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1 UNIVERSITÉ PARIS VIII – VINCENNES-SAINT-DENIS U.F.R ARTS, PHILOSOPHIE, ESTHÉTIQUE │_ _│ THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS VIII Discipline : PHILOSOPHIE présentée et soutenue publiquement par Frédéric ASTIER le 3 décembre 2007 Titre : LA PHILOSOPHIE ORALE DE GILLES DELEUZE ET SON RÔLE DANS L’ÉLABORATION DE SON ŒUVRE ÉCRITE Directeur de thèse : Alain Brossat, professeur JURY Me Rada Ivekovic, Université St-Étienne M. Jean-Max Noyer, Université Paris 7 Me Manola Antonioli Me Anne Sauvagnargues, ENS Lyon M. René Schérer, Université Paris 8

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UNIVERSITÉ PARIS VIII – VINCENNES-SAINT-DENIS U.F.R ARTS, PHILOSOPHIE, ESTHÉTIQUE

│_ │ │ │ │ │ │ │ │ │ _│

THÈSE

pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS VIII

Discipline : PHILOSOPHIE

présentée et soutenue publiquement par

Frédéric ASTIER le 3 décembre 2007

Titre :

LA PHILOSOPHIE ORALE DE GILLES DELEUZE ET SON RÔLE DANS L’ÉLABORATION DE SON ŒUVRE ÉCRITE

Directeur de thèse : Alain Brossat, professeur

JURY

Me Rada Ivekovic, Université St-Étienne M. Jean-Max Noyer, Université Paris 7

Me Manola Antonioli Me Anne Sauvagnargues, ENS Lyon M. René Schérer, Université Paris 8

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Introduction

Une année durant, j’ai écouté l’ensemble des cours de Gilles Deleuze, dans

l’ordre chronologique, en moyenne cinq par semaine, dans un petit bureau de la

Bibliothèque nationale de France. J’étais alors installé dans la Tour 3, 17è étage,

pour la Section documents parlés du Service Son du Département de

l’Audiovisuel. Il s’agissait de vérifier la durée dite technique de ces

enregistrements. Pour outils disponibles, une chaîne hi-fi avec télécommande,

crayons, papier, gomme, et un traitement de texte. Employé de la bibliothèque, je

continuais d’assurer mes plages de service en relation avec les publics en salle. Ce

grand calme, cette bonne solitude me permirent de renouer avec les études de

philosophie, mais cette fois-ci, non plus à l’Université de Paris 8, mais à travers

un casque audio.

Peu à peu, je compris certaines nuances, entre un étudiant et un auditeur libre,

entre transcrire mot à mot et repérer les reprises conceptuelles du professeur, à

première vue bien abstraites, entre suivre paresseusement le propos et être captivé

par la parole.

C’est ainsi que j’entrepris une prise de notes, un horizon des références des

idées développées par Gilles Deleuze entre 1979 et 1987.

Mais arpenter un tel volume sonore, me disais-je, est-ce possible, est-ce que

cela me concerne, et pour quel usage ? L’invite de Gilles Deleuze fut alors très

efficace : « prenez ce que vous voulez, ce qui vous convient, c’est vous qui

voyez ». Ce qui me convient, ce qui me parle, ce qui me fait penser à quelque

chose, le propos est déculpabilisant et incite à travailler pour soi-même et par soi-

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même. Deleuze sait instituer l’autre comme auteur : de ses notes, ses connexions,

ses rapprochements, ses propres plans.

Puis, après avoir laissé reposer mon appareil auditif une année sans doute, je

repris l’écoute des cours de certaines années afin de vérifier plus calmement mes

prises de notes, de quelques séances, durant lesquelles j’avais dû certainement

somnoler, notamment la quatrième et dernière année consacrée par Deleuze au

cinéma.

Les cours enregistrés de Gilles Deleuze, au lendemain du transfert de

l’Université de Paris 8, sont consultables à la BnF, à la Bibliothèque universitaire

de Paris 8, et le sont progressivement sur le site http://www.paris8.fr/deleuze.

Afin d'aider l'auditeur et le lecteur, nous signalons le vis-à-vis chronologique

des cours avec les écrits, de la trame des cours et ses flux et reflux de paroles, aux

chapitres des livres, nous nous permettons un regroupement minimum. Ces huit

années d’enseignement, de 1979 à 1987, qui comprennent 177 séances, 400

heures enregistrées sur des compacts disques, se répartissent ainsi :

(Cf. Annexes)

Année I :

— Appareils d'Etat et machines de guerre, 1979-1980, 23 heures.

On retrouve en partie ces 13 cours dans les trois derniers chapitres de Mille

plateaux : 1227 - Traité de nomadologie: la machine de guerre. 7000 av. J.-C -

Appareil de capture. 1440 - Le lisse et le strié.

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— Leibniz, le philosophe et la création de concepts, 1980, 11 heures.

Deleuze entend par ces 5 séances, faire découvrir et faire aimer un philosophe, en

insistant sur son activité vivement créatrice de concepts.

— Anti-Œdipe et autres réflexions, 1980, 4 heures.

À la demande des auditeurs, sur 2 séances, Deleuze reprend certains motifs de

l’ouvrage L’Anti-Œdipe, 1972, écrit avec Guattari, à partir de la notion de

processus.

Année II :

— Spinoza, des vitesses de la pensée, 1980-1981, 14 cours, 30 heures.

Reprenant les chapitres du livre Spinoza, philosophie pratique de 1970, Deleuze

insiste en particulier sur les rapports entre l'éthique et l'ontologie.

— La peinture et la question des concepts, 1981, 18 heures.

Ces 8 séances sont reprises dans les sept derniers chapitres du livre Francis

Bacon, logique de la sensation, 1981. Deleuze aborde sa problématique par la

notion de diagramme.

Année III :

— L'image-mouvement, leçons bergsoniennes sur le cinéma, 1981-1982, 41

heures.

Les 21 séances entrouvrent et accompagnent l'ouvrage L'image-mouvement,

cinéma 1, 1983.

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Année IV :

— Cinéma, de la classification des signes et le temps, 1982-1983,

56 heures.

Deleuze annonce qu'il entend reprendre certains points abordés l'année

précédente, ces 23 séances accompagnent les trois premiers chapitres du livre

L'image-temps, cinéma 2, 1985.

Année V :

— Cinéma, Vérité et temps: le faussaire, 1983-1984, 55 heures.

Les 22 séances illustrent le livre de 1985, L’image-temps, cinéma 2, des chapitres

quatre à six.

Année VI :

— Cinéma et pensée, 1984-1985, 64 heures.

Avec ces 26 séances, reprises sur les trois derniers chapitres du livre de 1985,

L’image-temps ; le philosophe annonce sa volonté de se consacrer pour l’année

suivante à la question qu’est-ce que la philosophie ?

Année VII :

— Foucault, 1985-1986, 65 heures.

25 cours que Deleuze développe selon « trois axes de pensée », repris dans le livre

Foucault, 1986.

Année VIII :

— Leibniz, philosophie baroque, 1986-1987, 44 heures.

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18 séances, reprises dans les 9 chapitres du livre Le pli, Leibniz et le baroque,

1988. Deleuze entend cette année de cours comme une introduction à la question

qu’est-ce que la philosophie ?

Ce corpus sonore démarre à la veille du transfert de l’Université de Paris 8 de

Vincennes à Saint Denis en 1979. Objections et discussions ne seront plus de mise

dorénavant. Félix Guattari ne participera plus aux séminaires. Les auditeurs

accompagneront le philosophe, avant tout créateur de concepts, selon une autre

« formule », manifestement déclarée par Deleuze au début de l’année 1982.

Comme pour bien des auteurs, les cours précèdent les livres, expérimentent,

vérifient l’élaboration des suites logiques de ses futurs chapitres.

Pourtant pour Deleuze, il est clair que parler n'est pas écrire. Entre les deux, il y

a une rupture radicale. Si le parler peut supporter un régime d'hésitation, des

suspensions et des béances, des rires et des cris, l'écriture est une opération de

refroidissement. Le parler n'a pas à être écrit, ni retranscrit donc, car il est

« peuplé de voix », il met en mouvement des bandes, ramasse, capte et bégaie.

Deleuze considérait ses cours, flux et reflux de développements répartis par

rubriques, comme « une matière en mouvement », possédant sa propre temporalité

et ses répétitions ; il précisait souvent comment il entendait mener sa séance et ce

qu’il attendait des auditeurs. Il se jouait d’eux, bien sûr, lorsqu’il demandait s’il y

avait des questions dans la salle, en clôturant rapidement par un « Il n’y a rien à

discuter, sans doute, prenez ce que vous voulez ». Mais il semble qu’il percevait

nettement si les auditeurs étaient fatigués, si la saturation arrivait, s’il avait avancé

trop vite.

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Pour lui, la production ou l’appréhension d’un concept passe par la répétition,

la reprise de notions, à partir d’un problème émergeant peu à peu, à la suite de la

lecture d’un texte d’un peintre, puis de celle d’un cinéaste, sur tel point d’un

cours déjà abordé ou entrevu, une semaine, une année auparavant. La répétition

passait aussi par l’enthousiasme du philosophe, et le martèlement de ses deux

poings sur la table truffée de micros, des phrases sur un bruit de fond d’autoroute,

amplifié par une salle médiocre, du genre préfabriquée, destinée aux migrants

étrangers, les Lopofa d’après guerre.

Les cours, de 1979 à 19871

Les livres, de 1979 à 1987

2

*Appareils d’Etat et machines de guerre, 1979

*Leibniz, le philosophe et la création de concepts, 1980

Superpositions, 1979

Mille plateaux, 1980

*Spinoza, des vitesses produites par la pensée, 1981 *La peinture et la question des concepts, 1981

Spinoza, philosophie pratique, 1981

Francis Bacon, logique de la sensation, 1981

*Cinéma, l’image-mouvement, 1982

L’image-mouvement, 1983

*Cinéma, de la classification des signes et le temps, 1983

*Cinéma, vérité et temps, le faussaire, 1984

*Cinéma et pensée, 1985 L’image-temps, 1985

*Foucault, 1986 Foucault, 1986

*Leibniz, philosophie baroque, 1987

Le pli. Leibniz et le baroque, 1988

1 Cf. Annexes. 2 Cf. Bibliographie.

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On peut aborder l’œuvre d’un philosophe et en lire quelques textes à voix

haute, suggère souvent Deleuze. La compréhension de l’auditeur non-philosophe

importe autant que celle des initiés ; c’est là une nécessité pour Deleuze. Ce n’est

pas une affaire de spécialistes, mais qui concerne vous ou moi, en fonction d’un

degré, d’une intensité de sympathie, c’est une rencontre, il s’agit du régime de

l’affect, rappelle-t-il souvent. Car pour lui, une pensée ou un concept ne sont pas

réservés ou destinés aux professionnels de la pensée. D’où la permanence d’une

double audition du cours à Vincennes.

Deleuze ne manquait pas de souligner à quelle étape sa séance s’en tenait,

progressait, suivant les difficultés ou les acquis, en modulant ses développements

conceptuels, en variant les exemples et les données autour d’un problème,

précisant une notion aux abords abstraits, au fil de ses rubriques, distribuant ainsi

différents niveaux de compréhension pour les auditeurs, pour différents usages.

Son cours était une expérimentation, au sens fort du terme. Il vérifiait si les

connexions se réalisaient, de temps à autre, auprès des auditeurs anciens et

nouveaux, en scrutant les petites lumières des regards.

Si sa recherche philosophique se déploie avec lenteur, par répétitions

préalables, c'est aussi pour déjouer nous semble t-il, la pseudo-spontanéité des

maîtres. Non, ce ne sont pas de beaux cours ni une belle parole, c’est l’auditeur

qui perçoit, et qui évalue ses besoins. Nul exercice rhétorique.

Ce qui est clair pour lui, il l’énonce vite, il ne le répète pas et en rit si on le lui

demande, « il faut me croire ! », enchaîne-t-il plutôt, affaire de confiance. À

l’inverse, il énonce lentement, ce qui peut être terriblement éprouvant lors de

l’écoute, dans les cours Cinéma et pensée notamment, ce qui lui pose problème,

lorsque les paroles n’adhèrent pas au concept. Il s’agit bien là d’un cap à franchir

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entre le philosophe et ses auditeurs. Une passe difficile pour sa pensée est un

besoin, le sien, qu’il signale, y consacrant le temps nécessaire.

D’un développement conceptuel compliqué et d’un aspect d’abord abstrait, il

annonçait qu’il pouvait se retourner ensuite pratiquement, concrètement, à

l’extérieur, « vous comprendrez plus tard, sentez, laissez-vous aller », rassure-t-il.

Des paroles qui donnent à voir davantage qu’à entendre à tel moment. Écouter et

perdre son temps est à considérer comme un gain probable. Entre le conseil et la

permission, avec la part de jeu, tant pour l’auditeur que le professeur, un enjeu

entre le philosophe et ses apprentis, la succession des séances branchait sur un

voir, une compréhension à effet retard, comme on le dit d’un médicament, un

mouvement de paroles au détour de l’image, ce en quoi les cours de Deleuze sont

tôt ou tard captivants. « Les filles savent ce que c’est que l’écran total », lâche t-il,

soudain, lors d’un long développement concernant le premier chapitre de Matière

et mémoire de Bergson, mais ce n’est pas drôle, aucun rire dans la salle. On

s’interroge.

Avec ces quelques jalons d’un auditeur patenté, humblement, souhaitons une

navigation sur des vents favorables, les vôtres, entre les flux et reflux de paroles

du philosophe, qui aujourd’hui peuvent s’écouter en divers lieux, devenir

ritournelle, accompagner telle lecture, susciter un goût et du même coup, trouver

langue, amorcer des rencontres, nouer des collectifs, rapprocher des institutions.

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PREMIÈRE PARTIE Le style polyphonique de l’enseignement de Gilles Deleuze

à Saint-Denis

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Chapitre I L’univocité de la parole philosophique

1. La fonction du cours : vérifier

Notre recherche porte sur la part de l’enseignement du philosophe dans

l’ensemble de son œuvre, dans le sens où ses cours préparaient les futurs chapitres

de ses livres. Comme il le précisa clairement lors d’un cours de 1985, « un cours,

ça vérifie, c’est là sa fonction », et en même temps, « un cours, c’est un état de

recherche, c’est là sa seule force ».

Si les cours préparaient l’élaboration des suites logiques des chapitres écrits,

Deleuze tenait un régime de parole spécifique, préparant et vérifiant déjà, sur

quelques semaines, son travail d’écriture, entrelaçant un style de paroles à la

rédaction de ses pages. De la parole à l’écrit, et selon cet ordre successif, le

philosophe tenait ses séances pour une condition absolument nécessaire et vitale

pour l’écriture. Dans L’Abécédaire3, il explique qu’il n’est pas un penseur érudit,

qu’il ne dispose pas d’un « savoir de réserve », mais qu’il reprend à zéro, à chaque

fois, ses travaux de pensée. Nul doute que c’est par ses cours et leur intense

préparation, selon les motifs de l’expérimentation, de la recherche, et de la

répétition par flux et reflux de matières enseignées, que le philosophe trouvait là

un ici et maintenant, pour le déploiement de sa pensée.

À la lettre « P, comme professeur » de L’Abécédaire, Deleuze insiste sur la

répétition et l’enthousiasme nécessaires à la préparation de son cours de

philosophie (du Lycée à l’Université), pour « quelques moments d’inspiration »

3 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze (Claire Parnet, interviewer, Gilles Deleuze, participant, réalisation de P-A Boutang), 3 DVD, Éditions Montparnasse, Paris, 2004.

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lors du cours, précisant qu’à cette condition, la matière philosophique enseignée

peut acquérir une valeur.

Enseigner les concepts équivaut à les constituer patiemment. Il faut compter

deux, trois séances, lors desquelles s’accumulent des exemples, des données, qui

sont autant de positions, de situations, gravitant autour de telle problématique, de

telle notion. Car c’est toujours l’usage qui en jeu, enjeu. Deleuze suggère aux

auditeurs de prendre eux-mêmes d’autres exemples, les leurs, des exemples

ordinaires de la vie quotidienne, mais en silence. Le cours reste magistral pour

justement éprouver et vérifier par soi-même, pour soi-même.

Notons que les séances de Deleuze, au lendemain du transfert de l’Université

de Vincennes à Saint-Denis, seront davantage magistrales ; sur ce point (important

pour notre recherche), nous nous appuyons sur les transcriptions des cours

antérieurs au corpus sonore de 1979-1987, consultables sur le site webdeleuze de

Richard Pinhas.

Notons aussi qu’à l’écoute de L’Abécédaire4, le professeur retraité ne

mentionne pas de terme adéquat pour qualifier le mode discursif de son

cours, qu’« il faudrait trouver », pour remplacer le terme d’enseignement

magistral qui ne lui convenait guère.

Avec Deleuze, approcher ou constituer un concept va toujours de pair avec la

position d’un problème. Bien souvent, un cours enchaîne des références à

première vue disparates, plutôt éloignées d’un discours académique de

philosophie, une juxtaposition de propos : des anecdotes, des situations de vie

quotidienne, et des points conceptuels précis, une période, une date, avec tel

4 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre P comme professeur ».

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auteur, Empédocle, puis S. Kubrick. C’est là, un peu, une règle pour le cours : un

concept doit passer par la notion de problème, mais peu importe les exemples qui

alimentent la recherche, pourvu que le concept et sa problématique s’éclaircissent

pas à pas vers une progression de pensée jalonnée par des acquis. Deleuze parle et

enseigne par effets retardés. En ce sens, l’auditeur usera rétroactivement des

concepts travaillés au fil des séances, à l’aune de ses problématiques personnelles,

de ses rencontres avec d’autres idées, philosophiques ou non.

Le philosophe compose donc son cours par un ensemble de motifs, de

rubriques et de thèmes variés, mais en même temps il décompose tel point ardu de

sa problématique pour mieux éclairer une nuance nécessaire à la poursuite de

l’élaboration d’un concept. Cette composition-décomposition et ce double

mouvement se signalent d’emblée lorsqu’il annonce lors de des premières séances

qu’« on construit le programme de l’année en même temps qu’on le commence ».

Le cours a bien déjà commencé, et Deleuze ne fait bien qu’une seule et même

chose en même temps, son cours. Un cours, c’est un travail en cours.

« Je n'ai jamais fini un cours de ma vie », précise-t-il lors d'une séance. Mais il

ajoute qu'une séance « doit être réussie, tenir debout, comme un bonhomme », ce

pourquoi il n'était guère enclin à la « circulation des bandes » enregistrées : « Un

cours, ça vérifie, c’est un état de recherche ... c'est là sa fonction », et « sa seule

force », ponctue-t-il.

Ne faire, ou ne dire, plus d’une chose à la fois, en même temps : ce principe est

aussi une arme pour le penseur ennemi de l'objection et de la discussion. Au fil de

l'écoute des cours du philosophe, on retrouve assez souvent cette quasi-loi, qu'il

rappelle sous diverses allures, sur les points qu'il estime délicats. Il tient cette

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évidence pour un principe, une condition de travail absolument nécessaire, pour

écrire notamment, pour développer une pensée parlée, lire quelques lignes d'un

texte illustrant tel aspect d'un concept et déjouer une opinion rapide et bouclée,

avant de revenir sur la position d'un problème de pensée, occuper une salle de

cours sans en être bousculé, voir chassé durant la matinée. Mais si l’enseignant ne

manque pas de préciser telle notion par un « j'y vais à la serpe, c'est à vous

d'apporter les nuances, les corrections », le cours n’en est pas pour autant

approximatif dans sa progressive approche du concept.

Lors d’un cours de 1982 consacrée au plan d’immanence, à partir d’une lecture

des premiers chapitres de Matière et Mémoire de Bergson, Deleuze explique et

démontre qu’il est une source d’erreur conceptuelle que d’arrêter un sens sur tel

énoncé d’un philosophe à tel moment de la lecture, d’un premier chapitre, avant

d’avoir lu les chapitres suivants. Quelques séances auparavant, Deleuze

développait sa conception du parler, de l’univocité du parler en philosophie, en

tant que philosophe et enseignant. Dans L’Abécédaire à la lettre P Deleuze

reprend ce thème du sens trop vite bouclé, de l’interprétation hâtive lors d’une

lecture. Afin qu’un auditeur suive pas à pas, et à son rythme, l’élaboration d’un

concept lors d’un cours, l’enseignant affirme avec insistance qu’un cours de deux

heures et demie ne peut être entièrement entendu, suivi, compris, assimilé,

« personne » ne le pourrait. Puis, s’adressant à ses prédécesseurs, le philosophe

qualifie sa pensée de « pensée en mouvement ». Deleuze éclaire alors la

cohérence entre sa pensée et son mode de transmission avec l’enseignement de la

philosophie : il expose et réfute catégoriquement le danger de la normalisation

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progressive des Universités, et donc de la Recherche, sur le modèle gestionnaire

des Écoles : pour lui, l’Université a pour seule fonction la Recherche.

Ça et là, il arrive qu’il déclare aux auditeurs : « on n’est pas des profs »,

notamment lorsqu’il aborde son mode d’enseignement, la double audition

nécessaire pour son cours, dans le style du se parler à soi-même, suite à certaines

prises de paroles ; ou bien lors des confrontations entre le Département de

philosophie de Paris 8 et le processus de Normalisation (d’où ses propositions de

ripostes, des élaborations de stratégies avec les auditeurs).

Le cours est « une matière mouvement ». S’il prend à la lettre cette formule,

tant pour un cours que pour une suite de cours, l’auditeur assidu en récoltera

d’autant mieux les effets retardés de la compréhension. Suivre les propos du

philosophe suppose d’abord de sentir la position du problème. L’auditeur doit

partager par « affinité » la problématique de Deleuze, même dans ce qui relève de

l’ordre de l’implicite et se signale par une lente énonciation. Puis cerner les

thèmes abordés, délimiter les points précis, d’où le caractère intempestif de

l’écoute pour suivre les énoncés.

Un point de cours abordant par exemple, le cogito de Descartes, le pli selon

Heidegger, ou le « Parler ce n’est pas voir » de Blanchot, n’aura pas les mêmes

conséquences sur l’élaboration d’un concept. Les lectures à voix haute sont très

fréquentes, celles de textes qui « parlent » à l’orateur. Tout en poursuivant à sa

mesure la compréhension des notions rencontrées, l’auditeur participe à

l’expérimentation du concept en cours d’élaboration. Deleuze observe son

auditoire et mesure ainsi à la fois une incertaine intensité de compréhension,

d’assentiment, et le degré de « violence » faite à la pensée de l’auditeur, à tel

moment du cours. Lorsqu’un affect se produit, une mise en affect s’opère pour la

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suite du cours et les suivants. Les dimensions de l’écoute et de la réception de la

matière enseignée sont modifiées. L’expérimentation du cours de philosophie est

bien réelle. On peut alors parler à juste titre de Recherche à l’Université. Le

philosophe est vigilant au degré d’attention et de fatigue, à la saturation des

auditeurs. Cette vigilance pour ses apprentis constituerait la trame même d’une

séance et de ses variations.

Lorsque Deleuze, dans L’Abécédaire, lettre P, invoque « la pureté d’un cours »,

il s’agit là d’un signe fort de ce qui se joue entre l’auditeur et les paroles énoncées.

C’est là la dimension du traitement de l’auditoire par le philosophe physiologue,

qui scrute les symptômes, qui n’établit pas de diagnostic définitif.

On peut déjouer la parole du maître, la parole académique du savant, d’où le

régime d’hésitation de notre orateur qui permet à l’auditoire de le suivre malgré sa

méconnaissance, de suivre d’un cours à l’autre les flux et reflux des matières

abordées. « Si vous n’avez pas compris, je recommence tout », lance-t-il, pour

reprendre plus tard sous un autre angle ses propos. Si l’auditeur suit à son propre

rythme le cheminement du concept en cours d’élaboration, au gré d’une

vocalisation des concepts, dont Deleuze acteur, dresse les diverses scènes, allures

et drames, c’est également à la mesure d’une parole se parlant à elle-même, une

parole de philosophe.

Dans le premier cours de l’année 1982, Cinéma, de la classification des signes

et le temps, selon une autre « formule », Deleuze va préciser son « besoin »,

déclarant avoir « frôlé quelque chose d’important » pour lui l’année passée. Il

souhaite donc reprendre le cours de l’année précédente, L’image-mouvement,

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leçons bergsoniennes, durant lequel il serait passé trop vite, avec les auditeurs, sur

« la somme de points abordés ».

En 1982, il ne va pas, comme il l’a fait depuis le début de son enseignement à

Vincennes, aborder comme chaque année un nouvel intitulé pour son cours, mais

plutôt « ruminer », « ressasser », « se répéter ». Et cela passerait par un auditoire

moins nombreux, davantage favorable à un travail de type atelier, qui

accompagnerait les propos du philosophe sur le mode de la suggestion. Quelques

propos du philosophe, une invocation, un certain mode du se parler à soi-même de

Deleuze :

Cours du 02/11/1982 - … « L'année dernière, je suis tombé sur un truc auquel, au début je ne croyais pas, où le cinéma, que je découvrais, pourtant j'en ai beaucoup parlé … Mais c'est pas ça que j'avais dans la tête, ce que j'avais dans la tête c'était une classification des signes … Et plus j'avançais dans cette classification des signes … Plus je me disais, je tiens quelque chose … C'est finalement ça qui m'intéressait … Et pourtant je me dis, toujours me parlant à moi-même alors, que si j'arrive à cette classification des signes … Moi, ça va me changer … Reprendre sur un rythme différent des autres années … Et puis je parle sans arrêt, je parle sans arrêt, pendant deux heures et demi, moi après je suis crevé, vous, vous êtes complètement abrutis … J'ai toujours pensé qu'un cours ... À la fois ça impliquait une espèce de collaboration entre ceux qui écoutent et celui qui parle, et que cette collaboration, ça passait pas forcément par la discussion, même ça passait très rarement par la discussion, les types à qui sert quelque chose qu'ils écoutent, généralement, ça leur sert six mois après, et à leur manière, dans un tout autre contexte … Ce que je n'ai jamais pu obtenir, c'est des réactions ... Où un type me dise : "Ah, mais tu oublies telle direction, où on pourrait aller voir" … Alors c'était toujours un peu dans ma tête ça, comme dans un rêve, alors comment obtenir ça ? » ... Je vais me répéter, complètement … Ça sera une toute nouvelle manière ... J'ai toujours rêvé de la faire, j'ai jamais pu la faire … Pourquoi ? Parce qu’il y avait trop de monde ... Je veux en arriver finalement ce à quoi j'étais arrivé à la fin de l'année dernière ... À savoir les signes et le temps ... Je voudrais commenter l'expression qui peut arriver : "L’heure arrive où le temps est venu"... Le signe et le temps se sont comme … J’ai donc besoin d’une entente avec vous… Ce que je veux c'est une classification des signes sous forme d'un tableau de Mendeleiev, d’où au besoin j'obtiendrai des cases vides ... Et alors on l'inventerait le signe à venir ... On dirait : il en faut un là ...

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À ce moment-là peut-être l'un de vous trouverait ... J'ai donc besoin d'un groupe restreint … ».

L’enseignant ne souhaite pas un séminaire fermé, ce qui serait contraire à l’esprit

de Vincennes, mais pour cette année, la formule d’un travail en atelier s’impose à

son besoin de philosophe ; dans cette formule de cours « rêvée » par le

philosophe, il faut voir essentiellement une logique de cheminement, une

accentuation de l’allure de ses séances en général. Si Deleuze souhaite pour cette

année, un auditoire davantage philosophe et « favorable », il garde cependant une

« moitié d’anciens et l’autre de nouveaux ». L’auditeur libre et le fidèle par

affinité seront les « personnages conceptuels » de cette année.

Il faudrait entendre le cours de Deleuze sous le régime de l’affect. Les concepts

deleuziens de devenir et de virtuel éclaircissent la notion d’affect à l’usage d’une

écoute. « On ne désire qu’à partir d’un agencement » ; un cours est une « matière

en mouvement » déployant des rubriques et des thèmes qu’il s’agit d’agencer,

désirer donc, en suivant et accompagnant sur le mode d’un dialogue silencieux les

propos du philosophe, à l’image de l’annonce des premiers cours : « on construit

le programme en même temps que l’on commence le cours … ». Un cours

fonctionnerait comme une mise en affect, une « capture », voire une « double

capture » dans la mesure où l’auditeur suggère et accompagne les propos du

philosophe. Un énoncé philosophique, bref ou développé, répété, inattendu, la

disposition des silences et les hésitations, sont à considérer comme des

événements possibles, probables, en l’état de puissance, pour l’auditeur. Un

événement pour Deleuze est double, il se dédouble. Au gré des séances, ça et là,

notamment à partir de 1982, Deleuze, sur le ton du se parler à soi-même, égraine,

sans raison explicative, des « … encore une histoire de double ». C’est là un signe

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fort de la dimension errante de l’affect, activement diffus au fil des séances. Un

affect est une « pure qualité puissance », une « entité errante, fantomatique », et

rappelons-nous la « pureté » d’un cours, invoquée par Deleuze dans

L’Abécédaire ; d’où la position de l’auditeur, en attente, et non pas effacée ou

passive. Par affect, Deleuze entend aussi une « essence singulière », si tel énoncé

ou groupement d’énoncés concerne et touche tel auditeur, pour lui-même, et pour

un usage virtuel, par lui-même.

Nous pouvons considérer un cours, une séance, un regroupement d’énoncés

philosophiques comme une séquence artistique, de par la dimension esthétique

d’un enregistrement, la constitution d’une archive sonore, et, parce qu’une pensée

y œuvre à haute voix, à la suite d’une intense préparation et répétition, où une

poétique s’élabore.

Deleuze et Guattari évoquent au dernier chapitre de l’ouvrage Qu’est-ce que la

philosophe ?5, la puissance de l’affect qui se conserve dans l’art :

« L’art conserve, et c’est la seule chose au monde qui conserve. Il conserve et se conserve en soi (quid juris ?)… La chose est dès le début devenue indépendante de son ″modèle″ … Elle est indépendante du créateur, par l’auto-position du créé qui se conserve en soi. Ce qui se conserve, la chose ou l’œuvre d’art, est un bloc de sensations, c’est-à-dire un composé de percepts et d’affects ».

Envisageons donc pour l’auditeur, la séance de philosophie orale de

Deleuze comme une trame d’affects qui agence les concepts. Les concepts

s’élaborent et se meuvent par lignes, par « lignes de fuite ». Un cours est un avant

tout un « processus ». Cette trame est réorganisée, redéployée par le régime

d’énoncés de Deleuze ; les énoncés font signe, alimentent, troublent ou

questionnent l’entendement sur telle notion. La compréhension, davantage

5 G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 154.

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partielle que complète, envers tel concept est reprise, s’élabore et s’émancipe peu

à peu. Un acquis ou une progression pour le cheminement de la pensée seront

vérifiés lors de la prochaine séance. Deleuze rectifiera peut-être certains points. Et

il revient également à l’auditeur d’apporter des nuances au concept en cours

d’élaboration, comme le suggère souvent l’enseignant.

Le flux de paroles du philosophe, d’un cours à un autre, peut paraître monotone

à cause des répétitions. Il nous est arrivé d’anticiper ce qu’allait dire Deleuze lors

de notre écoute, sur certaines phrases. Ces répétitions sont à l’image des gammes,

des répétitions des musiciens, des artistes. L’ennui, lors d’une écoute fait

cependant partie du jeu de la séance. Savoir attendre, patienter, ramasser les

acquis de la compréhension avant d’aborder un autre thème. Les progrès ne sont

pas garantis pour chaque nouvelle séance, tant pour l’auditeur que pour Deleuze.

S’il estime que l’une de ses séances a échoué, a mené à une impasse, il le précise

pour reprendre le problème sous un angle nouveau. Et bien souvent, vers la fin ou

le milieu d’une séance, il ponctue par un : « si vous n’avez pas compris, je

recommence tout », ce qu’il ne fait jamais. « Suivez surtout les enchaînements »,

conseille-t-il avant tout. Il annonce brièvement les points qui seront abordés au

prochain cours, lors duquel il fera le point sur les acquis, avant de dénouer une

difficulté rencontrée la semaine précédente. Pour Deleuze, les choses, la pensée,

se font dans « le dos » du penseur, après l’effort et le labeur, condition absolument

nécessaire, pour « sortir », de ce qui semblait mener à une impasse, constituer un

obstacle à tel moment d’un cheminement de pensée. Un exemple nous est donné

lors d’un cours de 1984, Cinéma et pensée, lors duquel le philosophe développe

une longue réflexion sur « l’image sonore ». La problématique s’épaissit et se

complexifie interminablement. Deleuze évoque alors « l’image visuelle », abordée

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quelques séances auparavant. Il utilise et vérifie probablement le concept de

disjonction entre le voir et le dire. Le cours, à ce moment précis, progresse et un

gain considérable est obtenu pour la pensée. C’est un moment « gai » et

« joyeux », digne d’être célébré, déclare le philosophe.

Reprenons cette séquence de cours, constituant un repère, une étape rassurante

pour nous auditeurs, afin de ne pas suivre forcément, mécaniquement, à la lettre,

les propos du chercheur, en écoutant ces quelques mots et ce mouvement

circulaire de la main du philosophe, vers le milieu d'une conférence filmée,

intitulée Qu'est-ce que l'acte de création ?6, en respirant une brève formule :

... « Une voix parle de quelque chose, en même temps, on parle de quelque chose ; en même temps, on nous faire voir quelque chose ; ce dont on nous parle, est sous ce qu'on nous fait voir » ...

Sur quoi, ajoutons le « vous comprendrez plus tard », cette petite formule de

l'enseignant.

Le cours intensivement préparé, et à son tour préparant, vérifiant les suites

logiques des écrits, c’est d’emblée un plan d’immanence pour le penseur, un plan

de consistance pour l’inventeur de concepts, puisqu’il en va des perceptions et des

affects, entre le philosophe et ses auditeurs. Si un cours procède par immanence,

« valant pour lui-même, par lui-même », annonce souvent Deleuze pour ses

thèmes et rubriques, les concepts exposés par l’enseignant, selon une diction des

concepts, chargés d’une tonalité affective, nous reviennent sous divers points de

vue pratiques lors du cours, le philosophe les utilisant, pour une reprise ou vers de

6 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit.

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nouveaux thèmes abordés. Ce en quoi les matières enseignées roulent d’une

écoute à une autre par flux et reflux.

Prenons un exemple. Deleuze aborde les notions d’image et de mouvement

avec Bergson et ses écrits sur le cinéma. Il précise d’abord ce qu’est le « pur »

pour Bergson : une tendance qui traverse une chose, et non pas un élément, la

partie d’un mélange. Puis il expose le paradoxe de Zénon, un thème classique de

cours de philosophie : le mouvement est l’acte de parcourir, et non le mouvement

parcouru, en quoi « il est difficile de penser le mouvement, impossible si on le

considère en mouvement parcouru ». Au début du cours, il affirmait qu’ « une

idée philosophique, un concept philosophique, c’est toujours une épaisseur, un

volume … À différents niveaux [de compréhension], sans contradiction ». Les

premières phrases du cours : « Ce que je voudrais, comprenez-moi, c’est

finalement que chacun de mes trois thèmes vaille pour lui-même, et pourtant que

tout ça s’entrelace absolument. Que ça fasse vraiment une unité ».

Comprendre et accepter la volonté du philosophe pour son cours, c’est là la tâche

de l’auditeur, avant même de comprendre, davantage suivre, cela suppose cet

accompagnement, formulé par Deleuze en 1982, retranscrit en partie un peu plus

haut, « … J’ai besoin d’une entente avec vous … ».

2. Mai 68 et « le problème de l’expression » philosophique

Un cours est « une matière en mouvement », « c’est un cube », qui a sa propre

« épaisseur », nous venons de le souligner. Prenons un deuxième exemple,

toujours en 1982, essayons de « croître par le milieu », avec ces propos

« inactuels » où l’événement Mai 68 demeure un souci de philosophe, à l’usage de

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son cours. Reprenons en partie la suite de la transcription partielle du cours, une

séquence audio précisant ce qu’entend Deleuze par parler, parler en philosophie :

« … Ce projet, j'y tiens comme à ma vie, ma vie spirituelle … Il est vrai que parler a beaucoup de sens. Mais pour moi parler ne peut avoir qu'un sens. Parler ça peut vouloir dire que chacun s’exprime. C’est le contraire de la philosophie. Il y a un très beau texte de Platon. Ça, c’est pour que vous appreniez dans cette première séance des choses… C’est quand même curieux … Il y a des sujets sur lesquels personne n’ose parler, à moins d’être compétent, par exemple la fabrication des chaussures… Et puis il y a une masse de sujets où tout le monde se croît capable d’avoir un avis … Ça couvre précisément ce qu’on appelle philosophie, si bien que la philosophie c’est la matière chacun où tout le monde a une opinion … Chacun a son truc à dire sur si Dieu existe, par contre sur la fabrication des chaussures, on a peur de dire des bêtises… Pourquoi ? Pourquoi ? Si on comprenait ça on comprendrait tout. Alors la philosophie, qu'est-ce que c'est ? La philosophie, c'est quelque chose qui vous dit d'abord : ″tu ne t'exprimeras pas, tu ne t'exprimeras pas″... L'année dernière je disais, parce que ça me souciait énormément ces appels, qui étaient le seul vilain côté de 68, ″exprime-toi ! exprime-toi !″, prendre la parole. Alors qu’on ne se rend pas compte, encore une fois, que les forces les plus démoniques, les forces sociales les plus diaboliques, ne sont pas des forces qui nous empêchent de nous exprimer, les forces vraiment diaboliques sont les forces qui sollicitent, qui nous sollicitent de nous exprimer. C’est ça les forces dangereuses... ″Quel est votre avis, quel est votre avis, donnez votre avis sur″… Et puis ″il faut vous exprimer ″… Je dis c’est un danger, c’est un danger immense. Il faut arriver si vous voulez, à résister à ces forces qui nous forcent à parler quand on a rien à dire, ça c’est fondamental. Aussi, toute parole qui consiste à dire son avis sur quelque chose est l’anti-philosophie même, puisque les Grecs avaient un mot très bon pour ça… La doxa, et qu’ils opposaient au savoir, avant même de savoir, si le savoir était quelque chose d’existant… En tout cas on sait que la philosophie n’est pas l’affrontement des opinions… Même dans la mesure où vous êtes philosophe, vous refusez de participer à toute conversation de ce type, à moins qu’elle ne porte sur l’insignifiant… C’est l’amitié, les amitiés se forment au niveau de la doxa… Faire de la philosophie, c’est former des concepts, et ça ne veut dire que ça… Alors qu'est-ce que vous voulez, qu'est-ce que vous voulez faire ? Si quelqu'un dit : "Moi, je ne suis pas d'accord", c'est comme si quelqu'un disait : " Moi, je suis pas d'accord avec Matisse", bon d'accord, et puis après, ça gène qui ... C'est un non sens ça , ″Je ne suis pas d'accord″... À moins que l’on me dise : ″J'ai créé ou j’ai un autre concept″ qui rend celui-ci inefficace ou inconsistant, alors là oui ... Donc parler, c'est pas du tout dire son avis sur quelque chose ... En revanche … Quand je dis ce que je voudrais

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vraiment cette année c’est que vous parliez, je voudrais dire ceci… Vous votre tâche, ça consisterait à dire, soit vraiment au nom de votre pensée, soit au nom d'un sentiment à vous, et là il y a des sentiments de pensée, la pensée, elle est multiple... Ça veut dire : "Ah bien oui, j'ai l'impression que dans ton truc il y a quelque chose qui ne va pas, qui est déséquilibré, il faudrait …″ Ou alors vous me dites : ″Moi, ce que tu es en train de raconter, ça éveille ceci″, à quoi moi au besoin je n'aurais pas du tout pensé, et si on met les deux en rapport, qu'est-ce qui se passe, ou bien alors vous m'apportez un exemple, vous me direz, je vous réduis à des choses mineures, pas du tout ! Un exemple auquel je n’ai pas pensé dans mon truc, s’il vous vient à l'esprit, ça peut remanier absolument tout, une petite correction, vous intervenez, on verra tout ça. Ça reste abstrait parce qu'on n’a pas encore commencé, ça peut tout changer, vous comprenez ? Alors c'est pour ça que pour moi si l'on prend parler en ce sens, vous avez parfaitement la possibilité de parler. L'année dernière, c'est arrivé plusieurs fois que quelqu'un parle, et me lance quelque chose à quoi je n'avais absolument pas pensé, moi, et qui ensuite entraînait pour moi, des changements très importants. Donc voilà ce que je voulais dire… Dans l’espoir que vous acceptiez cette condition… ».

Deleuze a toujours refusé l’enseignement magistral, l’amphithéâtre avec ou

sans micro. Cette posture de l’enseignant ne concernerait nullement la faible

condition physique de notre orateur. Aux auditeurs, il profère la menace d’y aller,

et de professer un cours académique de philosophie avec devoir sur table à la clef,

tout en prenant le soin d’expliquer le pourquoi de cette impossibilité ″technique″

pour son enseignement. En rejetant la position traditionnelle de l’enseignant,

quelques (trop rares) bandes filmées et photos témoignent d’un philosophe à

même hauteur, parmi, au milieu des auditeurs, assis, ou debout dos au mur. Un

philosophe, quelque peu « imperceptible », dans une salle modeste, aux bords de

l’Université, porte (nullement verrouillée) et fenêtres fermées, à proximité du

tableau noir, la craie comme outil indispensable de la séance, dont les micros ne

se sont pas toujours assez rapprochés, pour notre malheur d’auditeur aujourd’hui.

Les innombrables micros des enregistreurs à bandes sont, estime Deleuze, le signe

d’une représentation spectaculaire du cours, sans que cela soit un vrai problème,

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le problème tenant davantage au trop grand nombre d’étudiants, cent cinquante-

deux cents, évalue-t-il. Sans doute, Deleuze estime que ses propos ne peuvent

toucher, concerner autant de monde, et rappelle qu’il y a d’autres cours de

philosophie dans le Département. Cette posture, qui rejette donc en même temps,

le style docte et le mandarinat, s’envisage sous une simple ritournelle de

l’enseignant : « on construit le programme de l’année, en même temps que l’on

commence le cours, comme ça vous verrez si vous continuez à venir, pour ne pas

que vous perdiez votre temps ».

Une salle bondée, parfois surchauffée, cloisons de préfabriqué perméables au

vacarme, couloir, tondeuse, aéroport, autoroute, aboiement. Mais cette salle de

cours est le lieu philosophique indispensable au philosophe, un lieu qui permet

une pratique philosophique.

Mai 68, Foucault et le GIP, Guattari militant, à l’origine des luttes dites

transversales, et leur rencontre pour écrire ensemble des ouvrages décisifs de 1972

à 1980. Deleuze trouve à Vincennes, et davantage, au lendemain du transfert de

Paris 8 à Saint-Denis, son mode pratique d’enseignement jusqu’en 1987. Il s’agit

là de la posture de « l’intellectuel », terme impropre pour Foucault et Deleuze,

dans la situation, ici et maintenant.

Lors du cours du 02/03/1982, Deleuze évoque à nouveau Mai 68 et la prise de

parole : « À La Borde, je demandais à Félix qu’il y ait des vacuoles de silence, il

s’agissait toujours que les gens prennent la parole, il faut qu’il y ait des lieux de

silence… Les groupes ne vous lâchent pas… Arriver à sortir d’un groupe, ou se

taire… Il est difficile de dire ″Je n’ai rien à dire″. »

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Cette posture stoïcienne, dans une salle exiguë, est propice au régime des

signes. Un apprentissage se réalise à partir d’une émission de signes pour

Deleuze, par les matières élaborées lors du cours, dont la temporalité est toujours

en cours. À l’auditeur revient également cette posture, l’effort est double, les

distances et les attitudes se disposent pour organiser une écoute, les mouvements

d’attention et de recul des regards, du philosophe, de l’auditeur, des « micros

territoires » s’élaborent, qui ne concernent en rien un discours et une écoute en

amphithéâtre.

3. L’auditeur artiste des séances

« Donnez-moi donc un corps…Vous vous occupez de l’esprit, vous ne savez

même pas de quoi est capable un corps ! » : cette invocation répétée par Deleuze,

le « cri » de Spinoza, concept de Deleuze. Un cours est avant tout un corps, dont

le fil de l’écoute s’agence en « régime collectif d’énonciation », avec, entre,

l’auditeur libre et les matières de cours faisant signe ; un signe fait une accroche

au sens, partiel, « selon un sentiment de pensée ». Les matières enseignées des

rubriques, tôt ou tard, font signe, ce en quoi les propos du philosophe sont

captivants, subjuguent les auditeurs, à tel moment, dans telle séance, ou selon telle

suite de séances. Une avancée de pensée, alimentée à double sens peut se

produire, un gain non prévisible pour l’enseignant, dont les propos sont

accompagnés, voire modifiés par les auditeurs selon leurs intérêts variables. C’est

là la dimension du « devenir » d’un cours, des bifurcations de pensée qui

favorisent l’inspiration du philosophe.

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Pour Deleuze, c’est par un dehors de la pensée, que s’abrite, et en même temps

s’émancipe la pensée ; ce qui n’est pas de l’ordre du prévisible, mais de la

rencontre, de l’effraction ; le cours égrène ses minutes, le philosophe déploie ses

rubriques, un auditeur, invariablement, intervient longuement d’une semaine à

l’autre, il refait ponctuellement le cours, manifestement jamais d’accord.

La rubrique du cours (cours du 22/01/1985, plage 56’) porte sur le cinéma

sériel de Godard, et « les suites d’images se réfléchissant dans des genres ou

catégories, mais n’appartenant pas à ces catégories ». Le philosophe va donner un

exemple, et suite à l’intervention, ouvre une sous-rubrique : « la catégorie vie-

langage ». Admiratif, Deleuze résume « brièvement » les thèses de Brice Parain,

portant sur les rapports entre le langage et la vie, avant de lire le dialogue du film

de Godard, Vivre sa vie, entre l’héroïne Nana et le philosophe Brice Parain, tout

en y joignant les thèses de Parain et des références sur Platon.

Notons que cette séquence parlée, reprend sans doute en partie sa volonté

première, qu’il invoque dans L’Abécédaire, et l’ouvrage Qu’est-ce que la

philosophie ?, de « sortir de la philosophie par la philosophie ».

Cette séquence illustre, pour les cours et leur agencement, le passage d’une

rubrique à une sous-rubrique. C’est un point philosophique, « valant pour lui-

même », faisant suite au thème du parler en philosophie. En 1982, le thème du

parler en philosophie s’appuyait sur une univocité : « Pour moi parler ne peut

avoir qu’un seul sens… ». Ici, ce thème est abordé selon les rapports « vie-

langage » :

« Parler, ce n’est pas vivre… Parler, c’est presque une résurrection par rapport à la vie. En ce sens, que quand on parle, c’est une autre vie

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que quand on ne parle pas. Pour vivre en parlant, il faut avoir passé par la mort de la vie sans parler ».7

On retrouve cette même univocité de la parole, de la prise de parole, pour, par,

le philosophe, abordée cette fois-ci avec la notion de vie, Deleuze trouvant là, un

intercesseur, Brice Parain, à la suite de Platon en 1982. Il mentionne, à faible

voix : « … Si j’y avais pensé à l’époque, je me serais réclamé de lui, mais c’est

une rencontre par après … ».

Deleuze s’exprime implicitement, il se parle à lui-même, brièvement, en

signalant le thème du penseur qui doit passer par la mort pour penser, thème

abordé au premier semestre, mais il est aussi probable qu’il fasse par là même, de

nouveau référence à Mai 68, aux cours à Vincennes, avant le transfert de

l’Université à Saint-Denis.

Le philosophe va ponctuer cette sous-rubrique en formulant la prise de parole,

le parler comme « un droit sur la vie », « Parler, c’est faire valoir une exigence »,

avant de revenir sur les catégories du cinéma de Godard. Ensuite, Deleuze « ouvre

une parenthèse » sur les catégories et le jugement chez Kant.

Dans cette séquence, intense et dense en concepts, il est bien difficile de

départager la lecture du dialogue du film de Godard, des thèses de Parain, du

commentaire de l’enseignant ; qui parle ? Pourtant, le sens est clair. Ici, le régime

du discours indirect libre, mêle une lecture de dialogue, des thèses énoncées avec

clarté, commentées et reprises par des exemples, vers un usage pour l’auditeur

aussi bien que pour le philosophe, se parlant à lui-même, lorsqu’il évoque cette

« rencontre par après », avec le « parler ce n’est pas vivre » de Brice Parain, thèse

artistiquement déployée par Godard sous la forme du dialogue. Des usages, un

concept qui se montre.

7 Cours du 22 janvier 1985 intitulé Cinéma et pensée.

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« On ne va plus au cinéma, terminez ! C’est notre coquetterie », lance Deleuze

aux auditeurs lui proposant de visionner des films pour son cours, lors des quatre

années abordant le cinéma et la pensée, de 1981 à 1985.

Dans Différence et répétition (1968), puis dans l’ouvrage écrit avec Guattari,

Qu’est-ce que la philosophie ? (1991), le thème d’une « pensée sans image » est

un enjeu, en jeu, pour le philosophe.

À l’amorce d’une rubrique, Deleuze suggère aux auditeurs de s’installer,

« comme dans un rêve éveillé » [Cours du 09/12/1980, sur Spinoza, par exemple],

« Laissez-vous aller », « Sentez… ». S’écarter des images, des présupposés sur la

philosophie, de ses savoirs, faire coupure donc. Selon Deleuze et Guattari, couper

un flux, un flux de savoir, c’est faire, se faire machine pour, et par là même se

brancher sur un dehors, hors la pensée, hors la tête, pour ainsi penser ; penser

c’est : « engendrer la pensée dans la pensée », « créer » donc, il revient à

l’auditeur, créer ses propres images lors du cours, « comme dans un rêve éveillé ».

Lors du cours du 29/01/1985, Cinéma et pensée, Deleuze poursuit ses

investigations sur le cinéma sériel, il formule la pensée, penser, comme

« réenchaînement des images sur des coupures irrationnelles », pour poser cet

énoncé crucial :

« Les philosophes tournent tous autour d'une même idée : la pensée et le concept ne peuvent se passer de l'image et en même temps dépassent l'image ».

Cette dimension du philosophe-artiste s’élabore lors du cours, lorsque se croisent

usages et inspiration, à haute voix, en un même mouvement pour l’enseignant et

l’auditeur. Deleuze suggère aux auditeurs de lire à voix haute les textes des

philosophes, comme on le fait avec les textes des poètes, afin de découvrir, de

prendre mesure, de suivre l’affect du texte ; le « Qui parle ? » (et le « On parle »),

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produit un jeu d’expression, d’où émergent des perceptions discontinues pour

l’auditeur, par image et sans image, de pensée.

Nous avons vu le net rejet de Deleuze pour la discussion et l’objection lors des

séances, invoquant un autre type de dialogue avec les auditeurs. « On ne bouscule

pas un artiste », énonce-t-il dans L’Abécédaire, et s’il ne répond pas à la question

d'un auditeur, c’est aussi parce qu'il estime ne pas être en mesure de répondre en

fonction du cours développé le jour même. C'est aussi ça ne pas discuter en

philosophie.

« Réconcilier l’étudiant avec sa solitude », c’est là la tâche essentielle que

s’assigne l’enseignant, déclarée dans L’Abécédaire, c’est-à-dire faire coupure

avec le forum des opinions politiques, culturelles, le savoir formalisé des

programmes, les écoles de philosophie. Il est bien clair qu’à Saint-Denis, Deleuze,

et cela pour chacun de ses cours, s’emploiera à lutter, contre cette confusion, entre

le forum des opinions et les positions idéologiques, gauchistes pour la plupart,

voire terrorisantes, depuis la création de Vincennes, le lieu de la politique, et le

lieu philosophique, l’espace du cours, un cours étant d’abord et avant tout un

travail en cours. Le philosophe agence les matières de son enseignement, non pas

dans « un espace privilégié », l’amphithéâtre, mais dans un « espace

quelconque », la salle préfabriquée, lieu de l’affect, qu’il « occupe sans remplir »

(cours du 02/11/1982).

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Chapitre II Une dialogique orale

1. « Double capture »

Par une brève lecture d’un passage d’une oeuvre, Deleuze formule des

énoncés : le style indirect libre formule une idée attenante à tel problème que le

philosophe se risque à monter, une expérience de pensée s’élabore.

Le style indirect libre, puisant une idée pour alimenter la problématique en

construction équivaut à une dialogique, entre le fil de la pensée de Deleuze et les

idées d’autres auteurs. Telle idée lue, dépliée avec précision, qu’il ne s’agit pas de

réfuter ni même de comprendre, présente l’avantage de la clarté. Le style

dialogique mené par Deleuze comporte l’opposition, la confrontation, la

réfutation, d’autres styles, présente d’autres modes de pensée que le sien. Jamais

Deleuze réfute, sans développements, un auteur qu’il n’affectionne point tels que

Descartes ou Hegel, dont l’exposition de telle idée est menée avec autant de

précision dans la démonstration que celle d’un auteur davantage affectionné, il est

vrai sans quelques pointes d’ironie, dont Deleuze ne manque de s’excuser aussitôt

en invoquant la profondeur du penseur et de son oeuvre. Il s’agit là pour Deleuze

de mener son cours en usant du contrepoint, de la confrontation de goût et de

sentiment envers telle pensée.

La dialogique (ou polyphonie) est un concept clef dans l’oeuvre Mikhaïl

Bakhtine, forgé par lui-même et « son cercle », le cercle de Tartu, à partir duquel

une oeuvre littéraire ou artistique en général se conçoit par l’action de plusieurs

voix et visions, de plusieurs discours et de plusieurs images, contenus dans un

même roman, une suite d’énoncés, dans un même mot. Le lecteur ou l’auditeur

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entendent et perçoivent à travers des espaces-temps majeurs ou mineurs8, ou

« chronotopes », qui découpent l’œuvre et ses différents thèmes ; à tel thème

revient un espace-temps spécifique. Ces différents espace-temps entrent en

interrelation diversifiée, au sein de l’œuvre, entraînant des connexions entre le

monde de l’auteur, celui du lecteur ou de l’auditeur, et ce dont il est question : une

idée, un sentiment. Ainsi, un dialogue (une dialogique) se constituera à partir de

points de rencontre entre ces trois instances, portés par le style de l’énonciation,

une certaine tonalité et les changements de style transportés par ces voix et ces

images.

« Il n’y a pas d’énonciation individuelle, ni même de sujet d’énonciation »9

pour Deleuze et Guattari. Tout discours est toujours un discours indirect, un

« agencement collectif d’énonciation ». Lire tel extrait d’une œuvre, aborder telle

idée, se référer et susciter la lecture d’un ouvrage, d’emblée, constitue une

énonciation plurielle. L’enseignant a choisi une idée, dont il expose la « matière »

par la lecture et grâce à la préparation de son cours. La lecture alimente l’idée,

captive l’attention des auditeurs, sert de point et d’appui, puis de point

d’improvisation permettant de poursuivre le propos tel qu’il entend le mener,

« librement », sur le fil de sa pensée. Le discours indirect libre, à partir de telle

lecture lors du cours, engage un processus d’improvisation de pensée. Il s’agit là

d’une pensée en train de se faire, dans la salle de cours, menée par Deleuze,

accompagnée par les auditeurs. Si la pensée est une pensée en train de se faire, et

donc un processus, c’est parce qu’elle use du discours indirect libre. Pour Deleuze

et Guattari, le langage fonctionne d’emblée par mot d’ordre10. Parler, enseigner,

c’est commander l’auditeur, maintenir la posture de maîtrise de celui qui énonce.

8 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 392. 9 G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 101. 10 Ibid., p. 95.

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L’usage du discours indirect libre destitue le langage fonctionnant par mot d’ordre

dès lors qu’il ouvre sur une improvisation. L’improvisation est une recherche de

pensée, dont le sens doit tenir sur le fil de la compréhension des matières

enseignées pendant le cours.

Une certaine dialogique s’opère entre l’enseignant et ses références, ainsi

qu’une seconde, entre les auditeurs et le philosophe. Si un auditeur écoute une

confrontation de pensées et ses nuances, cette scène lui libère une objection rapide

ou un jugement arrêté. L’interaction se réalise ainsi avec davantage de fluidité, le

jeu et la confrontation des voix élaborent une scène pour la pensée qui dispense

l’auditeur d’une disposition réactive. Deleuze développe ses propos, par le

discours indirect libre, entre le fil de sa pensée et la confrontation d’autres idées.

L’intertextualité à l’oeuvre, des lectures aux références multiples formulant les

énoncés et les creux des reprises conceptuelles lors des cours constituent cette

matière en mouvement à partir de laquelle Deleuze agence ses propres lignes de

fuites afin de travailler ses problèmes de penseur. Ces problèmes, que l’on ne peut

dire, soutient Deleuze, il les aborde par la voie de l’affect, grâce à cette

« atmosphère » particulière due à la diversité et le grand nombre d’auditeurs de

l’Université de Paris 8.

L’« étrangeté du concept » : ce concept résonne probablement de façon

multiple, c’est-à-dire polyphoniquement, dans la salle préfabriquée en marge de

l’université, des voix des auteurs évoquées par le philosophe aux voix silencieuses

mais non pas muettes, émanant des attitudes, des regards et du degré d’attention

des auditeurs.

Ce vaste auditoire constitue une limite et un atout, un paradoxe donc, pour

l’énonciation de type dialogique que le philosophe s’efforce de tenir d’un cours à

Page 35: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

35

l’autre. Deux dialogiques s’élaborent : l’une mise en scène autour de

problématiques, et sa part d’improvisation, par le philosophe, l’autre se jouant

dans l’interaction entre l’enseignant et les auditeurs.

Le cours, l’oralité, constituent pour l’œuvre écrite de Deleuze, un travail noir,

souterrain, un stock ouvert de scolies et ainsi un devenir, qui imprimeront des

variations, des reprises et une vitesse pour les chapitres, des « forces inaudibles »

et une vie pour l’écrit. L’oralité permet à Deleuze de procéder par écarts, par

rhizome sous la condition des différentes formations sociales de son auditoire,

constituant autant de masques, de doubles pour la mise à l’épreuve du concept,

c’est-à-dire de son usage.

La portée, l’adresse d’une parole, par nature, est de prendre et de livrer son

sens dans la temporalité de l’après-coup, par effet retardé. La formule : « vous

comprendrez plus tard », est une limite qui abrite un seuil de compréhension, un

seuil virtuel qui anticipe un « saut sur place » de la compréhension et de l’usage

adéquat pour l’auditeur (afin de sortir de tel « trou noir »). Un concept, obscur,

faisant violence à la pensée, fonctionnant par effets rétroactifs envers la

compréhension, produit des écarts et de l’hétérogénéité entre les références et les

rubriques abordées.

Les limites d’un cours fabriquent un style, supposent et impliquent un style

d’énonciation. Réduire le cours d’une demi-heure, voire davantage comme

l’impose la normalisation progressive de l’Université, mutile l’improvisation et

les développements nécessaires par espace-temps. Cette mutilation effective du

temps hebdomadaire imparti à l’enseignant, à la recherche, Deleuze l’anticipe

nécessairement. En déclarant qu’il s’agit là d’une « véritable catastrophe »,

Deleuze produit en retour une scène pour son cours, un drame qui certainement

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36

favorise, provoque l’improvisation et l’alimente. L’inspiration fait gagner du

temps, contracte le discours et l’abrège, force à relier les différents flux parlés, à

faire le point et conclure telle rubrique, insuffle une tension et un style à

l’énonciation. Mais Deleuze ne pratique pas pour autant l’aphorisme. Il s’agit

ainsi de prendre, de maintenir et de faire varier successivement des vitesses

d’énonciation dans l’abord des rubriques et des références déployées. Cette

nécessité de gagner en vitesse dans la lutte contre la normalisation de la recherche,

de gagner du temps sur le temps est un événement qui implique un effort

supplémentaire d’improvisation et donc de préparation.

La salle et ses auditeurs constituent un corps, un corps polyphonique à double

résonance : une résonance pour Deleuze, une résonance pour l’auditeur. De cette

double résonance polyphonique se dégage une œuvre orale, enregistrée. Cette

œuvre orale des cours, puisque enregistrée, à son tour dégage un corps, une

multiplicité de corps polyphoniques pour des auditeurs virtuels, à venir.

Les forces déployées par la polyphonie des propos des cours entraînent des

rapports des forces, de forces collectives rassemblées en un lieu. La salle de cours

est une scène où se produisent des confrontations de réception et d’émission qu’il

s’agit d’anticiper, de maîtriser pour l’enseignant, aussi afin de ne pas interrompre

le cours et son improvisation.

Le mode d’enseignement est confronté à des rapports de forces variés en

fonction des auditeurs et doit faire face à la confrontation (discussion, objection)

toujours possible (un nouvel auditeur, provocation, mauvaise volonté, mauvaise

humeur), oblige l’enseignant à une pratique orale de l’implicite, de tenir compte

de présupposés qui constitue une réserve de sens dont il faut aussi en tirer quelque

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37

éclaircissement au moment propice. Ce maniement oral de l’implicite produit des

écarts et un style.

Entre l’enseignant et l’auditeur, le cours émet ses propres processus, des

processus dialogiques, polyphoniques. Il s’agit là de la dimension immanente des

séances ; le cours procède par captures, doubles captures et trahisons, doubles

trahisons : il s’agit de trahir la parole, la posture du maître.

Reprendre le travail des concepts ne signifie pas donner une suite continue au

cours précédent, ou reprendre tel cours d’une année précédente ayant abordé le

concept du jour. C’est que les auditeurs du jour ne sont plus forcément les mêmes,

que tel problème de pensée de Deleuze ne se pose plus comme jadis, la semaine

précédente ou hier. L’immanence du cours suppose donc une grande part

d’improvisation (les cours étant de toute façon préparés, répétés). Deleuze ne lit

pas des notes de cours, mais de brefs passages de textes, cinq à six lignes, il ouvre

un livre, tourne une page au maximum, ne répète pas son programme.

La séance est clairsemée de la lecture de courts passages de textes et de micro-

récits. Il s’agit là d’un rhizome narratif constituant autant d’espace-temps,

« jalonnés par des cris », signalant les concepts sur la pointe de leur « étrangeté »,

pour tel auteur. Ces espace-temps sont relatifs, chaque auditeur en saisira le sens,

la compréhension à son propre rythme.

La polyphonie constitutive de la séance, déploie une temporalité spécifique

pendant deux heures et demie.

Un cours est un travail en cours. Il s’élabore comme un produit. Il y a

l’entrelacement d’un rapport et d’un mode de production. C’est le processus du

cours. La polyphonie et l’improvisation à l’œuvre déploient un espace de

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38

références, une orchestration qui possède son unité et à la fois offre une liberté de

choix à l’auditeur sur tels thèmes abordés, en fonction d’un goût, d’un affect.

Le style du cours est du type artisanal, dans les limites de l’improvisation et de

la double audition menées par Deleuze, destinées aux spécialistes et aux non

philosophes. Les mises au point et les gains obtenus pour la pensée se disposent

entre les lectures et les courts récits. Lire et raconter équivaut à ne plus parler et à

insuffler une vie à l’oralité philosophique. Peut-être l’improvisation et les

moments d’inspiration se situent entre cette double audition. Le sens de tel énoncé

suppose le passage d’une audition spécifique à une autre, donc une énonciation

différente ou le choix d’un autre mot. Cette variation se réalise par une inspiration

nécessaire, c’est-à-dire un style d’énonciation, un phrasé doublé d’un voir. Une

politique de l’énonciation préalable est donc requise : ″Qui parle ?″, ″avec qui et

qui fais-je parler ?″, et ″ à qui suis-je en train de m’adresser ?″

Deleuze certainement conjure et anticipe les objections, même silencieuses, et

la saturation de l’écoute des auditeurs. C’est là certainement le moment pour lui

de changer de type d’audition, avant le trop plein de fatigue. Avec telle remarque

qui accompagne ses propos de la séance précédente (et non pas une objection), il

est manifeste que le jeu de la répétition et de l’improvisation étaye et inspire les

propos repris. De nouveaux termes s’ajoutent et enrichissent la compréhension de

tel concept. Pour comprendre le concept d’appareil de capture11, énoncer et

répéter avec une intonation marquée le mot simple : ″sac″, par exemple, qui n’est

rien d’autre qu’un appareil de capture, imagera avec une fluidité nouvelle le

concept en question.

11 Cours intitulés Appareil d’Etat et machines de guerre, du 13/11/1979 au 29/01/1980.

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39

L’oralité philosophique constitue pour Deleuze une vérification orale des suites

logiques de ses chapitres, ainsi qu’un mode d’inspiration, une ligne de fuite

insufflée par l’improvisation à l’œuvre lors des cours.

La double audition, le passage de l’une à l’autre, un usage du langage à tel

moment du cours ouvre sur un style d’énonciation indirect, entre le dire et le voir,

disjoints, creusant des écarts de références, de propos, permet ainsi

l’improvisation et l’inspiration (tant pour l’auditeur que le philosophe), une

dialogique. Entre le contenu et l’expression de ce qui est dit, se joue un rapport

entre la pensée et le dehors.

Trouver le langage adéquat à la compréhension pour traduire sa pensée,

nécessite un style d’énonciation qui anticipe la réception du sens de ce que l’on

dit. Maintenir le cap de sa pensée et à la fois expérimenter avec le langage la

traduction de cette pensée en une double audition, exige un style permettant de

sortir du territoire de la langue. Faire voir est un dehors, il faut « percer le mur »

pour comprendre, « trahir » le flux du discours. Le croquis au tableau, se dresser,

se diriger vers le « mur noir » : c’est déjà percer le mur, par la main et la craie, le

mur du préfabriqué, tracer ou déplacer le sens vers un autre « espace

quelconque », un dehors, du cliquetis des magnétophones au bruit de fond d’une

autoroute.

2. Le tableau et le professeur

Les cours de Deleuze déploient dans son œuvre une puissance et une force

esthétiques reposant sur l’affect, une destination des concepts et un usage de

l’oralité vers la vérification le la relance de la pensée grâce à l’inspiration produite

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par l’improvisation. L’écriture des chapitres nécessite ce détour par l’oralité, « Les

cours ont été toute ma vie » annonce-t-il « imperceptiblement » dans

L’Abécédaire. La vie de l’oralité passe par la lecture et le récit, ce en quoi, faire

cours n’est pas parler, pour Deleuze. Il s’agit là d’un enjeu politique important

pour le philosophe. Mai 68 et ses lendemains sont liés étroitement à la parole, la

parole étant la dimension de la politique, la pire pour Deleuze.

Le philosophe s’adresse au non-philosophe autant qu’au philosophe, en une

même suite d’énoncés lors d’un cours ; il n’y a pas de partage ou de distinction

dans les propos. Il s’agit là d’une double audition. Un usage s’impose, un style, un

mode d’énonciation spécifique que Deleuze met en place grâce à l’improvisation :

l’enseignant ne lit jamais des notes écrites (ou rarement) il ne lit pas son cours,

mais apporte des livres dont il tire régulièrement des passages qu’il lit, puis qu’il

prolonge sur le mode du style indirect libre.

Deleuze s’adressant à tous pendant un cours, il s’agit là, pour lui, d’un mode

spécifique d’engagement dans la cité, le sien. Mais il s’agit de philosophie et non

de politique : suivre sa pensée, tandis qu’il s’efforce, s’adressant à tous, de

préciser le cheminement des concepts selon des rapports dialogiques, une

interaction s’élabore et se reprend, Deleuze vérifiant ses problématiques de

philosophe écrivain, par l’oralité, entre les auteurs et les passages lus des livres,

entre le sens qu’il suggère et pressent. Le mode du style indirect libre est autant

une improvisation qu’une création entrevue, en cours, en devenir, puisqu’une

« ligne de fuite » est un processus, une expérimentation qu’il s’agira de vérifier.

Si le philosophe demande aux auditeurs de l’accompagner, de nuancer ses propos

plutôt que d’intervenir dans le sens d’une objection, c’est que de son côté, il

élabore des énoncés, selon le procédé de la répétition (du sens) et de la différence

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(de mots), à rapport, à tension dialogique. Anticiper et conjurer la réception des

auditeurs des propos et des références : la dimension artistique du philosophe

orateur réside dans l’anticipation de la réception de ses propos.

« Être de gauche »12, pour Deleuze, renvoie d’emblée à une façon de percevoir

et au devenir. Percevoir tout d’abord le monde par sa carte, selon un point de vue

périphérique, à l’horizon, avant de rapprocher progressivement son point de vue

vers un voisinage de situation. C’est observer en prenant le sens unique de la

périphérie vers le centre qui permet de percevoir un agencement, qui en retour

peut organiser un désir dans la mesure où l’on désir un agencement. Désirer un

agencement engage un devenir. Or pour Deleuze, le devenir ne peut être que

minoritaire et à tout le monde revient une part de minorité. Percevoir ainsi, c’est à

la fois constituer un écart (entre l’état majoritaire et tel état minoritaire), élaborer

une proximité et anticiper un état majoritaire pour le conjurer au mieux. Trouver

puis s’approprier une image, pour conjurer et évaluer une situation. Fabuler,

parler, expérimenter un flux de paroles, entre l’horizon et l’ici, pour élaborer un

maintenant, lors du cours.

Le rapport dialogique entre les auditeurs et le philosophe crée autant de micro-

blessures dans la mesure où le sens, les mots énoncés ne coïncident pas, la

répétition, le réajustement des propos est de mise, il faut du temps pour que le

philosophe énonce oralement, s’adressant à tous, le mot ou la phrase qui

conviennent, pour le sens ou par goût pour autrui ». Ces reprises et ces

réajustements énonciatifs imposent une immanence au cours, une énonciation

12 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « G comme gauche ».

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collective, sous affect. Des micro-blessures de sens, de compréhension, de goût,

affectent les auditeurs philosophes et non philosophes.

Philosopher, penser n’est pas un exercice à prendre à la légère, gratuit. Endurer

des situations personnelles, les blessures de la vie, le poids de l’économie ou les

distances sociales, ou revivre simplement une douleur, engage la pensée et

invoque, espère une aide entrevue grâce au concept. Identifier ou rencontrer une

similitude de problème comporte une part d’imprévu. Penser et s’attarder sur tel

propos engage du temps, un certain inconfort aussi, une remise en question sur tel

acquis. Deleuze expose ses propres problèmes de penseur, les mise oralement à

l’Université. Le solipsisme du philosophe, du docte écrivain, l’exigence de se

défaire de l’autorité et du pouvoir du scribe, du pouvoir et de la supériorité de

l’écriture sur l’oralité. La parole peut faire un retour sur l’écrit pour déjouer ou

nuancer la critique d’une lecture, mais partiellement. Et en explorant une

ambiguïté de sens entre deux notions, Deleuze peut alors se lancer dans une

improvisation enthousiaste, lorsque la séance, une fois n’est pas coutume,

s’élabore à partir des questions et des remarques des auditeurs à propos de L’anti-

Œdipe. Il précise d’emblée qu’il parlera en son nom et non à la place de

Guattari13. L’exercice est sans doute difficile, l’improvisation s’engage à partir de

ce point, ne pas parler à la place de l’autre, avec qui l’on a écrit. Ne pas parler à la

place de l’autre, auteur ou auditeur, représenter sa, une pensée, c’est ce que

Deleuze certainement exige de lui-même, évalue en permanence, d’une séance à

l’autre, et pour cela, user du discours, du style indirects.

Voir un cours. L’effet « spectral » de la voix rocailleuse du philosophe durant

l’écoute d’un disque s’atténue pour disparaître avec l’enregistrement filmé d’un

13 Cours du 03/06/1980, intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions.

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cours. Cet effet mutilant de la disjonction voir-parler se dilue et gagne une part de

silence pour la restitution du réel de la salle et ses auditeurs. Le mouvement du

propos et de l’image se restitue en son lieu et ses postures, éclaire la circularité de

la pensée en exercice et assure le jeu d’une pensée « peuplée » de dialogues

muets. Une dialogique dotée d’une « double audition » à destination et à l’usage

du philosophe et du non-philosophe se découvre au regard de la dimension

pragmatique du cours. Lorsque Deleuze illustre « l’acte baroque » : « le pli à

l’infini », en pliant et repliant une feuille de papier.

Ressasser, dit-on, une explication, pour en modifier imperceptiblement un

angle par un point de vue éclairant le sens : il s’agit bien davantage de répéter,

avec ou sans néologismes, tel propos du cours. Deleuze écrit ses chapitres ensuite

repris oralement, sans notes, à l’Université. Donc, Deleuze parle-t-il à ses

auditeurs ? Ce flux des propos se situe entre les lignes écrites des chapitres et

l’improvisation nécessaire, d’une part à l’adresse des non philosophes et d’autre

part, au règlement escompté lors des cours des problèmes de pensée de Deleuze.

« Sortir de la philosophie par la philosophie », ou sortir de l’écriture et ses

problèmes (d’où des limites, les limites de la pensée écrite) par le passage à

l’oralité de l’enseignement de la philosophie. Cette sortie et ces questions

problématiques se résolvent à l’Université et assurent une circularité, par la

pensée et pour la pensée, de la pensée.

Une pédagogie de l’enseignement de la philosophie se déploie, traversée par la

scansion énonciative, sous la tension du « dernier objet » de la théorie du

marginalisme. Il faut trouver le mot juste puis le répéter. Cette pédagogie passe

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par une énonciation poétique, un mode de discours et de sélection des énoncés en

fonction des auditeurs, une énonciation mise en scène par le jeu de distances entre

un problème et un concept. Cette transmission d’un usage des concepts passe par

un traitement de la parole parce qu’il suppose un parler philosophique spécifique,

un parler pragmatique, qui se déprend d’un cours d’histoire de la philosophie.

