parler du concept de totalité, c’est-à-dire que les

hommes forment un ensemble, représenté par l’État, un pays ou une

communauté. Il devient inacceptable de disposer de sa vie au nom de la liberté

individuelle. Cependant, ici, il ne s’agit que d’une émancipation par le seul profitcommercial et non par le fruit d’une avancée sociale. Toutes les autres valeurs

telles que la justice, l’égalité, la morale n’existeraient pas. Si la politique ne

procurait pas de bénéfices sur le plan commercial, elle ne serait pas valable.

Nous ne sommes plus une institution pour notre pouvoir, que ce soit pour l’État

ou par rapport au contrat social. L’État n’offre plus de protection sociale pour ses

citoyens. De ce fait, ces dimensions seraient absentes de la vie d’un homme.

Tout cela s’avère indifférent à la mondialisation qui ne serait pas en charge de laprotection des individus. Seul le besoin de performance existerait en exacerbant

la concurrence entre les individus au profit d’un renforcement de l’instinct de

survie. Autrefois, la notion de public se trouvait au centre de la société où la

réussite, la stabilité d’un l’État, qu’elles soient sociales ou économiques, offraient

un profit que l’on pouvait partager, différent de celui évoqué par les mondialistes.

La destruction du lien social est une réalité à plus ou moins court terme de ce

phénomène.

Pour l’instant, la critique du capitalisme de la gauche se concentre trop sur

des questions subtiles, qui se limitent à une relation contrainte. La stratégie de la

gauche finit par manquer de point de vue total. C’est-à-dire que la gauche

cherche une sortie au sein du capitalisme. Elle cherche à modifier les systèmes

dans le cadre du capitalisme, ce qui l’empêche de dépasser la construction

précédente. Cependant, la stratégie de la gauche, tant du point de vue de la

notion politique de Badiou que de celle de Rancière, la lutte ou la démocratietend vers l’excès. Par l’intervention, le hasard, la mésentente, l’action accentue

le tort caché dans la construction fixée, ce qui permet de la politique de

recommencer le chemin alternatif. Autrement dit, la stratégie ne consiste pas à

réparer les excès du capitalisme, mais à bâtir un mode de production alternatif.

La critique de la gauche n’est pas celle du libéralisme ou le postmoderne,

elle ne doit pas simplement diagnostiquer les maladies du capitalisme comme un

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malheur ou une déviation. Au contraire, ils constituent l’essence du capitalisme,

ainsi, la dissolution ne réside pas dans l’amélioration ou la coordination, mais

abolit le capitalisme. Sinon, lorsque nous tentons de corriger le capitalisme à

l’aide de la régulation ou l’intervention, ces dernières sont considérées commedes moyens inadéquats, voire comme un mode de violence et illégitime. En

même temps, cette intervention ne fait qu’alimenter la critique du libéralisme.

Celui-ci dénonce un empiètement sur la volonté individuelle, ce qui plonge la

gauche dans le dilemme de déterminer la pertinence de son action. La gauche

doit sortir de la logique du capitalisme et du libéralisme, pour ne pas limiter sa

stratégie à un cadre contraint.

Ce ne signifie pas que la gauche ne peut pas soutenir des réformespartielles. Ces reformes ne doivent pas se contenter de réparer les défauts du

capitalisme, mais à renforcer les bases du socialisme. La gauche doit soutenir la

réforme de la protection sociale non pour compenser les excès du capitalisme,

mais pour renforcer la solidarité. La gauche repose sur des notions qui diffèrent

complètement du système du capitalisme. La défense des services publics ne

vise pas tant à préserver la société bourgeoise de la crise qu’à promouvoir

l’esprit alternatif dépasse le capitalisme. Un programme radical a pour but decréer une société solidaire, démocratique et égalitaire qui diffère du capitalisme

et qui soit généralisée à l’échelle mondiale.

Le fait que la lutte de la gauche consiste à intégrer l’organisation et

l’émancipation dans la classe ouvrière. La lutte ouvrière est une question de

stratégie reliant systématiquement au contexte historique la critique

politique-économique et la théorie chez Marx. Cette tradition commence à partir

de Marx, passe par Lénine, Trotsky et R. Luxemburg, jusqu’à la gauche radicaleaujourd’hui. Ainsi, l’altermondialisation n’est pas seulement un contre-pouvoir ou

un anti-capitalisme, mais une lutte entre deux conceptions du monde, la

mondialisation libérale ou la mondialisation sociale. Le monde ne se réduit pas à

une marchandise, un autre monde est possible. Cette lutte n’est pas nouvelle.

Elle a déjà débuté depuis près de deux siècles, parce qu’il s’agit d’une lutte

contre le capitalisme et contre le libre-échange.

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Une telle lutte tient de l’envie de liberté, les hommes souhaitent échapper à

la domination de la marchandisation et la réification : une lutte de l’économie. De

plus, cette lutte se porte contre la privatisation du service public, elle ne se borne

pas simplement s’opposer à une entreprise privée, mais combat le systèmecapitaliste, ainsi, elle est aussi une lutte sociale. Par conséquent, c’est une lutte

tous azimuts brisant les règles de la mondialisation économique. Elle poursuit

une émancipation humaine radicale, et non la libre circulation des capitaux. Elle

reconstruit une société collective, et non une société concurrentielle.

L’altermondialisation hérite de cette tradition : elle est un nouveau mouvement,

tout en s’inscrivant dans la continuité de mouvements plus anciens. Elle soulève

des questions déjà posées deux siècles auparavant. La mondialisation du capital,en formant un nouvel ordre mondial installe une hégémonie sans précédent,

presse l’opinion opposée, surtout s’oppose à une conjuration du marxisme,

combat toute possibilité formation d’une nouvelle internationale273.

Une nouvelle stratégie doit être repensée pour combattre l’individualisme. Il

est nécessaire de pénétrer l’essence de la mondialisation, pour résoudre le

problème de la mondialisation. La réflexion doit aussi se porter sur le concept

entre la liberté et la démocratie dans le cadre de la mondialisation. Lecapitalisme, par elle, impose la domination et de privilèges à l’homme. Il n’est

pas nécessairement un système économique, il est en fait un système

concernant aussi bien la politique, la société, la justice. Sous la mondialisation, la

liberté et la démocratie forment une sorte d’illusion. Lorsque ses sens n’ont

d’autre sens que la logique du marché, faut-il réfléchir plus longtemps au concept

de liberté ? Faut-il se soumettre ou contrer cette logique du marché ?

Par rapport à ce problème, il est possible de formuler une proposition. Lamondialisation soumet un principe majeur, à savoir « la logique du marché » : la

libre circulation et la libre concurrence. Elle détruit toutes relations sociales,

toutes associations et toutes relations mutuelles. Autrement dit, cette société est

une société atomique sans solidarité : elle est fondée exclusivement sur le profit

273  Derrida, Spectres de Marx, Galilée, 1993, p.88

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individuel.  Par conséquent, nous devons contrer cette règle et retisser des

relations sociales. La reconstruction des liens sociaux doit permettre et protéger

le profit de tous. Cette réalité est uniquement fondée sur une société collective.

Tout le monde est intégré dans cette société sans division. Tout le monde estimpliqué dans cette lutte, parce que la mondialisation s’est déjà propagée dans

tous les domaines de la vie quotidienne : nous devons lutter dans le domaine

total. Dans ce cas, la lutte de la mondialisation est une lutte concernant tout le

monde et tous les domaines.

Plus précisément, quelle que soit l’origine sociale, la profession que l’on

exerce ou le salaire que l’on touche, il faut s’unir. C’est l’unique moyen de

s’opposer à la force du capital et que l’on pourra faire revivre la démocratie, lepouvoir du travail et celui du citoyen. Il s’agit d’une lutte tous azimuts de la

solidarité contre l’individualisme et le capitalisme. Nous défendons les systèmes

de protection sociale, le droit du travail et, les droits fondamentaux. Ce sont les

fruits et les conséquences d’une lutte que les hommes ont menée durant plus de

cent années, donc c’est une lutte continue qui est toujours d’actualité. Ces luttes

entretiennent une relation étroite avec notre vie quotidienne.

Par conséquent, nous devons non seulement lutter contre la logique du

marché mais de même contre un système détruisant toutes les relations sociales.

Elle respecte autant la solidarité sociale que la pratique individuelle. Elle est une

lutte à l’échelle internationale, mais une lutte sur la vie qui insiste sur la force de

la politique et sur la force de la société. Autrement dit, l’altermondialisation

s’oppose à un système répressif fondé sur la discrimination, le racisme et la

violence. Elle repose tout autant de la force de la théorie que de la force pratique.

Toutes les actions ont seulement un but, à savoir briser le mensonge de lamondialisation. Le but est de rompre l’illusion sur le libre-échange afin de revenir

à une société solidaire mettant en valeur les relations mutuelles et non une

concurrence malsaine et respectant une société égalitaire et non seulement sur

la libre circulation des marchandises. Par conséquent, l’altermondialisation

apparaît comme un mouvement universel.

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7.1.2 La lutte du champ intérieur de la gauche

Nous discutons suivant de la stratégie pour contrer l’ennemi l’intérieur : le

post-politique ou le multiculturalisme.Comme Bensaïd le fait remarquer, la véritable altermondialisation abolit

l’ordre existant. À l’instar de Marx dans les années 1830-1840 qui se trouva face

à l’essor du capitalisme et l’industrie, nous sommes confrontés au défi de la

mondialisation du capitalisme. En ce sens, Bensaïd établit des similitudes entre

notre époque et le contexte réactionnaire du début du XIXe  siècle274. Ainsi, il

propose la retourne la question politico-stratégique. Deux nouvelles formes de

marxisme existe : le marxisme autonome et le post-marxisme. Ces deuxmouvances acceptent la voie parlementaire ou la voie révisionnelle afin de

regrouper les partisans pluriels. Autrement dit, ces deux courants envisagent de

changer le monde, non pas par la révolution ou la création de nouvelle relation

des forces, mais en modifiant la forme de l’institution ou du mode d’organisation.

Ainsi, la question retourne « la reforme ou la révolution ». Ce point renvoie à la

discussion entre Lénine, Trotski et Rose Luxemburg.

Face à la mondialisation, tant le marxisme autonome que le post-marxisme,le but de la lutte, vise non à critiquer à la fois le capitalisme et le postmodernisme.

Il tente d’aplatir le sens de l’organisation au nom du pluralisme, de la

dissémination et de la société consommateur. Il remplace la souplesse la

démocratie par la tolérance, la décentralisation et la désorganisation. Ainsi, la

lutte ne doit pas insister sur l’organisation et la collectivité, c’est une ère plurale, il

n’existe ni de gauche, ni de droite.

En ce qui concerne l’idée post-politique. Bensaïd critique que, la pensée

postmoderne, à force de reprocher aux “ politiques de l’identité ” fige les identités,

n’insiste plus sur l’identification. Ainsi, les postmodernes pensent que la

révolution ne consiste pas à prendre le pouvoir, mais à démonter la structure. La

pensée postmoderne se consacre à une juxtaposition à l’infini de particularités et

274  D. Bensaïd, Un monde à changer, Textuel2003, pp.153-168. 

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une incapacité à penser l’universalité. Par cela, Holloway se contente d’affirmer

qu’il n’y a pas d’autre alternative. Cela s’apparente à une réponse réformiste, à

savoir, le monde ne peut être radicalement transformé, il faudrait se contenter de

l’aménager et de le corriger à la marge275.

Holloway définit le fétichisme comme une partie du capitalisme dont il

reproduit la logique. Cela conduit inévitablement à se concentrer sur la prise du

pouvoir. Pour lui, l’insistance sur la nécessité d’un parti organisé et la prise du

pouvoir, au nom de la révolution ou pour changer le monde tient aussi du

fétichisme. Par contre, la fétichisation est un processus de lutte durable, ainsi le

mouvement combattant la fétichisation est toujours un anti-fétichisme276. Ainsi,

par rapport à la lutte traditionnelle, le mouvement zapatiste est une lutte àl’échelle mondiale, une lutte se déroulant sous l’ère de l’empire. Ce mouvement

ne vise pas le pouvoir de la souveraineté, mais unit des fortes différentes, elle

rassemble la multitude par les médias, l’Internet. Elle repose sur la

non-identification et la désorganisation, accentue le pluralisme, la démocratie

délibératoire, l’organisation franche.

En empruntant le « Deleuzisme », Holloway trouve chez Deleuze et

Foucault une représentation du pouvoir comme une “ multiplicité de rapports de

forces ”, et non une relation binaire. Il soutient donc la non-identification et

désorganisation afin de rassembler plus de forces277. De même, Negri estime

inutile le mouvement tiers-mondiste, car dans le processus de la réorganisation

capitaliste, l’État-nation n’est plus le dominateur principal. L’empire remplace

ainsi la fonction de l’État-nation : l’entreprise internationale et les pays puissants

constituent le nouveau dominateur. Les mouvements tiers-mondistes et ceux liés

à la décolonisation s’avèrent inutiles. Pour le Marxisme autonome ou lepost-marxisme, la fluidisation et la déterritorialisation exigent d’adapter la

stratégie de la dissémination ou celui de corps de partisans. Autrement dit, pour

275  D. Bensaïd, À propos d’un récent livre de John Holloway  ; Bensaïd, un monde à changer ,Textuel, p.137-139 ; 142.276  J. Holloway, Change the World Without Taking Power, Pluto, 2002, p.108.277 D. Bensaïd, un monde à changer , Textuel, p.145.

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réaliser la résistance à l’échelle mondiale et élargir la masse, il faut renoncer à la

lutte ouvrière. La subjectivité révolutionnaire ne doit plus se limiter à la classe

ouvrière, mais inclure les étudiants, les jeunes, les chômeurs, comme le font par

exemple, les zapatistes.

Le marxisme autonome approfondit la notion du corps partisan. Le partisan

est toujours considéré comme l’ennemi intérieur. Ainsi, étant donné que sous

l’ère de l’empire, il n’existe plus de frontière, le territoire de l’empire constitue le

nouveau cadre au niveau planétaire. La guerre des partisans se déroule à

l’intérieur de l’empire, l’ennemi de l’empire ne vient pas de l’extérieur, mais de

l’intérieur. Ainsi, les chômeurs, les immigrés, les sans abris de tous les pays

forment le corps des partisans, dans ce cas, ils se réunissent au sein de la lutte àl’échelle transnationale. Dans ces conditions, il s’agit également d’un mouvement

transnational. Autrement dit, la multitude est comme le corps des partisans dans

l’empire, elle représente le véritable ennemi de l’empire : elle est la subjectivité

politique sous l’ère de l’empire278.

Pour le marxisme autonome, les partisans combattent seulement pour

abattre une construction figée, ce qui a pour résultat d’aggraver les injustices et

les inégalités de la construction quotidienne. La lutte ne consiste à prendre de

pouvoir, mais à renverser la vie quotidienne : c’est une révolution interstitielle.

Laclau emprunte la notion de Gramsci : la position de la guerre. L’objet et le

contenu de l’ennemi ne sont pas une constante, l’ennemi se trouve à des

positions différentes, ainsi, nous devons combattre partout, effectuer un

déplacement à tout moment. Cela implique d’articuler continûment et de façon

simultanée les membres et distinguer les ennemis. C’est l’unique voie pour

accomplir véritablement la lutte permanente.279 La lutte doit dépasser le niveaude l’appareil de l’État, qui ne possède plus la capacité de protéger ses citoyens,

mais tend au contraire à agresser le droit du citoyen. Dans ce cas, le peuple

rassemble pour défendre ses droits. La notion de partisan désigne donc la force

278  A. Negri et M. Hardt, Empire, Exils Edition, 2000, 478-481279 E. Laclau, On “Real” and “Absolute” Enemies, in《the New Centennial Review》, Spring 2005:8-9

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du peuple, il est l’action de résistance, ainsi, il ne se convient pas à l’angle du

crime, mais est une notion de la politique.

Le marxisme autonome soutient que la politique n’existe que dans

l’antagoniste, ainsi, il refuse une organisation unique, surtout celle du marxisme

traditionnel ou de Lénine. La poursuite du pouvoir est un fétichisme, l’État et le

parti sont également le produit de la fétichisation. Le partisan et le parti étant des

concepts antinomiques, le marxisme autonome rejette le principe d’une

organisation systématique. Il défend une révolution sans organisation et sans

identification. L’articulation du partisan est une action facultative, la révolution ne

repose ni sur un dirigeant, ni sur une stratégie. L’action politique est un plan

d’immanence, une immanence aussi absolue est une invention continuelle de laproduction du sens et des dispositifs d’action280. Elle ne vise pas à prendre le

pouvoir, elle réside en dehors du pouvoir de l’État.

D’après ce qui vient d’être dit, la position du post-marxisme est plus claire.

Le post-marxisme tente de rassembler le plus de membres différents possibles,

d’intervenir dans des domaines et sur des sujets les plus divers afin de prolonger

la ligne de la lutte et élargir le territoire du combat. De même, il insiste sur les

notions de multiplicité et de désorganisation afin d’éviter le centralisme et le

totalitarisme. D’autre part, le post-marxisme souligne la nécessité d’articuler

continuellement des forces différentes : la révolution apparaît ainsi comme une

résistance permanente.

Les critiques du post-marxisme à l’égard du Marxisme semblent justifier,

certains aspects théories apparaissent effectivement insuffisants, surtout dans le

domaine de l’économie politique. Autrement dit, la critique radicale du marxisme

implique une analyse radicale de l’économie politique, par cela, le Marxisme

recolle encore la relation sociale. Par conséquent, la réflexion du marxisme revêt

un sens double. D’une part, comment hériter la critique de l’économie politique

chez Marx, tout en ne sombrant pas dans les idées utopiques du communisme ?

D’autre part, comment dépasser l’échelle du capitalisme, sans retourner dans la

280 A. Negri, Une contribution sur Foucault , 2004

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féodalité privant l’homme de ses libertés ? Le Marxisme défend évidemment

l’émancipation de l’homme et la différence individuelle, cependant, il souligne

l’universalité de l’homme, comme Marx l’explique dans le Manifeste du Parti

communiste  : « le libre développement de chacun est la condition du libredéveloppement de tous ». 

En un mot, la réflexion du Marxisme oblige à lier le rapport social et la réalité,

et non pas à dissocier l’individu et la société totale. Il faut déterminer une position

permettant de clarifier les positions obscures, cette position accentue la question

de la violence, du racisme et de l’exploitation. Pourtant, ces phénomènes ne

relèvent pas de l’illusion, ils sont l’existence réelle. Nous désapprouve ceux qui

annoncent la disparition des classes. D’un côté, la puissance et les richesses setrouvent de plus en plus monopolisées par la classe dominante minoritaire. De

l’autre côté, comme Marx et Engels ont prédit dans le « Manifeste de parti

communiste », la classe prolétaire en s’élargit à échelle mondiale, la

mondialisation du capital aggrave ainsi les conflits et les antoinismes. Nous ne

toucherons la question de la mondialisation du capital que si nous démasquons

les illusions du communisme libéral et l’ambiguïté de la postmodernité. La

répression, l’exploitation, la violence, la discrimination de la classe, l’inégalitésont omniprésentes aujourd’hui, nous devons cristalliser un critère afin de

souligner l’existence de ces situations, ce qui démontre que la révolution est

nécessaire encore.

Plus important, nous ne sommes pas contre une société plurielle, mais

contre un discours politique qui s’évertue à nier, à évacuer la réalité des conflits

et les misères. Il ne s’agit pas simplement de démanteler un système, mais de

revoir les invisibles cachés par le système antérieur. Comme Badiou lemontre, la Révolution n’est pas ce qui arrive, mais ce qui doit arriver pour qu’il y

ait autre chose281. Voire, Badiou accentue que la vérité politique se montre, loin

de l’ordre étatique, toujours dans l’épreuve, la rupture et le désordre282. Du coup,

281 A. Badiou, Saint Paul , La fondation de l’universalisme, PUF, Paris, 1997, p.51282 A. Badiou, Abrégé de métapolitique , Seuil, 1998, p.54

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la question clé ne consiste pas simplement à constituer un contre-pouvoir, mais à

crée une opportunité égale qui permet à toutes choses de se surgir également.

La pensée postmoderne comporte des dangers, la gauche accepte

d’abandonner la valeur du travail, la solidarité internationale, etc. Ainsi, la gauche

perd le noyau traditionnel, la théorie et la pratique se séparent. Pour Marx, la

construction du monde se transforme par l’action, qui contribue au sens

historique. Lukacs et Gramsci soulignent l’importance de l’organisation, de la

conscience de la classe historique et de l’hégémonie. À savoir, organiser les

peuples implique la nécessité une force de la parole, une telle force à la fois

explique le monde et devient un moteur de l’action et de la critique.

L’action collective se trouve face à deux défis : le terrorisme et la violence.

Callinicos indique qu’après le 11 septembre, l’altermondialisation dénature le

terrorisme, par cela, les pays capitaux permettent de presser

l’altermondialisation au nom de l’anti-terrorisme. Callinicos souligne que, par

rapport au terrorisme, l’altermondialisation proclame publiquement la démocratie

délibérative, elle lutte contre la domination des pays puissants et la

monopolisation des entreprises internationales. Elle s’oppose à la guerre et à

l’impérialisme. L’altermondialisation est donc très différente l’organisation

terroriste. Tout cela démonte clairement que les pays puissants exercent une

violence légale. Le clivage qu’ils établissent entre la légalité et la violence sert à

désigner simplement le terroriste afin de réprimer les forces d’opposition283.

Ainsi, bien entendu, lutter contre le terrorisme ne signifie pas confondre pas

l’ennemi. Il faut distinguer la violence selon les circonstances différentes. En fait,

les évènements du 11 septembre a eu pour conséquence de rendre les contrôles

plus sévères, cela renforce la logique du capitalisme, à savoir, enlever tous ces

obstacles au nom de stabilité de la société. Ainsi, réfléchir sur la question du

terrorisme nécessite de soumettre le contexte du capitalisme, à savoir, si nous

ne réfléchissons pas au terrorisme ou à la violence par rapport au sens de

283 A. Callinicos, The Anti-Capitalist Movement after Genoa and New York ’, in S. Aronowitz andH.Gautney, eds, Implicating Empire (New York: Basic Books, 2003), pp. 133-150

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capitalisme global, l’altermondialisation ne trouverait pas d’issue et perdrait de

vue ses buts.

