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Tendances, caractéristiques et impacts de la migration rurale-urbaine à Antananarivo, Madagascar LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT

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Tendances, caractéristiques et impactsde la migration rurale-urbaine

à Antananarivo, Madagascar

LA CONVENTION RELATIVEAUX DROITS DE L’ENFANT

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L’auteur voudrait remercier tous ceux qui ont permis de mener ce projet à bien.

Dorothée Klaus, Chef de Section de la Politique Sociale à l’UNICEF Madagascar a mandaté ce rapport et a apporté son soutien à sa production que ce soit sur le plan logistique ou à travers ses conseils professionnels, ses commentaires très utiles et sa grande patience.

Solo Rasolofohery et Eli Badistinah Randriantovomanana ont été des assistants de recherche particulièrement capables et charmants. Ils ont travaillé durement, avec tact et humilité dans des conditions physiques et émotionnelles particulièrement difficiles. Nous avons aussi beaucoup de moments de rire. Je les recommanderai sans réserve pour un emploi futur.

Sophie Borreill a fait des commentaires percutants sur la version préliminaire du rapport, ce qui nous a permis de l’améliorer beaucoup.

Les gens d’Antananarivo ont accueilli nos intrusions dans leurs vies avec chaleur, tolérance, hospitalité et un bon sens de l’humour. J’espère que ce rapport va apporter à leurs vies les changements qu’ils espèrent. Je leur dédie ce rapport, en particulier à leurs enfants.

Luke Freeman, Juillet 2010

I

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RéSUMé ExéCUtIF ......................................................................................... 1

RéSUMé DES POINtS CLéS ............................................................................ 5

PARtIE 1 : BUtS, MEtHODOLOGIE Et CONtExtE DE LA RECHERCHE ........ 6

Contexte et buts de l’étude.......................................................................... 6

Méthodologie ............................................................................................... 7

Antananarivo – un aperçu historique et géographique ............................ 14

DEUxIEME PARtIE : MOtIVAtIONS DES MIGRANtS Et CAUSE DE LA MIGRAtION ........................................................ 19

La migration à Madagascar : aperçu général .......................................... 19

Causes de la migration vers Antananarivo ............................................... 21

Diversité de la population migrante d’Antananarivo ................................ 25

tROISIEME PARtIE : PRINCIPAUx FACtEURS FACILItANt L’INtEGRAtION Et LA REUSSItE DES MIGRANtS DANS LA VILLE ..... 27

Réseaux basés dans la ville ...................................................................... 27

Relation avec le point d’origine ................................................................. 36

QUAtRIEME PARtIE: PRINCIPAUx FACtEURS DE LA VULNERABILItE DES MIGRANtS EN VILLE .................................................. 42

Origine servile : pas de terres, pas de tombeau et des filets de sécurité sociale et économique limités ................................................................. 42

Domestiques dans des familles inconnues .............................................. 43

Perte de terres dans la périphérie semi-rurale de la capitale ................ 45

CINQUIEME PARtIE : IMPACt DE LA MIGRAtION RURALE-URBAINE SUR LA VILLE ............................................................. 50

Impact sur l’environnement et les infrastructures urbains ..................... 50

Impact sur la cohésion sociale et politique .............................................. 53

Impact sur l’économie de la capitale ........................................................ 55

RECOMMANDAtIONS .................................................................................... 59

RéFéRENCES ................................................................................................ 60

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Le but de cette étude qualitative est de décrire les caractéristiques et les tendances de la migration rurale-urbaine chez les migrants d’Antananarivo, la capitale malgache. Le rapport identifie les stratégies et les ressources qui favorisent une migration réussie et anticipent la vulnérabilité dans un cadre urbain difficile. Il révèle également les impacts de la migration sur la ville en termes d’infrastructures, de cohésion sociale et politique et d’activités économiques.

La forte pression qui s’exerce sur les infrastructures à Antananarivo fait qu’il est souvent difficile d’avoir accès aux biens sociaux de base tels que l’eau, les soins de santé et l’éducation. Les pressions d’ordre social et psychologique qui s’exercent sur les habitants sont nombreuses et les migrants ne diffèrent en rien des non migrants sur ce plan. L’étude montre parmi ses principaux résultats que la pauvreté et la vulnérabilité ne sont pas nécessairement fonction du fait d’être migrant ou non. Que ce soit pour les migrants ou les natifs, la pauvreté et la vulnérabilité proviennent du manque de relation avec des réseaux de soutien familial.

L’étude montre que les migrants qui s’en sortent le mieux avec les difficultés de la vie urbaine sont ceux qui font partie de réseaux solides de soutien économique, social et psychologique. En fait, ce sont ces réseaux qui permettent à bon nombre de migrants de venir en ville au départ. Un grand nombre de ces réseaux sont fondés sur le maintien d’une relation avec le lieu d’origine. Les migrants les plus vulnérables sont ceux qui n’ont jamais bénéficié de tels réseaux ou qui s’en sont détachés.

Le facteur principal qui permet la migration et la réduction de la vulnérabilité (en particulier lors de l’arrivée en ville) est la présence de la famille élargie du migrant. La très grande majorité des migrants vus dans le cadre de cette étude sont venus à Antananarivo parce qu’ils y avaient de la famille qui pouvait les recevoir à l’arrivée. Les réseaux familiaux jouent également un rôle essentiel

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dans la recherche d’emploi pour les nouveau-venus. Les réseaux au-delà du cercle familial sont également importants. Les plus importants sont les associations de migrants qui se fondent habituellement sur une origine et une appartenance ethnique communes. Ces associations lèvent des fonds pour des projets de développement dans la région d’origine et apportent un soutien financier aux familles, en particulier pour le coût de rapatriement du corps en cas de décès d’un membre. Il arrive souvent que des groupes de migrants fondés sur une origine commune dominent certains métiers, mettant à profit les liens de familiarité, de parenté et de confiance. Les groupes de lignée descendant d’un ancêtre commun offre un forum pour des réunions sociales destinées à célébrer une identité partagée et promouvoir l’assistance mutuelle.

L’exploitation des relations symboliques et pratiques avec le lieu d’origine du migrant (tanindrazana ou terre ancestrale) constitue une autre ressource essentielle. Le fait de garder une parcelle de terre ancestrale fournit un revenu supplémentaire. Les visites aux familles restées à la campagne et la présence aux cérémonies gravitant autour du tombeau sont des facteurs cruciaux dans la promotion de l’identité sociale et le maintien des réseaux qui relient la campagne à la ville.

Les taux de pauvreté sont plus élevés en milieu rural qu’urbain et bon nombre de migrants citent la pauvreté rurale, en particulier l’insuffisance de terres agricoles et leur faible fertilité, comme raison les ayant amenés à migrer. Cependant, migrer alors qu’on est dans une situation d’extrême pauvreté est difficile. La migration est conditionnée par la possession d’un certain degré de richesse matérielle et sociale.

En effet, l’étude montre qu’il y a beaucoup de migrants dont la présence en ville n’est pas due à l’incapacité de leurs terres à subvenir à leurs besoins mais à la fertilité de ces terres, à la présence d’un surplus de production exportable ainsi qu’à l’existence de réseaux de famille élargie et de réseaux régionaux qui leur permettent d’exporter ce surplus. Ceci met en place une relation économique très dynamique entre la ville et la campagne. Dans ce cas, la migration ne se ramène pas simplement à la fuite de la pauvreté rurale. En

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fait, les migrants apportent la richesse de la campagne à la ville. La migration, ici, est une ressource plutôt qu’un dernier recours.

La valeur de la terre pour les migrants est mise en exergue par la situation difficile de ceux qui n’en possèdent pas. Le groupe le plus vulnérable à cet égard est constitué des descendants d’esclaves qui ne sont pas propriétaires des terres que leurs ancêtres et eux-mêmes ont cultivées pendant des décennies.

Autre résultat marquant de cette étude l’une des plus grandes causes qui fait que les gens perdent contact avec leur lieu d’origine est l’accroissement de la construction sur les terres agricoles dans la périphérie d’Antananarivo. La forte valeur immobilière des terres actuellement pousse les propriétaires à vendre à des promoteurs, laissant les occupants sans ressources. Bon nombre parmi les sans domicile vivant dans les rues d’Antananarivo sont venus à la ville en dernier recours après avoir perdu leurs terres.

L’étude a également fait ressortir que les domestiques sont parmi les groupes de migrants les plus vulnérables. Bon nombre parmi eux sont des enfants ou des adolescents de la campagne que leurs familles n’arrivent pas à faire vivre. Les caractéristiques structurelles de leur emploi peuvent les exposer à la négligence, l’abus et l’isolement, ce qui fait accroître leur vulnérabilité en fin d’emploi.

Le rapport fait également ressortir diverses formes de migration allant de la migration à court terme avec des allers et des venues à l’installation définitive qui se prolonge après la retraite. Il y a une corrélation largement répandue entre certaines catégories de migrants et leurs professions, la durée de leur séjour et leur lieu d’origine. Ainsi, certains groupes dominent certaines professions et certains métiers. Les migrants sont présents dans l’éventail complet des professions quoiqu’un très grand nombre soient employés dans le secteur informel, notamment le petit commerce.

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Le rapport relève certains des principaux effets de la migration sur les infrastructures, le tissu social et l’économie de la ville. L’un des défis qui se pose dans le domaine des infrastructures est la pression sur le logement. Elle n’est pas toujours due à la migration. Cependant, le rapport fait ressortir deux domaines où la relation semble étroite : le logement des étudiants et les logements illégaux construits par des membres des services de sécurité et des forces armées.

Le rapport montre que les procédures administratives pour le dénombrement des migrants dans la capitale semblent inadéquates. Elles sont particulièrement non représentatives du fait qu’une grande partie des migrants temporaires ne se font jamais enregistrer auprès des autorités.

L’étude des effets de la migration sur la cohésion sociale et politique dans la capitale montre que l’environnement social arrive très bien à absorber le grand nombre et la grande diversité ethnique de migrants. Les cas de conflits ethniques sont rares et de petite envergure. Cependant, il se peut que certaines associations adoptent, dans des circonstances particulières, une orientation politique fondée sur l’ethnie.

La relation entre la migration et l’économie est complexe. De nombreux migrants travaillent dans le secteur informel, ce qui rend difficile de quantifier leur contribution. Deux activités économiques d’importance pour la ville qui impliquent les migrants ont été identifiées : le commerce en gros de produits agricoles entre les zones rurales des hautes terres et Antananarivo et le travail dans les zones franches. Si la première activité continue à générer une forte activité économique – dont une grande partie aux mains des migrants, la faible performance de la seconde ces derniers temps a laissé de nombreux migrants sans emploi. Cela est particulièrement inquiétant parce que de nombreux travailleurs des zones franches proviennent historiquement de groupes sociaux vulnérables sans réseaux sociaux ou économiques dans la ville.

Le rapport s’achève sur des recommandations en matière de politique et de recherche future.

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Principales ressources des migrants :

Relations familiales, en particulier à l’arrivée

Réseaux régionaux et ethniques élargis

Relations économiques, sociales et rituelles avec la terre ancestrale

Principaux groupes de migrants vulnérables :

Descendants d’esclaves sans terre

Paysans devenus sans terre à cause de l’expansion urbaine vers la périphérie semi-rurale 

Migrants travaillant comme domestiques, en particulier les enfants.

Principaux impacts sur la société et l’économie urbaines :

Pression sur le logement, en particulier parmi les étudiants

Problèmes d’assainissement dans les zones de construction illégales faites par les migrants

Une relation économique dynamique entre la ville et la campagne générée par le commerce en gros de produits agricoles

Main-d’œuvre pour les zones franches mais vulnérabilités des employés migrants à cause du déclin commercial

Absence de domicile et indigence pour les migrants les plus vulnérables.

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1.

L’analyse examine les formes et les impacts de la migration rurale-urbaine vers Antananarivo, la capitale malgache. La migration rurale-urbaine remet en question la configuration sociale et politique dans les zones rurales et les zones urbaines. En 2005, 74 pour cent de la population rurale vivait en dessous du seuil de la pauvreté, selon EPM 2005. C’est là une cause sous-jacente à l’exode rural. Comme la migration continuera à contribuer de manière importante à la croissance et l’importance des centres urbains dans les décennies à venir, une analyse des tendances et des modèles actuels de migration urbaine à Madagascar permettrait d’avoir une meilleure compréhension des défis et des opportunités qui nous attendent. De telles informations sont essentielles en préalable à un bon urbanisme.

Ces buts à l’esprit, l’étude a été conçue pour collecter des données qualitatives sur l’expérience de la migration, en particulier sur les stratégies employées par les migrants qui leur permettent de s’établir, de trouver du travail et de réussir leur intégration dans le cadre urbain. Ce faisant, l’étude identifie systématiquement les tendances et les causes de la vulnérabilité parmi les migrants qui se battent pour parvenir à ces fins. Ces informations sont importantes pour la préparation d’intervention en soutien aux migrants.

Les termes de référence sur la base desquels l’étude a été conçue sont retracés dans les grandes lignes ci-dessous.

Selon les termes de référence, la recherche devait porter sur :

1. Les tendances et les caractéristiques de la migration rurale-urbaine vers Antananarivo.

2. Les impacts de la migration rurale-urbaine sur :

a. L’environnement et les infrastructures urbains ;

b. La cohésion et la ségrégation sociales et politiques

c. L’économie de la capitale.

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Ce faisant, la recherche doit prendre en compte les aspects suivants de la vie de migrant :

3. Logement

4. Approvisionnement en eau et en services d’assainissement aux populations de migrants

5. Emploi

6. Les effets de la migration sur les enfants en particulier

7. Intégration et ségrégation sociale et politique

L’analyse considère également quels facteurs :

8. Atténuent la pauvreté et la vulnérabilité chez les migrants

9. Perpétuent la pauvreté et la vulnérabilité chez les migrants

10. Exacerbent la pauvreté et la vulnérabilité chez les migrants

Le rapport offre des recommandations en vue d’interventions visant à améliorer le bien-être économique et social des migrants à Antananarivo.

2.

Compte tenu des différents formes de la migration à Antananarivo, il n’a pas été toujours évident de déterminer qui devrait être classé comme migrant. Les facteurs tels que la durée de séjour, la distance parcourue, le but du recasement, la différence entre le lieu d’origine et du lieu d’établissement sont autant de variables qui jouent dans la définition du migrant. Par exemple, est-ce que l’étudiant qui a été dans la ville depuis trois ans est plus migrant que le sinistré d’un cyclone qui y restera seulement quelques mois ? Après quelle durée une personne devient-elle migrante  ? Et est-ce qu’on cesse d’être migrant au bout d’une certaine durée après son installation ? Est-ce qu’une personne qui déménage vers le centre d’Antananarivo à partir de la périphérie est moins un migrant qu’une personne qui vient de l’extrême nord ? Est-ce qu’il y a lieu de classer comme migrants les personnes qui font des va-et-vient entre la ville et la campagne ? Est-ce que la deuxième génération de « migrants » compte encore pour migrants ?

