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T E C H N O L O G I E E T S O C I É T É

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Dans la collection Technologie et société (anciennement Évolution technique et ten- sions sociales) :

Éducation et technologie Le progrès technique et l'intégration sociale

par Jerome Scott et R. P. Lynton

Sociétés, traditions et technologie Comptes rendus d'enquêtes dirigées par Margaret Mead sous les auspices de la Fédération mondiale pour la santé mentale

Problèmes sociaux de l'assistance technique par Morris E. Opler

De la nature des conflits - Évaluation des études sur les tensions internationales par l'Association internationale de sociologie

Aspects sociaux de l'industrialisation et de l'urbanisation en Afrique au sud du Sahara Étude réalisée par l 'Institut international africain sous les auspices de l'Unesco

Le phénomène de l'urbanisation en Asie et en Extrême-Orient Directeur de publication : Philip M. Hauser

L'urbanisation en Amérique latine Directeur de publication: Philip M. Hauser

Les sciences sociales et les problèmes de développement rural en Asie du Sud-Est (en préparation)

Les conséquences sociales de la mécanisation et de l'automatisation en URSS par A. Zvorikine

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LES CONSÉQUENCES SOCIALES

DE LA MÉCANISATION ET DE

L'AUTOMATISATION EN URSS

p a r

A . Z V O R I K I N E

U N E S C O

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Publié en 1963 par V Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture,

Place de Fontenoy, Paris- 7e Imprimé par Artia, Prague.

(5) Unesoo 1963 SS.62/V.12/F

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P R É F A C E

Le présent ouvrage a été préparé dans le cadre de la résolution 3.72 (e) adoptée par la Conférence générale de l' Unesco, lors de sa dixième session à Paris en 1958 et qui autorise le Directeur général:

« A continuer, en collaboration avec V Organisation des Nations Unies, les autres institutions spécialisées, et les organisations internationales non gouvernementales compétentes, à effectuer des études et à encourager des recherches sur les problèmes de l'urbanisation, de l'automatisation et de l'utilisation de l'énèrgie atomique à des fins pacifiques, ainsi que sur les facteurs sociaux et culturels qui influent sur la productivité. »

L'auteur, le professeur A. Zvorikine, est ancien vice-président du comité de rédaction de -la Grande encyclopédie soviétique et directeur des études à l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences de l'URSS. Cette étude est le premier ouvrage de la série Technologie et société, qui traite soécifiquement des problèmes d'ordre social tels qu'ils se posent dans le cadre d'une économie planifiée. Les opinions qui y sont exprimées sont naturel- lement personnelles à l'auteur.

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T A B L E D E S M A T I È R E S

I n t r o d u c t i o n p. 9

R a p p o r t s en t r e la t e c h n i q u e e t la vie sociale p . 15

L ' a u t o m a t i s a t i o n de la p r o d u c t i o n : s ign i f ica t ion de ce c o n c e p t chez les a u t e u r s d ' E u r o p e occ iden t a l e e t d ' A m é r i q u e e t e n U n i o n sov ié t ique p . 25

Mod i f i ca t i ons d u ca rac tè re e t de la n a t u r e d u t rava i l e t de la s t r u c t u r e

de l ' e m p l o i sous l 'effet de la m é c a n i s a t i o n e t de l ' a u t o m a t i s a t i o n de la p r o d u c t i o n p . 37

In f luence de la m é c a n i s a t i o n e t de l ' a u t o m a t i s a t i o n de la p r o d u c t i o n s u r l ' é m u l a t i o n social is te e t le m o u v e m e n t des n o v a t e u r s e t des

i n v e n t e u r s . P o r t r a i t p s y c h o l o g i q u e de m e m b r e s d ' é q u i p e s d u t ravai l c o m m u n i s t e , de ra t iona l i sa teurs e t d ' i n v e n t e u r s . p. 74

L a f o r m a t i o n e t la r é é d u c a t i o n p rofess ionne l les des t rava i l l eurs , e n l i a i son avec la m é c a n i s a t i o n e t l ' a u t o m a t i s a t i o n de la p r o d u c t i o n en U R S S . E l a r g i s s e m e n t de l ' h o r i z o n in t e l l ec tue l e t des i n t é rê t s p. 87

L a m é c a n i s a t i o n e t l ' a u t o m a t i s a t i o n de la p r o d u c t i o n : i m p o r t a n c e c ro i s san te d u rô le de l ' i n g é n i e u r e t d u t e c h n i c i e n e t mod i f i ca t i on d u ca rac tè re de l e u r t ravai l . N o u v e l l e s f o r m e s de d i r e c t i o n de la

p r o d u c t i o n p. 126

L ' a m é l i o r a t i o n des cond i t i ons de t rava i l e n l i a i son avec le p r o g r è s t e c h n i q u e e n U R S S p. 155

Bib l iog raph ie p . 183

A n n e x e s t a t i s t ique p . 185

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I N T R O D U C T I O N

Dans cette étude sur les conséquences sociales et psychologiques de l'au- tomatisation de la production en URSS, j'ai décidé, après mûre réflexion, de traiter les multiples aspects de ce sujet vraiment illimité, dans l'ordre suivant.