Cette pédagogie suppose un effort pour penser, une action de la pensée constituant

une expérience de la pensée. Cet effort de la pensée est un exercice préalable à la

compréhension et à l’usage du concept14.

L’enseignement oral de Deleuze peut subjuguer par la clarté du sens et de la

compréhension et ses effets retardés. Si Deleuze ne manque pas de faire le point à

tel moment de la séance, il signale aux auditeurs qu’il reprend comme à zéro son

cours : un virage du sens pour un nouvel abord de la problématique. C’est un

moment fort de l’improvisation philosophique de vive voix, Deleuze s’efforçant

de capter l’attention de l’ensemble des auditeurs.

Cette inspiration constitue une poétique, orale, un faire singulier élaboré par le

philosophe : un rapport de coexistence s’opère entre le sens du concept et les

auditeurs. Ce moment, de l’ordre de la double capture et en même temps de

l’événement, concerne l’ensemble des formations sociales de l’auditoire.

L’interaction fonctionne par l’évaluation du sens, plus ou moins perçu par

l’auditeur, à partir de quoi Deleuze improvise, poétise, en reprenant à

zéro, expérimentant avec prudence, par marginalisation du dire, vers un voir.

L’enseignant énonçant lui-même les objections lors du cours dégage l’auditeur

de ses propres réactions et lui permet une prise de conscience, par soi-même donc,

et pour lui-même. Un exemple manifeste se situe au début du cours intitulé Anti-

14 Concernant le thème des efforts exigés par la pensée, on peut se référer à C. S. Peirce, Ecrits sur le signe, textes rassemblés, traduits et commentés par G. Deledalle, Paris, Seuil, 1978, p. 24 : « Le type d’une idée de Secondéité est l’expérience de l’effort dissocié de l’idée à atteindre […].

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Œdipe et autres réflexions lorsque Deleuze explique aux auditeurs que la

schizophrénie est un fait social banal, pour quiconque ait déjà rencontré un

schizophrène, du moins une attitude, une courte séquence. L’interaction entre

l’enseignant, ses références et les auditeurs constitue une série de brefs

événements pour la pensée. La condition en serait un rapport « esthétique », au

sens kantien, entre l’enseignant et l’auditeur. Selon la formule-clef que Deleuze

tire de l’empirisme de David Hume : « les relations sont toujours extérieures à

leurs termes », il conçoit certainement son mode d’enseignement selon ces

rapports orientés par le discours indirect libre, permettant un dialogisme.

Mettre au jour une partie immergée, une réalité triviale, une situation de la vie

quotidienne, quelconque, est un acte de discontinuité, produit un écart de

conscience pour l’auditeur, tout en gagnant une sobriété dans le dire et le voir,

une sobriété non philosophique ou non savante. Cette sobriété des propos

constitue une esthétique pour l’auditeur, un abord direct, senti, du concept ou du

problème en cours.

Le rapport entre la matière enseignée et l’auditeur passera par un rapport de

type social, par une formation de sens énoncée selon un différentiel de vitesse

d’énonciation, alternant le lent et le rapide, une tension à l’œuvre entre les

espaces-temps, dont l’enseignant maintient la bride produisant des écarts et des

discontinuités de sens et de compréhension des propos pour les auditeurs. D’où

différents degrés de visibilité et de lumière éclairant tels points, telles notions,

selon l’égalité bergsonienne de Deleuze : matière = mouvement = lumière. Un

énoncé bref peut constituer un phare éclairant un gros plan du sens, un raccourci

lumineux qui éveille, réveille ou relance un intérêt.

Ce rapport fait coexister (et non pas exister), un ensemble d’auditeurs,

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d’individus confrontés aux flux de pensées et de références. Un processus de

coexistence s’élabore, régi par une tension de l’énonciation, dont il s’agit de

maîtriser les rapports d’adresse de sens, entre vitesse et lenteur, entre immobilité

et mouvement. La lenteur de l’énonciation est le signe d’un problème de pensée,

lorsque Deleuze ne parle pas en son nom, la tension est importante. Une tension

lente exprime un effort et une prudence du penseur, qui expérimente, avant de

rejoindre une énonciation davantage rapide, exprimant sa pensée et des acquis.

Donc à l’inverse, une énonciation rapide traduit une détente pour le récepteur

(l’auditeur), un certain confort, un point d’appui, avant de reprendre une

problématique.

Une intermittence de l’effort et de l’appui pour la pensée confrontée à un

problème vers l’appréhension d’un concept pour un usage, s’élabore. C’est que le

cours de Deleuze émet ses propres signes par l’effort (vivant) de la pensée en train

de s’élaborer. Autant de jalons constituant l’affect de l’auditeur, une errance de

l’effort permettant l’affect. Ces écarts, Deleuze les exprime avec Peirce15

notamment, lorsqu’il aborde le concept de « l’effort comme une nouvelle forme

du Je pense ».

Deleuze signale à un auditeur que celui-ci ne règlera pas son problème tant que

lui-même n’aura pas réglé le sien. Cette logique (ou dialogique) semble bien

rejoindre le concept de double capture, de devenir, entre l’enseignant et l’auditeur.

Un effort en interaction se joue pour continuer le tracé du concept.

Pour Deleuze, toute création, en son propre domaine — pictural, scientifique,

philosophique, cinématographique — s’élabore selon d’un espace-temps singulier.

L’enseignant multiplie les images de ces espaces-temps lors de ses cours, à travers

les différentes rubriques et les points abordés. Ainsi les cours se développent et

15 Cours du 02/03 et du 09/03/1982.

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s’agencent à partir d’écarts, une accumulation d’écarts entre une succession, une

conjonction de rubriques, combinant ainsi une accumulation d’intensités pour la

pensée, un écart produisant une tension singulière, une béance du sens où se joue

son actualité et sa virtualité. Il faut que se réalisent des connexions, tant pour

l’enseignant que l’auditeur entre des flux, suivant deux lignes de fuite, Deleuze

emploie (ou invente) le terme de « fluxion »16, lorsqu’il s’agit par exemple d’une

connexion possible, « révolutionnaire », entre deux flux, l’un émanant d’un état

minoritaire, l’autre d’un flux majoritaire. Une rencontre, une fluxion est toujours

possible, probable, entre les rubriques, entre les points des cours. Lorsqu’un

auditeur relie, pour lui-même, deux idées, l’une, exposée lors du cours,

ressemblant à telle idée provenant de son expérience, de ses motifs personnels de

sa discipline, de ses recherches, et ainsi dépasser le donné de l’exclusivité d’une

idée, d’une connaissance d’une discipline.

Où donc réside l’inspiration du philosophe lors des cours ? Est-elle le moment

d’une nouveauté de pensée ? Cette inspiration, est-elle repérable, comment se

manifeste t-elle : peut-être silencieuse, opérant entre les rubriques, ou bien

localisable à la suite de telle lecture du paragraphe d’un texte, ou bien encore

selon la mesure des auditeurs captivés accompagnant le propos ?

Une pensée s’appréhende à partir de signes, un régime de signes, qu’il s’agit de

capter, peu à peu, au fil des séances.

Ces écarts produisent des tensions, des tensions qui alimenteront pour l’auditeur

des compréhensions retardées. Ces effets retardés de la compréhension se

réaliseront lors d’un cours, ou bien lors des cours suivants, ou bien même encore,

16 Cours du 25/03/1980.

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justement, « entre » les cours, c’est-à-dire hors la salle de cours, en extériorité, par

multiplicités.

3. Un cours sur le « pli »

Afin de cerner le motif général d’un cours agencé par Deleuze, nous proposons

de suivre le principe, ou le motif suivant : un concept enseigné, élaboré pendant le

cours, se double d’un usage direct, l’enseignant utilise le concept pour mener son

enseignement. La transmission du sens et la compréhension de tel concept se

constitue dans l’usage de ce même concept. Ce mode d’enseignement serait au

cœur même de ce qu’il faut entendre par « dimension artiste » de la philosophie de

Deleuze, une philosophie enseignée, transmise oralement.

L’appréhension d’un concept passe par le positionnement d’un problème, un

problème de pensée dont la difficulté est endurée par Deleuze ; si le cours est

préparé et répété et donc mis en scène, n’en demeure pas moins un

positionnement de problème sur lequel bute le philosophe (avant tout) écrivain.

Ce problème, le philosophe le « déterritorialise », le transportant d’une part dans

la dimension orale, et d’autre part, en même temps, dans la dimension de

l’enseignement.

Un jeu de pensée s’élabore entre une « sphère privée » — celle du penseur

écrivain, dans la lignée Schopenhauer-Nietzsche — et le cadre de l’enseignement

public de la philosophie à l’Université. Deleuze est un enseignant classique de

philosophie morale à l’Université de Lyon. Cette période qui précède son arrivée à

Vincennes n’est pas évoquée dans L’Abécédaire. Les dix années à Vincennes,

entre les lendemains de Mai 68 et le transfert de l’Université à Saint Denis, font

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l’objet d’une critique passant par une nécessaire reformulation de ce qu’il attend

et entend de son cours de philosophie.

Un cours filmé 17 :

Caméra de face. Un regard scrutant les auditeurs en un mouvement circulaire,

un balayage régulier, pendulaire de gauche à droite, se posant rarement au centre.

Le buste incliné, une tête de profil, davantage qu’un visage, rarement de face. Le

philosophe est bien parmi les auditeurs, certains assis contre le tableau noir, à

porté de bras, un quart de tour suffit à l’enseignant et sa craie pour l’atteindre. La

main gauche ombre le visage et la soutient, replace les lunettes. Puis les mains

jointes, le dos penché et droit, la tête s’enfonce dans les épaules.

L’index pointé verticalement signale l’attention requise des auditeurs, puis

s’oriente vers le schéma du tableau. « Tout point de l’espace est un point de vue

possible », conceptualise Deleuze ; un point de vue équivaut à un « point

d’ouïe » ; certains auditeurs sont debout au seuil de la porte de la salle.

Le flux de paroles accélère, le buste s’allonge horizontalement sous la tension

d’une posture animale, le cou disparaît. Puis, « On a fait beaucoup de progrès

depuis la dernière fois, mais de façon élémentaire », affirme, rassurant,

l’enseignant. L’index pointé vers le plafond précise une attention, puis le bras

d’un quart de tour pivote vers le tableau. « Tout point de l’espace est un point de

vue possible […] le monde baroque […] » en lequel « peut concourir une infinité

de droites convergentes ». « Je lis juste pour que vous entendiez le ton […]

comme c’est beau ».

17 Ce cours filmé du 18/11/1986 par M. Burkhalter intitulé : « Gilles Deleuze : le point de vue : le pli, Leibniz et le baroque », est consultable sur les postes audiovisuels de la BnF, sous la cote VKR-185.

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Si Deleuze aborde ensuite la « conscience dramatique » de la perte du centre

dans le baroque, le cours lui-même s’émancipe d’un centre, d’une posture de

maîtrise de l’enseignant, le buste tourné d’un quart de tour prompt au mouvement

vers le tableau noir. « Tout objet est de profil, percevoir, c’est faire une synthèse

de profils »… « L’objet [l’objectile] n’existe que sous ses profils, une série infinie

de profils », enchaîne Deleuze.

« Chacun de nous est un point de vue sur la ville », concrétise Deleuze. Le

regard, en permanence mobile, manifestement scrute les points de vue, « les

points d’ouïe » des auditeurs, « Si vous avez l’œil aigu …», suggère-t-il. Vus de

face, les visages des auditeurs et de l’enseignant se placent sous les croquis du

tableau. Le visage de l’enseignant vu de face et le doigt pointé vers le plafond sont

rares et réservés à quelques sentences précises à voix forte. La main droite

énumère, soupèse, calme ou avertit, pointe, dirige ou tourbillonne. La main

gauche prend le front, replace les lunettes, masque la bouche puis pointe et tend

vers le tableau. La tête orientée à gauche confie ses propos par voix atténuées,

énonce une pensée considérée étrange. La tête orientée à droite éclaire, situe une

mise en scène, énonce plus abstraitement, ironise ou affirme avec une voix plus

forte. Le moment d’une affirmation, le visage et le buste s’abaissent et se figent en

une tête aux aguets.

De la lecture d’un passage d’une Lettre à Sophie de Leibniz, Deleuze

énonce que l’espace est compris dans le point de vue, que la ville est donc un

point de vue, que regarder la campagne par une fenêtre équivaut à la campagne

elle-même, qu’il n’y a en somme pas de fenêtre mais seulement la campagne.

Avec la main gauche qui précise puis nuance, l’affirmation se rythme ; un bref

coup d’oeil central reprend et corrige. La main droite mesure et signale des

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degrés. Deleuze aborde ainsi la notion de monologue, monologuer dans la ville,

monologuer soi-même la ville par la lecture des « tables d’information » que l’on

s’approprie par soi-même, pour soi-même. Enfin il aborde la peinture, la main

droite accélère ses mouvements et mime.

Manifestement, Deleuze improvise, il s’adresse à un auditeur puis à un autre, il

monologue tout en s’adressant sur le mode du « Je me parle à moi-même »

(défilant ainsi une absence de centre, s’adressant à l’auditeur pour lui enseigner, le

renseigner sur le point de vue, le sien).

Deleuze recourt à l’occasion à des expressions familières, grossières : « la ville

est gros cerveau », « vous foutez des trucs dans un sac et il en sort un empire ».

L’expression soudainement libère un style par une image revécue, banale,

quelconque, intime, naturaliste18.

L’accentuation de la dernière syllabe du dernier mot d’un énoncé signale une

affirmation modifiant la posture assise du philosophe, la tête s’abaisse vers

l’avant, le buste s’avance et se courbe à l’horizontal.

La posture générale de Deleuze serait bien celle d’un profil en tension vers le

tableau. Ce mouvement est l’action essentielle de l’enseignant, telle une

« courbure variable » de la posture du philosophe au concept. Deleuze endosse et

joue là le rôle d’un « personnage conceptuel » pour enseigner. Si la séance est

filmée, Deleuze espère que « quelque chose passera » de son cours grâce à

l’image animée. Si le cours est fixé sur une pellicule, afin de renouveler une

18 P. P. Pasolini, L’expérience hérétique, Paris, Payot, 1976, p. 24 : « Naturellement l’usage du discours indirect libre s’est d’abord affirmé avec le naturalisme […] ». Pour aborder le thème du discours ou du style indirect libre, Deleuze se réfère souvent à Pasolini, notamment dans le cours du 12/01/1982.

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expérience menée par la section vidéo du Département de philosophie, il affirme

qu’il captera, à son tour, l’auditoire avec sa propre machine, sa propre toile.

Deleuze engage un corps à corps avec le concept. S’adressant aux auditeurs, le

balancier de ses propos s’engage par profil, or se mettre de profil, c’est « trahir »

pour Deleuze et Guattari. Trahir un enseignement dispensé de face, celui du

professeur public19, c’est permettre le recours au penseur privé afin d’exprimer le

concept de point de vue. Exprimer le concept de point de vue passe

nécessairement par le point de vue d’autrui20.

La double multiplicité, des points de vue ou « points d’ouïe » des auditeurs, à

laquelle s’agglomère la multiplicité des références évoquées par Deleuze, élabore

une dialogique circulante, un mouvement dont le tracé conceptuel dégage une

énonciation et un voir proches du on, du il impersonnel. Tel concept emprunte une

formule inspirée, donc poétique, hésitante, une étrangeté, d’où la compréhension à

effet retardé pour l’auditeur. L’énonciation ainsi formulée se disjoint de la parole

proférée du maître et d’une appropriation de sens établi. Il s’agit bien là d’une

ligne de fuite de pensée en processus. Laisser couler une suite de paroles équivaut

à un « mur » pour Deleuze, un mur qu’il faut percer ou franchir, ou bien renvoie à

un « trou noir » dont il faut jaillir.

C’est bien avec l’autre, par un passage avec autrui, son point de vue ou point

d’ouïe, que Deleuze expérimente une sortie de ses problèmes de penseur, à

Vincennes donc, pour sortir du solipsisme du scribe, du penseur.

19 « [ …] le professeur ne cesse de renvoyer à des concepts enseignés (l’homme-animal raisonnable), tandis que le penseur privé forme un concept avec des forces innées que chacun possède en droit pour son compte (je pense). In : G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, op. cit., p. 60. 20 Ibid., p. 62 : « […] le philosophe est seulement l’enveloppe de son principal personnage conceptuel […] Je ne suis plus moi, mais une aptitude de la pensée à se voir et se développer à travers un plan qui me traverse en plusieurs endroits. »

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La découpe des rubriques et des points abordés élabore une conjonction de

motifs, une hétérogénéité de matières enseignées dont il reviendra à l’auditeur

d’organiser, de monter un agencement propre. Ce « pur matériau » constitue un

flux, un processus, une ligne de fuite possible, ou disponible.

Suivre près de trois heures durant les propos du philosophe pour les

comprendre équivaut à une impossibilité, nerveuse aussi bien qu’intellectuelle,

affirme Deleuze. Cette impossibilité revient de surcroît à une indifférence de

sélection, de choix, de goût, et donc finalement à un néant de capture de valeurs

de l’auditeur. S’il ne s’agit pas de tout comprendre en absorbant l’ensemble des

flux parlés, c’est justement un indice pour nous auditeurs (passés, effectifs ou

futurs) d’un style d’écoute à tenir sur le style même de ou le mode

d’enseignement de Deleuze. Une double audition suppose d’emblée une variation

d’écoute, de concentration, de l’effort, un décentrage de l’esprit selon un certain

degré d’abstraction vers des références ou des contextes de la vie quotidienne par

exemple, hors la salle de cours donc, pour un même auditeur.

Le cours émet des signes, une vision émanant d’un voir se substituant par

intermittence aux dires du Deleuze. Les écarts de la compréhension sont inhérents

à la pensée, donc nécessaires pour penser en retour, pour donner à penser plus

tard, et ainsi pour penser dans le rythme de la recherche de pensée avec tel

concept. Il s’agit pourtant de suivre les enchaînements, de sentir la logique du

passage d’un point à un autre, ce que ne manque pas de signaler l’enseignant,

plutôt que de comprendre les passages abstraits ou compliqués.

Prendre conscience brièvement ou peu à peu, impliqué, par goût ou par

connaissance, par tel concept sous telle problématique, suppose, dans la durée du

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cours et de l’interaction, en processus ou ligne de fuite, avec l’auditeur, un certain

effort, une certaine expérience impliquée par cet effort.

Le cours, par son régime polyphonique, émet des signes, une interaction entre

la double audition et la double réception. Le cours se fait matériau, immanent, un

espace-temps se dégage et produit une sorte d’autonomie de cheminement, de

progression. Cette autonomie sera l’évaluation, au terme de la séance, de la

« réussite » de cette journée d’enseignement, estimera Deleuze. Une somme

d’efforts a réussi à monter le cours vers des acquis et des gains pour la pensée et la

recherche.

Tout comme vivre, travailler, penser, dans le rythme d’une (grande) ville,

d’une cité, penser pour capter différents abords de la pensée philosophique

implique un rythme de l’intermittence et des écarts d’implication et de conscience.

Un réalisme, une pragmatique de pensée s’impose lorsqu’il s’agit d’enseigner la

philosophie à l’auditoire cosmopolite et hétérogène de Vincennes.

Et a-t-on le temps de s’offrir le luxe de « parler », de « discuter » en ville ?

Émettre des signes est le régime d’échanges et de communication propre au mode

de vie urbain. L’effort de pensée requis pour suivre le cours de Deleuze se

rapproche du mode de vie et des perceptions propres aux villes, c’est-à-dire aux

mouvements, aux changements de territoires et à leurs temporalités spécifiques.

« Professeur, je voudrais arriver à faire un cours comme Dylan organise une chanson, étonnant producteur plutôt qu’auteur. Et que ça commence comme lui, tout d’un coup, avec son masque de clown, avec un art de chaque détail concerté, pourtant improvisé. » G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, p. 14-15.

S’adresser à un auditoire international suppose pour l’enseignant Deleuze des

suites d’énoncés soumises à une variation de langage, un choix et une sélection de

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phrases et de mots. Motif de l’improvisation ? Si l’attitude et l’attention de tel

auditeur changent et se modifient lors d’une même séance ou d’une semaine à la

suivante, c’est davantage l’ensemble de l’auditoire qui constitue le rapport de

force premier entre l’enseignant et le ton, le style des propos à déployer. Deleuze

devra reprendre et préciser le motif de ses références et ses lectures en fonction

des forces œcuméniques en présence de l’auditoire.

Ainsi l’enseignant aborde le thème du style d’une pensée, un sujet qu’il estime

n’avoir jamais développé suffisamment : la pensée d’une nation, française avec

Descartes, anglaise avec Hume, allemande avec Hegel, américaine avec la

littérature, notamment. Si le « génie » d’une pensée est un mode de penser et de

percevoir, une écoute et un voir spécifiques des auditeurs constituent les tenants

limites du cours par lesquels Deleuze organise et modère se développements et

son improvisation.

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Chapitre III Une politique de la perception

1. De l’usage du je et du On.

Il en va ici d’une substitution : parler en son nom, ça n’est pas vraiment parler,

il faut penser en son nom sous le rapport du discours indirect libre, qui est par

excellence l’objet du cours, d’où avec Deleuze, un certain régime du jugement sur

la parole pour couper une objection ou une discussion.

L’usage du je, la question du je en rapport avec le on et le il impersonnels

relèvent d’une dimension dialogique : « Ce qu’on vous dit vient se loger [puis

circule] sous ce qu’on vous fait voir ».

Lors du cours s’opère un certain degré de capture entre l’auditeur et

l’enseignant. Il s’agit bien du concept de « double capture » et à la fois d’un jeu de

distances, d’écarts. Ce jeu permet une approche des différentes formations

sociales, de ce que Deleuze nomme « un champ de formation sociale ».

Pour suivre un cours de Deleuze, le philosophe de formation doit devenir non-

philosophe. Lorsqu’il n’y a plus de parole, de communication, et donc de « mot

d’ordre », un écart se creuse.

Un cours est déployé par Deleuze comme un plan d’immanence. Le et

(conjonction) et le verbe à l’infinitif produisent des écarts, et de la vie. La vie

entendue dans le sens de l’énoncé : « La vie écoute ». Ecouter, c’est vivre. En ce

sens, Deleuze ne parle plus vraiment. Il lit, hésite, cherche, un jeu des silences, ce

qui permet la production d’une image (de la pensée).

On ne transmet pas un concept, mais son sens par et selon un usage. Le concept

se vérifiera peu à peu chez l’auditeur. Cet usage nécessite des techniques orales

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telles que : le discours indirect libre, une poétique du mot, de l’énoncé bref répété.

Finalement, un voir se dégage d’un dire qui n’est pas une parole.

Du philosophe au non-philosophe, d’un centre à sa périphérie, s’élabore ce jeu

d’écart et de traduction, de par les différents flux émis lors des cours, et par la

suite se creusent des déterritorialisations, celles-ci développant à leur tour de

nouvelles perceptions et des discontinuités de la compréhension du cours sur deux

niveaux d’audition.

L’inspiration du philosophe réside précisément entre ces deux niveaux

d’audition, en tension, au travers des flux et des matières des cours abordés. Cette

tension développe un processus passant entre les écarts, autrement dit une ligne de

fuite, donc une inspiration.

D’où la permanente tension nécessaire au philosophe afin de traduire ses

propos, de déporter et de modifier ses énoncés, de trouver les néologismes qui

élaborent un voir pour le non-philosophe. Une tension entre l’improvisation et une

pragmatique de la pensée impriment la trame majeure d’un cours de Deleuze.

L’auditeur libre ou le non-philosophe constitue ce « flux privé » d’un « auditoire

public », absolument nécessaire à l’improvisation pour laquelle le philosophe

destine son cours. Cette tension requise par la double audition suppose un effort,

car penser est un effort et en même temps une expérience.

Certainement un dialogue s’instaure entre les notes de bas de page des livres de

Deleuze avec ces mêmes notes de bas de page renvoyant aux lectures des passages

des œuvres lors du cours, notamment lors des séances intitulées Appareils d’Etat

et machine de guerre renvoyant aux chapitres de Mille plateaux. Sur ce point, un

passage s’opère, de type « rumination », si Deleuze vient à l’université avec ses

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problèmes de penseur, il en va de « l’étrangeté du concept », de mise cette fois-ci

oralement.

Les notions de dialogisme, de capture, de devenir, de processus et de flux,

comprennent une dimension irréversible avec l’oralité, on ne peut revenir et

reprendre tel régime de flux parlé comme l’écriture le permet. Un régime de la

rumination s’impose qui par suite permet l’inspiration puis ouvre le possible de

l’invention.

Un cours constitué de flux reliant des rubriques et des points, est connecté

conceptuellement aux cours précédents, mais pourtant, il s’agit bien pour Deleuze

d’un cours au présent, donc ne pas revenir et répéter à l’identique les propos

passés car un concept est avant tout en devenir. Il s’agit d’un jeu des différences et

des écarts selon les problèmes actuels du penseur qui font naître de nouveaux

usages des concepts. À partir de 1980, la rupture de Deleuze avec son ancienne

pratique d’enseignement est réelle car il abandonne le type de parole dominant de

la philosophie et de son enseignement à l’Université. D’où émergera toute la

dimension artiste du philosophe Deleuze lors de son enseignement : « Bientôt on

ne pourra plus écrire des livres de philosophie comme avant… ». Ce qui implique

nécessairement l’enseignement de la philosophie, la part orale : enseigner

oralement et écrire en même temps dans un même flux ou un flux double se

constituant entre et avec l’oralité et d’écriture.

Lorsque le philosophe énonce qu’il veut sortir de la philosophie par la

philosophie, il faut entendre également le jeu et la dimension artiste, la dimension

du « entre », l’oralité ayant produit des écarts (et des limites). Le jeu de la

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59

conjonction « et » a produit ses effets, déplacé les problèmes du penseur et de son

œuvre.

Ces écarts s’agencent et s’entendent avec la notion de dialogisme de Bakhtine.

C’est le temps au présent, c’est-à-dire la durée du cours qui trame le sens des

énoncés philosophiques. Ce sont bien les flux (inspirés) au présent qui orchestrent

et prennent la mesure sur les flux des années précédentes. Les cours intitulés

Appareils d’Etat et machines de guerre de 1979/1980 constituent à la fois un

« milieu » et une charnière dans l’enseignement de Deleuze à Vincennes. Les

auditeurs se substituent en quelque sorte à Félix Guattari. L’instance d’un « trois »

fait place à un dialogue. Cependant, un apport de Guattari est décisif pour

Deleuze : le concept de polyphonie de M. Bakhtine. Deleuze y puisera

certainement des ressources qui semble-t-il lui faisaient défaut à Vincennes, des

sources pour son inspiration qu’il ne pouvait du déployer pleinement avant 1979.

À ce sujet, et à Saint-Denis, Deleuze formulera son nouveau mode

d’enseignement en 1982.

Deleuze, philosophe et enseignant en tenaille, entre son enseignement et ses

écrits passés avec Guattari et, entre l’apport des concepts de polyphonie et de

dialogisme de Bakhtine et la normalisation effective de l’Université et de la

recherche. En tenaille donc : entre la diversité de l’auditoire vincennois et la

nécessité pour lui d’un auditoire « en affect ». En tenaille entre les rubriques

philosophiques davantage, mais pas uniquement, destinées aux philosophes, et les

énoncés de type poétique et/ou pragmatique, adressés aux non philosophes,

libérant un voir. En tenaille et en tension, que signale une posture singulière de

l’enseignant dans la salle préfabriquée, entre le déplacement vers le tableau et le

flux des propos.

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Les notions marxistes de rapports et de modes de production sont décisives

pour le philosophe, car elles renvoient à ce que Deleuze entend par un mode de

vie philosophique, l’allure d’un cours, un style d’écriture ou d’écoute du cours : il

en va de son style de penseur et de chercheur, accompagné davantage à partir des

années 1980 par l’auditoire des non philosophes.

L’emploi du « je », pour parler en son propre nom imprime un certain lyrisme

au cours, une esthétique opérant une distance avec la continuité des énoncés

proprement philosophiques. Par exemple, lorsque Deleuze prévient qu’il va

s’exprimer en son nom à propos de la réception de L’Anti-Œdipe, puis en

reprendre quelques idées à partir desquelles son cours s’engagera dans la voie

d’une improvisation totale. Après l’improvisation du premier cours, la séance de

la semaine suivante est menée selon une expérimentation, un exercice de pensée

davantage « technique » qu’il n’avait jamais entrepris auparavant, une séance

risquée, prévient-il, assurément sur le fil de la pensée nietzschéenne.

Sur ce point, il nous semble que s’opère une connexion forte au politique. Le je

est le véhicule de la pensée du penseur qui parle en son propre nom.

L’inspiration débouche sur une multiplicité de formes de vision. C’est lorsqu’il

s’agit de la parole, de l’enjeu de la parole au sens large, de ce que signifie parler,

que le politique et la philosophie entrent en un écart maximum, en tension, d’où

l’usage du « je », c’est-à-dire parler en son nom propre. C’est pourquoi Deleuze

ne développe pas directement sa philosophie, ses logiques, ses écrits, un

programme, mais indirectement en enseignant par le biais d’un personnage

« conceptuel » passant par les notions d’auteurs et d’écrivains et par les lectures à

voix haute.

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À l’abord d’un cours amplement improvisé, Deleuze s’entretient avec une

poignée d’auditeurs pour nuancer l’importance du grand nombre des auditeurs de

ses séances. Comme il le formulera en 1982, la présence de trop d’auditeurs

empêche un travail philosophique de type atelier ; pourtant, il souligne l’avantage

de ce grand nombre. Ce grand nombre ne peut que renforcer la destitution du je.

Le grand nombre élabore un dialogisme multiple, alimente une improvisation à

références hétérogènes, permet l’entrée aux auditeurs libres entre les murs et

protège par la suite les auditeurs étrangers.

Ce grand nombre multiplie les événements de pensée, tant pour l’enseignant

que pour ses auditeurs. Deleuze a bien insisté sur l’importance de l’œcuménisme

effectif à Vincennes pour l’improvisation de ses lignes de fuites orales de

philosophe. Cette puissance des rapports de force circule dans la salle de cours

d’une séance d’une année à l’autre ; il s’agit d’un cours œcuménique au sens fort,

d’où cette atmosphère décisive pour le cours, car « c’est collectivement que ça

peut changer, c’est l’attitude qui change, davantage qu’individuellement ». Pour

Deleuze, ligne de fuite équivaut à ligne de vie. Ainsi, ces lignes permettent de

poser ou de prendre un problème voisin dans un tout autre contexte, de produire

des écarts. Les connexions de sens se feront petit à petit, les passages des auteurs

lus apportant des matériaux propres à ces problèmes.

Construire un problème de vive voix suppose une part de risque assumée par le

philosophe, et pourtant, il s’agit d’un exercice et donc d’une répétition toutefois

improvisée. Deleuze apporte des textes qui l’ont touché : importer l’affect. Cette

part risquée équivaut aux moments de création de par le régime de l’affect

alimenté par les lectures. La destitution du « je », même si une part subjective

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demeure, s’oriente vers un usage du « il » impersonnel et ses distances entre les

auditeurs et le fil du cours de Deleuze. Pour Deleuze, le il exprime la ligne de

fuite.

Lors du cours du 03/06/1980 intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions, Deleuze

aborde l’élaboration de sa problématique par la lecture d’un passage de La part du

Feu de Maurice Blanchot, à propos de Kafka21. Deleuze en extrait pour son

compte la thèse suivante : « Atteindre au point où je suis dessaisi du pouvoir de

dire Je ». Ce dessaisissement revient à atteindre le il impersonnel, ce

dessaisissement correspond à la ligne de fuite. Le il impersonnel de Blanchot

provoque une « certaine tension du langage ». Cette tension relève de l’événement

et non pas de la personne. Lors du cours de Deleuze, ce Il est un « tenseur » qui

entraîne et « organise » l’ensemble du langage, allant dans un sens de

« dépassement » des pronoms personnels Je, tu, il. Ce Il ne fait pas retour sur un

nom, sur une personne, mais concerne le personnage conceptuel selon Deleuze et

Guattari. Le il impersonnel apparaît sous l’énonciation « je », lorsque Deleuze

évoque par exemple (notamment) ce qu’il entend par parler en philosophie, par

prendre la parole en tant que philosophe.

Parler en son nom propre du thème de la prise de parole, constitue un « acte de

parole » qui comporte son propre « mouvement » de pensée, rendant ainsi

possible l’usage du personnage conceptuel lors du cours.

Le risque et l’improvisation entraînent un ensemble de tensions à la surface des

énoncés. L’émergence du « il » impersonnel organise un jeu entre le centre des

21 M. Blanchot, La part du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 29-30 : Deleuze lit le passage suivant : « Il ne me suffit donc pas d’écrire : Je suis malheureux. Tant que je n’écris rien d’autre, je suis trop près de moi, trop près de mon malheur, pour que ce malheur devienne vraiment le mien sur le mode du langage : je ne suis pas encore vraiment malheureux. Ce n’est qu’à partir du moment où j’en arrive à cette substitution étrange : Il est malheureux, que le langage commence à se constituer en langage malheureux pour moi, à esquisser et à projeter lentement le monde du malheur tel qu’il se réalise en lui. Alors, peut-être je me sentirai en cause […] Kafka […] c’est qu’il s’exprime par cette distance incommensurable, par l’impossibilté où il est de s’y reconnaître. »

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énoncés de Deleuze et la périphérie des auditeurs. Forcément, il faut réajuster le

sens, ne pas creuser trop d’écarts et de distances pour le cours. Dans ces situations

limites du cours, Deleuze se doit de reprendre son cours à un autre niveau en

quelque sorte, ce qu’il ne manque pas de signaler pour reprendre à zéro le cours à

tel moment.

C’est alors que Deleuze peut recourir à l’usage du « je » dans le sens du parler,

du discours. En même temps, cet usage du « je » équivaut à l’usage du « il »

impersonnel. À ce moment du cours, le langage se tend, le sens du parler

s’évapore pour déboucher sur un voir, un voir pour l’auditeur, « ce qu’on vous dit

vient se loger sous ce qu’on vous fait voir ». Ces moments de tensions, préalable à

l’inspiration, relancent le sens éclairent la notion de la disjonction voir-parler.

Au terme d’un cours, l’effet général est celui d’une unité de sens malgré les écarts

de compréhension d’un auditeur à l’autre. Pourtant, ces écarts auront forcé

l’enseignant, par le jeu des tensions, à préciser ses énoncés et ainsi à clarifier ses

propres problèmes de philosophe. L’implicite des énoncés, les béances

topologiques du sens, finalement, auront forcé le philosophe à clarifier ses

problèmes de penseur qu’il pourra reprendre dans l’intermittence de ses écrits et

de ses lectures pour le cours suivant.

Deleuze n’énonce pas le sens des concepts, il le rectifie et le précise par ce jeu

d’écarts des compréhensions de l’auditoire. La réception du sens du concept

comprend la dimension de l’événement, aussi diffus soit-il. L’événement de

pensée se réalise par résonance, ce qui relance le jeu des écarts et des distances

des références et des rubriques évoquées par Deleuze.

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Parler lors du cours, pour enseigner donc, et enseigner à partir de l’émotion

suscitée par le Beau. Hors cette ligne enseignante, il n’y a pas de processus de

pensée philosophique pour Deleuze. La lecture orale d’énoncés constitue le

moment de création de concepts, du moins l’exposition de formulations de la

pensée conceptuelle par Deleuze adressées aux auditeurs.

La notion de la disjonction voir-parler est un procédé cinématographique.

Deleuze, manifestement, organise l’efficace et l’adresse de ses séances à partir de

cet effet oratoire et visuel qui trame son enseignement.

On ne peut qu’aborder un concept, en parler donc, sans jamais pouvoir le

montrer, le définir et d’emblée le faire comprendre. Aborder ou parler d’un

concept équivaut à d’emblée faire problème. En revanche, le problème fait voir le

concept, ce voir est disjoint des propos, de la parole. Deleuze se situe en tenaille

entre dire, aborder le concept, et le montrer, en montant des problèmes. Un

problème de pensée, on ne peut le dire ou le régler, ou alors il n’y a plus de

problème de pensée et de disjonction voir-parler.

Lors de la séance filmée du 18/11/1986, Deleuze aborde le concept de pli,

s’empare d’une feuille de papier et la plie, la replie, non sans quelque effort,

comme chacun de nous l’a déjà fait machinalement, jusqu’à l’épuisement de le

feuille par cet infime travail manuel, pragmatique sobre de l’enseignant, effet

simple et direct exprimant le concept de Leibniz. Les propos peuvent reprendre

leur cours. En cette courte séquence filmée, une expérimentation, un bref

événement a opéré une dimension pragmatique, explicite et non philosophique.

Avec le public cosmopolite de Vincennes, Deleuze observe le déplacement, le

« saut » des « centres intérêts » d’un auditeur à un autre. L’auditoire constitue

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65

ainsi une « texture », formule Deleuze, un rhizome de points d’embrayage pour

son inspiration.

Une image déplie le processus d’enseignement du cours : les paroles du

philosophe sont captées, « enregistrées » par l’auditeur dont le sens émergera

intempestivement. Ne pas comprendre, un désert du sens, sont nécessaires et

indispensables à tout penseur, donc à tout chercheur. Le cours qui est une matière

en mouvement émet une quantité de notions et d’abords conceptuels dont les

« transformations », la maturation exige du temps, donc des écarts de

compréhension, des reports de conclusions ou d’acquis.

Les différents points et rubriques du cours prendront place également « en leur

heure et en leur lieu » : le sens et la compréhension des concepts, les auditeurs les

feront leurs selon un effet retardé, rétroactivement. Le point de vue de l’auditeur

des cours de Deleuze, sur les cours, engage son goût et l’usage qu’il en puisera en

fonction de ses prises de notes. Un entrelacement de notes écrites et de flux parlés

se jalonnent et se relancent à tour de rôle.

La connexion, les rapports, et les allers et retours entre les développements

philosophiques et les points de vue pratiques, pragmatiques, élaborent un jeu, dont

on peut sortir, une toile, un labyrinthe, produisent une séduction pour le penseur

suivant une pensée, de type philosophique, au final, tant pour le philosophe et le

non philosophe. C’est là une production d’immanence, parce que l’espace-temps

d’une séance est directement branchée sur la vie, sur le dehors, à l’extérieur de

l’enseignement à l’Université.

Le régime de répétition et d’hésitation des flux parlés permet au non

philosophe de le suivre malgré sa méconnaissance. Deleuze ne peut tout dire ou

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66

tout développer oralement pendant deux heures trente. Passionné par l’épisode du

propos, l’auditeur tant par son écoute attentive que par sa prise de notes, ou le

goût suscité pour telle lecture, attendra et reprendra la prochaine séance comme

une suite, une continuité de la pensée pourtant élaborée par Deleuze selon le mode

de l’improvisation, en une même séance, par des écarts de compréhension et

l’hétérogénéité des rubriques abordées. La profusion de références, de chemins de

pensée abordés et leurs connexions possibles à d’autres domaines, en une même

séance, laissent parfois à l’auditeur un sentiment de vertige ou d’égarement quant

à l’usage des concepts.

Cette mise en suspens du sens d’un concept en partie seulement entendu

signale au mieux la dimension artistique de la philosophie orale de Deleuze. Dans

le sens kantien, l’art, le beau, ce qui plaît n’a pas de finalité. Un cours se relance

sur le suivant, tout en possédant sa propre unité de style et de plénitude de pensée.

L’effet d’une séance produit sur l’auditeur est un effet esthétique, malgré ses

ombres et son inachèvement.

Le régime du discours indirect libre ouvre sur une dialogique : lire un passage

et en dégager quelques énoncés pour en capter un certain sens, en formuler une

différence de sens décalant et continuant le sens initial du texte, produit par

Deleuze, « producteur davantage qu’auteur ». Il s’agit là d’une exposition orale de

la pensée, un processus de création dans l’instant même auquel l’auditeur, en

quelque sorte déjà davantage qu’auditeur ou spectateur, participe à la pensée en

train de se faire : de cette dimension d’une « pensée vivante », l’auditeur partage

le moment de création.

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67

Un clignotement du sens de la compréhension tient en haleine, nécessite un

prochain rendez-vous, une séduction tombe sur l’auditeur, mais il s’agit bien

d’une pensée enseignée dans les plis de l’art et non pas de coquetterie ou d’effets

de manches de l’orateur. Le cours hebdomadaire, l’oralité donc, davantage que le

livre dont l’usage se mesure à la liberté de tourner les pages, propose des

élaborations de concepts.

La séduction de l’orateur est une séduction artistique, menée par l’enseignant,

qui subjugue l’auditeur. La matière enseignée propose divers abords et points de

vue de notions autour d’un problème, sans prendre parti ni dérouler des

affirmations ou des objections de la part de Deleuze, permettent à l’auditeur de se

faire son propre point de vue. Il s’agit là d’une esthétique (au sens kantien) pleine,

permise à l’auditeur. De cette position neutre de l’enseignant, « imperceptible »,

malgré les accents de tons, au final, à long terme, il reviendra à l’auditeur de se

construire son propre point de vue et les usages possibles qui découlent des

concepts enseignés.

Un premier intérêt naturel, du sentiment de l’auditeur pour tel point du cours,

désintéressé et non conceptuel, au sens de l’esthétique kantienne, est suscité. Cet

intérêt se porte sur le cheminement de la pensée, tel point faisant signe à

l’auditeur, sans aboutissement ou définition conceptuelle, même si le cours

comporte des définitions, lorsque des auteurs classiques de philosophie sont

abordés notamment.

Puis un deuxième intérêt, artistique, par le discours indirect libre et

l’improvisation menés par Deleuze, capte l’auditeur, philosophe ou non

philosophe. L’intérêt artistique provient également des connexions que Deleuze

ou l’auditeur réalisera, annulant les écarts des différents flux, entre tels points des

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68

rubriques. C’est pourquoi la coexistence des matières enseignées abordées et des

points de vue des auditeurs réalisent une virtualité de co-création de pensée

philosophique.

Il est nécessaire que la pensée non philosophique, sans concept donc, captant

par signes une compréhension du concept alimente un sentiment, un affect, un

clignotement de sens, constituant ainsi un gain de vitesse pour la compréhension,

une intuition portant, supportant et permettant la progression des cours, pour

constituer une ressource de pensée pour l’enseignant et son inspiration. Un

concept émet des, et s’envisage par sentiments (affects). Il y a des « sentiments du

concept », ce à partir de quoi le cours peut fonctionner et s’élaborer. Les

sentiments permettent l’affect, une mise en affect des rubriques, l’auditeur suivant

cette trame. L’affect permet au non philosophe de suivre les séances sans gagner

immédiatement la compréhension conceptuelle, philosophique, qu’il obtiendra au

fil de son assiduité.

Si Deleuze « tisse sa toile », son « appareil de capture » à auditeurs, comme il

le signale lors du cours filmé du 18/11/1986, abordant le point de vue avec

Leibniz, cette toile s’inverse, en partie, sous l’effet d’une « double capture », pour

s’adresser aux différents points de vue des auditeurs, tout en leur faisant entendre

la notion de point de vue.

Faire entendre telle notion ou concept, tout en en faisant usage à mesure du

développement du cours, il s’agit bien là de la « pédagogie » de Deleuze, entendre

(comprendre) « le point de vue » et en user au fil de la progression du cours, le

cours s’élaborant et se construisant au fur et à mesure, en quoi réside l’immanence

du cours, et sa pureté.

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69

Les concepts de pli et de dépli, plier et déplier une ligne d’improvisation pour

toucher le non philosophe et poursuivre le cours de philosophie 22. L’oralité

comme dépli, grâce à l’improvisation, du problème de pensée rencontré par

Deleuze au cours de son activité d’écrivain, les cours constituant des plis et des

déplis pour ses écrits.

De la confrontation de la pensée philosophique, celle de Deleuze, avec le

« Dehors » de l’oralité à l’Université, avec les non philosophes. Du besoin pour le

philosophe d’un dehors de la pensée, pour pouvoir penser, c’est-à-dire vérifier

certains concepts ou trouver des clefs à ses problèmes de penseur. Si un concept

n’a d’usage et de sens qu’en fonction d’un problème, et tenir compte de son

évolution et de l’émergence de nouveaux problèmes, c’est par un dehors que se

constitue d’autre part des problèmes réels et pertinents : ce que rencontre Deleuze

à l’Université avec notamment la normalisation et les vagues d’auditeurs

étrangers.

2. Percevoir à la surface

Si une séance enchaîne une suite de rubriques et d’exemples illustrant tel

concept, la trame du cours déroule pour l’auditeur une perception dite de

« surface »23, que permet l’oralité pour s’orienter dans la pensée. Il s’agit de

suivre le sens ou bien de gagner par affinité ou intuition, ou bien encore, plus

simplement par goût, le fil implicite du concept abordé. La surface des propos

produit des effets, ce que Deleuze nomme heccéité, une atmosphère qui libère un

22 Dans G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 153, il est question de la « poésie-philosophie », donc de l’improvisation lors du cours afin de toucher l’ensemble des auditeurs. 23 G. Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, « Dix-huitième série - des trois images de philosophes », pp. 152-158.

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affect, une écoute par affect en laquelle l’auditeur accepte et règlera plus tard,

pour lui-même, « l’autonomie de la surface »24 du sens et des effets des flux parlés

du philosophe. Entre les propos du cours et l’auditeur se joue un rapport sur un

mode du quelconque, une intensité interactive produisant de la singularité

impersonnelle qui ne concerne plus les cadres du sujet et de l’objet. Un auditoire

diversifié libère une pensée naviguant vers des multiplicités, hors les principes

abstraits et permet une expérimentation d’intensités hétérogènes. Ainsi, la

frontière entre le philosophe et le non-philosophe s’amenuise en lâchant le leste de

l’érudition et permet un cheminement du concept.

La séance réalise une expérimentation de type « mineure », ne gagnant pas la

composante « majeur » de l’écrit, la décalque du chapitrage d’un livre.

L’expérience est mineure parce que le philosophe observe le degré d’attention et

d’intérêt de son auditoire pour en capter les « forces non audibles »25, selon le

mode d’un enseignement interactif et artiste. Deleuze alimente ainsi la ligne de

fuite créative de son cours sur le fil d’une inspiration, probable, en fonction de

l’hétérogénéité de son auditoire. Il revient à l’auditeur de suivre le cours tout en

élaborant son propre plan en fonction d’une carte de rubriques déployée par

Deleuze. Cette carte du cours est théâtralisée et s’agence sur le mode de

l’heccéité, de l’affect, par effets de surface donc. Il ne s’agit pas de suivre la

séance avec érudition, avec « hauteur » ou « profondeur » car la ligne du cours est

processuelle et que le sentir accompagne le comprendre. Cette ligne de cours est

une expérimentation du concept, théâtralisée et agencée, tissant à terme un

24 Ibid., p. 157. 25 « Rendre audibles des forces non-audibles par elles-mêmes », 1978, texte repris par D. Lapoujade (dir.) dans Deux régimes de fous, textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003.

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horizon de pensée pour développer et finalement provoquer un mode de

perception.

La philosophie empiriste de Deleuze, liée à sa rencontre avec Guattari, porte

radicalement sur le dégagement et l’activation des processus, et non pas sur la

vérification de principes philosophiques. Une pratique orale de la philosophie

permet de travailler un problème de pensée sur un mode processuel.

La théâtralisation du cours procède par une mise en tension de l’écoute des

propos, une intensité mise en scène par une énonciation lente (le plus souvent),

puis rapide, reprenant les flux de paroles pour ponctuer un point du cours.

Cette variation de l’énonciation, il s’agit de l’entendre musicalement. Elle suscite

un « désir » pour l’agencement des points et des illustrations du cours, « On ne

désire qu’un agencement » en suivant les diverses approches du « paysage », du

« visage » de la séance.

Le paysage d’une séance suppose une carte des rubriques. Cette carte relève

différents profils ou points de vue, différents « cycles restreints »26, les différentes

pièces d’une même machine, dont la variation de l’énonciation permet de relier

entre elles les approches hétérogènes du concept. Exposer oralement un concept

permet cette position de profil du concept à partir de laquelle une expérimentation

est permise.

Ainsi on désire écouter le cours suivant. Les cours de Gilles Deleuze se trament

sur le mode d’une « machine ». Lors de notre prise de notes, avant l’écoute du

cours suivant, nous écrivions systématiquement entre parenthèses ″(Suite)″. Il

s’agissait là d’inscrire pour nous-même une simple balise rassurante, de

26 Ibid., p. 142.

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s’encourager au gré de ces quatre cents heures, tout en percevant, même

faiblement, un usage à venir de notre prise de notes, que nous ne perdions pas au

final notre temps.

Voir et parler ouvre, avec Deleuze, sur la dimension de la politique à partir

d’une certaine pratique de l’énonciation lors de son cours de philosophie. La

disjonction entre voir et parler constitue la dimension même de l’espace-temps du

politique. Parler est un acte, un acte de parole, lorsque les énoncés élaborent les

formules du concept, et branchent sur un voir lors d’une séance.

Lors des cours sur le cinéma, la notion de modernité est abordée par le concept

nietzschéen de renversement des valeurs, que Deleuze applique à la subordination

du mouvement au temps (opérée par Kant en philosophie). Si « l’image-

mouvement » demeure dans le cinéma moderne, précise Deleuze, elle se

subordonne désormais à « l’image-temps directe ». Le cinéma moderne se

singularise par un état de « crise » face à la perte de force ou la rupture de la

sensori-motricité ; les personnages n’agissent plus parce qu’ils sont, avant tout,

saisis, frappés de « voyance ».

Une entrée dans le temps s’opère pour le spectateur de cinéma, par

l’intermédiaire du personnage du film, et pour l’auditeur du cours. En un lieu, un

espace quelconque, l’image moderne du cinéma, celle du néoréalisme italien

notamment, produit une entrée directe dans le temps, ce en quoi consistent ou

s’apparentent les effets retardés de la compréhension lors des cours. La

compréhension retardée tient autant à l’entendement néophyte de l’auditeur

qu’aux sauts et à la variété des rubriques composant la trame du concept.

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Deleuze pratique par la mise en scène de son cours, cette rupture ou du moins

un affaiblissement de la sensori-motricité de l’entendement lors du cours, afin de

constituer des écarts et libérer un affect pour enseigner les concepts. Parler engage

un mouvement continu de propos pour enseigner une histoire classique de la

philosophie, un programme bouclé, une récitation de pensées. L’expérimentation

du cours de Deleuze, au contraire, n’enserre par la pensée en rompant le

mouvement continu d’un discours homogène.

Parmi les concepts de Deleuze, le thème de la voyance constitue une pierre de

touche temporelle et politique parce qu’elle est avant tout nature de l’événement,

silencieux, un axe qui connecte par le « milieu » la schizo-analyse, le fond de

l’inspiration poétique, artistique. Voir, dans le sens d’un événement, avoir vu

quelque chose, implique l’intensité comme vecteur de l’affect, avoir perçu

quelque chose, une image. Pour Deleuze reprenant le premier chapitre de Matière

et mémoire de Bergson27, nous sommes nous-même une image, « notre cerveau

est déjà une image ». L’effet interactif, pour l’auditeur, au sens fort, subjugue,

parce que nous nous situons au cœur de l’expérimentation de la séance. Ce champ

de l’immanence se situe dans la salle préfabriquée, « chacun y est », poursuit

Deleuze, installant l’auditeur dans la puissance de l’impersonnel.

« Le peuple de vos atomes », invoque-t-il, nous fait signe, nous évoque « Le

peuple manque » de Paul Klee, la suite du cours abordant l’événement provoqué

par l’image, « l’Image-temps » et sa dimension politique. Lors d’un cours

précédent, brièvement mais de façon éclairante pour la compréhension, Deleuze

adresse un autre signe politique lorsqu’il aborde le rapport « infini » du

27 Lors du cours du 23/11/1982, Deleuze énonce une définition de « l’universelle variation, ou plan d’immanence : ensemble infini d’images qui varient les unes en fonction des autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties ».

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schizophrène à son espace-temps, par la relative identité entre les notions de

profondeur de champs et de planitude de l’image.

Avec aussi bien l’image cinématographique que les énonciations du

philosophe, l’intensité d’une énonciation qui fait voir, résulte de la rencontre, du

choc produit entre deux images, à partir de quoi du « temps à l’état pur » nous

capture et devenons intérieurs à cette saisie temporelle. Rappelons que pour

Deleuze, « un cours, c’est quelque chose de pur »28. Cette intrusion du temps à

l’état pur révèle une dimension politique, à tel moment.

Si la vision fait rupture avec le mouvement et l’action, la perception de

l’auditeur également, captivé par le propos, ouvre un écart de nature politique,

parce qu’il perçoit « de loin », à l’horizon, ce qui lui parle, pressentant par goût tel

énoncé. Il ne s’agit plus précisément de parler, de se laisser aller à parler, de

discuter. Cet écart entre une image pensée à tel moment du cours, et une autre,

produit pour l’entendement une distance et une « ligne de fuite » orientant une

connexion probable, encore virtuelle (et donc réelle pour Deleuze), non actualisée,

entre deux idées.

Se déterritorialiser, se tenir sur le bord, lorsqu’une perception capte et se

double d’une affection, lorsque se produit une rencontre optique et sonore pure :

le choc provoqué par une « vision ». La perception et l’épreuve d’une étrangeté,

d’une limite, telles que Deleuze les perçoit dans le cinéma néoréaliste italien de

Rossellini et Visconti29, nous porte dans la dimension politique avec des images

28 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « P comme Professeur ». 29 Lors du cours du 17/01/1984, Deleuze se réfère notamment à R. Rossellini et les scènes de ″la pêche au thon ″ de Stromboli, de ″la sortie de l’usine des ouvriers″ d’Europe 51, et à L. Visconti avec ″l’arrivée à la gare de Milan″ dans Rocco et ses frères, ou encore à ″l’arrivée dans l’auberge″ dans Ossesionne.

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illustrant l’étrangeté du passage d’un territoire à un autre, donc de la politique à

partir de l’événement, tel que le conçoit le philosophe.

Assister à une scène, percevoir une chose, une image renvoie d’emblée à

l’image même de notre appareil de perception, notre cerveau étant lui-même une

image. Se faire une image de, tout comme se parler à soi-même lorsque qu’il

s’agit de se remémorer un événement passé, c’est se connecter sur la dimension

du On et du Il de l’impersonnel.

Percevoir à l’horizon, tout d’abord, pour ensuite progressivement,

graduellement revenir à sa position personnelle, tout comme il s’agit

d’expérimenter avec la pensée, mais sous condition de prudence, ne manque

d’avertir Deleuze, élabore la perception politique du philosophe. Cette perception

est celle dont il use lors de son enseignement dans « l’espace quelconque » du

préfabriqué, en marge de l’Université.

Lorsque Deleuze aborde la notion d’image pour la conceptualiser, la connexion

au politique est comme d’emblée présupposée. Penser l’image trouve formule et

concept par le politique. L’image, par intensité, précède et en même temps gagne

la perception politique d’une situation, d’un événement. Lors des cours,

conceptualiser métaphysiquement la notion d’image, avec Bergson puis les

auteurs de cinéma, précède lors d’une même séance un point qui aborde

explicitement cette question de la perception politique.

À compter du transfert de l’Université de Paris 8, la capture, acte artistique, se

réalise davantage avec le voir (période Saint-Denis), à la suite du parler (période

Vincennes et les lendemains du Devenir 68). Le devenir de la pensée de Deleuze

passe nécessairement par le voir et ses concepts sur l’image parce que les

lendemains de Mai 68 reposaient sur le essentiellement sur le parler. Deleuze doit

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donc mener une disjonction lors de son cours de philosophie, des écarts de la

pensée à effets retardés pour permettre une pensée et des concepts sur l’image ; il

n’écrit plus avec Guattari.

Ce voir qui permet un devenir de la pensée philosophique se gagne avec les

auditeurs libres ou spécialistes de philosophie, les non philosophes, les auditeurs

artistes et les références aux images cinématographiques.

La dimension politique s’accorde avec la notion de frontières, lorsque sans

cesse déplacées, s’agissant du déplacement de l’Indien d’Amérique, du

Palestinien, de l’auditeur libre, l’étranger à la philosophie, celui qui n’a plus de

terre et de droits, renvoyé au double ressort du capitalisme dont les deux

caractères sont l’état d’esclavage et l’infini report des limites que le capitalisme

pourtant se fixe. Sur ce point, Deleuze se réfère à Karl Marx et Leslie Fiedler. Ce

qui traduit une absence de décision, dans le sens où la décision participe à la

nature du politique.

Pourtant, pour Deleuze, lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de territoire, la

frontière et les rapports entre un appareil d’Etat et une machine de guerre posent

un problème qui peut s’illustrer avec le personnage de l’esclave affranchi. Le

concept de l’esclave affranchi, autrement dit « l’homme de la plainte », illustre le

registre d’un nouveau type de pouvoir, situé à mi-chemin entre les rapports du

pouvoir public et du pouvoir privé.

Dans Naissance de l’élégie chinoise30, le poète K’iu Yuan est l’esclave

affranchi, non opprimé, ni emprisonné ni banni, l’homme de la plainte pure qui se

sent et se vit comme doublement exclu.

30 F. Tökei, Naissance de l’élégie chinoise, Paris, Gallimard, 1967.

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Cette référence de Deleuze à l’élégie, à la poésie, illustre la tension et l’écart

qui se jouent entre l’état de l’auditeur non-philosophe, porté vers l’appréhension

des concepts et des idées agencés lors du cours, et aussi bien pour le philosophe

de formation vers une appréhension non philosophique des cas et des problèmes

que Deleuze développe. Pour Deleuze, le philosophe et le non-philosophe

constituent deux qualités qu’il s’agit d’adopter, d’échanger sur un mode égal, lors

et hors du cours également. Ce en quoi la philosophie engage un mode de vie.

À ces deux modes d’appréhension, de rapport à la philosophie, correspondent

les deux types appareil et machine. Suivre le cours de philosophie et l’agencer,

c’est se positionner — Deleuze comme l’auditeur — dans une oscillation allant

d’un état de type appareil, lorsqu’il y a acquis, compréhension directe, rappel de

points précédents, au mode de perception du cours se branchant sur une écoute de

type machine. Suivre alors les propos sur un mode veille, comme dans rêve

éveillé, tel que le préconise Deleuze, les effets retardés de la compréhension,

agencés par Deleuze lui-même, demeurent probables. L’effet retardé de la

compréhension, témoignant d’un non savoir, d’une ignorance, serait le signe de la

production d’un concept, lorsque que le concept correspond avec une œuvre d’art,

avec les fonctions de la science. Tout comme une correspondance épistolière

implique des étapes, nécessite du temps et mobilise de l’affect, un concept agencé

et exposé oralement mobilise un affect. Il y a un affect du concept, sans lequel il

ne peut y avoir de philosophie, soutient Deleuze. L’auditeur libre, le non-

philosophe se portent donc comme les garants de la philosophie pour le cours. Si

la fonction du cours est de vérifier les suites logiques des futurs chapitres des

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livres, l’auditeur non-philosophe constitue l’élément singulier indispensable à la

philosophie de Deleuze.

À la suite de l’intervention des auditeurs lançant des objections, Deleuze

oriente ses propos dans le sens de ce qu’il entend par parler, en philosophie,

rappelant à l’occasion que : « C’est lorsqu’on a perdu les certitudes que l’on peut

dire quelque chose. » Ce dire est un dire philosophique dans la mesure où un

mode sensible philosophique trame les concepts. La matière et le sens

philosophiques, le concept, seraient impossibles à dire, dans le cadre de la parole,

du discours, sans la dimension de l’affect.

L’appréhension non-philosophique du cours constitue une ligne de fuite pour

l’auditeur, alimente ses propres domaines, ses recherches, et participe à la fois à la

ligne de fuite, à l’inspiration de Deleuze. Cette interaction processuelle,

immanente, brouille ou relance les limites entre le public et le privé, tant pour les

statuts de l’enseignement, les rapports entre les diverses disciplines, les différentes

formations sociales, les ordres institués de l’Université, les rapports ente l’auteur

et son oeuvre. Décoder puis coder pour soi-même les flux de paroles du

philosophe, ou décoder pour ensuite coder le degré d’écoute, d’attention et de

compréhension des auditeurs, trament le processus, les lignes de fuite des séances.

L’esclave affranchi de La naissance de l’élégie chinoise constitue le personnage

conceptuel qui incarne les rapports oscillants de la sphère du public à celle du

privé.

À l’époque des Principautés combattantes en Chine (403-221 avant notre ère),

les réformes orientent l’évolution du despotisme patriarcal vers le

perfectionnement et la création d’un premier et véritable État : le mandarinat

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chinois assure une stabilité sociale soumise au bureaucratisme d’État 31.

L’aristocratie urbaine, opposée au despotisme du patriarcat, favorise l’action des

philosophes32. Le poète K’iu Yuan est un conseiller dévoué et loyal du roi, le

prince lui a confié la rédaction les lois. Il s’évertue à tenir à distance le pouvoir de

l’aristocratie, dont il provient. Calomnié, disgracié, éloigné de la cour, puis exilé,

le poète pourtant n’aura cessé d’œuvrer à l’hégémonie panchinoise.

Le concept de l’esclave affranchi implique un affect. L’affect passe par un art :

la plainte du poète, une élégie. D’une part, la vitesse la lenteur de l’énonciation de

Deleuze, fait signe pour ce qui va de soi, ou bien lorsque le philosophe ne parle

pas en son nom, à l’inverse, la lenteur signale ce qui pose problème. D’autre part,

la tonalité d’une voix haute, aigüe, traduit une tonalité satyre, cynique, ou une

distance marquant une position en surplomb, un profil à l’égard d’un

développement nécessaire mais qui ne concerne pas l’affect requis du concept. La

voix grave, rocailleuse du philosophe correspond à une tonalité élégiaque de

l’énonciation. Selon Ferenc Tokeï, l’élégie résulte d’une élévation de l’idéal par

rapport à la réalité, mais cet idéal est introuvable, représenté comme disparu.

Tökei puise sa Contribution à la théorie de l’élégie dans La poésie naïve et la

poésie sentimentale de Schiller. La puissance et la force de l’élégie est le produit

d’une tension entre son aspiration à se transformer en poésie épique d’une part, et

sa résistance à l’attraction de la poésie lyrique. Il s’agit bien là du jeu d’une

capture et d’une tendance : « Dans certaines conditions, la lutte pour la vision

31 Ibid., p. 118. 32 Ibid., p. 121.

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épique réussit dans une certaine mesure : le poème se situe alors entre le genre

épique et le genre lyrique »33.

L’élégie est donc un genre intermédiaire qui comprend toujours un « raté » de

la tendance à la vision épique, sans pour autant se défaire de cette vision. Ce genre

littéraire a pour nature de contenir en germe la dimension épique.

La disjonction entre le dire et le voir situe la tonalité élégiaque du cours de

Deleuze. La progression du cours se déroule sur un mode élégiaque, théâtralisé.

Selon le philosophe, on doit écrire pour, dans le sens de « à la place de », à la

place du non-philosophe et pour lui, or le cours permet cette adresse directe de la

pensée philosophique au non-philosophe, avant la rédaction finalisée des

chapitres.

Énoncer détient un « primat » par rapport au « faire voir » de l’énoncé34,

cependant, l’image produite par tel énoncé du cours comporte sa propre

autonomie vis-à-vis de l’énoncé. La perception ou le voir conduits par tels propos

correspondent à tel énoncé, mais s’en disjoignent par effet retardé, de façon

intempestive, avec « passion »35 aussi.

La tonalité élégiaque du cours de Deleuze, en tension entre le dire et le faire

voir du dire œuvre à la précision de la vision, progressant par hésitation et reprise

des propos. L’énonciation procède par tâtonnements et par seuils vers la

compréhension que Deleuze évalue collectivement.

Deleuze invoque son goût pour la théorie du marginalisme selon laquelle

l’utilité du dernier objet détermine la valeur d’une série d’objets. Une fois

franchie la limite constituée par le dernier objet, un seuil ou une intensité étant

33 Ibid., p. 199. 34 G. Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986, p. 57. 35 Ibid., p. 57.

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franchis, la série des objets et leur agencement change de nature, de dimension et

de valeur pour devenir un tout autre agencement.

L’objet peut être un mot, un énoncé, le sens d’une notion pressentie. Explorer

les seuils équivaut à expérimenter, mais avec la prudence requise, afin de tenir un

tracé conceptuel, pour en préserver les abords sensibles, perceptibles.

Si parler pour Deleuze équivaut à communiquer, séduire, et à imposer une

parole de maître, l’usage pour le cours du marginalisme, permet le recours à

l’autre partie de l’agencement de l’enseignement à double audition tel qu’il le

conçoit. Un agencement possède toujours deux faces ou aspects asymétriques :

une part machinique, les rubriques et les points, et une autre énonciative,

sémiotique. Aux passages d’une face à l’autre de l’agencement, Deleuze observe

et sans doute anticipe (lors de la préparation du cours et sur le vif de la séance)

les moments, les seuils à partir desquels il doit passer d’une audition à l’autre, ou

changer de rubrique, ralentir son propos, éclaircir tel point, lancer ou modérer son

improvisation.

Cette perception de l’enseignant suppose un changement de tonalité des

propos, dont la variation, comme il précise, nécessite un « enthousiasme » et de la

préparation. La tonalité lyrique des propos d’une séance rencontre ses limites

parce qu’elle se confronte à un auditoire hétérogène, pour ensuite se reprendre et

se relancer un mode épique, l’énonciation demeurant avant tout collective, à

double audition. Les auditeurs philosophes et non-philosophes échangent leur

position, leur perte et leur gain de sens et de compréhension.

Le philosophe se faisant non-philosophe et inversement, le non-philosophe

percevant en ressentant autant que le philosophe, l’espace et le temps d’une

séance, d’une rubrique ou d’un point, constituent des « interstices », des « re-

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82

enchaînements » éclairant Deleuze sur la valeur la teneur et la portée de ses

concepts. Il s’agit ainsi repousser les limites et la clôture du sens, d’élargir les

directions d’un concept, de porter plus loin une perception.

3. Le discours indirect libre

L’énoncé emprunté à Paul Klee : Le peuple manque, Deleuze le scande

d’emblée bien souvent lors de ses développements afférents au politique.

Néanmoins, « De quoi un corps est-il capable ? », avec Spinoza scande-t-il

également, en poursuivant l’énoncé de Spinoza par les formules : « Donnez-moi

un corps ! », ou « Donnez-moi un cerveau ! ». Un énoncé possède une valeur

rythmique à partir de laquelle Deleuze enchaîne son discours indirect libre, entre

en rapport de forces avec l’auditoire.

On produit, il (se) produit, à travers le mode impersonnel de la quatrième

personne du singulier, un discours indirect libre, ou mieux une image, une

voyance, un affect, qui établissent un rapport de forces entre l’énoncé et

l’auditoire, substituant ainsi le manque de peuple. Le discours indirect libre

dépersonnalise la parole pour la transformer en image, que l’auditeur s’approprie.

Au concept d’un peuple manquant, disparu ou absent, se noue les conceptions

de l’œuvre à faire et celle d’auteur. Les cours enregistrés constituent les

séquences d’une archive audio-visuelle, l’audio et le visuel étant disjoints.

La disparition est un processus, un seuil franchi qui engage un autre processus

pour le contrer, entrepris par Deleuze lorsqu’il énonce le peuple manque. Il s’agit

alors du recours au discours indirect libre, ou bien de prendre une situation de la

vie quotidienne. Confronté à l’auditoire autant philosophe que non philosophe,

Page 83: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

83

Deleuze se charge lui-même des plaintes silencieuses et des objections que l’on

pourrait lui adresser, ce qui constitue un autre mode du discours indirect libre,

cette fois-ci quelconque, anonyme. Cette prise en charge donne rythme et tonalité

aux propos. Deleuze est en permanence confronté à trois ensembles d’auditeurs :

philosophes, non-philosophes et objecteurs. Il s’efforce de parvenir à une

coexistence des différentes compositions de son auditoire. Avec cette coexistence

se trame le processus du cours, la ligne du concept, les auditeurs davantage

assujettis au cours qu’asservis par les propos. Cette confrontation à différents

ensembles d’auditeurs relance le propos par des écarts, produit une tension qui

remise l’angle d’approche et favorise ou provoque l’inspiration. Tant pour le

philosophe que pour les auditeurs, il y a bien un usage, un rapport de surface avec

points des séances parce que des dégagements du propos opèrent, organisés par

Deleuze. Le philosophe conjure et anticipe en même temps cette coexistence

d’auditeurs, son évolution. Il procède à une évaluation collective des auditeurs

constituants autant d’appareils en fonction desquels Deleuze conduit la machine

du cours.

Un cours « réussi » présente d’une part, une unité parachevant la somme des

doubles auditions, la prise en charge des objections, et d’autre part, comporte une

suite pour l’évolution de la séance prochaine. Deleuze œuvre à la coexistence

d’une double audition, sur un mode artistique donc, correspondant à la

« conciliation tragique36 » entre Apollon et Dionysos, du philosophe au non-

philosophe, pour une pratique artistique de sa pensée. La belle forme du logos

d’un discours parlé ou écrit, rencontre les puissances métamorphosantes de la

musique, celle du cours.

36 Nietzsche, Naissance de la tragédie, Premier paragraphe. Texte repris par Deleuze dans les Extraits de Nietzsche, Paris, PUF, 1965, p. 62.

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Cette musique du cours est produite par le contraste de la double audition des

concepts, pour une même affirmation du concept. Il s’agit là d’un effet esthétique

qui subjugue et captive l’auditeur, dans le sens de l’analyse du Sublime de Kant. Il

ne s’agit pas de se convertir en philosophe, c’est-à-dire en ami de la sagesse,

l’auditeur non-philosophe demeure un Sage, un personnage qui participe à « l’acte

du concept »37. Un acte du concept s’entend par son usage davantage que par son

compte rendu.

Le cours subjugue en vertu de sa gaieté entretenue par les écarts creusés par la

double audition du cours. Le héros de la tragédie est avant tout gai38 : sa gaieté

l’emporte au final sur le caractère tragique. Ne pas comprendre telle partie du

cours revient à considérer la patience comme une vertu joyeuse, une charge

intempestive que signale Deleuze par un « Vous comprendrez plus tard, laissez-

vous aller ».

Le caractère intempestif de la compréhension et de l’usage du concept suscite

un rapport de forces sobre, en fonction du jeu de l’alternance des différents degrés

d’audition, des tonalités conduites par Deleuze. La « pureté » du cours repose sur

la suite des rubriques et des points ponctués par leur intervalle. La trame du cours

se dépouille d’un discours linéaire pour gagner une pensée immanente aux forces

vives de l’auditoire. Le croisement des doubles auditions conjure la confrontation

à l’érudition et à l’ignorance des connaissances philosophiques. La répétition

régulière du va-et-vient d’une audition à l’autre trame peu à peu des empiètements

de l’une sur l’autre, dans les deux sens. Une écoute s’élabore sur le mode de l’art

du tisserand qui est un des paradigmes de l’art du politique chez Platon. Le

partage de la double audition demeure ouvert aux « déterritorialisations », sans

37 G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, op, cit., p. 10. 38 G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1962, pp. 19-20.

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85

limites ni exclusion. Hors du domaine de sa formation, de ses compétences,

l’auditeur confronté à une autre discipline manifeste à tel moment un intérêt, un

goût, un étonnement bref, faisant signe, dont Deleuze captera l’intensité. Un

court-circuit de la compréhension occasionne une mise en affect, une entrée dans

le cheminement du concept pour l’auditeur. Il s’agit là de micro-voyances à partir

desquelles, inspiré, le philosophe entre pour son compte dans le lancement ou du

moins dans la tentative d’une ligne de fuite pour sa pensée. Sur ce point, Deleuze

rejoint alors ce qu’il entend par perception politique, pour lui-même, sur un mode

dit mineur, invoquant par suite telle référence littéraire ou bien telle question

concernant la question du territoire. Le passage de l’état de philosophe à celui de

non philosophe, et inversement, traduit le passage d’un état de manque à un état

d’invention, de création. L’auditoire cosmopolite constitue un échantillon réel

pour le cours rêvé par Deleuze. S’inventer par soi-même, pour soi-même, en être

observé, capté en « flagrant délit » de légender, de fabuler39, en état de micro-

délire », c’est ce que perçoit, guette et suscite Deleuze, tant lors de l’intensité d’un

cours ou selon une assiduité persistante ou nouvelle, d’une série d’attitudes ou de

postures individuelles ou collectives de l’auditoire.

Cette attente de la bonne attitude ou posture de l’auditeur correspond au mode

de la double capture illustrée par le paradigme de la double capture de la guêpe et

l’orchidée : l’auditeur absorbe les propos et en sélectionne ou en retient certains

pour les agencer par la suite, tandis que le professeur assène ses rubriques de son

mieux afin de capter un intérêt, un goût suscités. Cette posture générale de

guetteur de signes correspond au mode intempestif de la pensée ; une tâche, une

pratique que Nietzsche assigne au philosophe de l’avenir. Ni historique ni

éternelle, telle idée parlée est reprise par le philosophe « contre le temps » de la

39 Se référer notamment au cours enregistrés de l’année intitulée Pensée et cinéma, 1985.

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réification et de l’idéalisation. L’idée se confronte à la temporalité de

l’événement, en une série de contretemps produisant l’errance de l’affect.

Selon la logique d’une pratique du concept enseigné, donc expérimenté,

Deleuze ne manquera pas d’observer les ruptures et les déplacements de

compréhension ou d’intérêts, à tel moment, en fonction des différents groupes

d’auditeurs. Un affaiblissement ou une faille de la compréhension signalera une

perte de force, de rapport au sens, une faille d’enchaînement rationnel, confrontera

alors Deleuze à relancer, improviser et illustrer son propos, à trouver l’exemple

propice, le « pénultième ».

