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1 Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis Cours de droit des personnes et de la preuve Madame le Professeur Parance Licence1 Fiche TD 6 à 8 DROIT DE LA PREUVE THÈME 1 : LA CHARGE DE LA PREUVE Répartition des rôles entre les parties et le juge Articles 1 à 11 et 146 du Code de procédure civile Le principe de la charge de la preuve : Article 1353 du Code civil (ancien article 1315 du Code civil) Doc 1 : Cass. 1 ière civ 3 novembre 2004, n° 03-11011 Doc 2 : Cass. 1 ière civ 9 juin 2011, n° 10-13570, D. 2011, p. 2099 Atténuations au principe : les présomptions Doc 3 : Cass. 1 ière civ. 25 février 1997, n° 94-19685, JCP G, I, obs. G. Viney Doc 4 : Cass. com., 9 novembre 2013 Article 1112-1 du Code civil Le droit à la preuve Doc 5 : Cass. 1 ière civ. 5 avril 2012, n° 11-14177, D. 2012, p. 1596, note G. Lardeux Travail à faire : faire le commentaire guidé de l'arrêt de la Cass. 1ière civ. 5 avril 2012 1° Présenter l'arrêt sous forme de fiche d'arrêt 2° Quelle est la question de droit posée à la Cour de cassation 3° Quelles sont les réponses du droit positif (Conventions internationales, loi, jurisprudence) à cette question de droit ? Quelle est la portée de l'arrêt, autrement dit la solution de l'arrêt est-elle importante ou vient-elle s'inscrire dans le fil du droit positif ? 5° Cette solution vous semble t elle opportune du point de vue de l'équité? THEME 2 : LA LOYAUTE DE LA PREUVE Equilibre entre la nécessité de la production litigieuse et les besoins de la défense Doc 1 : Cass. 1 Ière civ. 16 octobre 2008, n° 07-15778 Enregistrement des conversations téléphoniques Doc 2 : Cass. com 3 juin 2008, n° 07-17147 Doc 3 : Cass. com. 13 octobre 2009, n° 08 -19525 Doc 4 : Ass. Plén. 7 janvier 2011, n° 09-14316 et 09-14667.

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Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis Cours de droit des personnes et de la preuve Madame le Professeur Parance Licence1

Fiche TD 6 à 8 DROIT DE LA PREUVE

THÈME 1 : LA CHARGE DE LA PREUVE Répartition des rôles entre les parties et le juge Articles 1 à 11 et 146 du Code de procédure civile Le principe de la charge de la preuve : Article 1353 du Code civil (ancien article 1315 du Code civil) Doc 1 : Cass. 1ière civ 3 novembre 2004, n° 03-11011 Doc 2 : Cass. 1ière civ 9 juin 2011, n° 10-13570, D. 2011, p. 2099 Atténuations au principe : les présomptions Doc 3 : Cass. 1ière civ. 25 février 1997, n° 94-19685, JCP G, I, obs. G. Viney Doc 4 : Cass. com., 9 novembre 2013 Article 1112-1 du Code civil Le droit à la preuve Doc 5 : Cass. 1ière civ. 5 avril 2012, n° 11-14177, D. 2012, p. 1596, note G. Lardeux Travail à faire : faire le commentaire guidé de l'arrêt de la Cass. 1ière civ. 5 avril 2012 1° Présenter l'arrêt sous forme de fiche d'arrêt 2° Quelle est la question de droit posée à la Cour de cassation 3° Quelles sont les réponses du droit positif (Conventions internationales, loi, jurisprudence) à cette question de droit ? 4° Quelle est la portée de l'arrêt, autrement dit la solution de l'arrêt est-elle importante ou vient-elle s'inscrire dans le fil du droit positif ? 5° Cette solution vous semble t elle opportune du point de vue de l'équité? THEME 2 : LA LOYAUTE DE LA PREUVE Equilibre entre la nécessité de la production litigieuse et les besoins de la défense Doc 1 : Cass. 1Ière civ. 16 octobre 2008, n° 07-15778 Enregistrement des conversations téléphoniques Doc 2 : Cass. com 3 juin 2008, n° 07-17147 Doc 3 : Cass. com. 13 octobre 2009, n° 08 -19525 Doc 4 : Ass. Plén. 7 janvier 2011, n° 09-14316 et 09-14667.

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Preuve par SMS Doc 5 : Cass. Soc. 23 mai 2007, n° 06-43209 Doc 6 : Cass. 1ière civ. 17 juin 2009, n° 07-21796 Preuve par enquête privée Doc 7 : Cass. 2ième civ. 3 juin 2004, n° 02-19886 Doc 8 : Cass. 1ière civ. 25 février 2016, n° 15-12403 Doc 9 : Cass. 1ère civ. 22 sept 2016, n° 15-24015, publié au bulletin Réforme du droit de la preuve E. Vergès, La réforme du droit de la preuve civile : enjeux et écueils d’une occasion à ne pas manquer, D. 2014, p. 617. Travail à faire Sujet de dissertation : Le principe de la loyauté de la preuve THEME 3 : LES MODES DE PREUVE Nul ne peut se constituer une preuve à lui-même Doc 1 : Cass. 1ière civ. 18 octobre 2005, n° 04-14248 Doc 2 : Cass. 1ière civ. 28 janvier 2003, n° 00-17553 Liberté des conventions relatives à la preuve Doc 3 : Cass. 1ière civ. 8 novembre 1989, aff. Crédicas, D. 1990, p. 369, note C. Gavalda Doc 4 : Cass. 2ième civ. 10 mars 2004, n° 03-10154 Commencement de preuve par écrit Doc 5 : Cass. 1ière civ. 12 juillet 2005, n° 04-15314 Télécopie Doc 6 : Cass. 1ière civ. 2 décembre 1997, n° 95-14251 Travail à faire : Cas Pratique

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THÈME1:LACHARGEDELAPREUVEArticle 1353 du Code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». RépartitiondesrôlesentrelespartiesetlejugeArticles1à11et146duCodedeprocédurecivileSection I : L'instance. Article 1 : Seules les parties introduisent l'instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi. Article 2 : Les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis. Article 3 : Le juge veille au bon déroulement de l'instance ; il a le pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires. Section II : L'objet du litige. Article 4 : L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Article 5 : Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Section III : Les faits. Article 6 : A l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder. Article 7 : Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions. Article 8 : Le juge peut inviter les parties à fournir les explications de fait qu'il estime nécessaires à la solution du litige. Section IV : Les preuves. Article 9 : Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Article 10 : Le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles. Article 11 : Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties,

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demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime. Article 146 : Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve. Le principe de la charge de la preuve Doc 1 : Cass. 1ière civ 10 Février 1998, n° 96-14623 Publié au bulletin Rejet. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Attendu que Mme X... a été victime le 31 juillet 1983 d'un accident de baignade alors que, âgée de 14 ans, elle se trouvait dans un camp de vacances organisé par le Comité central d'entreprise de la Compagnie IBM France, employeur de son père ; Attendu que Mme X..., soutenant que l'accident s'était produit lorsque plongeant depuis le plongeoir, elle a heurté la jeune Frédérique Y..., âgée de sept ans, qui se trouvait dans l'eau, fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 1996) de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir déclarer le Comité central d'entreprise de la Compagnie IBM France responsable du préjudice par elle subi du fait de l'accident, alors, selon le moyen, qu'il appartenait aux responsables du camp de vacances d'assurer la sécurité des baigneurs, d'une part, en interdisant aux nageurs de s'aventurer dans l'aire de plongeon et en faisant respecter cette interdiction, d'autre part, en exerçant sur l'utilisation du plongeoir, par nature dangereuse, une surveillance d'autant plus attentive qu'il s'agissait d'adolescents, que la cour d'appel, qui constatait qu'il n'était pas interdit de se baigner aux abords du plongeoir et que les moniteurs qui surveillaient depuis le ponton l'ensemble de l'aire de baignade, mais pas spécialement le plongeoir, n'étaient intervenus ni pour éloigner la jeune Frédérique Y..., ni pour interdire à Mme X... d'utiliser le plongeoir pendant que Frédérique Y... évoluait dessous, n'aurait pas tiré de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient légalement en décidant que n'était établie aucune faute du Comité central d'entreprise d'IBM ou des ses préposés, et aurait ainsi violé l'article 1147 du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu que l'obligation pesant sur les reponsables d'une colonie de vacances étant une obligation de moyens, il appartenait à Mme X... de prouver la faute des organisateurs ou celle des moniteurs, leurs préposés ; qu'elle a relevé qu'il est constant que l'espace de baignade où s'est produit l'accident est bordé d'un ponton d'une trentaine de mètres de longueur situé à 1,50 mètre au-dessus de l'eau et que le plongeoir est aménagé 50 centimètres au-dessous de ce ponton, qu'il n'est pas contesté que, compte tenu d'une telle topographie des lieux, des moniteurs surveillaient depuis le ponton l'ensemble de l'aire de baignade et que d'ailleurs Mme X... a reconnu que ces moniteurs sont immédiatement intervenus après l'accident, et qu'il s'agissait d'un camp sportif proposant notamment le canoë-cayak en eaux vives, des descentes de rivières, des randonnées à cheval, du camping sauvage, de sorte que les organisateurs pouvaient légitimement penser que des adolescents de plus de 14 ans participant à un tel camp s'assureraient avant de plonger que l'espace de réception de l'eau était libre ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi.

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Doc 2 : Cass. 1ière civ 9 juin 2011, n° 10-13570, D. 2011, p. 2099 Publié au bulletin Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu que M. Gilles X...et Mme Paule X...(les consorts X...), ayant formé le projet de faire publier la correspondance échangée, durant plus de vingt années, entre René Y... et leur mère, Tina Z..., ainsi qu'entre l'écrivain et leur grand-mère, Maria Z..., et eux-mêmes et s'étant heurtés au refus de Mme Marie-Claude A...épouse Y... , instituée par son mari, selon un testament olographe du 14 mars 1987, légataire universelle et chargée, avec Tina Z..., légataire particulier de certains biens, de veiller à l'ensemble de son oeuvre, ont fait assigner Mme Y... pour être autorisés à faire publier cette correspondance, en prétendant que le refus opposé par l'exécuteur testamentaire constituait un abus notoire dans l'exercice du droit moral dont elle était investie ; Sur le premier moyen du pourvoi principal de Mme Y... , pris en sa première branche : Vu l'article 1315 du code civil, ensemble les articles L. 121-2 et L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle ; Attendu que pour dire abusif l'usage fait par Mme Y... de son droit de divulgation en refusant la publication des lettres échangées entre René Y... et Tina Z..., l'arrêt retient que lorsque la personne investie du droit de divulgation post mortem, qui ne dispose pas d'un droit absolu mais doit exercer celui-ci au service des oeuvres et de leur promotion, conformément à la volonté de l'auteur, s'oppose à cette divulgation, il lui incombe de justifier de son refus en démontrant que l'auteur n'entendait pas divulguer l'oeuvre en cause et que sa divulgation n'apporterait aucun éclairage utile à la compréhension et à la valorisation des oeuvres déjà publiées ; Qu'en inversant ainsi la charge de la preuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Sur le premier moyen du pourvoi incident des consorts X..., pris en sa première branche : Vu l'article L. 331-4 du code de la propriété intellectuelle ; Attendu que, pour condamner les consorts X...à indemniser Mme Y... en raison de la reproduction, dans leurs conclusions, de plusieurs lettres et donc de leur divulgation, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ces lettres avaient été reproduites sans l'autorisation de Mme Y... et sans en avoir demandé l'autorisation au juge de la mise en état et que, si la demande de production de tels documents se heurtant au secret des correspondances avait été faite, le juge de la mise en état l'aurait vraisemblablement accueillie mais en la limitant dans son volume et en fixant le mode de production, à savoir en pièces communiquées et non dans le corps des conclusions ; Qu'en statuant ainsi, après avoir retenu que la production de ces lettres était utile à la démonstration qu'entendaient faire les consorts X...de l'intérêt de la publication de ces documents pour mieux comprendre René Y... , quand la production et la reproduction desdites lettres n'étaient pas soumises à l'autorisation du juge de la mise en état, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

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Atténuations au principe : les présomptions Doc 3 : Cass. 1ière civ. 25 février 1997, n° 94-19685, JCP G, I, obs. G. Viney Publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique pris en ses deux dernières branches : Vu l'article 1315 du Code civil ; Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; Attendu qu'à l'occasion d'une coloscopie avec ablation d'un polype réalisée par le docteur X..., M. Y... a subi une perforation intestinale ; qu'au soutien de son action contre ce médecin, M. Y... a fait valoir qu'il ne l'avait pas informé du risque de perforation au cours d'une telle intervention ; que la cour d'appel a écarté ce moyen et débouté M. Y... de son action au motif qu'il lui appartenait de rapporter la preuve de ce que le praticien ne l'avait pas averti de ce risque, ce qu'il ne faisait pas dès lors qu'il ne produisait aux débats aucun élément accréditant sa thèse ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le médecin est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son patient et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers. Doc 4 : Cass. com., 9 novembre 2013, publié au bulletin Vu l’article L. 131-73 du code monétaire et financier, ensemble l’article 1315 du code civil ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la Société générale de banque aux Antilles (la banque) a rejeté pour défaut de provision plusieurs des chèques émis par la société Juriscarib (la société), ce qui a entraîné son interdiction bancaire ; que, reprochant à la banque d’avoir manqué à son obligation préalable d’information avant de rejeter ces chèques, la société l’a assignée en paiement de dommages-intérêts et en remboursement de divers frais ; Attendu que, pour condamner la banque à payer diverses sommes à la société en raison de ce manquement, l’arrêt, après avoir relevé que la banque prouvait avoir, avant le rejet de chacun des chèques litigieux, rédigé et envoyé à la société une lettre intitulée « information préalable avant rejet du chèque », retient qu’elle ne démontrait pas que la société avait bien reçu ces courriers ;

