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103 S ÉQUENCE Récit, narrateur, point de vue 5 OBJECTIFS : > Choisir un narrateur > Comprendre les différents points de vue narratifs DES TEXTES Le Capitaine Fracasse, de Marcel MARÉCHAL Le Capitaine Fracasse, de Théophile GAUTIER Attention fragiles, de Marie-Sabine ROGER Dans le labyrinthe, d’Alain ROBBE-GRILLET « Vanina Vanini », de STENDHAL Au Bonheur des dames, d’Émile ZOLA DES IMAGES Bout d’homme, « Karriguel An Ankou », de Jean-Charles KRAEHN Arthur, « Gwalchmel le héros », de CHAUVEL, LERECULEY, SIMON À L’ÉCRIT Composer un récit L’image : cadrage et angle de vue .................. fiche 11 p. 268 Les mots dans le texte : le champ lexical ......... fiche 33 p. 338 Le point de vue dans le texte .......................... fiche 35 p. 344 Les effets dans le texte ................................... fiche 36 p. 346 Outils de langue privilégiés > Bilan de la séquence : Victor HUGO, Les Misérables ÉTUDIER S’EXPRIMER Sur internet > Le point de vue narratif : http://www.weblettres.net/framanet/. Demander : narrateur . La focalisation : http://www.ac-rouen.fr/lycees/jeanne-d-arc/recit/focal.html

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S É Q U E N C ERécit, narrateur, point de vue

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OBJECTIFS :> Choisir un narrateur > Comprendre les différents points de vue narratifs

D E S T E X T E S● Le Capitaine Fracasse, de Marcel MARÉCHAL● Le Capitaine Fracasse, de Théophile GAUTIER● Attention fragiles, de Marie-Sabine ROGER● Dans le labyrinthe, d’Alain ROBBE-GRILLET● « Vanina Vanini », de STENDHAL● Au Bonheur des dames, d’Émile ZOLA

D E S I M A G E S● Bout d’homme, « Karriguel An Ankou », de Jean-Charles KRAEHN● Arthur, « Gwalchmel le héros », de CHAUVEL, LERECULEY, SIMON

À L ’ É C R I T● Composer un récit

● L’image : cadrage et angle de vue .................. fiche 11 p. 268● Les mots dans le texte : le champ lexical......... fiche 33 p. 338● Le point de vue dans le texte.......................... fiche 35 p. 344● Les effets dans le texte ................................... fiche 36 p. 346

Outils de langue privilégiés>

Bilan de la séquence : Victor HUGO, Les Misérables

É T U D I E R

S ’ E X P R I M E R

Sur internet>● Le point de vue narratif :

http://www.weblettres.net/framanet/. Demander : narrateur .

● La focalisation : http://www.ac-rouen.fr/lycees/jeanne-d-arc/recit/focal.html

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S > L’absence de narrateur

1. Agostin :un brigand dontChiquita est l’amie.

2. la Bonne Mère :la Sainte Vierge. C’est la mère de Jésus,fondateur de lareligion chrétienne.

3. l’autel : dans lareligion chrétienne,table sur laquelle oncélèbre la cérémonieappelée messe.

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La scène se passe au XIXe siècle. Isabelle, une jeune comédienne, explore le châteauinconnu dans lequel elle est séquestrée. Voici qu’elle rencontre par hasard Chi-quita, une jeune bohémienne de quinze ans à laquelle elle a donné, autrefois, soncollier de perles.

ISABELLE (après un temps). Que fais-tu ici ? As-tu mission de me garder ?CHIQUITA. Non. J’ai suivi de loin Agostin1 et les hommes masqués denoir. Je suis venue toute seule.

ISABELLE. Et tu n’as pas eu peur à errer sans chandelles à travers ces couloirspleins de ténèbres ? CHIQUITA. Chiquita ne connaît pas la peur de la nuit. Ses yeux voient dansl’ombre. Si elle rencontre une chouette, la chouette ferme ses prunelles ; lachauve-souris ploie ses ailes quand elle approche ; le fantôme se range pour lalaisser passer ou retourne en arrière. La nuit est sa camarade et ne lui cacheaucun de ses mystères. Chiquita sait tout de la nuit ; mais elle ne l’a jamais ditau jour. (Après un temps, elle s’assoit à côté d’Isabelle à terre). J’aime bien être àcôté de toi. Tu es belle. Tu ressembles à la Bonne Mère2 que j’ai vue briller àl’église. Mais ils m’ont chassée de l’autel3 avec des chiens parce que je suis malpeignée et « bronzée ». (Lui prenant la main.) Ta main est blanche ! La mienneposée dessus a l’air d’une patte de singe. Je suis laide, hein ? ISABELLE. Non, tu as ta beauté aussi. Avec de beaux habits, tu peux valoir lesplus jolies filles. CHIQUITA. Tu crois ; et alors Agostin m’aimera !Un temps.ISABELLE. Sais-tu où nous sommes ? CHIQUITA. Dans le château appartenant au seigneur qui a tant d’argent et quivoulait déjà te faire enlever à Poitiers. Je n’avais qu’à tirer le verrou, c’était fait.Mais tu m’avais donné le collier de perles.ISABELLE. Cette fois, tu as failli me trahir.CHIQUITA. Agostin avait commandé ; j’aurais dû obéir. ISABELLE. Comment se nomme le château où l’on me tient prisonnière ? CHIQUITA. Vallombreuse ! Oui, je crois que c’est le nom du château où noussommes. J’en suis sûre maintenant. Le nom même du seigneur que ton ami lecapitaine Fracasse a blessé en duel. Tu le hais, hein ? Tu voudrais lui échapper ? ISABELLE. Comment faire ? Un fossé profond entoure ce château du malheur.CHIQUITA. Avant que le soleil se lève, le capitaine saura où est cachée cellequ’il cherche. Avec l’aide d’Agostin je vais sortir d’ici. Adieu ! Je serai bientôtde retour. On marche vite au clair de lune.

Isabelle se retrouve seule.

Marcel MARÉCHAL, Le Capitaine Fracasse, d’après T. Gautier, © Papiers Actes Sud, 1987.

ChiquitaT E X T E 1

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S> La présence d’un narrateur

1. exalté : rendu plusvif, excité.

2. inculte : qui n’a pasde connaissances.fébrile : qui s’excitefacilement.

3. la Vierge : la mèrede Jésus, fondateur dela religion chrétienne.

4. les fidèles :les personnes quipratiquent unereligion.

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«Comment se fait-il que tu sois ici ? lui dit Isabelle après un momentde silence. As-tu pour charge de me garder ?– Non, répondit Chiquita, je suis venue toute seule où la lumière

et le feu m’ont guidée. […]– Et tu n’as pas eu peur à errer sans chandelle, à travers ces longs couloirs

obscurs, ces grandes chambres pleines de ténèbres ? – Chiquita ne connaît pas la peur ; ses yeux voient dans l’ombre, ses pieds

y marchent sans trébucher. Si elle rencontre une chouette, la chouette fermeses prunelles ; la chauve-souris ploie ses membranes quand elle approche, lefantôme se range pour la laisser passer ou retourne en arrière. La Nuit est sacamarade et ne lui cache aucun de ses mystères. Chiquita sait le nid du hibou,la cachette du voleur, la fosse de l’assassiné, l’endroit que hante le spectre ;mais elle ne l’a jamais dit au Jour. »

En prononçant ces paroles étranges, les yeux de Chiquita brillaient d’unéclat surnaturel. On devinait que son esprit, exalté1 par la solitude, se croyaitune espèce de pouvoir magique. Les scènes de brigandage et de meurtre aux-quelles son enfance s’était mêlée avaient dû agir fortement sur son imagina-tion ardente, inculte et fébrile2. Sa conviction agissait sur Isabelle, qui laregardait avec une appréhension superstitieuse.

