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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2000 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 1 juil. 2020 10:30 Études françaises Textes, corpus littéraires et nouveaux médias électroniques : quelques notes pour une histoire élargie de la littérature Christian Allegre Internet et littérature : nouveaux espaces d’écriture Volume 36, numéro 2, 2000 URI : https://id.erudit.org/iderudit/005252ar DOI : https://doi.org/10.7202/005252ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Allegre, C. (2000). Textes, corpus littéraires et nouveaux médias électroniques : quelques notes pour une histoire élargie de la littérature. Études françaises, 36 (2), 59–85. https://doi.org/10.7202/005252ar Résumé de l'article La révolution numérique a mis rétrospectivement le livre et l'imprimé en lumière comme des technologies de transmission culturelle. Mais de quoi sera faite la République des lettres de demain, alors que les corpus littéraires et les instruments de travail seront remédiatisés par l'ordinateur et les réseaux électroniques ? La théorie des hypertextes qui a connu un certain succès au début de la décennie vise un autre but et s'avère insuffisante pour aider à rendre compte du nouveau statut des textes dans l'économie du savoir. Cet article propose quelques jalons en vue d'une étude de la construction sociotechnique des corpus et des instruments du travail littéraire et suggère aux historiens de la littérature d'étendre leur domaine à ces nouvelles pratiques.

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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2000 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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Document généré le 1 juil. 2020 10:30

Études françaises

Textes, corpus littéraires et nouveaux médias électroniques :quelques notes pour une histoire élargie de la littératureChristian Allegre

Internet et littérature : nouveaux espaces d’écritureVolume 36, numéro 2, 2000

URI : https://id.erudit.org/iderudit/005252arDOI : https://doi.org/10.7202/005252ar

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Éditeur(s)Les Presses de l'Université de Montréal

ISSN0014-2085 (imprimé)1492-1405 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleAllegre, C. (2000). Textes, corpus littéraires et nouveaux médias électroniques :quelques notes pour une histoire élargie de la littérature. Études françaises, 36(2), 59–85. https://doi.org/10.7202/005252ar

Résumé de l'articleLa révolution numérique a mis rétrospectivement le livre et l'imprimé enlumière comme des technologies de transmission culturelle. Mais de quoi serafaite la République des lettres de demain, alors que les corpus littéraires et lesinstruments de travail seront remédiatisés par l'ordinateur et les réseauxélectroniques ? La théorie des hypertextes qui a connu un certain succès audébut de la décennie vise un autre but et s'avère insuffisante pour aider àrendre compte du nouveau statut des textes dans l'économie du savoir. Cetarticle propose quelques jalons en vue d'une étude de la constructionsociotechnique des corpus et des instruments du travail littéraire et suggèreaux historiens de la littérature d'étendre leur domaine à ces nouvellespratiques.

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Textes, corpus littéraireset nouveaux médiasélectroniques :quelques notes pour une histoire élargiede la littérature

Si les historiens et les critiques désirent un jour bâtir une image con-crète et précise de ce qui est arrivé aux études littéraires au début due siècle sous la pression des nouveaux médias électroniques, desréseaux de télécommunication globaux et devant le développementtrès rapide de la cybersphère, ils auront à examiner la médiation tech-nique de nos textes, de nos corpus, et de nos instruments de travail(manuels, anthologies, recueils, dictionnaires, encyclopédies, etc.) et ilsne manqueront pas de remarquer qu’au sein des communautés spécia-lisées, les technologies auront dicté le choix des textes autant que lechoix des textes aura dicté le recours à certaines technologies. Dans cequi suit, je rappelle pourquoi cela est inévitable, comment a été penséela médiation technique jusqu’ici et je suggère qu’une approche riche etprometteuse pour la comprendre pourrait consister en un élargisse-ment des objets traditionnels de l’histoire littéraire, pour inclure ce queje nomme la médiatisation des textes par les nouveaux médias électroni-ques. À cette fin, je propose que nous nous inspirions des méthodespratiquées dans les recherches en sociologie des sciences et de la tech-nologie, en particulier de leur méthode systémique d’explication del’émergence ou du succès des technologies par la « construction » insti-tutionnelle et sociale et les rapports entre groupes d’intérêts.

Ce travail tente d’établir quelques jalons d’une vue de la littératurecomme acte de communication. C’est le premier d’une réflexion encours et d’un essai plus large à venir sur les études littéraires et l’ensei-gnement de la littérature dans la société en réseaux.

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Il y a quelque trente-cinq ans, au début des années , l’idée s’imposaà quelques chercheurs que la culture pouvait être considérée et devaitêtre étudiée comme un système d’actes de communication et de trans-mission, et que conséquemment les moyens utilisés pour effectuer cescommunications et transmissions méritaient toute notre attention,dans la mesure où la teneur d’un message dépend, en partie au moins,du médium utilisé pour la transmission. Un professeur d’histoire grec-que, Eric A. Havelock (Havelock, )1 voulut vérifier cette hypothèsedans le cas de la Grèce ancienne et ses travaux montrèrent commentl’adoption, à partir du e siècle av. J.-C., d’un système d’écriture radi-calement nouveau mettant (potentiellement) la lecture à portée de tous,entraîna à terme l’apparition de deux nouveaux types de discours : celuide l’« histoire » et celui de la « philosophie », lesquels s’imposèrent ens’opposant à la poésie qui, jusque-là, avait réussi à garder le monopoledans le domaine de la transmission du mémorable. Havelock étaitarrivé à cette conclusion au terme de longues et patientes études ; ils’était appuyé sur ses prédécesseurs et en particulier sur l’articledéclencheur de Milman Parry sur Homère, publié en français (Parry,), où celui-ci avait démontré le caractère oral et improvisationneldes formules homériques.

À peu près au même moment, un autre professeur, de littératureanglaise, celui-là, spécialiste de Joyce, découvrait l’œuvre d’un des plusremarquables historiens canadiens, Harold A. Innis, qui avait publié en une étude intitulée The Press, a Neglected Factor in the EconomicHistory of the Twentieth Century (Innis, ), puis proposé l’idée alorsneuve de l’importance des médias dans la construction des empires(Innis, ) et celle, non moins neuve, que l’imprimé avait été l’unedes principales causes de troubles internationaux et de mécompréhen-sions depuis le e siècle (Innis, ). Il avait pris connaissance aussi dugrand-œuvre de Walter Ong sur Pierre de la Ramée (Ong, ). C’estde ces lectures que Marshall McLuhan, puisque c’est de lui qu’il s’agit,tira sa Galaxie Gutenberg en , appelée au succès qu’on sait, puis Pourcomprendre les médias en . Dans sa thèse de doctorat, The MechanicalBride : Folklore of Industrial Man, McLuhan avait montré, d’où sa récep-tivité aux idées de Harold Innis et de Walter Ong, à partir d’une profu-

. À cause de l’aspect « répertoire » de cet article, nous avons cru pertinent d’utiliser lesystème de notes à l’américaine lorsqu’il s’agit de références qui se retrouvent dans labibliographie qui suit (NDLR).

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sion d’exemples puisés dans la culture de masse, comment, même dansune société démocratique, l’opinion publique est manipulée par l’in-dustrie et la publicité.