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Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombe seulement à l’établissement de crédit de prouver, lorsqu’il délivre par courrier l’information requise par l’article L. 131-73 du code monétaire et financier, qu’il l’a adressée au tireur avant le rejet du chèque en cause, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 juillet 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Fort de France ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Fort de France, autrement composée. Art. L. 131-73 du code monétaire et financier : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 312-1 relatives au droit au compte et aux services bancaires de base, le banquier tiré peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante (…) ». Extrait du Vocabulaire Cornu. V° Tireur : « Personne qui émet (…) un chèque (…), c’est-à-dire qui donne l’ordre à une seconde personne – le tiré (i.e. la banque) – de payer à une troisième personne une somme déterminée (i.e. le bénéficiaire) ». Article 1112-1 du Code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. » Le droit à la preuve Doc 5 : Cass. 1ière civ. 5 avril 2012, n° 11-14177, D. 2012, p. 1596, note G. Lardeux Publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le premier moyen : Vu les articles 9 du code civil et du code de procédure civile, ensemble, les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

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Attendu que pour retirer des débats une lettre écrite par M. Jean X... aux époux Y..., ses beaux-parents, trouvée après leurs décès dans leurs papiers par M. Pierre Y..., leur fils, gérant de l'indivision successorale, et par laquelle ce dernier prétendait établir une donation immobilière rapportable faite en faveur de Mme Marie-Agnès Y..., épouse Jean X..., l'arrêt retient qu'il produit cette missive sans les autorisations de ses deux soeurs ni de son rédacteur, violant ainsi l'intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances ; Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens. Du droit de la preuve au droit à la preuve Gwendoline Lardeux, Agrégée des Facultés de Droit, Professeur à l'Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III) Recueil Dalloz 2012 p.1596 Ce n'est sans doute pas un hasard si, dans le même prestigieux ouvrage, à peu de pages de distance, deux auteurs s'interrogeaient tour à tour sur les droits de l'homme (1) et les droits à...(2). L'arrêt ici commenté est une parfaite illustration de ce qu'ils écrivaient alors : la tendance de la Cour de cassation à viser ensemble les textes de droit interne et ceux de droit international (3), le risque élevé de conflits entre des droits de l'homme toujours plus nombreux (4) ainsi que l'accroissement pour ne pas dire le monopole des pouvoirs des juges dans la détermination du contenu des droits à...(5). En l'espèce, le choc des titans opposait le très classique droit à la vie privée et un nouveau venu, longtemps contesté en doctrine et inédit à ce jour devant la Cour de cassation, le droit à la preuve. Le contentieux était très banal : une succession dans le cadre de laquelle le fils des défunts réclamait le rapport d'une donation immobilière prétendument faite au bénéfice de l'une de ses soeurs. Pour en établir l'existence, il produisait une lettre écrite par le mari de celle-ci à ses beaux-parents, missive qu'il avait trouvée dans les papiers des défunts, auxquels il avait accès en tant que gérant de l'indivision successorale. Les conseillers d'appel jugèrent cependant cette preuve irrecevable car, produite « sans les autorisations de ses deux soeurs ni de son rédacteur », elle constituait une violation de « l'intimité de sa vie privée et [du] secret de ses correspondances ». Le motif était non seulement classique mais semblait également incontestable au regard de l'article 9 du code civil, conforté par l'article 8 de la Convention EDH qui érige au rang de droit de l'homme le respect de la vie privée, inclusivement celui des correspondances (6), allié à l'article 9 du code de procédure civile qui dispose que chaque partie doit « prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (7). Or, une preuve qui heurte les droits précités est évidemment illégale. C'est pourtant un arrêt de censure que la Cour de cassation rend le 5 avril 2012, au visa des textes précités, augmenté, et là est la clef de cette décision, de l'article 6 de la Convention

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EDH. Bonne à tout faire, ou presque, du droit processuel, ce texte a permis à la CEDH de créer un droit à la preuve (cf. infra) que consacre ici, pour la première fois, la haute juridiction française, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché « si la production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice de son droit à la preuve [celui du fils des défunts] et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ». Ainsi comprend-on que le respect dû à la vie privée peut devoir céder devant les nécessités probatoires, autrement dit l'impératif de vérité. Il n'a donc pas le caractère absolu que les juges du fond lui avaient prêté. La question qui s'impose alors est de savoir comment combiner ces deux droits de l'homme, ces deux droits à... La Cour de cassation y répond classiquement, en les organisant dans un rapport de principe à exception. Le premier demeure le bénéfice du droit au respect de la vie privée tandis que le droit à la preuve, qui naît à la vie juridique nationale grâce à cet arrêt, n'est admis que sous conditions (I). Il ne faut néanmoins pas se laisser tromper : même exceptionnel, le droit à la preuve ainsi reconnu est d'une portée étendue (II). I - Le droit à la preuve, une exception reconnue La confrontation entre le droit à la preuve et le respect de la vie privée trouve son terrain naturel d'élection dans le contexte familial, ce dont la jurisprudence témoigne à travers les différents cas d'application déjà admis (A). Les conditions d'application de ce nouveau droit à... sont ici systématisées (B). A - Les cas d'application du droit à la preuve L'idée que le respect dû à la vie privée doive parfois s'effacer devant la recherche de la vérité s'impose naturellement en matière familiale (8). Le contentieux ayant pour objet même la vie privée, opposer le respect de celle-ci à la preuve du droit litigieux n'a en effet pas grand sens. En cette occurrence à l'inverse, afin de permettre au juge de statuer en connaissance de cause, il est nécessaire qu'il puisse accueillir les preuves ayant le même objet que l'affaire qu'il doit trancher : la vie privée. Invoquer celle-ci pour faire obstacle à la production d'une preuve reviendrait à demander au juge de statuer dans un aveuglement volontaire. Ainsi, en l'espèce, comment envisager apporter la preuve d'une donation éventuelle faite par des parents à une de leurs filles sans avoir recours à des lettres ou tout autre document personnel ? Les rapports filiaux sont en effet le terrain privilégié de l'article 1348, alinéa 1er, du code civil, siège de l'impossibilité morale de se préconstituer un écrit, exigé en principe à l'article 1341. Tout mode de preuve devient alors recevable. L'objet de la preuve portant sur les rapports pécuniaires entre proches parents - il s'agit donc bien de leur vie privée, les questions patrimoniales étant classiquement analysées comme la dimension économique de celle-ci (9) - les modes de preuve, en l'absence d'acte juridique, ne peuvent eux-mêmes qu'être ceux de la vie privée et donc porter atteinte à celle-ci. Car, à pousser le raisonnement inverse jusqu'au bout, il faudrait alors également déclarer irrecevable l'acte juridique éventuellement établi entre les parties au seul prétexte qu'il porte sur leur vie privée. L'absurdité du résultat saute aux yeux et démontre que l'article 9 du code civil, même conforté par l'article 8 de la Convention EDH, ne peut faire systématiquement obstacle aux règles probatoires (10). Ainsi est-ce également dans un cadre familial que la Cour de cassation a, peu de temps auparavant, statué de manière fort similaire. A la suite de la mort d'un industriel, son homme de confiance lui avait succédé à la tête de sa société Chaussures André. Le fils du défunt contesta alors les conditions dans lesquelles il avait été amené à céder ses parts sociales dans l'entreprise. Pour se défendre, le nouveau dirigeant produisit une note que le défunt lui avait confiée peu avant son décès et dans laquelle il mettait en doute les compétences

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professionnelles de ses enfants et exprimait le souhait qu'ils fussent écartés de la direction de la société. Le fils demanda que la note soit exclue des débats comme portant atteinte à sa vie privée ce que les juges du fond refusèrent, motifs pris de « l'intérêt supérieur de la défense » et de « l'éclairage particulier » que la pièce conférait aux faits. En d'autres termes, la preuve contestée était jugée nécessaire à la défense et à la décision. La Cour de cassation censura cependant l'arrêt d'appel, au même visa que celui de l'arrêt ici commenté, reprochant déjà aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé « la nécessité de la production litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché » (11). Ce qui nous amène à étudier maintenant les conditions auxquelles primauté est accordée aux nécessités probatoires sur la vie privée. B - Les conditions d'application du droit à la preuve Deux conditions sont exigées. Il faut tout d'abord que la preuve litigieuse soit « indispensable à l'exercice [du] droit à la preuve ». On remarque d'emblée que l'adjectif marque un renforcement des exigences de la Cour de cassation par rapport à son arrêt précédent qui avait statué en terme de « nécessité ». En l'espèce, le respect de cette condition ne fera vraisemblablement pas difficulté devant la cour de renvoi puisque, comme cela a déjà été souligné, on voit mal de quelle autre manière le fils des donateurs pourrait tenter d'établir la réalité de la libéralité dont il demande le rapport à la succession. Une telle exigence permet au demeurant d'assurer le juste équilibre nécessaire entre deux droits de l'homme, deux droits à... : l'atteinte à la vie privée ne sera permise que s'il n'est d'autre moyen d'établir la réalité du droit litigieux. C'est au demeurant également la position adoptée par la CEDH dans une décision ayant condamné la France (12). Dans le cadre d'une procédure de divorce, une épouse avait produit certaines pièces du dossier médical de son mari, établissant l'alcoolisme pathologique de ce dernier à l'origine des violences conjugales qu'elle subissait. Or, la Cour souligne que les certificats médicaux de l'épouse ainsi que plusieurs témoignages avaient suffi aux juges français pour prononcer le divorce aux torts exclusifs du mari. L'atteinte à la vie privée de celui-ci n'était donc pas nécessaire à la preuve du bien-fondé de la demande. La seconde exigence posée par la haute juridiction française est tout aussi européenne. Pour être recevable, la preuve litigieuse doit être « proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ». Le problème que pose cette condition est celui de la détermination de son contenu. Sur le fond en effet, devant la CEDH, elle semble faire double emploi avec la précédente. Ainsi, dans sa décision précitée, l'atteinte portée à la vie privée de l'époux a-t-elle été jugée disproportionnée parce qu'elle n'était pas nécessaire à la preuve des violences conjugales. Il faut alors sans doute voir dans cette condition de proportionnalité une exigence à caractère formel portant sur les modes d'obtention de la preuve litigieuse. En l'espèce, peu de doutes peuvent être nourris sur la régularité de l'entrée en possession par le demandeur de la lettre produite. En tant que gérant de l'indivision successorale, il avait naturellement et légalement accès à tous les papiers de ses parents défunts. On ne peut donc que penser que sa prise de possession de la lettre a été réalisée sans fraude ni violence (13). En tout état de cause, il bénéficie de la présomption générale de bonne foi (art. 2274 c. civ.). Une fois encore, cette exigence de la Cour de cassation rejoint la jurisprudence de la CEDH qui a eu l'occasion de préciser que « la production de la correspondance dans le cadre d'une procédure de divorce » n'est admise que si « la personne qui la produit [n'est] pas entrée irrégulièrement en possession des pièces qu'elle produit » (14). On comprend alors que le droit à la preuve prospère avant tout en droit familial. Au regard de la généralité des termes de l'attendu, sa portée se révèle cependant beaucoup plus étendue.

