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N 08 (Re)Génération(s) Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ? DOSSIER

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N 08

(Re)Génération(s)

Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

DOSSIER

Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

du Président

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

À travers les différents numéros de la revue en 3D, nous avons exploré de

nombreux thèmes de réflexion. Beaucoup de pistes d’actions en ont surgi,

et toutes ces actions avaient, ont, et auront comme cible finale les jeunes,

mais pas seulement les jeunes, qu’ils soient de générations X, Y ou Z. Les

entreprises sont aussi une cible finale de nos actions de valorisation de

l’enseignement professionnel, représentant la voie éducative d’insertion

durable dans la vie active. Elles les accueillent, tout d’abord, en tant que

“formatrices”, et par la suite, en tant qu’employeurs. Pour que cet accueil

et à plus long terme, l’intégration soient optimaux, il nous faut connaître et

dépasser les clichés voire les a priori que nous pourrions, même sans le

vouloir, avoir sur notre jeunesse. Depuis la nuit des temps, “c’était toujours

mieux avant !”.

Renversons cette tendance et tournons-nous réellement vers l’avenir.

Préparons les femmes et les hommes d’entreprise, toutes générations

confondues, à travailler ensemble.

Dans ce numéro 8 de la revue en 3D, nous offrons à nos lecteurs que

nous savons, plutôt, issus du monde adulte, un portrait à “grands traits”

d’une tranche de notre population située statistiquement, et quelque peu

arbitrairement entre 15 et 29 ans.

Ce portrait ne sera pas que bienveillant. Cela serait trop facile. Il sera réaliste.

Bernard CAPRON

Président d’AGEFA PME

(Re)Génération(s)

Sommaire

ÉDITORIAL du Président 7

DOSSIERCe que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ? 13

Entretien avec Bernard CAPRON, 15Président d’AGEFA PME

“Dans votre édito, vous nous présentez le sujet de notre dossier

consacré aux jeunes et à leur place dans le monde économique et

social. Vous êtes Président d’AGEFA PME depuis novembre 2011. Vis-à-

vis de ce thème, comment appréhendez-vous votre rôle ?”

Il ne faut pas désespérer des jeunes 19par Jean Claude CASTAGNEYROL

“Notre époque présente de curieux paradoxes et ceux concernant les

jeunes ne sont pas les moindres.”

Ce que nous avons toujours entendu 23et que nous ne voulons plus entendre… par Hélène CENAT

Quelques “perles” antiques ou non glanées ici et là…

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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L’ignorance en quête de savoir 27par Yves THIERRY

“On n'a jamais fini de sortir de l'ignorance. Il ne s'agit pas seulement

d'accumuler des connaissances qui viendraient combler des lacunes,

il faut aussi clarifier ce qui est en jeu dans ce processus : comment

caractériser l'ignorance? Comment celle-ci, même si elle n'est jamais

complètement réduite, peut-elle laisser place à une disposition

qui entraîne à s'en libérer? Quelle sorte de savoir est susceptible de

contribuer à cette émancipation?”

L’impact du numérique sur les pratiques 33éducatives – Les points-clés pour agirpar Roland KASTLER

“Cet environnement correspond à une “toile d’araignée”, métaphore

usuelle décrivant ce que représente l’Internet. Il correspond surtout à

une forme d’ “humanité intégrée” ; cette même humanité ayant à sa

disposition en permanence des sources d’informations diverses et

variées telle une immense bibliothèque alexandrienne.”

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage 39par Matthieu QUINIOU

“Ludiques par essence, les jeux vidéo ne pourraient permettre

l’apprentissage qu’en devenant “sérieux”. Pourtant, certains jeux

vidéo à visée purement ludique permettent incontestablement le

développement de capacités cognitives chez le joueur.”

(Re)Génération(s)

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Des chiffres qui ne signifient pas grand-chose 46par Jean Claude CASTAGNEYROL

“… C’est contre cet abus que nous luttons dans le cadre de notre

plateforme “AGEFA-PME – Young Life” mise en place en partenariat

avec Opinion Way.”

Des chiffres qui signifient quelque chose : 48nos enquêtes “AGEFA-PME – Young Life” par l’équipe du Centre National de Prospective d’AGEFA PME

En 2014, AGEFA PME a lancé un programme d’enquêtes auprès

d’une communauté de 3000 personnes de 15 à 29 ans, tranche d’âge

statistiquement classée comme “jeunes”, à propos de leur relation au

monde du travail, leur vision de l’enseignement professionnel (plus

généralement du système éducatif), ainsi que de leurs aspirations vis-

à-vis de la manière dont se construisent leur projet professionnel et

leur parcours éducatif.

Notes de lecture 54par l’équipe du Centre National de Prospective d’AGEFA PME

“La crise de la culture” de Hannah ARENDT 55“Dans ce numéro spécial consacré à la jeunesse, ses désarrois, ses

insuffisances, son manque de connaissances et de culture, peut-être

aussi son inconsistance, ce serait une grande injustice de tout lui faire

retomber sur le dos. Nous sommes là, nous avons vécu avant les

jeunes et c’est nous qui leur avons dit, ou pas, ce qu’il fallait apprendre,

respecter, vénérer ; c’est nous qui les avons, ou pas, ou mal instruits et

éduqués. S’il y a une crise de l’éducation, ils n’en sont pas responsables.”

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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“Le triomphe de la cupidité” de Joseph STIGLITZ 61Nous sommes encore dans la crise mondiale de l’économie, une crise

qui n’en finit pas. Il faudra certainement des années après que cette

crise soit surmontée pour bien en comprendre les causes multiples,

en discerner tous les mécanismes et en clarifier les répercussions.

Cependant même si nous reconnaissons que nous ne pouvons pas

encore ni tout connaître ni tout comprendre, nous voulons en savoir

un peu plus et savoir au moins ce qui a bien pu déclencher cette crise,

nous voulons savoir quels en sont les principaux responsables.

“La grande crise” de James K. GALBRAITH 67Vous avez lu, c’est bien un livre de Galbraith, mais attention, ce n’est

pas John Kenneth, c’est James. Ce n’est pas le père, c’est le fils !

FOCUS 74Apprendre Autrement Ailleurs1 ou la démarche - projet comme “culture” professionnelle par Marcelo BRAGA et Camille ROY

“Comme au foot, j’étais dans une équipe. Pas le droit au carton rouge !

Cela impacte tout le groupe. ”

(Re)Génération(s)

111/ Titre d’une des études éditées par le Centre National de Prospective d’AGEFA PME à télécharger au lien suivant : http://www.agefa.org/agefa-pme/wp-content/uploads/sites/2/2014/11/agefa-pme-etude-culture.pdf

Un dispositif d’ampleur nationale qui mise 87sur le potentiel des jeunes : la JNDJ (Journée Nationale des Jeunes) par Claudine SCHELLINO DADOUN

“La Journée Nationale Des Jeunes est donc d’ampleur nationale

avec un fort impact sur les territoires. Prouvons-le par les chiffres. En

2014, nous avons regroupé plus de 20 000 jeunes dans le cadre de

600 rendez-vous organisés sur l’ensemble de la France, DOM-TOM

compris. Ces 20 000 jeunes ont pu faire connaissance avec 1 500

décideurs privés, publics et associatifs qui ont prouvé leur implication

et leur capacité à s’inspirer des jeunes générations. L’objectif est de

faciliter le lien “Jeunes – Acteurs du monde professionnel” en suscitant

des rencontres enrichissantes sur le terrain.”

BONUS 90

Marc FUMAROLI – Plaidoyer pour les lettres 91par Jean Claude CASTAGNEYROL

“Le procès des jeunes d’aujourd’hui n’en finit pas : bons à rien et

intéressés par rien si ce n’est par l’argent facilement gagné, tout effort

pour se cultiver, progresser, s’améliorer, leur serait devenu étranger.

Mais vous savez bien que c’est un procès mal conduit, douteux et

injuste.”

Une classe d’exception par Hélène CENAT 94Dans le cadre de nos voyages d’études réalisés pour le Centre National

de Prospective d’AGEFA PME, nous avons pu aller à la rencontre de

nombreux acteurs de territoire, et de classes toujours prêts à répondre

à nos questions tant ils étaient impliqués dans une volonté de

changement de tout ordre : économique, social, éducatif… Que rajouter

encore ?

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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(Re)Génération(s)

Dossier Ce que les jeunes

savent… et comment apprennent-ils ?

Entretien avec Bernard CAPRON, Président d’AGEFA PME

Dans votre édito, vous nous présentez le sujet de notre dossier consacré aux jeunes et à leur place dans le monde économique et social. Vous êtes Président d’AGEFA PME depuis novembre 2011. Vis-à-vis de ce thème, comment appréhendez-vous votre rôle ?

Étant donné la mission que la CGPME a confié à AGEFA PME de valoriser,

de développer l’enseignement professionnel dont l’apprentissage sur

l’ensemble du territoire, voie éducative qui concerne plus d’1 million de

jeunes, j’ai mis en place des activités différenciées dans l’objectif de les

former en phase avec leur temps et à ce qui les attend.

De manière concrète, avec mes équipes, nous mettons en œuvre un réseau

national d’établissements préparant à des diplômes allant du CAP au master

et à des métiers en cohérence avec les besoins en compétences des

entreprises. Un écart est encore constaté entre ces besoins et ces formations

professionnelles initiales. Pour le combler, nous continuons à mobiliser les

entreprises et les acteurs de l’éducation professionnelle pour qu’ensemble,

cette dernière permette aux jeunes d’être capables de répondre aux enjeux

économiques, techniques, scientifiques et sociaux : c’est comme cela que

leur intégration professionnelle sera durable.

Ainsi, nous accompagnons les entreprises en leur offrant des outils

d’assistance au recrutement d’apprenti(e)s, à leur accueil, et au pilotage de

leur formation.

Par ce biais, elles sont partenaires du monde éducatif. Le lien “Éducation-

Économie” existe donc bien. Nous avons des axes stratégiques d’actions

communes associées à notre convention de coopération avec le Ministère

de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ils sont la sensibilisation à l’esprit d’entreprendre, l’aide à une orientation

choisie due à une bonne compréhension de la diversité des métiers, la

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Entretien avec Bernard CAPRON - Président d’AGEFA PME

prise en considération de l’innovation technique et scientifique située au

cœur de nos PME. Tout ceci ne peut s’envisager que dans un contexte,

tout d’abord, européen, voire international. Nos jeunes se doivent d’être

mobiles. Beaucoup le sont déjà. Certains n’y pensent même pas, ce qui est

dommageable, car une mobilité en période de formation conforte la mobilité

professionnelle qui leur sera nécessaire tout au long de leur vie active.

En Europe, nous faisons face à des défis de renouveau économique.

L’Europe est composée, certes, de nations, elles-mêmes constituées de

territoires ; c’est à ce niveau que l’on connaît le terrain, c’est à ce niveau que

l’on peut agir directement. Les axes stratégiques que je viens de vous décrire

doivent se décliner à cette échelle. Pour ce faire, nous avons lancé, dès 2012,

des appels à projets régionaux reprenant ces points. Nous pouvons nous

féliciter de l’intérêt suscité par cette démarche. Tous les territoires français y

participent. Et nous ne nous sommes pas arrêtés à la métropole.

Tout cela n’est possible que si nous comprenons notre environnement.

Qui dit comprendre, dit anticiper… notre centre national de prospective de

l’apprentissage, de l’enseignement professionnel et technologique est ici

l’instrument de cette réflexion.

Nous vivons dans un monde compétitif. Les jeunes sont-ils prêts ? Que leur

apporte ou que leur apportera l’enseignement professionnel de demain ?

Quelles sont vos propositions ?

Avec le Conseil d’Administration d’AGEFA PME, nous aurions naturellement

quelques propositions à faire.

L’ “Entreprise” devrait devenir une discipline éducative en soi afin qu’elle

soit expliquée, tout au long du parcours scolaire, telle qu’elle est : une

organisation économique et sociale productive sise dans un environnement

en perpétuel mouvement.

Nous savons aujourd’hui que l’ “Entreprise” est considérée comme

primordiale dans l’éducation professionnelle des jeunes. En son sein,

plusieurs voies sont possibles. En tant que chef d’entreprise, il est parfois

difficile de se repérer parmi tous les statuts lorsque l’on veut prendre notre

rôle “formatif” au sérieux. Est-ce que l’organisation de la période de formation

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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en entreprise est réellement différente entre un jeune sous statut scolaire et

un jeune en apprentissage ? Un peu de simplification serait la bienvenue

ainsi qu’une aide à la mise en œuvre d’une pédagogie plus différenciée, et

donc axée “compétences”, “métiers”, “spécificités territoriales”.

Pour une formation réussie, les personnes actives dans nos entreprises

investissent du temps dans cet effort. Ne pouvons-nous pas valoriser ce rôle

“formatif” que j’ai déjà évoqué en soutenant financièrement les entreprises ? Mais,

surtout, essayons de redistribuer les rôles en redonnant à l’Ecole sa fonction

de transmission de savoirs académiques encore plus ancrés dans la pratique

professionnelle, qu’ils ne le sont à l’heure actuelle. Les entreprises en ont besoin.

Au fur et à mesure de notre travail quotidien à AGEFA PME, nous avons

pu constater plus que des prémisses pour une réelle ambition pour la

valorisation de l’enseignement professionnel ainsi que de l’apprentissage.

Dans le monde économique, “ambition” signifie “exigence”. Il nous faut offrir

aux élèves et aux étudiants de cette voie éducative une structure cognitive

telle qu’ils pourront toujours s’adapter à tous types d’évolutions auxquels

ils seront confrontés. Le professionnel idéal de demain possédera le sens

de l’initiative et des responsabilités, la capacité d’analyse et de synthèse et

la culture générale idoine. Cela ne sera possible que par un enseignement

professionnel supérieur, à l’image qu’il mérite.

Je reviens encore une fois sur les rôles “formatifs” de chacun. Le jeune, au

cours de sa formation, travaille et apprend son futur métier avec un duo de

formateurs : le tuteur et le référent pédagogique. Des outils existent déjà,

notamment en apprentissage, tels que le carnet de liaison ou le passeport

de compétences. Du côté “Entreprise”, ils peuvent être considérés comme

“lourds”. Pour éviter ce ressenti, une information commune “Tuteur-Référent

pédagogique”, peut-être réalisée par des experts “Éducation-Économie”,

pourrait être instaurée. Ces experts pourraient aider à une meilleure prise

en considération des pratiques professionnelles actuelles et futures.

Celles-ci sont liées à la prise en compte des coûts pédagogiques dans leur

ensemble, du temps passé à la formation, de la digitalisation de nos actions,

et tout simplement de la possibilité de l’arrivée de nouveaux paradigmes

sociaux qui pour l’instant ne sont repérables que sous une forme dite de

“signal faible” et qui peut-être changeront, à l’avenir, radicalement nos vies

professionnelles.

17

Entretien avec Bernard CAPRON - Président d’AGEFA PME

Bref, nous nous devons de faire de l’enseignement professionnel et de

l’apprentissage un levier de développement pour tous.

Envisagez-vous d’autres moyens afin de prolonger cet engagement ?

À l’initiative d’AGEFA PME, a été créé un fonds de dotation en ce début

d’année 2015. Nous l’avons nommé “Agir sur la Réussite Professionnelle et

Educative des Jeunes pour l’Entreprise” - ARPEJE.

Dans ce cadre, nos engagements sont les suivants :

q ARPEJE s’engage, dans la mission d’intérêt général, à assurer aux

jeunes une intégration professionnelle durable en contribuant à une

éducation adaptée à la réalité économique des entreprises.

q ARPEJE s’engage à mobiliser, aux plans national et européen, les

acteurs de l’entreprise et de l’éducation.

q ARPEJE s’engage à privilégier une démarche participative dans un

objectif de cohésion entre l’éducation et l’économie.

q ARPEJE s’engage grâce à l’observation, à l’analyse et au

diagnostic permanent des pratiques professionnelles à tenir compte

des évolutions techniques et scientifiques.

q ARPEJE s’engage à inscrire sa mission dans un programme

“recherche-action” conduit avec des TPE-PME.

q ARPEJE s’engage à produire une gamme d’instruments utiles

aux formateurs pour qu’ils transmettent aux jeunes les moyens

indispensables à leur réussite.

Propos recueillis par l’équipe du centre national

de prospective d’AGEFA PME

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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Il ne faut pas désespérer des jeunes

Notre époque présente de curieux paradoxes et ceux

concernant les jeunes ne sont pas les moindres.

En effet, il y a toute une forme de démission du monde adulte qui

a tendance au laisser-faire, ne dit pas tout ce qu’il pense, excuse

pratiquement tout comme si l’enfant était “roi” mais cela ne dure qu’un

temps car à l’adolescence, ces “grands enfants” bénéficient de moins

en moins de toutes ces cajoleries, de ces flatteries et de ces excuses. Et

les mêmes adultes ne se privent pas d’instruire le procès de la jeunesse

d’aujourd’hui, de dire bien haut et bien fort que les jeunes ne sont plus

instruits, qu’ils ignorent le sens de l’effort, etc. !

Ne conviendriez-vous pas que ce procès est bien mal instruit, qu’il est

même bâclé ?

Il y a même un grave reproche qui leur est fait et sans doute le pire des

reproches ; ils seraient individualistes, égoïstes et ils ne respecteraient

plus rien, ni la famille, ni la patrie ! Quel scandale !

Michel Serres dans son livre “Petite Poucette”, un petit livre mais lumineux

de clairvoyances nous a dit ce qu’il fallait penser et sans doute ce que les

jeunes pensaient des ressentiments des adultes :

“…. Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me le montra ? Mon

individualisme, mais qui me l’enseigna ? Vous-mêmes, avez-vous

su faire équipe ? Incapables de vivre en couple, vous divorcez.

Savez-vous faire naître et durer un parti politique ? Voyez dans quel

état, ils s’affadissent… Constituer un gouvernement où chacun reste

solidaire longtemps ? Jouer à un sport collectif, puisque pour jouir

du spectacle, vous en recrutez les acteurs dans des pays lointains…?

Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fît sacrifice

de sa vie : martyrs suppliciés, femmes lapidées, hérétiques brulés

19

Il ne faut pas désespérer des jeunes

vifs, prétendues sorcières immolées sur bûchers, voilà pour les églises et

pour le droit ; soldats inconnus alignés par milliers dans les cimetières

militaires, sur lesquels parfois, se penchent, avec componction,

quelques dignitaires, listes longues de noms sur les monuments aux

morts en 14-18 presque toute la paysannerie, voilà pour la patrie ; camps

d’extermination et goulags, voilà pour la théorie folle des races et la

lutte des classes ; quant à la famille, elle abrite la moitié des crimes, une

femme mourant chaque jour des sévices du mari ou de l’amant…..”

Michel Serres, “Petite Poucette” éditions “Le Pommier” pages 60 et 61

Paradoxes et bavardages

Les mêmes paradoxes se retrouvent dans l’enseignement : ce qu’il propose

aux élèves et ne propose plus, ce qu’il attend d’eux mais aussi n’attend plus,

ce qu’il leur donne mais aussi ne leur donne plus. Ainsi, en même temps que

tout est fait pour maintenir les élèves dans le système scolaire – ce qui d’une

certaine façon n’est que justice – il faudrait être aveugle ou de mauvaise-foi

pour ne pas reconnaître que le niveau ne cesse de baisser et par niveau, il

faut aussi entendre le degré des efforts attendus et des exigences.