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Ces questions montrent que la catégorie «  migrant  » n’est pas sans problématique. Pour les objectifs de la présente étude, il a été important de définir la catégorie de manière assez large. Cette approche pose le risque de redondance de la catégorie si celle-ci est définie de manière trop large. Néanmoins, il était important de pouvoir prendre en compte le large éventail d’expériences de la migration à Antananarivo. A cette fin, il a été utile de se référer aux divers termes employés dans la langue malgache pour se référer à la migration. Le terme technique sociologique est mpifindra-monina («  personnes qui changent de lieu de vie  »), mais nous n’avons trouvé personne qui utilise ce terme en pratique. Les gens parlent souvent de mpitady ravin’ahitra (« personnes à la recherche de la fortune ») mais ce terme connote une migration à court terme. On entend le terme de vahiny (« hôte », « étranger ») parfois mais il porte une certaine charge politique du fait qu’il est utilisé par opposition à tompontany (« natif », « propriétaire  des terres »). Le terme le plus fréquemment utilisé est mpiavy (« venu d’ailleurs », « nouveau-venu »). C’est le terme que nous avons trouvé le plus neutre d’un point de vue politique et le plus souple en rapport avec la durée de séjour.

Ces termes ont permis de guider la recherche vers les diverses circonstances personnelles, politiques et économiques qui constituent l’expérience de la migration dans un contexte urbain. C’est cet éventail d’expériences que ce rapport chercher à appréhender.

Cette recherche étant une étude qualitative, elle était axée principalement sur la nature et la texture de la vie des migrants. Pour cela, il fallait se familiariser avec les gens et gagner un certain degré de confiance. La stratégie méthodologique idéale à adopter dans ce cas est l’observation de participant, la participation des chercheurs dans les activités de la vie de tous les jours des informateurs atténue le caractère formel et réduit la distance professionnelle entre les parties. Par exemple, lorsqu’il s’agissait de gagner la confiance d’une lavandière d’Antetezanafovoany, notre équipe a trouvé que l’observation participative s’est avéré être une stratégie utile dans la mesure où elle nous a permis d’entrer dans le monde social et conversationnel du métier des lavandières en tant que leurs égaux cherchant à établir une relation. Cependant, vu la nature trépidante et diverse de la vie urbaine, il a été rare que les chercheurs puissent véritablement participer à la vie des

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migrants. Par exemple, bon nombre d’entre eux se livrent au commerce et nous avions dû veiller à ce que notre présence en la compagnie des vendeurs en magasin ou des marchands de rue ne les distraient de leur occupation ou ne compromettent leurs affaires.

Dans l’idéal, l’observation participative est effectuée sur une longue durée de manière à pouvoir créer une véritable relation de compréhension mutuelle. Cela présente de plus l’avantage de permettre aux chercheurs de vérifier les propos des gens par rapport à leurs actions effectives. En tant que chercheur, il est important de se souvenir que la description que les gens donnent de la société ne correspond pas nécessairement la réalité sociale, mais seulement à leur perspective de la réalité sociale. Il se peut qu’ils parlent en fonction de ce qu’ils estiment que la société devrait être plutôt que ce qu’elle est. Il se peut aussi qu’ils affirment, même inconsciemment, qu’ils ou d’autres personnes souscrivent à un ensemble de valeurs morales qu’ils ne mettent pas en pratique dans les faits. Des relations rapprochées sur la durée entre les chercheurs et l’informateur peuvent mettre à jour de telles contradictions.

Eli Randriantovomanana (à droite) conduit la recherche en aidant Patricia (à gauche, dix ans) et sa mère à la lessive.

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Avec seulement six semaines pour la recherche, alors qu’il fallait couvrir un certain nombre de quartiers, il n’a pas été possible de mener une recherche prolongée sur aucune zone dans aucun des groupes. Pour que les rencontres soient aussi détendues que possible, nous avons essayé d’entamer des conversations à deux sens avec les informateurs plutôt que des interrogations à sens unique. Nous n’avons jamais utilisé de questionnaires tout prêts et nous avons fait le choix de ne jamais prendre de notes en présence des informateurs parce que cela pourrait leur paraître menaçant, en particulier pour les personnes à faible niveau d’alphabétisation. Les enregistreurs nous ont été d’une grande utilité. Souvent, les gens nous demandaient non seulement quel était le but de notre recherche mais aussi quels seraient les avantages pratiques que la recherche leur apporterait dans leurs vies et nous nous sommes sentis gênés de ne pouvoir garantir qu’il y aurait des changements palpables et immédiats dans leurs situations. Cependant, il a été rare que cela empêche les informateurs d’interagir avec nous.

Quand nous entamions la recherche dans un nouveau quartier, notre première approche a été à travers les canaux officiels, notamment le président de fokontany (la plus petite division administrative en milieu urbain). Le fait que nous venions de la part de l’UNICEF a beaucoup facilité l’accès. tout en étant une question de courtoisie et un moyen d’obtenir l’autorisation de présence dans le quartier, cette approche nous a permis d’interviewer longuement les officiels du fokontany. Ces interviews nous ont apporté des informations très utiles étant donné que la profession de ces personnes consiste essentiellement à travailler avec les populations urbaines. Cependant, nous avions quelques doutes quant à la fiabilité des informations données. Peut-être par peur d’une éventuelle relation avec le gouvernement central, les officiels ont brossé un tableau plutôt rose de leur circonscription. Par exemple, le personnel du fokontany déclare souvent qu’il n’y avait pas de migrants non enregistrés dans leur quartier, pourtant, en inspectant les registres officiels nous découvririons qu’un très petit nombre de migrants, bien en dessous de ce qui est réaliste, avaient été enregistré au cours des six derniers mois. Les bureaux de fokontany nous ont fréquemment donné des membres de leur personnel pour nous accompagner dans les quartiers et nous présenter aux résidents. Si cela a été utile en termes d’autorisation de nos recherches, nous avons pu voir que la présence de ces guides (ou, en leur absence, le fait d’être associé avec le bureau de fokontany et tout ce qui est officiel en général) suscitent de la réticence de la part des

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informateurs à discuter de certaines questions sensibles. Par exemple, dans ces circonstances, quelques informateurs ont pu être moins francs quant à leur statut de résidence  : il était courant que les migrants rapportent être « seulement en visite » à Antananarivo et avoir leur base permanente dans la campagne. Une fois encore, la fréquentation des quartiers et de leurs résidents sur la durée nous aurait permis de vérifier ou d’infirmer de telles affirmations.

Dans ces circonstances, il est indispensable d’avoir une connaissance contextuelle de la société et de la culture malgache pour pouvoir faire une interprétation sensible et nuancée des conversations avec les informateurs. Etant donné l’importance rituelle et sociale de la terre et du tombeau ancestraux à Madagascar, il fallait naturellement que cette question figure dans notre recherche sur la migration en tant que dimension essentielle. Connaissant la valeur morale positive accordée à l’attachement permanent à la terre ancestrale, nous savions que les gens pouvaient exagérer quand il s’agit de décrire le degré de leurs liens ou de la fréquence de leurs visites : il se pouvait qu’ils parlent plus de leurs désirs que de la réalité. Cela ne veut pas dire que nous avons traité avec de doute de telles affirmations, mais simplement avec la prudence dictée par le contexte, étant donné qu’elles ne pouvaient être vérifiées. Il était nécessaire de faire preuve de délicatesse en posant des questions sur les tombeaux et la terre ancestrales ainsi que les origines parce ce que ces informations peuvent être indicatrices du statut social. La question de savoir où se trouve le tombeau ancestral peut mettre à jour des questions embarrassantes de hiérarchie et d’inégalités sociales. Cela est particulièrement vrai avec les descendants d’esclaves (mpanompo), qui à cause d’une longue histoire d’exclusion sociale et rituelle, ont des relations plus tenues et plus ambivalentes avec la question des ancêtres que les personnes de descendance libre. Leur poser des questions directes et précises sur le site de leur tombeau ancestral peut les mettre mal à l’aise ou dans l’embarras parce que ceci peut mettre au jour une identité sujette à la stigmatisation. Nous avons trouvé que les personnes d’origine esclave répondaient hâtivement et vaguement à nos questions posées en passant sur le lieu de leur tombeau familial.

Il nous fallait également faire preuve de délicatesse dans la manière dont nous abordions les questions de revenus et de pauvreté. Il est possible qu’un grand

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nombre de nos informateurs gagnent de l’argent de manière qu’ils n’étaient pas disposés à nous révéler, soit par honte soit par crainte d’être signalés aux autorités. Par exemple, bien que nous ayons entendu qu’un certain groupe ethnique se spécialise dans le prêt d’argent, nous n’avons pu trouver aucun prêteur disposé à nous parler de cette pratique même si elle n’est pas illégale. De même, il a été difficile de gagner la confiance des travailleurs du sexe, même si une fois la confiance établie, les conversations peuvent être plutôt franches. Cependant, il a été plus difficile d’établir clairement dans quelles circonstances les travailleurs du sexe se sont engagés dans la prostitution. Cela tient probablement aux situations personnelles et familiales complexes qui ont conduit à cette décision.

Monique, est venue à Antananarivo de la région de toliara lorsque ses parents sont morts. Elle a vécu avec une tante qui l’a laissé tomber Elle a été abandonnée par son ami quand ce dernier a découvert qu’elle était enceinte. Quatre mois après la naissance de son fils, elle a pris le travail en tant que prostituée dans un bar à Behoririka, une zone populaire au centre de la ville. Il était difficile de commencer : « J’ai dû accepter beaucoup d’agressions d’autres filles mais je n’attaque pas parce que les clients sont mis à l’écart des contusions. » Elle charge 10-15.000 Ariary ($US 4.4-6.6) par client (plus pour des femmes et des étrangers), mais il y a des jours où elle n’a aucun client du tout. Monique retourne rarement dans le Sud. « La vie est facile là-bas, mais il n’y a rien à manger, » dit-elle. « Je veux que mon petit garçon mange et aille à l’école. »

Notre étude nous a mis en contact avec les résidents parmi les plus démunis d’Antananarivo. Nous étions conscients que, dans bien de cas, le temps passé avec nous pouvait signifier une réduction du temps disponible pour gagner sa vie. Nous estimons que cela n’a pas compromis notre recherche que d’offrir un peu de riz ou d’argent quand cela semblait approprié. Parfois, le degré de la pauvreté nous a tellement ému qu’il semblait déplacé de débattre du protocole et de l’efficacité de la recherche. Notre stratégie consistait à entrer en relation avec les gens à un niveau humain, pour s’engager dans un échange d’informations, de temps, de conversations, d’argent ou de vivres de toute manière qui semblait juste et appropriée. Il existe peu de stratégies de recherche meilleures que celle de faire preuve d’un intérêt véritable et d’engagement par rapport à la vie des gens. toute l’équipe de recherche adhérait à cet engagement humain

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et c’est cet engagement qui, en fin de compte, a fourni de riches informations malgré les doutes et les limites mentionnés ci-dessus.

L’équipe de recherche était composée d’un chercheur principal (l’auteur du présent rapport) et de deux co-chercheurs. Le chercheur principal est un anthropologue académique professionnel qui a plus de douze ans d’expériences dans la recherche à Madagascar. Il parle couramment le malgache. Les co-chercheurs sont des ressortissants malgaches ayant des diplômes de troisième cycle en anthropologie et en sociologie.

La recherche a été réalisée pendant six semaines en avril-mail 2010 dans plusieurs fokontany d’Antananarivo (voir ci-après) sélectionnés pour leur forte proportion de migrants résidents. Les interviews ont été rarement arrangées à l’avance. L’équipe s’est plutôt attachée à engager la conversation avec les gens, expliquant le but de la recherche et de ses promoteurs. En plus des migrants, l’étude a approché des personnes ayant une connaissance

L’equipe de la recherche: Solo Rasolofohery, Luke Freeman et Eli Randriantovomanana

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particulière du contexte des migrants, tels que les chefs d’église et les officiels gouvernementaux locaux. Les interviews ont duré aussi longtemps que les deux parties se sentaient à l’aise. En fonction de la durée de l’interview, il y avait entre cinq et vingt interviews par jour. Les informateurs ont été choisis de manière à avoir un large éventail de profils basés sur l’âge, le sexe, le milieu, la profession et la durée de séjour à Antananarivo.

Les quartiers ont été choisis sur la base d’un ensemble d’informations : les sources publiées, les données statistiques, les connaissances personnelles du chercheur principal et l’étude préliminaire réalisée par les deux chercheurs nationaux.

Les quartiers choisis au départ étaient ceux de 67 hectares, Andoharanofotsy, Ampasanimalo, Antetezanafovoany, Behoririka, Mandrangombato et Soavimasoandro. D’autres quartiers portés à l’attention des chercheurs à mesure que l’étude avançait ont été ajoutés selon les circonstances.

Le projet de recherche s’est concentré sur les quartiers de la basse ville étant donné que c’est là que la majorité des migrants s’établissent. Le profil historique et géographique d’Antananarivo présenté ci-après explique ce choix.

3.

La ville d’Antananarivo est devenue la capitale du Royaume de l’Imerina sous le règne du Roi Andrianampoinimerina qui a durée de 1794 à 1810. Le site de départ était construit sur le sommet de la colline d’Analamanga, ce perchoir offrant à la fois un poste en élévation pour surveiller les terres environnantes et un moyen de défense contre les attaques d’ennemis. Avec les années, la ville s’est étendue aux flancs de la colline et les plaines et le marais environnants de sorte que la capitale est composée d’une haute ville et d’une basse ville.

Distinction sociale et spatiale entre haute ville et basse ville

La distinction spatiale tire ses origines des principes d’aménagement socio-spatial appliqués par les premiers monarques qui se sont établis sur le site. Vivre en haut de la colline était une prérogative du roi ; plus bas habitaient les groupes qui lui étaient alliés par le sang ou par alliance ; plus bas encore, on

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trouvait les roturiers de moindre statut et tout au bas on trouvait les esclaves de la maison royale et les rizières. En parallèle à cette cartographie altitudinale de la hiérarchie fonctionnait une division cosmologique de l’espace de vie dans lequel les points cardinaux sont associés à des valeurs positives ou négatives. Par exemple, la partie Est de la capitale était associée au pouvoir sacré des ancêtres royaux et l’Ouest aux choses considérées comme impures et profanes (Andrianaivoarivony 1998). Ainsi, les clans de nobles se sont vus attribuer les terres à l’Est du palais alors que les roturiers et les esclaves se trouvaient au Sud et à l’Ouest (Fournet-Guérin 2004 :4). A bien des égards, cet aménagement hiérarchique de l’espace urbain s’applique encore de nos jours : la distinction entre haute ville et basse ville correspond à des différences de classe sociale, de richesse, d’infrastructures et d’influence politique.