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II - Le droit à la preuve, une exception étendue Le fondement européen que la Cour de cassation octroie au droit à la preuve lui confère une portée des plus vastes (A) en même temps que la jurisprudence européenne oblige à lui opposer malgré tout une limite (B). A - La Convention européenne, fondement du droit à la preuve La reconnaissance d'un droit à la preuve peut de prime abord surprendre dans la mesure où les discussions, initiées à la suite de l'article fondateur du Professeur Goubeaux (15), semblaient avoir été closes par un rejet définitif de la doctrine dominante (16), conforté par le silence de la Cour de cassation. Celle-ci semblait même y être particulièrement hostile ce que permettait de penser notamment sa jurisprudence créant un devoir général de loyauté probatoire, nouvel absolu érigé face et contre les nécessités de la preuve (17) : que la preuve clandestine soit la seule possible pour le demandeur ne permet pas en effet de la déclarer recevable. Or, c'est l'inverse que décide la haute juridiction dans l'arrêt ici commenté : la lettre produite, quoique portant atteinte à la vie privée, pourra être admise si elle est « indispensable à l'exercice [du] droit à la preuve ». Le droit national n'étant d'aucun secours pour fonder une telle position - l'article 9 du code de procédure civile permettant même de justifier la décision inverse des juges du fond - c'est alors sans surprise que la haute juridiction se tourne vers le droit européen des droits de l'homme dont on sait qu'il permet communément d'aller au-delà voire contre le droit national, au gré des intérêts des parties ou de la doctrine de la Cour de cassation... Pourtant, fonder un tel droit à la preuve sur l'article 6 de la Convention pouvait paraître audacieux tant il est connu que la Cour a précisé depuis longtemps que le droit à un procès équitable n'emporte aucune conséquence en matière probatoire, domaine qui demeure donc régi par le seul droit national (18). C'est pourtant la CEDH elle-même qui a, la première, reconnu le droit à la preuve (19) sur le fondement de celui à un procès équitable qui implique donc le droit, pour chaque partie à l'instance, « de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves » (20). Il faut alors comprendre que seules les règles techniques du droit de la preuve n'entrent pas dans le champ d'application de l'article qui fonde en revanche et plus généralement le droit à la preuve. Et on ne saurait contester en effet que l'exigence d'un procès équitable induit le droit (subjectif) à ce que le droit (objectif) ne rende pas impossible la preuve qu'il exige, en d'autres termes, le droit à faire établir la vérité que la justice commande. Or, fonder le droit à la preuve sur celui à un procès équitable emporte une conséquence immédiate que la Cour de cassation a tirée à la suite de la CEDH : toutes les parties à l'instance en sont titulaires, demandeur comme défendeur. Ainsi, dans les décisions européennes précitées comme dans l'arrêt du 5 avril 2012 est-ce la partie demanderesse à qui est reconnu ce droit. Il est donc autonome de ceux de la défense. La chambre commerciale avait au demeurant déjà statué en ce sens, en se référant « au principe d'égalité des armes résultant du droit au procès équitable » qui fondait, en l'espèce, le droit pour le demandeur à l'instance « de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions » (21). Et ce n'est pas pour surprendre tant il est évident que toutes les parties à l'instance, quelle que soit leur situation procédurale, sont titulaires du droit à un procès équitable. Ce n'en est pas moins un apport essentiel de l'arrêt ici commenté par rapport à celui rendu par la même formation le 16 octobre 2008. Dans ce dernier, la possibilité de tenir à l'écart le respect dû à la vie privée avait été fondée sur les « besoins de la défense » : le droit à la preuve - dont l'expression n'était pas encore utilisée - se situait alors dans le sillage direct des droits de la

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défense. L'arrêt avait pu alors ne pas paraître exceptionnel. Celui-ci, à l'inverse, en reconnaissant l'existence d'un droit à la preuve, lui accorde d'emblée une portée ratione personae générale. Au regard de la jurisprudence européenne elle-même, sa portée matérielle soulève plus d'interrogations. B - La jurisprudence européenne, limite au droit à la preuve On le sait désormais : le respect dû à la vie privée, inclusivement le secret des correspondances qui lui est rattaché, peut devoir s'effacer devant le droit à la preuve. La question qui se pose alors est de savoir si cette jurisprudence peut être étendue à tous les secrets protégés par le droit et dont beaucoup sont justifiés par ce même respect de la vie privée : ainsi du secret bancaire ou du secret médical fondés également sur l'article 8 de la Convention EDH. La CEDH a eu l'occasion de répondre par la négative, précisant que « la production de la correspondance dans le cadre d'une procédure de divorce » n'est possible que si « ces pièces ne [sont] pas couvertes par le secret professionnel » (22). La portée de cette réserve, malgré la généralité des termes employés, est sujette à caution. On pourrait certes penser justifier cette limite - présentée comme absolue - au droit à la preuve par le fait que lesdits secrets impliquent un tiers et, corollairement, l'intérêt général qui dépasse le seul intérêt individuel du titulaire du droit au secret : ainsi, le patient doit-il pouvoir faire une confiance absolue dans le silence du médecin auquel il se confie et ce, aussi à des fins de santé publique ; de même, le prévenu à l'égard de son avocat, et ce pour assurer l'efficacité des droits de la défense. On note cependant que la chambre commerciale, dans son arrêt précité de 2007, a admis d'évincer le secret médical au profit de la preuve que le fils d'un président de conseil d'administration se proposait d'apporter de l'état de santé mentale déficient de son père, pour remettre en cause une décision de ce dernier. Les pièces présentées étaient logiquement « constituées pour l'essentiel de certificats médicaux et d'ordonnances », ce pour quoi le demandeur avait été condamné pour violation du droit à l'intimité de la vie privée. Or, cette décision est cassée pour les motifs déjà évoqués ce qui démontre que la Cour de cassation ne compte pas soumettre le secret médical à un régime dérogatoire de celui de la vie privée stricto sensu. La décision de la CEDH étant postérieure à cet arrêt, la question est posée de la pérennité de la position adoptée par la haute juridiction française (23). Mais si certains secrets peuvent tomber devant le droit à la preuve tandis que d'autres pas, l'ultime question à laquelle la Cour de cassation devra répondre à l'avenir est de savoir si toutes les causes d'illicéité des modes de preuve sont également concernées par cette nouvelle exigence probatoire. On pense avant tout au devoir de loyauté dont on a déjà précisé qu'en l'état actuel de la jurisprudence, la haute juridiction n'admet pas qu'il soit infléchi, même lorsque l'absolutisme avec lequel elle demande qu'il soit appliqué fait obstacle à toute preuve. On peut dès lors espérer que l'arrêt du 5 avril 2012 l'amène à faire évoluer sa position sur ce point. Mots clés : VIE PRIVEE * Intimité * Atteinte * Correspondance * Procès * Droit à la preuve (1) D. Gutman, Les droits de l'homme sont-ils l'avenir du droit ?, Mélanges F. Terré, Dalloz, PUF, Juris-Classeur, 1999, p. 329. (2) D. Cohen, Les droits à..., ibid., p. 393.

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(3) D. Gutman, préc., p. 339, citant l'exemple, ici illustré, du visa commun des art. 9 c. civ. et 8 de la Conv. EDH relatifs au respect dû à la vie privée. (4) D. Gutman, préc., p. 339-340. (5) D. Cohen, préc., p. 397-398. (6) Art. 8.1 Conv. EDH : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». (7) C'est nous qui soulignons. (8) C'est également dans ce contexte - en matière de divorce - que la CEDH a reconnu le droit à la preuve : cf. infra, II, A. (9) Encore récemment, dans l'affaire L. Bettencourt, Civ. 1re, 6 oct. 2011, n° 10-21.822, à paraître au Bulletin ; D. 2011. 2771, note E. Dreyer, 2457, édito F. Rome, et 2012. 765, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2011. 522, obs. S. LavricDocument InterRevues ; RTD civ. 2012. 89, obs. J. HauserDocument InterRevues. (10) Déjà en ce sens, Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606, Bull. civ. IV, n° 130 ; D. 2007. 1605, et 2771, spéc. 2775, obs. A. Lepage ; Just. & cass. 2008. 205, Conférence G. Tapie ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. PerrotDocument InterRevues, et 753, obs. J. HauserDocument InterRevues : « toute atteinte à la vie privée n'est pas interdite, [...] une telle atteinte peut être justifiée par l'exigence de la protection d'autres intérêts dont celle des droits de la défense [...] ». (11) Civ. 1re, 16 oct. 2008, n° 07-15.778, Bull. civ. I, n° 230 ; D. 2008. 2726, et 2009. 2714, obs. T. Vasseur ; RTD civ. 2009. 167, obs. R. PerrotDocument InterRevues ; JCP 2009. I. 142, n° 9, obs. Y.-M. Serinet. Egal. Com. 15 mai 2007, préc. (12) CEDH 10 oct. 2006, n° 7508/02, L. L. c/ France, D. 2006. 2692 ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. HauserDocument InterRevues. (13) Pour reprendre les termes de l'art. 259-1 c. civ. qui, en matière de divorce, admet tout mode de preuve sous ces deux seules réserves. (14) CEDH 13 mai 2008, n° 65097/01, D. 2009. 2714, spéc. 2717, obs. T. Vasseur ; RTD civ. 2008. 650, obs. J.-P. MarguénaudDocument InterRevues ; JCP 2008. I. 167, n° 13, obs. F. Sudre. (15) G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, C. Perelman, P. Foriers (dir.), Bruylant, 1981, p. 277 : l'auteur rattache le droit à la preuve au droit d'agir en justice reconnu à l'art. 30 c. pr. civ. (16) Ainsi, P. Théry, Les finalités du droit de la preuve en droit privé, Droits, 1996, p. 41, spéc. p. 50-52 : faisant notamment valoir que les avancées réalisées au profit de l'impératif de vérité se sont traduites par un accroissement des pouvoirs du juge - libre d'ordonner ou non des mesures d'instruction - et non de ceux des parties sur qui, à l'inverse, pèsent, au même titre, plus d'obligations. (17) Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316, Bull. n° 1 ; D. 2011. 157, obs. E. Chevrier, 562, note F. Fourment, 618, chron. V. Vigneau, et 2891, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. FagesDocument InterRevues, et 383, obs. P. ThéryDocument InterRevues ; JCP 2011. 90, obs. M. Malaurie-Vignal, 208, obs. B. Ruy, et 666, n° 13, obs. Y.-M. Serinet. Arrêt rendu sur conclusions contraires de l'avocat général. Sur ce sujet, V. G. Lardeux, Preuve civile et vérité, Mélanges J.-L. Bergel, Larcier-Bruylant, à paraître. (18) L'arrêt fondateur est célèbre, CEDH 12 juill. 1988, n° 10862/84, Schenk c/ Suisse, RSC 1988. 840, obs. L.-E. Pettiti. (19) CEDH 10 oct. 2006, préc., pt 40. (20) CEDH 13 mai 2008, préc., pts 42 et 43. Définition qui rejoint celle proposée par le Professeur Goubeaux, préc., spéc. n° 3, p. 280 : « Le droit à la preuve est [...] au moins le droit de produire les preuves que l'on détient. Ainsi compris, le droit à la preuve fait partie de cette prérogative plus générale accordée par la loi à toute personne, prérogative ressentie comme si nécessaire que l'on pourrait y voir une émergence du droit naturel : le droit de se

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faire écouter de son juge ». Au regard de la jurisprudence actuelle de la CEDH, ses propos se révèlent prophétiques. (21) Com. 15 mai 2007, préc. (22) CEDH 13 mai 2008, préc., pt 48. Cette condition était absente de l'arrêt de 2006 qui concernait pourtant le secret médical. Il faut sans doute y voir un affinement de la jurisprudence de la Cour. (23) De manière sans doute plus certaine, le secret bancaire, qui n'est fondé sur aucune considération d'intérêt général, devrait être soumis au même régime de primauté relative que la vie privée stricto sensu. La Cour de cassation admet au demeurant déjà qu'il puisse céder face aux exigences probatoires, plus précisément quand il revient à la banque de faire la preuve de sa créance : Com. 16 déc. 2008, n° 07-19.777, Bull. civ. IV, n° 206 ; D. 2009. 163, obs. V. Avena-Robardet, 784, note J. Lasserre Capdeville, et 2714, spéc. 2721, obs. J.-D. Bretzner ; RTD civ. 2009. 147, obs. P. CrocqDocument InterRevues ; JCP E 2009. 1037, obs. T. Bonneau. Cassation de Colmar, 7 juin 2007, D. 2008. 2820, obs. J.-D. Bretzner ; JCP 2007. II. 10178, note crit. P. Simler ; Com. 15 févr. 2011, n° 10-30.564, inédit.

