testament 2 Printemps 2011

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Vincent Tavernier Les amis

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LE TESTAMENT 2

Sommaire

05 / EDITO 07 / LE POETE INCONNU, POESIE 11 / MÜ, POESIE 19/ JEAN-CLAUDE BABOIS, POESIE 25/ PATRICK LORENZINI, ENTREVUE POESIE 33/ CEDRIC LERIBLE, POESIE 36/ HERVE PIZON, POESIE 39 / STROFKA, POESIE 43 à 56/ FABIEN RIGAL, PHOTOGRAPHIE 57 / PASCAL LERAY, POESIE 61/ EKNATH, POESIE 63/ EMMANUELLE GRANGE, POESIE 66/ BERTRAND BELIN, ENTREVUE CHANSON 71/ LILAS KWINE, POESIE 74/ YANNIS SANCHEZ, POESIE, THEATRE 96/ JONATHAN MORALI, ENTREVUE MUSIQUE 99/ SEG DALLONGEVILLE, POESIE 101 à 104/ EMMANUEL RASTOUIL, GRAVURE, POESIE 02/04/06/10/17/18/23/24/32/38/60/65/70/73/78/95 VINCENT TAVERNIER, GRAVURE

Le Testament 2 (printemps 2011) est édité par l'association Paroles d'Auteurs. Siège social – Emmanuel Rastouil - LesOrangers A - rue Van Gogh 83130 La Garde [email protected] - http://parolesdauteurs.overblog.fr Rédaction Emmanuel Rastouil - Concept graphique et Mise en pages Hervé Pizon Impression Repro Systemes 83 - 155 rue général Audéoud - 83000 Toulon ISSN 2112-4469 Il a été tiré 120 exemplaires de ce numéro. En couverture, « Le Testament 2 » - linogravure – Emmanuel RASTOUIL.

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Vincent Tavernier Au café

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Emmanuel Rastouil

Edito Comment, c'est déjà le printemps?!? Pour sûr! C'est le printemps d'une poésie neuve et nerveuse qui, sans renier ses maîtres, s'affiche crânement dans ce Testament2 que vous tenez entre les mains! C'est le printemps d'une revue qui prend des atours de jeune prétendante! Sous la houlette d'Hervé Pizon, la robe s'étoffe et se fait plus moderne, séduisante. Le corps aussi se façonne dans la diversité et la qualité. Un noyau de poètes se constitue: Yannis Sanchez, Lilas Kwine, Mü, Pascal Leray, Emmanuelle Grangé, Strofka... D'autres le rejoignent: Seg Dallongeville, Eknath, Cédric Lerible ou JC Babois, pour le meilleur. Patrick Lorenzini, Bertrand Belin et Jonathan Morali, évadé de Syd Matters, nous font des confidences, rehaussées des photographies de Fabien Rigal et des gravures de Vincent Tavernier, toutes inédites... Le Testament2 reste éclectique et garde un équilibre artistique qui défend les valeurs de la poésie sous toutes ses formes! Le ton reste le même: ouvert à tous, hommes, femmes, jeunes, vieux, profanes ou spécialistes, dans un élan de partage et d'amitié qui restent les seuls thèmes appliqués à la revue! Le prix de base est inchangé, seuls les abonnements et les achats par correspondance suivent les évolutions de la Poste... Mais pas de quoi nous empêcher de fêter dignement ce printemps 2011, en vers et avec tous!

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Vincent Tavernier Coco

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LE POETE INCONNU

Ce n’est pas moi Ce n'est pas moi. Les cris, hurlés à ton oreille, Un visage tordu qui renie son amour. Ça n'est pas arrivé. Je suis doux. On brûle tous ses rêves à suivre les mirages Et répandre à ses pieds les cendres de sa vie. Ce n'est pas moi. Les coups, ma main serrant ton bras Et nos espoirs déçus, et le renoncement. Ça n'est pas arrivé. Je suis doux. Car, si c'était le cas, je noierais mon dépit Dans des litres de sang, des projets égoïstes. Ce n'est pas moi. Mon ange, c'est le ciel qui s'écroule Et brise sur mon cou la lame de son glaive! Ça n'est pas arrivé. Je suis si doux. C'est la folie du monde... Aveugle-moi le cœur! Et ne rajoute pas de poids à mon fardeau, Si je perdais l'esprit, plus de place à l'espoir! Ce n'est pas moi. Mon cœur, dans l'axe de nos jours, Après que fut la mort, tout sera oublié.

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LE POETE INCONNU

Là Là, mon regard se perd dans le balai des cimes allongées que fait danser le vent. C'est le temps du vagabondage. Mon esprit distendu s'empreint de chaque frémissement. Ilse redécouvre heureux. Là, mon désir entend la source au détour du chemin et se délecte de ses petits éclats adolescents. La musique est fraîche. Elle tisse un tapis de grelots où vocifèrent quelques geais tapageurs. Là, chaque odeur est volupté. Dans une farandole tiède initiée par les pins, des papillons s'effleurent, éternels joueurs au milieu des fleurs en bouton. Les essences me grisent. Là encore, je m'arrête et contemple mes frères de jeunesse. Grandiront-ils au point de dépasser la crête des collines? Combleront-ils bientôt le cœur de mes enfants de leur grâce insensée? Ils imposeront leur noblesse. Là enfin, métronome infaillible ramenant à la paix véritable, la nature assoit sa perfection. Cette vérité me bâtit. Celui qui l'a construite nous aime plus que tout.

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LE POETE INCONNU

Dehors

Dehors, je vois les filles devenues mères pousser de jeunes enfants sans plaisir. Elles sont déjà vieilles et mesurent ce qui leur reste de joie de vivre. Leur calvaire semble lié à l'éducation de ces bambins braillards... Les rêves d'hier ont laissé place à la routine monotone d'une vie désargentée, au cœur de la ville. Et la désespérance infinie déborde de leurs yeux vides.

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Vincent Tavernier Bonjour M.Munch (détail)

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C'est pas grave Il y a des jours où je perds le fil, fil de pêche ou fil de soie, je le sais déjà: L’existence ne tient qu'à ce bout de ficelle qui se tricote ou se déchire. Même si c'est triste ou débile, c'est lui qui mène la danse. Nous tentons de faire les marioles, mais nous sommes tous des marionnettes et après 2 ou 3 cabrioles, on n'est pas net, on s'agrippe, c'est de la décence. On aurait pu prévoir l'antidote, que le progrès fasse son boulot, Que pilule ou stérilet auraient empêché qu'on déboule. Pas de naissance, Gommé dès le début. Et alors ? La vie a-t-elle un but ? Y a-t-il des lois, des règles, des statistiques pour comprendre un peu ce chaos ? Savoir si on s'est fait rouler ou si la vie est vraiment un cadeau ? Il y a des jours, c'est trop plein de trop-pleins bourré de gouttes qui font déborder le lac. Ces jours où l'on entend soudain que c'est pas grave. Ne me dis pas... « C'est pas grave » Soudain, j'ai envie de tirer sur tout ce qui dérange, tirer sur ce fil d'existence qui me relie à l'absurde et à l'infini. « C'est pas grave ». Tirer à bout portant, tirer à boulets rouges, tirer sans sommation, tirer brûle-pourpoint. C'est pas grave, je suis déjà tellement chargée. Tourner à vide et tirer les vers du nez, tirer l'alarme en te tirant des larmes. C'est pas grave, tu es déjà noyé. Tirer avec une arme pas enrayée, histoire de rayer la trouille. Avant de se retrouver entrailles trouées ou entravées de rouille. Tirer dans le tas, et pourquoi pas dans l'État, oui, l'État Souverain qui te tire vers le bas, tellement bas que tu ne sais pas comment tu vas t'en tirer.

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C'est pas grave... Tirer un trait sur tout çà, tirer ma révérence, Tirer un coup dérisoire et sentir comme c'est bon. Se retirer. Soupirer. S'étirer. C'est pas grave, on peut tirer parti du meilleur ou du pire. Partir à tire d'aile et boire à tire-larigot, tirer la langue, et sentir comme c'est vain. Tirer au sort, tirer la courte-paille. C'est pas grave, j'ai déjà perdu. Tirer sur le traité non pacifique qui triture l'ego humain jusqu'à l'hystérie. Tirer la couverture à moi, tenter de conspirer pour pas devenir tarée. C'est pas grave... Il y a des jours pétris d'heures creuses. Des jours au goût de verre poli. Sur un continent oublié. Me voici vers de terre d'un ranch affranchi, Tendue vers ce qui pourrait donner du sens, du rythme ou de la valeur. Alors je donne dans tous les sens, je débarrasse puis je fais le point. Je donne des vêtements, des médicaments. Je donne du temps et des conseils. Je donne la main, et comme dans l'autre il y a des bonbons, je les donne aussi. Je donne des coups de pied et des coups de poing, je donne dans le mille. Ça ne sert rien. Je donne parfois mon sang mais je prête mon nom. Je donne même ma voix à ceux qui prétendent avoir des idées pour changer la société. Pour en finir, c'est un bout de soi qu'il faut donner. C'est moins grave mais c'est kiffant. Finies ces incurables émotions qui me font courir, ou suivant les jours, m'écrasent à plates-coutures. Finis les vertiges, les vadrouilles, les dérives. Finie la verve des verbes, les veines recousues au fil qui se perd. Voici l'impro, les mots qui se pointent de nulle part comme une chanson. Les mots laissés en pourboire sur le comptoir de l'existence.

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Abandonner les divisions parce que ça urge dans mes visions Et dans le tunnel de mes viscères. Abandonner les cohésions, Oublier les alternatives, les bonnes et les mauvaises raisons. Tout serait tellement moins grave si on pouvait se blottir Dans le cabaret affamé de l'impossible à réaliser. Certains jours ultra-sensibles, Il suffit d'un seul regard, d'une seule oreille. Et alors, on s'en fiche, rien n'est grave.