Une découpe transversale des flux de paroles permet de relier les exemples, les

points et les rubriques. Cette connexion des propos reflue sur les abords

conceptuels en faisant décoller l’énoncé de (son) l’énonciation. La trame du cours

se compose de coupures de sens, a priori irrationnelles, à l’égard d’un discours

linéaire parce que justement opèrent des enchaînements de points conceptuels en

fonction de la perception de Deleuze des degrés d’intérêts et de goûts variants

d’un groupe d’auditeurs à un autre.

Les reprises conceptuelles selon différents angles sont immanentes à la

composition de l’auditoire. Cette expérimentation à haute voix de la pensée

précède les livres où l’on retrouve l’ensemble des points et les rubriques parlés. Si

l’agencement des livres de Deleuze diffère de celui de ses cours, le cours est

davantage qu’un brouillon de tel chapitre dans la mesure où la pensée parlée

vérifie, c’est-à-dire expérimente une traduction des différents points de vue des

auditeurs lors du cours.

La pragmatique des séances consiste en une remise en jeu des usages possibles

du concept, rendus possibles par l’enregistrement sonore et l’archivage. Le cours

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87

enregistré témoigne d’un mode et d’un style d’enseignement de la philosophie qui

ne consiste pas à produire pour produire un enseignement, l’usage du concept

légifère, constitue la valeur de cet apprentissage. La recherche universitaire et

l’usage des concepts qui conditionnent le mode et les rapports de production du

cours reposent sur l’auditeur libre. Celui-ci, en garantissant la ligne de fuite

possible du cours, par affect du concept, creuse et connecte un rapport entre un

savoir centralisé, un ensemble de notions philosophiques admises, organisant et

maintenant des cercles majeurs de pouvoir, et un savoir non moins intelligible,

périphérique, mineur, marginal. Le schéma des rapports entre un état majeur et un

état mineur des savoirs, dans le domaine de la culture en général, correspond aux

rapports de sous-traitance qui caractérisent et fondent le capitalisme mondialisé

selon Deleuze. Lorsque qu’une pratique quelconque, anonyme, un travail

souterrain, équivaut à une activité reconnue, statufiée, faisant autorité, émerge la

question du devenir pour l’auditeur, un devenir auditeur, qui permet d’entendre le

cours mené par Deleuze. S’assujettir à l’écoute du cours engage, selon les invites

de Deleuze et le régime de la double audition, à suivre par affect le fil du concept

et non pas chercher à comprendre d’emblée, à forcer pour clore le sens des propos

à l’issue d’une séance. L’état « sous-traité » concerne l’auditeur, l’étudiant,

l’enseignant, le chargé de cours, dans la mesure où la structure universitaire fait

barrage à l’enseignement transversal entre les différentes disciplines. Le cours de

Deleuze au contraire usant de la double audition, incite à faire résonner les notions

et les matières scientifiques, artistiques et politiques avec les concepts

philosophiques. Le cours de Deleuze anticipe et conjure en même temps le

système de sous-traitance, de spécialisation et d’exclusion des connaissances et

des savoirs. Une connaissance, un point du cours ne se déprécient pas, car loin

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d’être sous-traités, refluent, se connectent et participent à la progression de la

séance à tel moment : la notion de reflux, faisant processus fait barrage au système

de la sous-traitance, telle idée, tel exemple valent sur un mode réversible parce

que le cours procède d’une « matière en mouvement ».

La matière en mouvement du cours détourne la spécialisation d’une discipline,

et permet à l’auditeur d’élaborer pour son propre compte une culture diversifiée

des notions et des concepts philosophiques. Penser nécessite une surface

d’inscription pour la pensée, un espace, un réceptacle, une parcelle de terre

cultivable. Penser produit, la pensée est une production qui émerge selon un

certain mode. Le cours constitue pour Deleuze et les auditeurs une terre, un

terrain à partir duquel, en fonction des espace-temps des divers matériaux abordés,

il s’agit de creuser dans la matière en mouvement du cours, d’y «faire son trou ».

« Faire des trous dans le cours » nécessite de la durée, des écarts, des béances de

sens et de compréhension afin de « nomadiser », tel que Deleuze entend ce

concept. « Tenir la steppe », endurer l’affect du cours afin de consacrer le temps

nécessaire au forage, au sondage du matériau philosophique, avant de trouver les

résonances conceptuelles qui importent, font signe et connectent vers d’autres

champs. Ce temps nécessaire aux résonances entre différentes idées ou disciplines

est rendu possible par l’oralité.

Le régime des énoncés oscillant entre l’hésitation et l’affirmation, constitue une

carte du cours, une surface tantôt chargée de notions précises et codées permettant

les enchaînements logiques, tantôt ouverte et disponible pour les bifurcations et

les connexions de sens et d’idées.

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DEUXIÈME PARTIE

Autour de l’écart creusé par l’enseignement de Deleuze vis-à-vis de la philosophie universitaire

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Chapitre I L’enseignement à Vincennes

1. Philosophie mineure

« Dans les années 66, 67, Gilles Deleuze enseignait à la faculté de Lyon, et en tant qu’étudiant, je l’écoutais au moins une fois par semaine. Compte tenu du succès de son cours magistral on lui avait attribué une sorte d’immense hangar désaffecté, bien plus grand qu’un amphithéâtre, à deux pas des bâtiments universitaires. Il arrivait avec ponctualité, les deux mains glissées dans les poches de son manteau gris, fendant la foule étudiante, bruissante, nombreuse, jusqu’à l’estrade sommairement installée. D’abord, il marchait de long en large, tête penchée en avant, fumant beaucoup, toussant déjà par de longues quintes déchirantes, puis le silence total se faisait et il prenait la parole. »40

L’article de Pierre Péju précise l’empreinte déjà visible, de l’œuvre écrite

présente et à venir, entrelacée à la posture de Deleuze enseignant vis-à-vis de sa

pensée de la minorité, avant Mai 68, la rencontre avec Félix Guattari et son

enseignement à Vincennes. Enseigner la philosophie sur un mode mineur revient à

permettre à l’étudiant d’élaborer lui-même les « passages souterrains et aériens »

entre les idées41. À Lyon, le philosophe ne semble pas être un enseignant

enthousiaste malgré la foule étudiante et un espace quelconque pour enseigner, en

marge de l’université comme à Vincennes : un grand « hangar » et un micro avec

lequel il « convoque » les étudiants à la fin du cours pour aller discuter au café.

Pierre Péju, étudiant de Deleuze, recueille ses conseils, recevra une lettre du

philosophe, le croise un soir d’hiver dans une modeste cinémathèque de « quartier

totalement excentré », qui déjà : « incarnait l’ouverture, l’air frais d’arrière-cour,

car il installait, au cœur même de l’érudition et du plaisir de savoir, des torsions,

40 P. Péju, « Passages de Gilles Deleuze » in La Quinzaine littéraire, n° 686, 1er-15 février 1996, p. 17. 41 Ibid., p. 17.

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91

des renversements de perspective, des dispositifs inédits. Mais surtout on admirait

chez lui cette faculté singulière de fabriquer des concepts. Une certaine intonation

ou une singulière insistance, un souffle contribuaient à faire d’un simple mot un

concept excitant […] »42. Quelques années plus tard à Vincennes, Deleuze

« inventait un autre régime de parole »43, formule Pierre Péju. Jean-François

Lyotard, collègue de Deleuze à Vincennes, estime le « génie » de Deleuze

enseignant, que « l’institution effarouchait »44.

Il y a les affirmations de Deleuze lors du cours, du style : « Mais attendez donc,

vous comprendrez plus tard ! », ou bien : « Nous sommes proches de beaucoup de

choses et de beaucoup de répétitions décisives et de beaucoup de changements »45

qui ponctue un entretien précédant l’événement Mai 68. Ces formules traduisent

une pensée du devenir et de l’intervalle, de « l’écart extrême »46. Le ton et le

mode prophétique nietzschéen de la philosophie de Deleuze valent et procèdent

aussi bien pour l’immanence de l’élaboration de son cours et de ses livres que

pour la situation de l’enseignement de la philosophie à l’université, de Vincennes

au déménagement forcé vers Saint-Denis.

L’université de Vincennes est une institution d’avant-garde mise sur pied dans

le prolongement de l’événement Mai 68. Paris 8 se donne comme mission

d’élaborer une nouvelle pédagogie et de nouveaux contenus d’enseignement à

42 Ibid., p. 18. 43 Ibid., p. 18. 44 Jean-François Lyotard, « Il était la bibliothèque de Babel », in Libération, 7 novembre 1995, p. 37 : « Il [Deleuze] avait l’ingéniosité rieuse et généreuse du génie. J’ai toujours pensé qu’il était l’un des deux génies de notre génération philosophique. Il n’a jamais rien fait pour faire reconnaître sa grandeur, ne croyant qu’au petit. L’institution l’effarouchait, les projets collectifs, les appareils Il savait qu’ils ne marchaient que détraqués. » 45 G. Deleuze, « Sur Nietzsche et l’image de la pensée », entretien avec J-N Vuarnet in Les Lettres françaises, n° 1223, repris dans L’île déserte et autres textes, p. 197. 46 M. Foucault, « Ariane s’est pendue », in Le Nouvel Observateur, n° 229, 31 mars - 6 avril 1969, article repris in Dits et écrits I, 1954-1975, Gallimard, 2001, p. 797.

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92

partir de différentes disciplines, afin de fournir aux auditeurs des usages de

théories et de pratiques, à la faveur d’une ouverture élargie sur le monde. Le cours

de Deleuze à Vincennes, d’emblée, se dote d’un auditoire davantage hétérogène,

cosmopolite, extérieur au monde étudiant traditionnel par rapport aux autres

départements de l’université de Paris 8, précise Deleuze dans L’Abécédaire. Sur

cet aspect, un renversement s’opère par rapport à la segmentation traditionnelle du

public universitaire. Un objectif des missions de Vincennes est atteint au

lendemain de Mai 6847.

La pratique de l’enseignement de la philosophie de Deleuze est explicitement

et manifestement en phase avec les lignes et les desseins du projet de l’Université

expérimentale de Vincennes engagés par Edgar Faure48. La loi d’orientation de

l’enseignement supérieur suppose la pluridisciplinarité, le contrôle et la notation

continues à Vincennes, et l’association des lettres, des arts, du droit, des sciences

et des techniques. E. Faure souhaitait la création d’autres centres universitaires

expérimentaux, en province, chacun doté d’une vocation dominante.

« La voie choisie, celle d’une expérimentation préalable très libre et très ouverte pendant une brève période, est celle-là même qui a présidé à la mise en route des instituts universitaires de technologie dont il est permis d’affirmer qu’elle s’est révélée une opération

47 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », in Histoire de l’éducation, n°77, janvier 1998, p. 47 : « En réponse aux critiques faites en mai 1968 à l’université traditionnelle, l’université de Vincennes avait à la fois l’ambition de mettre sur pied une nouvelle forme de pédagogie, d’enseigner de nouveaux contenus, de développer la pluridisciplinarité et l’ouverture sur le monde, de favoriser l’intervention des usagers et, enfin, de s’ouvrir aux salariés comme aux non-bacheliers. » 48 G. Deleuze, « En quoi la philosophie peut servir à des mathématiciens ou même à des musiciens — même et surtout quand elle ne parle pas de musique ou de mathématiques », in Vincennes ou le désir d’apprendre, collectif, Paris, Alain Moreau, 1979, repris in Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003, p. 153-154 : « Même si l’on s’en tenait au projet de la réforme de l’enseignement supérieur — instaurer des universités concurrentielles à l’américaine — il faudrait, non pas supprimer Vincennes, mais en créer trois ou quatre. Notamment un Vincennes-sciences, avec cette méthode d’enseignement, serait indispensable (beaucoup d’entre nous pourraient y aller comme auditeurs). »

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93

satisfaisante. »49 (p. 20). À ces fins, « un esprit de polyvalence dans chaque département » est requis ainsi que « la possibilité d’obtenir dès la fin du premier cycle un diplôme utilisable et enfin une adaptation constante aux besoins du monde extérieur. » « […] le département consacré aux arts, en dehors des enseignements de type traditionnel, comprendra une ouverture très précise sur les activités contemporaines. » « […] Des possibilités seront offertes aux étudiants qui voudront dès la fin du premier cycle exercer une activité. Par différence avec l’actuel premier cycle des facultés des lettres et sciences humaines trop spécialisées en disciplines correspondant essentiellement aux branches de l’enseignement secondaire, et qui ne menait, en fait, qu’à la préparation d’un second cycle, lui-même axé sur l’enseignement ou la recherche, les mesures envisagées permettront aux étudiants de s’orienter vers la vie active au bout de deux ans. » […] (p. 20). « il y a lieu de considérer que les disciplines enseignées à Vincennes ne doivent pas mener d’abord aux carrières de l’enseignement, mais préparer les étudiants à leur insertion dans le monde économique, en soulignant la nécessité d’une mise à jour régulière des connaissances. » (pp. 20-21). « […] et si, comme on peut l’espérer, cette expérience réussit, il sera souhaitable de l’étendre à des établissements déjà existants. » (p. 21).

Foucault, responsable du département de philosophie, recherche un équilibre

entre les influences politiques — maoïstes, trotskystes, communistes — pour le

recrutement des enseignants. En 1970, Olivier Guichard succède à Edgar Faure et

supprime l’habilitation nationale des diplômes de philosophie décernés à

Vincennes. Le ministre « non seulement déplore les conditions dans lesquelles

l’enseignement s’est déroulé durant l’année 1968-1969 (attribution trop libérale

des U. V., notamment au département de philosophie) mais dénonce aussi le

caractère ″marxiste-léniniste″ des enseignements […] »50. Pourtant, Foucault, les

enseignants et les étudiants provenant de la classe de philosophie du secondaire,

s’étaient au préalable accordés sur le partage des enseignements de la philosophie

49 Rapport du 07-12-1968 de M. E. Faure, Ministre de l’Education nationale, à M. le Général de Gaulle, Président de la République, in Vincennes ou le désir d’apprendre, Paris, A. Moreau, 1979, pp. 19-21. 50 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : histoire du département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 52.

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selon « l’analyse politique de la société » d’une part, et selon « l’analyse du fait

scientifique et à l’analyse d’un certain nombre de domaines scientifiques »51 de

l’autre. Cette répartition politique et scientifique de la matière enseignée à

Vincennes reçoit l’approbation du département de philosophie, de l’université et

l’administration ministérielle.

Le problème, estime Foucault, est que d’emblée, il y a trop peu d’enseignants

pour la foule croissante d’étudiants, et qu’il y a une volonté explicite de la part du

gouvernement d’empêcher les étudiants diplômés à Vincennes d’enseigner dans la

classe de philosophie de Terminale du secondaire. Cette volonté implicite est une

décision, un décret informulé, que Foucault dénonce : « Pourquoi ce cordon

sanitaire ? Qu’est-ce que la philosophie (la classe de philosophie) a de si précieux

et de si fragile pour qu’il faille, avec tant de soins, la protéger ? Et qu’y a-t-il, chez

les Vincennois, de si dangereux ? »52. Le sort des étudiants de philosophie à

Vincennes est lié au sort de la classe de philosophie du secondaire, et à l’idée

abstraite et générale de la philosophie que Foucault distingue de l’existence

concrète des philosophes53.

Foucault clôt la question d’un abus de liberté octroyée par le gouvernement aux

enseignants pionniers à Vincennes dans la mesure où il constate le « piège »54 de

la fausse « ligne de fuite » de l’expérimentation Vincennes, tendu autant par le

gouvernement que par les discours partisans de la défense ou de la suppression de

la classe de philosophie du secondaire.

51 M. Foucault, « Le piège de Vincennnes », entretien avec P. Loriot, Le Nouvel Observateur, n° 274, 9-15 février 1970, repris in Dits et écrits I, 1954-1975, Paris, Gallimard, 2001, p. 940. 52 M. Foucault, Le piège de Vincennnes op. cit, p. 935. 53 Ibid, p. 938 : « Je ne suis pas sûr, vous savez, que la philosophie, ça existe. Ce qui existe, ce sont des ″philosophes″, c’est-à-dire une certaine catégorie de gens dont les activités et les discours ont beaucoup varié d’âge en âge. Ce qui les distingue, comme les leurs voisins les poètes et les fous, c’est le partage qui les isole, et non pas l’unité d’un genre ou la constance d’une maladie. » 54 Ibid., p. 940.

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95

Selon Deleuze, l’homme de l’appareil d’État ou l’homme de Cour ne cessent

de « tricher », tandis que l’homme de la machine de guerre ne cesse de « trahir » ;

l’un ne vaut guère mieux que l’autre, souffle Deleuze aux auditeurs55. Dans la

mesure où un appareil d’État s’approprie une machine de guerre, Deleuze contre

cette capture, s’engouffre dans cette brèche et se l’« approprie » en retour, en

philosophe-artiste, résiste et expérimente à la fois, par et avec Vincennes. La ligne

à « segmentation molaire » que constitue la ligne de partage entre l’enseignement

académique de la philosophie et sa transformation expérimentée à Vincennes,

Deleuze en fait sa propre ligne de résistance et de création philosophique, une

philosophie orale dont les thèmes abordés font errer la pensée qui progresse par

délais lorsqu’il s’agit de s’adresser à un auditoire hétérogène. Deleuze transfère

cette ligne en un thème de son enseignement philosophique sous l’angle de la

littérature, lorsqu’il aborde notamment ses développements sur l’Ancien

Testament, quand le visage du prophète, Caïn ou Jonas, se détourne du visage de

Dieu, le visage du Christ également, ou selon le refus de « la conquête du pouvoir

d’État » de Richard III de Shakespeare56. Hölderlin, dans ses Remarques sur

Œdipe, conçoit la tragédie de Sophocle comme une « tragédie moderne », « un

lent procès linéaire », formule Deleuze : « Œdipe est l’homme du double

détournement » ou du « détournement catégorique », et c’est à partir de là que

commencent « la trahison »57 et la longue errance du héros. Selon Nietzsche58,

55 Cours filmé à Vincennes 1975-1976, Fonds Marielle Burkhalter, déposé à l’Ina, en cours de traitement, consultable à la BnF sous la cote VKR 185. 56 Ibid. 57 F. Hölderlin, Remarques sur les traductions de Sophocle, in Hölderlin. Œuvres, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1967, p. 958 : « En un tel moment, l’homme oublie : il s’oublie soi-même et oublie le Dieu, et fait volte-face, sans manquer certes à la piété, comme un traître. — À la limite extrême du déchirement, il ne reste en effet plus rien que les conditions du temps ou de l’espace. […] À cette limite, il oublie, l’homme, soi-même, parce qu’il est tout entier à l’intérieur du moment ; le Dieu parce qu’il n’est rien que Temps ; et de part et d’autre on est infidèle, le Temps parce qu’en un tel moment il vire catégoriquement, et qu’en lui début et fin ne se laissent plus du tout rimer, l’homme […] il lui faut suivre le détournement catégorique […] ».

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96

précise Deleuze, « Œdipe est la plus sémite des pièces grecques » parce qu’il y a

une « passion, une passivité d’Œdipe »59, plutôt qu’une justice précédée par les

règlements meurtriers.

Entre les motifs politiques des enseignants du département de philosophie, la

volonté impulsée par l’événement Mai 68 de créer des universités expérimentales

du ministre Edgar Faure, et les partisans de la poursuite de l’enseignement

académique du cours de philosophie, Deleuze exerce un mouvement de la pensée

qui procède par des sauts qui sont des esquives vis-à-vis de l’appartenance à telle

influence politique et au pouvoir de maîtrise et ses « mots d’ordre ». Un tel

mouvement processuel de la pensée produit une ligne de création de pensée selon

un espace politique singulier pour l’enseignement de la philosophie.

La première condition de Deleuze enseignant porte sur le lieu : une salle de

cours, un espace quelconque plutôt qu’un amphithéâtre. La deuxième condition

concerne la nécessité de l’auditeur libre, quelconque, c’est-à-dire du non-

philosophe. À la veille du transfert forcé de Vincennes à Saint-Denis, le Conseil

de l’université met en scène un contrôle des cartes des étudiants dont le but

caché, soutient Deleuze, concerne l’exclusion, à terme, des auditeurs libres

français ou étrangers. Selon Deleuze, ce contrôle constitue pour l’université le

danger de voir se tarir la source de son propre recrutement : les auditeurs libres.

Ce contrôle produit un type de personnage que Deleuze formule par « l’ennemi

quelconque »60 dont le motif recherché est celui de l’École qui ferme ses portes au

salarié, au non-bachelier, à l’amateur de philosophie, à l’étranger. Or Deleuze est

58 Nietzsche, La naissance de la tragédie, § 9. 59 Cours filmé à Vincennes 1975-1976, Fonds Marielle Burkhalter, op.cit. 60 Cours du 04/03/1980.

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97

un enseignant « producteur »61 de son cours de philosophie dans la mesure où sa

séance passe par la double audition et ne répète pas un cours académique de

philosophie.

Confronté à l’éviction menaçante des auditeurs libres, le grand nombre

d’auditeurs participant au cours garantit le besoin partagé entre Deleuze et les

ambitions de l’université expérimentale.

La normalisation de l’université passe aussi bien par les volontés des politiques

et les décrets d’État que par les courants d’enseignants et d’administrateurs de

Vincennes. Si Deleuze propose un enseignement transversal de la philosophie,

ouvert aux autres départements et disciplines de l’université ou extérieurs à celle-

ci, il s’expose en retour à des rapports, des épreuves de force. Mais plus

profondément, Deleuze entend rompre avec le « ton universitaire »62 afférent aux

disciplines. Sartre, explique Deleuze, constitue la figure de l’intellectuel non-

universitaire qui insuffla un nouveau style pour un nouveau mode d’intervention

publique63 :

« Nous savons qu’il n’y a qu’une valeur d’art, et même de vérité : la ″ première main″, l’authentique nouveauté de ce que l’on dit, la ″petite musique″ avec laquelle on le dit. Sartre fut cela pour nous (pour la génération de vingt ans à la Libération). […] Les penseurs privés ont deux caractères : une espèce de solitude qui reste la leur dans en toutes circonstances ; mais aussi une certaine agitation, un certain désordre du monde où ils surgissent et dans lequel ils parlent. Aussi ne parlent-ils qu’en leur nom propre, sans rien ″représenter″ […]. »

61 G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, op. cit., pp. 14-15 : « Professeur, je voudrais arriver à faire un cours comme Dylan organise une chanson, étonnant producteur plutôt qu’auteur. » 62 R. Schérer, Utopies nomades, Paris, Séguier, 1996, p. 145. 63 G. Deleuze, « Il a été mon maître », article paru dans Arts, 28 novembre 1964, repris dans L’île déserte et autres textes, op. cit., p. 109-110.

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98

Ces rapports ou épreuves de forces sont constitutifs de la vie des philosophes

en rupture ou disgrâce avec l’institution enseignante ou avec la volonté de faire

école de la pensée — Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, Bergson —. Des

rapports internes de l’institution expérimentale aux décrets d’État, Deleuze rompt

avec l’enseignement traditionnel de la philosophie à Vincennes, « par

Vincennes ». Le philosophe poursuit, protège et milite selon les ambitions de

l’université, et en ce sens, il demeure attaché à l’institution. L’université de

Vincennes constitue elle-même une formation d’État sur le mode du surgissement

et de l’invention, au lendemain de Mai 68, en constitue un certain devenir différé

dont Deleuze assure la permanence.

L’enseignement à Vincennes se réclamant de l’avant-garde constitue et

s’oriente d’emblée en profil de recherche selon le mode du rhizome. En ce sens,

l’écrit Rhizome de 1976, fait le point sur la collaboration Deleuze-Guattari, après

la publication de L’anti-Œdipe de 1972, introduit Mille Plateaux de 1980, et

scelle un mode d’écriture. Davantage qu’un texte écrit pour être seulement lu,

Rhizome peut être considéré comme l’invention d’un manifeste, d’une charte

conceptuelle agencée par Deleuze et Guattari, qui reprend le mode processuel de

l’enseignement à Vincennes. Rhizome se situe à mi-chemin, entre Mai 68 et le

déménagement forcé de l’université à Saint-Denis, prolonge Kafka, pour une

littérature mineure, 1975.

La multiplicité des auditeurs produit un filtre qui vérifie la pertinence et la

portée du concept. Vérifier le concept est un exercice de sobriété lorsqu’une

audition philosophique se soustrait64 aux auditions non-philosophiques. Soustraire

64 G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 13 : « Le multiple, il faut le faire, non pas en ajoutant toujours une dimension supérieure, mais en contraire le plus simplement, à force de

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99

au discours du livre et au discours de la leçon de philosophie le concept vérifié par

l’écoute multiple de l’auditoire, c’est ce que Deleuze entend par la « pureté » d’un

cours65.

L’enseignement de Deleuze au sein de l’université se trame sur un mode

mineur, se fraie un chemin sinueux entre les discours politiques fort puissants du

moment. Les enseignements du département de philosophie, de réputation

gauchiste, abordent exclusivement la politique, l’idéologie et la critique des

institutions66, tandis que Deleuze, deux années plus tard, inaugure d’autres

thématiques se démarquant du marxisme, avec des cours sur le désir ou Spinoza.

Néanmoins, avec Michel Serres, Michel Foucault et François Châtelet, la volonté

persiste de préserver les cours reprenant l’histoire de la philosophie, tout en les

rénovant.

L’enseignement partagé par la double audition chemine entre une œuvre écrite

déjà importante et sa collaboration avec Félix Guattari, entre la réception difficile

de L’anti-Œdipe et les expérimentations à mener avec les concepts à Vincennes,

entre un vaste appareillage conceptuel d’historien de la philosophie qu’il s’agit de

transférer l’enseignement. Entre la sommation d’incorporer ou de se plier à une

obédience politique au sein de « l’université rouge », et la confrontation, à partir

de 1979, à la normalisation de l’université menaçant la recherche universitaire et

par suite, les lignes d’inspiration créatives du philosophe, indispensables à son

œuvre écrite, les notions de résistance et de rapports de forces caractérisent le

tracé de la philosophie orale de Deleuze.

sobriété, au niveau des dimensions dont on dispose, toujours n-1 (c’est seulement ainsi que l’un fait partie du multiple, en étant toujours soustrait). Soustraire l’unique de la multiplicité à constituer […] Un tel système pourrait être nommé rhizome ». 65 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre P comme professeur ». 66 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : histoire du département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 51.

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100

Les rapports de forces concernent aussi bien « un duel avec le milieu »67 entre

l’enseignant et la composition de son auditoire que les désaccords divisant une

politique unifiée des enseignants sur le choix du contenu des matières

philosophiques à enseigner.

2. Une philosophie artiste

Lors d’une séance68, Deleuze explique comment il aborde son cours en général

et son déroulement, en fonction de sa « forme » du moment : il observe son

auditoire, en position d’attente, « s’imprègne de l’atmosphère », capte et accumule

les signes émis par les auditeurs jusqu’au moment où, gagné par une intensité de

type « animal », le philosophe est inspiré.

« Croire au monde » veut dire pour Deleuze « croire en ce monde-ci » et non

pas en croire en un autre monde possible. Le philosophe n’intervient pas lors de

son enseignement à Vincennes pour « rendre la parole au peuple », discuter,

débattre, fonder ou imposer sa pensée et ses points de vue. Deleuze estime que

son auditoire peut lui apporter de temps à autre des nuances et des remarques qui

modifient considérablement le cheminement de sa pensée. Il observe son auditoire

pour s’imprégner de l’atmosphère du jour ; le cours préparé doit s’adapter pour

s’allier aux rapports de force en présence. Lorsque Deleuze déclare que « tout est

événement » lors d’un développement sur Whitehead, la formule signale que tel

moment du cours, tel énoncé, peuvent constituer un événement, une rencontre et

une confrontation pour la pensée. Dans la mesure où la formule « tout est

67 Séance du 01/02/1983. 68 Ibid.

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101

événement » scande, à l’infini [la séance sur Leibniz et le Baroque], le

déroulement du propos du philosophe, une politique de l’événement de la pensée,

sur le fil du discours, est présupposée : une politique de l’expérimentation de et

pour la pensée. Pourtant, Deleuze dirige sa séance, limite les digressions des flux

et des reflux parlés pour tenir le cap d’un cours réussi.

Deux conduites, deux modes d’intervention du philosophe face à son auditoire

semblent se dégager lorsque Deleuze distingue entre « un groupe

fondamental » (les auditeurs assidus d’un cours et d’une année à l’autre, une

force, une puissance d’appareil), et « un groupe de rencontre » qu’il qualifie de

« groupe fonctionnel » ( les nouveaux venus, une force, une puissance errante,

nomade et quelconque).

Le « groupe de rencontre » — il s’agit là de prendre Deleuze à la lettre — fait

fonctionner le cours. L’indétermination qui caractérise le rapport entre les flux

parlés du philosophe et leur réception par les auditeurs errants ou nouveaux est

une mise à l’épreuve pour le sens et la préhension des concepts enseignés, oblige à

des variations de style d’énonciation et produit des écarts et des distances entre

les matières du cours abordées. Le doute creuse et porte le cheminement d’un

travail (labeur) de la pensée — recherché et observé par Deleuze — qui à terme

disparaît, lorsque la double audition réussit, lorsque l’écart d’intérêt et de

compréhension est comblé entre le « groupe de rencontre » et le « groupe

fondamental ».

Lorsque Deleuze est en phase avec son auditoire et atteint « un stade animal »,

explique-t-il, il se risque à anticiper sur la réception des auditeurs, après s’être

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102

imprégné de l’atmosphère de son public, saisit un exemple, une situation de vie

concrète — être invité chez quelqu’un, ne connaître personne et devoir faire

bonne mesure, par exemple — pour combler l’écart de compréhension entre les

différents groupes d’auditeurs. Deleuze use là du concept de « l’avant-dernier

objet », du pénultième énoncé à tel moment de la séance, en évalue l’effet et

l’efficace, avant de poursuivre la ligne de fuite de son propos ou bien de reprendre

son propos sous un autre angle. La longue préparation du cours et ses répétitions

ouvrent sur le cycle improvisation-inspiration selon une pratique qui alterne

l’écart et la distance entre les flux parlés du propos philosophique et le risque de

l’énoncé, de la formule qui illustre le concept.

L’expérimentation de la pensée constitue une politique interne au cours,

immanente à la séance, « involontaire ». Une micro-politique pour la pensée donc,

qui procède selon ses propres ruptures en fonction des rencontres et des

événements philosophiques, littéraires, scientifiques.

Les rapports de forces en jeu lors des séances constituent des écarts ; le

philosophe les observe et s’imprègne de la situation. Deleuze recherche ces écarts,

cette confrontation (voire cette hostilité) circulant dans l’auditoire. L’affect

partagé des alliés ne suffit pas au penseur avant tout « nomade » et stoïcien. La

confrontation relance, stimule et précise le contour et la pertinence du concept

parce qu’elle implique un éventail de perceptions divergentes des auditeurs, fait

varier des points de vue sur le problème afférant au concept.

Il s’agit de différencier la discussion et l’objection. Prendre la parole, discuter,

déroute ou saborde la trame de la séance tandis que l’objection silencieuse de

l’auditoire stimule et alimente l’enthousiasme de la pensée se déployant. Le duel

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103

entre l’enseignant et les auditeurs dispose une scène pour la pensée et ses

enchaînements ainsi que la double audition. Cette confrontation produit une ligne

en déséquilibre entre les flux parlés. Le déséquilibre obtenu, à son tour, crée des

écarts de pensée par rapport au cours écrit et préparé. L’enthousiasme confronté à

une série de brèves « hontes », de nature quotidiennes, ressenties par le philosophe

durant la séance aiguisent en retour les pointes créatives de la pensée de Deleuze,

précisent et affermissent la formulation du concept et chargent la diction du

concept, d’une intensité, d’une « griffe »69.

L’oral, davantage que l’écrit, influe sur « la conceptualisation du

concept »70, « à la façon d’un affect »71, dans la mesure où le cours de Vincennes

ne cesse de constituer le champ d’une série de confrontations avec les auditeurs

qui se concrétisent par un duel entre l’enseignant et l’auditoire. Vérifier, valider le

sens et les suites logiques d’un concept avant l’écriture des ouvrages suppose un

espace-temps de joute orale, qu’elle soit directe ou indirecte entre les auditeurs et

l’enseignant. Si, « le concept doit dire l’événement »72, dans l’espace-temps d’une

séance, alors l’événement d’une séance passe par la conceptualisation du concept.

La parole de Deleuze endure la répétition des confrontations implicites de sa

pensée avec celles des auditeurs. Ces confrontations se trament d’une semaine à

l’autre, avant même toute discussion ou objection durant le cours. Il s’agit bien

d’un duel que l’enseignement anticipe et incorpore en partie dans la préparation

de son cours, sans doute. Ce duel qui comporte sa part d’imprévisibilité, nécessite,

stimule l’improvisation en fonction du rapport de forces du jour.

69 C’est à partir de la diction du concept que C. Jeaglé dresse son Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes, Paris, PUF, 2005, p. 79 : « Il faut qu’un autre phénomène ait lieu, de façon sous-jacente, pour que la conceptualisation du concept agisse à la façon d’un affect. » 70 C. Jaeglé, Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes, op. cit., p. 79. 71 Cours Anti-Œdipe et autres réflexions du 27/05 /1980. 72 G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 40.

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« Prendre la parole », en philosophe, suppose effectivement de passer par « un

affect du concept »73. Un affect du concept, suppose une part de confrontation

avec l’auditoire, avant et afin d’énoncer le concept pour le transmettre. Entre

l’affect et le concept, un ensemble de perceptions et un jeu d’actions sont

nécessaires au déroulement du cours. L’affect de l’auditeur se prolonge et

chemine avec et en fonction de l’intensité des duels du jour. La confrontation

« contamine » l’affect et inversement, avant l’énonciation du concept. Le cours

captive à la mesure de son inconfort.

Prenons comme exemple une séquence du cours74 suivant :

Quelques événements du cours sont perceptibles à l’écoute. Le cours commence

par l’intervention d’un auditeur sur le thème du mysticisme avec laquelle Deleuze

ne trouve pas un rapport pour sa problématique « priméité-secondéité-tiercéité »

de Peirce. S’en suit une récapitulation des séances précédentes, et une exposition

de la façon dont l’enseignant va mener la séance en cours. Au moment même où

Deleuze reprend son souffle afin d’élancer son premier développement, un

auditeur « lacanien » coutumier d’interminables interventions, organise sa prise de

parole selon trois niveaux. Pour imposer le fil de ses interventions précédentes —

toujours dans une posture magistrale — l’auditeur reproche à Deleuze l’inhibition

du public de Vincennes à poser des questions aux enseignants ; puis le « nouveau

professeur » répond à la question posée par un auditeur lors de la séance

précédente. Deleuze ne relève pas les remarques et commence pour de bon son

cours avec la notion de « secondéité » de Peirce, qui lui permet de nuancer les

notions de « situation », d’« action », de « duel » et les différentes distinctions de

« signes ». Tandis que Deleuze s’efforce d’achever un développement difficile sur

73 Cours du 27/05/1980, op. cit. 74 Cours du 16 mars 1982, intitulé L’image-mouvement. Leçons bergsoniennes sur le cinéma.

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105

le naturalisme, il écarte l’intervention d’un auditeur afin de maintenir le fil de sa

concentration, de son improvisation certainement. Puis un autre auditeur lance un

énoncé que Deleuze ne relève toujours pas. Le cours développe les images des

« mondes originaires clos des pulsions et de leurs morceaux d’objets » par

références aux cinéastes Bunuel et Stroheim. Une auditrice accompagne cette

fois-ci la problématique en évoquant brièvement le cinéaste Ferreri. Quelques

minutes plus tard, Deleuze annonce qu’il doit rejoindre le secrétariat, tandis qu’un

auditeur lui lance un « Moi aussi ! », « oui mais moi d’abord ! », lui rétorque-t-il.

Puis Deleuze revient, agacé par la porte de la salle qui persiste à rester ouverte.

Deleuze se déclare « très bunuelien ». Le cours reprend, la problématique se

poursuit « péniblement » jusqu’au moment où Deleuze s’empresse d’énoncer ses

formulations :

« … Parce qu’il a trouvé quelque chose de cinématographiquement, alors signé Bunuel. C’est que pour lui, voilà : la dégradation, c’est quoi ? Et bien il tourne autour d’un truc, la dégradation, c’est… on va voir ce que ça veut dire, c’est la répétition. C’est la répétition. C’est le premier sans doute à avoir fait de la répétition une puissance cinématographique. C’est la répétition. Pourquoi ? Tout se dégrade par la répétition, la répétition, c’est la vie. Et c’est : la dégradation de la vie. Toujours se lever, toujours se coucher, chaque jour se nourrir. Comment voulez-vous que ça tourne bien tout ça ! Comme disait [… l’auditeur ayant pris la parole au début de la séance est nommé] tout à l’heure, ou plutôt comme disait Lacan, "s’il n’y avait pas la mort, comment pourriez-vous vivre ? Vous ne supporterez pas la vie"… Ce qui va se produire dans l’univers clos de Bunuel, c’est le processus de répétition. C’est ça ! … »

Deleuze poursuit son développement pour distinguer et nuancer deux répétitions,

l’une qui « tue » et l’autre qui « sauve », l’une qui « enchaîne », l’autre qui

« libère ». À la fin de la séance, Deleuze reprend la remarque de l’auditrice à

propos de Ferreri avec un intérêt croissant.

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106

La série de confrontations a lieu entre l’enseignant et certains auditeurs, entre

la l’intuition d’une remarque perspicace et le lieu de la salle de cours qu’il s’agit

d’agencer en territoire. Autant de face à face et de situations répétées qui trament

le déroulement des séances selon une production de duels nécessaires à la

formulation du concept, à sa conceptualisation. Les duels oraux aiguisent la

formulation des énoncés, et notamment, lorsque se cristallise, comme dans la

séquence de cours choisie, une confrontation entre un énoncé relevant de la

théorie psychanalytique et la pensée de Deleuze selon laquelle, « il ne peut y avoir

de philosophie de la mort »75.

Occuper l’espace du cours suppose d’endurer son « milieu » tout d’abord

« hostile », autant pour l’enseignant que pour l’auditeur, en fonction de

l’hétérogénéité de l’auditoire, et peu confortable quant aux conditions d’écoute de

la salle préfabriquée ; mais « créer c’est résister » affirme Deleuze, et lorsqu’il

s’agit de créer des concepts ou de les exposer oralement. À l’inverse, résister

engage un certain mode d’appropriation des flux parlés du cours, et donc de

création de pensée pour l’auditeur. Il s’agit de « trouer l’espace » du discours des

flux parlés du cours pour ensuite relier les différentes approches conceptuelles :

l’enseignant conceptualise oralement le concept en fonction de l’hétérogénéité de

son auditoire tandis que l’auditeur émerge du foyer de son propre point de vue,

confronté à « l’effraction » du concept, c’est-à-dire à sa conceptualisation durant

l’espace-temps de la séance. Le cours de philosophie constitue tout d’abord un

« espace lisse » confronté ensuite au « différend » et à la division de points de vue

sur des mondes hétérogènes, juxtaposés, en fonction des lesquels l’auditeur

« nomade » capte les références et les abords conceptuels pour « trouer » cet

75 Cf. la fin du cours du 27 mai 1980 intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions, op. cit., : « Parce que la mort, elle n’a pas de philosophe, elle n’a pas de philosophie. Pas du tout, pas du tout… », cours transcrit sur le site La voix de Gilles en ligne, op. cit.

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espace qu’il s’agit d’endurer et d’« inventer » (« créer, c’est résister »). La salle

préfabriquée est un « espace quelconque », un « espace lisse », un « désert » ou

une « ville », traversés et occupés par différents régimes de signes, d’attitudes et

de prises de paroles. Ce lieu est un milieu hostile où les duels polyphoniques entre

l’enseignant et les auditeurs requièrent un « art »76 de résistance (par patience et

endurance).

« La honte d’être un homme » est un « sentiment complexe et non unifié »,

précise Deleuze dans L’Abécédaire77. Les causes de ce sentiment, confronté au

mouvement d’un duel entre la pensée et les flux décodés qui proviennent de

l’affect du philosophe, et l’auditoire, sont mises à vif lors des cours, et révèlent la

fragilité de son déroulement. Le recouvrement d’une problématique pour la

pensée et ses questions par les interrogations triviales et hâtives de l’opinion en

général78 ; la présence régulière et insidieuse d’auditeurs politisés, voire

tyranniques d’un cours au suivant, le pouvoir diffus des objections silencieuses ou

non des auditeurs adeptes de la psychanalyse ; l’intervention effective ou

menaçante qui saborde l’ensemble du déroulement du cours et sa préparation ; le

processus de normalisation et ses conséquences — l’amphithéâtre et le cours

académique de philosophie, la gestion des cursus d’enseignement au détriment de

la Recherche —, trament un rapport de forces réactives, c’est-à-dire un

76 Cf. cours du 25 mars 1980 intitulé Appareils d’Etat et machines de guerres. La conception de la société nomade, Deleuze l’emprunte à Arnold Toynbee, L’histoire (traduit de A Study of History, 1972), Paris, Payot, 1995, p. 189-190 : « Les nomades, comme les Esquimaux, sont devenus les prisonniers à perpétuité d’un cycle de migrations. Ils doivent constamment rester en marche tandis que leurs troupeaux épuisent un pâturage après l’autre. Par conséquent, en acquérant l’initiative dans la steppe, les nomades ont perdu l’initiative dans le vaste monde […] Hormis les périodes de l’histoire où elle est sortie de son domaine propre pour déferler sur ses voisins sédentaires et établir une domination temporaire sur des royaumes en dehors de la steppe, la société nomade s’est vue condamnée à languir dans les déserts se son milieu aride, dans un mouvement perpétuel de clans et de bandes de médiocre importance ». 77 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre R comme résistance ». 78 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre Q comme question ».

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« sentiment complexe de honte », par et avec lequel, le philosophe créateur de

concepts, élaborés et exposés oralement, doit résister et endurer ( avec la plupart

des auditeurs, par ailleurs). Deleuze doit endurer — mais en même temps prendre

appui sur — l’injonction à s’exprimer, à prendre la parole depuis Mai 68, et

l’emprise de la psychanalyse qui recouvre, interprète et structure l’amplitude, le

sens et la beauté79 des énoncés parlés ou écrits, pour effacer et nier leur

« investissement du champ social et historique » et les effets qu’ils produisent sur

celui qui les écoute ou les lit. Or, il s’agit bien d’un emprisonnement de la vie de

la pensée et de son mouvement pendant le cours de philosophie, face auquel

Deleuze doit résister, avec l’auditoire, et inventer des ressources à partir de son

improvisation et de ses moments d’inspiration ; « résister c’est créer », mobilise

nécessairement un enthousiasme soutenu de l’enseignant afin de tenir sa séance

pour la mener pendant un peu plus de deux heures.

L’auditoire est une foule enthousiaste en fonction de laquelle les prises de

parole vincennoises de Deleuze, avec leur style et leur éthique, s’insèrent dans une

séquence ouverte par Mai 68 qui inaugure ce genre « prise de parole »80.

Pour Deleuze, l’expérimentation de la pensée selon des « lignes de fuites »

créatives ou « lignes de vie », constitue un danger dans la mesure où parler,

prendre la parole, c’est exposer la prise de parole à une récupération par

l’institution et la censure qui s’en suit81. Un autre péril de la prise de parole relevé

par de Certeau et Deleuze concerne les minorités, lorsque celles-ci campent sur

79 Cours intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions du 27/05/1980 : « Si vous prenez un délire, c’est quelqu’un qui, à travers un champ historico-mondial, trace ses lignes [ de fuite]. Alors c’est la même chose que le processus qui nous emporte [le processus du cours]. (…) Rimbaud se met à délirer, pas sous la forme de ses rapports avec sa mère. Parce que, quand même, faut pas exagérer, c’est honteux [!]... c’est humiliant, je ne sais pas, il y a quelque chose de tellement rabaissant à ramener ça perpétuellement à, comme si les gens qui délirent en étaient à ressasser des histoires […] Vous comprenez, un enfant, il vit ses parents dans un champ historico mondial. Il ne les vit pas dans un champ familial, il les vit immédiatement. » 80 M. de Certeau, La Prise de Parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994. 81 Ibid., p. 75-77

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109

leurs revendications dans la longue durée et peu à peu trament leurs propres

ghettos82. Si la prise de parole a joué un rôle décisif dans le temps et l’espace du

politique avec l’événement Mai 68, Deleuze « contre-effectue » en

« philosophe », cet événement lors de ses cours à Vincennes, avec l’affect de

l’événement Mai 68. L’affect du devenir Mai 68, dans l’éthique de « L’après

recommence l’avant, nous y sommes de nouveau »83, et à ceci près que :

« L’événement est indissociable des options auxquelles il a donné lieu84.

« L’option » avec Deleuze, se situe à l’Université, laquelle reprend

l’enthousiasme de l’événement Mai 68, mais avec la prudence requise pour

l’expérimentation des lignes de fuites d’un enseignement renouvelé de la

philosophie.

Écrire et parler sont désormais en rapport de co-extension, pour une même

trame et un style de la philosophie de Deleuze à Vincennes. Les codes sociaux ont

changé avec l’événement 68 : pour Deleuze, il s’agit d’écrire avant de et afin de

prendre la parole pour enseigner la philosophie à Vincennes « dans une langue

étrangère » à celle du discours académique de la philosophie, puis de reprendre les

flux parlés de ses cours qui vérifient les suites logiques des chapitres, qui éclairent

ou dénouent des problèmes de pensée. Sans doute, Deleuze déplace davantage

l’usage de la « répétition », nécessaire à l’élaboration de sa pensée, vers l’espace-

temps de ses séances à Vincennes. Le philosophe expérimente la répétition

comme autant de « prises de parole », à la suite de l’événement Mai 68, sous

différents points de vue durant les séances, avant d’écrire ses chapitres.

82 Ibid., p. 17. 83 Ibid., p. 29. 84 Ibid., p. 29.

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Le sentiment de honte éprouvé par le philosophe enseignant et partagé par ses

collègues se compose aussi à partir du sort présent et à venir des étudiants «

[…] qu’on a conduits, de promesses et de papelardises en menaces, à accepter le

contrôle des connaissances à chaque moment de leur vie universitaire, qu’on a

infectés du virus de la rentabilité professionnelle, qu’on soumet à un quadrillage

de filières décourageant tout enthousiasme et toute libre recherche, qu’on soumet

à ces foutaises que sont les critères pédagogiques… »85.

Pour « chacun de nous dans notre vie quotidienne, il y a des événements

minuscules qui nous inspire la honte d’être un homme. »86 Lorsque Deleuze

ponctue un cours improvisé à partir d’une remarque d’un auditeur et affirme que

« la mort n’a pas de philosophie ni de philosophe »87, dont cependant la pensée et

ses théoriciens existent bel et bien, se reprend-il, sans doute le sentiment de la

honte est éprouvé par le philosophe — qui est un philosophe de la vie — vis-à-vis

des philosophies de la mort durant ses séances. La honte éprouvée par Deleuze

galvanise une improvisation parce qu’il s’agit de ne pas parler à la place d’autrui

ou de réduire la parole quelconque, celle du poète ou du celle du schizophrène aux

interprétations (coordonnées familialistes) des théories de la psychanalyse.

Lors des séances, il s’agit d’approcher des événements diffus, d’une part, en

85 F. Châtelet, Chronique des idées perdues, Paris, Stock, 1977, pp. 53-54. 86 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « R comme résistance ». 87 Cours du 27 mai 198 intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions, op. cit., : « Du moment que vous avez de bonnes rencontres, ne pensez pas aux mauvaises rencontres que vous faites, protégez vous des mauvaises en faisant de bonnes rencontres. Cherchez ce qui vous convient quoi ! Mais chercher ce qui vous convient, c’est une platitude. C’est moins une platitude quand ça prend l’expression de concept philosophique et d’affect correspondant, à savoir : ″ce qui me convient″, c’est quoi ? Ce sera par exemple cette composition de puissance : faire en sorte que précisément la rencontre, la mauvaise rencontre soit perpétuellement conjurée. Je dirais presque, c’est une certaine manière à nouveau de dire : ″Faites passer la ligne de vie, tracez la ligne de fuite″, etc., etc. Fuyez à plusieurs ? je disais : ″Sachez qui sont vos alliés !″ Tout est bon là, du moment que vous les trouvez, vos alliés. Une seule chose est mauvaise si vous les trouvez dans la mort. Parce que la mort, elle n’a pas de philosophe, elle n’a pas de philosophie. Pas du tout, pas du tout. Mais je ne devrais pas dire ça (fin de la séance)… ».

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111

parlant en son propre nom. Parler ainsi invoque le quelconque et constitue d’autre

part un événement. Les prises de paroles vincennoises de Deleuze, avec leur style

et leur éthique, s’insèrent dans une séquence ouverte par Mai 68 qui inaugure ce

genre de « prise de parole ». L’éthique de Deleuze enseignant consiste à « libérer

la vie que l’homme a emprisonnée »88.

La honte est une épreuve qui réquisitionne l’improvisation de la pensée

philosophique ou artistique. Éprouver de la honte est une qualité-force, et un

événement de la pensée qui organisent une résistance, nécessitent et engagent le

concept. La formulation du concept s’actualise dans une assemblée. Si la honte

s’éprouve dans la solitude de l’écriture, elle s’énonce lorsqu’elle se conceptualise

dans la confrontation avec un auditoire. Elle branche la pensée sur

l’improvisation, sur une digression qui permettra de contrer la honte diffuse qui

occupe la séance.

Il ne s’agit pas de nier la mort et la finitude, mais de ne pas orienter le sens de

la pensée vers ces impasses de la pensée. « Revenir des morts », un énoncé de

Deleuze écrivain, du philosophe attelé au labeur et à la solitude requis par

l’écriture et la pensée, est le sens unique par lequel il y a de la pensée, lorsqu’il

s’agit de venir à Vincennes pour déployer le concept afin de le transmettre ; c’est

donc revenir chez « les vivants de Vincennes ».

Ce qui vous parle et vous concerne, telle notion ou tel concept, lors de la

conceptualisation du concept pendant la séance, trouve une mesure de vie à partir

du moment où un concept s’applique ou peut servir un usage de la vie quotidienne

personnelle. La honte vous saisit « sans concept » parce qu’elle participe à

« l’affect du concept » et en trace une ligne de vie ou ligne de fuite.

88 Ibid.

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112

L’enthousiasme de Deleuze enseignant à Vincennes envers son auditoire est

manifeste vis-à-vis de son enseignement à l’Université de Lyon, avant Mai 68,

dont il ne dit mot dans L’Abécédaire. L’enthousiasme est une notion polysémique.

Dans le Phèdre, Platon accorde au délire, à l’inspiration du poète — celui qui ne

sait pas très bien ce qu’il dit — un sens positif (244a-244d). Mais le plus souvent

dans la tradition philosophique, la vision du poète inspiré se confronte à la

rationalité recherchée par le philosophe, et l’enthousiasme qui transporte

l’inspiration dans le champ de la politique prend alors une valeur et un sens

péjoratifs. Le don de voyance du devin, du prophète et de l’illuminé s’oppose à la

raison du philosophe. Rendre compte de son inspiration ou donner une leçon, c’est

s’opposer à « la plus folle création de concepts »89 que perçoit Deleuze chez

Leibniz. Le « cri » de Leibniz : « Il faut bien que tout ait une raison »90, témoigne

de l’enthousiasme d’un philosophe rationaliste néanmoins « exubérant », doté

d’un « humour diabolique »91 et fondateur de l’Académie des jeux.

Un affect du concept, une conceptualisation du concept nous portent aux

abords de l’esthétique qui est une région de la philosophie. Esthétique s’entend

selon le point de vue de l’auditeur et de son jugement esthétique par rapport aux

concepts et aux notions philosophiques abordés lors des séances.

Si tel concept enseigné oralement nous saisit et nous parle, le cours n’est pas

pour autant un « beau cours », un beau discours. La philosophie orale de Deleuze

devrait s’appréhender au sens de l’esthétique de Kant : le cours en lui-même ne

comporte pas une finalité, ne vise pas une but particulier, n’aspire pas à une belle

forme. Il s’agit tout au plus de transmettre un usage de tel concept et non une

89 Cours du 15 avril 1980 intitulé Leibniz, le philosophe et la création de concepts. 90 Ibid. 91 Ibid.

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113

essence ou un mode d’emploi des concepts. Il revient à l’auditeur d’élaborer ses

propres « catégories ». Le cours est une expérimentation dont « les conditions

aprioriques » sont les auditeurs eux-mêmes. La séance suscite une auto-affection

de l’auditeur dans la mesure où celui-ci porte un jugement de goût

« réfléchissant », le cours n’étant pas déterminé par une somme de connaissances

philosophiques ordonnées. L’oralité permet par le flux et le reflux de matières

parlées un jeu d’écarts temporels d’où proviennent les effets retardés de la

compréhension. Dans les développements consacrés à Kant lors des séances entre

1979 et 1987, Deleuze insiste particulièrement sur la révolution philosophique qui

voit désormais la subordination de la nature et du mouvement au temps :

« L’espace et le temps sont, nous dit Kant, la forme de notre réceptivité, tandis

que le concept est la forme de notre spontanéité ou de notre activité. »92 Le cours

subjugue les auditeurs dans la mesure où la variation de vitesse et d’intensité des

développements des thèmes qui posent problème ou bien qui vont de soi, la

double audition, les hésitations et les affirmations, les différentes tonalités et les

écarts oratoires, libèrent et amplifient de l’espacement et du temps pour la pensée

à mesure de l’assiduité des auditeurs. Le cours n’est pas un beau cours car la

durée de la séance impose une temporalité éloignée de la finalité d’un bel ordre

naturel.

Le cours de philosophie destiné au non-philosophe suscite de l’enthousiasme.

L’enthousiasme est une notion polysémique, liée au régime de la parole pendant

le cours. Pour Deleuze, parler en philosophie ne peut avoir qu’un seul sens, et

s’enthousiasmer avec la philosophie, ou par la philosophie, ne passe pas par la

92 Cours à Vincennes de G. Deleuze du 14/03/1978, intitulé Kant, synthèse et temps, transcription en ligne sur le site de R. Pinhas : http://www.webdeleuze

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114

prise de parole enthousiaste qui interrompt l’élaboration conceptuelle.

La double audition plonge peu à peu les facultés réceptives de pensées des

auditeurs philosophes et non philosophes qui poursuivent la série des séances,

dans « le sentiment du Sublime », parce que la double audition déforme la totalité

harmonieuse d’un « beau discours » planifié. L’accumulation de références et

d’exemples de problèmes réalise une somme culturelle « immense » pour la

pensée, dans le seul volume d’une séance ou à travers la suite de celles-ci d’une

semaine à l’autre. Parler en son nom, prendre la parole par petites séquences, une

confidence quelconque suscitent l’enthousiasme des auditeurs.

En revanche, Deleuze n’est pas un « enthousiaste de la philosophie » car là

n’est pas son affaire, en fonction de la ligne sobre et objective de ses élaborations

conceptuelles. La philosophie mineure de Deleuze s’oppose à un enthousiasme

revendicateur, car revendiquer un état minoritaire revient à revendiquer un état

majoritaire.

« Je est un autre… »93, énonce Deleuze, sans explications aux auditeurs. Le

recours au discours indirect libre barre un enthousiasme personnel et « croire en

ce monde-ci » invalide toute auto-proclamation et toute érection d’une pensée

triomphante, dominatrice. Écrire, vivre et penser remisent sans cesse un devenir,

et fabriquer un concept exige des « visions » que le temps prolonge vers des

processus de pensée. Le virtuel l’emporte sur l’actuel. Parler peut modifier l’écrit,

tandis qu’écrire est une opération de refroidissement des paroles.

L’enthousiasme de Deleuze est un enthousiasme travaillé par la transmission

du concept. Percevoir à travers la durée d’un cours, la conversion de telle notion

philosophique en une autre façon d’appréhender celle-ci chez le non-philosophe,

93 A. Rimbaud, Lettre à Georges Izambart du 13 mai 1871, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, in Rimbaud. Poésies complètes, Paris, Le Livre de Poche, 1998, p. 144 et p. 147.

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115

donc vérifier et même temps transmettre le sens d’un concept et produire par-là

même un autre usage du concept, suscite l’enthousiasme de l’enseignant.

Se tenir « aux aguets » des pensées autres que celles de la philosophie, suppose

une posture stoïque du philosophe, prêt à accueillir l’événement d’une pensée, et

donc d’y être « digne ». Une blessure préexiste, un événement inactuel donc, qui

somme le philosophe d’en tracer le concept.

Lorsqu’il répète l’objection d’un auditeur, ou bien écarte une phrase qu’il

« raye », lors de la lecture d’un texte, ou encore précise aux auditeurs qu’il s’agit

de chercher des concepts plutôt que de suivre ses références préférées,

l’enjouement de l’enseignant traduit une tonalité enthousiaste. Mais

l’enthousiasme de Deleuze ne se confond pas avec l’enthousiasme d’un leader

politique ou celui d’un « prophète vincennois »94. L’enthousiasme athée de

Deleuze enseignant s’envisage à partir de sa pensée de l’immanence, relayée par

l’« événement pur »95 que constitue Mai 68, caractérisé comme « un phénomène

de voyance »96 collectif de la société. Le cours de philosophie à Vincennes se

caractérise également par sa pureté97, parce que faire cours, précise Deleuze, ne se

confond pas avec l’usage traditionnel de la parole qui enseigne.

L’événement Mai 68, qui constitue une ouverture de possibles collectifs et

individuels sociaux, pour des émancipations et des mieux vivre en général, est un

94 G. Deleuze enseignant en « prophète vincennois », se référer à : C. Soulié, Le destin d’une institution d’avant-garde : histoire du département de philosophie de Paris VIII, in Histoire de l’éducation, n°77, janvier 1998, pp. 60-62 ; p. 61 : « Ici, le prophète G. Deleuze critique l’école et la bureaucratie cléricale […] Dans la lutte qui l’oppose à l’orthodoxie universitaire des grands prêtres (de la Sorbonne), D. Deleuze tente de mobilier le vaste univers des laïcs qui, se voyant reconnaître une compétence à peu de frais, ne pouvait accueillir que favorablement de tels propos. » Les « propos » de Deleuze renvoient à « Lettre à un critique sévère » et « Lettre à Réda Bensmaïa, sur Spinoza » in G. Deleuze, Pourparlers, op. cit., pp. 11-23 et pp. 223-225. 95 G. Deleuze et F. Guattari, « Mai 68 n’a pas eu lieu », Les Nouvelles littéraires, 3-9 mai 1984, repris dans G. Deleuze, Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003, p. 215. 96 Ibid. 97 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre P comme professeur ».

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116

« phénomène » visible et tangible, à partir duquel le temps donne une forme aux

actualisations des émancipations et des mieux vivres. La perception du temps que

Deleuze lie à l’événement est le temps kantien :

« Le temps out of joint, la porte hors de ses gonds, signifie le premier grand renversement kantien : c’est le mouvement qui se subordonne au temps. Le temps ne se rapporte plus au mouvement qu’il mesure, mais le mouvement au temps qui le conditionne. Aussi le mouvement n’est-il plus une détermination d’objet, mais la description d’un espace, espace dont nous devons faire abstraction pour découvrir le temps comme condition de l’acte. »98

Un événement qui se caractérise par un phénomène collectif de « voyance »

constitue une sortie de l’histoire intempestive et irréversible. Deleuze prend acte

de la trame temporelle inaugurée par l’événement Mai 68 lors de et pour son

enseignement à Vincennes. L’événement une fois survenu prend aussi bien la

valeur d’un « signe historique »99 d’une émancipation collective pour l’avenir.

Expérimenter le devenir de l’événement Mai 68 selon la prise de parole lors

des cours à Vincennes suppose une répétition de la prise de parole selon un double

mouvement de perception : ce que perçoit celui qui parle et ce que perçoit celui

qui écoute. Entre ces deux « perceptions », se joue une tension de

l’expérimentation du sens et de l’entendement qui s’échangent et se traduisent

entre l’enseignant et les auditeurs. Percevoir la conceptualisation orale des

concepts passe par une répétition — qu’élabore graduellement l’enseignant — des

développements parlés par flux et reflux qui permet « une anticipation et

une évaluation collectives » du concept élaboré, de ce que l’auditoire peut en

soustraire pour ses propres recherches et intérêts, et de ce que le philosophe

98 G. Deleuze, Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 41. 99 Kant, Le Conflit des Facultés en trois sections, Paris, Vrin, 1997, Deuxième section. 5. Il faut bien cependant rattacher à quelque expérience l’histoire prophétique du genre humain, p. 100.

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117

vérifie pour ses écrits. La perception collective du concept que permet

l’expérimentation de la philosophie orale produit la conceptualisation du concept,

en fonction de la composition de l’auditoire et du temps nécessaire au philosophe

pour répéter et reformuler ses approches du concept. La théorie d’économie

politique du marginalisme invoquée par Deleuze100, sans doute la met-il en

pratique à Vincennes : répéter ses formulations, expérimenter des connexions de

notions et de références autour d’une problématique, observer le degré d’attention

et de tensions de l’auditoire, attendre et patienter collectivement la maturation du

problème de pensée avant d’aborder une nouvelle rubrique.

Canaliser l’enthousiasme creusé par l’événement Mai 68 pour enseigner les

concepts nécessite un recul, une mise à distance par rapport à la prise de parole

inaugurée par Mai 68. Il s’agit pour l’enseignant de reprendre cette « nouveauté »

— prendre la parole — tout en la transformant lors de ses séances, des flux et

reflux de développements aux moments d’inspiration…

Se jouer de la philosophie et de son histoire avec « wit and humour »101,

propager une « bonne humeur »102 durant l’ensemble de la séance, permet à

Deleuze d’aborder une pensée sous une forme supérieure à celle d’un

enthousiasme de la pensée lorsque celle-ci se traduit par des affections de gravité

ou de mélancolie. S’il n’est pas un enthousiaste de la philosophie – Deleuze

développerait alors une année de cours durant la monographie d’un philosophe et

donc renouerait avec un discours académique de la philosophie enseignée dont il

ne cultive aucune nostalgie –, en revanche, un certain enthousiasme gagne

100 La théorie du marginalisme est longuement développée lors du cours du 27/11/1979. 101 Shaftesbury, Lettre sur l’enthousiasme, Paris, Le Livre de Poche, 2002. 102 Ibid., p. 172 : « De cette manière nous pouvons assurer nous-mêmes quelque antidote contre l’enthousiasme. J’ai osé affirmer que demeurer de bonne humeur est le meilleur moyen d’y parvenir. »

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Deleuze lorsqu’il enseigne à Vincennes. Confronté à un auditoire cosmopolite, à

la « texture » variable, « inestimable »103, l’enseignant quitte le rapport classique

enseignant-étudiant104 et devient l’observateur et le « spectateur » des effets de la

pensée philosophique sur un auditoire. C’est l’auditoire qui suscite cet

enthousiasme chez le philosophe. Cet enthousiasme permet à Deleuze

d’entreprendre l’expérience qui consiste à convertir les concepts de la philosophie

pour des usages culturels (au sens large du terme), autrement dit pour et vers un

dehors du champ de la philosophie. La prise de parole du philosophe a lieu « au

milieu » de l’auditoire hétérogène, préalablement préparée par l’écriture du cours,

éloignée donc de la rhétorique d’un cours magistral dans le sens où les minorités

et la parole philosophique n’ont pas à « reprendre la parole »105 mais à la

« détourner »106. Manifestement, l’auditoire de Vincennes que Deleuze considère

inestimable avec enthousiasme, lui permet ce « détournement » de la parole et de

déployer ainsi avec enthousiasme son cours de philosophie selon une dimension

esthétique107, lorsque le cours (« une matière en mouvement ») constitue un

champ de rapports de forces favorables à la réception des idées de la philosophie

par les non-philosophes. Deleuze enthousiaste en fonction de son auditoire est un

philosophe « hérétique » au regard de l’enseignement traditionnel de la

philosophie sans pour autant prendre la posture du philosophe prophète de ses

affirmations ou de ses « visions ». Se tenir dans la portée d’un événement engage

un devenir qui interdit toute vision prophétique. Deleuze pourtant, davantage

nuancé qu’affirmatif sur les situations à venir, envisage par exemple nos sociétés

103 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « P comme professeur ». 104 Ibid. 105 G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, p. 237-238, op. cit. 106 Ibid., p. 238. 107 E. Kant, Critique du jugement, Paris, Vrin, 1993, p. 157, Du Sublime dynamique de la Nature. § 29. : « Ainsi l’enthousiasme ne peut d’aucune manière servir à une satisfaction de la Raison. Néanmoins, esthétiquement l’enthousiasme est sublime, parce qu’il est une tension des forces par les Idées […] ».

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119

futures sur le mode d’un nouveau despotisme, un « néo-esclavagisme »

mondialisé à partir du constat de la fin proche du modèle du salariat au profit de la

forme sous-traitance, au sein même de l’Université. Cependant, un espoir existe,

précise-t-il, selon les « quatre grands flux rebelles »108 de l’axiomatique politique,

que sont les flux de matière première, de matière alimentaire, de population et

d’urbanisation (les bidonvilles). Ces flux rebelles, par nature indécidables et

incontrôlables par le capitalisme, sont des « flux limites » pour l’axiomatique

parce que son système les produit comme sa propre limite, qui se situent « à la

tangente de l’axiomatique du système et de quelque chose d’irréductible ».

Une telle séquence est captivante pour les auditeurs et suscite leur

« enthousiasme » parce qu’elle envisage aujourd’hui un demain déjà actuel.

Deleuze n’engage pas des pronostics, mais dégage des « visions » objectives,

ancrées dans le présent, selon des blessures et des conditions d’existence réelles

qu’il perçoit et diagnostique lors de ses séances.

Si Deleuze enseigne avec passion, les parts improvisées et inspirées de sa

philosophie orale déjouent l’enthousiasme d’une parole qui cherche à maîtriser

son auditoire pour le convaincre. « Croire en ce monde-ci » (et non en un autre

monde) selon Deleuze suppose un enthousiasme rapporté aux flux rebelles de

l’axiomatique politique et au tournant imprédictible « des lignes de vie », ou

lignes de création en lignes de mort. L’enthousiasme de Deleuze pour la

philosophie, dans la mesure où il y a création de concepts, est une question

d’expérimentations corrélées à une prudence absolument nécessaire dans la

mesure où un concept est en prise directe avec la vie.

L’inspiration du philosophe est suscitée par des visions parce que l’événement

fait voir et tient à distance la passion lorsqu’il s’agit d’être un philosophe « digne

108 Cours du 25 mars 1980 intitulé Appareils d’État et machines de guerre.

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de l’événement », exige Deleuze. La passion de l’enseignant est celle d’un

philosophe. Cette passion fait signe109 à l’auditeur. Cependant la passion du

philosophe perçue et ressentie par les auditeurs repose sur la préparation écrite et

minutieuse du cours qui permet de dépasser la passion par l’inspiration.

L’enthousiasme des auditeurs pour les propos provient des répétitions préalables

des séances. La prise de parole de Deleuze repose avant tout sur sa préparation, sa

répétition.

L’enthousiasme de Deleuze perceptible lors de l’écoute des cours enregistrés, il

ne faut pas le confondre avec une volonté de convaincre, de convertir son

auditoire en disciples, car les flux parlés se situent dans la dimension

impersonnelle du On parle. Deleuze vient faire cours à Vincennes démuni de

l’autorité de ses livres. Il ne s’adresse pas en historien de son œuvre, à laquelle il

ne se réfère jamais.

Davantage que de l’humilité, il s’agit là de la ligne sobre du penseur artiste, qui

suit avec une cohérence singulière l’objectif des lignes expérimentales de

Vincennes. Cette cohérence avec l’institution nécessite une émancipation vis-à-vis

de l’autorité de la figure du philosophe renommé pour ses monographies

contribuant à l’histoire de la philosophie. La diction du concept ouvre sur

l’impersonnel du On parle. L’intensité transmise à l’auditeur est une

expérimentation qui dégage un rapport d’émancipation intersubjective.

Cependant, l’enthousiasme du philosophe et la préparation du cours

comportent leurs limites et leurs propres seuils ne pouvant se réduire à l’espace-

temps du cours, à l’oralité. Penser se joue avant tout dans la solitude et le calme,

109 Shaftesbury, Lettre sur l’enthousiasme, section VI, Paris, Le Livre de Poche, 2002, p. 166-167 : « « C’était un signe que ce philosophe ait cru à la présence originelle d’un bon fonds d’Ésprit visionnaire [Visionary Spirit] dans la nature humaine. »

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une « solitude peuplée » en phase directe avec l’écriture. Deleuze rédigeait ses

cours, une écriture qu’il connaissait par cœur, épargnant la lecture lors du cours.

Le cours, qu’il s’agit de « se mettre dans la tête »110, facilite ensuite

l’improvisation, suscite l’inspiration en fonction de la composition de l’auditoire.

Le cours écrit et répété est maîtrisé par l’orateur qui peut d’autant mieux

improviser selon une position d’attente, maintenir une distance entre la rigueur

des notions philosophiques et leurs enchaînements logiques en se dégageant de la

posture du professeur. Si Deleuze est acteur de son cours de philosophie, dans une

position artiste donc, il demeure philosophe, « philosophe-artiste dans le

mouvement de la séance, mais philosophe finalement, avec son art propre de

l’enseignement, dans le sens où il exprime sa volonté de « sortir de la philosophie

par la philosophie ». Par la multiplication des postures, des exemples, des

saynètes111 et des thèmes abordés, avec humour ou gravité, artistiquement, le

philosophe compose des actes de fabulation112. L’art fait loi pour enseigner la

philosophie à l’auditoire hétérogène de Paris 8. L’art, la théâtralisation, légifère

non pas sur la philosophie, la pensée, mais sur son enseignement, sur la dimension

orale de la philosophie. Concevoir le cours de philosophie de Deleuze comme la

critique de l’enseignement classique de la philosophie suppose une soustraction,

une opération d’« amputation » de la forme du discours pour « que les mots

cessent de faire texte »113, interrompent le chant du logos philosophique pour

produire une musique du cours.

110 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre P comme professeur ». 111 C. Jaeglé, Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes, op. cit., p.36. 112 L’acte de fabulation, par lequel s’invente un peuple, se référer aux cours enregistrés de 1985. 113 C. Bene et G. Deleuze, Superpositions, Paris, Minuit, 1979, p. 89 : « Que les mots cessent de faire ″texte″… C’est un théâtre-expérimentation, qui comporte plus d’amour pour Shakespeare que tous les commentaires. »

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Enseigner artistiquement la philosophie, par variations sur le contenu et

l’expression afférant au concept, suppose une exposition de cas, tels des cas de

jurisprudence114. Deleuze législateur ausculte la notion de Droit et la tient pour

une abstraction vide. Par-delà la généralité du droit, il n’y a que « des droits de la

vie. Seulement, la vie, c’est cas par cas »115. Une séance s’élabore en fonction de

la précédente, inspire et influence la suivante, toutefois, elle comporte son

développement interne parce que la vie de la pensée évide son mouvement entre

l’inspiration du philosophe et l’écoute captivée de l’auditeur.

La diversité des thèmes abordés lors des séances correspond aux écarts, aux

distances qu’il s’agit de combler entre les différentes formations des auditeurs,

entre la pesanteur et la richesse des notions philosophiques pour l’entendement

qu’il s’agit pourtant de faire passer oralement selon le temps imparti du cours.

L’art de Deleuze consiste à combler ces écarts par une expérimentation de

traduction des concepts. Cette traduction passe par des inventions de contextes, de

situations, une force d’adaptation de sens et d’attitudes pour suivre le fil du

concept selon un ordre qui ne peut pas être chronologique puisqu’il s’agit de ré-

enchaîner des exemples, des rubriques à partir de tels points en fonction de

l’hétérogénéité de l’auditoire.

Lorsque Deleuze évoque le public de son cours : « à la fois le plus divers et le

plus cohérent en fonction de Vincennes, par Vincennes. Vincennes donnait à ce

peuple disparate une unité »116, son enthousiasme élogieux traduit le contexte

immanent de l’université en relation avec sa pensée de l’immanence et témoigne

114 Le goût et l’importance accordés à la jurisprudence par Deleuze sont notamment abordés dans G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « G comme gauche ». 115 Ibid.

116 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « P comme Professeur ».

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d’un principe d’unité cohérente entre l’institution et la fonction d’enseignant du

philosophe.

Les premiers enseignements de Deleuze à Vincennes abordent La logique de

Spinoza117, une pensée qu’il a travaillé au plus près des normes classiques de

l’histoire de la philosophie118. La correspondance qui s’établit d’emblée entre un

cours reprenant un sujet philosophique, classique et rationnel par excellence, peut

signaler une tempérance, du moins un écart différé de Deleuze envers

l’expérimentation et l’interdisciplinarité de mise à Vincennes. Ce choix de la

matière enseignée témoigne de la conservation d’une part de l’histoire classique

de la philosophie en s’appuyant sur un ouvrage de facture académique, Spinoza et

le problème de l’expression, 1968. Deleuze ne développe pas uniquement ses

cours sur la thématique du désir et L’anti-Œdipe de 1972.

Sollicité par Foucault, Deleuze rejoint, deux années après l’ouverture de

Vincennes du treize janvier 1969, les enseignants du Département de philosophie.