Dans le premier chapitre, intitulé « Rapports entre la technique et la vie sociale », j'analyse les théories relatives à cette question et j'expose mon propre point de vue. Cette entrée en matière est pleinement logique. Avant d'examiner les conséquences sociales et psychologiques de l'auto- matisation, il est indispensable de situer le progrès technique et l'automa- tisation par rapport à la vie sociale. Les différentes conceptions qui ont cours à l'étranger à ce sujet se ramènent à trois groupes : la théorie du « déterminisme technologique », d'après laquelle il est possible de déduire tous les phénomènes sociaux directement de la technique ; la théorie du « déterminisme social », qui fait au contraire découler le progrès technique de fins économiques et sociales ; enfin, la position des savants qui estiment que les liens entre la technique et la vie sociale s'expliquent par un sys- tème d'interactions plus complexe. Après avoir examiné les théories existantes, j'expose ma propre conception, à savoir que la technique influe sur la vie sociale à la fois indirectement, par le développement des forces productrices, et directement, mais que, même pour l'étude de cette in- fluence directe, la technique ne peut être considérée isolément, en dehors des conditions sociales dans le cadre desquelles elle se développe.

Le deuxième chapitre — «L'automatisation de la production : signifi- cation de ce concept chez les auteurs d'Europe occidentale et d'Amérique et en Union soviétique » — aborde les problèmes relatifs à l'automatisation de la production, en présentant l'automatisation comme un facteur es- sentiel du développement de la technique moderne. Il n'est pas possible, en effet, d'analyser l'influence concrète de l'automatisation sur les rap- ports sociaux, comme je le fais dans les chapitres suivants, sans préciser

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d'abord le contenu du concept même d'automatisation de la production. Ce chapitre débute par un examen des différentes conceptions que les savants étrangers se font de l'automatisation de la production; il com- prend ensuite une évaluation de ces conceptions et une analyse détaillée de l'automatisation de la production, considérée en tant qu'étape quali- tativement nouvelle du développement du machinisme. Il se termine par un bref exposé du développement technique et de l'automatisa- tion en URSS, au cours des premières années d'application du plan septennal.

Le troisième chapitre est intitulé « Modifications du caractère et de la nature du travail et de la structure de l'emploi sous l'effet de la mécanisa- tion et de l'automatisation de la production ». Sur la base d'ouvrages américains, anglais, français et allemands, je caractérise donc rapidement la position adoptée par les auteurs étrangers en ce qui concerne l'influence de la technique et de l'automatisation de la production sur le caractère et sur la nature du travail. Tous les ouvrages modernes consacrés à cette question soulignent les profondes transformations que subissent le ca- ractère et la nature du travail lors du passage à la production automatisée, l'importance croissante du rôle des travailleurs qualifiés et hautement qualifiés, et l'apparition de techniciens et d'ingénieurs aux postes de tra- vail. J'analyse plus en détail cette évolution dans le cas de l'industrie de l'URSS, en citant des données qui montrent les effets de la mécanisa- tion et de l'automatisation sur le caractère et la nature du travail et la structure de l'emploi dans les entreprises de l'URSS. Après avoir sou- ligné que la question n'a pas encore été suffisamment étudiée dans son ensemble, je classe les ouvriers de l'industrie en six groupes (travailleurs manuels, ouvriers travaillant à la main sur des machines, travailleurs à la chaîne, travailleurs préposés à des opérations mécanisées, opérateurs de machines automatiques et semi-automatiques, travailleurs affectés à l'en- tretien des machines) et j'examine les perspectives de modification des conditions de travail de chaque groupe, en me fondant non seulement sur la documentation existante mais aussi sur des interrogatoires d'ou- vriers — principalement à l'Usine nationale de roulements à billes n° 1. Le chapitre se termine par un examen des perspectives de modification du caractère et de la nature du travail, dans des conditions d'automatisation généralisée.