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Ma nuit Ma nuit est sans lune et sans brouillard Ma nuit est pleine de cris bizarres Ma nuit se finira par mille et un matins Ma nuit est pleine de cent mille destins Ma nuit s'envole depuis la nuit des temps Pour faire la fête avec les gitans Feu de joie, obscurité, nébuleuse et Voie Lactée Ta voix aux couleurs de la pluie Répond au violon dans ma nuit Ton sommeil murmure un poème Et je cherche pour le lendemain Une rime en M Parce que j'aime protéger ton âme Sous la toiture de mon écriture Nocturne, sans effort ; éphémère Fêlure Je t'allume à toute allure Avant d'éluder nos ludiques mensonges. Ouvre tes ailes douloureuse ! Puissent mes facéties piqueter ton frêle Plumage d'ange Dans nos froissements de doutes et de peaux Qui se mêlent, Dans l'entassement de nos réponses en assonance, Dans nos souffles évadés d'une idiote romance,

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Sans sommation, j'assomme avec ma langue, Une à une, les lettres de ton nom. Ma nuit devient hurlante; c'est une autoroute Aux rêves grignotés, clignotants en urgence. Rêves de torpille et d'empire Rêves épars à épier et à piller. Me voici truand de ta torpeur soluble Comme de l'aspirine. Saboter le grillage sensuel pour dérober Dans une rare rage, les gyrophares languissants D'impatience. Les mordre, les avaler, passionnément, Les oublier, le blanc assouvi, le rouge assumé, Le blanc attendri, le rouge épique, le blanc le rouge Le blanc adouci, le rouge lancinant Jusqu'au carrefour carré de la réalité... Il ne reste de la nuit qu'une goutte Transpirée, clandestine, au creux des interdits.

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Peintures

Dans un champ de passions se tord la fleur de rien. Et passant sans savoir creuser d'autres sillons, J'ai longé des espoirs, admiré des remords Qu'entretient le trait noir pour mordre dans les cœurs. Tu appartiens à tous, sans discours inutile, Évidence de nos plus futiles nécessités, La richesse des fous est prompte à se laisser Déporter, provoquer, penser sans lendemain. D'ailleurs... Dans la rue d'Avignon j'ai croisé une fille Agitant un lampion. Nique la guerre, disait-elle. Et le taureau tatoué sur son épaule gracile S'agitait bruyamment pour lui donner raison. Le chapeau qu'elle porte reconnaît mes humeurs... En confiant à tes mains la feuille de palmier, Elle t'a fait empereur de nos émotions fortes. Et moi j'attends demain, la joie de te défier. Pourquoi créer, alors, quand l'ignorance exulte ; La violence foudroie et s'exhalent sans fin Tant de relents d'orgueil qui éprouvent l'effroi ! Le choc est permanent pour qui veut ouvrir l'œil. Pourquoi créer, alors, quand les armes demeurent ? Pourquoi placer le cœur au-dessus du regard ?

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Nos codes sont bavards et nos formes effleurent Le goût amer qui tue les idées de travers. Pourquoi créer, alors ! Parce qu'il faut s'affranchir, Parce qu'il faut sans arrêt s'indigner sans gémir, Mordre pour affronter, savourer, inquiéter, Parce qu'il faut attraper le désir par la queue*. *Picasso

Vincent Tavernier Bonjour M.Munch

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Vincent Tavernier Boris Vian

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Vincent Tavernier Au chapeauté (détail)

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Vincent Tavernier Au chapeauté

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ENTREVUE, POESIE

Patrick Lorenzini Juste après Verane, au même endroit

« « Le Testament », j’aime bien ce titre ! J’avais un peu la même idée quand j’ai sorti « Poèmes en rade » (Editions de la Courtine – 2004), l’idée du poème-testament, de cette intimité du verbe qui entoure le poème, intimité offerte en partage. Mais bon, pour moi, c’est différent, j’ai soixante ans… Ce que j’ai fait est fait. Mes poèmes sont autant de petites choses qui forment un ensemble et la publication est un prolongement naturel à l’écriture. Même si René CHAR disait très justement que l’importance d’un poète se juge au nombre de livre non-indispensables qu’il s’est abstenu de publier, j’en suis plutôt à rassembler mon travail et le finaliser pour une publication globale, définitive… J’ai subi un infarctus voici deux ans et je me sens depuis lors en sursis. Je vois les choses différemment à présent. Certes, il me faut rester humble, je n’ai rien écrit d’exaltant… Mais je ressens le besoin de publier rapidement cet ensemble, pour finir le boulot. » C’est par une belle matinée de fin-septembre que je rencontrai Patrick LORENZINI, à la terrasse d’un café du Port de Toulon, sous un éclatant soleil. Je compris tout à fait que le choix du rendez-vous n’était pas anodin. Le poète m’apparut en symbiose parfaite avec sa ville, ses couleurs et la respiration tranquille qu’elle libère hors-saison. J’imaginai l’homme attablé, laissant glisser son stylo sur quelques feuillets vite déchirés, narrer en quelques mots l’émotion ressentie par le passage des badauds, une jeune fille qui remet son foulard ou les mats des bateaux qui chahutent au mitral. Juste après VERANE, au même endroit. Je fus alerté par un ami éditeur qui me parlait des « Poèmes en rade » comme des plus beaux vers écrits sur Toulon ces dernières années… Et lorsque je l’interrogeai sur ses influences littéraires et son œuvre propre, je compris que j’ouvrais là un coffre à jouets bien garni…

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« Gosse, j’écrivais déjà des bricoles, influencé par Robert SABATIER « L'histoire de la poésie française ». J’ai toujours été attiré par l’œcuménisme poétique, même si je privilégiais le fond à la forme. Je me suis toujours tenu à l’écart des groupes, des écoles, pour ouvrir toutes les portes. Malgré cela, je reste imperméable à certains poètes comme Alain BORNE… J’ai longtemps pensé René CHAR hermétique et inaccessible, mais un jour je suis entré… J’ai aimé VERANE, les fantaisistes, cette forme désuète de la rime. J’ai passé ma vie à écrire ! J’étais « grand reporter » à Var Matin, même si j’étais plus souvent à Solliès-Pont qu’à New-York ! J’ai quand même eu l’occasion de faire des sujets aux USA et en Asie… Et puis je me suis passionné pour VERANE. J’ai déniché chez de vieux bouquinistes l’anthologie des vieux poètes toulonnais, des recueils et des revues comme « Le Promenoir des amis ». C’était la poésie que j’aimais, la grâce de la vie… Je pensais à l’époque qu ‘elle méritait une autre étude. J’ai donc écrit « Léon Vérane et la bohème toulonnaise » (Editions Régine Vallée - Le Passé retrouvé – 1994), un travail plus journalistique qu’historique. Et puis, une fois terminé, je me suis débarrassé de tout, j’en pouvais plus ! Sinon, j’ai aimé Marius BRUNO, Jean RAMBAUD, Philippe CHABANNEIX pour son académisme, Michel FLAYEUX, un des derniers à savoir le mystère de l’écriture… Enfin, j’ai écrit « Toulon, entre les lignes » (Editions Géhess – 2010), qui est plutôt un travail de collectionneur, le résultat de recherches entreprises depuis l’adolescence… Patrick LORENZINI est donc un passionné avant tout. La prose, la rime, le verbe ont jalonné son parcours d’enfant curieux et vorace. Sa littérature, profondément ancrée dans sa ville, en a puisé toutes les inspirations, les parfums, le sel. Son œil s’est plu à arpenter les rues joyeuses et côtoyer les gens. Et son écriture, bien qu’empreinte de gratitude envers ces illustres prédécesseurs, porte en elle une émotion faite de voyages et d’aventures amorcées plus loin : « J’ai ressenti mes premières émotions poétiques à la lecture de Clément MAROT et Charles d’ORLEANS. Une écriture qui creuse dans la réalité et va jusqu’à l’os de la vie ! L’intensité de François VILLON, mais aussi George PERROS qui proposait une poésie entre sacré et profane, quelque chose de presque magique, une émotion indicible…Un peintre aura sans doute une démarche identique…La poésie a cela de beau qu’elle transmet quelque chose d’inexplicable, comme l’aboutissement du langage. On trouve au début de la bible : « Au commencement était le verbe… »,

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C’est une parole fondatrice, civilisatrice, profondément poétique et qui vous touche. Oui, transmettre l’émotion est certainement le premier devoir du poème ! Mais la poésie vraie est rare ! Le poète vrai est rare ! Et puis la poésie n’est pas aussi partagée qu’on le croit, il faut maîtriser la langue pour la comprendre, ça tient aussi des traducteurs… J’aime l’humilité en poésie. Et je n’utilise jamais de pseudo, je veux écrire en mon nom propre. Ce n’est pas anecdotique, je revendique tout, même le mauvais. Parfois, je ne discerne plus le fond de la forme, je m’attache aux rimes… Je m’applique à respecter une certaine structure du vers. C’est une exercice, un jeu avec les mots. L’œuvre de COLETTE, par exemple, est riche d’une expressivité maximale sans rimes, et l’expressivité, c’est la magie du langage ! D’où l’intérêt de bien user la métaphore. Léon-Paul FARGUES écrivait « Les petits bistrots de St Etienne, noirs comme des tenders… », Aucun mot n’est superflu, c’est ce concentré de magie que j’essaie de trouver, désuète, pure, implacable… » L’influence et les motivations de Patrick LORENZINI sont donc nombreuses et variées, son travail fourni, éclectique et toujours sérieux. Pourtant, il semble que le poète se soit un peu lassé… « Depuis deux ans, j’écris peu. J’ai tendance à me tourner vers le spirituel, ce qui est différent de la poésie et ne me semble pas trop s’accorder. Je médite. J’ai beaucoup à penser et peu à écrire. Je suis un peu limité physiquement, mais j’aimerais réaliser un rêve d’enfant, faire un grand voyage à vélo… Et puis il y a les « Poésies mineures », qui est un peu le reflet de tout ce que j’ai écrit en poésie que j’aimerais voir paraître prochainement…Beaucoup de poésies sont ignorées, c’est bien regrettable ! J’ai gardé une correspondance avec Emmanuelle ARSAN pendant trente ans. Le monde entier est passé à côté de son roman éponyme, pourtant le texte est extraordinairement bon ! Je me souviens qu’il m’avait marqué comme une vraie belle poésie… Mais tout cela nous montre qu’il faut relativiser, nous ne sommes pas grand-chose et nos vers non plus… » Propos recueillis par Emmanuel Rastouil, le 29 septembre 2010.