Les déclarations des maoïstes occasionnent de fortes tensions entre le

Département et le Ministère119. C’est que l’expérimentation et la

pluridisciplinarité dans l’enseignement de la philosophie ont d’abord à passer par

les courants claniques conflictuels, voire virulents et organisés120. L’appartenance

à une tendance et l’engagement politiques, au sein de l’université, prime dans son

ensemble sur les matières philosophiques à enseigner.

117 C. Soulié, « Le destin, d’une institution d’avant-garde : Histoire du Département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 52. 118 G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, op. cit., p. 22. 119 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du Département de philosophie de Paris VIII », op. cit., pp. 54-55. 120 A. Badiou, Deleuze. La clameur de l’Être, Paris, Hachette, 1997, p. 8 : « Je dirige même une fois une ″brigade″d’intervention dans son cours ».

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124

Cependant, le conflit ouvert, l’objection directe ou menaçante, depuis les

premiers cours à Vincennes, atténués à Saint-Denis, Deleuze les incorpore dans le

déroulement de son cours. Si les objections et les discussions sont «

toujours douloureuses » répète-t-il, parce qu’elles ne concernent en rien ou même

altèrent l’affect nécessaire à la séance, elles intègrent néanmoins la part du jeu de

la séance, « présupposées », elles constituent un préalable à l’expérimentation de

la pensée, elles n’en sont pas exclues, mais anticipées et conjurées en même

temps. Objections et discussions, la prise de parole dans le sens de l’opinion, ne

peuvent se soustraire à l’événement Mai 68 et intègrent donc l’expérience de

l’enseignant.

La question du « surgissement de l’État » — un État apparaît sur le mode du

surgissement — est le point conceptuel travaillé par Deleuze et Guattari, depuis

L’Anti-Œdipe, qui permet de rejoindre d’une part, le présupposé de la discussion

et de l’objection manifestes lors des séances à Vincennes. D’autre part, une

machine de guerre, dans la mesure où sa confrontation à un appareil d’État n’a

pas pour but la guerre, constitue l’autre point conceptuel qui permet d’entrevoir

Deleuze enseignant dans la posture du nomade, en philosophe stoïcien. Le

nomade est un personnage qui voyage et pense, mais sur place, réduisant au

minimum ses déplacements. Deleuze lance sa machine de guerre conceptuelle

qu’il adapte, en fonction de son auditoire et de la confrontation à la normalisation

de l’Université. Lors d’une prise de parole, Deleuze en attend la fin, puis il précise

sur quel point il est en accord et à quel moment le propos ne concerne plus le fil

de son affect. Et si l’objection dure, ou bien lors des premières séances d’un

nouveau cours, il se permet de renvoyer les auditeurs vers d’autres enseignements

de philosophie du département.

Page 125: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

125

Se tenir dans le creux de l’événement Mai 68 trame une fidélité à l’événement

qui engage des mécanismes d’anticipation et de conjuration de la prise de parole

et de postures réactives à la parole de l’enseignant et sa fonction.

Deleuze élabore la contradiction entre sa position de philosophe fonctionnaire,

dans la tradition cousinienne, et de penseur minoritaire contre l’État. La

philosophie orale de Deleuze explore un espace, un vide, entre la préparation

écrite et l’improvisation par flux et reflux, qui selon l’impératif de la double

audition — pour les spécialistes et les non spécialistes de la philosophie — que

remplit une fonction, un service public pour tout le monde : user des concepts. Si

cet usage peut concerner tout le monde, il s’agit alors d’un service public, un

service rendu par l’État. Le philosophe prend en charge, non pas une attente, ce

que l’on attend de l’État — ses devoirs et ses fonctions — mais un « libre service

public » dans la mesure où c’est l’auditeur qui évalue ses besoins. Et c’est

l’auditeur qui écrit, nuance les propos du cours et les poursuit selon ses intérêts et

sa recherche. Lorsque Deleuze énonce son besoin d’un accord avec les auditeurs

sur les conditions du déroulement du cours, il remplit sa fonction d’enseignant,

mais renverse le rapport « offre d’un service/demande attendue ou service

demandé et attendu/ service rendu » ; Deleuze propose un contrat et non pas un

statut entre sa fonction d’enseignant et la présence libre de l’auditeur à

l’Université. Il opère le renversement du « passage juridique du contrat au

statut »121 de la relation psychanalytique et « trahit » la filiation entre le maître et

son disciple lors de son enseignement afin de s’adresser aux minorités dans la

mesure où la préparation écrite du cours n’est pas publiée et donc sans mot

d’ordre :

121 G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, op. cit., p. 103.

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126

« On dirait que l’écriture par elle-même, quand elle n’est pas officielle, rejoint forcément des ″minorités″, qui n’écrivent pas forcément pour leur compte, sur lesquelles on n’écrit pas, au sens où on les prendrait pour objet, mais en revanche, dans lesquelles on est prit, bon gré mal gré, du fait qu’on écrit. Une minorité n’existe jamais toute faite, elle ne se constitue que sur des lignes de fuite qui sont aussi bien sa manière d’avancer et d’attaquer. » 122

Le philosophe prévient l’auditeur (explicitement lors d’une séance) que celui-ci

trouvera la clef de son problème, autrement dit qu’il trouvera un intérêt au cours

dans la mesure où le philosophe règle ou élabore son problème de pensée durant

la séance : Deleuze pilote sa séance, mais ne dirige pas l’auditeur. La frontière

entre le problème de pensée du philosophe et celui de l’auditeur ou d’un groupe

d’auditeurs remplit la fonction de « l’Anomal »123 car les problèmes demeurent

hétérogènes ; cette marge qui déroule le fil de la séance est immanente car elle se

réfère à la vie de chacun, au « cas par cas » des problèmes vécus par les minorités.

La fonction d’un cours de philosophie est « un état de recherche » qui constitue

là « sa faiblesse et sa seule force », affirme Deleuze. Si d’une part, son cours

présente un aspect éclectique — selon les thèmes, les notions et les références

abordés —, et suppose d’autre part une écoute par affect — selon une variation

d’intensité perceptive, que ne manque de suggérer le philosophe, lorsqu’il invite

l’auditoire à suivre ses propos « comme dans un rêve » — notamment,

l’enseignement de Deleuze supporte un style éclectique dans la mesure où le cours

s’élabore comme plan de consistance. L’aspect éclectique d’une séance répond au

régime de désir qui se joue entre la composition et l’atmosphère, semi aléatoire,

de l’auditoire, et la préparation et l’inspiration du philosophe. Selon Deleuze et

Guattari, « l’État est toujours déjà là », et se manifeste sur le mode du

122 Ibid., pp. 54-55. 123 Ibid., p. 54.

Page 127: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

127

surgissement. Un auditoire constitue d’emblée un ″État en soi″, et il ne s’agit,

pour Deleuze, de légiférer sur la multiplicité des recherches issues de disciplines

variées. Deleuze enseignant se doit de garantir l’état de son auditoire ; ici s’arrête

la fonction de l’enseignant, qui nous livre son intransigeance sur la Recherche

entendue comme fonction de l’Université. Si un cours de philosophie est un état

de recherche, il n’y a pas lieu de redoubler l’intervention et le contrôle de l’État

sur les recherches, ce qui signifierait remettre d’emblée en cause le statut de la

recherche, ou répéter sans différence l’enseignement de la philosophie, donc sans

la Recherche. L’écart entre l’état de recherche du cours et le contrôle ou

l’intervention de l’État suppose une distance, un mouvement et des degrés de

voisinage, une mixité entre l’appareil et la machine. Deleuze enseignant tient une

fonction qui assume la Recherche universitaire à partir de problèmes constitués

par les idées. Les idées de la philosophie font problème, le philosophe monte son

cours ainsi, loin de fonder, défendre, pérenniser une philosophie, celle d’un

penseur ou bien une philosophie d’État. Nous avons vu que le projet de

l’Université expérimentale de Vincennes initié par E. Faure est adopté par

Deleuze, tous deux affirmant la nécessité de multiplier cette expérience en ouvrant

d’autres centres expérimentaux, en province notamment. Deleuze accentue la voie

de l’expérimentation, et sa multiplication, lorsqu’il invoque en 1982124 son besoin

personnel de reprendre le cours de l’année précédente afin de « se répéter », de

« ressasser » les points sur lesquels il était allé trop vite, afin d’approfondir et de

faire émerger des nouveautés conceptuelles. Pour cela, il convie les auditeurs,

avertis de l’ennui et de la difficulté probables des séances, trop nombreux pour

mener cette expérimentation, à quitter momentanément son atelier des concepts et

124 Il s’agit de la deuxième année de cours consacrée au cinéma, intitulée : Cinéma, de la classification des signes et le temps.

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128

de rejoindre les autres cours de philosophie du département. Deleuze approfondit

sa recherche avec les auditeurs qui souhaitent l’accompagner par leurs remarques

et leurs nuances, et creuse une distance avec le cours académique tout en

poursuivant le projet initial de Vincennes. L’enseignant remplit sa fonction. Le

concept est un différentiel qui s’expérimente avec l’hétérogénéité de l’auditoire,

avec les petits groupes. L’approfondissement de la recherche avec les auditeurs

constitue l’expérimentation du cours comme laboratoire en vue d’un livre. D’où la

nécessité de reprendre le cours de l’année précédente, le livre n’étant pas encore

mûr, 1982 précédant la publication de l’ouvrage Cinéma 1- L’Image-mouvement

de 1983.

Avec l’expérimentation et l’usage des concepts, la philosophie orale de

Deleuze est bien éloignée de l’éclectisme qui va alimenter le spiritualisme de

l’enseignement de la philosophie en France au début du XIXe siècle mené par

Victor Cousin, mais rejoint la prévention cousinienne d’écarter lors de son cours

de philosophie « toute imposition autoritaire d’une doctrine »125 philosophique.

« Le professeur de philosophie n’est plus dès lors perçu comme porteur d’un

dogme, mais comme fonctionnaire du concept […] »126. Mais contrairement à

Victor Cousin enseignant à l’École Normale, Deleuze n’enseigne pas le concept

aux seules jeunes élites. Loin d’enseigner la contemplation éclectique et

spiritualiste du ciel paradigmatique des Idées du Bien, du Beau et du Vrai,

Deleuze élabore son enseignement en fonction de l’immanence du « champ de

coexistence des différentes formations sociales » de son auditoire, sur la terre

ferme de Vincennes. Deleuze n’emporte pas une philosophie, mais prélève une

125 P. Vermeren, Victor Cousin. Le jeu de la philosophie et de l’État, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 156. 126 Ibid., p. 156.

Page 129: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

129

notion ou un concept pour l’éclairer à la mesure d’un problème. À Vincennes,

Deleuze engage une rupture avec « la philosophie à la française », qui provient de

la filiation entre la philosophie enseignée, orientée par la recherche d’une

philosophie nouvelle, influencée dans son ensemble par l’esprit encyclopédique

hégélien, et la politique d’État nationale.

La philosophie orale de Deleuze s’oppose au style emphatique des leçons de

philosophie de Cousin, et dénoue le lien entre la philosophie et la politique.

Deleuze déstructure la configuration de l’instruction publique d’un État moderne,

agencé par l’enseignement de la philosophie, professé, puis administré après

1830127 par Cousin, par et avec la « population » hétérogène de Vincennes, tout en

accentuant la distance entre son enseignement et le processus de normalisation des

Universités. Contrairement aux débuts de Cousin enseignant à l’École Normale,

Deleuze dispose d’une érudition classique philosophique lorsqu’il est nommé à

Vincennes, et ne recherche nullement l’autorité et la fondation d’une École

comme Cousin, mais œuvre à la rénovation de l’enseignement de la philosophie

avec les non philosophes. La transmission des idées de la philosophie se réalise

autant par les références directes aux philosophes que par les références littéraires,

artistiques, scientifiques.

Vis-à-vis de l’emphatique parole philosophique nationale de tradition

cousinienne, Deleuze compose à Vincennes l’après-Mai 68, selon sa critique de

l’excès du régime de la parole et de l’opinion qui a favorisé la tendance

despotique, au détriment de la pensée et de l’écriture des concepts. Lancer une

machine orale qui traduit les concepts constitue la pratique de Deleuze enseignant

et, en renonçant à être un « fonctionnaire des concepts », le philosophe assure une

127 P. Macherey, Les débuts philosophiques de Victor Cousin, in Corpus n° 18-19, « sur V. Cousin, p. 29-49. Ce texte est consultable en ligne (12 pages).

Page 130: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

130

fonction de « traducteur des concepts ».

Penser par intensité un problème philosophique n’est possible qu’à partir d’un

ensemble d’auditeurs : « Un tiers d’étudiants en philosophie, un tiers d’agitateurs

qu’on appelait les ″happenings″, un tiers d’étrangers de passage, et un tiers, si on

peut dire, d’artistes de toutes provenances : des peintres, des cinéastes … […] Une

bonne moitié de l’auditoire n’est pas universitaire. » 128

3. L’enseignement et l’enregistrement

La double audition du philosophe déjoue la constitution d’une compréhension

« majoritaire » des propos, pour disposer des flux et des rubriques dont les

connexions qui s’établissent d’une séance à l’autre, inversent les positions de

l’auditeur, tantôt majoritaire, tantôt minoritaire, selon son goût et son intérêt. Une

suite d’écarts et de « devenirs » constitue peu à peu un espace de résonances non

dénombrables des propos, un champ œcuménique s’agrège, « molécularise » et

module les rapports des idées entre l’auditeur et l’enseignant, facilite une

inspiration réciproque, à travers la patience et l’assiduité de l’année universitaire,

avec l’intensité et la sobriété requises par le cheminement de la pensée.

Le Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes de C. Jaeglé met en

relief la variété des tonalités de l’humour (pince-sans-rire le plus souvent) comme

une dimension essentielle des séminaires. Transformer le discours docte et moral

128 C. Parnet et R. Pinhas, « Il a pressenti la domination du visuel », entretien réalisé par D. Peron et G. Lefort à l’occasion de l’édition de quelques heures de cours consacrés au cinéma sur CD en 2006 chez Gallimard, in Libération, 14 juin 2006.

Page 131: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

131

du maître universitaire129 par l’ironie est une fonction constitutive du discours

philosophique depuis la tradition socratique, « assimilé » aujourd’hui par le

discours universitaire mais paradoxalement oublié par les universitaires130.

L’ironie et l’aporie131 — lors d’un développement sur Hegel ou lorsque est

évoquée la suffisance scientifique des analystes au regard des énoncés des

schizophrènes par exemple — appartiennent au discours philosophique, à la

tradition donc, et Deleuze y recourt pour creuser davantage l’écart entre le

discours académique de la philosophie de la tradition cousinienne et son cours à

Vincennes. Deleuze recourt plutôt à l’humour qu’à l’ironie car ses questions sont

feintes afin de mieux détourner l’auditeur du sens commun des réponses

spontanées de l’opinion. Il s’agit d’écarter également la volonté de « faire

science » lorsqu’il s’agit d’un cours de philosophie. L’humour de Deleuze joue

pour se développer sur un mode quasi « imperceptible » et « atonal »132 durant le

cours, parce que les énoncés sont à saisir « à la lettre »133. Le non-sens, qui

accentue une aporie, élabore une « arme » qui permet aussi de contenir le pouvoir

de la tendance de la professionnalisation de l’université au détriment de la

Recherche.

Il s’agit pour Deleuze d’enseigner à Vincennes à partir du mode de la

transversalité avec l’appareillage conceptuel classique de l’historien et de l’érudit,

utilisé avant Vincennes, du lycée à l’Université de Lyon. Les ouvrages de Deleuze

129 J-P Resweber, Discours universitaire et questionnement philosophique, in Le Portique, n° 6- 2000, Le discours universitaire. Dossier. Ce texte est consultable en ligne ( 8 pages). 130 Ibid., p. 5. 131 Ibid., p. 6 : « Ainsi privé de son élan ironique, le discours universitaire se fait sophistique, positif et efficace : il se scolarise au sens institutionnel et idéologique du terme. Le voici qui se rabat sur le profil du discours du maître, qui, on le sait, s’épuise à refléter l’ordre idéal des êtres et des choses, à s’ajuster aux dimensions d’un réel sur lequel il acquiert une prise décisive, bref à devenir pratique et efficace dans l’espace d’un agir communicationnel qui fait l’économie de tout questionnement épistémologique. Or, cette étrange mutation met le discours proprement scientifique dans une position privilégiée de pouvoir, puisque ce dernier voit le discours universitaire en totalité se rallier à des présupposés dont il s’honore depuis fort longtemps. » 132 G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, op. cit., p. 83. 133 Ibid., p. 83.

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132

écrits autour de 1968 mêlent une écriture de tradition docte et érudite à un

dégagement de cette même tradition. La rupture avec le mode académique de

l’enseignement de la philosophie est consommée, mais sur un mode différé. Les

effets de cette rupture sont retardés.

L’université de Vincennes apparaît en différé (un an après Mai 68), et Deleuze

enseigne à Vincennes deux année après l’ouverture, avec Guattari.

Un écart se creuse, une distance se répète, à partir de l’événement, entre

l’enseignement du philosophe et l’engagement politique, au sein de l’université.

En rupture avec le mode d’enseignement classique de la philosophie, les cours de

Deleuze conservent néanmoins un cadre et des développements philosophiques

précis, à partir de lectures de textes de Bergson et Leibniz notamment, ou de

connaissance précise avec des enchaînements denses et logiques sur Schelling, ou

sur la Phénoménologie de l’esprit de Hegel.

Des écrits aux cours, de la préparation du cours à son déroulement, puis des

écrits à la préparation du cours suivant, l’entrelacement des flux parlés reflue sur

les pages des livres et inversement. Les matériaux du cours — les rubriques, les

points et les notions, les références et les lectures des œuvres — constituent la

machine du cours que l’énonciation de la pensée altère en permanence. Il s’agit

pour Deleuze de mener son « agencement collectif d’énonciation », sans attendre

les effets immédiats de la compréhension, tant pour les philosophes que les non-

philosophes. Croire comprendre d’emblée, au terme d’une séance les tenants et les

aboutissants d’une pensée, entendre les paroles et les accepter, puis valider et

homologuer les propos équivaut à ne pas penser, tandis que l’affect suppose une

attente, mais une attente active. Une passivité requise de la compréhension et de

l’explication ouvre la dimension de la traduction et du temps qu’elle nécessite.

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133

Traduire la pensée en usant d’une énonciation variable, puis classer les signes

émis par l’ensemble de l’auditoire, selon le régime interactif du cours, implique

une vitesse d’appropriation des propos et des notions, capturés selon un rythme

singulier pour chaque auditeur par la pensée en devenir.

Émanciper le concept, s’émanciper avec le concept. D’une part, émanciper le

concept revient à l’usage de ce même concept de l’enseignant lors de son cours de

philosophie. D’autre part, émanciper le concept revient à l’usage qu’en fera, après

le cours, l’auditeur. Il ne s’agit pas d’émanciper les auditeurs qui le sont

certainement et suffisamment. Il s’agit plutôt de s’émanciper avec les outils

délivrés par les notions philosophiques, de prendre goût à tel style et tel mode

d’une pensée à la suite de telle lecture ou de tel propos suscités par

l’enseignement oral. La double audition remplit une fonction de traduction du

sens univoque des concepts et ainsi ouvre une porte à l’expérimentation de pensée

avec la philosophie, de penser par soi-même, c’est-à-dire de conceptualiser.

Conceptualiser avec la philosophie ses propres domaines revient à mettre en

rapport ses propres affinités artistiques ou scientifiques avec le fil des séances, à

tenir la fuite d’une assiduité aux séances.

À Saint-Denis, la salle de cours s’enrichit d’une table, « élément conducteur

actif […] le meuble de l’intersubjectivité »134, sur laquelle on dispose les

enregistreurs. Les micros captant les flux parlés renversent le grand nombre

d’auditeurs et le micro de l’amphithéâtre. Il s’agit là d’un gain certain qui

accentue la rupture avec l’enseignement à Vincennes et donne mouvement et

matière à la pensée parlée entre les auditeurs et le philosophe.

134 G. Deleuze, La plainte et le corps, article faisant l’éloge de l’œuvre de P. Fédida paru dans Le Monde, 13 octobre 1978, repris in Deux régimes de fous, textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003, pp. 150-151.

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134

« L’âge des cassettes »135, à partir du transfert de l’université à Saint-Denis,

épargne les discussions et les interruptions fréquentes et furieuses de certains

auditeurs dans les salles de Vincennes ; la quinzaine d’heures de cours filmés par

Marielle Burkhalter permettent de saisir cet écart, le fort contraste entre les deux

décennies. Un nouvel agencement de l’oralité du cours se constitue pour Deleuze.

Grâce aux bandes enregistrées, le professeur peut « nomadiser » comme il

l’entend, tenir et endurer la séance et ne plus avoir à revêtir son manteau et re-

chapeauté, stoïquement, à attendre un retour au calme, dans la posture de devoir

quitter la salle de cours lorsqu’un certain seuil de désordre encerclait la séance à

Vincennes, Félix Guattari dans l’auditoire négociant la reprise du cours.

Aux interruptions micro-fascistes de certains auditeurs, de certains leaders à

Vincennes, depuis Mai 68, succèdera le processus de normalisation de

l’Université. L’université de Paris 8 à Vincennes était considérée comme le lieu

de la liberté d’expression et du libre cours aux expérimentations spontanées, mais

elle fut d’autant plus un espace où purent se développer des prises de paroles

autoritaires et violentes sous couvert de l’injonction à l’émancipation, Deleuze

implicitement sommé d’enseigner dans un amphithéâtre.

Dix années après son ouverture, l’université est menacée de voir sa vocation

essentielle, la recherche, disparaître à terme, tout comme les auditeurs libres

lorsque les dispositifs de normalisation commencent à se mettre en place dès le

transfert à Saint-Denis. Le motif de la disparition de la recherche rejoint un autre

motif de disparition, celui de l’auteur et le problème de la définition et de l’unité

135 G. Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, p. 190.

Page 135: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

135

de son œuvre, dont il n’y a pas de théorie136. Les auditeurs libres dont la

proportion est plus forte dans les cours de philosophie que dans les autres

départements137, témoignent du renversement de la philosophie perçue comme

discipline prestigieuse et normative pour la discipline « libre-service » des autres

départements138.

Dix années après Mai 68, le cours de philosophie de Deleuze à Vincennes

remplit la fonction d’une boîte à outils conceptuels et constitue un gain et une

rupture par rapport à l’enseignement classique de la philosophie. Un gain dans la

mesure où le philosophe, l’enseignement de la philosophie se rendent disponibles

pour qui souhaite librement s’y intéresser ; une rupture, dans la mesure où sur une

moyenne de cent auditeurs assistant aux cours de Deleuze, la moitié est composée

d’auditeurs libres, dix années après les premiers enseignements dispensés.

Le capitalisme « essaime » des victimes et la précarité selon Deleuze, au sein

de l’Université, dont les étudiants constituent l’ensemble frontalement concerné.

La position de victime est produite et voulue par le capitalisme, dont le piège

consiste à élaborer une subjectivité de victime, une position revendiquée par ″la

victime″. Un État, l’université sont des modèles de réalisation parmi d’autres du

capitalisme. Par rapport à cet état assigné, il s’agit de tenir une position nomade,

de ne pas quitter l’inconfortable salle préfabriquée, de lancer sa propre machine de

guerre, et de résister. Deleuze incarne cette posture à l’université. Nomadiser

écarte le renoncement et la position de victime, les contient et les supporte dans la

mesure où des rapports de forces et de vie et volonté procèdent en même temps.

136 M. Foucault : « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la Société française, 63e année, n° 3, juillet-septembre 1969, Conférence et débat repris in Dits et écrits I, 1954-1975, op. cit., p. 822. 137 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 57. 138 Ibid., p. 58.

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136

Un auditeur a toujours la liberté de quitter la salle, d’y revenir. Discuter, objecter,

saboter par la parole ou l’attitude le déroulement du cours est une erreur car la

liberté de parole, par opinion ou violence, constitue une erreur par rapport à

l’écoute, donc par rapport à la présence. En empruntant des énoncés de Brice

Parain repris dans le dialogue entre le philosophe et l’héroïne du film de Jean-Luc

Godard, Vivre sa vie : « La vie écoute », « La vie ne parle pas », Deleuze règle

lors du cours139, le motif critique de l’usage et de la prise de parole à l’égard de

l’événement Mai 68.

À Saint-Denis, une muraille d’enregistreurs sur la table et les multiples

cliquetis occasionnés par le changement de face des bandes magnétiques libèrent

pour le philosophe une économie de discussion140.

Le concept d’« itinérance » permet de suivre les flux de paroles du cours. Les

paroles filent le cours des séances en traversant l’auditoire et ses différentes

formations sociales. Les effets de surface émis par les flux parlés suivent un tracé

horizontal, longitudinal. Ces effets sont autant de signes vérifiant la bonne allure,

le bon rendement des propos que ne manque de vérifier Deleuze au terme de la

séance. Le rendement du cours s’agence sur un « mode de production » oscillant

entre la double audition et les effets retardés de la compréhension, pour le

philosophe comme pour le non-philosophe, dont les « rapports de production » se

tressent pendant le cours, au sein même de l’auditoire. L’immanence du

rendement de la séance est de nature œcuménique, internationale. Passer d’une

rubrique abstraite et spécialisée à un exemple, produit un rendement dans la

mesure où « penser se fait dans le dos du penseur », évite les questions.

139 Cours enregistré du 22/01/1985. 140 G. Deleuze, Pourparlers, 1990, op., cit. p. 191.

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137

Dans la salle de cours préfabriqué, il s’agit de suivre le fil du concept tel un

message courant le long d’un agencement des flux parlés et ses messages faisant

signe, de type « couloir infini en longueur »141, celui des bâtisses des

administrations des Empires archaïques142, jalonné par bureaux, des loges et des

cloisons. La ligne de fuite des flux parlés de Deleuze se poursuit sans la

transcendance verticale et hiérarchisée d’un pouvoir despotique, celui de la

normalisation de l’Université dont les principales puissances diffuses sont

l’invisibilité et le quadrillage.

L’oralité permet une prise de distance par rapport à l’écrit, pour expérimenter

de nouvelles perceptions, de nouveaux affects : percevoir son auditoire et la

réception de ses propos. S’émanciper de l’autorité de l’écrit et de la solitude du

scribe, qu’il faut cependant rejoindre : l’œuvre à faire.

Avant le logos philosophique du cours, il y a donc la perception de l’auditoire,

car pour Deleuze, depuis sa rencontre avec Guattari, la politique, « être de

gauche », est une affaire de perception. La perception politique s’oriente selon

l’articulation suivante : percevoir à l’horizon, avant de revenir graduellement sur

sa position, sur son territoire, et, devenir, « ne pas cesser de devenir minoritaire »,

qui de surcroît est une affaire de distance.

C’est pour soi-même, pour lui-même qu’un auditeur non-philosophe assiste à

l’enseignement de philosophie. Le concept enseigné est alors au service de

l’auditeur pour son propre usage en fonction de son besoin, de sa discipline.

141 Ce concept visionnaire est développé lors du cours enregistré du 22/01/1980. 142 Cf. F. Kafka, La Muraille de Chine et autres récits, Paris, Gallimard, 1975, notamment le passage « Le message impérial », pp. 152-157.

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138

En 1980, au terme de cinq années d’enseignement à Vincennes, Deleuze

déclare, à l’orée d’un cours143, que la cohérence du cheminement de la pensée lui

est apparue progressivement. En ponctuant cette décennie d’une élaboration

philosophique accompagnée par les auditeurs, Deleuze propose aux auditeurs de

mener eux-mêmes la séance par des questions, et se saisissant de la première,

s’agissant d’une objection quelque peu implicite — le même auditeur reprochant à

l’enseignant, deux années plus tard, son manque de clarté —, il engage une

improvisation de deux heures trente. C’est que pour Deleuze, une société ne se

définit non pas par ses contradictions mais par ses lignes de fuites.

La séance suivante144, reprenant les acquis de la précédente, sera menée

explicitement sur le mode de l’expérimentation : pour « se risquer à construire un

problème avec des auteurs ».

Deleuze déjoue là le rôle du philosophe enseignant son cours de philosophie

académique. Mais avec la collaboration de Félix Guattari peut-il en être

autrement ? En 1975 paraît Kafka, pour une littérature mineure, et Mille plateaux

en 1980. Lors de ces deux séances, il précise d’emblée qu’il ne parlera pas au nom

de son collaborateur. L’improvisation et le montage d’un problème de pensée, lors

de ces deux séances, détournent la fonction classique du professeur de

philosophie. La vocation de l’enseignant se substitue au rôle du philosophe-artiste

confronté à l’auditoire mouvant et diversifié de Vincennes.

« Le philosophe n’a pas de rôle dans la société. Sa pensée ne peut se situer par rapport au mouvement actuel du groupe […] En réalité, c’est au bout d’un certain nombre d’années qu’on prend conscience de

143 Cours du 27/05/1980 intitulé Anti-Œdipe et autres réflexions ; la transcription est disponible en ligne sur le site de l’Université de Paris 8 : La voix de Gilles Deleuze en ligne. 144 Cours du 03/06/1980.

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139

la place d’un philosophe, c’est en somme un rôle rétrospectif qu’on lui assigne. »145

Deleuze ne s’envisage pas Professeur à Vincennes, il le déclare, à la lettre, lors

d’un cours sur le cinéma en 1982.

Il y a un contraste entre ses livres, considérés difficiles146, et les cours, pour qui

les écoute selon son propre ″point d’ouïe″. Deleuze n’intervient pas à l’université

en professeur, car il ne peut endosser ni tenir ce rôle qui, de Vincennes à Saint-

Denis, le replongerait dans une répétition académique de l’enseignement de

l’histoire de la philosophie. Entre les figures de philosophe et d’enseignant

classique s’immisce celle de l’artiste. La figure de l’enseignant de philosophie

classique se confronte, surtout à Vincennes, à la figure de l’enseignant militant

dressée par ses collègues majoritairement gauchistes du département de

philosophie. Le contenu des programmes doit être dicté politiquement147.

Si Foucault quitte assez vite l’institution expérimentale, Deleuze y demeure en

adoptant la posture du nomade, sous la figure de l’enseignant artiste, dont la seule

présence au fil des années, témoignent ses collègues, contribue indubitablement,

avec François Châtelet, à la pérennité de l’université.

145 M. Foucault, Qu’est-ce qu’un philosophe ?, entretien avec M.-Goy, Connaissance des hommes, n° 22, automne 1966, p. 9. Repris in Dits et écrits I, 1954-1975, op. cit., p. 580. 146 C. Jaeglé, Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes, op. cit., p. 34 : « Ce charme est propre au conteur oral des problématiques philosophiques, car le style écrit de Deleuze n’enchante guère, n’est pas rédigé dans ce but, sa référence à l’usine, au machinique, le faisant ressembler à une langue d’ingénieur, à un mode d’emploi. » 147 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », op., cit., p. 53.

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140

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141

Chapitre II Inventer l’usage du concept

1. L’auditeur autonome

Le philosophe est un artisan des concepts qui n’est nullement concerné, voire

menacé par la rivalité entre les différentes philosophies engageant leurs

discussions sur l’impératif de comptes à rendre vis-à-vis de la Raison, d’une

universalité du logos philosophique que garantit la notion de Vérité dans la

métaphysique depuis Platon. Si « Platon invente l’idée de Raison »148, une

invention en vaut une autre. C’est à partir de la notion d’invention en philosophie,

que se situe le cours de Gilles Deleuze de Vincennes à Saint-Denis, dans le sillage

de la critique de la raison historique lancée par Nietzsche, lorsqu’il s’agit de

remettre en cause la notion de Vérité.

Avec Deleuze, la transmission du savoir d’un philosophe repose sur un double

présupposé : d’une part qu’il y ait le produit du philosophe artisan : le concept, et

d’autre part, qu’il y ait un usage du concept. La question de l’adresse de cet usage

est par nature intempestive car l’usage d’un concept est tenu par une relation qui

suppose un certain rapport au temps.

Un concept, tout le monde peut en faire usage, il n’y a pas d’adresse. Cet usage ne

se pose pas comme une nécessité relevant d’un impératif, d’une universalité.

La relation entre le concept et l’usager est extérieure à ses deux termes (le

concept, l’usager) car l’usage présuppose une durée avant l’usage, car le concept

crée n’est pas adressé (étant créé comme une œuvre d’art).

148 F. Châtelet, Sur la philosophie de Nietzsche : Extrait d’une émission sur ″Nietzsche », produite par Serge Jouhet (France-Culture, ″analyse spectrale de l’Occident″, 8 janvier 1966, in Anthologie de la pensée française par les philosophes du XXème Siècle, Paris, Éditions Frémeaux & Associés, Ina.

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142

L’université et la philosophie entretiennent depuis leurs origines, comme par

vocation, le souci du Vrai, un devenir de la vérité, une volonté de faire science.

La rivalité politique entre les prétendants au Vrai dans l’université académique

trouve dans le thème de l’enseignement de la philosophie la cristallisation de son

souci, une matière à débats, à discussions infinies.

Avec l’université expérimentale de Vincennes, à partir de laquelle il s’agit de

quitter l’enseignement traditionnel de la philosophie, le philosophe n’entre pas en

rupture avec la philosophie et son histoire, mais se doit de pratiquer un usage des

effets de la philosophie pour et avec les non philosophes lors du cours. Pour cela,

la question de l’expression des concepts et des idées constitue une problématique

quant à l’usage de la philosophie, pour autant qu’elle entre en « résonance » avec

d’autres disciplines. Deleuze s’attache certainement à la problématique de

l’expression, quant à ses modalités et ses usages pour l’enseignement de la

philosophie lorsqu’il aborde ses premiers cours à Vincennes par La logique de

Spinoza.

Enseigner à l’auditoire composite de Vincennes, suppose une variabilité et un

mouvement alerte de l’expression philosophique des concepts. Enseigner le

concept suppose tenir la rigueur de la pensée tout en variant les approches du sens,

en respectant l’univocité du concept, tout en faisant varier l’éclairage sensible sur

le concept.

« Expliquer, c’est développer. Envelopper, c’est impliquer. Les deux termes ne

sont pas contraires : ils indiquent seulement deux aspects de l’expression »149.

Faire varier l’expression par le sensible « implique » le sens du concept ;

« expliquer » le concept ne peut suffire, même si l’explication intervient en partie,

149 G. Deleuze, Spinoza et le problème de l’expression, Paris, Minuit, 1968, p. 12.

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143

car l’explication magistrale des notions philosophiques ne correspond pas au

mode d’enseignement pratiqué à Vincennes.

Mener uniquement le cours de philosophie sur le mode traditionnel de

l’explication ne peut concerner l’ensemble de l’auditoire. Les signes émis par les

auditeurs sont captés puis convertis en retour, sur un mode artiste par le

philosophe, avec inspiration, en signes esthétiques, lorsqu’un énoncé produit une

image150.

« Cette pensée, ce philosophe, ce concept me touchent et concernent mon

affect, c’est la raison pour laquelle je vous les enseigne » : Deleuze ne considère

nul autre motif philosophique pour son enseignement à Paris 8.

Paris 8 transféré de Vincennes à Saint-Denis engage durablement

l’enseignement de la philosophie de Deleuze vers des cours abordant l’art — la

peinture et le cinéma —, précédés par deux semestres abordant Leibniz et

Spinoza.

Deleuze va s’emparer de la notion d’image pendant plus de quatre années,

affirmant la nécessité du motif d’une nouvelle image de la pensée avant d’aborder

la question Qu’est-ce que la philosophie ?, déclare-t-il, au début des séances des

années 1980. En 1986, l’enregistrement audiovisuel L’Abécédaire se réalise

lorsque le philosophe prend sa retraite de l’enseignement, suspend sa philosophie

orale. Il énonce sa volonté de sortir de la philosophie par la philosophie, et qu’il a

obtenu un gain considérable pour sa pensée en écrivant Le pli, Leibniz et le

baroque, un ouvrage d’histoire de la philosophie. Deleuze a quitté l’institution. Il

150 A. Sauvagnargues, « Baruch Spinoza », in Aux sources de la philosophie de Gilles Deleuze 1, Sils Maria, Mons, 2005, p. 204 : « Il s’agit donc [ pour Deleuze] de transformer le statut du signe, de passer d’un signe interprété, impératif à un affect, un signe-image, clinique et critique. Le statut du signe doit être délivré de l’interprétation et pensé comme rencontre réelle et composition de rapports : l’interprétation doit laisser la place à l’expérimentation. Voilà la contribution de Spinoza à l’esthétique de Deleuze. »

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144

renoue avec l’histoire de la philosophie par un ouvrage estimé difficile tel un livre

traditionnel de philosophie. En ce sens, Deleuze ne pratique plus la philosophie

artiste de ses séances.

Lorsque Deleuze énonce qu’« aujourd’hui, nous disposons de nouvelles

manières de lire, et peut-être d’écrire »151, nous entendons la préparation écrite de

ses cours comme l’écriture même de ses livres, en un même mouvement, une

même pensée. Le philosophe écrit ses ouvrages dont les pages sont restituées

oralement à l’université, à condition d’ « […] arriver à traiter un livre comme on

écoute un disque, comme on regarde un film […]. »152

La pensée suppose une certaine vitesse et une intensité dont l’affect requis —

pour qu’il y ait de la pensée — est le mode de transport, le véhicule de la pensée.

Les longues explications d’un cours classique de philosophie représentent une

linéarité temporelle et un volume parlé qui ne peuvent plus convenir aux

auditeurs. Cette implication d’un autre mode d’enseignement à l’université de

Paris 8, permet à Deleuze de rejoindre le problème des vitesses de la pensée, du

point de vue de Spinoza153. Lorsqu’une rencontre se réalise entre des affects

adéquats, entre l’enseignant et ses auditeurs, un intervalle se creuse entre les deux

points de vue et permet la formation de « notions communes », grâce à

l’hétérogénéité, la disparité des points de vue, des points d’ouïe, des formations et

des disciplines. La distance entre les termes et les exemples choisis produit une

vitesse de perception, puis de compréhension des idées abordées lors du cours. Il

ne s’agit pas de partir d’une idée, de la poser pour ensuite l’expliquer, comme on

151 G. Deleuze et C. Parnet, Dialogues, op., cit., p. 9. 152 Ibid., p. 10. 153 Cours enregistré du 02/12/1980, de la série Spinoza, des vitesses de la pensée.

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145

pose un axiome, mais d’« y arriver le plus vite possible »154, quitte à produire de

nouveaux problèmes de compréhension pour la pensée lors de la séance.

Les vitesses de la pensée implique nécessairement le problème de l’expression

philosophique de la pensée consacré à son ouvrage de 1968. Le troisième genre de

connaissance de l’Éthique de Spinoza, Deleuze le conçoit comme un affect artiste,

lorsque l’on est traversé par un état de conscience d’une puissance, un conscius155

qui se traduit par la confrontation entre l’intérieur d’une « conscience de soi »

gagnant l’extérieur de cette puissance. Cet état de conscience, autrement dit cet

affect, est ambigu car il mêle dans la conscience à la fois une assurance et une

fragilité constitutives de cette puissance. Cet affect, on peut le pressentir comme

une tension provoquée par la matière philosophique enseignée induite à trouver

l’expression ou l’énoncé qui se formulera au plus près pour l’audition du non

philosophe. Approcher une notion commune à l’ensemble de l’auditoire ne peut se

faire sans une diction spécifique du concept, proche du cri ou du murmure, un

mode sensible qui provoque une perception de l’auditoire avant que l’enseignant

ne développe les explications. Le concept s’entend davantage qu’il ne se dit parce

qu’il est perçu et s’éprouve.

Deleuze distingue deux Éthique écrites sous une allure et un mode de

perceptions différentes pour le lecteur, dans la même œuvre, l’une démonstrative

et théorique — l’œuvre que retient l’histoire de la philosophie — une deuxième

souterraine et pratique qui s’appréhende sur le mode de l’affect. Lors de son

154 G. Deleuze, Critique et clinique, Minuit, 1993, chapitre XII, Spinoza et les trois « Ethiques », p. 182 155 Cours enregistré du 24 /03/1981, faisant le pont entre les séances abordant Spinoza et celles sur la peinture.

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146

enseignement oral sur un mode artiste à Vincennes, Deleuze s’est certainement

inspiré de cette deuxième façon d’appréhender une même œuvre.

À partir de cette appréhension par affect, non classique, de la matière

philosophique enseignée, il revient à l’auditeur, s’il le souhaite, de s’adonner aux

longues études des œuvres écrites des philosophes. Quant à l’usage des concepts,

Deleuze inverse le schéma classique qui incite à l’accumulation préalable de

culture avant de profiter des joies du goût qui sélectionne ses domaines dans le

champ de l’érudition. Le chemin inverse tracé par le cours, qui rejoint l’idée plutôt

qu’il ne la pose comme devant être un acquis immuable de la pensée, prend la

direction du goût suscité de l’auditeur, avec tel exemple, vers l’explication de la

notion philosophique abordée. Ce sens du déroulement de la séance permet à

Deleuze de joindre ses problématiques de philosophe à la recherche universitaire.

Le corps formé par l’auditoire induit l’enseignant à traiter les rapports de

forces, à filtrer son érudition conceptuelle selon une allure prométhéenne qui

découpe le vif du sens du concept dans la somme des connaissances des logos de

l’histoire de la philosophie.

Il lui faut procéder par courts-circuits explicatifs, et inciter à ne pas trop suivre

telle démonstration pour la comprendre mais plutôt à en saisir les enchaînements.

Aborder le cours de philosophie « comme dans un rêve »156 constitue le mode

par lequel Deleuze invite aussi bien l’auditeur non-philosophe que le philosophe.

Faire confiance à ce mode d’entrée suppose la vaste base de connaissances,

virtuellement disponible, de l’historien de la philosophie. Ce mode d’entrée dans

la pensée, l’enseignant l’empreinte à la fiction, à la nouvelle comme genre

156 C’est le mode d’écoute suggéré par Deleuze aux auditeurs pour suivre notamment les treize cours de sur Spinoza et les vitesses de la pensée, compris dans le corpus sonore en ligne sur le site http://www.univ-paris8.fr/deleuze/.

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147

littéraire, à l’enquête du roman policier qu’il revient à l’auditeur de mener, pour

rejoindre ainsi le mode de pensée philosophique de l’intuition. Ce qui permet à

l’auditeur de suivre le cours sans la pesanteur des notions philosophiques requises

par l’enseignement classique.

Dans le sens où les flux parlés du cours se perçoivent suivant la formule :

« Une voix parle de quelque chose. En même temps, on nous fait voir autre

chose. Et enfin, ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous fait voir. »157 Le on

impersonnel, On parle, situe la part de l’événement qui se joue dans la salle de

cours. Assister au cours, c’est d’emblée se trouver une place assise ou debout

parmi les auditeurs et percevoir des lignes d’écoute respectives et un paysage de la

séance. Suivre l’enchaînement des propos et leurs exemples se tisse sur la surface

du temps présent et en « bordure » des rubriques et des thèmes abordés. Il ne

s’agit pas de comprendre la totalité des propos mais d’accepter les flux parlés

selon le régime de confiance et de tâtonnements nécessaires pour une recherche. Il

s’agit de suivre le propos par « le milieu », de prendre en cours le train de la

pensée car les problématiques des auditeurs demeurent pendant les séances. Il

s’agit de se saisir, de s’armer des outils conceptuels.

Suivre le propos de Deleuze rejoint la question posée par la nouvelle :

« Qu’est-ce qui s’est passé ? »158. Une connexion s’établit avec la double

question de ce qui nous arrive et nous concerne, auditeurs, pendant le cours.

Deleuze et Guattari entrevoient la nouvelle sous le rapport à trois aspects : la

temporalité de l’événement — ce qui est « déjà » produit est « attendu » et se

manifeste dans le « présent », sans « mémoire » ni « réflexion », dans la passe de

157 Qu’est-ce que l’acte de création ?, conférence donnée par Deleuze à la Femis en mars 1987, in G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit. 158 G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit ., plateau 8 : « 1874 - Trois nouvelles, ou « qu’est-ce qui s’est passé ? ».

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148

« l’oubli » — « la forme du secret » — qui renvoie aux problématiques de

Deleuze et des auditeurs — des « postures du corps ». — 159

« Il faudrait plutôt concevoir les choses comme une affaire de perception : on

entre dans une pièce, et l’on perçoit quelque chose comme déjà là, venant

d’arriver, même si ce n’est pas encore fait. »160 Deleuze a préparé la séance, l’a

écrite et répété, mais il ne peut s’agir d’un cours classique de philosophie. Il s’agit

d’expérimenter pour soi-même les flux parlés de la séance sans la préoccupation

d’un acquis nécessaire de connaissances philosophiques et de leurs

représentations. L’auditeur se fraye ainsi un fil d’expérimentation de sa pensée sur

les bords de l’érudition philosophique de l’enseignant. Cette érudition, néanmoins

réelle mais masquée, « imperceptible », est déportée artistiquement dans le champ

pratique d’une micropolitique lors du cours de philosophie, bien éloignée d’un

espace de débat, d’objection et de discussion.

Cette micropolitique qui s’opère lors du cours produit un effet. De l’érudition

masquée du philosophe, à ce qu’attend l’auditeur du cours de philosophie et en

imagine — un cours académique —, se creuse un écart. Il s’agit là d’un

enseignement à double audition qui actionne, par la position de problèmes pour la

pensée, un point de vue différentiel — n’engageant pas le cours dans une

progression, une accumulation des connaissances161 — entre l’image classique du

cours laborieux de philosophie composé de notions abstraites s’enchaînant

logiquement, et l’invitation de l’enseignant à aborder son cours comme dans un

rêve.

159 Mille plateaux, ibid., p. 237. 160 Mille plateaux, ibid., p. 238. 161 C. Charles Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », op., cit., p. 59 : « Dans Vincennes ou le désir d’apprendre, F. Châtelet défend un modèle pédagogique non hiérarchique, non progressif […] ».

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149

Du point de vue de Deleuze, la philosophie n’est pas menacée par quelque

danger provenant d’une discipline rivale, et par conséquent n’a pas à être

protégée, dans la mesure où son unique vocation consiste à créer des concepts.

Débats et discussions ne retranchent en rien son activité avant tout créative. Parler

ou débattre de philosophie ne concerne pas l’élaboration d’un concept dans le sens

où la parole ralentit ou gêne la ligne de temps nécessaire à sa genèse. L’activité du

philosophe, dont le « mode de production » correspond à celui de l’artisan,

suppose un mode de vie assumant un retrait périodique du monde, une solitude

nécessaire pour œuvrer à l’assemblage de ses concepts. Le point de vue de

Deleuze à l’égard de l’enseignement de la philosophie semble le même. Enseigner

à Vincennes, le philosophe ne s’en plaint guère de façon général semble-t-il,

malgré les prises de parole et les objections répétées, des premiers cours (1971) au

déménagement de l’université à Saint-Denis (1979).

Le danger qui menace son cours de philosophie provient de la normalisation

des cursus universitaires permettant les homologations nationales des diplômes.

C’est la recherche — par le cloisonnement des disciplines davantage

standardisées, les processus d’homologation des diplômes et le refoulement des

auditeurs libres à Vincennes — qui est en danger.

Ce danger est extérieur, représenté par la volonté d’État, et intérieur à

l’université lorsqu’une rivalité idéologique se développe, et participe finalement,

d’un point de vue pragmatique, à la volonté d’État. Cette volonté est univoque :

faire école de philosophie et non faire usage des concepts.

C’est la vocation de l’université expérimentale qui est fragilisée, non pas la

philosophie entendue comme activité créatrice de concepts. La création

philosophique et son écriture ont lieu à partir de la solitude requise pour la pensée.

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150

Le cours longuement et minutieusement préparé est écrit. Si le cours de

philosophie de Deleuze est mené à Vincennes sur un mode artiste, avec

improvisation et des moments d’inspiration, la philosophie n’est pas pour autant

menacée et l’enseignement de la philosophie non plus, dans la mesure où d’autres

enseignements classiques de la philosophie existent. Le « danger philosophique »

concerne les usagers des concepts : les non philosophes, le public non étudiant, les

chercheurs, puis par processus, certainement les philosophes.

L’usage possible des concepts philosophiques par les auditeurs libres

semblerait concerner les revendications de J. Derrida à propos d’un droit à la

philosophie, à partir d’une Université sans conditions, selon « le droit principiel

de tout dire, fût-ce au titre de la fiction et de l’expérimentation du savoir, et le

droit de le dire publiquement, de le publier. »162 Le rôle de l’institution

universitaire comme espace de discussion et de débats est une conception

nécessaire et louable, cependant éloignée de l’affirmation de Deleuze : « créer,

c’est résister », dans la mesure où l’acte de résistance s’élabore, par immanence,

au sein même de l’université.

Deleuze enseigne dans un espace quelconque. Si la salle préfabriquée est en

marge de l’université, elle appartient au département, à l’institution. Le cours de

Deleuze fait corps avec l’Université, sur le mode de l’appendice. L’institution

comporte ses paradoxes, ses luttes et ses conflits internes, sa dépendance envers

les décrets d’État, mais le cours de Deleuze est inclus dans le plan d’immanence

de l’institution, en constitue une singularité localisable. La trame des cours de

Deleuze trouve son processus de pensée dans l’université, loin d’invoquer la

création d’une institution philosophique extérieure à l’université. Il n’y a pas un

besoin de création à cet égard, car le cours constitue par lui-même la création de

162 J. Derrida, L’Université sans conditions, Paris, Galilée, 2001, p. 16.

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151

cet espace-temps de pensée, à l’usage des auditeurs, le cours se chargeant lui-

même de ses rapports avec l’institution.

« Il n’y a pas d’auditeur ou d’étudiant qui n’arrive avec des domaines propres,

sur lesquels la discipline enseignée doit ″prendre″ au lieu de les laisser de côté.

C’est le seul moyen de saisir une matière en elle-même et de l’intérieur. »163

Cette spécificité pédagogique de l’université expérimentale de Vincennes

ouvre, avant tout, un espace-temps de vérification de la création de pensée

philosophique pour Deleuze. Des « quelques minutes d’inspiration », par

lesquelles le cours gagne une valeur, estime Deleuze dans L’abécédaire (lettre P),

sans doute l’audition destinée aux non-philosophes, aux auditeurs libres propage

un devenir aux concepts, produit de l’événement pour la pensée, de

l’expérimentation des concepts, laquelle échappe à l’histoire164 et à un

enseignement classique de la philosophie.

La création des concepts a lieu essentiellement par et avec l’écriture. Il y a une

limite à la création des concepts pendant le cours, dans la mesure où la dimension

artiste de la philosophie orale de Deleuze ne peut couvrir la création passant par la

pensée solitaire et l’écriture, en dehors de l’institution. C’est de l’usage des

concepts dont il est question pendant les cours qui importe. C’est sur ce point que

la dimension d’une politique se pose, une politique de l’usage possible de ses

concepts divulgués lors de son enseignement165. Mais cette dimension politique

163 G. Deleuze, En quoi la philosophie peut servir à des mathématiciens ou même à des musiciens — même et surtout quand elle ne parle pas de musique ou de mathématiques, in Vincennes ou le désir d’apprendre, op. cit., p. 153. 164 Gilles Deleuze, Pourparlers, Minuit, 1990, p. 231. 165 Gilles Deleuze, Pourparlers, op., cit. p. 230 : « Ce n’est pas d’un comité des sages, moral ou pseudo-compétent, dont on a besoin, mais de groupes d’usagers. C’est là qu’on passe du droit à la politique. »

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152

n’engage pas la philosophie en tant que telle, autrement dit la création de

concepts.

Cependant, une dimension politique concerne l’usage des concepts dans la

mesure où, plutôt qu’un avenir, un devenir des concepts se pose lorsque les non-

philosophes s’emparent des concepts pour les transformer à leur façon. Au souci

d’une politique de l’enseignement de la philosophie, Deleuze substitue la question

de l’usage des concepts passant par l’invention, autrement dit passant par la

recherche au sein de l’université.

Enseigner la philosophie avec comme ligne pédagogique majeure l’émission et

la réception de signes, conduite par le régime de la double audition, singularise

une invention, affirme une pratique originale de la recherche universitaire. Le

philosophe dispose ses références artistiques, philosophiques et littéraires,

politiques et scientifiques, comme autant d’entrées qui permettent au non

philosophe de percevoir et de s’approprier peu à peu le concept en jeu. La

philosophie, selon Deleuze n’est pas régie par le paradigme de la Vérité, et les

œuvres ne supposent aucune hiérarchie entre elles selon leur provenance et leur

domaine. La philosophie est une région, une forme culturelle parmi d’autres, qui

possède sa géographie et son activité singulière. Nulle couronne ou pouvoir de

réflexion vis-à-vis des autres disciplines, ni une langue officielle de la philosophe

n’interviennent pour l’enseigner. Bien au contraire, aborder la philosophie à

l’université de Vincennes, mobilise l’invention plutôt que la réflexion dans le sens

où l’enseignant expose des problèmes de pensée qui ne font pas système ou

totalisation de notions philosophiques mais induisent, suscitent un usage des

concepts.

Page 153: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

153

2. Pragmatique du concept

Aristote considérait la poétique comme une région autonome, une sphère

indépendante par rapport à la philosophie. Deleuze quant à lui, déterritorialise la

pensée philosophique dans la région du « faire poétique » pour produire une

esthétique lors de son enseignement. Cette esthétique permet de percevoir les

concepts et les notions de la philosophie.

Aborder la pensée philosophique sur le mode de la fiction, « comme dans un

rêve », éloigne, lors du cours, l’appréhension de la pensée comme nécessairement

rationnelle, prise dans l’énonciation d’une vérité philosophique. La séance

n’enseigne ni modèle ni universel philosophique. Au mieux, quelques concepts

tirés de l’histoire de la philosophie participent à l’unité de la séance. L’unité de la

séance passe par la variété des références, les enchaînements conceptuels et la

variation de l’expression traduisant le concept selon la double audition. Aborder

le cours « comme dans un rêve » ne revient pas à envisager le concept comme

existant déjà dans un Ciel des Idées, mais traduit l’appréhension du concept de

l’auditeur par le mode de l’affect et du percept. Loin d’enseigner un programme

de philosophie, d’administrer un chapitre de l’histoire de la philosophie à ses

auditeurs, Deleuze vérifie ses suites conceptuelles déjà écrites grâce aux auditeurs

filtrant les idées166 émises par flux parlés.

Lorsque Deleuze déclare qu’écrire, c’est « écrire pour », « à l’intention » d’un

peuple qui manque, il faut entendre cette formule dans le sens du devenir animal,

auquel le philosophe participe lors de ses « moments de forme » durant le cours.

Le cours écrit peut être improvisé lors d’une séance — ce qu’espère Deleuze

166 G. Deleuze, Pourparlers, op., cit, p. 191.

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154

lorsqu’il suggère aux auditeurs d’accompagner ses propos par de brèves

remarques —, et susciter pour le philosophe une expérimentation qu’il monte et

risque la semaine suivante167.

Le devenir animal est un passage, une séquence intense qui permet au

philosophe l’exploration des bordures et des dehors « capable d’assurer des

analyses de détail »168 avec et en fonction de l’hétérogénéité de l’auditoire.

Entre la langue philosophique et la langue ordinaire, non philosophique, le sens,

sur le fil de la séance, se trame sur une tension qui n’actualise pas de signification.

Le sens trouve peu à peu sa langue, qui permettra une torsion, une mutation du

concept pour l’auditeur et du même coup un usage personnel de la matière

philosophique.

L’enseignement de Deleuze stimule à trouver une nouvelle langue, mi-

philosophique, mi-ordinaire, lorsque le non philosophe prend goût à la

philosophie. Percevoir autrement, puis nouvellement grâce au concept, la réalité,

lorsqu’une langue se constitue, implique de nouveaux rapports entre l’enseignant

et l’enseignement de l’histoire de la philosophie. De nouveaux rapports avec

l’histoire de la philosophie et les discours philosophiques n’impliquent pas un

déni de la philosophie, de ses discours et des différents styles des philosophes. Au

contraire, ces nouveaux rapports qui passent par l’enseignement réhabilitent les

concepts par et avec les usages possibles.

La recherche est résolument pragmatique lors des séances dans la mesure où

l’auditeur rejoint la salle préfabriquée pour une raison précise : « je cherche une

arme », des outils. Le cours de Deleuze jouit d’un prestige certain mais il est fort

167 Avec par exemple, les cours intitulés Anti-Œdipe et autres réflexions, des 27/05/1980 et 03/06/1980. 168 A. Sauvagnargues, « Deleuze. De l’animal à l’art », in La philosophie de Deleuze, F. Zourabichvili, A. Sauvagnargues et P. Marrati, Paris, PUF, 2004, p. 221.

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155

peu commode de le suivre, d’y accéder. Rejoindre l’Université et la salle de cours

ne garantit pas une formation, une préparation à un examen, le chapitre d’un

programme. D’emblée, l’auditeur occupe une position vulnérable, il est

« désarmé » ; il s’agit pour lui de « croire » au cours, de se faire sa place dans la

salle bondée et de l’endurer. La salle institue un rapport de forces avec l’auditeur.

L’enseignement de la philosophie avec Deleuze s’élabore en fonction de la

précarité du lieu.

Les concepts permettront à l’auditeur d’ajuster ses problématiques

personnelles, un mode de vie, son rôle et ses activités dans la cité, en dehors de

l’université. Le cours lui parle dans la mesure où il y vient régulièrement par lui-

même, mais le concept, il en fera usage à partir de son seul point de vue, ou de

celui de son groupe. Au sein du groupe d’étudiants, l’auditeur libre, « le nouveau

venu »169 font sortir de son sillon le régime académique du discours enseigné de la

philosophie et de son autonomie. L’usage du concept révolutionne le mode

d’enseignement de la philosophie parce que les auditeurs en capturent une partie

— à l’aide de la prise de notes, de l’enregistrement — et impriment un devenir de

la philosophie en dehors du cours, dans ou en dehors de l’université et vers

d’autres disciplines.

C’est l’enseignant Deleuze qui incite à cette fuite des concepts hors leur

contexte historique et leur discours, pendant plus de seize années (1971-1987)

entre les murs de l’université et tient le cap des opérations de montage, de collage

conceptuel. La « double capture » qui se réalise aussi bien pendant et hors le

169 F. Châtelet, « Disparité et non hiérarchie », in Vincennes ou le désir d’apprendre, op. cit., p. 128 : « […] il faut chanter les louanges du nouveau venu qui, quelquefois, irrite l’assemblée par une question ou une objection sur laquelle on pensait avoir fait la clarté minimale, mais qui, d’autres fois, a cette heureuse fonction dérangeante de rappeler que, dans de semblables recherches, le clair n’est jamais fait, et qu’il faut se méfier de ce qui paraît acquis. »

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156

cours, entre le concept et son usage libre, indique un devenir révolutionnaire pour

l’auditeur.

La philosophie n’est pas révolutionnée, mais sa diffusion, sa « mise en

culture » en dehors de l’université suppose et passe par un mode spécifique

d’enseignement avec Deleuze. Ce mode d’enseignement nécessite un espace-

temps spécifique de fabrication artisanale du concept, un savoir-faire éloigné de la

parole, de l’opinion170. Ce mode de fabrication, Deleuze l’importe oralement lors

de sa séance et explique fermement et académiquement aux auditeurs la faille

entre l’opinion, les discussions sur la philosophie et le philosopher, lorsqu’il

illustre ses propos par une référence à un passage de la Préface de La

phénoménologie de l’esprit de Hegel, avant de poursuivre son argumentation sur

l’affect du concept, lorsqu’un écrivain rencontre les pages de Spinoza.

Le langage ordinaire de l’enseignant utilisé pour la double audition situe les

points de la rupture effective avec l’enseignement académique de la philosophie

lorsque le cours élabore un rhizome de flux parlés. Le concept

d’« anexactitude »171 concerne le « problème de l’écriture »172, est nécessaire à

l’expression d’une chose, Deleuze l’utilise oralement en variant ses références aux

œuvres littéraires, picturales, cinématographiques, à des contextes de la vie

quotidienne. Autant d’exemples qui aboutissent à une hétérogénéité

terminologique qui rompt avec le lexique conventionnel de l’histoire de la

philosophie. L’écart entre le lexique philosophique et l’ensemble hétérogène des

références trame la séance, suscite une tension, stimule une écoute attentive en

marge d’une initiation à la philosophie et d’un modèle éducatif. Il s’agit bien de

170 Cf. au cours enregistré du 02/11/1982. 171 G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit, p. 31 : « Problème de l’écriture : il faut absolument des expressions anexactes pour désigner quelque chose exactement […] l’anexactitude n’est nullement une approximation, c’est au contraire le passage exact de ce qui se fait. » 172 Ibid., p. 31.

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157

sortir d’une volonté de culture, de modèle, d’éducation et de conversion à la

philosophie par la philosophie.

L’enseignement classique de la philosophie est une « ligne à segmentation

molaire » dont il s’agit de miner le discours à partir d’un travail de variation

terminologique, d’illustrations préalables afin d’extraire de ce discours des points

conceptuels, pour ensuite formuler le concept. À partir des points conceptuels

extraits des références, les flux parlés se réenchaînent avec d’autres références.

Les flux parlés élaborent une « matière en mouvement » hétérogène vis-à-vis des

différentes provenances des références, laquelle dépose des « lignes de fuite » ou

« lignes de déterritorialisation », qui agencent le cours sur le mode du processus.

Le processus produit lors du cours des « phénomènes de bordure » dans la mesure

où l’auditeur, tel groupe d’auditeurs — selon le régime de l’affect et de la

perception — qui suit la trame des propos, évite le discours classique de la

philosophie mais perçoit le sens du concept, en marge des flux, à tel moment.

C’est par des phénomènes de bordures, de frontières et donc d’écarts que

Deleuze agence son enseignement, avec la salle préfabriquée (en marge de

l’amphithéâtre), les micros des magnétophones (en marge du micro de

l’amphithéâtre), les auditeurs libres (à la marge des philosophes), l’auditeur ou le

groupe captivé à tel moment par le propos (en marge de l’objection et la

discussion), le mode oral de la pensée philosophique (en marge du discours et du

programme de l’enseignement classique de la philosophie).

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158

3. La recherche philosophique

Deleuze enseignant est un chercheur authentique. À partir de 1981173, en

réponse à la normalisation progressive, « processuelle », du Département de

philosophie, Deleuze va conduire sa propre ligne de cours durant quatre années

successives consacrées à l’image cinématographique. C’est bien avec l’art que

Deleuze maintient la ligne pédagogique de Vincennes pour son enseignement de

la philosophie. Il ne manque pas d’affirmer aux auditeurs que la philosophie —

l’image de la pensée — est bien sa préoccupation et qu’il n’élabore pas une

histoire ou une réflexion sur le cinéma ; « on ne va plus au cinéma ! », lance-t-il,

car la recherche s’élabore durant le cours de philosophie.

Le cours de Deleuze n’a pas pour vocation de dispenser une culture

philosophique à ses auditeurs ou une totalité de connaissances, ou de préparer un

bachotage pour un concours national de philosophie, mais il relève de la

recherche. Selon Deleuze, le philosophe est un « être aux aguets »174 qui capte les

signes, sans savoir à l’avance si ceux-ci lui parlent. Cette position de Deleuze

enseignant n’est pas celle d’un enseignant peu scrupuleux envers la réussite socio-

professionnelle de ses étudiants, puisqu’il s’agit du cours de philosophie au

service de la recherche, dispensé sur un mode artiste. Cette indépendance de la

recherche — vis-à-vis des institutions ayant comme modèle les principes de

gestion des Écoles — se cristallise autour du transfert de Paris 8 de Vincennes à

173 C. Charles Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 63 : « Ce public s’est profondément transformé dans les années 1980, en particulier après 1985. […] la politique pédagogique du département a évolué et, à partir de 1982, le département a commencé à adresser des demandes réitérées au ministère en vue d’une normalisation du cursus de philosophie et d’un retour aux diplômes nationaux. » 174 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « C comme culture ».

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159

Saint-Denis, dans le cadre du « processus de normalisation » de l’Université.

Pour Deleuze, un processus actionne des processus adverses. Il s’agira de militer

pour la création d’un institut polytechnique de philosophie175 au sein de

l’université, autour des années 1980, avec Lyotard, Châtelet et Schérer

notamment. La création de l’institut polytechnique de philosophie à Saint-Denis,

afin de répondre aux suspensions ministérielles des habilitations des diplômes de

philosophie à Paris 8, pose le problème de l’auto-marginalisation de cette

institution si cette orientation l’avait emporté. L’institut fonctionne et les étudiants

ont la liberté de mener leurs recherches dans différentes disciplines et en dehors

de l’université. Au début des séances, Deleuze annonce l’existence de cet institut

et invite les étudiants (notamment étrangers) à venir nombreux aux réunions

d’information. Si Deleuze n’attribue pas de notes aux travaux requis pour

l’obtention des unités d’enseignements des diplômes, il entretient avec

l’administration des rapports affables, ponctuels et rigoureux. L’institut constitue

une riposte aux sanctions de l’État, une expérimentation, un flux de recherche

pure, un processus qui démontrent le vitalisme de la pratique de la philosophie à

Vincennes, mais qui à terme, aboutissent à une « ligne de fuite » périlleuse pour le

Département de philosophie. La « reterritorialisation » nécessaire de la pratique

philosophique des concepts se situe au sein du Département de philosophie dans

la mesure où d’autres enseignements moins expérimentaux n’en demeurent pas

moins nécessaires à la recherche, pour maintenir un agencement collectif des

différents enseignements. Différents degrés d’assimilation de la matière

175 Les films du Fonds M. Burkhalter qui témoignent des activités des enseignants du Département de philosophie de l’Université de Paris 8 autour de l’Institut polytechnique ont été déposés en 2007 à l’Ina- Bibiliothèque F. Mitterrand. L’archivage et la numérisation des bandes filmées sont prévus courant 2007.

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160

philosophique et différentes vitesses d’appropriation des concepts par les

auditeurs ne supposent pas le seul régime de l’expérimentation et de la création.

Hors du cadre de l’appareil administratif de façon générale, Deleuze entretient

un rapport paradoxal avec l’institution. Si François Châtelet et Jean-François

Lyotard collaborent à la création du Collège international de philosophie, sous la

coordination de Jacques Derrida, Deleuze ne semble pas soutenir cette initiative,

car pour lui, s’il y a lieu de créer une institution de recherche, celle-ci doit

fonctionner au sein de l’université. D’une part, il s’agit de défendre la recherche

qui est la vocation de l’université et, d’autre part, de ne pas inciter les auditeurs

libres des cours de philosophie de Paris 8 à déserter l’université pour une autre

institution.

Deleuze concevait certainement le Collège international de philosophie, fondé

en 1983, comme le pendant de la normalisation des universités, à partir du

moment où la recherche est déportée hors du foyer de l’université. La recherche

prime au sein de l’université par-delà « la perte de crédit symbolique du

département de philosophie de Vincennes Saint-Denis »176. Si on considère

l’université, à juste titre, comme un ghetto dans le sens d’un lieu dont on ne sort

pas, c’est bien la recherche, vocation de l’université, qu’il s’agit de maintenir

entre ses murs.

Les connexions à susciter entre les personnes du centre et de la périphérie —

pour qu’il y ait un devenir révolutionnaire de la pensée et de ses usages entre la

philosophie et les non philosophes — nécessitent un espace quelconque, un foyer

de rencontres inconfortable aussi bien pour l’enseignant et les auditeurs, mais

localisable au sein de l’université et néanmoins en périphérie, en marge de celle-

176 C. Soulié, « Le destin d’une institution d’avant-garde : Histoire du département de philosophie de Paris VIII », op. cit., p. 64.

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161

ci. À susciter en marge de l’amphithéâtre et hors les lieux uniquement constitués

d’amphithéâtres.

« L’université cessera d’être un lieu de recherche », affirme Deleuze dans

L’abécédaire177 en 1985. Les programmes du Collège international de

Philosophie emblématisent certainement la disparition de la recherche

universitaire. Si Châtelet et Lyotard contribuent à la fondation du Collège,

l’alliance « invincible »178 du trio Châtelet-Deleuze-Lyotard ne fonctionne plus à

Saint-Denis, Guattari ne participe plus aux séminaires de Deleuze. Le cours de

Deleuze n’est plus « la plaque tournante des conflits »179 politiques de l’université.

À Vincennes, en marge de la discussion et de l’objection sur les idées, lors d’une

intervention180 qui dénonce les conditions de travail matérielles du cours, Deleuze

argumente son point de vue sur la logique de son enseignement, en un lieu

inconfortable, impossible dans un amphithéâtre, car « travailler dans un

amphithéâtre change la nature du travail »181. C’est que pour lui, il s’agit de

pratiquer la philosophie dans le sens où un concept ne s’entend qu’à partir d’une

problématique, et que penser, avec les auditeurs, c’est résister collectivement en

un espace également problématique.

La salle préfabriquée contraint nécessairement Deleuze à transformer un

enseignement académique de la philosophie en un enseignement collectif qui

suppose une épreuve de sociabilité pour les auditeurs et l’enseignant. Le malaise

enduré lors du cours — la promiscuité et l’hétérogénéité de l’auditoire — déplace

le philosophe et son discours dans le champ de la physiologie. L’enseignant

177 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., «P comme professeur ». 178 Nous reprenons là une expression de M. Burkhalter, enseignante au département de philosophie de Paris 8, qui a filmé l’ensemble des archives des cours de Deleuze. 179 Ibid. 180 Cours filmé du 23/03/1976 par M. Burkhalter, séquence intitulée « Les chaises » . 181 Ibid.

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162

endure et partage le malaise de la séance, détournée alors de toute position de

maîtrise. Le philosophe brouille les codes traditionnels de l’enseignement

classique de la philosophie. Hors de l’amphithéâtre, il s’agit de partager l’état182

de l’auditeur non-philosophe et de conjurer toute forme de discours impérial.

Or, cet état de malaise vaut davantage que le dégoût de l’enseignement

classique de la philosophie. Deleuze enseigne les concepts et en même temps

pratique la « schizo-analyse »183 à Vincennes.

Saisir des idées et des intuitions, entreprendre l’exposition orale d’un concept

nécessite une pensée procédant selon une vitesse qu’il s’agit de prendre par « le

milieu ». Par le milieu, c’est-à-dire en suivant le passage des concepts écrits à leur

exposition orale. Par le milieu, Deleuze historien érudit de la philosophie expose

oralement les concepts des pensées qu’il choisit et transmet par affect, les

concepts qui lui parlent.

D’une semaine à l’autre, la suite des cours développe une répétition, un

brassage des notions qui permettent aux concepts « de passer dans le courant »184,

dans l’espace des non philosophes, sans destination ni adresse. La « matière en

mouvement » du cours de Deleuze ne fait pas école. Contrairement aux écoles,

l’université n’a pas à s’adapter au monde du travail, affirme Deleuze. Par-là, le

philosophe relie deux figures, a priori sans affinités : le chercheur et le non

philosophe. C’est avec ces deux figures que Deleuze s’engage et gagne une

182 G. Deleuze, « Pensée nomade », in Nietzsche aujourd’hui ? tome 1 : intensités, Paris, UGE, 10/18, 1973, entretien repris dans L’île déserte et autres textes, Paris, Minuit, 2002, p. 355 : « Il y a un moment où il faudra bien partager, il faut se mettre dans le coup avec le malade, il faut y aller, il faut partager son état. […] Ce que nous sentons, c’est plutôt la nécessité d’une relation qui ne serait ni légale, ni contractuelle, ni institutionnelle ». 183 G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 249 : « Analyse du désir, la schizo-analyse est immédiatement pratique, immédiatement politique, qu’il s’agisse d’un individu, d’un groupe ou d’une société. Car, avant l’être, il y a la politique ». 184 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., «P comme professeur ».

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163

posture militante. Lors d’une séance à Saint-denis, le philosophe affirme à un

auditeur que celui-ci ne peut régler pas son problème de pensée avant qu’il ne

règle le sien pendant le cours, et que l’on devient philosophe lorsque que l’on a

trouvé son problème. Deleuze n’apporte à l’université rien d’autre que sa boîte à

outils conceptuels, il n’a rien à édifier, à instituer dans l’université, hors la

préparation du cours et la solitude requise pour la pensée et l’écriture. Le

chercheur et le non philosophe garantissent, par leur présence, une consistance

mineure pour la séance de philosophie. Il ne s’agit nullement de chercher à

défendre ou à protéger la philosophie, son histoire et son enseignement, mais de

fournir lors des séances des outils et des « armes » conceptuels aux chercheurs et

aux non philosophes. L’auditeur gagne le concept par sa propre assiduité aux

séances, il s’en tient au crédit de sa discipline et de ses savoirs et non pas au

contrôle de l’assimilation des connaissances. Il n’est pas question de formation

continue 185 et de contrôle des connaissances au sein de l’Université pour Deleuze,

mais seulement de recherche.

185 G. Deleuze, Pourparlers, op. cit., in « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », p. 247 : « Beaucoup de jeunes gens réclament étrangement d’être ″motivés″, ils redemandent des stages et de la formation permanente […] ».

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164

Chapitre III Vers le destin posthume de la philosophie orale de Deleuze

1. Corpus sonore et enregistrement audiovisuel

Ou bien, on considère les cours parlés, les enregistrements sonores comme le

brouillon du chapitre d’un livre, son élaboration. Dans ce cas, l’écrit parachève le

cours, oblitère l’archive sonore et sa valeur, au risque de répudier des genèses, des

pans de suites logiques et d’idées, l’inspiration et l’expérimentation précédant les

livres de Deleuze.

Ou bien, on envisage les enregistrements sonores des cours de Deleuze tels

que :

(A) - un éclairage, des gains de visibilité pour les concepts de Deleuze, pour

des points et des notions philosophiques. Cependant, on rejoint pauvrement la

première estimation si l’on s’en tient à la vérification du calque entre les lignes

écrites et les flux parlés.

