Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

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1 Equite sexuée et centrations attentionnelles des enseignants d’Education Physique et Sportive en contexte mixte *PATINET Catherine, Doctorante, & **COGERINO Geneviève, PU Université de Picardie J. Verne- Amiens, APS et conduites motrices, EA 3300 et Université de Lyon 1, CRIS EA 647 *[email protected] , **[email protected] 1. La mixité en éducation physique et sportive : une construction des inégalités sexuées au quotidien 1.1- Les discriminations sexuées des cours d’Education Physique et Sportive Les recherches récentes en Education Physique et Sportive (EPS) ayant pour thème la mixité en France (Cogérino, 2005, 2006 ; Vigneron, 2006 ; Couchot-Schiex et Trottin, 2005 ; Coltice, 2005), et dans les pays anglo-saxons (Wright, 1997 ; Evans, Davies et Penney, 1996 ; Rǿnholt, 2002) démontrent les mécanismes cachés qui sont à l’origine des inégalités de réussite entre les filles et les garçons en EPS. Celles-ci apparaissent nettement dans les notes obtenues par les élèves en EPS (Cleuziou, 1996, 2000 ; Vigneron, 2005). Ces études confirment les travaux sociologiques et psychologiques français (Duru- Bellat, 1990, 1994, 1995 ; Durand-Delvigne, 1996 ; Duru-Bellat et Jarlégan, 2001 ; Mosconi, 1989, 2004) montrant comment l’institution scolaire met en jeu, sans que l’enseignant ne semble en avoir conscience, un mécanisme de socialisation sexuée. Les stéréotypes de sexes continuent à être actifs à la fois chez les enseignants et les élèves et contribuent à un curriculum caché (ensemble de savoirs, compétences, représentations, rôles, valeurs mais aussi vocabulaire, allure, culture). Les enseignants d’EPS ne portent pas la même attention aux garçons et aux filles (les interactions des enseignants avec leurs élèves sont plus favorables aux garçons, les modalités langagières ou les contenus véhiculent des stéréotypes de sexe). Le masculinisme des savoirs scolaires (Mosconi, 2004, p169) opère également en EPS par le biais d’une discipline reposant sur un nombre important d’activités physiques et sportives masculines, ou traitées de façon exclusivement sportives, donc masculines. Tous ces travaux mettent en lumière des éléments socialement fixés, que l’on pourrait appelé un genre professionnel (Clot,1999) concernant la mixité. Mais s’ils sont nécessaires pour comprendre les mécanismes de la discrimination, ils ne rendent pas compte de ce qui fait sens dans l’expérience concrète vécue de celui qui la vit. Une démarche qualitative permettra d’aller au plus près de la réflexivité des enseignants pour la comprendre et envisager ensuite des pistes de transformation. 1.2- Un objet d’étude : celui de l’attention pour documenter le vécu subjectif des enseignants concernant l’équité sexuée Pour éclairer différemment le mécanisme du sexisme ou de l’équité en EPS, nous donnons la parole aux enseignants. La recherche privilégie par une approche psycho- phénoménologique le niveau singulier de l’expérience vécue. En quoi chaque expérience vécue en mixité est-elle créatrice d’un sens, unique pour celui qui la vit ? Pourquoi une telle perspective psycho-phénoménologique ? D'après Varela (1989), les questions pertinentes surgissant à chaque moment de notre vie ne sont pas pré-définies mais

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Equite sexuée et centrations attentionnelles des enseignants d’Education Physique et Sportive en contexte mixte

*PATINET Catherine, Doctorante, & **COGERINO Genevi ève, PU Université de Picardie J. Verne- Amiens, APS et conduites motrices, EA 3300

et Université de Lyon 1, CRIS EA 647 *[email protected], **[email protected]

1. La mixité en éducation physique et sportive : une construction des inégalités sexuées au quotidien

1.1- Les discriminations sexuées des cours d’Education Physique et Sportive Les recherches récentes en Education Physique et Sportive (EPS) ayant pour thème la

mixité en France (Cogérino, 2005, 2006 ; Vigneron, 2006 ; Couchot-Schiex et Trottin, 2005 ; Coltice, 2005), et dans les pays anglo-saxons (Wright, 1997 ; Evans, Davies et Penney, 1996 ; Rǿnholt, 2002) démontrent les mécanismes cachés qui sont à l’origine des inégalités de réussite entre les filles et les garçons en EPS. Celles-ci apparaissent nettement dans les notes obtenues par les élèves en EPS (Cleuziou, 1996, 2000 ; Vigneron, 2005).

Ces études confirment les travaux sociologiques et psychologiques français (Duru-Bellat, 1990, 1994, 1995 ; Durand-Delvigne, 1996 ; Duru-Bellat et Jarlégan, 2001 ; Mosconi, 1989, 2004) montrant comment l’institution scolaire met en jeu, sans que l’enseignant ne semble en avoir conscience, un mécanisme de socialisation sexuée. Les stéréotypes de sexes continuent à être actifs à la fois chez les enseignants et les élèves et contribuent à un curriculum caché (ensemble de savoirs, compétences, représentations, rôles, valeurs mais aussi vocabulaire, allure, culture). Les enseignants d’EPS ne portent pas la même attention aux garçons et aux filles (les interactions des enseignants avec leurs élèves sont plus favorables aux garçons, les modalités langagières ou les contenus véhiculent des stéréotypes de sexe). Le masculinisme des savoirs scolaires (Mosconi, 2004, p169) opère également en EPS par le biais d’une discipline reposant sur un nombre important d’activités physiques et sportives masculines, ou traitées de façon exclusivement sportives, donc masculines.

Tous ces travaux mettent en lumière des éléments socialement fixés, que l’on pourrait appelé un genre professionnel (Clot,1999) concernant la mixité. Mais s’ils sont nécessaires pour comprendre les mécanismes de la discrimination, ils ne rendent pas compte de ce qui fait sens dans l’expérience concrète vécue de celui qui la vit. Une démarche qualitative permettra d’aller au plus près de la réflexivité des enseignants pour la comprendre et envisager ensuite des pistes de transformation.

1.2- Un objet d’étude : celui de l’attention pour documenter le vécu subjectif des enseignants concernant l’équité sexuée

Pour éclairer différemment le mécanisme du sexisme ou de l’équité en EPS, nous donnons la parole aux enseignants. La recherche privilégie par une approche psycho-phénoménologique le niveau singulier de l’expérience vécue. En quoi chaque expérience vécue en mixité est-elle créatrice d’un sens, unique pour celui qui la vit ?

Pourquoi une telle perspective psycho-phénoménologique ? D'après Varela (1989), les questions pertinentes surgissant à chaque moment de notre vie ne sont pas pré-définies mais

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énactées, en arrière plan. Les critères de pertinence sont alors dictés par notre sens commun d'une manière contextuelle.

La dimension écologique de la compétence enseignante (Tochon, 1993) donne ainsi une prépondérance au contexte de la classe et à l’adaptation de l’enseignant à ce contexte. Avec le concept d’action située (Suchman, 1987 ; Varela, 1989 ; Lave, 1988) toute activité, si analytique soit-elle, est inévitablement concrète, incarnée et construite au gré de circonstances particulières essentielles à sa détermination. Le cours d’action (Theureau, 1991, 1992, 2000) est imprévisible. Sa singularité rend difficile sa description et l’explicitation de règles d’action.