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Morceaux choisis

Patrick Lorenzini

Ainsi dans ce bistrot chaque matin On rencontre un serveur sans tête (il se prénomme Jean) Un pêcheur de rougets séché dans ses trémails Un apothicaire à bretelles qui a perdu son magasin Deux lycéennes de Dumont L’une ostensiblement littéraire L’autre plus volontiers mathématicienne Une petite vieille extrêmement vieille et extrêmement minuscule Penchée sur un cabas de fenouil Les pages quadrillées du carnet de notes Et le formica de la table.

*

Elle s'éveillera en tirant ses cheveux en arrière Ce sera l'heure où l'aube saigne Toi tu t'étonneras de son front haut et lisse Sans une ombre comme un été.

*

Il y a la ville du matin et celle de l'après-midi En dehors des noms de rues qui ne bougent guère Les deux n'ont pas grand-chose à voir ensemble Et le goût de leurs cafés ni de leurs passantes non plus. On ne peut pas aimer la ville blanche d'après-midi Qui est plutôt faite pour les chiens à la recherche d'un peu d'ombre Oui de très loin la ville du matin est la plus belle Ou peut-être n'est-ce seulement que l'idée qu'on s'en fait Au sortir des mers du sommeil Quand l'Antille où l'on pose pied est encore inédite J’ai oublié le nom des villes Car ce sont choses sans importance Ici chaque cité s'appelle: Aube.

*

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S'amariner à quelle enseigne De quel estaminet du port Revoici l'heure où l'aube saigne Comme un bouvreuil frappé à mort La cuiller tourne dans la tasse Sa tête aux souvenirs défaits Et tout un vent de paperasse Mots mal tus photos faux billets Longtemps j'ai renié ma ville Et compté la toile à l'empan Mais ma tartane est malhabile À suivre l'envol des sampans Là-bas dans la soyeuse Chine Sais-je combien se sont dissous De ces contre-chants de machines Au large des châteaux mandchous? Au diable la corne exotique Et la barbe du morutier La vie qu'il fait en Antarctique Ne me concerne qu'à moitié Une porte geint et se livre À l'amitié du café noir Ai-je vraiment lu tous tes livres Calme chair de mon promenoir? Ce matin sur la mer étale La lune a posé de guingois La nostalgie ornementale De son escarpolette en bois Tandis qu'au bar de la Traverse À la lueur du lamparo Quelque fausse danseuse perse S’enroule au bras d'un maquereau Et foule avec indifférence Dans cet indistinct demi-jour L’incertaine circonférence

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Du couvercle de mes amours On voit pourrir un feu d'étoiles Sous les armures du levant De brigantines de grand-voiles De ramures d'engoulevents Où de longues comètes sèches Comme des manèges forains Décorent les filets de pêche De frises d'asters sous-marins Accoudé à ma table ronde J’écoute souffler les steamers Maintenant je sais que ce monde N’est que le reflet de la mer Tant pis pour la nuit vénéneuse Dont nul Tabarin n'a voulu Jouons aux auto-tamponneuses Nos belles amies ne sont plus Près du miroir aux courtisanes S’égoutte secret lamento Un quatrain de Léon Vérane Accroché au portemanteau

*

Bien sûr il ne m'aurait pas déplu De poser au poète terrien Mais me voilà encore dans ce bistrot À écouter fumer les teenageuses. J'avais noté cela Un soir de mal de terre En panne de voyage Un album de poète Posé sur mes genoux Rien ne me parlait plus De ces mots ni ces pages Tout semblait contredit Comme un fanal déchu

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Crevé au pied d'un mât Mais deux astres de neige Réchappés du naufrage Brusquement se posèrent Sur ce temps débordé Et la vie rechanta.

*

J'aimerai la pluie sur les tuiles Le vent rabattant les volets La neige aux serpents enroulés Sur l'aile du moulin à huile Dans le soir inquiet des rideaux Le pressentiment de l'orage Troublant d'un revers de nuage Le calme sommeil des cours d'eau Et toi dont mes yeux sont semblables Traversés du même courlis Ma sœur de mémoire et d'oubli Ma fleur aux pétales de sable.

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Vincent Tavernier Hommage aux poètes

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CEDRIC LERIBLE

Transcription nommer ou dénombrer

ni présent ni passé

sans forme

la paroi est silence

seule

la fuite des nuages

mots inutiles

fossiles

le souffle du vent suffit

de la bouche

rien ne sort

pas même un regard

montagne pour vague

l’image

n’a pas de sens

les contraires

s’opposent ou s’unissent

sans contrainte

l’écho

comme reflet

même source

balancement

de gauche à droite

s’amarrer

dans le sillon

pousse l’arbre

d’une vague

pendant la moisson

être coiffé

d’un chapeau de paille

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naître d’une coulée

de lave

volcan

l’obscurité est une illusion

la détresse

un tâtonnement

la main parfois

s’envole

ni étreinte ni rejet

le rite contient

le germe d’une religion

l’abandonner

s’endormir

ou ramasser un rêve

quelle différence

léger et virevoltant

un bourgeon

butine une fleur

sur le sentier

la mort n’est plus un but

marcher

le sel

continue de brûler

les yeux de l’oracle

un olivier

dans sa spirale s’ébroue

sans un bruit

à l’extrémité

pousse l’os

d’une nouvelle racine

le soleil se déplace

avant

d’exsuder la nuit

un nouvel être

peut sortir

du pin

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l’éboulis

conduit un rêve

inassouvi

un éclair

brise la pierre

d’un signe

pas assez d’eau

pour en faire

des galets

un sentiment s’érode

écouter

sa plainte végétale

s’adosser au quotidien

à chaque instant

recueillir un sommet

une braise

dort encore

au fond d’un puits

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HERVE PIZON

Des bourgeons (un quai de gare)

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HERVE PIZON

Hémisphère

Il se leva rapide, machinal, il régla l'addition sans attendre du

serveur la monnaie et jeta furieux ses pas dans la bordure

cherchant sans doute un quelconque apaisement. Malgré la tue-

tête des voitures, ainsi, en marche mouvement, cent fois et plus, il

se posa la question à haute voix, dessus et dessous, retourna la

pierre pour y voir grouiller sous terre le petit monde, et, encore

assez pour qu'il l'a chasse de son crâne et la foule du pied: il

écrasa de ses semelles mégots et papiers collés au pavé avec une

telle minutie qu'elle revint l'idée, par le caniveau ou la fenêtre de

son obsession - c'est selon-, en pleine figure, quoiqu'il en fut,

éclaboussée, jaillissante, pourtant si évidente, pan!

Aux flaques, il se saoulait jusqu'à plus soif du reflet et de l'ombre ronde visage, de ses cheveux paysage, jusqu'à zigzaguer front en l'air, heurter le sol sans retenue, briser le miroir sur le trottoir et, genoux blessés, rouler par terre dans la rue au beau milieu du slalom des voitures hurlant doublé de l'inquiétude des passants, comme s'habiller le corps entier d'ornières du chemin, feuilles du sous-bois, brindilles qui craquent, spores, ça signifiait près, au contact du sol humide d'elle, c'est à dire au cœur irriguant, au plein, en, à rejoindre l'herbe mouillée du tout contre sa peau.

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Vincent Tavernier La petite bouffe

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M

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FABIEN RIGAL

Photographies

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PASCAL LERAY

Le rite du ciel J'ai toujours vécu dans l'effroi de l'absence. Sans doute n'ai-je jamais rien tant désiré. Et comme le désir prend mille visages j'ai mille et une fois plié le visage de l'effroi devant moi. L'absence m'a toujours répondu favorablement. (On m'accuse : « Vous ne lui en avez guère laissé le choix ! ») Mes interrogateurs, croyez que vous arrêterez l'absence pour la ligoter sur une chaise comme moi ? Non, bien sûr. Mais je puis bien vous dire ce qui m'engage seul. Ce qui engage ma solitude seule. Ce qui engage seulement l'effroi et le désir dans une même pièce, chacun plus seul que l'autre. Je ne jugerai pas mes interrogateurs, mes tortionnaires. Question d'habitude : est-ce que j'aurais pu porter le moindre jugement sur l'absence, par exemple ? Quand je la – désirais tellement – qu'elle m'effrayait. Je plongeais dans l'effroi, tête la première et je me retrouvais alors dans une petite pièce mal repeinte, éclairée par une lampe électrique teinte en bleu, suspendue à un fil électrique dénudé. Je n'étais réellement pas en état de juger quoi que ce soit. De toute façon, l'absence, une fois l'effroi initial passé, une fois le désir ramené aux proportions d'une existence quasi conjugale, elle n'aurait rien de particulier à me dire. Juste des questions : « Ah, ah ! Qui n'est pas là ? » Je me sers à nouveau de cet excellent ciel. « Oh, oh ! » « Et qui ne vois-tu pas et où ? » Oui, où irais-je pour ne pas voir et dire que là, oui là il y a bel et bien absence, point-limite où le désir se fait effroi et

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réciproquement et l'espace-temps et réciproquement et moi face à mes interrogateurs (Qui pourraient bien eux aussi ne faire qu'un, au fait ?) : « Est-ce que vous ne l'auriez pas vue, elle ? » Elle mais qui rechercherais-je ainsi (tête baissée, mes yeux ne font que balayer le sol) sans grand espoir, au fait. Mais une persistance d'espoir n'est jamais grosse. Il faut viser son exaspération fugace comme un rai de lumière. Il fallait donc viser. Et puis tirer. Et assurer l'absence que rien n'aura la prétention de détenir, d'être en mesure de transmettre même le moindre sens car l'absence et le sens se haïssent comme mes interrogateurs qui pourraient être l'un l'effroi et l'autre le désir et qui se chamaillent comme des enfants devant le supplicié qui pourrait profiter de la situation pour tenter de s'enfuir s'il voyait un sens à ce qui pourrait lui apparaître comme une issue. Mais non, je ne voudrais pas qu'on me dise : « C'était une farce ! L'absence n'a jamais existé, n'a pas pu résorber à elle seule la moindre parcelle de signification. » Apprendre que tout doit signifier serait intolérable à mes esprits. Le désir se sentirait de trop, il crierait qu'il n'a pas l'habitude de ces choses, que la chair ne devrait jamais être si charnelle peut-être, l'effroi resterait prostré pour sa part, ce qui n'arrange rien. Mes interrogateurs se haïssent, très bien ! Mais je n'ai pas que ça à faire, voyez ?