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THEME2:LALOYAUTEDELAPREUVESujet de dissertation : le droit à la preuve face aux droits fondamentaux Equilibre entre la nécessité de la production litigieuse et les besoins de la défense Doc 1 : Cass. 1Ière civ. 16 octobre 2008, n° 07-15778 Publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu l'article 9 du code civil, ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; Attendu qu'à la mort de Georges X..., fils du fondateur de la société "Chaussures André", M. Y..., son proche collaborateur et homme de confiance, lui a succédé dans la direction de l'entreprise ; qu'ultérieurement M. Gérard Z..., fils du défunt, a, devant les juridictions pénale et civile, reproché à M. Y... les conditions préjudiciables dans lesquelles il avait été amené à céder ses parts sociales ; que ce dernier a alors produit une note, à lui remise par Georges X... quelques jours avant son décès, "touchant incontestablement à la vie privée de ses enfants", et dans laquelle, mettant en doute leurs compétences professionnelles, il souhaitait qu'ils fussent écartés de la direction de la société ; Attendu que pour rejeter la demande en dommages-intérêts de M. Z... soutenant que la production contestée avait porté une atteinte à sa vie privée, l'arrêt retient seulement, par motifs propres, "que l'intérêt supérieur de la défense le justifiait", et, par motifs adoptés, que la pièce dont s'agit "n'était pas dépourvue de rapport avec les faits objet de l'information judiciaire et pouvant au contraire leur conférer un éclairage particulier" ; Qu'en statuant ainsi, sans caractériser la nécessité de la production litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée. EnregistrementdesconversationstéléphoniquesDoc2:Cass.com3juin2008,n°07-17147Publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi formé par la société Sony et le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi formé par la société Philips, réunis : Vu l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

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Attendu que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, saisi par la société Avantage - TVHA (la société Avantage) de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles, mises en oeuvre par des fournisseurs et des distributeurs de produits d'électronique grand public, le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par une décision n° 05-D-66 du 5 décembre 2005, dit établi que plusieurs sociétés dont les sociétés Philips France (la société Philips) et la société Sony France (la société Sony) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre, de novembre 1997 à fin 1998, une entente avec leurs distributeurs relative à l'application de prix conseillés sur un certain nombre de produits d'électronique grand public et a prononcé des sanctions pécuniaires de 16 millions d'euros à l'encontre de chacune d'elles ; Attendu que pour rejeter le recours formé par ces sociétés contre la décision du Conseil, l'arrêt retient qu'en l'absence de texte réglementant la production des preuves par les parties à l'occasion de procédures suivies devant lui sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, c'est à bon droit que le Conseil, qui bénéficie d'une autonomie procédurale tant à l'égard du droit judiciaire privé national qu'à l'égard du droit communautaire, a retenu, en se fondant sur sa mission de protection de l'ordre public économique, sur le caractère répressif de ces poursuites conduisant au prononcé de sanctions pécuniaires et sur l'efficacité qui en est attendue, que les enregistrements de communications téléphoniques, qui étaient produits par la partie saisissante et non par les enquêteurs ou le rapporteur, ne pouvaient être écartés au seul motif qu'ils avaient été obtenus de façon déloyale, qu'ils étaient recevables dès lors qu'ils avaient été soumis à la contradiction et qu'il lui appartenait seulement d'en apprécier la valeur probante ; Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée. Doc 3 : Cass. com. 13 octobre 2009, n° 08 -19525 Non publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche : Vu l'article 9 du code de procédure civile ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., épouse Y... (Mme Y...), qui exploite un fonds de commerce, a licencié pour faute grave l'une de ses salariées ; qu'ayant été poursuivie devant le conseil des prud'hommes et conduite à transiger avec cette employée, Mme Y... a poursuivi en réparation, pour manquement à ses obligations de conseil et de renseignement, l'Association de gestion et de comptabilité d'Auvergne (l'AGCA) à laquelle elle avait confié la démarche de licenciement ;

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Attendu que pour juger que l'AGCA avait averti Mme Y... sur les risques que comportait la procédure de licenciement pour faute grave qu'elle souhaitait engager, l'arrêt retient qu'il résulte d'une attestation établie par un employé de l'AGCA relatant la teneur d'une conversation téléphonique entre un juriste de cette association et Mme Y..., qu'il avait entendue, que Mme Y... avait reconnu avoir été informée du risque encouru à engager ladite procédure ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'est déloyal le fait de permettre à un tiers d'écouter une conversation téléphonique à l'insu de l'un des interlocuteurs afin de conduire ce tiers à retranscrire les termes de cette conversation dans une attestation produite à titre de preuve, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon. Doc 4 : Ass. Plén. 7 janvier 2011, n° 09-14316 et 09-14667 Publié au bulletin P + B + R + I, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Joint les pourvois n° X 09-14. 316 et D 09-14. 667 qui sont connexes ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi formé par la société Sony et le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi formé par la société Philips, réunis : Vu l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ; Attendu que, sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ; que l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 3 juin 2008, Bull. 2008, IV, n° 112), que la société Avantage-TVHA a saisi le Conseil de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence), de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles sur le marché des produits d'électronique grand public, en produisant des cassettes contenant des enregistrements téléphoniques mettant en cause les sociétés Philips France et Sony France ; que ces sociétés ont demandé au Conseil de la concurrence d'écarter ces enregistrements au motif qu'ils avaient été obtenus de façon déloyale ; Attendu que pour rejeter leur recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence qui a prononcé une sanction pécuniaire à leur encontre, l'arrêt retient que les dispositions du code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d'une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d'un droit subjectif, ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives ; qu'il retient encore que, devant

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le Conseil de la concurrence, l'admissibilité d'un élément de preuve recueilli dans des conditions contestées doit s'apprécier au regard des fins poursuivies, de la situation particulière et des droits des parties auxquelles cet élément de preuve est opposé ; qu'il ajoute enfin que si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l'égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être écartés du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d'un principe énoncé abstraitement, mais seulement s'il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe de la contradiction et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ; Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ; Preuve par SMS Doc 5 : Cass. Soc. 23 mai 2007, n° 06-43209 Publié au bulletin, Rejet AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen,5 avril 2006), rendu sur renvoi après cassation (chambre sociale,20 avril 2005, pourvoi n° Y 3 41-916), que Mme X..., négociatrice immobilière à la SCP Y..., Z... et A... devenue SCP Y..., A..., B..., titulaire d'un office notarial, a été licenciée pour faute grave le 23 août 2000 ; qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes en contestant son licenciement et en faisant état d'un harcèlement sexuel ; Sur le premier moyen : Attendu que la SCP notariale fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, alors, selon le moyen, que commet une faute grave le salarié d'un office notarial qui abuse de ses fonctions, à des fins personnelles, au préjudice des clients de l'étude ; qu'en l'espèce, ayant constaté que la salariée, négociatrice immobilière chargée de commercialiser un terrain, avait proposé au vendeur de l'acheter pour son propre compte en déclarant faussement vouloir y établir son habitation, avait tenté dans le même temps de le revendre à un tiers à un prix très supérieur et avait ainsi utilisé son poste pour tenter de réaliser une opération à son seul profit contrairement à l'éthique de sa profession, la cour d'appel devait en déduire que le licenciement de cette salariée était justifié par une faute grave ; qu'en décidant au contraire que seule une cause réelle et sérieuse devait être retenue, elle n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du code du travail. Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que le fait reproché à la salariée n'avait suscité aucune remarque de la part de l'employeur, a pu en déduire que son comportement n'empêchait pas son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le second moyen : Attendu que la SCP notariale et M. Y... font grief à l'arrêt d'avoir déclaré établi le harcèlement sexuel de la salariée et de lui avoir alloué une somme à ce titre, alors selon le moyen : 1° / que l'enregistrement et la reconstitution d'une conversation ainsi que la retranscription de messages, lorsqu'ils sont effectués à l'insu de leur auteur, constituent des procédés déloyaux rendant irrecevables en justice les preuves ainsi obtenues ; que, dès lors, en se fondant sur des

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messages téléphoniques d'août 1998 reconstitués et retranscrits par un huissier à l'insu de leur auteur et sur l'enregistrement d'un entretien d'avril 2000 effectué par la salariée sur une microcassette à l'insu de son employeur, la cour d'appel a violé les articles 9 du nouveau code de procédure civile et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 2° / qu'en imposant à M. Y... de rapporter la preuve qu'il n'était pas l'auteur des messages envoyés à partir de son téléphone portable, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ; 3° / que le juge ne peut statuer par voie de pure affirmation ; que, dès lors, en se fondant sur ce que les pressions de M. Y... s'étaient " traduites par un état dépressif de la salariée ", " qu'à compter de la mi-juin elle a été informée qu'elle n'avait plus de bureau " et que le harcèlement avait eu des " conséquences sur les conditions de travail de la salariée et son état de santé ", sans analyser ni même préciser les pièces dont elle déduisait ces affirmations, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ; Mais attendu que si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits S. M. S., dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur ; Et attendu qu'abstraction faite du motif surabondant tiré de l'enregistrement d'une conversation téléphonique ultérieure, la cour d'appel a constaté, par une appréciation souveraine, que les messages écrits adressés téléphoniquement à la salariée le 24 août 1998 et les autres éléments de preuve soumis à son examen établissaient l'existence d'un harcèlement ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Doc 6 : Cass. 1ière civ. 17 juin 2009, n° 07-21796 Publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu les articles 259 et 259-1 du code civil ; Attendu qu'en matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens ; que le juge ne peut écarter des débats un élément de preuve que s'il a été obtenu par violence ou fraude ; Attendu qu'un jugement du 12 janvier 2006 a prononcé à leurs torts partagés le divorce des époux X... - Y..., mariés en 1995 ; que, devant la cour d'appel, Mme Y... a produit, pour démontrer le grief d'adultère reproché à M. X..., des minimessages, dits "SMS", reçus sur le téléphone portable professionnel de son conjoint, dont la teneur était rapportée dans un procès-verbal dressé à sa demande par un huissier de justice ; Attendu que, pour débouter Mme Y... de sa demande reconventionnelle et prononcer le divorce à ses torts exclusifs, la cour d'appel énonce que les courriers électroniques adressés par le biais de téléphone portable sous la forme de courts messages relèvent de la confidentialité et du secret des correspondances et que la lecture de ces courriers à l'insu de leur destinataire constitue une atteinte grave à l'intimité de la personne ;

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Qu'en statuant ainsi, sans constater que les minimessages avaient été obtenus par violence ou fraude, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mars 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée. Preuve par enquête privée Doc 7 : Cass. 2ième civ. 3 juin 2004, n° 02-19886 Publié au bulletin, Cassation. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu l'article 9 du Code civil ; Attendu qu'est illicite toute immixtion arbitraire dans la vie privée d'autrui ; Attendu, selon le jugement attaqué, qu'afin d'étayer sa demande en suppression d'une prestation compensatoire, M. X... a recouru aux services d'un détective privé et lui a confié la mission de rechercher les éléments du train de vie de son ex-épouse et l'existence éventuelle d'une situation de concubinage ; que Mme Y..., estimant avoir subi une immixtion dans sa vie privée, a assigné M. X... afin de le voir condamner à lui payer des dommages-intérêts ; Attendu que pour rejeter les prétentions de Mme Y..., le Tribunal a retenu que l'ingérence dans sa vie privée, qui n'était pas contestée, était justifiée par la nécessité d'établir devant le juge aux affaires familiales la réalité des revenus de chacune des parties ; Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que, selon le contenu du rapport issu de cette surveillance, Mme Y... avait été épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs mois, ce dont il résulte que cette immixtion dans la vie privée était disproportionnée par rapport au but poursuivi, le Tribunal a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 novembre 2001, entre les parties, par le tribunal d'instance de Lens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Béthune.

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Doc 8 : Cass. 1ière civ. 25 février 2016, n° 15-12403 Publié au bulletin, Cassation partielle AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur les premier et deuxième moyens, pris en leur première branche, qui sont rédigés en des termes identiques, réunis : Vu l'article 9 du code civil, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile ; Attendu que le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X...a été victime, le 23 septembre 2001, d'un accident corporel, la charpente surplombant le puits qu'il réparait au domicile de Mme Y... s'étant effondrée sur lui ; qu'il a invoqué, au cours des opérations d'expertise judiciaire diligentées à sa demande, des troubles de la locomotion ; que, contestant la réalité de ces troubles, Mme Y... et son assureur, la société Mutuelles du Mans assurances, ont, à l'occasion de l'instance en indemnisation du préjudice en résultant, produit quatre rapports d'enquête privée ; Attendu que, pour rejeter la demande tendant à voir écarter des débats ces rapports, après avoir considéré comme irrecevables ou non probants certains des éléments d'information recueillis par l'enquêteur auprès de tiers, l'arrêt relève que chacune des quatre enquêtes privées a été de courte durée et que les opérations de surveillance et de filature n'ont pas, au total, dépassé quelques jours, de sorte qu'il ne saurait en résulter une atteinte disproportionnée au respect dû à la vie privée de M. X... ; Qu'en statuant ainsi, tout en relevant que les investigations, qui s'étaient déroulées sur plusieurs années, avaient eu une durée allant de quelques jours à près de deux mois et avaient consisté en des vérifications administratives, un recueil d'informations auprès de nombreux tiers, ainsi qu'en la mise en place d'opérations de filature et de surveillance à proximité du domicile de l'intéressé et lors de ses déplacements, ce dont il résultait que, par leur durée et leur ampleur, les enquêtes litigieuses, considérées dans leur ensemble, portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il refuse d'écarter des débats les pièces 6, 8, 9 et 23, en ce qu'il dit que le coût des séances de kinésithérapie n'est pas imputable à l'accident du 23 septembre 2001, rejetant ainsi la demande de M. X... au titre des dépenses de santé futures, et en ce qu'il rejette la demande d'indemnité présentée pour les postes « frais de logement adapté », « tierce personne » et « préjudice esthétique », l'arrêt rendu le 9 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen. Doc 9 : Cass. 1ère civ. 22 sept 2016, n° 15-24015 Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2015), que, victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (l’assureur), Valentin X..., alors âgé de seize ans, a présenté diverses fractures, un hématome et un traumatisme crânien modéré ; que, le rapport déposé