Pour traiter de la violence et le terrorisme, Žižek emprunte la notion de

Balibar : la cruauté excessive et non fonctionnelle, pour expliquer la violence au

sein du multiculturalisme, du capitalisme global, et la tolérance libérale. La

cruauté sans fonction est une violence insensée, elle n’est une violence

structurelle, plutôt une violence  ultra-subjective. Elle ne constitue ni une

idéologie, ni un utilitarisme, elle est seulement un hédonisme et un déséquilibre :

un « ça Mal ». La violence est un plaisir aidant à frapper l’étranger. La Violence

n’est fondée sur aucune raison utilitaire ou idéologique284. Balibar distingue deux

modes de violence excessive : la violence ultraobjective et la violenceultrasubjective qui sont à la fois contraires et complémentaires. La première

s’avère inhérente aux conditions du capitalisme, la seconde est un néo-racisme

ou un fondamentalisme, elle est totalement exclusive de toute autre285. Ces deux

violences excessives forment une violence insensée, elles entravent

l’universalité des droits de l’homme. Žižek précise que l’universalité réelle de la

mondialisation est un processus de l’exception interne. De plus, il pense que

l’hégémonie est aussi une fiction de l’universalité, si bien que la tolérance libéraleet le multiculturalisme constituent le masque du capitalisme. De même,

l’hégémonie polycentrique ou plurale dépendent de la logique du capitalisme286.

Le pluralisme sert lui-même comme de référence au racisme, parce qu’il

considère l’autre comme un système clos. L’universalité idéale exige une

révolution de l’égaliberté et de la condition excessive, ainsi, elle oppose et

dépasse l’ordre existant.

Žižek observe que la mondialisation du capitalisme repose sur une illusion, àsavoir qu’il n’existerait pas de choix alternatif à la mondialisation capitaliste287. Il

emprunte de ce fait la notion « politique de la soustraction » de Badiou. Il

284 S. Žižek, The Ticklish Subject , verso, 1999, p.201285 É. Balibar, La crainte des masses , Galilée, 1995, p.43286 S. Žižek, The Ticklish Subject , verso, 1999, p.202, 213-214287 S. Žižek, The Fragile Absolute , verso, 2000, p.62

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propose une forme politique qui demande l’impossible qui doit dépasser

l’institution existante. Il préconise une politique « indépendante de » ou « de

soustraction à » l’autorité de l’État. Cette politique est « distance de l’État », elle

n’est plus structurée ou polarisée par l’agenda et les délais fixés par l’État. Pourlui, cette politique est la négation de la négation hégélienne, elle anéantit

directement toute construction en niant le contenu même de celle-ci. Une telle

politique abrite à la fois un antagonisme fondamental et la ligne de la démocratie.

Cela renverrait à la notion chez Balibar de l’universalité qualitative, l’idée d’un

universalisme de libération et de non-discrimination. L’universalité qualitative

n’est pas une idéologie étatique ou d’un quelconque appareil, mais au contraire,

elle repose sur une revendication d'égalité commençant par l'expression d'unerévolte. Cette force s’érige contre toutes les formes de discrimination,

d’inégalités, tous les obstacles s'opposant à la liberté d'expression ou à d'autres

libertés, individuelles ou collectives288. Cette démarche permet de ne pas se

limiter au cadre de l’actualité, mais de créer un mode alternatif, possédant une

discipline et un contenu différent289.

288 É. Balibar, Quel universalisme aujourd’hu i, Cercle Gramsci, Conférence du 3 décembre 1993289  S. Žižek, État d'urgence et dictature révolutionnaire, intervention au séminaire « Marx auXXIe siècle : l’esprit et la lettre, Paris, 2007

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7.2 La lutte transnationale----de Marx à aujourd’hui

Cette section s’articulera autour de deux points. Le premier sera de

réexaminer la stratégie de la lutte internationale en nous basant sur l’histoire des

années 1910. Le second sera de déterminer comment engendrer une

organisation démocratisée dans l’action collective.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’altermondialisation est une

lutte qui se situe entre deux modèles de la mondialisation, celle du marché et

celle de la société. Le marché mondial se bâtit par le biais des institutions

transnationales afin de protéger ses profits, généralement au détriment de ladémocratie. Leurs décisions ne passent pas par des discussions publiques et

aucun mécanisme de contrôle public n’est exercé sur elles. Ces institutions

piétinent impudemment les intérêts des pays pauvres, en se substituant au droit

administratif. Elles renforcent le marché et prolongent leur territoire. La réalité de

la mondialisation est qu’avec elle les institutions transnationales interviennent sur

la fiscalité, les finances et qu'à l’aide de sanctions, elle fait disparaître la

solidarité sociale.

L’altermondialisation est essentiellement un mouvement collectif organisé

pour protéger ou restaurer la solidarité sociale détruite par la force du marché.

L’altermondialisation ne consiste pas seulement à critiquer la mondialisation

capitaliste. Elle propose de créer une mondialisation alternative dépassant les

institutions précédentes. Le moteur de l’altermondialisation consiste à la fois en

la dissidence et en l’intégration. D’un côté, elle sépare le syndicalisme

traditionnel et le fondamentalisme, et de l’autre elle corporifie les participants à

l’échelle mondiale. Le mouvement social traditionnel se limite au cadre de l’État

particulier. Nous avons besoin d’une confédération transnationale pour dévoiler

les obstacles à la justice, à l’administration et à la hiérarchie sociale. Une telle

confédération fait converger les forces résistantes de l’altermondialisation, des

immigrés aux prolétaires et aux ouvriers : elle agit comme une action

transnationale.

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Dans la section 7.2.1, nous analyserons la réponse du camp de la gauche

face au défi de la post-politique. Cette dernière préconise de renoncer à la

théorie des classes et la lutte ouvrière. Elle propose de remplacer l’ouvrier et le

prolétariat par la multitude ou par l’articulation contingente. Cette questionrenvoie à celles soulevées par Lénine dans Que faire ?  et de R. Luxemburg dans

la Réforme ou la révolution . À savoir que les questions ayant trait à l’organisation,

au parti, à la révolution, à la démocratie et à la dictature, etc. sont à reformuler.

Ces questions nous renvoient à la théorie de Marx et à la discussion entre

Lénine et R. Luxemburg.

Dans la section 7.2.2, nous envisagerons la subjectivité politique comment

le fruit du processus de la lutte et nous envisagerons comment peut s’accomplirl’universalité dans l’action collective. Le sujet politique est engendré par l’action

fidèle. Dans la perspective d’un nouveau sujet révolutionnaire, la gauche doit

ainsi disposer de la position aiguë et reposer sur la valeur universelle,

l’humanitaire, la démocratie et l’égalité, etc.

7.2.1 Stratégie de la révolution----de Marx à la IIIe Internationale

La confédération implique de favoriser l'internationalisme. R. Luxemburg

soutient l’exercice et l’engagement politique du peuple. Celui-ci a pour condition

la liberté politique, elle constitue également la base de la démocratie sociale290.

L’exercice politique signifie que la masse connaîtrait et soit habituée au droit

politique. Cette démarche permet à la masse de participer à la décision politique.

L’exercice du socialisme a besoin d'une réflexion. Cependant, il ne peut pas être

décrété et octroyé par une douzaine d'intellectuels. Au contraire, la masse doit

pouvoir exercer l'ensemble de ses droits politiques afin de vivre l’expérience du

socialisme. La société dispose alors des conditions favorables à la liberté

politique et du pouvoir créatif.

290  R. Luxemburg, « La Révolution russe   », Oeuvres II: Écrits politiques 1917-1918. Paris :Maspero, 1971.

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En dehors de l’éducation et l’exercice, R. Luxemburg insiste également sur

l’importance du contrôle. Elle dénonce encore une fois la violence de l’appareil

étatique, et elle s'oppose aussi à la domination terroriste. Elle estime que l'école

constitue un élément essentiel au même titre que la vie publique, elle permet unélargissement de la démocratie. L’opinion publique empêche toute velléité de

décision minoritaire et évite de tomber dans le risque de rétablir l'État bourgeois:

Cette dictature réside dans le mode d'application de la démocratie et non dans

sa suppression, en empiétant avec énergie et résolution sur les droits acquis et

les rapports économiques de la société bourgeoise ; sans cela, on ne peut

réaliser la transformation socialiste. Mais cette dictature doit être l'œuvre de la

classe, et non pas d'une petite minorité qui dirige au nom de la classe,c'est-à-dire qu'elle doit être l'émanation fidèle et progressive de la participation

active des masses, elle doit subir constamment leur influence directe, être

soumise au contrôle de l'opinion publique dans son ensemble, émaner de

l'éducation politique croissante des masses populaires.291.

D'après ce qui vient d’être dit, il apparaît que l’altermondialisation doit aussi

soutenir la démocratie, l’éducation, l’engagement et le contrôle. Autrement dit, sa

stratégie vient de la masse, non pas vient d'une minorité dirigeante. Ensuite,

l’altermondialisation doit établir une école syndicaliste dans les syndicats des

usines. Le but est de collecter et de faire converger les informations

internationales, par cela consolider les réseaux transnationaux.

L’altermondialisation doit connecter les salariés des entreprises privées et

publiques. Ce travail d'intégration rendra l'action plus efficace pour obtenir plus

de protection pour la santé, au logement, à l’éducation. Tout le monde pourra

élargir les services et les ressources publiques, et non pas se battre les uns

contre les autres. Autrement dit, il est nécessaire de se rassembler pour obtenir

plus de services publics. L'action doit consister à se monopoliser contre l’État et

les blocs puissants, non pas se combattre au sein de la classe pauvre.

Au sens large, nous devons prolonger la dimension de la lutte, non pas

291  Ibid., p. 58

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seulement auprès des travailleurs publics, mais aussi vers ceux qui travaillent

dans le privé. La lutte ne se limite pas non plus au travailleur local, mais

concerne aussi le travailleur étranger afin d'établir un réseau étroit qui s'étende

de la localité à la région et jusqu’au niveau international. Une telle confédérationinternationale induit un système solidaire et collectif qui ne délaisse aucun

travailleur, personne ne doit être laissé en dehors le réseau de la protection.

Nous dépassons la circulation du capital, l’entreprise n’échappe pas la

responsabilité, n’importe où elle délocalise, elle doit offrir aussi le droit du travail.

Une telle confédération se distingue du syndicat traditionnel. Elle rassemble bien

les travailleurs précaires victimes de la précarité et flexibilité. Cette confédération

ne rassemble pas seulement les travailleurs des usines, mais tous les exploités.Autrement dit, il n'est possible de concevoir un nouvel internationalisme que

nous pourrions lier un réseau à l’échelle mondiale. Cet internationalisme

dépasserait la nationalité et l’entreprise, il ne se limiterait plus au syndicalisme

particulariste et au nationalisme.

Face à la mondialisation capitaliste, le post-politique prédit une nouvelle

subjectivité révolutionnaire, il croit en plusieurs formes de mouvement social:

celui de la force d'opposition, et l'action subjective. Il faut donc rattacher cesnouveaux mouvements. Le post-politique préconise d'abandonner la théorie des

classes, de la lutte ouvrière et remplacer le rôle de l’ouvrier par la multitude.

Cette nouvelle articulation et subjectivité se trouve censée accomplir la

démocratie radicale du pluralisme. Cependant, une telle proposition ne fait que

copier la démocratie bourgeoise, qui insiste sur la liberté individuelle et la

tolérance. C’est une action affective et morale, qui n'est pas consciente.

Cette question retourne à celle soulevée par Lénine dans « Que faire ? » etR. Luxemburg dans « Réforme ou la révolution ». A savoir, la question de

l’organisation, du parti, de la révolution, la démocratie et la dictature. Au début du

20e siècle, la discussion de la stratégie de la gauche s'est déjà posée. Kautsky

considérant le parlementarisme comme une transition vers la société

communiste, et pour qui l’élection remplace la lutte ouvrière. Lénine préconise

quant à lui d'organiser les masses et de construire un parti qui soit à

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l’avant-garde au nom de la démocratie centralisée. Les masses appartiennent au

parti. R. Luxemburg ou Trotski défendent de leur côté la nécessité d'une

organisation dialectique et organique, afin de lutter continûment au sein de

l’organisation. Cela permet d'éviter le révisionnisme et opportunisme.

En fait, la discussion autour de la position du post-politique ressemble à

celle du début du XXe  siècle. A savoir, la discussion entre R. Luxemburg, le

révisionnisme et l’opportunisme. Ces controverses portent sur la question de

savoir ce que nous devons faire ? La lutte quotidienne ou la lutte de la classe ?

La sociale démocratie ou le parlementaire? Prendre le pouvoir ou pas ? La

question de l’articulation proposée par le post-politique insiste sur le choix entre

l’hégémonie antagoniste ou un centralisme plural. Cette question a été soulevéedepuis Lénine et R. Luxemburg qui se sont aussi préoccupés de la question de

l’organisation. Ils appellent également à social-démocratie et à l’organisation

hétérogène, la social-démocratie est la fusion du mouvement ouvrier et du

socialisme. Cela ne signifie pas pour autant que nous n’ayons pas besoin de

construire un parti pour promouvoir la révolution ou renverser le parlementarisme

du capitalisme. L’organisation intériorise les contradictions du système dans

lequel elle s’enracine, elle est plutôt différentielle. Elle mène toujourssimultanément en son propre sein une lutte permanente contre les déviations

opportunistes et sectaires292. Autrement dit, le but de l’organisation n’est pas

conciliateur, mais vise à découvrir l’opportunisme conciliateur camouflé derrière

l’organisation révolutionnaire.

Au sujet du mode d’organisation, R. Luxemburg diffère de Lénine. Pour

elle, le capitalisme et l’industrie ont contribué à atomiser l’ouvrier. Ainsi, la

social-démocratie devient la première étape de la révolution. Lasocial-démocratie se rapproche des groupes locaux pour développer une

organisation nationale, ce qui permet de déclencher un mouvement politique

dans tous les coins de pays. Par rapport à Lénine, elle ne propose pas une

292  D. Bensaïd, « A propos de la question de l’organisation : Lénine et R. Luxemburg », Partisans,décembre 1968-janvier 1969, N°45,

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démocratie centralisée. Pour elle, la question ne réside pas dans la centralité,

mais dans le moteur de l’action. À savoir, la révolution ne subordonne pas un

parti de l’avant-garde. Au contraire, elle consiste en la masse, elle est une

subjectivité du parti. Elle décide collectivement l’action, cette décision estdialectique. Organisé et ouverte, elle implique plusieurs possibilités potentielles.

Pour R. Luxemburg, le centralisme doit être considéré seulement comme

une tendance et un processus intégral, non pas comme une directive mécanique

et une discipline incontestable. Par conséquent, elle pense que l’organisation est

nécessaire, mais le plus important est d’enrichir la vie politique à l’aide de

l’éducation, de la praxis et du discours public. La valeur de la révolution russe est

qu’elle a repris le pouvoir et le droit politique : les libertés de la presse, del’association et de la réunion. Grâce à ces droits politiques, les principes

démocratiques fondent une vie publique saine et permettent une activité politique

des masses ouvrières. Ces dernières engendrent la grève générale et

l’association internationale. Lorsque Lénine oppose la démocratie à la dictature,

et préconise le centralisme, il supprime la liberté de presse et de réunion. Sans

discussion libre, R. Luxemburg juge que Lénine risque de faire sombrer son pays

dans la dictature bourgeoise293

.

Par rapport à la position du marxisme autonome. Pour R. Luxemburg, la

révolution n’entre pas spontanément dans la discussion « Réforme sociale ou

révolution ? ». Elle insiste sur l’importance de l’organisation et de la conscience

de classe dans le socialisme. Elle répond ici par le rapport entre l’organisation et

la lutte quotidienne. Bien sûr, la révolution découle nécessairement de la vie

quotidienne. Cependant, la lutte quotidienne ne signifie pas qu’elle soit

automatique. En revanche, elle accentue la conséquence des contradictions ducapitalisme. Du coup, la classe ouvrière lutte dans la vie quotidienne, par cela,

elle élimine les contradictions du capitalisme. La classe ouvrière doit d’une part

découvrir la contradiction du capitalisme, d’autre part, organiser les masses en

action. La lutte de la vie quotidienne concerne étroitement la condition matérielle,

293  R. Luxemburg, « La Révolution russe  », op. cit. ,pp54-56

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non pas la base abstraite. La contradiction du capitalisme permet de stimuler

l’action, c’est la condition préalable de la révolution. Néanmoins, l’action

collective ne deviendra effective qu’en organisant les masses.

Dans ce cas, la lutte provient de la vie, et la lutte de la vie quotidienne est

celle contre le capitalisme : « Le socialisme ne découle donc pas

automatiquement et en toutes circonstances de la lutte quotidienne de la classe

ouvrière. Il naîtra de l’exaspération des contradictions internes de l’économie

capitaliste et de la prise de conscience de la classe ouvrière, qui comprendra la

nécessité de les abolir au moyen de la révolution sociale. »294. Une telle lutte non

seulement combat le capitalisme, mais se situe au-delà de l’ordre établi ; allier la

lutte quotidienne avec le projet grandiose d’une réforme du monde, tel est leproblème posé au mouvement socialiste295. R. Luxemburg pense que la classe

prolétariat ne confirme ses missions historiques que dans l’action de la lutte.

La lutte quotidienne découle de l’organisation et la conscience de la classe,

qui lie étroitement la relation économique et sociale : la plus grande conquête de

la lutte de classe prolétarienne au cours de son développement a été la

découverte que la réalisation du socialisme trouve un appui dans les fondements

économiques de la société capitaliste. La conscience de la classe n’est pas

abstraite, elle provient obligatoirement de l’action et de bases matérielles. Il n’y a

donc pas de grève de masse purement économique. Ainsi, il ne faut pas séparer

la lutte revendicative et la lutte politique. La révolution, bien sûr, est une action

autonomique et volontaire, mais l’autonomie ne signifie pas également que la

révolution n’a pas besoin de base réelle et d’un système organisé. La grève de

masse est plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de la

lutte de classes s'étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies. Il n’ya pas de révolution qui soit une automatisation réelle. Elle se trouve forcément

liée à des conditions historiques et matérielles, sinon, ce serait une révolution

abstraite. Il faut penser les bénéfices et les pertes de l’action dans la tête, et

294 R. Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ? Maspero, 1969, pp.47-48295  Ibid., pp.87-88

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dissocier la relation de l’économie et du politique. L’action diffère de la vie

quotidienne et d’un système conscient. Du coup, R. Luxemburg souligne que la

révolution qui crée seule les conditions sociales permettant un passage immédiat

de la lutte économique à la lutte politique et de la lutte politique à la lutteéconomique. Ce qui se traduit par la grève de masse 296.

La grève de masse n’est pas une action artificielle et mécanique, elle est

une forme représentative de l’action de masse, l’action existe dans une logique

immanente et doit être reliée étroitement à la situation actuelle : « la grève de

masse a été pratiquée en Russie non pas dans la perspective d'un passage

brusque à la révolution, comme un coup de théâtre qui permettrait de faire

l'économie de la lutte politique de la classe ouvrière et en particulier duparlementarisme, mais comme le moyen de créer d'abord pour le prolétariat les

conditions de la lutte politique quotidienne et en particulier du parlemen- 

tarisme. »297. Autrement dit, la grève de masse n’est pas seulement une lutte

économique, mais une lutte politique pour prendre le pouvoir politique. La grève

générale n’est pas pour un recours défensif ultime, mais l’irruption qui rend

pensable une stratégie révolutionnaire. La révolution n’est pas possible par la

dissémination, mais une structuration. R. Luxemburg insiste sur le besoin pour larévolution du prolétariat d’un haut degré d'éducation politique, de conscience de

classe et d'organisation, ces dernières n’existent pas dans la brochure, mais

dans la lutte et par la lutte. Une telle conscience et mode d’organisation

constituent la base de la social-démocratie.

Comme R. Luxemburg, Lénine critique le spontanéisme qui, pour lui, est une

simple idéologie. Le mouvement automatique et la révolution spontanée ont-elle

besoin d’une organisation révolutionnaire ? Lénine propose une réflexion dansson ouvrage célèbre « Que faire ? ». Lénine pense que la gravité générale

concerne certainement le spontanéisme, cependant, c’est une action se trouvant

ses causes dans le mécontent ou la haine, à savoir, c’est une action du

296 R. Luxemburg, Grève de masses, parti et syndicat, Maspero, 1969, p.134297  Ibid., p.95

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sentiment ou de la personnalité. Pour Lénine, la gravité générale vient plutôt de

la conscience. Les ouvriers luttent contre l’exploiteur, c’est une résistance

économique.

Dans ce cas, la conscience de classe ouvrière n’est pas automatique, les

ouvriers ne sont pas conscients eux-mêmes des conditions historiques et

sociales, car la résistance est un être lui-même, il s’agit seulement d’une lutte

contre l’exploitation. Cependant, Lénine souligne la classe doit développer sa

conscience par elle-même, à savoir, la résistance doit venir de la classe

elle-même et pour elle-même. La condition de la conscience ouvrière posée, il

est possible de parler de lutte générale. La lutte ne se limite pas dans le cadre de

la profession singulière et de l’économie, elle n’est plus la simple oppositionentre l’employeur et le salarié, elle élargit les domaines de la société et de la

Politique. Elle corporifie différentes professions, la lutte surgit alors dans

l’organisation et la division du travail et coordination. La lutte ouvrière ne se

borne pas à la personne, ni à l’économie, ni au spontanéisme, au contraire, elle

repose sur l’organisation, la politique et la conscience. Ceux qui préconisent la

lutte en tant que spontanéité, défendent une lutte idéologique et abstraite. Pour

Lénine, la lutte ouvrière doit éduquer la classe ouvrière, développer uneconscience de la classe, afin d’engendrer l’activité révolutionnaire.

Pour Lénine, la politique et la spontanéité sont la praxis scientifique, la

conscience et la connaissance ouvrière ne s’obtiennent pas par l’expérience de

l’usine et la vie quotidienne. Par contre, elles dépassent le cadre de l’expérience

personnelle et les détails du quotidien, elles sont un supplément à l’éducation.

