TES chantrerie 56p IMP - web.imt-atlantique.frweb.imt-atlantique.fr/x-dg/aful-c/uploads/images/AFUL...

60
LA CHANTRERIE UN TERRITOIRE DU FAIRE ENSEMBLE CAHIER DES TERRITOIRES DU FAIRE ENSEMBLE … ou l’histoire de dynamiques collectives pour un territoire en transitions

Transcript of TES chantrerie 56p IMP - web.imt-atlantique.frweb.imt-atlantique.fr/x-dg/aful-c/uploads/images/AFUL...

LA CHANTRERIEUN TERRITOIRE DU FAIRE ENSEMBLE

CAHIER DES TERRITOIRES DU FAIRE ENSEMBLE

… ou l’histoire de dynamiques collectivespour un territoire en transitions

Programme partenarialTransition énergétique & sociétale

Le présent document a été réalisé à l’aide des contributions principales de :

Cyria Emelianoff, géographe, professeure à l’Université du Maine

Rudy Guilhem-Ducleon, stagiaire de Master 1 de Géographie ingénierie

des déchets au Laboratoire ESO à l’Université du Maine 

Marion Guerry et Samuel Aubin, sociologues au Collège des transitions sociétales 

Danielle André, gérante du BE CLIMAT, assistance technique bénévole de l’AFUL Chantrerie

Fabienne Bretécher, assistante du Collège des transitions sociétales 

… ainsi que les acteurs impliqués dans l’aventure de l’AFUL Chantrerie

qui ont accepté de témoigner :

Les personnes travaillant sur le site de la Chantrerie :

Bruno Caroff, directeur du GIP Inovalys

Laurence Charpentier, chargée de mission Développement Durable

à Polytech, Université de Nantes

Emilie Gadoin, maître de conférences à Polytech, Université de Nantes

René Le Gall, directeur de Polytech, Université de Nantes

Arnaud Godevin, directeur de l’École Supérieure du Bois

Xavier de La Bernardie, ingénieur de recherche à Subatech, IMT Atlantique

Frédéric Lefèvre, ingénieur de recherche à Subatech, IMT Atlantique

Bernard Lemoult, directeur de l’AFUL Chantrerie

Frédérique Naudin, secrétaire générale d’Oniris

Gwenaëlle Neau, ingénieure environnement et QSE à l’École de Design

Vincent Le Rigoleur, jardinier à IMT Atlantique

Serge Wattelier, secrétaire général à IMT Atlantique

Les personnes travaillant à Nantes Métropole ou à Nantes Métropole Aménagement

Fabrice Joubert, responsable du service développement des entreprises

et des filières à Nantes Métropole

Franck Billion, chargé d’opération à Nantes Métropole Aménagement

Julie Laernos, vice-présidente de Nantes Métropole en charge de la délégation

Empreinte écologique - Transition énergétique - Climat - Énergie - Développement durable

Maryline Guillard, directrice du pôle Energies, Environnement & Risques,

Nantes Métropole

Que chacun en soit remercié.

à toi, à nous, aux autres

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE UNE QUESTION D’ARTICULATION DES ÉCHELLES De l’urgence écologique à l’action territoriale 4

Transition énergétique & sociétale : une recherche-action partenariale 5

La Chantrerie : un territoire sans histoire 6

L’AFUL CHANTRERIE : PAROLES DU PORTEUR DE PROJET Au commencement, il était une fois… 12

Le projet de chaufferie bois : un projet fédérateur … mais bien plus que prévu 17

Une envie de pousser plus loin ce faire ensemble 23

Chaufferie biomasse et réseau de chaleur 23

REGARDS CROISÉS D’ACTEURS DE LA CHANTRERIE Pourquoi et comment le projet a émergé, quel rôle du porteur de projet ? 30

Faire ensemble : quel rôle, quelle organisation et quels effets du collectif ? 31

Quelle place et quel rôle de la collectivité ? 33

Quelles envies pour quel modèle de développement ? 35

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE ANALYSE ET MISE EN PERSPECTIVE Questionnement de départ 40

Un processus de territorialisation 42

Un territoire du « faire ensemble » : des conditions pour réussir ? 45

BILAN & PERSPECTIVES Quel monde laisser à nos enfants ? 53

Poursuivre la dynamique du « faire ensemble » 53

Quel modèle économique demain pour consolider l’initiative ? 54

Vers un projet commun avec la collectivité ? 54

Pour quelles évolutions des pratiques et des modes de vie demain ? 55

2

TRANSITION ÉNERGÉTIQUEune question d’articulation des échelles

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles4

DE L’URGENCE ÉCOLOGIQUE À L’ACTION TERRITORIALEEn réponse aux enjeux énergétiques et principalement climatiques (limiter à 2°C l’augmentation de température d’ici 2100 au niveau mondial), la loi française sur la transition énergétique et la croissance verte fixe des objectifs très ambitieux : réduire de 75 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 (40 % d’ici 2030), de 50 % nos consommations d’énergie finale d’ici 2050, de 30 % notre consommation d’énergie fossile d’ici 2030, passer à 32 % d’énergie renouvelable (EnR) d’ici 2030 (15 % en 2015).

Aussi élevés soient-ils, ces objectifs ne sont que la déclinaison au niveau national des engagements politiques internationaux basés sur ce que nous disent les scientifiques du GIEC depuis de nombreuses années. Certains les trouvent insuffisants et tardifs, d’autres trop ambitieux et irréalistes. Quoi qu’il en soit, le ton est donné, le cap est fixé, il est désormais temps d’agir. La nature ne manquera pas de nous rappeler à l’ordre, de nous rappeler la temporalité et la réalité des choses.

Compte tenu des niveaux très importants de réduction de nos consomma-tions d’énergie et de production d’EnR, et ce dans un temps court (quelques dizaines d’années), il est clair que nos modes de vie sont directement interrogés. Qu’il s’agisse de mobilité, d’habitat, d’alimentation, de nos achats en général… nos modes de production et de consommation sont donc structurellement à revisiter, à faire évoluer.

Or, ces questions touchent directement les habitants, les salariés, chacun d’entre nous dans sa vie quotidienne. Les transformations à engager ne pourront donc pas se limiter à des lois, des arrêtés, des réunions de quar-tier, des bonus/malus… Même si elle est indispensable, l’action seule de l’État et des collectivités ne sera pas suffisante, surtout dans le contexte actuel de défiance de nos systèmes démocratiques.

Dans ce contexte, ne faut-il pas territorialiser ces transitions à engager ? Ne faut-il pas internaliser la responsabilité et l’envie d’agir locale-ment ? Ne faut-il pas articuler les initiatives portées par la société civile (entreprises, agriculteurs, habitants) et la politique publique portée par la collectivité? Ne faut-il pas favoriser l’émergence de telles dynamiques collectives locales ?

C’est l’hypothèse faite ici, c’est tout l’enjeu du programme partenarial de recherche-action transition énergétique & sociétale (TES).

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles 5

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE & SOCIÉTALE : UNE RECHERCHE-ACTION PARTENARIALEL’évolution des modes de vie s’articule à différentes échelles : macro, mezzo, micro. L’échelle macro concerne les politiques nationales (voire au-delà) structurantes et dont les constantes de temps de transformation sont très importantes à l’échelle du temps de l’urgence climatique qui nous intéresse ici : la place de la voiture et les autoroutes, la production centralisée d’énergie et le nucléaire, la production agricole et les produits phytosanitaires…

De son coté, l’échelle micro (individuelle) a fait l’objet de nombreuses campagnes de sensibilisation, notamment de la part de l’ADEME, pour réduire ses consommations (eau, électricité, chauffage…), se déplacer sans voiture, habiter mieux…

Non pas que les résultats soient négligeables (comme par exemple dans le domaine des déchets), mais les études montrent clairement les limites de ces démarches centrées sur l’individu. Celui-ci est en effet très enca-dré et contraint par les choix macro faits au niveau national. La mobilité domicile-travail en est un exemple frappant.

Par ailleurs, et contrairement au déchet, produit qu’on peut voir, sentir, toucher, l’impact de la consommation de l’électricité reste un mystère derrière l’interrupteur, l’essence derrière la pompe, le mail derrière l’écran…

L’échelle dite mezzo est intermédiaire entre le macro et l’individu. Il relève du collectif et du niveau local. Il permet souvent de faire émerger des projets articulant innovation sociale et solutions technologiques.

C’est le cas au niveau des parcs d’activités d’entreprises, des énergies renouvelables citoyennes, des installations de méthanisation agricole ou encore de la rénovation énergétique des copropriétés. Au sein de ces projets, les dynamiques collectives qui se créent constituent souvent un levier démultiplicateur de la création de confiance, et donc de la mise en actions.

Pour les pionniers d'Eolienne en Pays de Vilaine (EPV), par exemple, « ils ne savaient que c’était impossible alors ils l’ont fait » (Mark Twain). Depuis, non seulement d’autres projets citoyens sont sortis de terre, mais la loi prend progressivement en compte ces innovations sociales. Celles-ci précèdent d’ailleurs souvent la mise aux normes sociales. Mais quelle énergie mobilisée par ces pionniers !

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles6

Dans ce contexte, il est fait l’hypothèse que ces dynamiques collectives locales constituent une condition nécessaire (mais bien sûr non suffisante) pour réussir la transition énergétique et plus généralement la transforma-tion de nos modes de vie. Cette hypothèse est au cœur du programme partenarial de recherche-action transition énergétique & sociétale.

Pourquoi et comment émergent ces projets collectifs ? Quels en ont été les raisons, les caractéristiques ? Quel rôle joue le porteur de projet, la collectivité ? Quels sont les effets du collectif sur les individus, sur le territoire, sur le projet ? Quelle est la gouvernance du collectif et quelle est la résilience dans le temps ? Quelle articulation entre le porteur de projet, l’organisation (gouvernance) et le territoire ? Quels sont les facteurs clés de succès de ces projets de territoire ? Peut-on capitaliser sur ces facteurs clés ? Jusqu’où peut-on généraliser pour espérer transférer ? Quelle analyse et mise en perspective ?

Telles sont les principales questions auxquelles le pro-gramme partenarial TES ambitionne de répondre.

Parmi les terrains de la recherche-action, celui de la Chantrerie est particulièrement intéressant.

Il fait l’objet du présent ouvrage qui s’appuie sur une quinzaine d’entretiens réalisés avec les acteurs du site, à l’origine de cette aventure collective.

Pour des raisons de confidentialité, les propos rapportés sont volontairement anonymes.

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles 7

LA CHANTRERIE : UN TERRITOIRE SANS HISTOIRE

La Chantrerie : histoire d’un territoire « hors-sol »La Chantrerie est un territoire situé au nord de la ville de Nantes, sur la rive gauche de l’Erdre, rivière remarquable de part ses châteaux, sa beauté et son écosystème écologique.

Tel que vu par les acteurs locaux, le site est délimité au sud par l’autoroute, à l’ouest par l’Erdre, au Nord et à l’Est par la ville de Carquefou. Au sein de ce territoire, la collectivité a créé en 1990 une zone d’aménagement concerté, la ZAC Chantrerie 1. À noter que cette ZAC ne représente qu’une partie du site de la Chantrerie. ONIRIS (anciennement École vétérinaire) ne fait en effet pas partie de la ZAC, de même que toute la zone d’ha-bitations coté nord.