Trois instances sont co-émergentes : 1/ un contexte dans lequel se déroule l’action, 2/ l’activité en tant que dynamique orientée d’un acteur dans ce contexte, 3/ l’acteur lui même, détenteur d’une certaine identité (Faingold, 1998, 2005 ; Gouju, 2005).

Mettre en avant l’enseignant et sa subjectivité, c’est accorder le primat à la logique intrinsèque de l’acteur. « […] toute conscience est structurée par un pôle sujet, qui vise à travers un acte, un contenu particulier. » (Vermersch, 2002, p27). L’entrée phénoménologique permet de réaliser une approche inter-subjective de l’attention lors d’expériences précises vécues (des moments spécifiés). Ces expériences subjectives sont toujours singulières car différentes d’une personne à une autre, d’un contexte à l’autre.

L’attention est conçue, dans la lignée phénoménologique de Husserl, comme ce qui module « la conscience de » (Vermersch, 2000a). Choisir l’attention comme objet d’étude nous permet de nous orienter vers une description de l’inconscient pratique des enseignants afin d’estimer les niveaux de vigilance en liaison à l’équité sexuée.

L’expérience est faite de couches différentes entremêlant des visées intentionnelles, qui orientent des activités attentionnelles (A quoi et comment suis-je attentif ?). L’attention est en interaction avec des sensations, des émotions (Ce que j’éprouve de mon corps et de sa place dans le monde.), un langage interne de la conscience alimenté par le jeu des croyances (Ce que je crois juste de faire.) et des valeurs (Ce que je crois important de faire.). Documenter le vécu subjectif des enseignants d’EPS en contexte mixte, c’est donc décrire les activités attentionnelles en terme de visées et de contenus, mais également les croyances, les valeurs et émotions qui accompagnent le champ de conscience.

Pour Husserl (selon Vermersch, 2000b), il existe plusieurs couches de l’attention de la plus centrale à la plus éloignée, simultanément présentes dans tout vécu. Mais, à chaque instant, ces différentes couches ne sont pas présentes sur le même mode d’actualité. Un sujet qui décrit son attention, va spontanément décrire l’objet central de celle-ci, l’objet d’attention dont il est conscient. Mais il ne parle pas de ce qu’il a pris en compte de manière pré-réfléchie (le remarqué secondaire). Nous cherchons à documenter, a posteriori, ces éléments pour reconstruire une partie du sens expérientiel de l’enseignant.

Cette orientation psycho-phénoménologique nous permet de préciser notre objet de recherche :

� Les thèmes attentionnels poursuivis et les modes d’intervention orientent-ils l’action de l’enseignant vers plus de sexisme ou d’équité ? � Les critères de prises d’information/ identification permettent-ils une vigilance du

point de vue de l’équité ? � Quel est le poids des croyances, préjugés, valeurs, ou cristallisations identitaires dans

l’arrière plan attentionnel ?

1.3 -Equité et engenrement : approche notionnelle Lee, Marks et Byrd (1994) définissent un environnement équitable du point de vue du

sexe dans la classe comme un ensemble où curricula déclaré et caché traitent équitablement filles et garçons de telle sorte qu’ils reçoivent des bénéfices équivalents de leur enseignement.

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Ils définissent l’ école comme un lieu de socialisation participant à « l’engenderment » (traduit par le néologisme « engenrement »). L’engenrement positif (éducation équitable pour les deux sexes) est décrit comme des tentatives de contrer le sexisme et ses effets résiduels : l’amélioration des pratiques inéquitables, la résistance aux rôles de sexe stéréotypés, la reconnaissance compensatoire de la réussite des filles, la sensibilisation aux questions du genre, l’affirmation des habiletés, capacités, performances des filles, la mise en place de stratégies éducatives positives. L’engenrement négatif (sexisme) est décrit par le renforcement du genre, l’incorporation des discriminations genrées, les rôles de sexe stéréotypés, la domination d’un genre sur l’autre, la discrimination active liée au genre, la sexualité évoquée de façon explicite.

N’ayant pas assisté au cours, mais interrogeant les enseignants sur leur cours, nous ne cherchons pas à rendre compte du décalage entre l’activité réelle de l’enseignant et les éléments significatifs de la mixité. Cependant la construction d’un outillage théorique autour de la notion d’incident critique (IC) nous permet d’estimer comment la centration attentionnelle de l’enseignant prend une direction vers le sexisme ou l’équité.

La technique des IC (Flanagan, 1954, p327) « consiste en un ensemble de procédures pour rassembler des observations directes du comportement humain de façon à faciliter leur utilisation pour la solution de problèmes pratiques et le développement de principes psychologiques », l’observation devant être « limitée aux comportements qui permettent à des observateurs qualifiés de repérer le caractère remarquable de l’activité » (p355).

A partir de cette définition, nous avons cherché à spécifier les IC en liaison avec l’équité sexuée pour rendre compte des pratiques sexistes ou équitables des enseignants d’EPS. L’outil de recueil des IC liés à l’équité est un inventaire, une classification simple d’utilisation pour un observateur averti (cf. tableau 1).

2. Protocole de recherche

2.1 - Accéder à l’expérience et la décrire L’approche de la subjectivité nécessite un guidage par un questionnement approprié non

inductif auquel l’enseignant consent pour diriger son attention vers des aspects de son expérience qui existe dans son vécu, mais dont il n’a ni la conscience réfléchie ni les catégories pour y accéder. L’utilisation de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994) a été choisi pour recueillir les données.

Des entretiens de 1h à 1h30 ont exploré des événements remarquables concernant la mixité et vécus positivement ou négativement. L’enseignant a été appelé à retrouver d’abord un moment de cours, une situation vécue positivement (SVP) à l’aide de la question suivante : « Je te propose, si tu en es d’accord, de retrouver un moment de cours dans lequel tu t’es senti(e) capable de faire apprendre ensemble des filles et des garçons. ».

Une fois le moment choisi, l’entretien d’explicitation a permis une exploration pas à pas du moment singulier, en passant par une évocation du contexte, une mise en mots du vécu de l’action, une description de l’action par la verbalisation des prises d’information et des prises de décision. C’est le déroulement de l’action qui a été visé avec tous ses aspects attentionnels. Puis, un deuxième moment a été alors recherché, et exploré, une situation vécue négativement (SVN). Dans certaines conditions, quand l’individu a été submergé par l’émotion, nous avons cherché à obtenir un décryptage du sens (Faingold, 1998, 2005). Quel sens, du point de vue des valeurs, de l’identité, ont pour l’individu ces moments singuliers de cours mixtes ?

La parole de 24 enseignants de collège a été recueillie et 22 SVP et 18 SVN ont été gardés comme valides1. 1 Il s’agit de la validité interne recherchée par un moment d’explicitation, une mise en évocation réelle des E et non un moment d’explication.

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2.2- Choix des enseignants interviewés Notre échantillon est constitué d’enseignants ayant des profils différents selon : 1/ leur

sexe (équilibre homme/femme), 2/ leur âge, 3/ le nombre d’années d’ancienneté dans l’enseignement, 4/ le type d’établissement (normal, ZEP), 5/ leurs diplômes, 6/ leurs profils en lien avec leurs déclarations ou implications par rapport à la mixité et l’équité sexuée :

� profil A : 8 enseignants disant ne pas être préoccupés par la mixité ou l’équité ; � profil B : 8 enseignants disant être préoccupés par la mise en place de la mixité

comme forme de groupement ; � profil C : 8 enseignants ayant été impliqués dans un groupe de réflexion portant sur

l’équité sexuée ou ayant produit des documents de réflexion sur la mixité.