Pour Lénine, la révolution socialiste doit disposer d’un parti, pour généraliser la

lutte entre des masses différentes, et encourager la masse de reconnaître saposition propre et la relation avec la puissance politique. Un mode d’organisation

s’avère nécessaire pour faire converger diverses forces et clarifier la stratégie et

généraliser le discours. La révolution est aussi une relation sociale collective, elle

ne se réduit pas à l’autonomie individuelle ou à une action mystique. La

responsabilité du parti ouvrier consiste à éduquer les ouvriers, ce qui est la

mission historique du parti ouvrier, sinon, la lutte ouvrière devient un simple

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corporatisme. De même, le parti de la social-démocratie doit organiser l’action

ouvrière à travers plusieurs plans.

En bref, Lénine accepte la gravité générale comme un mouvement de

résistance. Ce mouvement volontaire signifie aussi une connaissance

préliminaire de la conscience ouvrière, une telle spontanéité faire émerger leur

conscience. Si les ouvriers renversent le système traditionnel, ils croiront pouvoir

changer la situation actuelle, ils ne jugeront pas qu’ils faillent former une

résistance collective. Cependant, aux yeux de Lénine, ce type de lutte risque de

tomber dans le syndicalisme, l’unioniste ou le corporatisme. Ainsi, il ne s’agit pas

d’une lutte sociale-démocrate. Les ouvriers ne s’opposent pas dans ce cas à des

relations sociales et historiques, mais à celles de la modernité et de labourgeoisie. Lénine indique que le mouvement spontané est en fait la domination

de l'idéologie bourgeoise. Il pense que si les ouvriers s’aperçoivent des

contradictions insurmontables avec la société bourgeoise, ils possèderont la

conscience de classe et de la social-démocratie. Le parti social-démocrate se

doit d’inculquer ces conceptions : « non seulement les social-démocrates ne

peuvent se limiter à la lutte économique, mais qu'ils ne peuvent admettre que

l'organisation des divulgations économiques constitue le plus clair de leur activité.Nous devons entreprendre activement l'éducation politique de la classe ouvrière,

travailler à développer sa conscience politique . »298  

C’est la raison pour laquelle Althusser pense que la philosophie léniniste

accentue deux choses, la prise de parti et le matérialisme historique scientifique.

Ce qui permet de la conscience attacher la matière. Cette matière n’appartient

pas la catégorie de la science, mais de l’histoire. Le matérialisme ne réside pas

dans l’analyse de la matière, mais dans la relation réciproque entre la matière etl’objet. Autrement dit, c’est un processus de la praxis. Du coup, la conscience

n’est pas une idéologie abstraite, mais une conséquence de la praxis conduisant

à repenser la science et l’idéologie. L’action est une praxis historique. Elle n’est

pas seulement une pratique scientifique, mais aussi une pratique philosophique :

298  Lénine, Que Faire ? 1902  

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elle est la scientificité299. La philosophie, la science, la conscience découlent de

la pratique dans le processus historique. Comme l’observe Althusser : « la

philosophie serait la politique continué d’une certaine manière, dans un certain

domaine, à propos certain réalité, la philosophie représenterait la politique dansle domaine de la théorie, pour être plus précis, auprès des sciences, et vice

versa, la philosophie représenterait la scientificité dans la politique, auprès des

classes engagées dans la lutte des classes »300. Il n’existe de spontanéisme que

dans la praxis et dans l’exercice politique.

Au sujet de la révolution quotidienne et la lutte politique, à la différence de

Negri et Holloway, qui empruntent la notion Deleuze et Foucault, Laclau et

Mouffe se réfèrent à Gramsci. Cela rend nécessaire de réexaminer la théoriechez Gramsci. Ce dernier propose la notion de l’hégémonie, il pense que l’État

intégral consiste en la société politique et en la société civile. Celle-ci est une

hégémonie de la violence appliquée par la police et le militaire. En revanche, la

société civile est une hégémonie souple exercée par les médias, l’éducation, la

protection sociale. À savoir, elle est une hégémonie culturelle. Ces deux

hégémonies s’exercent alternativement. L’hégémonie culturelle est une force

impérative de l’extérieur, elle est aussi une discipline intérieure, construisant undiscours. À l’aide de ce dernier, l’État introduit des valeurs, une morale, et un

consentement actif. Ce consentement justifie la légalité de la classe dominante.

L’hégémonie ne constitue pas seulement une force impérative, mais aussi

une force civilisatrice, ces deux forces forment une structure de coexistence. La

classe dominante et la classe dominée semblent produire ensemble un profit, le

profit de la classe dominante équivaut à celui de la classe dominée. La

conscience de la classe dominante devient une conscience générale et collective.Cela permet à la masse de considérer le pouvoir et la construction actuelle

comme naturels. L’hégémonie sert aux puissances dominantes à pénétrer la vie

quotidienne, elles deviennent une partie de l’expérience quotidienne. La

299  Althusser, Lénine et la philosophie, Maspero, 1975, p.32-33300  Ibid., p.42

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  331

structure sociale influence l’action, l’action n’est pas seulement une volonté

personnelle, mais aussi une capacité structurale.

Ce point de vue susdite rentre dans le concept chez Marx : « l'essence de

l'homme n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité,

elle est l'ensemble des rapports sociaux » 301   . L’humain ne possède pas

essence originale, il n’est pas mécanique, mais organique, il se fonde sur la

construction sociale, il consiste dans la praxis. La construction sociale et la

praxis se trouvent en interaction, ils sont une justification réciproque. Dans la

construction sociale, l’homme est à la fois la praxis et la réalisation elle-même.

L’action n’est pas une action individuelle, mais une volonté générale, elle ne

consiste pas à nier l’importance de l’action individuelle, mais à insister qu’en tantque part de la masse, l’individu déploie ses efforts au sein de la volonté générale.

D’après ce qui vient d’être dit, à la différence de l’interprétation post-marxiste,

Gramsci retourne la notion de l’idéologie par une redéfinition de l’hégémonie

culturelle. Pour lui, l’idéologie est aussi une structure sociale venant de la société

civile, qui au travers de la praxis justifie les influences de la structure sociale.

Dans le processus de la pratique, grâce à l’interaction avec la société et l’autre,

l’homme conçoit sa propre conscience, cependant, une telle conscience de soi

n’est ni individuelle, ni facultative, elle inclut à la fois la subjectivité de l’action et

la construction sociale. Une telle conscience non seulement crée une nouvelle

condition historique, mais aussi critique la construction précède.

L’intersubjectivité fait que même si l’homme est influencé par la construction

sociale, il possède dans le même temps d’une capacité de critique. Le rapport

entre le participant et la société est réciproque, dialectique, organique, non pas

unidirectionnel, mécanique. La conscience elle-même ou l’idéologie possèdeune base sociale, non pas l’illusoire.

Au sens de Gramsci, l’hégémonie n’est pas un appareil répressif, mais une

construction ouverte, elle résulte toujours d’une position de l’hétérogénéité, cela

évite la bureaucratie. Elle permet de créer un espace pour le débat démocratique,

301 K. Marx, Thèses sur Feuerbach  

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où les militants se dotent de moyens de discussion qui ne dépendent pas des

puissances de l’argent ou de la pression médiatique. Par ailleurs, l’hégémonie

favorise l’action collective ou celle d’un parti politique, elle peut se considérer

comme un intellect collectif, qui partage et socialise différentes sources et formesde savoirs militants. Par conséquent, pour Gramsci, la révolution ne consiste pas

uniquement à reprendre l’appareil de l’État, mais aussi dispose d’une hégémonie

culturelle au sein de la société civile.

Hormis la discussion de la révolution quotidienne, l’autre polémique consiste

à déterminer comment exercer la révolution. La question renvoie à celle de la

reforme sociale ou la révolution. Doit-on soutenir une réforme institutionnelle, si

nous poursuivons une nouvelle communauté démocratie ? On peut soutenir qu’ilfaut développer la lutte au sein de l’institution, tant par l’élection que par la

réforme institutionnelle. Cette voie permet de changer le monde et de casser le

capitalisme, mais elle comporte aussi le risque du révisionnisme. Si cette voie

défie l’institution donnée, elle se cadre aussi par rapport à une règle donnée.

Que ce soit Kautsky au début du XXe siècles ou de Negri en début du XXIe siècle,

tous recherchent une démocratie institutionnelle, ainsi, ils soutiennent un

gouvernement constitutionnel, et s’opposent à la dictature. Du coup, ils tombentdans le mythe, ils opposent la démocratie à la dictature, ils considèrent le

parlementarisme comme la démocratie. La dictature est synonyme de violence,

ainsi en rejetant la dictature, ils instaurent la démocratie. Ils croient que la

réforme constitutionnelle remplacera l’État bourgeois. Cette nouvelle

communauté politique sera plus démocratique et affaiblira la violence de l’État.

Lénine reproche Kautsky de réduire Marx à un vulgaire libéral, et de renier

totalement le marxisme  302. En fait, l’essence de la question ne se situe pas tantsur la démocratie directe ou indirecte. Concernant la discussion entre R.

Luxemburg et Kautsky, le problème essentiel n’est pas celui des rapports entre

démocratie territoriale et démocratie d’entreprise, ni même celui des rapports

entre démocratie directe et démocratie représentative, mais celui de la formation

302  Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsk, 1918. 

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d’une volonté générale. Les deux démocraties sont fondées sur le principe de la

classe bourgeoise, le parlementarisme ne représente pas du tout la volonté

générale. Kautsky prétend à la démocratie au sein de l’institution, une telle

reforme du révisionnisme soutient toujours le gouvernement constitutionnel, etconsidère le parlementarisme comme la démocratie. Par cela, il refuse la

dictature.

Cependant, la question ne réside pas tant sur la forme de la démocratie,

mais sur le fait que le parlementarisme se fonde sur l’idéologie de la classe

bourgeoise. Il se modèle par le mandat impératif, et non pas par la volonté

générale. Une telle question est discutée au sujet de l’UE actuel. L’enjeu consiste

à imaginer si l’Europe, doit se construire sur la réforme ou la révolution ? Negriou Habermas croient que la réforme de la constitution, fondée sur plus de

démocratie, permettrait à l’Europe de devenir une puissance équivalente à celle

des États-Unis d’Amérique. Une telle Europe en se constituant par plus de

membres, d’une part, renforcerait sa puissance, d’autre part, élargirait le territoire

de l’Europe. Ainsi, la puissance de l’Europe offrirait plus de protection à ses

citoyens. Dans ce cas, l’UE devient un moindre mal que l’État-nation.

Néanmoins, Balibar et Bensaïd montrent que Negri se trompe en croyant ou

en laissant croire que la construction actuelle représente un moindre mal que

cette « la forme d’organisation des élites capitalistes » que constitue l’État-nation.

En fait, l’UE ne modifie en rien l’essence de l’État-nation, parce qu’elle résulte

encore de la logique du marché et du capitalisme. De même, Negri croit en la

force de la multitude et il propose un pouvoir constituant abstrait. La question ne

consiste pourtant pas tant à s’interroger s’il faut exercer la démocratie directe,

mais sur les rapports de force. Tant pour l’UE que l’État-nation, la racine duproblème consiste à déterminer comment faire converger la force du peuple. À

savoir, la question est de déterminer comment organiser les peuples ? L’État

n’est jamais une chose, mais un rapport de force. Cela fait que l’État ne soit pas

une l’illusion idéologique, mais un lieu de la lutte. Par conséquent, nous ne

pouvons réduire l’émancipation humaine à la liberté du marché, et la démocratie

à l’élection parlementaire. Nous ne changerons pas l’essence de l’institution que

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  334

si nous réarmons les rapports de force.

7.2.2 L’altermondialisation de la démocratie radicale

Selon ce qui vient d’être dit, il devient possible d’éclairer les discussions

autour de la relation entre l’action collective et l’organisation démocratisé.

L’hétérogénéité et l’antagonisme sont importants la démocratie. Comme nous

avons discuté dans 5.2, Rancière et Balibar soutiennent distinctement

l'affrontement politique ou la démocratie conflictuelle. Les antagonismes internes

préservent la démocratie de tout exclusivisme, ils permettent de transformer la

démocratie bourgeoise en social-démocratie. Autrement dit, elle n’est plus la

démocratie parlementaire et représentative ou la démocratie consultative, elle

inclut les membres différentiels. L’hétérogénéité est un élément important sur

lequel la démocratie repose. En dehors de l’hétérogénéité, nous devons nous

interroger comment articuler ces hétérogénéités pour engendrer une force

subversive, permettant de dépasser l’institution fixe et de mettre en question les

fautes politiques. Grâce à une telle force subversive et insurrectionnelle, de plus

en plus d’hommes sont impliqués dans l’espace politique, ils forment la

subjectivité politique. Une telle force se préserve du totalitarisme. Tant pour ce

qui est de l’hégémonie que de la dictature, l’hétérogénéité diffère de la

démocratie bourgeoise, parce qu’une telle démocratie ne repose non pas par sur

l’exclusion ou le consensus négociable, mais elle rassemble les forces diverses

et réconcilie les antagonismes internes. La démocratie vient de l’interaction et de

la praxis de la subjectivité politique.

Par conséquent, la démocratie n’est pas un système fermé, mais ouvert.

Elle n’est pas, comme l’annoncent les post-politiques, la figuration de la

dissémination et de la pluralité. Il n’y a pas la démocratie automatique ou

spontanée, la démocratie est une action et une force basées sur la collectivité

organisationnelle. Les pensées post-politiques, -tant le Marxisme automatique

que le post-Marxisme, ignorent la fonction et l’essence de l’hétérogénéité au sein

de la démocratie. Le centre plural ou le pluralisme culturel n’ont pas fait

disparaître les conflits traditionnels. Ils ont par contre contribué à l’émergence de

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  335

plus de violence structurelle au nom de la tolérance et de la pluralité. Le

post-politique permet aussi au capitalisme de valoriser la logique du libéralisme

et du marché. Il ne constitue pas une proposition probante en vue d’une stratégie

de la lutte à l’heure de la mondialisation.

Nous pouvons ici pousser la réflexion autour de la redéfinition de la

démocratie. Pour nous, le sens de la désobéissance consiste à redéfinir la

démocratie. La désobéissance signifie que la démocratie n’est plus un produit de

la négociation ou du parlementarisme. La démocratie ne fait qu’inclure les voix

invisibles, tout le monde dispose d’une chance égale de la parole. La démocratie

inclut les identités différentes, et donne un nom à « la part des sans -part  » chez

Rancière. La démocratie fait de l’homme un être de parole, elle ne consiste pasau citoyen, mais à l’égalité de parole. Autrement dit, nous ne discutons la

démocratie qu’elle possède l’égaliberté. En ce sens, les exclus ne sont pas

considérés pas comme des détenus, mais comme une partie de la parole, ils

sont aussi les participants de la démocratie. L’identité de l’exclu ne relève pas de

l’opinion de la loi et du crime, mais du droit et de la politique. Cela renvoie aussi à

la question de la frontière et du droit de cité, voire les droits de l’homme.

((((A))))  Le paradoxe de la violence au sein de l’action collective

De même, la violence résistant ne consiste pas à la cruauté ou à provoquer

la crainte des masses. Elle détruit la violence structurelle, elle enlève au système

en place sa fonction de répression. La résistance permet de faire émerger de la

structure les torts et les injustices de la politique. Ainsi, détruire la structure nous

permet de dépasser la structure préexistante et de découvrir d’autres possibilités

pour une société sans violence à l’aide de la violence. La démocratie est uneforce anéantissant la construction donnée, mais qui permet de faire apparaître

l’invisible.

Benjamin considère la violence comme un moyen, pour la grève générale

d’obtenir droits et justice. Cependant, Benjamin souligne aussi que, nous

n’expliquons la violence que si nous considérons la violence elle-même comme

une fin. Sinon, la violence ou la grève générale se limite encore au cadre de la loi

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naturelle et au concept du contrat. Parce que la violence est un concept de la

loi, et que les deux se justifient réciproquement, la loi possède le pouvoir de

définir la violence. En définissant ou réprimant la violence, la loi justifie sa légalité.

Autrement dit, la violence s’inclut, mais aussi construit la loi. Aux yeux de l’État,la grève est considérée comme un droit, celui qui s’attribue par l’État, ainsi, la

grève est légalement où l’État admet. Par contre, elle devient illégale, lorsqu’elle

excède la ligne que tolère l’État. Pour Benjamin, une telle forme de grève

apparaît comme un amortisseur, elle évite aux patrons d’exercer une violence

directe sur les ouvriers, et en même temps, empêche aussi aux ouvriers de

déclencher une résistance plus forte que la grève. Du coup, la grève générale

serait une grève politique, voire une grève de la préservation de la loi, si elle selimitait au cadre de la loi. La grève renforce et rétablit la justification de la loi par

la violence, ainsi, elle apparaît seulement comme un moyen, parce qu’elle ne

dépasse pas la définition de l’État, elle ne recrée pas un système sans précédent,

mais restaure un système insuffisant.

Sorel soutient que : « pour apprécier la portée de l'idée de grève générale, il

faut donc abandonner tous les procédés de discussion qui ont cours entre

politiciens, sociologues ou gens ayant des prétentions à la science pratique303

 ».La notion de grève générale implique la lutte de classe. Ainsi, elle concerne la

quotidienne, qui forme l’espace de la lutte. Du coup, la grève générale est liée à

des domaines nuancés, qui se rassemble sous la notion de vie quotidienne.

L'idée de grève générale est à ce point motrice qu'elle entraîne dans le sillage

révolutionnaire tout ce qu'elle touche304. La grève prolétaire tout d’abord n’est

pas isolée, elle fonde nécessairement une relation sociale, une telle violence

devient finalement la base de la société. Dans le cas contraire, une grèveprolétarienne sans relation ou individus apparaîtra seulement comme une

violence prédatrice. La grève générale ne vise donc pas seulement à détruire

l’appareil de l’État, elle demeure un moyen, elle modifie les conditions

extérieures du travail. Mais plus important encore, la grève rejette les politiques

303  Sorel, Réflexion sur la violence , p.94304  Ibid., p.100

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de réforme sociale. Si une politique réformiste semble vouloir instaurer une

société pacifique, elle n’affaiblit pas pour autant la contradiction de la classe, par

contre, elle signifie une subordination de l’organisation politique par rapport à la

domination de la bourgeoisie. Autrement dit, la fin de la grève prolétaire signifieun recul de la légalité de l’État, mais entre en contradiction par rapport au tableau

de progrès que la société réformiste est censée réaliser.

Derrida et Bensaïd approfondissent tel concept. Ils notent que le droit de

grève transformer des relations de droit 305 . La violence ne consiste pas

essentiellement à exercer sa puissance ou une force brutale pour obtenir tel

résultat mais à menacer ou à détruire un ordre de droit donné306. La violence

prolétaire dépasse le jugement. Elle ne vise pas un but présupposé, maisaccentue la justification elle-même. Elle apparaît comme une pure et simple

révolte307.

Cette redéfinition de la démocratie ci-dessus nous permet de conclure en la

subjectivité politique de l’altermondialisation.

((((B))))  Une subjectivité politique fidèle découlant de l’action chez Badiou

D’après ce nous avons montré précédemment. A l’heure de la

mondialisation, il faut contrer la gauche libérale, le multiculturalisme et le

post-politique, qui favorisent le conservatisme et le racisme, en adoptant une

position ambiguë que la gauche doit éliminer. La suspension de cette position est

seulement un retrait, elle n’engage pas la lutte, ni ne renforce la force de

résistance, mais au contraire, elle accepte la tolérance.

Žižek critique que la gauche ne doit pas suivre la logique du libéralisme. En

revanche, la gauche doit soutenir la radicalité. La politique caractérise la vie

sociale, la gauche n’est pas une idée neutre, il faut tenir une position, qui est seul

305 D. Bensaïd, Le pari mélancolique, Fayard, 1997, p.178306 J. Derrida, La force de loi, Galilée, 1994, p.86307 W. Benjamin, la critique de la violence  ; Sorel, Réflexion sur la violence , p.92

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chemin pour parvenir à l’universalité308. Il dit que Aujourd’hui, il faut insister sur le

fait que la seul voie qui reste ouverte à l’émergence d’un événement, c’est celle

qui consiste à briser le cercle vicieux de la mondialisation avec particularisation,

en re-affirmant la dimension de l’universalité contre la mondialisationcapitaliste 309 .  Žižek pense donc que la gauche doit d’éviter le bourbier

postmoderne, elle doit retourner au Léninisme. Le Léninisme assume pour lui

toutes les conséquences de ses choix, il connaît bien les raisons pour lesquelles

il faut gagner le pouvoir et comment l’exercer. C’est-à-dire que la gauche doit

retourner au concept de Lénine, qui ne craint pas de passer à l’action, ni

d’accepter toutes les conséquences, aussi déplaisantes soient-elles, pour

réaliser son projet politique310

. Žižek approuve la proposition de Badiou, en tantque groupe de la société, la classe ouvrière n’est pas strictement équivalente au

prolétariat qui lutte pour la vérité universelle. La classe ouvrière devient la classe

prolétaire à condition de décide une position subjective. Une telle position est

normalement une position radicale comprenant la subjectivité et assumant

l’événement de la vérité311  Les enjeux de la gauche reposent sur l’affirmation de

l’universalité et l’engagement de la lutte, l’universaliste n’a pas envie d’un monde

tolérant incluant tout. La gauche participe à la lutte afin de poursuivre la vérité.

Chaque vérité est à la fois singulière et universelle.

Badiou considère la révolution russe comme l’événement de la vérité

typique. Badiou pense que la politique engourdit l’institution de l’État. Ainsi, nous

ne touchons pas la politique, qui a déjà étendu sa puissance et s’est entrelacé

dans le système social. Voire, la politique a pressé « le politique ». Pour lui,

aujourd’hui, le parti politique est une organisation étatique, il est seulement un

espace parlementaire. Le fait est que le parti soit une politique de la dépolitisation.Cette dernière menace la liberté et l’égalité et, la démocratie risque la disparition.

Il soutient l’idée d’une « politique sans parti », sur ce point, il hérite de la notion

308 S. Žižek, The Ticklish Subject , Verso, 1999, p.223309  Ibid. , p.211310  Ibid. , pp.235-236311  Ibid. , pp.226-227

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de Marx et Lénine. Il pense que la politique se mesure par des processus

organisés tout à fait réels, mais s’avère incompatible avec la logique partidaire312.

Nous ne surveillons la puissance de la politique que le site événement, qui

accentue la puissance de la politique. Badiou souligne donc que l’attribut réel duparti permet au parti de créer l’institution imprévisible. La politique s’efforcera

toujours de déconstruire le lien, y compris dans le mouvement de masse.