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par l’expert judiciairementdésigné faisant état de discordances entre les plaintes de la victime et les bilans médicaux normaux, l’assureur a confié à la société Cabinet d’investigations, de recherches et de renseignements (la société CI2R) une mission d’enquête, afin de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de l’intéressé ; que, lui reprochant d’avoir porté une atteinte illégitime au droit au respect de leur vie privée, M. X..., devenu majeur, et sa mère, Mme Y..., ont assigné l’assureur pour obtenir réparation de leurs préjudices, ainsi que la publication de la décision à intervenir ; Attendu que l’assureur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à M. X... et Mme Y... la somme d’un euro chacun à titre de dommages-intérêts et une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen : 1°/ que lorsqu’un assureur est fondé à diligenter une enquête afin de déterminer les besoins réels d’un assuré, la relation de faits anodins dans le rapport de filature, observés depuis la voie publique, ne peut caractériser une atteinte à la vie privée de ce dernier ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que les opérations de surveillance de M. X..., menées à la demande de l’assureur par la société CI2R depuis la voie publique, étaient justifiées ; qu’en relevant, pour retenir une atteinte à la vie privée de l’assuré, que le rapport d’enquête concernait en partie l’intérieur de sa maison en ce qu’il mentionne « dans la pièce en bas, femme âgée installée dans un fauteuil roulant », au second étage « jeune homme assis au bureau » ou encore « se lève tard, 11h », qu’il comportait les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes se présentant à son domicile, ainsi que les mentions des heures et durées des déplacements de Mme Y..., la cour d’appel, qui a ainsi fait le constat de faits anodins ne pouvant caractériser une telle atteinte, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 2°/ qu’une atteinte à la vie privée peut être justifiée lorsqu’elle est proportionnée au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X... ; qu’en se contentant d’affirmer que la relation des faits concernant l’intérieur du domicile de l’assuré constituait une atteinte excessive à sa vie privée sans rechercher, comme elle y était invitée, si les constatations ainsi opérées ne se réduisaient pas à la détermination du degré d’autonomie et de mobilité de l’assuré et étaient ainsi proportionnées au but poursuivi, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 3°/ que les atteintes à la vie privée peuvent être justifiées lorsqu’elles sont proportionnées au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X... ; qu’en considérant dès lors que les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes qui s’étaient présentées à son domicile n’avaient aucun rapport avec le but de l’enquête, quand ces mentions avaient précisément permis aux juges du fond d’en déduire qu’il ne s’agissait pas de visites de personnel médical ou paramédical et, partant, faire le constat de ce que l’assuré n’avait pas besoin d’une assistance médicale, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales s’évinçant de ses propres constatations, a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

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4°/ que les atteintes à la vie privée peuvent être justifiées lorsqu’elles sont proportionnées au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X... ; qu’en considérant que les mentions des heures et des durées des déplacements de Mme Y... étaient sans rapport avec l’objet de l’enquête, quand elles permettaient d’apprécier si M. X... était suffisamment autonome pour rester seul chez lui et accomplir les actes de la vie quotidienne sans avoir besoin de l’assistance d’un tiers, la cour d’appel a derechef violé l’article 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 5°/ que l’assureur qui, légitimement, organise une filature pour contrôler et surveiller les conditions de vie de son assuré pour déterminer ses besoins réels d’assistance, est en droit de connaître le lieu de son domicile pour mener à bien son enquête ; qu’en considérant que l’interrogatoire d’un voisin pour connaître la domiciliation de M. X... était constitutive d’une atteinte excessive à sa vie privée, après avoir pourtant relevé que le rapport d’enquête réalisé par la société CI2R à la demande de l’assureur, dans le but d’établir le degré d’autonomie de M. X..., était justifié, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 6°/ qu’en se bornant à considérer que les opérations de surveillance de l’intérieur de l’habitation de M. X..., les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes se présentant à son domicile, les mentions des heures et durées des déplacements de Mme Y... ou l’interrogatoire d’un voisin pour confirmer la domiciliation de l’assuré, constituaient des atteintes à la vie privée manifestement disproportionnées au but légitimement poursuivi par l’assureur sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces atteintes n’étaient pas justifiées par l’exigence de la protection des droits et des intérêts de la compagnie d’assurance et de la collectivité de ses assurés et, partant, étaient proportionnées au regard des intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Mais attendu qu’après avoir décidé, à bon droit, que les opérations de surveillance et de filature menées par les enquêteurs mandatés par l’assureur étaient, par elles-mêmes, de nature à porter atteinte à la vie privée de M. X... et de Mme Y..., la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, énoncé qu’il convenait d’apprécier si une telle atteinte était proportionnée au regard des intérêts en présence, l’assureur ayant l’obligation d’agir dans l’intérêt de la collectivité des assurés et, pour ce faire, de vérifier si la demande en réparation de la victime était fondée ; qu’ayant constaté que les opérations de surveillance avaient concerné l’intérieur du domicile de M. X... et de sa mère, que les enquêteurs avaient procédé à la description physique et à une tentative d’identification des personnes s’y présentant et que les déplacements de Mme Y... avaient été précisément rapportés, elle a pu en déduire que cette immixtion dans leur vie privée excédait les nécessités de l’enquête privée et que, dès lors, les atteintes en résultant étaient disproportionnées au regard du but poursuivi ; que, par ces seuls motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Garantie mutuelle des fonctionnaires aux dépens ;

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Réforme du droit de la preuve E. Vergès, La réforme du droit de la preuve civile : enjeux et écueils d’une occasion à ne pas manquer, D. 2014, p. 617. Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut universitaire de France L'essentiel Après dix ans de réflexions et de rapports, la réforme du droit des obligations est lancée. La preuve civile y est abordée de façon marginale et sans réelle innovation. L'apport de la doctrine depuis deux siècles est absent du projet de réforme, ainsi que les évolutions jurisprudentielles qui dessinent aujourd'hui un droit de la preuve bien plus vaste que celui du code civil. Cet article dresse un état des grandes questions qui devraient être abordées par la réforme, des choix de politique juridique qui devraient être opérés et des principes qui devraient être consacrés. Il appelle à une vraie réforme du droit de la preuve civile. La réforme du droit des obligations anime la communauté juridique depuis le début des années 2000. Après avoir suscité de nombreux avant-projets et rapports, elle se trouve au coeur d'une controverse politique entre le gouvernement, qui souhaite légiférer par voie d'ordonnance, et le Parlement, qui entend débattre d'une réforme fondamentale du code civil. On comprend que des sujets aussi essentiels que la disparition de la cause, la généralisation des clauses abusives ou la reconnaissance de la théorie de l'imprévision suscitent l'intérêt et la discussion, tant dans les milieux académiques que politiques. Toutefois, la réforme engagée contient en son sein un pan fondamental du droit civil, qui échappe largement à la controverse et à l'attention des juristes. Il s'agit de la réforme de la preuve civile, qui apparaît dans le document de travail présenté par le ministère de la justice, le 23 octobre 2013(1), sous le masque de la « preuve de l'obligation ». Le droit de la preuve civile se situe étrangement, depuis l'origine du code civil, dans un chapitre VI placé en toute fin du titre relatif aux contrats et aux obligations conventionnelles. Pourtant, la doctrine s'accorde à dire que les règles contenues dans ce chapitre ne sont pas réservées à la preuve des obligations, mais décrivent plus généralement le droit civil de la preuve. On trouve l'explication de cette situation chez plusieurs auteurs, qui décrivent comment le code civil a reproduit un plan imaginé par Pothier(2). Certains ont vu dans cette organisation un « vice de méthode » et n'ont pas hésité à parler, à propos des règles du code civil, d'une « théorie des preuves » qui domine l'ensemble du droit privé(3) et qui doit être enseignée dans les ouvrages et cours d'introduction au droit(4). Cette tradition est d'ailleurs respectée aujourd'hui dans l'enseignement du droit civil à l'Université. Le droit de la preuve civile peut être regardé comme une discipline à part entière, à cheval sur le fond et la forme, à l'instar de la prescription. Pourtant, alors que la prescription a bénéficié d'une réforme autonome(5), issue d'une réflexion théorique et pratique, le droit de la preuve demeure le chapitre négligé du droit des obligations. Il n'a pas été oublié par les réformateurs, puisque cinq projets de réforme relatifs aux obligations intègrent des dispositions sur la preuve civile(6). Mais, si l'on entre dans le détail de ces projets, on s'aperçoit que les standards communs aux grandes réformes du code civil y sont absents. D'abord, la théorie de la preuve résulte, non pas du code civil, mais de l'accumulation des travaux doctrinaux depuis deux siècles. Pourtant, le résultat de cet effort théorique et conceptuel ne se retrouve pas dans les projets de réforme. Ensuite, depuis 1804, la jurisprudence a considérablement fait évoluer les structures générales du droit de la preuve. Des principes aussi essentiels que le droit à la

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preuve ou la loyauté de la preuve ont été consacrés. A l'instar de la responsabilité civile, le droit de la preuve est aujourd'hui largement dominé par des principes jurisprudentiels, qui devraient trouver leur place dans le code civil. Toutefois, ces principes sont omis dans le projet du gouvernement. Enfin, de nombreuses règles de preuve reposent sur des valeurs ancestrales et dépassées. Il en est ainsi de l'aveu et du serment, qui traduisent une conception historique et mystique de la vérité. La valeur de ces preuves doit être repensée dans le contexte de la justice rationnelle contemporaine. Le projet actuel a pour principal objectif de toiletter les dispositions du code civil relatives à la preuve. Issu d'une combinaison des propositions des différents groupes de travail, il vise à supprimer les articles inutiles ou datés, à remplacer des expressions anciennes par d'autres plus modernes, à gommer certaines imperfections marginales. Pourtant, le traitement de la preuve dans le code civil comporte plusieurs omissions et imperfections de taille qui méritent d'être corrigées ; et cela nécessite une réforme de grande ampleur. Comme toute grande réforme, celle du droit de la preuve doit s'appuyer sur des fondements théoriques (I) et proposer un contenu nouveau, issu des évolutions du droit positif et adapté à une conception moderne de la justice (II). I - Fondements et méthode de la réforme du droit de la preuve Le droit de la preuve, en raison de sa dispersion, doit reposer sur des fondements théoriques solides, que l'on peut trouver dans la summa divisio entre la théorie générale de la preuve et le droit des preuves spéciales (A). Au-delà de cette construction, il est nécessaire de tenir compte de certains éléments clés qui donnent à une réforme son ampleur et sa modernité (B). A - La summa divisio : théorie générale de la preuve et droit des preuves spéciales Exposé de la summa divisio . Le droit de la preuve trouve sa structure fondamentale dans une summa divisio entre la théorie générale de la preuve et le droit des preuves spéciales (7). Cette structure est identique à celle du droit des contrats. Les modes de preuve sont des preuves spéciales, dont le régime juridique est défini par un texte. On peut les comparer à des contrats nommés et les désigner par l'expression « preuves nommées ». Au-delà de ce droit spécial, il existe une théorie générale qui domine l'ensemble des preuves, nommées et innomées (8). Cette théorie est composée de règles transversales, organisées en quatre grands ensembles thématiques : l'objet de la preuve, la charge de la preuve, la constitution du dossier probatoire (9) et l'appréciation de la preuve. Le projet du gouvernement scinde les règles de preuve en trois sections : I. Dispositions générales, II. L'admissibilité des modes de preuve, III. Les différents modes de preuve. Les deux premières sections peuvent être rattachées à la théorie générale, mais elles comportent de nombreuses lacunes. Par exemple, on n'y trouve pas un principe aussi général que l'interdiction de se constituer une preuve à soi-même. A l'inverse, les principes généraux sur l'appréciation de la preuve sont éparpillés en autant de règles spéciales que de modes de preuve, sans esprit de système. Cet éparpillement emporte des confusions qui conduisent les juges à appliquer le principe de légalité de la preuve, dans les domaines où la preuve est libre (10). Il existe ainsi, dans le droit positif, une confusion entre les règles générales et les règles propres à chaque mode de preuve. Cette confusion pourrait être éliminée en clarifiant les relations entre le code civil et le code de procédure civile. Le droit de la preuve : droit substantiel et droit processuel. Dans l'esprit juridique commun, les règles de preuve se divisent entre celles qui relèvent du droit substantiel et celles qui relèvent du droit processuel. Le projet de réforme conforte ce cloisonnement par un article qui