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Un Jumbo-Jet doit me récupérer d'ici un paquet d'heures, quelques minutes. Les questions resteront sans réponse, quoi de plus normal ? Mais enfin mon amour, ce qu'il faudrait surtout, c'est que tu n'oublies pas les parachutes. L'absence est une toile de tente.

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Vincent Tavernier La rencontre

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EKNATH

Plus loin qu’ailleurs

(Vers l’étoile intérieure)

Je connais des paradis où l’on fume des fleurs sauvages, où l’on tutoie les astres au bout de l’ombre sur un nuage. Je connais des paradis où l’on boit le sang du soleil, où l’on titube nu à dos d’étoiles. Je te parle de là-bas, de l’horizon tout au bout de l’ombre : vers la clarté. Viens. J’ai les clés d'un autre monde : dans cet ailleurs libertaire, une dynastie solaire a triomphé de l’arbitraire, de l’homme fossile et de son code si vil. Par-delà ce quotidien trop étroit pour nos ailes existe un lieu vers l’étoile idéale, et c’est là que je t’emmène : vers la clarté. Viens. Je te murmurai des prières que tu n’as jamais entendues, des cantiques interdits, des chants brûlant depuis toujours au fond de toi. J’allumerai sur ton front la flamme nue de l’astre roi et tu entendras, du silence éternel, l’aria subliminal et le souffle amoral. Viens. Je t’emmènerai où s’exilent les peuples du vent et des grands espaces, au clair d’étoiles d’un firmament sans frontières : l’invisible s’offrira à nos regards confondus qu'un même feu allume. Je t’emmènerai où les astres sont peuplés de mutants pourpres, au cœur vaste du ciel et de sa source immobile. Viens. Je t’emmènerai où le pourpre n’est plus une couleur, mais un souffle libératoire qui expire, de tes lèvres à mes lèvres, le vertige inspiré d’une étoile verticale. Je t’emmènerai au coeur de cette plénitude blanche qui nous chavire à la renverse de l’ennui, brule dans l’éther nos finitudes, et nous propulse dans l’immense. Viens.

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Je t’emmènerai à rebours du vieux troupeau désespéré qui pointe à heure fixe au syndicat du vide : loin de leurs paradis mièvres, loin de leurs enfers maudits. Loin de leurs diables inconscients et de leurs dieux impuissants. Je t’emmènerai au centre d’une flamme plus vive que l’absence des ténèbres, au cœur d’une étoile intérieure : dans cette lumière sans naissance et sans mort, affranchie de son ombre et de cent mille ans d’ignorance. Viens. Je t’emmènerai loin. Plus loin qu’ailleurs : à l’intérieur, mourir à ce monde inventé par nos yeux. Par-delà ce quotidien trop étroit pour nos ailes existe un lieu vers l’étoile idéale, et c’est là que je t’emmène : vers toi-même. Viens.

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EMMANUELLE GRANGE

Postscriptum - feuilleton –

1. Forcément je ne m'attendais pas à cela, jamais cela ne m'était arrivé, et chaque jour vous le taisez. Je préfère, savez-vous ? Votre silence sous la galerie et votre obstination à choisir pour moi avec mon accord tacite, nous marchons, nous aimons beaucoup, nous disons le printemps se sent déjà même si la concierge montre du doigt les fameuses gelées de février qui risquent d'anéantir les bourgeons. C'est l'heure des mimosas en Bretagne, vous confirmez, je vous soupçonne un brin conciliant amateur de terrain, mais surtout je vous sais à mon bras, détendu, et nos pas claquent, agréables, sur le trottoir. Je parle de Nancy et du ciel que l'on voit mieux là-bas que nulle part ailleurs dans une autre ville, je parle beaucoup, vous trouvez ? Je porte le papillon de Baccarat que vous m'avez offert. Nous arrivons au ministère de la Culture, nous nous asseyons côte à côte dans un café, le temps est trop précieux pour nous regarder; c'est après que nous glissons sous la galerie et que je dis oui à votre choix, enfin plus exactement que nous sommes d'accord ensemble. Nous est-il déjà arrivé d'être en désaccord, je veux dire en total désaccord ? Non, depuis tout ce temps. Vous parlez de plus en plus, je sais ça de vous, nous sortons de la boutique, l'un contre l'autre. Je ne m'attendais pas à ce cadeau de vous. Il ne pleut toujours pas, le ciel est grand ouvert, frais, certes, mais vous me tenez chaud de vous entier.

2. Vous êtes mort dans un accident, et c'est pourquoi vous m'êtes infini. Votre chute était prévisible tant vous aviez la tête en l'air, vous avez oublié nos recommandations, l'heure du rendez-vous, et puis le trou noir du tunnel.

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Je vous emmène vous promener, vous ne pouvez plus voir le jasmin en fleur, à peine pouvez-vous le humer, m'entendre, parfois m'écouter. Je ne peux plus approcher vos lèvres, poser ma main sur votre visage ou ailleurs, précise; rappelez-vous, je vous faisais rire et rougir d'aise ainsi, je vous demandais, comment ça va, bonne journée ? J'étais adroite alors. Vous êtes brûlé de partout. J'ai le goût de nous encore, mais sans larme; le temps innove d'autres échappées, l’inconsolation tranquille... Lorsque je vous ai posé sur le lit, vous n'étiez pas plus lourd qu'un moineau, j'ai fait le geste à distance de caresser votre nuque, je ne veux surtout pas raviver vos blessures, vous avez aussitôt fermé les yeux, vous sentez, je sais. J'ai baissé les stores vénitiens et je suis sortie dans la rue. J'ai remonté de la Nation la rue du Faubourg Saint-Antoine, je vous avais ferme contre moi, nous avons mangé quelques tapas comme d'habitude à pas d'heure, le Barahonda était gouleyant. A l'Arsenal, nous avons emmêlé nos jambes sur le bout de pelouse, nous avons regardé d'un œil arriver, partir les bateaux. Nos voisins avaient une radio, j'ai entendu Birmanie et puis Liban et, entre, la mort du chanteur Sevran (Ah ! Non, il n'était pas chanteur, mais écrivain gravissant la Roche de Solutré ! Ah ! Bon...) J'ai voulu rentrer d'un coup. Le monde m'exhortait à l'urgence, au non-dérapage, je ne parle pas du chanteur, bien sûr, vous auriez presque pu me provoquer à ce sujet, je vous connais ! A mon retour, vous dormiez profondément tel que je vous avais déposé. (A suivre…)

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Vincent Tavernier Pascin

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ENTREVUE, CHANSON

"Hypernuit", le troisième album de Bertrand BELIN est une des satisfactions française de cette année, au même titre que les réalisations de Florent MARCHET, Arnaud FLEURENTDIDIER et SYD MATTERS. Grâce à TANDEM, qui affiche toujours une programmation de grande classe, le public varois a le privilège d'en voir trois sur quatre sur scène. Ne boudant pas mon plaisir, j'en ai profité pour attraper l'artiste au vol, entre les balances et la cantine, et tenter de comprendre les ficelles poétiques qui servent ses chansons d'un autre temps, d'une grâce insaisissable... Le T: Alors, content d'être ici, à Hyères? BB: Oui, oui! On voulait rester très concentrés sur les balances et le spectacle de ce soir, mais c'est vrai que ce matin, en découvrant la ville, on a eu un choc, dans le bon sens du terme, tant l'endroit est aussi beau que dépaysant! Le T: Quel a été le cheminement entre "La Perdue", le précédent album et "Hypernuit"? BB: Certes, des réglages se sont opérés, mais je n'ai pas changé d'instrument! "La perdue" était un album assez bruyant, assez dense, avec beaucoup d'arrangements, je me suis fait plaisir, pensant aussi que je ferai plaisir aux auditeurs... C'est vrai dans un certain nombre de cas! Ceux qui se sont coltiné "La perdue" en sont fous