À l’occasion de la création de cette ZAC, un schéma d’aménagement a été réalisé par Christian de Portzamparc, urbaniste et architecte. Plusieurs acteurs qui connaissent bien l’historique témoigne que l’architecte « a conçu les plans sans jamais se déplacer sur le site, avec des règles d’urbanisme très complexes. À chaque fois qu’une entreprise voulait s’y implanter, elle abandonnait car elle ne pouvait pas s’implanter à tel endroit pour telle et telle raison (linéaire, hauteurs à respecter…). Il y avait beaucoup de contraintes pour l’intégration dans le paysage. […] Il y avait à la fois le PLU et les règles propres de la Chantrerie. Pendant 8 ans, aucun terrain n’a été commercialisé, ce qui a participé à le rendre non attractif par rapport au centre-ville, par rapport à d’autres parcs d’activités. […] Ce n’est qu’à partir de 2008 que l’aménagement a été repensé et aujourd’hui encore il faut se battre pour le faire aboutir correctement. »

La Chantrerie : un territoire naissantAu-delà de l’arrivée de quelques établissements d’enseignement supérieur comme l’École des mines et l’École Supérieure du Bois après 1990, c’est seulement à partir de 2008 que la ZAC de la Chantrerie 1 a commencé à faire l’objet de l’attention de la collectivité.

À cette époque, près de 50 entreprises, 5 établissements d’enseigne-ment supérieur et de recherche ainsi que des organismes publics sont

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles8

A11

LA CHANTRERIE

ZAC DE LA CHANTRERIE

ERDRE

NANTES

La Chantrerie au nord de Nantes

TRANSITION ÉNERGÉTIQUE une question d'articulation des échelles 9

implantés sur le site. Le site représente alors environ 2 500 salariés et 4 000 étudiants.

Alors que les transports en commun ignorent le site, alors que la collectivité commence à regarder le site autrement, alors que les relations entre les responsables d’établissements sont quasi-inexistantes, un projet collectif émerge pour conduire aujourd’hui à un vrai projet de territoire, portés par les acteurs et en lien avec la collectivité.

DANS CET OUVRAGE,

nous essaierons de comprendre ce qui se joue sur le site de la Chantrerie, notamment pourquoi et comment il en est arrivé là. La parole du porteur de projet et les témoignages croisés d’une quinzaine d’acteurs mettront en évidence l’importance de l’articulation entre le porteur de projet (ou leadership), l’organisation du projet (gouvernance) et le territoire.

Puis, nous croiserons ces éléments avec les travaux du laboratoire CRISE au Québec, en essayant de caractériser la dynamique collective de la Chantrerie et de la mettre en perspective.

Les enjeux de capitalisation et de reproductibilité seront mis en questionnement pour donner quelques clés à d’autres pour faire ailleurs, pour permettre un changement d’échelle, en prenant en compte la spécificité du territoire.

Enfin, nous terminerons par un temps de mise en pers-pectives partagées entre les acteurs pour faire émerger une vision et des lignes de force quant à l’avenir qu’ils souhaitent pour ce territoire, avec ce faire ensemble qui désormais les caractérise.

A11

LA CHANTRERIE

ZAC DE LA CHANTRERIE

ERDRE

NANTES

10

L’AFUL CHANTRERIE :paroles du porteur de projet

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet12

Afin de mieux comprendre cette aventure collective, commençons par le témoignage du porteur de projet, par écouter son récit. Cyria EMELIANOFF, Professeur à l’Université du Maine, interroge le porteur du projet Chantrerie, Bernard LEMOULT.

AU COMMENCEMENT, IL ÉTAIT UNE FOIS…

Avant d’entrer au cœur du projet, quels sont les éléments de votre parcours personnel et professionnel qu’il est important de connaître pour la suite ? [CE]

J’ai près de 60 ans, je suis directeur de recherche à l’IMT Atlantique, an-ciennement École des mines de Nantes, et mon domaine de compétences scientifiques est principalement l’énergie.

Pour aider peut-être à mieux comprendre le projet, voici les principales étapes qui ont jalonné mon parcours professionnel. Après un doctorat, j’ai travaillé 5 ans au CTSB1 à Nantes sur la conception et la réalisation de la soufflerie climatique. J’ai ensuite rejoint le centre énergétique de l’École des mines de Paris pour développer un laboratoire à Nantes. Ce laboratoire a été intégré en 1992 à l’École des mines de Nantes à l’occa-sion de sa création. En 1996, j’ai réalisé une installation de cogénération pour l’École des mines. En 1999, j’ai pris une année de disponibilité pour rejoindre ALSTOM power, dans le domaine de la cogénération.

En 2007, le directeur de l’École des mines me proposait de lancer une démarche développement durable au sein de l’établissement, l’histoire commence là.

J’ajouterai qu’au démarrage de cette aventure, en 2008, je présidais déjà l’ATEE2 Ouest, je venais de suivre à Paris le CHEE&DD3 et j’étais membre de la CRA4 de l’ADEME PDL. Autrement dit, j’étais assez bien introduit dans différents réseaux professionnels.

Par où souhaitez-vous commencer cette histoire ? [CE]

Je commencerai par souligner la conjonction, à l’époque, de plusieurs facteurs.

En 2007, au moment où la Conférence des Grandes Écoles (CGE) sortait un référentiel développement durable et responsabilité sociétale, l’École

[1] Centre Scientifique et Technique du Bâtiment[2] Association Technique Énergie Environnement[3] Collège des Hautes Etudes en Environnement & Développement Durable[4] Commission Régionale des Aides

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 13

des mines de Nantes préparait son Agenda 21 sur la base de ce réfé-rentiel articulé autour de cinq axes : gouvernance, formation, recherche, gestion écologique du Campus, politique sociale et ancrage territorial. Rappelons-nous également la sortie du film d’Al Gore en 2006, Une vérité qui dérange. Ce film a véritablement médiatisé les enjeux climatiques auprès du grand public.

Par ailleurs, à cette même période, nous avions travaillé avec un bureau d’étude et des étudiants de l’École, dans le cadre de leur formation, sur un projet de chaufferie bois pour alimenter les bâtiments de l’École des mines. Le niveau relativement élevé du prix du gaz, l’accès à un prix intéressant du bois énergie et l’aide financière importante de l’ADEME5 en faisaient un projet économiquement viable avant toute considération environnementale, énergétique, locale, sociale ou encore géopolitique.

Dans ce contexte, j’ai proposé mi 2008 à plusieurs établissements du site de mener une étude de faisabilité technico-économique pour une chaufferie bois centralisée avec un réseau de chaleur sur lequel ils se raccorderaient. L’effet d’échelle ne pouvait en effet qu’améliorer le bilan économique.

Les représentants des établissements ont donné leur accord de principe, le seul engagement à ce stade consistant à mettre à disposition leurs factures et leurs consommations d’énergie (gaz naturel).

Au printemps 2009, les conclusions de l’étude conduisaient à un pro-jet intéressant sur tous les plans, avec notamment un prix de l’énergie thermique pour les établissements inférieur d’environ 5 % du prix de la situation actuelle.

Par ailleurs, le modèle économique proposé était basé sur un contrat de conception, de réalisation, de financement et d’exploitation pendant 20 ans avec un opérateur privé. Autrement dit, les établissements n’avaient rien à investir, leur seul engagement consistait à acheter cette énergie pendant cette période.

Si tout se présentait bien, deux évènements allaient remettre en cause ce projet :

- d’une part la collectivité, en l’occurrence Nantes Métropole, nous informait qu’elle ne ferait pas de DSP6 sur cette opération. La collectivité venait de vivre en effet une expérience difficile sur un autre territoire  ;

- d’autre part le code des marchés publics, auquel étaient soumis les cinq établissements publics engagés, ne permettait pas une consultation

[5] Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie[6] Délégation de Service Public

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet14

pour l’achat d’énergie pendant 20 ans sans que l’installation soit déjà construite. Or, tout opérateur privé demandait cet engagement avant d’investir. Nous étions donc dans la situation de l’œuf et de la poule.

Le projet risquait donc d’être abandonné…

Comment avez-vous rebondi ? [CE]

Un chargé d’opération à Nantes Métropole Aménagement, l’aménageur du site de la Chantrerie, a proposé de financer une étude pour explorer les solutions juridiques possibles. C’est ainsi que le statut d’AFUL, Association Foncière Urbaine Libre, association de propriétaires, est apparu. Utilisé à l’origine pour gérer des équipements en copropriété privée, c’était la première fois que ce statut s’appliquerait à un projet de chaufferie bois avec un réseau de chaleur. Nous nous orientions donc vers une association privée composée d’établissements publics.

Parallèlement, à la fin du printemps 2009, Nantes Métropole est venue souligner, auprès des directeurs des 5 établissements, l’intérêt de ce projet, sans pour autant pouvoir le traiter en DSP. La décision était alors prise de lancer un dialogue compétitif avec le recrutement d’une AMO7. Financée au 2/3 par Nantes Métropole Aménagement, les établissements prenaient le reste en charge, soit environ 2 000 € chacun, « pour voir » les offres finales des candidats. L’AMO était recrutée mi 2009.

Début janvier 2010, toutes les pièces contractuelles de la consultation étaient prêtes, l’annonce au BOAMP8 pour un appel à candidature allait paraître, l’École des mines de Nantes acceptait, avec un peu d’audace administrative, de lancer la consultation en son nom, pour le compte de la future AFUL qui ne pouvait être créée que quelques mois plus tard. Tout se présentait donc bien. C’est alors qu’un des cinq établissements, un gros consommateur d’énergie thermique (environ 30 %), appelle pour m’informer de son retrait du projet.

Pour quelles raisons ? Comment avez-vous géré cet évènement ? [CE]

Il me semble que la fragilité du lien entre cet établissement et le reste du collectif expliquait cette décision. Cette fragilité était due non seulement au directeur pour le moins absent, mais également à la difficulté de compréhension du modèle économique proposé : disposer d’une énergie thermique moins chère sans rien débourser en investissement semblait

[7] Assistance à Maîtrise d’Ouvrage[8] Bulletin Officiel des annonces de marchés publics

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 15

difficile à concevoir. Impossible de les faire revenir sur leur décision. Visiblement, la motivation n’y était pas !

Au cours d’une réunion de crise avec les directeurs des quatre autres établissements, la décision a été prise de poursuivre le projet, même avec une consommation thermique globale plus faible. Restait en interrogation l’intérêt économique avec ce partenaire en moins.

Nous étions fin février 2010, tous les documents de consultation étaient modifiés, l’appel à candidature avait conduit au choix de 3 candidats, le dialogue compétitif pouvait commencer.

À une semaine d’envoyer tous les documents aux candidats, nouvel appel téléphonique : le cinquième établissement était de retour.

C’est assez incroyable, pourquoi ce revirement ? [CE]

Sans entrer dans les détails, la raison tenait semble-t-il à des considéra-tions politiques, survenues au sein même du conseil d’administration de l’établissement. Celui-ci est donc revenu dans le projet, sans forcément plus de conviction, et avec une partie seulement de ses bâtiments à raccorder.

Mi-mars 2010, les documents étaient de nouveau modifiés et le dialogue compétitif pouvait cette fois vraiment commencer. La suite s’est déroulée comme prévu.

Le 19 mai 2010, l’assemblée générale constitutive de l’AFUL Chantrerie se tenait et le 8 juillet 2010, soit moins de 2 ans après avoir émis l’idée de cet équipement, le contrat était signé pour une année de conception, de réalisation, de financement et pour 20 années d’exploitation.

Fin septembre 2011, la chaufferie bois était mise en service, sans aucun incident majeur depuis.

Si je vous raconte ces différentes étapes du projet, c’est pour partager les imprévus auxquels il a fallu faire face : contourner les obstacles, imaginer des solutions, ne rien lâcher sur le fond tout en relâchant les contraintes, anticiper et anticiper encore…

Contourner les obstacles, imaginer des solutions, ne rien lâcher sur le fond tout en relâchant les contraintes, anticiper et anticiper encore…

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet16

Et sur le plan économique, les prévisions ont-elles été au rendez-vous ? [CE]

Tout à fait. Du fait d’un montage juridique et fi nancier innovant, l’opération a été réalisée sans aucun investissement de la part des établissements, y compris pour l’achat du terrain et l’AMO pour le suivi de réalisation.

Chauff erie biomasse de la Chantrerie

Par ailleurs, il n’y a eu aucun dépassement budgétaire à l’opération et nous avons bien contractualisé pour un prix de l’énergie thermique inférieur de plus de 5 % de ce que nous payions avant avec nos chauff eries gaz naturel indépendantes.