2.3 - Choisir des catégories descriptives pour thématiser l’expérience Nous avons choisi cinq catégories descriptives : 1/ les actes, 2/ les contenus

attentionnels, 3/ l’arrière plan, 4/ les croyances, les valeurs, 5/ les émotions Une première réduction nous a permis de reconstruire le fil chronologique du moment

raconté, d’en retrouver une intelligibilité en distinguant les macro-stratégies (mode d’intervention globale) des micro-stratégies (boucle de régulation pré- réfléchies intégrées à l’action). Puis, nous avons cherché à élucider les différents niveaux d’intentionnalité : but immédiat et enjeux sous jacents impliquant l’enseignant dans son identité professionnelle et des valeurs qui la fondent.

Les actes et les contenus attentionnels ainsi que les intentions verbalisées par l’enseignant nous ont amené à formuler des thèmes attentionnels principaux. Ces premières interprétations au cas par cas nous ont permis : 1/ d’estimer comment la centration attentionnelle de l’ enseignant prend une direction vers le sexisme ou l’équité, 2/ quels critères d’information/ identification étaient privilégiés par les enseignants, 3/ quel poids prenaient les préjugés sexistes dans l’action.

Les moments ont été comparés pour parvenir à une typologie des vécus subjectifs en contexte mixte.

3. Les résultats : les variabilités contextuelles de l’attention à la mixité des enseignants d’EPS

3.1 -L’expérience subjective de la mixité des enseignants d’EPS Des tendances concernant le vécu subjectif des enseignants en contexte mixte se

dégagent. De façon très synthétique, l’attention est dirigée pour 1/ un quart vers l’organisation du cours et les apprentissages des élèves sans distinction des garçons et des filles, 2/ un quart vers l’attente de mixité dans le cours, 3/ la moitié vers les garçons ou les filles. Envers les garçons, c’est le maintien de l’ordre qui est prégnant. Envers les filles, c’est la remise en activité ou les encouragements qui dominent. Ce sont les préjugés négatifs envers les filles qui sont le plus formulés (17 E/24 formulent des préjugés négatifs sur les filles alors que 8E/24 formulent des préjugés négatifs sur les garçons).

Concernant les SVP, 1/3 des centrations attentionnelles sont orientées sur l’organisation de la classe et l’apprentissage des élèves contre deux fois moins dans les SVN. Quand l’attention concerne la mixité, dans les SVP, l’enseignant attend les relations mixtes alors que dans les SVN l’enseignant cherche à imposer les relations mixtes. L’attention de certains enseignants s’oriente également dans les SVN vers des procédures méta-affectives2 (8%) ainsi que l’exclusion réelle ou symbolique de l’activité des filles (5%). 2 Selon Balas-Chanel,2007, toute situation professionnelle a une coloration émotionnelle plus ou moins forte : plaisir, inquiétude, angoisse, excitation qu’il convient également de gérer.

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Concernant les critères d’identification utilisés dans les SVP, la moitié concernent la classe alors qu’ils ne représentent plus que 18% dans les SVN. Les filles sont alors davantage remarquées pour leur manque de participation, leur échec, leur jeu au ralenti quand les garçons le sont pour leur vitesse, leur intensité mais aussi pour le détournement des règles ayant pour objectif de faire jouer les filles ou leurs remarques et attitudes sexistes. Deux tiers des explicitations vécues négativement font apparaître des préjugés négatifs envers les filles, « pas motivées », « jouant entre guillemet », sans possibilité de réussir et « freinant le jeu des garçons » (Il n’y a aucun préjugé positif pour les filles). Ces préjugés négatifs envers les filles tombent à un tiers dans les SVP (avec autant de préjugés positifs envers les filles).

Concernant les trois profils d’enseignants, la centration semble se déplacer en fonction de l’arrière plan intentionnel : � Les enseignants de profil A (disant ne pas être préoccupés par la mixité ou l’équité) sont

davantage orientés vers la surveillance des garçons face à d’éventuels conflits ainsi que l’aide des filles en difficulté. La moitié de ces enseignants affirment que la mixité se construit naturellement grâce aux élèves sans que eux-mêmes ne l’aient demandée. � Les enseignants de profil B (disant être préoccupés par la mise en place de la mixité

comme forme de groupement) dirigent 40% de leur attention vers la constitution de groupes mixtes, l’apprentissage des garçons et des filles semblant alors passer au second plan. Les critères d’identification privilégiés sont la bonne ambiance de classe, et la participation de tous. Ces enseignants repèrent également les difficultés techniques des filles ainsi que la domination des garçons ou leurs attitudes non coopératives. � Enfin, les enseignants de profil C (ayant été impliqués dans un groupe de réflexion

portant sur l’équité sexuée) valorisent sensiblement moins la mixité au profit d’exigences auprès des garçons. Ils cherchent à maîtriser leur engagement physique, les motiver, les faire apprendre. Concernant les filles, ces enseignants souhaitent rendre les situations plus accessibles et développent des micro-stratégies liées à leur apprentissage. Les critères utilisés identifient l’appréhension des filles ainsi que des descriptions de comportements plus fins dépassant le simple décrochage de l’activité. Cependant six enseignants sur huit formulent des préjugés négatifs sur les filles. 3

3.2 - Mise en relation des centrations attentionnelles avec les incidents critiques liés à l’équité

Définir l’attention des enseignants permet de situer pour chaque cas une orientation vers le sexisme ou l’équité. Sur l’ensemble du corpus, les enseignants semblent exercer une vigilance très variée. Dans les SVP apparaît une prégnance pour la mise en place de situations équitables, la valorisation de toutes les réussites et la mise en confiance dans les situations de mixité. Dans les SVN, l’affichage des préjugés sur les filles et les garçons apparaît plus nettement. Les résultats montrent un décalage entre le vécu subjectif des enseignants et les orientations vers des IC : Ainsi, la verbalisation sur le mode positif (SVP) montrent une orientation vers 4 IC négatifs sur 10. A l’inverse, la verbalisation sur le mode négatif (SVN) montrent une orientation vers 2 IC positifs sur 10. Ces données interrogent alors les modèles d’équité sexuée sous-jacents puisque la question portait sur « le faire apprendre ensemble les filles et les garçons ». Enfin, les résultats confirment la tendance à une attention déséquilibrée envers les filles et les garçons.

3 D’autres variabilités que nous ne développeront pas dans le cadre de cet article peuvent également être repérées : des thèmes attentionnels sensiblement différents se profilent selon le type de mixité que l’enseignant a choisi, ainsi que les contraintes externes données par le contexte.

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Concernant les trois profils d’enseignants, les profils B et C auraient une attention qui s’orientent autant vers le sexisme et l’équité alors que ceux de type A développeraient nettement moins de vigilance à l’équité (3 orientations sur 4 vers les IC sont négatifs).

3.3 - La typicalisation de l’attention en contexte mixte La comparaison inter-subjective des différents moments évoqués amène à une typologie

des thèmes attentionnels et modes d’intervention en contexte mixte. (tableau2) Cette typologie des vécus subjectifs n’est pas une classification des enseignants : sa

valeur est heuristique et non statique ou statistique. Elle correspond à un souci d’intelligibilité mais ne présume en rien que ces enseignants fonctionnent dans tous les contextes de la même façon.