La soumission aux médias et la fascination de la publicité y sont sans doute

pour beaucoup mais là aussi, Michel Serres a raison de considérer que ce

ne sont pas les jeunes qui en sont responsables mais bien les adultes.

“Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont

méticuleusement détruit leur faculté d’attention en réduisant la durée

des images à sept secondes et le temps de réponse aux questions à

quinze, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété “mort” et l’image

la plus représentée celle de cadavres. Dès l’âge de 12 ans, ces

adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres.

Ils sont formatés par la publicité : comment peut-on leur apprendre

que le mot “relais” en langue française s’écrit “-ais” alors qu’il est

affiché dans toutes les gares “-ay” ? Comment peut-on leur apprendre

le système métrique quand, le plus sottement du monde, la SNCF leur

fourgue des S’Miles ?”

Michel Serres, ouvrage cité pages 11 et 12

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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Ainsi, il se dit et on peut lire partout que les élèves s’ennuient à l’école,

au collège et au lycée ! Mais il y a vraiment de quoi s’ennuyer. Pourquoi

donc n’avons-nous pas nous-mêmes la franchise de reconnaître que dans

une telle école qui n’instruit pas, ne cultive pas, nous oblige à écouter à

longueur de journée et de cours les bavardages de nos camarades et qui

nous prive du modèle d’un beau cours magistral, nous aurions été et de

plus en plus absentéistes !

Depuis les années 70, on se jette un peu sur tout et n’importe quoi pour

tenter d’intéresser les élèves, l’audio-visuel jusqu’aux années 80 puis, plus

tard, les laboratoires de langue qui ont couté très cher mais qui n’ont pas duré

bien longtemps ! Aujourd’hui, c’est l’informatique caché sous le joli nom de

“numérique” mais il faut cesser de tromper les élèves. Avec l’informatique,

c’est vrai tout le savoir est virtuellement accessible à tous mais pour y

accéder, les efforts d’attention et de concentration sont aussi indispensables

et aussi difficiles que pour assimiler un cours. Il n’est pas plus facile de lire

un ouvrage numérisé que de le lire sur un format papier c’est même un peu

plus fatiguant pour les yeux à cause du rétro-éclairage de l’écran.

Avant donc d’exiger des jeunes quoi que ce soit de difficile, il est nécessaire

de mesurer nos responsabilités car elles sont lourdes ; le portrait des adultes

d’hier et d’aujourd’hui n’est vraiment pas flatteur. Mais que pouvons-nous

encore attendre des jeunes, de quoi sont-ils toujours capables ?

Émotions, sentiments et raison

Je crois qu’il faut d’abord se fixer quelques règles simples mais évidentes :

1 Tout d’abord, il ne faut pas demander aux jeunes de faire ce

que nous ne faisons pas nous-mêmes. Ainsi éteignons d’abord

nos portables quand nous sommes dans la rue ou dans un lieu

public avant d’exiger des jeunes d’avoir un usage plus modéré

de leurs tablettes et de leurs portables.

2 Ayons une vision beaucoup plus circonspecte de ce qu’on

appelle leur égoïsme : il faut savoir que plus ils se trouvent dans

une situation personnelle ou familiale difficile ou précaire, plus

21

Il ne faut pas désespérer des jeunes

ils adoptent des attitudes de survie. Et il en est ainsi pour tous les

humains, jeunes ou vieux : avant de pouvoir bien vivre ou mieux

vivre, il faut d’abord survivre.

3 Il ne faut pas oublier que l’on est jeune avant d’être adulte ; ce qui

signifie que la jeunesse est le temps de tous les apprentissages,

c’est à dire des essais, des erreurs mais aussi des progressions.

Nous n’avons pas le droit de leur demander de sauter les étapes.

On ne dit jamais assez que les jeunes d’aujourd’hui éprouvent des émotions

fortes et des sentiments violents et c’est pourquoi, ils sont capables de se

mobiliser pour des causes humanitaires. C’est sur ces émotions et sur ces

sentiments qu’il faut s’appuyer pour leur faire connaître et aimer les arts et

les lettres, pour les faire progresser dans la culture. Il faut s’appuyer sur ce

qu’il y a en eux de plus noble.

Et il est indéniable qu’ils sont capables de raisonner et même dans leurs

calculs à finalités souvent bien douteuses, il y a déjà, en puissance, toute

la raison. Il ne faut donc pas désespérer de leur raison. En leur donnant le

temps nécessaire, elle deviendra plus exigeante, s’interrogera sur le bien

et le mal, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, elle découvrira sa destination

morale.

Il ne faut donc pas désespérer car même si c’est plus compliqué aujourd’hui et

surtout beaucoup plus lent, maladroit et fragile, ils progresseront dans leur vie.

À travers des témoignages, des analyses et des confrontations, ce numéro

de La Revue en 3D, espère vous en convaincre.

“Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables

nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites,

nos médias, nos projets noyés dans la société du spectacle. Je vois nos

institutions luire d’un éclat semblable à celui des constellations dont les

astronomes nous apprennent qu’elles sont mortes depuis longtemps déjà”

Michel Serres ouvrage cité, page 22

Article rédigé par Jean Claude CASTAGNEYROL

Centre National de Prospective d’AGEFA PME

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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Ce que nous avons toujours entendu et que nous ne voulons plus entendre…

Dans la Revue en 3D, le relief ne se manifeste pas grâce

à des effets spéciaux mais par l’appréhension de trois

dimensions différentes : passé-présent-futur.

Retournons dans un passé lointain avec des citations dont

on pourrait être surpris du nom des auteurs, ainsi que de

l’époque à laquelle elles ont été pensées.

“Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de

l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge.”

Socrate (470 avant JC – 399 avant JC)

“Notre Jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune

espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui ne se

lèvent plus quand un vieillard rentre dans une pièce, ils répondent à

leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement

mauvais.”

Socrate (470 avant JC – 399 avant JC)

“ Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils

ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent

devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes

méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux

l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là, en toute beauté et en

toute jeunesse, le début de la tyrannie.”

Platon (428/427 avant JC – 348/347 avant JC)

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Ce que nous avons toujours entendu et que nous ne voulons plus entendre…

“Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse

d’aujourd’hui prend le commandement demain, parce que cette

jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible.”

Hésiode (VIIIe siècle avant JC)

“Les jeunes sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme

la jeunesse d’autrefois. Ceux d’aujourd’hui ne seront pas capables de

maintenir notre culture”

Citation découverte sur une poterie d’argile de Babylone.

Sans vouloir “agresser” ces penseurs que nous mettrons à l’honneur dans

l’article suivant, nous pouvons introduire une touche d’humour en rappelant

cette célèbre citation de Jules Vallès (1832-1885) : “À tous ceux, qui nourris

de grec et de latin, sont morts de faim.”

La dernière note négative de ce petit glossaire de phrases piquantes était

obligatoire lorsqu’on évoque un tel sujet :

“J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge

de la vie.”

Paul Nizan (1905-1940)

Reprenons le cours de notre voyage dans le temps en se rappelant,

désormais, quelques expressions mythiques, porteuses d’espoir et toujours

gravées dans nos mémoires…

Faisons un bond au XVIe siècle : “Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.”

Souvent entendue, n’est-ce pas ? Mais en connait-on l’auteur ?

Il s’agit d’Henri Estienne (1528-1598). Il fut philologue, helléniste, et

naturellement humaniste étant l’époque où il vécut. Mais il eut également un

autre métier très important pour la diffusion des pensées : il fut imprimeur.

C’est, peut-être, la raison pour laquelle cette citation est arrivée jusqu’à

nous. Elle fut imprimée, donc lue, donc connue. En effet, vous remarquerez

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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qu’aucune pensée du Moyen-Âge n’a pu être repérée par nos soins. Ah !

Cette belle invention qu’est l’imprimerie ! Quel progrès technique influant

encore aujourd’hui notre manière de diffuser nos réflexions !

… Ou peut-être, ne nous occupions nous pas de cette classe d’âge qu’est la

jeunesse à cette période de l’histoire souvent qualifiée de sombre ?

Nous ne nous prononcerons pas, car nous ne sommes pas dans la capacité

de théoriser sur ce point. Et surtout, nous ne pouvons pas nous permettre

d’être injustes vis-à-vis de telle ou telle époque, et surtout vis-à-vis des

personnes qui y ont vécu. Nous voulons simplement vous faire partager

quelques bons mots.

Et hop, allons en Allemagne au XVIIIe siècle : “S’il est vrai que la jeunesse soit

un défaut, on s’en corrige bien vite.” Cela est signé par le grand Goethe, de

prénom Johann Wolfgang (1749-1832).

Juste un peu plus tard, nous ne sommes pas en reste en France : “Alors

s’assit sur un monde en ruine une jeunesse soucieuse”. Voici la confession d’un

enfant du XIXe siècle, Alfred de Musset (1810-1857). La notion de “jeunesse

soucieuse”» a certainement toute son actualité.

Et les “grands” du XXe siècle, siècle où une partie des générations que nous

formons est née (certes, pas pour longtemps encore, la relève des années

2000 est là…) ; qu’ont-ils bien pu penser ?

“Jeunesse ne vient pas au monde. Elle est constamment de ce monde.”

Chapeau à Paul Eluard (1895-1952).

“La jeunesse sait ce qu’elle ne veut pas avant de savoir ce qu’elle

veut.” Jean Cocteau (1889-1962) serait-il un penseur de l’orientation

professionnelle ?

Notre XXIe siècle est adolescent… Les problématiques se ressemblent :

“Chaque génération doit faire face à ses propres problèmes. De ce point de

vue, je ne pense pas que la jeunesse d’aujourd’hui soit différente de celle

d’avant.” Quel flash de la part du photographe américain, Larry Clark, né en

pleine guerre en 1943… !

25

Ce que nous avons toujours entendu et que nous ne voulons plus entendre…

Dans nos bonus, vous trouverez un article consacré à l’Académicien,

Marc Fumaroli (1932), dans nos médias, souvent cité. Il a une vision

originale au regard des besoins de nos jeunes : “J’insiste sur l’importance des

“humanités” qui seules, pourront fournir du “sens” à la jeunesse qui en réclame.”.

Si les “humanités”, et c’est ce que nous pensons, font partie du fameux

socle commun des compétences, elles sont plus que nécessaires pour une

insertion durable dans la vie active.

Nous ne pouvions finir ces différents clins d’œil sans faire allusion à un de

nos penseurs préférés : Michel Serres (1930).

Dans l’article du Figaro littéraire du 20 mai 2015, un entretien nous a fait

“tilter” et nous avons choisi de vous faire partager ce petit paragraphe :

“… Ils disent tous : c’était mieux avant. J’y étais, avant ! Et nous étions

gouvernés par Franco, Mussolini, Hitler, Lénine, Mao Tsé Tong, Staline :

rien que des braves gens ! Non, ce n’était pas mieux avant, c’était bien

pire avant. Je suis heureux de vivre le temps que je vis. L’Europe est en

paix depuis 70 ans, ce qui n’était pas arrivé depuis la guerre de Troie…”

Article rédigé par Hélène CENAT

Directrice Générale Adjointe – AGEFA PME – Pôle Etudes et Recherche

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

26

L’ignorance en quête de savoir

On n'a jamais fini de sortir de l'ignorance. Il ne s'agit pas

seulement d'accumuler des connaissances qui viendraient

combler des lacunes, il faut aussi clarifier ce qui est en jeu

dans ce processus : comment caractériser l'ignorance ?

Comment celle-ci, même si elle n'est jamais complètement

réduite, peut-elle laisser place à une disposition qui entraîne

à s'en libérer ? Quelle sorte de savoir est susceptible de

contribuer à cette émancipation ?

Au seuil de l'histoire de la philosophie Platon, dès ses premiers

dialogues, met en évidence une distinction qui peut éclairer ces questions :

la distinction entre ignorer sans le savoir et ignorer tout en sachant qu'on

ignore. Socrate, tel qu'il est présenté dans ces dialogues, incarne cette

conscience de soi de l'ignorance2; et c'est justement parce qu'il ne prétend

pas détenir de connaissance à transmettre tout en ayant le savoir de son état

d'ignorance qu'il peut formuler des questions conduisant ses interlocuteurs

à la même prise de conscience. Celle-ci n'est-elle pas condition primordiale

de l'accès à de véritables connaissances? Certes cette présentation peut

laisser perplexe. Socrate en sait peut-être plus long qu'il n'en a l'air, et le

savoir du non-savoir qu'il met en avant peut apparaître comme une position

de principe abstraite, détachée des situations concrètes où tout un chacun

à la fois sait certaines choses, en ignore d'autres, et prend la mesure du

partage entre son savoir et son ignorance.

Mais ce partage ne peut être fait avec justesse qu'à condition d'être au clair

sur ce que signifie "savoir", sur ce qui est requis par-là, car souvent nous

pouvons croire que nous savons quelque chose alors que ce prétendu

savoir, à l'épreuve du questionnement et de l'argumentation, s'avère

incertain et peut-être même incohérent et faux. C'est justement cette

difficulté à satisfaire l'exigence de savoir que met au jour la conscience de

l'ignorance. Dire à la manière du Socrate de Platon "je sais que je ne sais

rien", ce n'est pas buter sur le constat d'une pure et simple absence de

27

L’ignorance en quête de savoir

2/ Platon, par exemple Alcibiade 117a-118b, Apologie de Socrate 21a-23c.

connaissances, c'est reconnaître que nous tenons pour connaissances vraies

des opinions et des préjugés qui peuvent être, selon les cas, vrais ou faux,

mais qui de toute façon ne livrent pas le moyen de décider entre l'une ou

l'autre possibilité. Leur force fait que nous les recevons et les reproduisons

comme des vérités indiscutables : nous y croyons parce qu'ils constituent le

cadre à partir duquel nous nous orientons dans les circonstances de la vie. Et

c'est en étant pris dans cette croyance que nous l'assimilons implicitement à

du savoir, tant du moins que n'intervient pas une conscience de l'ignorance,

une conscience qui rapporte les certitudes irréfléchies à leur condition de

jugements précipités sur des apparences.

Le thème paradoxal d'une ignorance qualifiée positivement, par différence

avec celle qui se méconnait comme telle, trouve donc sa signification précise

avec cette autre distinction elle aussi explicitée par Platon : la distinction

entre croire et savoir3. La pire ignorance a lieu quand la croyance entretient

un faux-semblant de savoir, et c'est cette confusion qu'il s'agit d'abord de

dissiper. Mais comment cela peut-il se produire ?

De l'ignorance aveugle à la conscience qui la réfléchit, le passage n'est

pas spontané. Sans doute n'a-t-il pas lieu d'être la plupart du temps, dans

la vie courante. La perception des choses et du monde environnant, les

rapports à autrui, les apprentissages élémentaires nous donnent le savoir

nécessaire aux activités quotidiennes. Plus exactement, on est à un plan où

la distinction du savoir et du croire n'a pas à s'imposer : c'est en croyant à ce

dont nous avons expérience que nous savons ce que nous avons à faire.

Mais si, par exemple, on doit rendre compte d'une position éthique, ou

encore si on cherche à expliquer comment les choses se produisent, et aussi

bien à comprendre ce que nous sommes, alors les évidences familières ne

suffisent plus. Que faut-il donc ? La réponse ne peut tenir dans l'indication

d'un procédé ou d'une discipline. Selon le questionnement auquel on se

confronte, telles sciences et tels champs de recherche doivent être pris en

compte, et d'abord doit être mise en acte une réflexion autant que possible

affranchie des opinions préconçues. C'est en tout cas en ce point, quand

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

283/ Platon, Gorgias 454c-e..

viennent en jeu dans la pensée, le sens de l'existence et la possibilité de connaître

quelque chose de l'univers, qu'il est essentiel de distinguer entre savoir et croire.

Or le savoir relève d'un travail difficile et toujours à reprendre où interviennent à la

fois l'observation et la justification rationnelle des énoncés sur ce qu'on observe.

La croyance au contraire a lieu et se transmet sans un tel travail, elle passe par

la coutume et les représentations déjà acquises, de sorte qu'en prenant la forme

d'un discours sur ce qu'il en est du monde et de l'homme dans le monde, c'est-à-

dire en se donnant l'apparence d'un savoir englobant, elle exerce une domination

d'autant plus forte. Tant qu'il n'est pas bien entendu que croire n'est pas savoir,

c'est à la croyance que profite la situation, ouvrant ainsi la porte aux superstitions

et aux fanatismes.

Un certain rapport à la croyance religieuse peut ici servir d'exemple. En contexte

de religion monothéiste, l'affirmation d'un unique dieu créateur, dont la providence

réalise un dessein impliquant l'homme et sa destination, si elle est appliquée

telle quelle à l'évolution de l'univers et de la vie sur terre, peut produire l'effet

d'une vision d'ensemble explicative de toutes choses : un cadre cohérent est mis

en place, où il peut y avoir réponse à tout en invoquant des textes considérés

comme dépositaires d'une révélation. Seulement on est en pleine confusion : on

prend la référence à un principe transcendant pour la mise au jour d'une causalité

naturelle, on mélange l'adhésion personnelle à un message et la formation d'une

connaissance objective, comme si par exemple le récit biblique de la création

était du même ordre de discours que l'élaboration d'une théorie scientifique. Mais

les deux sont hétérogènes non seulement en raison de la distance historique et

culturelle qui les sépare, mais parce qu'ils ne parlent pas du tout de la même

chose : l'un concerne une certaine idée du salut auquel l'homme serait appelé,

alors que l'autre s'efforce d'expliquer des phénomènes de la nature dont l'homme

fait partie; l'un se déploie en récits et en commandements, alors que l'autre décrit

des contextes expérimentaux et formule des hypothèses toujours à vérifier et

éventuellement à modifier ou à remplacer. Une présentation ou même une

revendication de la croyance religieuse qui érige celle-ci en certitude définitive

sur la nature et sur l'existence humaine entretient donc une confusion trompeuse

entre un savoir effectif et le contenu de cette croyance. Ce n'est pas la foi comme

telle qui engendre l'illusion, c'est le fait de l'investir d'une prétention exclusive à la

vérité. Et cela a lieu quand la posture du croyant se veut autosuffisante, se coupe

de tout examen critique, fait l'impasse sur les diverses interprétations des textes

qui alimentent en principe la croyance, occulte la culture où celle-ci s'inscrit, bref,

quand cette posture a pour envers à la fois l'ignorance et le déni de l'ignorance.

29

L’ignorance en quête de savoir

C'est avec un état de fait de cette sorte que rompt le savoir du non-savoir,

la conscience qu'on n'est pas le détenteur de quelque vérité ultime, ce

qu'exprime la formule "je sais que je ne sais rien".

Il s'agit bien d'une rupture, d'une mutation de la pensée qui prend distance

avec l'opinion, le préjugé ou le dogme. Car l'assurance de ceux-ci est telle

qu'ils ne peuvent être questionnés par une réflexion à laquelle eux-mêmes

prédisposeraient. La mise en question ne peut venir que d'un choc qui

ébranle du dehors : un événement, une rencontre, une parole comme celle

de Socrate dont l'interrogation surprend et inquiète ses interlocuteurs4. C'est

cette sorte d'expérience qui provoque la prise de conscience de l'ignorance.