Comme la haute ville est considérée comme le domaine des familles de la classe supérieure établies de longue date et que le prix de la terre et du logement y est élevé, c’est dans la basse ville que la majorité des migrants qui viennent à Antananarivo s’établissent. C’est là une tendance générale des colonies migratoires dans les hautes terres malgaches : traditionnellement, les propriétaires des terres (tompontany) occupent le sommet de la colline du territoire d’implantation originel. tout nouveau-venu (vahiny) que la population

La basse ville vue de la haute ville

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autochtone autorise à s’établir se voit accorder des terres en contrebas du village principal. Le territoire d’implantation d’Antananarivo reflète cette distinction et pour de nombreux résidents de la haute ville, toute personne vivant dans la basse ville est de facto un nouveau-venu même si sa famille y réside depuis plusieurs générations (Fournet-Guérin 2004).

La haute ville regroupe tous les quartiers qui se trouvent le long de la crête qui forme l’épine dorsale de la ville en forme de Y. Dans ses zones supérieures se trouvent les quartiers de résidence originels de la bourgeoisie merina et bon nombre des belles maisons de briques à balcons de bois ont été transmises au sein de familles de descendance noble. Le palais royal lui-même se trouve tout au haut de la ville et est visible pratiquement de tous les quartiers de la basse ville. Le palais du dix-neuvième siècle du premier ministre Rainilaiarivony se dresse tout près. Les quartiers tels que Faravohitra, appréciés par les missionnaires du dix-neuvième siècle pour l’air frais et leur éloignement des marais paludiques du fond de la vallée, restent attrayants et cossus. La plupart des maisons y ont l’eau courante et l’électricité. La haute ville s’étend également jusqu’au quartier administratif et d’affaires d’Antaninarenina où le palais présidentiel actuel d’Ambohitsorohitra, anciennement résidence du gouverneur colonial, se trouve. Pour ces raisons, la haute ville est considérée comme l’Antananarivo historique, foyer des descendants des familles fondatrices de la ville et siège originel et naturel du pouvoir.

Par contraste, la basse ville est la zone de la nouvelle ville surpeuplée qui s’élargit. Cette partie d’Antananarivo est bâtie à la lisière de la plaine rizicole marécageuse de Betsimitatatra. De ce fait, pendant la saison des pluies, les quartiers le plus pauvres sont sujets aux inondations provenant des canaux qui irriguent les rizières au sein de la ville. Certaines parties de la basse ville, tels que le quartier des 67 hectares, ont été construites par l’Etat dans le cadre de projets de logement et sont approvisionnés en eau et en électricité. Certains quartiers sont les vestiges urbains d’anciens villages. Cependant, une grande partie de la basse ville est composée de l’étalement chaotique de constructions sans permis. Dans ces quartiers, les infrastructures sont limitées et l’hygiène publique est sous la menace du surpeuplement et du manque de services

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d’eau et d’assainissement. C’est dans ces quartiers pauvres qu’en général les immigrants vers Antananarivo s’établissent. C’est la raison pour laquelle la recherche s’est concentrée sur la basse ville.

Cette partie de la ville abrite également une population importante de descendants d’anciens esclaves dont le faible statut social et économique les rend particulièrement vulnérables à la pauvreté urbaine. Malgré l’abolition de l’esclavage par le gouvernement colonial français en 1896, ce groupe a été vulnérable de toute l’histoire parce qu’il n’a jamais possédé de terre. Sur toutes les zones rurales des hautes terres, les membres de ce groupe ont gagné leur vie depuis l’abolition en étant métayers ou en travaillant pour un salaire dans les champs de leurs anciens maîtres. Ceci n’est pas possible à Antananarivo parce que les rizières qui donnaient du travail aux gens ont été asséchés puis aménagés en zone constructible à mesure que la ville s’est développée. Ainsi, au cours du dernier siècle, cette caste d’anciens esclaves s’est transformée de serfs ruraux en prolétariat urbain. Elle est fortement représentée parmi les pauvres en milieu urbain.

La basse ville est la zone de la capitale qui s’est étendue le plus rapidement au cours du dernier siècle. Au-début du vingtième siècle, la population était

Des enfants jouant à côté du canal qui traverse le fokontany d’Antetezanfoavoany. Durant la saison de pluie, cet égout à ciel ouvert inonde les maisons avoisinantes

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d’environs 50 000 mais devait atteindre les 200 000 à l’indépendance en 1960 (Ramamonjisoa 1998 :113). Au début du siècle, la capitale était en proie à des épidémies de paludisme et de grippe mais une politique de santé urbaine de plus en plus proactive devait bientôt aboutir à une baisse du taux de mortalité et une augmentation du taux de natalité (Ralaikoa & Rainibe 1998 : 104). L’autre facteur de croissance démographique était la migration rurale-urbaine pour le commerce, la prise de poste en tant que fonctionnaire et l’enseignement.

La croissance de la capitale a obligé l’administration coloniale à apporter des améliorations majeures aux infrastructures de la ville. Entre autres projets, un grand drain souterrain a été construit, les principaux escaliers et routes reliant la ville haute et la ville basse ont été construits et des tunnels routiers ont été creusés à travers les collines pour relier la ville aux quartiers périphériques. Les réalisations ont été moindres dans les quartiers ouest à expansion rapide tels qu’Isotry, un quartier coincé entre la ligne de chemin de fer et le canal Andriantany et envahi par des migrants servants les marchés du centre d’Antananarivo tout proche et les magasins de stockage érigés près de la ligne de chemin de fer. La construction du quartier d’Ampefiloha et de 67 hectares dans le cadre de programmes de logement dans l’ère post-indépendance a apporté un certain degré d’ordre dans la lente avancée de la basse ville vers l’Est mais la tendance prédominante est la construction de manière désordonnée sur un marécage mal drainé.

En 2005, la population d’Antananarivo avait atteint le million, avec une densité moyenne de 12 000 habitants au kilomètre carré, à comparer avec une densité rurale de 30 personnes au kilomètre carré (Waltisperger 2005  :44). Depuis le début des années 1970, Madagascar a été régulièrement en proie à des crises politiques et économiques, causant une chute de 45% du PNB entre 1971 et 1995 (USAID 2002). Selon les statistiques 2005 de la Banque Mondiale, le RNB est de 290 USD et 68,7% de la population vit dans la pauvreté (Banque Mondiale, Evers 2006). Le taux de pauvreté urbaine est de 52% contre 77% pour la population rurale (USAID/Evers 2002) mais ces chiffres, naturellement, ne révèlent pas le fossé encore plus large entre les riches et les pauvres qui est évident à Antananarivo, pas plus qu’ils n’indiquent la nature différente de la pauvreté rurale et urbaine et les problèmes correspondants ainsi que les degrés de vulnérabilité associés avec chacun de ces types de pauvreté.

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1. La migration à Madagascar : aperçu général

Madagascar a un long historique de migration. Pendant des siècles, les gens ont migré pour faire du commerce, à cause de bouleversement climatique, de mécontentement politique, d’expansion impériale, de conflit ou pour le travail et la subsistance (Deschamps 1959).

Le pays a connu un large éventail de mouvements migratoires dans la période contemporaine. Les plaines volcaniques de l’Ouest reçoivent un grand nombre de migrants à la recherche de terres agricoles meilleures que celles qu’ils trouvent chez eux dans le Sud aride ou les hautes terres surpeuplées. Les activités minières à l’échelle industrielle et la recherche de pierres semi-précieuses créent des populations de mélange ethnique sur toute l’île. La migration agricole saisonnière attire les paysans vers les plaines rizicoles d’Ambatondrazaka et de Betsiboka. La dévastation causée par les cyclones amène les gens de la côte Est à se déplacer temporairement, pratiquement chaque année.

La migration rurale-urbaine fait partie de cette tendance plus générale de mouvements au niveau national. Elle s’est particulièrement accentuée depuis le début de l’ère coloniale.

Il y a autant de raisons de migrer que de migrants. Néanmoins, il est quand même possible de distinguer les tendances dans le raisonnement que les migrants avancent pour expliquer et justifier leur décision de migrer. Ce faisant, il est important de ne pas supposer (à l’encontre de ce que la théorie économique néoclassique a tendance à faire) que les décisions des migrants sont simplement basées à l’exclusivité sur la poursuite de leur commodité personnelle via la maximisation économique.

Une perspective sociologique plus large prend en compte l’éventail de contraintes qui agissent sur la rationalité individuelle. Cela veut dire que si les migrants peuvent avoir des motivations personnelles à migrer, les décisions rationnelles qu’ils prennent sont basées sur – et sont influencées par – des considérations sociales telles que les obligations envers la famille, les

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questions de prestige et de valeur sociale. Ces facteurs peuvent avoir un effet d’incitation ou de frein à la migration – ou les deux à la fois. Par exemple, dans certains contextes sociaux, la migration peut être considérée comme signe de prestige alors que dans d’autres elle peut être perçue comme source de honte.

Il n’est pas toujours aisé de discerner de quelles manières le contexte social façonne, sert ou contraint les motivations des migrants. Les gens ne sont pas toujours disposés à admettre les circonstances sociales dans lesquelles leur migration s’est produite. Cela pourrait être le cas des personnes qui ont migré à cause de disputes familiales. De plus, les gens n’arrivent pas toujours à définir clairement pourquoi ils ont migré ou du moins ils peuvent trouver que les raisons sont difficiles à verbaliser. Ils peuvent aussi parler en termes de projets personnels en ignorant les structures et les mécanismes de soutien social qui leur ont permis de se recaser. De même, ils peuvent être influencés – à leur insu, par un ensemble de facteurs sociaux et culturels tels qu’une tradition locale ou familiale de migration qui a contribué à leur décision de migrer et a facilité le processus migratoire.

La société malgache a été façonnée par une propension à la migration et au mouvement, autant en groupes qu’individuellement. Les raisons que les migrants avancent pour expliquer leur migration doivent être comprises dans ce contexte culturel. Par exemple, alors qu’ils grandissent, les enfants voient des habitants de leurs villages ou des aînés partir, certains pour revenir et d’autres pour ne plus revenir. Dans tout Madagascar, il est normal pour les hommes approchant la vingtaine de quitter le foyer à la recherche de la fortune (mitady ravinahitra), habituellement en préparation du mariage. Ce fait peut prendre diverses formes en fonction de la région d’origine, de l’expertise des jeunes et des moyens économiques à leur disposition. Par exemple, chez les Betsileo du sud des hautes terres, il est courant que les jeunes hommes d’un certain niveau d’instruction travaillent en tant que petits commerçants dans le Sud et l’Ouest de l’île, alors que les moins instruits migrent vers le bassins rizicoles d’Ambatondrazaka dans les hautes terres orientales ou à Marovoay dans le Nord-Ouest. Certains Antandroy du Sud de Madagascar, arrivés à l’âge adulte, passent la première partie de cette période de leur vie à travailler en tant que tireurs de pousse-pousse dans les villes côtières alors que d’autres gagnent de l’argent en tant qu’accompagnateurs de zébus sur de longues distances. Les motivations d’une telle migration n’est pas simplement économique : il y a également un élément de défi personnel et de désir de vivre quelque chose

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de nouveau dans des régions inconnues qui est considéré comme typique des jeunes hommes malgaches (Bloch 1999). Cela pourrait être considéré comme un rite de passage qui amène les gens loin de leur terre natale avant d’y revenir pour s’établir. Le retour, cependant, n’est pas systématique  : la migration temporaire peut devenir permanente.

Il est important de prendre en compte ces facteurs personnels et culturels parce qu’ils montrent que la migration rurale-urbaine n’est pas simplement un phénomène récent attribuable uniquement aux opportunités économiques grandissantes et l’attrait de la ville ou à aux limites économiques dans la campagne. Elle s’inscrit dans le cadre d’attentes culturelles bien enracinées relatives au passage au statut de personne sociale. Néanmoins, la richesse des villes et la pauvreté des campagnes sont des facteurs indéniables et sont les raisons les plus souvent citées pour la migration rurale-urbaine. Selon les résultats de l’enquête des Nations Unies auprès des ménages (McRAM) à Antananarivo, la principale raison pour migrer vers Antananarivo à partir de zones rurales est d’abord économique (40%) puis le mariage et le désir de rejoindre sa famille (20% respectivement).

L’utilisation d’une langue commune dans tout Madagascar (quoique avec différents dialectes) est sans doute le produit de ce long historique de mouvements. C’est également un facteur qui encourage la migration et facilite l’intégration. La prévalence dans toute l’île de l’idée de «  terre ancestrale  » (tanindrazana) témoigne de l’importance d’un lieu fixe ou d’origine pour des personnes accoutumées au mouvement. L’appartenance à un lieu particulier marqué par la présence des ancêtres offre une assurance psychologique à des migrants qui quittent le foyer, peut-être pour des années. Cette assurance est rehaussée par la quasi-certitude qu’à leur mort ils seront enterrés dans le tombeau ancestral.

2.

De nombreux migrants des hautes terres citent deux éléments de la pauvreté rurale en tant que causes de la migration :  le manque de terres et la faible

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fertilité des sols. La culture intensive du riz qui caractérisent une grande partie du haut plateau de Madagascar a résulté en de très fortes densité de population (Raison 1984(2) : 380). Comme la terre est généralement héritée à parts égales au sein des fratries, il suffit de quelques générations pour qu’une étendue de terre autre fois suffisante pour subvenir aux besoins d’une famille sur toute l’année devienne si morcelée qu’elle suffit à peine pour quelques mois. La migration peut constituer un moyen pour atténuer ce problème, les partants laissant souvent leurs terres à la disposition des membres de la famille restants. Cependant, en général, ils reviennent à la période de récolte pour demander une part de la production agricole.

Le problème de sols peu fertiles ne touche pas l’ensemble des hautes terres  : certaines zones jouissent de sols volcaniques riches. Cependant, dans les régions où le sol n’est pas naturellement fertile, les paysans sont obligés d’utiliser des engrais pour accroître le rendement. Au moment de la rédaction de ce rapport, un kilogramme d’engrais chimique coûte 2 000 ariary (0,88USD), soit un peu plus que le salaire journalier d’un ouvrier agricole, un

Agriculture intensive près de Fandriana dans le Sud des Hauts Plateaux

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prix hors de portée de la plupart des petits paysans. Si le fumier est meilleur pour le sol, il exige de posséder du bétail, ce que seuls les paysans riches peuvent se permettre. Les migrants ruraux-urbains investissent souvent leurs salaires dans le bétail qui garde et gagne en valeur tout en ayant l’avantage supplémentaire de fournir de l’engrais.

Il est dans la nature des villes de s’étendre sur la campagne avoisinante. Les terres dans la périphérie semi-rurale d’Antananarivo gagnent en valeur à mesure que la demande de terrains constructibles augmente. De nombreux propriétaires fonciers constatent à présent que les revenus agricoles qu’ils tirent de leurs terres sont inférieurs à ce qu’ils gagneraient en cédant les terrains à des promoteurs immobiliers. Ceci conduit au déplacement de la population rurale, dont un grand nombre sont des locataires ou des métayers qui perdent leur moyen de subsistance une fois que la terre est vendue. Notre recherche a trouvé de nombreuses personnes démunies vivant dans les rues de la capitale qui se sont trouvées dépossédées de cette manière. Cette situation est décrite en détail dans la troisième Partie.