Enfi n, à noter encore une fois l’aide fi nancière importante de l’État (via l’ADEME) sur ce projet, environ 45 % de l’investissement total, le soutien politique de Nantes Métropole et l’appui opérationnel de Nantes Métropole Aménagement à certaines phases critiques du projet.

Et à chaque fois, des personnes facilitatrices et bienveillantes travaillant dans des structures souvent à forte inertie et pyramidales : de l’agilité dans la complexité.

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 17

LE PROJET DE CHAUFFERIE BOIS : UN PROJET FÉDÉRATEUR … MAIS BIEN PLUS QUE PRÉVU

Le projet était donc terminé, le contrat rempli, pourquoi alors aller plus loin ? [CE]

Là encore, la poursuite de l’aventure collective est liée à une conjonction de plusieurs facteurs :

– Une certaine fierté d’abord d’avoir réussi ensemble ce projet, dans le temps et le budget impartis, avec des objectifs énergétiques et économiques atteints. Nantes Métropole partageait également ce constat, ravie de voir un collectif se « prendre en charge » et actant sur ce projet son rôle de facilitateur et non de prescripteur. Du coup, la collectivité reproduisait ce modèle d’AFUL quelques mois plus tard sur une de ses communes, à Rezé  ;

– La crédibilité et la légitimité, et quelque part la confiance, générées tant en interne sur le site Chantrerie qu’en externe dans les différents réseaux institutionnels et privés, pour avoir réussi ce projet  ;

– L’envie d’aller plus loin, d’expérimenter l’avenir d’un territoire comme la Chantrerie, face aux enjeux sociétaux, qu’il s’agisse d’énergie, de mobilité, de déchets, de biodiversité, d’agriculture, d’alimentation… et plus généralement de la capacité à faire ensemble.

Ceci dit, jamais je n’aurais pensé que ce projet initial de chaufferie biomasse puisse déclencher par la suite une telle appétence de projets collectifs. Si l’entrée était économique en 2010, avec des conséquences positives sur les ressources fossiles, les émissions de CO2, l’emploi…, il me semble que l’ambition partagée s’est progressivement élargie, même si la dimension économique reste toujours présente.

Diriez-vous qu’une certaine culture de territoire Chantrerie a com-mencé à se forger ? [CE]

En 2008, au démarrage du projet, les responsables d’établissements ne se rencontraient pratiquement pas, sauf à l’occasion d’une réunion à Nantes Métropole, à la région des Pays de la Loire ou encore à Paris. Mais sur la Chantrerie, on ne se parlait pas, on ne parlait pas non plus de la Chantrerie.

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet18

Au-delà de ce constat, il faut imaginer un site quasiment pas desservi par les transports en commun, préoccupation secondaire des aménageurs et de la collectivité d’alors, et qui avait conduit en 2007 à un premier groupe de travail inter-établissements pour réaliser un PDIE9.

Depuis la réalisation du projet de chaufferie et des autres projets engagés, j’ai l’impression que ce « faire ensemble » qui a émergé sur la Chantrerie, commence effectivement à créer une forme de culture territoriale.

Depuis 2011, vous avez proposé, initié, mené de nombreux projets, réalisés ou en cours, dans différents domaines, avez-vous une stra-tégie de développement ? [CE]

Comme indiqué précédemment, les grands enjeux du 21e siècle vont porter principalement sur les questions de ressources naturelles et de changements climatiques, avec ses conséquences sur la biodiversité et les sociétés humaines. Il va nous falloir inventer, et donc expérimenter de nouveaux modèles de production et de consommation, dans les domaines agricole, énergétique, de mobilité…, sur l’ensemble de nos modes de vie.

Les délais dont nous disposons et les niveaux de transformation à atteindre sont tels (voir les rapports du GIEC10, les ambitions de la loi sur la tran-sition énergétique pour la croissance verte , le texte de la COP 21…) que

[9] Plan de déplacement Inter-Etablissements[10] Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat

CHAU

FFER

IE B

IOM

ASSE

PHOT

OVOL

TAÏQ

UE C

HAUF

FERI

E

P2G

MIN

ERVE

PHOT

OVOL

TAÏQ

UE P

ARTI

CIPA

TIF

SITE

COV

OITU

RAGE

PDIE

FRAN

CHIS

SEM

ENT

ERDR

E

JARD

IN V

IVRI

ER D

E BO

ISBO

NNE

DÉCH

ETS

ORGA

NIQU

ES

AFUL

ASL

&19

01

SERV

ICES

PAR

TAGÉ

S

PIQU

E-NI

QUE

Agriculture, espaces verts & biodiversité

Qualité de vieGouvernance & faire ensemble

Alimentation & déchets

Mobilité & franchissements

Production & consommation d'énergie

DÉBUT DU PROJET

PROJET RÉALISÉ

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 19

« faire sa part » au niveau local est aujourd’hui une voie que de nombreux collectifs explorent, par exemple à travers les villes en transition. L’État et les collectivités ne pourront pas en effet faire seuls dans un contexte général où « faire sans moi, c’est faire contre moi ».

La question démocratique est en effet un des enjeux majeurs dans un monde entré en défiance vis-à-vis de leurs gouvernants, du système de démocratie représentative. La question de l’apprentissage du « faire en-semble » est donc majeure, en particulier sur le territoire sur lequel on vit, sur lequel on travaille. C’est quelque part la stratégie qui guide ce projet.

Sur ce « petit bout de territoire », l’idée est donc d’expérimenter des manières de faire différentes, en rapport avec ces enjeux, avec bienveil-lance et humilité, en prenant son temps sans le perdre, en articulant des grandes ambitions et des petites victoires.

Aujourd’hui, les projets de l’AFUL Chantrerie s’articulent autour de 6 axes principaux : énergie, mobilité, agriculture, qualité de vie, alimentation & déchets, gouvernance.

À propos de gouvernance, quel est votre modèle ? Quels sont les organes de pilotage, d’organisation, de décisions ? [CE]

Je vois plusieurs registres sur la question de la gouvernance.

Je commencerai par les statuts de l’association qui doivent refléter au mieux les valeurs portées par ce projet de territoire, avec trois principes majeurs :

- Le collectif préside l’association : il y a un directeur mais pas de président. Le directeur relève donc directement du collectif formé par les membres de l’association, avec le principe d’un membre une voix  ;

- Le directeur n’est pas membre de l’association : il n’a donc pas le droit de vote. Sa fonction l’amène alors à porter et à représenter le collec-tif. Ce schéma s’est mis en place progressivement et est aujourd’hui largement partagé  ;

- Ceux qui votent travaillent à la Chantrerie : parmi les membres de l’AFUL Chantrerie, on trouve 3 établissements dont les bâtiments relèvent d’une collectivité ou d’une chambre consulaire. Les représentants au sein de la gouvernance sont donc normalement des élus ou autres personnes qui « ne vivent pas » à la Chantrerie. Pour l’un de ces établissements, nous avons convenu que le directeur de l’établissement sur le site de la Chantrerie serait dans la gouvernance. Pour les deux autres, les démarches

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet20

sont en cours. En attendant, les directeurs de ces établissements sont invités afin qu’ils puissent exprimer leurs positions … que nous prenons en considération au même titre que les autres.

Par ailleurs, nous avons adopté en 2013 une Charte des acteurs du terri-toire Chantrerie. Cette Charte est inscrite dans les statuts et fait référence au sens à donner aux transitions à engager, au « faire ensemble » sur un territoire dont le cadre de vie est exceptionnel, et invite tous les nouveaux arrivants sur le site à rejoindre cette dynamique collective.

CHARTE DES ACTEURS DU TERRITOIRE CHANTRERIE

« Les crises actuelles (changements climatiques, raréfaction des ressources naturelles -fossiles et minérales-, chute de la biodiversité, agriculture et alimentation, travail et emploi, gouvernance…) vont profondément modifier la société et nos modes de vies dans les prochaines années.

Conscientes de ces enjeux, les entreprises ou les orga-nisations de la Chantrerie, qu’elles soient publiques ou privées, de services ou industrielles, d’enseignement ou de recherche, s’engagent individuellement ou collectivement, à contribuer au développement et à la mise en œuvre de projets de transitions sociétales, en particulier dans le domaine des transitions énergétique & numérique.

Cette ambition s’appuie d’une part sur les thématiques et les activités qu’elles développent en propre, et d’autre part sur leur engagement à travailler et à « faire ensemble » pour un « bien vivre ensemble » sur un site doté de richesses naturelles remarquables.

Toute nouvelle entreprise ou organisation souhaitant s’installer sur le site de la Chantrerie s’engage également à s’inscrire dans ce projet de territoire. »

Vous êtes à l’origine du projet, des projets. Vous semblez être un peu partout. N’êtes-vous pas le pilier mais aussi le talon d’Achille de l’AFUL Chantrerie ? [CE]

Vous avez raison de poser cette question en ces termes. Si j’ai piloté le projet de chaufferie en direct et initié les suivants, cette aventure ne me semble viable dans le temps que si chacun accepte de « faire sa part ».

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 21

L’enjeu est donc de travailler sur l’organisation des projets de l’AFUL Chantrerie et d’amener le porteur de projet que je suis à s’effacer pro-gressivement, à préparer le passage de relai, de relais.

Le modèle qui émerge en matière d’organisation est, pour chacun des projets, le pilotage par un salarié d’un établissement membre de l’AFUL Chantrerie, avec un groupe de travail constitué de salariés d’autres établis-sements et des services de la collectivité. Ce modèle ne peut cependant tenir que si l’engagement des pilotes est reconnu officiellement par chaque établissement. La participation officieuse d’un salarié n’est absolument pas viable, ni pour lui ni pour le projet, si sa direction ne reconnait pas cet engagement. Celui-ci peut et doit être négocié, renégocié dans le temps, mais la validation doit avoir lieu pour que la personne s’implique de manière sereine et prenne du plaisir à « faire ensemble ».

Vous l’avez compris, il s’agit pour moi d’un point critique au sens fragile du terme, non pas qu’il y ait eu de gros problèmes jusqu’à présent, mais que nous devons travailler et mieux formaliser au sein de l’AFUL Chantrerie. En ces temps de réduction des moyens humains et financiers, la mise à disposition de temps et de compétences au service du collectif n’est pas toujours simple. C’est vrai pour les gros établissements, ça l’est d’autant plus pour les petites entreprises.

J’en profite pour souligner le rôle très important de l’École des mines de Nantes pour avoir accepté de mettre de mon temps au service du collectif, environ 20 % ETP. Sans ce rôle de facilitateur, cette histoire ne se serait sans doute jamais écrite.

Le collectif a l’air de prendre, à votre avis pourquoi ? [CE]

Vous touchez à un autre registre de la gouvernance, les modalités de coopération entre nous. Nous sommes là au cœur de la recette de la fabrique du carburant de l’action : la confiance.

Ce modèle ne peut cependant tenir que si l’engagement des pilotes est reconnu officiellement par chaque établissement

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet22

Cette recette est co-construite de manière consciente ou inconsciente à partir de plusieurs ingrédients : convivialité, écoute, bienveillance, entraide, reconnaissance, sourire, plaisir… Le dosage est apporté par chacun.

Autre dimension qui est à la fois un levier et un frein : l’absence de jeu et d’enjeu hiérarchique, de rapport de pouvoir. Travailler ainsi en collectif me semble être un levier qui facilite la création de confiance mais aussi un frein car il ne s’agit pas de l’activité principale du salarié. Cependant, l’engagement au sein du groupe de travail constitué de personnes d’autres établissements peut être plus fort que s’il s’agissait d’une demande hié-rarchique : on touche ici à la question du sens.