Tableau 2 : Typologie des thèmes attentionnels

et modes d’intervention en contexte mixte

Typologie des thèmes attentionnels

Typologie des modes d’intervention

Conduire la classe Lancer le cours, expliquer, s’assurer que tous ont compris, vérifier l’engagement, l’ambiance de travail, gérer les imprévus (sécurité, conflits)

Sauver les filles Repérer leurs appréhensions, ou difficultés, faire comprendre, les relancer, les mettre en activité, les encourager, les conseiller

Intéresser les garçons Enchaîner les situations, répondre à leur dynamique, renforcer le masculin, les laisser détourner la situation, les provoquer

Contrôler les garçons Savoir où ils sont, les surveiller, vérifier, contrôler, négocier les règles, gérer leur sécurité, renforcer les contraintes d’apprentissages, éviter leur domination

Exclure les filles (symboliquement ou physiquement)

Les mettre dans son dos, dénigrer publiquement leur attitudes, les sortir du terrain, se fâcher, baisser les bras, renoncer

Faire jouer ensemble filles et garçons

Solliciter la coopération, piéger les élèves dans un jeu de changement de partenaires ou d’adversaires, brusquer, compenser les filles, sur-compenser les garçons, valoriser la mixité, laisser faire

Construire des apprentissages en co-éducation

Mettre en relation les performances sportives et les attitudes individuelles ou collectives, susciter la coopération, dénoncer les attitudes sexistes des garçons, rendre publique la réussite potentielle de toutes et tous

Accompagner l’irruption du corps sexué

Sentir le trouble, sécuriser le regard, replacer le contact dans sa dimension culturelle, se mettre en scène, craindre d’avoir été trop loin, dire ou ne pas dire ce qui se joue.

Les dynamiques attentionnelles rencontrées montrent la plupart du temps une

combinaison de plusieurs types d’attention en lien avec des arrière plans, des saillances exogènes ou des prégnances endogènes. A tout moment un éveil attentionnel à l’équité ou au sexisme peut apparaître et se transformer en véritable maintien en prise avant de disparaître pour une autre actualité.

Ainsi, Agnès (profil A), centrée sur l’arbitrage d’un match de base-ball développe un éveil attentionnel positif du point de vue de l’équité sexuée quand un garçon vient conseiller et aider à réussir une fille habituellement en grande difficulté : « Il se met en place, je ne

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commente pas, je laisse faire. » ; « je fais attention à ce que le lanceur ne lance pas. Je lui dis : "tu attends qu'elle soit prête" et puis j'encourage. » ; « Je dis : "oui, c'est ça, oui, il a raison, oui, c'est bien", enfin, j'encourage, et puis j'attends. ». Elle accompagne à distance la procédure de tutorat en repérant l’efficacité de la démarche : « il la met à bonne distance, il la manipule, hein. Il lui met la batte sur l'épaule, il lui dit : "tu regardes, tu te mets de profil" », ainsi que l’ambiance de classe : « J'ai impression qu'il y a un silence qui s'est fait, au niveau de l'équipe en attaque. » ; « Y a plus de quolibets et on attend. » ; « au moment où elle l’a, alors bien sûr, rumeur, tout le monde crie, et après c’est : "arrête toi, arrête toi sur la première base !" …et ils la soutiennent jusqu'à ce qu'elle marque le point. » ; « et applaudissements quand elle marque le point. ».

Enfin, elle identifie ce qui se joue pour l’élève fille et accompagne sa réussite avant de reprendre son cours d’action sur l’arbitrage : « ben, je regarde le visage de la gamine, elle était au bord des larmes. » ; « et je lui dis : "Ben, Julie, bravo !". Voilà, puis c'est tout, on passe au suivant. ».

D’autre part, des concurrences attentionnelles entre sexisme et équité se dessinent fréquemment. Ainsi Bertrand oscille entre « sauver les filles », « contrôler les garçons » et « exclure les filles ». Lors du cours de roller4 son activité est perturbée dès le début de séance par « le groupe (2filles, un garçon) de ceux qui traînent. » ; « Je les vois, ils sont posés près de la porte. » ; « Et puis ça, ça me perturbe tellement que je ne peux pas me donner à fond dans la gestion des groupes. J'ai toujours dans la tête qu'il y a quelque chose qui me gêne… ».

Puis, son attention est captée par « quelques kamikazes » (garçons) : « Ils patinent. Ils sont dans l'activité mais de manière anarchique. Ils vont à contre-courant mais ils patinent. » ; « ils ne respectent pas les règles en passant d'un groupe à l'autre, j'en vois qui traversent carrément le terrain alors que c'est pas possible, le circuit ne le permet pas. C'est la trajectoire, la vitesse qu'ils utilisent qui fait que je… ».

Il explicite son mode d’intervention pour garder le contrôle de ces garçons sans créer de conflit : « Donc, c'est une intervention plus individualisée et plutôt que de la réprimande, bien qu'ils entendent le message : "vous ne respectez pas les règles", c'est plutôt sur du conseil au niveau de la motricité. Pour moi la stratégie, c'est pas de la négociation, "vous ne respectez pas les règles, mais pour atteindre les objectifs, il vaut mieux patiner de ce type-là". ».

Enfin, il parvient à s’occuper des élèves plus débutants dont quelques filles à conseiller : « Néanmoins, j'interviens sur les gamins qui sont en situation de fonctionner. » ;. « mes filles, là, les trois. Est-ce qu'elles rentrent dans l'activité ? Est-ce qu'elles sont sur le circuit ? Et là, je pense à Ophélie, est-ce qu'elle plie un petit peu plus ses jambes. Est-ce qu'elle va un petit peu plus vite ? » ; « Et là, là, je me ré-équilibre un petit peu plus positivement. Non, non, je revois Ophélie…et je la revois partir un petit peu après et effectivement avec un petit peu de difficultés, elle essaye de plier. Elle est toujours sur une motricité, jambes écartées. » ; « et là, je lui ai fait une remarque, je lui dis… Je lui dis une remarque positive : "oui, c'est mieux, tu plies plus les jambes. Plie encore, accentue" ».

Toujours perturbé par l’arrière plan des deux filles inactives (le garçon a rejoint les élèves pratiquants), Bertrand finit par leur faire ranger le matériel : « Je leur dis : "rangez le matériel, rendez-vous utile, on gagnera du temps". ». L’exclusion définitive des filles de l’activité rejoint alors une préoccupation de fin de cours : « J'ai du mal pour le rangement correct des rollers. J'ai du mal à faire respecter les règles de fonctionnement, je sais que je ça va être chaud, donc j'anticipe. ». Cette prise de décision d’exclusion définitive des filles s’accompagne de préjugés sexistes : « Donc, Camilla, il n'y a pas de problème. Là, ça roule, 4 Patin à roulette

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elle est dans un registre qui lui convient bien. Elle est contente, elle a pas patiné, etc. Elle s'y retrouve quelque part » ; « Mais ces filles, elles ont un profil particulier, ces filles-là. ».

4. En guise de conclusion, former la réflexivité des enseignants d’EPS en contexte mixte Cette étude porte à croire que la formation à l’équité sexuée ne peut se limiter à des

prescriptions concernant les attitudes ou les contenus. Ce qui se joue dans la situation d’interaction est bien plus complexe et nécessite que l’enseignant soit formé à analyser ses propres pratiques. Ces premiers résultats peuvent aider les professeurs à repérer comment ils utilisent prioritairement, (selon le contexte rencontré, ou selon le format pédagogique adopté), un type d’attention prioritaire à la mixité permettant ou non d’exercer une vigilance par rapport à l’équité sexuée.