Le quatrième chapitre est intitulé « Influence de la mécanisation et de l'automatisation de la production sur l'émulation socialiste et le mou- vement des novateurs et des inventeurs ». Ce chapitre donne aussi un portrait psychologique des membres des équipes du travail communiste, des rationalisateurs et des inventeurs. Il est souligné que l'émulation so- cialiste et le mouvement des inventeurs et des rationalisateurs sont des phénomènes inconnus dans les pays capitalistes. Il est précisé ensuite que le progrès technique n'est pas la cause de l'émulation socialiste, mais qu'il en détermine les objectifs et le caractère concrets. Après avoir donné

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un bref historique du développement de l'émulation, dans ses rapports avec le développement de l'économie et de la technique socialistes, je caractérise plus en détail l'étape actuelle de l'émulation et notamment le mouvement des équipes et des ouvriers de choc du travail communiste. Pour l'étude du mouvement des rationalisateurs et des inventeurs, je me fonde non seulement sur les ouvrages consacrés à cette question, mais aussi sur des interrogatoires directs de nombreux novateurs et rationalisa- teurs, dont je rapporte les déclarations. Ce chapitre sera particulièrement intéressant pour le lecteur étranger, car il lui fera connaître des phéno- mènes inconnus dans les pays capitalistes. En même temps, il fournit une éclatante confirmation de ma thèse selon laquelle les phénomènes sociaux ne peuvent être considérés comme étant fonction de la technique, mais doivent être étudiés, en liaison avec la technique, compte tenu des condi- tions sociales propres à chaque pays.

Le cinquième chapitre traite de «La formation et la rééducation pro- fessionnelles des travailleurs, en liaison avec la mécanisation et l'automa- tisation de la production en URSS ». Ce chapitre, comme les autres, dé- bute par un examen du problème tel qu'il se pose dans les pays capita- listes. Je me réfère à ce propos à différentes sources, aux déclarations de personnalités des pays capitalistes faisant autorité en matière de formation professionnelle, et en particulier aux documents de l'Organisation inter- nationale du travail. Il ressort de cette brève introduction que le problème de la formation et de la rééducation professionnelles des travailleurs, en liaison avec la mécanisation et l'automatisation, est devenu d'une grande actualité dans les pays capitalistes industrialisés. Ce problème est lié à celui de la réforme de l'enseignement secondaire et à celui du dévelop- pement des activités éducatives des organisations syndicales et des entre- prises. Les ouvrages consacrés à cette question dans les pays capitalistes se caractérisent par les inquiétudes et les doléances qui s'y expriment au sujet des défauts de l'enseignement secondaire, de l'absence de liens entre cet enseignement et l'enseignement professionnel, du manque d'organisa- tion de la formation et de la rééducation professionnelles des travailleurs, de la pénurie de personnel qualifié qui se manifeste dans de nombreux pays par suite de l'automatisation. A la lumière des positions précédem- ment exposées, j'aborde ensuite la question de la formation et de la réédu- cation professionnelles des travailleurs en URSS, en montrant que c'est là un problème national de la plus haute importance dont la solution est liée à la récente réforme générale du système de l'éducation nationale et du développement de nouveaux systèmes de formation professionnelle dans les entreprises. L'expérience positive acquise à cet égard dans la région de Sverdlovsk est exposée en détail. Les modifications des plans et programmes d'études sont illustrées à l'aide de données concrètes, non seulement d'après la documentation existante, mais aussi sur la base d'in- terrogatoires d'ouvriers, de techniciens et d'ingénieurs chargés de la for- mation et de la rééducation professionnelles à différents échelons - depuis

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les cours d'apprentissage individuel et en équipe jusqu'aux établissements d'enseignement technique supérieur.

Le sixième chapitre intitulé « La mécanisation et l'automatisation de la production : importance croissante du rôle de l'ingénieur et du techni- cien et modification du caractère de leur travail » étudie les effets de la mécanisation et de l'automatisation sur la direction de la production à l'échelle nationale et dans chaque entreprise ou atelier, et sur le caractère et la nature du travail des techniciens et ingénieurs. Je commence par montrer l'importance accrue du travail de l'ingénieur dans la production, dans les pays capitalistes. Les données citées font apparaître la nette di- minution du nombre d'ouvriers par ingénieur au cours des dernières années. Diverses organisations, dont l'Organisation internationale du tra- vail, soulèvent la question du rôle nouveau de l'ingénieur dans les condi- tions de la mécanisation et de l'automatisation. Je définis ensuite, sur la base de documents publiés en URSS, les modifications qui se produisent et vont se produire dans l'industrie, en liaison avec l'automatisation et l'apparition de nouveaux moyens techniques de direction. J'insiste spé- cialement sur les changements dans la direction des entreprises et des ateliers ; je mentionne le mouvement en faveur d'un système d'organisa- tion sans ateliers. Une importante expérience en matière de direction d'un atelier automatique a été réalisée à l'Usine nationale de roulements à billes n° 1. Elle est exposée sur la base d'un interrogatoire spécial du chef de cet atelier automatique, qui rend compte en détail de la modifica- tion des fonctions de l'ingénieur dans les conditions de la production automatisée et exprime diverses considérations concernant l'évolution fu- ture du rôle de l'ingénieur et les exigences nouvelles qu'impose à cet égard l'automatisation. Ce chapitre décrit en outre la réforme des pro- grammes des études d'ingénieur, qui est appliquée actuellement en URSS, en liaison avec l'automatisation de la production.