Je reviens sur votre rôle comme porteur de projet. À quoi fonction-nez-vous personnellement ? Faut-il des compétences particulières, lesquelles ? [CE]

Même si je ne pensais pas aller aussi loin, aussi vite, cette envie de « faire ensemble », puise probablement son origine dans une vision et des convictions qui s’exprimaient au sein du CHEDD11 en Pays de la Loire que j’animais depuis sa création en 2008, avant qu’il ne devienne en 2013 le Collège des transitions sociétales12 . Je porte donc une certaine vision, des convictions, mais pas de certitudes. Avec l’appui bienveillant de l’établissement dans lequel je travaille, un établissement public, je considère avoir des conditions privilégiées pour cet engagement. La responsabilité n’en est que plus grande.

Sur un volet plus personnel, il n’est pas inutile de savoir qu’à l’adolescence, les ouvrages de Susan George et de René Dumont faisaient partie de mes livres de chevet.

Au-delà du bagage scientifique et technique, je soulignerai deux types de compétences qui me semblent encore plus importantes à mobiliser, du moins en ce qui me concerne : la gestion de projets complexes où s’élaborent les stratégies à quelques coups d’avance ainsi que l’articu-lation des réseaux professionnels et personnels pour aller chercher des partenaires ou des facilitateurs.

Ceci-dit, rien ne pourrait se faire sans les autres, sans certaines personnes qui me conseillent, aident, proposent, réagissent.

Enfin, sur la question du temps, je dirai que même si nos sociétés sont désormais entrées dans des zones turbulentes inconnues, il va falloir prendre son temps pour apprendre à faire ensemble, à faire avec le

[11] Collège des Hautes Etudes en Développement Durable en Pays de la Loire[12] Think & do tank partenarial : www.college-transitions-societales.fr

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 23

temps. Nous sommes rentrés dans une forme d’irréversibilité, la seule question qui se pose à nous est jusqu’à quel point ? C’est là que nous avons collectivement un rôle à jouer.

UNE ENVIE DE POUSSER PLUS LOIN CE FAIRE ENSEMBLE

Vous venez d’ouvrir l’AFUL Chantrerie à d’autres membres, principa-lement à des entreprises privées. Pourquoi être passé ainsi de 7 à 15 membres ? L’ambition de l’AFUL Chantrerie est-elle de grossir ? [CE]

Cette question de l’ouverture à d’autres entreprises du site était d’ac-tualité dès 2014. Nous n’avons pas pu le faire plus tôt du fait du refus de la préfecture d’accepter une évolution de nos statuts d’AFUL ASL en association loi 1901. Pour accueillir de nouvelles personnes morales, non raccordées au réseau de chaleur, nous avons donc été amenés à créer une seconde association (loi 1901), l’Association Fédératrice des Utilités Locales de la Chantrerie. Il ne vous aura pas échappé que l’acronyme est le même que l’existant, et ce pour des questions de visibilité.

Même si les deux associations sont juridiquement diff érentes et avec des comptes séparés, elles tiennent leurs instances de gouvernance le même jour, avec des personnes identiques dans chacun des bureaux.

Finalement, c’est comme si nous avions deux associations en une seule.

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet24

Plusieurs entreprises, déjà associées à des projets collectifs (PDIE, dé-chets organiques), ont souhaité rejoindre l’AFUL Chantrerie. Une d’entre elles, déjà en format « d’entreprise libérée », a même souhaité adhérer avant même de rejoindre physiquement le site, ce qui sera fait dans deux ans après la construction de ses locaux. D’autres enfin rejoignent l’AFUL Chantrerie pour des projets qui peuvent intéresser leurs salariés, dans un contexte de RSE ou RSO13.

Particularité à souligner, les conditions d’une adhésion à l’AFUL Chantrerie sont clairement explicitées avant avec le candidat. Il s’agit principalement d’affirmer ses valeurs à la Charte de territoire, d’accepter de faire sa part à la hauteur de ses moyens, et de partager l’enjeu du « faire ensemble ».

L’AFUL Chantrerie représente désormais environ 2 500 salariés et 4 000 étudiants.

L’ambition de l’AFUL Chantrerie est-elle de grossir ? Sur le nombre de membres, il reste potentiellement quelques entreprises sur le site, mais nous ne sortirons pas du périmètre géographique, ça n’a pas de sens au regard de nos objectifs.

Par ailleurs, se pose la question de la représentation des étudiants aux instances de gouvernance, ainsi que celle de la collaboration avec les habitants de la Chantrerie, au travers par exemple de l’association Gachet Environnement avec qui nous travaillons déjà.

Grossir non, grandir oui !

Vous parlez finalement peu de la Collectivité, de Nantes Métropole, et de l’aménageur. Comment travaillez-vous ensemble ? [CE]

Sur le projet de la Chaufferie, je souhaiterais souligner une nouvelle fois le rôle important de certaines personnes au sein de Nantes Métropole, de Nantes Métropole Aménagement, mais également de l’ADEME et de l’État (DREAL14 ). Leur appui politique (au sens territoire du terme) et technique (au sens administratif) a été majeur, alors qu’il s’agit d’organisations « com-plexes », avec par exemple la question de la temporalité de la décision.

Facilitation et bienveillance de ces duos personnes/collectivités qui se sentent concernées et qui s’impliquent, ont été des facteurs clés de réussite.

L’AFUL Chantrerie dispose non seulement d’expertises d’usage mais aussi de savoir faire opérationnels, en témoigne la réalisation de la chauffe-rie. Pratiquant le site tous les jours, les membres de l’AFUL Chantrerie

[13] Responsabilité Sociétale des Entreprises (ou des Organisations)[14] Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 25

estiment ainsi avoir un « droit de regards et d’actions » sur la politique publique du site.

L’AFUL Chantrerie n’a cependant pas pour ambition de faire à la place de la collectivité. Elle n’en a ni la mission, ni la légitimité, ni les compétences, ni l’envie. Nous sommes bien dans l’enjeu de faire ensemble.

Concernant les projets portés par l’AFUL Chantrerie, les relations avec la collectivité ou l’État sont parfois complexes, parfois très simples. Encore une fois, la situation dépend autant des personnes de la collectivité (ou assimilée) que des services dans lesquels elles travaillent.

Prenons par exemple la commercialisation des terrains de Nantes Métropole sur le site de la Chantrerie pour accueillir de nouvelles entreprises. Nous avons vraiment eu l’impression que la préoccupation de vendre du m2 primait sur une prise en compte d’exigences de bâti en matière énergétique et écologique pourtant portées avec force et compétences par d’autres services de Nantes Métropole.

Nous avons bien conscience que la transversalité n’est pas chose facile dans les organisations en général, y compris les nôtres, et au sein des collectivités en particulier. Nous devons donc contribuer à cette montée en compétences collectives, parfois avec du rapport de force, mais toujours avec bienveillance et humilité. C’est ce que nous nous attachons à faire.

Quel est le modèle économique de vos projets ? Êtes-vous sous perfusion de subventions ? [CE]

Je perçois derrière votre question une interprétation négative de la subvention. Ce n’est cependant pas très étonnant compte tenu du mo-dèle économique et politique dominant. Il me semble, mais peut-être à tort, que les projets menés sur le site résonnent complètement avec la

Pratiquant le site tous les jours, les membres de l’AFUL Chantrerie estiment ainsi avoir un « droit de regards et d’actions » sur la politique publique du site.

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet26

politique publique des collectivités (Nantes Métropole, Département et Région) et de l’État. Sans doute est-ce très prétentieux de le dire, mais non seulement ça coûterait beaucoup plus cher (que les subventions) si la collectivité devait faire elle-même, mais également le temps mis pour y arriver serait sans doute beaucoup plus long.

Sur cette base, je peux alors essayer de répondre à votre question.

En moyenne sur les projets, pour un euro mis par l’AFUL Chantrerie, nous sommes allés chercher 3 à 4 euros auprès de l’ADEME, de Nantes Métropole, du Département 44 ou encore de la Région Pays de la Loire. Si on raisonne en coût consolidé, en comptant le temps passé par les personnes de l’AFUL Chantrerie sur ces projets, nous sommes plus près de 1 pour 1.

Pourrions-nous faire sans les subventions ? Certainement pas aujourd’hui !

Comment construire alors un modèle économique sans subvention ? [CE]

C’est tout le paradoxe du moment. Tous les indicateurs sont dans le rouge, qu’il s’agisse de biodiversité, de ressources minérales et fossiles, de réchauffement et changement climatique, d’emploi… et nous restons rivés sur les anciens modèles qui tournent autour du triptyque consomma-tion, croissance et emploi, avec la finance qui continue à jouer au casino.

Dans ce contexte, nous ne payons pas le vrai prix du non renouvelable ou du non socialement responsable. Le phare du commerce mondial continue à éclairer le prix comme seul indicateur de performance : compétition, compétitivité, productivité.

La question est donc celle du vrai prix, mais à quel coût social pour les personnes déjà en difficultés et à quel coût économique pour les entreprises

Nous ne payons pas le vrai prix du non renouvelable ou du non socialement responsable

L'AFUL CHANTRERIE paroles du porteur de projet 27

en compétition mondiale ? C’est tout l’enjeu des transitions à engager, à expérimenter. C’est à ce prix que les subventions pourront s’effacer.

Autre volet également comme levier d’action, l’apprentissage du cercle vertueux économies/investissements/économies. Toute économie financière réalisée devrait en effet être réinvestie (au moins en grande partie) dans d’autres projets, de manière clairement identifiée, et non retomber dans le budget général. C’est ce que nous essayons de faire, dans la mesure du possible, avec nos modestes moyens.

Quel niveau de résilience pensez-vous avoir atteint aujourd’hui ? [CE]

Quand on regarde le chemin parcouru depuis la création de l’AFUL Chantrerie en 2010, il me semble que nous pouvons collectivement être assez fiers. Quand on regarde les futurs possibles pour ce « petit bout de territoire » sur lequel nous passons une grande partie de notre vie, il y a également de quoi s’enthousiasmer et agir.

L’aventure ne fait donc que commencer, et pour peu que tous ces « petits bouts de territoires » fassent leur part, on peut alors regarder l’avenir au-trement qu’à travers le prisme des discours dominants … ce qui n’empêche pas de « dire les choses ».

À ce stade, les porteurs de projets émergent progressivement, avec une culture partagée qui se construit. Si ma présence active auprès de ces personnes reste importante, il est indispensable de m’effacer dans le temps.

Pour répondre plus précisément à votre question, je dirais que nous sommes peut-être à mi-chemin des conditions de résilience pour aborder de manière sereine les prochaines années.

Ce qui est certain, c’est que l’avenir du territoire Chantrerie sera ce que les acteurs du site décideront d’en faire … en relation étroite avec la collectivité.

28

REGARDS CROISÉSd’acteurs de la Chantrerie

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie30

Si le récit du porteur de projet éclaire bien sur ses différentes dimensions, de l’origine au devenir, le croisement de regards avec des acteurs de la Chantrerie est également très riche d’en-seignements. Qu’il s’agisse de responsables d’établissements du site de la Chantrerie, de pilotes de groupes de travail au sein de ces établissements, de l’aménageur, de services ou d’élus de Nantes Métropole, une quinzaine d’entretiens ont été réalisés.Les prin-cipales questions ont porté comme précédemment sur les raisons et les conditions d’émergence du projet, sur la construction et les effets du collectif, sur la place de la collectivité, sur les envies et les perspectives à venir.

POURQUOI ET COMMENT LE PROJET A ÉMERGÉ, QUEL A ÉTÉ LE RÔLE DU PORTEUR DE PROJET ?La raison économique initiale est reprise par plusieurs témoignages de directeurs d’établissements. « Ce n’est pas complètement par altruisme que nous sommes entrés dans le projet [de chaufferie biomasse]. Cela nous intéressait beaucoup de bénéficier de l’effet volume que nous n’au-rions jamais eu tout seul. [...] Pour revenir à l’aspect économique, il y avait aussi un effet d’opportunité pour l’École, nous avions deux chaudières qui étaient en fin de vie. Nous avions donc toutes les raisons d’y aller. »

Si cette entrée économique est donc soulignée comme première clé de motivation, le rôle du porteur de projet dans la réussite du projet revient très souvent dans les propos.