Mais cette vigilance à l’équité ne peut se passer d’un apprentissage (tout comme la vigilance automobile !) selon les axes suivants : � L’identification des indices genrés de lecture de l’activité des filles et des garçons ; � L’interrogation des enseignants sur leurs propres croyances liées à la mixité afin de

remettre en cause les théories essentialistes et construire un modèle d’égalité des acquis pour les compétences essentielles ;

� La capacité à gérer sa subjectivité en prenant conscience de l’altération que l’élève non sportif ou d’un autre sexe provoque chez l’enseignant ;

� La construction d’une véritable éthique éducative permettant de comprendre les enjeux d’une école juste également du point de vue des sexes.

5. BIBLIOGRAPHIE

BALAS-CHANEL, A. (2007). Favoriser la verbalisation des connaissances implicites des experts, Expliciter, 72, p 24-51.

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Page 10: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

10

Tableau 1: Incidents critiques en liaison avec l’équité sexuée

négatif positif a- L’E affiche ses

préjugés sur les filles et/ou les garçons

a-L’E n’affiche aucun préjugé sur les filles et/ou

les garçons

L’attitude fermée sur les questions du genre b- L’E évite d’aborder

les questions liées au masculin et au féminin

ou le fait de façon stéréotypée

b- L’E exerce une sensibilisation aux

questions du genre : sexisme, homophobie,

identité sexuée

L’attitude ouverte sur les

questions de genre

Le renforcement des rôles

de sexes & Domination masculine

La situation mise en place ne précise pas les rôles et places de chacun : les garçons prennent le pouvoir,

les filles restent secondes

La situation proposée distribue les rôles et

places, soit de façon égale, soit en privilégiant le

tutorat

La répartition des

rôles et la vigilance à la domination masculine

L’E propose une situation trop facile ou

qui n’a pas de sens pour les garçons ou

trop difficile pour les filles

L’E cherche à maintenir le décalage optimal pour toutes et tous

La mise en

place de situations

inéquitables

Les contenus proposés renforcent l’ordre des

genres

Les contenus proposés explore l’ordre des genres

Le recours à la discrimination

positive

L’E impose sans explication une forme

de discrimination positive

L’E propose des règles, les négocie en fonction du

projet d’apprentissage de chacune et chacun

La mise en place de

situations équitables

Inco

rpor

atio

n de

s di

scrim

inat

ions

gen

rées

La régulation non équitable des situations

L’E n’intervient pas de façon équilibrée pour les filles et les

garçons

L’E équilibre la quantité et nature de ses interventions

envers les filles et les garçons

La régulation équitable des

situations L’

utili

satio

n de

str

atég

ies

éduc

ativ

es p

ositi

ves

L’E stigmatise un élève F ou G ou un groupe de F ou G

L’E cherche à valoriser toutes les réussites , mettre

en confiance, créer un climat positif de classe

La mise en place d’un climat de classe

autorisant la discrimination

l’E n’intervient pas sur une

attitude/plaisanterie/ insulte sexiste ou

remarque homophobe .

L’E intervient sur toute attitude/ remarque/insulte

sexiste ou homophobe

La mise en place d’un climat de classe rejetant toute forme de discrimination

La non prise en compte d’un rapport au corps

sexué

L’E impose une situation de mixité

inhabituelle pour les élèves

L’E installe la mise en confiance dans les situations de mixité

La prise en compte d’un rapport au corps

sexué

Page 11: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

11

EFFICACITE ET EQUITE SELON LE CHERCHEUR /

EFFICACITE ET EQUITE SELON L’ENSEIGNANTCommunication RAYBAUD-PATIN Nicole Efficacité et équité Rennes 2008

Page 12: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

12

Les demandes sociales et politiques d’efficacité de l'enseignement par rapport à des objectifs

définis de l’international au local, amènent à développer des pratiques d’évaluation, à des

niveaux macro et méso, de notre système éducatif.

Mais qu’en est-il au niveau micro ? Comment un enseignant gère, au quotidien, « sa » classe,

un groupe d’élèves hétérogène, de façon à ce que tous réussissent les « apprentissages » fixés

officiellement par des programmes nationaux ? Comment évalue-t-il les « productions » de

chacun de ses élèves ? Ces évaluations donnant lieu à des interactions enseignant-élève(s)

(Clanet, 2005), se réalisent-elles sur un principe d’égalité, c'est-à-dire : que tous aient

« autant » ou sur un principe d’équité, c'est-à-dire : que chacun ait « ce qui lui revient » ?

Des travaux sur l’effet-maître (Bressoux, 1994) attestent d’un effet de 15 à 25 % sur la

variance des progressions des élèves. Les enseignants, les plus efficaces, tendent également à

être les plus équitables (Piquée & Sensevy, 2007 ; Talbot, 2007) et ont la capacité d’élever le

niveau moyen d’une classe plus que ne l’élève la moyenne des professeurs, permettant à tous

leurs élèves de progresser sans creuser les écarts entre élèves de statut fort et élèves de statut

faible (Bressoux, 2001). Plusieurs recherches mettent en évidence que ces enseignants

efficaces et équitables, se serviraient, en autres, d'un système d'évaluation leur permettant de

suivre précisément les progrès et les difficultés de tous leurs élèves (Raybaud-Patin & Talbot,

2008). Ces professeurs connaitraient, à chaque instant, l’état des connaissances de tous leurs

élèves et pouraient finement réguler les processus d’enseignement / apprentissage.

Notre communication s'appuiera sur une recherche descriptive, compréhensive, explicative,

centrée sur les pratiques interactives, en nous focalisant sur les évaluations informelles orales

et écrites, lors d'activités quotidiennes en classe, mettant en évidence une discordance entre

efficacité et équité des pratiques d’enseignement selon le chercheur ou l'enseignant.

I. Le cadre d’analyse des pratiques

En nous appuyant sur la théorie socio-cognitive d’A. Bandura (2003) qui caractérise les

pratiques humaines, nous définissons les pratiques enseignantes comme constituées de trois

dimensions liées entre elles : les ressources cognitives et affectives de l’enseignant construites

à travers ses trajectoires personnelle et professionnelle, l’activité didactique et pédagogique

(dont une partie est observable) mise en œuvre par l’enseignant face à ses élèves et, enfin,

l’environnement (les caractéristiques de la classe, des élèves mais aussi de l'école, du système

éducatif...) dans lequel ces pratiques se réalisent. Les pratiques enseignantes regroupent

l’ensemble des pratiques professionnelles des enseignants, celles qui se déroulent dans et hors

Page 13: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

13

de l’école (travail en équipe pédagogique, surveillance, préparations, …). Les pratiques

d’enseignement, quant à elles, constituent un sous-ensemble des pratiques enseignantes et

sont celles où le professeur est le plus souvent avec le groupe-classe, affichant,

principalement, pour objectif les apprentissages de « ses » élèves (Bru & Talbot, 2001).