« J’aime mieux, continua la petite, rester là, près du feu, à côté de toi. Tues belle, et cela me plaît de te voir ; tu ressembles à la bonne Vierge3 que j’aivue briller sur l’autel ; mais de loin seulement, car on me chassait de l’égliseavec les chiens, sous prétexte que j’étais mal peignée et que mon jupon jauneserin aurait fait rire les fidèles4. Comme ta main est blanche ! la mienne poséedessus a l’air d’une patte de singe. Tes cheveux sont fins comme de la soie ; matignasse se hérisse comme une broussaille. Oh ! je suis bien laide, n’est-ce pas ?

– Non, chère petite, répondit Isabelle que cette admiration naïve touchaitmalgré elle, tu as ta beauté aussi ; il ne te manque que d’être un peu accom-modée pour valoir les plus jolies filles.

– Tu crois ? pour être brave, je volerai de beaux habits, et alors Agostinm’aimera. »

Cette idée illumina d’une lueur rose le visage fauve de l’enfant, et pendantquelques minutes, elle demeura comme perdue dans une rêverie délicieuse etprofonde.

« Sais-tu où nous sommes ? reprit Isabelle, lorsque Chiquita releva sespaupières frangées de longs cils noirs qu’elle avait tenues un instant abaissées.

– Dans un château appartenant au seigneur qui a tant d’argent, et quivoulait déjà te faire enlever à Poitiers. Je n’avais qu’à tirer le verrou, c’était fait.Mais tu m’avais donné le collier de perles, et je ne voulais pas te causer de lapeine.

– Pourtant, cette fois, tu as aidé à m’emporter, dit Isabelle ; tu ne m’aimesdonc plus, que tu me livres à mes ennemis ?

Cette étrange créatureT E X T E 2

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5. Chiquita a aidé à l’enlèvementd’Isabelle. Pour cela,elle s’est déguisée engarçon accompagnantun aveugle.

6. C’est un malfaiteurappartenant à la banded’Agostin.

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–Agostin avait commandé, il fallait obéir. D’ailleurs un autre aurait fait leconducteur de l’aveugle5, et je ne serais pas entrée au château avec toi. Ici, jepuis te servir peut-être à quelque chose. Je suis courageuse, agile et forte,quoique petite, et je ne veux pas qu’on te fasse du mal.

– Est-ce bien loin de Paris, ce château où l’on me tient prisonnière ? dit lajeune femme en attirant Chiquita entre ses genoux ; en as-tu entendu pro-noncer le nom par quelqu’un de ces hommes ?

– Oui, Tordgueule6 a dit que l’endroit se nommait… comment doncdéjà ? fit la petite, en se grattant la tête d’un air d’embarras.

– Tâche de t’en souvenir, mon enfant, dit Isabelle en flattant de la mainles joues brunes de Chiquita, qui rougit de plaisir à cette caresse, car jamaispersonne n’avait eu pareille attention pour elle.

– Je crois que c’est Vallombreuse, répondit Chiquita syllabe par syllabecomme si elle écoutait un écho intérieur. Oui, Vallombreuse, j’en suis sûremaintenant ; le nom même du seigneur que ton ami le capitaine Fracasse ablessé en duel. Il aurait mieux fait de le tuer. Ce duc est très méchant, quoi-qu’il jette l’or à poignées comme un semeur de grain. Tu le hais, n’est-ce pas ?et tu serais bien contente si tu parvenais à lui échapper.

– Oh ! oui ; mais c’est impossible, dit la jeune comédienne ; un fossé pro-fond entoure le château ; le pont-levis est ramené. Toute évasion est imprati-cable.

– Chiquita se rit des grilles, des serrures, des murailles et des douves ; Chi-quita peut sortir à son gré de la prison la mieux close et s’envoler dans la luneaux yeux du geôlier ébahi. Si elle veut, avant que le soleil se lève, le Capitainesaura où est cachée celle qu’il cherche. »

Isabelle craignait, en entendant ces phrases incohérentes, que la folie n’eûttroublé le faible cerveau de Chiquita ; mais la physionomie de l’enfant étaitparfaitement calme, ses yeux avaient un regard si lucide, et le son de sa voixun tel accent de conviction, que cette supposition n’était pas admissible ; cetteétrange créature possédait certainement une partie du pouvoir presquemagique qu’elle s’attribuait.

Théophile GAUTIER, Le Capitaine Fracasse.

1. Baron de WIMS,Le Château de Lansaudière

(Mayenne). Paris, Musée des Arts

décoratifs, © Photo Josse.

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Le cadre de l’action

1. Relevez le champ lexical du château dans le texte 2.Dites, grâce à ce relevé, pourquoi la situation d’Isabelleest difficile.

2. Quel autre champ lexical important contribue à lacréation d’une atmosphère inquiétante?

Les paroles des personnages

3. a) Dans les paroles de Chiquita rapportées dans letexte 2 de la ligne 7 à la ligne 13, relevez une person-nification.b) Dans ses paroles de la ligne 20 à la ligne 26 (texte 2),relevez au moins trois comparaisons.c) Dites pourquoi ce sont des « paroles étranges ».

Le rôle d’un narrateur

4. Dans le texte 2, relevez entre les lignes 1 et 34 deuxinterventions du narrateur : – une proposition incise accompagnant des paroles, – un paragraphe complet de commentaire.

5. Grâce à quelle intervention du narrateur le lecteurbénéficie-t-il d’informations sur le passé de Chiquita?Indiquez le numéro des lignes.

6. À quelle didascalie du texte 1 correspond l’interven-tion du narrateur de la ligne 32 à la ligne 34? Quel estl’intérêt de cette intervention par rapport à la didascalie?

7. Sur quoi et pourquoi le narrateur donne-t-il des expli-cations dans sa dernière intervention?

Étude des textes 1 et 2

9. Dans lequel des deux châteaux pourrait avoir lieu l’his-toire racontée? Qu’est-ce qui vous permet de répondre?Citez le texte.

Le texte et l’image

10. Préférez-vous lire des textes sans narrateur (théâtre,par exemple), ou des textes avec narrateur (roman, parexemple) ? Donnez oralement votre avis en vousappuyant sur des exemples.

11. Racontez la même histoire dans deux textes. – Situation initiale : Isabelle rencontre le duc de Vallom-breuse. – Texte 1 : une scène de théâtre.– Texte 2 : un extrait de roman.

Exercices écrits et oraux

● champ lexical : Les mots dans le texte, fiche 33, p. 338. ● comparaison, personnification : Les effetsdans le texte, fiche 36, p. 346.

> Outils de langue

8. A l’aide de vos réponses aux questions 4, 5, 6, ditesquels avantages il peut y avoir à faire raconter une his-toire par un narrateur.

2. Château de Suscinio (Morbihan), © O. Jardon / Hoaqui.

Théophile Gautier (1811-1872) a surtoutécrit des poèmes (Émaux et Camées, 1852) et desromans (Mademoiselle de Maupin, 1835).

Dans son roman le plus célèbre, Le CapitaineFracasse (1863), Théophile Gautier racontel’histoire d’Isabelle, une jeune fille appartenantà une troupe de comédiens ambulants. Elle a étéenlevée puis séquestrée dans un château par leduc de Vallombreuse, qui l’aime. Mais elle estamoureuse, elle, du jeune baron de Sigognac,enrôlé dans la troupe sous le nom de CapitaineFracasse. Après de nombreuses aventures sur lesroutes de France, Sigognac épouse Isabelle.Cette œuvre est un des exemples les pluscélèbres de roman d’aventure ; elle contient eneffet toutes les scènes habituelles de ce genre :poursuite, enlèvement, déguisements…

Repères littéraires

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ES > Le narrateur dans la bande dessinée

1. Jean-Charles KRAEHN, Bout d’homme, « 4. Karriguel An Ankou », © Glénat, 1994.

Bout d’homme

Les vignettes et leur succession

1. a) Observez les vignettes dans chaque document etdites comment les plans s’organisent (plan général,plan moyen, gros plan). b) Les auteurs ont-ils adopté la même succession deplans?

c) Quel effet cette succession produit-elle sur l’obser-vateur?