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dispose que « l'administration de la preuve et les contestations qui s'y rapportent sont régies par le code de procédure civile » (11). S'agissant de la preuve, cette distinction pèche par manque de fondement théorique, car il n'existe pas de frontière entre ces catégories. Ainsi, les principes relatifs à la charge de la preuve figurent dans les deux codes (12), sans que l'on puisse dire que la charge de la preuve est une règle de fond ou de procédure. Dans le même esprit, le principe de licéité des preuves est exprimé à l'article 9 du code de procédure civile, mais le projet de réforme du code civil prévoit de créer une section relative à l'admissibilité des modes de preuve (13). Or ces deux questions sont intimement liées, puisque les preuves illicites sont écartées des débats. Elles ne sont donc pas admissibles. Plus précisément encore, les règles relatives au désaveu d'écriture figurent à la fois dans le code civil et dans le code de procédure civile (14), et le projet de réforme reprend cette organisation (15). Dès lors, il est bien délicat de trancher la question de savoir si le régime du désaveu d'écriture est composé de règles de fond ou de forme. Une autre organisation des règles de preuve est pourtant possible. Elle prendrait appui sur la summa divisio entre la théorie générale de la preuve et le droit des preuves spéciales. Le code civil pourrait regrouper l'ensemble des principes qui composent la théorie générale de la preuve. Le code de procédure civile contiendrait les modes de preuve et les procédures afférentes à ces preuves spéciales. L'écrit, l'aveu, le serment, trouveraient ainsi leur place naturelle dans le code de procédure civile, à côté des mesures d'instruction, de la comparution des parties ou des déclarations des tiers. Le droit de la preuve dans le code civil. Les règles de la preuve civile ne sont pas liées uniquement au droit des obligations. Elles doivent trouver leur place dans un titre autonome du code civil. Les principes relatifs à la charge de la preuve, à la liberté de la preuve ou au droit à la preuve concernent toutes les branches du droit civil (16). Cette idée est exprimée dans certains projets doctrinaux, sans jamais être concrétisée (17). Créer un titre dédié aux règles de preuve ne présente pourtant aucune difficulté, ni technique, ni politique. En revanche, cela donnerait une cohérence et une accessibilité à la matière. Un titre du code civil intitulé « La preuve » pourrait ainsi regrouper l'ensemble des règles relatives à la théorie de la preuve. La portée générale de ces règles en serait confortée. B - Les clés de la réforme du droit de la preuve Transposer les évolutions jurisprudentielles. Comme d'autres branches du droit civil, le droit de la preuve est marqué par une évolution jurisprudentielle de grande ampleur. L'actuel projet de réforme ignore la plupart des décisions qui ont marqué cette évolution. Par exemple, l'arrêt rendu le 5 avril 2012 par la première chambre civile consacre le principe du droit à la preuve (18), que la doctrine avait dégagé depuis la fin des années 70 (19). Parallèlement, dans un esprit d'équilibre, la Cour de cassation a développé les applications du principe de licéité des preuves, comme l'illustre la montée en puissance du droit au respect de la vie privée depuis l'arrêt Nikon (20), jusqu'à ses derniers développements dans le contentieux familial (21) ou celui de l'assurance (22). Au fil de ces décisions, la Cour de cassation a construit un raisonnement fondé sur le rapport de proportionnalité qui permet de concilier le droit à la preuve et le principe de licéité de la preuve. Ce raisonnement mérite d'être consacré dans un texte. La Cour de cassation a également apporté des innovations sur la question de la force probante de certains modes de preuve. Ainsi, l'expertise privée produite par une partie a-t-elle désormais valeur de demi-preuve, au sens où le juge ne peut se fonder sur ce mode de preuve que s'il est corroboré par d'autres éléments (23). La liste des innovations jurisprudentielles est longue et l'une des clés de la réforme consisterait à intégrer ces évolutions dans le droit écrit.

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Trancher les controverses. La réforme devrait également permettre de trancher les grandes controverses du droit de la preuve. Certaines d'entre elles animent les débats doctrinaux depuis plusieurs décennies, sans avoir reçu de réponse jurisprudentielle claire. Il en est ainsi de la distinction entre charge de la preuve et risque de la preuve (24). La théorie du risque de la preuve connaît un fort succès en doctrine, mais elle est ignorée par la Cour de cassation et ne se retrouve que de façon sporadique dans les pourvois contre certains arrêts d'appel. La question se pose, dès lors, de savoir si le risque de la preuve traduit une règle de droit positif ou une description scientifique de l'état du droit. Dans le premier cas, la règle devrait figurer dans un code. Dans le second, elle devrait rester dans le champ doctrinal. Cette controverse mérite d'être tranchée. Instaurer un esprit de système. Le code civil donne le sentiment que le droit civil est dominé par le système des preuves légales. En réalité, il n'en est rien. La doctrine et la jurisprudence énoncent de concert que la preuve des faits juridiques est libre (25). La preuve légale se réduit aux actes juridiques et le projet de réforme prévoit d'ailleurs de consacrer ce principeNote de bas de page(26). Mais cette consécration conserve toute son ambiguïté. Il s'agit uniquement de reconnaître la liberté de produire et non celle d'apprécier les preuves. Le système des preuves libres comprend pourtant ces deux règles complémentaires (27). Dans le code civil, l'esprit de système fait défaut. La lecture des travaux préparatoires montre que les rédacteurs ont réglementé chaque mode de preuve, sans rechercher la logique des systèmes de preuve. Ils ont ainsi marqué leur confiance dans l'écrit et leur défiance dans le témoignage (28). L'aveu et le serment y ont pris une place de choix, sans explication particulière (29). L'esprit du système des preuves légales est apparu plus tard, dans les travaux de Bentham sur la preuve préconstituée (30). L'auteur montre que les preuves préconstituées présentent un double intérêt. D'une part, elles ont un effet préventif en établissant à l'égard des parties la preuve des droits ; de sorte que la contestation de leur existence devient difficile. D'autre part, en établissant un fait de façon incontestable, elles apportent de la « sûreté » au juge. Le système des preuves légales est imprégné par cette théorie de la préconstitution. Le code civil restreint l'admissibilité de certains modes de preuve à des fins de sécurisation des situations juridiques. Le contrat constitue ainsi le terrain d'élection de la preuve légale. On retrouve de telles restrictions à propos de la preuve non contentieuse de la filiation (31) ou du recours à l'expertise génétique (32), car le droit de la filiation est, partiellement, imprégné d'un esprit de sécurité. Mais la sécurité est aussi une forme d'entrave à la recherche de la vérité. Par exemple, donner pleine foi à une quittance de paiement inscrite dans un acte notarié permet d'anticiper tout litige sur l'existence d'un paiement, mais cela n'apporte aucune certitude sur l'existence réelle du paiement. Lorsque l'impératif de sécurité n'existe pas, le droit s'ouvre à la liberté de la preuve, car cette liberté multiplie les chances de s'approcher de la réalité. La preuve par tous moyens, et son corollaire la liberté d'apprécier les preuves, sont les deux principes qui permettent au juge de se forger une conviction, en accumulant les preuves sans limite légale. Ces deux systèmes de preuve sont dominés par un esprit radicalement différent : sécurité d'un côté, vérité de l'autre. Aussi, toutes les fois que la sécurité n'impose pas la légalité des preuves, la liberté doit dominer : celle de produire des preuves et celle de les apprécier. Dès lors, on comprend mal que le code civil puisse lier le juge par certains modes de preuve dans des domaines où la preuve est libre. Par exemple, on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a à conférer une force probante décisive à l'aveu judiciaire (33). Cette preuve sacralisée n'est pas plus fiable qu'un témoignage. La force probante de l'aveu judiciaire est une survivance d'un

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rapport ancestral et irrationnel à la preuve (34). On peut encore se demander pourquoi l'aveu a une valeur probante spécifique en matière civile, alors qu'il en est dénué en matière pénale. Le rapport du droit civil et du droit pénal à la vérité serait-il aujourd'hui si différent ? Dans ces deux domaines, la recherche de la vérité constitue pourtant un objectif d'égale valeur. Cette asymétrie de force probante se retrouve si l'on compare des modes de preuve, sinon similaires, tout au moins comparables, tels que le constat d'huissier et l'expertise judiciaire. Le premier fait foi jusqu'à preuve contraire (35), alors que l'expertise n'est dotée d'aucune force particulière. Pourtant, les garanties de compétence et d'indépendance de l'expert et les règles permettant de contrôler l'exercice de sa mission confèrent une fiabilité à l'expertise, qui n'a rien à envier au constat d'huissier (36). Une dernière illustration d'incohérence peut être relevée en droit positif. La preuve du paiement, qui est un fait juridique, est libre (37). Mais la preuve du non-paiement est soumise à la preuve légale. Ainsi, le créancier qui a délivré une quittance à la suite d'une erreur informatique ne peut plus prouver par tout moyen le non-paiement. La preuve contre la quittance doit se faire par écrit, alors que le non-paiement est un fait juridique (38). Ainsi, le droit civil de la preuve n'est pas guidé par un esprit de système. Chaque mode de preuve possède sa propre force probante. Cette force ne dépend pas de l'objet de la preuve (39). La liberté de la preuve concerne la production, mais pas l'appréciation des preuves. Cette solution n'est ni cohérente, ni souhaitable. Certes, il existe des domaines dans lesquels la preuve doit être préconstituée et d'autres dans lesquels les situations juridiques doivent être sécurisées (40). Lorsqu'un impératif impose de limiter l'admissibilité des preuves, alors la légalité de la preuve trouve sa justification. Dans tous les autres domaines, seule la liberté permet de s'approcher des faits et donc de l'objectif de recherche de la vérité. Dès lors, il n'existe aucun intérêt à lier le juge par certains modes de preuve. La cohérence d'une réforme réside dans sa capacité à mettre fin à des règles ancestrales, dont la survie ne tient qu'à la force de la tradition et de l'inertie. Cette cohérence peut être trouvée dans l'organisation du droit de la preuve autour de principes généraux. II - Les principes généraux de la réforme du droit de la preuve Le contenu de la réforme doit prendre appui sur la théorie générale de la preuve. Cette méthode est au coeur des mécanismes de construction du droit français. Le code civil doit aux théoriciens une partie de sa longévité. De même, le code de procédure civile est une construction qui prend appui directement sur la pensée d'Henri Motulsky. Le droit de la preuve n'a, quant à lui, pas trouvé sa structure théorique. Cette structure pourrait consister à intégrer dans le code civil les principes généraux du droit de la preuve. Ces principes ne dessinent pas un droit commun, mais une théorie générale qui se compose de règles transversales applicables à toutes les preuves. En regroupant ces principes, il est possible de proposer une réforme du droit de la preuve construite en quatre pans : l'objet de la preuve (A), la charge de la preuve (B), la constitution du dossier probatoire (C) et l'appréciation des preuves (D). A - L'objet de la preuve L'objet de la preuve est totalement oublié dans le projet de réforme. Pourtant, les auteurs ne manquent pas d'évoquer ce thème essentiel du droit de la preuve (41). L'objet de la preuve nécessite a minima de trancher deux grandes questions, l'une relative à la règle du fait pertinent, l'autre à la théorie du fait constant.

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Le fait pertinent. Il existe, en droit français, une grande ambiguïté sur la règle du fait pertinent. Cette règle peut être définie de la façon suivante : sont seules admissibles les preuves qui tendent à établir l'existence d'un fait pertinent pour la résolution du litige. Les définitions du « fait pertinent » varient. Certains auteurs évoquent un fait qui « fait avancer le débat », qui « présente un lien logique avec le litige » (42) ou qui est susceptible d'influencer la décision (43). La règle selon laquelle la preuve des faits non pertinents doit être écartée des débats repose sur plusieurs fondements. Il s'agit d'abord d'éviter que le dossier probatoire gonfle artificiellement et que le travail du juge en soit alourdi. Il s'agit ensuite d'empêcher que le débat soit obscurci par un nuage de faits périphériques au litige. Il s'agit enfin d'éviter qu'une partie tente de déplacer le débat vers des faits qui lui sont favorables, mais qui ne portent pas directement sur l'objet du litige. La question se pose donc de savoir s'il faut admettre toutes les offres de preuve, même celles qui s'éloignent des faits pertinents, ou s'il est nécessaire d'opérer un tri. Dans certains systèmes juridiques, la règle de la pertinence figure parmi les principes essentiels du droit de la preuve. Tel est le cas dans les systèmes de common law. Aux Etats-Unis, les federal rules of evidence contiennent un chapitre intitulé « relevance and its limits » (44). La règle est encore exprimée dans le code civil québécois (45). On la retrouve dans les procédures mixtes, telles que la procédure espagnole (46). En droit français, la règle de la pertinence est marquée par une ambivalence. Certains auteurs n'hésitent pas à affirmer qu'une offre de preuve qui ne porte pas sur un fait pertinent doit être « repoussée » (47). De son côté, la Cour de cassation est loin d'être aussi radicale et il faut distinguer, à cet égard, l'offre et la demande de preuve. S'agissant de l'offre de preuve, la Cour de cassation semble laisser la question de la pertinence à l'appréciation souveraine des juges du fond, mais les arrêts en la matière sont loin d'être clairs, car la haute juridiction ne dit rien sur la recevabilité des preuves non pertinentes (48). S'agissant de la demande de preuve, la situation est différente, car le plaideur ne dispose pas de la preuve et il demande au juge de l'aider à l'obtenir. Il doit donc démontrer que le fait à prouver est pertinent pour que le juge fasse droit à une demande d'enquête ou de mesure d'instruction (49). Le futur projet de loi devrait clarifier la règle de la pertinence de la preuve en répondant aux questions suivantes : cette règle doit-elle être consacrée en droit français ? Doit-elle conduire à écarter des débats la preuve portant sur un fait non pertinent ? Doit-elle concerner uniquement la demande de preuve ou s'étendre à l'offre de preuve ? Le fait constant. La théorie du fait constant (50) est également évoquée sous la formule de la nécessité de prouver uniquement les « faits contestés » (51). Les faits allégués, qui ne sont pas contestés par l'adversaire, devraient ainsi s'imposer au juge comme des faits constants et donc établis. Cette solution ancienne ne correspond plus à l'état du droit positif. La Cour de cassation a adopté une jurisprudence stable selon laquelle les juges du fond ne sont pas tenus de considérer que les faits allégués par une partie sont constants, au seul motif qu'ils n'ont pas été contestés (52). Toutefois, comme le rappellent certains hauts magistrats, « s'ils ne sont pas contestés, les faits même non prouvés peuvent aussi être tenus pour acquis » (53). Cette situation est énoncée telle une évidence et elle est d'ailleurs soutenue par certains raisonnements doctrinaux (54). Mais la faculté, pour le juge, de retenir dans sa décision un fait constant qui n'a pas été prouvé n'est exprimée par aucune règle de droit écrit. Une clarification est donc nécessaire sur ce point. Un article devrait être intégré dans le code civil, autorisant le juge à considérer comme « constant » ou « prouvé » un fait, au seul motif qu'il n'a pas été contesté par une autre partie au procès, après avoir provoqué les explications des parties.