(B) - des lignes de fuites créatives, des outils conceptuels pour les auditeurs.

L’importance de l’énonciation qui fait signe à l’auditeur et l’incite à faire usage

des cours en fonction des recherches de sa discipline.

Dans L’Abécédaire, Deleuze affirme qu’il reprend chaque fois « à zéro »

l’élaboration d’une pensée écrite et qu’il n’a, par conséquent, rien laissé derrière

lui, le brouillon, le manuscrit d’un livre. Ce qui nous laisse entendre les cours

comme l’espace et le moment spécifiques de cette élaboration.

Le cours minutieusement et longuement préparé par Deleuze est à entendre,

lors de la séance, davantage comme une musique qu’un théâtre. La musique de la

Page 165: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

165

séance se compose du flux des références, des ritournelles de l’enseignant qui

rassurent, ponctuent et relancent l’écoute, de scansions produites par les images

concrètes au détour d’un flux de paroles ; cette musique suscite le désir de

l’auditeur de poursuivre l’écoute lorsqu’elle accompagne une problématique

personnelle ou un goût pour telle connaissance. Une corrélation « désirante » se

réalise entre le philosophe et l’auditeur. Cette corrélation est collective, elle

peuple une solitude et sa recherche ; elle est objective et réelle car elle se suffit à

elle-même, éloignée de la notion de manque : le philosophe est un artiste qui

enseigne à des auditeurs à qui il revient de se faire les voyants du concept, la

séance est révolutionnaire186. À l’opposé de la disposition du public d’un

amphithéâtre, la proximité entre l’orateur et les auditeurs produit une ligne de

variation du langage et des énoncés qui traverse l’écoute et trace le cheminement

du concept qu’il s’agit de suivre comme une partition musicale de la pensée,

donnant lieu à un « Se parler à soi-même, dans sa propre oreille, mais en plein

marché, sur la place publique… »187

Professer classiquement la philosophie mutile la réception des notions et prive

par défaut d’interaction la dimension de l’affect. Tandis qu’éclairer un concept, en

faire usage (2), c’est ouvrir des pratiques liant des notes de cours aux flux de

paroles pour permettre de rejoindre des séquences de films, des lectures, des

positions de vies. À partir de cet usage de l’oralité, les cours enregistrés

participent à l’œuvre de Deleuze. Il faut donc les écouter.

186 G. Deleuze et F. Guattari, L’Anti-Œdipe, op, cit., p. 35 : « Les révolutionnaires, les artistes et les voyants se contentent d’être objectifs, rien qu’objectifs : ils savent que le désir étreint la vie avec une puissance productrice, et la reproduit d’une façon d’autant plus intense que qu’il a peu de besoin. » 187 C. Bene et G. Deleuze, Superpositions, Paris, Minuit, 1979, in « Un manifeste de moins », p. 107.

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166

« […] rien […] n’aura eu lieu […] que le lieu […] »

S. Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard

La séance de philosophie comporte son développement interne, une part

souterraine de la pensée, un processus qui se gagne avec et par la salle

préfabriquée ; le savoir, l’improvisation et l’inspiration du philosophe sont captés

par les multiples cassettes et les prises de notes des auditeurs. La philosophie orale

de Deleuze se positionne de façon minoritaire dans la mesure où le cours de

philosophie a rompu avec la forme de la lecture du cours préparé, du programme.

Les flux parlés s’appuient sur les pages écrites du livre inachevé selon les

problèmes de pensée, à éclairer par et avec l’auditoire ; la recherche a lieu à

l’Université.

Le contenu du cours suppose la matière philosophique : ses notions abstraites,

les pages des livres, les discours philosophiques et l’acte d’écrire, la longue durée

de la maturation de la pensée. L’expression du cours comprend : l’art de Deleuze

d’agencer les points conceptuels et les rubriques en tenant compte de la

composition de son auditoire. Entre le contenu et l’expression de la matière

philosophique enseignée du cours et la réception, l’entendement et l’usage à venir

des concepts des auditeurs, « il n’y a jamais correspondance ni conformité, mais

seulement isomorphisme avec présupposition réciproque. Entre le contenu et

l’expression, la distinction est toujours réelle […] »188. L’ « articulation » ou le

double bind — concept de G. Bateson — entre le contenu et l’expression de la

188 « La géologie de la morale (pour qui elle se prend le terre ?) », in G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 59.

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167

matière philosophique lors du cours est toujours double189, dans la mesure où les

contenus et les expressions ne cessent d’interférer. Le cours réalise une strate de

pensée isomorphe par rapport à la matière écrite, par rapport au livre et à l’écriture

et n’en demeure pas moins une part intense de la pensée, que recueille l’archive

sonore.

Avec l’auditoire, milieu composite, non-philosophes et philosophes, un rapport

de forces, une intensité, composent un champ qui précède les idées et les concepts

exposées par l’enseignant. En ce sens, il s’agit d’enseigner et de penser avec le

« milieu », par le « milieu ». La pensée lors du cours ne procède pas ailleurs que

dans le milieu ; l’auditoire procure la formation d’une strate spécifique, dotée de

ses propres codes, aux idées et aux concepts. Selon l’endo-consistance du cours

constituée par l’auditoire, il revient à Deleuze de trouver la bonne conduite des

flux parlés, la vitesse adéquate, variable, de l’exposition des concepts, fixés par

les enregistrements sonores.

Les flux parlés, par leur contenu et leur expression, ne cessent de former, de

consolider, d’échafauder la fabrication de la séance, d’insuffler des lignes de fuite

autant pour l’auditeur et le philosophe ; la séance procède par « le milieu ».

L’expérimentation qui se joue entre le philosophe et le non-philosophe est fragile

et difficile parce qu’elle est avant tout imprévisible. Le caractère irréversible de

l’expérimentation de la pensée par les flux parlés, certes mené avec la prudence

requise par l’expérience de l’enseignant, puise de la force et de la consistance, à

mesure que la pensée touche à l’« imperceptible » de la pensée. Tendre vers

l’imperceptible permet de saisir au plus près la vie de la pensée, produite et

189 Ibid., p. 59.

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168

garantie par la modeste salle de cours éloignée de la conception d’un « haut lieu

de la philosophie ».

Le cours enregistré de Deleuze — la totalité du corpus est consultable dans

deux bibliothèque, trois séminaires sont édités — demeure lié à l’Université, aux

institutions tandis que son usage se démarque d’un centre, d’un lieu localisable.

En témoigne la mise en ligne progressive des séances sur le site190 de l’Université

de Paris 8.

Il s’agit là d’une émancipation — enregistrement puis archivage — de la

philosophie, en partie technique — numérisation —, avec le cours de Deleuze.

Une pensée témoigne de sa puissance et de sa capacité d’invention lorsqu’elle

réussit sa diffusion en dehors de ses cadres institués et selon d’autres modes que

ceux, académiques, du cours de philosophie classique et de la lecture des ouvrages

spécialisés.

Rejoindre la salle préfabriquée, adopter une posture des plus inconfortables

afin d’entendre le philosophe affirmer qu’on ne peut espérer suivre son cours sans

l’affect adéquat au concept, suppose d’emblée une part de non-sens et de hasard,

une démarche a-signifiante de l’auditeur, dans le sens où Deleuze raconte la scène

du personnage de l’Idiot, de Dostoïevski ou de Kurosawa191, pris entre « l’oubli et

l’urgence ». Assister au cours de Deleuze est un « exercice de

dépersonnalisation »192, rendu possible par la salle exiguë. Deleuze pratique la

schizo-analyse lors de ses cours. Le statut et l’usage de la parole est modifié,

déplacé, et la pensée se met comme à écrire, du moins dans un même rapport à

190 http://www.univ-paris8.fr/deleuze/, op. cit. 191 G. Deleuze, « Qu’est-ce que l’acte de création ? », conférence du 17 mai 1985 à la Fondation Femis, in G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit. 192 G. Deleuze, Pourparlers, op. cit., p. 15.

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169

l’intensité requise pour écrire, mais à haute voix, et en ce sens, faire cours, ce

n’est plus tout à fait parler, soutient-il dans l’Abécédaire193.

La cassette est objet clandestin194, « moitié volontaire » et « moitié contrainte »

lorsqu’il s’agit de capter l’ensemble des flux parlés, l’auditeur tenu à distance de

l’enseignant. Sur ce point, l’enregistrement sonore constitue un gain et un confort,

il suffit de se raccorder aux cours numérisés mis en ligne, le climat, les conditions

matérielles de la séance passent suffisamment à l’écoute.

Enregistrer anime un désir pour l’auditeur, suscite une performance de la part

de l’orateur. La bande enregistrée est une arme pour l’auditeur, lui permet de

suivre plusieurs cours, trace une carte polyphonique au sein de l’Université,

constitue à terme une archive. L’archive est constituée par l’auditeur, l’arme

trouve son efficacité à la mesure de son assiduité aux séances. Une fonction

souterraine s’institue, déploie et supporte la recherche, alimente des activités au

sein de l’Université. A partir des bandes enregistrées, un trock, un stock, une

activité de copies et de transcriptions, une réserve de flux parlés peuvent se

constituer et des échanges circuler. Un circuit des flux parlés se développe en

marge de la publication des livres. C’est l’auditeur qui élabore l’institution, lui

procure un rapport de forces, lorsqu’il s’empare et décide du traitement des

enregistrements sonores, transcrire certaines parties, sélectionner les rubriques,

choisir un point conceptuel, valoriser une référence.

Si d’une part, Deleuze était peu enclin à la circulation des bandes enregistrées

dans la mesure où pour lui, un cours devait être « réussi », et si d’autre part, il

concevait une rupture radicale entre parler et écrire - ses cours n’ayant pas à

193 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « lettre P comme professeur ». 194 G. Deleuze, Pourparlers, op. cit., pp. 19-20.

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170

donner une publication écrite – c’est la question de l’usage qu’il faut entendre sur

ces deux points, question qui revient de plein droit à l’auditeur, au non-

philosophe. L’auditeur libre constitue une matière indispensable à la philosophie

orale de Deleuze, personnage par nature intempestif parce qu’il déjoue pour lui-

même l’ordre du logos académique.

Lorsque le non-philosophe fait usage de la matière philosophique, lorsqu’un

concept contribue ou résonne avec son mode de vie, Deleuze réussit le pari

engagé à partir de l’enseignement de la philosophie, loin de toute préoccupation.

L’enregistrement sonore incite à l’écriture, mais à une écriture d’une nature

différente que celle suscitée par la lecture et la pensée. Car, qui parlait

précisément ? Et qui écrit maintenant ? La personne qui écrit n’est plus la même

que celle qui écoutait. On ne peut transcrire la totalité d’un flux parlé sans en

amoindrir les échos, les lignes d’inspiration de l’orateur perceptibles durant

l’écoute. L’affect semble faire défaut, néanmoins, la nécessité d’écrire des jalons

et des balises entre les flux parlés l’emporte.

L’Abécédaire a permis à beaucoup de gens qui n’avaient pas la formation

philosophique nécessaire pour lire les livres — réputés difficiles — de Deleuze,

de comprendre un peu Deleuze, et de prendre goût, d’aborder la philosophie en

général, en compagnie du philosophe retraité — qui poursuit son œuvre écrite et

ne regrette nullement l’enseignement — et de l’auditrice et amie Claire Parnet.

L’engouement pour ce produit culturel repose sur l’accès par les entrées variées

— une lettre pour un mot —. Une micro-classification des concepts est élaborée,

une image de la philosophie est projetée, un philosophe témoigne, il poursuit son

œuvre. La mémoire prompte de Deleuze formule les concepts, le saut à la lettre

suivante laisse sur sa faim et accroît le désir de reprendre les développements

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171

précédents. L’auditeur stimulé gagne le confort des reprises conceptuelles que

permet l’enregistrement numérisé : l’auditeur expérimente le concept de rhizome.

Le philosophe n’enseigne plus et affirme qu’on ne peut rien faire qu’à partir du

″fond de sa solitude″. C’est un message essentiel, que lance Deleuze à l’étudiant

et à l’auditeur (lettre P) — Combien de lycéens sont-ils découragés par la

philosophie de la Classe de terminale ? —

Avec L’Abécédaire et la mise en ligne, sur plusieurs sites, des cours sonores et

de leurs transcriptions, se constitue peu à peu un corpus deleuzien parallèle. Il

existe ainsi la possibilité d’un renouveau de la philosophie orale, par des moyens

techniques et des intérêts individuels.

400 heures réparties en 177 séances, le corpus sonore n’est pas un programme

de philosophie universitaire ni une préparation aux examens. Quel fil, quel

instrument pourrait guider, aider l’auditeur à trouver une attention rythmée et

assidue, décidé à entreprendre une écoute qui s’étend sur plusieurs semaines, sans

objectif déterminé ou bien guidé par sa recherche et ses intuitions ? Il s’agit de

suivre une ligne de sobriété, répétée et nuancée continuellement par Deleuze

lorsqu’il rappelle ou signale la façon dont il entend mener son cours et ce qu’il

attend des auditeurs. La ligne d’écoute est une ligne sobre dans la mesure où

l’expérience qui consiste à percevoir la vitalité du concept est une expérience

commune que l’oralité seule permet. La disparité de l’auditoire engage la vitalité

du concept, la restitue hors la page écrite. Deleuze vérifie les suites logiques de

ses chapitres écrits et mise sur l’inspiration, tandis que l’auditeur produit des

pages manuscrites lors du cours ou tapuscrites à la suite de ses enregistrements de

magnétophone. En ce sens, le cours capté par notes écrites ou enregistrements

sonores constitue le manuscrit de l’auditeur. Que le concept soit exposé sur le

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172

mode de l’improvisation ou expérimenté avec prudence et précision par Deleuze,

les flux de la séance, captés par les auditeurs, restituent une vitalité du concept

sans restituer une copie du cours, le chapitre d’un livre. Le cours demeure un

moment de recherche, une image voisine du concept ; il s’agit d’en dégager une

″vision″ pour soi-même et par soi-même195, afin de trouver un usage et des

prolongements, en dehors de l’Université, parce que le cours est inédit et

s’appréhende tel quel, selon l’enseignement de la philosophie pratiqué à Paris 8-

Vincennes.

La séance expose des problèmes de pensée de Deleuze. Le corpus sonore

constitue une source à cet égard. Précieux pour les spécialistes et les chercheurs

deleuziens, il permet un parcours de réflexion jalonné par les livres et les articles.

L’enseignement de la philosophie de Paris 8 repose sur la corrélation d’un

concept à une problématique, sur le nœud noué entre la philosophie et des usages

pratiques à partir de la disparité de l’auditoire. L’auditoire disparate est un groupe

de rencontre qui se stabilise196, un milieu qui procure un style et une exigence de

clarté197 vis-à-vis des propos de l’enseignant. Le cours de philosophie est un

exercice de littérature mineure198. Lorsque Deleuze déclare son aversion ou son

dégoût pour la parole et la communication lorsqu’elles concernent la philosophie,

195 F. Châtelet, « Disparité et non hiérarchie », in Vincennes ou le désir d’apprendre, op. cit., p. 126 : « En ce domaine de la philosophie, il m’apparaît qu’il n’y a de connaissance que par la lecture assidue, la réflexion, la discussion restreinte, l’expérience ; et qu’en tout cas il s’agit d’un exercice passablement solitaire et méticuleux. » 196 Ibid., p. 126 . 197 Ibid., p. 128. 198 G. Deleuze et F. Guattari, Kafka, op. cit., p. 33 : « Les trois caractères de la littérature mineure sont la déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique, l’agencement collectif d’énonciation ».

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173

c’est dans le sens de son cours de philosophie et l’intensité déployée, la précision

et le travail de reprise des propos qu’il faut l’entendre199.

Les formulations orales du concept s’appuient sur ses suites logiques préparées

par écrit. L’écrit est le préalable du cours oral de Deleuze. La page écrite au

préalable se double lors du cours d’un travail de reprise, de précision des propos

capté par l’enregistrement. À la suite d’une séance, Deleuze peut reprendre pour

son compte les nuances et l’ouverture obtenues sur ses problématiques, le gain de

l’inspiration. L’auditeur, qui participe à la vie du concept durant le cours, élabore

sa pensée pour lui-même et trace ses propres plans et recherches, réinvente selon

son libre mouvement de pensée des usages possibles du concept.

L’enregistrement sonore produit par un magnétophone — un appareil de

capture — à son tour subit une capture, un traitement, cette fois-ci écrit lorsqu’il

s’agit de transcrire une partie de la séance, de choisir une série d’énoncés. Une

sélection de thèmes, une extraction d’énoncés et un choix de références au sein du

corpus sonore ne modifient pas le sens initial du concept, mais prolongent le sens

et l’usage du concept vers d’autres références : des séquences de films, des écrits,

d’autres enregistrements parlés ou musicaux, etc. Assimiler le sens du concept et

les références abordées lors du cours avant de transformer sa pensée sous d’autres

modes de pensée selon les disciplines, c’est à l’auditeur qu’il revient de prendre

en charge et d’élaborer la réception de la philosophie orale de Deleuze. Le cours

ne donne pas une leçon, ne fait pas histoire ni date, mais inaugure souterrainement

des réseaux à venir. Le devenir des flux parlés fait le pont entre la vision première

199 F. Châtelet, « Disparité et non hiérarchie », op. cit., p. 128 : « Par l’ambiance même du cours, qui exige de l’enseignant qu’il explique sans arrêt son propos, qu’il éclaire chacune de ses phrases, qu’il justifie l’usage des termes et des tournures tranchant sur l’usage courant […] que l’on rive son attention à ceci qu’aucun de ceux que l’on désigne comme grands philosophes n’a cessé d’avoir les pieds sur terre, de définir soigneusement son vocabulaire, de légitimer ce qu’il écrivait et de se référer à l’expérience commune de son temps. »

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174

perçue par l’auditeur lors des séances et une image surgissant de la pensée, par

après, par inspiration aussi. Le concept rend des comptes ultérieurement. Son

usage suppose un processus, une complexification de données et de rencontres ou

de confrontations, d’essais de combinaisons avec d’autres concepts et ouvre sur

des réinterprétations de sens en fonction de problématiques nouvelles.

2. À faire le corpus sonore comme outil dialogique

Loin de l’hégémonie qu’avait autrefois la classe de philosophie vis-à-vis des

autres disciplines ou de son insignifiance actuelle, le cours de philosophie de

Deleuze se rapproche d’un enseignement collectif qui concerne le Nous, effectif à

l’auditoire, et ce qui advient à ce Nous, virtuel et solitaire, du chercheur ou de

l’artiste, du non philosophe et du philosophe. Le cours enregistré est à l’usage de

tous, résolument démocratique si l’on accepte sa modalité de boîte à outils

conceptuels.

Plutôt que remplir une fonction et l’imposer lorsque l’enseignant lit son papier,

le cours dispense une libre disposition pour tous des concepts. Pour cela, la

préparation du cours est écrite et intense. Elle permet la reconstitution d’un espace

dialogique et suscite la recherche, à l’Université de Paris 8. Aujourd’hui, on peut

dire que cette invention d’un espace dialogique constitue une tradition effective à

l’Université.

Le traitement de la parole enregistrée et du cours filmé200 de Deleuze illustre la

rupture continue opérée aux lendemains de Mai 68 par le philosophe avec

200 M. Burkhalter, « Filmer la pensée ? Ce n’est pas de la pensée filmée », in Gilles Deleuze, Félix Guattari et le politique, Paris, Éditions du Sandre, 2006, Actes du colloque international, organisé à l’Université de Paris 8 en janvier 2005, dirigés par Manola Antonioli, Pierre-Antoine Chardel et Hervé Regnauld, p. 323 : « Le département de philosophie était le centre de toutes les recherches, de toutes les résistances pour préserver l’originalité radicale de Vincennes. La création de l’Institut Polytechnique de Philosophie en 1975 — pour faire face à la suspension par le ministre de notre habilitation à décerner des diplômes nationaux — est un moment décisif. Je commence alors à filmer les enseignements de François Châtelet, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, René Schérer et d’autres professeurs du département de philosophie jusqu’en 1980, date du déménagement de la faculté expérimentale de Vincennes à Saint Denis. »

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175

l’enseignement hégémonique du discours de la philosophie universitaire. Une part

importante du « laboratoire de l’utopie » que « représente » Paris 8 à Vincennes

puis à Saint-Denis s’est incarnée dans de nouvelles pratiques de la transmission

des savoirs et des archives grâce aux techniques audiovisuelles et numériques,

grâce au long cours des enthousiasmes militants : il s’agit de maîtriser patiemment

le feu prométhéen201 des flux parlés des auditoires de l’Université ainsi que leurs

images.

Il s’agit de distinguer l’œuvre publiée de Deleuze et le corpus sonore des cours.

L’écrit prépare le cours et parachève l’œuvre, néanmoins, le corpus sonore ne peut

se confondre avec les ouvrages de Deleuze dans la mesure où il élabore des

travaux et des initiatives, au sein et en dehors de l’Université, assure une physique

circulaire et souterraine des matériaux philosophiques centrés sur ou

périphériques à Deleuze.

Les territoires de ces matériaux issus des cours sont répartis de façon disjointe :

le site de transcriptions des cours Webdeleuze202, dispose progressivement, mais

sans diffusion sonore, l’ensemble des années de l’enseignement de Deleuze à

Paris 8 ; les films de M. Burkhalter couvrent amplement la période Vincennes,

mais seulement quelques heures à Saint Denis ; le site La voix de Gilles Deleuze

201 S. Bellos, « Les outils de l’histoire », in Cahiers critiques de philosophie. Multiplicités deleuziennes, n° 2, avril 2006, Hermann-Paris VIII, Philosophie, p. 73-74 : « Chacune des techniques de maîtrise du feu conduit à plusieurs stades d’évolution qui correspondent à des moments de transformation sociale. Le don du feu décrit par la mythologie implique dans le réel toute une phénoménologie de transmission du savoir. » […] « Il appartient dès lors au chercheur de se donner les moyens de passer par le domaine historique défini comme une physique faisant le lien avec le réel. » 202 http://www.webdeleuze.com. Le site de R. Pinhas compte à ce jour plus de 70 transcriptions de cours entre 1969 et 1987 et des traductions en langues étrangères.

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176

en ligne 203 déploie progressivement l’ensemble du corpus sonore des cours à

Saint Denis entre 1979 et 1987 ; les cours déposés à la Bibliothèque nationale de

France et à la Bibliothèque universitaire de Paris 8 — 177 cours, 400 heures ( les

deux fonds sont identiques) — soit l’ensemble du corpus sonore, est consultable

dans les salles de lectures à partir de casques audio depuis le début des années

2000 ; les éditions Gallimard ont publié un cours sur Spinoza, un autre sur Leibniz

et plusieurs séances consacrées au cinéma.

D’une part, le cours prépare et vérifie les suites logiques, recueille les

remarques et les nuances des auditeurs, inspire une « ligne de variation » pour

l’œuvre écrite du philosophe. Le corpus constitué de la philosophie orale est

réparti sur différents sites, sous différents agencements de matériaux —

chronologiques, sonores, filmés, transcrits, annotés — et ne légifère pas sur

l’œuvre écrite de Deleuze ou sur toute autre oeuvre. Il ne s’agit pas d’interpréter et

de représenter l’œuvre écrite sous l’angle des flux parlés. Le devenir de l’œuvre

écrite ne fait pas machine arrière dans la mesure où la pensée du philosophe ne

s’est pas élaborée dans ce sens. En ce sens aussi, la philosophie orale n’affecte pas

les écrits et ne fait pas école.

D’autre part, le corpus sonore s’adresse à tout le monde, dans la mesure où la

philosophie ne vaut qu’avec le non-philosophe. Le non philosophe est constitutif

de la philosophie. La disparité de l’auditoire est le fait majeur du cours. Pour

Deleuze, il faut concevoir la minorité comme une part effective de n’importe qui,

parce que chacun de nous comporte et endure sa part de « sous-développement »,

le philosophe et le non philosophe, tour à tour, puisqu’il ne s’agit pas de tout

203 http://www.univ-paris8.fr/deleuze/. Le site compte à ce jour près de 60 cours, entre 1980 et 1985, consultables au format MP3 et transcrits par des étudiants de l’Université.

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177

suivre ou de tout comprendre lors d’un cours de philosophie, « personne ne le

pourrait », affirme Deleuze dans L’abécédaire.

De façon différée, la diffusion du corpus sonore œuvre vers une multiplicité

d’écoutes, et peut rejoindre le désir d’ « imperceptibilité » de Deleuze, lorsqu’un

concept « passe dans le commun » et qu’il s’effectue dans un usage, dans un mode

de vie. La philosophie orale de Deleuze est l’expérimentation du passage du

philosophe dans l’imperceptibilité du concept pensé dans la confrontation à la

disparité. Il ne s’agit pas de faire dire, de répéter les paroles de l’auteur, de

l’orateur, mais de faire usage du concept ou d’en trouver l’écho pour sa propre

affaire, qui puisse ensuite agir dans les recherches, le travail, les intérêts disparates

de chaque auditeur.

À partir notamment des critiques adressées aux thèses exposées par Platon dans

le Phèdre, Jacques Derrida nous a appris à nous méfier du « logocentrisme » et de

la fascination que l’on éprouve à l’égard d’une parole « vivante ». La parole

vivante est considérée comme le seul véhicule adéquat à l’enseignement et tout

particulièrement à l’enseignement du philosophe censé nous transmettre les

critères du Vrai et du Bien. En effet, l’on considère la parole comme étant

dépourvue de toute violence et de toute artificialité, alors que l’écriture serait un

dangereux outil technique et mnémotechnique qui vise à déposer le savoir dans un

support muet et mort et qui produit d’innombrables abus et jeux de pouvoir.

Pourtant, l’enseignement oral, la « parole » des philosophes et des savants

continue d’exercer un attrait croissant sur des auditoires de plus en plus vastes qui

excèdent le cercle étroit des spécialistes ; en témoignent le succès des Universités

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populaires de Caen en France et de Mons en Belgique, de l’Université de tous les

savoirs, des cours de Michel Onfray, des CD des cours et des conférences de

Foucault et Deleuze et de l’Abécédaire. Les collections de supports parlés se

développent chez les éditeurs et sont mises en avant dans les bibliothèques et les

librairies.

Derrida lui-même était un grand enseignant, qui a animé pendant de

nombreuses années un séminaire très fréquenté dans un amphi de l’EHESS dans

lequel il redonnait vie aux propositions philosophiques souvent obscures et

incompréhensibles de ses ouvrages et mettait en scène, avec un vrai talent théâtral,

l’élaboration de ses concepts.

Ainsi, après une décennie d’études consacrées à l’œuvre écrite de Deleuze, les

chercheurs ont commencé à s’intéresser au corpus audio et audiovisuel qui réunit

des enregistrements de ses cours et l’Abécédaire.

Deleuze a réussi à entrelacer l’écriture et la parole, à jouer de leur proximité

avec constance et régularité à l’Université de Paris 8. En marge de l’institution

universitaire, cet entrelacement constitue une expérimentation, une pratique

réussie et novatrice. François Zourabichvili nous enjoint de saisir « à la lettre »204

— un appel, une ritournelle diffuse de l’enseignant — les concepts et les notions

exposés oralement par Deleuze. En 2005, Claude Jaeglé publie le Portrait

oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes. Cet ouvrage précise la façon dont

Deleuze expose ses concepts.

En 2004, j’ai publié avec Stéfan Leclercq aux éditions Sils Maria, un index

raisonné des cours enregistrés de Deleuze entre 1979 et 1987.

La diffusion de l’œuvre, et maintenant de la « parole » de Deleuze, s’est

produite et continue de se produire selon des modalités singulières et à travers une

204 F. Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, Paris, Ellipses, 2003.

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179

multiplicité de canaux techniques : aux œuvres publiées (souvent, mais pas

toujours, accessibles seulement à un public assez restreint d’étudiants et de

chercheurs en philosophie), s’ajoutent le site Web qui diffuse des transcriptions

des cours de Vincennes (www.webdeleuze.com), le grand succès de l’Abécédaire

avec Claire Parnet et ensuite des CD qui proposent pour l’instant des

enregistrements des cours sur Spinoza, Leibniz et plus récemment sur le cinéma.

Le corpus deleuzien est ainsi d’une part un « corps sans organes », diffracté et

démultiplié, auquel chacun a accès selon les supports, écrits ou audiovisuels, qui

lui sont le plus accessibles et selon les axes qu’il privilégie — philosophie et

histoire de la philosophie, art, politique, sciences —, de l’autre un corps avec de

multiples « organes » prothétiques. Sa réception ouvre certainement une nouvelle

époque technique de la diffusion de la parole philosophique, qui a été pendant

longtemps confiée exclusivement à l’enseignement oral et à l’écriture, et cette

philosophie constitue aussi tout d’abord une vraie « machine », avant de devenir

une « machine de guerre » pour beaucoup d’entre nous.

L’enseignement de Deleuze a frappé d’abord ceux qui ont eu la chance de

suivre ses cours et ensuite nous frappe à l’écoute par la présence très perceptible

d’un style, qu’on pourrait essayer de définir à l’aide des définitions élaborées par

Deleuze lui-même, à partir des auteurs et des écrivains qu’il privilégiait. Deleuze

a donné une définition du style, et notamment du style en philosophie, pour

répondre à une question sur la nature et le sens d’une écriture à deux qui l’avait lié

à Félix Guattari. Le style en philosophie, « c’est le mouvement du concept », celui

même que les cours de Deleuze nous donnent la chance de suivre, et la

philosophie peut être comparée à un roman, où un événement se produit et est

raconté, mais dans lequel les personnages sont des concepts et les paysages des

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180

espaces-temps. Le style naît des différences de potentiels entre lesquelles quelque

chose peut passer et se passer : « deux choses s’opposant au style : une langue

homogène, ou au contraire quand l’hétérogénéité est si grande qu’elle devient

indifférence, gratuité, et que rien de précis ne passe entre les pôles […] il y a un

style lorsque les mots produisent un éclair qui va des uns aux autres, même très

éloigné. »205 L’enseignement de Deleuze a un style parce qu’il est très éloigné de

la « langue homogène », neutre, monotone et monocorde des professeurs qui

croient maîtriser entièrement leur sujet et dont la parole n’est qu’un pâle reprise de

l’écrit qui ne laisse aucun espace pour que des événements se produisent dans et

par la pensée, pour qu’il y ait de l’imprévu, de l’impensé et du nouveau qui

donnent à penser à son public. D’ailleurs, Deleuze a répété à plusieurs reprises

qu’on n’écrit (qu’on ne parle et qu’on n’enseigne) qu’ « à la pointe de son

savoir », à partir de ce qu’on ne connaît pas encore et qu’on a le sentiment de ne

pouvoir sans doute jamais connaître et donc transmettre définitivement.

Cependant, cette position de non-savoir (au moins si on considère le savoir dans

les termes du savoir académique classique) n’est jamais un alibi pour la paresse et

l’ignorance : on sait que Deleuze préparait longuement et soigneusement chacun

de ses cours et que donc le surgissement de l’imprévu et de l’improvisation ne se

produisaient qu’à partir d’un long travail de la pensée, ce qui interdisait et

empêchait l’indifférence et la gratuité des propos ou un éparpillement excessif.

Mais Deleuze a donné aussi une autre définition du style (cette fois-ci à propos

des grands romanciers qu’il aime : Beckett, Kafka, Melville mais aussi Artaud)

qui pourrait également s’appliquer au sien. Le style est cette fois-ci décrit comme

un bégaiement ou un tremblement de et dans la langue, « une qualité

205 G . Deleuze, entretien avec R. Bellour et F. Ewald, publié dans le Magazine littéraire, n° 257, septembre 1988, p. 19.

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atmosphérique », une heccéité, « un milieu conducteur de paroles » qui réverbère

sur les mots les affects exprimés. C’est aussi ce tremblement qui confère sa

singularité à la voix de Deleuze dans les cours et qui produit la claire perception

d’un langage affectif, très éloigné de la froide abstraction des cours savants

donnés par des spécialistes qui séparent arbitrairement l’affect du concept et du

percept. D’ailleurs Deleuze et Guattari se sont efforcés, dans Mille plateaux et

Qu’est-ce que la philosophie ?, de produire une vision de la langue qui puisse

échapper aux dualismes classiques de la linguistique saussurienne entre signifiant

et signifié, forme et contenu, langue et parole : la langue qu’ils décrivent est

toujours en voie de déterritorialisation, n’est jamais un système figé, homogène et

en équilibre, mais un ensemble en déséquilibre perpétuel, soumis à des

phénomènes de bifurcation et de variations continues : « la langue tremble de tous

ses membres. »206

3. Mise en scène et « entretien infini »

Ce style singulier de la parole de Deleuze dans ses cours, fait l’objet du

précieux ouvrage de Claude Jaeglé, qui en souligne plusieurs aspects essentiels.

Tout d’abord, on peut percevoir à l’écoute des cours la capacité de se soustraire

« à des généralités strictes et au ton de voix égal du penseur abstrait »207. Ensuite

on peut reconnaître d’innombrables différences de rythme, de vitesse, mais aussi

une forme de polyphonie très caractéristique produite par des voix hétérogènes qui

proviennent pourtant du même individu. La voix paisible de l’enseignant se

transforme par la tonalité fantastique et menaçante d’un spectre. L’univers sonore

206 G. Deleuze, Critique et clinique, op, cit., p. 137. 207 C. Jaeglé, Portrait oratoire de Gilles Deleuze aux yeux jaunes, op, cit., p. 9.

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du cours ne répond pas à ce qu’on attend d’habitude de la voix d’un philosophe-

enseignant. Jaeglé précise que ces rugissements de fauve ou cette voix d’ogre très

inattendus interviennent au cœur du propos philosophique, comme la diction du

concept lui-même. Dans la voix de Deleuze parlent en même temps un jeune

homme et une vieille femme et s’y retrouvent toutes les tonalités, dans lesquelles

on peut distinguer des personnages oratoires, qui ne sont pas des personnages

conceptuels, parce qu’ils n’incarnent pas chacun un concept précis mais

contribuent à mettre en scène la philosophie de Deleuze comme « drame

expressionniste ou tragi-comédie improvisée »208. Avant tout raisonnement, toute

explication et toute argumentation (qui sont pourtant présentes), on entend ainsi

un vrai « cri » du philosophe, qui accompagne le surgissement du concept. Des

cris, des murmures, des rires et des chuchotements qui « sont pour Deleuze des

modes affectifs avant de devenir des modes vocaux »209. Le cours ne se limite pas

à transmettre méthodiquement un savoir déjà acquis, dont l’auditeur doit

simplement s’approprier de façon mimétique, passive, et le plus fidèlement

possible. Le cours permet au public (qui en a d’ailleurs gardé un souvenir très

profond) de partager les conditions d’apparition d’un savoir, dont chacun est

invité à s’approprier selon ses intérêts de philosophe, d’artiste, de cinéaste,

d’urbaniste, d’architecte, etc., et sa propre singularité.

Les analyses (ou mieux l’écoute) de Jaeglé ont aussi le mérite de faire

apparaître une dimension animal ou féline, une forme d’agressivité et de violence

maîtrisées qui scandent les moments les plus intenses de l’enseignement et qui

paraissent à première vue difficilement compatibles avec le modèle policé de

l’échange entre un professeur-philosophe et son auditoire attentif. Une violence

208 Ibid., p. 36. 209 Ibid., p. 53.

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que Jaeglé décèle aussi dans la parole de Foucault et de Jankélévitch et qui

accompagne la création, devant un public, d’un nouveau concept ou souligne ses

intensités les plus puissantes : « Seule une tête féline, sans doute, peut faire

correspondre la face du philosophe à ses griffes et à ses rugissements »210, d’où le

« portrait du philosophe aux yeux jaunes ». Cette violence est tout aussi

dangereuse que la fascination qui se dégage de la parole de l’enseignant, et

l’association des deux peut constituer un danger mortel pour l’auditoire, celui de

devenir des « disciples trop fidèles, trop attentifs, trop zélés »211.

La profusion des personnages oratoires met en scène les différentes approches

affectives nécessaires à la perception du concept. Le cours de philosophie est un

collectif oratoire, une fresque de personnages, d’actualités et d’anecdotes dont les

différentes expressions, nécessairement multiples, détournent la parole monocorde

et magistrale.

À propos de toutes ces multiples dimensions de la parole et de sa proximité

avec l’écriture, on pourrait évoquer la réflexion de Blanchot dans L’Entretien

infini, notamment dans la première partie intitulée La parole plurielle212.

L’Entretien infini réunit de longues réflexions sur la parole, l’écriture,

l’enseignement, la philosophie et notamment l’enseignement de la philosophie.

Blanchot constate que la forme (du roman, du poème) et ses emprunts à la

tradition, constitue un enjeu majeur qui doit être interrogé aujourd’hui vis-à-vis de

toute recherche de la pensée ; la dissertation scolaire et universitaire reste le

modèle, pour la philosophie écrite comme pour l’enseignement. Il y a eu à cette

règle de grandes exceptions, occidentales ou non : certains textes de la pensée

210 Ibid., p. 81. 211 Ibid., p. 83. 212 M. Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, « La parole plurielle », pp. 1-116.

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hindoue, les textes des présocratiques, les dialogues platoniciens, les Essais de

Montaigne, mais aussi le Discours de la Méthode de Descartes, dans la mesure où

il décrit le mouvement même d’une recherche et où la méthode, selon son

étymologie, y coïncide avec un cheminement.

En général, dans les époques les plus diverses, la forme dans laquelle la pensée

va à la rencontre de ce qu’elle cherche est souvent liée à l’enseignement. Déjà

avec Socrate, Platon et Aristote, « l’enseignement est la philosophie », mais

ensuite la philosophie s’institutionnalise jusqu’à recevoir sa forme des institutions

dans lesquelles elle s’inscrit (Église ou État). Au XVIIe et au XVIIIe siècle,

Pascal, Descartes ou Spinoza sont des exceptions à la règle. A partir de Kant et

Hegel, la philosophie noue définitivement une alliance avec l’Université :

« Hegel, en qui la philosophie se rassemble et s’accomplit, est un homme dont

l’occupation est de parler du haut d’une chaire, de rédiger des cours et de penser

en se soumettant aux exigences de cette forme magistrale. »213 Nietzsche dut

renoncer à être professeur, puisque sa pensée voyageuse et fragmentaire n’aurait

pu prendre place dans l’enseignement et s’accorder avec la nécessité de la parole

universitaire. Même si Heidegger était ou voulait être un philosophe-écrivain, une

grande partie de son œuvre est faite également de cours et de travaux

universitaires.

Blanchot interroge ainsi les relations constantes et anciennes entre la

philosophie et l’enseignement et commence par dire que enseigner c’est parler, et

que la parole de l’enseignement correspond aussi à la structure du rapport maître-

disciple. Mais ce rapport peut se manifester de plusieurs façons : tout d’abord le

philosophe-chercheur n’est pas seulement celui qui sait et qui transmet un savoir,

ni celui qui apprend par le dialogue avec ses disciples, ni l’exemple auquel l’élève

213 Ibid., p. 3.

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185

doit être lié par un lien existentiel de fidélité, de révérence, d’admiration, etc. Le

maître est un lieu où se produit une dissymétrie dans les rapports dits de

« communication », une distorsion qui exclut toute réversibilité (d’où le peu de

goût de Deleuze pour le débat et la discussion). Le maître n’est pas celui qui doit

aplanir le champ des relations et faciliter les chemins du savoir, ce qui pourrait

être le point de vue de Luc Ferry et Michel Onfray, mais celui qui doit bouleverser

et affirmer dans son enseignement un « inconnu » radical qui n’est pas assimilable

au prestige et à l’érudition de celui qui enseigne (il n’y a aucune référence ou

allusion de Deleuze à ses ouvrages lors de ses cours). Entendre parler et apprendre

à parler soi-même, « être enseigné », ne veut pas dire recevoir un message ou des

contenus, ni des « leçons de vie », mais être confronté à une suspension de la

familiarité des rapports avec l’autre et ses savoirs.

Mais cette structure idéale peut toujours être altérée : elle est altérée quand

l’ « inconnu » devient simplement l’ensemble de choix qui ne sont pas encore

connus, ou quand l’« inconnu » devient la personne même du maître, transformé

en gourou. Dans les deux cas – écrit Blanchot – l’enseignement cesse de

correspondre à l’exigence de la recherche. Pour donner une réponse à cette

énigme difficile de l’enseignement, le simple modèle dialogique ne suffit pas, ni

un langage linéaire à développement simple et méthodique, mais il faut chaque

fois remettre en jeu et réinventer la langue, la forme et même les voix et les

rythmes de l’enseignement. L’Université telle qu’elle s’est constituée au XIXe

siècle en Europe n’a pas réussi à répondre à cette exigence, puisqu’elle s’est

organisée comme une simple somme des savoirs déterminés transmis par des

spécialistes, dans la seule temporalité des programmes d’études. Dans ce contexte,

la parole qui enseigne se satisfait de la tranquille continuité discursive. Le

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186

nivellement de rapport que créé la position légèrement surélevée du conférencier

face à un groupe d’étudiants dociles, transforme le langage philosophique et le

philosophe devenu professeur, détermine un aplatissement visible de la

philosophie dans tous les domaines de l’enseignement qui risque de se

transformer aujourd’hui en une « formation continue » permanente.

Le langage de la recherche philosophique devrait selon Blanchot poursuivre

ces deux exigences de discontinuité et d’inconnu, l’exigence d’une parole plurielle

qui ne serait fondée ni sur le pouvoir, ni sur l’inégalité, ni non plus sur la

réciprocité et le dialogue : « Le dialogue, c’est la géométrie plane, là où les

relations sont droites et restent idéalement symétriques. »214 Alors que l’écriture a

souvent tendance à se contenter d’une prétendue continuité, l’enseignement oral,

dans des contextes privilégiés, peut sauvegarder cette complexité de

l’enseignement. Le cours de Deleuze avance par hésitations et tâtonnements, la

langue semble bien bégayer, la recherche se creuse et permet à l’auditoire de le

suivre malgré sa méconnaissance. Le langage du cours de Deleuze tisse une

discontinuité, « un langage déjà interrompu, plus encore un langage où tout

commence par la décision (ou la distraction) d’un vide initial. »215

L’intérêt de la parole de Deleuze-enseignant-philosophe-chercheur est

probablement pour nous, comme dans le cas d’autres grands philosophes-

enseignants comme Derrida ou Foucault, d’écouter une parole plurielle et

discontinue, qui ne se limite pas à transmettre un savoir déjà acquis à un auditoire

passif, ni de faire de la philosophie selon un modèle « dialogique » ou

« communicationnel » fondé sur « un bon sens partagé ». La parole enregistrée

donne à entendre une recherche en cours dont elle sauvegarde une partie

214 Ibid., p. 115. 215 Ibid., p. 9.

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187

d’inconnu et d’hétérogénéité qui permet aux auditeurs non pas de s’en approprier

mais de constituer à leur tour un parcours de pensée ou de création.

En suivant le motif de la recherche de Blanchot à propos de l’enseignement, la

dynamique de la recherche de la philosophie orale de Deleuze s’élabore selon les

modes suivant :

— Le philosophe dispense un enseignement original qui rompt la forme du

discours académique et hégémonique du logos philosophique.

— L’écriture est un processus qui, à son rythme, aborde les limites de la

culture216 et son histoire, transgresse et rompt ses lois et son discours.

— La recherche poursuit un engagement politique dont le motif général se

détourne et s’oppose au pouvoir en général, de la psychanalyse notamment, et

s’adresse au devenir des minorités, au moyen d’une philosophie orale qui soutient

le pari de faire coexister pendant le cours différentes écoutes en provenance de

champs sociaux et de disciplines variés.

Pour que la recherche du cours poursuive un engagement politique, celle-ci

doit s’émanciper de tout modèle pédagogique, de toute matrice rousseauiste, de ce

point de vue. Il faut oublier la figure de l’enfant à éduquer et donc celle de

l’éducateur en ce sens, dans la mesure où la double audition n’élabore pas une

« remise à niveau » entre spécialistes et non-spécialistes. L’auditeur non-

philosophe qui poursuit la recherche au fil des séances n’entre pas dans un cycle

éducatif par la philosophie qui lui enseigne des notions et des concepts de façon

progressive, selon des étapes et des règles d’un ordre à respecter. Il ne s’agit pas

de tâtonner et de suivre des impasses et des erreurs qui enseignent ou servent de

leçons à terme durant les séances. Le cours de Deleuze ne forme pas des

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188

philosophes, mais fournit aux philosophes comme à d’autres des angles et des

points de vue de pensée selon des concepts. L’absence d’affect d’un auditeur lors

de la suite des quelques premières séances devrait l’adresser, préconise Deleuze,

vers d’autres cours de philosophie. Il ne s’agit pas de perdre son temps lors des

séances pour persévérer dans un apprentissage philosophique, contrairement à une

règle de l’éducation de l’Émile217 de Rousseau, ou de suivre une pédagogie de

l’erreur, mais de poursuivre pour soi-même des lignes conceptuelles. Penser et

réfléchir suppose du temps, celui qui intervient après le cours et ne concerne pas

l’espace-temps collectif du cours, lequel se compose de seuils de perception de

compréhensions fugitives des matières et des références évoquées.

Il n’y a pas de modèle éducatif du cours de Deleuze car il n’y a pas de rapports

par « médiation »218 ou « loi » entre l’auditeur et le concept, dans la mesure où la

ligne du concept est problématique et expérimentale en fonction des rapports de

forces qui entrent en jeu par captures entre l’auditeur et l’enseignant :

« L’idée fondamentale de Spinoza, c’est celle d’un développement spontané des forces, au moins virtuellement. C’est dire qu’il n’y a pas besoin en principe d’une médiation pour constituer les rapports correspondant aux forces. Au contraire l’idée d’une médiation nécessaire appartient essentiellement à la conception juridique du monde, telle qu’elle s’élabore avec Hobbes, Rousseau, Hegel. »

Si Deleuze développe le thème de « la rupture du lien sensori-moteur »219 à

travers le cinéma néoréaliste de Rossellini, Visconti et Antonioni, par

l’instauration d’images de « situations optiques et sonores pures », l’auditeur

pourra « vérifier » par lui-même le concept énoncé en visionnant les séquences

217 Rousseau, Émile ou de l’éducation, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 112 : « Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. » 218 G. Deleuze, « Préface à l’anomalie sauvage », in Toni Negri, L’Anomalie sauvage : puissance et pouvoir chez Spinoza, Paris, PUF, 1982, repris dans G. Deleuze, Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, op. cit., p. 175. 219 Cours du 17 janvier 1984, intitulé Cinéma, Vérité et temps : le faussaire.

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des films conceptualisées par Deleuze. Or Deleuze ne suggère nullement cette

« vérification », « il faut me croire », conseille-t-il bien au contraire. La recherche

en cours ne trame pas une pédagogie qui vérifie une identité, un souci ou une

quête de mimesis à mener par l’auditeur de l’énoncé à l’image d’un concept. Si

Deleuze expérimente le concept et vérifie ensuite ses problématiques afin de

poursuivre ses chapitres, l’auditeur pour son compte n’a pas à rester dans le

« cloisonnement » conceptuel monté par le philosophe selon les « cas » et les

références du cours, aussi séduisants soient-ils. Il n’y a pas à construire une

« médiation » entre les références de l’enseignant et l’auditeur, la politique de la

recherche poursuit le sens unique d’une double « ligne de fuite », celle de Deleuze

et celle de l’auditeur. Deleuze affirme la nécessité de la prudence lorsqu’il s’agit

d’expérimenter et de prendre la parole, afin de ne pas tomber dans la réification

d’un concept, dans le piège de l’expérimentation d’autrui à reproduire, et donc de

« perdre son temps » avec une « pensée » qui n’expérimente pas par et pour soi-

même.

Parler pour enseigner sur un mode neutre, sur le ton du on impersonnel, lorsque

Deleuze compose un enseignement collectif avec son auditoire, libère un espace

qui produit un jeu de distances, « un rapport d’infinité » analogue à la recherche

de la pensée telle que l’entend Blanchot. Les flux parlés du philosophe captés par

les auditeurs permettent à Deleuze de vérifier les suites logiques de ses chapitres

écrits et leur cohérence conceptuelle, et permet aux auditeurs de s’armer des

concepts de la philosophie. L’auditeur entretient un rapport d’apprentissage vis-à-

vis de la philosophie parce que sa discipline prévaut sur la philosophie ; l’auditeur

n’est pas un « apprenti philosophe » parce qu’« il a autre chose à faire ».

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Plutôt qu’historien, le philosophe enseignant est un conteur. Il raconte un

événement, un événement de la pensée. Son auditoire varié l’oblige à exercer un

art épique et minutieux qui consiste à nous raconter un peu plus de deux heures

par semaine notre quotidien — par exemple sortir de chez soi pour rejoindre

l’Université —, le point de vue et les notions de penseurs artistes et de

philosophes. Le lieu modeste de la séance, choisi et enduré par l’enseignant et les

auditeurs, neutralise et décentre le discours académique de la leçon de

philosophie. Le propos philosophique est impersonnel lorsque son décentrage vis-

à-vis d’un discours linéaire touche un auditeur, dans la mesure où la pensée de

Deleuze concerne et s’adresse pendant son cours à la part minoritaire, de « sous-

développement » de tout le monde (L’Abécédaire, « être de gauche ») ; pour

Deleuze, la vie est du « cas par cas » et non pas une abstraction universelle

homogène, finalement vide de réel (« la Vie », « la Liberté », le « Droit », etc.),

celle du maître, du « sujet supposé savoir ». Le propos se diffuse sans intervention

ni discussion, dans l’espace-temps d’une problématique de pensée qui se monte et

se montre en même temps, progressivement, par immanence. La voix du

philosophe dépose l’effet d’une narration « neutre »220, anonyme et sobre,

maintient une distance vis-à-vis des effets des écarts oratoires, et finalement en

deçà de ceux-ci lorsque l’auditeur entreprend une prise de notes écrites élaborée.

220 M. Blanchot, De Kafka à Kafka, Paris, Gallimard, 1994, La voix narrative (1961), pp. 182-184.

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CONCLUSION

« On parle du fond de ce qu’on ne sait pas, du fond de son propre sous-développement à soi. On est devenu un ensemble de singularités lâchées […] de petits événements. […] traiter l’écriture comme un flux, pas comme un code. »

Gilles Deleuze, Pourparlers.

Décoder l’écrit passe par les flux parlés des cours auxquels Deleuze soustrait à

Vincennes « l’appareil universitaire »221 de la philosophie enseignée. La parole

vivante qui enseigne, nécessite de croire le philosophe, non pas « sur parole »,

puisqu’il revient aux auditeurs de nuancer et de s’approprier peu à peu les

concepts en fonction d’autres problématiques. Accorder une confiance aux flux

parlés de Gilles Deleuze s’envisage selon la forme du pari : accorder

indirectement un « crédit »222 à son œuvre écrite dans la mesure où ses cours

préparaient les suites logiques de ses chapitres. D’une part, le philosophe adapte

avec le non-philosophe le fil de sa pensée, expérimente donc pour lui-même, lors

du déroulement de sa philosophie orale à Vincennes. Et d’autre part, poursuivre ce

crédit dans la durée des flux parlés élabore un gage de pensée auquel participe

l’auditeur. Ce dernier est un locataire du cours, non pas un propriétaire des

concepts, qui s’acquitte de la redevance théorique de la philosophie à mesure qu’il

découvre la dimension pragmatique223 de l’enseignement de Deleuze.

221 Ibid., p. 16. 222J-M. Rey, Les promesses de l’œuvre. Artaud, Nietzsche, Weil, Paris, Desclée de Brouwer, 2003. 223 D. Lapoujade, William James. Empirisme et pragmatisme, Paris, PUF, 1997, p. 82 : « Or, le pragmatisme est une méthode pour ce qui est en train de se faire, non pour ce qui est déjà fait ou pour ce qui doit être fait ; il est en ce sens résolument anti-théorique. »

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Les cartons des cassettes enregistrées arrivent à la Bibliothèque nationale de

France vers la fin des années quatre-vingts, un peu comme des publicités

encombrent votre boîte aux lettres. Quelque dix années plus tard, la consultation

du corpus sonore de 400 heures, 177 cours, est techniquement aboutie, grâce à la

trame de l’archivage et la conversion numérique sur format MP 3. Le volume de

l’archive sonore de la parole vivante d’un philosophe ne semble pas avoir

d’équivalent dans les bibliothèques et les auditoriums ; et seul un appareil d’État

peut réaliser cette mise en forme du corpus, dans son enceinte, via ses bureaux

administratifs et ses espaces techniques audiovisuels. Les films des cours de

Deleuze et des autres enseignants de Vincennes nécessitent aujourd’hui le

traitement méthodique de l’archive. La prise en charge du traitement des images,

« post sonore », par l’institution et ses personnes de métier, continuera de susciter

un goût pour le philosophe qui a aujourd’hui trouvé une place, importante et

diffuse, dans la production culturelle audiovisuelle. Le cours de Deleuze nécessite,

et suscite, le travail de studio, de restauration, de filtrage et de montage, exige la

minutie et le soin d’un savoir-faire technique qui fait écho au philosophe créateur

de concepts et à son « cours rêvé » de type atelier. Une répartition technique du

traitement de la matière sensible de l’enregistrement sonore et filmé de la parole

de Deleuze, constitue par ailleurs une empreinte de la pensée hors du champ de la

philosophie universitaire. Le cours de Deleuze est « une matière en mouvement »

qui se délocalise en suivant une autre carte pour d’autres ouvrages et d’autres

montages que ceux de la salle préfabriquée.

L’œuvre écrite de Deleuze, grâce à l’enregistrement de sa philosophie orale

gagne une aura, trouve un relais dans l’espace de la culture technique moderne, et

finalement se démocratise, dans la mesure où l’on peut aborder sa pensée en

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dehors du cercle de l’écrit. Tout comme il considère sa perception de la politique

dans le sens où, « être de gauche »224, suppose de percevoir les choses et les

situations éloignées, à l’horizon, avant de, et pour revenir progressivement vers sa

situation. Le pourparler anticipe l’écrit. La prise de parole constitue l’horizon

nécessaire de l’écrit.

Le cours enregistré par la bande magnétique ouvre sur une expérimentation,

intempestive et difficile, lorsqu’il s’agit d’agencer et de trouver le juste

diagramme fidèle à la pensée de Deleuze, mais est-ce bien là le problème ? Le

cours a pris part à l’élaboration des ouvrages du philosophe de son vivant, et le

cours, enregistré, est destiné à l’auditeur et à son usage personnel des concepts.

Aujourd’hui, de l’œuvre écrite de Deleuze à l’usage conceptuel puisé par

l’auditeur le long des séances, l’enregistrement sonore est davantage qu’une

correspondance entre la parole et l’écriture philosophiques, car les recherches et

les travaux suscités sont relancés par une pensée hors de la représentation, qui

parle en son nom propre, sans un retour systématique à la pensée strictement

philosophique.

Davantage qu’une transmission du savoir philosophique, la philosophie orale

de Deleuze établit un mode de connexion entre le courant de conscience ou le

monologue intérieur du philosophe et celui de l’auditeur, dans la mesure où la

pensée philosophique n’est pas réflexive, ni spontanée, mais procède en fonction

de son caractère automatique225. Ce mode de connexion fait style, et à travers

l’enchaînement des séances s’élaborent une dialogique et une polyphonie qui

permettent de percevoir tel concept. Le cours ne serait rien d’autre que le montage

d’une pensée pragmatique. Le cours n’est rien de plus qu’un état, un moment de

224 G. Deleuze et C. Parnet, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, op. cit., « G comme gauche ». 225 Sur ce sujet, on peut se référer aux premiers cours de l’année intitulée Cinéma et pensée, 1984-85.

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recherche qui suppose des mises au point et qui ne constitue d’aucune façon un

acquis théorique ; Deleuze précise aux auditeurs cet aspect et leur suggère alors de

donner leur avis à tel stade du cours qui pourtant, a été minutieusement préparé et

répété. En général, Deleuze invite l’auditeur à suivre son propos, comme

« l’automate spirituel » de Spinoza, afin de suivre les enchaînements de ses

propos plutôt que de comprendre selon une logique démonstrative.

« Présomptueux », s’estime l’enseignant qui a voulu durant trois années

« tirer de la philosophie du cinéma »226, c’est-à-dire penser la pensée du cinéma en

philosophe. Les huit séances précédentes semblent avoir mené à une impasse, et

dès son amorce, le cours se vide de toute certitude théorique et rompt avec la

progression de la pensée philosophique (parlée). Avant d’aborder la conception du

cinéma pensé dialectiquement selon Eisenstein et les ruptures du cinéma de

l’après-guerre avec cette conception, Deleuze indique la tonalité de sa séance,

prépare l’auditeur à l’affect correspondant. Après un long développement

clairement exposé à propos de la théorie du cinéaste de la dialectique entre

l’homme et la Nature, les propos de Deleuze abordent le cinéma des images

sérielles de Godard, pour qui il s’agit de monter ses propres séries d’images et de

personnages, d’inventer ses propres catégories, aussi nombreuses soient-elles, au

regard des quelques catégories kantiennes de la philosophie, ironise-t-il. Il s’agit

bien de quitter le discours académique de la philosophie enseignée. L’enseignant

enjoint à son auditoire non-philosophe de dépasser la philosophie, sur un mode

artiste, tout en suivant le fil du concept, celui de catégorie par exemple. Deleuze

« menace » de faire un cours sur Kant sanctionné par des interrogations écrites

226 Début du cours du 15 janvier 1985 intitulé Cinéma et pensée.

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validant l’U.V lorsqu’un auditeur lui reproche un manque de rigueur magistrale

depuis des années.

Auditeurs des cours enregistrés de Gilles Deleuze, les énoncés qui trament

le cours de Deleuze et orientent les bifurcations de la pensée hors du logos

philosophique nous font signe lorsque les prises de parole vincennoises du

philosophe reprennent, avec leur style et leur éthique, la séquence ouverte par Mai

68 qui inaugure ce genre de « prise de parole ». Pour Deleuze, il s’agit de « contre

effectuer » l’événement de Mai 68 par son enseignement à Vincennes, et pour

cela, de se tenir « en bordure » de la discussion et des objections parlées durant les

séances.

Le flux parlé sur le style du monologue intérieur ou du courant de

conscience durant le cours est un agencement de pensée que Deleuze élabore, et

qui concrétise l’effort d’un acte de traduction du concept pour les pensées qui

entrent en résonance avec la pensée philosophique. Ce mode d’enseignement ne

reprend pas l’éclectisme cousinien et ses artifices mais fabrique un

« plurilinguisme » du concept grâce aux images suscitées par les multiples

références à l’art déployées par l’enseignant. Pour capter les propos littéralement,

selon tel exemple qui explicite le concept à tel moment de la séance, afin que

l’auditeur le traduise pour lui-même selon une image de sa pensée, Deleuze

expose le « paysage » d’une œuvre, puis la volonté politique de l’auteur avant de

rejoindre une situation banale de la vie quotidienne, une anecdote, qu’il s’agit de

« prendre à la lettre ». Ainsi, plusieurs langues — autrement dit la dimension

polyphonique de la séance —, alimentent la perception en fonction du concept et

les différentes façons de le penser, brisent l’exercice d’une rhétorique préparée. La

littéralité de la séance permet de brancher le sens du concept sur l’écoute

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subjective de l’auditeur captivé et subjugué (dimension « sublime » du cours),

sobrement. La précision du sens de la notion ou du concept éclairés à l’aide des

exemples choisis par Deleuze est susceptible d’ouvrir un autre rapport de pensée,

sur une autre « série » d’images provenant d’une autre discipline et donc de

relancer une recherche, de réenchaîner le motif du cours élaboré par Deleuze avec

le motif particulier de l’auditeur.

L’enregistrement sonore d’une séance possède l’aura227 d’une pensée en

exercice parce que la parole du philosophe est polyphonique. L’enregistrement

sonore de la pensée permet ainsi de « garder la mémoire de Gilles Deleuze », pour

« retrouver le chemin, les chemins de son savoir mais comme une ritournelle qui

donne à chaque fois une chance de recommencement. »228

À mesure que Deleuze rompt avec la tradition cousinienne de l’enseignement

de la philosophie, à Vincennes, sa philosophie orale renoue avec la tradition orale

de la narration « épique », selon les écarts entre les différents thèmes abordés qui

proposent un exercice de la pensée, et selon le style oratoire de l’enseignant.

Deleuze enseignant de l’Après Mai 68, engage la tradition de l’enseignement

de la philosophie parce que Deleuze est un philosophe artiste dont l’œuvre

s’élabore à partir de son enseignement autant que de l’écriture qui précède et

prépare le cours.

Modifier, voire renverser une tradition afin d’en inverser les valeurs — le

discours du maître une fois rompu, les anonymes et les non-spécialistes

s’emparent des concepts de la philosophie — cela suppose une conception non

227 W. Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (dernière version de 1939), in Walter Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000. 228 Nous reprenons le titre de l’intervention de Marielle Burkhalter lors de la Journée Gilles Deleuze, Université de Paris 8, Amphi Y, du 31/01/2007, consacrée à la philosophie enseignée de Deleuze, organisée par la Bibliothèque universitaire. Intervenants : Olivier Fressard, Manola Antonioli, Frédéric Astier, Mohammed Zouzi Chebbi, René Schérer, Bruno Cany, Marielle Burkhalter.

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linéaire, discontinue et de l’histoire : « L’unicité de l’œuvre d’art et son

intégration à la tradition ne sont qu’une seule et même chose. Mais cette tradition

elle-même est une réalité vivante, extrêmement changeante. »229

L’œuvre écrite de Deleuze dispose de cet éclairage sur le mode de l’ici et

maintenant des cours enregistrés à Vincennes. L’œuvre écrite demeure disjointe

de sa philosophie orale, dans la mesure où écrire et penser sont des opérations de

solitude, qui affranchissent à terme les pourparlers collectifs. Une « reproduction

technique »230 des flux parlés par l’enregistrement rapproche l’auditeur d’un mode

d’élaboration de la pensée : percevoir un concept et en faire usage. Pressentir un

concept, puis en faire usage, suppose une maturation des effets retardés de la

compréhension dont la temporalité rejoint celle de l’événement. L’auditeur est

sous le souffle du flux parlé comme il y a un temps de l’événement qui est un

présent de l’après-coup.

Concevoir le fait minoritaire comme une part qui revient à quiconque, donc à

tout le monde selon Deleuze, nécessite la prise de parole, afin d’innover, lorsque

parler en son propre nom, hors représentation, trahit l’enseignement académique

de la philosophie. La notion de tradition est alors mise en jeu : enseigner

oralement la philosophie avec Deleuze est bien une « réalité vivante »,

« extrêmement changeante » vis-à-vis de la tradition du discours universitaire.

Encore aujourd’hui à l’Université de Paris 8, on enseigne la philosophie avec

davantage de distance vis-à-vis de la feuille strictement lue aux auditeurs, celle du

cours traditionnellement académique.

Enseigner sur un mode artiste dégage une aura de la séance dont la

reproduction est impossible : répéter les propos à l’identique, puisque les propos

229 W. Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, op, cit., p. 279. 230 Ibid., p. 275.

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sont des flux de paroles liés à l’auditoire. L’inspiration de l’orateur et la

composition de l’auditoire, en fonction de ses degrés d’intérêt et de goût, ne se

répètent pas, mais se détachent sur le mode de l’affect. L’aura du cours de

Deleuze provient de l’événement Mai 68 dont se détachent un affect et un devenir.

La critique clinique de l’événement Mai 68 repose sur la prise de parole et le

rapport entre l’événement et son mode d’expression, son devenir « pur » qui passe

par l’usage de la parole : « parler après l’événement », parler dans le sillage de

l’événement, parler en fonction de l’événement.

Dans le Phédon de Platon, suivant un thème fondateur de la philosophie que

reprend Deleuze pendant son cours, le philosophe se définit comme celui qui

s’estime « revenir des morts », et qui parle, entre une mort apparente et la mort à

venir ; entre ces « deux morts », « le philosophe lance un éclair de vie », c’est-à-

dire un « processus », affirme Deleuze. Le philosophe est celui qui ne peut parler,

« philosopher » lors de son retour chez les vivants. Or, écrire pour prendre la

parole, écrire nécessairement avant de prendre la parole constitue en soi un acte

qui rompt avec le régime de la doxa. D’une part, parler de ce qui est écrit

constitue un problème, et d’autre part, écrire pour prendre la parole pose un autre

problème parce qu’il a y une brèche entre les deux dimensions. Parler supposera

nécessairement un montage, un nouvel agencement de la matière écrite.

Deleuze élabore un champ de coexistence de l’écriture et de la parole, à travers

le domaine de la recherche à la façon du peintre confronté à l’élimination des

clichés sur sa toile afin de soustraire le discours académique de la philosophie.

Le corpus sonore des cours constituerait le film du parcours des problématiques

de la pensée, une diagonale sensible de l’écrit, hétérogène et pourtant

indispensable à l’œuvre écrite. Suspendre le cliché que représente le discours de la

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philosophie, engage le philosophe à reprendre l’art du peintre, à enseigner le

concept par touches et retouches. L’œil de l’enseignant prend le relais de la main

de l’écrivain, entretient la tension d’un exercice de vision. Voir et faire voir le

concept oralement par traits successifs et hétérogènes est un exercice transversal

qui seul permet de concerner l’ensemble de l’auditoire.

Le transfert de l’Université de Paris 8 de Vincennes à Saint Denis est le

tournant des années 1980 qui ouvre sur l’orientation de la pensée de Deleuze vers

les arts non discursifs231. Le transfert, « on n’y coupera pas », avertit Deleuze les

auditeurs en 1979, lors d’un cours sur Appareils d’État et machines de guerre.

L’expérimentation orale de la pensée s’en retrouve modifiée, et sans doute la

préparation des cours ; Deleuze n’écrit plus avec Guattari. Le régime de

l’interaction entre le philosophe et les auditeurs moins nombreux, gagne

certainement une proximité de rapports et d’effets plus intenses. Le rapport des

forces au sein de l’auditoire s’accentue à travers l’écart creusé entre les effets de

la normalisation et les minorités à l’écoute des cours de Deleuze.

Comment une minorité prend ou bien contourne la parole ? Un ensemble de

confrontations et de signes entre l’enseignant et les auditeurs inspire

l’improvisation du philosophe. L’enregistrement de séquences de pensées qui se

développent par flux et reflux de paroles permettent des improvisations et des

répétitions conceptuelles. Les approches préalablement écrites qui préparent la

séance permettent à l’improvisation de s’efforcer de tracer autant que relancer, les

contours d’un concept durant l’espace-temps des séances.

« Prendre les choses par le milieu », invoque Deleuze. La salle de cours

constitue un milieu, une « zone de transit » où l’on peut revenir régulièrement

231 A. Sauvagnargues, Deleuze et l’art, op. cit., p. 14 : « Une troisième période s’ouvre alors, consacrée au signe et à l’image. »

Page 200: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

200

avec pour motif le quelconque, sans « finalités ». Un lieu urbain, un carrefour

philosophique pour les pensées non philosophiques, peut mettre en rapport le récit

écrit d’un peintre avec l’histoire de vie anonyme d’un immigrant.

Éprouver le devenir de l’événement Mai 68 consiste à répéter la prise de parole

sur un mode de pensée mineur. Lors du cours de philosophie de Deleuze à

Vincennes, la prise de parole constitue un espace de captures d’affects

quelconques des concepts enseignés. Cet espace, qui se substitue à la parole

comme « lieu symbolique »232 des représentations, est un espace de l’art mineur

qui s’élabore au rythme des flux et reflux des développements conceptuels. La

prise de parole permet non pas de « gagner du temps », mais produit un gain de

pensée expérimentée, répétée qui influe en retour sur les chapitres écrits du

philosophe.

232 M. de Certeau, La Prise de Parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 38.

Page 201: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

201

Bibliographie

I- Œuvre de Gilles Deleuze et Félix Guattari

I.1- Monographies

Deleuze G. Empirisme et subjectivité. Paris : P.U.F., 1953. 152 p.

- Nietzsche et la philosophie. Paris : P.U.F., 1962. 233 p.

- La philosophie critique de Kant. Paris : P.U.F, 1963. 103 p.

- Proust et les signes. Paris : P.U.F., 1964. 219 p. (Ed. augmentée, 1970)

- Nietzsche. Paris : P.U.F, 1965. 97 p.

- Le bergsonisme. Paris : P.U.F, 1966. 119 p.

- Présentation de Sacher-Masoch. Paris : Minuit, 1967. 275 p.

- Différence et répétition. Paris : P.U.F, 1968. 409 p.

- Spinoza et le problème de l’expression. Paris : Minuit, 1968. 332 p.

- Logique du sens. Paris : Minuit, 1969. 391 p.

- Spinoza, philosophie pratique. Paris : Minuit, 1970. 177 p. (réédition

augmentée, 1981).

- Dialogues, avec Claire Parnet. Paris : Flammarion, 1977. 177 p.

- Superpositions, avec Carmelo Bene. Paris : Minuit, 1979. 131 p.

- Cinéma. 1, L’image-mouvement. Paris : Minuit, 1983. 297 p.

- Cinéma. 2, L’image-temps. Paris : Minuit, 1985. 378 p.

- Foucault. Paris : Minuit, 1986. 141 p.

- Le Pli : Leibniz et le baroque. Paris : Minuit, 1988. 191 p.

- Péricles et Verdi. Paris : Minuit, 1990. 27 p.

- Pourparlers. Paris : Minuit, 1990. 249 p.

- L’épuisé. In Beckett S., Quad. Paris : Minuit, 1992. 105 p.

- Critique et clinique. Paris : Minuit, 1993. 187 p.

- Francis Bacon : logique de la sensation. Paris : Seuil, 1981. 194 p. (réédition,

2002).

- L’Île déserte et autres textes : textes et entretiens 1953-1974. Ed. préparée par

David Lapoujade. Paris : Minuit, 2002. 416 p.

Page 202: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

202

- Deux régimes de fous : textes et entretiens 1975-1995. Ed. préparée par David

Lapoujade. Paris : Minuit, 2003. 383 p.

Deleuze G., Guattari F. L’Anti-Œdipe. Paris : Minuit, 1972. 470 p.

- Kafka. Pour une littérature mineure. Paris : Minuit, 1975. 169 p.

- Rhizome. Paris : Minuit, 1976. 74 p.

- Mille Plateaux. Paris : Minuit, 1981. 645 p.

- Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Minuit, 1991. 206 p.

I.2- Articles de presse

DELEUZE G. Une image ne vaut que par les pensées qu’elle crée. Libération, 6

novembre 1995.

- Le « je me souviens » : propos recueillis par Didier Éribon. Le Nouvel

Observateur, 16-22 novembre 1995.

II- Sur l’œuvre de Gilles Deleuze et Félix Guattari

II.1- Monographies

ALLIEZ É. La signature du monde. Paris : Cerf, 1993. 104 p.

- Deleuze. Philosophie virtuelle. Le Plessis-Robinson : Les Empêcheurs de

penser en rond, 1996. 55 p.

ALLIEZ É. (dir.). Gilles Deleuze. Une vie philosophique. Le Plessis-Robinson :

Les Empêcheurs de penser en rond, 1998. 575 p.

ANTONIOLI M. Deleuze et l’histoire de la philosophie. Paris : Kimé, 1999.

125p.

- Géophilosophie de Deleuze et Guattari. Paris : L’Harmattan, 2004. 268 p.

ANTONIOLI M., CHARDEL P-A., REGNAULD H., (dir.). Gilles Deleuze, Félix

Guattari et le politique. Paris : Sandre, 2006. 334 p.

ASTIER F. Les cours enregistrés de Gilles Deleuze, 1979-1987. Mons : Sils

Maria, 2006. 198 p.

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BEAULIEU A. (dir.). Gilles Deleuze, héritage philosophique. Paris : P.U.F, 2005.

173 p.

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DAVID-MENARD M. Deleuze et la psychanalyse. L’altercation. Paris : P.U.F,

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GELAS B., MICOLET H. (dir.). Deleuze et les écrivains. Littérature et

philosophie. Paris : Éditions Cécile Defaut, 2007. 603 p.

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l’image-mouvement à l’image-temps. Paris : L’Harmattan, 2001. 123 p.

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2005. 91 p.

LECLERCQ S. Gilles Deleuze. Immanence, univocité et transcendantal. Mons :

Sils Maria, 2001. 213 p.

LECLERCQ S. (dir.). Aux sources de la pensée de Gilles Deleuze, 1. Mons : Sils

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MARRATI P. Deleuze, cinéma et philosophie. In La philosophie de Deleuze,

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MENGUE P. Deleuze et la question de la démocratie. Paris : L’Harmattan, 2003.

230 p.

SAUVAGNARGUES A. De l’animal à l’art. In La philosophie de Deleuze. Paris :

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ZOURABICHVILI F. Deleuze : une philosophie de l’événement. Paris : P.U.F,

1994. 128 p.

- Le vocabulaire de Deleuze. Paris : Ellipses, 2003. 95 p.

II.2- Articles, numéros de périodiques

Ce que fait l’art à la philosophie : le cas Deleuze. Revue d’esthétique, n° 45,

décembre 2004.

Dossier Gilles Deleuze. Magazine Littéraire, n° 257, septembre 1980.

L’effet Deleuze. Magazine Littéraire, n° 406, février 2002.

Gilles Deleuze. Philosophie, n° 47, septembre 1995, p.3-92

Gilles Deleuze : Immanence et vie. Rue Descartes, n° 20, mai 1998, p.7-157

Gilles Deleuze. Concepts, hors série, 2002.

Gilles Deleuze. Concepts, hors série 2, 2003.

Gilles Deleuze. Paris : Inculte, 2005. 232 p. (Réédition augmentée et corrigée du

volume collectif de la revue de l'ARC, n°49, mai 1972).