2. a) Qu’est-ce qui est au premier plan dans la pre-mière vignette du document 2 et dans la dernièrevignette du document 1? b) Quelle conséquence ce choix a-t-il sur la place desbateaux et leur importance dans l’image?

3. Qu’est-ce que les dessinateurs ont choisi de fairefigurer à l’arrière-plan? Ont-ils fait le même choix?

Étude des documents 1 et 2

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Arthur

2. CHAUVEL, LERECULEY, SIMON, Arthur, 3. « Gwalchmel le héros », © Guy Delcourt productions, 2000.

4. Par quels moyens les dessinateurs représentent-ils lamobilité ou l’immobilité des bateaux?

Le choix d’un narrateur

5. Où est placé le texte dans chaque vignette?

6. Dites, pour chaque document, si le narrateur estintérieur ou extérieur à l’histoire, et citez le texte pourjustifier votre réponse.

7. Dans quel document le narrateur est-il un des per-sonnages représentés? Qu’est-ce qui permet de le savoir?

8. Observez le temps des verbes. Dans quel documentce que le narrateur raconte et ce que les vignettes repré-

sentent est-il placé loin dans le passé ? Quels indicesdans les textes vous ont permis de répondre?

● plan général, plan moyen, gros plan ;premier plan, arrière-plan : L’image, cadrageet angle de vue, fiche 11, p. 268. ● narrateur : Le point de vue dans le texte,fiche 35, p. 344.

> Outils de langue

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S > Deux narrateurs pour une même scène> Le récit à la première personne

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La scène se passe dans une ville anonyme, près d’une gare, de nos jours. Nel est unélève de Terminale, qui est aveugle. Chaque jour, il emprunte une passerelle pourse rendre au lycée, accompagné de son chien Boussole. Nono est un petit garçonqui vit avec sa mère sous la passerelle, dans un carton.

Je ne sais pas pourquoi. C’est depuis quelque temps, comme ça : unemélancolie qui me noie. J’ai beau tenter l’indifférence, ça monte en moi,triste ascenseur. Arrivé en haut à l’étroit palier de la gorge, ça m’étouffe.

Je pleure à grosses gouttes lourdes.Où s’échoue mon averse ? Et quelle est sa couleur ?

Je sors maladroitement un paquet de mou-choirs de ma poche, empêtré par l’épaisseur desgants, qui me font les doigts gourds, énormes,malhabiles.

Ma tristesse imprévue s’enfouit dans lebuvard. Je respire à ras bord.

Un instant, il m’a semblé que… J’en suissûr, quelqu’un me regarde. Je fouille le désert, jeflaire, ma joue cherche un écho, mes oreilles àl’affût tâtonnent entre les sons, je sors mesantennes, timide.

En bas. Presque en dessous de moi, dansl’autre monde, quelqu’un terré, tapi, me vrillede son œil. Où?

Droit devant, le train s’enfle comme un dra-gon de fer. Pas eu le temps de m’y attendre, sonchahutvari brutal me saisit. Je fuis au ralenti et,de frayeur, vais jusqu’à précéder le pas trop rai-sonnable de Boussole. J’éponge de nouveau mesyeux, nerveusement. Je me rhabille, parpudeur : lunettes, armure. Protection.

Une fois oubliée la passerelle, le boulevards’annonce à grand bruit.

La passerelle

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Claude MONET (1840-1926), Le Pont de l’Europe et la gare Saint-Lazare, 1877 (détail).Paris, Musée Marmottan, © Peter Willi - Artothek.

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J ’ai vu passer des garçons de l’école, sur la passerelle. Y’en avait trois quicouraient, en criant. […] Ensuite il y a eu un pas tout tranquille. Et puisrien. J’ai levé le nez. C’était un grand avec des cheveux bleus. Un vrai

grand, un de ceux qui ont un tout petit sac dans le dos, pas un cartable. Jevoyais des pattes de chien, à côté de lui. Y’avait sûrement un chien, alors. Surles pattes. Le grand, il s’est arrêté au milieu de la passerelle. Il est resté là, sansbouger, les bras tout raides, appuyés devant lui, comme ça, les deux mains surla rampe de fer marron. Je voyais pas bien sa figure, trop loin, trop haut. Ilregardait droit devant lui. Peut-être qu’il essayait de savoir ce qu’il y a, après lagare. Peut-être que de là où il était, il voyait jusqu’au bout du monde ? J’y suisjamais allé, sur ce pont. Faudra que je monte voir un peu ce qu’on y voit.

En tout cas, je me suis dit : « Il en fait, une drôle de tête, celui-là ! »J’ai dû penser trop fort : le grand, il a tourné la tête. Il a cherché pile vers

moi, avec des yeux qui fouillent. J’ai eu peur qu’il me voie, je suis vite rentréau fond de la maison. Cric, crac, ma porte est bien fer-mée, à-clé ! […]

Du coup, voir un chagrin de grand, même de loin, même par en dessous,ça m’a fait drôle. Un grand, tout habillé avec une parka où la pluie passe pas autravers, des gants chauds à dormir dedans, et puis un chien à lui, et qui pleure ?

« Ou alors… » j’ai pensé (faut toujours que je pense, je sais pas arrêter lesidées dans ma tête !).

« Ou alors, il a mal quelque part, peut-être ? »

Marie-Sabine ROGER, Attention fragiles, © Éditions du Seuil, 2000.

T E X T E 2

La situation

1. Relevez dans les textes 1 et 2 les phrases qui exprimentle même instant.

2. Par quel moyen chacun des personnages se rend-ilcompte de la présence de l’autre? Citez les textes pourmontrer lequel des cinq sens est mis en valeur.

Les personnages narrateurs

3. Dans le texte 1,– relevez la métaphore dans la troisième phrase. Quellesensation exprime-t-elle? – relevez la comparaison qui se rapporte au train. Pré-sente-t-elle le train de manière favorable ou défavo-rable? Pourquoi? Justifiez votre réponse.

4. Quel narrateur exprime davantage ses sentiments?

5. Lequel est plus âgé que l’autre ? Qu’est-ce qui leprouve?

6. Qui est le narrateur dans le texte 1? Et dans le texte 2?Justifiez vos réponses.

7. Quel intérêt y a-t-il à faire raconter la même scène pardeux narrateurs?

Étude du texte

8. a) À la place de quel personnage de l’histoirepourrait-on voir la passerelle avec cet angle de vue?b) Précisez quel est cet angle de vue.

Le texte et l’image

9. Un jour, Nel et Nono se rencontrent. Imaginez les cir-constances. Choisissez comme narrateur l’un de ces deuxgarçons. Écrivez votre récit en une vingtaine de lignes.

10. Écrivez deux récits pour raconter la même scène : Scène : un enfant traverse la rue sans regarder. Une voi-ture l’évite de justesse.Premier récit : le narrateur est un(e) camarade de l’en-fant, qui a tout vu.Second récit : le narrateur est le conducteur de la voiture.

Exercices écrits

● angle de vue : L’image : cadrage et angle devue, fiche 11, p. 268. ● comparaison, métaphore : Les effets dansle texte, fiche 36, p. 346.

> Outils de langue

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S > Le récit à la troisième personne : le point de vue externe

1. un corridor : un couloir qui met en communicationplusieursappartements.

2. le chambranle :l’encadrement d’uneporte ou d’une fenêtre.

3. le vestibule :la pièce d’entrée d’un appartement.

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Un soldat erre dans une ville. Il a déjà tenté de demander l’adresse qu’il cherche àdeux femmes, qui ont fui à son approche.

Ensuite, c’est de nouveau le complet silence. Mais, sur la partie droitedu corridor1 cette fois, une seconde porte s’est entrebâillée. Ou bienétait-elle déjà ouverte tout à l’heure ? Il est plus probable que le sou-

dain vacarme vient d’attirer cette nouvelle figure, assez semblable encore auxdeux premières, à la première du moins : une femme, jeune d’aspect aussi,vêtue d’un long tablier gris foncé, serré à la taille et bouffant autour deshanches. Son regard ayant rencontré celui du soldat, elle demande :

« Qu’est-ce que c’est ? » Sa voix est grave, basse, mais sans nuances, et ceci avec un air prémédité,

comme si elle voulait demeurer autant que possible impersonnelle. Ce pour-rait être aussi bien la voix entendue de la rue, il y a un moment.