Autrement dit, la politique de masse se trouve aux prises avec la consistance liée

des parties, pour en défaire l’illusion, et déployer tout ce que le multiple présente,

au bord du vide, de singularité affirmative313.

La notion de l’excès, pour Badiou fait que le site événementiel réside aux

bords du vide. Ainsi, il dépasse l’actualité, et ne se limite pas à la constructionexistante. Cependant, selon Badiou, le vide n’est pas nul, il est un des multiples,

tout multiple existant admet le vide comme sous-ensemble, et, il est

universellement inclus314.

Le vide ne possède pas de situation existante, ni de construction, ni de règle,

le multiple ne peut pas qualifier cette nouvelle situation historique, ainsi, nous

pouvons le nommons comme étant le vide, celui-ci désigne une nouvelle vérité.

Une forme fixe se trouve ainsi déliée et remplacée dans un processus hasardeux

et imprévisible. La vérité apparaît comme non liée à un but prévu, elle consiste

en une rupture. La vérité n'existe donc nullement avant l'événement.

L’événement se matérialise par la vérité « au hasard d’un événement ». La vérité

ne se reconnaît pas dans l’histoire officielle, elle ne s’inscrit pas dans une

tradition, dans le discours économique, de la société existante. Autrement dit, par

rapport aux événements actuels, la vérité apparaît comme une proposition

négative et absente. Elle ne se limite pas au cadre d’analyse, elle n’est pasincorporable, elle tend plutôt à renverser l’ordinaire. Plus précisément, la vérité

n’est pas la coordination, par contre, elle réside dans l’inharmonie. Elle démontre

une vulnérabilité du système, qui se dissimule au sein du système social et dans

312 D. Bensaïd, Entretien avec Badiou, « Pense la politique ? », Contretemps, n°15313 A. Badiou, Abrégé de Métapolitique , Seuil, 1998, p.83314 A. Badiou, l’être et l’événement, pp.100-102

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le quotidien. La vérité suscite donc une situation de l’infinité, elle est un concept

de l’excès et de l’infinité. Badiou écrit que la politique exhibe ou convoque

l’infinité de la situation. Tout politique d’émancipation refuse la finitude ; refuse

l’être pour la mort 315.

Par conséquent, la vérité constitue toujours un processus. Elle est un

processus de la démonstration, elle nous emporte selon l’infinité inachevable de

son trajet316. Elle surgit dans un événement particulier, elle ne modèle, ni ne

répète aucune construction. À savoir, la vérité se caractérise par l’absence et le

retrait, elle se sépare du système bâti par l’appareil de l’État ou la loi. La vérité

dissocie au début la loi et l’État. Autrement dit, la vérité ne s’intègre pas par la loi,

au contraire, elle s’avère essentielle au fonctionnement normal de l’État, sapuissance reste sans mesure, errante, inassignable. C’est à tout cela que

l’événement politique met fin, en assignant çà la puissance excessive de l’État

une mesure visible317. La construction et la loi ne limitent pas la vérité, elle se

trouve absente des systèmes et de la construction, elle constitue un processus

politique qui se manifeste en actes. Par conséquent, la procédure politique,

composée de trois infinis, celui de la situation, celui indéterminé de l’état de la

situation, celui de la prescription qui interrompt l’indétermination, et permet de sedistancer de l’État  318.

Après avoir renforcé la procédure de la vérité, il apparaît que la vérité n’est

pas une question de la théorie, mais de pratique. Elle pose ses propres

conditions de possibilités, autrement plus exigeantes que la simple cohérence, la

correspondance des mots aux choses ou la vérification des logiques

ordinaires319. Ainsi, nous trouvons la possibilité de la nouvelle subjectivité et la

conscience elle-même. Selon Badiou, la politique réel est la soustraction vis à visde l'État. Elle, par l’action, pose la guerre de position prolongée pour recourt à

315 A. Badiou, Abrégé de métapolitique , Seuil, 1998, p.157.316 A. Badiou, Court traité d’ontologie transitoire , Seuil, 1998, p.22.317 A. Badiou, Abrégé de Métapolitique , Seuil, 1998, p.159.318  Ibid., p.165.319 D. Bensaïd, Résistances , Fayard, 2001, p.148.

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l'organisation et pour se débarrasser de la bourgeoisie du Parti et de l’État. La

notion de Badiou, permet de considérer que la politique non seulement délie

l’institution précédente, et à cause des excès et de l’infini, la politique crée une

action et une stratégie imprévisible dépassant le seul cadre de notre expérience.En cette condition, la politique est alors un au-delà le système étatique, le

surgissement de l’infinité de situation. L’infinité non au sens de la pluralité, mais

au sens qu’elle n'est pas limitée par une arithmétique, ni une institutionnellement,

ni par les normes sociales.

Les évènements de Seattle en 1999 constituent une bonne base de départ,

c’est une nouvelle expérience internationale qui nous instruit sur les stratégies et

principes que doit adopter l’action politique internationale. Et plus encore,l’anti-capitalisme doit permettre de renforcer la lutte transnationale. Autrement dit,

l’altermondialisation défend une idée excédant la politique traditionnelle, elle ne

consiste pas en la redistribution des ressources et des pouvoirs, mais en la force

sociale collective. A savoir, elle induit une autre logique que le marché. Comme

Bensaïd l’indique, l’altermondialisation modifie à la fois les rapports sociaux, la

logique de production et de distribution. Pour rendre valables ces stratégies dans

le cadre de la mondialisation, il faut réorganiser les espaces politiques : changerle monde ne doit pas être une simple lubie, mais doit s’inscrire dans des

territoires et des rapports de force.

Du coup, l’altermondialisation ne peut pas se réduire à la mobilisation. Si

elle critique l’appareil de l’État, ce n’est pas pour le détruire, mais pour le

radicaliser. L’État ne doit plus profiter à une minorité, mais à la majorité. L’État

reste le lieu des rapports de force, mais les rapports de pouvoir économique et

politique doivent se redéployer sur le plan spatial. De même, l’altermondialisationcritique la démocratie non pas pour l’abandonner, mais au contraire, pour

construire une démocratie radicale. La démocratie était faussée toujours le

post-moderne, à savoir, la multiplicité, la démission et décentralisé. Bien sur, la

démocratie doit d’être une forme inclusive. Ainsi, elle ne peut pas limiter le sujet,

le cadre et le nombre, elle est un processus ouvert, elle crée plus possibilité à

l’aide de l’interaction des participants.

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Par conséquent, si la démocratie rétreint au début les nombre et le sujet, elle

deviendra une forme incomplète. Cependant, la démocratie serait toujours un

processus en cours, elle est un processus approché et sans fin, voire, elle est un

processus de la rupture pour éviter la circuler ferme. La démocratie est commedes nombres premiers, elle est un singulière, mais relie toujours l’universalité,

elle est une appellation par laquelle le sujet pratique, à savoir, le sujet actif a une

dualité, il est une dialectique du sujet locale et procédure infinie globale. Par

conséquent, malgré la démocratie apparaît comme la forme multiple, elle est

correcte aussi l’universalité. Elle n’est pas, comme le postmoderne dit,

im-essentielle. En revanche, elle présente initialement comme décision d'un

indécidable, cependant, elle se démontre en action.Comme nous avons déjà dit, il manque au nouvel ordre mondial des

mécanismes démocratiques, il n’existe pas de décision publique, ni de forme

commune, ni de contrôle. Autrement dit, loin de refuser la démocratie

l’altermondialisation promeut plutôt la démocratisation des institutions

internationales, afin que la démocratie ne se base plus sur la règle de la

dénombrabilité, mais sur l’engagement et la discussion de la masse. Du coup,

l’altermondialisation ne défend pas l’anti-mondialisation, mais constitue plutôtune alternative. Nous discuterons des buts et des recommandations de

l’altermondialisation dans le chapitre suivant.

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Chapitre VIII

Le nouvel internationalisme etl’altermondialisation

Des nombreux penseurs remettent en question la mondialisation capitaliste.

Ces penseurs ont défini un certain nombre de chantiers à étudier. Derrida décrit

les dix plaies du « nouvel ordre mondial » : le chômage, l’exclusion massive dessans-abri, la guerre économique et militaire, le racisme et le déclin de la

démocratie320. Dans le même ordre d'idée, Balibar cite les chantiers décisifs pour

l’édification d’une altermondialisation : la régulation démocratique des flux

migratoires, la sécurité collective et le renforcement des droits des minorités321.

De son côté, Bensaïd estime que le nouvel internationalisme doit relever des

défis multiples : le contrôle des mouvements de capitaux ; le soutien aux droits

démocratiques des femmes, des paysans, des enfants, et des droits à la santé et

à l’éducation ; la lutte contre les privatisations et contre la guerre322. Enfin, Löwy,

pense que les valeurs les plus importantes de l’altermondialisation résident

dans l’humanité, la démocratie participative et la diversité323.

Selon ce qui vient d’être dit, les thèmes de l’altermondialisation sont les

mêmes que ceux soulevés par le néolibéralisme (privatisation, inégalités,

racisme, apartheid). L’altermondialisation vise la démocratisation. Elle considère

également la question des droits de l’homme (celles de l’immigration, dessans-papiers, de la déportation, des apatrides). Comme la déclaration du Forum

Social Mondial de Porto Alegre l’annonce : « Un autre monde est possible ! ».

320  Derrida, Spectres de Marx , Galilée, 1993, pp.134-139.321 Balibar, « Pour l’Europe altermondialisatrice », L'Autre campagne, la couverte, 2007.322  Bensaïd, Le nouvel internationalisme , Textuel, 2003, p.38.323  Löwy, Patries ou Planète ? Nationalismes et internationalismes de Marx à nos jours , Éditionsp. 2, 1997.

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Dans ce chapitre, nous discuterons de l’altermondialisation à partir de trois

axes : quel est l’avenir de la démocratisation ? Que doit faire

l’altermondialisation ? Quelle stratégie adopter pour réaliser

l’altermondialisation ?

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8.1 Le chemin vers la démocratisation transnationale

Dans le 8.1.1., nous introduirons et nous interrogerons sur idée la

gouvernance globale chez Held324. Une telle gouvernance est une régulation

politique fondée sur la coopération politique et un nouveau type d’intégration

internationale. Elle soutient donc la « démocratie délibérative ». Sur cette base,

la gouvernance globale envisage de faire de la constitution mondiale la base de

l’ordre et de la paix du monde. La gouvernance globale est non seulement une

institution trans-gouvernementale, mais aussi une institution à plusieurs niveaux

de l’association au gouvernement. Elle applique des mesures politiques par le

biais de la négociation, la confédération et le compromis.

La discussion sur la gouvernance globale pose certaines questions.

Premièrement, comment considérer la démocratie transnationale alors que les

différents pays du monde sont placés selon une hiérarchie inégalitaire ?

Deuxièmement, comment faire fonctionner le mécanisme démocratique dans

l’institution transnationale ? Troisièmement, quelle forme et quel processus

doit-on adopter pour la démocratie transnationale ?

Toutes ces questions nous renvoient à la démocratie qui doit être la source

de la légitimité de l’organisation transnationale. Il s’agit d’un processus de

décision et d’un mécanisme de contrôle. Pour répondre à ces questions, nous

aborderons dans le 8.1.2 les notions de démocratie combattante et de

démocratie conflictuelle.

Par conséquent, nous discuterons de la possibilité de l’altermondialisation

en redéfinissant la démocratie et la repolitisation.Nous montrerons d’abord les lacunes de la théorie de Held, car elle ne tient

pas compte du pouvoir structurel au sein de la gouvernance global. Un

déséquilibre du pouvoir permet de la démocratie transnationale devient une

324  Voir Governing globalization: power, authority and global governance / edited by D. Held andA. McGrew, Cambridge, 2002

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extorsion politique. À mes yeux, l’idée de la gouvernance globale ne renvoie pas

du fond politique, à savoir, elle ne touche ni au rapport de force, ni à l’espace

commun, ni à l’action collective.

Nous nous appuierons ensuite sur l’idée d’Arendt de « vita activa », selon

laquelle la politique constitue un processus d’action que l’individu accomplit par

lui-même.325  Autrement dit, la politique n’est pas une institution, mais une action.

La démocratie ne résulte pas d’un calcul : elle constitue un espace commun.

Nous tenterons de redéfinir la politique et la démocratie. La politique est un

processus de réorganisation de la force, consistant d’une part, à détruire les

pouvoirs en place, et d’autre part à inclure plus de force exclue. La politique ne

signifie pas la dépolitisation, ni la formation d’un contre-pouvoir. Elle désigne au

contraire une force capable d'inventer de nouvelles possibilités afin de réaffirmer

les droits fondamentaux.

Le nouvel internationalisme doit tout d’abord se fonder sur la solidarité à

l’échelle mondiale dans un processus de démocratisation et de repolitisation.

L’altermondialisation  ne vise pas à la coopération interétatique, pas plus qu’à

établir une institution transnationale ou qu’à mener la recherche institutionnelle

de la représentativité du pouvoir. En revanche, elle vise à la redéfinition du

concept de la politique et la démocratie. 

8.1.1 La démocratie délibérative et le gouvernement global

Les défenseurs de la démocratie délibérative ne croient pas à la force du

marché, mais au dialogue politique pour mener les politiques de sécurité sociale,

du travail et du budget, etc. Opposés à l’idée que le marché global se substitueau gouvernement politique, ils défendent l’idée d’un gouvernement à l’échelle

mondiale. Dans la perspective d’une gouvernance globale, la mondialisation ne

s’inscrit plus exclusivement dans le cadre économique, mais aussi dans celui de

la société et de la politique. Le but consiste à modeler une véritable communauté.

325  H. Arendt, The Human Condition , University of Chicago press, 1998, p.8

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Un État souverain doit faire partie en toute connaissance de cause au

gouvernement global. Le processus de coopération des États doit recourir à la

force d’obligation dans un esprit cosmopolitique. L’État souverain surgit ainsi de

la conscience du cosmopolitisme, il figure lui-même comme un des membresd’une communauté internationale et doit nécessairement s’unir à grande échelle.

La gouvernance globale prétend fonder une solidarité cosmopolitique,

susceptible de rivaliser avec le marché mondial. Une telle gouvernance est une

régulation politique fondée sur la coopération politique et un nouveau type

d’intégration internationale. Tout à l’opposé du marché mondial, la gouvernance

globale renforce la sécurité sociale et la transparence dans le processus de

décision. Elle repose sur un consensus global, issu d'un processus démocratique.Elle soutient de ce fait la « démocratie délibérative », sur cette base, la

gouvernance globale instaure un forum pour l’espace public. Un tel forum

favorise le dialogue entre les pays et devient la base de l’égalité et de la justice

globale en vue d'une démocratie transnationale. La gouvernance globale fondée

sur la démocratie transnationale offre un espace de dialogue, permettant la

négociation et la coopération instaurant une égalité globale. La gouvernance

globale comble le déficit démocratique de la mondialisation capitaliste.

La clé de la gouvernance globale, qui dépasse l’État-nation, réside dans un

espace commun tendant de plus en plus à s’institutionnaliser. L’État doit

coordonner la diversité des pouvoirs par le biais de la convention. Dans un

processus de conciliation, les pays établissent des mécanismes de rajustement

du pouvoir et de la responsabilité. La gouvernance globale doit développer la

démocratie mondiale et l’espace commun mondial. Il faut orienter la constitution

mondiale pour en faire la base de l’ordre et de la paix du monde.

D. Held, dans son ouvrage « Globalization/ Anti-Globalization » distingue au

sein de l’internationalisme six positions326. De ce fait, il induit des similitudes et

des différences entre eux. Held critique le néolibéralisme et l’internationalisme

libéral, en montrant que la mondialisation capitaliste se manifeste comme une

326  D. Held et A. McGrew, Globalisation / anti-Globalisation , Polity press, 2002

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extension du capitalisme à travers les organisations officielles et les ONG. La

gouvernance globale apparaît comme un système s’emboîtant dans le

capitalisme, et subordonnant tout le monde au néolibéralisme et au capitalisme

mondial. Une telle gouvernance globale devient complice des gouvernements,de la bureaucratie, des entreprises, des groupes de pression et des ONG... Une

telle entité ne constitue pas un gouvernement global, elle ne fait que partager le

butin politique. Cela conduit à des inégalités croissantes entre le Nord et le Sud,

au chômage, à l’apartheid social, à la destruction de l’environnement, à des

guerres impérialistes... L’internationalisme néolibéral est comme une arène, un

lieu du combat pour le profit et la puissance.

Selon Held, la démocratie cosmopolitique tente de développer unedémocratie double: d’une part, la démocratisation au sein de l’institution

intérieure, d’autre part, l’élargissement de la démocratie au plus grand nombre

par la délibération. La démocratisation intérieure est homocinétique à la

démocratisation sur le plan international en coordonnant les différences entre les

pays. La démocratie cosmopolitique établit une connexion entre le

gouvernement local, régional et global. La règle politique se trouve dans ce cas

modelée du bas vers le haut. La démocratie cosmopolitique dépend ainsi dedeux conditions. D’un côté, chaque unité exerce la démocratie, la démocratie

globale se fonde effectivement sur la démocratie locale ; de l’autre côté, l’unité

minimale possède obligatoirement un droit d’autodétermination. Les

gouvernements s’inscrivent dans un rapport stratifié et non pas de vassalité.

Chaque niveau de gouvernement exerce son autodétermination et se coordonne

mutuellement.

Pour Held, l’essence de la démocratie apparaît comme celle dugouvernement lui-même (autogéré), tant au niveau de l’individu que du

gouvernement. Held définit le principe d’autonomie comme le fondement de la

démocratie327. Held s’opposerait à toute forme de puissance globale si elle

consistait à affaiblir l’autonomie locale et régionale, car cela reviendrait à

327 D. Held, Democracy and the global order , polity press, 1995, pp.231-255

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désobéir au principe de la démocratie. La démocratie cosmopolitique remplace

ainsi le système de la géopolitique. La démocratie devient celle de la

stratification, elle inclut la démocratie de l’État, de la région à l’international et

enfin celle s’inscrivant à l’échelle mondiale. La gouvernance globale désigne nonseulement une coopération entre les gouvernements, mais aussi la société civile.

Held insiste sur la nécessité d'un gouvernement global basé sur un pacte global

et sur la démocratie sociale. La gouvernance globale constitue non seulement

une institution trans-gouvernementale, mais agissant aussi à multi niveaux, de

l’association au gouvernement. Bien que constituant une forme de

gouvernement global, celui-ci demeure toujours une coalisation de groupes

divers, elle forme comme une alliance de la démocratie sociale328

. Lagouvernance globale applique des mesures politiques par le biais de la

négociation, la confédération et du compromis. Si elle respecte le principe de

l’autonomie, elle s’avère plus effective et forme un système unique. Elle inclut

une diversité de participants et constitue une sorte de démocratie reposant à la

fois sur l’effectivité et la participation.

La démocratie effective et la démocratie participative se modèlent sur le

caractère de la démocratie cosmopolitique et de la gouvernance globale. Unetelle démocratisation réalise à la fois « la démocratie mondialisée » (globalize

democracy ) et « la mondialisation démocratisée » (democratizing globalization ).

La démocratie cosmopolitique a besoin d’une constitution et d’une institution

globale afin d’assurer le droit, le devoir et la légalité du gouvernement global.

Chaque pays respecte la constitution commune et le droit international, en raison

du principe d’autodétermination et de démocratie. Une telle constitution repose

donc à la fois sur la loi intérieure et extérieure. Cette Constitution fait dugouvernement global un corps politique international, qui est à la fois un corps

politique démocratique et cosmopolite. Un tel corps politique n’est ni une forme

supranationale, ni un gouvernement unilatéral, mais plutôt un centre multicouche,

multicentrique et surdéterminant.

328 D. Held, Global Covenant , Polity Press, 2004, pp.161-168

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Il s’agit d’une nouvelle institution politique, une communauté sans étatisme,

fonctionnant grâce aux institutions transnationales et aux ONG : le

multilatéralisme. Dans cette perspective, la démocratie cosmopolitique réalise

véritablement le gouvernement global. En dotant chaque gouvernement de sondroit à l’autodétermination, elle accomplit non seulement la démocratisation des

institutions intérieures, mais intervient aussi au niveau international. La

démocratie cosmopolitique transforme la démocratie traditionnelle, l’État

souverain devient une partie du gouvernement global. Celui-ci brise les relations

d’antagonisme et de subordination de la politique traditionnelle, grâce à une

forme à multi niveaux.

La gouvernance globale modifie la relation du pouvoir, tant au niveau del’association que du gouvernement, qui sont tous des participants au

gouvernement global. Dans ces conditions, Held pense que la gouvernance

globale reconstruit la démocratie et la politique. La démocratie cosmopolitique

établit un réseau équilibré, la démocratie sociale multilatérale et la citoyenneté

multi niveaux329. Par conséquent, la relation internationale n’est pas celle du

gouvernant, mais constitue une relation harmonique. Les pays membres dispose

de l’autodétermination, le cosmopolitique dépend de la coopération, mais aussid'un équilibre réciproque.

Comme nous l’avons vu, le gouvernement global est un corps communicant.

Il doit reposer sur une participation égalitaire et sur l’autodétermination de ses

membres. Selon ce principe, le gouvernement global réalise le cosmopolitisme à

l’aide d’une institution et d’une constitution transnationale. Un tel principe ignore

cependant toute structure du pouvoir et la force économique qui entravent la

démocratie transnationale. Le besoin d’une démocratie transnationale ou d’uneconstitution transnationale démocratisée oblige à s’interroger comment réaliser

la démocratie transnationale en ne touchant pas le problème de la puissance et

de l’inégalité entre les pays. L’application de règles et de lois à l’échelle mondiale

s’avère incertaine, si celles-ci se basent sur la violence et l’inégalité. Elles

329 D. Held, Global Covenant , Polity Press, 2004, pp.107-114

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peuvent résulter de la sauvagerie.

Toute institution transnationale est obligée de se fonder sur la démocratie

transnationale. La gouvernance globale insiste sur la nécessité de la démocratie

délibérative. Grâce à celle-ci, les pays peuvent parvenir à un consensus pour

résoudre les conflits internationaux. Cependant, un tel consensus résulte

toujours de la logique du marché visant à harmoniser les conflits économiques.