Gilles Deleuze et Félix Guattari. Territoires et devenirs. Actes du colloque, Metz,

Université Paul Verlaine, 3-5 octobre 2006. Le Portique, n°20, septembre 2007.

GROS F. Gilles Deleuze et l’invention de l’avenir. Le Monde, 10 novembre 1995.

L’image : Deleuze, Foucault, Lyotard. Annales de l’Institut de philosophie et de

sciences morales, 1998.

LEFORT G. À Vincennes, un éveilleur à l’oral. Libération, 6 novembre 1995.

- Deleuze, la pensée bouge encore. Libération, 3 mars 1997.

LYOTARD J-F. Il était la bibliothèque de Babel. Libération, 7 novembre 1995.

Multiplicités deleuziennes. Cahiers critiques de philosophie, n° 2, avril 2006.

PARNET C. Allumez la loupiote et allez hop ! Ça tourne. Libération, 3 mars

1997.

PÉJU P. Passages de Gilles Deleuze. La Quinzaine littéraire, spécial Deleuze,

n°686 ; du 1er au 15 février 1996, p. 17-18.

SAUVAGNARGUES A. De la capture de force à l’image : peinture et cinéma

chez Deleuze. Revue d’esthétique, automne 2004, p.51-66

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SCALA A. Trois lumières deleuziennes. Libération, 22 janvier 1996.

STIVALE, C. J. Deleuze et Parnet : dialogues : les plis de la post-identité.

Concepts, hors série Gilles Deleuze 2, octobre 2003, p. 3-19.

Théorie-littérature-enseignement. Deleuze chantier, n° 19-2001, P.U.V.

Le vocabulaire de Deleuze. Les Cahiers de la Noesis, n°3, printemps 2003.

II.3- Vidéographie, discographie

Anthologie sonore de la pensée française par les philosophes du XXème siècle. 6

disques compacts. Paris : Frémeaux et associés/Ina, 2003.

— « Artifice et société dans l’œuvre de Hume » (1956)

— « Le Dieu de Spinoza » (1960)

— « Le travail de l’affect dans l’Éthique de Spinoza » (1978)

BOUTANG P. A. L’Abécédaire de Gilles Deleuze : avec Claire Parnet [DVD].

Paris : Éditions Montparnasse, 2004, 7 h 33 min.

— DVD 3 : Qu’est-ce que l’acte de création ?, conférence donnée par Deleuze

à la Femis en mars 1987.

BURKHALTER M. Cours de Gilles Deleuze : Le point de vue ; le Pli, Leibniz et

la baroque [bande magnétique]. Saint-Denis : Université de Paris 8, Département

de philosophie, 1986, 3 h.

Fonds Gilles Deleuze, corpus sonore de 177 cours, 400 heures, 1979-1987.

Consultable à la Bibliothèque nationale de France (cote PDC-12), à la

Bibliothèque universitaire de Paris VIII (cote AVCD 500-507), et mis en ligne

progressivement avec les transcriptions réalisées par des étudiants sur le site La

voix de Gilles Deleuze en ligne : http://www.univ-paris8.fr/deleuze/

Nb. : Le corpus sonore embrasse les séminaires édités par les Éditions Gallimard,

coll. « À voix haute » : Spinoza, immortalité et éternité (2001), cours de 1981 ;

Leibniz : âme et damnation (2003), cours de 1987 ; Gilles Deleuze. Cinéma

(2006) trois séquences de cours de 1981, 1982, 1984.

Gilles Deleuze à Vincennes (1975-1987) : fonds Marielle Burkhalter [bande

magnétique]. 15 h. Consultable à la Bibliothèque nationale de France, sous la cote

IKM et VKR ; fonds augmenté, déposé récemment à l’Institut national de

l’audiovisuel, en cours de traitement et d’archivage.

Page 206: Thèse Astier sur les cours de Deleuze.pdf

206

II.4- Sites internet

ALLIEZ É. Sur la philosophie de Gilles Deleuze, une entrée en matière, in

Multitudes, Archives Futur Antérieur, [en ligne]. Disponible sur <

http://1libertaire.free.fr/Deleuze_E_Alliez.html> (Consulté le 31-08-2004).

PINHAS, R. Les cours de Gilles Deleuze [en ligne]. Disponible sur

www.webdeleuze.com (Consulté le 15-02-2004).

Près de soixante-dix cours transcrits avec des versions étrangères, couvrant les

périodes de l’enseignement de Deleuze à Vincennes et Saint-Denis.

III- Bibliographie générale

III.1- Monographies

AGAMBEN G., La Communauté qui vient : théorie de la singularité quelconque.

Paris : Seuil, 1990. 118 p.

AGAMBEN G. Bartleby, ou La Création. Saulxures : Circé, 1995. 83 p.

AGAMBEN G. L’Homme sans contenu. Saulxures : Circé, 1996. 187 p.

ANTONIOLI M. (dir.). Abécédaire de Jacques Derrida. Mons : Sils Maria, 2007.

247 p.

AXELOS K. L’assomption de l’homme : Œdipe à Colone, conférence du 21

janvier 1986 donnée au Collège international de philosophie. Archive sonore

numérisée consultable à la BnF.

BAKHTINE M. La Poétique de Dostoïevski. Paris : Seuil, 1970. 350 p.

BAKHTINE M. Esthétique et théorie du roman. Paris : Gallimard, 1978. 488 p.

BENJAMIN W. Expérience et pauvreté. In Walter Benjamin, Œuvres II. Paris :

Gallimard, 2000. 459 p.

BENJAMIN W. Le conteur, réflexions sur l’œuvre de Nicolas Leskov, in Walter

Benjamin, Œuvres III. Paris : Gallimard, 2000. 482 p.

BENJAMIN W. L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, in

Walter Benjamin, Œuvres III. Paris : Gallimard, 2000. 482 p.

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BERGSON H. L’énergie spirituelle. Paris : P.U.F, 1919. 227 p.

BERGSON H. Matière et mémoire, Paris, P.U.F, 1939. 282 p.

BLANCHOT M. Le livre à venir. Paris : Gallimard, 1959. 308 p.

BLANCHOT M. L’entretien infini. Paris : Gallimard, 1969. 640 p.

BLANCHOT M. De Kafka à Kafka. Paris : Gallimard, 1981. 248 p.

BORGES J-L. Fictions. Paris : Gallimard, 1983. 208 p.

BRUNET J., CASSEN B., CHÂTELET F. (dir.). Vincennes ou le désir

d’apprendre. Paris : A. Moreau, 1979. 287 p.

CERTEAU de M. L’invention du quotidien. 1. arts de faire. Paris : Gallimard,

1990. 349 p.

CERTEAU de M. La prise de parole et autre écrits politiques. Paris : Seuil, 1994.

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CHÂTELET F. Chronique des idées perdues. Paris : Stock, 1977. 240 p.

CHÂTELET F., DERRIDA J., FAYE J-P et LECOURT D. Le rapport bleu :

sources historiques et théoriques du Collège international de philosophie :

rapport présenté à M. Jean-Pierre Chevènement. Paris : P.U.F, 1998. 252 p.

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1975. Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 577-580.

FOUCAULT M. « Qu’est-ce qu’un philosophe ? » (1966), in Dits et écrits I,

1954-1975. Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 580-581.

FOUCAULT M. et DELEUZE G. « Introduction générale » (1967), in Dits et

écrits I, 1954-1975. Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 589-592.

FOUCAULT M. « Ariane s’est pendue » (1969), in Dits et écrits I, 1954-1975.

Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 795-799.

FOUCAULT M. « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), in Dits et écrits I, 1954-

1975. Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 817-849.

FOUCAULT M. « Le piège de Vincennes » (1970), in Dits et écrits I, 1954-1975.

Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 935-941.

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FOUCAULT M. « Theatrum philosophicum » (1970), in Dits et écrits I, 1954-

1975. Paris : Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 943-967.

GRAFMEYER Y. et JOSEPH I., (Édit. Scientifique). L’École de Chicago ;

Naissance de l’écologie urbaine. Paris : Aubier, 1994. 377 p.

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GUATTARI F. Écrits pour L’Anti-Œdipe. Textes agencés par S. Nadaud. Paris :

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HAAR M. L’œuvre d’art. Essai sur l’ontologie des œuvres. Paris : Hatier, 1994.

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JASPERS K. Introduction à la philosophie. Paris : Plon, 1965. 190 p.

JASPERS K. Strindberg et Van Gogh, Swedenborg-Hölderlin : étude

psychiatrique comparative, précédé d'une étude de M. Blanchot, La folie par

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KANT E. Critique de la raison pure. Paris, Gallimard, 1980. 1018 p.

KANT E. Critique de la faculté de juger. Paris, Vrin, 1993. 482 p.

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NIETZSCHE F. Ainsi parlait Zarathoustra. Paris : Gallimard, 1985. 507 p.

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212

ANNEXES

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Inventaire raisonné du corpus sonore

C O U R S

Date des cours

Durée des

plages

Intitulé du cours

Un horizon de références

des cours enregistrés de

Gilles Deleuze, 1979-1987

177 cours, 400 heures

1 06/11/1979 45’12 Appareils

d’État et

machines de guerre

23 heures

Appareils de capture, appareils d’Etat (émotions, signe et outil), et organisations nomades, les machines de guerre (affects, arme et bijou), de deux pitiés et de deux justices. G. Dumézil et le mythe, le borgne et le manchot, figures de la souveraineté politique ; E. Jünger, la mutilation précédant l’accident de travail ; la composition arithmétique des hommes, Moïse, territorialisation, espaces lisses et espaces striés, surtravail, le mouvement tourbillonnaire, Toni Negri, travail, signe et outil, l’itinérance, types de violences.

1 06/11/1979 45’11 La notion de matière-mouvement, phylum et itinérance, l’exemple de la métallurgie, espaces troués, lisses et striés, la forme-Etat, la forme-Ville et la guerre, l’économie marchande et monétaire, les fonctions publiques, les trois rentes et les appareils de capture. Rente, profit, impôt.

2 13/11/1979 46’17 Les formations despotiques impériales asiatiques du Néolithique, Montesquieu, Marx, les Gründriss ; K. Wittfogel, Le Despotisme oriental, F. Tökei, Sur le mode de production asiatique, le Centre d’études et de recherches marxistes. De la disparition de ces grands Empires, d’où cet oubli dans les Cités naissantes ; code, lignage, territoire, surcodage.

2 13/11/1979 46’17 L’Etat impérial archaïque. Esclavage communal et despotisme, régime du travail, surtravail ; profit, rente et impôt ; F. Tökei ; codage et surcodage, axiomatique et formalisme, l’invention de l’asservissement machinique, assujettissement, ergonomie.

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2 13/11/1979 40’27 De la distinction entre l’asservissement machinique de l’homme et l’assujettissement social. Les âges de la machine. La composition organique du Capital selon Marx (capital constant et capital variable). Archéologie, l’Anatolie, James Mellaart, et Jane Jacobs, Gordon Childe, l’acte du stock, hybridation et sélection.

3 20/11/1979 46’14 L’Etat impérial archaïque. Les formations sociales ou processus machiniques, appareils de captures, Pierre Clastres, La société contre l’Etat, Marcel Mauss et le don, les mécanismes de conjuration-anticipation et de capture; causalité et sciences de l’homme, le schéma de l’onde inversée, J. Lizot, Le cercle des feux.

3 20/11/1979 46’05 23’30

La forme-Etat et la forme-Ville, les foires en France, du XIe au XIIIe siècle, Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme ; le système Palais-Temple, le système Cité, le monde égéen antique ; le réseau de villes. La notion de valeur en économie politique, l’utilité marginale, la notion de dernier objet dans l’acte d’échange.

4 27/11/1979 46’32 Stock, valeur travail, marchandise, le dernier objet, l’exemple du pâtre, l'évaluation collective : l'objet marginal et la série, la notion d'agencement, le marginalisme.

4 27/11/1979 46’27 L'évaluation collective, le dernier objet, la valeur travail, temps de travail et échanges, Engels, Capital (livre III) ; l'agencement, l'alcoolisme, “ le dernier verre ”, l'objet marginal, le seuil.

5 15/01/1980 20’23 La sphère des relations de dépendance personnelle, l'homme de la plainte dans l’histoire, l'élégie, le sinologue hongrois Tökei, Naissance de l’élégie chinoise ; le lyrisme et ses deux tonalités : la satyre et l’élégie (la plainte pure), l’esclave affranchi. Paul Veyne.

6 22/01/1980 46’43 12’36

Résumé et reprise des cours précédents : les deux états d'agencement étudiés : 1) code-territoire (itinérance, limites), la notion de dernier objet comme limite ; Proust et l’Amour, et, 2) surcodage-

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215

terre (sédentarité, seuils). Seuils et limites d’agencements, appareil de capture et appareil public, d’où la notion de visage, Jacques Mercier, Rouleaux protecteurs et prières magiques en Ethiopie. La présupposition de l’impôt par le commerce.

6 22/01/1980 46’42 22’31

Les agencements, les visages du despote, du tyran, byzantins, du Christ. Kafka, Le Château, L’Amérique, et Orson Welles, Le troisième homme, La Dame de Shangai, lignes de fuite et l’espace longitudinal, Le Procès. E. Balazs, La Bureaucratie céleste, les fonctionnaires du despote ; la bureaucratie chez Kafka ; Tökei et l’esclave affranchi, produit dans l’Empire archaïque, la plainte, le plébéien et le patricien ; surcodage et décodage.

7 29/01/1980 46’27 Intervention d’Eric Alliez, le mercantilisme; Thomas Hobbes, le Leviathan ; des systèmes de surcodages de flux dans les champs sociaux ; l’esclave affranchi (le plébéien), travail, impôt, monnaie métallique, commerce.

7 29/01/1980 46’28 Les types de monnaie, l’esclave affranchi, flux et codes, surcodages et décodages, archéologie, Mellaart et Jacobs, les échanges, agriculture et territorialité, la monnaie dans sa fonction de socialisation, l’impôt, flux de privatisation dans l’empire archaïque, l’esclave affranchi, le plébéien.

7 29/01/1980 35’53 Les Empires archaïques et le monde égéen, les flux décodés. Résumé : les deux figures de l’Etat : 1) l’appareil de capture impérial archaïque 2) les relations collectives, sociales de dépendance personnelle entre personnes privées de l’Empire évolué. Le droit topique, l’amour courtois.

8 05/02/1980 54’30 Les deux formes Etat, et 3) le capitalisme : axiomatique des flux décodés, sa contingence et son surgissement ; les conjonctions topiques (ou qualifiées) entre flux décodés et axiomatique (éléments non qualifiés), la terre et la rente foncière, la propriété des droits abstraits, les définitions nominales et les définitions réelles du capital, Marx, les Grundrisse, Le Capital, la déterritorialisation du travail et le travailleur nu (libre).

8 05/02/1980 46’29 Marx, Notes sur Alfred Wagner, flux de travail, flux de

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216

monnaie, les conjonctions topiques, le travailleur nu, Étienne Balibar, Lire le Capital ; l'axiomatique (relations entre éléments non spécifiés) du capitalisme, la question de l’Etat minimum ; l’exemple de la NASA.

8 05/02/1980 18’54 L’axiomatique à trois axiomes, addition des nombres réels et composition des déplacements dans l’espace euclidien ; les modèles de réalisation d’une axiomatique, isomorphie et axiomatique ; limites et saturations d'une axiomatique ; les rapports d'une axiomatique du capital avec une puissance du non-dénombrable. Axiomatique et propositions indécidables (c'est-à-dire ni vraies ni fausses).

9 26/02/1980 46’08 1- La politique moderne envisagée comme axiomatique et modèles de réalisation (éléments quelconques en relation fonctionnelle), et 2- Formalisation logistique et modèles à réaliser (Empires archaïques) ; la théorie des types de Bertrand Russell ; le vrai et le faux; le non-sens.

9 26/02/1980 46’16 La philosophie anglaise et le non-sens ; l’axiomatique (comme arrêt politique des flux de la science), les mathématiciens : Brouwer, Heyting, Griss, Bouligand, Le déclin des absolus mathématico-logiques ; la géométrie grecque et moderne, Euclide et Archimède, problèmes, théorèmes et essences, événements et opérations ; Desargues, Pascal, Monge et sa théorie des affects particuliers, Poncelet et la géométrie projective, intuitionnisme et problématisme.

9 26/02/1980 16’35 L'axiomatique, la mathématique problématique. Le capitalisme comme axiomatique sociale. Karl Marx, le Capital, et La baisse tendancielle du taux de profit.

10 04/03/1980 46’28 Pas de cours : problèmes à l’Université, d’où : l'axiomatique et la notion de l'ennemi quelconque, la gestion des petites insécurités, la sécurité militarisée.

10 04/03/1980 46’22 26’29

Problèmes à l'Université.

11 11/03/1980 43’50 Le système capitaliste fonctionnant comme axiomatique, politique, adjonction et retrait d’axiomes des Etats modernes, régimes totalitaires et régimes sociaux-démocrates, Marx et la baisse tendancielle de la plus-

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value : des limites immanentes du capital (fixe et circulant, constant et variable).

18/03/1980 46’44 La saturation des axiomes, les limites du capitalisme ; Marx, capital et plus-value, limites immanentes, un produire pour produire, buts et objectifs des guerres, monoculture et faim dans le Tiers-monde.

18/03/1980 46’53 20’54

La monoproduction, R. Linhart, l’exemple des moteurs automobiles et la faim au Brésil, les formes du travail précaire, Toni Negri, K. H. Roth, L’autre mouvement ouvrier, axiomatique : isomorphie et homogénéité des Etats, rapports et modes de production, les Quarts-mondes.

13 25/03/1980 46’25 Les peuples métallurgiques, le forgeron, les espaces lisses, striés, troués, sédentaires, Arnold Toynbee, nomades et troglodytes, la Turquie, Jules Bloch et les tziganes, S. Eisenstein, La grève. Axiomatique et puissance, les ensembles dénombrables.

13 25/03/1980 46’29 18’29

Guerres totales, buts et objectifs politiques, K. von Clausewitz, totalitarisme et fascisme, Hannah Arendt, Paul Virilio; les propositions ou flux indécidables, Samir Amin, l’axiomatique du capital, les quatre flux rebelles ou lignes de fuite ; les notions de majorité et de minorité, le devenir minoritaire.

1 15/04/1980 46’15 Leibniz, le

philosophe et la

création de

concepts

11 heures

Lucy Prenant (bibliographie.) Les philosophes et la création de concepts, la philosophie de l’ordre, le flux de pensée et le principe d’identité, propositions vraies et analytiques, la création de l'Académie des jeux.

1 15/04/1980 46’21 Le principe de raison suffisante de Leibniz, le concept d'inhérence ou d’inclusion, « les cris de la philosophie »; causalité et infini, les substances, les points de vue et le sujet, le perspectivisme. Henry James et le sujet. N. De Cuses.

1 15/04/1980 31’23

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Les points de vue et le sujet. Leibniz, Discours de Métaphysique, § 9 ; les petites perceptions, le calcul différentiel, la notion de compossibilité.

2 22/04/1980 46’27 Substance, monde et continuité ; inclusion et relation de compossibilité, texte de la Théodicée. Borges.

2 22/04/1980 46’28 La compossibilité et l'analyse infinie, vérité d’essence et vérité d’existence, continuité des différences évanouissantes, le calcul différentiel, Les écrits mathématiques.

2 22/04/1980 35’15 Vérités d’existence et mathématiques, le calcul différentiel, le jeu et le monde de la continuité.

3 29/04/1980 46’39 Calcul différentiel et l’analyse infinie, la compossibilité, la théorie des singularités.

3 29/04/1980 46’34 Théorie des singularités, le singulier comme concept philosophique, voisinage, l’aperception, l'apétition, les petites perceptions inconscientes. Le biologiste Turro, Les origines de la connaissance (1914). Compossible et incompossible.

3 29/04/1980 44’31 Apétitions, perceptions, Locke et l’inquiétude, l’inconscient différentiel (Leibniz) et l’inconscient d’opposition (Freud), Jung, singularités ordinaires et continuité, l’incompossible et le compossible.

4 06/05/1980 46’38 La déduction des principes, les cinq Ratio (être, exister, connaître, devenir, faire) ; le principe d’identité, ratio essendi, les propositions analytiques, réciprocité, inclusion, la raison suffisante, les indiscernables.

4 06/05/1980 46’46 06’53

Les cinq ratio, les distinctions non conceptuelles, Descartes, la loi de continuité, les monades, le point de vue, ratio agendi, Kant, espace et temps, les concepts.

5 20/05/1980 39’32 De deux oppositions entre Kant et Leibniz : propositions analytiques et synthétiques.

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5 20/05/1980 46’25 Kant et la synthèse, espace, temps et concepts. Heidegger et le thème de l’Ouvert, le Romantisme allemand, esthétique. Le concept de phénomène, et son histoire philosophique.

5 20/05/1980 46’34 09’02

Essence et apparence, la conception de phénomène et la subjectivité. Descartes, Kant, le sujet pensant, l’artiste classique (la création) et l’artiste romantique (le fondement héroïque), la finitude constituante, Fichte, l’harmonie des facultés.

1 27/05/1980 37’35 Anti-Œdipe et autres réflexions

4 heures

L'Anti-Œdipe, la schizophrénie, la psychiatrie, la folie comme processus, Karl Jaspers, Strindberg et Van Gogh, flux et processus ; le délire, la psychanalyse et le social, les énoncés du délire selon les lignes historiques et les champs sociaux, et non selon les rapports familiaux.

1 27/05/1980 46’42 Sacher Masoch, le délire et les lignes de fuite de champs historico-mondiaux, tracés et processus, cartographie ; la fêlure, la rupture chez Fitzgerald, la segmentarité, ligne et segments, les cassures, schizophrénie et clinique, Léon Chestov, fascisme et totalitarisme et processus, musique et processus ; vie, mort et processus / affects et concepts.

1 27/05/1980 37’45 Le processus et l'apathie, la mort, le désir est processus (il ne peut y avoir de processus de la mort) ; le plaisir (c'est ce qui interrompt le processus, le désir est processus continu), le processus (le désir, la vie) et le fait (la mort, le plaisir, les contraintes de l'organique), la ligne qui passe entre les choses, lignes de vie et lignes organiques ; le processus de la matière-mouvement (se référer au métallurgiste primitif) ; Kierkegaard (et la transcendance) et Spinoza (et l'immanence ; pour lui, dans ses Lettres, la mort naturelle n'existe pas), l'état clinique.

2 03/06/1980 31’11 31’10

Les lignes de fuite, géo-analyse / psychanalyse, le danger des lignes de fuite et la vie ; linguistique, M. Blanchot, Kafka, de la distance entre le Je et le il (du moment de dessaisissement du pouvoir de dire je), les écoles de pensée et le Moi ; le langage et le il impersonnel, de la pure singularité ; Pierre Janet, psychanalyste, De l'angoisse à l'extase, l'hystérie, Benveniste et le pronom personnel, Hegel (in Phénoménologie de l’esprit) et la

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dialectique : de la certitude sensible et la singularité, le concept commun du Hic et Nunc pour Hegel, et le concept de shifter (embrayeur.)

2 03/06/1980 31’07 25’02

Linguistique, le Je de la théorie linguistique des embrayeurs, Benveniste, Blanchot, le Il impersonnel, Leibniz et le pur être de collection ; individuation / personne et événement, la pensée anglaise, d'une morale de l’individuation (exemple de la tribu), l'événement, J. Bousquet : « ma blessure me préexistait », l'effectuation de l'événement, la dignité face à l'événement, l'éthique.

1 02/12/1980 62’13

Spinoza,

des vitesses de la pensée

30 heures

Les vitesses de la pensée, le troisième genre de connaissance. Romain Rolland, L’éclair de Spinoza. L'Ethique, livre V : des vitesses produites par la pensée ; de la vitesse des scolies (pathos, tonalité, timbre, affects) et des démonstrations (concepts), concept et affect, continuité et discontinuité ; du commencement de l’ontologie de Spinoza. Le Traité de la réforme, § 46; 49 ; 75 ; la conception cinétique des corps, la doctrine du Parallélisme, l’équivocité du mot substance, les modes, les attributs, le fini, l’infini, Descartes, l’Etre, le corps et la connaissance, l'âme, la pensée et la conscience, Spinoza : « l’étonnant c’est le corps ».

1 02/12/1980 62’17 Ethique et ontologie. La morale, le malheur, le marquis de Sade, d’une tradition du thème de l’idiot, la raison naturelle, Nicolas de Cuses, Descartes et le Cogito, Dostoïevski, le thème du mal qui n’est rien (simple négation), Socrates, le système du jugement, le vrai et le faux, le commencement de la philosophie et le paradoxe, le Bien et le Mal, Zénon d'Elée, l’histoire de la logique dans la philosophie et l’être du négatif.

2 09/12/1980 62’11 Spinoza et le projet d’une ontologie pure ou éthique. L’être et les modes. Morale et jugement. De l’essence de l’homme ; diagramme de pouvoir, la puissance, actions et passions ; le possest : l’être des choses ; du Droit naturel Classique, selon quatre propositions, Cicéron.

2 09/12/1980 62’17 Droit naturel classique, Hobbes, état social et état de nature, théories du Contrat social ; l’histoire des modes d’existence (Ethique, livre IV), pouvoir et tristesse (le

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221

prêtre, le tyran et l’esclave) ; Nietzsche et le jugement de la vie ; la puissance en acte effectuée par l’affect, joie et tristesse, puissance et manière d’être.

3 16/12/1980 62’17 Le cognatus (persévérer dans l’être), raison et affect, puissance, Hobbes ; le Traité théologico-politique, les romantiques anglais, Cromwell ; portrait du Christ ; les philosophies de l’Un ; du statut de l’étant dans l’ontologie spinoziste ; degrés de puissance et affects ; éthique et modes d’existants ; le bien et le mal. Les Lettres à Blyenbergh et la question du Mal ; le jugement et la transcendance de l’Un sur l’Etre (Platon) ; le rapport de l’existant et de l’être.

3 16/12/1980 62’14 Le Jugement et le fait, Adam et la perte de puissance ; éthique et situation, morale ; Rousseau, les Confessions : de la morale sensitive ou le matérialisme du Sage et l’éthique. La Nouvelle Héloïse : situations et société, l’attente de l’héritage ; L’Emile, de la situation de l’enfant, dépendance et tyrannie. Lettres à Blyenbergh.

4 06/01/1981 62’16 Le statut des modes et l’éthique, les rapports constitutifs, persévérance et consistance. Lettre (32) à Holdenbourg ; décomposition, circulation et destruction d’un rapport. Ethique, livre II, Proposition 13, Scolie : de la perception de l’Ame.

4 06/01/1981 62’32 Rapports et pouvoir de perception, pouvoir de discernement de l’esprit, la pensée de type chimique de Spinoza, les modes, les substances. De la sensibilité philosophique ; la vie comme manière d’être ; de quatre types de maladies ; Spinoza et le suicide ; Lettres à Blyenbergh ; Nature et rapports.

4 06/01/1981 20’44 Lettres à Blyenbergh et le problème du Mal. Nature et chaos, du Droit d’occupation, propriété ; composition et décomposition des rapports, et la distinction du bon et du mauvais.

5 13/01/1981 26’51 46’42

Le spinozisme et la peinture hollandaise, Claudel, L’œil écoute, l’œuvre, l’essence et l’accident ou événement ; le bas-relief égyptien ; christianisme et athéisme ; de la déformation picturale des corps. Cézanne, Erwin Straus,

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222

Merleau-Ponty, Maldiney, la phénoménologie du sentir. Lettres à Blyenbergh, Nature et rapports, compositions, la Lettre 23 ; action et image de chose ; prophétisme, signe et expression .

5 13/01/1981 46’40 08’12

Les rapports ; Adam, prophétisme et langage du signe, équivocité, expression et composition de rapports à l’infini ; le Christ et l’Église, théologie négative et symbolisme ; l’allure d’un corps.

6 20/01/1981 38’28 Les Lettres à Blyenbergh. Nature et compositions de rapports ; action et image de chose ; affection, puissance et essence ; éternité, instantanéité et durée, l’affectio.

6 20/01/1981 46’48 Différence de nature entre affection et affect ; la durée, Bergson ; augmentation, diminution et composition de puissance ; de la rencontre des corps, Ethique, livre IV, joie et tristesse, Nietzsche, pouvoir et tristesse.

6 20/01/1981 46’42 14’04

Mise au point, résumé du cours : 1) degrés de puissance, essence, éternité 2) affections instantanées, composition 3) sphère de l’affect. Lettre à Meyer, infini, géométrie, Leibniz, système d’appartenance de l’essence, béatitude, devenir. L’effort de la raison ; Rousseau et le matérialisme du sage ; K. Jaspers ; ce dont un corps est capable ; de la destruction de soi et le calcul des rapports; les signes prophétiques, sociaux et linguistiques, et de l’appréhension des rapports qui se composent.

7 27/01/1981 32’39 Idées innées, Idées vraies ; modes de vie et connaissance ; sémiologie, Charles S. Peirce, Écrits sur le signe ; du monde des signes, les trois caractères du signe : variabilité, associativité, équivocité. Prophétisme, E. Neher, L’essence du prophétisme ; théologie négative ; l'associativité.

7 27/01/1981 46’46 Théologie négative, le signe équivoque, sens fini et infini. Le XVIIe siècle et la lumière, la peinture hollandaise indépendante des formes, Aristote, l’espace optique pur du XVIIe siècle et l’espace tactile-optique grec, Descartes, science et métaphysique.

7 27/01/1981 46’50

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11’42 Le XVIIe siècle et la pensée de l’infini, l’espace optique pur ; Cézanne, la lumière et le jour gris ; le monde des signes et le monde optique ; le langage de la géométrie, le sens ; Descartes, le rêve, Aristote et les substances, l’entendement ; l’empreinte et le corps, signes indicatifs, signes impératifs et signes interprétatifs ; Rousseau, les Confessions.

8 03/02/1981 35’00 Le monde des signes et l’équivocité, univocité et expression, perceptions, puissance et monde des affects. Epicure, lignes de joie et lignes de tristesse, Descartes, le cogito.

8 03/02/1981 46’50 Lignes de joie et lignes de tristesse ; le corps et l’augmentation de puissance ; les appareils de tristesse et le pouvoir ; l’espoir ; Tcheckhov, Conrad ; les affects actifs ou expression de la puissance.

8 03/02/1981 41’00 De la théorie des notions communes, Ethique, livre II ; idée abstraite et idée générale, des trois genres de connaissances (signes, raison et connaissance des essences) ; de l’expérimentation de l’éternité, de la composition des rapports.

9 10/02/1981 46’50 Des rapports entre éthique et ontologie ; l’individuation. Des trois dimensions de l’individu : 1) les parties extensives 2) corps et parties 3) le mode est partie de substance. La méthode structuraliste de Guéroult. Descartes et le mouvement dans la rencontre des corps. La visite de Leibniz à Spinoza. Les corps simples.

9

10/02/1981 46’47 Corps simples et corps composés. Guéroult. Les grandeurs géométriques ; les nombres, grandeurs et infini ; l’infinité des corps simples, la puissance du continu ; Louis Couturat, De l’infini mathématique ; Euclide, Pythagore, Platon et la théorie des nombres idéaux, dialectique ; l’infiniment petit.

9 10/02/1981 31’12 23’15

L’infinitésimal au XVIIe siècle, l’infini actuel, l’indéfini et l’infini en puissance ; Lucrèce, Epicure et l’atome ; Kant et la synthèse du temps, le cogito et succession temporelle, la preuve cosmologique ; Albert Thibaudet.

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10 17/02/1981 46’45 Individuation et infini au XVIIe siècle : 1) rapport, composition 2) puissance (tendance, effort) 3) potentia, mode intrinsèque (gradus). L’individu est rapport, et non pas substance ; Nicolas de Cuses et la mesure ; le rapport pur, différentiel, l’individu fini et l’infini. La logique des relations ; le conatus, tendance, la limite, le contour, l’idéalisme platonicien, Aristote, le monde tactile-optique grec, la forme.

10 17/02/1981 46’48 24’56

L'Eidos, Platon ; les Stoïciens, le contour et le non-être ; Buffon, G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit. Plotin, Quatrième Ennéade, livre V : la lumière, texte manifeste pour un monde optique pur, la spatialisation. La figure byzantine, l’avènement du cube, Riegl ; la lumière pure. La limite de puissance, l’éthologie, la limite contour et la limite spatialisante, dynamique. Spinoza, la Lettre à Jarig Jelles (50), et le contour des figures. Le mode intrinsèque, Duns Scot, la lumière blanche.

11 10/03/1981 31’15 L’individualité, parties extensives, corps simples ; le XVIIe siècle, l’homme et l’infini actuel, Martial Guéroult, l’infiniment petit.

11 10/03/1981 46’48 L’infiniment petit, calcul différentiel et le XVIIe siècle, termes évanouissants; l’éternité, le réel, essences et existences, le possible, Leibniz ; les corps, les figures, le Court Traité, les degrés variables du blanc et de la lumière.

11 10/03/1981 46’50 14’12

La distinction des degrés de lumière, de blanc ; figures ; Duns Scot et la théorie des modes intrinsèques ; Aristote et la forme ; quantités intensives et qualités extensives ; synthèse du temps, synthèse de l’instant ; Bertrand Russell, Principia Mathematica ; distances et longueurs, essence singulière; le germe, le vivant et l’infini, l’épigénèse, le sens du Tout et des parties. Jean Whal, logique des relations.

12 17/03/1981 31’13 Spinoza et l’éternité. Rapport entre ontologie et éthique. Parties extensives et idées inadéquates ; des trois genres de connaissance.

12 17/03/1981 46’50

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225

De l’individuation. Parties extensives ; oppositions entre individus. L’expérimentation de l’éternité. Ethique, livre V ; idées adéquates et affects actifs ; de l’existence en tant qu’épreuve ; la question de l’immortalité de l’âme, l’union de l’âme et du corps ; partie intensive et partie extensive.

12 17/03/1981 46’55

L’extériorité de la mort ; la pars intima et degré de puissance ; amour et univocité, sexualité et équivocité ; les trois genres de connaissance, l’idée de Dieu.

12 17/03/1981 30’52

Les trois genres de connaissance ; la métaphore de la lumière pure de Spinoza ; coefficients d’effectuation ; le système du jugement et les affects; mode d’existence ; le faussaire, Nietzsche, le jugement de la vie et la plainte ; immanence, les points de fêlure, le goût du malheur, l’homme de l’angoisse.

13 24/03/1981 31’20

Affection de l’essence ; le désir, l’inné et l’acquis, les affects, le corps.

13 24/03/1981 46’56

Affection de l’essence. L’être, le concept, le en tant que du penseur ; les affects du dehors. Ethique et ontologie. Panthéisme, D.W. Lawrence et le soleil , composition de rapports et troisième genre de connaissance ; substance et attributs.

13 24/03/1981 43’28 Le En panta grec comme cri de la philosophie, l’Un-Tout du panthéisme, les formes et l’infini ; la pensée, l’étendue et l’infini ; Avicenne et les essences, Animal Tantum, l’essence animale ; Saint Thomas et la théorie de l’analogie de l’Etre. Duns Scot, ontologie, scotistes et thomistes.

14 31/03/1981 47’21

Les états de certitude et le troisième genre de connaissance ; puissance et conscience ; béatitude (Ethique, livre V) ; le cheminement de l’Ethique (reprise et résumé du cours), passions joyeuses et passions tristes, rencontres de corps, la notion commune induite, idées géométriques et notions communes, le kaïros, le moment opportun.

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226

1

31/03/1981 46’52

La peinture

et la question

des concepts

18 heures

Suite du cours Spinoza. Les notions communes des corps, le jeu, troisième genre de connaissance et certitude. Fin des questions et du cours sur Spinoza, début du cours sur la peinture à 39’30. La peinture et la question des concepts : Le pré-pictual : la catégorie de catastrophe en peinture affectant l’acte de peindre en lui-même ; Turner, Cézanne, Van Gogh, Klee et Bacon. - Claudel, L’œil écoute. - Turner, Lumière et couleur, le matin après le déluge ; Goethe, le Traité des couleurs. Catastrophe et naissance de la couleur. - Cézanne, Gasquet et Kant, espace et temps. - Chaos-catastrophe et couleur, du commencement du monde dans la peinture, Lucrèce.

1 31/03/1981 46’55

11’38

Les conditions pré-picturales et Kant, Critique du Jugement, esthétique, les deux moments du Sublime : le sublime géométrique et le sublime dynamique ; texte de Cézanne, le gris, l’hypothèse de la synthèse picturale du temps et ses moments, le pré-pictural, Klee et le point gris, Francis Bacon, les clichés, le trait diagrammatique (diagramme) et sa variabilité, Van Gogh.

2 07/04/1981 35’01 Les chaos-germes ou diagramme du tableau ; la page blanche et l’épreuve de l’écriture, le peintre et la photo.

2 07/04/1981 46’58 Gammes de lumière et de couleurs, diagramme et cliché, Fromanger, Bacon, Michel-Ange, les maniéristes, la capture d’une force.

2 07/04/1981 46’45 20’24

Le fait et le donné pictural, la capture de force, le fond pictural maniériste, l’échappée du corps, Maniérisme, Bacon et les dormeurs, diagramme, Kupka. Joseph Conrad, Le nègre du Narcisse. Francis Bacon, Les Entretiens.

3 28/04/1981 26’20 46’52

La peinture et le concept de diagramme, peinture figurale et peinture expressionniste ; la notion chaos-germe, Michaux, Jean Grenier, la ligne gothique, la

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tension picturale entre l’œil et la main, Mondrian, Pollock, couleurs et lignes picturales, les deux gris du diagramme, Michel-Ange, maniérisme et fait pictural, Bacon, Cézanne, diagramme et code.

3 28/04/1981 46’42 26’12

Diagramme et code pictural, Kandinsky, l'analytique kantienne des éléments, Mondrian, le code binaire, A. Herbin, peinture et positions diagrammatiques, Seurat, la ligne All-Over, B. Mandelbrot, Les objets fractals, la ligne sans contour, la ligne gothique ou septentrionale, Kant, Worringer, Greenberg.

4 05/05/1981 20’30 46’45

De trois positions diagrammatiques : 1) expressionniste 2) de l’abstraction 3) figurale. Kandinsky, Mondrian, Butor, Auguste Herbin.

4 05/05/1981 46’44 Essai de définition de la peinture autour de la notion de diagramme ; code digital, langage analogique, Peirce et les icônes, Bateson.

4 05/05/1981 40’32 Le langage analogique, Bateson et le langage des dauphins, la modulation de la lumière et des couleurs, J-J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues ; langage digital.

5 12/05/1981 06’13 46’41

Le concept d’analogie. La similitude, le moulage interne, Buffon, la notion de légalité, le transport organique, le module, la modulation, Simondon. Le langage de code ou digital (défini selon le concept d’articulation). Les synthétiseurs sonores : 1) modulaires et 2) intégrés ou digitaux

5 12/05/1981 47’07 Le synthétiseur digital, homogénéisation et binarisation des data ; moduler l’onde, code et flux analogique, peindre, c’est moduler la lumière, la couleur, Cézanne et le concept de modulation, Bonnard, espaces et modulation ; Aloïs Riegl et le vouloir faire artistique : extraire l’essence, essence et apparence dans l’art grec et égyptien.

5 12/05/1981 33’50 Analyse de l’espace égyptien. Figures, le bas relief, le vouloir faire artistique de Riegl, le pli égyptien et le pli grec, le vêtement, le contour, la forme et le fond sur un

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même plan, la profondeur, l'empiétement des figures, Bacon et l’aplat, la légalité cristalline, la pyramide et le cube, le temple.

6 19/05/1981 46’35 Analyse de l’espace égyptien. La nature sombre de la couleur, la dynamique de la couleur de Goethe : intensification, saturation, obscurcissement.

6 19/05/1981 46’32 La couleur sombre du fond, Goethe, la hachure de Delacroix, Turner, les virgules de Van Gogh, le colorisme, la touche de Cézanne, le point de Seurat. L’espace-signal égyptien ; l’idée de planéité ; Greenberg, la légalité géométrique cristalline, Gauguin, La Belle Angèle, la chair, Goethe, le traitement de la forme et du fond, les tons rompus ; Riegl et la vision haptique, in Arts et métiers à l’époque du bas Empire (2è. édition).

6 19/05/1981 37’12 Linéarité, l’espace égyptien, la disjonction des plans (espace avant et espace arrière-plan), l’espace grec, inverse de l’espace byzantin, Wölfflin, la ligne collective, de Vinci, l’accident (chute) et l’événement (ascension) entre arrière et avant-plan de la figure.

7 26/05/1981 46’38 Reprise des cours précédents. Problème général du cours : considérer la peinture comme l’acte par lequel on transmet ou reproduit un espace-signal sur la toile, se faisant par analogie ou modulation ; le changement de la conception d’art des Egyptiens aux Grecs, d’où la philosophie ; des essences séparées à la participation ; le primat de l’avant-plan ; l’organon grec, l’espace tactile-optique des Grecs, la ligne collective, le problème des couleurs de l’organisme.

7 26/05/1981 46’43 24’55

Les couleurs de l’organisme (occidental), Goethe, le problème de la chair (sans couleurs élémentaires isolables) et du terreux, Wölfflin ; le passage de l’espace tactile-optique à l’espace optique pur, les Stoïciens, la limite et le contour, Plotin et la lumière, Raphaël, l’avant plan et la ligne collective; l’hypothèse d’un espace modulant la couleur pure, Cézanne, moduler la lumière, moduler la couleur, Paul Signac, les hachures de Delacroix. Les quatre caractères de la couleur : clair-foncé / saturé-lavé, d’où les tons (ou régimes) : vif, pâle, profond, rabattu.

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229

8 02/06/1981 21’32

46’47

Les régimes de la couleur définis selon trois caractères : 1) détermination du fond, notion de support, position variable de l’arrière-plan 2) la nature des teintes (idem pour titrage et dilution de l’alcool) avec une dominante sur les quatre autres 3) colorimétrie, mode de reproduction en trois modes (longueur d’onde, synthèse additive, mélange soustractif). La peinture de la Renaissance, le fond blanc, le secret de Van Eyck, Xavier de Langlais, La Technique de la peinture à l’huile. Les régimes de la couleur au XVIIe siècle, le Luminisme, le Caravage et le fond noirâtre, le Tintoret, Titien, Rubens, Goethe et le glacis.

8 02/06/1981 46’50

25’07

Régimes de la couleur et structurations, les espaces coloristes, Pissaro, Seurat, Cézanne, le passage d’un ton à un autre, petites unités picturales et structure de la toile ; diagramme, code et couleur, la couleur structure (retour au régime de l’aplat) avec Van Gogh et Gauguin, la structure-ruban, Schopenhauer et la couleur, Albers et les études de quantité de la couleur, les tons rompus et la chair.

1 10/11/1981 60’18

Le cinéma et la pensée:

l’image- mouvement,

leçons bergsoniennes

41 heures

Recherche de définition de l'image-mouvement. Ce cours abordera : Bergson, Matière et mémoire, le cinéma, l'image et la pensée, les thèses de Bergson sur le mouvement, les instants privilégiés (pose, thèse, thésis), les temps forts.

1 10/11/1981 61’45 Bergson, L'évolution créatrice (chap. 4), mouvement et positions privilégiées sur des phénomènes (le point extrémal de la tragédie grecque, l'acmè) ; la reconstitution du mouvement par la dialectique des poses (ou formes), la séquence des poses. Le début de la science moderne. Cinéma et mouvement.

2 17/11/1981 72’36 Les thèses de Bergson et le mouvement, instants quelconques et instants privilégiés. La science et l'Ouvert, les systèmes clos et la prise du temps sur les systèmes, les mouvements de translation ; le Tout, la durée et les parties, le temps réel. Le Tout comme équivalent à la durée. Les divisions en sous-durées de la

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230

durée autant qu'il y a d'objets, et unification de ces sous-durées. Bergson et la métaphysique de la relativité d'Einstein, science nouvelle, métaphysique.

2 17/11/1981 61’10 Bergson, la conscience des flux divisés, unifiés du Tout (l'Ouvert, le changement, la durée), et l'image. L'image-mouvement consisterait en ce qu'elle rapporte les objets à la durée et, sous-divise la durée en autant de sous-durées qu'il y a d'objets ; le cadrage au cinéma, le plan-séquence, le montage et la quantité de mouvement qui suscite l'idée du Tout ; Eric von Stroheim et la durée.

3 24/11/1981 63’05 Bergson et la durée, l'image-mouvement, Jean Epstein et la perspective temporelle, la perception naturelle ; Murnau, Le dernier des hommes. Eisenstein et le montage, la dialectique entre le mouvement, le pathétique et l'organique ; la dialectique. Abel Gance et le montage.

3 24/11/1981 64’29 Le facteur intensif du mouvement et la lumière. Cadrage, perspective temporelle, le montage.

4 01/12/1981 70’34 Leçons bergsoniennes sur le cinéma — Les trois thèses de Bergson sur le mouvement et le cinéma : L'évolution créatrice (chap. 1 et 4). La pensée et le mouvant. Matière et mémoire (voir conclusion et derniers chapitres). Les trois types d'images-mouvement : perception, action et affection. L'opposition quant à la phénoménologie : Husserl et Bergson.

4 01/12/1981 46’21 Bergson, la phénoménologie, la question de la reproduction et de la perception du mouvement ; Merleau-Ponty. La photographie et l'écran noir, lumière et obscurité. L'imagination comme révélée par le cinéma ; toute image est (déjà) mouvement et tout mouvement est image, matière = image = mouvement = évidence cinématographique. Image-mouvement = perception, les choses en elles-mêmes sont perceptions, Whitehead et la préhension des choses.

5 05/01/1982 64’34 Bergson, Matière et mémoire (chap. 1) et l'image-mouvement : il n'y a que des images (ni choses, ni

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conscience), la phénoménologie : « toute conscience est conscience de... ». L'intervalle entre deux mouvements ou le détour, l'écart, du mouvement ; le cerveau et l'excitation.

5 05/01/1982 63’57 Bergson, Matière et mémoire (chap. 1) et l'écart, le détour du mouvement; l'image spéciale et l'image ordinaire. Perception, préhension et appréhension. L'action réelle des choses sur le corps. Le statut privilégié de l'affection, l'image affective.

6 12/01/1982 64’52 Bergson, Matière et mémoire (chap. 1). Les trois sortes d'images au cinéma (action, perception et affection) ; le western (monde de la perception) ; le montage. Les images subjectives.

6 12/01/1982 65’02 Images subjectives et images objectives, le passage entre les deux ; l'image-perception et le discours indirect libre, Pasolini et la stylistique, le cinéma de poésie. La conscience fixe du cinéma, de la caméra, l'image-mouvement, le photogramme à intervalles.

7 19/01/1982 54’39 L'image-perception, rappel sur l’analyse de l’image-perception sur trois niveaux. Pasolini. 2e niveau : Bergson et les deux systèmes de perception (chap. 1 de Matière et Mémoire) : le système objectif (le documentaire) et le système subjectif (le drame) ; l’école française de l’entre-deux-guerres ; Grémillon, Remorques ; de l’universelle variation et interaction des images ; l’image liquide, Losey, Eva ; l’image terrestre (le western) ; les lignes de partage (eau, terre, ciel), Eisenstein, Le cuirassé Potemkine ; les ciels de Ford.

7 19/01/1982 67’56 Les pôles de la perception, la confrontation entre l’image subjective et l’image objective. Vigo, Atalante. 3e niveau : définition génétique de l’image-perception et de ses deux pôles. Dziga Vertov et la caméra nous livrant le réel tel qu’il est, le ciné-œil ; le montage, de l’image elle-même, l’article d’Annette Michelson, in Cinéma, théories, lecture. - De la construction d’une autre perception, Ivens, Ruttmann, Vertov ; Cézanne et le thème de l’œil humain du peintre (entretiens avec J. Gasquet) ; Brackage. Le photogramme de l’image-mouvement; la théorie cinétique des gaz; Landow.

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232

8 26/01/1982 70’45

L'image-perception — Annette Michelson, le cinéma structurel, Landow, Bardo Follies, l’image-vidéo, le couple photogramme-intervalle comme élément génétique de l’image-mouvement, d’où une autre perception (non humaine), le cinéma expérimental ; Antonioni. Neuf remarques sur l’image-perception.

8 26/01/1982 55’19

L'image-affection — Le gros plan, le visage, Griffith, Eisenstein ; la visagéïfication par le gros plan ; Bergson, de l’affection : « c’est une tendance motrice sur un nerf sensible », visage = affection ; visage et séries intensives. Descartes, le Traité des passions.

9 02/02/1982 73’09

L'image-affection — Le visage et ses deux pôles, le gros plan, le trait de visagéïté. Descartes et la glande pinéale. Griffith. Eisenstein.

9 02/02/1982 74’00 Conditions du visible. L'image expressionniste. Fritz Lang. L'image striée et l'image rayée.

10 23/02/1982 73’33 L'image-affection et les deux pôles du visage — Le halo expressionniste ; Sternberg et le visage réfléchissant. Le visage dialogue, communique, entre facteur individuant et facteur social, trinité du visage. Le gros plan et l'apparence.

10 23/02/1982 71’03 Le visage. La persona, le rôle de l'acteur, les rôles sociaux, Bergman, les critères d'individuation, visages dé-doublés, dé-triplés. L'incommunicabilité, la nudité du visage, l'apparence, l'érotisme du visage, le gros plan, le baiser, Hitchcock. Le visage-paysage. Les fantômes sont des visages, Kafka, les doubles. Les faits divers de la pensée. La technologie produit des fantômes, la ligne technologique des fantômes de Kafka. Wim Wenders. La lignée fantomatique.

11 02/03/1982 70’30 L'image-affection — Le gros plan, visage et affects ; la tendance gothique ; Jacques Tourneur, l’expressionnisme.

11 02/03/1982 71’20 L'image-affection. Fisher, Dracula, l'image gothique,

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233

Frankeinstein, Tourneur, Diling. L’affect, en tant qu’essence singulière, ou qualité-puissance, exprimée dans un visage ; le gros plan visage ; l’exposition pour elle-même de la qualité-puissance. Pascal Auger ; l'espace quelconque, la potentialisation de l’espace. Murnau ; Robeson, Le montreur d’ombres, 1923. L’image-couleur, les couleurs surface, Godard, Le mépris, et atmosphériques, Antonioni, Le désert rouge, le couleur mouvement qui potentialise un espace. A. Varda, la mort blanche. La constitution directe d’un espace quelconque, les espaces vidés, les images-ville de Fassbinder, Daniel Schmit, L’ombre des anges. Wenders, l’affect de la la peur ; Narboni, les espaces creux de Straub ; les appartements non finis de Godard, tournants de Resnais, Murielle. Godard, Longueur d’onde, (lecture)

12 09/03/1982 66’17 L'image-action, l'image-affection ; l’affect, ou qualité puissance, et son actualisation dans un état de chose ; Ivens, La pluie. L'invention des concepts et ses articulations, la découpe du réel du philosophe, la métaphore du cuisinier par Platon. Maine de Biran (1766-1824), Peirce (1839-1914), inventeur de la sémiotique. Le Je pense est un Je veux, c'est une relation et non une substance, l'effort comme nouvelle forme du Je pense ; le fait primitif se trouve dans la relation et non dans la substance. Merleau-Ponty. L'image-action sera la secondéité.

12 09/03/1982 66’56 L'image-action. Secondéité, Peirce et ses trois catégories phénoménologiques : priméité, secondéité, et tiercéité. Image, signe, indice, symbole, qualisigne.

13 16/03/1982 64’08

Exposé d'un auditeur. Pulsion et monde originaire.

13 16/03/1982 59’08 Naturalisme ; Empédocle, le monde des pulsions et ses objets. Le cinéma d'action, Stroheim et Buñuel, les mondes clos, originaires, et les processus de répétition.

14 23/03/1982 60’26 L'image-action — Stroheim, Buñuel, Visconti. Après le monde originaire, un second niveau : monde et milieu, équilibre, sans défi, duel.

14 23/03/1982 46’40

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Les quatre lois de la grande forme (S A S) situation-action-situation. 1) loi de montage d’action ; M le maudit, F. Lang 2) loi de Bazin ou loi du montage interdit 3) loi de l’écart entre la situation et l’action 4) loi du duel; le western.

15 20/04/1982 58’04 L'acteur et le jeu de l'acteur. Fitzgerald, la fêlure, l'habitus, la fatigue, la dégradation réaliste à l'américaine, le shérif alcoolique, les micros fêlures, l'acte de rupture, l'acte de survie. La violence des origines, des pulsions. Le réalisme, E. Kazan, les actors studio, Sternberg.

15 20/04/1982 40’39 L'acteur. La tiercéité. La petite forme de l'image-action. Charlie Chaplin et l'action du train.

16 27/04/1982 52’39 Les deux formes d'image-action : 1) S A S' (situation-action-situation modifiée ; de la situation au duel) ou grande forme de l'image-action ou spiralique ou éthique ; l'épique, le western. 2) A S A' (de l'indice à la situation), petite forme, elliptique ; la comédie. - Article de G. Canguilhem, Connaissance de la vie ; le milieu : les encyclopédies, notion nouvelle au XVIIIe siècle, mécanique, fluide, action à distance, Newton, l'intermédiaire entre deux corps. 1) Ethique, le souffle vital, esthétique = S A S' 2) La ligne d'univers, espace vecteur, le disparaître des choses, la recherche de l'ossature 3) Mathématiques. Albert Lautman, la notion d'existence en mathématiques, le local et le global. Riemann, les espaces, événements.

17 04/05/1982 46’30

Grande forme et petite forme du cinéma. Le cinéma de l'après-guerre, la mise en question de l'intrigue. La ville-compagnie, Hollywood, New York. Les deux aspects du rêve américain : 1) le creuset fondateur des minorités constituant une même nation 2) l'homme américain apte au changement de la situation. - La crise de l'image, la liste de l'image, l'évolution technique. - Le roman. Dos Passos.

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235

La rupture du cinéma américain avec les deux formes d'image-action. Le fait divers, la ballade.

17 04/05/1982 58’46 La ballade urbaine, son aspect non formateur. Les espaces urbains de Lumet. Scorsese, Cassavetes, W. Allen. Enchaînement d'événements au hasard, rupture avec l'actors studio, Dos Passos. Le jeu et les joueurs. L'amorti, la non-appartenance de l'événement et l'acteur. - Le concept de fait-divers : 1er caractère : une série d'événements prélevés dans une réalité dispersive. 2e : l'événement en train de se faire. 3e : l'événement qui n'appartient qu'en partie, ou pas du tout, à celui à qui ça arrive. Le monde des images-clichés, sonores ou optiques, extérieurs ou intérieurs. L'univers physique et mental du cliché : les actualités, les biographies, l'oeil de la caméra : ça culmine dans la petite chanson, la ritournelle.

18 11/05/1982 34’22

Reprise, résumé du cours. Le burlesque, la petite forme. Buster Keaton, Chaplin.

18 11/05/1982 50’17 La situation optique pure et la vue de l'intolérable, l'image-cliché, la situation sensori-motrice qui n'est plus (qui n'était qu'en apparence) le bouleversement, la peur, en excès ; Europe 51, l'oeil du spectateur. L'image néo-réaliste, l'art des rencontres, l'enfant dans le cinéma néo-réaliste italien. La nouvelle vague. Jacques Tati.

19 18/05/1982 71’57 Image optique et image sonore pure. Bergson, la mémoire. La structure du temps.

19 18/05/1982 61’15 Orson Welles, Bergson, le souvenir. La reconnaissance sensori-motrice. La contraction des moments.

20 25/05/1982 46’34 La mémoire, le temps, Bergson, les contractions du temps, l'image cinématographique et la pensée. Les quatre grands modes : 1) le mode imaginaire (les scènes, Fellini)

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20 25/05/1982 46’20 2) le mode didactique (le dernier Rossellini, les Straub) 3) le mode critique (Godard) 4) le mode transcendantal (le temps de la pensée, la pensée prend du temps). Les sous-modes, le cinéma à texte, à intrigue (c'est le cinéma de l'image-action, sensori-motrice).

21 01/06/1982 50’37 Récapitulation du cours de l’année — Distinction de trois modes d’existence qui recoupent les signes : priméité (image-affection) secondéité (action) tiercéité (recherche d’une image) ; classification des signes, Peirce.

1 02/11/1982 46’42

Cinéma, de la

classification des signes

et le temps

56 heures

Pour cette année, il s'agit d'une reprise du cours de l'année précédente sur le mode “ du ressassement, de la rumination ” ; d'une classification des signes et le temps. Les cours seront plus spécialisés que ceux de l'année précédente, davantage destinés aux philosophes de formation. Platon et la prise de parole, la doxa, l’opinion, et le savoir ; la création, la consistance des concepts. L’Idée. Spinoza ; la ligne du concept.

1 02/11/1982 46’41

Bergson, Matière et mémoire (chap. 1) ; l'image et le mouvement ; le plan d'immanence ou écran = images (actions, réactions) et intervalles (en actions et réactions) ; l’Ens originarium, la preuve ontologique de l’existence de Dieu ; Sartre (le début de L’être et le néant) ; les images privilégiées et la perception, les centres d’indétermination.

1 02/11/1982 65’43 Bergson — Plan d'immanence et images-perception, images privilégiées, affection, action ; le film de Beckett « Film ».

2 23/11/1982 70’36

Annonce du cours de l'année : - le rapport du mouvement et du temps, images et signes, classification, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Gérard Deledalle, Whitehead, le surgissement d'une nouveauté, le langage, la répétition, Péguy.

- la lumière et ses rapports avec l'ombre. Goethe, Traité

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des couleurs. Le Faust de Murnau, l'expressionnisme comme point de départ. L'abstraction lyrique. L'aventure de la lumière avec le blanc et l'expressionnisme.

2 23/11/1982 53’37 L'image-mouvement et la fin de la verticalité. Le renversement de Bergson sur la lumière : le rapport matière, choses / lumière / conscience.

3 30/11/1982 46’10 Plan d'immanence, ou de matière, et la lumière : - c'est l'ensemble infini des images-mouvements, en tant qu'elles réagissent les unes sur les autres, sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties. Et c'est aussi : - La collection des lignes ou des figures de lumière, qui n'existent pas encore. - Le temps, la coupe mobile (le plan d'immanence est une coupe mobile), Bergson, la coupe transversale. Einstein et la relativité, les blocs d'espace-temps.

3 30/11/1982 46’43 Bergson, Matière et mémoire — mouvements et intervalles de mouvements, la matière, le cerveau, Vertov, plan d’immanence

3 30/11/1982 61’33 Bergson. Image-mouvement, lumière, matière, temps. Les images-affection ou auto-perception. Plan d'immanence. Images-temps directes, le montage dans le cinéma, Dreyer, Bresson. Beckett.

4 07/12/1982 73’27

Bergson, Matière et mémoire — L'image-souvenir, image-mouvement et image-temps directe, plan d’immanence ; le matérialisme de Bergson, matière et signes ; présentation de Peirce (astronome et logicien formel) et ses trois catégories ; les trois points de travail à venir : - classification des images selon Peirce. - comment Peirce passe-t-il de la notion d’image à celle de signe ? - quelle classification des signes en découle chez Peirce ? Phénomène (phaneron), l’image et le lumineux, le concept, Péguy et la notion d’internel.

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4 07/12/1982 66’35

Bergson — Peirce — Les caractères de la priméité et de la secondéité, l’image-affection ; Blanchot et l’événement in L’espace littéraire (p. 161). Péguy, Clio, de deux parts de l’événement, événement / actualisation et potentialité.

4 07/12/1982 15’35 - Evénement et actualisation. - Les généalogies. Péguy, événement et singularités. Le coup de dés. Evénement/priméité et secondéité/qualité, potentialité pure/image-affection.

5 14/12/1982 70’53 La pensée est une tiercéité. Le duel et le trois. La notion de relation. Leibniz. D. Hume. Extériorité.

5 14/12/1982 55’31 Les relations philosophiques (renvoyant à un sens) et les relations naturelles. Hume, Traité de la nature humaine. Husserl. Bergson.

5 14/12/1982 33’33

Relations naturelles et abstraites, sens, Peirce et ses trois catégories. Le burlesque, le duel ; l’image-pulsion, acteurs et actrices, le cinéma naturaliste, Bresson.

6 21/12/1982 73’41 Tableau de Peirce et ses trois types d'image (priméité / affection, secondéité / action, tiercéité / le penser) ; relations naturelles et relations abstraites ; - Comment une image devient-elle un signe ? Saussure et Peirce ; l’image-perception renvoyant à deux pôles, images-spéciales ou particulières, le phaneron (l’apparaître).

6 21/12/1982 46’20

Tableau de Peirce et classification d'images et de signes; l’image- perception et son oscillation entre deux pôles ; les objets et les interprétants du signe de Peirce, « un signe est une image particulière qui représente un type d’image » ; de deux aspects du signe ; icône, syllogisme, habitus, qualisigne, synsigne, légisigne, dicisigne.

6 21/12/1982 47’16

Peirce, le phaneron, les aspects du signe et les images,

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signe de genèse et signe bipolaire ; Les espaces quelconques, vides et le cinéma, l’image-affection, l’icône, le visage, le gros plan, signes de composition.

7 11/01/1983 62’27

Tableau de Peirce — Classification d’images et de signes; image-perception et cinéma, la matière est perception ; reprise des cours précédents, de la coexistence de deux perceptions.

7 11/01/1983 47’42

Image-caméra et image-personnage ; Pasolini, le discours indirect libre, l’image directe libre (coexistence de deux perceptions), le dicisigne, le cadre, le régime de l’universelle variation, l’image bipolaire, perception solide, terrestre et perception liquide (véridique), Grémillon ; Peirce, définition du photogramme (c’est l’engramme cinématographique) et la notion de clignotement (cinéma expérimental) = signe de genèse de l’image perception. L’image-affection (le visage, le contour, Griffith).

8 18/01/1983 71’45 Tableau des images et des signes. Image-action et situation ; le naturalisme et ses coordonnées, monde originaire et monde dérivé ; l’acteur naturaliste et la violence statique, l'image-pulsion. Losey, Buñuel.

8 18/01/1983 56’10 - L'image-pulsion. La violence statique — Le fétiche (la relique, la vulte) et le symptôme. Genet, Buñuel, Bacon. - L’image-action : le rêve américain et ses deux aspects (la naissance d’une nation et l’homme face à une situation) , le cinéma soviétique, le film d’histoire et ses rapports avec l’image-action, Ford, Eisenstein, Hegel, Nietzsche (l’histoire monumentale).

9 25/01/1983 69’49 Le montage, l'image-action et l'image-affection. Nietzsche et la conception monumentale (image-action) de l’histoire. Babylone.

9 25/01/1983 73’10

La conception monumentale analogique de l'histoire. Cause-effet, parallèles et analogies entre civilisations, sociétés, les effets en-soi. Le duel (riche/pauvre) ; le montage de Griffith. La dialectique.

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La conception antiquaire de l’histoire, Nietzsche. Le rêve américain. Sociologie, les communautés, l'alcoolique et la mascarade des choses. Jack London : « l'alcool, c'est la raison pure », et l'illusion sur soi-même. Le signe génétique, (la soudure intérieure au personnage) qui établit le lien entre la situation et l'action. Kazan, l’actors studio.

10 01/02/1983 66’18 Le signe divin, prophétique. L'image-action (S-A-S') / la représentation organique, le héros, le tragique, l'action, le peuple (ou groupe fondamental, groupe de rencontre), de l'écart qui n'existe que pour être comblé quand le héros égale l'action ; le prophète; actualiser la puissance, le signe génétique et la situation. Les trois signes : synsigne, binôme, empreinte (voir le cours de l’année précédente). Peirce, l'action, la situation, l'indice.

10 01/02/1983 71’50

Image-action et situation, l’image indicielle chez Lubitsch ; la différence infinitésimale ; lignes d'univers, vecteurs (signes génétiques), H. Hawks. Les deux types d’image-action ; Herzog, La ballade de Bruno.

11 22/02/1983 66’57 Les deux types de l'image-action. La notion d'espace et la situation. - L'espace soufflant, de respiration, dans le vide. - L'espace de cheminement ; espace-fibre, de ligne d'univers. L'espace riemannien, l'infinitésimal. Kurosawa. Eisenstein.

11 22/02/1983 62’45

Image-action — La notion d'espace — Eisenstein, la loi de production dialectique, le vecteur. Kant et le symbole, Critique du Jugement (§ 59). Les concepts a priori et les concepts empiriques. L'image et le schème.

11 22/02/1983 21’35

Kant — les dynamismes spatio-temporels. Le symbole, ou figure. L'image et le schème ; ce qui fait correspondre directement une image à un concept, c'est un schème ; c'est l'exposition directe d'un concept ; L'Idée, comme le concept de quelque chose qui déborde toute expérience possible. Le devoir de l'idée morale, sans expérience. L'innocence.

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12 01/03/1983 65’23 Résumé du cours précédent — Les images, les montages d'attraction d'Eisenstein. La représentation théâtrale au cinéma. Kant, le symbolisme. Les représentations plastiques. Les tropes : métonymie, métaphore, synecdoque. Fontanier et les tropes impropres : personnification, subjectivation, allégorie.

12 01/03/1983 51’51

Fontanier, Les figures du discours. Les phénomènes d'inversion, le burlesque, Hawks. La relation, en tant qu'objet de pensée. Hitchcock et l'image-relation.

12 01/03/1983 40’43

Hitchcock et l'image-relation. David Hume, la relation naturelle et la relation abstraite. La démarque et la série coutumière. L'image-mentale d'Hitchcock : mutation du cinéma.

13 08/03/1983 58’29

Récapitulation de la classification des images et des signes : les 21 types de signes du tableau (3 colonnes, 7 types d'images) ; de l'image-mouvement ou image-lumière. - La lumière, Hegel, Goethe.

13 08/03/1983 61’37

Image-mouvement ou image-lumière, la dialectique et ses lois, le saut qualitatif, Eisenstein et l'expressionnisme de la lumière, l’organique et le pathétique.

13 08/03/1983 29’46

Images-mouvement et montage. Les Stoïciens et le temps. Le temps est l'affaire de l'âme, et non du monde. Le néoplatonisme, Plotin. - Les deux images indirectes du temps, l’une issue du mouvement, l’autre issue de la lumière ou de l'âme. Ces deux images nous donnent : les figures indirectes de la pensée, le combat de l'esprit avec l'ombre, et le choix, ou alternative du pari ; penser, c'est parier, c'est disposer une alternative, atteindre un choix. Schelling, Pascal, Kierkegaard.

14 15/03/1983 66’02

Les signes correspondant aux types d'images. Le cinéma expérimental, lignes d’univers, Dostoïevski, Kurosawa, Henri Miller : la situation et la question, et le thème de la circulation.

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14 15/03/1983 47’02 Le cinéma expérimental — Le visible et le discible de l'image. Le temps et le mouvement, l'éternel retour, le temps astrologique.

14 15/03/1983 40’41

- Le temps est nombre du mouvement : la Grande Année des Grecs, l'invariant de Descartes. - Le temps, saisi dans son ensemble comme ensemble du temps. La notion d'intervalle.

15 22/03/1983 73’49 Récapitulation — l’aspect extensif du mouvement et ses rapports métriques, la grandeur et l'unité, le temps comme mesure du mouvement, l'intervalle. Kant, Critique du Jugement (§ 26) : le sublime mathématique et le sublime dynamique ; Abel Gance.

15 22/03/1983 69’35

Abel Gance : d’une algèbre du mouvement, le problème de l’école française: la quantité de mouvement soumise à des rapports métriques ; le sublime mathématique au cinéma ; la démesure, le montage accéléré de Gance ; le simultanéisme, peinture, Delaunay, Léger, Messiaen et les rythmes non rétrogradables, Klee, l’intervalle du temps, la notion de l’ensemble du temps, L’Herbier ; les types de causes ; le mouvement de l’intensité ; l’ordre (grec) du temps ; Jakob Bohëme.

16 12/04/1983 72’53

Image-mouvement et signe. L'image cinématographique, le montage, la modulation, l'image-lumière, mobilité et modulation pures. Les signes du temps, la lumière.

16 12/04/1983 64’04

Les degrés de la lumière : les couleurs, qui sont des intensités de lumière, et le temps, la chronochromie. Degrés et intervalles, qualités intensives, temps, l'instant. - L'esthétique kantienne du Sublime. Les deux formes du Sublime : mathématique et dynamique : l'immense, et le difforme ou l'informe. Le sensible et le suprasensible. L'intensité, la nature, l'éveil de la capacité spirituelle, l'occasion de l'apparence spirituelle de la nature. A. Gance.

16 12/04/1983 26’21

Esthétique kantienne du Sublime, l'ordre du temps ;

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l'instant vécu, l'instant comme maintenant, l'immémorial et l'imminent. Bergson, le romantisme allemand, Jakob Böehme et la lumière. Les conditions de la manifestation de la lumière. Les couleurs.

17 19/04/1983 66’45

Images-mouvement et images indirectes du temps — Le temps comme Tout et le temps comme intervalle. Esthétique de Kant, l'esprit de sacrifice, la Loi morale. Böehme, Schelling, la lumière invisible et sa volonté de se manifester.

17 19/04/1983 46’49 La scission infinie : la lumière invisible, et la volonté de manifestation, de faire voir. La dialectique / lumière, Hegel, Schelling, Böehme. Les couleurs, le contour des choses. Les mouvements intensifs. La dialectique de la nature.

17 19/04/1983 38’25

Le fini et l'infini. Goethe, les couleurs (bleu, jaune); le scintillement et l'expressionnisme, Murnau, Nosferatu.

18 26/04/1983 70’18 Messiaen, Chronochromie, Goethe, Traité des couleurs, le rouge ; Schelling, la nature et ses moments, couleurs sensibles et suprasensibles (le rouge), le cercle chromatique, la couleur et la durée.

18 26/04/1983 67’21

Goethe, Traité des couleurs. Théorie kantienne du Sublime. Le temps ; la puissance de l'instant c'est le sublime dynamique, le variable, l'intervalle. Proust.

19 03/05/1983 73’37 Michel Serres, la découverte de l'infini au XVIIe siècle (il n'y a plus de centre), la déterritorialisation, le point de vue, Pascal, Leibniz, Péguy, le temps et ses unités.

19 03/05/1983 72’46

Le temps, les images indirectes du temps, ou chronosigne, l'intervalle ou présent variable (unité quelconque de mouvement). - Hegel, logique et métaphysique, dialectique, la négation de la négation. La lumière. Pascal.

20 17/05/1983 40’45

Les figures de la pensée : le penseur, le possible et le réel, les principes logiques, le doute, Descartes, le point de vue, Leibniz.

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20 17/05/1983 46’52

Leibniz, logique, (chaque moi exprime l'infinité du monde), principe d'identité (vectorisé), principe de raison, principe d'existence, le jugement analytique (= l'attribut est compris dans le sujet), l'identification du logique et de l'existant, l'infini. L'identité synthétique = principe de non-contradiction.

20

17/05/1983 62’21 La dialectique hégélienne. Le romantisme, l'expressionnisme, la réconciliation de l'esprit avec la nature. Le sensualisme. Le monde moderne. Le bond, le saut qualitatif, le cri dialectique, l'élévation de l'instant à la puissance ; Le cuirassé Potemkine. Murnau, Berg, le cri expressionniste. - Penser, c'est jouer. Pascal, le divertissement, le pari. La notion de choix de Sartre (la mauvaise foi), et de Kierkegaard (le stade éthique).

21 24/05/1983 72’58

La pensée comme jeu, et le concept philosophique. Pascal. Renouvier. L'idée de la liberté-choix. Sartre, l'existentialisme, le choix, l'alternative. Classement et classification de choses, de genres, qui n'ont rien en commun. - La lumière et ses rapports avec le blanc. Couleurs. Le point de vue subjectif ou choix, renvoie, non pas à des choses ni à des essences, mais à des modes d'existence.

21 24/05/1983 51’50

- Le choix de modes d'existence. Pascal. Kierkegaard. Sartre. L'existentialisme. Le point de vue. - La nécessité morale. - La nécessité physique. - La mauvaise foi ou l'existence inauthentique. Le stade éthique, Agamemnon. Abraham. L'alcoolisme.

21 24/05/1983 40’42

Alcoolisme. Sincérité et mauvaise foi. Kierkegaard et le stade esthétique. Le choix du choix. La collaboration française sous la 2e Guerre mondiale. La morale et les modes d'existence. Le pari de Pascal (l'alternance des termes, comme moyen pour l'alternative des modes d'existence).

22 31/05/1983 73’22

Kierkegaard. Les personnages élevés à l'état de concept. La pensée de la foi, du choix, de l'alternative. Pascal, Le choix du choix. Chestov, le sacrifice. Le

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rendu de l'alternance, c'est une question de lumière.

22 31/05/1983 66’15 Le rendu de l'alternance est question de lumière. Péguy (la répétition faite style). Le concept de répétition. Le temps, la coupe verticale du temps, Clio, inscription et remémoration, l'événement.

23 07/06/1983 46’50 Dernier cours de l'année universitaire — Récapitulation, schémas bergsoniens, le temps.

23 07/06/1983 44’09 Récapitulation, Bergson. Le temps — L'image-temps directe. Le dédoublement du présent, le souvenir. Le présent est toujours dédoublé, redoublé : il y a le présent qui se présente, et le passé que le présent a été. Il y a un souvenir du présent.