« Elles ont eu peur, dit le soldat. – Oui, dit la femme, c’est de vous voir là comme ça… Et puis éclairé par

derrière… On ne distingue pas… Elles vous ont pris pour un… »Elle n’achève pas sa phrase. Elle reste immobile à le contempler. Elle

n’ouvre pas non plus sa porte davantage, se sentant sans doute plus en sûretéà l’intérieur, tenant le battant d’une main et de l’autre le chambranle2, prête àrefermer. Elle demande :

« Qu’est-ce que vous voulez ?– Je cherche une rue… dit le soldat, une rue où il fallait que j’aille. – Quelle rue ? – Justement, c’est son nom que je ne me rappelle pas. C’était quelque

chose comme Galabier, ou Matadier. Mais je ne suis pas sûr. Plutôt Montoretpeut-être ? »

La femme semble réfléchir.« C’est grand, vous savez, la ville, dit-elle à la fin.– Mais ça se trouve de ce côté-ci, d’après ce qu’on m’avait expliqué. » La jeune femme tourne la tête vers l’intérieur de l’appartement et, à voix

plus haute, interroge quelqu’un à la cantonade : « Tu connais une rue Monta-ret, toi ? Près d’ici. Ou quelque chose qui ressemble à ça ? »

Elle attend, présentant son profil aux traits réguliers dans l’entrebâille-ment de la porte. Tout est sombre derrière elle : il doit s’agir d’un vestibule3

sans fenêtre. La grosse femme également sortait d’une obscurité totale. Aubout d’un instant, une voix lointaine répond, quelques mots indistincts, et lajeune femme ramène son visage vers le soldat :

« Attendez-moi une minute, je vais voir. » Elle commence à rabattre sa porte, mais se ravise aussitôt : « Fermez donc la porte sur la rue, dit-elle, il vient du froid dans toute la

maison. »Alain ROBBE-GRILLET, Dans le labyrinthe, © Les Éditions de Minuit, 1959.

Quelle rue ?

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Alain Robbe-Grillet, né en 1922, est roman-cier et cinéaste. Avec d’autres écrivains tels queMichel Butor, Nathalie Sarraute, Claude Simon,il participe au « Nouveau roman », mouvementlittéraire qui s’affirme au XXe siècle dans lesannées 50.

Ces écrivains bouleversent souvent l’ordrechronologique dans leurs récits ; ils ne s’intéres-sent ni aux pensées ni aux sentiments des per-sonnages et privilégient les formes et les objets.

Repères littéraires

Lyonel FEININGER (1871-1956), Architecture II, 1921.Huile sur toile, 101 × 80 cm. Madrid, Thyssen-Bornemisza.

Photo Artothek, © Adagp, Paris 2002.

Le narrateur

1. Quels sont les personnages de cette histoire?

2. Le narrateur indique-t-il leur nom?

3. Donne-t-il des renseignements sur leur passé?

4. Le narrateur utilise-t-il des verbes indiquant des pen-sées ou des sentiments?

Les perceptions et le point de vue

5. Relevez en deux colonnes le champ lexical de la vue,celui de l’ouïe.

6. Relevez deux mots ou groupes montrant que le nar-rateur ne voit pas bien, n’entend pas bien ou ne sait pasbien.

7. Quels sont, d’après ce texte, les avantages et lesinconvénients du point de vue externe quand onraconte une histoire?

Les paroles des personnages

8. Relevez deux mises en relief dans le dialogue. Quelsmots sont mis en valeur? Pourquoi?

9. Les paroles prononcées permettent-elles de bienconnaitre les personnages?

Étude du texte

12. Racontez oralement un spectacle ou un match enconservant un point de vue externe : ne dites que ceque vous voyez et entendez.

13. Écrivez une suite au texte en conservant le mêmepoint de vue narratif.

Exercices écrits et oraux

● champ lexical : Les mots dans le texte, fiche 33, p. 338.● point de vue externe : Le point de vue dans le texte, fiche 35, p. 344.● mise en relief : Les effets dans le texte, fiche 36, p. 346.

> Outils de langue

10. Décrivez l’image en restant extérieur : ne dites riendes pensées et des sentiments des personnages, ni dece qui a pu se passer avant la scène représentée.

11. Dites oralement ce qui justifie le choix de cette illus-tration par rapport au texte.

Le texte et l’image

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S > Le récit à la troisième personne : le point de vue interne

1. une dame decompagnie : unepersonne dont lemétier est de vivreauprès d’une autre,pour l’accompagner.

2. une persienne :un volet muni delames obliques,disposées de façonà laisser passer l’air,mais pas les rayonsdu soleil.

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À Rome, vers 1820. La princesse Vanina Vanini, « jeune fille aux cheveux noirs età l’œil de feu » a assisté à un grand bal.

Le lendemain du bal, Vanina remarqua que son père, le plus négligentdes hommes, et qui de la vie ne s’était donné la peine de prendre uneclef, fermait avec beaucoup d’attention la porte d’un petit escalier qui

conduisait à un petit appartement situé au troisième étage du palais. Cetappartement avait des fenêtres sur une terrasse garnie d’orangers. Vanina allafaire quelques visites dans Rome ; au retour, la grande porte du palais étantembarrassée par les préparatifs d’une illumination, la voiture rentra par lescours de derrière. Vanina leva les yeux, et vit avec étonnement qu’une desfenêtres de l’appartement que son père avait fermée avec tant de soin étaitouverte. Elle se débarrassa de sa dame de compagnie1, monta dans lescombles du palais, et à force de chercher parvint à trouver une petite fenêtregrillée qui donnait sur la terrasse garnie d’orangers. La fenêtre ouverte qu’elleavait remarquée était à deux pas d’elle. Sans doute cette chambre était habi-tée ; mais par qui ? Le lendemain Vanina parvint à se procurer la clef d’unepetite porte qui ouvrait sur la terrasse garnie d’orangers.

Elle s’approcha à pas de loup de la fenêtre qui était encore ouverte. Unepersienne2 servit à la cacher. Au fond de la chambre il y avait un lit et quel-qu’un dans ce lit. Son premier mouvement fut de se retirer ; mais elle aperçutune robe de femme jetée sur une chaise. En regardant mieux la personne quiétait au lit, elle vit qu’elle était blonde, et apparemment fort jeune. Elle nedouta plus que ce fût une femme. La robe jetée sur la chaise était ensanglan-tée ; il y avait aussi du sang sur des souliers de femme placés sur une table.L’inconnue fit un mouvement ; Vanina s’aperçut qu’elle était blessée. Ungrand linge taché de sang couvrait sa poitrine ; ce linge n’était fixé que par desrubans ; ce n’était pas la main d’un chirurgien qui l’avait placé ainsi.

STENDHAL, « Vanina Vanini », dans Chroniques italiennes.

Vanina

Stendhal (1783-1842) a surtout écrit desromans : Le Rouge et le Noir (1830), La Char-treuse de Parme (1839). Il a suivi les armées deNapoléon en Italie et la découverte de ce pays luia laissé un souvenir ineffaçable. Il y est retournéplusieurs fois, entre autres comme consul deFrance, en 1830. Il montre précisément saconnaissance de l’Italie et de son histoire dans sesChroniques italiennes (1839).

Repères littéraires

Le narrateur et le personnage

1. Qui est le personnage principal de cette histoire? Jus-tifiez votre réponse.

2. Ce personnage principal est-il le narrateur? Répon-dez en citant le texte.

3. a) Quel est le lieu de l’action dans le premier para-graphe? Et dans le second?