Le consensus permet de justifier la mondialisation capitaliste, il sert la

mondialisation capitaliste, afin d’en prolonger la taille. La question renvoie à la

démocratie, elle touche la source et à l’usage du pouvoir. Autrement dit, il s’agit

d’un processus de décision et d’un mécanisme de contrôle. Si la notion de

démocratie est soumise encore au pacte international et au parlementarisme,elle ne sort pas de la démocratie comptable et exclut.

La discussion sur la gouvernance globale conduit à se poser un certain

nombre de questions. Premièrement, quel est le sens de l’institution

transnationale ? Deuxièmement, comment faire fonctionner le mécanisme

démocratique dans l’institution transnationale ? Troisièmement, quelle forme et

quel processus pour la démocratie transnationale ? Nous envisagerons la notion

de démocratie combattante ou de démocratie conflictuelle. La démocratie ne

repose en effet pas sur le compromis, ni le consensus, ni l’élection. Elle ne

constitue ni une forme de gouvernement représentatif, ni un type social fondé sur

le libre marché capitaliste. Elle n’est pas non plus une forme juridico-politique.

Elle constitue une force collective du scandale, elle corrige les torts. Le

gouvernement des États n’est légitime que dans la démocratie, celle-ci renvoie

toute domination à son illégitimité première, qui s’exerce toujours de la minorité

sur la majorité. Il faut rendre à ce mot sa puissance de scandale330. Par rapport àla démocratie du gouvernement global, fondée sur le principe de

l’autodétermination et l'autogouvernance, un autre concept de la démocratie peut

être défendu, qui serait fondé sur l’égaliberté et le scandale.

330 J. Rancière, La haine de la démocratie , la Fabrique, 2005, pp.54-62

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8.1.2 La démocratie alternative

Selon ce que vient d’être dit, nous tenterons d’expliquer, qu’aujourd’hui,

l’internationalisme et le cosmopolitisme ne constituent qu’une divagation dunéolibéralisme, non pas un véritable internationalisme. Car l’internationalisme

libéral, la réforme institutionnaliste et la transformation globale insistent toujours

sur la reformation de l’institution331. Ils ne renvoient pas à la politique, ils ne

touchent pas au rapport de force, ni à l’espace commun, ni l’action collective. À

l’instar de ce que nomme Arendt « vita activa », la politique constitue en fait un

processus de l’action dans lequel individu s’accomplit lui-même332. Lorsque Held

appelle à privilégier la reformation de l’ONU, il ignore d’une part que le pouvoirstructurel et la force économique empêchent l'édification de la démocratie

transnationale ; d’autre part, il est aveuglé par son souci de définir la politique

traditionnelle. Il considère la politique et la démocratie comme une institution

neutre, car elles se fondent sur un système juridico-politique. Cependant,

l’institution concerne nécessaire la relation des forces, il est la cristallisation et la

représentation de la force. Autrement dit, la politique n’est pas une institution

stagnante, mais un entrelacement des forces. De même, la démocratie n’est pas

un comptage, mais plutôt un espace commun.

La démocratie transnationale exige de tous les pays d’obéit à l’agenda

commun. Pourtant, un tel consensus n’évite pas totalement le rapport de force.

La démocratie transnationale tente de dépasser l’État particulier afin d’établir un

ordre transnational. Toutefois, elle risque de subordonner le pouvoir minoritaire,

en tant qu’ordre transnational, la minorité se voit contrainte d’accepter le

consensus et d’abandonner le droit pour le « plus profit du plus grand nombre».

En ce sens, la démocratie repose encore sur la force et le compromis, la

démocratie transnationale devient une extorsion politique. La démocratie

transnationale constituerait alors un rideau pour les pays les plus puissants, leur

permettant de rationaliser et de renforcer la monopolisation des pouvoirs. Elle

331 D. Held, Globalization/Anti-Globalization , Polity press, 2002, pp.185-196332  H. Arendt, The Human Condition , University of Chicago press, 1998, p.8

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n’empêcherait en aucun cas l’extension de la mondialisation capitaliste et

aggraverait au contraire les inégalités au nom de la démocratie. Discuter de la

démocratie transnationale n'est possible qu'en redéfinissant la politique et la

démocratie. Il n’existe pas d’institution exerçant la démocratie transnationalesans l’action collective transnationale et l’action comptable.

Comme Balibar l’observe, l’institution transnationale relève toujours du

matérialisme historique, quelles que soient les nouvelles structures dont peut se

doter le monde, celles-ci renvoient toujours à un rapport de force et de lutte. Une

institution de ce type entretient toujours un rapport dialectique. Tout corps

politique constitue un espace de force, de lutte et relevant du sens commun.

Rancière fait remarquer que la politique ne réside pas dans la domination ou lapuissance, parce qu’elle ne dépend pas uniquement de la force visible. La

politique est avant tout une force exclue dans l’institution, la politique doit ainsi

ouvrir un espace pour les absents, elle doit inviter les forces invisibles. Elle

représente un espace ouvert en permanence et sans fin. La politique est un

processus de réorganisation de la force, consistant d’une part, à détruire les

pouvoirs en place, et d’autre part à accueillir les forces absentes. La politique est

un rapport de force: la puissance doit s’opposer à la force. La politique crée unespace commun plus vaste et plus profond offrant un maximum de possibilités.

La politique et de la démocratie ne s’appliquent à la notion de « la fin ». Ils

inventent au contraire en permanence de nouvelles formes dans la praxie. Les

crises de régime ne mettent pas fin à la politique ou la démocratie. La démocratie

renaît même toujours à partir du déclin d’un régime politique. Derrida parle de

« l’auto-immunité » de la démocratie, la démocratie se considère comme

étrangère, elle recèle une capacité de reconstruction. Inversement, elle se détruiten se limitant, la démocratie doit constituer une force d’invention et d’excès. La

démocratie se survit ainsi à elle-même. La démocratie ne peut se borner au

cadre d’un régime politique. De même, la politique ne peut pas se limiter au sens

de l'institution et de l'organisation du pouvoir ou à des rapports entre gouvernants

et gouvernés. La démocratie ne cesse de déborder le politique au travers de

formes diverses : la discussion publique, la désobéissance civique, le

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mouvement social… La démocratie et la puissance du peuple font surgir une

force dépassant le pouvoir politique et qui se manifeste finalement dans la

représentation. Tout cela démontre que la puissance du peuple ne peut jamais

être entièrement intériorisée par les institutions. L’internationalisme ne consistepas dans la coopération interétatique, ni dans l’institution transnationale, ni la

recherche institutionnelle de la représentativité du pouvoir, mais dans la

redéfinition du concept de la politique et la démocratie. Tout cela constitue la

base de l’altermondialisation alternative.

La mondialisation capitaliste et la cosmopolitique libérale préconisent

l’internationalisme, en recommandant la mise en place d’un marché sans

frontière et en soutenant les institutions transnationales. La penséecosmopolitique libérale estime que le nouvel ordre mondial repose non

seulement sur un système sécuritaire entre les pays, mais aussi sur une société

civile fondée sur un système constitutionnel au travers duquel la Constitution et

la société civile deviennent une force d’équilibre. D'après les cosmopolitiques

libéraux, dès lors que les institutions transnationales croissent en taille, les

décideurs ne sont plus des citoyens. Ces derniers délèguent leur pouvoir aux

responsables des institutions transnationales qui ne se bornent pas au cadre del’État-nation, mais s’inscrivent à l’échelle mondiale. Pour la cosmopolitique

libérale, telle une nouvelle forme de démocratie résiderait dans une société civile

sans frontière, cette citoyenneté transnationale équilibrerait ainsi la puissance

transnationale. Cette logique s’inscrit évidemment dans le libéralisme classique,

parce qu’une telle forme démocratique n’ébranlerait pas la démocratie

constitutionnelle, ni la notion de société civile. La mondialisation capitaliste et le

cosmopolitisme libéral ne sont que le masque de la domination globale dumarché mondial. Celui-ci s’accapare les valeurs de liberté et d’égalité et détruit

les services publics, les structures sociales et l’environnement pour profiter du

marché mondial. La gouvernance globale est en fait une force grâce à laquelle le

marché mondial contourne les défis posés par la mondialisation.

À l’heure de la mondialisation, l’État n’assume pas son rôle de communauté

politique, il ne protège pas non plus les droits de l’homme ou les droits du citoyen,

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ce qui conduit à parler de déclin de l’État. Le dépassement des frontières par le

marché annonce la disparition de l’État en faveur d’internationalisme libéral, il

s’intègre dans une grande alliance afin de maintenir la paix mondiale et affirme

de ce fait la fin de l’État. Le nouvel ordre international se fonde ainsi sur lemarché ou la Constitution mondiale. Cependant, un véritable internationalisme

devrait consacrer tout d’abord aux problèmes des droits de l’homme et la

démocratie. La mondialisation mondialise inéluctablement la résistance et la voie

de la résolution. C’est la raison pour laquelle, à l’heure de la mondialisation, la

forme de l’État souverain disparaîtra pour être remplacée par une nouvelle forme

de communauté politique.

Avant d’entamer la discussion du nouvel internationalisme, noussouhaiterions apporter d’abord des éclaircissements sur « la fin de l’État nation».

On peut présupposer que l’État joue un rôle original/originel. Ces deux fonctions

ne s’exercent que si l’État souverain existe. Traiter de « la fin de l’État nation»,

c’est présupposer une forme unique et permanente de communauté politique. Le

rôle de l’État souverain est évidemment un produit historique. Il apparaît comme

une forme de la communauté politique moderne. Si la fonction de l’État

souverain a déjà disparu face au défi de la mondialisation, il ne constitue plus lesupport des responsabilités communes humanitaires, il ne paraît pas non plus se

conformer à l’époque moderne. Nous pourrions naturellement, soit rechercher

une autre forme de communauté politique, soit transformer la fonction de l’État

souverain. Il faut réfléchir sur le rôle de l’État souverain en empruntant des

directions différentes : définir l’État sous l’angle de la communauté politique et

non à partir de son institutionnalisation.

Si la mondialisation capitaliste remet en cause la fonction de l’État souverain,elle ne signifie pas nécessairement « la fin de l’État ». Autrement dit, seules la

forme et la fonction de l’État doivent être modifiées face aux défis de la

mondialisation économique. Ces transformations non seulement amènent à

réfléchir comment l’État peut continuer à assumer ses responsabilités, mais

aussi elles fournissent l’occasion de méditer sur les formes que peut revêtir l’État

et son rôle de communauté politique. La liaison étroite entre les marchés a pour

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conséquence de faire de la mondialisation capitaliste système-monde : l’État sert

la mondialisation économique. La manière d'échapper à la logique du marché

constitue un nouveau thème pour l’internationalisme.

La question de « la fin de l’État » doit être traitée au niveau historique, et non

pas positionner l'argumentation entre « origine » et « fin ». Nous devons adopter

un point de vue réflexif, c’est-à-dire ajouter un nouveau discours lorsque nous

discutons du déclin de l’État-nation. Il s’agit de changer l’imaginaire originel de la

conception politique. Car les notions politiques anciennes ne sont plus

suffisamment adaptées aux problèmes actuels.

La mondialisation rendra inévitable l'avènement d'une nouvelle communauté

politique remplaçant l’État-nation et capable de relever les nouveaux défis333. De

même, la question de « la fin de l’État » ne peut pas être exclusivement

envisagée sous l’angle économique. La mondialisation capitaliste met l'accent

sur l’économie, elle ignore la dimension sociétale. Un tel régime politique

contrôle tout ce qui circule en dehors des capitaux. Ainsi, la mondialisation

capitaliste en fait ne retire pas les frontières, elle instaure seulement une

nouvelle forme de marché. Les étrangers ne sont pas plus acceptés

qu'auparavant, surtout ceux venant des pays sous-développés. Ces derniers ne

rentrent effectivement pas dans les critères qualifiant la citoyenneté, ils ne sont

pas protégés. La population majoritaire est attachée au cadre de l’État-nation, ce

qui fixe d'autant plus les populations à leur pays de naissance: la notion de

cosmopolitique et de citoyen mondial ne peut que s’accomplir difficilement. Un tel

régime politique attise la tension entre l’économie et la démocratie, voire menace

cette dernière dans son exercice.

Le problème de la mondialisation se résoudra dans le cadre planétaire, et

non plus dans celui de l’État-nation. Les pressions et les exploitations ne

s’exercent plus dans un pays souverain, mais à l’échelle mondiale, ce qui rend

nécessaire une action collective à l’échelle mondiale. Comme Arendt l'avait

prévu, la question des peuples sans État devient le principal conflit dans

333 S. Amin, Les défis de la mondialisation , L’Harmattan,, 1996, p.211

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l’État-nation, qui ne dispose plus de la capacité de légitimer les apatrides. Les

gouvernements ne font que priver les droits des citoyens et contrôler par la force

policière 334 . Face à de telles transformations, l’action collective doit se

transformer également, voire changer les acteurs politiques. La subjectivitéactive ne se borne plus au travailleur ou le citoyen, mais s'élargit aux migrants,

aux peuples sans État, et aux réfugiés... Ces dernières catégories forment les

prolétariats du 21ème siècle. La position de Balibar sur les sans-papiers s'avère

des plus pertinentes: « Nous leur devons d'avoir forcé les barrières de la

communication, de s'être fait voir et entendre pour ce qu'ils sont : non des

fantasmes de délinquance et d'invasion, mais des travailleurs, des familles à la

fois d'ici et d'ailleurs, avec leurs particularismes et l'universalité de leur conditionde prolétaires modernes [...]. Ainsi nous comprenons mieux ce qu'est une

démocratie : une institution du débat collectif, mais dont les conditions ne sont

 jamais données d'en haut. Toujours il faut que les intéressés conquièrent le droit

à la parole, la visibilité, la crédibilité, courant le risque de la répression.335 » La

communauté politique et les acteurs politiques se sont transformés ensemble ; la

structure politique a été modifiée de la même manière que le dominateur et le

dominé ont changé. L'émergence d'une nouvelle communauté politique et

d’acteurs politiques nouveaux sont devenues nécessaires afin de modeler un

nouvel internationalisme.

Le fait est qu’il n’existe pas de concept de fin de la communauté politique. La

forme de l’État disparaîtra peut-être, une communauté resurgira cependant sous

une autre forme, car elle constitue un espace pour les rapports de force. Quelle

possibilité pour la démocratie dans la nouvelle communauté ? Comment

dépasser la frontière dans l’action collective politique ? Il faut envisager commeinstitutions transnationales non seulement les institutions économiques, mais

aussi d'autres devant s'avérer démocratiques. De telles institutions doivent

autant intégrer le marché que l’espace politique. Ces institutions combleront les

lacunes de l’État-nation, tout en élargissant la démocratie. La « fin de l’État »

334  H. Arendt, l’impérialisme , Fayard, 2002, p.270335 É. Balibar, Droit de Cité, PUF, 1998, pp.23-24

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consiste en un État qui ne soit plus la chasse gardée des entreprises qui

exercent plus de pression de privations sur les populations. Une telle institution

ne remplit plus une fonction de vulgarisatrice du marché mondial, elle ne doit pas

hériter du rôle étatique de violence et de répression. À cette seule condition,nous renverserons la relation entre l’État et le peuple, le peuple reprendra son

droit d’action, il redeviendra une subjectivité politique. La complicité entre l’État et

les capitalistes pourra être brisée : la fin de l’État-nation sera rendue possible et

la démocratie trouvera de nouvelles possibilités.

La démocratie n’est pas un produit de la compromission, elle est une

convergence de la différence à partir de la mésentente, de l’interaction et du

débat. Dans la démocratie, la différence et les antagonismes existent toujours,cependant, elle contribue à former une tendance (tropisme / au sens commun).

Ce processus ne se fonde pas sur la majorité et la votation, mais plutôt sur

l’interaction, le partage et le fait de travailler ensemble. Cette tendance constitue

la force de la démocratie qui, en détruisant les structures figées en recompose

de nouvelles. Dans ces processus de destruction et de reconstruction, la

structure représente un changement qualitatif permettant à la démocratie de

créer un espace différent. Cette recomposition transforme la structureprécédente. Les nouvelles structures ainsi créées contribuent à faire surgir de

nouvelles possibilités et tendances. La tendance ne résulte donc pas du

compromis, mais du conflit. Elle inclut notre volonté et nos idées, parce que dans

le débat et le travail, nous nous insérons dans la tendance. Même si l'on n'est

pas tout à fait d’accord avec cette convergence, il est possible d'exercer telle ou

telle tendance. La tendance dont il est question ici constitue une convergence

tout en renfermant une hétérogénéité. Elle ne résulte pas de la tolérance, maisde l’engagement de tous. Cette convergence est une action commune incluant

l’hétérogénéité et les idées individuelles. Une telle perspective ouvre la voie à

une redéfinition de la démocratie. Être citoyen ne se limite pas à devenir « le

membre de la souveraineté » (comme Rousseau) ou sur « le pouvoir constitué »,

mais à être l’acteur et la subjectivité politique de sa communauté.

La démocratie apparaît comme une composition organique. Ses éléments

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incluent l’égalité, la liberté, les droits de l’homme, la constitution, le règne de la loi,

les élections générales, la répartition des responsabilités et du pouvoir, etc. La

démocratie se manifeste sous une forme différente en fonction de ces éléments.

Une telle démocratie n’hérite pas de la définition de la démocratie ancienneselon laquelle l’État moderne se détermine. Elle ne se fonde pas non plus sur le

parlementarisme, l’exclusivité et la théorie du contrat. Au contraire, elle consiste

en l’espace public et la surdétermination, elle dépasse en taille et en dimension

l’État-nation. Elle devient la possibilité de la nouvelle communauté politique ou

du nouvel internationalisme qui diffère de la mondialisation capitaliste et du

gouvernement global.

Nous modelons ainsi une communauté politique, dépassant l’État-nation etne se formant pas en fonction de la race, du sang et la langue, mais plutôt de

l’alliance de la démocratie. Le nouvel internationalisme tout d’abord doit se

fonder sur la solidarité à l’échelle mondiale dans le cadre d'un processus de

démocratisation et de politisation. Pour Balibar, le nouvel internationalisme ne se

situe pas par rapport au non-politique ou à une politique de l’impuissancÉ.

Balibar estime nécessaire une politisation. Pour lui, la politique altère la

puissance et le rapport de force, alors qu’elle est dans le même temps un espacecommun. Nous devons donc élaborer un autre concept de la politique, qui

contienne l’histoire. La politique ne renvoie pas uniquement à l’histoire du maître,

elle inclut toujours l’histoire de la lutte des dominés. Les affrontements sociaux et

la démocratie conflictuelle forment véritablement la politique, elles constituent la

force collective opposée à la puissance. La démocratie conflictuelle résulte de

l’affrontement social au sein de la structure puissante, elle est le régime de la

mésentente entre une structure fixe et une structure invisible. La démocratiquen'est donc pas l'affaire du gouvernement, à travers la démocratie conflictuelle,

nous créerons une institutionnalisation des conflits et de nouveaux droits

fondamentaux. La politique ne signifie pas la dépolitisation, ni l'opposition contre

la puissance, elle désigne au contraire une force capable d'inventer d'autres

possibilités pour réaffirmer les droits fondamentaux.

Nous souhaiterions exposer ici les différences avec la mondialisation

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capitaliste et le cosmopolitique libéral. Le nouvel internationalisme se range d’un

autre côté que celui du marché global, il recompose le rapport à la politique. Une

telle réorganisation vise à démanteler la logique du capitalisme afin de dissocier

la logique du marché et celle de la liberté. La liberté et la démocratie ne doiventpas servir de prétexte pour les entreprises et les gouvernements pour

abandonner l’égalité sociale et les droits de l’homme: la recomposition politique

vise justement à ce que ceux-ci s'en chargent. Ce nouvel internationalisme

diffère du marché mondial et du cosmopolitique libéral, il retourne à la politisation

et reconsidère les droits de l’homme et la justice internationale.

Pour Amir, si le problème est mondial, la solution doit l’être aussi. Si les

exploitations dépassent les espaces nationaux, les formes de combat collectif etdes mécanismes de conflit social doivent également changer. Il faudrait alors

inventer l’idée d'une communauté publique qui ne provienne pas de l’intégration

et du consensus par la puissance, mais conçoive l’acteur transnational. Amir

estime que la mondialisation doit accentuer les recompositions sociales

progressivement, une nouvelle social-démocratie336. L’Europe représente un

autre modèle cosmopolitique que celui de la mondialisation capitaliste, car il fixe

des responsabilités nouvelles afin de transformer la forme de l’État souverain etle droit international. L’Europe doit se doter d'une force militaire qui diffère de la

puissance unilatérale techno-économico-militaire des États-Unis. Elle ne se bâtit

pas pour devenir un marché plus vaste ou un conglomérat néo-nationaliste, elle

n’est pas non plus une opposition militaire. Elle est issue d’une nouvelle politique

altermondialiste, elle représente une force capable de soutenir une ONU

transformée. Cette force fournirait un pouvoir d’intervention, par exemple, en Irak

ou dans le conflit israélo-palestinien... Une telle force militaire impliquerait eneffet le concept d’internationalisme, de cosmopolitique, d’humanisme et

d’universalisme afin de faire émerger un monde dépassant le cadre des

frontières.