1

08/11/1983 69’29

Cinéma, Vérité

et temps : le

faussaire

55 heures

Les six directions de recherches : 1) Herman Melville, The confidence man (“Le grand escroc”). 2) Platon et les sophistes, Protagoras, Gorgias, Le grand Hippias, Le petit Hippias, Le Sophiste, Le Politique. Eugène Dupréel, Les Sophistes et leur pluralité propre ; Le faussaire ne peut être un. 3) Nietzsche et la mise en question de la vérité, Crépuscule des idoles, Par-delà bien et mal ; Ainsi parlait Zarathoustra ; la puissance du faux, ou volonté de puissance 4) Les créateurs de l'image-temps : Welles, Resnais, Robbe-Grillet, et le personnage du faussaire. 5) La cristallographie. 6) logique, B. Russell, Principia Mathematica. La notion de description et celle de narration ; la narration comme élément autonome de l’image visuelle et sonore ; le film comme conte (Mankiewicz, Rohmer, Pasolini) ; le nouveau roman. Le XVIIe siècle et la distinction de la représentation et

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de la modification d’une chose, les deux pôles de l’image.

1 08/11/1983 60’01

Les dialogues de Platon ; la puissance du faux ou volonté de puissance et ses degrés (Nietzsche), et la notion de valeur (tout ne se vaut pas). La forme, l'imagination, le réel, la représentation, l'essence, l'apparence. L'indécidabilité, du principe d'indiscernabilité du réel et de l'imaginaire, qui est puissance du faux. Robbe-Grillet, Welles ; la forme organique du vrai et la formation cristalline ; Eugène Dupréel, la notion de concrescence ; Mallarmé, Victor Hugo ; séries de puissance de différences de puissance ; ce que l'on voit dans le cristal, ce sont les accents, les aspects du temps. Worringer, L’art gothique, art du vrai et forme organique.

2 22/11/1983 45’58

La puissance du faux — Définition du faux : c'est la confusion du réel et de l'imaginaire ; confusion assumée, de l'erreur. Ces images qui constituent l'indiscernabilité du réel et de l'imaginaire seront appelées images cristallines, la puissance de description, le nouveau roman, Nietzsche, Robbe-Grillet. Bergson, Matière et mémoire (début du chap. 3) ; perception et objet, espace et temps, fermer l’espace et ouvrir le temps.

2 22/11/1983 59’11 Puissance du faux et séries de puissance. Le réel et l'imaginaire ; images cristallines. Jean Ricardou, le nouveau roman, phénomènes de captures et de libération ; Macbeth ; Welles ; Godard ; le faussaire est le constructeur de formations cristallines. Puissances, potentialités et multiplicités. La narration véridique (organique) et la narration falsifiante (cristalline), le discours indirect libre.

2 22/11/1983 47’59

Rencontre entre le temps et la puissance du faux, séries de puissance, Melville, Le grand escroc, Benito Cereno, de l’irréalité des navires ; narration et description, Welles et ses séries de faussaires, F comme Fink, Perrault et la mémoire, le cinéma du tiers-monde, de la mémoire du monde.

3 29/11/1983 09’32

Récapitulation du cours. Narration véridique et

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narration falsifiante, Robbe-Grillet, le faux-fuyant, les délits de fuite. Le temps, comme la mise en question la plus profonde du concept de vérité. Aristote et l'alternative des propositions, la vérité et l’existant, les futurs contingents, principe de contradiction. Logique antique des Stoïciens, Chrysippe et Cléanthe, Pierre-Maxime Schuhl, Le dominateur et les possibles.

3 29/11/1983 63’09

Les stoïciens, le fatal et le nécessaire de Cléanthe, corps et événement ; du possible sort de l’impossible, le passé n’est pas nécessairement vrai, et le faussaire. Leibniz, le labyrinthe, Borges, Maurice Leblanc, La vie extravagante de Balthazar (roman populaire du XIXe siècle). Le XVIIe siècle et la crise du Dieu véridique ; du meilleur des mondes possibles.

3 29/11/1983 38’23

Texte de Leibniz, le labyrinthe ; Borges, Fictions, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », les séries divergentes et le temps, les puissances du faux, Maurice Leblanc, puissance du faux.

4 06/12/1983 45’52

1) l'indiscernabilité du réel et de l'imaginaire et la description, Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman. 2) l’indécidabilité du vrai et du faux et la narration, paradoxes et puissances du faux. 3) la crise du concept de vérité, face au temps et à l’existence. Welles, Resnais. La forme pure du temps (le fond du temps) et le concept de vérité. Le temps chronologique ; Welles, Resnais, Je t’aime je t’aime.

4 06/12/1983 69’30

Leibniz, vérité d'essence et vérité d'existence ; de la substance non chronologique du temps (c'est le fond du temps), le possible, la notion de meilleur, l’incompossible et la bifurcation (en ligne droite), Borges ; la morale et le temps ; de deux interviews d’Antonioni sur le néo-réalisme, Europe 51. Nietzsche, Le Gai Savoir, et la mise en question de la vérité face aux puissances du faux. Empédocle et la sagesse.

4 06/12/1983 45’30

Empédocle : derrière la vérité, il y a la lutte entre l'amour et la haine ; Nietzsche et la crise de la vérité, Le Gai Savoir (§ 319-344-345-346) ; Antonioni.

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5 13/12/1983 68’37 La théorie du monde de Kant, les antinomies, les Idées et les illusions de la Raison comme nouvelle conception du temps ; l’horizon de la phénoménologie ; concepts, affects, et percepts, puissance d’exister, expérience et horizon. 1) Hamlet : le temps sort de ses gonds, le temps, forme pure et vide, n’est plus mesurable au mouvement, Borges. 2) Rimbaud, « Je est un autre » ; Descartes et le cogito ; Nietzsche et la vérité, l’Eidos, l’homme véridique.

5 13/12/1983 37’10 L’homme véridique de Nietzsche et la perspective morale, la tromperie, Le Gai Savoir, affects, le concept et le grand Amour, la force du temps, perception et puissance de vie, d'exister, les degrés de perception, Virginia Woolf, H. Melville, Henry James. La perspective spatiale et la perspective temporelle. Spinoza et la définition générale des affects et ses trois thèmes, fin du Livre 3 de l’Ethique : 1) le concept 2) l’affect 3) le percept.

5 13/12/1983 25’17 Amour et puissance d'exister, point de vue (optique) et perception, ordination des choses et (ou bien) séries nouvelles. Le temps comme force de l’affect ; la crise de la vérité et la puissance du faux (affects et percepts). L’idée de la philosophie moderne de créer de la vérité.

6 20/12/1983 61’31 Lecture de Nietzsche, Crépuscule des idoles, « Comment pour finir le monde vrai devint fable » ; l’artiste, l’apparence, la réalité, le mode vrai. L’homme véridique, l’homme original, l’homme ordinaire, l’homme remarquable, l’homme nouveau et le temps. Platon, Le Sophiste, la copie et le modèle, l'usager. Le copiste Bartleby de Melville, la notion de collationner. Le thème de la recherche du livre vrai. De l’abolition du monde vrai et du monde des apparences.

6 20/12/1983 59’42

Collationner : comparer la copie au modèle ( = l’activité philosophique même), Melville, Bartleby, le Je préfère pas. L'homme véridique, Platon et l'usager. L'homme original, Le grand escroc de Melville, Empédocle et le cycle amour / haine, vie et unité ; Romain Rolland, Le feu d’Empédocle ; l’unification par

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l'amour des apparences ; le capitaine Achab et Don Quichotte. Le philos-sophos et le sophos, le Sage, Pythagore, Nietzsche et les apparences. L'homme ordinaire, homme du discours de la loi et des perspectives communes, l’art du discours de la vie ordinaire, Melville et les personnages du grand escroc, le philanthrope, Maurice Leblanc, La philosophie quotidienne du professeur Balthazar. Protagoras et le Nomos / Phusis.

6 20/12/1983 45’47

Le Nomos (perspectives communes), Protagoras ; la figure du misanthrope jovial, Melville, Moby Dick. L’homme remarquable. Le Gorgias et le kaïros (l'instant, le moment favorable). Nietzsche et les discours des hommes de Zarathoustra.

7 10/01/1984 45’59

Récapitulation du cours. La crise de la vérité sous l'effet du temps : le paradoxe antique des futurs contingents, le concept de vérité selon cinq aspects ; description organique, distinction organique du réel et de l’imaginaire, affect, percept (formations externes) et formations cristallines (formations internes) ; la perspective dépravée de l'art. Platon, l'icône et le fantasme. La puissance du faux, la forme et la force du temps. Bergson.

7 10/01/1984 45’58

Crise du concept de vérité et forme, ou force du temps. Bergson et la reconnaissance attentive, in Matière et mémoire (chap. 2). Robbe-Grillet, les espaces vides, déconnectés et la perception. La notion de représentation. La série d'anamorphoses. Ozu, Antonioni, Bresson ; distinction entre la narration organique et la narration falsifiante. Les termes de représentation et de proposition (l’énoncé) et leurs différentes dimensions.

7 10/01/1984 42’28 La subordination de l'image-mouvement à l'image-temps. Les bifurcations du temps. Le flash-back, Welles, Resnais, Mankiewicz, Borges, Fitzgerald, Ozu, Kant.

8 17/01/1984 59’14

La pensée du temps et du mouvement ; le cinéma : Ozu, le néo-réalisme italien, la nouvelle vague ; Paul

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Schrader, Notes sur le style transcendantal au cinéma (Les Cahiers du cinéma), montage du film et conscience du temps, l’image cinématographique est au présent ; Pasolini, Théorème. Le mouvement considéré comme un Tout (invariant, éternel), et dans ses parties (successions, articulations), parties limitées (les instants, simultanéité). Le transcendant et le transcendantal.

8 17/01/1984 60’07

Mouvement et temps, Plotin et la première philosophie de la lumière. Le montage. Musil, L'homme sans qualités. Cinéma classique et cinéma moderne, l’école française, l’invariant du mouvement (reprise du cours précédent) ; image-temps directe et image-mouvement. Jean-Louis Schefer, L’homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma.

8 17/01/1984 33’05

Image-mouvement et image-temps directe. Le cinéma d’action se substituant à un cinéma de voyant. Rossellini, Europe 51, Stromboli, l’étrangère, le cinéma politique et la vision, Visconti, Ossessione, Rocco et ses frères ; prendre l’air du temps comme nouvelle façon de filmer. L’idée de l’unité sensible avec la nature de Visconti, communisme romantique, visionnaire.

9 24/01/1984 68’56

Résumé et mise au point du cours. Le cinéma et l’instauration de situations, d’images optiques et sonores pures, c’est-à-dire sans prolongement moteur ; le cinéma néo-réaliste italien, signes sensori-moteurs et objets, cinéma d’action et cinéma de voyant ; William Blake et l’Empire de la misère.

9 24/01/1984 54’19

Les âges du cinéma burlesque. La danse et l’image optique sonore pure ; J. Tati ; narration falsifiante et description cristalline ; les espaces déconnectés ; Godard ; l’image-temps directe ; Antonioni ; le montage ; obsignes, sonsignes, chronosignes, lectosignes, noosignes ; Ozu.

9 24/01/1984 57’04

Ozu, schèmes sensori-moteurs et cinéma ; le remarquable et l’ordinaire ; les critiques d’Ozu, Paul Schrader ; Leibniz ; les séries d’ordinaires, nature et banalité quotidienne ; l’ordinaire sensori-moteur et l’ordinaire sublime ; distinction des espaces vides des

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natures mortes, les lignes d’univers, Cézanne ; l’horizon.

10 31/01/1984 59’09

Situations sensori-motrices et situations optiques sonores pures. La rupture du schéma sensori-moteur et l’image-temps directe, Rossellini, Ozu.

10 31/01/1984 67’25

Situations sensori-motrices et situations optiques sonores pures. Le burlesque, Tati, Lewis, Chaplin ; l'action, les décors. L'image-mouvement et l'image indirecte du temps.

10 31/01/1984 32’59

La question de la mesure du mouvement et de celle du temps. Le Timée de Platon ; la physique et l'astronomie antiques grecques. Aristote, la Métaphysique.

11 07/02/1984 58’49

La vie quotidienne et l'opinion, en rapport avec la méditation et l'éternel, le cri, Heidegger, l'existant, le transcendant, l'éternel retour (qui n'est pas un mythe), le temps cyclique des Grecs, la Théogonie, le temps déchaîné des générations.

11 07/02/1984 45’56

Platon, le Timée, la matière du monde, le mélange du Même et de l'Autre ; la ressemblance de l'image au modèle par les moments privilégiés.

11 07/02/1984 43’26 Platon, Aristote, les corps, la matière, le mouvement circulaire des âmes, le temps et les déséquilibres, la physique ; la tragédie, l'oracle, Eschyle, Hérodote, le destin. Economie et temps.

12 28/02/1984 60’38

Platon et le mouvement, la géométrie des proportions, points privilégiés et plans, astronomie, le temps qui s'abstrait du mouvement ; les anomalies du mouvement, et le temps valant pour lui-même, le temps qui sort de ses gonds pour Hamlet, Œdipe. Aristote et le temps, la vérité supralunaire, les causes accidentelles. Plotin, la contemplation, Troisième Ennéade, chap. 8, 3,7.

12 28/02/1984 44’16

Plotin, Platon ; l'image indirecte du temps et le mouvement de l'âme. La notion de plan. Le fond et la

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forme dans la pensée égyptienne, géométrie.

12 28/02/1984 44’46 La lumière est le milieu qui occupe le cube ; Platon et la transcendance de la lumière par rapport aux formes. Les néoplatoniciens, L'Un et l'Être, ontologie. Le cubisme, Delaunay, le futurisme. Le mouvement des formes lumineuses.

13 13/03/1984 60’40

Platon, Plotin. L'optique géométrique de la lumière. La copie et le modèle. La théorie des nombres.

13 13/03/1984 44’55 La chute idéelle de la lumière de Plotin, Troisième Ennéade ; la nature et la contemplation, les néoplatoniciens, Proclus, Jamblique, Damasius, l'art byzantin ; Delaunay ; le zéro du temps, géométrie, les nombres.

13 13/03/1984 25’45 Les degrés de la puissance, ou les triades néoplatoniciennes de la lumière, l'art byzantin, Plotin, l'âme et le temps.

14 20/03/1984 59’55 Rappel sur l'image-cristal (1er trimestre), le temps non chronologique ; le cristal et ses propriétés sonores, Félix Guattari, la ritournelle, Proust, le galop ralenti, le rock, Ravel. Les néoplatoniciens, Schelling, le Fond, l'Ungründ.

14 20/03/1984 48’21 L'Un imparticipable ; ontologie, métaphysique, acte et puissance, qualité et quantité, le nombre et le mouvement, l’éternité, la différence extrinsèque des puissances, l'heterotes, l'Aiôn et le Nunc, la synthèse du temps.

14 20/03/1984 29’52 Le Nunc, temporalité, les puissances, le temps anomal.

15 27/03/1984 59’33 Le Nunc ou instant privilégié, les néoplatoniciens, temporalité.

15 27/03/1984 52’55 Temporalité, le présent de l'évanouissant, ou approche d'une limite du temps, l'instant et le Nunc. Saint Augustin et le temps, le présent dé-triplé, temps

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originaire et temps dérivé.

15 27/03/1984 45’13 L'appréhension chrétienne et grecque du temps ; Plotin, les thématiques néoplatoniciennes comme reprises par le cinéma. Le temps de la ville, le temps du monastère, le temps de la banalité quotidienne, ou temps dérivé qui est le temps de l'instant quelconque, renversant le temps originaire, (c'est le seul temps) ; la Réforme, la Foi. Ce temps dérivé est puissance du faussaire, crise de la Vérité. Récapitulation du cours.

16 17/04/1984 34’22 Comment s'est produit le dégagement d'une image-temps. Kant ; temps, image-temps, temps et succession, mouvement intensif et extensif.

16 17/04/1984 57’28 Il n'y a de temps qu'ordinaire ; Kant, le temps originaire et le temps de la banalité quotidienne.

16 17/04/1984 37’53 Kant et le temps ; le moi et le Je, séparés par la pure forme du temps, ou fêlure du cogito ; le Je est un autre de Rimbaud. Le cogito cartésien.

17 24/04/1984 59’02 L'image-temps directe. Robbe-Grillet.

17 24/04/1984 47’18 Profondeur de champ et temporalisation. Le souvenir et le passé.

17 24/04/1984 47’03 L'image-temps directe ; le mouvement, le montage, le centre de gravité.

18 15/05/1984 60’21 Analyse de l'image-temps directe — L'image cristal, qui est un consolidé d'image actuelle et d'image virtuelle ou germe de temps ; ce n'est pas le temps, mais on y voit le temps ; les espaces odologiques de Kurt Lewin.

18 15/05/1984 46’05 Les situations optiques sonores pures. Les espaces topologiques. Image actuelle et image virtuelle.

18 15/05/1984 41’06

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Image actuelle, image virtuelle, image-souvenir, Bergson. Les bifurcations du temps, le flash-back, J. Mankiewicz. Les anamorphoses par décrochage de l'image.

19 22/05/1984 63’50 Les situations sensori-motrices (ou descriptions en coalition avec les images-souvenir) et les situations optiques sonores pures. L'image-rêve, l'image virtuelle, l'image actuelle. Le danseur, le centre de gravité, le corps. La comédie musicale.

19 22/05/1984 46’58 Le souvenir, le passé et le nouveau présent, Bergson, l'image en miroir ; les couples logiques possible-réel, et virtuel-actuel.

19 22/05/1984 41’06 Le triple échange de l'image-cristal : l'image actuelle et l'image virtuelle, et le couple limpide-opaque de la cristallographie ; un cristal croît par les bords, c'est une limite ; limite entre un germe cristallin et un milieu cristallisable. Le temps non chronologique.

20 29/05/1984 59’08 La science est un système d'opérateurs, la philosophie est une systématique des concepts, l'art est l'activité qui consiste à créer, découvrir des personnages. L'image-cristal et le triple échange (voir le cours précédent), images et miroirs.

20 29/05/1984 47’32 Le jeu de l'acteur, l'opaque et le limpide, le concept, l'idée d'acteur, Tod Browning. Turner, Melville, l'image cristal.

20 29/05/1984 48’59 L'image-cristal, Herzog, Tarkovsky.

21 05/06/1984 58’55 Le régime des images-cristal. J. Renoir ; la vie, c'est ce qui fuit le cristal, processus d'entrées et d'opacifications des images cinématographiques des œuvres (souvenir d'enfant, enquête sociologique et entrée archéologique). Fellini ; le galop ; la mémoire suprapsychologique des images ; Visconti et la décomposition, l'opacification du cristal ; le savoir de l'art et la liberté vide des rôles.

21 05/06/1984 57’36

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Visconti et : - La décomposition, l'opacification de l'image cristal. - L'histoire qui est hors-champ. - La splendeur qui survient trop tard ; le Beau de Visconti : l'unité de l'homme et de la nature, le beau sensuel ou le beau sensible. Les figures bergsoniennes : - L'image-temps directe, qui se révèle dans le cristal, c'est-à-dire la figure de la différenciation du temps : chaque instant conserve le présent et fait passer le passé. - Le réel, l'objet, le monde, et le souvenir, le saut dans la région du passé ; les nappes virtuelles du passé, la rétention qui précède l'image-souvenir ; l'instant.

21 05/06/1984 40’26 L'instant passé qui appartient à un continuum de passé, ou nappe du passé (donc on ne peut revivre un instant du passé, mais le continuum). Les espaces paradoxaux ; Orson Welles ; les nappes du passé, le souvenir inutilisable et la crise du temps permanente. La terre de MacBeth de Bazin, le temps primordial et la terre mouillée; les forces décentrées des autochtones et les centres optiques, projetés, constituants.

22 12/06/1984 62’14 Récapitulation — les deux formes de l'image directe du temps : - Les présents qui passent et les passés qui se conservent. - La géométrie projective.

22 12/06/1984 42’45 Nappes de passé sans centre. La ville topologique et le jeu cérébral.

22 12/06/1984 63’00 Récapitulation des cours de l'année : - les descriptions optiques et sonores pures. - les rapports entre le réel et l'imaginaire. - les narrations : 1) organiques ou spatiales 2) cristallines. - l'image indirecte du temps, l'image-temps. - la narration falsifiante (s'engendrant dans le faux-mouvement) liée à l'image directe du temps. - la puissance du faux et la Vérité. Nietzsche, Welles.

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1 30/10/1984 14’14

Pensée et cinéma

64 heures

La méthode de la pensée et ses deux aspects : le temporel et le spatial. La méthode présuppose une image implicite de la pensée, image variable, avec l'histoire ; M. Bakhatine, le chronotope (espace-temps) est ce dans quoi se développe le discours philosophique; ce chronotope est jalonné et signalé par des cris.

1 30/10/1984 65’24

Chronotope — L’image implicite de la pensée. Les cris philosophiques et les discours philosophiques avec Aristote, Descartes, Leibniz, Dostoïevski, Chestov, Artaud. Problématique du cours : de la rencontre entre l’image de la pensée et l’image cinématographique ; l’image cinématographique est automatique. Daney, La rampe, Schefer, L’homme ordinaire du cinéma. Les pionniers : Eisenstein, Gance, Epstein, Faure, et le cinéma comme nouvelle manière de penser selon les catégories kantiennes de qualité, quantité, relation et de mode :

1) le peuple devient sujet de la pensée. 2) art des masses. 3) langue universelle. 4) nécessité, et non plus possibilité de la pensée

(« vous ne pourrez pas ne pas penser »). Sémiologie d’inspiration linguistique et le cinéma ; Christian Metz, la confrontation langue-langage. Elie Faure, Fonction du cinéma (p. 51) ; Paul Virilio, Logistique de la perception, Guerre et cinéma. Etat et cinéma, le couplage arme-œil, la caméra-mitrailleuse, la Guerre comme mise en scène et ses leurres, nazisme et cinéma, propagande, Hollywood. Les cinéastes sont des penseurs. Daney, Giraudoux ; Godard, Sauve qui peut la vie, et les catégories d’Aristote. Les chocs subis par l’image de la pensée et l’image cinématographique.

1 30/10/1984 13’34 De la rencontre entre l’image cinématographique et l’image de la pensée, l’automatisme. L’image-mouvement est automatique ;

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Georges Duhamel ; la variété des automates des débuts du cinéma, les golems, les somnambules, l’expressionnisme allemand, l’école française, Renoir, La règle du jeu, Vigo, Atalante, le cinéma hallucinatoire.

1 30/10/1984 61’16 Bresson, Notes sur le cinématographe, l’automate spirituel, Elie Faure ; la caméra c’est la subjectivité automatique, Epstein, Joyce, Ulysse, le monologue intérieur (qui n’est ni langue ni langage mais matière première), Eisenstein. Le monologue intérieur, le supraconscient, l'automate spirituel (chez Spinoza, le Golem), l'axiomatique ; Leibniz; Paul Valéry, Monsieur Teste. Le cinéma théorématique, Pasolini, Bresson. Automatisme et pensée — Pierre Janet et l’automatisme psychologique (1899), Gaétan de Clairambault et l’automatisme mental ; les surréalistes et l’écriture automatique, la paranoïa critique du monde, S. Dali ; le monologue intérieur, Joyce, Ulysse, Finnegans Wake ; Paul Dujardin, Les lauriers sont coupés, William James et le courant de la conscience. Thème du visuel et du sonore supérieur à celui de la littérature, Eisenstein et son allocution de 1935. Resnais. Automatisme et axiomatique — (= ordre formel des pensées) ; le XVIIe siècle, Spinoza, l’Automaton spirituale, Leibniz, P.Valéry et l’automate mental. Pasolini, Théorème, Salo. Bresson.

2 06/11/1984 61’47 Suite de la construction du programme de l’année et reprise du cours précédent — Le rapport cinéma-pensée d’un type nouveau et deux problèmes. 1) Les espérances des premiers auteurs de cinéma, le cinéma comme nouvelle pensée, art des masses, langue universelle. 2) Daney, Virilio et la mise en scène d’Etat. Janet, Clairambault, Joyce, le cut up de Burroughs, l'expressionnisme allemand, l'école française d'avant-guerre, Renoir, Vigo ; Spinoza, Traité de la Réforme et de l’Entendement, et l'automatisme spirituel. Formalisme et axiomatique, le combinatoire. Valéry, Monsieur Teste. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? Le noochoc donnerait à penser; la mise en mouvement de l’automate spirituel ; Alexandre Astruc et la caméra-stylo.

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2 06/11/1984 49’10

La question des rapports du cinéma avec la pensée. Le cinéma de l'automate spirituel (un effet physique et un effet logique) ; le théorématique. Astruc. Pasolini, Sade et la littérature démonstrative; le cinéma associatif devient axiomatique. La pensée du dehors (ce qui n'est pas l'extériorité). « Donnez-moi donc un corps ! » . Kierkegaard. Les enchaînements d'attitudes du corps, la fatigue, l'attente, comme catégories de la pensée ; Brecht et le gestus. Substituer la croyance au savoir : Pascal et Hume ; Kant et Fichte ; Nietzsche et Kierkegaard ; Renouvier et Lequier.

2 06/11/1984 46’28

Le rapport entre le savoir (la connaissance) et la pensée. Il y a une foi de la raison, qui passe par le sensible. Hume, du savoir à la croyance, l'inférence, le concept d'habitude, les conditions de légitimité de la croyance. Kant, 2e Préface de la Critique de la Raison pure : “ J'ai dû abolir le savoir pour faire place à la foi ” ; Godard, Bande à part. Croire aujourd'hui en ce monde-ci. Joyce, Dos Passos, le monologue intérieur. Rossellini, Jeanne au bûcher, d'après Claudel. Fin de la construction du programme de l'année.

3 13/11/1984 58’22

Toute méthode de la pensée suppose une image de la pensée ; le chronotope (espace-temps) de Bakhtine. La méthode est ordre de raison, qui est temporel, supposant un avant et un après ; but (vérité), moyens et obstacles. Pascal, les Méditations. De trois méthodes quant à la volonté de vérité : dialectique par division du concept en deux moitiés (Platon), analytique par enchaînement des perceptions (Descartes), transcendantale (Kant) ; et de trois chronotopes : prétendre à... (Platon), je ne veux plus me tromper ... (Descartes, le cogito), je ne veux pas tromper... (Kant). De la rencontre entre : la pensée et son image d'elle-même, et l'image cinématographique qui est automatique. Double automatisme, psychologique et logique de la pensée.

3 13/11/1984 44’55

La guerre a fait coupure dans le cinéma, un avant et un après.

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Retour sur les quatre mutations cinéma-image de la pensée. - Le savoir comme affirmation d'une conformité, avec Aristote, la connaissance, le Thomisme, en trois stades (forme, sensible, intelligible) ; Claudel, Traité de la co-naissance, la forme, la qualité. Avec Kant, la connaissance n'est plus la fin de la pensée. Temps et espace comme formes a priori de la sensibilité. - Avec Kant, la connaissance n'est plus le modèle de la pensée ; de la rupture du lien sensori-moteur, le sensible.

3 13/11/1984 39’40 Robbe-Grillet et le thème de la perte de monde, Sartre ; Heidegger et l'être dans le monde (le lien de l'homme et du monde ne tient plus que par l'angoisse et le tragique), rupture du lien sensori-moteur entre l'homme et le monde ; la raison de croire au monde comme fonction première du cinéma). Rossellini, Tolstoï, Kierkegaard, Pascal ; « Donnez-moi un corps», le cinéma des corps (Godard, Rivette, Cassavetes, Akerman, Garrel, Eustache), Bretch et le gestus, postures, attitudes, et la croyance au monde.

4 20/11/1984 44’20

Le corps, fragile, en fatigue, en attente, où s’inscrit le temps ; le corps grec du savoir ; Kierkegaard ; la pensée est l'exercice du dehors, Blanchot, Foucault; le modèle classique du savoir ; l’enchaînement des images, ressemblance et contiguïté ; l’associationnisme, Hume, Jakobson, syntagme et paradigme. L’image classique du savoir, Hegel, la Phénoménologie de l’Esprit (les figures) et la Logique (les moments). La pensée du dedans et le concept.

4 20/11/1984 58’26 La pensée du dehors par le processus. Hegel, la pensée du Tout, le mouvement dialectique du concept comme intériorité et extériorité des images ; Blanchot, Foucault ; Jaspers et le processus ; Platon, le Phédon, le revenir des morts des philosophes, la Guerre de 1939-45 ; le héros moderne lazaréen de Cayrol, le Nouveau, Resnais, Nuit et brouillard, Muriel ; la culture mortifiée. Foucault, Les mots et les choses, Raymond Roussel, pensée et impensé, la mutation de la pensée, Heidegger, Artaud ; Blanchot, L’entretien infini, associations d’images et interstices.

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4 20/11/1984 39’46 Troisième aspect de la pensée du dehors : la montée des interstices, quatre notions : 1) l'idée de processus au sens de Jaspers 2) l'idée d'un rapport essentiel de la pensée avec un impensé ou une impuissance à penser 3) l'idée d'interstice qui devient premier par rapport à l'association 4) la fatigue du corps, en attente, et la puissance du dehors (autrement dit, c'est la puissance directe du temps, ou force du dehors dans la pensée) ; Foucault, Raymond Roussel. Blanchot, L'entretien infini. Cinéma classique et moderne, les coupures entre images, le montage, écran blanc, écran noir, le faux-raccord, Garrel, Godard, cadrage sonore et visuel, Eustache ; la présentation directe du dehors.

5 27/11/1984 63’15 Mathématiques, théorème de Pythagore, la ligne intelligible de l’esprit, le nombre irrationnel ; Dedekind et le concept de nombre, lacunes et coupures et le problème du continu ; cinéma, le faux-raccord valant pour lui-même ; Eisenstein, Garrel, écran blanc, écran noir, l’interstice et le dehors, Godard, Ici et ailleurs.

5 27/11/1984 34’13 Association, interstice et force du dehors, la méthode Godard, la continuité et la ressemblance, le désenchaînement des images. 4ème mutation : « Donnez-moi un cerveau ! » un cinéma des cerveaux, Cassavetes, Godard, Rivette, Kubrick et le cerveau-monde ; Resnais, la Bibliothèque nationale et son messager neuronique, la fragilité du cerveau.

6 11/12/1984 58’12 4ème mutation : le cerveau et le cinéma moderne. Le cerveau comme centre d’intégrations et de différenciations, associations sensori-motrices. Neuropsychiatrie, von Monakow, J.H. Jackson. Troubles du cerveau, l’aphasie, la linguistique, Jakobson ; l’image classique du cerveau, arborescent et centré, Chomsky ; Claude Bernard, les problèmes des milieux intérieurs et extériorité, Simondon, L’individu et sa genèse physico-biologique. Le cerveau, un dehors et un dedans absolus.

6 11/12/1984 48’51

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Simondon ; le cerveau et sa structure topologique, et la co-présence d’un dehors et d’un dedans ; espace euclidien et espace topologique ; vivre le cerveau topologiquement. La neurobiologie, neurones, influx nerveux, synapses, points-coupures irrationnels ; espace topologique et espace probabilitaire, l’arborescence du cerveau ; Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, Steven Rose, Le cerveau conscient, Henri Miller, l’enchaînement sensori-moteur. Proposition de cinq directions de recherches :

1) hasard et détermination ; le mouvement brownien, tirages indépendants et phénomènes aléatoires,

6 11/12/1984 52’15

les chaînes de Markov. 2) la cosmobiologie, Darwin 3) Prigogine et Stengers, les fluctuations, La

Nouvelle Alliance (ch. 6) ; rapidité de, et résistance à l’information, les termites

4) Pierre Vendryes, biologiste cybernéticien ; la ballade, milieu extérieur et intérieur. 5) le cinéma comme enchaînement sensori-moteur

des images et comme ré-enchaînement d’images indépendantes.

7 18/12/1984 58’12

L’image cérébrale du point de vue de la science, du vécu et du cinéma. le cerveau / axe d’intégration et de différenciation, totalité et circulation / structure topologique, et co-présence du dehors et du dedans, le cerveau-cosmos / l’enchaînement sensori-moteur, semi aléatoire, semi fortuit, chaînes de Markov, morcelage ré-enchaîné. Du lien entre trois concepts philosophiques et le cinéma :

notion 1 : l’écran noir et l’écran blanc ; notion 2 : le point de coupure irrationnelle ; notion 3 : le morcelage ré-enchaîné d’images indépendantes.

Les faux-raccords, fragmentations d’espaces de Bresson ; Andreï Biély, Petersbourg, le cerveau-cosmos, la ville, le monde, Resnais, Je t’aime je t’aime, Muriel, Providence ; cinéma sériel, expérimental, abstrait, géométrique et la peinture, Brackage, le clignotement, la boucle, G. Landow ; vivre son cerveau : un problème de génération.

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Récapitulation du trimestre. 1er thème : pensée et automatisme.

7 18/12/1984 59’03

2e thème : évolution de la pensée cinématographique et de ses rapports avec la pensée (philosophique), résumée sous dix aspects.

7 18/12/1984 25’59 Interventions d'auditeurs — Le cinéma politique, minoritaire.

8 08/01/1985 56’50 Image et pensée chez Eisenstein, de l’image au concept. L’image picturale ; le mouvement et le montage de l’image, l’acte cinématographique ; sémiologie d’inspiration linguistique, Metz, Eco ; Pasolini, Faure, image / analogie et modulation de l’objet. Kant et la théorie du Sublime ; le jugement esthétique, le noochoc, opposition des images-mouvement.

8 08/01/1985 56’44 La classification d’Aristote des figures de l’opposition. G. Tarde ; Eisenstein et les oppositions réelles ; Le jugement esthétique ; Eisenstein. Les oppositions des images-mouvement ; la relation sujet-objet : - les oppositions quantitatives, métriques (la durée de l'image). - les oppositions qualitatives, rythmiques. - les oppositions relationnelles, ou tonales, synesthésie. Merleau-Ponty. - les oppositions modales ou harmoniques. - les oppositions intellectuelles. Le passage du percept visuel au percept physiologique.

8 08/01/1985 56’26

Eisenstein ; de l’image-percept au concept, à la pensée consciente ; le concept comme effet de l’image ; le montage, plan de composition ; l’image-affect ; le film et le monologue intérieur, la pensée inconsciente. Structure et nature. Tolstoï. Images et harmoniques.

9 15/01/1985 58’19

Eisenstein et les rapports image-pensée, de l’image-percept au concept ; images et harmoniques ; choc émotif et choc sensoriel ; dialectique, unité de la nature et de l’homme, de l’image et du concept ; Dreyer ; Griffith , Eisenstein et les staliniens, art des masses et

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héros individuel. Rapports image-pensée dans le cinéma en trois aspects ; le cinéma d’après-guerre et ses ruptures. Littéralité, monologue intérieur, Duras, India song, Dominique Noguez, Fontanier, le Sublime.

9 15/01/1985 61’17

Le Sublime, littéralité et artificialité de l’image ; M. Duras et l'amour, India song. Godard ; le monologue intérieur, Dos Passos et l’image-pensée. Musique tonale et musique sérielle ; les harmoniques, la tonalité, les centres toniques. Les séries d’images ; monologue intérieur et plurilinguisme ; le cinéma sériel. Les trois caractères qui permettent de définir des séries d'images : les coupures irrationnelles qui s'opposent aux harmoniques ; les enchaînements qui s'opposent à un centre tonal ; et le ré-enchaînement des deux côtés de la coupure irrationnelle, qui s'oppose à l'enchaînement en fonction d'un centre. Aristote, les forces substantielles, Godard, les images devant être désenchaînées ; Sartre, Giraudoux.

9 15/01/1985 44’11

Aristote, les séries et les catégories de Godard (série et suite d'images en tant que réfléchies dans un genre ou une catégorie). M. Duras, Dominique Noguez, le cinéma expérimental; Godard, et les genres esthétiques réflexifs et graphisme ; personnages des films, le genre burlesque, le figurant singularisé, l’image quasi picturale, le film sur Lausanne, les catégories de Sauve qui peut (la vie), le montage.

10 22/01 1985 61’05

Le rapport image-pensée, structural ou tonal avec Eisenstein, sériel avec Godard. La musique structurale, tonale, sérielle, les images musicales ou sérielles. Questions posées par Deleuze aux auditeurs.

10 22/01/1985 50’35 Pascale Criton interviewée par Deleuze ; l’harmonicité. Série, catégorie et genre dans le cinéma de Godard, esthétique ; la lutte de l’art contre son sujet, le film de commande.

10 22/01/1985 56’08

Godard, les Carabiniers, les images et les catégories de

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la guerre, limite, coupure irrationnelle et réflexion d’images. Vivre sa vie. Les rapports vie-langage, parler et vivre, parler et penser, silence et parole, dialogue entre Brice Parain et l’héroïne Nana, le thème du revenir à la vie des philosophes, silence et parole. Kant, les catégories et l'usage du jugement, constituant, régulateur, déterminant et réfléchissant, le général, le particulier et le concept ; jurisprudence et création de droits, le bus et le taxi.

11 29/01/1985 59’03

Godard et la série comme suite d'images se réfléchissant dans une catégorie; Passion, Lettre à Freddy Buache ; pensée, concept et image ; Eisenstein. - Hegel, la phénoménologie et la logique ; concept, conscience et attitude ; Eric Weil (les hégéliens français Weil, Koyré, Kojève).

11 29/01/1985 57’12

Eric Weil, attitudes et catégories. Bataille, Sade ; Daney, La rampe ; la Geste et le discours des attitudes, Godard. Textes de Brecht et Barthes. Gestus, discours et attitudes, rupture avec le sujet et le vécu, le théâtre, la pensée du spectateur, concept et entendement.

11 29/01/1985 38’48 Barthes et le gestus, Diderot, Brecht, Eisenstein, L’Obvie et l’Obtus, théorie de l’instant prégnant, le photogramme et le temps et l’image, Edmond de Carasco.

12 05/02/1985 60’44 Rappel du cours précédent — - Forme des séries : Godard, suite d’images réfléchies dans une catégorie. - Contenu des séries : suite d’attitudes réfléchies dans un gestus. Barthes, le photogramme et le temps.

12 05/02/1985 47’20

Attitudes du corps et photogramme, Edmond de Carasco, se déguiser de soi-même, la mise en scène de la vie quotidienne, théâtralisation, le temps chronologique, l’avant et l’après de la série du temps, la suite vectorisée, le cours du temps.

12 05/02/1985 43’28

Se déguiser de soi-même, la Geste, l’acte de fabulation et sa fonction, Pierre Perrault, faire fiction, histoire et

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colonisation ; le cinéma politique (Godard, Resnais, les Straub), et le tiers-monde. Jean Rouch, Moi, un noir ; de la théâtralisation au gestus et réinvention du rapport au peuple, série du temps et ré-enchaînements d’attitudes, temps chronologique / avant et après sériels. Godard, la nouvelle vague, Histoire, attitudes et geste, légender ; Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion.

13 26/02/1985 45’54

Les rapports cinéma-langue-langage, l’image visuelle à composante sonore, le bloc visuel, l’image lue. Nouveau semestre : des rapports entre actes de paroles et l’acte de musique, le continuum sonore et les rapports avec le cinéma. Eisenstein et la commensurabilité (théorie du nombre d’or), le cinéma muet ; le cinéma classique, tonal et de vérité, ou structural. Hegel, Nietzsche et le modèle de la vérité, vérité et fiction, image-mouvement et image indirecte du temps, montage. Le cinéma sériel de Godard, genre et musique, Sauve qui peut la vie, Prénom Carmen.

13 26/02/1985 46’02 Les séries, du point de vue matériel et leur contenu. Gestus, suites d’attitude, histoire, le vécu, réel et fiction, quatre exemples avec le cinéma : 1) habitudes quotidiennes et cérémonialisation des corps ; l’Underground, J.C. Eloy, Carmelo Bene, la danse de Salomé, personnages et modes vocaux 2) la nouvelle vague et l’après nouvelle vague, Godard, Rivette, L’amour fou. Corps, enchaînements d’attitudes et gestus, le discours, le gestus biblique 3) le cinéma féminin ou féministe, Agnès Varda, Chantal Akerman 4) le cinéma direct, P. Perrault, Jean Rouch, ordre du discours et acte de parole cinématographique, l’acte de fabulation.

13 26/02/1985 46’04

Linguistique, sémiologie et sémiotique. Ch. Metz, Essai sur la signification du cinéma, l’image cinématographique définie comme narrative (et non auto-mouvement). Kant, la période critique et pré-critique de la philosophie, Platon et la question qu’est-ce que … ? ,

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Socrate, les Sophistes et la question qui… ? l’essence, l’apparence, le fait et les conditions de possibilités, l’usage ; le photogramme.

14 05/03/1985 63’37

Récapitulation : - la confrontation entre le cinéma tonal, classique, et le cinéma sériel moderne. - le cinéma classique, structural, de vérité (modèle indépendant de la dualité possible : réelle / fictive). Le cinéma moderne récusant tout modèle de la vérité pour se réclamer des puissances du faux (qui forment une série) ; c'est la vérité du cinéma, et non l'inverse, retournement. - l'image classique est une représentation indirecte du temps, l'image moderne est sérielle, la vérité du cinéma, est une présentation directe du temps : le temps est arraché à sa forme empirique de la succession, l’acte de parole, de fabulation.

Nouveau chapitre du cours : le cinéma et la langue (à ne pas confondre avec le parlant). L’école de sémiologie ou sémiocritique, Ch. Metz, le cinéma comme langage sans langue ; l’école sémiocritique en Italie, E. Garroni, U. Eco, Pasolini, Robbe-Grillet ; le muet et le silencieux, la phonation, la sociolinguistique et la classification d’actes de parole ; la narration comme fait de l’image cinématographique (nécessité universelle, Kant), il n’est plus question de mouvement ; Ch. Metz et trois étapes :

1) le fait du cinéma s’étant constitué comme narratif

2) l’image cinématographique assimilable, approximativement, à un énoncé

3) les règles d’usage : opérations syntagmatiques et paradigmatiques; l’énoncé analogique, iconique.

Le linguiste Martinet, la langue comme système à double articulation, monèmes et phonèmes, Lévi-Strauss, Le crû et le cuit, Prieto, Messages et signaux, le cinéma n’est pas une langue.

14 05/03/1985 28’40

Le cinéma, l’image cinématographique n'est pas une

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langue ; photogrammes, monèmes et phonèmes, Metz, Pasolini, U. Eco, les règles d’usage (la syntagmatique et la paradigmatique), Jakobson.

15 12/03/1985 57’55

La sémiotique, Christian Metz, 1) le fait historique : le cinéma s'est constitué comme cinéma de narration, Hollywood 2) une approximation : l'image cinématographique est assimilable à un énoncé 3) à cette image est appliquée des procédures langagières ; les règles paradigmatiques et syntagmatiques adaptées au cinéma qui est un langage sans langue. La distinction langue / langage dans la linguistique.

15 12/03/1985 52’00

Sémiocritique, paradigmatique et syntagmatique, images cinématographiques et règles d’usage. La grande syntagmatique, la distinction de huit syntagmes chez Ch. Metz : 1) plan unique 2) syntagmes non chronologiques 3) l’autre, en accolade 4) de simultanéité, descriptif 5) alterné 6) à consécution continue 7) à consécution discontinue 8) séquence à épisodes. Les disciples de Metz : Gardies, Chateau et Jost ; Robbe-Grillet et la dysnarration. La distinction de cinq codes chez Metz : 1) la grande syntagmatique 2) la paradigmatique 3) la ponctuation filmique 4) les mouvements d’appareil 5) les codes de montage.

15 12/03/1985 36’19

Cinéma de narration, l’image, l’énoncé, l’analogie et le code ; cinéma, linguistique et psychanalyse ; J.L Schefer, L’homme ordinaire du cinéma. L’image–mouvement, l’intervalle de mouvement et trois types d’images (affection, action, perception). La dysnarration et les deux images-temps directe du cinéma, série et ordre du temps.

16 19/03/1985 59’42

La sémiocritique. Reprise des trois points du cours du précédent : 1) le fait du cinéma comme narratif 2) l’image cinéma comme analogique, iconique 3) codification des énoncés et règles syntagmatiques. La suspension du mouvement par les sémiocriticiens, le photogramme, les trois images cinématographiques (action, perception, affection) et la narration, l’intervalle de mouvement, le schème sensori-moteur.

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Narration et processus de spécification de l’image-mouvement ; image-temps directe et constitution d’une série (l’avant et l’après comme qualités du temps), vectorisation du temps ; ordre du temps, coexistence des rapports de temps (présents intérieurs et nappes de passé), Resnais, Un été à Marienbad, la transformation du boulanger (sciences) ; le néo-réalisme, le cinéma de voyant ; la donnée immédiate de l’image, la dysnarration P. Perrault, J. Rouch, la fiction et le pouvoir de fabulation. Le cinéma politique, le peuple qui s’invente. Les pôles de la fabulation, O. Welles, la série et la puissance du faux, « Le peuple manque ». Le cinéma soviétique d’avant-guerre, Poudovkine, la grande prise de conscience de l’après-guerre. L’histoire du peuple palestinien, le langage diplomatique codé. J. Rouch et l’acte de fabulation politique.

16 19/03/1985 61’45

La déterritorialisation du peuple palestinien. Le procès de spécification des images-mouvement et des images-temps (d’où image-perception, affection, action). L’image cinéma et l’énoncé analogique, la ressemblance, la peinture classique, la modulation des couleurs et de la lumière (le cinéma et les coloristes, l’expressionnisme allemand, l’école française); Pasolini, L’expériences hérétique, plan, phonème et monème, le cinéma comme langue de la réalité, langue sans langage et les sémiocriticiens, le Ur-code. Eisenstein, le monologue intérieur, le proto-langage, les linguistes soviétiques in Les cahiers du cinéma, n°220-221, V.M. Eichenbaum, L. S. Vigotsky, les images visuelles, les endophonies.

16 19/03/1985 46’43 Le linguiste Hjelmslev, le langage et la langue ont pour corrélat une matière non linguistiquement formée. Metz. Gustave Guillaume, Langage et science du langage, le sens comme signifié de puissance, Bergson et l’instantané d’image, le mouvement.

17 26/03/1985 60’51 Gustave Guillaume et la matière pré-linguistique, Hjelmslev, le signifié de puissance du verbe et procès de temporalisation, Edmond Ortigues, Le discours et le symbole.

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Leibniz, les compossibles, le possible et le virtuel, la chronogenèse.

17 26/03/1985 42’44 Le signifié de puissance de Gustave Guillaume, la langue comme système d’oppositions distinctives et exclusives. Edmond Ortigues. La sémiologie et la notion de signe, Jacques Derrida, Jacques Lacan, Julia Kristeva, la signifiance dans la langue, la chaîne signifiante. La sémiocritique, Peirce, signe et matière langagière. Narration, et procès de spécification, procès de différenciation et d’intégration de l’image-mouvement. Procès de sériation du temps et procès d’ordination du temps ; Hjelmslev et la matière non linguistiquement formée, Guillaume et le signifié de puissance. L’énonçable, la sémiotique pure et le signe, matière pré-linguistique, Bergson, qu’est-ce qu’un énoncé cinématographique.

17 26/03/1985 54’29

Le monologue intérieur comme proto-langage, l’énonçable cinématographique, le muet et le parlant, le schizophrène, la conversation dans la comédie américaine, le roman policier, au café ; le muet et l’image lue, l’intertitre, l’universalité abstraite, et l’image vue, la nature du social, les décors de l’Herbier, Eisenstein/Griffith, nature du capitalisme, société organique ou dialectique ; l’image construite sur trois éléments dans Le cuirassier Potemkine, l’image visuelle naturalisée ; l’image lue est discours. Benveniste, plan de récit et plan de discours ; le parlant et l’entrelacement de l’image lue et de l’image vue, par recherche graphique ou par introduction d’éléments scripturaux ; Murnau, Tabou, Le dernier des hommes, Godard, Pierrot le fou, Eisenstein, La Grève, Sternberg, L’Ange bleu, et le processus social de la dégradation et la collaboration muette, F. Lang, M le maudit.

18 16/04/1985 58’46 Le Muet et ses deux images visuelles, lue et vue, il n'y a pas d'image audiovisuelle. Benveniste et le récit, sur le mode du il. Les événements présentés par l'image vue, le discours indirect libre et l'image lue. Eisenstein Vertov, l'importance du graphisme. L'acte de parole entendu, non plus lu. La télévision et le cinéma d'après-guerre, l'image audio-visuelle, l'image sonore est une composante spécifique

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de l'image visuelle ; Balazs ; le faire voir du parlant dans l'image visuelle et le lisible.

18 16/04/1985 50’32 Actes de parole et interactions dans l'image visuelle, Benveniste, Austin, Ducrot, le performatif ; la propagation de l'acte de parole, la rumeur, Mankiewicz, F. Lang, M le maudit ; le journal, les ondes de croyance et de désir, la sociologie de l'interactionnisme, la microsociologie, Gabriel Tarde, l’Ecole de Chicago, Georg Simmel, le migrant, le flâneur, l'étranger, l'homme de la conversation, la coquette, Henry Miller, Isaac Joseph, la sociabilité, la microsociété : la forme de l'association indépendamment de son contenu.

18 16/04/1985 29’02

La société de conversation comme démocratie, sociabilité, Simmel, la coquette ; l'acte de parole comme composante de l'image auditive de l’image visuelle, faisant voir dans l'image visuelle, une interaction et non un enchaînement d'actions-réactions ; l'interaction entre personnages indépendants ; la collaboration police-pègre, Eisenstein, La grève, Lang, M Le maudit ; la dégradation, Murnau, Le dernier des hommes, Sternberg, L'ange bleu.

19 23/04/1985

63’30

Classification des actes de parole. Marguerite Duras et le lieu de l'acte de parole, India song ; la coupure (non liée au parlant) dans l'histoire du cinéma après la Guerre ; S. Daney, la mise en scène d'Etat supérieure à Hollywood, Kracauer, De Caligari à Hitler, Hitler comme cinéaste, Syberberg ; l'automate non plus sensori-moteur (école française, expressionnisme allemand), mais informatique, cybernétique, Kubrick. Le muet et l'image-mouvement d'avant-guerre, le parlant et le surgissement d'une composante sonore de l'image visuelle (le lu devient entendu et le vu devient lisible). Eisenstein, Burch, Balazs, Le cinéma, le son et la parole comme nouvelles composantes de l'image visuelle. Rossellini et son oeuvre télévisuelle ; Godard, la leçon de choses et la leçon de mots. L'autonomie ou héautonomie, des deux images sonore et visuelle, incommensurabilité des deux.

19 23/04/1985 46’17

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271

L'acte de parole entendu, et le surgissement d'interactions entre personnes; sociologie interactionniste ; les relations selon la linguistique, Benveniste; le modèle de la rumeur, la flânerie, le mouvement du on, le fait divers et le fait d'opinion ; la conversation conçue théâtralement ou cinématographiquement ; Simmel, la forme et le contenu, I. Joseph, la société des égaux, la comédie américaine, Hawks ; le roman et la sous-conversation, Nathalie Saraulte, Henri James, Nietzsche ; Mankiewicz, l'acte de parole.

19 23/04/1985 22’51

Mankiewicz, On murmure dans la ville, l'acte de parole entendu qui fait voir une interaction, une bifurcation (temps non linéaire) ; Récapitulation, au premier stade du parlant :

1) il n'y a plus d'image lue, il y a composante sonore et parlante subordonnée à l'image visuelle

2) la composante entendue fait voir, saisie comme point problématique dans une situation de circonstance, l'acte de parole est lui-même vu

3) la voix à son tour voit, M. Chion, F. Lang, Le testament du Dr Mabuse, la voix off.

20 30/04/1985 61’00

Le premier aspect du parlant, et la musique dans les rapports sonores et visuels. L'autonomie de l'image sonore, qui n'est plus composante de l'image visuelle, cadrage sonore, l'interstice remplace le hors-champ, la musique comme traitement de toutes les composantes sonores ; Glenn Gould et ses essais radiophoniques. Les pistes sonores, les bruits, les sons, les phonations, le burlesque, Chaplin, Lewis, Tati, Playtime ; les actes de paroles et la musique ; R. Clair; le musicien Michel Fano, le continuum sonore ; Godard, Week-end, le hors-champs est une dépendance de l'image visuelle ; le manifeste soviétique des Trente ; le son comme contrepoint visuel. L'image-mouvement et le Tout, Bresson, Dreyer, le hors-champs relatif et absolu, Hitchcock, la présentation indirecte du temps.

20 30/04/1985 45’50 Les deux types de voix off, relative et absolue; Renoir, Nana, la conversation off, les actes de parole réflexifs ; M. Chion et F. Lang, Le testament du Dr Mabuse,

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Antonioni. Des rapports entre la musique et le parlant ; le cinéma expérimental, Jean Mitry, Norman Mac Laren, P. Auger ; Eisenstein.

20 30/04/1985 45’15

Jean Mitry, « Images pour Debussy », rythme visuel et rythme sonore, Eisenstein, correspondance interne entre l'image visuelle et musique, le musicien de cinéma Hans Heisler. La conception de Nietzsche sur la musique dans la première partie de son oeuvre, Naissance de la tragédie : l'image apollinienne, le Beau, Dionysos musicien, le vouloir sans fond et sa présentation directe, l'Un-Tout, le mouvement et la rédemption de l'apparence, Chronos, l'éternel devenir, le lien Schopenhauer-Wagner, Parsifal ; de l'incommensurabilité entre l'image et la musique, la tragédie grecque, Schiller, le chœur musical, le drame.

21 07/05/1985 56’53 Récapitulation du cours précédent : premier et deuxième stade du parlant. 1er stade : le parlant est lu, 1) autonomie de l'acte de parole 2) l'image moderne et la disjonction de l'image sonore et de l'image visuelle 3) le hors-champs comme dépendance de l'image visuelle, l'interstice 4) l'image sonore et l'image visuelle sont en rapport, Jean Mitry. 2e stade : le parlant est entendu, le style direct. Le sonore cesse d'être une dépendance de l'image visuelle ; héautonomie de l'image sonore et de l'image visuelle ; Maguerite Duras, Eric Rohmer, Le gôut de la beauté (article), le contrepoint sans rapport avec le hors-champs ; le style indirect libre, Pasolini ; Bakhtine.

21 07/05/1985 46’18

Le dialogue en style direct et indirect au cinéma, Rohmer, Perceval le gallois ; les voix de Bresson ; l'automate d'Avant-guerre (horloger, moteur) et d'Après-guerre (informatique, cybernétique) ; M. Chion, La voix au cinéma, le modèle bressonien ; S. Daney. L'acte de parole, le style indirect libre, l'acte de fabulation, le cinéma moderne et le nouveau concept du

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mensonge, la puissance du faux ; Robbe-Grillet, J. Rouch, P. Perrault, filmer l'acte de légender, acte politique, l'intercesseur ; le conte moral chez Rohmer ; Péguy, Clio, Jeanne d'Arc, vision horizontale et vision verticale de l'événement, fausse et vraie mémoire.

21 07/05/1985 32’45

Les actes de parole. L'événement, Péguy et l'internel ; Bresson ; Pasolini ; l'acte de fabulation et l'autonomie de l'acte de parole. L'image visuelle. Auger, les espaces qualifiés et la montée des espaces quelconques, vides, déconnectés, désaffectés ; l'image visuelle, sédimentaire, tectonique, tellurique, stratigraphique, géologique, archéologique ; Nietzsche, "le désert croît", Pasolini, Théorème ; les déserts d'Antonioni ; les Straub, la séquence tellurique.

22 14/05/1985 59’34 L'image moderne - la synchronie, l'interstice entre deux cadrages de l'image visuelle et de l'image sonore, d'où autonomie des deux images. Balazs, le son, le cadrage, le montage sonore, nouvelles technologies, les modulateurs, la stéréophonie, les sources d'émission ; la musique, Glenn Gould, Schoenberg, Michel Fano, le continuum sonore ; interview de Dominique Villain, L'oeil à la caméra.

22 14/05/1985 60’40

Interviews, le cadrage sonore, les types de micros, les filtres sonores, la stéréophonie, le volume, les modulateurs de son, positionnements spatiaux.

22 14/05/1985 45’18

Suite des interviews sur la notion d'image sonore ; le microphone, le modulateur ; l'optique, la peinture.

23 21/05/1985 58’11 Le cinéma et l'idée d'un cadrage sonore spécifique ; les opérations technologiques, la stéréophonie, volume sonore et intensités, volume temporel et processus de temporalisation. Interview - Glenn Gould, la musique, l'environnement sonore. L'envers et l'endroit de l'image électronique, vidéo, télévisuelle ; Ozu et l'image qui se retourne par raccords à 180° ; Syberberg et la projection frontale. Le premier stade du parlant et les deux formes de l'automate, les machines motrices au cinéma.

23 21/05/1985 55’47

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274

L'après-guerre et la troisième forme de l'automate : informatique, cybernétique, défini en fonction de l'information, le dire et le faire de l'information, Kubrick, Syberberg, Bresson, Resnais, L'année dernière à Marienbad. L'artiste et les nouveaux moyens technologiques, le musicien Varèse ; Bazin ; l'écran, le cadrage, verticalité et horizontalité – les critiques Greenberg, Sternberg, les peintres américains modernes, Louis, Pollock, Rauschenberg ; le cinéma expérimental, Michaël Snow ; le Ballet moderne, Mondrian ; la perte de la situation verticale chez Beckett ; l'écran (ni fenêtre, ni cadre) comme table d'information; l'image moderne et la disjonction cadrage visuel / cadrage sonore, l'héautonomie. L'image sonore, Rohmer, Resnais, l'acte de parole comme acte de fabulation et l'événement ; Robbe-Grillet, L'homme qui ment. L'image visuelle et les espaces vides et l'acte de parole, Resnais et les couches comme âge du monde, les Straub et l'image tellurique, Cézanne, l'image à couches, géologique ; cadrage sonore, cadrage visuel, acte de parole et rapports indirects libres, l'acte de fabulation ; Eisenstein et le principe de commensurabilité. Les Straub; Ozu et l'espace vide, la nature morte.

23 21/05/1985 47’57

Le rapport original d'une image à l'autre. Les Straub, Anna Magdalena, l'image moderne et son circuit irrationnel, l'arrachement de l'acte de parole ; le discours indirect libre, les Straub, Fortini Cani, Othon ; l'aphasie, Artaud, C. Bene ; l'acte de parole, arrachement et résistance ; les mythes, le bâtard, le migrant, l'exilé, Moïse et Aaron, la rencontre Straub-Kafka, Amerika/rapports de classe; l'acte de musique ; Non réconciliés, l'image tellurique, la grotte des résistants, le champs de blé, Syberberg ; Jérôme Gasquet, Cézanne ; le rapport irrationnel, incommensurable, entre l'image visuelle, tellurique, qui enfouit à la vue, et l'acte de parole qui arrache, élève à la parole. Les Straub, Moïse et Aaron, Toute révolution est un coup de dés, Mallarmé, la typographie.

24 28/05/1985 54’26

Récapitulation : Disjonction du visuel et du sonore, sous la forme de l'héautonomie ou autonomie, et incommensurabilité des

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deux images sonore et visuelle, sous trois exemples : Straub, Fortini Cani ; Duras, Son nom de Venise dans Calcutta désert ; Syberberg, Le cuisinier du Roi ; l'acte de parole comme acte de fabulation ; l'image géologique et l'ordre des couches ; le rapport indirect libre et la coupure irrationnelle, le circuit sous forme d'anneau brisé, cercle non totalisable; Zarathoustra et l'acte de parole, l'événement silencieux ; l'acte de résistance (les Straub) et l'acte d'amour, de désir (Duras), le cri, la ritournelle.

24 28/05/1985 46’21

Duras, le désir comme acte de parole ; l'image visuelle, Straub / Duras, l'image stratigraphique et l'image océanographique, fluviale ; la circulation de l'image sonore-visuelle. Straub, la lutte de classe, le marxisme paysan, la trahison de classe ; Duras, violence de classe et classe de violence. Interview. Récapitulation du cours de l'année — Le cinéma et une nouvelle image de la pensée, l'image-mouvement de l'avant-guerre, et l'image-temps de l'après-guerre ; la pensée et l'impensé, Heidegger, Foucault, Blanchot ; l'impensé et le cinéma : l'inévocable de Welles, l'indécidable de Resnais, l'inexplicable de Robbe-Grillet.

24 28/05/1985 34’29

Blanchot, « Parler ce n'est pas voir », l'indicible dit ; la parole du poète, l'acte de fabulation, Artaud, l'aphasie, et l'invisible vu ; le devin Tirésias, la parole et la vision comme facultés limites, faces dissymétriques, l'envers et l'endroit, dehors et dedans, topologie, le cerveau. L'incommensurable de Godard, l'irrationnel de Syberberg ; l'intolérable, Rossellini ; action / voyance.

25 04/06/1985 58’16

Le silence comme instance de transcendance et instance d’immanence ; Duras, India Song, le cri. Un cours et les auteurs abordés.

25 04/06/1985 59’38

Textes de Syberberg, Hitler et le traitement des morts ; Kracauer, le cinéma expressionniste et la montée de l’hitlérisme ; Walter Benjamin, les arts de reproduction en masse et la reproduction des masses, les grands

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rassemblements collectifs, la Guerre ; « Hitler comme cinéaste », Leni Riefensthal, le film Nuremberg, l'image-mouvement ; P. Virilio, Goebbels en rivalité avec Hollywood, l'image-mouvement d'avant-guerre, la mise en scène d'Etat. Syberberg, la projection frontale et la transparence comme puissances du cinéma, Méliès, le renversement du rapport espace-temps, image-mouvement, image-temps, Wagner, Parsifal ; Visconti, Robbe-Grillet. Deux distinctions de l'automate : spirituel et psychologique, trois types : d'horlogerie, moteur, et informatique, cybernétique ; le cinéma défini comme mouvement automatique, Gance, La Roue, Renoir, La bête humaine, l'école française et le train ; Kubrick, le grand ordinateur, 2001 : l'Odyssée de l'espace ; le faire et le dire de l'automate, l'acte de parole, le traitement des voix chez Bresson, Wagner, Parsifal ; l'image-temps, l'image visuelle et l'image sonore.

25 04/06/1985 31’17 Récapitulation — Les automates, l'image-mouvement et l'image-temps, le circuit irrationnel de l'image visuelle et de l'image sonore correspondant au temps ; - la ballade, le milieu, la voyance et les personnages de cinéma, Rossellini, Europe 51, Stromboli, la situation optique et sonore pure ; - Scorsese, Taxi Driver, dédoublement des images optiques et sonores pures en images actuelles et virtuelles (coalescence), l'image-cristal ; - représentation indirecte et présentation directe du temps, le temps comme simultanéité de trois présents intérieurs ; - la série du temps, la qualité de ce qui devient dans le temps, Godard ; - l'image-mouvement et le Tout, la coupure rationnelle, le montage, l'automate spirituel, le rapport image-pensée chez Eisenstein ; l'image-temps et le dehors, la coupure irrationnelle ; - la dissociation images sonores-images visuelles, le rapport indirect libre, l'acte de parole et les couches stratigraphiques, le circuit non rationnel de l'image-temps, les espaces topologiques.

26 18/06/1985 59’50

Intervenants, questions sur la linguistique, le signe, le signifiant, Hjelmslev, la matière pré-linguistique, Guillaume et le signifié de puissance, le corrélat du

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langage ; le cinéma n'est ni langue ni langage, c'est un ensemble de d'images et de signes, l'image-mouvement, le substantif et les kinostructures, l'image-temps, le verbe, les processus de temporalisation et les chronogenèses, les deux énonçables cinématographiques ; le cinéma expérimental et l'espace vide comme pure potentialité de l'événement ; le sens d'une proposition, d'un énoncé, les Stoïciens et l'exprimable, l'énoncé, son objet et le sens ;

26 18/06/1985 48’59 les stoïciens, existere et insistere ; la notion de problème et comment l'énoncer, états de choses et propositions ; matière, signifié de puissance, exprimable, problème, sens, et cinéma ; le monologue intérieur, le discours indirect libre, l'intercesseur, Rouch, Perrault, Glauber Rocha, l'image politique au cinéma ;

26 18/06/1985 18’37 l'acte de fiction, de fabulation, le peuple et sa réinvention par le discours indirect libre, Perrault, Klee, la force, le cinéma noir américain, la minorité, Youssef Chahine.

1 22/10/1985 46’40

Foucault

65 heures

Bibliographie — L'Histoire de la folie à l’âge classique. Raymond Roussel (thème du double et de la doublure) ; la préface à La grammaire logique de Jean-Pierre Brisset ; de l'incertaine folie. Naissance de la clinique. Les mots et les choses (la représentation à l'âge classique, puis la Vie, le Travail et le Langage hors représentation). L'archéologie du savoir (le statut des énoncés). L'ordre du discours. Nietzsche, la généalogie, l'histoire (in « Hommage à Jean Hyppolite », 1971). Ceci n'est pas une pipe. Surveiller et punir. Histoire de la sexualité, La volonté de savoir, tome I, 1976. Le grand silence de Foucault, entre 1976 et 1984 ; Histoire de la sexualité, L'usage des plaisirs, tome II, Le souci de soi, tome III. 1ère partie du cours : Premier axe de la pensée de Foucault : la discipline des archives, renvoyant aux formations historiques. - Le voir et le parler (et non pas les mentalités, les comportements, les idées) comme conditions de la formation historique. La leçon de choses et la leçon de

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grammaire, le voir n'est pas le dire, le dessin et le texte. - Le visible et l'énonçable, les visibilités et les énoncés.

1 22/10/1985 46’46 Le voir et le parler comme conditions propres à chaque époque rendant possible les comportements et les mentalités. - Le lieu qui fait voir : l'asile, l'hôpital général, la prison. La visibilité d'une époque comme condition, lieux d'enfermement et de quadrillage visuel. Bentham, le Panopticon, la panoptique. La prison est avant tout une question de lumière et d'ombre. La déraison au XVIIe siècle et le lieu de visibilité ; le régime des énoncés, et la réforme du droit pénal du XVIIe, les techniques disciplinaires, l'invention de la notion de délinquance. Formations discursives et non discursives. Les trois sortes d’œuvres chez Raymond Roussel : ce que font voir les machines, processus machinique ; le procédé linguistique (régime énonciatif) ; l'irréductibilité d'une forme à une autre, de l'énoncé et de la visibilité.

1 22/10/1985 36’07

La disjonction, le non-rapport voir-parler. Les visibilités et les énoncés comme conditions. Le primat, et de la non-réductibilité des énoncés sur les visibilités, il n'y a pas isomorphisme entre les deux, mais disjonction entre ; de ce rapport avec Blanchot, L'entretien infini. L'image visuelle présente des lieux sans événement. Les visibilités ne cessent de capturer les énoncés, et inversement, bataille entre les deux. Les formations historiques et l'entrelacement, la combinaison, des régimes d'énoncés et des champs de visibilités, les dispositifs ; le savoir est procédure (processus de visibilité + procédé d'énonçabilité) selon Foucault.

2 29/10/1985 10’32 Une époque se définit par ce qu'elle voit et ce qu'elle dit, l'archéologie signifie une discipline qui analyse les archives, une archive est un recueil audiovisuel d'une époque ; la formation historique.

2 29/10/1985 05’09 41’06

Les formations historiques — La déraison, l'énoncé de la folie, la vertu, la prison, le voir le crime, l'énoncé de délinquance. Les a priori historiques, les strates comme composés de formes stables de visibles et d'énonçables.

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H. Melville, Pierre ou les ambiguïtés. Il n'y a pas d'expérience originaire, la phénoménologie (Merleau-Ponty) est remplacée par l'épistémologie (le savoir). Le savoir (voir et énoncer) n'est pas forcément scientifique, et ne se réduit pas nécessairement à la connaissance : il y a des seuils d'énoncés. Tout savoir est une pratique discursive et non discursive. Le Vrai est le rapport entre des pratiques discursives et non discursives.

2 29/10/1985 44’37

Les règles des différents types d'énoncés (ce qui est à découvrir, et non les énoncés). Le philanthrope Pinel : « libérez les fous », le regard et le jugement perpétuels. La folie innocente du fou, responsable du trouble de l'ordre moral, social ; il faut que le fou ait peur ; la soudaineté de la punition. La délinquance est objet d'énoncé, l'adoucissement des peines (exil, supplices, travaux forcés). Les énoncés disciplinaires, et la gestion et le contrôle de la vie (statistiques) remplacent le pouvoir souverain et la mortification ; la peine de mort, les holocaustes.

2 29/10/1985 01’47 12’59

Le vitalisme dément, pervers des exterminations. La gestion de la vie et de la survie. Souveraineté et populations, la médecine sans médecins ni malades, par images et sans signes. L'archive, c'est former le corpus d'énoncés, non cachés, mais non donnés.

3 05/11/1985 30’20 La série de déplacements chez Foucault : la question de ce qu'est le savoir, puis la question du pouvoir, puis la question du désir. Pourquoi et comment le déplacement du savoir au pouvoir chez Foucault. - Lire les énoncés. L'archéologie comme extraction des énoncés d'une époque ; ce qui est immédiatement donné, ce sont des mots, des phrases, des propositions, à la rigueur ; le choix des énoncés. Krafft-Ebing, Psychopatia sexualis.

3 05/11/1985 45’25

Le concept d'énoncé — Pour trouver les énoncés, il faut constituer un corpus, la linguistique et le distributionnalisme de Bloomfield et Harris (dégager les régularités qui définissent les énoncés). Gabriel Tarde et la microsociologie. Les énoncés du XIXe siècle.

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3 05/11/1985 05’33

39’47

La notion de corpus — Les foyers de pouvoir et de résistance concernés par une question, les énoncés du XIXe siècle. - La dimension dans laquelle le langage se donne, l'être du langage est historique : le rassemblement du langage est lié à une formation historique, dans la représentation pour le XVIIe siècle, lié à la littérature pour le XIXe siècle; la tentative de Mallarmé, hors la représentation, Blanchot. Tout corpus est relatif, la linguistique présuppose. Il n'y a jamais de commencement du langage.

3 05/11/1985 24’43

- L'être-langage, le murmure anonyme ; le sens muet des choses, du monde, la phénoménologie. Le rassemblement du langage, c'est le on parle, murmure anonyme ou énoncé. - Le corpus de visibilité. L'être-lumière de chaque époque ; un tableau est un rassemblement de lumière. Raymond Roussel. L'être-langage et l'être-lumière d'une même époque sont hétérogènes.

4 12/11/1985 20’56 La définition d'un énoncé avec Foucault. Le pouvoir comme strictement immanent au savoir, les foyers de pouvoir et de résistance concernant la sexualité au XIXe siècle. La vie des hommes infâmes.

4 12/11/1985 39’42 05’29

Enoncé et visibilité, le corpus — La lumière n'est pas un milieu physique, elle n'est pas newtonienne, elle est première, c'est une condition indivisible, c'est un a priori, dans le sens de Goethe, elle tombe sur le corpus, et le capture ; la lumière au XVIIe siècle avec Vélasquez ; les visibilités sont les lignes de lumière, la peinture est ligne de lumière, le on voit n'est pas un état de choses mais de la lumière. Les visibilités ne se rapportent à la vue que secondairement : se sont des complexes d'action et de réaction. Delaunay. Texte : Naissance de la clinique (p.169) PUF. Régimes de visibilité et pouvoir.

4 12/11/1985 46’21

Enoncés et visibilités capturées. Les luministes de la littérature, les énoncés et la lumière de Faulkner. Linguistique, Labov, systèmes hétérogènes et passages

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dans la phrase, énoncé et multiplicités.

4 12/11/1985 19’40 Linguistique, énonciation et les positions de sujet, le discours indirect libre, Benveniste, Blanchot et la destitution de la personnologie linguistique, le on et le Je, l'énoncé se définit comme variable intrinsèque.

5 19/11/1985 25’50 L'énoncé — les variables extrinsèques ; la logique et la linguistique des propositions, les champs de vecteurs ; l'énoncé n'a que des règles de passages d'un système homogène à un autre ; l'énoncé, c'est l'hétérogénéité.

5 19/11/1985 46’25 L'énoncé et champ de vecteurs ou règles de passage. l'espace associé ou adjacent. Le sujet, l'objet, et le concept de l'énoncé, c'est-à-dire ses fonctions dérivées. Le on inassignable, Blanchot. Beckett. La logique des propositions.

5 19/11/1985 46’09 Enoncés et propositions. L'archéologie du savoir. Sartre, le rêve et la perception. - L'archive audio-visuelle, du côté de l'énonçable, est faite de corpus, la tombée du langage sur le corpus, d'une certaine manière, au croisement du langage et du corpus, il y a les énoncés ; d'un corpus de choses, d'objets, d'états de choses et de qualités sensibles, on élève une diagonale : la manière dont la lumière tombe sur ce corpus. La peinture.

5 19/11/1985 46’22 Les tableaux comme régime de lumière conditionnant tout le reste avec Foucault. Quels sont les rapports entre l'énonçable et le visible ? La disjonction entre voir et parler, pas d'isomorphisme, pas de correspondance de forme à forme, une béance, dualisme, jamais ce qu'on voit ne se loge dans ce qu'on dit. Le terrible combat entre le voir et le parler, Ceci n'est pas une pipe : chacun tire sur la cible de l'autre ; Foucault et Kant, les deux facultés de l'homme ou de l'esprit, différant par nature ; 1) l'espace-temps (comme forme) ou intuition, et 2) le concept ; 1) la forme de réceptivité par laquelle nous recevons du donné ; 2) la forme de la spontanéité, du connaître, du pensant (c'est agencer des concepts) ; la forme de tout concept, c'est a = a ; l'espace et le temps sont la forme de la réceptivité, Je

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pense, c'est la forme de ma spontanéité : intuition et entendement, entre les deux, il y a une béance : c'est le déséquilibre fondamental de l'homme. Du point de vue de l'infini, de dieu, il n'y a pas de donné, tout est concept. Le donné s'intériorise dans le donné : création ex nihilo, faisant le jeu des hérétiques. Pour Leibniz, toute différence est dans le concept (il n'y a pas de donné), ce à quoi Kant s'oppose.