Les universitaires sont de deux sortes : il y a les défricheurs et il y ales chercheurs. McLuhan était un littéraire, et de la première sorte, undécouvreur. Elizabeth Eisenstein, qui entreprit, dans les années ,de reprendre le sujet de La galaxie Gutenberg à nouveaux frais pour exa-miner comment l’imprimerie, en tant qu’instrument de communica-tion, avait été un agent de changement (Eisenstein, ), fut cechercheur qui, là où McLuhan était demeuré métaphorique et abstrait,apporta une moisson de preuves historiques concrètes. Eisenstein, quis’appuyait sur l’œuvre maîtresse que, dès , Lucien Febvre avaitcommandée à Henri-Jean Martin (Febvre & Martin, ), dit non sansmorgue dans la bibliographie de la version abrégée de son grandouvrage (Eisenstein, ; trad. fr. ) que La galaxie Gutenberg estune « mosaïque bizarre » de citations destinées à stimuler la réflexionsur les effets de l’imprimerie. Et c’est exactement ce que ce livre fit,mais il le fit une fois pour toutes.

McLuhan mourut en et les années , tout en faisant le lentapprentissage de la micro-informatique, s’empressèrent d’enterrer sousle silence et les accusations de « laxisme2 » ce trouble-fête, ce provoca-teur, cet « explorateur » comme il se nommait lui-même, qui eut leculot de faire entrer de force la culture populaire dans la culture toutcourt. Loin cependant d’être oublié, le nom de McLuhan revient enforce depuis quelques années au point que je ne connais guère de livrerécent publié depuis sur l’avenir de la culture à l’ère numérique etdes nouveaux médias électroniques qui ne le cite. C’est là où nous ensommes. Nos médias ont une histoire technique et culturelle, qui estliée à l’histoire des textes, des œuvres et de nos objets de recherchetraditionnels.

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Pourquoi ce retour à McLuhan ? C’est, je crois, que la vieille et efficaceformule de Pour comprendre les médias, « Le message est le médium » (oul’inverse), nous hante3. Tout autour de nous, il n’est question que des

. La dernière vient de Régis Debray, qui lui doit tant : « Histoire des quatre M »,Cahiers de médiologie, no , , p. .

. C’est au point que HardWired, branche « médias traditionnels » de Wired VenturesInc., éditeur de Wired, jusqu’à récemment le magazine phare de la cyberculture en Amé-rique du Nord a réédité en The Medium is the Message : An Inventory of Effects (), le

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réseaux électroniques et de leurs promesses, de multimédia, d’hyper-média ; les oreilles nous bourdonnent de nouvelles technologies del’information et de la communication, l’atmosphère bruit de l’accumu-lation et du mélange des nouveaux médias, de toutes sortes de remé-diatisations d’objets culturels que nous croyions stables ; nous sommesinquiets et voudrions bien savoir quelle sorte d’environnement cesnouveaux médias vont nous modeler, puisque nous savons que c’estinévitable, et ce qui va rester de la République des lettres que l’impri-merie a rendue possible et nous a léguée, et qui est au cœur de nosactivités et de notre vie. Nous aimerions savoir comment nous allonstravailler dans l’environnement de plus en plus médiatisé qui sembleêtre la seule avenue devant nous. Nous savons que lentement maissûrement ces nouveaux médias agissent, mais nous n’avons guèred’instruments pour mesurer leurs effets. Ce terme de « médium », souslequel McLuhan rassemblait à la fois procédé de symbolisation, codede communication, support matériel d’inscription et de stockage, etdispositif d’enregistrement et de diffusion, est un terme très riche,beaucoup trop riche. Il n’en reste pas moins que nous comprenons queles technologies ne sont pas des canaux inertes, mais des processusactifs, et que leur influence, pour imperceptible qu’elle est, est détermi-nante. La fameuse phrase lancée par Valéry en : « Nous autres,civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », aun pendant aujourd’hui qui pourrait être : « Nous autres civilisations dela fin du e siècle, nous savons maintenant que nous sommes modela-bles par nos technologies. »

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Notre grande affaire, à nous autres littéraires ou chercheurs dans ledomaine des humanités, quelquefois dans celui des sciences humaines,est d’exercer des pouvoirs d’analyse et de synthèse sur des textes, descorpus de textes et des connaissances connexes qui nous parviennentnécessairement médiatisés (qui n’existent pas, à proprement parler, in-dépendamment de leurs médias de transmission), et de transmettre ouretransmettre à notre tour. Nous devrions donc, en bonne logique,être intéressés au premier chef par les divers agents médiateurs de cesconnaissances (dont nous faisons partie nous-mêmes, ainsi que nos ins-

fameux petit livre « produit », c’est-à-dire mis en scène par Jerome Agel, à partir de décla-rations de McLuhan, et dont la mise en page par Quentin Fiore fit école dans les artsgraphiques au tournant des années .

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titutions, mais à un autre niveau). Or, pour nous en tenir aux aspectsmatériels et techniques, qui sont ce qui m’intéresse ici, il apparaît plutôtque nous ayons confié la tâche de penser la médiation de nos objets derecherche à des spécialités et qu’elle se soit divisée en une multiplicitéde branches du savoir auxquelles nous déléguons de nous renseigner.Certains s’intéressent au procédé de symbolisation (parole, écriture,image, son, forme numérique), d’autres au code social de communica-tion (la langue), d’autres encore au support matériel d’inscription et destockage (pierre, argile, papyrus, parchemin, papier, bande ou disquemagnétique, écran ; et par suite rouleau, tablette, codex, livre, etc.) ;d’autres enfin au dispositif d’enregistrement, et de diffusion (manus-crit, imprimé, photo, télévision, informatique). Tout ce qu’on a accuséMcLuhan de confondre. On aura vite fait en lisant ces mots de plaquerautomatiquement les noms des sciences correspondantes qui parcelli-sent ce savoir de la médiation technique et que nous aurions fort à fairede rassembler. Aussi bien un tel effort n’est-il pas nécessaire. La média-tion en elle-même n’est pas ce qu’il y a à comprendre. La médiation estle mode d’apparition4, et en tant que telle appartient à la métaphysi-que. Ce qui nous importe plutôt, c’est la remédiation, et la remédiationcomme l’un des aspects du processus de constitution sociale des arte-facts textuels.

La médiation matérielle est bien réelle, générale et inévitable, maiselle n’a rien à nous révéler, en quelque sorte, sinon qu’elle est toujoursremédiation, puisque tout acte de médiation dépend d’autres actes demédiation5. Mais cette opération de la remédiation, qui s’effectue con-crètement lors des opérations de transfert des contenus vers d’autressupports, opération de translation-traduction-conversion6 vers de nou-veaux médiums, c’est-à-dire qui s’opère lors des changements demédias (autrement dit des remédiatisations), à savoir des opérationstechniques bien pratiques et bien réelles, cette remédiation donc ne

. On sait que Heidegger a défini la technique comme dévoilement « pro-ducteur »,comme « pro-vocation » (Heraus-fordern) « interpellant », « ar-raisonnant » (stellen) la naturequi en se dévoilant est « commise » (Ge-stell) comme fonds. (« La question de la techni-que », dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, ).

. C’est précisément ce que Heidegger ne voit pas, pris qu’il est dans l’orbe de lamétaphysique du Gestell, qui ne nous apprend rien sur l’instrumentalité à l’œuvre dans lamédiation. Le texte récent le plus au point sur la médiation technique est dû à BrunoLatour : « On Technical Mediation : Philosophy, Sociology, Genealogy », Common Know-ledge, vol. III, no , automne , p. -.

. En écrivant « translation-traduction-conversion », je désire laisser à penser que cetteopération est parente de la traduction telle que Michel Serres l’entend dans Hermès III : latraduction (Paris, Minuit, ).