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B - La charge de la preuve Les règles relatives à la charge de la preuve paraissent claires et bien établies. La charge de la preuve serait ainsi définie à l'article 1315 du code civil, et celle-ci pourrait être modifiée par des présomptions. Cette simplicité apparente dissimule une grande complexité et un certain nombre de confusions. Confusions quant à la charge initiale de la preuve. La charge de la preuve fait l'objet de deux règles écrites : l'article 1315 du code civil et l'article 9 du code de procédure civile. La doctrine a coutume de dire que ces deux articles énoncent la même règle et qu'il n'existe pas de raison de changer cet état de fait (55). Dans cet esprit, le projet gouvernemental reproduit à l'identique l'article 1315 du code civil (56). En réalité, les deux textes ne sont similaires qu'en apparence. L'article 1315 fait reposer la charge de la preuve alternativement sur celui qui demande l'exécution d'une obligation et sur celui qui se prétend libéré. En revanche, l'article 9 du code de procédure civile lie la charge de la preuve à l'allégation. Le critère de rattachement est donc différent. Par exemple, dans un litige sur la responsabilité contractuelle, l'article 1315 du code de civil prévoit que la victime qui invoque l'inexécution de l'obligation contractuelle doit simplement démontrer l'existence du contrat. Il reviendra alors au débiteur de prouver qu'il a exécuté le contrat et donc, qu'il n'a pas commis de faute. Si l'on applique littéralement l'article 1315, la faute contractuelle est présumée dès que l'existence du contrat est prouvée. A l'inverse, l'article 9 du code de procédure civile implique que la victime supporte la charge de la preuve de la faute qu'elle allègue. A partir de cet exemple, on s'aperçoit que les deux articles énoncent parfois des règles opposées. L'harmonie n'existe donc pas entre ces deux dispositions. L'article 1315 du code civil n'a pu survivre à cette contradiction qu'à l'aide d'une jurisprudence qui l'applique avec une infinie souplesse. Cette disposition devrait être réécrite pour rattacher la charge de la preuve à l'allégation. L'article 9 du code de procédure civile n'aurait alors plus de raison d'être et pourrait être supprimé. Ambiguïté de la catégorie des présomptions. Dans le code civil, les présomptions se divisent sommairement en présomptions légales et présomptions du fait de l'homme. Elles sont traitées à la fois comme des dispenses de preuve et des modes de preuve. Le projet gouvernemental prévoit de scinder ces deux catégories. Les présomptions légales seraient rattachées à la charge de la preuve, alors que les présomptions du fait de l'homme seraient considérées comme des modes de preuve. L'unité des présomptions serait ainsi rompue. Cette option est souhaitable, mais il est nécessaire d'aller plus loin. D'une part, la catégorie des présomptions légales doit être modernisée. L'effet de ces présomptions ne peut être réduit à une « dispense de preuve » comme le prévoit le projet de réforme (57). Ainsi, une présomption qui déplace l'objet de la preuve ne constitue pas une dispense de preuve. Par exemple, celui qui prouve qu'il est inscrit au registre du commerce et des sociétés est présumé avoir la qualité de commerçant (58). Il n'est pas dispensé de preuve, mais la preuve qui lui incombe n'a pas le même objet que son allégation. D'autre part, la notion de présomption légale est réductrice. En effet, la jurisprudence crée régulièrement de nouvelles présomptions qui s'appliquent avec la même généralité que les présomptions légales (59). Il en est ainsi lorsque la Cour de cassation inverse la charge de la preuve de l'origine d'une infection nosocomiale, en imposant à l'établissement de santé de démontrer qu'il n'est pas à l'origine de cette infection (60). Ces présomptions jurisprudentielles s'étendent aux domaines les plus divers (61). Elles illustrent la très grande latitude d'action dont le juge dispose pour répartir la charge de la preuve. Il conviendrait de viser dans le code civil, non pas les « présomptions légales », mais les « présomptions de droit ».

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La notion de présomption irréfragable mériterait également d'être précisée. Le projet gouvernemental reprend in extenso la formule du projet « Terré 3 », selon laquelle la présomption irréfragable peut être renversée par l'aveu ou le serment. Il s'agit du régime des présomptions légales du code de 1804. Mais, depuis, le concept a évolué. La Cour de cassation et le législateur ont reconnu comme irréfragables certaines présomptions qui n'admettent aucune preuve contraire. Il en est ainsi de la libération du débiteur par la remise volontaire d'un titre original (62), de la désignation du bénéficiaire de l'aval d'une lettre de change (63), de la présomption de représentativité de certains syndicats (64) ou encore de certaines clauses « regardées, de manière irréfragable, comme abusives » (65). Il est ainsi nécessaire de reconnaître l'existence d'une autre catégorie de présomptions qui ne sont pas susceptibles d'être combattues (66). C - La constitution du dossier probatoire La question du dossier probatoire est généralement renvoyée au code de procédure civile qui traite de l'administration de la preuve. Encore une fois, cette vision est réductrice. Le concept de « constitution du dossier probatoire » est plus large et il permet de décrire un double mouvement de réunion et d'exclusion des preuves. Ce double mouvement est dominé par de nombreux principes qui devraient être rassemblés dans le code civil. Principes relatifs à la réunion des preuves. Le projet de réforme prévoit d'introduire dans le code civil le principe de la liberté de la preuve des faits juridiques et, de façon corrélative, le principe de légalité de la preuve des actes juridiques. Cette inscription de la liberté de la preuve dans le code est bienvenue, mais elle bute sur l'absence de généralité du concept de « fait juridique ». Par exemple, il est difficile de parler de fait juridique lorsque la preuve porte sur le nom d'une personne ou sur la qualité d'auteur d'un artiste. La catégorie des faits juridiques est vaine. A cet égard, la proposition du projet « Terré 3 » est convaincante. Ce projet propose de définir un principe général de liberté de la preuve applicable « hors les cas où la loi en dispose autrement ». Par conséquent, la preuve légale serait logiquement conçue comme une exception au principe de liberté de la preuve qui domine le droit privé. A côté de la liberté, le code civil devrait reconnaître le « droit à la preuve », qui a été consacré récemment par la Cour de cassation (67), mais qui existait déjà de façon latente. Pour éviter les difficultés d'application, le droit à la preuve devrait être limité à l'offre de preuve et ne pas concerner la demande de preuve. En effet, il est nécessaire de reconnaître à tout plaideur le droit de produire en justice les preuves utiles au succès de sa prétention. Cette règle semble aller de soi, mais son affirmation garantit un équilibre avec le principe de licéité des preuves. Principes relatifs à l'exclusion des preuves. L'exclusion des preuves découle du contrôle de leur admissibilité. Ce contrôle est opéré au regard de deux principes très différents : le principe de licéité des preuves, qui s'impose de façon générale, et le principe de légalité des preuves (68), dont le domaine est limité. La licéité est exprimée à l'article 9 du code de procédure civile. Elle s'entend du respect des principes généraux du droit de la preuve et des règles techniques propres à chaque preuve. La licéité s'impose à toutes les preuves, quel que soit le système de preuve (libre ou légale). Au-delà des principes déjà mentionnés par le code de procédure civile (69), le code civil devrait énoncer trois principes essentiels, dans un article qui prescrirait qu'une preuve peut être écartée, si elle porte atteinte à la vie privée, à un secret juridiquement protégé (70) ou si elle a

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été obtenue de façon déloyale. Ces trois principes (vie privée, secret, loyauté) sont régulièrement visés par la Cour de cassation et ils méritent de figurer parmi les principes généraux du droit de la preuve. Mais ils doivent également être conciliés avec le droit à la preuve. A ce titre, la Cour de cassation a adopté une méthode qui consiste à mesurer la proportionnalité de l'atteinte à un droit par rapport à l'intérêt que constitue la production d'une preuve (71). Elle l'applique notamment pour arbitrer un conflit entre droit à la preuve et vie privée. Cette méthode de conciliation devrait être étendue à tous les conflits qui opposent le droit à la preuve et l'un des principes lié à la licéité des preuves. L'exclusion d'une preuve concerne ensuite le principe de légalité de la preuve. Depuis le code civil, la légalité de la preuve s'impose aux actes juridiques, et le projet de réforme propose d'ajouter qu'il peut être dérogé à ce principe par convention (72). Mais le projet de réforme omet des éléments essentiels du système des preuves légales. Par exemple, rien n'est dit sur le principe selon lequel « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » appliqué avec constance par la Cour de cassation à la preuve des actes juridiques (73). Plus regrettable encore, la définition de la preuve écrite laisse planer un doute sur la nature juridique de nombreux documents qui ne présentent pas les garanties de l'acte sous seing privé papier ou électronique. Il en est ainsi du courriel (74), du document PDF sur lequel a été apposée une signature scannée, de la télécopie (75), de la quittance non signée émise par informatique, etc. En d'autres termes, les ambiguïtés du code ne sont pas levées par la réforme, ce qui est préjudiciable à la sécurité des transactions qui se multiplient sous ces formes écrites contemporaines. D - L'appréciation des preuves Le projet de réforme, à l'instar du code civil, aménage individuellement la force probante de chaque mode de preuve : l'acte authentique, l'acte sous signature privée, les registres professionnels, les copies, etc. Par ailleurs, il définit les modes de résolution des conflits de preuves. Il en est ainsi des conflits entre deux écrits ou entre un écrit et un témoignage. Cet ensemble de règles emporte deux effets généraux. D'une part, il existe une hiérarchie légale entre les modes de preuve. D'autre part, le juge est lié par la force probante définie par la loi (76). Ces deux caractéristiques entrent en contradiction avec le principe de liberté de la preuve en dehors du champ des actes juridiques. Libérer l'appréciation de la preuve. La difficulté tient au fait que les règles définissant la force probante des modes de preuve sont d'application générale. Elles s'imposent à la preuve des actes, comme à celle des faits. Or la preuve des faits étant libre, le juge devrait pouvoir apprécier librement la force probante de chaque mode de preuve. Telle n'est pas la solution retenue en jurisprudence. Dans un exemple topique, la Cour de cassation a eu à faire face à un conflit de preuves portant sur la date de délivrance d'un congé par un bailleur. Le congé avait été signifié en mairie par un huissier dans les délais imposés par la loi. Pourtant, l'employée de mairie attestait que le congé avait été délivré à une autre date. La preuve portait donc sur un fait juridique : la date de délivrance du congé. La Cour de cassation a considéré que la date de signification d'un acte par un huissier de justice faisait foi jusqu'à inscription de faux et que cette preuve ne pouvait pas être contredite par un témoignage (77). Pourtant, dans cette affaire, la fiabilité du témoignage était corroborée par d'autres éléments qui rendaient les constatations de l'huissier hautement improbables (78). Ainsi, le constat d'huissier liait le juge, mais sa fiabilité était contestable. Dans un tel contexte, on comprend mal l'intérêt de lier le juge par une preuve que l'on sait inexacte. La force probante contredit la vérité et remet en