Dans la communauté politique de l’avenir, la force de la démocratie devra se

336 S. Amin, Les défis de la mondialisation , l’harmattan, 1996, pp. 183-184

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  361

trouver en perpétuelle construction. Elle nécessitera de réfléchir à un nouveau

paradigme politique basé sur le désir d’égalité et de solidarité. Cette nouvelle

politique permettra de déterminer une l’identité dépassant la frontière, elle

conduira à une déterritorialisation identitaire. L'individu sera de moins en moinscirconscrit à un territoire donné, mais une conscience collective transnationale se

construira. Cette nouvelle communauté politique différera de l’État-nation,

celui-ci étant fondé sur la langue, le sang et la race. Le nouvel internationalisme

se formera sur la base de la résistance et de la solidarité transnationale. Les

gens vivant dans cette communauté formeront une reconnaissance collective par

l'action. Autrement dit, cette communauté et cette appartenance ne proviennent

pas de la race ou du sang, mais d'un processus d’interaction et d’intersubjectivité.La communauté politique, tant pour ce qui de l’État moderne que de l’institution

transnationale, constitue toujours un champ de force, elle est un lieu où converge

l’énergie des peuples. La communauté politique n’est pas simplement une

agrégation d’individus, elle est un corps collectif revêtant des formes diverses. Le

nouvel internationalisme doit se dépouiller de la peau de l’État et ne plus

monopoliser le pouvoir de contrôler les conflits sociaux au nom de l’intérêt

général. Son rôle doit plutôt viser à rediscuter la nécessité du conflit social, afin

de ne pas subordonner la force du peuple dans et par le pouvoir. Le fait est que

le conflit social, loin d'être un simple mécontentement individuel isolé, est une

relation collective, il fait émerger la démocratie conflictuelle. L’individu s'engage

dans une conjonction à travers la solidarité, il reconnaît sa position au sein de la

société et de l’histoire. L’individu et la société fusionnent réciproquement, car

l’individu, dans l’action, dénature à la fois la société et lui-même. Il fait partie des

acteurs, mais il ne constitue pas simplement l’individuel, mais plutôt un produit

de la socialité. L’invention d'un nouvel internationalisme peut réconcilier l’identité

individuelle et la communauté politique, il fournit la possibilité de résistance du

citoyen transnational à l’échelle mondiale. Il n’est pas le concept du citoyen à

partir de la définition de la loi, mais plutôt il reconstitue sur la citoyenneté active

et de la citoyenneté passive. Le nouvel internationalisme ne sépare pas

simplement les nationaux des étrangers, la solidarité des acteurs remplace la

qualification de citoyen. Dans cette communauté, la subjectivité politique ne se

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limite pas à la citoyenneté, mais se définit à partir du participant actif.

Par rapport au cosmopolitique libéral, la paix mondiale ne peut pas reposer

sur plus de forces ou plus de moyens militaires au niveau supranational, mais

plutôt sur la vie commune à l’aide de l’action collective et de la solidarité. La paix

mondiale doit se baser sur ces derniers critères. Le nouvel internationalisme ne

constitue pas seulement une lutte institutionnelle, mais aussi une lutte dans la vie

quotidienne et par la force, parce qu’aucune institution est neutre. Il ne faut pas

établir de nouvelle institution transnationale dépourvue de centre, le plus

important est de trouver les moyens de rassembler les forces diverses afin de

mener une lutte permanente. Aujourd’hui, la question est de savoir si

l’internationalisme peut être porté par une classe unique. Le contexte de lamondialisation permet-il de nouer des mouvements différents ? Le mouvement

envisagé ne doit pas se cantonner à une lutte singulière, il accentue plus le

pouvoir constituant que le pouvoir constitué. Un tel mouvement ne vise donc pas

à l'instauration d'une nouvelle institution, mais plutôt à celle d'un nouveau

rapport.

Derrida définit le nouvel internationalisme comme « ce qui n’est pas

seulement ce qui cherche un nouveau droit international à travers les crimes,

mais un lien d’affinité, de souffrance et d’espérance, un lien encore discret, 

presque secret, mais de plus en plus visible, un lien intempestif et sans statut,

sans titre et sans nom, à peine publique, même s’il n’est pas clandestin, sans

contrat, sans parti, sans patrie, sans communauté nationale, international avant,

et à travers, et au-delà de toute détermination nationale, sans cocitoyenneté,

sans appartenance commune à une classe »337 .

La question ne réside pas dans un projet de paix perpétuelle comme le

promeut Kant, qui souhaite abolir la guerre et les conflits entre les États par une

constitution supranationale. La nécessité est de pouvoir discuter autant de la

forme que doit revêtir l’institution transnationale que celle de la démocratie

mondiale et du pouvoir constituant mondial. Les institutions ou les conventions

337  Derrida, Spectres de Marx , Galilée, 1993, p.141

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transnationales ne sont pas des produits abstraits, tandis qu'un monde de paix

perpétuelle est aussi une idée abstraite. La paix perpétuelle ne peut se fonder

sur une convention transnationale, mais sur une démocratisation radicale. Nous

devons tout d’abord faire tomber les frontières de manière à accélérer la «démocratisation de l'institution frontalière ». La démocratie ne se limite pas non

plus à la qualification du citoyen ou de la classe unique, elle s’exerce à travers

les participants. Dans ces conditions, une telle démocratie inclura les exclus et

étendra la dimension de la politique.

Derrida fait observer que la démocratie restera indéfiniment perfectible,

toujours insuffisante et future 338 . La démocratie renouvelle la forme des

membres, elle ne se fonde pas sur l’exclusion des autres par rapport aux inclus.En ce sens, la démocratie et la politique ne seraient plus un terrain de jeux

contrôlé par une minorité, elles ne seraient pas non plus une institution et un

nombre, mais plutôt un processus ouvert en permanence. La démocratie

n'émerge que si elle s’anéantit elle-même, elle est toujours en devenir339.

Autrement dit, la démocratie n'est pas synonyme de régime parlementaire ou de

lois étatiques. Elle n'est pas le règne de l'individualisme, mais le mode de

subjectivation de la politique... La démocratisation des frontières et le droit decité consisteraient à exiger un droit universel de circulation et de résidence. Un

tel internationalisme se trouve basé sur la démocratisation radicale, et non pas la

concurrence ou une juridiction étatique. C’est pourquoi nous insistons sur la

nécessité d'une juridiction internationale qui soit aussi une partie du chantier

démocratique. Tant l’institution que l’internationalisme ne sont pas une relation

abstraite, mais un rapport de force concret. Cette relation reste de type

dialectique, entre destruction et renouvellement. Cette force démocratiqueparticipera à démasquer la puissance qui se cache au sein de l’institution

transnationale et à dénoncer le fait que l’institution n’est jamais neutre.

La démocratisation radicale empêche de réduire l’internationalisme à une

338  Derrida, Politiques de l’amitié , Galilée, 1994, p.339339  Derrida, Voyous , Galilée, 2003, pp.61-62

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relation du compromis pour en faire une force. Un tel internationalisme repose

sur la force, le pouvoir constituant, il réalise la paix mondiale à l’aide de la

solidarité internationale. Le nouvel internationalisme ne vise pas à détruire

l’institution ancienne ou à établir une nouvelle institution, mais plutôt à redéfinir ladémocratie et à reprendre la force pour faire renaître le pouvoir constituant. Nous

passerons du cosmopolitisme à la solidarité internationale, le nouvel

internationalisme revêtira un nouveau mode, même si cette alliance ne revêt plus

la forme du parti ou de l’internationale ouvrière. Ce mode articulera par rapport à

l’histoire d'une manière plus concrète les appareils et les stratégies du

mouvement ouvrier mondial. Cela nous permettra de répondre alors à comment

établir une convergence supranationale représentant à la fois les forces unies etpermettant une avancée dans les droits fondamentaux et la démocratie.

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  365

8.2 La stratégie de l’altermondialisation

Dans cette section, nous discuterons du concept d’internationalisme, terme

employé depuis la notion de Marx. Nous nous interrogerons sur ce qu'est

l’internationalisme et sur les buts qu'il poursuit. Qui désire-t-il corporifier ?

Comment faire? Quelle place accorde-t-on à la démocratie dans la nouvelle

communauté ? Comment dépasser la frontière dans l’action collective politique ?

Nous considérerons ce nouvel internationalisme comme une

altermondialisation reposant sur l'idée selon laquelle « un autre monde est

possible ». Elle n’est pas un mouvement de l'anti-mondialisation, mais plutôt un

mouvement transnational, au sens donné par Löwy, lorsqu’il parle de

« l’internationale de la résistance » ou à ce que Bensaïd appelle la « résistance

globale »340.

Nous pensons que le nouvel internationalisme ne doit pas se borner à la

force syndicale ou politique, mais doit s'ouvrir à plus de mouvements. Il ne faut

pas le limiter non plus au cadre de l’État-nation, mais recomposer la solidarité

internationale. Le nouvel internationalisme, loin de constituer un nouveau sujet

figé par son homogénéité, poursuit plus largement le processus de convergence.

La nouvelle structure mondiale n’est pas une institution transnationale inédite,

mais une nouvelle forme de résistance à l’échelle mondiale. Seul un mouvement

de résistance à une telle échelle pourra rendre possible le nouvel

internationalisme qui, grâce à la solidarité, formera une véritable ligne

internationale.

Dans le chapitre 8.2.1, nous conclurons sur le fait que l’internationalismecomporte trois composantes. Premièrement, le prolétariat international, qui

exerce l’anti-impérialisme et la décolonisation. Deuxièmement,

l’internationalisme aspire au mouvement de la liberté, de l’humanité et de la

démocratie. Il regroupe les chômeurs, les chercheurs et les jeunes. Ces

340 D. Bensaïd, Nouvelles formes de revendications collectives , Parcours n°25/26

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participants servent de base à l’altermondialisation pour contrer la guerre, le

nationalisme et la xénophobie. Il fait alors converger les mouvements féministes

et ceux en faveur des immigrants. Troisièmement, l’anticapitalisme exige

notamment le contrôle de la circulation des capitaux. Il tente de détruirel’institution financière transnationale. Il s'oppose à la privatisation des services

publics, contre le militarisme et la guerre341. Il est radical et ne se contente pas

de corriger les excès du monde capitaliste et ses détorsions politiques

néolibérales. Il ne se positionne pas simplement contre la mondialisation tout

court, mais contre la mondialisation concurrentielle et marchande.

Après avoir éclairé sur les buts et les nuances entre l'altermondialisation et

la mondialisation capitaliste, l’objectif de la partie 8.2.2 sera de déterminer àprésent comment réaliser l’altermondialisation.

Notre analyse s'articulera autour de trois points. La première question

consistera à s’interroger comment concentrer les diverses forces de chaque

pays. La guerre de position proposée par Gramsci nous permettra d’y répondre.

Nous définirons le nouveau rôle de l’intellectuel, à qui nous demandons

d’assumer la tâche suivante : approfondir la problématique, élucider l’aporie

actuelle, concrétiser et démocratiser la théorie, faire converger et organiser les

groupes internationaux.

Le deuxième point que nous allons aborder concerne la politisation et la

réorganisation. La politique n’est pas un régime ou une institution, mais un

élément de la vie commune et de l’espace public, fondé sur la base de l’action et

de la liberté. L’altermondialisation se trouve étroitement liés à l’action politique

collective. Celle dernière contribue à l’émergence de deux conséquences : elle

fait resurgir d’une part des choses qui avaient longtemps été cachées par le

pouvoir et d’autre part, elle fait apparaître la volonté et la solidarité des acteurs.

En ce sens, la politique est une résurgence de l’essence humaine.

Le troisième point consiste à élargir sans cesse le front de la lutte. Le but de

341 D. Bensaïd, Le nouvel internationalisme , textuel, 2003, p.24, 38

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cette dernière consistera à restituer le pouvoir au peuple afin de parvenir à la

démocratisation de la frontière, de l’institution, de juridiction et de la qualification

citoyenne. Car la diversité  au travail,  la totalité et la durabilité constituent les

éléments de cette lutte. Nous la considérons comme une guerre de position : unerésistance totale et une résistance permanente.

8.2.1 Perspectives pour l’altermondialisation

Nous avons vu que comme la mondialisation capitaliste dépassait les

frontières. Le droit, la démocratie et l’égalité dépassaient également la frontière.

La résistance doit aussi franchir la frontière et être menée à l’échelle mondiale.

Comme Marx exprime dans le Manifeste communiste  : « elle (la bourgeoisie) se

façonne un monde à son image ». Derrida observe que le néolibéralisme, en

tentant de créer un nouvel ordre mondial, contribue à un phénomène paradoxal.

En étendant les pouvoirs des entreprises et des institutions transnationales, le

racisme et le fondamentalisme s'aggravent dans les mêmes proportions. Le

monde est à la fois intégration et parcellisation. Derrida insiste sur la nécessité

d’un nouvel internationalisme pour conjurer la mondialisation capitaliste, car les

mouvements sociaux se situent en dehors de la logique du néolibéralismÉ.

Balibar répond que le noyau de l’héritage marxiste réside précisément dans la

lutte des classes et l’internationalisme.

L’altermondialisation est une solidarité entre  organisations, mouvements

sociaux ou forces politiques de divers pays ou continents qui s’entraident et

s’associent dans un même combat, face à un ennemi planétaire. Le combat ne

vise pas uniquement le capitalisme, il ne représente qu'une partie du travail de

l’altermondialisation. Le point crucial vise à accentuer d’autres valeurs plus

essentielles que celle de la concurrence du marché. Un tel mouvement désigne

en partie une confédération de forces différentes ou la juxtaposition du

militantisme traditionnel, le plus important est qu'en joignant leurs forces sur des

différents sujets, les acteurs apprennent réciproquement les uns des autres. Une

telle action intersubjective conduit à un nouveau type de relation sociale, qui

dépasse la frontière, dans la mesure où les participants ne s'engagent pas dans

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ce mouvement en raison de la nationalité, mais plutôt de la convergence. Tout

cela renvoie à la réinterprétation de la politique et de l’action collective.

L’altermondialisation diffère de la mondialisation capitaliste, elle accorde

moins d'importance à l'économie, mais plus au social et à la solidarité. Elle rejoint

le concept de l’appropriation sociale, celle qui contrarie la logique du marché. Au

lieu de la concurrence et de la privatisation, elle se présente comme une

planification démocratique respectueuse de la justice sociale, une politique

active. En opposition à la privatisation du monde, l’appropriation sociale

reconstruit un espace politique afin de restaurer les services publics, les biens

communs de l’humanité, les solidarités à l’échelle mondiale. Elle représente

aussi une logique de lutte et fait émerger sous des formes variées lasubordination de l’économie à la citoyenneté, de l’intérêt privé à l’intérêt général,

des profits aux besoins collectifs. Elle implique toujours une démocratie

participative par le bas, de l'entreprise publique à la coopérative autogérée. Ici

encore, la question cruciale est celle des rapports de forces sociaux et politiques,

et du pouvoir réel de décision342.

Précédemment, nous avons indiqué l’aporie du mouvement social actuel : le

mouvement social doit dépasser le cadre de l’État-nation, mais préférer l’échelle

mondiale. À l’heure de la mondialisation, l’État devient une partie de l’institution

transnationale, il n’est plus la source unique et principale de la répression.

Combattre l’État ne suffit plus, l’objet de la lutte sera l’institution transnationale.

Löwy insiste sur la nécessité d’un refus radical, c'est-à-dire rejeter les règles

imposées par les puissants. Il s'agit d'une négativité de la résistance qui

nécessite une proposition alternative et concrète, permettant ainsi de concevoir

l'utopie d’un autre monde343. Ce mouvement démontre la possibilité d’un autremonde possible à l’aide de la négativité. La négativité crée une démocratie

participative dépassant la démocratie exclusive et le parlementarisme. Elle

n’insiste pas sur un monde unique, mais « un monde dans lequel différents

342 D. Bensaïd, un monde à changer , Textuel, 2003, p.26 ; Bensaïd, Antilibéralisme ouanticapitalisme ? Des mots et des choses. 343 M. Löwy, Nationalismes et internationalismes de Marx à nos jours , Éditions Page Deux, 1997  

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  369

mondes ont leur place ». Dans ces conditions, les gens se rassemblent

réciproquement. Un tel ensemble ne repose pas sur une logique unique, mais en

raison de l’exposition elle-même, les gens, dans l’action, partagent leurs idées, et

du débat réciproque naissent des valeurs communes. Ils deviennent par ce biaisà la fois la subjectivité politique et l’interactivité, ils font naître le sentiment d'une

appartenance et d’une reconnaissance mutuelle. Une communauté politique se

fonde sur l’action collective: celle-ci encourage la diversité tout en favorisant

l'élaboration d'un projet commun.

La diversité constitue un point important. Bien que les participants de

l’altermondialisation aient des origines, des visées et des stratégies différentes,

ils possèdent un caractère commun. L’altermondialisation refuse effectivement lareprésentation minoritaire et insiste sur l’engagement direct. Elle soutient

l’autodétermination et le dynamisme de l’organisation, chaque participant, tant au

niveau de l’organisation que de l’individu, connaît parfaitement les buts de

l’action : chaque participant est une subjectivité de l’action politique.

L'altermondialisation possède donc le caractère de la démocratie et de l’égalité.

Elle crée un monde alternatif dans le processus de l’action, elle prête attention à

la santé, aux droits de l’homme, à la question de l’immigration, et à la protectiondes pauvres.

L’altermondialisation doit se fixer un but clair et elle modifie sa stratégie

suivant la situation en cours. L’altermondialisation critique le capitalisme et le

néolibéralisme. L’altermondialisation défend non pas l’intérêt individuel, mais des

valeurs collectives, au travers de la mobilisation, l’altermondialisation défend un

mode social idéal, menacé par la mondialisation du marché. L’altermondialisation

combat les injustices liées à la mondialisation actuelle, cela revient aussi à lutterpour décider des formes d'existence. La lutte altermondialiste est non seulement

une lutte du politique, mais aussi la lutte de la vie. L’altermondialisation propose

une imagination alternative du monde à l’aide de l’action collective. Par rapport à

la mondialisation du capital, l’altermondialisation défend la solidarité sociale et

les droits fondamentaux. Ce mouvement d’un côté, dénonce les méfaits de la

mondialisation du capital : bipolarisation de la richesse et de la pauvreté, la

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régression des droits de l’homme, la guerre et le fracture sociale ; de l’autre côté,

il crée un espace politique, le peuple participe aux controverses publiques, au

travers de la discussion, de manière à éclairer sur la logique du néolibéralisme.

L’altermondialisation n’est pas une force négative, mais une force positive,

car elle est autant une confrontation qu'une invention. Les luttes

altermondialistes s'efforcent de fédérer des revendications culturelles et sociales

de différentes natures. Elles ne se limitent pas dans le cadre d'un pays particulier,

d'une classe unique, elles se corporifient à l’échelle mondiale et entière. Pour

résumer, l’altermondialisation insiste fondamentalement sur la solidarité mutuelle,

elle recrute plus de participants et coordonne leur action afin de montrer la

possibilité d'un monde alternatif. L’altermondialisation tente de sortir de l’aporiede la dissémination et de la parcellarisation de l’action de résistance. Elle espère

au sein d’un mouvement social permanent, non pas par intermittence. Ce

mouvement est une force potentielle, non pas institutionnalisée. Elle se situe au

cœur des débats qui, après l’effondrement du paradigme marxiste-léniniste et à

l’heure de la mondialisation libérale, cherchent à redéfinir les termes d’une

politique d’émancipation véritable. Les participants sont égaux, tout le monde est

une partie de l’action collective. Sur la base de l’égalité, les participantsobtiennent ainsi l’émancipation. L’action collective contribue à l'élaboration d'un

but commun dépassant l’intérêt individuel, elle possède des valeurs universelles.

L’altermondialisation possède donc les caractères de l’humanité, de la

démocratie et de la diversité.

L’altermondialisation poursuit une universalité réelle, qui n’est pas un idéal

ou une utopie. Elle contredit la position du cosmopolitique, par rapport à la

mondialisation capitaliste, qui préconise le cosmopolitique. Néanmoins, elleproduit de l’inégalité et l’apartheid, Balibar parle de « cosmopolitisme inversé »344.

L’altermondialisation se développe dans le champ des relations sociales qui ne

relèvent pas nécessairement du marché mondial. L’altermondialisation inverse la

perspective de la logique capitalistÉ. Balibar indique en effet que l’universalisme

344  É. Balibar, « «Le retour de la race », le mouvement, La découverte, n°50,2007.

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ne fait jamais directement ce qu’il dit, ni ne dit directement ce qu’il fait .

L’universalisme aujourd’hui est ainsi une logique contradictoire, car il subordonne

sous des aspects dominants et se distord ainsi dans l’interaction de la théorie et

de la pratique345.

La soi-disant nouvelle structure du monde n’est pas une institution

transnationale inédite, mais une nouvelle forme de résistance mondialisée. Seul

un mouvement de résistance à l’échelle mondiale contribuera à l’émergence d’un

véritable internationalisme. Grâce à la solidarité, il formera une véritable

coalisation internationale. Par rapport à la dépolitisation du postmodernisme et

du néolibéralisme, un tel mouvement de résistance transnationale repose sur la 

politisation des mouvements sociaux, ce qui renverse la logique néolibérale dehiérarchisation et de démantèlement des droits de l’homme. Cette forme de

politisation pose les bases d’un nouvel internationalisme de masse, elle contre la

logique et la violence du système global du marché, la résurgence des fascismes

et nationalistes. Les mouvements sociaux redeviennent la forme d’action

collective organisée et offre une multitude de possibilités346. Un tel mouvement

se révèle infini, car il se trouve toujours lié au concept d’émancipation347.

8.2.2 Réaliser l’altermondialisation par l’action collective

Après avoir éclairé les buts et les nuances entre l'altermondialisation et la

mondialisation capitaliste, la question est de déterminer à présent comment

réaliser l’altermondialisation. Notre travail d'analyse s'articulera en trois points.

La première question consiste à fixer les stratégies permettant de

concentrer les diverses forces de chaque pays. De nombreux groupesaltermondialistes sont disséminés dans des pays différentiels, les barrières

linguistiques entravent les échanges d’expériences et d’informations. Les

345 É. Balibar, Sur l’universalisme Un débat avec Alain Badiou  346 D. Bensaïd, Éloge de la politique profane , Albin Michel, 2008, p.349 ; et cf. Badiou, De quoiSarkozy est-il le nom?  Lignes, 2007, p.12347 D. Bensaïd, Éloge de la politique profane , Albin Michel, 2008, p.351

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différents acteurs comprennent difficilement et lentement la situation des autres

pays et ne s’engagent pas dans les mouvements des autres pays, ce qui limite

les possibilités de convergence. À l’inverse, ceux qui se trouvent à la tête des

pays puissants et qui possèdent pouvoirs et ressources échangent desinformations rapidement et accumulent d'immenses ressources. En formant un

bloc commun du profit, leur tâche se trouve fortement facilitée. Autrement dit,

nous nous trouvons face à un rapport de force déséquilibré, tant aux niveaux

économique, politique, que culturel. Le premier pas doit donc consister à

surmonter les obstacles linguistiques et la distance actuelle. C’est le terrain où

l’intellectuel peut jouer un rôle décisif, en intégrant différents domaines et en

formant un groupe transdisciplinaire pour contrer le bloc des puissants quiregroupe la justice, le cartel et les hommes politique...