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(re)produit jamais que le réel. De par ce fait, elle est capable aussi de lereformer, de le modeler, de l’orienter, par le jeu des contraintes techni-ques, à chacune des remédiatisations, celles-ci étant de plus opérées pardes agents et des groupes sociaux avec leurs intérêts propres et leursbuts. C’est peut-être ce qui inquiète Régis Debray et motive ses recher-ches sur la médiologie7. C’est pourquoi en tous cas il est intéressantd’étudier le changement technologique d’un point de vue écosysté-mique. La question de la remédiation a été longuement traitée dans unarticle cosigné par Jay David Bolter et Richard Grusin (Bolter & Grusin,), que ces auteurs ont développé en un livre complet qui porte cetitre : Remediation (Bolter & Grusin, ).

Pour un littéraire cependant, la question générale de la remédiation,c’est-à-dire finalement de la transmission d’un texte, d’un corpus, n’arien de bien nouveau. Gustave Lanson nous a fait la leçon il y a unsiècle : cela fait partie de la tâche de l’histoire littéraire que d’examinerle devenir des textes, que d’expliquer, outre le texte lui-même et sa« fabrique », comment un groupe choisit, consacre et se sert de cetexte, l’étudie, le fétichise ou non, le remédiatise de diverses façons, etle transmet à son tour, etc. C’est le travail de l’historien. L’histoire litté-raire comprend non seulement l’histoire des textes et l’analyse desœuvres, mais aussi l’évolution propre à une époque entre héritage dupassé et innovation, celle de ses lectures, celle de sa critique, et la vielittéraire, c’est-à-dire les formes de sociabilité, les lieux et modes d’en-seignement et de transfert, les lieux et les instances de consécration, lesstructures et les stratégies de diffusion, les institutions et les avant-gardes politico-littéraires, leurs guerres, leurs pactes, leurs rapports, etl’aventure des myriades d’invididus et de groupes sociaux qui gravitentautour, s’en nourrissent, y contribuent, et la font évoluer. Il suffit doncd’élargir un tant soit peu nos méthodes d’historiens de la littératurepour inclure la construction sociale de ces nouveaux artefacts techni-ques que sont les textes électroniques, les -, les et les pagesWeb. Cette façon de travailler n’est pas sans exemples : elle s’inspire dela méthode employée par Michel Serres dans la série Hermès (-), dans Feux et signaux de brume (), dans Le parasite (), dansGenèse (), entre autres. Les nouveaux historiens et sociologues dessciences et de la technologie, comme Isabelle Stengers, comme surtoutBruno Latour, ne travaillent pas autrement. Autour du phénomène

. Voir notamment Le pouvoir intellectuel en France (Paris, Ramsay, ; coll. « Folioessais », ), en particulier « Éléments pour une histoire littéraire » (p. -) et Trans-mettre (Paris, Odile Jacob, ).

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technique, ils reconstruisent le contexte entier d’émergence. Latourécrit par exemple : « lorsque je décris la domestication des microbes parPasteur, c’est la société du e que je mobilise et pas seulement lasémiotique des textes d’un grand homme ; lorsque je décris l’inven-tion-découverte des peptides du cerveau, je parle bien des peptideseux-mêmes et non pas simplement de leur représentation au labora-toire du professeur Guillemin. Pourtant, il s’agit bien de rhétorique, destratégie textuelle, d’écriture, de mise en scène, de sémiotique, maisd’une forme nouvelle qui embraie à la fois sur la nature des choses etsur le contexte social, sans se réduire pourtant ni à l’une ni à l’autre8. »La méthode décrite ici par Latour n’est-elle pas la méthode même del’histoire littéraire ? En s’adjugeant l’histoire matérielle et la technologieen plus de ses domaines traditionnels, l’histoire littéraire ainsi conçuepropose peut-être une conception un peu impériale de son rôle, maiselle se donne les moyens de comprendre adéquatement l’émergence etle statut des objets qu’elle étudie, qui sont son domaine propre9.

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Il ne s’agit pas de déterminisme technologique, lorsque nous disonsaujourd’hui que l’imprimerie comme technologie, que le livre commemédium de communication, ont rendu possibles les institutions parlesquelles nous vivons encore aujourd’hui, et qu’ils ont façonné notreunivers mental. Les formes d’appropriation et de lecture, d’écriture,la notion d’auteur courante ou discutée aujourd’hui ont toutes leurgénéalogie ancrée dans la galaxie Gutenberg. Les livres sont cependantmoins notre patrimoine que les textes qu’ils renferment. Or ces textessont l’objet, à l’heure actuelle, d’une remédiatisation qui avance trèsvite. En généralisant rapidement, on pourrait dire que nos plus ancienstextes sont passés du rouleau au codex, du codex au livre, au livre depoche, à la bande son ou vidéo ; ils passent maintenant au -, au, à la page Web, leur existence devient numérique. L’édition électro-nique est un domaine d’activité florissant et en plein essor. Quelquesexemples suffiront à le montrer. Du côté des outils de travail, les Pressesde l’Université Johns Hopkins publient The Johns Hopkins Guide toLiterary Theory & Criticism10 sur le Web, et il est expliqué expressément

. Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris,La Découverte, , p. -.

. C’est d’ailleurs une conception et une méthode dans la droite ligne de l’École desAnnales.

. The Johns Hopkins Guide to Literary Theory & Criticism, édité par Michael Groden etMartin Kreiswirth, http://www.press.jhu.edu/books/hopkins_guide_to_literary_theory/ :

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dès la page d’abonnement qu’au contraire d’un livre, ce service enligne permettra les mises à jour, les ajouts, les refaçonnages périodi-ques, etc. Du côté des corpus, Chrétien de Troyes existe encodé en () à l’Université Princeton (le projet Charrette) ; tout Rabelais,tout Montaigne sont offerts par les éditions Slatkine-Champion sousforme de -, Montaigne en coédition avec Bibliopolis, le pionnierde l’édition électronique française11, éditeur, entre autres, du Corpus desœuvres de philosophie en langue française, qui paraît imprimé chez Fayard ;Chadwick-Healey offre un Voltaire électronique qui contient tous lesvolumes parus de l’édition d’Oxford en cours, plus l’édition Moland detous les autres ; le très riche catalogue de cette maison, qui a pris beau-coup d’avance dans le domaine de l’édition électronique, contient aussil’édition de Weimar des Œuvres de Goethe, les Œuvres de Schiller et detrès nombreux titres des littératures anglo-américaines. Au début de, cette compagnie lança le site « Literature Online », ressourceremarquable de œuvres littéraires en langue anglaise et améri-caine12. Le site, les études et les décisions qui ont mené à sa réalisationont été décrits récemment dans un numéro spécial de la revue Computersand the Humanities sur l’édition électronique (Hall, ) ; il s’agit d’unmaillage très astucieux et très puissant de - qui étaient dispo-nibles et consultables antérieurement, tous de très haute qualité, etle site Web contient en plus non seulement des outils de rechercheet de navigation, mais des ouvrages de référence d’époque. C’est réel-lement une ressource unique en son genre13. Le tout est encodé en

« In contrast to a book, The Johns Hopkins Guide to Literary Theory & Criticism Onlinewill have frequent modifications and updates. New images, new information, and new user toolswill be continuously integrated into the online publication. Consequently, a subscription to theresource provides an uncomplicated mechanism for access, both for individuals and institutions. »

. On peut se faire une idée de l’amplification récente de la remédiatisation en coursen visitant le site Web de Librissimo.com, librairie en ligne regroupant les éditeurs élec-troniques Bibliopolis (fournisseurs de la Bibliothèque nationale de France et de l’Agencebibliographique de l’enseignement supérieur) et sa branche littéraire, le Catalogue deslettres. Les textes publicitaires sont explicites, qu’on en juge : « Le Catalogue des lettres estune maison d’édition qui s’est donné pour objectif de porter au format électroniquel’ensemble des humanités françaises des origines à , en organisant ses publicationsautour des thèmes, des écoles et des courants qui ont traversé l’histoire de notre culture. »(http://www.librissimo.com/).