Étude du texte

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École italienne, Peinture du XIXe s. Détail des jardins de la VillaCarlotta, environs de Côme,© Dagli Orti.

b) Le narrateur raconte-t-il en suivant le déplacementdu personnage principal dans ces deux lieux? Répondezen citant le texte.

Le point de vue narratif

4. Relevez le champ lexical de la vue. À qui renvoie lesujet des verbes relevés?

5. Dans le deuxième paragraphe, étudiez la découverteprogressive de la pièce :a) Qui regarde? Dans quel ordre? b) Quel est l’effet produit sur le lecteur?

6. a) Quel groupe est mis en relief dans la dernièrephrase? Qui voit l’objet en question? b) Quel est le procédé de mise en relief?c) Cette mise en relief jette-t-elle un doute ou rassure-t-elle le lecteur?

7. Dites, d’après ce texte, quels sont les avantages dupoint de vue interne dans un récit.

8. Que permet ici de mettre en valeur le plan général?Sur quel détail de l’image aimeriez-vous avoir un grosplan? Pourquoi?

Le texte et l’image

9. Racontez oralement une scène dans laquelle un per-sonnage a eu très peur. Ce personnage n’est pas vous,mais vous essayez d’exprimer au mieux ce qu’il a puressentir.

10. Racontez l’intrusion de Vanina dans la chambre del’inconnue. – Narrateur : il est extérieur à l’histoire, le récit est à latroisième personne. – Point de vue : c’est cette fois la personne blessée quiest privilégiée ; c’est donc un autre point de vue interneque celui du texte.

Exercices écrits et oraux

● plan général, gros plan : L’image : cadrageet angle de vue, fiche 11, p. 268. ● les mots dans le texte : Le champ lexical,fiche 33, p. 338. ● point de vue interne : Le point de vue dansle texte, fiche 35, p. 344. ● mise en relief : Les effets dans le texte,fiche 36, p. 346.

> Outils de langue

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116 SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

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S > le récit à la troisième personne : le point de vue omniscient

1. un wagon detroisième classe : à l’époque de l’histoire,on appelait wagons lesvoitures de voyageursdans les trains. Il yavait une troisièmeclasse, qui était lamoins chère.

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Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare, où un train de Cher-bourg l’avait débarquée avec ses deux frères, après une nuit passéesur la dure banquette d’un wagon de troisième classe1. Elle tenait

par la main Pépé, et Jean la suivait, tous les trois brisés du voyage, effarés etperdus au milieu du vaste Paris, le nez levé sur les maisons, demandant àchaque carrefour la rue de la Michodière, dans laquelle leur oncle Baududemeurait. Mais, comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeunefille s’arrêta net de surprise.

– Oh ! dit-elle, regarde un peu, Jean ! Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, ache-

vant les vieux vêtements du deuil de leur père. Elle, chétive pour ses vingt ans,l’air pauvre, portait un léger paquet ; tandis que, de l’autre côté, le petit frère,âgé de cinq ans, se pendait à son bras, et que, derrière son épaule, le grandfrère, dont les seize ans superbes florissaient, était debout, les mains ballantes.

– Ah ! bien, reprit-elle après un silence, en voilà un magasin ! C’était, à l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-

Saint-Augustin, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient ennotes vives, dans la douce et pâle journée d’octobre. Huit heures sonnaient àSaint-Roch, il n’y avait sur les trottoirs que le Paris matinal, les employésfilant à leurs bureaux et les ménagères courant les boutiques. Devant la porte,deux commis, montés sur une échelle double, finissaient de pendre des lai-nages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, un autrecommis, agenouillé et le dos tourné, plissait délicatement une pièce de soiebleue. Le magasin, vide encore de clientes, et où le personnel arrivait à peine,bourdonnait à l’intérieur comme une ruche qui s’éveille.

En voilà un magasin !

Litho SORRIEU,La Belle Jardinière, rue du Pont-Neuf,(fin XIXe s.), détail.

Paris, Musée Carnavalet,

© Photo Josse.

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117SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

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Émile Zola (1840-1902) est l’auteur de vingtromans réunis sous le titre Histoire naturelle etsociale d’une famille sous le Second Empire. On ysuit l’histoire de la famille Rougon-Macquartsur plusieurs générations.

Avec cette œuvre, Zola défend le naturalismeen littérature, c’est-à-dire qu’il cherche à mon-trer la réalité de la société de son temps pour endénoncer les injustices. Au Bonheur des dames,paru en 1883, fait partie de cet ensemble. On yassiste au passage du petit commerce au mondedes grands magasins.

Repères littéraires

2. le pan coupé : coinde rue qui ne formepas un angle, mais unmur en diagonale.

3. des figuresallégoriques : ici, degrandes statues situéesde chaque côté de ladevanture du magasin.

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– Fichtre ! dit Jean. Ça enfonce Valognes… Le tien n’était pas si beau.Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le

premier marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin, rencontré brus-quement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait,émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé2 donnant sur la placeGaillon, la haute porte, tout en glace, montait jusqu’à l’entresol, au milieud’une complication d’ornements, chargés de dorures. Deux figures allégo-riques3, deux femmes riantes, la gorge nue et renversées, déroulaient l’en-seigne : Au Bonheur des Dames.

Émile ZOLA, Au Bonheur des dames.

Une peinture de Paris

1. a) En quelle saison et à quel moment de la journée sepasse la scène? La ville est-elle animée à ce moment-là?Citez le texte.b) Relevez une comparaison montrant que l’activité dumagasin ne fait que commencer.

2. a) À quel endroit précis se passe cette scène? Le nar-rateur connait-il bien ces lieux? Justifiez vos réponses.b) Quelle est l’impression ainsi produite sur le lecteur?

3. a) Relevez le champ lexical de l’immeuble dans ledernier paragraphe. b) Grâce à ce relevé, dites si le magasin est situé dans unquartier pauvre ou riche.

Le narrateur et les personnages

4. a) Quels sont les personnages de cette histoire?b) Le narrateur est-il l’un d’eux?

5. Le narrateur connait-il l’âge et les relations familialesde ces personnages? Répondez en citant le texte.

6. Le narrateur connait-il les sentiments des person-nages? Justifiez votre réponse.

7. Le narrateur donne-t-il des renseignements sur lepassé des personnages?

8. Sait-on pourquoi les personnages viennent à Paris?

9. a) Le narrateur raconte-t-il comme s’il se mettait à laplace d’un des personnages? b) Raconte-t-il en restant extérieur aux choses et auxpersonnages?

Le point de vue narratif

10. Le texte étudié constitue le début du roman. Pour-quoi, d’après cet extrait, est-il intéressant de choisir lepoint de vue omniscient pour commencer un roman?

Étude du texte11. Y a-t-il plutôt un effet de plongée ou de contre-plongée dans cette image ? Quel est l’intérêt de cechoix pour l’observateur?

Le texte et l’image

12. Racontez, oralement ou par écrit, une sortie sco-laire avec un point de vue omniscient : donnez desinformations sur les lieux visités ou objets observés (leurorigine, leur passé…), précisez les réactions et les senti-ments de vos camarades pendant cette sortie, etc.

Exercices écrits et oraux

● plongée, contre-plongée : L’image :cadrage et angle de vue, fiche 11, p. 268. ● les mots dans le texte : Le champ lexical,fiche 33, p. 338. ● narrateur, point de vue omniscient :Le point de vue dans le texte, fiche 35, p. 344. ● comparaison : Les effets dans le texte,fiche 36, p. 346.

> Outils de langue

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> Composer un récit

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L ’après-midi, ils furent reçus par O’Brien en personnequi les regardait entrer avec un peu d’inquiétude.Quand ils furent massés devant lui, il se sentit ras-

suré : tous plus jeunes que lui ; pas un de sa génération. Iln’en reconnaissait aucun.

Il se tenait debout derrière son bureau de bois clair. Ilfumait un cigare noir du pays. À portée de sa main droite,il avait un verre de chimiste en forme de cornet ; dedans, unliquide huileux arrivait à peine au tiers de la hauteur.