Les deux principales causes climatiques de la migration rurale-urbaine à Madagascar sont les cyclones et la sécheresse. Les cyclones frappent les côtes de l’île chaque année (en particulier la côte est) de janvier à mars, ravageant les récoltes et endommageant les habitations. Chaque année, le quartier d’Ampasanimalo dans l’Arrondissement II d’Antananarivo reçoit un flux important de migrants venant du Sud-Est. La plupart de ces migrants habitent avec les membres de la famille dans la capitale et travaillent dans le secteur non officiel, mais selon les dire locaux, ils ne restent que quelques mois jusqu’à ce que la situation dans leur région d’origine se stabilise.

Les migrants fuyant la sécheresse proviennent essentiellement du Sud. Cette année (2010), il y a eu une forte augmentation de jeunes hommes antandroy venus pour vendre les journaux dans les rues d’Antananarivo. Il a été très difficile d’obtenir des informations fiables sur la durée de séjour prévue de ces personnes.

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Si la pauvreté rurale et le bouleversement climatique peuvent avoir un effet qui pousse les gens à la migration rurale urbaine, il y a aussi dans la vie à Antananarivo des éléments importants qui ont un effet d’attraction sur les populations rurales. Parmi ces facteurs importants, il y a le large éventail d’opportunités économiques disponibles en ville par opposition à la dépendance quasi-exclusive à l’agriculture. Bon nombre de ces opportunités se trouvent dans le secteur informel : le commerce de rue, la main d’œuvre occasionnelle, le portage, la lessive, la domesticité, la mendicité et la prostitution sont autant de stratégies de génération de revenus que les migrants apprécient et qu’ils ne trouvent pas en milieu rural. Les migrants peuvent s’engager dans plusieurs de ces activités à la fois étant donné que la diversification des revenus est cruciale dans des circonstances d’instabilité économique. Le terme « opérateur économique » est maintenant couramment utilisé comme moyen délibérément vague pour décrire les différentes stratégies économiques des gens travaillant dans le secteur informel. Le secteur formel présente aussi des opportunités mais celles-ci tendent à n’être accessibles qu’aux migrants ayant un niveau d’instruction élevé et/ou une tradition familiale ou régionale dans certains postes. Par exemple, les Betsileo du nord sont fortement représentés parmi les fonctionnaires et les migrants du Sud-Est rejoignent souvent l’armée et les services de sécurité.

La maison d’un riche marchand de tissus construite sur son terrain ancestral près d’Andramasina

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L’opportunité sociale la plus souvent citée par les migrants comme raison pour venir à Antananarivo est la scolarité de leurs enfants. De manière générale, il est perçu que l’enseignement est de meilleure qualité dans la capitale par rapport aux provinces, ce qui peut expliquer la décision de nombreux migrants d’amener leurs épouses et leurs enfants vivre avec eux dans la ville. Par ailleurs, certains migrants disent que le but de leur migration est de payer la scolarisation dans leur région d’origine. Cependant, il est improbable que les personnes choisissent de migrer uniquement pour donner une meilleure instruction à leurs enfants. L’instruction peut être un élément dans un ensemble d’avantages à tirer de la migration, mais il est difficile de vérifier s’il s’agit d’un facteur principal de motivation.

Que les services d’enseignement soient meilleurs ou non dans la ville, il est intéressant de noter qu’il est généralement perçu que la ville offre des opportunités de développement personnel et social dans le sens le plus large. Un pasteur en milieu urbain responsable d’un centre qui forme les jeunes femmes à acquérir des compétences pratiques en vue de gagner leurs vies a affirmé que la migration est une valeur positive pour les jeunes en milieu rural qui veulent suivre la mode urbaine et recherchent un rythme de vie plus rapide. Un chauffeur de Sambava dans la vingtaine, sans emploi depuis son arrivée à Antananarivo il y a un an de cela, a dit qu’il était dans la ville pour apprendre la vie : « Chez nous [Sambava], vous faites tout le temps la même chose et la seule expérience que vous avez, c’est l’agriculture. Il n’y a rien à faire sinon regarder la forêt à longueur de journée. Ici, vous pouvez développez votre esprit. »

3.

La position géographique de la capitale au centre de l’île facilite la migration de toutes les parties du pays, créant une population migrante très mélangée. Même si la majorité des migrants proviennent des hautes terres autour de la capitale, il n’y a pas moins des populations importantes provenant des provinces et de la côte. Bon nombre de ces personnes viennent à Antananarivo pour étudier à l’université au départ puis finissent par rester. Les migrants de certains groupes ethniques semblent préférer certains emplois en particulier. Par exemple, les gens du Sud-Est sont fortement représentés dans les forces de sécurité. Les hommes Antandroy ont une tradition de gardiens dans la capitale quoiqu’à présent ils soient de plus en plus impliqués dans le

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commerce de métaux de récupération et un nouveau flux de jeunes gens soit impliqué dans la vente de journaux. De nombreux Betsileo instruits du sud des hautes terres se spécialisent dans le travail de bureau. Les migrants des hautes terres centrales autour d’Antananarivo dominent le commerce de gros de produits agricoles.

D’origines géographiques diverses, les migrants différent également par la durée de leur séjour dans la capitale et peuvent être répartis en migrants à long terme, à court terme et saisonniers. Les migrants à long terme regroupent de nombreux travailleurs de bureau, les anciens étudiants qui restent après leurs études ainsi que les soldats et les fonctionnaires. Les migrants à court terme sont des personnes qui fuient temporairement les cyclones et la sécheresse ainsi que ceux qui visitent la famille et les transporteurs tels que les camionneurs ou les chauffeurs de taxi-brousse. Les migrants saisonniers sont surtout des ouvriers agricoles qui viennent en ville gagner de l’argent en tant que marchands ambulants dans les rues, habituellement dans le commerce alimentaire. Ces catégories ne sont pas figées et le migrant peut passer d’une catégorie à une autre selon l’occasion ou le besoin.

On trouve des migrants à Antananarivo à tous les niveaux de la société, dans tous les milieux et dans toutes les régions. Cependant, comme un grand nombre proviennent de milieux ruraux pauvres, ils tendent à être concentrés dans les quartiers pauvres de la capitale. Ils sont confrontés quotidiennement aux difficultés et au stress d’une vie dans des zones où l’accès à l’assainissement à l’eau et à un logement sécurisé est limité et où l’exposition à la pauvreté, à la maladie et au crime est forte. Cependant, ces problèmes ne concernent pas uniquement les migrants : de nombreux résidents établis d’Antananarivo vivent dans des conditions semblables. Parmi ses principaux résultats, l’étude a trouvé que la pauvreté et la vulnérabilité en milieu urbain ne sont pas nécessairement fonction ou caractéristique du fait d’être migrant  : il y a de nombreux migrants qui prospèrent à Antananarivo et il y a de nombreux natifs de la capitale qui n’y prospèrent pas. Dans les deux cas, ceux qui sont les moins vulnérables sont ceux qui peuvent avoir recours aux réseaux familiaux de soutien. Pour de nombreux migrants récents, ces réseaux s’étendent à leur lieu d’origine et sont cruciaux à leur installation et leur prospérité dans la capitale.

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Les preuves collectées au cours de cette recherche montrent que la caractéristique principale de la migration rurale-urbaine à Madagascar est l’utilisation que les migrants font de leurs relations familiales. C’est là le plus grand facteur qui permet la migration et qui réduit la vulnérabilité à l’arrivée. En fait, on pourrait même dire qu’il s’agit là d’une condition préalable à la migration  : nous n’avons trouvé que très peu de migrants qui sont venus à Antananarivo sans réseaux familiaux de soutien.

Comme deuxième caractéristique importante, il y a l’existence diverses formes d’associations de migrants, fondées habituellement sur une origine et une ethnicité communes. Plutôt qu’un moyen de départ par lequel les gens arrivent à Antananarivo (ce qui est le cas des réseaux familiaux), ces associations ont tendance à offrir un soutien aux migrants une fois qu’ils sont établis. Elles opèrent à un niveau politique plus large que les réseaux familiaux.

Le troisième facteur important est en rapport avec les deux précédents. Il s’agit de la relation avec un lieu d’origine particulier connu en tant que terre ancestrale (tanindrazana). L’aptitude à exploiter ces liens d’un point de vue économique et social est essentielle à la réussite de la migration.

tous ces facteurs témoignent de l’importance de l’appartenance à des réseaux et de la mise en place de tels réseaux. Les diverses formes qu’ils prennent sont décrites ci-après.

1.

Il existe une stratégie bien définie commune aux migrants venant à Antananarivo  : exploiter les relations familiales. Les familles malgaches sont grandes en général et il existe une éthique bien marquée de solidarité familiale – généralement respectée. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tensions ou de ruptures mais il est clair que les migrants avec les plus grands réseaux de relations familiales sont ceux qui sont les moins

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vulnérables et qui peuvent le mieux réussir. En rapport avec ce recours à la famille élargie en tant que ressources pour la migration, l’accent est mis sur une relation permanente avec le lieu d’origine et utilisation est faite de cette relation. Cette relation, qui est maintenue de diverses manières pratiques et symboliques, ne va pas sans problématique comme nous allons le voir. Mais en général, notre recherche montre que les liens économiques et culturels avec la terre ancestrale offrent aux migrants des stratégies économiques, sociales et psychologiques pour la survie en milieu urbain, stratégies dont ne disposent pas ceux qui ont perdu cette relation.

Le premier point où les relations familiales sont utiles pour le migrant est son arrivée dans la ville. La très grande majorité de nos informateurs ont indiqué que leur premier logement a été auprès de membres de la famille basés en ville. La durée de leur séjour dépend de facteurs tels que le fait de trouver du travail, le nombre de personnes partageant le logement et l’intention du migrant d’amener sa famille le rejoindre en ville.

Les familles basées en ville sont également une ressource pour les migrants dans la mesure où elles les aident à trouver un emploi. De nombreuses familles se spécialisent dans certaines professions, introduisent les membres de la famille dans les affaires et leur offrent l’occasion d’apprentissage. Par exemple, le monde de l’alimentation et de la restauration à Antananarivo tend à être dominé par des familles provenant des hautes terres centrales jusqu’au sud de la capitale. Notre recherche a montré qu’à mesure que les affaires familiales s’élargissent, elles puisent dans la famille pour supplémenter la force de travail. Souvent, à la question de savoir pourquoi ils exercent un métier en particulier, les migrants ont répondu qu’ils sont entrés directement dans les affaires d’un grand frère, des beaux-parents ou d’un autre membre de la famille élargie. Il est beaucoup plus facile pour le migrant de suivre cette voie que de trouver des réseaux commerciaux (lalam-barotra) indépendamment.

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Raniry et son mari Naivo sont venus à Antananarivo, il y a cinq ans et gagnent leur vie respectivement à partir du charbon et des pommes de terre. Naivo a un frère qui a un camion et qui apporte des pommes de terre de leur région d’origine près de Faratsiho. Naivo vend environ une tonne de pommes de terre par semaine sur le grand marché d’Anosibe. Raniry achète le charbon des grossistes dans les périphéries de la ville. Elle a établi des relations de confiance avec son fournisseur, et elle le paie seulement une fois qu’elle a vendu le charbon. Selon la qualité du charbon, elle réalise un bénéfice entre 1000 et 2000 Ariary ($US 0.4-0.8) par sac, et vend en moyenne 20 sacs par jour. Ils louent la petite parcelle de terrain sur laquelle Raniry vend le charbon et vivent dans une petite cabane perchée sur des échasses dans la poussière de la cour. Ils ont l’électricité et une télévision mais leur eau vient du robinet communal au coût de 10 Ariary par seau. Leur attachement avec leur lieu d’origine et leur famille reste très fort. Leur enfant aîné vit avec ses grands parents et va toujours à l’école dans leur village d’origine. Il est clair que l’appui prolongé du réseau familial et la coopération économique sont un facteur très important dans leur prospérité familiale.

Il est généralement attendu des familles urbaines bien établies de soutenir et d’héberger les membres de la famille qui viennent en ville. Comme le dit un migrant du Sud-Ouest, « il n’y a pas d’université là d’où ma famille vient. En tant que l’aîné des frères, je me sens obligé de les prendre avec moi, sinon ils ne pourraient pas étudier. » Etant donné la forte rhétorique malgache sur l’amour familial (fitiavan-kavana), il n’est pas surprenant que ne pas offrir ce soutien soit perçu de manière très négative. Cependant, l’ampleur et la durée du soutien font toujours l’objet de négociations et nos enquêtes ont montré que les familles hôtes sentent le poids de cette responsabilité. Comme l’a confié un migrant à long terme d’Antsiranana, « nous n’avons pas beaucoup d’argent dans notre famille parce que nous aidons trop les autres membres de la famille. » Il a raconté l’histoire d’un ami qui a quitté Antananarivo parce qu’il n’était pas capable financièrement de soutenir le nombre de parents qui se sont joints à lui à sa femme : le seul prix du riz quotidien était déjà excessif.

Cela semble un cas extrême, quoique les récriminations occasionnelles sur les difficultés à héberger des parents contrebalancent la rhétorique positive.

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A long terme, les gens se rendent compte que ce soutien fonctionne sur un principe de réciprocité généralisée  : en d’autres termes, les hôtes urbains qui hébergent les nouveau-venus de la campagne ont été dans le temps eux-mêmes migrants à la recherche d’un logement et le fait qu’ils aient été reçus avec générosité influe sans aucun doute sur leur disposition (ou leur sens de l’obligation) à héberger une famille en retour.

La présence de familles basées en ville n’offre pas seulement un soutien d’ordre pratique aux migrants. Elle joue un autre rôle essentiel dans la mesure où elle facilite l’intégration sociale et psychologique. Il était particulièrement remarquable que très peu de migrants aient mentionné des problèmes d’aliénation ou de solitude dans leur nouvel environnement urbain. Ils ont plutôt mentionné des problèmes d’adaptation assez superficiels tels que la forte densité de population, un dialecte peu familier et la peur de voleurs. La plupart ont affirmé avoir surmonté ces difficultés dans un délai de trois mois. Le fait est, selon eux, qu’on s’habitue vite à un nouvel endroit. Comme le dit le proverbe malgache, « ny tany ipetrahana no mahazatra » - on finit par s’adapter au lieu où on vit.

La présence de la famille est derrière cette aisance d’adaptation psychologique. L’intégration n’est pas réellement un problème pour les migrants ayant une famille urbaine parce qu’ils sont déjà intégrés à cette unité avant même leur arrivée. C’est le fait d’être déjà intégré à une famille qui a permis la migration au départ. Il est facile pour le migrant d’avoir un sentiment d’appartenance quand des personnes par rapport auxquelles il a ce sentiment d’appartenance sont déjà dans la ville. Avec de la famille dans la ville, la ville devient vite comme chez soi. Ce sont les migrants qui n’ont pas cette ressource humaine élémentaire qui sont les plus vulnérables aux pressions psychologiques et sociales de la migration.