. Voir l’éloquente page de publicité pour Literature Online dans les Publications of theModern Language Association (PMLA), vol. CXIV, no , mars , p. .

. Literature Online aura, semble-t-il son pendant français, puisqu’on lit, toujours surle site de Librissimo.com : « Fortement engagés dans la remise à disposition du patrimoineécrit, Bibliopolis et le Catalogue des lettres ont mis en œuvre une série de projets visant tous àfaciliter l’accès de tous les publics à ce patrimoine. C’est ainsi qu’à côté de Librissimo.com, legroupe développe un serveur pédagogique de littérature à destination des professeurs etélèves de l’enseignement secondaire et supérieur, nommé LiLi (Littérature en ligne)… »

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14, la lingua franca de l’édition électronique scientifique, c’est-à-direque les textes sont encodés, ou si l’on préfère « décrits », de façon à lafois précise et très sophistiquée selon un protocole établi par des cher-cheurs spécialistes de ces textes, sur la base de stratégies adaptées àl’analyse critique des textes. Grâce à cet encodage qui est un balisage(tagging), les corpus sont rendus accessibles à l’interrogation avec untrès haut degré de granularité, c’est-à-dire de finesse et de profondeurdans le détail descriptif.

Ce ne sont là que quelques exemples qui viennent à l’esprit. Ils sontlégion15. Nous en sommes au stade de l’accumulation de telles ressour-ces électroniques. Étant donné leur prix, nos bibliothèques universitai-res en sont habituellement les gardiennes. Mais ces exemples nouspersuadent de la force économique que représentent l’édition électro-nique et le World Wide Web. Le point que je cherche à souligner est queces textes, qu’ils soient récents ou anciens ou très anciens, ont changéde médium (à la fois de support matériel et de dispositif d’enregistre-ment et de stockage), ils ont été remédiatisés ; ils peuvent être encorelisibles comme livres, mais encapsulés dans un nouveau médium.L’encapsulage et la remédiatisa tion sont les deux modes courants d’in-tégration des nouvelles technologies dans nos corpus et nos outils detravail. Il serait d’ailleurs plus juste de dire que ce sont nos corpus etoutils de travail qui se voient intégrés, encapsulés, dans les nouvellestechnologies et les nouveaux médias, car ce sont les nouvelles techno-logies, plus que les corpus, autour desquelles une activité économiqueprofitable est possible, autour desquelles se forment des équipes detravail munies de moyens (salaires, budgets, machines, logiciels, utili-taires et instrumentations diverses, programmes, systèmes de commu-nication et de marketing, etc.). Il est trop tôt pour se faire une idée dece que vont devenir les études littéraires à l’ère des réseaux et des nou-veaux médias, d’ici disons dix ou quinze ans, mais une chose paraîtcertaine : ce sera pour une large part, parmi d’autres facteurs, le résultatdes développements d’une activité galopante qui a cours en ce moment

. SGML = Structured Generalized Markup Language. SGML est une famille de « langa-ges » non de programmation, mais d’encodage ou de description des textes par marquage(markup), susceptibles de rendre compte de manière très fine des particularités textuelles,permettant ainsi des analyses et des recherches avancées. L’incarnation de SGML la plusimportante pour les Humanités est la Text encoding initiative (TEI) : <http://www.uic.edu/orgs/tei/index.html>. Les langages HTML et XML adaptés au World Wide Web font par-tie de la famille SGML.

. Parallèlement à ces opérations commerciales significatives, il existe de trèsnombreux projets universitaires et des entreprises individuelles ou collectives à caractèrebénévole.

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et qui se nomme édition électronique. Or l’une des caractéristiquescentrales de l’édition électronique est de rendre nos corpus et instru-ments de travail disponibles sous forme d’hypertextes.

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Le développement de l’édition électronique, des nouveaux médias etdu multimédia sont des activités économiques récentes, qui n’ont pasencore fait l’objet de recherches systématiques. Ce sont des domainesqui n’intéressent, au demeurant, qu’un petit nombre de littéraires surle plan de la recherche. Platoniciens en cela, nous préférons l’épistémé àla tèkhné. Sur le plan théorique, jusqu’à présent et récemment (années), nous avons cependant eu une flambée d’intérêt autour deshypertextes, à partir de , et qui a culminé en par la publicationd’une première vague d’études. Hypertext : The Convergence of Technologyand Contemporary Critical Theory de George Landow (Landow, ),Writing Space : The Computer, Hypertext, and the History of Writing, de JayDavid Bolter (Bolter, ), Literacy Online : The Promise (and Peril) ofReading and Writing with Computers, de Myron Tuman (Tuman, )ont paru en . L’année suivante parurent The Electronic Word :Technology, Democracy and the Arts de Richard Lanham (Lanham, ),qui analyse plusieurs des positions des autres livres dans son chapitre ,et Word Perfect, Literacy in the Computer Age de Myron Tuman (Tuman,). Dans son petit livre très bien fait : Hypertext : The ElectronicLabyrinth (Snyder, ), Ilana Snyder a résumé magnifiquement et cri-tiqué les positions respectives de tous ces ouvrages et de quelquesautres. Tous ces ouvrages16, malgré leurs différences, partagent deuxpoints communs importants. Ils ont tous pour auteurs des universitai-res enseignant dans le domaine des humanités, et tous voient dans lemodèle hypertextuel la réalisation concrète de théories littéraires héri-tées du « poststructuralisme » français et de ce qu’on appelle aux États-Unis « Critical Theory ». Les noms qui reviennent le plus souvent sontRoland Barthes (S/Z) et Jacques Derrida (Glas, La dissémination, De lagrammatologie, La carte postale), mais aussi Foucault dont on cite surtoutla conférence de « Qu’est-ce qu’un auteur ?17 », texte fameux où

. On en trouvera aussi quelques autres dans la bibliographie.. Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », dans Dits et écrits, vol. , Paris,

Gallimard, , p. -. Richard Grusin, dans l’article qui a déclenché la réflexionqu’on lit ici, rappelle à quel point ce texte fut central pour les théoriciens américains del’hypertexte : « What is an Electronic Author ? », Configurations, vol. II, no , automne ,p. -.

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Foucault en appelait à la fin de l’auteur au profit de nappes discursivesdont il n’était plus que l’« instaurateur ».