Tous mettent en avant ses capacités personnelles qui tournent princi-palement autour de l’engagement « il a su motiver tout le monde », de persévérance « il fait preuve de pugnacité ardente », de mise en confiance « il crée un climat de confiance entre les acteurs, fondamental pour la dynamique collective ».

Il est vu à la fois comme un porteur de vision et un facilitateur opéra-tionnel « [...] avec la puissance que vous lui connaissez, il a instauré cette implication. [...] Il nous met dans cette dynamique et pousse les services techniques à progresser, à devenir un peu plus vertueux dans nos pratiques. » et à la fois comme « [...] un éveilleur de conscience. J’ai

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie 31

fort plaisir à l’écouter parce que cela forge une culture. [...] Il est l’outil de formation continue de l’acteur que je suis. »

La collectivité souligne également l’importance de la vision du chef de projet qui « [...] à travers le Collège des transitions sociétales qu’il dirige, met en œuvre et se confronte avec un projet concret sur son domaine d’actions. L’énergie qu’il faut mettre pour aller convaincre les uns les autres, il en a fait un vrai projet de territoire qui me semble intéressant. Et il utilise cette dynamique pour explorer d’autres champs comme celui de la traversée de l’Erdre, le financement participatif pour du photovoltaïque, l’agriculture urbaine, etc. C’est très intéressant parce qu’il s’adresse à tous les pans de la transition au sens large et il le fait de manière participative avec les autres établissements présents sur le territoire. »

FAIRE ENSEMBLE : QUEL RÔLE, QUELLE ORGANISATION ET QUELS EFFETS DU COLLECTIF ?Le projet de chaufferie biomasse a été à l’origine de la dynamique col-lective des acteurs du site. « On a mené le projet très rapidement, dans l’enveloppe budgétaire, sans dépassements, sans difficultés majeures, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque c’est piloté par des collectivités, et en final avec la prestation attendue : nous étions chauffés. Nous nous sommes regardés et nous nous sommes dits « nous avons fait quelque chose ensemble ». Cela a été quelque part un déclencheur de ce que dit souvent un des directeurs : un territoire du faire ensemble. »

Dans cet enjeu du faire ensemble, il faut parfois revenir au sens des choses, « je suis particulièrement sensible à l’idée que nous devons nous prendre en main, faire notre part. Sinon, nous n’arriverons pas [à mener les transitions] ou cela va mettre beaucoup de temps, à l’échelle d’une ou plusieurs générations. »

Même s’il n’est pas nommé comme tel, on perçoit la présence et l’im-portance d’un état d’esprit centré sur la confiance collective pour faire ensemble : [...] il y a une bonne dynamique d’individus. On voit que ça essaime : d’autres acteurs nous ont rejoints parce que la dynamique était séduisante. Tout seul on n’aurait rien fait ou on aurait peut-être bricolé des choses dans notre coin. Là, on fait partie d’une dynamique locale, collective, sur laquelle nous sommes acteurs au même titre que les autres. Cela implique des décisions en toute collégialité. [...] À un moment, il y a

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie32

une décision qui peut être prise sur le fait que des gens s’entendent bien ou pas, uniquement sur une relation humaine. Mais malheureusement, combien de choses échouent à cause de cela. »

Au-delà des modalités d’actions, les membres de l’AFUL Chantrerie ap-précient la souplesse de la structure et de l’organisation mise en place : « [...] Le travail fait avec le collectif a été remarquable. Ce que j’apprécie c’est le peu de paperasses. C’est efficace, c’est peu structuré et nous avançons ! Nous avons peu de contraintes même si le porteur de projet de l’AFUL en a effectivement plus. »

Tous les projets menés par l’AFUL Chantrerie ne concernent pas tous les établissements. Ceci dit, une solidarité s’établie progressivement, non seulement sur la question de « faire sa part » en fonction de ses moyens, mais aussi de l’intérêt thématique de chacun. C’est ainsi que « [...] on est

solidaire de tous les projets validés par l’AFUL. Après nous allons avoir plus ou moins d’intérêt et de moyens à pouvoir le faire vivre. Il y a par exemple un projet de power-to-gas. Je suis un peu loin de cette question, mais on va participer ou du moins aider en tant que membre de l’AFUL à aller voir des partenaires financiers, à faire de la sensibilisation. »

L’engagement collectif est une réalité qui se traduit sur différents plans comme en témoignent plusieurs acteurs : « C’est vrai, on y passe tout de même du temps ! Mais les personnes impliquées dans le groupe de travail répondent bien aux sollicitations, il n’y a pas besoin de relancer les participants. Ils s’impliquent vraiment, c’est agréable. C’est un projet porté par tous. [...] Sincèrement, aller à ces réunions est un plaisir, c’est agréable. Cet esprit-là, c’est extraordinaire. »

Cet espace collectif est également un lieu d’apprentissage du faire ensemble, du bien commun : « Ce qui est intéressant c’est qu’on a des exercices de démocratie qui s’imposent à nous, comme par exemple celui qui consiste à définir à la majorité le démarrage ou l’arrêt du chauffage.

Cet espace collectif est également un lieu d’apprentissage du faire ensemble, du bien commun

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie 33

[...] C’est facile, nous n’avons pas de désaccords. [...] La discussion est ouverte et quand je n’étais pas d’accord sur certains points, je l’ai dit. Nous ne sommes pas nombreux et nous arrivons à nous exprimer. Si demain nous sommes plus autour de la table, car nous allons associer plus de monde, ce sera sans doute plus compliqué. »

La notion de dynamique collective est non seulement bien comprise, mais elle semble être un levier assez fort pour les acteurs. « Pour moi, c’est la dynamique collective qui est intéressante. C’était la première fois que je voyais, à l’échelle du campus, une dynamique s’installer avec une ambition partagée, et qui avait une dimension au-delà d’une soirée ou un restaurant universitaire. Là, il y avait une vraie dynamique collective. [...] Je suis en attente de plus de collectif sur ce territoire qui est à la fois un espace de travail mais également un lieu de vie. »

La diversité des acteurs est également vue comme une richesse au sein du collectif. « Si on revient à la notion de dynamique, à l’échelle du site c’est un écosystème d’acteurs généralistes et spécialisés, grands et petits, publics et privés, départementaux et régionaux. Je trouve séduisant et important que dans le cadre de nos projets on préserve cette diversité. »

QUELLE PLACE ET QUEL RÔLE DE LA COLLECTIVITÉ ?L’histoire de la création de l’AFUL Chantrerie et les conséquences positives de l’absence de délégation de service public pour le projet de chaufferie biomasse sont également présentes dans le témoignage de la collectivité.

Le rôle d’un aménageur est « [...] d’aider, d’accompagner car cela fait partie de la vie du site. Mais notre rôle n’est pas d’initier les projets. Il faut donc donner la paternité des projets à l’ensemble des directeurs d’écoles présents dans l’AFUL Chantrerie et qui ont souvent fait preuve d’une belle créativité et ténacité. Arriver à un projet de 4 millions d’euros en ne partant de rien et en disant à des structures vous allez changer tout votre système de chauffage, ce n’était pas simple quand on redéroule l’histoire ! C’est donc une belle réussite. »

La collectivité a joué et poursuit son rôle de facilitatrice. Elle a par exemple aidé « [...]à faciliter l’aboutissement du projet sur le plan juridique, en prenant à sa charge une étude de faisabilité. [...] J’étais là pour le [le porteur du projet] mettre en relation avec les bons acteurs à Nantes Métropole, mais après je me retirais. »

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie34

Cette vision du « faire ensemble », la collectivité semble la rejoindre. « Nous partageons [avec le porteur du projet] la vision du rôle ou du pouvoir supposé de la collectivité : elle ne peut pas et elle ne fera pas à la place de. Son rôle est donc de faire monter en capacité des acteurs qui eux peuvent agir. Je ne dis pas que nous ne pouvons rien faire, mais je pense que notre rôle principal c’est de faciliter et de faire monter l’ac-tion sur le territoire. Avec [le porteur du projet de l’AFUL] c’est plutôt un partenariat qui va dans ce sens. Je pense qu’il ne supporterait pas que nous lui imposions des choses parce qu’il a envie d’innover, d’inventer des synergies. Et même si nous voulions le faire, nous le ferions moins bien car il est sur son territoire, il est à proximité. »

Par ailleurs, cette question de faciliter et non de piloter est de plus en plus imposée par des considérations pragmatiques : « [...] C’est tout ce

qui se joue dans le grand débat sur la transition énergétique. Nous avons pris un engagement de réduction sur le territoire de 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. On sait que la collectivité elle-même en produit 6 %. Sur les 94 % autres, nous avons des leviers à travers nos politiques publiques, que ce soit sur les déchets, la mobilité, l’énergie… mais sans l’action et la conscience collective des entreprises, des grandes écoles, des universités, des habitants et des associations, nous n’arriverons pas à atteindre les objectifs. On peut fixer un cap, mais il faut faire avec les gens, aller chercher tout le monde, convaincre… ».

Cette vision conduit Nantes Métropole et l’AFUL Chantrerie à aller sur d’autres terrains d’expérimentation, comme celui de la gouvernance par-tagée du site, même si chacun y met sans doute des mots différents. Par

Aller sur d’autres terrains d’expérimentation, comme celui de la gouvernance partagée du site, même si chacun y met sans doute des mots différents

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie 35

exemple, concernant les entreprises souhaitant s’installer sur le site, « [...] la gouvernance classique consiste pour Nantes Métropole à commercialiser ses terrains via ses aménageurs. Une première dans l’agglomération, on faisait systématiquement rencontrer à l’AFUL Chantrerie toute entreprise qui souhaitait s’implanter sur le site. Nous travaillions ensemble depuis plusieurs années, et ce partenariat semblait pertinent. On ne demande pas à l’AFUL de valider le projet, c’est le politique qui valide, par contre on leur présente et on leur demande leur avis ».

Ceci dit, le portage politique semble insuffisant « [...] il manque aujourd’hui un élu qui prenne en charge, sur la Chantrerie, ce quelque chose de né-cessaire pour que le projet fonctionne bien, relativement vite et dans le temps [...] pour pousser le développement du site, valider son évolution et le porter auprès des autres élus. [...] Pour qu’un projet évolue, il est important qu’il y ait une vraie volonté politique portée par une personne, un élu. Aujourd’hui, il manque encore cette volonté politique. [...] La Chantrerie, nous ne l’avons pas encore mise assez en avant. [...] C’est un très bel exemple d’une initiative collective. [...] Il ne faut pas non plus que ça soit inhibant car je pense qu’il y a des collectifs qui n’ont pas les mêmes capacités d’innovation ou d’action que l’AFUL Chantrerie. Rob Hopkins explique très bien que, dans les villes en transition, c’est par des toutes petites actions que l’on va vers la transition. Il y a donc différentes étapes, et il faut que ça reste accessible à chacun. Le modèle de la Chantrerie ne semble pas forcément accessible à tout le monde. Créer un réseau de chaleur biomasse nécessite en effet un niveau de compétences notamment techniques … ce n’est pas un collectif d’habi-tants en tant que tel qui a initié ce mouvement. »

QUELLES ENVIES POUR QUEL MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT ?L’envie d’aller plus loin est largement partagée par les acteurs. Avoir réussi le premier projet [de chaufferie biomasse] « nous a permis, de nous convaincre que tout était possible et c’est à ce moment que, sur l’initiative du porteur de projet, on s’est permis de rêver à d’autres projets. [...] Si on s’était limités à la chaudière, on ne parlerait pas de transition énergétique. [...] Ce qui m’intéresse c’est d’essayer des choses, on a le sens du concret et de la pratique. Et si on arrive à faire à l’échelle d’un campus ou d’un quartier comme celui-ci, avec une telle diversité