Le dernier chapitre a pour titre : « L'amélioration des conditions de travail en liaison avec le progrès technique en URSS ». Il y est souligné que la technique exerce sur l'homme une influence directe et indirecte, favorable et défavorable, et que le problème consiste à éliminer et à neutra- liser par tous les moyens les effets nuisibles de la technique et à utiliser plus largement l'influence hautement favorable qu'elle exerce sur le tra- vail et la vie. Après avoir brièvement caractérisé l'attitude des auteurs étrangers devant ce problème, je montre qu'en URSS l'amélioration des conditions de travail et le perfectionnement des méthodes de travail sont considérés comme des objectifs nationaux de la plus haute importance. Des sommes immenses sont consacrées aux techniques de sécurité et aux instituts et laboratoires spécialisés dans ce domaine. Étant donné que le travail à la chaîne occupe une place considérable dans la production moderne, je décris les mesures prises par les centres de recherche scien- tifique et les entreprises pour l'étude de la physiologie du travail et la réalisation d'un régime rationnel de travail et de repos.

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Cet ouvrage, sous sa forme présente, n'épuise évidemment pas le sujet; il ne constitue en fait que la première partie d'une étude sur l'automatisa- tion et ses conséquences sociales. Cette première partie, comme on a pu le voir, traite de l'influence directe de la technique sur l'homme dans les conditions du travail.

L'attention est concentrée sur les phénomènes où l'homme, en tant qu'agent de la production, se trouve directement en contact avec la tech- nique nouvelle. C'est ce que l'on peut appeler l'influence primaire de la technique sur l'homme. Comme je l'ai déjà souligné, cette influence di- recte de la technique ne peut être considérée isolément, sans tenir compte des conditions de la vie sociale et du caractère de la société dans le cadre de laquelle se produit le contact de l'homme avec la technique nouvelle.

Quelques mots maintenant au sujet de la méthode de recherche. Toute méthode scientifique doit répondre à une double exigence : démontrer le caractère objectif des phénomènes étudiés, et déterminer le sens de l'évolution ultérieure de ces phénomènes. L'analyse des phénomènes doit, d'une part, exprimer des lois générales et, d'autre part, montrer les formes spécifiques que prennent ces phénomènes en fonction de conditions histo- riques concrètes ou d'aspects particuliers de la vie sociale. Il a été tenu compte de ces exigences pour le présent travail. 1. Pour l'analyse scientifique des problèmes posés, j'ai largement utilisé

les données du recensement général de 1959. Toutefois, les données sont limitées et exigent un traitement prolongé. Elles ont été en partie traitées par le Service central de statistique du Conseil des ministres de l'URSS (y compris certaines données concernant les problèmes qui nous intéressent). Pour le présent ouvrage, j'ai utilisé les données re- latives à la répartition des travailleurs par profession, au pourcentage de techniciens et d'ingénieurs, et à divers autres points.

2. J'ai utilisé les statistiques nationales de la main-d'œuvre pour avoir une image fidèle des modifications qui se produisent dans la classe ouvrière du fait du progrès technique et de l'automatisation.

3. J'ai utilisé les statistiques nationales relatives à la formation et à la rééducation professionnelles des ouvriers, techniciens et ingénieurs, et au développement de l'éducation nationale en URSS.

4. J'ai largement puisé dans les ouvrages parus en URSS sur divers aspects des conséquences sociales et psychologiques de la mécanisation et de l'automatisation de la production. Parmi ces ouvrages, j'ai donné la préférence à ceux qui se fondent sur des études spéciales de diffé- rentes usines, sur l'examen et l'interprétation de données statistiques, ou sur des enquêtes spéciales effectuées auprès d'ouvriers, de techni- ciens et d'ingénieurs.

5. J'ai également utilisé des déclarations individuelles d'ouvriers, de tech- niciens et d'ingénieurs sur les problèmes qui nous intéressent, mais

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seulement dans la mesure où elles illustraient par un exemple concret des lois générales de développement.

6. J'ai enfin étudié specialement certains problèmes relatifs aux consé- quences sociales de la mécanisation et de l'automatisation dans diffé- rentes usines, et j'ai utilisé cette documentation à l'appui de divers points de vue formulés dans le présent ouvrage.

7. Il n'était pas prévu d'études du même genre dans des pays autres que l'URSS, et je me suis contenté d'utiliser des ouvrages récents parus dans les pays où se posent des problèmes analogues, liés à la mécanisa- tion et à l'automatisation, pour faire mieux ressortir sur cette toile de fond les processus qui se produisent en URSS. Les ouvrages cités sont indiqués en notes de bas de page, et une bibliographie complète est donnée en annexe.