L’un des contextes de migration dans lequel l’isolement est fréquent et aboutit souvent à des difficultés est celui des domestiques. Il s’agit en général de jeunes femmes pauvres du milieu rural qui ne sont pas apparentées à la famille chez qui elles travaillent. Certaines viennent de familles pauvres du village d’origine de leurs employeurs  ; d’autres trouvent du travail auprès d’étrangers par le biais d’une agence. C’est ce dernier groupe qui tend à être particulièrement vulnérable. Notre recherche a montré que les migrantes les plus pauvres et les plus vulnérables à Antananarivo (comprenant les

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prostituées, les ramasseuses d’ordures et les mendiantes) sont celles qui ont affirmé avoir été employées comme domestiques. Elles ont mentionné de mauvais traitements de la part de leurs employeurs, le non paiement de leurs salaires et l’impossibilité de revenir chez elles comme étant les principales raisons pour quitter le travail. Certaines affirment avoir été jetées à la rue. Il est bien sûr impossible de vérifier ces déclarations, et les conditions d’emploi et le traitement varient énormément entre employeurs. De ce fait, et compte tenu de la vulnérabilité potentielle du groupe, il est vraiment nécessaire de pousser la recherche sur la relation entre les origines des domestiques, leur vécu dans le travail et leur vie après leur emploi.

L’importance du soutien mutuel en tant que stratégie de migration va au-delà du cercle de la famille proche. Cela est particulièrement évident parmi les commerçants. Le cas d’un grossiste de produits secs provenant de toliara et travaillant dans le marché d’Anosibe illustre bien comment les réseaux élargis

Un marchand de grains secs de Mahafaly et son aide au marché de gros d’Anosibe

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ont été un élément indissociable de sa réussite commerciale. Ses produits viennent de partout à travers le pays : haricot blanc de Mahajanga, maïs de Morondava, manioc de tsiroanomandidy. Bien qu’il soit d’origine mahafaly, sa femme est une Betsileo de Sandrandahy, une région qui exporte un grand nombre de migrants vers les zones agricoles du nord et de l’ouest de l’île. Les relations familiales de la femme du marchand et l’identité ethnique qu’elle partage avec les migrants agricoles betsileo lui donnent accès à un réseau élargi essentiel à la réussite de ses affaires. Bien qu’un grand nombre des fournisseurs avec lesquels sa femme traitent ne soient pas des parents à l’origine, le marchand affirme qu’avec les contacts d’affaires, ils sont devenus comme des parents, tel étant le degré de confiance mutuelle qui s’est créée au cours des années de commerce. C’est là une caractéristique importante du fonctionnement des réseaux : plus le réseau d’une personne est étendu, plus elle a la capacité d’y attirer des personnes et plus ce réseau s’élargit rapidement.

Ce fait est aussi clairement illustré par le fonctionnement des grossistes de fruits et de légumes de la région du Vakinanakaratra. De leur base à Antananarivo, ces marchands sont en contact étroit et régulier avec un réseau

La terre fertile autour d’Antsirabe fournit une grande partie de production agricole consommée à Antananarivo

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de producteurs qui produisent divers produits saisonniers dans cette partie fertile des hautes terres centrales, à une journée de camion de la capitale. Les producteurs se regroupent en de petites coopératives villageoises pour partager le coût de transport de leurs marchandises à Antananarivo. Une fois que les camions ont livré les produits agricoles aux commerçants du marché de gros à Anosibe, ils sont rechargés avec des biens de consommation à vendre dans la région rurale.

Cet exemple montre clairement comment le commerce des marchands migrants basés en ville dépend des réseaux de leurs parents en milieu rural. Sans ces réseaux, ils ne pourraient prospérer à Antananarivo. Dans ce cas, en s’installant à Antananarivo, les migrants ne s’appuient pas seulement sur leurs parents basés en ville mais également sur ceux qui sont restés au village. C’est en mettant à profit les ressources humaines dans leur région d’origine qu’ils peuvent prospérer dans la ville. En opposition à ce que l’on voit dans les autres régions des hautes terres où la faible fertilité des sols poussent les gens vers la ville, dans le cas du Vakinankaratra, c’est la forte productivité des sols qui est à l’origine de la migration rurale-urbaine. Ce commerce créée une situation de bi-localité pour les familles dont la force repose sur la double résidence de leurs membres et le cycle de commerce entre les deux localités.

L’existence d’associations de migrants est un autre facteur important dans la création de réseau de soutien. Ces associations opèrent à différent niveau : au niveau le plus général se trouvent les associations de personnes d’un même groupe ethnique ou d’une même région  ; au niveau plus local, il existe des associations de personnes appartenant à un groupe fondé sur un tombeau ou même un groupe fondé sur une fratrie expatriée.

A Antananarivo, les dix-huit ethnies reconnues ont leurs associations de migrants. Elles opèrent selon des principes similaires mais leurs activités peuvent être conçues en fonction des besoins spécifiques des groupes parmi les membres, tel le cas des étudiants décrit ci-après. On pourrait prendre l’association des migrants antandroy comme exemple typique d’une association fondée sur l’appartenance ethnique. Elle organise des manifestations sociales pour lever des fonds pour des projets dans le Sud et pour le soutien mutuel en

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ville. Ces manifestations comprennent les danses antandroy traditionnelles (avec une troupe qui s’y consacre) et les dégustations de plats antandroy tels que le varanga. Les associations peuvent aussi fonctionner pour arranger et réguler les mariages entre membres. L’un des éléments du mariage est le paiement de la dot. Dans le Sud, la dot prendra la forme de bétail, mais dans la ville, la somme est réglée en espèces au taux actuel de 1 million ariary par tête (444 USD). En plus du mariage, l’un des événements sociaux que l’association prend en charge est le décès, en particulier en ce qui concerne le rapatriement du corps. C’est l’une des plus grosses dépenses qu’une famille migrante aura à encourir étant donné que le frais de taxi-brousse pour un corps est le double de celui d’un passager vivant. Les membres de l’association paient une cotisation mensuelle pour couvrir les dépenses en cas de décès de l’un de ces membres. En général, les cotisations sont de 1 000 ariary (0,44USD) par mois.

Les associations d’étudiants existent parce que les étudiants migrants ont des besoins spécifiques dus à leurs faibles revenus et le problème particulier du logement. Ces associations tendent à se fonder sur la ville d’origine plutôt que les groupes ethniques (par exemple, AEFA  : Association des Etudiants venant de Farafangana ou FIMPIAFA  : Fikambanan’ny Mpianatra avy any Fandriana). L’objectif principal de ces groupes est d’assurer l’hébergement de leurs membres dans un contexte de grande rareté. Les causes de cette rareté sont exposées à la Quatrième Partie. Les associations détiennent des blocs de chambres dans les cités universitaires et s’assurent qu’elles sont transférées entre membres après les départs. Sans cette assistance, les étudiants pourraient se retrouver forcés à prendre des logements surfacturés et en-dessous des normes et pourraient souffrir d’isolement par rapport à leurs pairs et leurs compatriotes dans un cadre urbain qui leur est étranger. Les associations d’étudiants ont joué un rôle majeur dans les années 1970, persuadant le gouvernement d’autoriser les étudiants à acheter des appartements parmi les logements publics construits dans le quartier des 67 hectares. Si cette mesure a servi les intérêts des étudiants à l’époque, sur le long terme, elle a réduit le nombre de logements réservés aux étudiants dans la capitale. En deuxième lieu, les associations financent le rapatriement de corps comme décrit ci-dessus. Les cotisations (obligatoirement faibles pour les étudiants) sont supplémentées par des manifestations de levée de fonds

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telles que la vente de gâteaux, les dîners dansant, etc. Le troisième objectif principal des associations d’étudiants est d’offrir un soutien aux membres à travers des cours privés ou des programmes d’apprentissage entre pairs. Ce soutien est vital compte tenu du contexte de sureffectifs dans les cours universitaires et l’inaccessibilité résultante du personnel académique.

Le tombeau ancestral situé sur la terre ancestrale (tanindrazana) est un point de référence essentiel pour l’identité des Malgaches. Cela apparaît nettement à travers le volume d’activité rituelle et sociale qui gravitent autour du tombeau et l’importance accordée au rapatriement du corps même pour des gens qui ont vécu des années durant loin de la terre ancestrale ou qui n’y ont pas du tout vécu. Selon certains avis, cette connaissance du lieu où l’on va être enterré, cette certitude d’un lieu fixe à la mort libèrent les Malgaches et leur permettent de mener des vies coulantes et itinérantes (Bloch 1971).

Les associations de migrants fondés sur la descendance d’un ancêtre commun n’ont pas nécessairement une structure formelle ou même des cotisations fixes. Elles fonctionnent plutôt pour créer une idée d’origine commune et d’identité partagée. Le facteur unifiant est un certain tombeau ou même un ancêtre au nom connu (ce qui revient au même dans bien de cas étant donné que les ancêtres importants donnent leurs noms aux tombeaux) par rapport à qui les membres peuvent démontrer leur descendance. Comme la descendance suit à la fois la patrilinéaire et matrilinéaire, et que de toute évidence les personnes descendent de plus d’un ancêtre, il y a énormément de liberté et de souplesse quant au groupe de descendance à laquelle une personne appartient. En effet, il est possible d’appartenir à plusieurs groupes à la fois.

Les avantages évidents à tirer de la force du nombre amène les gens à se grouper autour d’ancêtres influents et prolifiques. Le groupe de descendance de Ramaro (pseudonyme) illustre ce fait. Ramaro est né aux environs de 1885 dans la région de Fianarantsoa et a travaillé comme inspecteur pédagogique. Il a eu treize enfants de trois femmes. L’association des descendants de Ramaro a actuellement plus de 100 membres à Antananarivo, pour la plupart trois ou quatre générations après l’ancêtre fondateur. Le petit-fils de Ramaro (le fils aîné de son fils aîné) tient un poste gouvernemental important et il est facile de voir les avantages à tirer d’une relation avec une telle personne. Mais la

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vraie force du groupe de descendants ne réside pas tant dans la relations à des personnes mais dans le réseau de famille élargie qu’il offre. Les membres ne sont pas nécessairement des gens que l’on rencontre tous les jours mais ils sont là et une relation commune peut être invoquée au besoin. Ces réseaux fonctionnent au niveau conceptuel en favorisant un sens solide de l’identité sociale ainsi qu’au niveau pratique en aidant les gens à trouver un logement, un emploi ou même un(e) bon(ne) conjoint(e).

2.

Si les associations fondées sur la lignée opèrent en milieu urbain, c’est bien leur origine rurale qui leur donne leur cohésion. La recherche a clairement révélé que même les migrants bien établis en ville continuent à entretenir des relations étroites avec leur lieu d’origine, en particulier quand ils sont des migrants de première génération. Ils disposent de différentes stratégies pour entretenir cette relation, les principales étant : la possession de terrains agricoles ; la participation à l’entretien du tombeau et aux rituels funéraires ; et la visite de la famille basée à la campagne. Bien évidemment, ces stratégies se chevauchent dans la pratique, mais leur dénominateur commun est qu’elles véhiculent l’idée que les gens continuent à appartenir à un endroit spécifique même après avoir cessé d’y habiter. Cette idée est maintenue par la présence physique des ancêtres enterrés dans les tombeaux. Naturellement, il existe des différences régionales quant au choix de ces stratégies, mais dans tous les cas, la relation entre les terrains agricoles, les personnes en vie et les ancêtres défunts crée un contexte de dynamique sociale qui peut représenter une ressource exploitable, aussi bien qu’une contrainte pour les migrants. Néanmoins, les opportunités associées à l’entretien de la relation avec la «  terre ancestrale » l’emportent généralement sur les contraintes qu’il peut présenter. Les avantages offerts par ces relations deviennent particulièrement évidents, quand on considère le cas des migrants dont ces relations sont faibles, réduites ou à peine existantes.

Le fait de posséder des terrains agricoles dans son lieu d’origine est une ressource essentielle. La majorité des migrants d’origine libre des hautes terres sont propriétaires (ou détiennent le droit de cultiver) d’au moins une petite parcelle de terrain, qui comprend habituellement des rizières. Le fait

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que ce terrain ne suffit plus à assurer la subsistance est un des motifs les plus courants de migration. On l’utilise de différentes manières pour de différentes raisons.

Les migrants possédant des terres dans leur village d’origine ne les laissent pas en friche. Ils s’arrangent pour que des membres de la famille résidant dans le village ou des métayers ou encore des ouvriers salariés les cultivent. Dans les deux premiers cas, les propriétaires ont droit à une partie de la récolte. C’est pour négocier ce partage et percevoir leur part que les migrants se rendent de manière saisonnière à leur village d’origine. La participation au processus agricole (même de manière indirecte, par le paiement du salaire des ouvriers) ne constitue pas seulement un moyen de s’assurer une réserve supplémentaire de nourriture. Elle sert également à marquer leur engagement envers les terres familiales et leur présence sur celles-ci, choses qui sont extrêmement importantes pour plusieurs raisons. Premièrement, plusieurs migrants urbains souhaitent revenir à leur village d’origine à la retraite (ou en cas de chômage). En leur absence, les souvenirs s’effacent rapidement et les papiers du cadastre disparaissent. Il est donc essentiel qu’ils maintiennent leur droit à ces terres en s’impliquant de manière pratique dans leur gestion.

Dans certains cas, cette participation au processus agricole est pour eux une stratégie économique de secours. toutefois, pour beaucoup de migrants issus d’endroits situés à environ une journée de voyage de la capitale, elle fait partie intégrante de leur stratégie de subsistance, allant de pair avec leur migration. De nombreux paysans de la région infertile d’Andramasina, à environ trois heures de taxi-brousse d’Antananarivo, passent la saison de culture et de la récolte à la campagne et quittent pour travailler comme marchands ambulants, quand la demande en main-d’œuvre agricole diminue. Ces migrants, impliqués dans ce mouvement de va-et-vient, sont pour la plupart des hommes qui trouvent ensemble de l’hébergement auprès d’originaires de leur village à Antananarivo. L’intermittence de leur présence dans la capitale signifie qu’ils sont rarement accompagnés de Un migrant qui vend du maïs et de haricot en

bicyclette se repose dans sa maison/magasin

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leur épouse et de leurs enfants. Ceci finit parfois en l’abandon des épouses et des enfants qui restent à la campagne.

toutefois, quand l’homme garde des contacts réguliers avec sa famille, la migration peut s’avérer une stratégie de diversification des revenus très efficace. Elle met à profit la solidarité régionale, et la fluidité et la diversité de la génération des revenus fait qu’elle résiste aux revers économiques et agricoles. Cette stratégie cause néanmoins un certain problème administratif en ce qui concerne les permis de résidence. Ce problème est décrit en détails dans la Quatrième partie.