Les modèles de type «processus-produit», étant trop statiques pour étudier le système

complexe d’enseignement/apprentissage (Bru & Talbot, 2007), nous ont amenée à prendre en

compte des variables d'action dont les dimensions (didactiques, pédagogiques et

d'organisations matérielle et temporelle) ont été initialement définies par M. Bru (1991). Ces

variables, caractérisant les pratiques d’enseignement, donnent lieu à des variations intra et

interindividuelles. Nous nous référons aux modèles interactifs contextualisés et

contextualisants. Ainsi, les processus d’enseignement ne peuvent se réduire à une typologie, à

une « méthode d’enseignement » qui induirait une invariance dans les modalités des variables

d'action. La notion de configuration de variables d’actions se substitue à celle de méthode,

configurations dont on peut mettre en évidence des variations de modalités. L’enseignant, lors

de ses préparations et dans « le feu de l’action », réalise des choix, de façon conscientisée ou

non, parmi ces modalités de variables d’action.

II. Des recherches sur les enseignants efficaces

Des travaux sur l’effet maître positif, selon différentes approches, ont permis de qualifier les

enseignants efficaces :

- selon leurs « traits caractéristiques » émis par leurs élèves ou leurs évaluateurs

institutionnels, tels : l’adaptabilité, l’enthousiasme, la prévenance, l’honnêteté et le

magnétisme (Safty, 1993) ;

- selon leur gestion du groupe classe et les effets positifs sur les progrès de leurs élèves (voir,

entre autres, les recherches de L. Anderson, 1992 ; M. Durut-Bellat & A. Van Zanten, 1992 et

C. Gauthier, J.F. Desbien & S. Martineau, 2003). Ainsi : des élèves stimulés, concentrés sur

des tâches scolaires adaptées à leurs niveaux et s’autorégulant, une proportion prépondérante

des activités d’apprentissage sur le temps de classe, des directives claires et précises, un

enseignement centré sur les objectifs d’apprentissage, l’attention des élèves captée sur des

moments importants, un climat de classe propice à la réalisation des tâches, une variété

importante dans le matériel pédagogique et les ressources utilisés, le passage d’une activité à

une autre sans rupture, sont des façons de faire positives des enseignants.

Ces professeurs mettent donc en œuvre des processus de régulation et d’ajustement de leurs

pratiques d’enseignement, observables en particulier lors des interactions, en adaptant les

Page 14: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

14

conditions cognitives, relationnelles, sociales, institutionnelles, matérielles, temporelles...

(Bru, 2004), afin de permettre au plus grand nombre de leurs élèves d’apprendre. Mais ce

n'est pas leur objectif exclusif : des recherches sur la pensée des enseignants (Clark &

Peterson, 1986 ; Calderhead, 1987) ont mis en évidence que, bien qu'ayant pour objectif

principal celui de la réussite de tous leurs élèves, les professeurs ont également d'autres

objectifs, parfois alors en tensions, tels la gestion sereine du groupe classe, une pratique à

“l'économie” lors des préparations ou des interactions, le souci d'être reconnus par les parents

de leurs élèves, par leurs pairs ou par leur hiérarchie...

III. L'efficacité et l’équité des pratiques enseignantes

L'équité n'est pas synonyme d'égalité, mais les deux termes sont fortement liés (Meuret,

1999 ; Crahay, 2003). L'égalité, par rapport à l'équité, s'oriente vers une répartition égale des

ressources. L'équité pose la question de savoir si chacun a effectivement « ce qui lui revient ».

En tant que chercheur, après une revue de littérature sur l’effet maître positif, on peut

s'attendre à des conjonctures d'efficacité et d’équité des pratiques d’enseignement et ainsi à

observer, lors des interactions, principalement :

- comment un climat de classe propice à la réalisation des tâches est instauré,

- comment les enseignants permettent à tous leurs élèves de prendre en charge la

responsabilité de leurs apprentissages, de superviser leurs propres progrès (Gauthier, Desbiens

& Martineau, 2003) et de s'autoréguler (Campanale, 2007),

- comment ces professeurs amènent tous leurs élèves à une même activité cognitive, affective

et/ou motrice pour construire un même rapport aux savoirs à travers les tâches proposées

(Bautier & Rochex, 2004),

- comment les enseignants proposent des tâches complexes à des élèves de statut faible leur

permettant ainsi de plus progresser qu'avec des tâches simples (Allal, Rouiller, Saada-Robert

& Wegmuller, 1999 ; Aden & Roegiers, 2003 ; Rey, Carette, Defrance & Khan, 2002, 2003 ).

Dans tous les cas, des processus de régulation et d’ajustement sont mis en oeuvre au cours des

séances par chacun des enseignants ; dans ces processus, l’évaluation joue un rôle important :

des retours évaluatifs explicites ont été mis en évidence chez les enseignants efficaces. Les

réponses justes des élèves sont suivies d’un bref retour qui en atteste le caractère correct, les

réponses correctes mais hésitantes sont suivies d’un commentaire explicatif de la part de

l’enseignant qui doit déceler les erreurs systématiques des élèves. Le bon jugement (Safty,

1993), une information régulière (à l’aide de rétroactions) de chaque élève sur ses réussites ou

Page 15: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

15

ses échecs (Anderson, 1992 ; Gauthier, Desbien & Martineau, 2003) sont des garants de

l’efficacité voire de l’équité.

IV. Les pratiques évaluatives dans l'enseignement

Nous allons donc nous centrer sur les pratiques évaluatives. Ce sont à la fois des pratiques

formelles (moments d’évaluation nommés en tant que tels, le plus souvent écrits) et des

pratiques informelles (écrites sur les cahiers et classeurs des élèves au quotidien mais aussi

orales et non verbales qui se manifestent par rapport aux tâches ou aux comportements des

élèves à travers des validations, invalidations, encouragements…). Ces pratiques d'évaluations

informelles interactives, donnant lieu à des messages constitués de gestes (Jorro, 2000), où la

dimension corporelle en termes de postures, d’intensité et de timbre de voix, de débit de

parole, de regards et de mimiques… (Barlow, 2003) est importante, mais aussi d’activités

liées à la proxémie (Sensevy, Forest & Barbu, 2005), assurent ainsi des régulations dans les

processus d'enseignement-apprentissage (Allal & Mottier Lopez, 2007 ; Gauthier, Desbiens &

Martineau, 2003).

IV. a. Evaluations et statuts des élèves

Les pratiques évaluatives informelles donnent lieu à des interactions enseignant-élève(s), de

nombreuses recherches sur les liens entre interactions et statuts des élèves (de “niveaux” fort,

moyen ou faible, établis pour chacun de ses élèves par l’enseignant) rapportent des résultats

contradictoires:

- quantativement les enseignants interagissent moins avec les élèves de statut faible (Sirota,

1998 ; Felouzis, 1997 ; Good & Brophy, 2000 ; Ben-Ayed & Brocolichi, 2001),

- quantitativement les élèves faibles bénéficient de plus d’actions verbales individualisées,

tant d’un point de vue didactique (Talbot, 2007) que pédagogique (Altet, Bressoux, Bru,

Lecomte-Lambert, 1996).

Nous aurions ainsi plusieurs “profils” d’enseignants dont l'efficacité ou l’équité ne peuvent-

être attribuées aux caractéristiques de l’enseignant mais aux processus d’interaction

enseignant/enseignés (Bresoux & Pansu, 2003).

Page 16: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

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IV.b. Evaluations et disciplines enseignées

La polyvalence des enseignants du Premier Degré, en France, amène le même professeur à

enseigner quasiment toutes les disciplines (ou matières), mais le fait que des disciplines

scolaires aient des valences scolaires et sociales différentes entraîne des pratiques

enseignantes différentes (Dauvisis, 1982, 1992 ; Jarlegan, 1999). De plus, seules les

disciplines à forte valence sociale et scolaire, telles, en France, les Mathématiques et le

Domaine de la Langue, concourent prioritairement à ce que l’enseignant se forge une

évaluation du niveau d’un l’élève (Bressoux & Pansu, 2003).