Comment alors caractériser le savoir auquel on pourrait accéder ainsi, un

savoir soustrait à la domination de la croyance?

On l'a vu, l'ignorance n'est pas simple privation de connaissances, mais

plutôt cécité sur le statut de celles-ci, sur leur capacité à se fonder, sur leur

portée et leur limites. Dépasser cette ignorance, ce n'est donc pas d'abord

ajouter des connaissances les unes aux autres, comme si on échappait au

non-savoir par le seul développement quantitatif des sciences. Il y a d'ailleurs

une manière de croire au progrès scientifique qui n'est pas moins naïve ni

moins trompeuse que d'autres formes de croyance : croire que les avancées

des sciences, à force d'étendre leurs investigations, fourniraient une sorte

de sésame donnant accès à l'explication de toutes choses, dévoilant à la fin

on ne sait quel mystère de l'univers. Mystère ou pas, les activités impliquées

dans la connaissance, y compris dans les sciences de la nature, présentent

tout autre chose : une confrontation interminable à de l'inconnu, un va et

vient tâtonnant entre phénomènes et hypothèses selon un mouvement sans

fin puisque chaque résultat soulève de nouvelles questions et motive de

nouvelles recherches. Le dépassement de l'ignorance exige donc d'abord la

conscience de cette situation selon laquelle la production même de savoir

atteste un assujettissement insurmontable au non-savoir.

Cet assujettissement n'est-il pas alors incompatible avec la prétention

à dépasser l'ignorance? Cependant, dans la mesure où sont formées et

4/ Platon, par exemple Ménon 80a-c.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

30

vérifiées de nouvelles connaissances, un certain état d'ignorance est

bien dépassé. Les remarques précédentes ne tendent nullement à nier le

progrès des sciences. Même si ce n'est pas de façon linéaire et uniforme, le

travail scientifique réalise des avancées – découvertes, nouvelles questions,

nouvelles explications... – dont rien n'indique qu'elles devraient connaitre

un terme. Mais précisément cette perspective d’élimination traduit une

condition d'ignorance : il y a toujours à progresser parce que le désir de

savoir n'est jamais épuisé, et ce désir est tenu en éveil parce que l'ignorance

ne cesse de se faire sentir. Ce sont aussi les circonstances concrètes de

l'établissement des connaissances qui témoignent de cette condition

d'ignorance : un état de choses est susceptible d'être connu en entrant

dans l'interaction d'un cadre théorique et technique et des faits identifiés

par l'observation, et celle-ci à son tour s'exerce comme une interaction de

l'observateur avec ses instruments et du phénomène à observer; une réalité

connue est ainsi une réalité mise en forme, produite par les opérations de

connaissance, qui donc laisse toujours échapper ce qui n'est pas relatif aux

moyens de celle-ci à un moment donné. En même temps que le savoir est

redevable à une histoire des sciences marquée par les enrichissements

et les percées qui éclairent toujours davantage notre description de la

nature, nous faisons l'épreuve de l'ancrage dans une ignorance originelle

et permanente dont l'oubli ne serait qu'aveuglement sur notre situation

de sujet connaissant. C'est d'ailleurs en reconnaissant cet ancrage, en

réactivant la lucidité socratique sur notre peu de connaissance, qu'on

peut passer du simple état d'ignorance subie au désir de savoir qui rend

opérantes les facultés nécessaires à un savoir effectif : les sens, la mémoire,

l'imagination, l'entendement.

Cette position de Socrate transmise par Platon n'est donc pas qu'un point

de départ donnant son impulsion à la recherche et au développement

de connaissances, et qui serait dépourvu de signification réelle une fois

ce processus engagé. Elle ne cesse au contraire d'accompagner celui-ci,

comme une activité réflexive qui soulève et invite à travailler les questions

sous-jacentes à ce qu'il produit : que valent au juste ces connaissances

élaborées par diverses sciences? Nous découvrent-elles les choses elles-

mêmes, et sinon quelle est leur vérité? Et quelles sont leurs sources en

nous-mêmes? Qu'en est-il de ce désir de savoir qui peut mobiliser une

dimension de notre vie et de notre pensée? Que signifie précisément savoir?

Ces questions appellent des traitements différents selon les disciplines et

31

L’ignorance en quête de savoir

les contextes, mais elles proviennent toutes de la prise de conscience qui

nous confronte au fait de notre ignorance. Sans elles et donc sans cette

prise de conscience, les savoirs positifs, aussi bien dans les sciences exactes

que dans d'autres disciplines, seraient toujours à la merci de la confusion

entre l'opinion et l'idée relevant d'une activité théorique, entre la croyance

par préjugé et l'énoncé relevant de l'élaboration discursive : ils seraient à la

merci d'instruments de l'obscurantisme et donc de la servitude.

Article rédigé par Yves THIERRY

Professeur agrégé de philosophie

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

32

L’impact du numérique sur les pratiques éducatifs – Les points-clés pour agir

Le 30 avril et le 1er mai 2015 était organisé, à Montréal, un

colloque international par le CRIFPE (Centre de recherches

Inter-Universitaire sur la Formation et la Profession

Enseignante) où le travail suivant a pu être présenté.

Le numérique comme environnement déterminant

Cet environnement correspond à une “toile d’araignée”, métaphore usuelle

décrivant ce que représente l’Internet. Il correspond surtout à une forme

d’ “humanité intégrée” ; cette même humanité ayant à sa disposition en

permanence des sources d’informations diverses et variées telle une

immense bibliothèque alexandrienne.

Nous sommes des utilisateurs plus ou moins éclairés de grands sites

internationaux tels que Google ou Wikipédia. “Nous googlisons tous” grâce

à nos ordinateurs, à nos tablettes, à nos smartphones, à tels ou tels outils

que nous avons sur le moment entre nos mains.

Et les grandes questions qui vont avec tout cela :

q Sommes-nous, pour autant, tous égaux ?

q Le langage employé est-il universel ?

q Contrôlons-nous notre identité numérique ?

q Avons-nous tous besoin du même type d’outils numériques ?

q Savons-nous prendre nos distances vis-à-vis de l’information collectée ?

q Cette information est-elle toujours fiable ? Comment le vérifier ?

q Est-ce que cette information peut s’assimiler au “savoir”, concept

plutôt ancré dans le réel alors que l’information collectée provient du

monde “virtuel” ?

33

L’impact du numérique sur les pratiques éducatifs – Les points-clés pour agir

À toutes ces questions, à ce stade, une seule réponse nous semble

possible à donner : il nous faut réduite les inégalités face au numérique.

Pour ce faire, cette lutte doit commencer dès l’école. Elle doit permettre

le développement d’une pensée numérique ou même d’une pensée

“numérisée” associée à une belle ouverture et donc à une richesse dans les

démarches de recherche de l’information.

Comme dans toute lutte, nous ne pouvons mettre de côté les difficultés :

l’école se voit confier la tâche de réguler certaines attitudes “naturelles” des

apprenants, trop induites par l’usage fréquent du numérique que sont : le

risque de segmentation de la réflexion, le trop plein de facilité d’accès à

l’information (on n’affronte plus ce que représente la recherche exacte des

choses), l’immédiateté-réflexe des réponses (on peut être pris par le vertige

de la vitesse).

Comment réagissent les enseignants ?

Mettons en place une typologie simplifiée :

q Certains enseignants préfèrent le refus de principe par peur de

désanctuarisation de l’école.

q Pour d’autres, nous pouvons parler de fascination excessive… “Les

MOOC et les classes inversées, c’est ça l’avenir !”

q Et heureusement, il nous reste un groupe que nous espérons

majoritaire : le numérique est là… utilisons-le de manière progressive et

circonstanciée, au cas par cas.

Quels objectifs pour l’école ?

Donner la possibilité à tous les élèves de maîtriser le monde numérique

Cette maîtrise est, tout d’abord, d’ordre technique. Il leur faut comprendre les

principes de fonctionnement des appareils dont ils disposent (ordinateur,

tablette, smartphone, et que sais-je encore… d’autres vont arriver sur le

marché…) ainsi que ceux du Web (la recherche d’infos, l’optimisation de

l’usage des réseaux sociaux et du mail…). Cette maîtrise passe également

par la méthodologie à employer quant aux actions que sont la recherche,

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

34

l’analyse et le respect des sources. Les informations qui en proviennent

doivent être certes recueillies mais cela ne suffit pas. Elles doivent être

restituées afin qu’elles puissent être considérées comme un “savoir appris

et acquis”.

Pour arriver à cette maîtrise maximale du monde numérique, une étape

essentielle reste encore à dépasser : comment puis-je gérer mon identité

numérique ? Comment puis-je protéger mes données personnelles, et donc

ma vie privée ? Comment puis-je, moi-même, publier sur le Web sans subir

de freins que peuvent être la cyberintimidation, le sexting, le harcèlement

en ligne, l’hameçonnage… ?

Cette dernière étape franchie permet aux jeunes de ne plus être un

consommateur passif et ainsi, de devenir un acteur responsable.

Intégrer de manière opportune le numérique dans les démarches

éducatives

Nous le savons, les formateurs/enseignants font face à une multiplicité de

supports numériques dits de multimédias, de contenus mis en ligne (FLOs,

MOOCs…) pour la mise en place de leurs cours. Plusieurs choix s’ouvrent à

eux :

q Partir du présentiel avec des compléments en numérique : cette

option entraîne un enrichissement interactif du cours traditionnel. Ici,

un dispositif “questions-réponses” peut être créé, qu’il soit par courriel

ou qu’il soit par visio-conférences. La mise en œuvre d’e-portfolio fait

également partie intégrante de cette option.

q Partir du numérique puis compléter par du présentiel : nous

sommes ici dans ce concept “tendance” appelé “classes inversées” où

le principal de l’apprentissage est fait en autonomie… il est complété

par du présentiel.

q Intervenir par allers-retours entre présentiel et numérique (sur place

ou à distance) : l’exemple le plus connu de ce type de pédagogie est le

NTI (Tableau Numérique Interactif).

q Faire du tout à distance…

35

L’impact du numérique sur les pratiques éducatifs – Les points-clés pour agir

Comment faire son marché dans toutes ces options ?

Sur l’ensemble du système éducatif, les apprenants sont différents. Un

scolaire ou un étudiant n’aura pas le même niveau d’autonomie, y compris

dans l’usage du numérique. Chaque modalité décrite ci-dessus aura ses

avantages suite à une analyse fine réalisée par le formateur.

Comment faire un choix pour l’organisation de l’apprentissage des

compétences numériques ?

Il peut être décidé de la création d’une discipline numérique à part entière

avec des enseignants formés spécifiquement à des travaux tels que le

codage, la programmation, la restitution des informations recueillies, la

maîtrise de son identité numérique. Nous pouvons envisager la solution

de procéder à l’intégration de l’apprentissage de ces activités dans des

enseignements et des projets déjà existants. Et si nous voulons être sûrs de

nous, nous pouvons retenir les deux démarches en synergie.

Dans ce paragraphe, il reste encore deux problématiques à soulever : le choix

du mode d’évaluation des acquisitions à chaque étape d’apprentissage (Doit-

on évaluer avec ou sans support numérique ?) ainsi que celui de la certification

des acquis. Ces problématiques apportent plus de questions que de réponses,

car nous restons confrontés, mine de rien, à des soucis de fiabilité propres au

numérique, notamment dans le cadre de contrôle à distance.

Créer des formations professionnelles pour les métiers du numérique

Les “nouveaux” métiers qui sont, par ailleurs, déjà demandés par les

entreprises sont les suivants :

q Développeurs

q Programmateurs

q Gestionnaires des infrastructures et des réseaux

q Concepteurs-créateurs de projets avec interfaces numériques

q Créateurs de contenus numériques

q Gestionnaires de contenus (ex : modérateurs de site avec plateforme

dédiée)

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

36

Nous le savons : il s’agit d’un secteur en développement… de nombreux

emplois y sont à pourvoir… d’autres perspectives professionnelles sont à

l’horizon.

C’est aussi un secteur où le niveau de qualification à l’embauche est élevé.

Un Bac +3 est un minimum. Un Bac +5 est recommandé. Il faudra, suite à

l’embauche, être capable d’évoluer, de s’adapter rapidement aux évolutions

techniques et d’avoir conscience qu’il existe, dans ces métiers, un important

taux de rotation. “Jeunesse oblige !”.

S’adapter à un nouveau monde

Cet objectif de taille doit amener à une réflexion sur l’évolution du métier

d’Enseignant/Formateur et sur les moyens à proposer à ces professionnels.

Prendre en compte ce nouveau monde est une bonne chose mais il est

primordial de garder toujours au cœur l’essentiel de sa fonction : aider

chaque jeune à devenir un citoyen autonome, par l’éducation, l’acquisition

de véritables savoirs et compétences et la capacité à les mobiliser chaque

fois que cela est nécessaire.

Quelle formation initiale et continue doit-on apporter, alors, aux

enseignants/formateurs ?

Cette formation qui n’existe pas encore devra permettre à ces “maîtres” de

dépasser la posture d’autorité fondée sur la seule détention du “monopole

du Savoir” en intégrant de nouvelles modalités, notamment, celles de la

place du numérique. Ils devront, de plus, accepter, l’accompagnement

des apprenants eux-mêmes dans la construction des savoirs et des

compétences. Nous sommes à l’aube d’une révolution dans les démarches

d’enseignement. Les produits pédagogiques innovants sont là mais encore

faut-il savoir les intégrer dans un ensemble d’objectifs d’apprentissage…

37

L’impact du numérique sur les pratiques éducatifs – Les points-clés pour agir

Neufs points-clés sont à retenir de cette analyse :

1 Agir pour éviter la fracture numérique

2 Aller au-delà d’une pensée numérisée…

3 Aider à la maîtrise numérique (technique, des informations et de

son identité)

4 Choisir de manière opportune et selon les situations, les

démarches pédagogiques intégrant du numérique

5 Fiabiliser les certifications intégrant du numérique

6 Créer des formations professionnelles aux métiers du numérique

7 Proposer aux enseignants des formations adaptées

8 Faire évoluer l’organisation de l’école

9 Maîtriser le développement de la filière numérique

Pour finir sur une note liée au voyage…, quelques réflexions d’Olivier de

Kersauson :

‘Un jour, j’ai emmené sur mon bateau les deux types qui ont inventé

Google, et ils m’ont alors expliqué ,... à moi qui ai parcouru, et dans tous

les sens, toutes les mers du globe ! … qu’ils avaient enfin créé le grand

livre du monde, son planétarium et son indispensable tableau de bord …”

Article rédigé par Roland KASTLER

Consultant - Etudes et Stratégie

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

38

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage

Ludiques par essence, les jeux vidéo ne pourraient

permettre l’apprentissage qu’en devenant “sérieux”.

Pourtant, certains jeux vidéo à visée purement ludique

permettent incontestablement le développement de

capacités cognitives chez le joueur.

L’apprentissage par les jeux vidéo est généralement associé aux serious

game, ces jeux conçus spécifiquement pour acquérir certaines compétences,

pour sensibiliser à des enjeux sociétaux, pour permettre l’entraînement par

la simulation ou encore pour véhiculer un message publicitaire et une image

de marque5. Même si ces serious game se sont considérablement améliorés

ces dernières années, ils restent souvent à la marge de la pratique des jeux

vidéo. Entre matériel de communication immersif et compléments interactifs

de cours, ces serious game, cherchent à revêtir l’apparence du jeu et tentent

de créer de l’engagement chez l’usager. Rarement dupé par ce procédé,

l’usager peut décider de jouer le jeu du serious game et éprouver un plaisir

particulier face à ce mode de transmission. Ces serious game miment

souvent les jeux vidéo en reproduisant leur univers graphique, en créant des

interactivités avec des personnages, en attribuant des récompenses ou en

introduisant des phases de jeu dans le scénario pédagogique. Pour autant

la médiation numérique du serious game ne recouvre pas les véritables

vecteurs structurants du jeu vidéo, le scénario pédagogique prend le pas

sur le divertissement authentique et ses effets cognitifs.

Au-delà du serious game qui reproduit l’apparence du jeu pour susciter

l’engagement, deux autres approches méritent une attention particulière :

celle visant à identifier et à valoriser les compétences cognitives développées

dans la pratique ponctuelle ou avancée des jeux-vidéo purement ludiques et

celle visant à transposer, grâce à une approche cognitive, les caractéristiques

fondamentales de l’engagement et de la maîtrise du jeu vidéo, à des

apprentissages traditionnels, particulièrement les mathématiques.

39

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage

5/ Voir la notion de “Serious Game” : AZEMARD (G.), 100 notions pour le crossmédia et le transmédia, Les éditions de l’immatériel, 2013, p.191, 225 pages.

Les jeux vidéo et le développement de compétences cognitives

De nombreuses études ont été menées ces dernières années pour établir

une corrélation entre le développement de compétences cognitives et

la pratique des jeux vidéo. Dans un article de 2013, des chercheurs de la

City University of New York et de l’Université de Pittsburgh ont répertorié la

majorité de ces études pour évaluer la rigueur et la fiabilité des protocoles

et comparer les résultats obtenus6. Selon cet article de nombreuses études

ne seraient pas menées rigoureusement, mais certaines études sérieuses

auraient effectivement démontré que la pratique de jeux vidéo permet le

développement de certaines compétences motrices ou de perception

et la coordination entre l’œil et la main. Cependant, selon cet article, les

expériences ayant tenté de démontrer le développement de l’intelligence

non verbale, du multitasking ou de la mémoire par la pratique des jeux vidéo

auraient échoué.

Une étude scientifique de 2013 menée par des chercheurs en psychologie,

neurosciences et sciences cognitives de l’Université Queen Mary, de

l’Université du Texas à Austin et de l’University College London (UCL)7 a

cherché à démontrer que tous les jeux n’avaient pas les mêmes effets sur le

développement de certaines capacités cognitives et particulièrement sur la

“flexibilité cognitive”, c'est-à-dire l’adaptabilité et la capacité à résoudre des

problèmes.

Le protocole de cette expérience peut être résumé ainsi :

q Des personnes jouant rarement à des jeux vidéo sont sélectionnées

(sur les 816 personnes ayant répondu à l’annonce seuls 9 hommes

répondaient aux critères contre 90 femmes, pour cette raison les

chercheurs ont recruté uniquement des femmes).