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mais c'était quand même un disque difficile à aborder... Je me suis rendu compte de çà. C'est pas que j'ai voulu rendre plus accessible le contenu, mais cette expérience m'a montré que je ne voulais pas être l'incompris de service, ni en rester là, sans rien dire ... j'ai voulu radicaliser le fond et la forme pour améliorer mon écriture, élaguer, laisser une économie... Le T: Un reniement? BB: Non, si ça en a l'air, c'est loin d'être un reniement! Le T: Tu as le sentiment que "La perdue" a été mal perçu? BB: J'avais juste le sentiment du travail bien fait qui n'est pas récompensé. Même si le disque a reçu quelques prix et un bel accueil de la presse. Je voyais aussi où on voulait me laisser. J'ai eu la chance d'enregistrer avec Cinq-7 et j'ai fait une rencontre déterminante avec CHET, directeur artistique qui a cru en moi. Si j'ai mis trois ans pour faire ce disque c'est aussi que pendant deux ans on ne voulait pas de moi... Le T: Dans "Hypernuit", le récit est-il le fil conducteur? BB: J'ignore tout de l'histoire qui est contée dans "Hypernuit". Les chansons n'ont aucune correspondance entre elles. Il n'y a pas de concept. Juste que je voulais un disque horizontal, c'est un peu fumeux dans mon esprit. Je voulais qu'il y soit question de pentes, parce que j'ai une obsession des pentes... Qu'il soit nordique, hivernal, un désert blanc, des bouleaux dans la neige... J'avais çà comme objectif émotionnel. Le visage général du disque je le retrouve en l'écoutant... Le T: As-tu mis un frein au lyrisme, dans la musique et le texte? BB: Je me suis interdit le foisonnement des arrangements. Je l'avais déjà fait sur "La perdue" avec satisfaction, mais là je n'avais pas envie de boursoufflures, je voulais un disque qui laisse une place à la voix... sur "La perdue" la grande différence c'était que la voix était traitée comme un instrument, les mélodies plus chantournées, les textes travaillés, mais je pense qu"Hypernuit" a un traitement plus littéraire que les précédents. Le T: Dans l'économie des mots? BB: Oui, mais ce n'est pas le récit qui convoque les mots mais les mots qui forment le récit que l'on ouvre comme un livre... Il y a une vraie prise en compte du potentiel littéraire des mots. Par exemple, le mot "maison" est un mot qui se répand, car derrière ce mot simple et multiple il y à l’ abri, le chez-soi, l'enfance, la fortune... Faire tomber ce mot dans une chanson avec rien d'autre autour, c'est intéressant. Ensuite, à chacun de s'approprier l'image du mot dans son imaginaire... Le T: Quels sont tes influences poétiques et littéraires et quelle est leur influence sur ton travail? BB: Je parlerais plutôt de poésie, même si je ne suis pas sûr que la poésie soit un genre littéraire... C'est quelque chose d'à part. S'il y a de la poésie dans la littérature, le contraire n'est pas toujours vrai! Les poètes qui m'ont vraiment marqué, je dis" les poètes" car c'est autant les hommes plus que leurs œuvres qui me passionnent. J'aime les biographies. Le rapport qu'entretiennent les auteurs avec leurs œuvres. J'aime des poètes de ce siècle comme Philippe JACCOTTET, Francis PONGE, Jean FOLLAIN, Gustave ROUD, des poètes avec des liens entre eux, une insatiable

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curiosité et une combativité sans relâche, à se confronter à l'existence en se confrontant aux choses inertes: constatant un mur, un chien, un arbre, l'océan ou je ne sais quoi, faire l'expérience du moment présent en dehors de tout soucis social, intellectuel ou de rentabilité et accepter l'absence de réponse et construire du courage avec çà... J'aime cette méthode-là de survivance... Je ne suis pas poète, alors je travaille avec naïveté... Lorsque j'écris "On ne laisse pas l'homme attendre ainsi sous le soleil", il ne faut pas y chercher autre chose que ce qui est dit, au premier degré; ça renvoie à la cruauté ou la vacuité que l'on rencontre parfois dans la vie. Avoir conscience de la merveille de la vie et en même temps comprendre que l'on va nous la retirer un jour, il y a là un certain déséquilibre dont la poésie amortit la chute... Y'a d'autres choses prévues pour ça, la religion, la psychanalyse, le confort, l'argent. Tout cela est à la disposition des hommes pour amortir la chute... Le T: Ton parcours semble jalonné de multiples expériences comme dans un "compagnonnage", pourquoi ? BB: C'est moins vrai aujourd’hui qu'autrefois. Un peu par égoïsme, mais surtout par la nécessité de ne pas se disperser. Jean-Paul SARTRE écrivait qu'il devait se conformer à l'image que le livre qu'il écrivait laissait penser de ce qu'il était...C'est l'image que les autres dessinent de vous... Alors, dans un soucis de non-éclatement, j'essaye de rester concentrer sur mes propres projets. Les appels extérieurs apportent du plaisir et de la distraction mais aussi une perte de concentration. Le T: Tu sembles vouloir recadrer ta carrière, garder ta liberté? BB: Si avoir une étiquette n'est jamais souhaitable... Je suis quand même estampillé "chanson française", même si beaucoup de choses me différencient de Christophe WILLEM, Renan LUCE, CALI ou Vincent DELERM... Même si j'aime BREL , FERRE, BRASSENS, BARBARA ou GAINSBOURG (j'aime beaucoup GAINSBOURG et BARBARA!), je ne fais pas allégeance à leur écriture! Je ne pratique pas un art qui doit s'inscrire dans un après Brassens. Je ne souhaite pas flatter l'auditeur avec une langue que l'on pourrait caractériser de "bien troussée", avec une rentabilité narrative que la chanson a l'habitude de livrer au public. Même si j'aime bien ce type de chanson, c'est pas la question! Le T: Et si pour booster les ventes on te proposait de faire un duo avec une artiste renommée, comme Florent Marchet et Jane Birkin? BB: Je ne sais pas si ça tient du consensus... Florent MARCHET, je trouve pas qu'il ait changé. Il a toujours eu des chansons en forme d'hymne qui pouvaient se déployer et contenir des slogans avec une intensité dramatique c'est ce qu'on demande aux chansons... Sa musique lui ressemble et il participe au rafraîchissement de la chanson populaire. Pour en revenir à un éventuel duo, il faut te dire que je suis breton, j'ai une certaine fierté et donc je ne suis pas prêt à faire n'importe quoi pour gagner l'amour de quiconque! A moins que Kylie MINOGUE ne me le propose! Mais si sur mon prochain disque il y a un duo avec Kylie MINOGUE, il ne faudra pas se hâter de dire que je voulais faire de l'argent! Quand c'est fait dans ce sens on le sent tout de suite! Sinon, j'ai déjà fait des duos sur mes précédents disques avec Barbara CARLOTTI ou Anne GUILLAUME...

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Le T: Pour finir, as-tu des projets? BB: On est en tournée jusqu'à la fin 2011! Rythme soutenu jusqu'à l'été, festival en France, au Canada... J'ai enregistré des cordes pour un groupe qui s'appelle HAUSSMANN TREE, un duo formidable de pop sixties avec quelque chose de progressif des années 70 qui chante des poèmes d'un poète libanais traduits en anglais... Je vais chanter au 104 à Paris avec un collectif qui s'appelle le DAHU composé d'artistes comme HOLDEN, JP NATAF, ALBIN DE LA SIMONE, Bastien LALLEMANT, Pascal PARISOT et des invités... Chacun connait et chante les chansons de tout le monde. Du plaisir et du partage, de l'entraide... Nos rapports sont excellents, on s'encourage. Sinon, je travaille aussi sur "le mariage de Figaro" réalisé par Sophie CARPENTIER. Je mets en musique des textes de BEAUMARCHAIS, on répète avant la première en janvier. Et puis je réalise l'album d'un chanteur qui s'appelle Alan CORBEL, en tant que directeur artistique... Propos recueillis par Emmanuel Rastouil, le 10 décembre 2010.

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Vincent Tavernier L’Américain du Danube

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LILAS KWINE

Géométrie variable #1 Je me suis perdue dans tes yeux je me suis pendue à tes lèvres dessaisis de ces mots filigranes aux regards errants à l'équerre Le temps frottait et repassait sous le diamant de nos atours les mélodies en contrepoint à contretemps de nos retours Je me suis perdue à quelques yeux compromis tant de grave à dessein tu étais tout ce que réclamait mon âme et mon âme alors émergeait de l'ombre Je me suis pendue à tes rêves ne clame pas qu'en cet instant tu ne penses à moi en ces lieux comme je songe à toi au présent Et tout mon corps en flamme réclamait de tes reins l'avenir n'est qu'un leurre glissant entre nos mains

Géométrie variable #2 En attendant le crépuscule dérivant à l'Hudson en écoutant la nuit chuter là sans un cri en décomptant les lattes sur un pont hyperbole avoir les dents qui claquent, - dérivées du hasard –

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asseoir le temps qui craque, comme le givre en éclats jouer avec la brume s'évaporant au silence s'empourprer au-devant entendre battre les tempes de tant d'éloignement, de tant d'éloignement... Tête haute, cœur à droite, bien calé sous les doigts à quelques kilomètres de ciel les seigneurs verticaux n'en peuvent plus de grimper de dépit tracent la route de la terre jusqu'aux toits lors je cherche les rebours qui me ramènent à toi

Géométrie variable #3 Le fond de l'air doux caresse tes lèvres emprunte à tes joues le parfum de sel qui te tient en joue Le soir d'un pont blême sous l'automne saoul refroidit ta peau tire à bout portant sur les faux-fuyants Au sommet d'un pont l'espace homogène saigne à petit feu raide sans fléchir sous l'écho d'un adieu

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Vincent Tavernier Le voyageur

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YANNIS SANCHEZ

Les passants Tandis que les moteurs tournent à plein régime Dans l'atroce concert du bruit indifférent, A chaque pas de plus, cette foule anonyme Se dévisage en s'ignorant. Elle marche, elle croise et recroise, elle passe Et repasse les fils de son immensité Mais tout ce remuement énorme qu'elle brasse Est comme atteint de cécité. Aucun son, aucun mot qui ne sort de sa bouche Mais toujours la fumée effroyable qui tord Les narines, la gorge et vient y prendre souche En la serrant un peu plus fort. Là, ce boulevard noir de monde mais inerte Est un long récital muet de bout en bout ; Là, cet arrêt de bus est une tombe ouverte Aux mourants qui tiennent debout. A chaque coin de rue, un monstre de silence, A chaque angle d'immeuble, un spectre de douleur, Plusieurs milliers de corps font son inconsistance Et font élargir son ampleur. L'hiver froid n'est pas fou, l'été chaud n'est pas dupe, Les cadeaux du premier, les maillots du second Savent qu'après cela, personne ne s'occupe De ceux et celles qui s'en vont. Derrière les passants, la foule qui s'exsangue Enfermant dans son cœur le vacarme des pas ; On dit les mêmes mots dans une même langue Mais l'on ne communique pas.