Deux hypothèses générales ont guidé nos travaux :

- les pratiques d’enseignement évaluatives informelles (orales et écrites) et les régulations

qu'elles entraînent différent selon le statut des élèves auxquels elles s’adressent,

- les pratiques d’enseignement évaluatives informelles (orales et écrites) et les régulations

qu'elles entraînent différent selon la discipline enseignée.

V. Les outils de recueil et de traitements des données

Comme nous l'avons précédemment exposé, les enseignants étant amenés à effectuer des

choix de modalités dans les dimensions qui caractérisent leurs pratiques, parfois de façon non

conscientisée, nous avons été contrainte de recourir à des observations longitudinales des

pratiques, afin de recueillir des pratiques “effectives” et leurs variations potentielles.

Notre protocole de recueil puis de traitement, qualitatif et quantitatif, des données a été mis en

oeuvre grâce à un enseignant d'Ecole Elémentaire (classe de Cours Elémentaire 2ème année,

donc composée d’élèves majoritairement de 8 ans en début d'année scolaire). Ce professeur a

accepté de nous recevoir lors de 20 séances réparties tout au long d'une année scolaire, quatre

dans chacune des cinq disciplines suivantes : Français, Mathématiques, “Informatique”,

Education Physique et Sportive et Education Musicale.

Après un recueil de renseignements auprès des acteurs de l'école où exerce ce Professeur et de

l'Inspection de l'Education Nationale dont dépend cette école, nous l'avions sollicité car il est

expérimenté (7 ans d’ancienneté générale dont trois sur ce niveau de classe), de plus il

enseigne toutes les disciplines et est jugé par ses pairs et sa hiérarchie comme un excellent

enseignant, sérieux, ayant le souci de la réussite de tous ses élèves (d'ailleurs manifestement

très apprécié de ses élèves et de leurs familles).

Page 17: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

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Puis, nous avons recueilli, grâce à des grilles d'observations et un journal de bord :

- les statuts des élèves (fort, moyen ou faible) établis par l'enseignant avant chaque séance

dans la discipline observée,

- toutes les appréciations et annotations sur tous les cahiers et classeurs des élèves pendant

l'année scolaire entière,

- l'enregistrement audio de l'ensemble des 20 séances auxquelles nous avons assisté grâce à un

microcravate relié à un dictaphone que portait l'enseignant,

- les repères temporels de début, de phases et de fin de séance,

- les prénoms des élèves avec lesquels une interaction évaluative avait lieu.

Enfin, nous avons traité ces données grâce à un logiciel statistique (Staview) alliant qualitatif

(les modalités des différentes variables que nous avons prises en compte) et quantitatif (le

nombre d'occurences pour chacune des modalités de ces variables).

Nous avons pu ainsi décrire :

- des “unités d’évaluations orales” en précisant, pour chaque interaction évaluative qui donne

lieu à un message oral de l’enseignant, à quel moment de l’année, dans quelle discipline, dans

quelle phase de séance, qui est à l’initiative (l’enseignant ou un élève de tel statut), ce qui est

dit, si c’est approbateur ou réprobateur par rapport à la tâche demandée ou au comportement,

ce qui suit (encouragement, possibilité pour l’élève d’expliciter, indice ou bonne réponse

donnés par l’enseignant vers l’élève concerné ou vers la classe entière),

- l’ensemble du système d’appréciations (allant d’”excellent” à “vu” ou sans appréciation) et

d’annotations (par rapport à la tâche demandée ou à l’orthographe ou au “soin” ou sans

annotation) utilisé par cet enseignant tout au long de l’année, selon la discipline et selon le

statut de l’élève.

Enfin, nous avons mesuré la force des liens de corrélations entre les modalités de variables

qui correspondaient à nos hypothèses.

Un entretien en fin d'année scolaire avec cet enseignant, à l’aide de questions ouvertes, sur sa

conception de l'enseignement/apprentissage, ses modes de déterminations des statuts des

élèves, ses indicateurs d'efficacité ou d’équité, ses façons de faire différentes selon le statut

des élèves ou la discipline enseignée... nous a permis d'éclairer les pratiques recueillies au

travers du filtre des explications données par l'enseignant lui-même.

Page 18: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

18

VI. Des résultats5

VI.a. Dans cette classe, un climat propice aux apprentissages

Nous avons constaté :

- une proportion prépondérante des activités d’apprentissage sur le temps de classe et des

élèves concentrés sur les tâches scolaires : peu de temps morts, peu de bavardages des élèves,

peu de régulations quant à des comportements posant problème ; en effet, l’objet de

l’évaluation orale de l’enseignant porte principalement sur la tâche, la gestion des

apprentissages (à 93 %) et peu sur le comportement, le maintien de la discipline ( à 7 %).

- une information régulière (à l’aide de rétroactions) à chaque élève sur ses réussites ou ses

échecs : un enseignant disponible qui se promène dans les rangées d'élèves ou de groupes

d’élèves au travail et qui maintient la vigilance principalement par le visuel et le gestuel

surtout lors de situations orales collectives. Les élèves (pour 82 % à l’initiative de

l’enseignant et pour 18 % à celle d’un élève) sont destinataires de retours évaluatifs

principalement individuels (à 90 %) et réguliers (plus de 37 retours évaluatifs par séance,

chaque séance durant en moyenne 48 min) sur leurs “productions”.

VI.b. Des interactions évaluatives différentes selon le statut des élèves

Nous avons établi qu’à l’oral :

- les interactions évaluatives sont plus nombreuses avec les élèves faibles considérés

individuellement (38 %) portant principalement sur les résultats des travaux à réaliser, puis

avec les “forts” (28 %), et enfin les “moyens” (24 %) ; les 10 % restant étant des interactions

évaluatives vers un groupe d’élèves ou la classe entière,

- le nombre d’évaluations verbales négatives augmente dans le même sens de corrélation que

le statut de l’élève va de fort à faible : les élèves « faibles » reçoivent plus d’évaluations

négatives ; les élèves « forts » bénéficient de plus d’évaluations positives, puis les élèves

« faibles » et enfin les élèves « moyens ».

- les élèves « forts » sont, très significativement, plus encouragés, ils peuvent plus expliciter et

la solution leur est beaucoup moins révélée, les élèves « moyens » sont, significativement,

moins encouragés et la solution leur est plus révélée, les élèves « faibles » reçoivent,

significativement, plus la solution.

5 Nous ne communiquons ici que nos résultats statistiquement significatifs (pour les tests de Chi2 : p<.05)

Page 19: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

19

Nous avons établi qu’à l’écrit :

Les élèves forts reçoivent plus d’appréciations positives, les élèves faibles plus

d’appréciations négatives. Ce sont les élèves faibles dont les travaux sont les plus annotés.

VI.c. Des interactions évaluatives différentes selon la discipline enseignée

- A l’écrit : l'enseignant n'évalue que les productions individuelles et écrites en Français et

Mathématiques : les productions écrites en “Informatique”, en Education Musicale ne sont ni

appréciées, ni annotées. Les travaux écrits des élèves sont plus évalués en Français qu’en

Mathématiques.