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Rapports entre la technique et la vie sociale

Avant d'aborder l'étude du problème énoncé dans le titre de cet ouvrage il convient de s'arrêter à certaines questions de méthode. Dans les langues européennes, quand on parle de l'influence de la technique — y compris l'automatisation — sur la vie sociale et la psychologie individuelle, on emploie deux termes : « conséquences » et « implications ». Dans le pre- mier cas, il s'agit de conséquences directes : le rapport entre les deux séries de phénomènes est un rapport de cause à effet. Dans le second cas, il existe entre les deux séries de phénomènes un lien plus complexe. Im- plication se traduit en russe par sootvetstvie ou soputstvie.

Si les auteurs ont employé d'abord le mot « conséquences » pour traiter des aspects sociaux et psychologiques de la mécanisation et de l'automa- tisation, à l'heure actuelle, le mot « implications » est de plus en plus usité. Cette différence de vocabulaire reflète de vives discussions quant au fond du problème, et en premier lieu quant à l'interaction entre la technique et la vie sociale. Plusieurs tendances caractéristiques se manifestent à cet égard. Les uns affirment que les phénomènes sociaux sont le résultat direct du progrès technique. Selon d'autres, ces phénomènes constituent au contraire l'élément moteur, la technique étant la conséquence du déve- loppement des rapports sociaux. D'autres encore recherchent un lien plus complexe entre la technique et le social. Arrêtons-nous plus en détail sur chacune de ces tendances.

Selon un point de vue assez commun, toute la vie sociale est fonction du progrès technique. Cette position est soutenue par les représentants de tendances très diverses — depuis les technocrates pour qui le « déter- minisme technologique » est le concept chef, jusqu'aux savants d'origines diverses qui ne s'interrogent guère sur les aspects sociaux de la science et de la technique mais ont la conviction que le progrès scientifique et tech- nique, à long terme surtout, exerce un effet bienfaisant sur l'humanité. Le concept du « déterminisme technologique » a été très nettement défini

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par Leslie White, en ces termes : « Les systèmes sociaux, dans leur con- tenu véritable, constituent des facteurs secondaires, dépendants des sys- tèmes techniques. En fait, un système social ne peut se définir d'une manière réaliste que s'il est conçu comme l'organisation de l'effort humain dans l'utilisation des instruments de travail, afin de procurer des moyens d'existence, de défense, d'attaque et de protection... La technique est une variable indépendante, le système social une variable dépendante. C'est pourquoi les systèmes sociaux sont conditionnés par les systèmes tech- niques1. » Le même point de vue est développé par le physicien allemand Pascual Jordan, un des rares savants qui préconise ouvertement le recours éventuel aux armes atomiques. En 1956, Jordan a publié, sous le titre Der gescheiterte Aufstand, un ouvrage où il expose, notamment, sa théorie sur le rôle décisif des découvertes et des inventions dans les transforma-

tions politiques et sociales. Prenant pour exemple la découverte de Liebig, l'auteur illustre sa conception de la manière suivante : « Peut-on prévoir, au cours du prochain siècle, des événements d'une portée plus considé- rable que la découverte par Liebig des engrais artificiels? Cette décou- verte et son exploitation ont seules permis l'accroissement de la population de l'Europe. La découverte de Liebig a été, non la conséquence, mais au contraire la condition de l'industrialisation de l'Europe et la base de toutes les transformations sociales et politiques ultérieures2. »

Parmi les partisans du « déterminisme technologique » on trouve éga- lement des savants qui, sans pouvoir laisser de côté les aspects sociaux de la science et de la technique, ne se préoccupent guère de ces aspects. Un représentant marquant de cette tendance est le savant américain George Harrison, du Massachusetts Institute of Technology, auteur d 'un livre intéressant paru sous le titre : What man can be. The human side of science. Ce qui caractérise les théories de Harrison, c'est leur dualité. D'une part, l'auteur envisage l'avenir avec optimisme puisqu'il estime que la révolution scientifique et technique qui doit s'accomplir bientôt ou s'accomplit déjà contribuera au bonheur de l'homme. D'autre part, comme beaucoup de savants, il s'interroge avec inquiétude sur le sort des peuples et de l'humanité, qui pourraient se trouver menacés par cette révolution3.