Je ne reprendrai pas la théorie de l’hypertexte dans les limites de cetarticle. Mais force nous est de reconnaître que comme modèle de texteélectronique, l’hypertexte est effectivement riche en possibilités nou-velles : en reconfigurant les notions de texte, d’auteur, d’écriture, enreconfigurant la narration, c’est en fin de compte les études littéraireselles-mêmes qui peuvent être transformées. Et les auteurs mentionnésplus haut s’en sont donné à cœur joie sur ce plan. Ilana Snyder faitraison de leur « utopisme myope18 ». L’hypertexte permet en tous casd’enseigner beaucoup plus facilement — par l’exemple — certains con-cepts de base de la théorie littéraire telle qu’on la concevait au tour-nant des années -, et George Landow a raison de souligner laconvergence « presque embarrassante19 » entre théorie et technologie.La fluidité du texte électronique, la facilité avec laquelle il peut êtremodifié, récrit, mis à jour, sa malléabilité, son « instabilité » par rapportau livre, sa facilité à s’atomiser, à se fragmenter en éléments consti-tuants ne pouvaient que fasciner une génération dont la passion fut dedéconstruire les lieux de pouvoir ou de maîtrise embusqués derrièreles notions d’Auteur et de Texte. Par la multiplication des possibilités,des modes d’entrée et d’interaction, les hypertextes perdent leur iden-tité propre, ils se fondent (se perdent ?) dans de vastes ensembles tex-tuels interconnectés, parmi lesquels les lecteurs (visiteurs ?) peuventcirculer très facilement. Dans un tel ensemble, les lecteurs entrent soitgrâce à un moteur de recherche, soit par une table des matières, soit ennaviguant le long d’une arborescence, au moyen desquels ils effectuentdes choix. De ce fait, ils n’ont plus aucune raison de commencer audébut et de terminer à la fin, et en fait les hypertextes n’ont, en théoriedu moins, ni début ni fin. Ils n’ont pas de fil narratif unique non plus.Le lecteur n’est pas guidé par les choix et les intérêts d’un auteur, maispar le sien propre. Ainsi le fil de liens qui le fait sauter de texte en texte,avec ses péripéties, n’appartient qu’à lui. De plus, dans un vrai systèmehypertextuel, le lecteur peut ajouter au texte. Avec le logiciel spécialiséIntermedia, par exemple, il était possible, grâce à des outils d’annota-tion, de créer des réponses, des dessins, des ajouts divers, à des textes

. Ilana Snyder, Hypertext, the Electronic Labyrinth, New York, New York UniversityPress, , p. et surtout p. -.

. George P. Landow, Hypertext. The Convergence of Contemporary Critical Theory andTechnology, Baltimore, Johns Hopkins University Press, , p. (Hypertext ., rééd., p. ).

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déjà existants ; il n’était pas possible de modifier des textes déjà publiés,mais on pouvait ajouter ses propres liens, créant ainsi de nouvelles con-nexions, et agrandir le réseau. Un tel système adjugeait donc au lecteurcertaines des fonctions traditionnellement réservées à l’auteur dans laculture imprimée. Remarquons au passage que le World Wide Web estun système hiérarchique plutôt qu’hypertextuel, comme l’a fait remar-quer récemment avec raison un Michael Joyce plutôt amer ( Joyce,). Joyce est l’auteur de Afternoon : a Story (Eastgate Systems, ),le premier, le plus célèbre et le plus acclamé des hypertextes de fiction.

Enfin avec l’outil hypertextuel, c’est tout le modèle pédagogiquetraditionnel qui est invalidé : le canon, le curriculum classiques sontrenversés ; l’hypertexte ne se prête pas au cours magistral, ne permetpas à un professeur d’imposer ses références, ni de « diriger » une dis-cussion ; la figure d’autorité doit disparaître. L’hypertexte exige unepédagogie plus égalitaire, plus sophistiquée, dans laquelle la vieille dis-tinction maître-élèves, professeur-étudiants n’ait plus à fonctionner.

Tel est le credo, rapidement esquissé, et aux différences individuellesprès, de la théorie hypertextuelle. Le point sur lequel tous les théoriciensdu texte électronique s’accordent, c’est la dématérialisation du textepar l’électronique, sa « désubstanciation ». Ce faisant, ils font ainsi l’im-passe totale sur le contexte matériel et social de l’ordinateur (program-mation, constituants matériels, logiciels, formations nécessaires, etc.),pourtant significatif, et sur le fonds matériel, économique et culturelsur lequel s’opère ladite « désubstanciation ».

Par ailleurs, l’hypertexte idéal dont il est question dans la théorien’existe pas de manière significative. Il existe quelques hypertextes defiction qui peuvent servir d’exemples, je citais celui de Michael Joyce,mais fondamentalement, l’hypertexte dont parle la théorie n’existepas ; plus qu’un texte, c’est une façon d’approcher le texte. C’est uneposture et un terme théoriques avant tout, qui incorporent un ensem-ble de caractéristiques postmodernes, mais dont il n’existe qu’un nom-bre infime d’incarnations pratiques. Les hypertextes de fiction existenten fort peu d’exemplaires, et sont encore expérimentaux20. De plus, lathéorie hypertextuelle a été élaborée à la grande époque de la micro-informatique, c’est-à-dire des stations de travail individuelles (-

. Après une vogue entre et , les hypertextes de fiction restent une produc-tion marginale. Pourtant ils ont leur amateurs et font l’objet d’un enseignement (MichaelJoyce à Vassar College ; George Landow à Brown University ; Stuart Moulthrop à l’Univer-sité de Baltimore ; ou parfois dans un cours sur les « e-literacies », ou de « CommunicationDesign », comme celui de Nancy Kaplan à la même université.

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approximativement) qui n’étaient pas encore ou peu reliées par lesréseaux électroniques ; or nous sommes maintenant dans l’ère desréseaux, dont l’idée centrale est que le réseau l’ordinateur : les res-sources sont distribuées sur le réseau, et accessibles en tout temps viale réseau. Cette notion collaborative, née avec les premières recherchesdu début des années sur le travail en temps partagé (Time sharingcomputing), a des racines qui plongent dans la culture des années21 ; elle a abouti entre autres au protocole de communicationd’Internet (/22), et au fur et à mesure que les vitesses de transferts’accroissent23, elle devient une réalité pratique qui s’acclimate lente-ment parmi les littéraires. Ses conséquences pragmatiques n’ont pasété prévues par la théorie hypertextuelle. Car il y a une grande différenceentre les réseaux théoriques tels qu’entrevus par Barthes, Genette,Foucault et Derrida au cours des années comme nappes dediscursivité entrant en rapport et en combinaison par ce qu’on a appelél’intertextualité ou la transtextualité et leurs figures, et les réseaux detélécommunication où les textes désormais circulent. Les hypertextessont peut-être dématérialisés si on les compare à la médiatisation pré-cédente des textes par la technologie du livre, mais les réseaux sur les-quels ils circulent sont bien réels et bien matériels. Les techniciens desréseaux les appellent d’ailleurs négligemment des « tuyaux », et ces« tuyaux » coûtent très cher à faire fonctionner et à entretenir (câblage,fibre optique, aiguilleurs et commutateurs coûteux, personnel spécia-lisé à salaire élevé). La théorie hypertextuelle est marquée par une épo-que, dont les enjeux politiques et les visées utopiques ont aujourd’huien partie disparu, et elle ne correspond pas à ce qui se passe autour denous dans le monde : autour de nous ce sont les réseaux électroniques,les technologies de la communication, qui se développent à vive allure,dont le Web qui s’enrichit sans cesse de possibilités techniques nouvelles.George Landow et ses émules se sont servis, à l’époque glorieuse de lafin des années , d’un logiciel spécialisé du nom d’Intermedia qui

. Ainsi que dans la contre-culture des mêmes années -. Voir mon article« L’Internet et la contre-culture », Dire, vol. V, no , hiver , où j’esquisse cette problé-matique.

. Il faut noter que le caractère technique du système de documentation d’Internet,nommé Requests for Comments ou RFC, n’a pas empêché ses auteurs de rédiger parfoisleurs commentaires en vers, principalement lors de dates importantes : Arpawocky, RFC, ; Twas the Night before start-up, RFC , ; Act One — The Poems, RFC , ; et même Remembrance of Things Past, RFC , .