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

40

6/ POWERS (K.L.), BROOKS (P.J), ALDRICH (N.J.), PALLADINO (M.A.), et ALFIERI (L.), «Effects of video-game play on information processing: A meta-analytic investigation», Psychon Bull Rev., 2013, Vol. 20, pp. 1055-1079.7/ GLASS (B.D.), MADDOX (W.T.) et LOVE (B.C.), “Real-Time Strategy Game Training: Emergence of a Cognitive Flexibility Trait”, Katholieke Universiteit Leuveņ / PLoS ONE 8(8), 2013 : (accessible à partir du lien suivant : http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0070350 dernier accès mai 2015).

q Les personnes sont réparties en trois groupes de manière aléatoire :

1) un groupe jouant à Starcraft (jeu de stratégie de l’éditeur Blizzard)

dans des conditions normales de jeu ; 2) un groupe jouant à Starcraft

avec le contrôle de deux bases, c'est-à-dire en réalisant seul les tâches

normalement affectées à deux joueurs et 3) un groupe jouant aux Sims

(jeu de simulation de vie de l’éditeur Electronic Arts).

q Deux batteries de tests sont réalisées, une avant l’expérience

et une à l’issue de l’expérience de 7 semaines de jeu (40 heures de

jeu au total) : Task Switching task (visant à mesurer la capacité à

réaliser efficacement deux tâches distinctes de manière alternée)8,

Stroop test (visant à mesurer l’attention sélective et la capacité à

répondre rapidement et correctement à des questions simples avec

interférence)9, ANT (visant à mesurer les modes d’attention soutenue,

focalisée et exécutive en fonction de la vitesse de réaction et du taux

d’erreur)10, Multi-location memory task (visant à mesurer la mémoire

immédiate de chiffres dans l’espace)11, Ospan test (visant à mesurer la

capacité à résoudre des problèmes tout en mémorisant des données

extérieures à ces problèmes)12, Visual search task (visant à mesurer

la mémoire visuelle)13, WAIS-IV digit span test (visant à mesurer la

capacité à mémoriser des séries de nombres et à sélectionner les

41

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage

8/ Le Task Switching task : le test mesure le temps de réaction pour identifier de manière alternée des nombres pairs parmi des nombres et des voyelles parmi des lettres.9/ Le Stroop test : une image représente un nom de couleur (par exemple le mot : vert) écrit dans une couleur différente (par exemple en couleur rouge) et la personne doit dire à haute voix de manière la couleur visible ou le nom de couleur écrit.10/ L’Attention Network Test (ANT) : est un test qui combine trois modes attentionnels pour un même exercice : l’alerte, l’orientation et l’attention exécutive. En résumé, dans ce test des flèches apparaissent au-dessus ou au-dessous d’une croix après qu’un indice (sous forme d’astérisque) sur le caractère imminent de l’arrivée de la flèche ou sur son positionnement soit donné, les flèches peuvent aller dans le même sens ou dans des sens opposés et le participant doit indiquer avec le bouton droit, gauche ou les deux boutons de sa souris vers où vont les flèches. La réussite à ce test prend en compte la vitesse de réaction et le taux d’erreur.11/ Le Multi-location memory task : ce test a été créé spécifiquement pour cette expérience par ces chercheurs : des nombres apparaissent alternativement à droite et à gauche de l’écran et il faut calculer si la somme des deux derniers nombres localisés au même endroit de l’écran est paire ou impaire. 12/ L’Ospan test : ce test alterne des séries d’équations à résoudre (équation simple, suivie d’une proposition de réponse vraie ou fausse) suivie d’une lettre à mémoriser, à l’issue d’une série de 3 à 7 équations et lettres à mémoriser, il faut restituer les lettres, l’exercice est réussi si toutes les équations ont été résolues correctement et que toutes les lettres ont été mémorisées à l’issue de la série. 13/ Le Visual search task : dans un premier temps des disques dans lequel des barres sont dessinées apparaissent à l’écran et dans un second temps, les barres disparaissent et il faut sélectionner les disques qui présentaient une barre verticale blanche.

informations mémorisables plus facilement)14, Information filtering task

(visant à mesurer la mémoire visuelle avec des interférences visuelles)15

et Balloon Analog Risk Taking (visant à mesurer l’optimisation de la

prise de risque)16.

À l’issue de ces tests, les chercheurs ont comparé l’évolution des résultats

avant et après l’expérience : les résultats étaient meilleurs pour le groupe 2)

c'est-à-dire le groupe jouant à Starcraft avec deux bases, puis pour le groupe 1)

celui jouant à Starcraft dans des conditions normales et le groupe 3) jouant

aux Sims n’était pas affecté de façon notable par l’expérience et réagissait

comme un groupe témoin.

Les chercheurs ont conclu que la “flexibilité cognitive”, pouvait être

entraînée en jouant à des jeux vidéo de stratégie. Selon eux des jeux vidéo

peuvent être conçus pour développer cette capacité cognitive et d’autres

études pourraient, en utilisant les techniques d’IRM de diffusion, permettre

d’identifier des modifications cérébrales et des modifications dans les

connexions entre plusieurs régions du cerveau après des expériences de

jeu vidéo.

Les jeux vidéo et les schémas pédagogiques traditionnels

Certains jeux vidéo (particulièrement les jeux de stratégie en temps réel

et les jeux de coopération), comme les jeux de société (par exemple les

échecs, le jeu de go, le poker, le backgammon ou le black jack) ont des

règles suffisamment complexes pour permettre à un joueur suffisamment

zélé de mettre en œuvre, sans en avoir nécessairement conscience, des

règles mathématiques et de développer notamment des compétences

14/ Le WAIS-IV digit span test : ce test correspond à la présentation de deux séries de nombres et à la restitution d’au moins une des deux séries, ce test se répète jusqu’à qu’aucune série ne soit restituée correctement. 15/ L’Information filtering task : dans ce test, il faut identifier les barres rouges qui ont changé d’orientation d’une séquence à l’autre dans une image où sont présentées des barres rouges et bleues.16/ Le Balloon Analog Risk Taking: dans ce test dix ballons doivent être gonflés et peuvent exploser avec un taux de probabilité croissant (d’un ballon à l’autre), la probabilité exacte d’explosion du ballon n’est pas connue du participant et à chaque fois que le ballon est gonflé, le participant réalise un gain cumulatif mais lorsque le ballon explose tout le gain de ce ballon est remis à 0, le participant peut décider de gonfler le ballon ou de prendre ses gains.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

42

de visualisation, d’anticipation, de prise de décision ou d’analyse

comportementale. L’avantage principal des jeux vidéo par rapport aux

jeux de société traditionnels du point de vue de la mise en œuvre de ces

compétences est la vitesse de réaction. Même si certains jeux de société

peuvent se jouer avec des chronomètres, comme les échecs, la prise de

décision dans les jeux vidéo doit être réalisée dans des délais plus restreints

et les paramètres à prendre en compte sont plus nombreux.

Tous ces jeux de société ont déjà été utilisés par les enseignants pour

illustrer, servir de base de démonstration ou contextualiser des exercices,

particulièrement pour les mathématiques. Dans cette même logique

certains auteurs, comme Idriss Aberkane, invitent à utiliser les jeux vidéo

pour développer des méthodes de “pédagogie ascendance” visant à la

transmission des règles mathématiques fondamentales et à la présentation

des possibilités de leur mise en œuvre et de leur manipulation17.

Les jeux vidéo en ligne présentent aussi une particularité notable : le mode

de communication rapide et souvent internationalisé. Les jeux de rôle

massivement multi-joueurs (MMORPG), malgré les nombreuses critiques

qu’ils suscitent en raison de l’intensité de l’immersion et de la dépendance au

jeu18, sont aussi des lieux d’échanges et de coopération. Pour communiquer

dans ce type de jeu et être efficace, il faut apprendre à écrire sur un clavier

rapidement, apprendre l’anglais, a minima pour comprendre les instructions,

les quêtes et les autres joueurs. D’autres compétences peuvent aussi être

développées dans ces MMORPG, la capacité à se présenter de manière

avantageuse pour se faire recruter dans une guilde ou dans un groupe,

la capacité à gérer des groupes de personnes dans le cadre d’une guilde

(parfois plusieurs centaines de personnes) ou encore la capacité à vendre

des objets à d’autres joueurs directement (par exemple dans World of

17/ ABERKANE (I.), “Détournement du jeu vidéo à des fins pédagogiques : l’affect, l’acquisition de règle et la compréhension d’un système de règle”, CIEAEM 57, Juillet 2005, pp. 143-151.18/ Voir par exemple : HSU (H. S.), WEN (W.-H.) et WU (H.C.), “Exploring user experiences as predictors of MMORPG addiction”, Computers & Education, Vol. 53, 2009, pp. 990-999 ; THORENS (G.), KHAZAAL (Y.) ZULLINO (D.), “Traitement par thérapie cognitivo-comportementale d’une addiction Internet spécifique : un apport théorique illustré par une étude de cas d’un patient souffrant d’une addiction à un jeu de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG)”, Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive,Vol. 22, n°2, 2012, pp. 60-67 ou encore : SMAHEL (D.), BLINKA (L.), LEDABYL (O.), “Playing MMORPGs: Connections between Addiction and Identifying with a Character”, CyberPsychology & Behavior, Vol. 11, n°6, 2008, pp. 715-718.

43

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage

Warcraft ou Dark Age of Camelot) ou sur un marché non régulé (par exemple

dans Diablo III). D’autres jeux MMORPG, particulièrement les plus anciens,

comme la 4e Prophétie (T4C) privilégiaient le jeu de rôle et en rupture

totale avec le langage texto, de nombreux joueurs perfectionnaient leur

maîtrise du français et s’intéressaient à l’histoire médiévale pour maximiser

leur expérience de jeu. Les compétences développées dans le cadre des

MMORPG s’apparenteraient presque à celles visées dans un programme de

lycée de section de sciences économiques et sociales.

Les jeux-vidéo de simulation à vision subjective peuvent aussi servir d’outils

en soi pour la transmission de savoir-faire et de compétences manuelles,

mais pour ce type d’apprentissages les serious game semblent souvent les

plus pertinents. Au-delà de la simulation sur écran, les nouveaux dispositifs

de réalité augmentée devraient permettre de passer un cap dans la

transmission des gestes de métiers et des tours de main, en s’approchant

encore plus des conditions réelles. Les jeux de simulation permettent ainsi

de restituer de manière collégiales les meilleures pratiques des métiers et

de les transmettre grâce à une e-médiation pédagogique permettant la

répétition et l’analyse en temps réel des progrès de l’apprenant dans la mise

en œuvre.

Les jeux vidéo et les méthodes actives 2.0

Les jeux vidéo sont intégrés dans les nouvelles méthodes pédagogiques

numériques, cependant, il convient de distinguer les apprentissages

par les jeux purement ludiques, les apprentissages par les serious game

et les apprentissages par les jeux purement ludiques conçus pour le

développement incident de compétences. La dernière catégorie est de

toute évidence la plus intéressante sous l’angle de l’enseignement et permet

de créer un engagement entier chez le joueur, tout en ayant conçu par

avance un jeu susceptible de développer efficacement des compétences

identifiables. Comme Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, ce jeu

ou ces jeux sont encore de pures abstractions mais la reconnaissance de

l’intérêt de certains jeux purement ludiques pour le développement des

capacités cognitives est la première pierre à la construction d’un modèle

pédagogique ne se limitant pas à des programmes scolaires structurés

autour d’apprentissages systématiques de cours linéaires.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

44

L’évolution des enjeux de l’enseignement, évolution des méthodes d’enseignement

À l’ère du numérique, l’apprentissage ne peut plus être assimilée à la

capacité de restitution stricte. Si cette assertion paraît évidente, les modalités

d’évaluation accordent une place prédominante à la restitution littérale de

cours, du CP au Master. Ce modèle en décalage avec les exigences réelles de

la compréhension et de l’incorporation de connaissances paraît entièrement

désuet à l’ère numérique avec l’accès immédiat à l’information. La restitution

stricte d’informations de cours et la mémorisation à moyen ou long terme

d’informations précises est justifiable lorsque l’information est difficilement

accessible, ce qui n’est plus le cas. Les modèles doivent en tenir compte en

profondeur en enseignant et en valorisant l’incorporation de connaissances

fondamentales, la capacité à mettre en œuvre ces connaissances face à des

enjeux pratiques et la capacité à rechercher efficacement des informations

pertinentes et fiables en les hiérarchisant.

Article rédigé par Matthieu QUINIOU

Juriste, Consultant - Centre National de Prospective d’AGEFA PME,

Responsable innovation à la chaire Unesco Innovation, Transmission,

Edition Numériques, Université Paris 8, Fondation Maison des Sciences

de l’Homme, AGEFA-PME.

45

Les jeux-vidéo comme modèle d’apprentissage

Des chiffres qui ne signifient pas grand-chose

Nous vivons à une époque qui accumule les enquêtes,

les sondages sur pratiquement tous les sujets. Bien

évidemment les jeunes n’échappent pas à cette frénésie,

ils en sont même des cibles de choix. Mais on peut se

demander si on peut tirer des conclusions ou au moins

quelques enseignements de chiffres provenant d’enquêtes

qui posent des questions faussées dès le départ ou qui

n’ont aucune pertinence ! C’est contre cet abus que nous

luttons dans le cadre de notre plateforme “AGEFA PME –

Young Life” mise en place en partenariat avec Opinion Way.

Par exemple, en 2012, Salisbury avait réalisé un sondage auprès de 934 parents

de jeunes âgés de 18 à 25 ans. D’après ce sondage, il apparaissait que :

30 %

ne savaient pas

faire bouillir un œuf

48 %

des jeunes ne savaient pas

faire la cuisine

44 %

ne savaient pas faire la lessive

35 %

ne savaient pas régler une facture

26 %

ne savaient pas faire leur lit

42 %

ne savaient pas repasser

44 %

ne savaient pas mettre en place un prélèvement automatique

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

46

Ce sont de tels sondages avec de tels chiffres qui alimentent les propos

dévalorisant, désobligeant, concernant les jeunes, du genre “ils ne savent

plus rien faire !”.

Mais on si on avait réalisé ce sondage au XVIIIe siècle auprès des jeunes

femmes les plus cultivées des milieux les favorisés, pour toutes ces

questions, faire la cuisine, la lessive etc., on aurait obtenu des chiffres

avoisinant certainement les 100 % et pourtant personne n’aurait pensé que

ces jeunes femmes étaient des idiotes ou des bonnes à rien !

Il faut donc poser des questions sensées et pertinentes en tenant compte du

fait que les goûts des jeunes ont changé, leurs besoins aussi et les moyens

techniques de satisfaire ces besoins.

Ce serait plutôt inquiétant si un sondage nous apprenait que 100 % des

jeunes aiment faire la lessive, comme s’il n’y avait pas de machine à laver !

Article rédigé par Jean Claude CASTAGNEYROL

Consultant - Centre National de Prospective d’AGEFA PME,

47

Des chiffres qui ne signifient pas grand-chose

Des chiffres qui signifient quelque chose : nos enquêtes “AGEFA-PME – Young Life”

En 2014, AGEFA PME a lancé un programme d’enquêtes

auprès d’une communauté de 3 000 personnes de 15 à 29

ans, tranche d’âge statistiquement classée comme “jeunes”,

à propos de leur relation au monde du travail, leur vision

de l’enseignement professionnel (plus généralement du

système éducatif), ainsi que de leurs aspirations vis-à-vis

de la manière dont se construisent leur projet professionnel

et leur parcours éducatif.

Quelle compréhension pouvons-nous retirer de ces enquêtes ?

Les jeunes, un portrait type ?

Et pourquoi pas ? Etant donné le nombre de jeunes interrogés et la diversité

de leurs statuts (en alternance, en emploi, à la recherche d’un travail), nous

pouvons nous permettre de dire que les résultats obtenus peuvent être

représentatifs afin, tout d’abord, de répondre à ces deux premières questions :

comment se définissent les jeunes français ? Quelles sont leurs valeurs ?

Nous pouvons donner raison à Marc Fumaroli : ils se définissent par des

valeurs humanistes. Le haut du tapis est dominé par “respect”, “autonomie”,

“honnêteté”. En revanche, des substantifs tels qu’ “ambition”, “courage” ou

“esprit d’entreprendre” semblent moins rassembleurs alors que cette sorte

de vocable est recherchée par les recruteurs. Comme sur un site Internet,

nous vous offrons ce nuage de “Tags” :

qLes valeurs par lesquelles se définissent les jeunes

GénérositéPersévérance Courage

Esprit d'entreprendreCréativité RespectEcoute

AutonomieAmbition Engagement

Confiance

Honnêteté

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

48

Est-ce que les jeunes de l’enseignement professionnel se distinguent ?

La réponse est “oui” : par exemple, 51 % de nos “protégés” citent plus

facilement des notions du type “persévérance” (Seulement 37 % des

jeunes interrogés, dans leur ensemble, y sont sensibles.) ou de type “Esprit

d’entreprendre” (valeur que nous défendons fortement comme 35 % des

jeunes de l’enseignement professionnel contre seulement 13 % des jeunes

en général).

Toutes ces données n’empêchent pas notre panel d’avoir une vision précise

des valeurs qui définissent l’entreprise. Tac, nuage de “Tags”… explicite, non ?

qLes valeurs qui définissent l'entreprise selon les jeunes :

Dans un tel contexte, nos jeunes “réalistes” teintés d’ “idéalisme” (et

heureusement, d’ailleurs !) feront le choix, selon eux, pour leur avenir

professionnel de l’épanouissement plutôt que de la carrière.

48 % des jeunes interrogés sont dans cette perspective. 21 % donnent

la priorité au fait de gagner de l’argent. Et l’entrepreneuriat, au sens de la

création d’entreprise, pourrait en pâtir… En effet, un quart de notre panel

déclare vouloir devenir fonctionnaire, 45 % salarié du privé, et 30 % prendre

la tête de leur propre entreprise (chiffre toutefois non négligeable.)

Des jeunes optimistes…

Selon Alfred de Musset, au XIXe siècle, la jeunesse était “soucieuse” ; celle

du XXIe siècle est pessimiste quant à l’avenir économique de la France (qui

est, quand-même, loin d’être un “champ de ruines”). Mais, paradoxe devant

l’éternel, cette jeunesse reste optimiste pour son avenir personnel aussi bien

GénérositéAmbitionEsprit d'entreprendre

CourageCréativité

EcouteAutonomie

RespectEngagementConfiance

HonnêtetéPersévérance

49

Des chiffres qui signifient quelque chose : nos enquêtes “AGEFA-PME – Young Life”

que professionnel. Ce niveau de confiance s’est maintenu tout au long de

nos enquêtes 2014-2015.

En décembre 2014, mois de l’année où se font les bilans et où se prennent

les “bonnes résolutions”, nous avons obtenu les chiffres suivants : 77 % de

notre panel se dit “optimiste” pour l’année 2015, 71 % a confiance en soi

(“J’ai les armes pour réussir.”). La palme d’or est, à nouveau, décernée à nos

jeunes de l’enseignement professionnel : les concernant, ce score monte

même jusqu’à 87 %.

… mais conscients des difficultés économiques

“Confiance” ne rime pas avec “inconscience”. Ils estiment que la crise

économique est une des principales sources de leurs soucis quant à la

pérennité de leur insertion professionnelle. Quelques verbatim déposés par

les jeunes sur la plateforme le prouvent :

“Situation instable dans mon emploi. L’avenir est incertain.”

“Je ne trouve pas d’emploi dans ma branche professionnelle, et cela

fait 3 ans que ça dure.”

Courage, Courage…

Cela nous permet d’écrire que la construction d’un projet professionnel a

un sens.

L’importance du projet professionnel

Dans ce paragraphe, trois questions se posent : les jeunes ont-ils conscience

de cette signification ? Ont-ils un projet professionnel ? Si c’est le cas,

comment l’ont-ils construit ?

Rassurons-nous : 94 % jugent cette préparation essentielle. 85 % estiment

en avoir un, même s’il n’est réellement bien défini que pour 37 % au total, et

ce chiffre croît jusqu’à 47 % pour les jeunes de l’enseignement professionnel.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

50

Et ce projet se construit dans l’échange, et cela avant la majorité (66 %), et à

l’aide des proches et de la famille. Le rôle de cette dernière est déterminant

si nous le comparons, notamment, avec celui desdits “institutionnels” que

sont les professeurs ou les conseillers d’orientation.