Profondément convaincu du pouvoir de la science, Harrison écrit : « C'est à la science, à l'heure actuelle, qu'il appartient de dire ce que l 'homme doit manger et en quelles quantités, quels éléments de confort doivent être mis à sa disposition, comment il doit travailler. » « Selon moi, poursuit-il, il est parfaitement clair que les conquêtes scientifiques de l'humanité doivent servir à l'épanouissement spirituel de l'homme et qu'étant donné sa nature, elles y contribueront, en fin de compte, à un très large degré4. »

1. A. Leslie White . The science of culture. N e w York, 1949, p. 365. 2. Pascual Jordan. Der gescheiterte Aufstand. F r a n k f u r t am M a i n , 1956, p. 41-42. 3. George Russel Harr i son . Wha t man can be. The human $ide of science. L o n d o n , 1959, p. 1. 4. Ibid. , p. 18.

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Parallèlement à cette défense du « déterminisme technologique » et aux tentatives d'éviter l'examen théorique approfondi des aspects sociaux de la science et de la technique, divers ouvrages visent à démontrer qu'il n'existe pas de lien direct entre la technique d'une part, l'économie et les rapports sociaux d'autre part. Les idées de Karl Jaspers, l'un des philo- sophes et sociologues allemands les plus connus, sont très caractéristiques à cet égard. Dans son livre Die Atombombe und die Zukunft des Menschen, Jaspers essaye de démontrer que le système économique et le régime social ne jouent aucun rôle dans le progrès technique. Tout en reconnais- sant que la thèse de Marx quant au rôle prépondérant de l'économie dans la vie sociale présente une immense importance et qu'elle est universel- lement admise, l'auteur affirme que le facteur éthique joue un rôle tout aussi important, mais que ni l'un ni l'autre de ces facteurs n'est par lui- même capable de déterminer la structure sociale. « L'économie, sous l'une quelconque de ses formes, écrit-il en conclusion, n'est pas un absolu. Elle ne constitue pas la mesure de tout ce que nous sommes et pouvons de- venir. Sans doute est-elle aussi nécessaire que l'eau est nécessaire à l'orga- nisme. Mais elle n'est pas plus que ce qu'elle est, de même que l'eau n'est pas tout l'organisme. L'économie n'acquiert de sens que par l'intermé- diaire de ce pour quoi elle existe et, en fin de compte, de ce qu'elle n'est pas. L'économie porte elle-même l'empreinte des mobiles pour lesquels elle existe. Par conséquent, on peut concevoir, et il existe, des systèmes sociaux différents pour un même niveau de technique du travail1. »

Ces lignes traduisent une tendance caractéristique de la recherche à l'étranger. On évite d'étudier les aspects sociaux de la technique en allé- guant la complexité des phénomènes et la prétendue impossibilité de dé- couvrir, dans cette diversité, l'élément moteur — surtout lorsque cet élé- ment moteur est l'économie.

Un ouvrage récent Changements techniques, économiques et sociaux (étude théorique) oppose, dans divers articles, le « déterminisme techno- logique » et, si l'on peut employer cette expression, le « déterminisme social » (détermination sociale de la technique).

Le groupe de chercheurs de l'Institute of Social Studies expose ainsi son point de vue : « S'il était possible de résumer en une phrase la tendance générale de cet article, on pourrait dire ceci : à l'heure actuelle, la convic- tion qu'il serait plus juste de ne pas insister sur les conséquences sociales des changements techniques, mais de considérer les changements tech- niques comme une conséquence sociale, gagne progressivement du terrain2. »

Critiquant ceux qui voient dans la technique la cause première des changements économiques, les auteurs font intervenir la notion de but 1. Kar l Jaspers. Die Atombombe und die Zukunft des Menschen. M ü n c h e n , p. 238-239. 2. H . T h . C h a b o t ; J. A. Pons iœn; J. i n ' t Veld ; L . J. Z i m m e r m a n ; C. A. O. van Nieuwenhu i j ze ;

E. A. Campo. t Social change as inf luenced by technological change *, in : Changements techniques économiques et sociaux (étude théorique), Bureau in ternat ional de recherche sur les implicat ions sociales d u progrès t echn ique , Paris, 1958, p. 3.

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et soulignent que ce n'est pas la technique qui détermine tel ou tel but « social ou économique » mais qu'au contraire les buts sociaux et les théories économiques déterminent le progrès technique.

Dans une très intéressante étude intitulée « Analyse critique des con- cepts relatifs aux implications sociales du progrès technique », deux autres collaborateurs de l'ouvrage, H. Janne et S. Bernard, n'hésitent pas à parler d'interaction entre la technique et les rapports sociaux. «... L'action de la technique sur les phénomènes sociaux, écrivent-ils, s'accompagne toujours d'une action en retour des phénomènes sociaux sur la technique. » Les auteurs affirment qu'entre les phénomènes techniques et les phénomènes sociaux il existe un lien étroit d'interaction. « Le phénomène est donc en forme de cercle, ou plus exactement de spirale, puisqu'il reste ouvert dans le temps et dans l'espace. » Cette interaction de la technique et de la société, d'après les auteurs, se résout à l'analyse en deux séries d'enchaîne- ments phénoménaux bien distincts : « L'une ascendante, qui va de la tech- nique à la société et qui exprime les changements sociaux en fonction des changements techniques; l'autre descendante, qui va de la société à la technique et qui exprime les changements techniques en fonction des changements sociaux1. » C'est dans cette perspective que l'auteur dé- finit le contenu et l'objet des recherches sur les phénomènes socio- techniques.