. « Les capacités de transmission sont doublées tous les neuf mois, contre un double-ment tous les dix-huit mois de la puissance des semi-conducteurs », Le Monde, novembre, p. .

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fonctionnait sous Macintosh, et de Storyspace, fonctionnant lui aussisous Macintosh et depuis peu sous Windows, autre logiciel maintenuen vie par une compagnie de gens dévoués du nom de EastgateSystems. L’arrivée massive du World Wide Web entre et , lesuccès technologique et commercial immédiat et phénoménal de cemode de communication par réseau, représentent un défi de taille à lathéorie du texte électronique.

Ce n’est pas à dire que l’analyse de l’impact de la numérisation surles textes proposée par la théorie hypertextuelle est caduque. L’hyper-texte brise les monolithes textuels, dissout les hiérarchies et l’ordon-nance rigide de la pagination de l’imprimé. Et dans les hypertextes defiction, c’est un résultat très intéressant. Mais quel en est le résultatdans la réalité pratique de l’étude ou de la lecture, et dans la recher-che ? À ma connaissance, cela n’a pas encore été analysé. Or il y amaintenant des hypertextes partout. L’édition électronique enrichitcontinuellement ses catalogues et nos bibliothèques. Chacun sait parexemple que fouiller dans la version papier d’une encyclopédie, etfouiller dans la version électronique sont deux expériences très diffé-rentes. Si l’on tente de lire un long article, par exemple, dans la versionpapier, le début et la fin de l’article sont très faciles à repérer grâce à lamise en page, qui contient d’autres repères, et d’autres articles. Dans laversion électronique, même s’il y a des flèches pour indiquer la suite,ou pour revenir en arrière, on a du mal à savoir où l’on est dans salecture, surtout si l’on est arrivé à cet article à partir d’une recherchepar mot-clé. On perd les autres repères, et les articles limitrophes. On ya gagné en spécificité, mais on y a perdu en contextualisation littéraire.

D’une manière générale, la translation du médium imprimé au mé-dium électronique est une opération dont la complexité et les exigen-ces cognitives et intellectuelles sont énormes, mal documentées, etn’ont encore fait l’objet que de peu de recherches. Cette translationd’un médium vers un autre ou remédiatisation exige une très soi-gneuse reconfiguration intellectuelle des contenus, qui doit être décidéeà partir d’une compréhension à nouveaux frais de leur nature, de leurgénéalogie, de leur situation en contexte culturel, et des stratégies delecture à prévoir ; les contenus doivent être reclassifiés et réordonnan-cés dans le système des connaissances aux fins d’une efficacité symbo-lique nouvelle exigée par le nouveau médium. Cette recompréhensionen profondeur commande à son tour des reconfigurations techniques,qui demandent une familiarité avec tout un outillage technique, etsuppose parfois des connaissances spécialisées en informatique. Et par

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surcroît, cette recompréhension ne se fait pas dans un vacuum : elle sefait dans un contexte institutionnel, économique et social.

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L’une des caractéristiques de la théorie hypertextuelle est de stéréoty-per les notions d’auteur et de lecteur et d’exagérer les différences entreles textes imprimés et les textes électroniques. L’auteur, pour commen-cer par lui, y est figé dans l’image de Dieu. Cela est peut-être le résultatd’un fétichisme propre au domaine des Lettres, et ne remonte guèreen France au-delà du « Sacre de l’écrivain » dans la seconde moitié due siècle24. Dans les sciences humaines, et plus encore dans les scien-ces pures (où l’on aurait plutôt tendance à se débarrasser de l’écrituredes résultats), l’auctorat est moins lié à l’autorité, surtout quand lesauteurs sont multiples. D’autre part, il arrive fréquemment que lesouvrages de référence n’aient pas d’auteurs, mais des éditeurs et descentaines de contributeurs ou collaborateurs, du plus humble au plussavant. (Ces remarques ne nient nullement que la notion d’auteur aitpar ailleurs partie liée avec la lutte des classes, la société industrielle, ladivision du travail, les rapports hiérarchiques, certaines idées sur lapropriété intellectuelle, sans compter le rapport entre publication etavancement professionnel.)

Même situation concernant la lecture. La théorie hypertextuelle faitde la lecture une activité passive, solitaire, qui impose silence et disci-pline au lecteur. Une activité presque avilissante où un maître dicte àun esclave ce qu’il doit penser. Je ne connais aucun grand lecteur oumoyen lecteur qui corresponde à ce portrait, au contraire. Même chezles utilisateurs intensifs des instruments de l’âge électronique, s’absor-ber dans un livre, un roman ou un essai, peut être une source de plaisir,d’enrichissement, l’aube d’une nouvelle autonomie, d’un nouveau dé-part. Umberto Eco disait à peu près lors d’une conférence sur l’avenirdu livre que, dans un roman, on est conquis par le sens du destin. Et defait, la prose, du latin prorsus ou prorsum (en avant, en droite ligne, sansobstacle), guide le lecteur, l’emporte sur les rails du destin. Pourquoiregretter la non-intervention du lecteur dans le texte même de l’œuvre ?C’est seulement l’une des figures d’interaction possibles avec l’œuvre.Suivre le raisonnement de quelqu’un demeure le fond du dialogue. Detoute façon, en tant que lecteurs et pas seulement lecteurs cultivés,

. Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain -. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spiri-tuel laïque dans la France moderne, Paris, José Corti, .

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nous participons à la construction narrative du roman, sans en changerun seul mot. Des circonstances provenant de notre propre environne-ment de normes historiques et sociales surgissent à la lecture et nousamènent à poser des jugements sur ce qui nous entoure. Il n’est que des’asseoir dans un café étudiant en pleine session pour voir commentceux-ci alternent entre lecture privée et lecture publique, discutentavec leurs voisins de ce qu’ils lisent ou de quelque aspect de leur viesouligné par leur lecture. On pourrait dire, après Wolfgang Iser, que lafiction sert de filtre à l’histoire25.

Enfin, un texte électronique n’est pas seulement une mer de zéroset de uns, parfaitement fluide, malléable et aménageable. Il s’accompa-gne d’attributs multimédias (enluminures ?) ou de fonctionnalités, quisont souvent dans un rapport et même une dépendance bien plusétroits avec des logiciels ou des technologies spécifiques que le motimprimé ne l’est par rapport à la page.

La théorie hypertextuelle présente donc certaines insuffisances quandon essaye de l’appliquer hors de la fiction littéraire à la situation courantede l’utilisation des textes, dans l’enseignement et la recherche et ailleurs.Et elle en a une dernière. Elle radicalise la différence entre le monde del’imprimé, dans lequel nous sommes encore très largement immergés,et le monde des publications électroniques, de plus en plus nombreuses.Elle nous masque le fait qu’il y a une continuité entre les deux. LaGalaxie Gutenberg dont, en , Marshall McLuhan entrevoyaitl’éclipse est loin d’avoir disparu. Et ce sont les conséquences de la cons-tatation de cette continuité que j’aimerais commenter pour terminercet article.

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Si nous voulons être armés pour comprendre les transformations queles nouveaux médias ne vont pas manquer d’apporter dans nos objets,il faut étudier comment ces nouveaux médias fonctionnent. Pour nousautres littéraires, intéressés et soucieux de ce que vont devenir nos tra-vaux et nos recherches, nos corpus et nos outils, la meilleure façon decomprendre ce fonctionnement est d’examiner l’interaction entre con-tenu et technologie.