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie36

d’acteurs, des projets qualitatifs qui contribuent à la fois au progrès scientifique, technique et sociétal, on sera dans notre mission première d’école d’ingénieurs. Si on arrive à amener nos étudiants à se forger des convictions sur les problématiques auxquelles ils vont être confrontés, on aura fait notre travail. »

Une limite est cependant avancée sur la question de l’innovation. « Je n’ai vu personne des partenaires de l’AFUL Chantrerie, moi y compris, accoucher d’une idée originale. C’est toujours [le porteur du projet de l’AFUL] qui les amène ! C’est parce qu’on a cette locomotive là ! C’est parce qu’on a cette personne qui bouillonne d’idées et qui vous en sort 3 par jour. »

Cependant, si le statut de l’AFUL Chantrerie avait permis de porter un projet de chaufferie biomasse, il atteignait ses limites d’une part dans le portage d’autres projets de transition dans les domaines comme l’agriculture, la mobilité, les déchets… et d’autre part dans la volonté de s’ouvrir à d’autres établissements du site, notamment des entreprises privées. Une nouvelle fois le collectif s’est mis à innover et à aller au-delà des difficultés rencontrées. « Ces limites pouvaient porter préjudice à la créativité de l’association. Nous avons retravaillé ensemble en prenant en charge un juriste pour faire évoluer les statuts. Mais la préfecture a refusé cette évolution en arguant le fait qu’aucun texte ne permettait cette évolution [mais aucun texte ne l’interdisait non plus]. On a retra-vaillé et pensé la création d’une nouvelle association qui garde le nom de l’AFUL Chantrerie. »

Pour partager la vision et les principes d’actions avec les nouveaux ar-rivants dans la nouvelle AFUL Chantrerie, une charte de territoire a été adoptée et inscrite dans les statuts. Même si chacun a bien conscience des limites d’une telle Charte, celle-ci est vue comme un cadre d’actions, un cadre de référence. « L’idée, c’était d’avoir une sorte de cahier des

Si on s'était limité à la chaufferie bois, on ne parlerait pas de transition énergétique

REGARDS CROISÉS d'acteurs de la Chantrerie 37

charges territorial local permettant à différents acteurs qui souhaitaient s’installer, de s’intégrer dans un dispositif. [...] Faire venir autant de per-sonnes sur le site nécessite d’anticiper les questions de la consommation, du transport en commun. [...] Puisque nous avons des entreprises qui s’installent, il faut les amener à cette culture, à cette envie de rejoindre cette dynamique collective. »

Si l’envie de poursuivre les projets de transition est bien présente, un point de vigilance ressort régulièrement, celui du temps disponible, voire celui de la reconnaissance. « La suite de ce projet va dépendre du temps à y consacrer car j’en ai peu, comme tout le monde. [...] C’était une expérience très motivante, cela s’est bien passé. Ce qui me chagrine c’est que je n’ai pas de temps pour m’en occuper plus, j’aimerais faire plus d’animations. C’est juste le temps qui manque. [...] Je suis censé co-piloter un projet, mais je n’ai pas beaucoup de temps pour le faire. [...] Mon responsable est au courant, il m’a simplement dit qu’il ne fal-lait pas que cela me prenne trop de temps car j’ai beaucoup de travail par ailleurs ! C’est moi qui gère mon temps, je suis autonome sur mon organisation en interne mais sur le principe il trouve cela bien. [...] Il y a au moins une partie de son temps de travail qui est reconnue par la direction comme étant consacrée au développement durable. C’est une forme de reconnaissance et ça faisait partie des critères pour que le passage de relais se fasse. [...] L’école est une petite structure et, pour l’instant, il n’est pas envisageable de détacher une personne au regard des priorités qui sont les nôtres, des missions et des enjeux auxquels nous devons faire face. »

38

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIEanalyse et mise en perspective

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective40

« Le territoire est une appropriation à la fois économique, idéo-logique et politique (et donc sociale) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire.15 »

QUESTIONNEMENT DE DÉPART

Un basculement étonnantCréée en 1988, au sein de la technopole nantaise, la zone d’activités (zone d’aménagement concerté) de la Chantrerie n’avait pas vu, jusqu’à peu, se développer la synergie attendue entre écoles et entreprises. 20 ans plus tard, malgré un environnement exceptionnel, le site demeurait enclavé. Freiné par un plan d’aménagement trop contraint, le développement de la zone d’activités n’avait en fait trouvé son « utilité », ni pour les décideurs métropolitains, ni pour les grandes écoles dont la renommée était suffisante pour attirer les étudiants. « Pour les professionnels de la construction, les techniciens et élus à l’urbanisme, le développement de ce site était utopique… compte tenu du fait qu’il était excentré, sans transport en commun, et handicapé par des contraintes environnementales avec la proximité de l’Erdre ».

Pourtant, en quelques années, un « basculement » s’est opéré avec une « vitesse et une rapidité étonnantes ». Le développement économique du site « explose aujourd’hui avec 25 000 m2 de projets réalisés cette année » et près du triple programmé d’ici cinq ans.

Une « collaboration positive » semble s’être mis en place, entre la dy-namique associative de l’AFUL Chantrerie et la politique métropoli-taine, avec notamment l’arrivée des transports en commun, et dans un contexte aussi d’évolution de l’attractivité des différents sites tertiaires sur l’agglomération…

La Chantrerie s’affirme aujourd’hui sur la région nantaise comme une zone d’activités orientée vers la transition énergétique et numérique. Par ailleurs, le modèle de l’AFUL fait école. À l’origine de ce retournement de situation, pour une bonne part, une « aventure collective » qui mobilise depuis quelques années les principaux établissements de la zone, en commençant par les directions/directeurs.

[15] Guy Di Méo - Les territoires du quotidien, 1996, p.40

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective 41

Après avoir réussi ensemble la mise en place du réseau de chaleur alimenté par la chaufferie bois, rédigé une charte des acteurs du territoire du faire ensemble, les participants s’interrogent aujourd’hui sur la pérennisation de cette initiative qui s’élargit avec la création d’une nouvelle association « facilitatrice des utilités locales ». Il s’agit d’intégrer les nouveaux arrivants autour d’un véritable projet de territoire aux multiples facettes : énergie, mobilité, agriculture, qualité de vie, alimentation & déchets, gouvernance.

Un travail d’enquête qui ouvre sur un double questionnementLe programme partenarial Transition Energétique & Sociétale (TES) vise à favoriser le développement de projets collectifs territorialisés de transition énergétique. En effet, très présents dans d’autres pays comme l’Allemagne ou le Danemark, émergeants en France, les projets locaux portés par des collectifs d’entreprises, d’habitants, d’agriculteurs, en articulation avec les politiques publiques, peuvent contribuer à engager les transitions sur nos territoires.

Dans cette perspective, le travail d’enquête réalisé auprès des acteurs du projet de l’AFUL Chantrerie ouvre sur deux types de questionnement :

– Le premier concerne la portée de l’initiative sur le territoire, sa capacité transformatrice. De quoi s’agit-il ? L’un des participants s’in-terroge : « …cela fonctionne comme une association de copains qui se rencontrent pour faire du sport ou mener une action en commun. Cela existe déjà dans les associations, je ne vois pas en quoi c’est innovant… sauf quand on touche à des projets d’intérêts économiques forts comme le réseau de chaleur. Ce n’est pas rien ! ».

Serait-ce ici à la taille des projets menés, certes d’une « façon col-légiale », qu’il faudrait reconnaître le signe de l’innovation ? Que propose l’initiative sur la Chantrerie et comment celle-ci parvient-elle à modifier le paysage local, à imprimer sa marque et à faire école ? ;

Un basculement s’est opéré avec une vitesse et une rapidité étonnantes

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective42

– Le deuxième niveau de questionnement porte sur les conditions d’émergence et de développement de l’initiative locale.

Comment est-il possible à quelques acteurs, d’enclencher, sur un territoire, une dynamique, de fédérer autour d’un projet ? Au-delà de l’originalité de chaque histoire, peut-on identifier, des conditions favorables, des ressorts communs ? Peut-on identifier des composantes récurrentes de ces processus coopératifs ? Des étapes marquent-elle l’élargissement progressive de l’appropriation collective d’un tel projet ?

UN PROCESSUS DE TERRITORIALISATION

L’appropriation collective du site de la ChantrerieInvités à témoigner dans le cadre de cette étude, les dirigeants des établissements impliqués dans « l’aventure collective de la Chantrerie » s’interrogent particulièrement sur la capacité de la dynamique à perdurer, au-delà du départ de l’initiateur de la démarche.

Alors « qu’une relation de confiance » existe et que le premier projet, le raccordement des établissements à un réseau de chaleur alimenté par une chaufferie bois, « a bien fonctionné », chacun s’accorde à considérer que « le porteur de projet s’est beaucoup investi. C’est lui qui fait le lien entre tout le monde et le jour où il n’est plus là, ça peut devenir dangereux. »

Il semble qu’il se soit produit, au sein du collectif, quelque chose de suffi-samment significatif - un premier projet réussi, une relation de confiance instaurée - pour que l’on y tienne.

Pour autant, les formes nouvelles de relations entre les uns et les autres sont perçues comme susceptibles d’être remises en question. « Aujourd’hui, il y a pas mal de choses que l’on fait qui parfois sont plus de l’ordre du bénévolat que de la représentation institutionnelle de nos établissements. »

Au fond, un vécu d’incertitudes s’exprime quant à l’articulation de la logique associative de l’AFUL, « plus légère à faire fonctionner », et celle de « nos structures » dont on attend « qu’elles ne laisseront pas tomber quand le porteur de projet, voire d’autres acteurs historiques, seront partis. »

De quoi est-il donc question ici ?

Pour le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) de Université du Québec à Montréal, « l’innovation sociale est une inter-vention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration,

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective 43

subvenir à un besoin, profiter d’une opportunité d’action, afin de modifier les relations sociales, transformer un cadre d’action ou proposer de nouvelles orientations culturelles ». À l’écoute des différents récits des participants, membres de l’AFUL Chantrerie ou acteurs de la collectivité publique, notre hypothèse est que la transformation principale se rapporte à l’émergence progressive d’un troisième acteur entre « association(s) » et « structures », à savoir le territoire lui-même.

Le processus d’innovation semble être, pour reprendre la définition du géographe Guy Di Méo, celui d’une « appropriation progressive à la fois économique, idéologique et politique (donc sociale) du site de la Chantrerie » par les participants à l’initiative, « qui se donnent par-là une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire ».

Comme nous l’avons évoqué, le site de la Chantrerie n’était pas valorisé à l’origine en tant que tel par les acteurs. L’initiative collective introduit alors, à travers une diversité de projets, une mise en « commun16 » de nouvelles « utilités » et donc de valeurs nouvelles.

Ainsi, les participants décrivent qu’ils sont amenés à « se saisir des projets validés par l’AFUL Chantrerie » alors même que les uns et les autres ont plus ou moins « d’intérêts et de moyens de pouvoir le faire vivre ». À titre d’exemple, concernant le projet power-to-gas, un participant qui s’en dit « un peu loin », se déclare cependant prêt, en tant que « membre de l’AFUL Chantrerie » à « aider dans la recherche de financement » sans pour autant « l’intégrer dans les missions de son établissement ».

La valeur nouvelle accordée au territoire s’exprime donc dans une sorte de règle du jeu de type : « le départ, ce n’est pas : j’appuie un projet parce qu’il est en lien avec le projet de ma structure. C’est plutôt : j’appuie un projet parce que l’AFUL Chantrerie l’a décidé et donc qu’il y a un intérêt pour le collectif ».

Entre logiques « centralisées » et « circulaires » : des « utilités » nouvelles à l’épreuvePour autant, l’appropriation collective du site de la Chantrerie met en tension deux logiques concurrentes.