Sous le titre « Measurement of organisational and institutional impli- cations of changes in productive technology », Wilbert E. Moore, de l'Université Princeton, étudie lui aussi l'interaction des facteurs techni- ques et des facteurs sociaux. Soulignant l'extrême importance des re- cherches concernant cette interaction, Moore écrit : « Si les changements dans la technologie de la production ont des conséquences sociales, la technique elle-même est d'origine sociale. Le « déterminisme technolo- gique », y compris la fameuse théorie du retard de la culture sur la tech- nique, doit être simplement et catégoriquement rejeté, car il ne repose sur aucune base, empirique ou théorique, et ne mérite aucune attention2. »

Telle est la diversité des conceptions concernant les rapports entre le progrès technique, d'une part, et les phénomènes économiques et sociaux, d'autre part.

On constate que, dans le cas le plus favorable, les savants qui étudient ce problème n'en définissent correctement qu'un seul aspect. Les parti- sans du « déterminisme technologique » accordent une importance déci- sive à la technique dans la société moderne et soulignent les immenses possibilités qu'offrent à l'humanité la science et la technique. Mais, ne comprenant pas le lien dialectique qui existe entre la technique et les rapports économiques et sociaux, ils ne découvrent pas le caractère réel et objectif de l'interaction de la technique et des rapports sociaux.

Les partisans du « déterminisme social » ne saisissent pas non plus le

1. H. J anne ; S. Bernard. I n : Changements techniques.. . , op. cit., p. 33-34. 2. Wi lber t E. Moore . I n : Changements techniques . . . , cit, p. 232.

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lien dialectique entre la technique et les rapports sociaux. Dans de nom- breux cas, ils soulignent avec raison les aspects sociaux de la technique, l'influence de la vie sociale sur la technique, et leur critique du « déter- minisme technologique » est justifiée, mais ils n'expliquent pas non plus les lois objectives du progrès technique.

Un trait caractéristique de nombreuses études sur les aspects sociaux de la technique, c'est qu'elles citent des ouvrages de Marx. Jaspers, comme on l'a vu, après s'être incliné au passage devant la doctrine de Marx, l'écarté purement et simplement. Le professeur Balandier dans une intéressante introduction à l'ouvrage déjà cité : Changements techni- ques, économiques et sociaux (étude théorique), parle lui aussi du marxisme, en termes, il est vrai, assez peu clairs : « Aussi des commentateurs de la théorie marxiste, écrit-il, ont-ils été incités à simplifier et à déformer cette dernière en la considérant essentiellement comme l'affirmation d'un dé- terminisme technologique. Ceci nous montre combien la tentation de re- courir à un tel et unique mode d'explication des mouvements complexes affectant les sociétés modernes peut être fortel. »

Il est difficile de répondre à cette critique, car elle s'adresse aux com- mentateurs du marxisme et, parmi ces commentateurs, il en est qui don- nent au marxisme un sens radicalement opposé à la doctrine de Marx lui-même. H. Th. Chabot, J. A. Ponsiœn, J. in't Veld, L. J. Zimmer- man, C. A. O. van Nieuwenhuijze et E. A. Campo expriment plus nette- ment leur attitude à l'égard du marxisme. « Le système de Marx, écri- vent-ils, soumet les phénomènes historiques et les institutions sociales à u n e a n a l y s e é c o n o m i q u e q u i l e s e x p l i c i t e 2 . » T o u t e f o i s , c e s a u t e u r s n ' o n t

p a s é t u d i é l a t h é o r i e d e M a r x d a n s s e s œ u v r e s , m a i s s e r é f è r e n t à u n

c o m m e n t a t e u r d e M a r x — S h u m p e t e r - e t o n e s t b i e n o b l i g é d e d i r e q u ' u n e

f o r m u l e a u s s i g é n é r a l e , q u e n ' é c l a i r e a u c u n d é v e l o p p e m e n t , n e p e r m e t

p a s d e c o m p r e n d r e l e « s y s t è m e d e M a r x ». D a n s l ' a r t i c l e « S o c i a l i m p l i c a -

t i o n s o f t e c h n o l o g i c a l c h a n g e a s r e g a r d s p a t t e r n s a n d m o d e l s », l e s s a v a n t s

a n g l a i s R . F i r t h , F . J . F i s h e r , D . G . M a c R a e ( d e l a L o n d o n S c h o o l o f