L’échange n’empêche pas la volonté d’autonomie dans la recherche

d’information (pour 82 %, elle se fait par Internet mais les Salons et les

Journées Portes Ouvertes sont également visités.).

Comme nous avons vu, ils sollicitent peu les professeurs et les conseillers

d’orientation malgré un sentiment d’égarement pour 44 % de nos jeunes.

Comment faire pour que le dialogue reprenne ?

9 jeunes sur 10 estiment que le système éducatif devrait les accompagner

davantage dans la construction de leur projet. Mais, comme dit le bon vieil

adage… qui ne demande rien, n’a rien…

La solution à leurs yeux, pour mener à bien la construction de leur parcours

professionnel se trouverait dans l’apprentissage : 91 % de notre panel le

conçoit comme la voie éducative-clé. Les jeunes de l’apprentissage font

des jaloux chez leurs camarades. Ainsi, nous sommes arrivés au résultat

surprenant que plus d’un tiers des jeunes non issus de la voie pro regrettent

de ne pas avoir suivi une formation en alternance.

Et l’expérience dans tout ça ?

Un seul mot “vitale”, car c’est elle qui donne ce qu’ils appellent les “armes”.

Quand on parle d’expérience, dans leur cas, il s’agit, pour la plupart de la

première. Elle est faite sous forme de jobs d’été, de stages ou de formations

en alternance.

Nous félicitons notre panel : 9 sur 10 d’entre eux ont déjà eu ce premier pas

dans le monde du travail. Pour 53 %, elle est même intervenue avant 18 ans,

dans le cadre d’un job d’été, le plus souvent effectué dans la vente ou la

restauration et naturellement aussi en stage.

51

Des chiffres qui signifient quelque chose : nos enquêtes “AGEFA-PME – Young Life”

Malheureusement, ce premier contact n’est pas forcément en adéquation

avec la formation qu’ils suivent.

Pour autant, le ressenti est unanime, les jeunes associent ce premier emploi

à une bonne expérience (95 %), un bon souvenir qui tient notamment

aux excellentes relations avec les collègues (90 %) et les responsables

(89 %). Au final, plus des trois-quarts des jeunes décrivent une expérience

enrichissante (77 %).

Un premier contact déterminant pour les jeunes dans la découverte du

monde du travail

Au-delà de la bonne expérience, ce premier emploi a permis à une forte

majorité de jeunes (84 %) de découvrir le monde de l’entreprise et ses codes.

Cette première expérience a également été l’occasion d’améliorer l’image

de l’entreprise et de l’univers professionnel pour 61 % de ces derniers,

mettant ainsi en évidence l’intérêt de périodes en entreprise dans les cursus

scolaires.

Toutefois, cette première expérience n’apparaît pas forcément très

structurante professionnellement, elle ne correspond que dans 44 % des

cas au parcours et aux études des jeunes et n’est que rarement constituée

de missions intéressantes.

L’alternance, un contact avec l’entreprise structurant professionnellement

Les formations en alternance constituent également l’occasion pour de

nombreux jeunes d’avoir ce premier contact avec le monde de l’entreprise.

Toutefois, cette expérience en entreprise se révèle nettement plus

structurante pour le jeune et s’inscrit clairement dans un projet professionnel.

Ainsi, une forte majorité de jeunes passés, notamment, par l’apprentissage

nous disent que cette formation leur a été particulièrement utile pour

comprendre le fonctionnement d’une entreprise (97 %), pour apprendre un

métier (92 %) et pour avoir confiance en eux et, donc, dans leurs capacités

professionnelles (84 %).

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

52

Plus concrètement, cette période leur a permis de gagner en compétences

telles que l’autonomie, le sens des responsabilités, la rigueur et la

persévérance ; celles-ci représentant des qualités particulièrement

valorisées actuellement sur le marché de l’emploi.

Preuve de la valeur ajoutée de l’alternance, dans son ensemble, pour la

réussite de la construction du projet professionnel, 52 % des jeunes n’ayant

jamais été apprentis regrettent avec le recul de n’être jamais passés par

cette voie.

Pour l’information de nos lecteurs, sachez que ces travaux continuent et

sont régulièrement publiés sur notre site Internet à la rubrique suivante :

http://www.agefa.org/agefa-pme/prospective/

Article rédigé par l’équipe du centre national de prospective d’AGEFA PME

53

Des chiffres qui signifient quelque chose : nos enquêtes “AGEFA-PME – Young Life”

Notes de lecture

par l’équipe du Centre National

de Prospective d’AGEFA PME

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

54

“La crise de la culture” par Hannah ARENDT

Editions Folio Essais 379 Pages

“Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.” (René Char)

“Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres.” (Alexis de Tocqueville).

Dans ce numéro spécial consacré à la jeunesse, ses désarrois, ses

insuffisances, son manque de connaissances et de culture, peut-être aussi

son inconsistance, ce serait une grande injustice de tout lui faire retomber

sur le dos. Nous sommes là, nous avons vécu avant les jeunes et c’est nous

qui leur avons dit, ou pas, ce qu’il fallait apprendre, respecter, vénérer ;

c’est nous qui les avons, ou pas, ou mal instruits et éduqués. S’il y a une

crise de l’éducation, ils n’en sont pas responsables.

Vous vous en êtes certainement rendus compte, beaucoup de livres sont

écrits sur cette crise de l’éducation ; vous les avez feuilletés, mais vous

les avez vite laissés tomber et refermés car ils ne vous apprenaient rien,

accumulant les lieux communs, les incantations, les nostalgies et les

démagogies !

Mais avec Hannah Arendt, c’est vraiment autre chose ; elle nous aide à en

savoir plus sur la crise de l'éducation, son origine, ses manifestations et ses

conséquences.

D’origine allemande, philosophe, c’est Hannah Arendt (1906-1978) qui a

introduit la notion de totalitarisme et qui a consacré plusieurs études à

ce qu’elle a appelé la “banalité du mal” qui caractérise le nazisme. Mais

il ne faut pas entendre cette banalité comme quelque chose d’ordinaire,

d’inessentiel ou de peu d’importance. Hannah Arendt parle de banalité

55

Notes de lecture

parce que le mal s’était répandu dans toute la société allemande ; il faisait

partie du quotidien de la vie et surtout, il ne choquait plus, il ne scandalisait

plus ; il était devenu banal parce qu’on y était habitué.

Vous trouverez cette étude sur la crise de l’éducation dans un livre publié

en français dans la collection “folio essais” et qui regroupe plusieurs

articles parus dans des revues américaines et qui concernent ; la tradition

et l’âge moderne ; le concept d’histoire ; l’autorité ; la culture ; la vérité et la

politique ; la conquête de l’espace.

“Pour quelles raisons a-t-on pu, pendant des années, parler et agir

en contradiction flagrante avec le bon sens ?”

Pour Hannah Arendt, c’est aux États-Unis que la crise de l’éducation a

commencé et qu’elle a revêtu sa forme la plus extrême, avant de se diffuser

en Europe. Mais quel est donc le signe, le symptôme le plus significatif de

cette crise et qui permet de mieux comprendre la faillite des méthodes

modernes d’éducation ?

C’est ce que Hannah Arendt appelle “le pathos de la nouveauté”.

“… En ce qui concerne l’éducation, il a fallu attendre notre siècle

pour que l’illusion provenant du pathos de la nouveauté produise

ses conséquences les plus graves. Tout d’abord, elle a permis à cet

assemblage de théories modernes de l’éducation, qui viennent du

centre de l’Europe et consistent en un étonnant salmigondis de choses

sensées et d’absurdités, de révolutionner de fond en comble tout le

système d’éducation, sous la bannière du progrès de l’éducation… on a

résolument mis à l’écart toutes les règles du bon sens. La disparition de

ce sens commun aujourd’hui est le signe le plus sûr de la crise actuelle.

À chaque crise, c’est un pan du monde, quelque chose de commun à

tous, qui s’écroule.” (Ouvrage cité, pages 229 et 230)

Quel est donc cet “étonnant salmigondis de choses sensées et

d’absurdités” ?

Pour Hannah Arendt, toutes les réformes pédagogiques qui se sont

révélées catastrophiques ont toujours été motivées par trois idées qui sont

toujours encore aujourd’hui au centre de tous les débats pédagogiques :

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

56

1 Il faut affranchir les enfants de l’autorité des adultes et encourager

l’autonomie des enfants.

2 Ce n’est pas la matière à enseigner qui est le plus important.

3 Il faut substituer le faire à l’apprendre, ne plus enseigner un savoir

mais un savoir-faire.

Que se passe-t-il donc quand l’autonomie des enfants est envisagée

comme la finalité absolue de l ‘éducation ?

Cela entraine d’abord une mise cause de l’autorité des adultes qui sont de

plus désarmés face aux enfants et qui hésitent à leur dire ce qu’ils doivent

faire ou ne pas faire, “il ne peut que lui dire de faire ce qui lui plaît !”.

Mais il y a une autre conséquence, encore plus grave et que Hannah Arendt

est une des rares à avoir remarquée.

Pour Hannah Arendt, en effet, valoriser et encourager ainsi l’autonomie

des enfants, c’est les placer dans un monde à part, le monde des enfants

et dans un établissement scolaire, dans une école, c’est le groupe des

enfants supposés autonomes qui détient l’autorité. Mais Hannah Arendt

nous prévient, il ne faut pas se méprendre, cette autorité peut vite devenir

tyrannique.

“Affranchi de l’autorité des adultes, l’enfant n’a donc pas été libéré, mais

soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la

tyrannie de la majorité… Ils sont soit livrés à eux-mêmes, soit livrés à la

tyrannie de leur groupe, contre lequel, du fait de sa supériorité, ils ne

peuvent se révolter, avec lequel, étant enfants, ils ne peuvent discuter,

et duquel ils ne peuvent s’échapper pour aucun autre monde, car le

monde des adultes leur est fermé. Les enfants ont tendance à réagir

à cette contrainte soit par le conformisme, soit par la délinquance

juvénile, et souvent par un mélange des deux.” (Ouvrage cité pages

233 et 234)

57

Notes de lecture

Hannah Arendt nous donne peut-être une clé, et qui fonctionne même

si la serrure grince, pour comprendre cette explosion aujourd’hui de la

délinquance juvénile ?

Ce ne serait pas la matière à enseigner qui serait le plus important. Si on

adapte ce deuxième impératif à la situation actuelle, cela signifie que

l’enseignant doit devenir un “communiquant”, peu importe le contenu de

ce qu’il communique !

Il est ensuite facile pour Hannah Arendt de montrer que cette attitude

ruine l’autorité du professeur.

“…Puisque le professeur n’a pas besoin de connaître sa propre discipline,

il arrive fréquemment qu’il en sait à peine plus que ses élèves. En

conséquence, cela ne veut pas seulement dire que les élèves doivent

se tirer d’affaire par leurs moyens, mais que désormais l’on tarit la

source la plus légitime de l’autorité du professeur, qui, quoi qu’on en

pense, est encore celui qui en sait le plus et qui le plus compétent…”

(Ouvrage cité page 234)

La troisième idée critiquée par Hannah Arendt est devenue le thème le

plus répandu des discours pédagogiques actuels comme si sa réalisation

allait provoquer une véritable révolution et régler tous les problèmes :

il faudrait substituer le faire à l’apprendre, le savoir-faire au savoir. Mais

il convient de bien prendre la mesure des choses. Pour tout ce qui est

technique, empirique professionnel, c’est bien le savoir-faire qui doit être

le but. Mais pour ce qui concerne le domaine des connaissances, par

exemple les maths, les sciences, etc. la distinction entre le savoir et le

savoir-faire ne s’applique plus car savoir ici, c’est d’abord apprendre ; s’il y a

un savoir-faire, il réside dans l’étude elle-même. Il n’y a pas de savoir-faire

possible que pour ce qu’on ne pourrait faire soi-même, or s’agissant de

toutes les connaissances, toutes les sciences, nous sommes venus après,

ce n’est pas nous qui les avons faites et nous n’en serions certainement

pas capables. Il en est de même dans le domaine littéraire et artistique. Qui

donc pourrait prétendre “savoir-faire” un roman de Balzac par exemple !

Dans tous ces domaines, il faut se contenter du savoir, il faut se contenter

de connaître. Mais c’est un savoir, ce sont des connaissances qui peuvent

changer nos vies.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

58

“… C’est une théorie moderne sur la façon d’apprendre qui a permis

à la pédagogie et aux écoles normales de jouer un rôle pernicieux

dans la crise actuelle…Cette idée de base est que l’on ne peut savoir

et comprendre que ce que l’on a fait soi-même, et sa mise en pratique

dans l’éducation est aussi élémentaire qu’évidente ; substituer, autant

que possible, le faire à l’apprendre.” (Ouvrage cité page 234)

Pour Hannah Arendt, ces 3 idées, qui sont toujours dominantes dans le

monde de l’éducation et de la pédagogie, sont de fausses idées et de

graves erreurs mais comment les expliquer ?

“La crise de l’autorité dans l’éducation est étroitement liée à la crise

de la tradition, c’est-a-dire à la crise de notre attitude envers tout ce

qui touche au passé.”

Pour mieux comprendre ces critiques, il convient de dégager les idées

qu’Hannah Arendt se fait de la culture, du passé, de la civilisation car c’est

en fonction de ces idées qui sont aussi pour elle des principes régulateurs,

qu’elle développe ses critiques.

Pour Hannah Arendt, la société, c’est-à-dire les parents et les éducateurs ;

ces derniers doivent assumer une double responsabilité : la responsabilité

vis-à-vis des enfants qui consiste à les soigner et à les protéger mais aussi

la protection de la société avec ses lois, sa culture et son passé.

“…Ce monde aussi a besoin d’une protection qui l’empêche d’être

dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui

à chaque nouvelle génération.” (Ouvrage cité page 239)

Remarquons que cette idée qui est centrale chez Hannah Arendt est

totalement négligée ou rabaissée aujourd’hui. Elle est pourtant bien

centrale car elle signifie que non seulement ces deux responsabilités

ne sont pas faciles à concilier mais aussi qu’il n’y a pas de sens à vouloir

instaurer, comme on tente de le faire, un monde propre aux enfants car

c’est non seulement les priver des acquisitions culturelles du passé mais

c’est aussi mettre tout ce passé en péril.

59

Notes de lecture

“Il est clair que, en essayant d’instaurer un monde propre aux enfants,

l’éducation moderne détruit les conditions nécessaires de leur

développement et de leur croissance ; il est pour le moins étrangement

frappant que cette éducation fasse tant de mal à l’enfant, elle qui

prétendait n’avoir d’autre but que de le servir et qui rejetait les méthodes

du passé comme ne tenant pas assez compte de sa nature profonde

et de ses besoins. “Le siècle de l’enfant”, comme on peut s’en souvenir,

devait émanciper l’enfant et le libérer des normes tirées du monde

des adultes. Mais comment a-t-on pu négliger, ou simplement ne pas

reconnaître les conditions de vie les plus élémentaires nécessaires

à la croissance et au développement de l’enfant ? Comment a-t-on

pu exposer l’enfant à ce qui plus que tout autre chose caractérise le

monde adulte, c’est à dire la vie publique, alors que l’on venait de

s’apercevoir que l’erreur de toutes les anciennes méthodes avait été

de considérer l’enfant comme “petit adulte” ?” (Ouvrage cité page 240)

À partir de là, vous comprendrez mieux la définition que l’auteur donne

de l’éducation et qui va totalement à contre-courant du bavardage de la

pédagogie actuelle : “… Il me semble que le conservatisme, pris au sens de

conservation, est l’essence de l’éducation.” (Ouvrage cité page 246)

Nous pensons que ce qui fait l’intérêt de cette étude, serrée, rigoureuse et

à contre-courant, c’est la mise à jour par Hannah Arendt des liens profonds

existant entre l’autorité, le passé, la culture, la tradition et l’éducation.

Et vous comprendrez certainement mieux pourquoi l’éducation est

devenue une tâche si difficile et parfois impossible. Il en est ainsi parce

que l’éducation qui ne peut pas faire table rase du passé ni de la tradition

s’exerce aujourd’hui “dans un monde qui n’est plus structuré par l’autorité ni

retenu par la tradition.”

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

60

“Le triomphe de la cupidité” par Joseph STIGLITZ

Editions du livre de poche - Collection Babel 483 Pages

Nous sommes encore dans la crise mondiale de l’économie, une crise qui

n’en finit pas. Il faudra certainement des années après que cette crise soit

surmontée pour bien en comprendre les causes multiples, en discerner

tous les mécanismes et en clarifier les répercussions. Cependant même si

nous reconnaissons que nous ne pouvons pas encore ni tout connaître ni

tout comprendre, nous voulons en savoir un peu plus et savoir au moins ce

qui a bien pu déclencher cette crise, nous voulons savoir quels en sont les

principaux responsables.

Prix Nobel d’économie en 2001, Joseph Stiglitz peut nous y aider et

d’autant plus qu’il n’avait pas cessé de multiplier les mises en garde, dès

2001 avec “La grande désillusion”, en 2003 avec “Quand le capitalisme

perd la tête” et en 2011, avec ce livre “Le triomphe de la cupidité” que nous

allons vous présenter et tenter de vous simplifier. Car ce n’est pas un livre

facile à lire, son sujet est difficile, nous manquons encore de recul et de

nombreuses pages sont consacrées au processus de la crise aux États-

Unis et aux différentes politiques américaines qui ont tenté d’y répondre

et cela, non plus, ne facilite pas la lecture. Néanmoins, le but de ce livre

apparaît clairement et dès les premières pages ; il s’agit, en effet, pour

l’auteur de mieux comprendre ce qui s’est passé afin, à l’avenir, de ne plus

recommencer les mêmes erreurs.

“Si nous parvenons à comprendre ce qui a provoqué la crise de 2008

et pourquoi certaines réponses initiales des pouvoirs publics ont été

des échecs si patents, nous pourrons réduire la probabilité des futures

crises, leur durée et le nombre de leurs innocentes victimes ; peut-être

ouvrir la voie à une croissance robuste aux bases solides, à l’opposé de

la croissance éphémère fondée sur les dettes de ces dernières années ;

et peut-être même faire en sorte que les fruits de la croissance soient

partagés par l’immense majorité des citoyens.” (Joseph Stiglitz ; Le

triomphe de la Cupidité ; page 31)

61

Notes de lecture

“La seule surprise de la crise économique de 2008, c’est qu’elle ait

tant surpris.”

Oui, la crise de 2008 a vraiment surpris, tout le monde, le grand public

mais aussi les spécialistes et les experts, les emprunteurs comme les

investisseurs et les financiers. Il y avait bien quelques signaux d’alarmes,

le fait d’une extrême gravité, que les emprunteurs devaient indéfiniment

emprunter pour tenter de rembourser leur prêt précédent et avec des

commissions toujours plus élevées, mais les banques continuaient à parler

de “prêts innovants” et à nous assurer qu’il ne fallait pas s’alarmer car “les

marchés se corrigent d’eux-mêmes et que les banques ne cesseraient

jamais de se prêter les unes aux autres”. Et le FMI continuait à diffuser sa

douce chanson : “dormez tranquilles, les marchés savent s’autoréguler !”

Mais il y avait trop de dettes et cette fois la technique, l’astuce des banques,

partager les risques, éparpiller les dettes et les prêts, n’a pas marché, et

plus personne ne pouvait empêcher la crise.

“La seule surprise de la crise économique de 2008, c’est qu’elle ait

tant surpris. Pour quelques observateurs, c’était un cas d’école tout

à fait prévisible, et d’ailleurs prédit. Un marché déréglementé, saturé

de liquidités et de taux d’intérêts faibles ; une bulle planétaire de

l’immobilier ; une hausse astronomique de prêts à risque : le mélange

était explosif. Ajoutons les deux déficits des Etats-Unis, le budgétaire

et le commercial, et l’accumulation correspondante de gigantesques

réserves de dollars en Chine - une économie mondiale déséquilibrée,

et il était clair que tout avait affreusement déraillé.

La véritable originalité de cette crise par rapport à la multitude de

celles qui l’ont précédée depuis un quart de siècle, c’est d’être “made

in USA”. Les autres avaient été endiguées, mais celle-ci, fabriquée aux

États-Unis, a vite touché le monde entier…” (Ouvrage cité, page39)

“Le prêt menteur”

Nous connaissons bien les conséquences de cette crise, périlleuses pour

les banques et les pays, tragiques pour les particuliers avec des maisons

mises en vente, des emprunteurs ruinés et des suicides. Ainsi, 2,3 millions

d’Américains ont perdu leur maison en 2008, et 3,4 millions en 2009.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

62

“… Les banques ont compromis ce que des millions de gens avaient

épargné pendant toute leur vie quand elles les ont persuadés de

dépenser au-delà de leurs moyens. Avec leurs maisons, de nombreux

Américains perdent toutes leurs économies et leurs rêves d’un avenir

meilleur, d’une bonne éducation pour leurs enfants, d’une retraite un

peu confortable.” (Ouvrage cité pages 164 et 165)

Et nous savons que la Grèce et l’Espagne ont vécu la même tragédie

sociale.

Mais comment une telle tragédie a-t-elle été possible ?

L’auteur ne se lance pas dans des théories prétentieuses ou vaseuses,

qui ne clarifiaient rien comme nous en avons trop souvent entendu ces

dernières années. Il va vraiment au cœur du problème en nous expliquant

que tout le processus qui a abouti à la crise que nous connaissons reposait

en fait sur un système de prêts qu’il qualifie de “prêts menteurs” et aussi sur

ce qu’il appelle la “titrisation”.

“Le prêt menteur” - ainsi nommé parce qu’on n’était pas tenu de prouver ses

revenus pour l’obtenir- était l’un des plus curieux des nouveaux produits.

Dans bien des cas, l’emprunteur était encouragé à surestimer ses revenus.

Dans d’autres, les employés des sociétés de crédits s’en chargeaient eux-

mêmes, et l’emprunteur ne découvrait l’erreur qu’à la signature… Plus le

prêt est important, plus les commissions sont grosses. Et s’il y a plus tard

un problème, peu importe.

“Si de nombreux particuliers étaient obligés de vendre leur maison

au même moment - en raison d’une hausse soudaine du chômage

- par exemple, cela ferait baisser les prix immobiliers et éclater la

bulle. Et c’est là que toutes les erreurs commises dans l’octroi de ces

prêts interagissent : si l’établissement de crédit a prêté 100% (ou si

l’amortissement négatif a porté la dette à 100%) de l’ancienne valeur

de la maison, l’emprunteur n’a plus moyen de rembourser le prêts en

vendant la maison. Plus moyen, sans se mettre en défaut de paiement,

de se réinstaller dans une autre, moins grande…” (Ouvrage cité pages

175 et 176)

63

Notes de lecture

Quant à ce que l’auteur appelle la “titrisation”, on reste confondu devant une

telle absurdité : les prêts hypothécaires étaient regroupés par les banques

d’affaires, reconditionnés, convertis en nouveaux titres et transférés à

d’autres banques ou à des fond de pensions ; ces prêts étaient garantis

sans risque par les agences de notation.

“Tout le mécanisme de la titrisation reposait sur la théorie du plus fou :

elle supposait qu’il existait des fous à qui l’on pouvait vendre les prêts

hypothécaires toxiques et les périlleux morceaux de papier fondés

sur eux. La mondialisation avait ouvert l’accès à toute une planète de

fous.” (Ouvrage cité page 184)

On comprend donc mieux ce qui s’est passé, cette folie a fini par faire

peur aux banques qui ont alors cessé de se prêter les unes autres. Il n’y

avait peut-être pas de “garde-fous” mais il y avait le FMI, les agences de

notation, la politique américaine ; comment se fait–il que ni les uns ni les

autres n’aient tiré le signal d’alarme ?

“Une course à qui fera pire”

L’auteur ne ménage pas ses critiques à l’encontre du FMI et de la politique

américaine et il est vrai que le dossier est accablant mais ses critiques les

plus graves visent les agences de notation car elles n’ont pas seulement

commis des erreurs, ce qui serait excusable, elles n’ont pas été honnêtes ;

l’auteur parle même de “perversité” à leur sujet.

“Les agences de notation auraient dû voir les risques des produits

dont on leur demandait de certifier la sécurité. Si elles avaient fait

leur travail, elles auraient réfléchi aux incitations perverses tant des

initiateurs que des banques d’affaires et de leurs banquiers et cela les

auraient rendues particulièrement circonspectes.

Certains se sont dits stupéfaits par la prestation lamentable de ces

agences. J’ai surtout été surpris qu’ils soient surpris. Les agences de

notation ont un long passé d’erreurs déplorables,-bien antérieur aux

scandales Enron et Worldcom du début des années 2000. Pendant la

crise asiatique de 1997, elles ont été accusées d’avoir contribué à la

bulle qui l’avait précédée. Elles avaient donné à la dette de pays comme

la Thaïlande une excellente note jusqu’à la veille même de la crise…

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

64

Pour expliquer la piètre performance des agences de notation, il faut

remonter à leurs incitations : comme partout dans la sphère financière,

les leurs étaient distordues. Elles avaient leurs propres conflits

d’intérêts. Elles étaient payées par les banques qui créaient les titres

qu’on leur demandait de noter…Et la concurrence entre agences de

notation ne faisait que dégrader la situation .Si l’une d’elles ne donnait

pas la note souhaitée, les banques d’affaires pouvaient s’adresser à

une autre. C’était une course à qui ferait pire.” (Ouvrage cité page 186)

Joseph Stiglitz nous dévoile ce qui pouvait rester, pour nous, bien difficile

à comprendre. Ce sont bien tous ces produits complexes dont les

marchés financiers étaient si fiers et qu’ils qualifiaient d’innovations qui

ont complètement déstabilisé l’économie mondiale : les titres de créance,

les crédits hypothécaires, les produits dérivés, les cartes de crédits.

Mais pour Joseph Stiglitz, cette crise ne résulte pas seulement d’erreurs,

d’imprudences, de folies aussi comme nous l’avons noté, dans le domaine

de la gestion économique, ce sont aussi des idées fausses et des théories

incorrectes qui ont fait prendre des décisions incorrectes.

Des théories extravagantes

C’est à la fin de son livre, dans le chapitre 9, intitulé “réformer la science

économique”, que l’auteur mène sa critique de la science économique

actuelle et de ses principaux postulats. Nous avons été surpris de

constater que pour lui toute la théorie économique actuelle est faussée

parce qu’elle repose sur une idée fausse, celle de l’équilibre général et

énoncée par l’économiste français Léon Walras. Les lecteurs que cette

question intrigue ou intéresse pourront approfondir ce chapitre. Mais il est

clair que Joseph Stiglitz ne partage pas du tout les présupposés de cette

théorie.

“La plupart d’entre nous n’aimeraient pas qu’on les assimile à l’image

de l’homme qui sous-tend les modèles économiques dominants, cet

individu calculateur, rationnel, égoïste et intéressé. Aucune place n’est

faite à la sensibilité humaine, au civisme, el l’altruisme. L’in des traits

intéressants de la théorie économique, c’est que ce modèle décrit mieux

les économistes que les autres, et plus les étudiants étudient l’économie,

plus ils deviennent comme le modèle.” (Ouvrage cité page 439)

65

Notes de lecture

Nous vous invitons à lire ce livre, comme nous vous le disions, il n’est

pas facile mais il montre que la crise dans laquelle nous nous débattons

toujours, a bien failli tout bouleverser et qu’il a fallu, qu’il faut toujours, des

sommes considérables pour sauver le système économique.

“On dit que voir la mort de près force à réévaluer ses priorités et ses

valeurs. L’économie mondiale vient d’échapper à une expérience très

proche de la mort. La crise a révélé les vices du modèle économique

dominant mais aussi ceux de notre société. Trop de gens avaient

profité des autres. La confiance s’était brisée. Presque tous les jours, on

apprenait les méfaits des professionnels du secteur financier-pyramides

de Ponzi, délits d’initiés, crédits prédateurs, multiples stratagèmes

des cartes de crédits pour soutirer le plus d’argent possible à leurs

utilisateurs impuissants. Ce livre s’est toutefois concentré non sur ceux

qui ont violé la loi, mais sur ceux (et ils sont légion) qui, dans les limites

de la légalité, ont créé, conditionné, reconditionné et vendu des produits

toxiques, et commis de telles imprudences qu’ils ont failli abattre tout

le système économique et financier. Le système a été sauvé, mais à un

coût auquel on a du mal à croire.” (Ouvrage cité page 483)

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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“La grande crise” par James K. GALBRAITH

Editions du Seuil Collection “Economie Humaine”

307 Pages

Vous avez lu, c’est bien un livre de Galbraith, mais attention, ce n’est pas

John Kenneth, c’est James. Ce n’est pas le père, c’est le fils !

Le père, John Kenneth Galbraith, vous en avez certainement entendu

parler et peut-être lu son ouvrage le plus connu “Le nouvel âge industriel”.

Cet ouvrage avait fait date en effet parce qu’il nous disait, dès les années

1970, que le “nouvel âge industriel” qui était déjà en place allait opérer une

inversion de l ‘économie ; il nous expliquait que désormais, au moyen de la

publicité et d’une politique des prix et du crédit, ce seraient les entreprises

qui imposeraient leurs produits aux consommateurs et non l’inverse.

Et c’est en effet ce qui s’est passé pour bien des produits. Pensez à l’IPhone

par exemple, personne ne le réclamait, il ne faisait pas vraiment l’objet d’un

besoin ; on aurait pu s’en passer ; mais voilà, on ne peut plus s’en passer !

Et regardez ce qui se déroule sous nos yeux avec “l’Apple Watch” ! Il y a

beaucoup d’autres montres connectées sur le marché et elles se vendent

mal actuellement ; il y aurait donc un risque d’échec pour cette nouvelle

montre. Mais, depuis un an, Apple nous la fait désirer ; de temps en temps,

il distille quelques rares informations qui aiguisent notre désir ! Nous

en connaissons maintenant les tarifs. Exorbitants diront certains ! Oui et

non ! Oui en soi mais non, car si nous l’achetons, nous entrerons ou nous

resterons dans le monde, pas seulement du luxe mais le monde d’Apple,

celui du raffinement et de la haute technologie ! Nous ferons partie d’une

élite, celle des raffinés du numérique et cela n’a pas de prix. Tel est bien le

“nouvel âge industriel” !

67

Notes de lecture

Voilà ce que nous disait le père John Kenneth mais que peut nous dire

le fils James K. ?

Les bulles !!! Mais on n’explique rien avec de simples métaphores.

C’est de la crise dont il nous parle, son émergence aux États-Unis, son

déferlement en Europe ; il l’appelle “la grande crise”, non seulement parce

qu’elle est grave mais aussi parce que les politiques mises en œuvre

jusqu’à présent, et qu’elles soient de gauche ou de droite, l’ont aggravée,

que ce soient des politiques de l’offre ou des politiques de la demande.

“Grande crise” aussi parce que selon lui, les économistes n’ont pas été

capables de nous expliquer pourquoi, elle est arrivée et “pourquoi les

choses se sont passées ainsi”.

“Jusqu’à présent, les économistes ont surtout tenté d’interpréter la crise

en tant qu’illustration d’un thème unique. Les thèmes sont différents. Les

cygnes noirs. Les longues traînes. Les bulles. L’Etat interventionniste.

L’inégalité. La trappe à liquidités. Certains sont de simples métaphores,

d’autres sont plus développés. Certains sont conservateurs, d’autres

progressistes. Certains sont avec les idées dominantes de l’économie

universitaire, d’autres non. Quelques-uns relèvent pour l’essentiel

de la désinformation, de la politique, de l’opportunisme, voire de la

corruption, d’autres contiennent une large part de vérité. Mais ils sont

tous incomplets…”

C’est donc d’abord une vive critique des économistes professionnels que

vous trouverez dans ce livre. Mais qui sont –ils ?

“Bonnet blanc et blanc bonnet” - “les tribus universitaires”

Ils sont pratiquement tous visés les “Keynésiens”, les “nouveaux Keynésiens”

et les “anti-Keynésiens”. Les disciples, les héritiers et les émules de “l’école

de Chicago” et de Milton Friedman, les “monétaristes” et tous ces experts

qui débattent de la crise à Harvard, Berkeley et Stanford, pour ne parler

que des États-Unis.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

68

Ils aiment tous présenter leurs théories selon des formules mathématiques ;

cela fait plus distingué et surtout permet d’intimider mais aucune de leurs

formules n’a permis de “prévoir, d’annoncer ou désamorcer”.

“Avant tout, ce sont des tribus universitaires. Et si autrefois leurs

divergences ont été assez importantes, ces derniers temps elles sont

devenues à la fois secondaires et obscures…ils préfèrent penser sur des

bases analogues et restreindre leur rayonnement intellectuel à leur

propre communauté : ils se donnent ainsi une sphère dans laquelle

leur jugement ne saurait être contesté par des non-initiés. Leur grand

souci est d’abord d’établir leur position personnelle dans un système de

hiérarchies complexes. Krugman définit l’instinct qui les pousse comme

“le désir d’une approche exhaustive, intellectuellement élégante, qui

donnerait ainsi aux économistes l’occasion de démontrer leur virtuosité

mathématique.” Exact et accablant ; une question d’élégance et une

affaire d’ego. La Société de club de l’économiste universitaire n’a

nullement pour objet de régler les problèmes du monde.” (Ouvrage cité

pages 77 et 78)

“Nous n’allons pas, cette fois, nous en tirer aussi facilement”

L’idée centrale de ce livre, est qu’il n’y aura plus de croissance forte. La

croissance dépend de 3 facteurs :

1 La démographie

2 Les progrès technologiques

3 Linvestissement qui s’appuie sur l’épargne

Mais, selon Galbraith, aucun de, ces facteurs ni même les trois combinés

ne permettent le retour à une croissance forte et durable.

Pourtant les progrès techniques ont toujours permis jusqu’à présent de

sortir des stagnations économiques et de revenir à une croissance forte.

Et c’est pourquoi, ils sont nombreux les économistes et les politiques dans

nos pays et particulièrement en France à tout miser sur les technologies

nouvelles, les technologies numériques.

69

Notes de lecture

Mais Galbraith n’y croit pas et son livre va vous permettre de lire la critique,

sans doute la plus clairvoyante, sur les nouvelles technologies. Il faut donc

voir les choses en face ; la finalité des technologies nouvelles, aujourd’hui

comme autrefois, est d’économiser les coûts de main d’œuvre et ce sont

précisément les satellites, les fibres optiques, les commutateurs, les

terminaux, le commerce en ligne, permettent, en franchissant les limites

de l’espace et du temps de remplacer les salariés coûteux de nos pays

par des salariés bon marché de pays lointains ou même de les supprimer

purement et simplement par des lecteurs de carte ou des distributeurs

électroniques. Il y a bien en effet quelque chose de totalement paradoxal

dans la crise actuelle : ils sont nombreux ceux qui “ne peuvent plus payer

les traites de la maison où se trouvent leur ordinateur et leur connexion

internet.” Le secteur aujourd’hui le plus lucratif de l’économie a un effet

négatif sur les revenus des salariés, le pouvoir d’achat et sur l’emploi.

“Dès le départ, l’ordinateur a acquis la capacité de supplanter les

arts de la dactylographie, de la comptabilité, de l’archivage et du

dessin industriel. Quand on l’a relié à des routeurs et à des câbles en

fibre optique, il a pu aller plus loin : il a remplacé le courrier postal,

le téléphone, le phonographe et le lecteur CD, l’appareil photo et la

caméra, les jeux de société et les sports, le cinéma et le lecteur de

cassettes vidéo et de DVD, sans parler de l’horloge et de la montre. Cela

fait longtemps aussi qu’il a évincé la librairie physique, et il commence

à présent à supplanter le livre, le journal, le magazine et la revue

scientifique papier, sans parler de la bibliothèque physique comme lieu

de conservation de ces objets. Les téléviseurs n’ont survécu qu’en se

transformant en ordinateurs grand écran…

… si les nouveaux secteurs veulent croître, ils doivent constamment

sortir de nouvelles idées et de nouveaux produits… Vitesses supérieures,

espace de stockage élargi… Et surtout, la grande affaire, ce sont de

nouvelles applications… Ce sont donc de nouvelles façons, pour

l’appareil de traiter l’information, d’accomplir des tâches qui étaient

réalisées par quelqu’un pour de l’argent ; de nouvelles façons de tuer de

l’activité ailleurs ; de nouvelles façons de dévaloriser les qualifications

des autres. De nouvelles façons de perdre du temps et de montrer au

monde qu’on a du temps à perdre …

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

70

Et l’enchaînement est dans fin : les économies de coûts que permet

le passage aux plateformes numériques font continuellement de

nouvelles victimes…” (Ouvrage cité pages 152 à 154)

Il n’y a qu’une seule crise

Galbraith répond aussi à la question de savoir en quoi la crise en Europe

diffère de celle des États-Unis. La question se pose en effet parce que

les différences visibles sont nombreuses : aux Etats-Unis, les dettes sont

essentiellement privées alors qu’elles sont publiques en Europe, ce qui

fragilise fortement les états débiteurs ; il y a aussi le fait que l’existence

d’une devise commune, l’euro, empêche désormais toute dévaluation par

les états et c’est cette impossibilité qui pousse les états européens à une

politique de réduction des dépenses et de baisse des salaires car ils n’ont

plus l’arme de la dévaluation.

Ces différences existent bien et il ne faut pas les sous-estimer mais, malgré

tout, Galbraith considère que la crise a une dimension mondiale car les

marchés des crédits sont mondiaux. Il ne faut pas oublier en effet que ce

qu’on a appelé “les prêts toxiques”, comme ceux de Lehmann Brothers,

avec ses filiales partout dans le monde, avaient été massivement introduits

en Europe.

“… Même si la situation se stabilise pour un temps ou s’améliore

légèrement, une perturbation n’importe où dans la zone de crise sera

ressentie dans tous les pays de la zone indépendamment de leur

bonne conduite passée et quelles que soient leur fidélité à l’austérité

ou leur tolérance à la douleur. Il n’y a pas de récompense pour la vertu

sur un marché du crédit qui recherche la sécurité en permanence.

Résumé le plus simple : il n’y a qu’une seule crise ? C’est une crise

mondiale de la croissance et de la finance, avec des variations

institutionnelles entre l’Amérique du Nord et l’Europe qui ont rendu

le problème européen plus sérieux et plus instable. Mais en dernière

analyse, les deux régions sont confrontées à des obstacles redoutables,

voire insurmontables, qui leur barrent la route de la reprise totale et de

la croissance rapide…” (Ouvrage cité page 253)

71

Notes de lecture

“Que faire ?”

Que faire, en effet, si Galbraith a raison, s’il ne peut plus y avoir, et pour

longtemps, de croissance rapide ?

Il ne faut pas se méprendre : James K Galbraith n’est pas du tout un partisan

de la croissance-zéro ; pour lui, “la croissance négative mène au désastre”.

“… Il ne reste donc qu’une seule option. C’est d’organiser l’économie pour

qu’elle croisse à un taux faible, stable et positif sur longue durée et de

nous ajuster matériellement et psychologiquement à cette perspective.

C’est de viser la croissante lente.” (Ouvrage cité page 260)

“Viser la croissance lente” ! C’est sans doute la voie de la sagesse quand on

sait que les ressources seront de plus en plus coûteuses et qu’il y a des

choses qu’on ne peut plus s’offrir ! Cela semble aussi la voie du bon sens !

Mais n’est-ce pas trop demander à l’économie et à la politique qu’elles

fassent preuve de bon sens et de sagesse ?

Lisez donc ce livre, dense et riche d’enseignements, pour vous en faire

une idée !

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

72

73

Notes de lecture

Focus

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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Apprendre Autrement Ailleurs ou la démarche-projet au théâtre comme “culture” professionnelle

Point de vue du chef de projet

Avec les échanges économiques et culturels grandissants dans le

processus de mondialisation, le milieu du travail s’élargit et les possibilités

professionnelles se multiplient. Il devient de plus en plus facile pour un

Brésilien de travailler à Paris, une Parisienne de travailler à Hambourg, une

Estonienne en Slovaquie ; une mouvance au milieu estudiantin permet aux

Européens de compléter leur formations en Asie, aux Indiens aux États-Unis,

aux Canadiens en Amérique du Sud… L’éventail de possibilités est large,

presque infini.

Afin de donner à la majorité de jeunes la possibilité de développer

leur potentiel intellectuel et d’optimiser leur niveau d’employabilité, le

nombre de formations professionnelles se multiplie vertigineusement,

des universités et des centres de formations foisonnent. L’humanité est

actuellement capable de former des techniciens de haut niveau dans une

palette de domaines professionnels extrêmement large et dont le public-

cible et son entourage a du mal à comprendre la complexité.

Dans ce monde de hautes compétences techniques, la problématique

de la qualité de la formation en termes d’entièreté et d’épanouissement

humains est apparue. Force est de constater que le haut degré de

technicité n’est pas suffisant pour faire de l’apprenant un bon professionnel,

le monde de l’entreprise en demande davantage. Des compétences dites

transversales telles que l’autonomie, la confiance en soi, la créativité,

l’esprit d’équipe, le leadership, pour n’en citer que quelques-unes, ne

s’apprennent pas à l’école ou à l’université. Elles s’acquièrent par des

processus plus complexes, complémentaires de la sphère intellectuelle

ou conceptuelle des formations conventionnelles : nous sommes dans

l’apprentissage informel.

C’est ici où l’art, entre académisme et pragmatisme, apporte une

contribution inestimable à la formation professionnelle initiale. Le

75

Focus

chanteur et compositeur brésilien Caetano Veloso affirme que “ce qui

est intéressant dans l’art est qu’il impose une qualité de la perception du

monde”19. Cela signifie que les artistes travaillent essentiellement dans le

souci de la qualité, tel un professionnel d’entreprise. Le rôle de l’éducation

à la culture par la pédagogie de projet dans l’acquisition de compétences

transversales dans les établissements de formation professionnelle devient

non seulement important mais incontournable pour le développement et

l’épanouissement de l’individu dans sa globalité, dans sa confrontation

avec un milieu professionnel exigeant et complexe.

C’est en ayant ces aspects humains et, par là même, inhérents à la

formation professionnelle qu’AGEFA PME a décidé de mettre en place

un projet artistique à caractère pédagogique. Depuis 2009, AGEFA PME

œuvre pour l’acquisition de l’esprit d’entreprendre à travers le montage

et la réalisation annuelle d’une grande pièce de théâtre, projet qui, six ans

plus tard, montre ses fruits et prouve son efficacité dans le processus de

professionnalisation.

Nous avons pu réinterroger des jeunes qui avaient pris part à l’opération

quelques années auparavant. Quelques phrases cultes nous ont sautés

aux yeux.

“Comme au foot, j’étais dans une équipe. Pas le droit au carton rouge !

Cela impacte tout le groupe.”

Citation d’un ancien étudiant de l’ESTP (École Spécial des Travaux

Publics)

“Après 5 mois de préparation et une semaine de spectacle, j’ai ressenti

comme une métamorphose à la fois extérieure et intérieure qui m’a

valu des compliments de la part de mes collègues.”

Citation d’une ancienne étudiante de BTS AM de notre section du

lycée Jacques Prévert de Longjumeau

19/Caetano Veloso, Verdade Tropical, page 236, ed. Companhia das Letras, 7e édition, 2004.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

76

“Incroyable ! Je ne pensais pas être capable de mémoriser autant de

textes. Je suis rassurée pour mon avenir professionnel. Je suis capable

de me présenter maintenant devant n’importe quel type de public. Du

moins, je l’espère.”

Citation d’une ancienne étudiante de l’ESCE (École Supérieure du

Commerce Extérieur)

Six pièces de théâtre ont déjà vu le jour dans ce cadre : Le Brésil à travers

les 12 Cirandinhas de Villa-Lobos et Le fou de Manaus de Marcelo Braga

(chef du projet), Songe d’une nuit d’été et La nuit des rois de William

Shakespeare, Un fil à la patte de Georges Feydeau et Le bourgeois

gentilhomme de Molière.

Quel est l ‘objectif du projet ?

Le principal objectif est de développer l’esprit d’entreprendre autour

de 12 compétences chez les apprentis, à savoir : autonomie, confiance

en soi, créativité, empathie, esprit d’équipe, leadership, maîtrise de son

environnement, persévérance, organisation, sens de l’initiative, sens des

responsabilités et sens de la stratégie.

N’oublions pas la ponctualité en tant qu’élément central de la réussite d’un

projet, qu’il soit personnel ou professionnel !

Comment cela fonctionne-t-il ?

Le projet se fait sur la base du volontariat. Les participants s’inscrivent

librement dans l’un ou plusieurs des 13 ateliers proposés : comédie, danse,

musique, assistant de mise en scène, maquillage, coiffure, scénographie,

costumes, création son, création lumière, photographie, gestion et

communication. Tous ces ateliers sont de véritables “fabriques” à produits…

à compétences.

Les ateliers sont animés par des professionnels du spectacle. Ceux-ci

forment l’équipe qui encadre les participants et leur donne les moyens

techniques et artistiques nécessaires à la réalisation de leurs tâches.

77

Focus

Le projet s’étend sur 5 à 6 mois. Le spectacle est joué 3 fois par an dans

de grandes salles telles le Théâtre des Bouffes du Nord, l’Espace Pierre

Cardin, le Théâtre des Hauts de Seine et la MPAA Saint Germain, ce qui est

très valorisant pour les “acteurs”, qu’ils soient sur scène ou qu’ils soient en

“back stage”.

Qui peut y participer ?

Le projet est ouvert à tous les apprentis du réseau des établissements

d’AGEFA PME et depuis ces débuts, une moyenne de 70 apprentis y

participent tous les ans.

Quels enseignements ?

Depuis 6 ans, ces projets ont permis à près de 500 apprentis de “s’éclater”,

et par ailleurs de se “structurer”. Nous observons que :

q Leur professeurs coordonnateurs ou leur tuteurs en entreprise

expriment régulièrement leur contentement au constat de l’évolution

comportementale et mentale apportée à leurs apprentis participant

au projet ;

q Le taux de réussite à l’examen des apprentis participant au projet

est de 99 % ;

q Un grand nombre des participants renouvellent l’expérience les

années suivantes et expriment le souhait de continuer une activité

artistique (professionnelle ou amateur) dans leur vie après leurs

études ;

q Les participants mettent systématiquement en avant sur leur CV le

fait d’avoir participé à un tel projet et rapportent que ce fait facilite en

bien des cas leur démarche de recherche d’emploi.

Article rédigé par Marcelo BRAGA

Responsable des projets culturels - AGEFA PME

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

78

Point de vue de la metteure en scène

Le projet AGEFA PME existe depuis maintenant six ans, cela fait également

six ans que je suis intervenante. Et trois ans que je suis metteur en scène

du projet. Ce qui m’émeut chaque année, ce sont ces jeunes participants

qui s’expriment : ce projet a changé leurs vies et ils garderont en eux pour

toujours tous les enseignements qu’ils en ont retirés.

Il est vrai qu’au cours du projet, nous les voyons changer, et s’affirmer dans

leurs personnalités. Cette impression est aussi partagée par les professeurs

et les employeurs qui témoignent d’un progrès, d’une meilleure confiance

en soi, et d’une plus grande efficacité de la part de leurs apprentis.

Ce projet fait du bien ! Mais à quel endroit ?

1 Un accès à la culture

La plupart des participants n’ont jamais été au théâtre, vu un

ballet ou écouté un concert. Certains par manque d’argent, de

temps, d’intérêt et beaucoup par a priori :

“Le théâtre c’est pour les vieux, les intellos…”

“Le théâtre c’est ennuyant, ce n’est pas pour moi !”

Nous ne les jugeons pas, au contraire…. Le milieu théâtral ne les

encourage pas souvent à venir dans leurs lieux de spectacles.

Certains des participants s’excluent d’eux-mêmes de cet accès

à la culture, comme s'ils avaient senti qu’ils n’étaient pas les

bienvenus. Peut-être ont-ils raison ?

Le projet leur permet de réviser leur jugement et de faire partie

intégrante de cet aspect social dont certains s’étaient exclus

eux-mêmes.

Cela accroît grandement leur curiosité car au fond, tous les

participants veulent connaître et apprendre plus.

79

Focus

La seule parole qu’attendaient ces jeunes pour s’intéresser à la

culture était :

“Viens… je vais te montrer, tu es le bienvenu !”.

Cette main tendue faite à ces apprentis ne peut être

qu’intelligente, positive et essentielle.

Grâce à cela, ils redécouvrent des textes classiques qu’ils ont

tous étudiés à l’école, mais peut être d’une oreille discrète voire

neutre.

Sauf que dans le projet, ils sont acteurs de la création ; ce

qui décuple leur curiosité et leur engagement. À travers les

costumes, le maquillage et la coiffure, on va s’intéresser à la

mode vestimentaire et esthétique d’une époque choisie en

fonction du texte et des intentions de mise en scène. À travers le

théâtre, la danse et la musique, on accède à une forme de culture

générale par la pratique. À travers la scénographie et la lumière,

on apprend à construire un espace scénique en adéquation

avec le “scénario”. En communication, il faut s’intéresser à la

pièce choisie afin de concevoir le meilleur support graphique et

esthétique pour faire venir les spectateurs.

Cet accès à la culture et au monde du spectacle, sans préjugés,

est un merveilleux accélérateur de richesses intérieures, de

curiosité vers soi et les autres.

Encore faut-il opter pour le bon poste…

2 Trouver sa place et l’assumer

En début d’année, nous demandons aux participants de

s’inscrire à un atelier. Ce choix est déterminant pour le reste du

projet, car au-delà d’approcher un art ou une technique qu’ils ne

connaissent pas, ils s’insèrent dans un des rouages de création

du spectacle. Il faut trouver sa place, s’engager et ne pas se

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

80

tromper. Certains préfèreront être sur scène, d’autres être en coulisses :

certains être en lumière et d’autres être dans l’ombre.

Quelle place prendre ?

Dans une société, où s’exposer et se montrer sont devenus des actions

significatives, le choix d’être sur scène parait plus valorisant. Il n’en est

rien.

Il est donc important de dire que chaque acteur du projet, qu’il soit sur

scène ou en coulisses, est une pièce du puzzle vitale pour le spectacle.

C’est le premier enseignement qu’ils reçoivent.

Une des forces du projet est de les mettre là où ils pourront s’épanouir et

apprendre par eux-mêmes en optimisant leur “rôle”.

Le participant doit assumer sa place, et donc une responsabilité dans

la grosse machine qu’est la création d’un spectacle… comme dans

l’immense système qu’est une entreprise.

Prise de responsabilité = Prise de conscience de soi

3 Une meilleure connaissance de soi : une plus grande confiance en soi

Qui suis-je? Quelles sont mes compétences ? Que puis-je apporter ?

À travers chaque atelier, le participant répond à toutes ces questions. Il

apprend à persévérer, à se dépasser et aussi à se remettre en question

au besoin.

Au sein des ateliers sur scène, il se confronte à lui-même. Il faut, tout

d’un coup, oser jouer un personnage, oser chanter, oser danser devant

un public.

Dans les ateliers en coulisses, il faut assumer d’être force de propositions,

oser défendre ses idées, les expliquer devant l’équipe.

81

Focus

Oser, c’est passer un cap et se faire confiance !

Car, il en faut de la confiance en soi pour s’exprimer pleinement

devant 400 spectateurs quand on n’est jamais monté sur une scène.

Il faut aussi beaucoup de confiance pour maquiller, habiller et

coiffer un acteur qui est tendu à l’approche du spectacle et qui

peut troubler le travail.

Ces arts demandent une initiation lente et une grande patience.

Dans cette société où tout est immédiat, ils apprennent aussi à

respecter le temps de gestation d’une création, c’est un artisanat.

Cela demande de la patience, de l’habilité, du soin, de l’assiduité

et de la précision.

La connaissance de soi face à ces épreuves grandit, la confiance

en soi s’accroît.

Beaucoup de participants expriment d’ailleurs à la fin du projet

une plus grande aisance aux entretiens d’embauche, dans

l‘affirmation de leurs compétences ou dans la prise d’initiative au

sein de l’entreprise.

4 Une meilleure organisation et une gestion du stress

Pendant 4 mois effectifs, nous travaillons à l’élaboration du

spectacle. Les participants donnent de leur temps pour le projet.

Nous répétons beaucoup les week-end, et le soir en semaine.

Cela demande une grande gestion de son temps pour que le

travail à l’école et en entreprise n’en pâtisse pas. Il faut trouver

un équilibre, son équilibre, afin que l’engagement dans le projet

soit complet, surtout vers la fin du spectacle.

Il faut demander en avance des congés, savoir s’affirmer face à un

chef d’entreprise parfois réticent à vous faire sortir du travail plus

tôt. Les participants apprennent à proposer de rattraper leurs

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

82

heures en entreprise et à aussi à demander d’être absent à une

de nos répétitions afin de pouvoir finir leur travail professionnel.

Cette maîtrise de l’organisation entre leur travail et un projet

volontaire d’intérêt personnel est essentielle pour leur avenir.

Ils découvrent aussi une sensation peut communément ressentie :

le trac.

Il arrive à l’approche du spectacle : les mains sont moites, le cœur

bat vite, on a peur de ne pas y arriver, on a l’impression d’avoir

tout oublié… Il faut savoir se gérer. Respirer, se faire confiance,

faire confiance en son travail et s’ouvrir en soi-même pour libérer

un espace intérieur d’expression.

C’est un moment partagé collectivement quand toute l’équipe

attend le public qui va rentrer dans la salle de théâtre : chacun

est seul face à sa peur mais chacun se soutient. C’est un grand

moment d’unité.

5 Une vraie unité de groupe

Dans les derniers jours de répétition, les ateliers apprennent

d’autant plus à travailler ensemble : il faut être unis dans le

même but : que le spectacle se passe bien.

Que chacun y joue son rôle afin que la machine se mette en

bonne marche vers le succès.

Chaque atelier valorise le travail d’un autre atelier : l’atelier

communication valorise tous les ateliers car sans lui pas de

spectateurs. Les ateliers maquillage, coiffure et costumes

valorisent le travail de l’atelier théâtre, chant et danse car sans eux

pas de personnages sur scène. L’atelier son permet d’entendre

les chanteurs et musiciens. Les ateliers scénographie et lumière

valorisent le travail des ateliers coiffure, maquillage et costumes

car sans eux, on ne les voit pas. Et enfin, l’atelier photographie

suit l’évolution du projet, c’est notre mémoire.

83

Focus

Les participants comprennent vite qu’ils sont dépendants des

uns des autres, comme un jeu de domino : si un pion tombe, tout

le monde tombe.

Cela crée une formidable équipe unie qui travaille ensemble.

Puis au moment du spectacle, les intervenants disparaissent, et

nous leur disons :

“C’est votre spectacle, vous n’avez plus besoin de nous.”

Tout le travail, le temps et l’énergie engagés dans le projet

se retrouvent entre leurs mains. Et tous les participants, sans

exception, deviennent autonomes, prêts à gérer le moindre petit

grain de sable qui pourrait entraver la machine.

Ils se soutiennent, se font confiance et s’investissent intensément

dans le spectacle au plus grand plaisir de nos spectateurs qui

passent un bon moment.

À la fin de ces 4 mois de travail commun, les apprentis sortent

grandis du projet. Les témoignages sont nombreux nous disant

que cet espace qu’il leur est donné pour s’exprimer et s’affirmer

est bénéfique dans leur vie. Je dis dans leur vie car cette

expérience développe des compétences mais touche surtout à

l’humain.

Si le projet d’AGEFA PME est une aventure humaine, une entreprise l’est

aussi.

À travers le prisme de ce projet, ils touchent à ce que peut être ou sera leur

vie en entreprise : une expérience essentielle et profondément formatrice

pour leur avenir.

Article rédigé par Camille ROY

Metteure en Scène

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

84

qGalerie de Photos

Quel travail d’équipe !

Force(s) de proposition(s) pour l’Expression…

Quand partage de compétences est synonyme de succès !

Transmission du geste professionnel…

85

Focus

Quand diversité rime avec efficacité et égalité !

Confiance en soi, confiance en l’autre, confiance mutuelle…

Et voilà, le résultat !

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

86

Un dispositif d’ampleur nationale qui mise sur le potentiel des jeunes :

la JNDJ (Journée Nationale des Jeunes)

La Journée Nationale Des Jeunes est

donc d’ampleur nationale avec un fort

impact sur les territoires. Prouvons-le

par les chiffres. En 2014, nous avons

regroupé plus de 20 000 jeunes dans le

cadre de 600 rendez-vous organisés sur l’ensemble de la France, DOM-

TOM compris. Ces 20 000 jeunes ont pu faire connaissance de 1 500

décideurs privés, publics et associatifs qui ont prouvé leur implication et

leur capacité à s’inspirer des jeunes générations. L’objectif est de faciliter

le lien “Jeunes – Acteurs du monde professionnel” en suscitant des

rencontres enrichissantes sur le terrain. L’idée est ainsi d’offrir à toutes les

initiatives locales partageant ce même objectif une visibilité qui devient

nationale grâce à la plateforme Internet – http://www.jndj.org/ – et à des

partenariats médias puissants capables de toucher un audimat de grande

taille.

La devise de cette opération placée sous le haut patronage du Ministère

de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

est “Rencontrez-vous, parlez-vous, inspirez-vous, co-créez l’avenir.”

De cette manière, des entrepreneurs, des artisans, des acteurs associatifs,

des institutionnels ouvrent leurs portes aux jeunes accompagnés de leurs

enseignants. Ils donnent une image positive et concrète de leurs activités

mais aussi ils peuvent faire valoir leurs atouts, leurs perspectives, leurs

métiers d’avenir, les nouvelles formations associées aux jeunes visiteurs

qui sont les futurs actifs de demain. Mais surtout, les jeunes découvrent

et comprennent mieux le fonctionnement du monde de l’entreprise par

le biais d’un contact concret avec des professionnels fiers d’incarner leur

métier. Nous fédérons les talents de demain.

Nous rajouterons cette touche qui nous tient particulièrement à cœur :

cette journée est un moyen pour les jeunes de porter un regard plus

87

Focus

optimiste sur le monde économique et vice-versa, les acteurs “adultes” du

monde professionnel sur ces jeunes, avec qui ils travailleront, dans un futur

relativement proche.

AGEFA PME s’est investi dans cette volonté. Nous nous permettons de citer

une phrase de M. Capron, Président d’AGEFA PME : “Œuvrer pour l’avenir

professionnel de la jeunesse, c’est miser sur toute la richesse de son potentiel,

c’est faire le pari de leur réussite au sein des entreprises.”

Pour préparer en amont “la réussite de ce

pari”, un kit pédagogique est à disposition des

enseignants et des formateurs directement sur

la plateforme Internet. Pour votre information,

ce kit a été téléchargé plus de 8 000 fois entre

septembre et décembre 2014.

Les jeunes sont la cible finale de ce projet. Cependant, pour les

accompagner, leurs formateurs s’investissent également et semblent

analyser cette expérience telle une chance pédagogique à saisir.

“La JNDJ est pour les professeurs une formidable opportunité de mettre

leurs élèves et étudiants en contact direct avec le monde économique

en général et les entreprises en particulier. La JNDJ est pour les jeunes

une sortie conviviale avec leurs enseignants qui permet d’échanger

autrement sur les problématiques d’orientation. Il peut être le point de

départ de questionnements personnels sur ce monde du travail qu’ils

rejoindront un jour.”

Cette réflexion a été faite par Véronique Blanc, Inspectrice Pédagogique

Régionale, Responsable Adjointe du CERPEP

J’aimerais ajouter à cette présentation quelque peu institutionnelle les

raisons personnelles qui m’ont donné envie de faire aboutir ce projet qui

va connaître en 2015 sa cinquième édition.

En effet, j’ai été chef d’entreprise pendant plus de 17 ans. Suite à la vente

de mon activité, j’ai donné des cours dans diverses universités. Dans ce

cadre, j’ai été frappée par le décalage existant entre les représentations

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

88

mentales des étudiants et la réalité du monde du travail. Mon engagement,

afin de “réparer” ce décalage, a été, tout d’abord, l’organisation de forums

itinérants régionaux prenant la forme d’ateliers thématiques. Ils étaient

destinés aux collégiens et aux lycéens en quête de pistes pragmatiques

pour leur orientation professionnelle, et donc pour la construction de leur

avenir. Avec cette première étape, nous avons pu concerner déjà 50 000

participants.

J’ai également été frappée par un paradoxe. D’une part, il y a les “jeunes” qui

ont un potentiel qui ne demande qu’à être révélé. Ils ont des aspirations :

malgré tout ce que l’on peut penser, la solidarité en est une. Il faut le faire

savoir. D’autre part, il y a toute une partie de la société civile, du monde

“adulte”, qui crée des dispositifs à leur intention. Cependant, les jeunes ne

les identifient pas naturellement. Ils ne leur sont pas connus ; peut-être

parce qu’ils n’ont pas été assez consultés au moment de leur mise en

place.

Pour remédier à cette situation de “non dialogue”, il était temps de

donner aux principaux intéressés la parole. Cette parole avait et a

comme destinataire les “pros”. Afin de construire leur parcours de vie, les

jeunes réclament des rencontres directes. Mieux appréhender le monde

économique leur permettra de bien y prendre place. Cela ne peut se faire

qu’en créant des passerelles intergénérationnelles, ces dernières étant

primordiales, tant pour eux que pour nous, les “adultes pros”…

Il faut se connaître pour travailler ensemble !

Ainsi, une idée a pu naître : construisons un mouvement citoyen et

collectif voué à lever les barrières et mettons en lien direct les jeunes et

les entreprises. Changeons le regard des uns porté sur les autres pour

répondre ensemble aux défis de DEMAIN ! L’édition 2015 nous attend…

Article rédigé par Claudine SCHELLINO DADOUN

Présidente de la JNDJ

89

Focus

Bonus

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

90

Marc FUMAROLI – Plaidoyer pour les lettres

Le procès des jeunes d’aujourd’hui n’en finit pas : bons à rien et intéressés

par rien si ce n’est par l’argent facilement gagné, tout effort pour se cultiver,

progresser, s’améliorer, leur serait devenu étranger. Mais vous savez bien

que c’est un procès mal conduit, douteux et injuste.

C’est pourquoi l’entretien avec Marc Fumaroli, intitulé “plaidoyer pour les

lettres” et publié dans le numéro du mois de mars de la “Revue des Deux

Mondes” a attiré notre attention. Pour une fois, il n’y est pas question des

jeunes, de leur paresse, de leur inculture etc. Mais, ne disons pas des vieux,

mais de ceux, et sans doute ceux de notre génération, (sans doute nous

tous), qui ont prématurément vieilli du fait de leurs renoncements, de leurs

démagogies et de leurs trahisons.

Membre de l’Académie Française et professeur au collège de France, Marc

Fumaroli fut un proche de Raymond Aron qui fut pour lui l’exemple même

de la rigueur et de la clairvoyance.

Ce n’est donc pas la jeunesse que Marc Fumaroli met en cause mais

bien les parents et les grands parents de ces jeunes. Son angle d’attaque

est la politique culturelle et éducative de ces aînés et son jugement est

d’une extrême sévérité : leur politique culturelle ne fut qu’une politique

du divertissement et elle a renoncé à tout ce qui est difficile et excellent.

“… Quand j’étais candidat au collège de France, la plupart des

scientifiques à qui je rendais visite avaient étudié le grec et le latin, et

savaient le sens et l’intérêt de l’antique discipline rhétorique que je me

proposais de faire revivre.

Nous avons eu l’un des meilleurs systèmes d’éducation du monde,

comme en leur temps les Grecs, les Romains, les Italiens de la

Renaissance et les Anglais du XIXe siècle. Qu’en avons-nous fait ? C’est

la question-clé de la France du XXIe siècle. Or, personne ne la pose.”

(Revue des deux Mondes, entretien page 16)

91

Bonus

C’est bien un jugement des plus sévères mais il n’est pas nouveau, Marc

Fumaroli l’a énoncé depuis longtemps, depuis son “État Culturel” publié en

1991. Mais qu’est-ce qui le motive et qui le justifie ?

Marc Fumaroli connaît parfaitement les grands auteurs de la tradition

humaniste : Montaigne, Erasme, Pétrarque, Bayle, Descartes et bien

d’autres ; c’est ce qu’il appelle la “République des lettres” et cette tradition

a donné le meilleur de ce qu’une civilisation peut donner, pas seulement

la culture, mais les bonnes manières, la république des “honnêtes gens”.

“Arracher a la barbarie le bref séjour humain sur la terre”

“….c’est un vaste programme de recherches remémorant et réunissant

les sources oubliées des antiques savoirs, et un projet à long terme de

reconstruire méthodiquement, sur cette base savante, une civilisation

urbaine (le mot ne sera inventé qu’au XVIIIe siècle en France) qui arrache

à la barbarie le bref séjour humain sur la terre.” (Page 10 de l’entretien)

Mais pour arracher l’homme à la barbarie, il a fallu former des lettrés,

inventer de nouvelles disciplines comme la philologie, redécouvrir des

sciences anciennes comme les mathématiques, créer les universités de

Padoue, de Paris, de Florence ; il a fallu aussi inventer l’imprimerie ; c’est

tout cela, selon Marc Fumaroli qui a constitué la “République des lettres”

et qui a changé les mœurs en favorisant, avec les échanges culturels, la

politesse et l’amitié.

Marc Fumaroli déplore vraiment le recul et même la disparition “des

humanités” dans l’enseignement et aussi dans l’administration et dans la

politique et nous pourrions ajouter dans le journalisme.

“… Les humanistes ont considérablement élargi aux laïcs le droit d’accès

à leur nouveau savoir. Mais ils se sont gardés de confondre savoir et

“journées portes ouvertes”. Une cooptation exigeante et la critique des

livres ont donné les moyens à cette société savante dans la société

de fermer poliment ses portes aux intrus et aux incompétents. Ni les

princes ni les citoyens de cette cité invisible n’étaient obsédés par le

partage ; mais ils étaient préoccupés par la qualité de ce qui était à

partager.” (Page 18 de l’entretien)

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

92

Lisez ce long entretien de Marc Fumaroli, il est vivifiant et il nous montre

que ce ne sont pas les jeunes qui sont responsables de cette perte de

la “République des lettres” ; ils en sont les premières victimes. Pour Marc

Fumaroli, c’est notre époque qui continue de les égarer dans ce qu’il appelle

la “culture du divertissement” qui ne leur offre que de “l’éparpillement, du

scintillement et papillonnage”.

Dans ce même numéro du mois de mars de “la Revue des deux Mondes”,

nous vous conseillons aussi le long et émouvant dossier consacré à Michel

Onfray.

Michel Onfray n’est pas un philosophe comme les autres et il l’est

certainement plus que beaucoup d’autres. “À Sartre, prototype du rebelle

nanti et bardé de légitimité bourgeoise, il préférait déjà Camus et sa mère

illettrée.” (Jean Paul Enthoven)

Ce sera pour vous l’occasion de mieux connaître Michel Onfray avec la

découverte de son dernier livre “COSMOS”.

“Il y a dans cet ouvrage une espèce d’ivresse contagieuse, quelque

chose de sensuel, de charnel et de profondément gionesque, avec

une empathie pour les bêtes et un amour de la nature, qui rappellent

précisément l’esprit de Giono dans “Que ma Joie demeure”.

…Pour un peu, on verrait bien Onfray nous dire comme Giono dans

l’un de ses chefs d’œuvre, “Solitude de la Pitié”, “on ne peut pas isoler

l’homme. Il n’est pas isolé. Le visage de la terre est dans son cœur.””

(Franz-Olivier Giesbert)

Article rédigé par Jean Claude CASTAGNEYROL

Centre National de Prospective d’AGEFA PME

93

Bonus

Une classe d’exception

Dans le cadre de nos voyages d’études réalisés pour le Centre National de

Prospective d’AGEFA PME, nous avons pu aller à la rencontre de nombreux

acteurs de territoire, et de classes toujours prêts à répondre à nos questions

tant ils étaient impliqués dans une volonté de changement de tout ordre :

économique, social, éducatif… Que rajouter encore ?

Nous aurions pu vous présenter des retranscriptions issues des territoires

de Mulhouse, de Saint Nazaire, de Bayonne… Étrangement, nous avons

opté pour celles de Saint-Étienne : peut-être, parce que ce territoire a

été victime à la fin de l’année 2014 d’une campagne médiatique peu

“sympathique” entamée par le journal “Le Monde” (dont nous resterons

certainement fidèles lecteurs…), notamment par le biais de l’article du 8

décembre 2014 : “À Saint-Étienne, le centre-ville miné par la pauvreté.”

Les jeunes interviewés, au début 2015, connaissent leur territoire. Par

leur optimisme réaliste, ils nous ont fait partager un moment d’échanges

intellectuels intergénérationnels de grande qualité autour du thème

“Enseignement Supérieur et Développement des territoires”.

Maintenant, à vous d’en profiter…

q Carte du territoire

Source : Site Internet de Saint-Étienne - Métropole

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

94

Entretiens avec le Directeur (Cédric Angeli), la Coordinatrice

(Maryline Seguin), et les étudiants en alternance de l’École de

Commerce et de la Relation-Clients de la CCI de Saint-Étienne (26

février 2015)

Cette école a un positionnement fort vis-à-vis des formations commerciales,

car tous secteurs d’activités confondus, cela répond à un besoin des

entreprises du territoire et des départements limitrophes (notamment, la

Haute-Loire). Nous pouvons donc élargir le territoire de Saint-Étienne à la

notion géographique plus étendue dite du “bassin ligérien”, vocabulaire

souvent usité par nos interlocuteurs. (voir carte ci-dessus).

Ainsi, le programme de la formation “Responsable de développement

commercial” (Bac + 3) suivie par les 17 étudiants du panel sélectionné par

M. Angeli et Mme Seguin est dans cette lignée étant donné les métiers

auxquels elle prépare :

q Chargé(e) d'affaires, chargé(e) de développement

q Technico-commercial

q Chef de secteur

q Animateur (trice) réseau

q Chargé(e) de promotion

q Responsable grands comptes

q Manager de clientèle

q Inspecteur (trice) commercial(e)

q Chef d’agence commerciale

q Responsable centre de profit

95

Bonus

De plus, les matières enseignées sont à 100% professionnalisantes (aussi

bien selon les propos des apprenants que sur le papier lui-même). À titre

informatif, nous vous les signalons :

q Outils de veille et diagnostic stratégique

q NTIC et stratégie commerciale

q Marketing et innovation

q Stratégie de développement

q Développement personnel

q Techniques de négociation

q Négociation interculturelle (en anglais)

q International Business Management (en anglais)

q Gestion budgétaire

q Gestion des ressources humaines

q Développement durable et Responsabilité Sociétale des Entreprises

q Développement personnel et leadership

q Techniques de management

Suite à ce cursus, les apprenants ont deux chemins d’orientation possible :

l’intégration directe en entreprise (Pour 11 d’entre eux, cela semble être

une option) ou la poursuite d’études dans un cycle supérieur de quatrième

ou cinquième année avec spécialisation (Les 6 autres nous indiquent leur

volonté d’ “avoir un bagage supplémentaire qui leur sera utile à leur carrière”).

Nous sommes bien dans une logique modérée du développement de

l’enseignement supérieur en adéquation avec l’évolution des besoins en

compétences des entreprises.

Les 17 étudiants ici présents suivent un rythme d’alternance : 1 semaine en

établissement, 3 semaines en entreprise ; rythme d’alternance où la place

de l’entreprise “formatrice” est plus qu’évidente.

La Revue 3D N°8 Ce que les jeunes savent… et comment apprennent-ils ?

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Par ailleurs, nous les remercions d’avoir accepté de répondre en direct à

nos questions sachant qu’ils étaient, le jour de notre venue, en période

de formation en entreprises qui sont, pour la plupart, des PME dans

des secteurs très variés (mécanique, chantier, automobile, etc.), mais

également une banque, un organisme de formation continue, une agence

immobilière, etc.

Lors de ces entretiens, nous avons eu face à nous des jeunes satisfaits de

leur formation qui semble correspondre à leurs attentes et ils n’ont pas

hésité à “vanter” les mérites économiques, culturels et organisationnels de

leur territoire, et plus précisément de leur ville qu’ils estiment “polyvalente et

internationale” en raison d’une volonté politique forte de “redémarrage”. Nous

sommes donc bien loin des paroles de Bernard Lavilliers, enfant de la cité :

“On n'est pas d'un pays mais on est d'une ville

Où la rue artérielle limite le décor

Les cheminées d'usine hululent à la mort”

Les points à 95 % positifs, selon eux, sont :

q Tout est à proximité, notamment par le biais d’un bon réseau de

transport en commun.

q Peu de problèmes de logement les concernant existent. Les

résidences universitaires, pour certaines, sont situées en plein

centre-ville ou directement sur les campus. Cependant, le marché

de l’immobilier, en général, d’après leurs propos, semble ne pas être

très actif.

q Le football et l’engouement historique qu’il provoque sont

naturellement évoqués, en tant qu’identité, que l’on pourrait presque

qualifier de culturelle. Cependant, la “culture” à Saint-Étienne tient

également du domaine artistique. Nos apprenants nous signalent

l’existence de la biennale internationale organisée par l’école

régionale des Beaux-Arts et la cité du Design. (“Avec le soutien des

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Bonus

partenaires publics ou privés, les biennales favorisent, depuis 1998,

la confrontation entre les innovations générées par les écoles, les

grandes agences, les créateurs indépendants, les diffuseurs, les

entreprises et une très grande variété de publics.” Source : http://

www.citedudesign.com/fr/biennale/. Ou quand l’Art, la Culture et

l’Éducation associée deviennent facteur d’attractivité économique

locale…)

q Au niveau économique, sont soulignés les aspects suivants :

• La présence d’une technopole située à côté du stade “Geoffroy

Guichard” (sans accent circonflexe : la notion de “technopôle”

a été officiellement abandonnée, en 1988, par l’Académie

Française.), comparable à celle que nous connaissons à Bidart

(Côte Basque-Adour) : si nous prenons la définition officielle20 de

ce vocabulaire, c’est-à-dire un groupement d’organisations de

recherche issues de l’enseignement supérieur et d’entreprises

(majoritairement, des PME) qui englobe un processus allant

de l’étape du laboratoire jusqu’à celle de la fabrication du

produit, nous nous trouvons donc bien dans une stratégie de

développement économique s’appuyant sur la valorisation d’un

potentiel universitaire et de recherche. Comme cela est le cas

sur le territoire de Bayonne, et à plus grande échelle, à Sophia

Antipolis, une phase d’industrialisation nouvelle à l’initiative

d’entreprises de haute technologie se met en place.

• Un tissu économique dynamique dans les secteurs industriels de

la mécanique, de la métallurgie, et des biens d’équipements et bien

implanté sur le territoire, grâce, entre autres, à l’initiative “Mecaloire”.

Selon l’une des apprenantes, par ce biais, les PME industrielles

stéphanoises se disent “collaboratives”. Pour en savoir plus, nous

vous conseillons la page suivante : http://www.mecaloire.fr/.

20/ M. Castells, P. Hall, 1994, Technopoles of the World. The making of 21st Century Industrial Complexes, London, Routledge.

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Les propos d’ “experts” ici tenus sont tournés vers l’avenir. Certains grands

symboles entrepreneuriaux territoriaux n’ont été que très peu abordés.

Nous pensons à “Manufrance” dont les locaux (ce que nous avons pu voir

avec plaisir) ont été réhabilités. Ils abritent aujourd’hui l’École Supérieure

de Commerce, plusieurs sièges sociaux d’entreprises privées, tel que la

Caisse d’Épargne Loire, le Centre des Congrès de Saint-Étienne, le siège

de la Chambre de commerce et d'industrie de Saint-Étienne Montbrison,

ou encore l'École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne. Le

changement est en marche…

Article rédigé par Hélène CENAT

Directrice Générale Adjointe - AGEFA PME – Pôle Études et Recherche

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Bonus

Rédaction en chef

Bernard CAPRON

Comité de Rédaction par ordre alphabétique

Marcelo BRAGA

Jean Claude CASTAGNEYROL

Hélène CENAT

Jean Jacques DIJOUX

Roland KASTLER

Matthieu QUINIOU

Camille ROY

Claudine SCHELLINO DADOUN

Yves THIERRY

Réalisation

Image&Stratégie

Conception graphique

Starloo Graphic

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Notes

(Re)Génération(s)

101

www.agefa.org

AGEFA PME 42-48, Quai de Dion Bouton 92800 PUTEAUX Tel. 01 55 23 23 80 Fax. 01 47 73 80 87 RÉ

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