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YANNIS SANCHEZ

Samedi de grisaille Samedi soir, samedi de grisaille, Mon cœur est lourd, mon cœur est encombré, Tous mes baisers s'en vont perdre bataille Dans l'océan où mon rire a sombré. Un pas vers toi, mon cœur est malhabile, As-tu senti les neiges s'estomper ? ... Je n'attends plus et je suis inutile... Oh mais dis-moi que je vais me tromper ! Samedi soir, et je n'ai rien à faire ; L'ennui qui tombe et les marcheurs heureux M'ont tous rendue aveugle et solitaire, M'ont tous tuée ! Ah va c'est bon pour eux ! Partout la pluie et partout la détresse Suivant toujours les rêves avortés ; Partout mon corps qui vend sa maladresse A quelques mots parlant des libertés, A quelques fous qui jurent délivrance Lorsque la nuit enlève son corset Par-dessus l'eau, qui prise d'une transe Incontrôlable, entend l'or qui passait. Samedi soir, je suis à la fenêtre Et je t'appelle et tu ne le sais pas ; Le bonheur simple existe-t-il ? Peut-être Que quelqu'un veut me prendre dans ses bras ? Lui seul saura me parler des averses Sans plus jamais que je n'en prenne peur ; N'aurai-je pas, et même aux controverses, Une réponse, ayant vu ma douceur ?

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Mais je me perds. Car je suis seule et triste, Seule à savoir que l'ennui me fait mal ; Le cœur des gens, je sais bien qu'il existe Mais tout ceci me paraît anormal ! Trop anormal pour que soudain s'en aille Cette amertume où mon rire a sombré ; Samedi soir, samedi de grisaille, Mon cœur est lourd, mon cœur est encombré.

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La vieille dame sur son banc La vieille dame sur son banc Regarde les feuilles tombant Sans bruit en ce début d'octobre. Parfois elle se dit que le ciel reste sobre Tandis que le jour raccourcit. Dès que le matin s'éclaircit, On la retrouve qui promène Avec son petit chien en laisse qui l'entraîne Et la fait sourire parfois. Elle a mal aux genoux alors elle s'assoit, Caresse d'une main fragile Son petit compagnon docile, Le seul qu'il lui reste à présent. Elle repose un peu ses jambes en lisant Quelques lignes d'une nouvelle. Elle jette aux pigeons du pain dur, autour d'elle, Et comme ils sont aimants et la connaissent bien, Ils restent à ses pieds quand elle n'a plus rien. La vieille dame sur son banc Joue avec un bout de ruban : Il appartenait à sa mère. C'est son petit objet fétiche. Une légère Mélancolie emplit ses yeux. Elle songe à tous ses aïeux Auxquels plus personne ne pense. Pourtant elle a vécu cette Histoire de France Que l'école enseigne aux enfants : Les jours sombres, les jours nouveaux et triomphants, Mais le temps fait que l'on oublie Cette dame autrefois jolie Dans les vagues noms du public. Elle s'appelle Blanche, Andrée, Odette, Annick, Gabrielle, Elise ou Germaine ; Elle vit à Paris, à Brest, à Tulle, à Vienne, Elle a connu la faim, les progrès l'ancien franc Et chaque jour qui passe, elle meurt sur ce banc...

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Vincent Tavernier / Le rêveur

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YANNIS SANCHEZ

Crise et conséquences PIECE DRAMATICO-BURLESCO-TRAGICO-COMICO-RÉALISTE

Personnages

JEAN-MI JERÔME LUCILE HENRY LE SOUS-PREFET ALBAN et ELISE CASSANDRE OPHELIE LAURENCE LE COMMISSAIRE et SON FRERE Mr SCAPPAROLLA Mr KOUBILAÏTSEV UN GITAN UNE FEMME EVAËLLE LULU UN VENDEUR UN HOMME DE MAIN

ACTE II

LUCILE Dans un salon mitoyen au couloir. Lucile a la vingtaine. Elle est la fille du sous-préfet. Dans cet édifice aux airs de palais pour certains, elle aime déambuler à sa guise en compagnie de Cassandre, fille du comte, et d'Ophélie sa meilleure amie.

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ACTE II Scène I : LUCILE, CASSANDRE, OPHELIE

Six jours plus tard. Jean-mi travaille depuis quatre jours LUCILE Et là, juste au moment où le mec il s'approche, Je me dis : ''ben ma vieille il est vraiment trop moche'' Et c'est souvent le cas dans les boîtes de nuit. Alors un peu bourrée, en plus avec le bruit, Je sentais mon cerveau qui faisait la balance Et maintenant ce gars trop pourri qui s'avance Avec un air de con à te traumatiser, Genre le gars qui croit qu'il va bientôt baiser, Ben ça m'a refroidie illico, je te jure, Et l'instant d'après, j'ai gerbé dans sa voiture ! Alors moi je commence à m'excuser et tout Et le mec, trop marrant, fait le gars qui s'en fout Et d'un coup il me sort sa phrase de folie : ''C'est pas grave, c'est la gerbe la plus jolie Puisqu'elle vient de toi ''. CASSANDRE Putain, c'est un looser ! LUCILE A ce moment, je vois dans le rétroviseur Ophélie et Laura qui sortent de la boîte Alors moi gros mytho, je lui sors, maladroite : ''Attends-moi, je reviens, faut que j'aille pisser ''. Je fais signe à Laura de vite se casser ; Elle démarre et hop ! J'entre dans la bagnole ! En passant près de lui, je ris comme une folle Et Laura carrément, elle l'a regardé En louchant ! CASSANDRE Pauvre mec, il a rien demandé !

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LUCILE Lui qui pensait pouvoir se taper sa conquête, Il a dû se tirer une vieille branlette. Elles rient ; la voix d'Ophélie se fait entendre depuis le w-c OPHELIE Les filles, vous pouvez m'apporter du papier ? CASSANDRE J'ai des mouchoirs. OPHELIE C'est bon, c'est mieux pour s'essuyer. Le paquet passe de main en main, puis la porte s'ouvre J'ai perdu trois kilos au moins. CASSANDRE C'est dégueulasse. On entend Ophélie tenter de tirer la chasse OPHELIE Ah putain merde ! LUCILE Quoi ? OPHELIE Cette putain de chasse Elle est morte ! Les deux autres regardent LUCILE Fait voir ! CASSANDRE Ça craint. OPHELIE On fait comment ?

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CASSANDRE On laisse comme ça... LUCILE Non, quand même ! OPHELIE Ah vraiment C'est la guigne ! CASSANDRE C'est clair ! Elle se penche Ben dis donc ma chérie, Svelte, mince, sans poil, sans une calorie, Mais tu sors des machins cent fois pire qu'un mec ! OPHELIE Ne vous étonnez pas, j'ai fait un resto grec ! LUCILE Et cette chasse alors ? CASSANDRE Bonne pour la poubelle. OPHELIE Ils ont bien les moyens d'en mettre une nouvelle : Ton père est sous-préfet et le sien aristo, Personne n'a besoin de gagner au loto ! LUCILE Chut ! Taisez-vous j'entends quelqu'un ouvrir la porte. CASSANDRE Quel boucan ! Le salaud n'y va pas de main morte ! La porte du couloir s'ouvre, c'est Jean-mi, légèrement débraillé, tenant une flasque de whisky

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ACTE II Scène II : LES MÊMES, JEAN-MI

JEAN-MI, seul Ah là là ! Cher whisky, douce et tendre liqueur ! Toi qui m'as tant passé de baume sur le cœur Lorsque je voyageais...défoncé dans la rue ! Lorsque je partageais...le lit d'une morue Et que j'avais besoin d'oublier mon malheur. Et pour cause ! C'était en ces temps de...chaleur Où mon âme mêlait après chaque anisette, A l'appel de l'amour, l'écho de la braguette ! Oui, je manquais de tact et de subtilité, J'ai brûlé mille feux...par mon ébriété, Ayant traîné mon gros nez dans chaque vignoble ! Mais aujourd'hui je veux quelque chose de noble, Quelque chose de beau, d'utile et somptueux, A la fois singulier mais pas présomptueux. Il se siffle une longue lampée J'ai conjugué la vie à toutes les personnes, Je me suis fait lustrer par toutes les couronnes, A présent je lierai mon désir à ma foi Comme quand je souhaitais découvrir devant moi Trois filles m'implorant pour franchir un obstacle En m'appelant Monsieur ! LUCILE Monsieur ? JEAN-MI C'est un miracle ! LUCILE Vous pourriez nous donner un coup de main ? JEAN-MI, à part Seigneur ! Trois abricot, six seins et j'en ai la primeur ! Haut Un coup de main ? Je suis tout à fait disponible !

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À part Mon bout rouge fluo va vous prendre pour cible ! LUCILE Nous avons un problème avec le cabinet. L'une de nous, comment dire, se dandinait Et quand elle voulut évacuer son œuvre, le système a dit non et stoppé la manœuvre. La chose est très gênante et nous aurions besoin De quelqu'un qui saurait avec pratique et soin Réparer la machine en ayant la finesse De garder ce secret de filles en détresse. JEAN-MI, à part Est-ce que tout le ciel m'est tombé sur le dos Ou la chasse a laissé flotter quelques radeaux ? Haut Bien sûr, je m'y connais un peu en plomberie. Il va voir et découvre. Il baisse la lunette, soulève le couvercle, bidouille le mécanisme et ressort avec une tête d'outre-tombe. Adieu mythe naïf de la fille fleurie, Adieu nymphe candide et lascive aux seins frais, L'eau courant sur ton corps. S’est muée en engrais ! CASSANDRE Vous allez bien Monsieur ? JEAN-MI Comme un âne qui trotte ! À part Ou comme un amour fou balancé dans un chiotte ! LUCILE Vous voulez boire un coup ?

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JEAN-MI Ne pouvant le tirer, Sans penser à cela, je veux bien détartrer De mon foie au cerveau, des yeux à l'œsophage Ce corps éberlué devenu sarcophage ! Mais ne vous gênez pas ! J'irai tout seul au bar. CASSANDRE, à Ophélie Ce type est un ivrogne.