E c o n o m i c s a n d P o l i t i c a l S c i e n c e ) , é c r i v e n t : « P o u r M a r x l a t e c h n i q u e f a i t

p r e s q u e t o u j o u r s p a r t i e d e l a s t r u c t u r e é c o n o m i q u e d ' u n e é p o q u e : c ' e s t

u n e v a r i a b l e p a r t i e l l e m e n t d é p e n d a n t e . C o m m e W e b e r , i l c o n s i d è r e l a

t e c h n i q u e i n d u s t r i e l l e m o d e r n e p l u t ô t c o m m e u n e c o n s é q u e n c e q u e c o m m e

u n e c a u s e d e l ' a c c u m u l a t i o n c a p i t a l i s t e p r i m a i r e . L a t e c h n i q u e n e p o u r r a i t

d o n c ê t r e i n t r o d u i t e d a n s u n e s o c i é t é o ù c e t t e a c c u m u l a t i o n n ' e s t p a s

r é a l i s é e o u e n v o i e d e r é a l i s a t i o n . P o u r t a n t , d a n s s e s é c r i t s , M a r x a p p a r a î t

t r è s s o u v e n t — m o i n s s o u v e n t q u ' E n g e l s t o u t e f o i s — c o m m e u n p a r t i s a n

d u d é t e r m i n i s m e t e c h n o l o g i q u e 3 . »

Ces auteurs poursuivent : « Marx, en tout cas, donne une indication générale très importante : lorsqu'un changement est nécessaire, cette né-

1. G. Balandier. «Introduction e, in: Changements techniques, op. cit., p. 7. 2. H. Th. Chabot et al. Op. cit., p. 5. 3. R. Firth; F. J. Fischer; D. G. Mac Rae. In: Changements techniques..., op. cit, p. 287.

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cessité suscite des promoteurs du changement — un groupe ou une classe capable d'exercer son influence ou de dominer dans la société à laquelle il appartient... En l'absence d'un tel groupe et de son intervention dyna- mique, la société reste passive vis-à-vis du progrès technique et peut même lui opposer une résistance1. »

Nous venons d'exposer en détail diverses interprétations du problème de l'interaction des facteurs sociaux et des facteurs techniques, et diverses tentatives pour utiliser les œuvres de Marx en vue d'expliquer cette in- teraction. Il convient de préciser immédiatement que la théorie de la technique, chez Marx et Engels, n'a rien de commun avec le « détermi- nisme technologique ». Marx et Engels ont toujours considéré la tech- nique en tant que telle, et d'abord comme un indice de rapports sociaux. Marx développe cette idée avec netteté, dans le premier tome du Capital, où il montre que ce qui différencie les époques économiques n'est pas le produit, mais le mode de production et les instruments de travail. Marx souligne que « les instruments de travail ne constituent pas seulement la mesure du développement de la main-d'œuvre humaine, mais aussi l'in- d i c e d e s r a p p o r t s s o c i a u x d a n s l e s q u e l s s e p e r f e c t i o n n e l e t r a v a i l »2.

Marx considère le progrès technique comme la synthèse d'éléments techniques et sociaux. Il montre que le progrès technique a pour effet de développer les forces productrices et, par voie de conséquence, de modi- fier les rapports de production ou rapports économiques, puis divers rap- ports d'ordre idéologique. En même temps, il montre que les rapports économiques et idéologiques exercent une action en retour sur la technique.

Marx montre l'influence profonde des rapports sociaux sur la tech- nique. Il suffit de citer, par exemple, la théorie selon laquelle le progrès technique découle des buts économiques et sociaux que l'on se propose.

Mais les buts, considérés indépendamment des conditions qui les créent, ne signifient pas grand-chose. Il y a longtemps que Marx a analysé la question. Dans son explication du progrès technique, il considère les buts que l'on se propose comme l'élément moteur de ce progrès. Mais ces buts se déduisent des lois objectives qui sont à la base des différentes formes de société.

Dans les conditions du capitalisme, c'est la production de la plus-value qui est à la base du système social. Dans ce régime, le progrès technique est donc lié lui aussi à la recherche de la plus-value. Ainsi se définissent les buts des capitalistes, qui — comme l'indiquent R. Firth, F. J. Fisher et D. G. MacRae, rendant compte fidèlement des idées de Marx — exer- cent, en tant que classe dans la société capitaliste une influence détermi- nante, en particulier sur le progrès technique.

Mais il y a plus. Les capitalistes, dans les buts qu'ils se fixent, ne sont pas libres de renoncer au progrès technique.

«C'est la force motrice de l'anarchie sociale de la production qui trans-

1. R. F i r t h et al. Op. cit., p. 287. 2. K . Marx . Le capital, t. I. Moscou , 1955, p. 187.