- A l’oral : le professeur s’adresse à un élève, individuellement, majoritairement (à 90 %) et

non à la classe entière (à 10 %), excepté en Education Musicale (où toutes les séances

observées traitaient de l’apprentissage de chants, de façon collective).

VI.d. Des explications de l'enseignant recueillis lors des entretiens

Lors de l’entretien en fin d’année scolaire, l’enseignant nous a dit : “Une séance est

réussie, lorsqu'à la fin, tous les élèves ont réalisé ce qu’il y avait à faire, alors je peux dire

que je suis efficace.” (...) ”pour être plus juste, je dois plus m’occuper des faibles pour les

aider à réussir” (...) “tous les élèves doivent rester actifs pour apprendre et ne pas perturber

la classe et aussi pour qu'il y ait des traces de leurs travaux assez réussis dans les cahiers ou

les classeurs que les parents signent chaque semaine” .

VII. Discussion

VII.a. La difficulté de mesurer l'efficacité et l'équité

Pour cette recherche aucune mesure d’efficacité ou d’équité n’a été réalisée. Ayant

rejeté les modèles de type “processus-produit” pour étudier le système d’enseignement

/apprentissage, il nous parait délicat, pour mesurer l’efficacité ou d’équité, de corréler la

fréquence de certains comportements d’enseignement, comme les interactions ou comme le

temps alloué aux apprentissages, avec des mesures de rendement. De toute façon se pose

également la question de la mesure des rendements : écarts entre les niveaux d’entrée et de

sortie des élèves ? Au bout de combien de temps ? Ces écarts étant mesurés sur des

connaissances déclaratives, des effets socio-affectifs, des compétences ?

VII.b. D'après le chercheur...

Nous anticipions des conjonctures d’efficacité que nous n’avons que très partiellement

observées. En effet, dans cette classe, où l’enseignant est expérimenté et aurait des

Page 20: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

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caractéristiques d’efficacité voire d’équité reconnues par ses pairs, les familles, les élèves et

ses supérieurs, un climat propice aux apprentissages a été observé. Certes, ce professeur se

préoccupe beaucoup des faibles car il interagit plus avec eux, du moins en ce qui concerne les

interactions évaluatives, ce qui pourrait laisser penser qu’il est ainsi équitable. Mais ensuite,

en proposant des indices et même la solution à ces élèves de statut faible, il ne leur permet pas

d’être longtemps confrontés à des tâches complexes afin de progresser (Allal, Rouiller, Saada-

Robert & Wegmuller, 1999 ; Aden & Rogiers, 2003 ; Rey, Carette, Defrance & Khan, 2002,

2003 ). Comme le développent E. Bautier et Y. Rochex (2004), ces “faibles” sont confrontés à

des tâches tellement simplifiées qu'elles ne font appel qu'à des traitements de bas niveau et ne

permettent pas, comme chez les élèves “forts” qui eux, en pouvant régulièrement expliquer,

justifier, de travailler sur des traitements de haut niveau. Des études développées dans le

champ de la didactique des Mathématiques montrent que les professeurs auraient plutôt

tendance à solliciter davantage les possibilités de réflexion des bons élèves et à confiner les

plus faibles dans des tâches d’application ou de stricte mémorisation (Butlen & Pezard, 1992 ;

Perrin-Glorian, 1993). Ici, les régulations ne concernent que rarement des explicitations de

critères de réussite, il s’agit le plus souvent de contrôler des performances et leur progression,

plus que de permettre aux élèves la prise en charge et la régulation de leurs apprentissages

(Campanale, 2007).

VII.c. D'après l'enseignant...

Lors de l’entretien en fin d’année scolaire, l’enseignant se sent efficace si, à la fin d’une

séance, un maximum d’élèves ont réalisé la tâche qu’il avait initialement préscrite. Il se pense

équitable en ayant le souci des “faibles” et en interagissant plus avec eux. Les tâches

prescrites, à chacune des vingt séances observées, une même tâche pour tous les élèves,

s’accompagnent le plus souvent de traces écrites dans les cahiers ou classeurs des élèves,

cahiers ou classeurs visés chaque semaine par les parents. Ce professeur interagit également

plus avec les “faibles” afin de les maintenir actifs pour ne pas perturber la classe. Il ne

souhaite pas ralentir l’”avancée” de sa classe.

VIII. Conclusion

Deux postures, celles du chercheur et celles de l’enseignant sont différentes, ne suivant

pas les mêmes logiques elles sont toutes deux non “neutres” : les outils de recueil et de

traitement de données ne mettent en évidence que certaines dimensions.

Page 21: Textes de l'atelier n°7 : Raybaud-Patin ; Dollo ; Patinet & Cogérino

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En tant que chercheur, si nous nous centrons sur des conjonctures d’efficacité plutôt liées

au didactique, nous pouvons penser que les pratiques de l’enseignant observées dans cette

recherche, ne sont pas équitables : certes, ce professeur a le souci quantitatif de plus s’occuper

des “faibles” mais son “aide” entraîne une baisse qualitative du niveau du traitement des

tâches chez les élèves “faibles”. Mais si nous nous centrons sur des conjonctures d’efficacité

au niveau du climat de la classe, de la gestion du groupe classe, du pédagogique, nous notons

une information régulière par l’enseignant des élèves sur leurs progrès, mais, contraint par le

temps (durée de la séance), ce professeur est poussé à maintenir les “faibles“ centrés sur la

tâche, en leur apportant des informations, pour que les autres élèves puissent travailler. Cet

enseignant a également comme objectif, au niveau uniquement des disciplines à forte valence

scolaire et sociale, que sont les Mathématiques et le Français, de présenter aux familles des

cahiers ou classeurs où les travaux sont terminés, accompagnés d’appréciations et

d’annotations, surtout chez les élèves “faibles”.

Cette étude illustre le fait, qu’à travers les séances que nous avons pu observer :

- un enseignant peut poursuivre des objectifs parfois en tension (didactique/pédagogique),

- un enseignant n’est pas toujours conscient de toutes les interactions et de leurs

“conséquences” en classe, ces pratiques différentes selon les élèves renvoie souvent au

registre des émotions dont la transmission s’effectuerait essentiellement par le non verbal

(Bressoux & Pansu, 2003). L’enseignant ne se rend pas toujours compte avec précision des

relations qu’il privilégie avec certains élèves de sa classe (Bru, 2006),

- il peut y avoir confusion entre tâche et apprentissage : l'"avancée pédagogique" voire

l"'avancée du temps didactique" entraîneraient la primauté du produit sur les processus

d'apprentissage, les élèves réussissent mais apprennent peu. Ainsi dans des situations scolaires

collectives où la même tâche est proposée à tous, vu le découpage temporel de la journée

scolaire en séances, vue l’hétérogénéité des élèves (un même élève n’ayant pas le même statut

dans toutes les disciplines), les marges de manoeuvre sont donc restreintes pour un enseignant

(Maurice & Murillo, 2008),

- l’évaluation n’est pas toujours présente au service de la régulation des apprentissages mais

comme un simple constat des « productions » (dans le sens d’une validation ou non

validation) des élèves et non pas comme une dynamique du processus

d’enseignement/apprentissage.

Des études complémentaires quantitatives et qualitatives sont à poursuivre, en situation

quotidienne, in situ, car ces "contrats didactiques différentiels" (Leutenegger & Schubauer-

Léoni , 2002) questionnent l'efficacité et l'équité.

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