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cause la fonction même des règles de preuve. Il est donc essentiel de libérer l'appréciation des preuves hors du domaine des actes juridiques ou des cas limités prévus par la loi (79). Définir le principe de l'intime conviction. La signification de l'intime conviction en droit français est discutée. Deux courants de pensée s'affrontent. Selon le premier, l'intime conviction impose une certitude au juge (80). Cela signifie que la partie sur laquelle repose la charge de la preuve doit prouver le fait allégué jusqu'à le rendre certain ; et le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits avérés. Cette conception de l'intime conviction repose notamment sur la règle selon laquelle le doute est préjudiciable à la partie à qui incombe la charge de la preuve (81), et sur l'interdiction pour le juge de se fonder sur des motifs dubitatifs ou hypothétiques (82). Certains arrêts retiennent d'ailleurs explicitement le critère de la certitude (83). Un autre courant doctrinal affirme que l'intime conviction ne se confond pas avec la certitude et que le juge peut fonder sa décision sur une forte probabilité (84). Cette thèse repose sur une conception pragmatique du syllogisme juridictionnel, en adéquation avec la pratique. Elle est corroborée par un courant jurisprudentiel qui rejette l'exigence d'une « preuve scientifique » (85) et qui admet qu'en situation d'incertitude, la preuve puisse reposer sur un faisceau d'indices constituant des présomptions du fait de l'homme (86). Le principe de l'intime conviction est si fondamental en droit français que sa signification ne devrait pas donner lieu à controverse. A titre de comparaison, en Allemagne, la Cour fédérale de justice a apporté une réponse claire sur le degré de conviction que doit atteindre le juge. Dès 1970, elle a affirmé que le juge devait atteindre une « conviction personnelle à partir d'une probabilité à la frontière de la certitude » (87). Dans cet esprit, le projet Catala proposait d'adopter une conception souple de l'intime conviction. Suggérant que le juge apprécie la valeur des preuves « en conscience », le projet ajoutait que « dans le doute, le juge s'en tient à la plus forte vraisemblance ». La formule est maladroite, car elle renvoie au standard de preuve bien connu en common law : celui de la preuve prépondérante (88). Ce standard repose sur une probabilité de plus de 50 % et il s'éloigne donc de l'intime conviction. La position du droit allemand est plus proche de la culture française. Un article pourrait ainsi être inséré dans le code civil pour préciser que, dans les domaines où la preuve est libre, toutes les preuves produites en justice sont appréciées par le juge « en conscience », ce dernier pouvant fonder sa décision « sur une probabilité proche de la certitude ». Conclusion. Le droit de la preuve dans le code civil ne concerne pas seulement la preuve des obligations. Il structure une grande partie de la théorie de la preuve civile. Le droit de la preuve constitue un pan autonome du droit civil. Il serait difficilement imaginable que, dans ce domaine, deux siècles de doctrine et d'évolutions jurisprudentielles soient ignorés par un projet qui se propose de réformer le code civil en profondeur. On comprendrait mal que des principes aussi fondamentaux que le droit à la preuve, la loyauté de la preuve ou l'interdiction de se constituer une preuve ne figurent pas dans le code civil du XXIe siècle. On ne comprendrait pas plus les raisons d'ignorer les questions relatives à l'objet de la preuve ou de ne pas clarifier les relations entre les systèmes de preuve. L'enjeu de la réforme du droit de la preuve est aussi considérable que celui qui préside à la réforme du droit des obligations. Certes, la doctrine du droit de la preuve est plus dispersée et moins visible. Ses auteurs n'ont pas su se faire entendre lorsque les projets relatifs aux obligations ont émergé. Pourtant, il existe des éléments de réponse pour construire un droit de la preuve tourné vers l'avenir, plutôt qu'ancré dans un lointain passé et on peut souhaiter qu'au ministère de la justice et au Parlement, des personnes attentives à l'enjeu d'une telle réforme pourront s'en saisir. Mots clés :

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PREUVE * Matière civile * Réforme (1) Ci-après « le projet ». (2) E. Bonnier, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit criminel, 2e éd., Auguste Durand, 1852, p. 3-4. L'auteur parle d'une « imitation aveugle de Pothier ». (3) M. Planiol par G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. 1, LGDJ, 1956, n° 710. (4) Dans ce sens également, G. Marty et P. Raynaud, Introduction générale à l'étude du droit, t. 1, 2e éd., 1972, n° 207. (5) L. n° 2008-561, 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. (6) Dans l'ordre chronologique, 2005, projet « Catala », Avant-projet de réforme du droit des obligations (preuve rédigée par P. Stoffel-Munck) ; 2009, projet « Terré 1 », Pour une réforme du droit des contrats (preuve rédigée par V. Magnier) ; 2011, projet « chancellerie », Projet de réforme du régime des obligations et des quasi-contrats ; 2013, projet « Terré 3 », Pour une réforme du régime général des obligations (preuve rédigée par P. Simler) ; 2013, projet d'ordonnance « chancellerie », Avant-projet de réforme du droit des obligations, doc. de travail. (7) Sur cette division, E. Vergès, Eléments pour un renouvellement de la théorie de la preuve en droit privé, in Mélanges J.-H. Robert, LexisNexis, 2012, p. 853. (8) Les preuves innomées sont celles dont le régime juridique n'est défini par aucun texte, mais qui peuvent être produites en justice chaque fois que la preuve est libre. Par ex., un enregistrement audio est, en matière civile, une preuve innomée. La preuve qualifiée « d'indiciaire » est le domaine privilégié des preuves innomées. (9) Cet ensemble est généralement désigné par l'expression « administration de la preuve », mais le concept ne donne qu'une image réduite de son contenu. (10) Cette question sera détaillée plus loin. (11) Art. 269 du projet. (12) Art. 1315 c. civ. ; art. 9 c. pr. civ. (13) Sect. 2, art. 270 s. du projet de réforme. (14) Art. 1323 et 1324 c. civ. ; art. 287 s. c. pr. civ. (15) Art. 284 du projet : « désaveu d'écriture ». (16) Et, au-delà, toutes les branches du droit privé, en tenant compte des dérogations propres à chaque branche. (17) Par ex., l'avant-projet Catala affirme que la théorie générale des preuves « aurait sa place naturelle dans le titre préliminaire du code civil », mais pour ajouter ensuite « solution actuellement hors de portée », sans que l'on comprenne ce qui est hors de portée. (18) Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, D. 2012. 1596, note G. Lardeux, 2826, obs. J.-D. Bretzner, 2013. 269, obs. N. Fricero, et 457, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. HauserDocument InterRevues. (19) C. Marraud, Le droit à la preuve. La production forcée des preuves en justice, JCP 1973. I. 2572 ; G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, Etudes publiées par C. Perelman et P. Foriers, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 277 s. ; A. Bergeaud, Le droit à la preuve, LGDJ, 2010. (20) Soc. 2 oct. 2001, n° 99-42.942, D. 2001. 3148, note P.-Y. Gautier, 3286, entretien P. Langlois, et 2002. 2296, obs. C. Caron ; Dr. soc. 2001. 915, note J.-E. RayDocument InterRevues, et 2002. 84, étude A. MoleDocument InterRevues ; RTD civ. 2002. 72, obs. J. HauserDocument InterRevues. (21) Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 02-19.886, D. 2004. 2069, note J. Ravanas, 2005. 1821, obs. M. Douchy-Oudot, et 2643, obs. L. Marino ; RTD civ. 2004. 489, obs. J. HauserDocument InterRevues, et 736, obs. J. Mestre et B. FagesDocument InterRevues.

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(22) Civ. 1re, 31 oct. 2012, n° 11-17.476, D. 2013. 227, note N. Dupont, 457, obs. E. Dreyer, et 2802, obs. I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2013. 86, obs. J. HauserDocument InterRevues, et 117, obs. B. FagesDocument InterRevues. (23) Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710, D. 2012. 2317, 2013. 269, obs. N. Fricero, et 2802, obs. J.-D. Bretzner ; RTD civ. 2012. 769, obs. R. PerrotDocument InterRevues ; S. Amrani-Mekki, Expertise et contradictoire, vers une cohérence, procédurale ?, JCP 2012. II. 1200. (24) Depuis, R. Legeais, Les règles de preuve en droit civil - permanences et transformations, thèse, Poitiers, LGDJ, 1955 ; jusqu'à la doctrine contemporaine, M. Mekki, Le risque de la preuve, in D. Cohen (dir.), Droit et économie du procès civil, LGDJ, 2010, p. 195. (25) V. réc., à propos de la question de la preuve du paiement, Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-13.947, D. 2010. 2156, obs. X. Delpech, 2671, obs. P. Delebecque, 2011. 472, obs. B. Fauvarque-Cosson, et 622, chron. C. Creton ; RTD com. 2010. 765, obs. D. LegeaisDocument InterRevues. (26) Art. 270 du projet : « La preuve des faits est libre. Elle peut être apportée par tous moyens ». (27) En matière pénale, les choses sont plus claires puisque l'art. 427 c. pr. pén. énonce à la fois la liberté de prouver et celle d'apprécier. (28) P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, t. 13, Videcoq, 1836, p. 440 s. « La preuve la plus sûre de toutes est celle littérale » (p. 440) ; « Lorsque les écrits manquent ou sont insuffisants, on pourrait recourir à la preuve testimoniale : mais, comme elle a ses dangers, la loi ne doit l'admettre qu'avec une extrême réserve » (p. 445). (29) Ibid., p. 447. (30) J. Bentham, Traité des preuves judiciaires, Bossange, 1823, t. 1, p. 251 s. (31) Art. 310-3, al. 1er, c. civ. (32) Art. 16-11 c. civ. (33) Art. 1356, al. 2, conservé tel quel par l'art. 299 du projet. (34) En ce sens not., F. Girard, Essai sur la preuve dans son environnement culturel, PUAM, 2013, n° 334. (35) Art. 1er Ord. n° 45-2592, 2 nov. 1945 relative au statut des huissiers, modifié par la loi dite « Béteille », L. n° 2010-1609, 22 déc. 2010. (36) Certaines garanties sont d'ailleurs plus fortes pour l'expertise : par ex., l'application du contradictoire à l'expertise judiciaire intervient plus tôt dans la procédure et de façon plus intense. Civ. 3e, 9 mai 2012, n° 10-21.041. (37) Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-13.947, préc. La solution est reprise à l'art. 193 du projet gouvernemental. (38) Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-27.035, D. 2012. 63, note J. François, et 2826, obs. I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2012. 118, obs. B. FagesDocument InterRevues ; RTD com. 2012. 169, obs. D. LegeaisDocument InterRevues. (39) Acte ou fait juridique. (40) Au nom d'une certaine paix des familles, de la stabilité du lien de filiation et de la reconnaissance de la filiation sociologique. (41) Par ex., C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, 5e éd., par E. Bartin, Marchal & Billard, § 749, p. 62 s. ; J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil, introduction générale, LGDJ, 2e éd., n° 570 ; F. Ferrand, Rép. pr. civ., v° Preuve, 2010, n° 80-111. (42) C. Marseille, La règle de la pertinence en droit civil, Y. Blais, 2004 ; égal., J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile, Y. Blais, 4e éd., 2008, nos 964 s. (43) J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., n° 576. G. Porre, Le fait pertinent, thèse, Aix-Marseille, 1937, p. 83 : « un fait est pertinent lorsqu'on pourra en induire de façon plus ou

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moins décisive, la cause de la demande, c'est-à-dire, suivant la définition classique, le fait juridique qui constitue le fondement immédiat et direct du droit invoqué ». (44) Rules 401 à 415. (45) Art. 2857 c. civ. Québec : « la preuve de tout fait pertinent au litige est recevable ». (46) Art. 281 à 283 Ley de Enjuiciamiento Civil (c. pr. civ.). V. égal., F. Gascon Inchausti, Le droit de la preuve en Espagne, au carrefour entre civil law et common law, in M. Mekki, C. Grimaldi et L. Cadiet (dir.), La preuve : regards croisés, Dalloz, à paraître. (47) J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., n° 576. En réalité, la plupart des études sur le fait pertinent sont anciennes et la question préoccupe peu la doctrine civiliste contemporaine, G. Porre, op. cit. ; J. Chevalier, Le contrôle de la Cour de cassation sur la pertinence de l'offre de preuve, D. 1956. Chron. 37. (48) Dans des arrêts déjà anciens, elle affirme que « les juges du fond ont, en principe, un pouvoir souverain d'appréciation, quant à la pertinence des faits offerts en preuve » mais qu'il en est autrement « quand les faits invoqués (...) justifieraient les prétentions de la partie qui les articule ». Civ. 2e, 29 juin 1967, Bull. civ. II, n° 237. (49) Pour une vue d'ensemble, A. Bergeaud, Le droit à la preuve, préc., nos 371 s. ; plus spéc. à propos de la demande de preuve, G. Vial, La preuve en droit extrapatrimonial de la famille, Dalloz, 2008, nos 108 s. (50) T. Le Bars, La théorie du fait constant, JCP 1999. I. 178. (51) F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, n° 573. (52) Civ. 1re, 3 janv. 1980, n° 78-11.616 ; Com. 20 mai 1997, n° 95-13.169. (53) F. Kamara, La preuve en procédure civile, Procédures 2012. Dossier 5. (54) Le professeur Le Bars estime que la faculté pour le juge de tenir le fait pour constant relève du mécanisme des présomptions du fait de l'homme. (55) Avant-projet Catala, comm. ss art. 1283 : « l'harmonie entre le code civil et le code de procédure civile (art. 9) ne nuit pas ». (56) Art. 265 du projet. (57) Sur cette diversité, E. Vergès, op. cit., spéc. p. 669 . (58) Art. L. 123-7 c. com. (59) A la différence des présomptions du fait de l'homme, qui reposent sur l'accumulation d'indices, et sont propres à chaque espèce. (60) Hypothèse dite de la « causalité alternative » lorsque la victime a fréquenté plusieurs établissements : Civ. 1re, 17 juin 2010, n° 09-67.011, D. 2010. 1625, obs. I. Gallmeister, 2011. 283, note C. Bonnin, 2010. 2092, chron. C. Creton, et 2011. 35, obs. P. Brun ; RTD civ. 2010. 567, obs. P. JourdainDocument InterRevues ; à propos du Distilbène : Civ. 1re, 24 sept. 2009, n° 08-16.305, D. 2009. 2342, obs. I. Gallmeister, 2010. 49, obs. P. Brun, 1162, chron. C. