Théorie du détour

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© Anne Worms & Sonia Souiou pour MonPsychologue.com Tous droits réservés - 2008 Une approche psycho-bio-sociale de l’homme : La Théorie du Détour de Michel Cariou Etude basée sur le livre: Personnalité et vieillissement : Introduction à la psycho- gérontologie de Michel Cariou (Edition Delachaux et Niestlé, 1995) La théorie du détour de M. Cariou rentre dans le cadre d’une approche basée sur le cycle de vie qui permet de rendre compte du fonctionnement psychologique humain dans son ensemble et ce à tous les stades de son existence. Il s’agit d’une approche globale de l’individu et de son psychisme qui prend ses sources dans la théorie développementale de Henri Wallon. Il faut partir du postulat selon lequel notre psychisme, est une interface entre le biologique et le social avec l’activité comme outil adaptatif par rapport à notre milieu, Elle s’inscrit dans la continuité de l’évolution des espèces. Ainsi que l’écrit M. Cariou : «… l’activité nerveuse supérieure ne peut être autre chose qu’un moyen par lequel se réalise le processus adaptatif, un moyen de maintenir la vie de l’organisme qui l’exerce, et, à travers lui d’assurer la survie de l’espèce. » i En effet tout comme le fonctionnement sensori-moteur d’un organisme a pour but de maintenir celui-ci en vie, le fonctionnement psychique développé par l’être humain tend vers ce même but, cette même fonction. Or si l’organisme a pour objectif sa propre survie, celle-ci est en lien étroit avec le milieu dans lequel il évolue et qui pour l’homme correspond au milieu social qu’il a créé et dont il est issu à la fois. La théorie du détour rend compte de l’aspect dynamique du psychisme humain qui se développe en interaction avec son environnement, son milieu social. En effet l’homme est en évolution constante en fonction du cadre dans lequel il vit, évolution nécessaire pour suivre les changements aussi bien externes qu’internes qui interviennent tout au long de sa vie. Si cette adaptation est évidente sur le plan physique elle intervient aussi au niveau psychologique. L’homme se trouve dans une dynamique adaptative, c’est-à-dire qu’il ajuste son fonctionnement, son comportement en fonction des caractéristiques de son environnement et ce dans le but de maintenir le meilleur équilibre vital possible avec celui-ci. C’est à travers son activité que l’organisme est en lien avec le milieu dans lequel celle-ci se déploie. L’activité est « le trait d’union indispensable entre les deux » ii (l’organisme et le milieu). L’activité humaine est donc par nature adaptative et elle se doit, pour être efficace

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Une approche psycho-bio-sociale de l’homme : La Théorie du Détour de Michel Cariou

→ Etude basée sur le livre: Personnalité et vieillissement : Introduction à la psycho-gérontologie de Michel Cariou (Edition Delachaux et Niestlé, 1995)

La théorie du détour de M. Cariou rentre dans le cadre d’une approche basée sur le cycle de vie qui permet de rendre compte du fonctionnement psychologique humain dans son ensemble et ce à tous les stades de son existence. Il s’agit d’une approche globale de l’individu et de son psychisme qui prend ses sources dans la théorie développementale de Henri Wallon.

Il faut partir du postulat selon lequel notre psychisme, est une interface entre le biologique

et le social avec l’activité comme outil adaptatif par rapport à notre milieu, Elle s’inscrit dans la continuité de l’évolution des espèces. Ainsi que l’écrit M. Cariou :

«… l’activité nerveuse supérieure ne peut être autre chose qu’un moyen par lequel se réalise le processus adaptatif, un moyen de maintenir la vie de l’organisme qui l’exerce, et, à travers lui d’assurer la survie de l’espèce. » i

En effet tout comme le fonctionnement sensori-moteur d’un organisme a pour but de maintenir celui-ci en vie, le fonctionnement psychique développé par l’être humain tend vers ce même but, cette même fonction.

Or si l’organisme a pour objectif sa propre survie, celle-ci est en lien étroit avec le milieu dans lequel il évolue et qui pour l’homme correspond au milieu social qu’il a créé et dont il est issu à la fois.

La théorie du détour rend compte de l’aspect dynamique du psychisme humain qui se

développe en interaction avec son environnement, son milieu social. En effet l’homme est en évolution constante en fonction du cadre dans lequel il vit, évolution nécessaire pour suivre les changements aussi bien externes qu’internes qui interviennent tout au long de sa vie.

Si cette adaptation est évidente sur le plan physique elle intervient aussi au niveau

psychologique. L’homme se trouve dans une dynamique adaptative, c’est-à-dire qu’il ajuste son fonctionnement, son comportement en fonction des caractéristiques de son environnement et ce dans le but de maintenir le meilleur équilibre vital possible avec celui-ci.

C’est à travers son activité que l’organisme est en lien avec le milieu dans lequel celle-ci se

déploie. L’activité est « le trait d’union indispensable entre les deux »ii (l’organisme et le milieu). L’activité humaine est donc par nature adaptative et elle se doit, pour être efficace

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d’être « souple et variée ». C’est ainsi que l’accord vital avec le milieu est préservé voire amélioré.

Lorsque cet équilibre est rompu l’organisme se doit donc de réélaborer une nouvelle position, ce qui passe, selon M.Cariou, par une phase centripète pendant laquelle la personne intériorise les changements intervenus dans le milieu, se réorganisant en fonctions d’eux, afin de réussir son adaptation et de passer à une phase centrifuge où il va redéployer dans le milieu l’activité découlant de ses nouvelles acquisitions afin de les exercer et de les affiner.

Les circonstances qui amènent à utiliser cette stratégie adaptative sont nombreuses et se

succèdent tout au long de notre existence, que ce soit les transformations physiques, biologiques que nous subissons tous, les acquisitions éducatives et sociales liées aux feed-backs familiaux puis sociaux en général ou encore les épisodes de la vie heureux ou malheureux qui amènent des changements notables (mariage, accident, maladie, promotion…). Et notre construction psychique n’échappe pas à cette règle, au contraire. Comme l’explique Henri Wallon : « L’activité mentale ne se développe pas sur un seul et même plan par une sorte d’accroissement continu. Elle évolue de système en système »iii

En effet chaque nouvelle étape de développement consiste en une réorganisation, une intériorisation de l’étape précédente à un niveau supérieur.

La théorie du détour fait ressortir un certain nombre d’étapes de développement, communes

à tous, qui nous obligent à chaque fois à une réélaboration, une restructuration psychique interne sur un niveau différent. A chaque fois, il s’agit de faire un détour, c’est-à-dire de s’éloigner un temps de l’objectif final (la survie, par un équilibre organisme/milieu) en passant par une phase de rupture avec l’équilibre antérieur pour atteindre un niveau d’adaptation supérieur. Il existe 5 étapes principales caractérisées chacune par des capacités physiques et psychiques particulières :

- Etape 1 : Elle commence avec la vie intra-utérine et inclut les premiers mois suivant

la naissance. Elle est « tournée principalement vers l’adaptation biologique au milieu »iv . En effet, il s’agit pour le nouveau-né d’exercer dans le milieu physique les compétences de bases qu’il a, malgré son état de prématuration, comme respirer, téter, et ainsi d’affiner, d’ajuster ces activités en fonctions des effets qu’elles produisent en terme surtout de sensations. L’enfant, au cours des premiers mois de vie n’est pas particulièrement tourné vers le milieu humain, qui se confond encore avec le milieu physique en général.

→ Premier détour (accès à la communication émotionnelle) - Etape 2 : Autour de 6 mois l’enfant entre dans ce qui correspond à la phase

émotionnelle de Wallon, phase ou l’enfant va alors pouvoir affiner sa rencontre avec le milieu humain et ce en passant par la communication émotionnelle. Pendant cette étape il s’agira pour lui de bien se différencier de ce milieu avec lequel il est encore confondu.

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→ Deuxième détour (accès à la pensée symbolique) - Etape 3 : C’est l’étape où l’enfant, prenant conscience de l’existence de son moi, va

tenter de lui donner du contenu et ce en l’opposant à ce qu’il n’est pas : l’Autre. On peut la situer entre 2 et 11-12 ans environ.

→ Troisième détour (accès à la pensée formelle) - Etape 4 : L’adolescence avec tous ses bouleversements signe l’entrée dans une

nouvelle étape. Avec l’accès à la pensée formelle, la personne change de registre adaptatif pour passer à un niveau plus abstrait. Il s’agit de différencier le Moi et l’Autre mais sur un plan supérieur, à travers les concepts d’Identité et d’Altérité.

→ Quatrième détour (effets biologiques du vieillissement) - Etape 5 : Elle correspond à la vieillesse. Les changements biologiques ainsi que

souvent le changement au niveau de l’activité entraînent la nécessité d’une nouvelle réorganisation psychique. En effet, la dégradation des capacités physiques, sensorielles, voire cognitives remettent la personne en situation de déséquilibre par rapport à l’élaboration identitaire issue de l’adolescence. Il lui faut élaborer un nouveau rapport adaptatif organisme/milieu.

1) La mise en place de la structure psychique

a) La différenciation Moi/Autre

A la naissance l’enfant n’a aucune conscience, ni de son existence, ni de celle de son entourage. C’est à travers la communication émotionnelle avec son milieu social, donc principalement sa mère, qu’il va petit à petit se différencier de l’extérieur, de son milieu, on parle d’ailleurs de différenciation Moi/ Milieu.

Avec l’exercice de son activité dans ce milieu, de sa capacité à provoquer des réactions par

son comportement, à commencer par les pleurs qui font venir sa mère, l’enfant réalise au fil du temps qu’il y a d’une part ses émotions, qu’il exprime à travers cette activité, et celles de l’autre. Petit à petit il apprend à les dissocier. Lorsqu’un autre se fait mal par exemple, il ne commence plus à pleurer comme il le faisait avant car il se rend compte qu’il ne partage pas la douleur de l’autre, il échappe ainsi peu à peu à ce qu’on appelle la contagion émotionnelle, qui lui aura par ailleurs permis auparavant de s’intégrer au milieu humain. Car c’est par la communication émotionnelle que l’enfant rentre, prend place dans le milieu social.

C’est comme ça que petit à petit, dans cette sphère participative qu’est l’émotion, se dissocient deux pôles : le Moi et l'Autre.

C’est avec l’accès à la pensée symbolique, et donc au langage, que cette polarisation est rendue possible. C’est-à-dire que l’enfant « accède à la capacité de différencier un signifiant d’un signifié, c’est-à-dire de conférer à la représentation symbolisée une équivalence fonctionnelle avec la représentation directe de l’objet externe »v

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C’est avec la pensée symbolique que l’enfant entame une nouvelle étape marquée par l'émergence de la conscience réflexive, de la conscience d'être soi et d'être différent de l'Autre.

Le rapport à l’Autre commence donc à s’instaurer ici, et de ce fait la manière dont se

déroulera déjà cette étape aura une influence sur la capacité de la personne à développer des rapports intersubjectifs.

C’est là que l’enfant commence à appréhender l’Autre en tant que personne globale: - D’un côté il donne du contenu à son Moi émergeant à travers des choses qu'il va

pouvoir identifier comme étant lui. Il intériorise les conduites de bases approuvées par son entourage comme le caractérisant. A travers ces conduites il pourra non seulement se reconnaître mais également être reconnu.

- D’autre part et parallèlement à cela, l’enfant se différencie de l’Autre. La construction

du Moi est indissociable de celle de l’Autre. Si le Moi c’est ce que je suis, l’Autre c’est d’abord tout ce que je ne suis pas. L’enfant construit donc son Moi dans la différenciation d’avec l'Autre. Il s’agit de faire cette séparation sur le plan psychique car les deux pôles ont été intégrés à la structure psychique lors de la phase d’indifférenciation. Ici l’Autre c’est ce qu'il faut expulser de la sphère psychologique (consciente du moins) pour que le Moi se retrouve. Cet Autre intériorisé sert en quelque sorte d’intermédiaire, de médiateur dans la rencontre de l’Autre réel. En effet il s’agit pour l’enfant de rentrer dans le monde des représentations, qui s’intercale entre lui et le monde des pures sensations dont il sort.

Ainsi l’enfant rentre dans un nouveau mode de participation au milieu basé essentiellement

sur ces conduites sociales et sur les retours positifs ou négatifs que lui renvoie l’entourage : c’est l’activité de relation. Il développe ainsi un certain nombre de conduites en fonction de situations concrètes.

Mais à ce stade l’être et l’avoir sont confondus ; l’enfant rapporte tout à lui donc le Moi (ce que je suis) se confond avec les conduites (ce que je fais). C’est-à-dire que le Moi de l’enfant tient essentiellement dans la mise en relation entre une situation donnée et le « bon » comportement correspondant. Il n’est pas encore capable de se détacher du modèle externe concret et donc de s’adapter à une situation inconnue par la mise en place d’une nouvelle modalité d’être.

b) La différenciation Identité/Altérité Cette différenciation Moi/Autre se poursuit et s’affine au cours de l’adolescence. L’adolescence se caractérise par une période de crise ; la crise qui marque la sortie de

l’enfance et prépare l’entrée dans la vie adulte, elle vient faire en quelque sorte rupture par

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rapport à une modalité adaptative que l'enfant avait réussi à mettre en place sur la base de la différenciation du Moi et de l'Autre.

La crise n’est pas ici à comprendre comme un épisode forcément dramatique, catastrophique, comme une période de difficultés insurmontables, mais plutôt comme un passage nécessaire et potentiellement constructif pour intégrer les transformations qu’implique la maturation physique ainsi que le changement de statut qui l’accompagne. En fait, il s’agit d’une remise en chantier, une réélaboration, donc une période de richesse potentielle accrue, mais en même temps, il ne faut pas l’occulter, une période de vulnérabilité, de fragilité pour le sujet qui la traverse.

Les moments difficiles que traverse tout adolescent (le contraire serait inquiétant) sont dus

au fait que se déroule sur le plan psychique un conflit entre des modalités d’êtres acquises et perfectionnées dans l’enfance et avec lesquelles la personne sait fonctionner, et la nécessité de diriger sa trajectoire d’individuation vers l’autonomisation indispensable à la vie adulte ; autonomisation que ces modalités infantiles ne permettent pas. Comme nous l’avons vu l’enfant, avec la pensée symbolique concrète, était resté jusque là dépendant de modèles externes ; il continuait donc à être tributaire du contrôle et de la protection externe apportés par son environnement familial.

Il s’agit donc pour l’adolescent de dépasser ses identifications infantiles qui sont mises à distance en même temps qu’il remet en cause le modèle familiale dans lequel il s’est construit jusqu’alors et qu’il n’a pas été réellement amené à interroger en tant qu’enfant. L’enjeu devient pour lui d’aller chercher son identité propre, en dehors de son seul cercle familial afin de mettre en travail sa capacité à survivre, à vivre indépendamment de ce cercle.

L’adolescent va tenter de se faire une représentation générale du monde et cela passe entre

autres par les idéologies. Elles sont présentes autour de lui depuis sa naissance puisque c’est à travers des idéologies que les parents ont dirigé leur manière de l’élever, son éducation ; elles sont aussi présentes à un niveau social plus large, l’adolescent en est donc imprégné ne serait-ce que de manière inconsciente mais il va devoir, pour se forger son identité propre, mettre cela en forme, donner à cet ensemble de valeurs une cohérence interne/externe.

Si la puberté et la maturité sexuelle amènent chez l’adolescent des bouleversements non

négligeables et une forte perturbation de la stabilité émotionnelle qui participent à la remise en cause de ses identifications infantiles, c’est l’arrivée de la pensée formelle qui va effectivement permettre un changement de registre adaptatif.

La crise d'adolescence doit permettre au sujet de passer à l'échelle au-dessus, à un moment

ou il deviendra capable de s'autocontrôler et de s'auto sécuriser, de se protéger seul. La pensée formelle va lui ouvrir la voie à cela en lui permettant l'accès à la temporalité. Et donc :

- A l'élaboration d’un projet

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- A la visée d'objectifs sociaux en fonction de modèles identificatoires de type idéologiques et non pas seulement concrets comme les parents, des amis ou l'instituteur.

En effet, l’enfant était cadré par des feed-backs externes (parentaux) alors qu’à

l’adolescence les feed-backs sont petit à petit intériorisés pour se baser plutôt sur des objectifs, des buts personnels, que ceux-ci soit érigés en projets de vie ou en simples possibilités pour l’avenir proche.

D’autre part, l’accès à l’abstraction permet à l’adolescent d’intégrer les représentations de ces modèles de conduites externes et donc de les généraliser à des situations nouvelles, il peut désormais les ajuster, les moduler en fonctions des conditions qu’il rencontre.

La pensée formelle rend donc l’adolescent capable d'assurer son unité fonctionnelle, son unité en tant que sujet, l'intégration de toutes les facettes qu'il a développées dans le sentiment d'être un, d'être une personne et de le faire de manière interne. Cela lui permet en somme de mettre en place une modalité interne de gestion de son unité.

La problématique du Moi et de l'Autre va devoir changer elle aussi d'échelle. Elle va désormais se poser en termes plus abstraits et plus généraux ; on parlera d’Identité et d’Altérité.

L’adolescent va élargir la définition de son Moi en fonction de son groupe d’appartenance

social et l’intégrer en une identité. De même l’Autre va être intégré dans l’ensemble abstrait des autres groupes sociaux qui représentent l’Altérité. C’est donc logiquement à ce stade que se forme la notion même d’altérité. L’autre, en tant qu’individu à part entière, en tant que sujet, émerge ici, permettant à la personne d’instaurer un réel rapport d’intersubjectivité. En effet cela suppose non seulement la mise en place d’une subjectivité interne, d’une identité stable, c’est-à-dire que l’adolescent se pose lui même en tant que sujet, mais également la reconnaissance d’une subjectivité chez l’autre.

A partir de là, les activités de l’organisme sont restructurées en unités fonctionnelles, ou identificateurs, qui lui permettent de participer à l’activité du groupe et d’être reconnu socialement. Tout au long de sa vie, l’action de la personne est ensuite liée à des objectifs symboliques intériorisés pendant l’adolescence dans les identificateurs.

Mais cette réorganisation psychique, qui va fonder et fixer la personnalité adulte du sujet, se

fait en fonction d’un identificateur central, à savoir: le Genre. En effet le Genre est le support idéologique de la différenciation Identité/Altérité. Il permet

à l’individu de s’inscrire dans une continuité, une cohérence, aussi bien sur le plan de toutes ses activités, connotées par le Genre, que sur le plan de son identité interne. C’est autour de cet identificateur que vont graviter les identificateurs partiels, c’est-à-dire les supports secondaires de l’identité que peuvent être par exemple le travail, la beauté, le conjoint, la famille, et bien d’autres choses encore.

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c) L’identificateur de Genre

A l’adolescence le concept d’Autre s’affinant, il n’est plus « tout ce qui n’est pas moi », mais, en rapport avec l’émergence de la sexualité, l’Autre devient de façon privilégié l’autre sexe. On se définit en tant que femme par rapport, et par opposition à l’homme et vice versa. Cette bipolarité de la construction identitaire à l’adolescence est la façon la plus commode d’intégrer cette identité d’une manière contrôlée par la personne et en même temps reconnue sur le plan social.

En effet le Genre est l’identificateur le plus propre à permettre l’intégration globale de

l’identité :

- Sur le plan vertical, puisque le Genre ne change pas tout au long de notre vie et permet de nous définir de l’enfance jusqu’à la fin de la vie.

- Sur le plan horizontal, puisque le Genre sert à connoter toutes nos activités, nous les exerçons en tant qu’homme ou que femme.

Le Genre est le lien qui permet donc d’unifier l’individu et autour duquel il peut se

construire à tous les niveaux. L’identité de Genre englobe les identificateurs partiels de la personne. Il peut rendre compte aussi bien de ses valeurs, de ses activités, de ses relations sociales, etc. C’est cette organisation centrée sur le Genre qui permet à la personne de trouver une cohérence entre son vécu interne et ses conduites, son activité.

Une bonne intégration de l’identificateur/différenciateur de Genre à l’adolescence est une condition essentielle pour la mise en place d’une identité adulte stable, cela permet de résister aux changements, aux bouleversements qui peuvent intervenir au cours de l’existence. Lorsque des identificateurs partiels sont mis à mal, comme par exemple si la personne perd son travail, son identité globale n’en est pas fondamentalement remise en cause si elle est basée sur le Genre qui lui ne bouge pas et reste comme un repère fixe.

On peut donc conclure que l’adolescence est une période clé en ce qui concerne la mise en

place de la personnalité adulte, bien qu’il ne faut pas oublier que celle-ci découle aussi du vécu infantile.

Cette longue période de bouleversements et de restructurations qui marque le passage à

l’âge adulte permet au sujet d’unifier sa conception de lui-même par rapport au monde et ce sur le plan abstrait et, de manière idéale, autour du Genre, comme l’explique M. Cariou :

« Il est clair que l’organisation intégrée de la personne dans les termes d’une identité de genre est un enjeu majeur de l’adolescence et du jeune adulte. De la qualité de cette interaction dépend forcément la capacité des activités développées socialement à symboliser plus ou moins la personne totale, et donc, pour celle-ci, la possibilité de s’approprier les objectifs atteints. »vi

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d) Les carences élaboratives

A travers les différentes étapes de développement que nous avons détaillées, nous avons tenté de décrire ce que pourrait être le parcours normal d’un sujet pour arriver à une personnalité, à une identité stable à l’âge adulte.

Pourtant la construction identitaire peut ne pas se dérouler correctement et dans ce cas on parlera de carences élaboratives.

Dès la construction de la différenciation Moi/Autre il peut y avoir un manque, une

insuffisance ; il n'est pas certain que tout le monde réussisse à élaborer l'Autre. Mais par conséquent, si on n'a pas réussi à élaborer l'Autre c'est qu'on n'a pas réussi à élaborer le Moi de manière correcte non plus.

Pourtant, le développement de l’enfant ne s’arrête pas pour autant, il continue à grandir mais il ne grandit pas de la même façon suivant le degré d'élaboration de l'Autre et donc du Moi qu'il aura réussi à mettre en place. Donc, on a des trajectoires adaptatives qui vont découler de la façon dont s'est faite cette étape et qui vont donner lieu à une diversité de manières d'être au monde, de fonctionnements dépendants de la manière dont s’est déroulée l’intégration psychique.

Tout au long du développement la trajectoire adaptative d’une personne peut dévier. Les

restructurations qui se font à partir de ces déviations ne sont pas inscrites de manière systématique comme une carence par rapport à ce qui aurait dû être. Il n'y a pas de modèle initial. Il y a une marche en avant qui, suivant les opportunités ou les obstacles qu'elle rencontre, va prendre un chemin ou un autre. Simplement certains chemins risquent de conduire la personne dans des impasses adaptatives.

Une carence au niveau du développement de l’identité découle en général d’un mauvais

étayage identitaire. C’est-à-dire que celui-ci est basé non pas sur le Genre comme identificateur central mais sur un autre support moins global.

Si au cours de l’adolescence l’identificateur de Genre a été mal intégré, alors il ne peut tenir son rôle d’intégrateur de l’identité, d’unificateur. De ce fait l’identité de la personne se construit sur des modalités partielles qui sont normalement intégrées au Genre comme le métier ou l’apparence physique.

Lorsque l’identité repose sur ces identificateurs partiels elle n’est plus définie par un

élément stable qui ne change pas. Les identificateurs partiels sont non seulement instables mais de plus ils risquent de disparaître au cours de la vie remettant ainsi en cause l’équilibre identitaire du sujet. En effet tant que ces identificateurs sont présents le sujet arrive à s’adapter au milieu en fonction d’eux mais lorsqu’ils viennent à disparaître il y a rupture adaptative, la continuité psychique du sujet est mise à mal ce qui le fragilise au plan

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psychologique et peut conduire à la chronicisation d’un dysfonctionnement organisme/milieu si le lien n’est pas rétabli ou modifié.

i Cariou Michel, Personnalité et vieillissement, Introduction à la psycho-gérontologie Éditions Delachaux et Niestlé, 1995 (p.120) ii Idem (p.121) iii Wallon Henri, L’évolution psychologique de l’enfant, Editions Armand Colin, Coll. Cursus, Paris, 1968 (p.19) iv Cariou Michel, Personnalité et vieillissement, Introduction à la psycho-gérontologie Éditions Delachaux et Niestlé, 1995 (p.147) v Idem (p.139) vi Idem (p.160)