M. Katsaka (litteralement M.Maïs) est chef d’un groupe de vendeurs ambulants vivant dans la zone d’Antetezanfoavoany. Ils partagent une origine rurale commune dans la région d’Antsirabe. Ils sont environ 20 hommes qui partagent le logement, qu’ils ont trouvé par la bouche à oreille parmi des contacts familiaux. Ils vendent des haricots, du maïs, des pommes de terre, des oignons et tout autre produit de leur région d’origine. « Mes enfants sont à la maison dans le village et vont à l’école. Je ne veux pas qu’ils effectuent le même travail que moi. Je veux qu’ils aient un meilleur futur. » Parfois les commerçants restent une semaine, parfois jusqu’à trois mois. Leurs épouses et enfants ne viennent jamais en ville, mais M. Katsaka indique que lui et ses collègues rentrent tous régulièrement à la maison pour moissonner les récoltes, gardent le bétail et construisent des maisons. « De toute façon, vivre en ville consomme vite votre argent, et vous fatiguez facilement. Rien ne peut remplacer la terre des ancêtres. »

La fréquence à laquelle les migrants rendent visite à leur famille à la campagne varie considérablement. Elle est fonction de leurs revenus, de la distance, de leur envie de le faire, de l’intimité des liens familiaux et de la durée de leur séjour à Antananarivo. Les cérémonies funéraires (famadihana) sont l’une des raisons principales pour lesquelles les migrants des hautes terres se rendent à la campagne. L’importance de ces cérémonies est décrite ci-après.

Le fait que leurs parents et des membres de leur fratrie résident encore au village est la raison principale pour laquelle les migrants de première génération y retournent en visite. Ces visites constituent pour eux l’occasion

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d’entretenir des liens affectifs qui pourraient autrement affaiblir. Les migrants de première génération dont les enfants ont grandi en ville tiennent particulièrement à ce que ces enfants développent des liens émotionnels et pratiques avec leurs terres ancestrales et y envoient souvent leurs enfants en vacances seuls. Il arrive même que les parents migrants envoient leurs enfants vivre dans leur village d’origine pour permettre aux deux conjoints de travailler. De nombreux migrants ont évoqué la valeur positive des opportunités que ces visites offrent aux enfants, en ce qu’elles leur permettent de renouer et d’entretenir la relation avec leurs cousins de la campagne, le dialecte régional et les coutumes locales. La réalité, toutefois, est que la vie urbaine que les enfants de migrants mènent fait de la campagne un environnement peu familier avec lequel ils ont peu de chances de développer un lien profond et intime. Comparés à leurs parents, les migrants de deuxième génération entretiennent des contacts et une intimité nettement plus restreints avec leurs terres ancestrales.

Razafy tient un poste dans un fokontany dans la ville basse qui loge un nombre élevé de migrants, en particulier des régions côtières. Il est de la région d’Antsiranana dans le nord de Madagascar et son épouse est de la région de toliara dans le sud. « Il est important de ne pas perdre le contact avec la famille d’origine et pour enseigner aux enfants [qui étaient nés à Antananarivo] les us et coutumes de notre région, » dit-il. Pourtant il parvient seulement à revenir à la maison qu’une fois tous les deux ans, comme le coût de transport vers le nord est trop élevé. Le contact avec la famille de son épouse dans le sud est plus facile car son épouse a des fratries riches à Antananarivo. Ils descendent fréquemment dans le sud en 4x4, en prenant les enfants de Razafy avec eux pour passer des vacances avec leurs grands parents maternels qui tuent un boeuf et donnent une partie pour eux.

Les migrants urbains se plaignent fréquemment de ce que leur famille à la campagne leur demande de l’argent et des présents. Certains vont jusqu’à dire que cela constitue une des plus grosses dépenses lors des visites de leur lieu d’origine et que le problème consiste à définir les limites de ce qu’on va donner en termes de quantité et déterminer qui seront les destinataires, étant donné que des membres éloignés de la famille peuvent invoquer la parenté comme moyen de s’assurer un cadeau. Les attentes des parents à la

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campagne peuvent également être irréalistes. Ainsi que s’est plaint un migrant de Vangaindrano, «  ils ne sont pas conscients des réalités de nos vies. Ils s’imaginent que nous roulons sur l’or parce que nous vivons à Antananarivo. Ils n’ont aucune idée de la dureté de la vie que nous menons dans cette ville ».

Mais ce même migrant faisait également preuve de pragmatisme concernant la relation à long terme que de tels présents pouvaient développer, soutenant que les bonnes actions à l’endroit de sa famille à la campagne étaient un moyen de préparer le triste jour où il mourrait et dépendrait de sa famille pour son enterrement. « Si je ne les aide pas maintenant que je suis en vie, dit-il, pourquoi est-ce qu’ils m’aideraient quand je serai mort ? » Le souci d’être enterré correctement et d’être bien traité dans l’au-delà est très répandu à Madagascar dans la mesure où c’est là le moyen de devenir un ancêtre vénéré et respecté. Les migrants s’en préoccupent plus vivement du fait qu’ils passent leur vie loin du tombeau ancestral.

Les Malgaches sont célèbres pour l’importance qu’ils accordent à la nécessité de bien traiter les ancêtres. Les cérémonies funéraires pour lesquelles les hautes terres de Madagascar sont célèbres (exhumation des ancêtres, changement du linceul, puis remise au tombeau) sont l’évènement central de la vénération des ancêtres. De prime abord, ce rite pourrait paraître comme un retour en arrière, en ce qu’il est effectué en l’honneur de ceux qui ne sont plus de ce monde et par là, rassemble les gens autour d’un passé commun. Ceci est, certes, vrai, mais sous d’autres aspects, ce rite est aussi une façon de se projeter dans l’avenir. Le but des cérémonies funéraires est de solliciter la bénédiction des ancêtres sur les vivants, sous la forme de la prospérité et de la progéniture. Par ailleurs, en prenant soin de leurs propres ancêtres, les personnes effectuant la cérémonie enseignent également à leurs enfants à prendre soin de ceux qui sont dans l’au-delà. S’ils ne prennent pas soins de leurs ancêtres, ils ne peuvent pas s’attendre à ce que leur progéniture s’occupe d’eux. Pour ces raisons, les rites ancestraux se rapportent en somme autant au présent et au futur qu’au passé.

Nous avons déjà vu comment les organisations de groupes de personnes d’origine commune basés en ville entretiennent une identité sociale collective pour les migrants à Antananarivo. La force collective découle non seulement d’un engagement commun envers les autres membres, mais aussi envers le

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lieu où ces membres seront enterrés un jour. La construction et l’entretien des tombeaux et l’organisation des cérémonies exigent un degré de coopération qui renforce la cohésion au sein du groupe. Le fait que les gens sont les descendants d’un certain nombre d’ancêtres et peuvent donc choisir à quel groupe ils souhaitent appartenir, vient compliquer les choses. Le choix d’adhérer à un groupe de lignée particulier implique par conséquent des décisions délicates et personnelles, quant aux parents vivants et défunts, auxquels une personne souhaite vouer allégeance et engagement. Ceci explique clairement que le tombeau rassemble (et dans l’idéal résout) une diversité de facettes d’identité personnelle et collective. L’idée et la réalité d’un endroit spécifique, à savoir la terre des ancêtres, d’où l’on vient où l’on reviendra, se trouvent au cœur de tout ceci. Pour définir son identité et avoir une idée de ce que son avenir sera, le migrant se doit d’appartenir à un groupe de descendants et d’être propriétaire de terres dans son point d’origine.

Ainsi, le lien qui unit le migrant à la terre de ses ancêtres est à la fois économique, social et symbolique. C’est une ressource dans laquelle il peut puiser pour s’assurer un soutien pratique et moral. Plutôt que de se réduire à l’endroit que l’on a quitté, la terre de ses ancêtres devient un élément essentiel du processus continu de migration.

Au cours de la recherche, il est clairement apparu que la majorité des migrants étaient des personnes jouissant d’un certain niveau de ressources sous la forme de famille, d’argent et de terres. Il était plus rare que ceux à qui ces ressources faisaient défaut migrent et dans le cas où ils le faisaient, ils devenaient des migrants extrêmement vulnérables. Ceci ne signifie pas nécessairement que les migrants pourvus de ces ressources disposent de beaucoup de moyens : en réalité, bon nombre d’entre eux vivent en-dessous du seuil de pauvreté. En revanche, ils sont dotés du minimum de ressources nécessaire pour leur permettre de vivre la vie d’un migrant et en général, de veiller à ce que la migration leur offre de plus amples opportunités au lieu de les réduire.

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Les réseaux familiaux, les terres ancestrales et les tombeaux constituent les ressources économiques, sociales et psychologiques fondamentales des migrants. Ces ressources étant interdépendantes, la dégradation ou la perte d’un de ces éléments aura un effet délétère sur les autres. L’absence, la perte ou l’amoindrissement d’une ou de l’ensemble de ces trois ressources fondamentales est à la base de la vulnérabilité des migrants, comme en témoigne si clairement la situation des migrants ayant perdu leurs terres, ou n’ayant jamais eu accès à la propriété foncière. Les descendants d’esclaves (mpanompo) appartiennent largement à cette catégorie. Leur situation résulte de plusieurs facteurs historiques et contemporains interreliés.

1.

Les descendants d’esclaves font partie des groupes qui ont longtemps été privés du droit à la propriété foncière. On en trouve dans de nombreuses régions de l’île, notamment dans les hautes terres. Leurs aïeuls ont été réduits à l’esclavage après avoir été fait prisonniers dans le cadre des guerres expansionnistes de l’empire merina, au cours des xVIIIème et xIxème siècles. Capturés et vendus, ils ont perdu tout contact avec leurs terres ancestrales. Vendus dans les marchés des hautes terres, ils ont été achetés par des propriétaires fonciers d’ascendance libre, pour travailler en tant que serfs dans les rizières. L’abolition de l’esclavage par le gouvernement colonial français en 1896 n’a pas apporté de changement majeur dans le système d’exploitation des terres au niveau des hautes terres, en ce que les classes libres sont restées propriétaires des terres à défaut d’être restées propriétaires des esclaves. Bon nombre des propriétaires fonciers ont migré vers la ville où leur avantage social les a aidés à trouver des postes influents dans l’administration, les forces armées ou le secteur privé. Les descendants d’esclaves sont quant à eux restés à la campagne, où ils cultivent les rizières des propriétaires absents sous un système de métayage, lesquels propriétaires ont gardé les titres fonciers. Ce système de métayage a été maintenu à ce jour, un tiers de la récolte revenant au propriétaire en général. Le désavantage économique associé à la non-possession de terres est évident.

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Le faible statut social des esclaves et de leurs descendants se mesure à leur marginalisation rituelle. Contrairement aux personnes d’origine libre, ils ne peuvent se réclamer d’une lignée précise remontant jusqu’à un ancêtre apical. Ceci implique, que même s’ils effectuent des rituels de vénération envers les membres défunts de leur famille, ils ne disposent d’aucune organisation plus large basée sur l’ascendance et l’origine. En général, la généalogie des personnes d’origine servile est très superficielle, ne remontant parfois pas au-delà de la génération de leurs parents. De ce fait, leurs cérémonies funéraires consistent en la simple vénération d’ancêtres récemment décédés et non en la célébration d’une identité ancestrale commune. En d’autres termes, elles ne voient que la participation de la famille immédiate et non celle d’un groupe de famille élargie. Par ailleurs, les personnes d’origine servile disposent rarement des ressources financières nécessaires pour tenir de grandes cérémonies. tous ces facteurs vont à l’encontre du développement d’une identité sociale basée sur un passé commun, auquel les personnes d’origine libre accordent une si grande importance.

Ces facteurs sont aggravés par le fait que l’on considère comme extrêmement honteux d’être d’origine servile. Ce n’est un sujet qu’on aborde couramment et il est rare que les gens soient prêts à l’admettre. Dans une certaine mesure toutefois, le problème réside moins dans le fait d’être d’origine servile que dans le fait de ne pas avoir d’origine reconnue et cohérente dans une société où une telle origine ouvre la voie au soutien et à l’influence. Les personnes sans tombeau, sans terres ancestrales, sans historique familial sont dépourvues des ressources sociales et économiques de base, ce qui en fait des migrants extrêmement vulnérables.

On retrouve ces migrants dans les deux contextes de migration rurale-urbaine décrits ci-après. Ces contextes concernent généralement, mais pas exclusivement, les descendants d’esclaves, pour les raisons décrites ci-dessus.

2.

De nombreuses familles bourgeoises dépendent de leurs domestiques pour effectuer les tâches ménagères au sein de leur foyer. Ces domestiques sont fréquemment des enfants ou des adolescents issus de familles rurales pauvres. Parfois, ils viennent du même lieu d’origine rural que leur employeur. Ce lien commun et cette relation préexistante peuvent être à la base d’une bonne relation contractuelle. toutefois, de nombreux domestiques sont recrutés par

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le biais d’agences et doivent donc travailler chez des étrangers. La recherche a révélé que les domestiques employés par des étrangers sont d’une plus grande vulnérabilité que ceux employés par des connaissances. Nous avons interviewé plusieurs domestiques en exercice et anciens domestiques et beaucoup d’entre eux ont déclaré être ou avoir été extrêmement mécontents de leur emploi et de leurs conditions de travail. Ils étaient tous issus de familles pauvres et sont généralement devenus domestiques parce que leur famille n’avait plus les moyens de les entretenir. Il est d’usage que la famille du domestique vienne réclamer son salaire directement auprès de l’employeur et il est par conséquent possible que celui-ci n’ait aucun accès à des ressources financières. Cela nous a frappés que, parmi les personnes vivant dans une pauvreté urbaine extrême que nous avons interviewées, un grand nombre aient déclaré avoir travaillé comme domestique et avoir quitté cet emploi en raison du non-paiement du salaire. Sachant qu’ils vulnérabilité. étaient déjà issus de milieux vulnérables, il serait difficile de prétendre que c’est leur emploi qui est la cause profonde de leur pauvreté. Néanmoins, il est possible qu’il ait accentué leur vulnérabilité.

Fara vit dans une petite maison en toit plastique. Le lit est un panneau placé sur un tas de bouteilles en plastique aplaties. Elle gagne sa vie en vendant des articles qu’elle trouve dans les ordures : videz les boîtes de boissons, les seringues utilisées, les bras et les jambes de la poupée et bien d’autres articles. Elle a quitté sa maison dans la province de Fianarantsoa pour travailler en tant que domestique pour une famille à Itaosy, Antananarivo. « J’ai détesté le travail, » dit-elle, « je dois tout le temps nettoyer l’excrément des chiens de mon patron, et chaque samedi de dois les laver. L’agence m’avait promis 60.000 Ariary par mois mais mon patron m’a donné seulement la moitié. Quand j’ai quitté, ils me devaient toujours l’argent. » Après qu’elle soit partie, elle a dormi sur le marché d’Isotry, puis dans une tente à Anosizato. Elle est venue pour vivre dans sa hutte courante à côté de la ligne ferroviaire hors d’usage après le décès de son enfant de deux mois.