OPHELIE, à Cassandre Il se drogue ! CASSANDRE, à Ophélie Un jobard ! Il sort

LUCILE C'est un drôle d'oiseau celui-là. CASSANDRE Tu m'étonnes ! LUCILE Mais il était gentil et charmant. CASSANDRE Tu déconnes ?! OPHELIE Aller, préparez-vous ! On va bientôt manger LUCILE Deux secondes, d'abord je vais aller changer Mon tampon. OPHELIE Entendu. Nous, on descend, fais vite. Tu nous rejoins en bas ?

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LUCILE Ça marche. CASSANDRE A tout de suite ! Son tampon changé, Lucile part et voit une porte entrebâillée, elle aperçoit son père en train de discuter avec deux hommes

ACTE II Scène III : LE SOUS-PREFET, Mr SCAPPAROLLA,

Mr KOUBILAÏTSEV

SOUS-PREFET Bien Messieurs, si chacun de vous fait son trafic De son côté sans bruit et hors du grand public, Je n'interviendrai pas, chacun sera tranquille Et pendant vos séjours en Russie, en Sicile, Rien ne viendra troubler vos vacances, c'est clair ? SCAPPAROLLA Moi cela me convient, vous avez un bon flair, Vous savez discuter dès lors qu'il faut le faire. KOUBILAÏTSEV Oui ! Monsieur le préfet est un homme d'affaire. SOUS-PREFET Attention Monsieur, je ne suis pas préfet.. Pas encore du moins. SCAPPAROLLA Bah ! Vous aurez tôt fait D'en avoir le képi, pour ma part, je le souhaite.

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KOUBILAÏTSEV De même ! L'actuel est-il un homme honnête ? SOUS-PREFET Bien sûr que non, voyons ! N'est pas préfet qui veut ! Son verbe est aussi sale et pourri qu'on le peut ! Banal, me direz-vous ; mon univers, le vôtre Sont finalement peu différents l'un de l'autre ! Un cigare ? KOUBILAÏTSEV, prenant un havane Merci. SCAPPAROLLA, déclinant l'offre Mauvais pour la santé. SOUS-PREFET Bien, maintenant auriez-vous l'amabilité De me révéler qui contrôle quoi. La drogue Tout d'abord ; on me dit la cocaïne en vogue, Qui s'en occupe ? KOUBILAÏTSEV Moi Monsieur, à cent pour cent. Les prix sont au rabais, le marché florissant, J'ai mes habituels et mes habituées, Je tiens aussi le cuivre et les prostituées. Ajoutons que le fisc n'a pas pris ma villa, Donc tout va pour le mieux. SOUS-PREFET Monsieur Scapparolla ? Que tenez-vous ? SCAPPAROLLA L'alcool, le racket et les boîtes. Je noue également des liaisons étroites Avec tout le gratin du recel et du vol Tout en les empêchant de prendre leur envol.

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SOUS-PREFET C'est parfait ! Maintenant parlons dessous-de-table, Bakchich et pot de vin. Tout étant achetable; Pour combien selon vous puis-je fermer les yeux ? KOUBILAÏTSEV Quel serait votre prix ? SOUS-PREFET Bah, disons que je veux.. Il écrit un chiffre sur un bout de papier qu'il leur présente Ceci ! Moitié-moitié, bien sûr. SCAPPAROLLA Cela me semble Raisonnable. SOUS-PREFET Ravi de travailler ensemble ! Trinquons ! Il regarde sa montre Quelle heure est-il ? Sans vouloir vous chasser, Un bilan annuel va bientôt commencer. SCAPPAROLLA Nous vous apporterons dans dix jours cette somme, Même heure, à quel endroit ? SOUS-PREFET Vous trouverez un homme Qui guettera devant la porte de secours Donnant sur le trottoir, Chemin des Troubadours. KOUBILAÏTSEV Bien Monsieur le Préfet.

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SOUS-PREFET Décidément mon brave, Vous me voyez très haut ! Ma foi ce n'est pas grave. Pointez-vous dans dix jours, c'est le plus important, Notre marché conclu, chacun sera content ! KOUBILAÏTSEV Vous me ferez penser à sortir le champagne Si vous venez chez moi. SOUS-PREFET Bien ! Je vous raccompagne. Ils sortent. Lucile se cache dans un coin, puis réapparait ; elle s'arrête un instant puis retourne au salon.

ACTE II Scène IV : LUCILE, seule LUCILE, abattue et en colère Alors c'est comme ça que les choses se font ; Comme ça que je n'ai plus qu'un dégoût profond Pour cette fausseté, ce monde où je gravite, Ce monde que je vois depuis toute petite. Les rencontres, les gens, les bureaux, la gaité, Alors ce monde-là n'a jamais existé... Et le premier de tous, celui qui me vit naître, Celui qui chaque jour m'encourage à connaître Ce que tous ces pantins nous forcent à savoir, Lui qui m'a toujours dit que le sens du devoir Hissait l'Homme plus haut ; que tous les sacrifices Consentis, porteraient bien plus de bénéfices Pour l'esprit et le corps que pour le propre égo... Alors c'est comme ça que le ciel indigo Se noircit au profit de ce groupe néfaste, Cette secte, ce clan cynique, cette caste ! Alors c'est donc pour eux qu'on règle les réveils, Pour eux qu'on nous assène un millier de conseils

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Pour gagner notre vie et quelques aptitudes ; Alors c'est donc pour eux que l'on fait des études, Qu'on s'échine trois ans, quatre, cinq, six ou huit Et que l'on part naïf par la porte d'exit Pour prendre le chemin trop long de la galère. Je découvre un bandit à la place d'un père Qui commerce, qui trinque avec des maquereaux Sur les mêmes fauteuils, dans les mêmes bureaux Où je venais jouer lorsque j'étais gamine, Et le voilà qui boit en parlant cocaïne ! C'est pour lui, c'est pour eux qu'on paye des impôts ; Ces traîtres, ces voleurs qui souillent les drapeaux, C'est pour eux tout ce cirque et pour eux tout ce faste, Que le monde du fric se montre enthousiaste Et moi par mon silence et ma crédulité, J'ai vécu de ces faux-semblants, j'ai profité De ce pouvoir obscur, de ce sombre partage, Manigance sournoise, élément d'un rouage Qui dépasse à coup sûr ce que je peux penser. Elle sanglote Mes habits, mes bonheurs, ces nuits à dépenser Tout mon argent de poche !...Alors il était sale ! Ma vie est un mensonge écrit dans le scandale, La chute me guettait, me voici dans ses bras, C'est un gouffre sans fin dont on ne revient pas ! Elle se calme Je suis jeune il paraît, trop jeune pour comprendre : C'est ce qu'on nous répète à qui veut bien l'entendre.. Ce qu'ils ne disent pas ces faux-cul, ces gourous, Ces ministres de paille achetant des bijoux Pendant qu'un peuple entier se meurt et manifeste Tentant de repousser le malheur qui l'infeste, C'est qu'ils sont les premiers à mettre au tribunal De son effondrement ce corps hexagonal. Ce sont eux les supports de ces propagandismes Livrant la nation à tous les extrémismes. On nous fait la morale, on entend ces bobos De chanteurs et d'acteurs, vulgaires placebos Du talent, nous parler comme on parle à des gosses !

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Mais ce monde est fini, les vérités sont fausses, Les grands hommes sont morts, les espoirs consommés, La justice est un nid de vautours affamés Et de même qu'au jour, la trahison se terre, Ce soir je dois hélas faire le deuil d'un père. Elle pleure de nouveau Jérôme pousse la porte du salon et la découvre ainsi

ACTE II Scène III : LUCILE, JERÔME

JERÔME Lucile, que fais-tu ? Tu pleures…mais pourquoi ? LUCILE Jérôme s'il te plait, ne te fous pas de moi ! Ce sont tous des vendus, tous ! Le préfet, mon père, Silence, elle le fixe Même toi j'en suis sûre ! JERÔME Attends ! LUCILE Non ! Je préfère Que tu ne dises rien. Vous êtes dégoûtants ; Vos bureaux, vos chauffeurs nickels, vos assistants, Vos discours à la con, tout ça c'est de la frime ! Vous êtes souriants juste assez pour l'estime Mais vous baisez celui qui vous serre la main Et le baisé sera baiseur le lendemain : C'est la mathématique admise à la maison Puis les gens comme vous ne vont pas en prison Alors pourquoi suer à se montrer honnêtes ?

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Non, vous avez raison, les lois sont des sornettes, Des contraintes en plus qui nous rendent tarés, Des fabriques de chiens soumis, dégénérés, Des putes que l'on prend, qu'on salit et qu'on paie Puisque qu'on achète tout ! Car la loi n'est pas vraie : On n'est pas tous égaux devant elle, mais non ! Foutaises ! Il suffit d'avoir un autre nom, D'autres amis ayant le poste ou la finance Qu'il faut pour inverser le poids dans la balance Et le champ devient libre, en proie à tout excès ! Et pourquoi se priver d'emmerder les Français En glissant gentiment l'amende au pare-brise ? Les banques, les courtiers provoquent une crise Mais c'est le citoyen qui doit les renflouer ! Eh bien quoi ? C'est normal ! Les lois sont à louer : Les plus offrants en font leurs armes principales Et l'on veut m'assurer que les lois sont égales ? Mais égales pour qui ? Qu'on réponde à cela ! JERÔME Je n'aime pas non plus ces manigances-là. LUCILE Donc tu le sais, Jérôme, et toi comme mon père Vous y participez, ne dis pas le contraire ! JERÔME Tu te trompes sur moi, je ne suis pas comme eux ; On peut être un serpent sans être venimeux. Ça foisonne de merde ici, je le déplore. LUCILE Tu comptes me convaincre avec ta métaphore ? JERÔME Non Lucile, je veux seulement m'expliquer.