5 19/11/1985 16’29 Kant et la finitude constituante — On ne peut réduire le donné au concept, car il y a l'irréductible de la position dans l'espace-temps du donné. La philosophie du XVIIe siècle, l'infini et le fini, Pascal, les ordres d'infini. La finitude comme principe constituant de Kant, et non plus l'entendement divin. La troisième faculté de Kant (jugement esthétique) : le schématisme de l'imagination.

6 26/11/1985 29’32 Le savoir comme entrelacement, et hétérogénéité du visible et de l'énonçable ; du non-rapport de ces deux formes montré selon trois façons par Foucault : 1) humoristiquement 2) logiquement 3) historiquement.

6 26/11/1985 46’26

La notion de délinquance, la prison, délinquance-objet et délinquance-illégalisme. 1) le non-isomorphisme entre le visible et l’énonçable. 2) le primat de l'énoncé, c'est lui qui est déterminant. 3) la capture mutuelle entre le visible et l'énonçable Programme : les quatre confrontations nécessaires avec: 1) Kant, les deux facultés : réceptivité (visibilité) et spontanéité (l'énoncé) 2) Blanchot, « Parler ce n'est pas voir ». 3) le cinéma, et la faille entre l'audio et le visuel, le visible et la parole, Duras, Syberberg, les Straub 4) Raymond Roussel. Philosophie, le cogito, Descartes, Kant.

6 26/11/1985 46’14

Kant et le cogito, réceptivité, spontanéité et la tierce instance : le schème de l'imagination. Le schème comme détermination de l'espace et du temps, conformément à un concept, permettant ainsi la construction de l'objet.

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283

- La conception classique de la mort ; Bichat et la détermination de la vie, d'où la coextension de la mort à la vie : la mort n'est plus insécable mais disséminée, multiple et partielle. - Blanchot : « Parler ce n'est pas voir », dans L'entretien infini ; l'image sans ressemblance ; la vue et le visible à distance, le rêve.

6 26/11/1985 29’43 Blanchot et Foucault. Le cinéma et la distribution de l'audio et du visuel.

7 10/12/1985 10’23 00’25 04’07

Les deux formes : le visible et l'énonçable, captures et violences entre les deux. Critique de l'intentionnalité, de la phénoménologie. Raymond Roussel. Ceci n'est pas une pipe (p. 33, 48).

7 10/12/1985 46’44 Raymond Roussel. La condition et le conditionné du visible et de l'énonçable, le régime de la dissémination des énoncés et des visibilités, le seul rapport de l'extériorité (contrairement à Kant). - Le quadrillage à l'air libre, l'exil, l'enfermement (qui n'est pas une fonction sociale chez Foucault, pour lequel, toute forme est forme d'extériorité) ; Paul Virilio.

7 10/12/1985 46’32 La condition pose le conditionné comme dispersé ; les captures mutuelles des formes de l'énoncé (spontanéité ou détermination) et de la visibilité (la réceptivité) ; Foucault est kantien. R. Roussel, la détermination et la fuite de la visibilité. Paul Klee. Le savoir sauvage selon Foucault, chez Foucault, tout est savoir, donc il n'y a pas de savoir.

7 10/12/1985 46’43

Le dualisme du savoir ; le dualisme en général : 1) a. du Vrai, Descartes, b. subjectif, la faculté du sujet, Kant 2) provisoire (vers l'Un), Spinoza, Bergson, vers le monisme. - Foucault et la dispersion des mots. Le tissage de Platon, Le Politique, le savoir comme entrelacement (ou strate) du visible et de l'énoncé, et les formations historiques.- Les rapports de pouvoir. Le pouvoir n'est pas une forme, élément informel qui rend compte des relations de savoir. L'infamie, Borges.

7 10/12/1985 11’58

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284

Le crime, l'inceste, Moi Pierre Rivière…, La vie des hommes infâmes, les lettres de cachet, le placement volontaire ; L'archéologie du savoir et l'énoncé.

8 17/12/1985 34’29

L'archéologie du savoir, l'énoncé et son double, l'énoncé est le double de quelque chose qui lui est étrangement semblable et quasi identique : “ AZERT ” ; la copie. Règles de l'énoncé et singularités. Discours et singularités, mathématiques et points singuliers, lignes de réguliers et l'idée de séries.

8 17/12/1985 46’44 Point singulier ; l'énoncé est une régularité, une série, l'émission de singularités, pouvoir et rapports de forces; le savoir est intégration de rapports de forces.

8 17/12/1985 46’34

L'archéologie du savoir — - Philosophie, mathématiques et singularités, le coup de dés, hasard et points singuliers, singularités de pensée et concepts, Nietzsche, Mallarmé. - Le champ social et les rapports de forces, le hasard comme rapport de forces, le pouvoir pastoral et royal, l'individualisation des sujets. - L'actualisation de ces individualisations par les institutions (le savoir pastoral en général). - Les séries historiques de Foucault, les durées, Braudel. La notion d'événement et les mutations sociales, la chaîne de Markov. - la lumière comme intégration des points singuliers, il y a ainsi les séries verbales, et les séries lumineuses. La lumière du tableau de Vélasquez, Les Ménines. R. Roussel. - L’entrelacement du visible et de l'énonçable : la dimension informelle des rapports de forces entre le visible et l'énonçable. Foucault et Blanchot : le neutre ou le on, s'opposant à la personne, le singulier s'opposant à l'universel, et le multiple s'opposant au même.

8 17/12/1985 03’24

Le système savoir-pouvoir.

9 07/01/1986 42’58 2e partie du cours : le deuxième axe de la pensée de Foucault : le pouvoir. - Les formations historiques ou stratifiées, d'énoncés et

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de visibilités. - Le visible, les cris sous les mots, R. Roussel, la scène visuelle. - Le rapport savoir-pouvoir. - Le pouvoir est rapports de forces, c'est une pratique (rien ne préexiste), tout comme le savoir. - La notion de pratique et celle de théorique ; le sujet universel kantien, au siècle des Lumières, le Hic et Nunc. Le pouvoir, qui n'a pas de principe, est pris dans des rapports de savoir, à prendre dans son immanence au savoir.

9 07/01/1986 46’29

Le ici-maintenant des entretiens, en corrélation avec les livres (temporalité) de Foucault. - Les luttes centralisées et les luttes transversales, Mai 68, Guattari, la critique de la représentation, le mouvement des prisons, les foyers de résistance au pouvoir, les nouveaux types de lutte, le rôle de l'intellectuel, qu'est-ce qu'être sujet, ici et maintenant ? 1950 (début de toutes ces questions) et : le centralisme, Milovan Djilas, la rupture yougoslave, Tronti et le marxisme, le travail noir. La nouvelle subjectivité, la singularité ; des rapports transversaux entre groupes restreints, la microphysique du pouvoir ; et les trois questions kantiennes. - Gide et la justice, Genet et les Blacks Panthers, les scientifiques et la bombe atomique ; au nom de la vie singulière.

9 07/01/1986 06’25

39’54

Le sujet comme incarnation de singularités. Continuité historique et subjectivité (c'est-à-dire pratique), luttes transversales, centralisme, le centralisme à la française du Surréalisme. - La saisie du pouvoir, la microphysique du pouvoir (ondes et corpuscules) ; sociologie, Emile Durkheim et Gabriel Tarde (imitations et inventions sociales, les corpuscules de croyance et de désir), les petites inventions sociales. Grands ensembles et microphysique. Lévi-Strauss et les sociétés primitives, les filiations.

9 07/01/1986 43’56

Les six postulats de Foucault. Les sociétés primitives, l'échange, don et contre-don, lignages (structures verticales) et le réseau des alliances (ou pratiques), Nietzsche, la stratégie des sociétés (alliances), où se trouve la microphysique du pouvoir : les séries, d'où les rapports de forces sont sous la structure ; les

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286

agencements sociaux. - Le pouvoir est rapport : le pouvoir ne se laisse pas localisé, il est diffus, cependant, il est local et jamais global, il n'est pas essence ni attribut, n'a pas d'intériorité, il est rapport ; l'exemple de la lettre de cachet, la microphysique du délit (le pouvoir passant par le dominé). Le rapport de force est le rapport de la force avec la force, il n'y a que rapport de force.

10 14/01/1986 46’30

Les rapports de pouvoir, la microphysique du pouvoir. La mise en question des postulats qui parcourent l'ensemble des théories du pouvoir : 1) appartenance et propriété de classe 2) de localisation du pouvoir dans l'appareil d'Etat 3) de subordination, d'infrastructure 4) d'essence ou d'attribut, dominant-dominé 5) de la modalité, la violence et idéologie. La différence de nature entre macro et microphysique : la loi, les illégalismes et le champ social, la Révolution française.

10 14/01/1986 46’34 Les illégalismes, la loi et son interprétation, la jurisprudence. Le rapport de pouvoir est rapports de forces ; la seule essence du pouvoir est le rapport, il n'est pas une forme, ni une relation de forme, tandis que le savoir, lui, est relation de forme, il n'y a pas de force au singulier, une: une force a pour sujet une autre force, une force est déjà multiplicité ; l'atomisme grec, la déclinaison de l'atome, l'oblique ; la philosophie de la force, Nietzsche, Schopenhauer, le vouloir. Les forces composées dans l'espace-temps, réceptivité et spontanéité de la force, la force et l'affect (et non la forme).

10 14/01/1986 02’28

42’21

Les rapports de forces — La matière de la force est le pouvoir de la force d'être affectée, et sa fonction est le pouvoir d'affecter d'autres forces ; savoir, pouvoir et catégories. Le pouvoir est la physique de l'action quelconque. Le diagramme est pouvoir, les trois définitions du diagramme (exposition d'un rapport de forces, répartition du pouvoir d'affecter ou d'être affecté, le brassage de matières non formées et de fonctions non formalisées). Archive, strate, diagramme et stratégie, micro et macro. Texte de Foucault tiré du roman de Herman Melville :

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287

Pierre ou les ambiguïtés (la vieille momie, la chambre centrale), le dehors des strates.

10 14/01/1986 31’48 Sociétés disciplinaires et diagrammes de pouvoir.

11 21/01/1986 14’04 Foucault et le cinéma contemporain : la disjonction entre le champ sonore et le champ visuel, le rapport entre le visible et l'énonçable. Le pouvoir pastoral.

11 21/01/1986 46’29 Foucault et le cinéma contemporain, la disjonction entre le champ sonore et le champ visuel, et rapport entre le visible et l'énonçable ; diagrammes et catégories de savoirs et de pouvoirs. Multiplicités, forces affectées, points de réceptivité, la distribution des affects ; le pouvoir pastoral. Nietzsche, La généalogie de la morale.

11 21/01/1986 38’06 08’05

Pouvoirs (d'un point à un autre) et savoirs (formes), affects, singularités, diagrammes et sociétés. Les Grecs de l'Antiquité, la rivalité des hommes libres des cités, Platon. Diagrammes, tirages successifs, et coups de dés: les ré-enchaînements, chaînes de Markov. Nietzsche et Mallarmé.

11 21/01/1986 41’37 Enoncés, singularités, mathématiques, courbes intégrales, voisinages, la notion d'actualisation (intégration et différenciation) du pouvoir dans le savoir. Institutions et intégrations des rapports de pouvoir, les instances molaires, Histoire de la sexualité. Proust et la sexualité.

12 28/01/1986 47’39

Foucault et les nouvelles subjectivités, l’avant et l’après 68 — Mai 1968 et la mise en question du centralisme ; l’expérience yougoslave ; Mallet, Sartre, Gorz, Vers une nouvelle classe ouvrière ? Le jeune Lukàcs, Histoire et conscience de classe ; la production d’un nouveau type de sujet de l’histoire ; l'école de Francfort, le marxisme italien, l’autonomie, R. Alquati, M. Tronti, Ouvrier et capital ; la revendication qualitative ; l’émergence de nouvelles formes de luttes, pratiques, de réseau, transversales et non plus centralisées, F. Guattari ; la réévaluation du

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marxisme. D’où : l’après 68 et Foucault : « le Groupe information prison, pour la pratique, Surveiller et punir, pour la théorie » ; la microphysique du pouvoir.

12 28/01/1986 46’43 Politique ; formes sociales ou institutions et intégrations de pouvoirs ou actualisations. Proust et la sexualité.

12 28/01/1986 22’40

23’36

Les formes sociales ou de savoir, comme intégrant des rapports de pouvoir ou de forces. Volonté et savoir. Actualisation, différenciation et division. Bergson.

12 28/01/1986 46’30 Formes animales et formes végétales, énergie et mouvement, affects et forces, pouvoir d'affecter et pouvoir d'être affecté ; les deux conceptions du dualisme ( = le produit d'une division de l'Un ou bien un stade provisoire du multiple). Sociologie, formations stratifiées, diagrammes, Surveiller et punir. - Techniques matérielles et technologies sociales.

12 28/01/1986 04’01

Techniques matérielles et technologies sociales, l'exemple de l'étrier.

13 25/02/1986 42’01 Récapitulation du cours sur les rapports pouvoir-savoir.

13 25/02/1986 03’18 43’22

Récapitulation. Rapport et non-rapport entre voir et parler ; les rapports entre les forces ; pouvoirs de réceptivité et de spontanéité. Schématisme, Kant et le schème de l'imagination, le concept, l'espace-temps ; Lautréamont. - la cause efficiente ou transitive : cause qui a besoin de sortie de soi pour produire son effet ; le christianisme, le créationnisme. - la cause émanative : cause dont l'effet est extérieur, mais qui n'a pas besoin de sortir de la cause, l'effet émane de la cause ; Plotin.- la cause immanente : l'effet reste dans la cause ; Spinoza.

13 25/02/1986 04’12

03’24 38’45

L'Archéologie du savoir de Foucault. Le statut de l'audio-visuel, l'intrication du voir-parler et les situations concrètes.

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289

13 25/02/1986 04’34 42’12

- Les formes d'extériorité chez Foucault ; toute forme est d'extériorité, entre dire et voir, il y a extériorité. - Le dehors et les forces, La pensée du dehors, l'Ouvert, Rilke, Blanchot, Heidegger, Bergson ; force et dehors. Tout diagramme vient du dehors, série de ré-enchaînements, émission de coups de dés. Le dehors est le lointain (absolu), le diagramme est le dehors des formations historiques qui lui correspondent, le diagramme lui-même vient du dehors. Les singularités sont prises dans des rapports de forces au niveau des diagrammes, elles sortent du dehors. Points de résistance et diagrammes.

13 25/02/1986 05’10 00’33

La ligne du dehors ; Foucault et le thème de la mort de l'homme.

14 04/03/1986 32’52 Les mots et les choses, et le thème de la mort de l’homme ; les rapports de forces comme lieux de mutations perpétuelles. Toute forme est un composé de forces ; les modes d'existences.

14 04/03/1986 46’37 L'ordre d'infinité, la pensée classique, l'Univers infini et la perte de centre, Spinoza. Mercantilisme, monnaie, l'échangeabilité des richesses, tableaux et déploiement, le coût de l'échange, la grammaire générale. Les forces composantes de l'homme.

14 04/03/1986 08’00 38’30

La révolution kantienne : la finitude devient constituante, les forces composantes dans l'homme : vie, travail, langage, et forces du dehors. Au XIXe siècle se compose la forme homme, l'âge des machines.

14 04/03/1986 15’07 Le système homme-machine, l'âge du silicium (après ceux de l'horlogerie et du carbone). Feuerbach et la mort de Dieu, l'homme ne pouvant plus être ainsi identifié, Nietzsche et la mort de l'homme, les forces, le surhomme.

15 11/03/1986 31’43 Les forces dans l'homme. Le rapport des forces aux formes. Les forces et l'infini.

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290

15 11/03/1986 48’42 Les forces de finitude : la vie, le langage, le travail, où se replient les forces dans l'homme ; la métaphore du pli et du dépli chez Foucault. Naissance de la clinique, le regard médical, Cuvier et les embranchements de la vie.

15 11/03/1986 37’45

08’57

La figure du pli et du dépli, et la vie ; Cuvier et la pluralité finie des plans d'organisations. Le travail au XVIIe siècle. Adam Smith, Engels, la force de travail.

15 11/03/1986

34’05 Marx, Ricardo, travail, capital et pli ; le pliage des langues, Schlegel, grammaire, les flexions (élément formel grammatical pur), l'idée du vouloir d'un peuple avec la philologie romantique allemande ; les forces de finitude. Le rassemblement du langage ou fini-illimité ; la combinatoire, le code génétique ; les inter-captures de fragments de codes. Le surhomme.

16 18/03/1986 11’14 La succession des trois formes : Dieu (XVII-XVIIIe siècles), homme (XVIII-XIXe siècles), surhomme (fin XIXe, XXe et XXIe siècles), et les mouvements géologiques de la pensée ; le pli et le dépli des choses, le surplis ; le thème de la mort de l'homme, de la disparition de la forme homme. Toute forme est un composé de rapports de forces.

16 18/03/1986 47’24 Les forces dans l'homme en rapport avec les forces d'élévation à l'infini. De la nature de l'homme, les ordres d'infinités, la pensée au XVIIe siècle, les preuves cosmologiques, de l'existence de Dieu, Nicolas de Cues. Penser, c'est plier. Cuvier et la Vie.

16 18/03/1986 45’16 La forme homme, qui enveloppe la mort (la mort de la forme) de l'homme; Nietzsche, Feuerbach, L'Essence du christianisme, la forme surhomme. Bichat, la vie animale, le pluralisme des morts violentes : pulmonaire, cérébrale, cardiaque, morts partielles. La précarité de la forme homme. Le surpli.

16 18/03/1986 47’12 Le surhomme. Xavier Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort.

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291

Foucault et le langage, Les mots et les choses : La forme homme et la puissance de rassemblement du langage dans l'acte d'écrire, l'être du langage, le murmure anonyme, le perpétuel retour du langage sur soi, en compensation de la linguistique : le surpli (recourbure) du langage, le surhomme, le livre de Mallarmé (où chaque lecture est un pliage du livre) ; le cut up (forme simple) et le fold in (c'est le pli sur soi : le surpli) ; Raymond Roussel (la fuite infinie des parenthèses), la création de la syntaxe, Péguy, Céline.

16 18/03/1986 05’39 Les limites du langage, Céline, la littérature moderne serait cette opération vers une invention de syntaxe.

17 25/03/1986 40’04

Récapitulation. Les forces dans l’homme, l’infini et la pensée classique, le mécanisme du dépli ou déploiement ; puis aux XVIII et XIXe siècles, repli des fortces de finitude (hors de l’homme), vie, travail, langage ; la dispersion du langage comme corrélat de la forme-Homme, dans Les mots et les choses. - Le rassemblement du langage dans la littérature moderne, l’être du langage (différent de la linguistique).

17 25/03/1986 47’04 Les mots et les choses (p. 306-307), langage, linguistique, littérature et la vie. Le XIXe siècle et l'historicité de la vie (celle-ci dépendant du milieu), Cuvier, la diachronicité du langage.

17 25/03/1986 05’53

41’13

Les mots et les choses. Savoir et langage du dehors, langage de la vie ; la folie. La notion de surhomme, Nietzsche, « les derniers hommes » ; les décrochages de la linguistique, de la biologie, l’être brut de la vie, du travail ; schèmes et codes génétiques, la biologie moléculaire, carbone et silicium, l’agrammaticalité. Les forces dans l’homme et les forces du fini-illimité, le surpli (c’est le pli sur le dehors).

17 25/03/1986 14’14

Le surhomme.

18 08/04/1986 32’19 Foucault et les trois formes (Dieu, Homme et Surhomme), les forces dans l'homme, homme et machine, les ordres d'infini au XVIIe siècle.

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292

18 08/04/1986 46’55 Le centre de l'homme et le siècle, le Christ, Blaise Pascal, forces du dehors et forces dans l'homme. La dialectique hégélienne (réconciliation du moi fini avec l'infini) et la dialectique grecque de Platon, le principe de non-contradiction avec Hegel (A n'est pas non-A = négation de la négation) : le négatif comme force de la pensée : le principe de non-contradiction est posé comme premier par rapport au principe d'identité ; le négatif n'est pas limitation, mais force ; les nombres négatifs.

18 08/04/1986 46’10 Volonté de savoir ; Surveiller et punir ; l'essor de la biopolitique des populations, empiétement mais postériorité à l'essor de la discipline des corps. De la race dans le fascisme ; des trois formations : de souveraineté, disciplinaire (dressage des corps), biopolitique ou contrôle, d'où trois sujets de droit très différents : 1) prélèvement et décision de la mort. 2) imposer des tâches à des multiplicités humaines peu nombreuses prises dans des limites assignables, les grands milieux d'enfermements : ce n'est plus prélever, mais composer des forces utiles à la société ; d'où la constitution juridique de la forme-Homme, ce n'est plus le rapport de l'homme avec le souverain, mais d'homme à homme; Nietzsche et la promesse ; le contrat et le maximum de biens, le droit de la personne / homme. 3) complication de la 2e formation ou bien 3e formation ? (interrogation de Deleuze sur Foucault)

Pouvoir de contrôle. Le droit se propose de gérer la vie dans des multiplicités ouvertes quelconques, dont les limites ne sont assignables, traitables que par le calcul et le contrôle des probabilités et du sens social, gestion des populations, zones de fréquences ; la question de Foucault : pourquoi la prison a t-elle cessé d'être une forme prévenante aujourd'hui ? L'aménagement du temps de travail. Paul Virilio ; voirie et contrôle ; l'hôpital maritime au XIXe siècle ; l'exil, le quadrillage. Le sujet de droit sera le vivant dans l'homme, non plus le dieu dans l'homme, et la personne dans l'homme : le droit n'est plus civil (le contrat), mais social ; contrat, société et tiers.

18 08/04/1986 26’50

Le passage du droit civil au droit social —

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Le tiers, c'est la société, elle est tierce à toute personne ; les deux conceptions du droit : la relation contractuelle et le droit social, le malade, le médecin et la sécurité sociale, puis le vivant dans l'homme au nom d'une qualité de vie. La vie dans l'homme comme le problème du droit aujourd'hui. L'époque qui abolit la peine de mort (fondement dans le droit social de souveraineté, de faire mourir) et produit le plus grand génocide (se débarrasser de l'agent infectieux). Walter Benjamin et les grandes démonstrations de masses comme toujours liées au fascisme ; - Le statut des images relatif à ces trois âges. François Ewald.

19 15/04/1986 19’15

Burroughs, Le festin nu. Les régimes d'images chez Foucault. Le cinéma d'après-guerre ou le second régime de l'image, le derrière de l'image et les camps de concentration. La porte (cache temporaire) dans le cinéma, W. Benjamin et les arts de reproduction, Syberberg et les mises en scène des masses par le nazisme, Virilio, Resnais et l'homme qui revient des morts ; lire une image.

19 15/04/1986 46’20 Cinéma, lire une image, la discipline, la pédagogie de l'image ; S. Daney, le maniérisme de l'image, les émissions de la télévision, la radio, la pré-visualisation des images (par la vidéo) chez Coppola, les régimes de contrôle de l'image par l'image. Les mutations diagrammatiques (d'une formation historique à une autre), rapports de forces, tout diagramme est stratégique, champs sociaux, points singuliers.

19 15/04/1986 46’37

L'idée de Foucault sur la transformation des diagrammes ; Surveiller et punir (une seule forme de pouvoir disciplinaire) et Volonté de savoir (biopolitique des populations). Les pouvoirs d'être affecté, d'affecter, de résistance, et la transformation des diagrammes. Droit social, la vie des populations ; un certain vitalisme chez Foucault. Les points de résistance et rapports de pouvoir (dans un champ social, la résistance est toujours première par rapport à ce à quoi elle résiste, au pouvoir). Mario Tronti.

19 15/04/1986 32’21

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294

Le silence de Foucault après Volonté de savoir ; Foucault et ses luttes, le Groupe information prison, après 1968. La question du franchissement de la ligne du pouvoir (l'au-delà du pouvoir) ou ligne du dehors, et la philosophie, la découverte par Foucault des points de résistance, l'homme ordinaire et le pouvoir.

20 22/04/1986 12’09 Le 3e axe de la pensée de Foucault — Récapitulation : 1) les formes d'extériorités (et d'intériorité), in Archéologie du savoir.

20 22/04/1986 46’38 Récapitulation : 2) les forces, le dehors, Blanchot, L'entretien infini (p. 66 et 104), la ligne du dehors, la double mort du Je et du On. Psychanalyse, qu'est-ce que disent les enfants ?

20 22/04/1986 34’14 11’51

La psychanalyse et le On (le On n'étant nullement la personne de la psychanalyse) ; points de résistance et morts partielles ; le On meurt comme ligne du dehors. 3) le mouvement, la conversion du lointain au proche, Les mots et les choses (p. 350) : comment la ligne du dehors est dedans. Histoire de la folie à l’âge classique, la nef du fou ; le dedans est le pli du dehors.

20 22/04/1986 31’25

Blanchot, la pensée et le dehors, penser vient du dehors, Heidegger, Qu'appelle-t-on penser? Artaud, Les lettres à Jacques Rivière, et cet im-pouvoir vital de penser. Foucault et le dedans comme le double du dehors, in Les mots et les choses. Raymond Roussel, l'opération du double et de la doublure, le pli, l'invention du pli par les Grecs.

21 29/04/1986 12’41 André Haudricourt et Louis Hédin, agronomes, in La pensée (n° 171, octobre 1973), in revue L'homme (1962), les philosophies de la transcendance et celles de l'immanence, l'Orient et l'Occident, travail, agriculture et élevage.

21 29/04/1986 46’40 Haudricourt. La figure du semeur, celle du pasteur, Platon, Le Politique ; la forme végétale, jardinière pour la pensée orientale.

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- La pensée vient du dehors, le dehors comme un lointain le plus absolu, par rapport à toutes les formes de l'extériorité, à la fois le plus proche que toute forme d'intériorité : c'est la ligne du dehors, l'unité du proche et du lointain, Blanchot L'espace littéraire (p. 104 et 160). - Le pli de la ligne du dehors ; le dehors, c'est ce qui donne à penser ; la mise de l'impensé (c'est ce qui est le plus proche de la pensée) dans la pensée. Heidegger : « nous ne pensons pas encore », voile et dévoilement (c'est le voilement qui est dévoilé) de la pensée, pli et dépli (ce qui plié dans le pli est le dépli). L'oubli, Platon et la réminiscence, la mémoire, la Vérité des Grecs, et dévoilement, le déjà là et le pas encore de la temporalité ; subjectivité, le sujet et ses doubles, in Les mots et les choses.

21 29/04/1986 46’57

La notion de double (= intériorisation du dehors, c'est le pli du dehors) comme redoublement de l'autre, répétition du différent, mise en immanence d'un non-moi ; subjectivité, Raymond Roussel, Chiquenaude, Impressions d'Afrique. Heidegger, Alfred Jarry, Les gestes et opinions du Dr Fostrol, pataphysique et métaphysique, l'être du phénomène. Les jeux de mots. L'énoncé (qui est le double des singularités) et la répétition, dans Les mots et les choses. Michel Leiris.

21 29/04/1986 06’30 39’30

Leiris, le pli de l'être et les Grecs, la confrontation entre Foucault et Heidegger. Conclusion : Plier la ligne du dehors aura pour sens : faire qu'elle se détourne de la mort et qu'elle produise une subjectivité : s'entourer de plis. Le pli des énoncés produisant leurs doubles, les exercices étymologiques de Heidegger et de Roussel. - La question de l'invention de la philosophie par les Grecs, question pour le romantisme allemand ; et la notion de territoire, de fondation, et comment rejoindre la terre, le sacré ; - Les sages (poésie première) et la société des amis de la sagesse (détruisant les sages) d'où trois directions (explications) :

1) la direction philosophique, de Hegel à Heidegger;

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296

Renan et le miracle grec ; le mot aléthéia (vérité) 2) apparition de la parole philosophique, pourquoi et comment : c'est la direction historienne, l'école helléniste française, l'apparition du nouvel espace de la pensée. Vernant, Vidal-Naquet, Detienne 3) la direction politique : Foucault et L'usage des plaisirs. Heidegger, l'acte premier d'aménager un territoire, défrichement et déboisement, la lumière grecque, la révélation de l'être, la clairière.

21 29/04/1986 17’12

Heidegger, Jean Beauffret, le verbe être qui va plier tout le langage des Grecs ; Hegel, l'être en tant qu'être, dans l'espace (la clairière) et dans le verbe (la copule), la philosophie du sujet (Descartes), les trois moments successifs de l'universel, Renan.

22 06/05/1986 28’18

Rappel sur la question de l'être et les Grecs, Hegel, le pli de l'être, le sujet, Heidegger, la révélation de l'être ; la cité grecque, la démocratie athénienne, la question platonicienne : à quelles conditions l'isonomie (qui est l'idéal de Clisthène) peut-elle être réalisée, une fois dit qu'elle ne peut l'être dans la démocratie athénienne ? Les guerriers (ayant un type de parole n'appartenant qu'à eux) et l'espace grec.

22 06/05/1986 46’34

La parole des guerriers et le nouvel espace social ; Nietzsche, et non plus la question de l'être, mais celle des forces, et les possibilités de vie ; Platon et l'épreuve des rivaux (invention d'un nouveau rapport de forces entre hommes libres : rivalité et non plus guerre) ; le gouvernement des hommes libres, le se gouverner soi-même ou ascétisme : idée de Foucault à partir de laquelle on décroche du savoir et du pouvoir ; L'usage des plaisirs, 3e axe de la pensée de Foucault. le statut des forces (la force s'est pliée sur elle-même, s'est affectée elle-même : il y a eu subjectivation ou doublement de la force).

22 06/05/1986 46’20

Le se gouverner soi-même et le pouvoir constituant ; la cité grecque et les rapports à soi, les rapports de forces, la subjectivation, le pli des rapports de forces ; le rapport avec soi dérive du rapport avec les autres sous la condition d'une règle facultative qui est le pli de la

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297

force sur soi-même. Le corps et ses plaisirs (termes grecs), la chair et ses désirs (termes chrétiens).

22 06/05/1986 03’10

32’07

L'intériorité d'attente ; le pli et le dépli ; les quatre plis ; subjectivation, la longue durée : des Grecs à nous ; L'usage des plaisirs, la notion du rapport à soi, ou subjectivation, qui n'a plus rien à voir avec la sexualité ; le se gouverner soi-même des Grecs. Le pouvoir d'Etat se faisant individuant depuis le XVIIIe siècle (exemple de la médecine).

23 13/05/1986 10’54

De la subjectivation selon Foucault.

23 13/05/1986 46’32 De la subjectivation selon Foucault, les quatre aspects du pli : 1) le pli et le corps 2) la règle du pli, 3) le rapport du sujet avec le vrai, 4) la vie dans les plis et ce que le sujet est en droit d'attendre. - Les Grecs et la subjectivation, le pli de la force sur soi-même (c'est un axe indépendant), la rivalité entre agents libres ; le marxisme et la subjectivation, la dimension esthétique de la subjectivation ; l'utopie concrète d’Ernst Bloch ; les méthodes individuantes du pouvoir (du pasteur) s'exerçant sur les subjectivations.

23 13/05/1986 46’35

Les productions de subjectivation des longues durées (historiques) ne passant pas par le savoir et le pouvoir ; l'oubli des vieux pouvoirs, tandis qu'il n'y a pas d'archaïsme pour les subjectivations ; la mémoire comme pli, comme subjectivation ; la variété des modes de subjectivation. Les trois problèmes : 1) quelles sont les nouvelles luttes par rapport à de nouvelles formes de luttes éventuelles ? 2) y-a-t-il un nouveau rôle de l'intellectuel dans ces luttes et par rapport aux anciens ou nouveaux savoirs ? 3) en quoi et comment des modes de subjectivation qui ont leurs règles propres, entrent en rapport avec les nouvelles luttes ? La dialectique hégélienne.

23 13/05/1986 46’52

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298

La systémique (études des systèmes en déséquilibre, unités hétérogènes entre-elles, et relations transversales d'une unité à une autre) et la systématique (la dialectique et l'homogène). Subjectivité.

23 13/05/1986 09’30 Luttes sociales et nouveaux modes de subjectivation.

24 20/05/1986 63’36

Intervention d’Eric Alliez, sur les luttes sociales en Italie, le marxisme italien.

24 20/05/1986 46’30

Selon Foucault, de trois ontologies historiques : un être du savoir, un être du pouvoir et un être de soi. Nicolas de Cuses et l'être-puissance, l'être-pouvoir : le possest ; Foucault, comme historien des conditions, singulières et problématiques parce que toujours variables, du savoir, du pouvoir et des subjectivités.

Récapitulation — Que veut dire penser, avec Foucault ? - Singularités, pensée, hasard et rapports de forces, le jeu, rapports de fréquences ( AZERT ) ; Nietzsche / Mallarmé, Héraclite, Leibniz ; séries de tirages et retirages. - Penser, c'est plier : pensée de l'être-soi, c'est constituer. - Le dedans du dehors ; topologie de la pensée. Faire un diagramme de la pensée de Foucault ; la disjonction voir-parler, les strates et la recherche du non-stratifié, de la vie dans l'archive, Melville.

24 20/05/1986 46’46 - L'élément non-stratifié (l'aérien, l'océanique, zone des morts partielles ou zone des rapports de forces comme rapport entre points singuliers, zone de l'être-pouvoir). - Ligne du dehors et singularités, Melville, Moby Dick, et la vitesse des lignes du dehors ; Michaux et la mescaline, in Misérable miracle (p. 127), Les grandes épreuves de l'esprit ; l'accéléré linéaire, ligne de haute vitesse, vitesse moléculaire, autrement dit, ligne de la pensée. Vitesse et pensée. Penser, c'est affronter la vitesse de la pensée, et comment y survivre, Spinoza, Ethique (livre IV et V), la subjectivation.

24 20/05/1986 01’46 34’16

Merleau-Ponty, le voir et la subjectivation, les peintres,

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299

Le visible et l'invisible (p. 268) Traitements possibles des lignes du dehors, la mise en jeu des systèmes linéaires. Comment co-vivre (et non survivre) à la mort ? Pli et topologie de la subjectivité. - Foucault, la linguistique et la littérature, quant à un privilège de l'énoncé. - Le temps, in Les mots et les choses (p. 338), et l'affection de la pensée par soi.

25 27/05/1986 09’04

Ce que veut dire interpréter pour Deleuze, par rapport à son cours sur Foucault ; création de concepts, la nouvelle acception des noms, des mots; les concepts originaux amenés par Foucault, il faut en tracer les lignes, la signature des concepts philosophiques.

25 27/05/1986 46’36 Ecoute de Pli selon pli de Pierre Boulez, lecture de poèmes de Mallarmé.

25 27/05/1986 46’17 Lectures de poèmes de Mallarmé ; le pli et le dépli comme geste artistique; l'invocation du pli chez Mallarmé ; Thomas de Quincey, La révolte des Tartares.

1 28/10/1986 46’39

Leibniz comme

philosophie baroque

44 heures

Leibniz, comme entrée de la philosophie (philosophie en système) allemande en Europe ; le Baroque fait des plis (acte opératoire) : replis de la matière et plis de l'âme, Wölfflin, Renaissance et Baroque, et le traitement de la matière comme masse (masse et fluidité) ; physique du fluide et de la masse élastique (non de l'atome, du mouvement rectiligne) des corps, mouvements de courbes à courbure variable, tout s'harmonise d'un niveau à l'autre.

1 28/10/1986 40’11 06’20

Lucrèce, l'atomisme antique, le clinamen, organisme et infini, l’homothétie (théorie de la préformation des germes), enveloppement et développement, plis et déplis, machine du vivant, machinisme = vitalisme ; la Monadologie (§ 64) : le corps infiniment replié, enveloppé sur lui-même, la machine infiniment machinée. Points singuliers et points d'inflexion.

1 28/10/1986 41’06

Le Baroque ; peinture ; Klee et les corps élastiques, la

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300

spontanéité du point, point de vue, mouvement d'inflexion, infléchissement des angles ; les deux niveaux de la matière et de l'âme, Bayle.

2 04/11/1986 46’38

Principes logiques et principes philosophiques, de la prolifération de principes chez Leibniz ; l'opération du Baroque est celle du pli, à condition que le pli aille à l'infini ; les deux étages (deux plis), repli de la matière et pli dans l'âme : ce sont les deux formes du pli ; Wölfflin ; le corps humain machinique, machine, mécanique, organisme ; la composition infinie de la matière.

2 04/11/1986 45’25

Monadologie (§ 2 et 3), le simple et le composé ; phénoménologie, Heidegger, l'être, l'étant, le pli, Merleau-Ponty, Mallarmé (le silence et le pli) et le pli double, le pli ontologique du livre ; replis de la matière et infini ; les plis dans l'âme : labyrinthe (matière) et liberté (âme). Théorie des points chez Leibniz : point physique, point métaphysique et point d'inflexion : singularité intrinsèque, sans système de coordonnées, la tangente au point d'inflexion traverse la courbe ; Paul Klee : la ligne active = point d'inflexion ; l'inflexion est l'élément génétique du pli ; le concept de spontanéité.

2 04/11/1986 03’22

43’26

La physique baroque, l'étude des courbures de Huygens; le passage du pli à la série infinie (c’est là l'enjeu), mathématiques baroques, suites, séries, infini, les nombres rationnels, irrationnels (seul le nombre irrationnel fonde la nécessité d'une série infinie).

2 04/11/1986 19’43 Mathématiques baroques, Descartes (équations algébriques, mécanique), et Leibniz (équations transcendantes) ; Mandelbrot et les objets fractals (les logarithmes), le continu rectiligne, les courbes, séries infinies, le pli comme forme de l'infini, du pli à l'inclusion (cause finale du pli).

3 18/11/1986 21’47

Rappel — L'inclusion des points de vue ou points d'ouïe. De l'inflexion à l'inclusion par l'intermédiaire des séries infinies. Avec Leibniz, les prédicats sont contenus dans le sujet.

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301

3 18/11/1986 46’40 Ce qui reçoit le pli. Point de vue et inflexion, le vecteur de la concavité, la perte du centre du XVIIe siècle et l'infini ; Michel Serres ; le nouveau statut de l'objet au XVIIe siècle, Desargues.

3 18/11/1986 35’03 10’44

Le point de vue (ce qui ordonne les cas), l'objectile, Pascal, les Pensées ; le perspectivisme, Nietzsche, Henry James, anamorphose et métamorphose ; nous sommes des points de vue sur la ville, le thème de la pluralité des sujets et sujets de droit.

4 06/01/1987 46’23

La vie de l'organisme, de l'âme, la ligne mélodique et l'harmonie entre les monades, Whitehead, les nombres premiers.

4 06/01/1987 35’31

Harmonie, monade, inclusion et inflexion, le calcul chinois, mathématiques et le XVIIe siècle, Sartre, autrui, le pli et la sculpture, Leibniz et les veines du marbre.

5 13/01/1987 46’34

2e partie du cours sur Leibniz : les principes et la liberté — L'implication, le multiple ; l'invention du principe de raison suffisante par Leibniz (tout ce qui arrive, un événement, a une raison et non pas une cause), une logique de l'événement (l'inflexion), les deux sortes d'inclusion.

5 13/01/1987 46’38

Logique, vérités d'essence (les démontrables, suite de définitions, d'inclusions réciproques) et vérités d'existence, sujet, prédicat, infini, l'inclusion est un enveloppement, les identiques.

5 13/01/1987 31’51

13’18

Logique, les catégories, les indéfinissables de Leibniz, Aristote, les disparates, les prédicats. Mouvement et vitesse dans la physique, la sommation des cognatus, les réquisits, forces élastiques et forces plastiques.

5 13/01/1987 30’11

Evénement et concept de la chose ; inclusions, vérités d'existence, les réquisits, les inflexions, incompossibilité.

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302

6 20/01/1987 16’07 Les monades sans portes ni fenêtres et le Baroque ; le trompe-l’œil.

6 20/01/1987 46’35

La monade et le Baroque ; Jean Rousset et le décor baroque, allégorie et symbole ; l'événement comme prédicat du sujet ou principe de raison suffisante. Whitehead.

6 20/01/1987 47’01

Logique de l'événement — Les prédicats sont relations, les relations sont événements, la liaison des verbes, ou événements, entre eux ; causalité, la notion de substance chez Descartes et Leibniz, l'attribut. - Le rapport substance / manière d'être, le maniérisme ; le monde est le prédicat du sujet : c'est le nœud baroque, gordien. Merleau-Ponty, Heidegger et le pli, l’intentionnalité.

6 20/01/1987 00’48

44’39

L'incompossibilité des substances diverses ; l'événement, comme complexe de singularités, le singulier et l'individuel.

6 20/01/1987 10’03

De deux points à étudier : 1) séries convergentes et séries divergentes pour rendre compte du compossible et de l’incompossible 2) l'individualité comme condensation de singularités convergentes.

7 27/01/1987 36’18

Récapitulation — questions, pressentiments à préciser : La notion de singularité ou point singulier, est d'origine mathématique (théorie des fonctions analytiques, dont Leibniz est à la base) ; une singularité est une inflexion. Le monde est la série infinie des inflexions possibles, la surface à courbures variables, un événement est un ensemble de singularités, d'où une physique. Entre deux singularités, peut-être y a-t-il un type de rapport original, une logique de l'événement qui exige que ce rapport soit spécifié ; le choix du meilleur des mondes possibles (de quel jeu est-il question ?) ; le XVIIe siècle et les théories des jeux. Séries divergentes et convergentes.

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303

Qu'est-ce que l'individuation ? Les individualités convergentes (compossibles), un condensé de singularités, la coïncidence de points singuliers : c'est le point métaphysique ; les substances individuelles sont à la fois dans et pour le monde. Textes (récits baroques) : la Théodicée (partie 3. § 413 et suivants).

7 27/01/1987 46’37 Textes de Leibniz, De l'origine radicale des choses ; bifurcation, incompossibilité, singularité ; un intervenant (mathématiques).

7 27/01/1987 46’26

Un intervenant (mathématiques) ; monade et points singuliers ; le paradoxe de Scolem, le calcul infinitésimal.

8 24/02/1987 46’30

La notion d'acte libre, l'âme, la durée, le moi, l'entéléchie, l'inclusion, l'enfermement des prédicats de la monade, théologie et philosophie, le Baroque et la peinture, le mourir et le temps du présent.

8 24/02/1987 39’06

06’22

L'accompagnement perpétuel de la mort, la damnation, haine de Dieu et ouverture de l'âme, Belzébuth, le thème de l'homme du ressentiment de Nietzsche (c'est l'homme au présent, minimum d'amplitude, qui gratte la trace laissée par le passé). Bergson, schémas d'inflexion dans Essai sur les données immédiates de la conscience, l'acte au présent, Dieu et le savoir des antécédents.

8 24/02/1987 41’24

Bergson, l'acte au présent, Leibniz et la moralité comme progrès de la raison ; une définition du progrès ; la notion d'amplitude de l’âme, la tendance au meilleur, le progrès, texte : le traité De la cause de Dieu (§ 82). Raison et lumière, les âmes damnées et le renoncement.

9 03/03/1987 46’28

Dramaturgie des âmes sensitives ou animales, le mouvement des âmes (montées et descentes), le fond sombre de la monade, fuscum subnigrum, la nature sombre des couleurs (générées par le fuscum), Goethe ; l'arrière-plan, la couleur locale, le contour, la clarté chez Descartes et le fond sombre de la monade,

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304

l'irruption de la lumière, la découverte de la progressivité de la lumière ; Wölfflin et la relativité de la clarté.

9 03/03/1987 46’45 La relativité de la clarté, chez Leibniz, en optique tout comme en philosophie, Descartes et sa théorie de la lumière, le fond sombre, du concept faisant exister le Baroque, la scission baroque (de la façade et de l'extérieur), le pli, Heidegger comme disciple de Leibniz, zwiefalt : le pli en deux, in Essais et conférences, Moïra, comme le différenciant de l'être et de l'étant ; le poète du pli, Mallarmé, Hérodiade, la perception dans les plis, Thomas de Quincey.

9 03/03/1987 46’00

Mallarmé et le pli (le livre est monade, il est monde, aux combinaisons infinies), les plis du journal (pure circonstance) ; Platon, Le Politique, et le modèle du tissage (les deux figures de la torsion du fil et de l’entrelacement de la trame et de la chaîne, dont découle le modèle du pouvoir politique) ; Platon en reste aux replis de la matière, à la texture (il le fait exprès) ; la revue de mode dirigée par Mallarmé ; Clairambault et l'étoffe, le pli. Catégories du pli : les plis simples, les plis composés, les ourlets, les drapés, l'ensemble de matières, de textures, les agglomérats. Métaphysique, Descartes, Aristote, l'accident, les critères de la substance, essence, l'étendue.

9 03/03/1987 16’46

Mallarmé et le pli du livre, du journal ; l'ourlet grec, Clairambault.

10 10/03/1987 30’00

Whitehead, et ses rapports avec Leibniz ; B. Russell, les Principia Mathematica ; la bibliographie de Whitehead. Le schème catégoriel, essence, attribut et prédicat (= événement), tout est événement, de la pensée du monde en tant qu'événement ; l'événement introduit par un One.

10 10/03/1987 46’48

Whitehead. Le Un de l'événement ; la concrescence, l'occasion actuelle.

10 10/03/1987 46’53

Whitehead, comme nouvelle lecture de Leibniz, les réquisits de l'occasion actuelle :

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305

1) les multiplicités aléatoires définies par la diversité disjonctive. 2) de ces multiplicités, les séries infinies sans limites, processus de divisibilité infinie, de sous multiples de vibrations. Bergson et la matière composée de vibrations, les harmoniques ; les couleurs. 3) formation de séries illimitées, convergentes. 4) la conjonction comme réunion de séries convergentes. L'occasion actuelle est engendrée. Les éléments de l'occasion actuelle : 5) l'occasion actuelle est faite de préhension ; la science moderne et le temps : l'instant quelconque, la métaphysique de la durée, Bergson, multiplicité disjonctive et séries aléatoires.

10 10/03/1987 30’06

La diversité disjonctive, l'aléatoire, le Timée de Platon, la théorie du réceptacle, la Chôra platonicienne, le crible de Whitehead ; l'occasion actuelle.

11 17/03/1987 46’47 Reprise du cours précédent — Whitehead, prédicat, sujet et événement, l'événement comme la donnée ultime du réel, occasion actuelle, la Chôra platonicienne, le crible, vibrations et harmoniques, séries, possibles et compossibles. L'étourdissement premier, et la petite différence entre le sombre fond des couleurs et les ténèbres, peinture, le Tintoret, le Caravage ; annonce de la géométrie infinitésimale, du calcul différentiel.

11 17/03/1987 46’47

Platon, le Timée, (le crible, c'est la machine de la nature ou réceptacle, qui assigne un lieu à chaque élément en formant des séries de semblables), infini, Tout et parties, caractéristiques internes de la matière ; les intentions, intensités (le réel), les réquisits.

11 17/03/1987 05’15

39’29

L'infini, l'événement, Spinoza et le troisième infini, Whitehead, Processus et réalité, préhension et événement.

11 17/03/1987 23’14

La pensée anglaise (rencontre entre l'empirisme et le néoplatonisme), les néoplatoniciens et leur Idée : Plotin, Troisième Ennéade, le self enjoyment, la contemplation non passive, active, la contraction de l'organisme (chaque chose est une contemplation de ce

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306

dont elle procède).

12 07/04/1987 20’12 2e partie de cette théorie de l'événement spirituel. De l'actualisation dans une âme, de l'effectuation dans un corps de l'événement ; donc qu'est-ce qu'avoir un corps ? 3e partie, événement et matière. Le prédicat est toujours événement ou rapport chez Leibniz.

12 07/04/1987 46’36

Les conditions de l'événement, selon deux ou trois types de séries. La rupture de Leibniz avec le schéma de l'attribution (pour le prédicat, le maniérisme), et du même coup avec l'essentialisme de la substance constituée par une essence. Evénement et préhension, inflexion, séries infinies, extensions, intentions et individuations, Whitehead, le préhendant, le préhendé, le feeling.

12 07/04/1987 46’37

La joie d'être, la contraction des corps, le self-enjoyment, l'optimisme de Leibniz (le meilleur des mondes possibles), dignité et événement ; monade et préhension du monde, datum, data, perception (le détail de ce qui change) et appétition (le principe interne du changement), Monadologie (§ 11 et suivants) ; - Whitehead, les occasions actuelles (les événements) et les objets éternels, Monadologie (§ 71), qui font ingression dans les événements.

12 07/04/1987 42’10 Whitehead et les objets éternels (la colère) : 1) les définissables (tout-parties) ou démontrables, les extensités 2) les réquisits, les limites ou rapports entre limites, les intensités 3) les singularités. La philosophie grecque et la pensée des oppositions ; Aristote et la théorie des opposés, Platon et le thème de la différence, Plotin, l'art gothique et modes de distinctions, Duns Scot et l'état des distinctions, le syllogisme, la logique de la distinction ; Descartes (trois distinctions sont retenues : réelle ; de raison ; modale) ; l'harmonique / l'arithmétique/ le géométrique.

13 28/04/1987 46’40

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L'exclamation de Whitehead : « tout est événement ». Des affinités subjectives avec une philosophie ; la notion de discussion ; le vrai et le faux de la pédagogie scolaire ; l’événement selon Whitehead : 1) une concrescence de séries 2) un nexus de préhensions 3) une ingrédience d’objets éternels.

13 28/04/1987 46’43

La Raison et les fins dans le monde face à la rationalité, l'intelligible et les phénomènes, le mal, Adorno et Jaspers, les camps de concentration ; le tremblement de terre de Lisbonne. L'abstrait dans la philosophie, c'est ce qui est à expliquer, tâche du philosophe ; l'expérience et ses processus ; agencements et processus de subjectivation, Foucault et les dispositifs, Habermas ; le concept comme singularité. - Le droit et la jurisprudence, la voiture est une arme, l'outrage à la pudeur.

13 28/04/1987 30’45

15’24

Jurisprudence, l'outrage à la pudeur, les taxis et les fumeurs, les droits de l'homme et ses mutations (c'est la jurisprudence qui fait le droit et non l'inverse). - La science antique, la métaphysique, et la science moderne, les instants privilégiés et les instants quelconques (Bergson) ; la philosophie et la question de l'éternel et de l'émergence du nouveau ; les rapports entre philosophie et non-philosophie ; le concept comme ensemble de singularités.

13 28/04/1987 27’53

Sujet, essence, substance, accidents, les quantités négatives de Kant, Leibniz et Descartes, l'ordre des distinctions.

14 05/05/1987 18’43

Leibniz et Descartes, l'ordre des trois distinctions : de raison, modale et réelle ; théorie de la substance.

14 05/05/1987 46’39

Descartes et la substance (distinguée par la raison), la conception du mouvement, Leibniz et l'action motrice, la monade.

14 05/05/1987 46’52

Leibniz, substance, monade, mouvement, et unité ; le Dictionnaire de Bayle, causalité et perception, aperception.

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308

14 05/05/1987 45’58 Les critères de la substance, Descartes et Leibniz, Aristote ; forme, acte et puissance, essence, matière, étendue et attribut.

14 05/05/1987 06’29

Les critères de la substance, Descartes, l'union de l'âme et du corps, Leibniz, Aristote.

15 12/05/1987 38’46

Les quatre critères de la substance (voir cours précédents) chez Leibniz (logique, épistémologique, physique, psychologique) et le avoir un corps, monade, être et perception.

15 12/05/1987 46’47

La monade et le monde — Le corps, singularités et voisinages, les critères de la substance de Leibniz, les conditions ou réquisits de la chose, le saptium.

15 12/05/1987 46’21

La monade et le monde — Le spatium (c'est une exigence d'étendue), rapports entre monades, puissances et matière, vitesse et lois du mouvement ; le damné.

15 12/05/1987 26’43

Monade, mouvement et vitesse, motricité et substance, les forces et l'étendue, la réceptivité du corps.

16 19/05/1987 18’34

De la question avoir un corps pour Leibniz. La monade, comme âme, comme pur esprit ; l'événement dans l'histoire, tout événement est bifurquant, double, il se suit lui-même.

16 19/05/1987 46’41

La notion d'événement, de ce qui vous arrive, le poète Joe Bousquet, la morale, la dignité concrète de l'événement, le prophète, la plainte de Job, l'inscription, la marque, de l'événement dans une matière, dans un corps. Husserl, dans les Méditations cartésiennes, invoquant les monades (5e méditation), l'ego, immanence, transcendance, intentionnalité, les appartenances de la monade, la monade et le corps vécu.

16 19/05/1987 46’37 Textes de Leibniz ; du possible qui se réalise, est du côté du corps, du virtuel qui s'actualise, c'est toujours

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dans une âme ; les textures de la matière et le Baroque, la peinture, Dubuffet, Fontrier, Klee ; corps et monade.

16 19/05/1987 22’57

Textes de Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain (II, chap. 8), les opérations des monades et des corps.

17 26/05/1987 23’16

Les deux étages de la monade, événement, corps et esprit, la monade comme condensation de singularités, elle exprime le monde, les événements sont ses prédicats (et non des attributs), le choix du monde, la pliure.

17 26/05/1987 46’44 Les deux étages de la monade — Les deux aspects essentiels de la monade : le monde n'existe pas hors des monades, puisque tout prédicat est dans le sujet, et les monades n'existent que pour le monde qu'elles expriment ; les forces primitives passives et actives, l'inscription de l'événement dans les corps. Un corps est fait d’infinités de parties actuelles infiniment petites, chez Spinoza et Leibniz, il n'y a jamais de dernière partie.

17 26/05/1987 46’37 Les monades sont finies comme créatures, sont infinies par leurs causes (infinités de prédicats), de l'exigence d'avoir un corps, monade dominante et monade dominée, le vinculum. La notion de loi dans les sciences, Descartes.

17 26/05/1987 05’37

Corps, loi, âme et intériorité, science moderne, nouvelle physique, l'harmonie préétablie, la force des corps, forces dérivatives.

18 02/06/1987 40’25

L'harmonie, la nouvelle harmonie avec Leibniz, se définit par les accords, non plus par des intervalles ou par des influences, la machination voix-instrument, le contrepoint, la musique baroque et l'art de la dissonance.

18 02/06/1987 35’58

L'expressivité de la musique baroque, l'harmonie par accords, des composantes internes du corps résonnant, la nouvelle machination des âmes et des corps, et l'idée du consentement chez Leibniz.

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Index des noms propres

Abraham : 244, 245 Adam : 221, 222 Adorno, Theodor : 307 Akerman, Chantal : 259, 265 Albers, Josef : 229 Allen, Woody : 235 Alliez, Eric : 215, 298 Alquati, Romano : 287 Amin, Samir : 217 Antonioni, Michelangelo : 228, 233, 235, 247, 249, 250, 272, 273 Archimède : 216 Arendt, Hannah : 217 Aristote : 222, 223, 224, 247, 251, 256, 259, 262, 263, 301, 304, 306, 307 Artaud, Antonin : 256, 259, 274, 275, 294 Astruc, Alexandre : 257, 258 Auger, Pascale : 233 Auger, Pierre : 273, 274 Augustin, saint : 252 Austin, John Langshaw : 270 Avicenne : 225 Bacon, Francis : 226, 228, 239 Bakhtine, Mikhaïl : 256, 258 Balazs, Etienne : 215, 270, 273 Balibar, Etienne : 216 Barthes, Roland : 264 Bataille, Georges : 264 Bateson, Gregory : 224, 227 Bayle, Pierre : 300, 307 Bazin, André : 234, 254, 255, 274 Beauffret, Jean : 296 Beckett, Samuel : 236, 237, 274, 281 Bene, Carmelo : 265, 274 Benjamin, Walter : 275, 293 Bentham, Jeremy : 278 Benveniste, Emile : 220, 269, 270, 271, 281 Berg, Alban : 244, Bergman, Ingmar : 232 Bergson, Henri : 222, 229-245, 246, 249, 254, 255, 265, 268, 269, 288, 289, 305, 307 Bernard, Claude : 260 Bichat, Xavier : 283, 290 Biély, Andreï : 261 Blake, William : 250 Blanchot, Maurice : 220, 238, 259, 260, 275, 278, 280, 281, 282, 283, 284, 289, 294, 295 Bloch, Ernst : 297

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Bloch, Jules : 217 Bloomfield, Leonard : 279 Böehme, Jakob : 242, 243 Bonnard, Pierre : 227 Borges, Jorge Luis : 218, 247, 248, 249, 283 Boulez, Pierre : 299 Bouligand, Georges : 216 Bousquet, Joë : 220, 308 Brackage, Stan : 231, 261 Braudel, Fernand : 214, 284 Brecht, Bertolt : 258, 259, 264 Bresson, Robert : 237, 238, 249, 257, 261, 271, 242, 274, 276 Brisset, Jean-Pierre : 277 Brouwer, Luitzen Egbertus Jan : 216 Browning, Tod : 254 Buffon, Georges Louis : 224, 227 Buñuel, Louis : 233, 239 Burch, Noël : 270 Burroughs, William : 257, 293 Butor, Michel : 227 Canguilhem, Georges : 234, Carasco, Edmond, de : 264 Caravage, Michelangelo le : 229, 305 Cassavates, John : 235, 259, 260, 305 Cayrol, Jean : 259 Céline, Louis-Ferdinand : 291 Cézanne, Paul : 221, 223, 226, 227, 228, 229, 231, 251, 274 Chahine, Youssef : Changeux, Jean-Pierre : 261 Chaplin, Charles 234, 235, 251 Chateau, François : 267 Chestov, Léon : 219, 244, 256 Childe, Gordon : 214 Chion, Michel : 271, 272 Chomsky, Noam : 260 Chrysippe : 247 Cicéron : 220 Clair, René : 271 Clairambault, Pierre de : 257, 304 Clastres, Pierre : 214 Claudel, Paul : 221, 226, 258, 259 Clausewitz, Karl Von : 217 Cléanthe : 247 Clisthène : 296 Conrad, Joseph : 223, 226 Coppola, Francis Ford : 293 Couturat, Louis : 223 Criton, Pascale : 263 Cromwell, Oliver : 221

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Cues, Nicolas de : 218, 220, 224, 290, 298 Cuvier, Georges : 290, 291 Dali, Salvador : 257 Damasius : 252 Daney, Serge : 252, 256, 257, 264, 270, 272, 293 Darwin, Charles : 261 Dedekind, Richard : 260 Delacroix, Eugène : 228 Delaunay, Robert : 242, 252, 280 Deledalle, Gérard : 236 Derrida, Jacques : 269 Desargues, Gaspard : 216, 301 Descartes, René : 218, 220, 222, 223, 242, 243, 248, 253, 256, 258, 282, 283, 296, 300, 302, 303, 304, 306, 307, 309 Detienne, Marcel : 296 Diderot, Denis : 264 Dos Passos, John Roderigo : 234, 235, 258, 263 Dostoïevski, Fedor : 220, 241, 256 Dreyer, Carl : 237, 262, 271 Dubuffet, Jean : 309 Ducrot, Oswald : 270 Duhamel, George : 257 Dujardin, Edouard : 257 Dumézil, Georges : 213 Duns Scot, John : 224, 225, 306 Dupréel, Eugène : 245, 246, Duras, Marguerite : 263, 270, 272, 275, 282 Durkheim, Emile : 285 Echyle : 251 Eco, Umberto : 262, 266, 267 Einstein, Albert : 229, 237 Eisenstein, Sergueï : 230, 231, 232, 239, 256, 257, 260, 262, 263, 264, 265, 269, 270, 272, 274, 276 Djilas, Milovan : 285 Eichenbaum, V.M. (Violine) : 268 Eloy, Jean-Claude : 265 Empédocle : 233, 247, 248 Engels, Friedrich : 214, 290 Epicure : 223 Epstein, Jean : 230, 256, 257 Eschyle : 251 Euclide : 223 Eustache, Jean : 259, 260 Ewald, François : 293 Fano, Michel : 271, 273 Fassbinder, Rainer Werner : 233 Faulkner, William : 280

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Faure, Elie : 256, 257, 262 Fellini, Federico : 235, 254 Feuerbach, Ludwig : 289, 290 Fichte, Johann Gottlieb : 219, 258 Fisher, Terence : 232 Fitzgerald, Francis Scott : 219, 234, 249 Fontanier, Pierre : 241, 263 Fontrier, Ambroise : 309 Ford, John : 231, 239 Foucault, Michel : 259, 260, 275, 277-299 Freud, Sigmund : 218 Fromanger, Gérard : 226 Gance, Abel : 230, 242, 256, 276 Gardies, André : 267 Garrel, Philippe : 259, 260 Garroni, Emilio : 266 Gasquet, Jérôme : 226, 231, 274 Gauguin, Paul : 228, 229 Genet, Jean : 239, 285 Gide, André : 285 Giraudoux, Jean : 256 Godard, Jean-Luc : 233, 236, 246, 250, 256, 258, 259, 260, 263, 264, 265, 269, 270, 271, 275, 276 Goebbels, Joseph : 276 Goethe, J. W. von : 226, 228, 229, 236, 241, 243, 244, 280, 303 Gorz, André : 287 Gould, Glenn : 271, 273 Greenberg, Clement : 227, 228 , 274 Grémillon, Jean : 231, 239 Grenier, Jean : 226 Griffith, David : 232, 239, 262 Griss, George : 216 Guattari, Félix : 252, 285, 287 Guéroult, Martial : 223, 224 Guillaume, Gustave : 268, 269, 277 Habermas, Jürgen : 307 Harris, Zelig Sabbetai : 279 Haudricourt, André : 294 Hawks, Howard : 240, 241, 271 Hédin, Louis : 294 Hegel : 220, 239, 241, 243, 244, 259, 264, 265, 292, 296 Heidegger, Martin : 251, 257, 259, 275, 289, 294, 295, 296, 300, 302, 303, 304 Heisler, Hans : 272 Héraclite : 298 Herbin, Auguste : 227 Hérodote : 251 Herzog, Werner : 240, 254 Heyting, Arend : 216

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Hitchcock, Alfred : 232, 241, 271 Hitler, Adolph : 240, 275, 276 Hjelmslev, Louis : 268, 269, 276 Hobbes, Thomas : 215, 220, 221 Hugo, Victor : 246 Hume, David : 238, 241, 258, 259 Husserl, Edmund : 230, 238, 300, 308 Huygens, Christiaan : 300 Hyppolite, Jean : 277 Ivens, Joris : 231, 233 Jacobs, Jane : 214, 215 Jackson, John H. : 260 Jakobson, Roman : 259, 260, 267 Jamblique : 252 James, Henry : 218, 248 James, William : 257 Janet, Pierre : 220, 257 Jarry, Alfred : 295 Jaspers, Karl : 219, 222, 260 Job : 308 Joseph, Isaac : 270, 271 Jost, François : 267 Joyce, James : 257, 258 Jung, Carl Gustav : 218 Jünger, Ernst : 213 Kafka, Frantz : 215, 220, 232, 274 Kandinsky, Wassily : 227 Kant, Emmanuel : 218, 219, 223, 226, 227, 240, 241, 242, 243, 248, 249, 253, 258, 259, 262, 264, 265, 266, 281, 282, 283, 286, 288, 289, 307 Kazan, Elia : 234, 240 Keaton, Buster : 235 Kierkegaard, Soren : 219, 241, 244, 258, 259 Klee, Paul : 226, 242, 277, 283, 300, 309 Kojève, Alexandre : 264 Koyré, Alexandre : 264 Kracauer, Sigfried : 270, 275 Krafft-Ebing, Richard von : 279 Kristeva, Julia : 269 Kubrick, Stanley : 260, 270, 274, 276 Kupka, Frantisek : 226 Kurosawa, Akira : 240 Labov, William : 281 Lacan, Jacques : 269 Landow, George : 231, 232, 261 Lang, Fritz : 232, 234, 269, 270, 271 Langlais, Xavier de : 229 Lautman, Albert : 234

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Lautréamont : 288 Lawrence, David Herbert : 225 Leblanc, Maurice : 247, 249 Leibniz : 217-219, 222, 223, 224, 238, 243, 247, 250, 256, 257, 269, 282, 298, 299-310 Léger, Fernand : 242 Leiris, Michel : 295 Lequier, Jules : 258 Lévi-Strauss, Claude : 266, 285 Lewin, Kurt : 253 Lewis, Jerry : 251 L’Herbier, Marcel : 242, 269 Lizot, Jacques : 214 Linhart, Robert : 217 London, Jack : 240 Losey, Joseph : 231, 239 Louis, Morris : 274 Lubitsch, Ernest : 240 Lucrèce : 223 Lukàcs, György : 287 Lumet, Sidney : 235 Mac Laren, Norman : 272 Maine de Biran, M.F.P.G. : 233 Maldiney, Henri : 222 Mallarmé, Stéphane : 246, 274, 280, 284, 287, 291, 298, 299, 300, 304 Mallet, Serge : 287 Marx, Karl : 213, 214, 215, 216, 217, 290 Mankiewicz, Joseph : 245, 249, 254, 270, 271, 270, 271 Markov, Andreï : 261, 284, 287 Martinet, André : 266 Masoch, Sacher : 219 Mauss, Marcel : 214 Méliès, Georges : 276 Mellaart, James : 214, 215 Melville, Herman : 245, 246, 248, 249, 254, 272, 287, 298 Mandelbrot, Benoît : 227, 300 Mercier, Jacques : 215 Merleau-Ponty, Maurice : 222, 230, 233, 262, 279, 298, 300, 302 Messiaen, Olivier : 242, 243 Metz, Christian : 322, 262, 265, 266, 267, 268 Michaux, Henri : 226, 298 Michel-Ange, Michelangelo : 226 Michelson, Annette : 231, 232 Miller, Henry : 241, 261, 270 Mitry, Jean ; 272 Moïse : 213 Monakow von : 260 Mondrian, Piet : 226, 227, 274 Monge, Gaspard : 216

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Montesquieu, Charles : 213 Murnau, Friedrich W. : 230, 233, 237, 243, 244 Musil, Robert von : 250 Negri, Antoni : 213, 217 Neher, Erwin : 222 Newton, Isaac : 234 Nietzsche, Friedrich : 221, 222, 225, 239, 240, 245, 246, 247, 248, 249, 255, 258, 265, 271, 272, 273, 275, 284, 285, 286, 287, 289, 290, 291, 292, 296, 298, 301 Noguez, Dominique : 263 Ortigues, Edmond : 268, 269 Ozu, Yasujiro : 249, 250, 251, 273, 274 Parain, Brice : 263 Pascal, Blaise : 216, 241, 243, 244, 258, 259, 282, 292, 301 Pasolini, Pier Paolo : 231, 239, 245, 250, 257, 258, 262, 266, 267, 268, 272, 273 Péguy, Charles : 236, 237, 238, 243, 245, 273, 291 Peirce, Charles Sanders : 222, 227, 233, 236, 237, 238, 239, 240, 269 Perrault, Pierre : 246, 264, 265, 268, 273, 277 Pinel, Philippe : 279 Pissaro, Camille : 229, Platon : 221, 223, 224, 236, 245, 246, 248, 251, 252, 258, 259, 283, 287, 292, 294, 295, 296, 304, 305, 306, Plotin : 224, 228, 241, 250, 251, 252, 253, 288, 305, 306 Pollock, Paul Jackson : 226, 274 Poncelet, Jean Victor : 216 Poudovkine, Vsevolod I. : 268 Prenant, Lucy : 217 Prieto, Luis : 266 Prigogine, Ilya : 261 Proclus : 252 Proust, Marcel : 243, 251, 287, 288 Pythagore : 223, 249, 260 Quincey, Thomas de : 299, 304 Raphaël, Sanzio : 228 Rauschenberg, Robert : 274 Ravel, Maurice : 252 Renan, Ernest : 296 Renoir, Jean : 254, 257, 276 Renouvier, Charles : 244, 258 Resnais, Alain : 233, 245, 247, 249, 257, 259, 260, 261, 265, 268, 274, 275, 293 Ricardo, David : 290 Ricardou, Jean : 246 Riefensthal, Leni : 276 Riegl, Aloïs : 224, 227, 228 Riemann, Bernhard : 234 Rilke, Rainer Maria : 289

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Rimbaud, Arthur : 248, 253 Rivette, Jacques : 260, 265 Rivière, Pierre : 284 Robbe-Grillet, Alain : 245, 246, 247, 249, 253, 259, 266, 267, 273, 274, 275, 276 Robeson, Paul : 233 Rocha, Glauber : 277 Rohmer, Eric : 245, 272, 273, 274 Rolland, Romain : 220, 248 Rose, Steven : 261 Rossellini, Roberto : 236, 250, 251, 258, 259, 270, 275, 276 Roth, Karl Heinz : 217 Rouch, Jean : 265, 268, 273, 277 Rousseau, Jean-Jacques : 221, 222, 223, 227 Roussel, Raymond : 278, 280, 282, 283, 284, 285, 291, 294, 295 Rousset, Jean : 301, 302 Rubens, Petrus Paulus : 229 Russell, Bertrand : 216, 224, 245 Ruttmann, Walter : 231 Sade, D.A.F. 220, 258, 264 Sarraute, Nathalie : 271 Sartre, Jean-Paul : 236, 244, 259, 263, 281, 287, 301 Saussure, Ferdinand : 238 Schefer, Jean-Louis : 250, 256, 267 Schelling, F.W.J : 241, 243, 252 Schlegel, August et Friedrich : 290 Schmit, Daniel : 233 Schoenberg, Arnold : 273 Schopenhauer, Arthur : 229, 272, 286 Schrader, Paul : 250 Schuhl, Pierre-Maxime : 247 Scolem, Gershom : 303 Scorsese, Martin : 235, 276 Serres, Michel : 243, 301 Seurat, Georges : 227, 228, 229 Signac, Paul : 228 Simmel, Georg : 270, 271 Simondon, Gilbert : 227, 260, 261, Smith, Adam : 290 Snow, Michaël : 274 Socrates : 220, 266 Spinoza, Baruch : 219, 220-226, 236, 248, 257, 283, 288, 289, 298, 305, 309 Stengers, Isabelle : 261 Sternberg, Josef von : 232, 234, 270, 274 Straub, Jean-Marie et Huillet, Danièle : 233, 236, 265, 273, 274, 275, 282 Straus, Erwin : 221 Stroheim, Eric von ; 230, 233 Syberberg, Hans Jürgen : 270, 273, 274, 275, 276, 282, 293 Tarde, Gabriel : 262, 270, 279, 285

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Tarkovsky, André : 254 Tati, Jacques : 235, 250, 251, 271 Tchekhov, Anton : 223 Thibaudet, Albert : 223 Thomas d’Aquin : 225 Tintoret, Jacopo Robusti, le : 229, 305 Titien, Tiziano Vecellio : 229 Tökei, Ferenc : 213, 214, 215 Tolstoï, Léon Nikolaïévitch : 259, 262 Tourneur, Jacques : 232, 233 Toynbee, Arnold : 217 Tronti, Mario : 285, 287, 293 Turner, J.M.W : 226, 228, 254 Turro, Nicholas J. : 218 Valéry, Paul : 257 Van Eyck, Hubert et Jan : 229 Van Gogh, Vincent : 226, 228, 229 Varda, Agnès : 233, 265 Varèse, Edgard : 274 Vélasquez, D.R.S : 280, 284 Vendryes, Pierre : 261 Vernant, Jean-Pierre : 231, 296 Vertov, Dziga : 231, 237, 269 Veyne, Paul : 214 Vidal-Naquet, Pierre : 296 Vigo, Jean : 231, 257 Vigotsky, Lev Semyonovitch : 268 Villain, Dominique : 273 Vinci, Léonard de : 228 Virilio, Paul : 217, 256, 257, 276, 283, 292, 293 Visconti, Luchino : 233, 250, 254, 255, 276 Wagner : 272, 275, 276 Weil, Eric : 264 Welles, Orson : 215, 235, 245, 246, 247, 249, 255, 268, 275 Wenders, Wim : 232, 233 Whal, Jean : 224 Whitehead, Alfred North : 230, 236, 301, 302, 304, 305, 306, 307 Wittfogel, Karl August : 213 Wölfflin, Heinrich : 228, 299, 300, 303, 304 Woolf, Virginia : 248 Worringer, Wilhelm : 227, 246 Zénon d’Elée : 220

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Table des matières

INTRODUCTION p. 3

PREMIÈRE PARTIE Le style polyphonique de l’enseignement de Gilles Deleuze à Saint-Denis

Chapitre I. L’univocité de la parole philosophique

1. La fonction du cours : vérifier p. 12

2. Mai 68 et « le problème de l’expression » philosophique p. 23

3. L’auditeur artiste des séances p. 27

Chapitre II. Une dialogique orale

1. « Double capture » p. 32

2. Le tableau et le professeur p. 39

3. Un cours sur le « pli » p. 48

Chapitre III. Une politique de la perception

1. De l’usage du Je et du On p. 56

2. Percevoir à la surface p. 69

3. Le discours indirect libre p. 82

DEUXIÈME PARTIE Autour de l’écart creusé par Deleuze vis-à-vis de la philosophie universitaire

Chapitre I. L’enseignement à Vincennes

1. Philosophie mineure p. 90

2. Une philosophie artiste p. 100

3. L’enseignement et l’enregistrement p. 130

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Chapitre II. Inventer l’usage du concept

1. L’auditeur autonome p. 141

2. Pragmatique du concept p. 153

3. La recherche philosophique p. 158

Chapitre III. Vers le destin posthume de la philosophie orale de Deleuze

1. Corpus sonore et enregistrement audiovisuel p. 164

2. À faire le corpus sonore comme outil dialogique p. 174

3. Mise en scène et « entretien infini » p. 181

CONCLUSION p. 191

BIBLIOGRAPHIE p. 201

ANNEXES

Inventaire raisonné du corpus sonore p. 213

Index des noms propres p. 311