Comment un artefact comme l’édition électronique de Rabelais oude Montaigne chez Slatkine/Champion, ou le projet Perseus à l’Uni-

. Wolfgang Iser, The Implied Reader. Patterns of Communication in Prose Fiction fromBunyan to Beckett, Baltimore, Johns Hopkins University Press, .

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versité Tufts sont-ils construits26 ? Je dresse dans ce qui suit une listepossible de questions qui, examinées de façon systémique — par systé-mique, je veux dire étudiées comme fonctionnant en système ouvert— me paraissent susceptibles de permettre l’édification d’une imageconcrète et précise des enjeux et promesses de la remédiatisation électro-nique croissante de nos corpus et outils de travail littéraires. Je militedonc en faveur de l’inclusion dans le champ de l’histoire littéraire dumatériel, du technique et de l’économique, en plus du social et du culturel.

À quels choix culturels, à quels intérêts de groupe, à quelles exigen-ces économiques, correspond la décision de produire la ressource élec-tronique qu’est un - ou un site Web ? Quel sera son public-cible ?Quelles communautés d’intérêt vont intervenir et être influents dans leprocessus de sa fabrication, de sa « construction » ?

Comment s’est opérée l’acquisition des textes ? Quels logiciels etquels personnels, quelles compétences techniques ont été mobilisés ?Quel type d’encodage a été choisi pour la masse textuelle ? Quel for-mat de présentation, quel format de sortie, d’impression ?

Quelles compétences spécialisées et quels rapports de travail ont étémis en jeu et établis dans la production ? Quels ont été les contribu-teurs : auteurs, éditeurs, artistes, programmeurs, dessinateurs d’inter-faces, spécialistes en animation (comme on voit, l’auteur n’est qu’uncontributeur ! J’ai pris l’exemple ici d’une œuvre classique, du -

Montaigne ou Rabelais, mais dans la production d’un auteur contem-porain, l’auteur ne pourrait pas être plus que l’originateur du matériaude base, et éventuellement un conseiller, comme il l’est parfois dans laproduction des films) ?

La culture d’entreprise, les rapports personnels dans l’équipe deproduction ont-ils influé sur le choix des fonctionnalités, par exemplepar le jeu des compétences et des connivences ? La productionmultimédia ou Web professionnelle est connue pour être une entre-prise essentiellement collective. Étudier le développement multimédiaou Web en termes de collaboration (c’est-à-dire aussi les luttes de pou-voir, les ambiguïtés, les alliances, etc.) permet de serrer de plus près latexture émotionnelle (et décisionnelle) du travail. Les programmeursréduisent le multimédia à un monde précis de pixels, de chiffres etd’instructions exécutables ; les artistes, les animateurs pensent en termes

. On trouvera une description similaire appliquée au cas de l’Encyclopaedia Britan-nica, dans l’article de l’un de ses éditeurs, Alex Soojung-Kim Pang, « Hypertext, the NextGeneration. A Review and Research Agenda », dans la revue en ligne First Monday, vol. III,no , novembre : <http//www.firstmonday.dk/issues/issue_/pang/index.html>.

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de plan de scénarisation ; les dessinateurs d’interfaces, en termes d’archi-tecture de contenus, de page-écrans, de look and feel27. Pour ces derniers,le défi est de maintenir un style et une cohérence visuels parmi unecollection d’objets qui doivent rester accessibles et unifiés. Quiconqueest familier du traitement de texte peut se débrouiller avec un éditeur, mais les formats de base de données, les formats graphiquespour l’affichage, et les outils spécialisés pour les produire et les modi-fier, Access ou FileMaker, Photoshop ou Illustrator, Shockwave Director ouFlash, Javascript et DHTML, Perl, Java, requièrent des connaissances tech-niques spécialisées, des investissements, et des salaires élevés. La tech-nologie évolue très vite. De nouveaux logiciels, plus performants, plussimples à utiliser, plus riches ou plus souples en fonctionnalités appa-raissent régulièrement. Leur parution peut modifier la structure et lachaîne de production multimédias.

Comment le choix s’est-il fait entre les technologies concurrentes ?Comment les textes ont-ils imposé certaines solutions et fonctionnali-tés techniques, et quelles possibilités techniques, à l’inverse, ont struc-turé le texte d’une façon nouvelle ? Quelle stratégie d’exploration ducorpus a été adoptée ? Quelles étaient les qualifications et la culture despersonnes qui ont pris ces décisions ? Quels ont été les critères qui ontlimité le corpus, son décor multimédia ? Quelles technologies multi-médias ont été choisies, en fonction de quels besoins ? Si par exemple unensemble multimédia fait un usage intensif de graphiques particulière-ment lourds à télécharger, plusieurs solutions peuvent être envisagées :changer le format de la base de données, récrire le code pour accélérerle chargement ou réduire le nombre de requêtes de chargement,réduire enfin la taille des graphiques. Dans ces conditions, la naturedes relations entre les groupes de compétence techniques impliqués, lafaçon dont ils perçoivent l’importance relative des fonctionnalités d’unprojet et leurs exigences techniques, leur appréciation personnelle decertains produits, de certaines solutions, tout cela est de nature à in-fluer sur les éléments composant l’artefact en fabrication.

Quels ensembles logiciels ou de programmation ont été sélection-nés pour la fourniture des fonctionnalités (de recherche, de visualisa-tion, de présentation, etc.) ? L’environnement de programmation est-il

. Look and feel est l’une des expressions usitées quand on parle d’ergonomie desinterfaces lors du développement des logiciels, des - ou des pages Web. On l’em-ploie pour décrire l’aspect des interfaces et pour parler du rapport de l’utilisateur à l’écranet au clavier : aspect des pages-écrans, convivialité du rapport entre touches du clavier etfonctionnalités, lors de l’utilisation.

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libre de droits commerciaux (Perl), faut-il payer des droits pour modi-fier le code-source du langage de programmation et produire un objetnouveau (Java) ? Une licence à l’utilisation, ou à chaque livraison, a-t-elledû être prévue ? Les logiciels (moteurs de recherche, Shockwave, Acrobat,etc.) sont-ils libres de droits ou sous licence ? Une pression s’est-elleexercée de la part des fabricants en concurrence ? Etc.

La tâche devant nous consiste à faire la synthèse de tous ces élé-ments, à comprendre comment tout ce qui précède interagit dans la« construction » de l’artefact textuel étudié.

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Je crois que c’est dans cette direction que nous pourrions élargir lechamp d’analyse de l’histoire littéraire, en gardant à l’esprit que laremédiatisation électronique des textes ne les décontextualise pas, maisplutôt les recontextualise. À l’exemple de ce qui se pratique dans lesétudes sur la technologie et la science, nous devons examiner non latechnologie elle-même, qui resterait de toute façon muette à nos inves-tigations, mais le fonctionnement des interactions à l’intérieur de toutle système au sein duquel l’artefact que nous étudions est produit.Ceux parmi nous qui se sont consacrés à l’histoire du livre compren-dront vers quoi je tends. Les historiens du livre ont découvert depuislongtemps qu’étudier le monde des imprimeurs, des graveurs, et deslibraires pouvait permettre de composer une image de la vie intellec-tuelle plus intéressante qu’étudier les seuls écrivains (sans compter quec’est une façon d’épargner à ces travailleurs le « mépris » d’une critiqueou d’une théorie qui n’apprécie pas la complexité déterminante del’édition, électronique ou autre !).