La profession de domestique présente certaines caractéristiques structurales qui aggravent la vulnérabilité et l’isolement. Les heures de travail sont souvent longues et de nombreux domestiques sont tenus de travailler tous les jours de

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la semaine, ce qui peut considérablement restreindre leurs réseaux familiaux et sociaux. Ils peuvent se retrouver dans l’impossibilité d’effectuer des visites familiales à la campagne, en raison des contraintes de temps et d’argent. Les jeunes peuvent se voir privés de l’opportunité d’aller à l’école en raison des longues heures de travail. Ne faisant pas partie de la famille, de nombreux domestiques sont tenus de prendre leurs repas à l’écart. Cette activité est stigmatisée à Madagascar, en ce qu’elle constitue une preuve par excellence d’aliénation sociale.

Un homme sans domicile dans la vingtaine nous a raconté comment il est entré en service à l’âge de onze ans, parce que sa mère est décédée et que son père n’avait pas les moyens de le garder. Il a travaillé pendant trois ans mais a été renvoyé parce qu’il n’arrêtait pas de casser les assiettes, selon lui. S’il est possible que le motif de renvoi évoqué par son employeur soit différent, le résultat n’en a pas moins été qu’il s’est retrouvé sans domicile à l’âge de quatorze ans. «  J’ai fait de mon mieux, a-t-il dit, pour rester à l’écart des problèmes et des gangs mais la vie est très difficile ». Il vit à présent sous un abri en plastic, à proximité d’une décharge à ordures, avec son fils de deux ans.

3.

Un des résultats essentiels et significatifs que cette recherche a mis en évidence est qu’une forte proportion des migrants les plus vulnérables et à moindres ressources vivant à Antananarivo sont issus de la périphérie semi-rurale de la capitale. Ils migrent vers la ville après avoir perdu les terrains de culture qui assuraient autrefois leur subsistance et celle de leur famille.

Cette perte de terrains est due à l’urbanisation galopante. Au cours des quelques dernières années, on a assisté à un boum de la construction dans la périphérie de la ville, en raison du manque de logement dans le centre-ville, notamment pour les cols blancs de la classe moyenne. Ceci a bouleversé l’affectation des sols et l’aspect du paysage. Ainsi, on peut trouver un paysage typique de la périphérie d’Antananarivo, dans les environs du village d’Andoharanofotsy, à huit kilomètres du centre-ville. D’imposantes résidences entourées de hauts murs apparaissent sur les versants des collines où quelques années de cela, les vaches paissaient. On y assèche les rizières, construit des routes et creuse des puits. Les demeures en terre et en chaume des gens qui ont cultivé ces

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terres pendant des années s’effacent derrière les murs en béton et les toits en métal de leurs nouveaux voisins.

Une femme, qui vit encore dans une petite maison de campagne et cultive un petit lopin de terre, a indiqué que ses voisins s’en étaient allés après avoir vendu leurs terres à des promoteurs immobiliers. Elle a d’abord déclaré que le terrain sur lequel elle vit appartenait à des membres de sa famille. toutefois, quand nous lui avons demandé de préciser de quels membres il s’agissait et si elle pouvait être sûre qu’ils ne vendraient pas le terrain, elle a répondu ne pas savoir exactement de qui il s’agissait. Ce manque de précision est probablement dû au fait qu’elle ne souhaitait pas révéler que ni elle, ni sa famille n’était propriétaire du terrain, ce qui aurait clairement indiqué son statut de descendant d’esclave. Cela aurait également équivalu à admettre, face à nous et face à elle-même, la précarité de son avenir dans l’endroit où elle avait passé toute sa vie.

Un voisin a confirmé que cette femme faisait partie d’un petit groupe de descendants d’esclaves qui continue à cultiver les rizières ancestrales du

Des nouvelles maisons érigées sur les terres agricoles dans le sud périphérique d’Antananarivo

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propriétaire sous un système de métayage ou de fermage. Les titres sont avec la famille du propriétaire éparpillée à travers la ville. Il semblerait qu’il y ait litige au sujet de la propriété du terrain au sein de la famille, probablement en raison de l’escalade de la valeur du terrain suite au boum immobilier. Cette valeur dépasse de très loin les revenus relativement maigres générés par les occupants actuels dans le cadre du système de fermage et/ou de métayage.

Rasoa est une veuve d’une cinquantaine d’années avec quatre grands enfants. Un de ses fils travaille sur un chantier de construction près de sa maison. Graduellement la terre qu’elle a cultivé toute sa vie disparaît autour d’elle. « Les derniers champs ont été juste vendus et ils construisent une grande église. Avant que mon mari décède, son patron a promis de nous donner une parcelle de terrain de terre sur laquelle notre maison est bâtie. Il n’est jamais revenu sur son mot parce qu’il l’a promis devant mon mari. » Après que le tombeau de la famille de Rasoa ait été déplacé a cause de la construction de bâtiment elle a réalisé qu’elle ne pouvait plus trouver le corps de son défunt mari. Elle pleure quand elle pense à ceci.

La vente des terres arables à des fins de construction n’affecte pas seulement les descendants d’esclave. Les paysans pauvres d’origine libre, vivant à proximité de la capitale peuvent également y perdre leurs terres. Les propriétaires se décident généralement à vendre quand le terrain devient trop petit pour subvenir aux besoins d’une famille, après moult morcellements sur des générations d’héritiers. Ceci est caractéristique de la culture intensive du riz. Un homme d’Ankazobe, situé à 12 kilomètres d’Antananarivo, nous a raconté que son grand-père a vendu une parcelle, qui à sa mort aurait été partagée entre ses douze héritiers, aux promoteurs immobiliers. Aux dires de cet homme, son grand-père aurait ensuite utilisé l’argent pour son propre compte, ce qui explique que déshérité, il se retrouvait maintenant sans abri, à la rue.

En perdant leurs terres, ces gens perdent également le lieu symbolique de leur identité familiale, à savoir leur tombeau ancestral. Il arrive que le nouveau propriétaire leur demande de retirer les dépouilles de leurs ancêtres avant qu’il n’occupe le terrain. C’est parfois difficile et onéreux de trouver un nouveau site pour ré-ensevelir les corps et si la famille n’y parvient pas,

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il est fréquent que les liens avec les ancêtres se dissolvent. C’est une des raisons pour lesquelles les personnes marginalisées et sans abri n’évoquent habituellement l’emplacement de leur tombeau familial qu’en termes très vagues. S’ils ne peuvent se réclamer de lignées précises, les descendants d’esclaves ont quand même des tombeaux qu’ils vénèrent en raison des liens affectifs qui les attachent à leurs propres ancêtres. Mais en raison du peu d’identité sociale investi dans le tombeau et de leur capital financier et social très limité, ils sont au risque de perdre contact avec le tombeau à la vente du terrain. En fait, la femme à qui nous avons parlé à Andoharanofotsy nous a indiqué que le tombeau de sa famille a été détruit au cours de la construction d’une route desservant les nouvelles grandes résidences.

Les terrains agricoles ne sont pas uniquement vendus et acquis à des fins de logement. L’expansion de l’infrastructure urbaine empiète également sur l’environnement rural et provoque des déplacements. Une femme vivant actuellement dans un abri en sachet plastic, le long du canal de l’Ikopa, dans le centre d’Antananarivo a déclaré que son terrain a été réquisitionné par

Un petit garçon qui vend des objets usés devant sa maison construite avec des plastiques

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l’Etat pour la construction d’une nouvelle bretelle au sud de la ville, près de tanjombato. Selon elle, bon nombre des ménages déplacés se trouvent dans une situation semblable à la sienne. « Ils vous diront, dit-elle, qu’ils n’ont reçu aucune compensation. Mais ne les croyez pas. Ils ont reçu une compensation et moi aussi. Mais j’ai tout dépensé. L’argent, ça ne mène pas loin. »

Ceci est un véritable problème pour les gens qui perdent leurs terres. S’ils les vendent ou reçoivent une compensation financière pour celles-ci, ils n’accordent pas la même valeur à l’argent et le dépensent bien vite. En toute logique, beaucoup se tournent vers la ville pour survivre, gagnant leur vie à partir des tâches les plus ingrates, en fouillant les ordures et en mendiant.

Ces personnes vulnérables sont des migrants, bien qu’elles soient issues des environs immédiats d’Antananarivo. Ils représentent une proportion significative des pauvres urbains et il est probable que cela a toujours été le cas. La ville d’Antananarivo n’a cessé de se développer au cours du siècle dernier et les projets de construction et d’infrastructure se sont continuellement étendus au détriment des terrains agricoles. Même la circonscription d’Analakely, au cœur même de la ville, était autrefois une étendue de rizières, jusqu’au jour où elle a fait l’objet d’assainissement, de remblaiement, de revêtement et de construction. Il est probable que les personnes déplacées alors se sont retrouvées dans une position très vulnérable, contraintes à se débattre pour gagner leur vie dans la ville en expansion. telle est l’histoire des pauvres d’Antananarivo. Ils sont, en quelque sorte, des migrants invisibles, en ce qu’ils ont toujours fait partie du paysage urbain en expansion. Il serait plus exact de dire que la ville est venue à eux plutôt qu’ils ne sont allés à elle.

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1.

Bon nombre des défis associés à l’environnement et aux infrastructures d’Antananarivo sont dus à l’accroissement de la densité de population. Il est à noter que cet accroissement n’est pas uniquement imputable à la migration rurale-urbaine, vu que la ville présente également un taux élevé de croissance démographique endogène. toutefois, cette croissance endogène est en partie attribuable aux générations précédentes de migrants dont les enfants ont vu le jour en ville. Ainsi, une migrante, qui a quitté Miaranavaratra dans les années 1960 avec son mari, a maintenant dix enfants qui vivent dans la capitale. Ces natifs d’Antananarivo ont à présent leurs propres enfants. Les statistiques permettraient de déterminer s’il s’agit là d’une tendance démographique typique.

Au vu de la complexité et du chevauchement de la croissance démographique endogène et exogène, une certaine prudence est de mise quant à l’attribution éventuelle des pressions infrastructurelles aux migrants. Si les trois cas décrits ci-après semblent être étroitement liés aux mouvements migratoires, les phénomènes démographiques et infrastructurelles préexistants dans la ville les rendent plus complexes.

L’Université d’Antananarivo, située à Ankatso dans les banlieues de l’Est, est la plus grande université de Madagascar et attire des étudiants des quatre coins de l’île. Si d’autres villes sont dotées d’une université, la réputation et la diversité des cursus disponibles au campus d’Ankatso en font la destination la plus prisée en termes académiques. A part cela, la possibilité pour les étudiants de vivre et par la suite, de rester dans la capitale, ajoute à la popularité de cette université. Pendant la IIème République, la cité universitaire a été agrandie par la construction de logements réservés à l’usage estudiantin, tels que la cité des 67 Hectares. toutefois, depuis les années 1990 les logements universitaires construits à cette fin spécifique se sont avérés insuffisants pour accueillir la population estudiantine en croissance.

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Dans les années 1970 et 1980, cédant à la pression d’étudiants résidant dans la circonscription des 67 Hectares, l’Etat a permis aux locataires d’acheter leurs appartements. Les étudiants des régions côtières étaient particulièrement désireux d’acquérir un pied-à-terre dans la ville. Ce transfert de propriété a, entre autres, eu pour effet de transformer des étudiants temporaires et de passage issus des provinces de Madagascar en des citoyens administrativement intégrés de la capitale, avec leur épouse et leur famille élargie. Selon le président actuel du fokontany de 67 Hectares Nord, c’est ce transfert de propriété qui est à la base de la première grande vague d’implantation de côtiers dans la ville.

Comme on pouvait s’y attendre, cette politique a réduit le parc de logement estudiantin disponible à Antananarivo. Les anciens étudiants des provinces sont restés dans la ville pour poursuivre leurs activités et ce faisant, ils ont subdivisé leurs appartements pour les louer à des locataires multiples ou pour héberger de la famille des provinces. Ceci a provoqué une hausse des loyers ainsi qu’une augmentation de la pression sur les services d’eau et d’assainissement et l’environnement urbain en général.

Parallèlement, une pression intense pèse sur les logements réservés à l’usage estudiantin dans les quartiers d’Ambohipo et Ankatso. Ceci est principalement dû au fait que les étudiants rechignent à quitter les logements universitaires une fois leurs études terminées. Nombre d’entre eux ont monté de petites affaires dans leur logement pour compléter leur bourse universitaire et sont peu disposés à abandonner leurs locaux commerciaux. D’autres changent de filière pour conserver le droit à un logement universitaire. Ces pressions sur le logement universitaire ont conduit à une vague de construction de logements illicites dans les environs du campus universitaire.

Si les constructions illicites sont monnaie courante à Antananarivo, nous avons choisi ce cas précis en raison de son lien évident avec une population particulière de migrants, à savoir le personnel de sécurité de l’Etat (militaires, gendarmes, officiers de police et pénitenciers), généralement issu des provinces.

Un certain secteur, situé sur le versant d’une colline du fokontany d’Ampasanimalo, est le siège d’une caserne militaire, d’un centre de formation des forces armées et d’une prison. Un nombre élevé des personnes travaillant dans ces établissements ne sont pas originaires d’Antananarivo et souhaitant

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vivre à proximité de leur lieu de travail, ils ont construit des résidences sur les terrains inoccupés des environs.

Nous avons visité une maison illicite construite dans les années 1980 par un officier de police originaire de Fianarantsoa. Sa maison figure parmi la longue rangée de maisons illicites bordant la route pavée allant de la prison aux casernes. Il est encore en train d’agrandir sa maison et en loue une partie à des employés de la prison. Selon lui, le terrain était inoccupé quand lui et ses camarades ont commencé à construire. Ils ne subissent pas de pression visant à les faire quitter les lieux de la part des autorités. Même s’il est aujourd’hui à la retraite, il compte continuer à vivre là, au lieu de retourner à Fianarantsoa.

Ces maisons ayant été construites sans autorisation, elles ne sont pas branchées aux égouts ni à aucun réseau d’approvisionnement en eau, exerçant une pression sur les infrastructures existante et causant des problèmes sanitaires. Les résidents de la rue s’approvisionnent en eau à partir d’un puits situé au bas de la colline mais ils comptent sur les caniveaux de la rue pour évacuer les eaux d’égouts qui s’écoulent dans les rivières, au bas du flanc de la colline. Les canaux suffisent à peine à évacuer les eaux de pluie, encore moins les effluents supplémentaires. Il est possible que cette eau sale s’écoule dans les champs de cresson au fond de la vallée.