L’une, centralisée, est celle des organisations et des modèles économiques en place, pour lesquels la « création de valeur » est assez largement étrangère au site d’implantation.

[16] Pierre Dardot, Christian Laval, 2014, Commun. Essai sur la révolution au xxe siècle, La Découverte

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective44

L’autre, plus circulaire, vise la co-construction d’un projet commun sur le local.

De fait, les établissements sont dans une activité et dans un « marché » débordant chacun largement le cadre de la Chantrerie. Il s’agit par exemple d’un groupement d’intérêt public associant différents établissements sur plusieurs sites en Maine et Loire, Sarthe et Loire-Atlantique. Un autre établissement dépend lui de l’université de Nantes.

Du point de vue du modèle économique en place, l’utilité sociale du territoire n’existe donc pas véritablement au départ et l’initiative est bien, de ce point de vue, celle d’une « bande de copains » et du ressort du « bénévolat ».

Concernant même le réseau de chaleur mis en place, l’un des participants reconnaît que : « à Angers ou au Mans, nous avons fait un groupement d’achat piloté par le département de Loire-Atlantique … et l’énergie me coûte désormais moins chère sur ces sites que sur Nantes. » Cependant, c’est sur un autre registre que ce décideur vient défendre l’utilité du projet : « mais le projet n’est pas le même ici, il y a un projet collectif, un plan de développement durable, il n’y a pas d’équivalent. »

Une volonté des dirigeants se fait entendre, de se décaler, pour innover : « le sujet majeur qui nous occupe est la stratégie, dit un directeur d’école, que veut-on faire de cette école ? Je suis en train de me dire qu’il faut aussi former des citoyens qui soient capables d’influer sur les grands changements qui vont s’opérer de gré ou de force de telle sorte que cela aille dans l’intérêt de tous : de l’environnement, des populations… ». Ce directeur poursuit :« nous devons passer d’une vision linéaire et pyra-midale un peu archaïque à une organisation circulaire et horizontale ».

Ainsi, le processus de reconnaissance sociale de nouveaux cadres d’action, de nouvelles orientations culturelles portées par l’initiative collective est évoqué dans les témoignages comme une mise en tension permanente :

Nous devons passer d’une vision linéaire et pyramidale un peu archaïque à une organisation circulaire et horizontale

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective 45

« les marchés publics verrouillent les initiatives, l’AFUL Chantrerie met en place des alternatives, bien évidemment légales, à la complexité administrative et règlementaire. » L’AFUL Chantrerie apporte donc de la souplesse.

En outre, « les gens à titre individuel, on arrive à les convaincre, mais quand ils sont dans leur rôle d’administrateur, ils se posent des ques-tions : une association foncière libre, c’est privé, on perd le contrôle… ».

Une trajectoire d’intégration progressive et complexe se dessine : entre adoption ou rejet, la reconnaissance sociale des nouvelles utilités du local et du « territoire du faire ensemble », revendiquée par les promoteurs, est en jeu.

Elle s’opère à travers des tensions et des jeux de pouvoir, des allers et des retours, des contours et des détours plutôt qu’en ligne droite.

UN TERRITOIRE DU « FAIRE ENSEMBLE » : DES CONDITIONS POUR RÉUSSIR ?

L’enjeu des capacités collectivesLa dynamique collective procède, comme nous l’avons vu, d’une mise en tension à de multiples niveaux, entre organisation formelle des établisse-ments et organisation informelle de la dynamique collective, entre logique « instituée » du déjà-là et logique nouvelle « instituante ».

Cette trajectoire innovatrice a été marquée par plusieurs étapes : la mise en place du réseau de chaleur, la rédaction d’une charte de territoire, l’engagement de multiples projets...

La création de la nouvelle AFUL Chantrerie Association Fédératrice des Utilités Locales  vise désormais à intégrer de nouveaux établissements notamment privés et à élargir le périmètre d’action de la communauté. Elle marque aussi clairement la dimension politique du projet.

Pour autant, sur quels ressorts, au fond, repose cette dynamique collec-tive ? À la suite des travaux du centre québécois CRISES sur les conditions de réussite des initiatives locales17, l’hypothèse formulée est que cette dynamique collective correspond, à partir du projet initial, à l’émergence progressive d’une capacité collective orientée vers l’innovation.

Les acteurs, au fil des entretiens, évoquent à la fois une montée en compé-tences, en capacités réflexives, et le développement d’une capacité à agir.

[17] Juan Luis Klein : « Economie sociale et territoire en contexte de mondialisation, le développement par l’initiative locale »

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective46

Si l’initiateur est apporteur d’idées, il est aussi présenté comme un « éveilleur de conscience ». La réussite du projet de chaufferie bois, vécu comme une « success story » a permis « de nous convaincre que tout était possible et c’est à ce moment-là, sur l’initiative du porteur de projet, … on s’est permis de penser, de rêver à d’autres projets. »

Cette autorisation collective progressive à « penser et rêver » d’une part et cette confiance « que tout est possible » d’autre part, semblent évoquer des cercles vertueux, progressifs, itératifs, alimentant à chaque étape, une montée générale du collectif en capacité.

Toujours en écho aux enseignements tirés au Québec, on fera ici l’hypothèse de trois composantes majeures venant soutenir la trajectoire innovatrice :

– D’une part, la capacité collective où le « leadership individuel et collectif » se construit socialement et à plusieurs échelles est majeure. Si le rôle de l’initiateur est très fortement mis en avant « il joue un grand rôle dans l’animation », sa légitimité reconnue à l’extérieur est également importante.

Mais c’est aussi l’implication dans la durée des directeurs « avec une relative stabilité » qui vient asseoir la dynamique. Au-delà d’une masse critique pour le collectif, un élargissement du nombre d’acteurs est espéré et, au final, le territoire lui-même est visé comme « milieu innovateur et d’innovations » ;

– Une autre composante déjà évoquée est cette appropriation ter-ritoriale, cette « conscience territoriale » qui vient, nous dit Juan Luis Klein de CRISES, « favoriser l’engagement des acteurs dans la communauté. » Consciente de « ne pas être d’ici, ne pas avoir d’his-torique avec le territoire » une participante déclare : « si j’avais un vœu, ce serait de conserver le plus possible ce patrimoine vert, car l’urbanisation avance comme en tenaille entre Carquefou et Nantes. Gardons ce poumon-là ! »  ;

– Une dernière composante apparaît également essentielle dans l’ini-tiative collective de la Chantrerie, à savoir la gouvernance, qui tente ici une articulation nouvelle entre dynamique collective et politique publique, et qui vise une véritable appropriation politique du territoire par la communauté.

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective 47

On retrouve ainsi :

– Les 3 enjeux de la dynamique collective (la légitimité du porteur du projet, la confiance générée par l’organisation et la gouvernance, la fierté du territoire)  ;

– L’émergence du projet issue de la conjonction de plusieurs facteurs (constat, environnement, besoin, envie, histoire). Ce qui n’a pas été possible à un moment peut l’être à un autre  ;

– La co-construction progressive des capacités collectives avec un élargissement de la base des acteurs et du « faire ensemble ». Le territoire du « Co » émerge et se renforce de manière itérative.

Une articulation nouvelle entre dynamique collective et politique publiqueLes regards croisés sur l’expérience de l’AFUL Chantrerie, recueillis dans le cadre du travail d’enquête, mettent à jour l’enjeu central de la gouver-nance. Il s’agit des organisations mises en place pour assurer la cohésion du collectif, la qualité de la coopération, la confiance mutuelle. Dans le

PROJET INITIAL(CONSTAT, BESOIN, ENVIE, HISTOIRE)

PROJET DES CO(PARTAGE, CONSCIENCE, TEMPS)

TERRITOIRE(LA FIERTÉ DE L'ANCRAGE LOCAL)

RELATIONS ET COOPÉRATION ENTRE ACTEURS LOCAUX

CULTURE ET ATTACHEMENT AU TERRITOIRE

ORGANISATION DU PROJET

(LA CRÉATION DE CONFIANCE)

INSTANCES ET/OU SATATUTS

PRINCIPES ET MODALITÉS DE COOPÉRATION

RELATIONS ET COOPÉRATION AVEC LES POUVOIRS PUBLICS

PORTAGE DU PROJET(LA LÉGITIMITÉ)

CAPACITÉS PERSONNELLES À FAIRE ET À DONNER ENVIE

CAPACITÉS À PARTAGER

MOBILISATION DE RESSOURCES ET DE RÉSEAUX

COM

PÉT

ENCE

S CO

LLEC

TIVE

S

Le collectif des acteurs du programme TES s’est exercé à traduire ces différentes dimensions de manière graphique.

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective48

cas de l’AFUL Chantrerie, la qualité, par exemple, de la gestion de projet est un élément de confiance et de réussite.« Sur le dispositif chaufferie, il fallait qu’elle soit opérationnelle avant la période de chauffe ce qui a été fait. Cela m’a rassuré car cela a démontré que c’était pro. »

Il s’agit également, et d’une façon centrale, dans l’expérience de la Chantrerie, de la capacité de la communauté d’acteurs à s’appuyer sur des ressources externes et à « jouer collectif » face et avec les pouvoirs publics, pour développer une stratégie de développement local.

Ainsi, « un gros travail a été mené par un collectif de neuf établissements, en lien avec la métropole, parfois avec des relations tendues, pour qu’en final le Chronobus arrive à la Chantrerie ».

Au-delà, l’initiative de la Chantrerie introduit une nouvelle donne dans la gestion traditionnelle des zones d’activités. Pour Nantes métropole, « la gouvernance classique, c’est la collectivité qui commercialise les terrains via ses aménageurs. »

Or, concernant le site de la Chantrerie, l’aménageur a engagé une relation de « partenariat » avec l’AFUL Chantrerie : « nous travaillons ensemble depuis des années, cela nous semblait pertinent d’aller plus loin. On ne leur demande pas de valider le projet, c’est le politique qui le valide. Par contre on le présente et on leur demande leur avis ».

À cette occasion, la collectivité s’initie aussi à une posture nouvelle d’ac-compagnement : « c’est notre rôle d’aider, car cela fait partie de la vie du site, mais ce n’est pas notre rôle d’initier les projets. Il faut donner la paternité des projets à l’ensemble des directeurs présents dans l’AFUL Chantrerie qui ont souvent fait preuve d’une belle créativité et ténacité. Arriver à un projet de 4 millions d’euros en ne partant de rien et en disant à des structures vous allez changer tout votre système de chauffage, c’est une belle réussite. »

Un territoire expérimental en matière de gouvernance partagée ?L’initiative collective a permis d’enclencher un processus accéléré et assez inattendu de développement sur la Chantrerie. Celui-ci se concré-tise notamment par l’implantation programmée d’ici 5 ans de plus de 60 000 m2 de bureaux et d’habitat. Pour autant, cette « appropriation économique » nouvelle du site représente un réel défi pour les acteurs de la Charte du « territoire du faire ensemble ».

DYNAMIQUES COLLECTIVES DE LA CHANTRERIE analyse et mise en perspective 49

Comment s’assurer en effet que les nouveaux arrivants « s’engagent individuellement ou collectivement, à contribuer au développement et à la mise en œuvre de projets de transitions sociétales, en particulier dans le domaine des transitions énergétique & numérique » ?

Comment associer plus largement sans que la dynamique « d’appropriation sociale et politique » ne se dilue ? « Nous ne sommes pas nombreux et nous arrivons à nous exprimer. Si demain nous sommes plus nombreux de la table, ce sera plus compliqué. »

Le risque n’est-il pas grand, au fond, que la valorisation économique des terrains ne s’accompagne du retour en force des logiques dominantes ?

Les dernières opérations de commercialisation en cours montrent en effet, selon les acteurs, les limites actuelles de la gouvernance partagée que revendiquent les membres de l’AFUL Chantrerie.