Nous n’avons plus à être persuadés qu’il y a une interaction entretechnologies et sociétés : la technologie est un puissant vecteur dechangement, mais la culture, les intérêts économiques, la politiquesont eux aussi capables d’orienter le développement technologique.Les technologies ne sont pas seulement des solutions à des problèmestechniques, elles peuvent être aussi des solutions à des problèmes so-ciaux. Il faut se détourner du déterminisme technologique, prendre encompte la relativité, la contingence du progrès technologique et ne pasnégliger les acteurs : les ingénieurs, les compagnies, les agences gou-vernementales, les utilisateurs, les étudiants. Une telle approche nousimpose d’essayer de comprendre comment on aboutit à tel choix tech-nologique, comment telle solution technique est définie comme la

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meilleure dans le cadre d’un écosystème où il y a beaucoup d’interac-tions. En théorie, un hypertexte est, nous l’avons vu, un éther de com-munication instantanée entre une infinité de textes et de données, unréservoir inépuisable, hyperfluide, redistribuable et reproduisible àmerci, dématérialisé, « désubstancié », mais cela n’est vrai qu’en théo-rie. C’est une abstraction qui n’a même pas de réalité au niveau de lapure électronique. En fait, la réalité des nouveaux médias, -,

ou sites Web, est une réalité qui, pour être numérique, est très maté-rielle. Elle est faite de textes certes, mais aussi d’images s et s, declips cinématographiques en format QuickTime, de fichiers audio, defichiers vidéo Real, ou autres, et tous ces objets nécessitent descompétences à la création et des manipulations à l’utilisation. Quicon-que a essayé d’ouvrir un fichier de traitement de texte avec un autrelogiciel que celui dans lequel il a été créé, ou d’ouvrir un fichierMacintosh sur un PC, ou de convertir l’un dans l’autre sait que l’élec-tronique n’est pas une simple et vaste mer infinie de zéros et de uns.En fait, les hypertextes électroniques sont tout à fait prisonniers de lamatière : non pas de la page imprimée cette fois, mais des formatsd’encodage, et de leurs incompatibilités, et les dispositifs électroniquesde structuration des données. Ceux-ci sont à leur tour tributaires desaléas de la compétition qui est le mode de fonctionnement de l’écono-mie libérale. Les contenus multimédias dépendent en réalité plus inti-mement des questions de design et de programmation que des textesqu’ils enluminent. La relation entre contenus, programmation et objetsmultimédias est très flottante et difficile à prévoir ; elle est déterminanteautant dans la réalisation d’un artefact que dans la compréhension desforces qui le structurent.

Comme l’explique Richard Grusin, en conclusion de son article, sinous voulons comprendre ce qu’il y a de nouveau et de différent dansla médiatisation électronique des textes, que nous avons essayé de cernerdans cet article, il faut que nous rebâtissions le réseau matériel, techni-que, culturel et économique qu’elle met en œuvre (comme je l’ai faitdans ma liste de questions) et que nous observions comment ce réseaufait jouer un « espace social hétérogène de pratiques culturelles, linguis-tiques et techno-scientifiques ». Il faut que nous décrivions en termeshistoriques et ethnographiques comment le texte électronique circuledans cet espace social hétérogène, ce qu’il détermine, inscrit, met enbranle. Et nous pouvons avoir confiance, alors, qu’en observant cettecirculation du texte électronique parmi ces réseaux hétérogènes, nousserons à même de comprendre que ce qu’il y a de remarquable dans le

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texte électronique, ce n’est pas sa dématérialisation, mais plutôt sonpouvoir de fédérer une telle diversité de forces matérielles, culturelleset techniques28.

Est-ce une gageure que de vouloir écrire l’histoire littéraire de cettefaçon trans- et pluridisciplinaire à l’âge électronique ? Est-il utopique devouloir inclure dans le champ de l’historien du littéraire des matériauxaussi hétérogènes que le matériel et le technique, en plus du social, del’économique et du politique ? Est-ce dénaturer la spécificité de l’objetlittéraire qui est au centre du travail de l’historien que d’observer com-ment sa matérialité est façonnée par des pratiques techniques et descontextes extralittéraires ? Il me semble au contraire qu’à l’âge numéri-que, inclure le technique dans nos études est désormais au cœur dutravail de l’historien de la nouvelle république informatisée des lettreset, parmi les avenues de recherche possibles, l’une des plus prometteusesqui s’offre à lui au seuil du nouveau siècle. Son travail n’est pas seule-ment de produire une histoire des textes, des œuvres, de leurs formes,de leur succession, disparition ou invention et de leurs utilisateurs,mais une vraie histoire culturelle et anthropologique du littéraire, avectoutes les catégories d’actants interagissant dans sa transmission, per-sonnes, institutions, moyens, techniques, et pas seulement les auteurs,les lecteurs et leurs milieux social, économique et politique. De mêmeque les médiévistes trouvent utiles de se munir d’une histoire de lanoétique pour mieux saisir l’instrumentalité de la langue dans l’articu-lation des concepts ; de même qu’un Anthony Grafton ne dédaigne pasd’entrer dans les études d’avoués et les cours de justice pour expliquerla transmission culturelle à la Renaissance ; de même qu’un JeanMesnard plonge dans le Minutier central des notaires de Paris pournous renseigner sur Port-Royal et Pascal, de même nous ne devons pashésiter à entrer dans les ateliers de production multimédia, chez lesfabricants de logiciels, chez les fournisseurs de services réseaux, et dansles instituts de recherche où s’inventent et s’expérimentent les façonsd’échanger et de communiquer qui se généralisent et modifient nosmanières de travailler.

Les spécialistes des différentes disciplines et périodes historiquessont quasi unanimes à reconnaître la richesse et les vertus de l’approcheculturelle de l’histoire29. Concevons-la large. Tenter de montrer le rôle

. Richard Grusin, loc. cit., p. .. Sans compter ses avantages connus sur l’histoire des idées et l’histoire des menta-

lités.

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que jouent désormais le technique, l’informatique, la mise en réseauxet les installations de télécommunication dans les humanités et spécifi-quement les études littéraires, c’est tout simplement donner leur justeplace aux opérations qui rendent disponibles nos textes, nos manuels,nos corpus littéraires, autrement dit nos outils de travail. Je crois queles littéraires ne doivent pas laisser à d’autres spécialistes le soin deréfléchir à leurs nouvelles pratiques et de penser l’évolution de la spéci-ficité des études littéraires au seuil d’un virage qui se fait lentementmais inexorablement vers une médiatisation numérique croissante.Nous devons nous-mêmes penser et bâtir l’anthropologie des étudeslittéraires.

Lectures suggérées

Liste des périodiques spécialisés où se poursuit une discussion sur leshypertextes et l’écriture électronique :

Academic ComputingCollege Composition and CommunicationComputers and CompositionConfigurations, A Journal of Literature, Science and TechnologyEducational ResearchHypermediaJournal of Advanced CompositionLiteracy and ComputersLiteracy OnlineReaderSocial Science Computer ReviewWriting on the Edge

New Literary History et Mosaic publient occasionnellement des dossierssur les nouveaux médias et les matérialités de la littérature.

On trouvera ci-dessous, outre la bibliographie de l’article, un certainnombre d’ouvrages complémentaires intéressants qui dépassent le cadrede cet article, mais que j’ai consultés et trouvés utiles.

A E, J., Cybertext : Perspectives on Ergodic Literature, Baltimore,Johns Hopkins University Press, .

A, Janet Helen, « From ARPANET to INTERNET : a History ofARPA-sponsored Computer Networks, - », Philadelphia,University of Pennsylvania, .

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B, Jean-Pierre, Alain L et Saleh I, Hypertextes et hypermédias,Paris, Hermès, .

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