– Guys, dit l’Irlandais, je pense que vous compreneztous l’anglais...

Les hommes se regardèrent les uns les autres. Il n’y avait pas de Guatémaltèques parmi eux.– Pour une fois que c’est en notre faveur que la chasse est gardée, murmura Gérard à l’in-

tention de Johnny, je me réjouis.L’Irlandais tira une grosse bouffée sur son cigare et reprit :– J’ai voulu vous parler moi-même pour qu’il n’y ait pas de malentendu. J’ai besoin de

quatre chauffeurs pour conduire à pied d’œuvre au derrick Seize deux camions chargés dequinze cents kilos de nitroglycérine. Mes camions sont tout ordinaires, sans amortisseurs com-pensés, sans dispositif spécial de sécurité, en excellent état, rien de plus.

Les hommes écoutaient sans grande attention. Jusqu’à présent, ils s’ennuyaient. Ces Yanksétaient tous les mêmes : enragés de discours familiers pour distribution de prix rédigés selonles méthodes de Dale Carnegie. La jambe...

– La nitroglycérine, poursuit le gros O’Brien, en voici.Il prit dans sa main droite le verre qui était posé sur le bureau et le souleva doucement jus-

qu’à la hauteur de son épaule.– Ça n’a l’air de rien, c’est dangereux. D’abord à une température de quatre-vingts degrés,

c’est absolument instable ; en clair, ça signifie que ça pète pour un oui ou pour un non. Et aumoindre cahot un peu sec, ça pète aussi. Regardez...

Vingt têtes se penchèrent, se tendirent en avant d’un même geste. Le vieux inclina le réci-pient. Quelques gouttes affleurèrent au bord, débordèrent. Lorsqu’elles arrivèrent sur le plan-cher de bois, une pétarade sèche retentit. Quelques bouffées de poussière se soulevèrent.

«Merde », dit l’un des hommes avec admiration.– Ici, c’est sans importance, poursuivit O’B. Si ça vous arrive avec deux ou trois cents kilos

d’explosif aux fesses, vous êtes du moins assurés de ne pas souffrir.Les hommes rirent. Souvent, cette hilarité collective est signe de servilité. Dans les cir-

constances, dans la situation présente, c’était juste un accès de bonne humeur entre hommesrudes, contents d’avoir trouvé aussi dur qu’eux.

Georges Arnaud, Le Salaire de la peur, © Éditions Julliard, 1950.

1. Quelles sont les indications de temps et de lieu conte-nues dans ce texte?

2. Donner du sens : ce passage se situe aux pages 55,56 et 57 d’un roman de 184 pages. Quelles hypothèsespouvez-vous émettre sur l’histoire du roman? Imaginezla situation initiale, l’élément modificateur, diversestransformations (péripéties) et la situation finale.

3. Quel est le statut du narrateur? Quelles indicationspermettent de répondre?

les éléments du récit

Une image du film d’Henri-Georges

Clouzot, Le Salaire de la peur.

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119SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

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1. Dites si l’auteur et le narrateur sont la mêmepersonne. Justifiez votre réponse.

Je n’ai jamais gagné le moindre insigne dans aucundomaine. Lorsque j’étais gamin, j’aimais vraimentjouer au foot, surtout à cause de la part de stratégie,mais comme j’étais petit pour mon âge, j’étais tou-jours un peu lent et pourtant j’avais une bonne tac-tique de repli. Plus tard, au lycée, le sport est devenutoute une organisation : tests de recrutement, forma-tion des équipes, obligation de porter un uniforme ettoutes ces sortes de règles. Et les gens en parlent à lon-gueur de temps. Faire du sport, c’est formidable, maisen parler, c’est franchement monotone. De toutefaçon, le sport n’est pas le sujet essentiel de ce livre.

Ursula LE GUIN, Loin, très loin de tout, traduit par M. Laroche, © Actes Sud, 1984.

2. Dites si le narrateur est un personnage del’histoire, ou non. Justifiez votre réponse.

Nous nous sommes assises côte à côte sur deuxtroncs d’arbres qui formaient un banc sous un mûrier.De toute la promenade nous n’avions rencontré âmequi vive, pourtant quelques champs étaient encorecultivés, juste ce qu’il fallait pour que le maquis1 nedévore pas tout, les bergeries étaient propres maisvides, les maisons n’étaient pas en ruine et semblaientabandonnées depuis la veille, comme si les habitantsvenaient de s’enfuir ou de mourir, à moins, ai-je penséen baissant les yeux vers un potager bien entretenu,que ce ne soient des fantômes qui vivent en ces lieux.

Nadèjda GARREL, Le Miracle des eaux, © Gallimard Jeunesse, 1998.

1. le maquis : végétation des régions méditerranéennes, composéesurtout de petits arbustes bien serrés.

3. Même exercice.Il pleuvait. La rue était mouillée, les trottoirs

étaient sombres. Des voitures se garaient. D’autres, enstationnement, étaient couvertes de pluie. Les genstraversaient la rue rapidement, entraient et sortaientde la poste dont l’immeuble moderne me faisait face.Un peu de vapeur commençait à recouvrir ma vitre.Derrière la fine pellicule de buée, j’observais les pas-sants qui déposaient du courrier. Jean-Philippe TOUSSAINT, La Salle de bains, © Les Éditions de Minuit, 1985.

4. Changement de narrateur.– Relisez le texte de la page 118. – Cette fois, c’est O’Brien qui raconte la scène. Récri-vez le texte.– Aides :

• Mettez-vous à la place du personnage. Que voit-il ?Qu’entend-il ? Que sait-il ? Que comprend-il ? Queveut-il ? • Pensez à ce que vous allez enlever, ou ajouter, outransformer par rapport au texte de Georges Arnaud.

5. Lisez le texte, puis répondez aux questions.

Il y a deux ans qu’à Paris la Bastille a été prise, maisici on ne parle ni de liberté, ni d’égalité, ni de frater-nité : l’île rapporte de trop grandes richesses à laFrance : sucre, rhum, coton, cacao, épices de toutessortes. […] Les rocs jaillissent du sol de place en place.La colline grimpe raide. Mango suit son père quimarche vite et sans bruit à travers la végétation luxu-riante. De temps en temps, un serpent siffle et glissetout près des pieds nus.

Bertrand SOLET, Les Révoltés de Saint-Domingue,© Castor Poche Flammarion, 1994.

a) En quel siècle est située l’histoire ? Justifiez votreréponse.b) Quel est le lieu de l’action ? Qualifiez ce lieu à l’aidede deux adjectifs, relevés ou non dans le texte.c) Quel est le point de vue du narrateur dans la secondemoitié du texte ?

6. Même exercice.

– Frosine, pourquoi maman ne s’occupe-t-ellejamais de moi ?

– Ta mère a un métier. Une comédienne n’a pastoujours le temps d’être une maman.

Mais je devine qu’elle ne me dit pas toute la véritépour ne pas me faire de peine.

Dès l’arrivée à Paris, je vais avec Frosine aux répéti-tions des parents. Là, on voit aussi M. Molière. Fro-sine me dit qu’il écrit toutes les pièces pour sonthéâtre. Il les présente à la Cour du Roi et au public.Il s’occupe de ses comédiens et les paye aussi bien quepossible. Et il est le premier acteur. M. Molière a l’œilsur tout.

J’aime regarder son visage. Il a une jolie moustachelongue et fine, des cheveux bouclés, et l’air doux etgentil.

Marie-Christine HELGERSON, Louison et monsieur Molière,© Castor Poche Flammarion, 2001.

a) Quel est le lieu de l’action ? Et le siècle ? b)Le narrateur est-il l’auteur ? c) Récrivez cette scène en changeant de narrateur :c’est Frosine qui raconte.

Exerçons-nous

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7. Même exercice.

Lucien Leuwen avait été chassé de l’École poly-technique pour s’être allé promener mal à propos, unjour qu’il était consigné, ainsi que tous ses camarades ;c’était l’époque d’une des célèbres journées1 de juin,avril ou février 1832 ou 1834.