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LUCILE Fais bien attention à ne pas te manquer ! JERÔME Au début je pensais comme toi. Ces magouilles, Tous ces arrangements foireux et ces embrouilles, Ton père, le préfet, les flics, les trafiquants De tout poil qui passaient, les coups de fil fréquents Et les réunions la nuit au coin de table, Portes closes, toujours la tension palpable, L'argent de main en main, les mots à basse voix... On m'a vite averti : je n'avais pas le choix ! Je devais la boucler sagement et me rendre A l'évidence car c'est moi qui pouvais prendre. La boucler et rester : tu comprends maintenant ? LUCILE Je comprends qu'on nous tue en nous emprisonnant. Je comprends que mon père a cessé d'être un homme. Qu'est-ce que tu ferais à ma place, Jérôme ? JERÔME Je n'en sais rien du tout ; en matière d'ennuis, J'en ai suffisamment à la place où je suis. Silence ; le ventre de Lucile gargouille Il me semble avoir vu tes copines descendre, Tu devrais les rejoindre, elles doivent t'attendre : C'est l'heure de manger, ton ventre sonne creux. Lucile se lève et part vers la porte, elle se retourne. LUCILE Jérôme, je sais bien que tu n'es pas comme eux. Je crois que j'ai juste eu peur que tu puisses l'être ; Quand j'ai le contrecoup, je divague et m'empêtre. Silence Ça va changer un jour ?

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JERÔME C'est bien mon objectif. LUCILE Si tu laisses tomber, ne te sens pas fautif ! Je préfère savoir vivant le solitaire A qui j'aurais voulu pouvoir dire : ''mon frère'' Elle sort

Retrouvez l''acte 3 de « Crises et conséquences » dans le Testament3!

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Vincent Tavernier A la terrasse

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ENTREVUE, MUSIQUE

Le quatrième album de SYD MATTERS est encore dans tous les esprits et sur toutes les platines au moment où le groupe investit le Théâtre Denis de Hyères pour un concert formidable de passions contenues et d'envolées mélodiques. Mais, juste avant ces moments mémorables qui démontreront la maturité du groupe sur scène, Jonathan MORALI, le moteur du groupe, offrait quelques instants précieux au Testament et levait le secret sur l'incroyable magie qui accompagne chaque titre de "Brotherocean" ( Because Music).

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Le T: Votre dernier album "Brotherocean" est encore plus axé sur l'imaginaire que ces prédécesseurs, pourquoi ce choix? JM: Ce n'est pas vraiment un choix. Tout notre travail consiste à ne plus maîtriser ce que l'on veut dire, chercher un langage à soi, qui nous dépasse, laisser un inconscient parler et ensuite faire le constat des thèmes récurrents qui nous touchent, ce n'est pas un message à la base. S'il y a un message, c'est le disque qui doit nous l'apprendre... Plus on essaye de lâcher prise, plus on peut dire quelque chose de vrai. Le T: Le choix de "lâcher prise" se fait aussi dans la forme? JM: C'est une nature.. Encore une fois, le mot "choix" me dérange un peu. Ce n'est pas une activité réfléchie. Il y a beaucoup d'acceptation. La musique de SYD MATTERS n'est pas la musique que j'aime, c'est la musique qui témoigne le mieux de ce qu'on est. Il ne me semble pas nécessaire de contrôler les choses... Le T: Et si des choses venaient à t'échapper? JM: C'est ce qui est intéressant dans la musique... Il faut l'accepter! Je n'écris pas sur une trame Pop structurée "couplet/pont/refrain". Après, ça peut plaire aux gens ou pas, mais je crois que le meilleur respect que l'on peut avoir pour l'auditeur, c'est de ne pas essayer de leur donner quelque chose d'intentionné, il faut laisser aller sa créativité... Le T: Quelles influences ont agi sur la musique de "Brotherocean"? JM: Certains bouquins m'ont donné envie de faire de la musique, ou pour le moins d'apporter une réponse... Un jour, Dominique A m'a conseillé de lire "The sea" de John BANVILLE, ça a été un vrai choc littéraire et artistique. Après je me suis aperçu qu'il y avait d'autres livres qui tournaient autour de la mer, des auteurs d'Amérique du sud, BORGES, GARCIA MARQUEZ, des auteurs qui ont un rapport avec l'imaginaire... BORGES le dit très bien expliquant l'irruption de l'extraordinaire, souvent comme une allégorie non-expliquée. Ce qui m'intéresse, c'est l'ordinaire qui côtoie l'imaginaire, autour des thèmes de la mer, des monstres marins... "Brotherocean" a été nourri de ces lectures...

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Le T: On n'avait rarement entendu une musique Pop aussi poétique dans sa "texture" que celle de SYD MATTERS, est-ce conscient? JM: Ecoute, je ne sais pas... Je ne suis pas spécialiste, mais d'après ce que je lis, la puissance du style, des mots, des phrases est au centre du message, sans fil conducteur ni mise en structure de l'imaginaire. La poésie est l'art le plus libre qui soit car il est sans contraintes. Je ne prétends ni ne souhaite être poète, mais ça me parle dans l'éclatement des structures pour trouver son propre langage. Ainsi, la poésie me sert à trouver des mots, des harmonies qui sont mon propre langage, un langage idéal. Le T: Chanter en anglais fait-il partie de ce langage de prédilection? JM: Formellement, c'est une langue que j'adore! C'est un peu tabou de dire ça en France, on a tendance à se méfier de la culture anglo-saxonne, mais c'est le cas! J'aime la construction de la grammaire, les sonorités, la syntaxe, le fait qu'elle se renouvelle, et puis chanter dans une langue qui n'est pas la mienne m'apporte la distance dont j'ai besoin. Le chant, comme un autre instrument... Le T: Sinon, comment se passe la tournée? JM: Plutôt bien. C'est assez fatiguant et intense, mais on est content d'avoir la chance de continuer à jouer de la musique et voir qu'il y a de plus en plus de gens qui viennent nous voir. On grimpe des petites marches, les unes après les autres et ça suffit à nous rendre heureux... Propos recueillis par Emmanuel Rastouil, le 15 décembre 2010. Photo Jonathan Morali

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SEG DALLONGEVILLE

L’APPAT

Fais tomber, fais tomber Les peines, les gênes, L'abject, L'envie. Tout est soif Ou don Fais monter, fais monter Les chimères, les fièvres, L'obscène, Et vis. Tout est souffle Ou corps Trahis vertement tes reliefs Qu'instinctivement je m'y compromette

COMMOTION Tous tes âges me narguent me rasent m'éraflent et filent, filent, filent... A quel temps faut-il que je te parle ?

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SEG DALLONGEVILLE

ENVIRONNEMENT Des mouchoirs en boîte Des mouchoirs en pochettes Des mouchoirs dans les manches Des mouchoirs dans les poches La tache rouge Et le sifflement de l'oxygène PASSE COMPOSE Abîmée par des nuits De parfaite infamie Tu rêvais, intrépide, De braver l’humanité Ricanant au supplice, Aux tyrans anoblis, Leur abandonnant tes tripes Tu narguais l’humanité Et certains maquillaient Tes joues chaudes et mouillées De berceuses sucrées De bonté frelatée Alors vomissant leurs sourires Tu briguais un avenir Et te vis, bonne disciple, Saboter l’humanité.

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Emmanuel Rastouil L'accident - gravure

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Emmanuel Rastouil

L'accident

Le maudit accident survînt au crépuscule D’un jour d’hiver grisé par la pluie en manteau. Il fut l’initiateur d’un triste lamento, Dans le vide d’amour qu’un grand froid dissimule. Le sol se déroba sous mon corps en cellule, Il ne devait jamais plus sortir de l’étau. En prison malgré moi dans ce damné château, Je tâchai de survivre au futur ridicule. Étonnamment pourtant, le garçon résista. La fille fut touchée et son cœur éclata En milles souvenirs, comme autant de misères. C’est que le sort de l’homme est tenu par un fil Que son destin conduit au bord des cimetières… Qu’il soit pauvre ou puissant, il meurt. Ainsi soit-il.

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Emmanuel Rastouil L'oiseleur - gravure

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Emmanuel Rastouil

L’esprit du mal Le diable en oiseleur tend aux hommes des pièges Et capture vivants des oisillons craintifs. Sans autre bienveillance, il amène captifs, Les faibles corrompus par ses odieux manèges. Il presse les humains à tous les sacrilèges, Les livrant au pêché dans des jeux primitifs, A l’envie, à l’orgueil, et leurs choix collectifs Sont autant d’errements, d’habiles sortilèges. Sauras-tu te soustraire au désir matériel, A la tentation d’un rêve artificiel, Aux faux raisonnements, à la crainte de l’homme ? Sans le soutien de Dieu, de son bras protecteur, Depuis que nos parents ont dévoré la pomme, On ne peut échapper au puissant prédateur.

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L'association PAROLES D'AUTEURS Présente

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Vivant 66 pages, 2007, 8 Euros Populaire 68 pages, 2007, 8 euros Vivant et Populaire, 126 pages, 2007, 15 Euros Les solitudes assassines 153 pages, 2007, 15 Euros Frais de port offerts! Chèque à libeller à l'ordre de PAROLES D'AUTEURS Et à envoyer à Revue LE TESTAMENT Emmanuel RASTOUIL Les Orangers A rue Van Gogh 83130 LA GARDE

Un blog? parolesdauteurs.over-blog.com bien sûr!

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ANCIENS NUMEROS DISPONIBLES

Testament 1 / 10 Euros (frais d'envoi inclus) Où se procurer LE TESTAMENT? Librairie Le Carré des mots, TOULON Librairie La Nerthe, TOULON Librairie Contrebandes, TOULON 7 Euros Par la poste...

Au numéro: 10 Euros

Abonnement (4 numéros): 35 Euros

Chèque à libeller à l'ordre de: PAROLES D'AUTEURS Et à envoyer à Revue LE TESTAMENT Emmanuel RASTOUIL Les Orangers A rue Van Gogh 83130 LA GARDE

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