L’intellectuel doit assumer une autre responsabilité. Il a été montré que la

mondialisation et l'émergence des institutions transnationales rendaient

malaisée la détermination du décideur final. En effet, qui assume la

responsabilité politique ? Ainsi, nous n’avons pas d'objet précis à qui revendiquer

nos droits. Les inégalités et les pressions non seulement viennent de l’État, mais

aussi des institutions transnationales. Celles-ci s'avèrent bien loin de nous, tantgéographiquement qu'administrativement, voire elles revêtent un caractère

anonyme et dissimulé. Autrement dit, leurs décideurs ne sont pas les dirigeants

de pays particuliers, mais sont anonymes. Les mouvements sociaux traditionnels

ne conviennent plus à cette nouvelle situation. Autrefois, nous connaissions

précisément l’objet de la lutte, qui normalement, est l’appareil de l’État et le

système bureaucratique. Aujourd’hui, nous ignorons qui est le décideur direct.

Cette absence d’objet précis de la lutte ne favorise pas la mobilisation desparticipants et la concentration des diverses forces d'opposition. Les méthodes

de domination devenant de plus en plus sophistiquées, nous percevons

difficilement les pressions. Cela gêne l'émergence de la conscience d'une

oppression. Comme Marcuse indique dans son ouvrage « L'homme

unidimensionnel », la manipulation des dominateurs devient aujourd’hui de plus

en plus subtile et instituée. Le prolétariat perd sa puissance de négation, tant et

si bien qu'il ne peut plus être révolutionnaire, car il se contente de sa vie

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matérielle. Face à la pression de l’État, il ne saisit plus les pressions exercées

sur lui et ne conçoit plus la révolution.

À l’heure de la mondialisation, la manipulation est devenue moins visible,

certains post-politiques jugent la révolution impossible, ils croient que la lutte des

classes ne pourra plus changer le monde, voire que la lutte des classes n’existe

pas. Nous devons nous souvenir de la proposition de Rosa Luxemburg qui

insiste sur l’importance de l’éducation. Par celle-ci, l’homme connaît mieux sa

relation avec l’histoire et la société et peut concevoir une conscience de classe.

Les gens détenant le pouvoir économique et administratif s'approprient tous les

pouvoirs : les capitaux, les techniques, la politique et le militaire... C’est-à-dire

que ces puissances transnationales se trouvent consolidées par l'intégration juridique, technologique et armée. Les blocs politiques préservent ainsi leur

hégémonie et d'assurer cette intégration. Nous ne contrerons donc ces

institutions transnationales que si nous établissons une résistance à l’échelle

mondiale et nous intégrons toutes les forces d'opposition.

L’intellectuel doit mener une analyse de l’institution expliquant les

mécanismes de l’institution et permettant à l’altermondialisation d'élaborer sa

stratégie. L’intellectuel doit bâtir une théorie qui dépasse la dimension de

l’État-nation, il aidera ainsi les mouvements sociaux à accéder aux stades

suprêmes. Il imagine un plan visant au-delà de la politique actuelle à partir de

l’expérience historique ou des théories classiques. L’objet d'opposition ne sera

alors plus ambigu, ni invisible, les participants saisiront bien mieux les membres

et les mécanismes des institutions transnationales. La politique actuelle produit

de l’inégalité et de l’illégalité, car elle entretient une démocratie déficitaire basée

sur des décisions dogmatiques, elle asphyxie l’espace public et fait disparaître ledébat public. L’intellectuel doit donc créer un espace public où les participants

échangent leurs idées, un lieu agissant sur le long terme. Ce lieu offrirait

l'occasion de développer de nouveaux discours et de fixer les enjeux

primordiaux.

L’intellectuel doit établir une philosophie dans un espace public qui diffère de

la logique du capitalisme. Cette philosophie doit contribuer à restaurer les droits

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de l’homme, la démocratie afin de reconstruire une exigence politique

contribuant à l’émergence progressive d’une véritable sphère publique

transnationale. En un mot, l’intellectuel se sert de la théorie comme d'une arme

et il la pratique dans l’action. Deux devoirs s'imposent à lui. D’un côté, sur lecourt terme, l’intellectuel, en fonction de l’actualité, dresse la stratégie à suivre et

détermine précisément l’adversaire à combattre, pour permettre au mouvement

de s'organiser plus rapidement. D’un autre côté, dans la durée, l’intellectuel doit

réexaminer les institutions transnationales et les évènements internationaux.

Grâce à cette démarche, l’intellectuel approfondit l’analyse des événements et

élabore le discours à adopter. De ce fait, il concrétise et démocratise la théorie

abstraite. Ses théories deviennent un but réalisable, ce caractère concret s’avèremieux susceptible d'attirer des groupes issus d'horizons différents. Chacun,

selon ses intérêts et ses compétences, contribue à la concrétisation de ce but.

L’altermondialisation trouve un objectif commun, tout en bénéficiant de l'apport

de forces diverses, l’altermondialisation devient ainsi un mouvement organisé et

durable.

Le rôle de l’intellectuel consiste aux tâches suivantes : approfondir la

problématique, élucider l’aporie actuelle, concrétiser et démocratiser la théorie,convergence et organiser les groupes internationaux. L'intellectuel doit remplir

cette fonction sociale dans tous les domaines afin de permettre à

l’altermondialisation d'organiser non seulement une lutte ouvrière, mais aussi

une confédération de travailleurs et d’intellectuels, qui soit à la fois une

conjonction transversale de professionnels et une convergence longitudinale.

Lutter devient possible tant dans l'usine que dans la rue, les médias, l’école...

Le deuxième point que nous allons aborder concerne la politisation et laréorganisation. Celles-ci visent à restaurer l’espace public. Les discours sur la

dépolitisation du post-politique (incluant le néolibéralisme, la pensée

postmoderne et le postmarxisme). Ces courants tentent de dépolitiser afin de

modeler le déterminisme économique et préconiser la mondialisation capitaliste

comme une évolution inéluctable. L’altermondialisation doit de ce fait restaurer et

réinterpréter la politique, en vue d’approfondir la relation entre la politique,

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l’émancipation et l’action collective, tant pour ce qui est de la pensée que des

acteurs. En redéfinissant son espace et ses acteurs, la politique ne se limite plus

au cadre de l’institution, de l’administration ou au régime. Au contraire, elle

devient la cristallisation de la vie et des rapports sociaux. Aristote définit l'hommecomme un animal politique (zoon politikon ) qui n'est cependant pas le seul

animal vivant en groupe: il existe nombre d'espèces grégaires. Autrement dit, en

exerçant la politique, dans la vie commune, l’homme devient un être humain.

Arendt montre quant à elle que la liberté est la raison d'être de la politique, et son

champ d’expérience est l’action348  : il n’y a d’action que dans la liberté et vice

versa. La liberté ne vient pas de l’intérieur, elle a lieu dans l’action extérieure.

Arendt indique que le problème de la liberté aujourd’hui devient un problèmemajeur pour la philosophie. La liberté se confond toujours avec la volonté ou

l’esprit intérieur, de même, la politique se réduit au parlementarisme ou à

l’institutionnalisme. Certains estiment que la liberté et la politique sont des idées

opposées ou contradictoires, la politique est conçue comme une mesure

instrumentale assurant la domination sur l'homme. Si moins de politique signifie

plus de liberté, il n’y a de liberté que dans la dépolitisation.

Certains insistent sur la nécessité d’une dépolitisation ou d’uncontre-pouvoir afin de reprendre la liberté. Pour Arendt, une telle liberté, fondée

sur le réalisme, est un agir négatif, voire, lorsque nous défions un pouvoir, nous

risquons l'émergence d'un autre nouveau pouvoir, pas forcément meilleur, et

donc de sombrer dans un cercle sans fin. Arendt remarque que lorsque les

hommes vivent ensemble, ils ne forment pas un corps politique et que dans un

monde politiquement organisé, si l’homme ne s’insère pas par la parole et

l’action, il ne s'agit pas d'une liberté réelle. Or, Arendt souligne que la liberté nerelève pas de la volonté intérieure, mais est une propriété de l'action extérieure.

Les hommes sont libres aussi longtemps qu’ils agissent, ni avant ni après: être

libre et agir ne font qu’un. Pour Arendt, la liberté coïncide avec la politique et se

trouve essentiellement liée à l’action: « La liberté comme fait démontrable et la

348  H. H. Arendt, La Crise de la culture , " Qu'est-ce que la liberté ? " p.190

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politique coïncident et sont relatives l'une à l'autre comme deux cotés d'une

même chose »349.

Pour Arendt, l’action politique n’est que l’exercice de la liberté, celle-ci est

la condition essentielle permettant à l’homme de se tourner vers l’autre. L’action

politique est une ambition essentielle au travers de laquelle l’homme se voit

conférer la compétence de l’action et de la parole pour créer un espace commun.

Un tel espace est comme un monde nouveau, il forme la base de la vie

commune et de la mémoire collective. Arendt remarque qu'à l'époque moderne,

la politique se trouve dénuée de sa finalité. La politique devrait consister en la

liberté, qui constitue la finalité de la politique, l'action doit permettre à l’homme de

dépasser la violence, la domination, la contrainte. L'action collective accentuel’expression de la liberté, elle accomplit les choses autrement en établissant des

relations égalitaires. Arendt estime que : « c’est la possibilité de l’action qui fait

de l’homme un être politique ».

Pour Arendt, la politique n’est pas autre chose que l’espace de la liberté. Le

but de la politique vise à mettre en place un tel espace venant de l’intérieur ou a

priori , mais de l’action. Cette liberté constitue un contre-pouvoir, elle permet de

résorber la domination extérieure. La liberté contribue à une émancipation

complète, elle est la fin de la domination extérieure séparant l’homme et

soi-même. À travers l’action, l’homme établit une relation avec l’autre, et l’action

collective offre l'occasion d’exposer nos aspirations et d'influer autrui et plus

largement tous les domaines de la vie. Une telle action instaure un espace

commun incluant tous les participants. Dans cet espace commun, l’homme est à

la fois une subjectivité de l’action et un membre du groupe, l’homme est un

individu particulier, mais aussi un individu universel. La politique n’est pas uninstrument, mais plutôt une finalité. La vie politique confère ainsi à l'homme une

liberté entière et rend possible le fait de « vivre ensemble ».

Le nouvel internationalisme ou l’altermondialisation se trouvent étroitement

liés à l’action collective politique. Une telle action est une présence et une

349  H. H. Arendt, La Crise de la culture , " Qu'est-ce que la liberté ? " pp.192-198

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exposition devant l’autre et dans l’espace commun. L’homme dans l’espace

politique n’est plus invisible et silencieux. Cette action contribue à ressusciter

deux éléments, d’un côté, elle fait réapparaître des choses qui avaient longtemps

été privées et cachées par la puissance ; d’un autre côté, elle représente lavolonté et la solidarité des acteurs. En tant qu’expression libre et mutualité,

l’acteur redécouvre l’essence de l’homme qui est un être de parole et un produit

de la société. En un mot, la politique est une résurgence de l’essence humaine.

Politiquement, l’homme est tout d’abord une présence, ensuite, il développe

toutes les possibilités dans l’action commune. Cela offre la possibilité d'exercer

une vie collective. Enfin, l’homme coexiste avec d'autres hommes, mais ce n’est

pas pour son propre intérêt, mais pour son accomplissement. Arendt pense quele sens de la politique n’est pas l’intérêt, mais la poursuite des valeurs

transcendantales, qui transcendent l’intérêt individuel et qui en constituent la

finalité. Les valeurs transcendantales évitent à l’individu l’isolement. L’individu vit

avec l’autre non pas par intérêt, mais pour devenir « nous », la politique ne doit

 jamais être liée à des intérêts et ne pas servir l’intérêt individuel, ni ceux du

groupe. Elle constitue une société polyvalente, une relation de division du travail

organisé. Sur cette base, la politique est une invention collective. L’individu

particulier devient le groupe universel, l’individu ne s’isole pas en dehors du

groupe, sinon, il n’y a de rapport entre les hommes que dans l'instrumentalité.

Arendt estime que la vie commune revêt trois formes : le  travail,  la

fabrication et l'action, ces formes constituent aussi la vie politique où l'on accorde

du temps uniquement aux choses ni nécessaires, ni utiles. Les hommes se

reconnaissent dans le travail et l’action, par l’action, l’homme est d’une part

présent lui-même, d’autre part, il se joint à l’autre. L'homme devient un sujet,parce qu’il s’autodétermine à travers son action, mais en même temps, son

action s'imprègne des valeurs de l’autre. L’action individuelle s'avère interactive,

le sujet est l’intersubjectivité. L’action politique met directement en rapport les

hommes par le biais de la parole et l’action comme des « modes sous lesquels

les êtres humains apparaissent les uns aux autres, non certes comme objets

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physiques, mais en tant qu’hommes »350. La politique peut ainsi être considérée

comme servant l’émancipation humaine.

La politique n’est pas un régime ou une institution, mais plutôt un élément de

la vie commune et de l’espace public, fondé sur la base de l’action et de la liberté.

La politique contribue à modeler la vie ensemble. Les populations décident du

cadre politique, non pas le contraire, lorsque la politique tend trop à désigner la

qualification du citoyen. La politique caractérise l’espace public, elle fait de

l’homme un être de parole et un acteur. Pour ces raisons, l'espace public ainsi

créé permet de réaliser la démocratie et l'universalité.

L’internationalisme apparaît comme une convergence à l’échelle mondiale,

comme un espace public du peuple mondial. Les membres de cet espace

échangent leurs expériences afin de trouver des solutions à des situations

différentes. Ces membres ne peuvent être définis selon une l'identité étatique,

mais doit être fixée à partir de la politisation. Comme Balibar indique, une

communauté politique de type nouveau doit apparaître plus démocratique, doit

mobiliser conjointement des forces qui sont à la fois “intérieures” et “extérieures”,

des inclus  et des exclus  et doit créer un champ de mobilisation pour des

mouvements “citoyens” en faveur d’une extension des droits de l’homme qui

soient eux-mêmes des mouvements “mixtes”, fusionnant des traditions

démocratiques venues de l’intérieur de l’histoire avec des formes de résistance,

de prise de conscience et d’auto-émancipation apportées par les nombreux

“autres” qu’elle refoule 351. Ces propos rejoignent aussi le concept des « chantiers

de la démocratie ». L’espace public politique renforce la démocratisation, cette

dernière se manifestera sur les flux migratoires, la sécurité collective, les

garanties pour la liberté individuelle et la légitimité d’ingérence humanitaire. Toutcela contribuera à plus de démocratie que dans les espaces nationaux. Le

peuple transnational devient un acteur transnational, il soutient la réciprocité, ses

actions ne se limitent pas au cadre d’un pays particulier. Ses actions se

350  H. Arendt, Condition de l’homme moderne , op. cit., p. 232351  É. Balibar, « Le retour de la race », le mouvement, La découverte, n°50,2007.

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  379

caractérisent par une organisation, une collectivité et une mobilisation

transnationale. Ainsi, les acteurs, loin de se limiter au citoyen du pays particulier,

se rapportent aux peuples du monde dans le cadre d’une individualité

universelle.

Le troisième point consiste à élargir sans cesse le front de la lutte. Si l’on

emprunte la notion de Rosa Luxemburg, la lutte ne doit pas toucher uniquement

le plan économique, elle est indissociable de la lutte politique et de la vie

quotidienne. À l’heure de la mondialisation, nous passerons immédiatement de

la lutte nationale à la lutte globale, de la lutte du système à celle de la vie. Nous

appelons à la guerre totale et la guerre permanente. Bensaïd distingue deux

stratégies : la stratégie restreinte et la stratégie globale, celle-ci signifie une luttelimitée à l’échelle nationale, elle s’oppose au pouvoir politique sur un territoire

déterminé ; au contraire, celle-ci devient une lutte s’étendant à l’échelle mondiale,

elle apparaît permanente comme une esquisse de stratégie globale. Elle

commence sur l’arène nationale pour s’élargir au niveau continental et mondial.

En d’autres termes, une telle lutte commence par la lutte politique et prolonge

son terrain à la lutte culturelle. Enfin, cette lutte combinera toute la subjectivité de

l’action, le contexte historique et actuel. Dans les chapitres précédents, il estapparu que bien que la mondialisation défiait la souveraineté, l’État-nation

constituait un mécanisme clé pour redistribuer les ressources d’un pays.

L’État n’est pas un obstacle au capitalisme, au contraire, il promeut la

mondialisation capitaliste. L’État est perçu comme devant remédier aux abus de

la mondialisation. Certains préconisent alors de presser les gouvernements par

la lutte à grande échelle, par ce biais, les peuples pourraient contraindre les

gouvernements qui les privent de leurs droits et les empêcher de procéder à desprivatisations. Néanmoins, pour nous, la victoire de la lutte ne consiste pas à

obtenir la négociation avec le gouvernement, mais à bien mobiliser la force de la

lutte, organiser et coordonner les différentes parties la composant. Nous devons

sans aucun doute lutter contre l’État, le plus important consiste toutefois dans

une lutte organisationnelle et planifiée. La relation de lutte ne réside pas dans la

négociation ou la coordination, mais plutôt dans la transformation. Le but de la

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lutte vise à reprendre le pouvoir du peuple afin de parvenir à la démocratisation

de la frontière, de l’institution, de juridiction et de la qualification citoyenne.

Autrement dit, il s’agit d’établir une guerre de position sur différentes dimensions.

La stratégie restreinte et la stratégie globale sont deux formes de lutte

contre la mondialisation, deux modes de luttes de la vie. La stratégie globale

concerne tous les lieux et toutes les dimensions de la vie de l’homme et n'écarte

de ce fait personne de cette lutte. Cette lutte ne date pas d'aujourd’hui, dans

l’histoire, elle a rencontré de nombreux adversaires. Cette lutte s’avère

néanmoins plus large et sans précédent, elle inclut tous les partis, les groupes et

les individus progressistes. Son ennemi a déjà bien organisé ses partisans.

Comme Derrida indique, dans « Spectres de Marx », que les dix plaiesapportées par le capitalisme, l’expulsion ou la déportation de tant d’exilés,

d’apatrides et d’immigrés hors d’un territoire dit national annoncent déjà une

nouvelle expérience des frontières et de l’identité352. Ainsi, cette lutte est d’une

étendue sans précédent, elle vise à briser les ordres imposés sur l’homme par le

capitalisme, elle poursuit encore la démocratie et l’égalité mondiale à l’aide la

lutte commune, qui apparaît sous des formes variées. Elle constituera à la fois

une force individuelle et collective, elle ne se réalise que si chacun l’individu estengagé. Elle devient une lutte quotidienne et non pas une lutte du pouvoir

politique. La stratégie du nouvel internationalisme n’a pas cessé de se dilater sur

le temps et l’espace et d’agrandir la ligne de la lutte. Elle s’étend de la pratique

sociale à l’approfondissement théorique, de la guerre nationale à la guerre

mondiale.

Nous devons établir une guerre de position, mais le plus important consiste

à organiser et faire converger les « Beachhead ». Nous rejoignons le concept de« résistance globale » ou de « solidarité internationaliste ». Elle constitue un plan

social complémentaire, car elle rassemble non seulement les citoyens, mais

aussi les populations issues des flux migratoires : les syndicats et les travailleurs.

Callinicos rappelle que le plan du socialisme diffère du centralisme de Staline et

352  Derrida, Spectres de Marx , Galilée, 1993, p.134

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ne doit pas constituer une nouvelle forme de bureaucratie. Un tel plan doit

soutenir la démocratie, la justice et la durabilité353. Rosa Luxemburg souligne

l’idée que le prolétariat doit créer la démocratie du socialisme pour remplacer la

démocratie bourgeoise, mais non pas l’exterminer. Un plan socialcomplémentaire est porteur d’une nouvelle conception de l’internationalisme ou

une cosmopolitique de la solidarité qui serait plutôt l’antithèse de la

mondialisation actuelle. La solidarité internationaliste formerait progressivement

une conscience universaliste et le prolétariat. Avec son identité singulière, cette

solidarité préfigurerait la construction d’un mouvement anticipant sur

l’internationalisation.

353 A. Callinicos, An Anti-capitalism Manifesto . Polity, 2003, p.108

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Conclusion

Le choix de la problématique de ma thèse résulte de l’actualité de mon

pays : Taiwan. Ce pays se trouve sous la menace constante d’annexion de la

part de la Chine. En 1949, au nom de la sécurité étatique et du développement

économique, le gouvernement de Chiang Kai-shek, issu du camp qui a perdu la

guerre civile en Chine, s'est arrogé Taiwan afin de poursuivre l’exercice de son

pouvoir. Celui-ci a été obtenu de deux façons : grâce à l’aide des États-Unis et

par l’instauration de l’état d’urgence. La position proaméricaine a permis àChiang Kai-chek de développer une économie tournée vers les exportations.

Comme tous les pays du tiers-monde, Taiwan est parvenu à développer son

économie à l’aide d’une main-d’œuvre peu coûteuse et par l’essor de ses

industries de transformation. Au nom de la lutte contre le communisme, le

pouvoir en place a « nettoyé » le pays des partis de gauche et des intellectuels

de l’opposition. Depuis 1949, malgré les discours des dominateurs, qui

prétendent défendre la démocratie politique et le libéralisme, Taiwan a ainsi étéplacé sous la tutelle d’un régime autoritaire. En somme, à Taiwan, les partis de

gauche, la démocratie et la notion de droits de l’homme sont longtemps restés

embryonnaires.

À cause de l’instauration de l’état d’urgence en 1949, les Taiwanais n’ont

bénéficié d’aucun droit en tant que citoyen pendant une quarantaine d’années,

en l’occurrence, les droits de mobilisation, d’association, d’élection. Après les

années 1990, suite à la chute du mur de Berlin et à la libéralisation du marché,Taiwan a fait partie, comme plusieurs pays proaméricains, de la « troisième

vague » de démocratisation. Le pays a mis en œuvre une ouverture politique et

financière, a démantelé le régime autoritaire établi depuis 1949. Sur le plan

économique, l’île est devenue l’un des quatre « dragons » asiatiques. En raison

des réformes politiques mises en place, Taiwan apparaît comme un pays

démocratique même si factuellement, les Taïwanais, à cause de la diabolisation

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de la manifestation, n’exercent pas pleinement leurs droits de citoyens. Ils

n’osent par exemple pas contredire leurs employeurs et encore moins leur

gouvernement. En d’autres termes, à Taiwan, aujourd’hui encore, le droit du

travail, les droits de l’homme ainsi que la force des travailleurs restent des acquisbien fragiles. L’action collective est donc entravée, tant en ce qui concerne le

mouvement ouvrier qu’en ce qui concerne la démocratisation politique.