Une piste ne pourrait-elle pas passer par un accord entre les acteurs du site et la collectivité pour pousser l’expérience plus loin ? Accorder par exemple au local, à titre expérimental, des marges de manœuvre pour poursuivre l’aventure collective ?

De quoi s’agirait-il ? Le porteur de projet exprime ainsi le besoin « de poursuivre le dialogue entre nous pour aller vers une vraie gouvernance partagée de la Chantrerie, à la hauteur des enjeux sociétaux à relever ensemble. Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de décision des élus, de la démocratie représentative, mais de définir ensemble des processus collectifs et collaboratifs de l’élaboration de la décision publique. Il nous faut apprendre à articuler compétences d’usages et compétences techniques, le plus en amont des projets. La métropole doit oser des territoires d’expérimentation et d’apprentissage pour de nouvelles manières de faire ensemble. »

Cette vision est-elle elle-même partagée par les membres de l’association ? Qu’ont-ils envie de faire ensemble sur le territoire et que veulent-ils faire du territoire Chantrerie ? Comment voient-ils évoluer cette dynamique collective pour les années qui viennent ? Comment rendre l’organisation actuelle plus résiliente ?

C’est l’objet du prochain chapitre.

50

BILAN &perspectives

BILAN & perspectives52

Réunis autour d’un petit déjeuner, les membres de la nouvelle AFUL Chantrerie, l’Association fédératrice des Utilités Locales de la Chantrerie, ont échangé sur l’avenir de leur projet de territoire du faire ensemble. Certains sont là depuis le début de l’aventure, d’autres ont récemment rejoint le collectif. L’occasion choisie est celle de la restitution des entretiens menés dans le cadre de la recherche action partenariale Transition Énergétique & Sociétale.

AU CENTRE DES ÉCHANGES, TROIS QUESTIONS CLÉS :

- Comment pérenniser l’action de l’AFUL alors « qu’il s’agit d’une structure encore fragile qui repose sur quelques personnalités » ?

- Comment accueillir les nouveaux arrivants sans perdre « la démarche philosophique » que les participants ont eu le sentiment de partager à leur arrivée ?

- Comment co-construire avec la collectivité gestion-naire, en dépassant le risque de la « sclérose… menant à l’association d’anciens combattants, ou à l’association de lobbying ou d’influence » ?

BILAN & perspectives 53

QUEL MONDE LAISSER À NOS ENFANTS ?L’AFUL Chantrerie semble être au milieu du gué. Le développement commercial actuel de la zone sera-t-il finalement marqué par une certaine normalisation de la gestion du territoire ? Sous le poids de la logique du marché, et sans prescription de l’aménageur, le choix des promoteurs « d’amortir les investissements en huit ans », écarte par exemple tout équipement d’énergie renouvelable.

À l’inverse, la dynamique collaborative parviendra-t-elle à imposer une vision plus sociétale, dans le temps, qui pousse par exemple aujourd’hui l’un des établissements à maintenir à perte une cafétéria pour 50 étudiants au nom « du monde que l’on veut laisser à nos enfants. » ?

POURSUIVRE LA DYNAMIQUE DU « FAIRE ENSEMBLE »Alors que l’on parle de « bien manger » sur le site, l’AFUL Chantrerie souhaite pouvoir donner son avis quand arrivent des food trucks. À partir de cet exemple, comment, « sans interdire », amener les uns et les autres à s’inscrire « dans un esprit de développement durable, avec une cuisine saine, faite avec des produits frais » ?

C’est d’abord sur la crédibilité du faire ensemble que comptent les participants pour « devenir un interlocuteur » auprès de la collectivité.

Ainsi, sans vouloir faire à leur place, l’association peut s’appuyer sur « ce que l’on peut faire nous même, des choses simples, comme le pique nique qui est une très bonne idée, des projets qui créent du collectif ». C’est d’ailleurs justement ce que « vient chercher » cette entreprise nouvelle-ment implantée : « du lien entre les différentes sociétés », en créant des évènements au niveau des collaborateurs qui sont « nos premiers clients ».

D’où, souligne-t-on, l’importance du cadre de vie. L’idée est qu’une dy-namique élargie aux salariés et aux étudiants fédèrera les entreprises et se répercutera sur la qualité de la collaboration avec la collectivité. De fait, l’association est aujourd’hui visible sur la métropole avec des projets comme celui de la méthanation, « une première en France », la chaufferie bois, le photovoltaïque participatif sur la halle de Polytech, les déchets organiques, l’agriculture périurbaine… « Il n’y a pas beaucoup de site qui aient cette démarche ».

BILAN & perspectives54

QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE DEMAIN POUR CONSOLIDER L’INITIATIVE ?Dans cette perspective de poursuite du faire ensemble, l’enjeu est de « donner envie de faire autrement » plutôt que de chercher à imposer. Exemple, le « référentiel de restauration durable » qui, partagé, peut « tirer vers le haut la qualité de la restauration sur le site ».

Si la démarche partagée de territoire en transitions est une sphère d’oxygène, « les parois ne doivent pas être trop raides au point que les nouveaux arrivants aient l’impression d’arriver en milieu hostile. »

Autre point de vue partagé, le temps nécessaire ! Même s’il y a urgence, « il faut faire ensemble et cela demande du temps ». Celui aussi d’avancer dans la durée, vers une évolution indispensable des modes de vie. Ainsi, pour l’AFUL Chantrerie, il s’agit de « poser des jalons et de bénéficier d’une force politique plus importante en étant et en restant groupés. »

L’autre défi majeur sera de consolider le dispositif. Le moment est-il venu « d’envisager des salariés permanents pour assurer la continuité et concrétiser les idées qui demandent de l’énergie et du temps »? Dit autrement : quel modèle organisationnel et économique demain pour la poursuite de la démarche collective et collaborative ?

VERS UN PROJET COMMUN AVEC LA COLLECTIVITÉ ?Si la démarche de transition s’inscrit en effet dans le temps, les participants ont le sentiment que les décisions se prennent aujourd’hui sans eux sur les nouveaux bâtis, avec le risque d’un business as usual. Ils appellent à passer à une nouvelle étape de co-construction avec la collectivité. Le droit à l’expérimentation est de plus en plus admis du côté, par exemple, de l’université : « on a réussi à démontrer que c’était plus intelligent de faire des choses en local, avec la chaufferie bois et d’autres projets ». Les relations avec la collectivité ont également bien évolué depuis 10 ans : « ils sont capables de nous entendre, on est capable d’échanger, en prenant notre temps. »

Comment désormais aller plus loin ? L’objectif serait de pouvoir co-construire pour et sur le site de la Chantrerie un véritable projet commun

BILAN & perspectives 55

entre collectivité et acteurs locaux, articulant « compétences d’usages et compétences techniques. »

Un tel projet entre l’AFUL Chantrerie et la collectivité pourrait faire écho à des initiatives comme celles des ÉcoZAC, mais en allant au-delà d’un quartier écologique. Il relèverait certes de ces enjeux mais également des questions de vivre ensemble et de faire ensemble.

Ce serait l’occasion d’un double travail d’émergence : celui d’une vision à moyen et long terme du site en transition et celui d’une nouvelle gou-vernance, à expérimenter, pour une règlementation locale partagée. Une telle étape marquerait sans aucun doute un premier aboutissement de la dynamique innovatrice sur le site de la Chantrerie.

POUR QUELLES ÉVOLUTIONS DES PRATIQUES ET DES MODES DE VIE DEMAIN ?Du point de vue de la recherche action transition énergétique et sociétale, les dynamiques collectives territorialisées, comme celles que cherchent à promouvoir les acteurs du site de la Chantrerie, représentent un levier important pour l’évolution de nos façons de « faire et de vivre ensemble ».

Mais comment ?

En premier lieu, le grand intérêt des témoignages recueillis auprès des membres de l’AFUL Chantrerie est d’éclairer, comme nous l’avons vu, un processus de montée en capacité collective sur le territoire. Des projets comme celui de la chaufferie bois, ou plus globalement l’attractivité nouvelle de la zone en montre la puissance potentielle en termes de réalisations.

L’AFUL Chantrerie, comme d’autres initiatives collectives, témoigne ici du grand intérêt de ces processus d’apprentissage sociaux qui, à partir des interactions entre les personnes, permettent à un groupe d’individus de développer une capacité d’action inattendue dépassant leurs seules préoccupations individuelles. Pour autant, quelles sont les transformations sociétales qui peuvent être espérées sur une zone d’activité ?

Au-delà de l’effet économique observé avec le développement nouveau de la Chantrerie, quelles évolutions des pratiques sociales pourraient être concrètement envisagées chez les utilisateurs de la zone que sont aujourd’hui essentiellement les salariés et les étudiants ?

Le projet philosophique et politique de l’AFUL Chantrerie, qui évoque l’enjeu d’une transition, de transitions, appelle sans doute une réflexion

BILAN & perspectives56

complémentaire pour mieux identifier, au-delà des projets envisagés, les pratiques effectivement visées et les conditions imaginées pour leur transformation.

Dit autrement, quels publics l’initiative serait-elle capable à terme « d’en-rôler », dans des expériences collectives suffisamment marquantes, en lien avec de nouvelles façons de faire sur le site.

De multiples pistes sont d’ores et déjà ouvertes en rapport avec l’alimen-tation, l’énergie, le transport…

Le programme partenarial de recherche-action transition énergé-tique & sociétale est porté par 13 partenaires, sur une première durée de 3 ans (2015 - 2018), dirigé par l’IMT Atlantique (ancien-nement École des mines de Nantes) et coordonné par le Collège des transitions sociétales.

Mars 2017 - Design graphique et mise en page : latelierdelestuaire.com - Impression : Imprimerie Parenthèses

LA CHANTRERIE

CAHIER DES TERRITOIRES DU FAIRE ENSEMBLE

LA CHANTRERIEUN TERRITOIRE DU « FAIRE ENSEMBLE »… ou l’histoire de dynamiques collectives pour un territoire en transitions

La Chantrerie est un territoire situé au nord de la ville de Nantes, sur la rive gauche de l’Erdre, rivière remarquable de part sa beauté historique, naturelle et son écosystème écologique.

Sur environ 150 ha, cette aire héberge près de 1 000 habitants, 3 000 salariés et 4 000 étudiants auprès d’une cinquantaine d’entreprises et cinq établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

En 2008, alors que les transports en commun ignorent le site, alors que la collectivité regarde ailleurs, alors que les relations entre les responsables d’établissements sont quasi-inexistantes, un projet collectif émerge pour la réalisation d’une chauff erie bois et d’un réseau de chaleur.

Par nécessité juridique, les établissements publics impliqués dans le pro-jet sont alors amenés à créer une association privée, l’AFUL Chantrerie, pour faire aboutir ce projet de chaleur biomasse. En 2011, le premier kWh thermique est produit, un nouveau modèle émerge : le développement de projets portés par un collectif (d’entreprises, d’habitants ou d’agriculteurs) et facilités par la collectivité.

En 2017, l’association comporte désormais 15 entreprises et établissements regroupant 2 500 salariés et 4 000 étudiants, pilote plusieurs projets de transition portant sur le franchissement de l’Erdre en mobilité douce, le covoiturage, l’agriculture urbaine et la biodiversité, la gestion collective des déchets organiques de restauration, le fi nancement participatif d’une toiture photovoltaïque, le power-to-gas, la rencontre annuelle des salariés…

Pourquoi et comment cette dynamique collective a pu émerger ? Quelles en ont été les raisons, les caractéristiques ? Quel rôle a joué le porteur de projet, la collectivité ? Comment ce territoire est-il passé du « sans histoire » au « faire ensemble » ? Quelle est la gouvernance actuelle du collectif, quelle résilience pour demain ? Quels sont les facteurs clés de succès de ce projet de territoire ?

Dans le cadre de la recherche-action partenariale transition énergétique & sociétale, les acteurs du territoire témoignent…

www.mines-nantes.fr/[email protected]

Programme partenarialTransition énergétique & sociétale