Il est clair que la pression infrastructurelle mentionnée ci-dessus donne lieu à un risque sanitaire. Les autorités n’ont toutefois pas réagi. Ceci peut être attribué au manque de pouvoir ou de moyens, mais peut-être aussi au fait que les propriétaires de ce pâté de logements illicites sont tous des employés de l’Etat. Il serait difficile pour les autorités d’expulser leurs propres militaires et gendarmes de ce terrain.

Le manque de fiabilité du système d’enregistrement des migrants est l’une des raisons qui rendent difficile l’évaluation de l’impact infrastructurel et environnemental des migrants. Au moment où ils quittent leur lieu de résidence d’origine, les migrants sont tenus de retirer auprès du fokontany un document qu’ils présenteront aux autorités locales d’Antananarivo. Notre recherche a montré que ce système est peu usité, des deux côtés. Par exemple, le nombre de nouveaux migrants relevé par certains fokontany d’Antananarivo au cours des derniers mois est incroyablement faible.

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Cela sortait du cadre de notre étude d’étudier en détails les raisons de l’échec de ce système. toutefois, le système ne semble pas être adapté à la nature extrêmement fluide de la migration rurale-urbaine.

Il est clair que de nombreux migrants considèrent leur présence dans la capitale comme temporaire. Ceci s’applique particulièrement aux migrants impliqués dans le commerce de denrées alimentaires à travers l’île. Etant donné que ces migrants font commerce avec des personnes de leur lieu d’origine et que ce commerce exige d’eux qu’ils y retournent fréquemment, bon nombre d’entre eux ne considèrent pas Antananarivo comme leur lieu de résidence permanent, même s’ils y passent le plus clair de leur temps. Un camionneur originaire de tsiroanomandidy effectue des voyages fréquents mais irréguliers à destination ou en provenance d’Antananarivo, emmenant parfois sa femme et son enfant rendre visite à de la famille en ville. La durée de son séjour dépend du temps qu’il prend pour remplir son camion de marchandises, ce qui peut prendre jusqu’à une semaine. Il peut passer jusqu’à vingt jours par mois en ville, mais n’a jamais pris la peine de s’enregistrer auprès du fokontany d’Anosibe.

A en croire l’adjoint au chef d’un arrondissement, les fonctionnaires déménageant à Antananarivo signalent leur arrivée aux autorités, mais ils fournissent rarement des papiers sur les membres de leur famille élargie qui font généralement du va-et-vient. Ce même fonctionnaire s’est plaint que de nombreux migrants des zones rurales n’avaient pas de papiers d’identité, rendant leur enregistrement impossible. A part cela, même ceux pourvus de papiers d’identité omettent souvent de se faire enregistrer parce qu’ils ne sont pas au courant de la procédure civique administrative de base. Enfin, il est possible que le fait de vivre dans des logements illicites contribue à dissuader de nombreux migrants à s’enregistrer auprès de l’administration.

2.

Les migrants développent et renforcent des réseaux, ce qui constitue indéniablement une contribution positive à la cohésion sociale. toutefois, n’étant pas les seuls à développer des réseaux, il est difficile d’établir avec précision l’importance de leur contribution. En fait, la véritable question est de savoir si les réseaux de migrants fonctionnent de manière à rivaliser avec les membres des autres groupes, voire à les exclure. Les résultats de la recherche indiquent en général que les réseaux de migrants contribuent fortement à la coopération. Il y a peu qui porte à croire qu’ils sont à la base de conflit, même

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si de tels conflits peuvent bel et bien éclater dans certaines circonstances. Cela peut être le cas des associations à orientation ethnique dans le cadre d’évènements politiques spécifiques. Le fait qu’Antananarivo se situe dans le centre géographique de Madagascar explique, entre autres, qu’elle attire des migrants issus de groupes ethniques des quatre coins de l’île. Ces migrants ont chacun leur association de migrants. Les quartiers tels que les 67 Hectares, qui sont le foyer d’une importante population estudiantine et côtière, représentent de véritables creusets humains ou selon les mots d’une migrante à propos de son quartier : « C’est une salade composée ».

Au vu de la densité d’une population ethniquement diversifiée dans ces districts, les degrés de tension ethnique sont remarquablement faibles. Evidemment, des problèmes et des altercations dus aux différentes approches culturelles, par exemple, l’assainissement et le bruit dans le voisinage surviennent, mais ceux-ci vont rarement au-delà de leur contexte initial. Plus important, il est extrêmement rare que l’ethnicité à proprement parler soit évoquée comme point de divergence et de controverse. Les gens se plaignent du comportement des autres et non de leur appartenance ethnique. Dans de nombreux quartiers, on fait appel à des comités d’anciens résidents pour assurer la médiation dans ces cas-là.

La concurrence estudiantine pour le logement a également été identifiée comme source de tension entre les étudiants d’ethnies différentes. C’est là un des risques inhérents au système d’associations d’étudiants basées sur l’ethnie. On a cependant relevé des tensions entre des étudiants de même origine, pour les mêmes raisons. Si des tensions d’ordre ethnique existent réellement, elles se présentent plutôt de manière implicite entre les gens issus des côtes et ceux des hautes terres, notamment les Merina. Nous avons plusieurs fois entendu les premiers se plaindre que ces derniers les traitaient avec une certaine arrogance, voire du mépris. Ceci peut simplement découler des différences de point de vue quant aux attentes culturelles en termes de comportement interpersonnel. Certains informateurs se sont plaints d’avoir subi de la discrimination aussi bien lors de la demande d’emploi, que dans leur lieu de travail, mais ceci est difficile à prouver.

Un facteur important doit être pris en compte à ce propos, à savoir qu’un sentiment d’identité pan-malgache prévaut parallèlement à la diversité ethnique. Le fait,

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qu’en dépit des différences de dialecte, tous les Malgaches parlent une même langue, représente une très grosse contribution en faveur de la compréhension et de l’harmonie inter-ethnie. Une influence positive peut également découler de la prédilection des Malgaches pour les discours sur l’importance du respect mutuel (fifanajana) et de la vie commune (fiaraha-monina).

L’éventualité que les associations ethniques s’orientent vers une politique axée sur l’ethnie dans certaines circonstances existe néanmoins bel et bien. Ceci ne pose pas problème tant que l’association vise à soutenir les droits de ses membres plutôt qu’à attaquer ceux des autres. toutefois, au vu de la concurrence pour l’accès aux ressources (logement, eau, emplois) de la ville, il y a risque que la politisation ethnique s’articule autour de ces questions, alors qu’il s’agit de problèmes qui affectent l’ensemble des groupes plus ou moins également. Le cas des logements estudiantins ci-mentionné montre le potentiel d’une telle action et le danger réside dans le fait que des politiciens opportunistes pourraient se servir de la différence ethnique comme point d’entrée aux débats sur les services urbains.

On sait que les politiciens entretiennent des liens avec des groupes ethniques spécifiques vivant dans la capitale et qu’ils comptent sur les groupes de migrants pour les soutenir. Au cours de la recherche, nous avons perçu des rumeurs comme quoi une vague récente de migration en provenance du sud de l’île serait appuyée par un politicien qui souhaite apparemment utiliser ces migrants à des fins politiques. Il a été très difficile de collecter des informations fiables à ce propos. Le lien éventuel entre la manipulation politique, l’accès aux ressources et l’appartenance ethnique est un sujet sensible qui gagnerait à faire l’objet d’une recherche spécifique supplémentaire. Celle-ci devrait toutefois être effectuée dans le cadre d’une investigation plus large sur la pauvreté urbaine et les troubles politiques et sans présupposer que l’ethnicité ou la migration constituent des facteurs déterminants.

3.

Il est très difficile, dans le contexte d’un rapport qualitatif sur la migration, d’établir des données fiables sur la contribution économique effective des migrants à l’économie de la capitale. Les migrants travaillent à tous les niveaux

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de l’économie, dans le secteur formel comme informel et apportent donc tous plus ou moins une contribution. Or, c’est aussi le cas des non-migrants. On pourrait isoler leur contribution en axant la recherche sur les activités économiques où la main-d’œuvre migrante est majoritaire ou qui sont sous le contrôle des migrants ou qui dépendent des mouvements des migrants et de leurs contacts avec leur lieu d’origine.

Le commerce de produits agricoles en provenance de la région du Vakinankaratra vers les marchés de denrées alimentaires d’Antananarivo compte parmi ces activités. Ce commerce est très important en ce qu’il assure une part importante de l’approvisionnement alimentaire de la ville. Il fournit beaucoup d’emplois aux migrants et aux non-migrants en termes de transport, de portage, de sécurité d’entreposage, de distribution, de vente en gros et en détail. En même temps, il crée une pression sur les infrastructures civiques, en termes du logement et des services, dont les populations migrantes, qu’il attire dans la ville, ont besoin.

Ces migrants se trouvent en ville non pas parce que leurs terres ne suffisent pas à subvenir à leurs besoins, mais parce qu’elles sont fertiles et génèrent des surplus exportables. Ceci crée une relation économique très dynamique entre la ville et la campagne. tout en générant des activités économiques à Antananarivo, le commerce crée également des opportunités dans la région du Vakinankaratra, étant donné que les camions qui transportent les produits à Antananarivo reviennent chargés de biens de consommation à vendre dans les villes rurales et les villages.

L’implantation de zones franches à Madagascar en 1991 visait à relancer un développement économique où les exportations joueraient un rôle moteur, en permettant aux sociétés de réduire le coût de production des biens de consommation, à l’aide de mesures incitatives telles que l’exonération d’impôts.

Les ZF se sont avérées très sensibles au climat économique national et international, connaissant un essor pendant les années de stabilité politique et de croissance économique mondiale et un déclin dans le contexte de crise politique et de récession mondiale (Cling, Razafindrakoto & Roubaud 2007).

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Au moment de la rédaction du présent rapport, de nombreux employés des ZF avaient été licenciés, le secteur ayant mal réagi aux troubles politiques de 2009 et à la régression économique internationale.

Par le passé, les périodes d’expansion rapide du secteur avaient cependant favorisé des taux élevés de migration rurale-urbaine, notamment parmi les femmes. Ces migrants étaient attiré par la perspective d’un emploi salarié, même si le salaire mensuel moyen était de 34% plus faible que ceux offerts par les autres types de sociétés industrielles en 2006 (Cling, Razafindrakoto & Roubard 2007 :9). Un des traits caractéristiques de ce boom de l’emploi est qu’il a créé des opportunités pour les personnes dont le manque de ressources sociales et économiques les avait auparavant empêchés de trouver un emploi salarié. Une part importante de ces migrants était issue de la périphérie semi-rurale d’Antananarivo où les terres se trouvaient submergées par l’expansion urbaine.

Un rassemblement de femmes travailleuses de zones franches, sous la surveillance des forces de sécurité, dans l’espoir de réclamer vainement

les salaires impayés de leur ancien employeur

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2010

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Maintenant que le boum est révolu est qu’ils sont réduits au chômage, ces gens se trouvent dans une position très vulnérable. Nous avons rendu visite à un ménage à Soavimasoandro, à sept kilomètres du centre d’Antananarivo. Huit membres de ce ménage avaient récemment perdu leur emploi dans une zone franche. Ils ont déclaré n’avoir reçu ni indemnité de licenciement, ni paiement de salaire final. Comme seulement deux d’entre eux ont réussi à trouver un travail occasionnel (en tant que lavandières), la famille a dû retirer les enfants de l’école et a vendu certains des biens (assiettes, lecteur CD) qu’elle avait acquis alors que ses membres étaient employés. A présent, les enfants passent leurs journées dans les rizières à pêcher des écrevisses comestibles. Leur maison doit être une construction illicite, bâtie sur une digue au milieu de rizières qui deviennent rapidement inutilisables en raison de l’invasion de jacinthes d’eau.

Naturellement, leur contribution à l’économie a chuté de manière spectaculaire. Par exemple, au cours de leurs quatre mois de chômage, les femmes n’étaient pas allées chez le coiffeur, n’avaient pas acheté de nouveaux vêtements, ni ne s’étaient rendues dans le centre d’Antananarivo.

Ils ont la chance d’avoir une maison où habiter. La recherche a indiqué qu’un certain nombre des personnes dormant dans les rues d’Antananarivo déclarent être des licenciés de ZF. Une famille vivant dans un abri en plastic à Analakely nous a dit qu’ils se sont retrouvés sans abri parce qu’ils ne pouvaient plus se permettre de payer un loyer. Il semblerait qu’ils soient venus travailler dans une zone franche, en provenance d’Ankazobe, juste au sud d’Antananarivo, après que leur grand-mère ait vendu le terrain, qui selon, eux devait être leur héritage, à un promoteur immobilier. Ils vivent maintenant en vendant et en recyclant les ordures des dépotoirs le long des rues de la capitale.

L’aspect positif des ZF est qu’elles offrent des opportunités d’emploi à certains des migrants qui ne jouissent généralement pas des réseaux de soutien nécessaires pour obtenir un emploi salarié régulier. toutefois, ces personnes se retrouvent paradoxalement dans une position extrêmement vulnérable à la perte de leur emploi. Les résidents des 67 Hectares signalent qu’il y a eu une recrudescence de la prostitution de rue depuis le début de la crise politique et économique. Il se peut que certaines de ces femmes soient d’anciennes employées des zones franches.

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1. La recherche a montré l’extrême vulnérabilité des personnes qui perdent leurs terrains agricoles en faveur de la construction dans la périphérie d’Antananarivo. Il faudrait examiner des mesures qui permettraient aux gens qui ont exploité un terrain sur une longue durée dans ces zones sans en avoir la propriété de faire valoir des droits d’usage.

2. En supplément, il faudrait des recherches supplémentaires sur les mécanismes actuels et passés d’enregistrement et de vente de la terre. Il faudrait plus de détails sur le profil et les activités des propriétaires terriens à la fois dans les zones semi-rurales et les zones urbaines.

3. Il faudrait apporter un appui aux migrants travaillant dans les métiers vulnérables à la limite de l’économie informelle. Parmi eux figurent en premier plan les domestiques dont un grand nombre sont des enfants ou des adolescents. Beaucoup n’ont pas accès à l’éducation. La nature de leur travail fait qu’ils sont souvent isolés de leurs réseaux de parenté. Cela les rend particulièrement vulnérable à la fin de leur emploi. Il faudrait plus de recherches sur leurs conditions de vie avant, pendant et après leur emploi dans ce secteur.

4. Il faudrait traiter du problème de l’insuffisance des moyens administratifs pour recenser les migrants. Il n’est pas possible de faire un bon urbanisme et de mener des interventions de développement efficaces sur la base de chiffres qui pour l’instant sont totalement irréalistes.

5. Il faudrait une meilleure compréhension des organisations de migrants fondées sur l’ethnie à Antananarivo et de tout lien potentiel avec les troubles urbains ou la manipulation politique de l’identité ethnique.

6. Le manque terrible de logements pour les étudiants nuit à la fois à l’environnement urbain et à l’expérience d’apprentissage des étudiants. Il suscite également des conflits entre différents groupes ethniques. Il faudrait examiner des stratégies pour fournir des logements réservés aux étudiants.

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