Quelques jeunes gens assez fous, mais doués d’ungrand courage, prétendaient détrôner le roi, et l’Écolepolytechnique […] était sévèrement consignée dansses quartiers. Le lendemain de sa promenade, Lucienfut renvoyé comme républicain. Fort affligé d’abord,depuis deux ans il se consolait du malheur de n’avoirplus à travailler douze heures par jour. Il passait trèsbien son temps chez son père, homme de plaisir etriche banquier, lequel avait à Paris une maison fortagréable.

STENDHAL, Lucien Leuwen, 1834.

1. des journées : ici, des jours marqués par des évènements impor-tants (révoltes, etc.).

a) Ce texte est le début d’un roman. En quel siècle, enquel lieu est située l’action ?b)Quel passage nous prouve que le narrateur connaitle passé du personnage ? c) Relevez des expressions montrant que le narrateurconnait les sentiments et les habitudes de vie du per-sonnage. d)Quel est ici le point de vue adopté par le narrateur ?

8. Changement de point de vue.a) Lisez le texte. Dites si le narrateur adopte un pointde vue interne ou externe, et justifiez votre réponse.b) Récrivez la même scène. Cette fois, c’est un narra-teur omniscient qui raconte.

A… est en train d’écrire, assise à la table près de lapremière fenêtre. Elle s’apprête à écrire, plutôt, àmoins qu’elle ne vienne de terminer sa lettre. Laplume est demeurée suspendue à quelques centi-mètres au-dessus du papier. Le visage est relevé endirection du calendrier fixé au mur.

Entre cette première fenêtre et la seconde, il y ajuste la place pour la grande armoire. A…, qui se tienttout contre, n’est donc visible que de la troisièmefenêtre, celle qui donne sur le pignon ouest. C’est unearmoire à glace. A… met toute son attention à s’yregarder le visage de très près.

Alain ROBBE-GRILLET, La Jalousie, © Les Éditions de Minuit, 1957.

9. À partir de l’image 1, écrivez un récit en sui-vant ces consignes :– Le narrateur sera extérieur à l’histoire (récit à la3e personne).– Le point de vue sera externe : le narrateur se conten-tera de raconter ce qu’il voit ou entend, ce que font etdisent les personnages.– Identifiez bien l’époque et le lieu ; évitez les ana-chronismes.

1. BARDET, JUSSEAUME, Chronique de la Maison le Quéant, 6, « Rubicon », © Éditions Glénat, 1991.

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121SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

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10. À partir du document 2, écrivez un récit ensuivant ces consignes : – Conservez le narrateur : le récit est à la troisièmepersonne, avec le présent comme temps de base.– Conservez le point de vue omniscient.– Identifiez bien le lieu, l’époque et évitez les ana-chronismes.

11 . À partir de l’image 3, écrivezun récit en suivant ces consignes : – Choisissez le narrateur : un person-nage extérieur ou un personnage quiparticipe à l’histoire. – Choisissez le point de vue du nar-rateur et précisez-le.– Évitez les anachronismes.

12. Un récit amusant. Imaginez une histoireavec un anachronisme volontaire, par exemple : – Un pirate du XVIIIe siècle se bat avec une épée laser.– Le soir d’une bataille, Napoléon téléphone à safemme avec son portable.– Le roi Louis XIV regarde une pièce de Molière à latélévision. Etc. !

2. COTHIAS, GOEPFERT, Le Fou du Roy, « 2. L’École des bouffons », © Éditions Glénat, 1998.

3. France, XVIIIe s., Expérience aérostatique aux Tuileries, le 1er décembre 1783.

Paris, coll. Nadar, © Bridgeman Lauros/Giraudon.

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122 SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

B I L A N D E L A S É Q U E N C E 5> Un récit est un texte ou une suite d’images qui rapporte une histoire.

Pour qu’il y ait une histoire, il faut :● un cadre réel ou imaginaire : un ou des lieux, une ou des époques ;● des personnages : des humains, des animaux, ou des objets qui jouent un rôle ; ● une action : une suite d’évènements (péripéties) qui se produisent et s’enchainent.

> Le narrateur est celui qui raconte l’histoire.● Dans un récit à la troisième personne, le narrateur est extérieur à l’histoire. ● Dans un récit à la première personne, le narrateur fait partie de l’histoire. Il estun des personnages, personnage principal ou simple témoin de ce qui arrive auxautres. Il se peut que l’auteur soit aussi le narrateur et le personnage principal :c’est le cas lorsque quelqu’un raconte lui-même ce qu’il a fait, ce qu’il a vécu.

> Le point de vue du narrateur (➜ fiche 35) crée toujours un effet : ● Dans un passage raconté avec le point de vue externe, le lecteur est intrigué, par-fois inquiet, désorienté car il ne dispose pas de toutes les informations.● Dans un passage raconté avec le point de vue interne, le lecteur se met facile-ment à la place du personnage privilégié, il peut même s’identifier à lui.● Dans un passage raconté avec le point de vue omniscient, le lecteur se tient à dis-tance de ce qui arrive, mais comprend bien l’histoire car le narrateur donne desrenseignements nombreux et divers, notamment sur la vie des personnages.

> Retenez…

> Évaluez vos connaissances1. Observez l’image et lisez le texte

La scène se passe à Paris en 1831. Dans le parc où il vient se promener régulièrement, Marius,qui a vingt ans, a remarqué depuis plusieurs mois une jolie jeune fille, toujours accompagnée d’un homme âgé…

Un des derniers jours de la seconde semaine, Marius était comme à sonordinaire assis sur son banc, tenant à la main un livre ouvert dontdepuis deux heures il n’avait pas tourné une page. Tout à coup il tres-

saillit. Un événement se passait à l’extrémité de l’allée. M. Leblanc et sa fillevenaient de quitter leur banc, la fille avait pris le bras du père, et tous deux sedirigeaient lentement vers le milieu de l’allée où était Marius. Marius fermason livre, puis le rouvrit, puis il s’efforça de lire. Il tremblait. L’auréole1 venaitdroit à lui. – Ah ! mon Dieu ! pensait-il, je n’aurai jamais le temps de prendreune attitude. Cependant, l’homme à cheveux blancs et la jeune fille s’avan-

1. l’auréole : ici,cercle lumineuxautour d’un objet oud’une personne. Lespeintres entourentsouvent la tête dessaints d’un tel cercledoré.

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123SÉQUENCE 5 : Récit, narrateur, point de vue

2. Répondez aux questions

1. Dites si le lieu et l’époque représentés par l’imagesont également ceux de l’histoire racontée. Justifiezvotre réponse.

2. Précisez l’organisation des plans de l’image : qu’est-ce que le premier plan met en valeur? Et les autres?

3. a) Le narrateur est-il un des personnages de l’histoire? b) Quel est le point de vue du narrateur dans les cinqpremières lignes du texte ? Justifiez vos réponses encitant le texte.

4. Relevez la périphrase qui désigne M. Leblanc. Surquel aspect du personnage insiste-t-elle? Pourquoi?

5. a) « C’est moi qui viens. » (l. 20) : sur quel mot porteici la mise en relief? b) Quel personnage est ainsi mis en valeur?

6. Relevez le champ lexical des réactions physiques.Quel personnage concernent-elles?

7. a) Relevez une comparaison à la fin du texte. À qui serapporte-t-elle?b) Quelles indications au cours du texte annoncent cettecomparaison? Relevez-les.

8. Changez de narrateur : la même scène est racontéepar la fille de M. Leblanc. Écrivez le texte obtenu.

2. la croix : la médaille de la légion d’honneur, qui récompensequelqu’un deremarquable.