En dépit de ce contexte peu favorable, après 1990, des associations se sont

créées pour défendre le droit du travail et les droits de l’homme. Ces

associations, s’opposent à l’autorité et travaillent à l’évolution de l’égalité sociale.

La question primordiale consiste pour elles à éveiller la population et la conduire

à agir. Comme nous avons vu, il n’a pas existé de gauche à Taiwan pendantprès de quarante ans. En effet, les Taïwanais, au moins en majorité, accordent

une grande importance sur deux points, le plus important étant le développement

économique, suivi ensuite par le souci de la sécurité nationale. Ces deux points

se fondent tous sur le besoin de défendre la place de Taiwan face à la Chine sur

la scène internationale. Toute réforme radicale sur l’île risque de bouleverser le

statu quo dans la région. Les Taïwanais négligent ainsi la réforme sociale, la

considérant comme source d’émeute et refusant tout changement fondamental.Pour cette raison, la démocratie délibérative est considérée comme la seule et

ultime forme de réforme acceptable à Taiwan.

La seule démarche de nature réformatrice possible à Taiwan est la

démocratie délibérative. Cette forme particulière de réforme sociale est de nature

« postmoderne », elle base sur la désorganisation, la décentralisation, et la libre

participation. Ce type de réforme sociale postmoderne s’oppose aux principes du

mouvement social « traditionnel ». L’accent est d’ailleurs mis sur la pluralité, lamultitude et l'anti-hégémonie, c’est-à-dire une sorte distincte de « démocratie

ouverte ». Cette dernière apparaît comme un banquet ouvert à tous, gratuit et

sans distinction. Le principe est « l’entrée libre » et la participation « à volonté »,

permettant à chaque participant de choisir ce qu’il désire, notamment d’y entrer

et de s’en retirer comme bon lui semble.

En tant que composante du système mondial, Taiwan se trouve à la fois

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intégré et constituant de la mondialisation capitaliste. Depuis les années 1990,

Taiwan a recruté une pléthore de travailleurs étrangers venus du Vietnam, de

Thaïlande, des Philippines... Ces travailleurs viennent répondre à une demande

importante de main-d’œuvre immigrée. Cette masse ouvrière étrangère, n’ayantpourtant aucun poids à Taiwan, travaille dans de rudes conditions. À cause du

racisme et du nationalisme radical, celle-ci fait l’objet d’une grave discrimination.

Il existe depuis longtemps un grave problème identitaire à Taiwan en raison de

sa relation complexe avec la Chine. Suite au mouvement d’indépendance, les

Taiwanais ont tenté de bâtir un imaginaire identitaire national selon lequel il

existerait des « Taiwanais d’origine ». Ce processus de « taiwanisation », qui

apparaît comme un mouvement de décolonisation, de démocratisation etd’anti-impérialiste, contribue en même temps à favoriser le nationalisme et le

racisme. En construisant cette identité nationale taïwanaise selon le critère de

l’origine, Taiwan exclut les « étrangers», c’est-à-dire autant les populations

originaires de Chine que celles des autres pays asiatiques. Ce mouvement

indépendantiste étroit n’a pas permis à Taiwan d’encourager la notion de

solidarité internationale. Le fait que les travailleurs taiwanais cherchent à évincer

les travailleurs étrangers les prive d’un sens de « connexion transfrontière ».

Devant la double menace de deux puissances, que sont les États-Unis et la

Chine, Taiwan se trouve toujours face à un dilemme, qui l’empêche de se

positionner. Les Taïwanais vacillent entre une position proaméricaine ou

prochinoise, ce qui contribue à compresser l’espace public. Les mesures

politiques ne visent pas à promouvoir les droits de l’homme ou les intérêts de la

population taïwanaise, mais au contraire servent tantôt à flatter les États-Unis,

tantôt la Chine. Toute affaire publique devient une simple manifestation de lapolitique proaméricaine ou prochinoise. Les questions relatives aux droits de

l’homme se subordonnent ainsi aux préoccupations sur l’identité nationale. Les

débats publics terminant toujours par des questions purement « politiques »

intéressent peu la population. Les Taïwanais se sentent incapables de décider de

leur avenir face au statu quo  des relations internationales. Ceux-ci s’éloignent

ainsi des discussions publiques et finissent par mépriser le politique. Les affaires

publiques ne sont considérées que comme un ensemble de jeux entre les

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hommes politiques. La mobilisation des opinions publiques demeure ainsi assez

faible.

En résumé, les trois raisons expliquant la difficulté de l’action collective à

Taiwan, sont respectivement historique, sociopolitique et géopolitique. L’état

d’urgence imposé pendant quatre décennies, le mouvement de reconstruction de

la nation et la pression exercée par les États-Unis et la Chine ont empêché

l’existence de syndicats forts, d’une force ouvrière et d’une notion de solidarité

internationale. Les mêmes raisons ont conduit d’ailleurs à la discrimination

raciale sur l’île. Conséquemment, la notion d’espace public s’avère inexistante

à Taiwan. La population devient indifférente des discussions publiques qui sont

réduites à un pur débat autour de l’identité nationale.

J’ai choisi d’axer le sujet de cette thèse sur la définition et la compréhension

de l’État en général en m’appuyant sur le contexte européen. Après ce travail

doctoral, je poursuivrai mes recherches sur Taiwan et sur l’Asie, en me focalisant

sur le problème des paysans et des travailleurs immigrés. Face au pouvoir des

pays industrialisés occidentaux, les paysans asiatiques subissent le dumping, la

franchise douanière,  et la sanction économique : ils forment les premières

victimes de la mondialisation capitaliste. Sous la pression énorme de l’OMC ou

de l’FTA, ces paysans n’ont d’autre choix que de quitter leur patrie et deviennent

des travailleurs immigrés, qui doivent se contenter de bas salaires et de

conditions de travail médiocres. Les peuples des pays les plus faibles d’Asie se

trouvent soumis à une double pression, à savoir la pression économique – par

leur pays d’origine - et la pression politique – de leur pays d’accueil. Ce sujet me

paraissant primordial, ma priorité sera d’axer mon travail sur le problème des

paysans et des travailleurs immigrés en Asie.

Nous avons déjà mentionné que la notion de solidarité internationale était

quasi inexistante à Taiwan, ce qui nous oblige non seulement à approfondir la

théorie de la démocratie dans nos travaux ultérieurs, mais également à mettre

l’accent sur les moyens de fédérer les forces de résistance en Asie orientale.

Notre objectif visera à déterminer un modèle solidaire applicable dans cette

région à partir de son contexte actuel. Par ailleurs, cette expérience profiterait

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aux autres régions du monde. En effet, la construction d’un nouveau modèle à

l’échelle internationale ne sera pas réalisé sans un modèle asiatique oriental. Les

expériences issues de ce dernier s’avèrent indispensables pour l’avenir du

monde et enrichiront la stratégie de l’altermondialisation.

La présente thèse, en dehors de certaines difficultés pratiques, soulève au

moins trois problèmes sur le plan théoriques.

Premièrement, à cause de la barrière de la langue et de la connaissance, je

n'ai pas pu examiner de façon approfondie la révolution en l’Amérique latine - sa

stratégie et sa notion du nouvel internationalisme - je n’ai donc pas pu

m’appuyer sur les expériences du Brésil, de l’Argentine, du Mexique… Ma thèse

a dû se borner à l’expérience européenne.

Deuxièmement, je n’ai guère cité de références anglophones, ce qui fait que

ma thèse n’a pas pu introduire un dialogue entre le libéralisme classique et le

communautarisme. En effet, J.Rawls, R.Dworkin, M.Walzer, C.Taylor, Z.Bauman,

s’opposent aussi au néolibéralisme et défendent la nécessité de vivre ensemble.

Ils réfléchissent par ailleurs aux concepts de démocratie, de justice et des droits

de l’homme. Bien que leurs points de vue et leurs approches soient différentes,

leurs critiques et leurs polémiques contribuent à élargir le contenu de l’action

collective politique. Comme nous l’avons montré, la politique et la démocratie se

caractérisent toujours par l’excès, elles incluent et assimilent sans cesse l’objet

du dehors. Ce dehors étant en même temps un élément constituant de la

politique, il permet à cette dernière de générer plus de créations et de possibilités.

Par lui, la politique se renouvelle sans cesse. En conséquence, mon travail

suivant tâchera de renforcer la discussion avec ces libéraux.

Troisièmement, en me concentrant sur mon sujet, je n’ai pas pu approfondir

le concept de la révolution radicale, d’un point de vue historique et théorique

notamment à travers les écrits de Marx à Lénine, Luxemburg, Trotski. Tous ces

auteurs luttèrent non seulement contre le capitalisme, mais aussi contre le

révisionnisme, ce qui fait écho à l’altermondialisation actuelle. Car cette lutte

concerne aussi la démocratie au sein du parti, la stratégie de la lutte et le but de

la révolution. L’intérêt de ces auteurs est qu’ils nous mettent en garde sur le fait

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que l’altermondialisation risque aussi de nous faire sombrer dans le totalitarisme,

le sectarisme et le fondamentalisme. L’altermondialisation est  confrontée au

révisionnisme, à l’opportunisme, au bureaucratisme dans l’action. Comment

alors exercer la démocratie dans l’altermondialisation ? Par quelle voie parvenirà l’altermondialisation ? Quel est son ennemi principal ? Dans cette ère

postmoderne, la vérité, l’universalisme, la fidélité semble avoir disparu. Existe-t-il

une possibilité de révolution radicale dans l’altermondialisation? Si tel est le cas,

comment faire ? Si au contraire, la réponse est « non », quelle issue permettra

de changer le monde ? Le réexamen des bases de réflexions que nous offrent

tant Marx en les années 1840 que Lénine, Luxemburg, Trotski dans les années

1910, ne peut qu’être profitable à l’action actuelle.Après l’examen des apports et des lacunes de ma thèse, je propose les huit

principes suivants, qui reflètent à la fois ma conception de l’altermondialisation et

du nouvel internationalisme et ma réponse à l’action politique collective.

Premièrement, l’action collective consiste en l’organisation. Le mouvement

social, inhérent et constituant de cette dernière n’est jamais une affaire

particulière et contingente. Il est nécessairement une articulation durable. Le

mouvement social n’est jamais sans fondement, il incarne le rapport social et

apparaît aussi comme la représentation concrète de l’organisation. Ce qui

signifie que le mouvement est l’exposition de la force, qu’emmagasine

l’organisation, et qu’en d’autres termes, le mouvement ne surgit que grâce à

l’accumulation de la force générée par l’organisation. Celle-ci serait comme un

lieu où les participants convergeraient, agiraient et discuteraient de l’action

politique et que par conséquent, qu’ils pourraient se mobiliser tout de suite face

aux mesures politiques contestables, et ainsi reformer immédiatement une forced’opposition qui permettrait de créer une polémique publique et de changer la

décision finale.

La nécessité de l’organisation, dans l’action collective, consiste à converger

et à changer les circonstances, pour créer une décision collective, et donc de

faire émerger la force collective dans la discussion. Le mouvement social est une

action permanente et durable. Celui-ci ne peut pas compter sur les actes

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dispersés des individus « à volonté », ni sur les gestes occasionnels fondés sur

les sentiments divers. Pour créer un équilibre, il a besoin d’inverser sans cesse la

force et la persistance, de sorte que l’accumulation de la force n’a lieu que si elle

est organisée. L’organisation est un lieu où le mouvement social accumule laforce collective. Le mouvement social revêt une forme stratifiée : la manifestation

aiguë et courte ainsi que l’organisation lente et longue : toutes deux en tant que

constituant et constitutif du mouvement social ne sont pas à négliger.

Deuxièmement, l’action collective consiste en la division du travail qui doit se

manifester dans des domaines, des niveaux et des sujets différents. Cette action

menée par delà les frontières mènera à la formation d’une résistance

transnationale. C’est aussi une division internationale du travail, à l’image de « laguerre de position » chez Gramsci, qui permettra à la force de résistance

d’exister en tout lieu. Grâce à une telle force ubiquiste, les inégalités, les

répressions, les exploitations et les massacres n’apparaîtront plus comme des

affaires intérieures, mais plutôt comme des affaires communes mondiales. Grâce

à cette division du travail, en tant que guerre de position, nous incarnons la

résistance totale, où l’oppression existera, où la résistance émergera. Le

mouvement social n’intéressait jusqu’alors que les ouvriers et les militants. Saprésence se limitait à l’usine ou à la rue. Le mouvement social permettra

d’ouvrir la résistance à tous les milieux, en tout lieu : dans les écoles, les

institutions, les entreprises privées, etc. Chaque personne pourra envisager de

prendre part au mouvement social en plaçant ses idées au service de l’action

quelle que soit la position qu’elle occupe. De ce point de vue, un intellectuel

faisant partie de la division du travail sera en charge de produire son savoir et

une stratégie au service de la résistance. Il devra, en l’occurrence, s’engager demanière profonde et solide aux activités générales de la société et non pas s’en

éloigner.

Troisièmement, l’action collective consiste à approfondir la compréhension

du contexte sociopolitique propre à chaque pays. Cette compréhension,

objective et factuelle, ne sera plus le fait d’une classe dominante, mais plutôt du

peuple. Sachant que le mouvement social se fonde sur l’actualité de chaque

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pays et de sa structure particulière, nous élaborerons des stratégies spécifiques

susceptibles de convenir à chacun. En d’autres termes, le but n’est pas

d’inventer un principe globalisant, puisqu’il n’existe pas de « taille unique » en

matière de révolution, mais de fonder un modèle adaptable à tous les pays, entenant compte des conditions locales. Le but n’est pas de changer le monde d’un

seul coup, mais au contraire, de le faire se réaliser pas-à-pas par nos

engagements. Changer le monde ou la révolution ne doit pas seulement viser à

détruire l’appareil de l’État, mais plutôt à modifier les moyens de production et les

habitudes de vie. L’État n’est qu’une forme matérielle des rapports

socio-économiques au sens large du terme. C’est cet ensemble des interactions

qui ne peut partir en fumée. Celui-ci se rétablira après sa dissolution parce queles interactions persistent. L’essentiel consiste donc à changer l’infrastructure

matérielle. Il s’agit de modifier la base sur laquelle l’État se relève. En agissant,

nous déterminerons correctement les conditions actuelles et changerons la

structure en fonction de l'histoire et de la société concernée. Cette connaissance

servira à reprendre le pouvoir de la parole et de l’interprétation, à l’instar de la

vision de l’hégémonie culturelle chez Gramsci ou des appareils idéologiques de

l’État chez Althusser, de façon à ce que les Appareils idéologiques d'État

puissent être non seulement l'enjeu, mais aussi le lieu de la lutte des classes, et

souvent de formes acharnées de la lutte des classes.354  Nous redéfinirons

l’histoire sous l’angle du peuple qui pourra, à cette condition, s’affirmer. Nous

renverserons l’ordre du monde et grâce à la convergence et la solidarité, de

l’échelle locale à l’échelle mondiale, nous réaliserons la révolution mondiale et la

résistance totale.

Quatrièmement, l’action collective consiste à renforcer la théorie de la lutte.La pratique et la théorie s’avèrent indéfectibles. En agissant ainsi, nous

examinons à la fois la théorie pour agir, et inversement nous réfléchissons à la

stratégie de l’agir grâce à la théorie. Cette dernière nous permet de bien saisir et

d’analyser à posteriori le sens de l’État, du capitalisme, de la violence, etc.

354  Article originalement publié dans la revue La Pensée , no 151, juin 1970. In ouvrage de LouisAlthusser, POSITIONS (1964-1975), pp. 67-125. Paris : Les Éditions sociales, 1976, 172 p.

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Notamment au travers des écrits de Marx, Lénine, Luxemburg, Trotski ou encore

Lukács, Gramsci et Mandel. L’étude des écrits de ces penseurs issus d’époques

et d’horizons différents montre que chacun d’entre eux a adopté une stratégie

différente en fonction des conditions du moment. Toutefois, tous ont ce pointcommun : ils s'opposent au capitalisme, à l’impérialisme et au colonialisme. Ils

nous montrent un autre aspect de l’État et du capitalisme que celui qui est

dépeint par la bourgeoisie. Au travers des théories susdites, nous dépassons la

limite de l’espace-temps en ne nous limitant pas à l’impasse actuelle. Nous

surmontons conjointement la réalité en concevant un idéal pour l’avenir, et nous

concrétisons l’idéal dans l’agir. La théorie et l’agir, permettent d’une part, de

concevoir un idéal abstrait, et de ce fait de surmonter les limites actuelles.D’autre part, elle nous permet d’incarner la théorie abstraite et de préserver

celle-ci d’avoir la « tête à l’envers ».

Cinquièmement, l’action collective consiste au soutien et à la sauvegarde

réciproque qui inclut le soutien de la loi, de l’économie et de l’humanité. La

résistance mondiale doit être considérée comme une lutte totale, chaque

participant, quel que soit le pays, forme une partie de l’action. Ainsi tous les

participants sont camarades et fédèrent un front. Le participant se caractérise parune force double, il est une force individuelle, mais aussi une partie de la force

d’un tout. Nous réduisons alors la force de la lutte si nous omettons quelqu’un,

un tel délaissement produit un vide permettant au dominateur et au capitaliste de

nous oppresser. Nous devons entretenir un soutien réciproque transnational afin

d’éviter toute brèche dans le réseau de protection. Le militant risque souvent la

menace de la violence, de la sûreté individuelle et du chômage, qui viennent de

l’État, de la criminalité et du capitaliste. Nous devons consolider le soutienréciproque, si quelqu’un est licencié, détenu ou condamné, nous devons l’aider

par diverses voies : la justice, la politique, l’économie. Nous devons aider non

seulement la personne, mais aussi sa famille et ses camarades, parce que

l’individu ne s’engagera de tout coeur dans la lutte que si ses familiers le

soutiennent.

Je voudrais souligner ici un point. Le mouvement de résistance ne doit pas

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se soumettre à la logique du crime, mais au contraire être considéré comme un

droit du citoyen. Le peuple manifeste ses droits lorsque l’État ou le pouvoir les

bafoue. Le mouvement social, y compris le mouvement de l’altermondialisation,

doit être ainsi décriminalisé. Les altermondialistes ou les militants luttant contrel’État ou le capitalisme ne détruisent pas la justice, ils défendent le sens

transcendantal de la loi, parce que les droits de l’homme priment sur les autres.

Dans sa lutte contre la privatisation, la guerre, l’exploitation, l’altermondialisation

défend les droits de l’homme, le service commun, l’humanitaire, elle ne doit pas

être soumise à la logique du crime, elle doit être décriminalisée.

Sixièmement, l’action collective consiste à faire coexister en continu la

différence. Nous avons montré que la lutte détruisait non seulement la structurefixe, mais aussi créait un espace où nous vivions et partagions avec l’autre. Ce

nouvel espace permettra à l’homme, d’une part, d’échapper à la domination de la

structure fixe, et d’autre part de se reconnaître à l’aide de l’interaction. Un tel

espace correspond à l’espace démocratique. C’est-à-dire que chacun dispose de

la même opportunité de participer au groupe et à la décision, les individus ne

sont pas exclus à cause de la classe, la propriété, la race, la couleur, etc. Quelles

que soit les différences, chacun dispose d’une chance égale de participer à ladécision, un tel espace offrant des possibilités infinies. Autrement dit, la décision

de l’agir n’est pas le fait d’une minorité, mais se base sur l’égalité. Chacun

apportant son expérience et une perspective personnelle, ces minorités

fusionneront pour former un plus vaste horizon. L’expérience n’est plus

individuelle, mais résulte de l’expérience commune. Une telle expérience

dépasse l’individu, au travers du changement et de la transition au sein de

l’espace commun, elle s’élève à l’expérience universelle, elle est un élémentcommun qui consiste en la pluralité. L’action collective s’inscrit toujours dans le

processus de l’excès, elle ne se limite pas à une doctrine stagnante ou par un

pouvoir minoritaire, elle suscite toujours la puissance potentielle. Elle évite ainsi

l’institutionnalisation, la bureaucratisation et la dogmatisation de l’action

collective.

Septièmement, l’action collective consiste en un espace public. La politique

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et la démocratie se fondent effectivement sur la liberté et l’égalité. Elles ne sont

pas une institution, mais plutôt une liberté d'opinion(de parole) et une discussion

publique. L’homme n’est pas seulement un citoyen, mais aussi un être de parole

et un acteur. Une discussion publique nous permet de détruire les structuresfigées et de créer des possibilités insoupçonnées.

Huitièmement, mais avant tout, l’action collective consiste en l’engagement

et la fidélité de l’action. L’action n’est pas une idée abstraite. Elle se manifeste

dans la concrètement. En se jetant dans l’action (la lutte, la résistance et les

mouvements sociaux), nous développons une fidélité. Cette dernière nous

maintient continuellement dans la résistance. L’action politique collective n’est

pas une « entrée libre », elle apparaît au contraire comme une vocation.

Pour conclure cette thèse, je souhaiterais souligner que le mouvement

social n’est jamais une action morale, émotive ou expiatoire et qu’il ne vise pas à

aider les pauvres par simple commisération. Se confédérer avec l’autre ne

représente pas une source de profit ou ne résulte pas de la nécessité de

répondre à un devoir, voire à la satisfaction de la conscience, car l’autre forme

une partie de « nous » : nous ne nous accomplirons complètement que dans

l’autre. Dans l’interaction et la participation, le sujet de l’agir se reconnaît

lui-même, il n’est plus une existence individuelle, mais une existence sociale.

Parce qu’il est une intersubjectivité, il contient aussi l’expérience de l’autre dans

le processus de l’agir. Encore une fois, l’action collective à la défense de la

démocratie, de la justice sociale, et des droits fondamentaux, n’a pas pour but de

sauvegarder les autres. Il s’agit de consolider une totalité. Cette dernière nous

permettra de ne délaisser aucun individu et de nous réunir contre la pénétration

de la puissance. Dans une telle action commune fusionnant le soi-même etl’autre, nous avançons vers une émancipation réelle, une protection totale et

enfin, l’épanouissement de soi-même.

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