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çaient. Il lui paraissait que cela durait un siècle et que cela n’était qu’uneseconde. – Qu’est-ce qu’ils viennent faire par ici ? se demandait-il. Comment !elle va passer là ! Ses pieds vont marcher sur ce sable, dans cette allée, à deuxpas de moi ! – Il était bouleversé, il eût voulu être très beau, il eût voulu avoirla croix2. Il entendait s’approcher le bruit doux et mesuré de leurs pas. Ils’imaginait que M. Leblanc lui jetait des regards irrités. Est-ce que ce mon-sieur va me parler ? pensait-il. Il baissa la tête ; quand il la releva, ils étaienttout près de lui. La jeune fille passa, et en passant elle le regarda. Elle leregarda fixement, avec une douceur pensive qui fit frissonner Marius de la têteaux pieds. Il lui sembla qu’elle lui reprochait d’avoir été si longtemps sansvenir jusqu’à elle et qu’elle lui disait : C’est moi qui viens. Marius resta éblouidevant ces prunelles pleines de rayons et d’abîmes.

Il se sentait un brasier dans le cerveau. Elle était venue à lui, quelle joie ! Etpuis, comme elle l’avait regardé ! Elle lui parut plus belle qu’il ne l’avait encorevue […]. Il lui semblait qu’il nageait en plein ciel bleu. En même temps ilétait horriblement contrarié, parce qu’il avait de la poussière sur ses bottes.

Il croyait être sûr qu’elle avait regardé aussi ses bottes.Il la suivit des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu. Puis il se mit à marcher

dans le Luxembourg comme un fou.

Victor HUGO, Les Misérables.

Jardin du Luxembourg vers 1850, © AKG Paris.

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124 Étude d’une œuvre intégrale

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> Analyser un récit complexe> Approfondir les thématiques d’une œuvre

Allez ! Allez !de Xavier Deutsch

Présentation de l’auteurXavier Deutsch est né à Louvain en 1965. Son père d’origine hongroise enseigne lessciences à l’université et sa mère les langues anciennes. Son père a quitté la Hongrie cachédans un camion pour fuir le communisme. Deutsch a déjà publié de nombreux romanspour les adolescents dont Les Garçons, Prix Rossel, et Victoria Bauer. Il est aujourd’huireconnu comme auteur jeunesse, romancier et conteur.

PréalableLe livre n’est pas divisé en chapitres. Mais il y a des « sections » bien visibles. Elles sont aunombre de 30 : numérotez-les au crayon pour mener à bien cette analyse.

Étape 1 Pages 11 à 331. Section 1 : Que représente pour Émile cette «mort » du chien ?2. Section 2 : Quels sont les différents faits historiques cités dans cette partie ? Ont-ils un« sens » qui pourrait rentrer dans la narration naissante ?3. Section 3 : Quel est le procédé stylistique qui domine le chapitre? Quels sont les lieux décrits?4. Section 4 : a) Qui sont Léopold et M. Lahaut ? b) Renseignez-vous sur Jack Londonet ce livre qu’Émile et Henri Lahaut ont chacun.5. a) Qu’avez-vous remarqué jusqu’à présent à propos du style de la narration ? Qui est lenarrateur ? b) Relevez dans cette première partie plusieurs expressions stylistiques parti-culières de type GN avec expansion(s).

Étape 2 Pages 35 à 681. Section 5 : Quelle est toute la symbolique de cette scène avec Marguerite Novembre ?2. Section 6 : a) Qu’est-ce qu’Émile désire absolument arriver à bien faire ? b) Que fait-ilpour y arriver ?3. Section 7 : a) Caractérisez en quelques mots le personnage d’Élisa. Qu’est-elle ? Que fait-elle ? Quels sont ses « gestes » de vie ? b ) Quel héritage Émile a-t-il eu de son père ?4. Section 8 : Que se passe-t-il de fondamental dans la quête d’Émile ?5. Relevez dans cette deuxième partie quelques phrases complexes caractéristiques du stylede la narration.

Étape 3 Pages 69 à 881. Section 9 : Quelles sont les diverses rencontres qu’Émile fait ? Quelles sont les questionsque les protagonistes se posent ?2. Section 10 : a) Où est Monthermé ? Renseignez-vous sur les lieux. Décrivez en quelquesmots les lieux et le temps de ce départ en voyage. b) Quelle est la révélation que l’hommeétrange fait à Émile ? Qui serait cet homme étrange ?3. Section 11 : En quoi ces deux petites pages sont-elles pleines de sens ?4. Section 12 : Que pensez-vous de l’ambiance de ce retour à la maison ?5. Faire le point : Que pensez-vous de cette première moitié du livre ? Que pensez-vous dustyle, de la tonalité du récit, des contenus, des sens qui se développent ? Quel marché ledocteur propose-t-il à Karl ?

© L’École des loisirs, 1997.

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125Allez ! Allez ! de Xavier DEUTSCH

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Étape 4 Pages 89 à 1181. Section 13 : Expliquez l’expression « les jours suivants pour Émile se mettent à prendreles couleurs du catéchisme ».2. Section 14 : Que révèle le curé à Émile ? Qu’est-ce qu’Émile entreprend alors ? Quel lan-gage tient-il ? Quels actes réalise-t-il ?3. Section 15 : Quels personnages Émile rencontre-t-il ? Que reviennent-ils faire ici ?4. Section 16 : Que recherchent ces sept hommes ? Qu’attendent-ils d’Émile ?5. Section 17 : Qui seraient ces gens compliqués et ces gens simples ?6. Section 18 : Que va rechercher Émile à l’académie des Beaux-Arts ? Pourquoi ?7. Le titre du livre apparait pour la première fois page 118. Quels sens lui donnez-vous ?

Étape 5 Pages 119 à 1621. Section 19 : Par où passent Émile et ses hommes pour réaliser le voyage ? Quels peuplesrencontrent-ils ? Que s’est-il passé pour déclencher la guerre ?2. Section 20 : Quelle est la symbolique des lieux et des gens présents dans cette section ?3. Section 21 : Quel serait cet animal extraordinaire ?4. Section 22 : Expliquez «Toutes les montagnes et les fatigues de la Création, toutes leseaux, toutes les histoires ont commencé dans le Caucase. »5. Section 23 : En quoi Ossogoun a-t-il commis une trahison ?6. Section 24 : Qui Émile rencontre-t-il ? Quels sont les sujets de leurs conversations ?7. Section 25 : a) Que représente cette citadelle ? b) Qu’est-ce que le Premier Ministre etle consul ont fait et envisagent de faire ?8. Section 26 : Quelle grande « scène » de l’histoire des peuples se passe ici ?

Étape 6 Pages 163 à 1751. Section 27 : Quelle est la signification de cette page blanche ?2. Section 28 : Que représentent ces 8 jours ?3. Section 29 : a) Comment le roman se termine-t-il ? b) Expliquez la phrase suivanteque Cooper dit à London : « Il est mort comme tu mourras, en y croyant . »4. Section 30 : Reportez-vous à la section 7 pour expliquer Marie-la-photographe et letableau. Comment le récit se boucle-t-il ? 5. En quoi cette page est-elle surréaliste ? À quel peintre pouvez-vous penser en imaginantla scène ? Expliquez la couverture.

Impressions de couverture : Le château des Pyrénées, Magritte, 1959.Il y a cette masse rocheuse qui représente sans doute la terre et cette citadelle quasi impre-nable qui est en suspension au-dessus de la mer. C’est le monde au-dessus du monde et sesquatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu – éteint ? – au centre de la terre. La terre est-elle en train de tomber ? Y a-t-il une différence de pesanteur entre une pierre et un nuage ?Les vagues portent-elles la terre ? Le miracle ici, c’est que tout cela ne nous étonne pas, ouplutôt, à peine l’avons-nous vu, nous trouvons que c’est une chose tellement naturellepuisque Magritte nous y fait croire.

…vous pouvez lire des romans de Jack London qui sont cités dans le livre : Croc Blancou Le fils du Loup. Alice Mead dans La croix d’Adem retrace l’histoire d’un jeuneAlbanais ami d’un Serbe dont les destins vont se déchirer par le cours de l’histoire. Ceslivres racontent des « quêtes » difficiles et cruelles.

Si vous avez aimé ce livre…

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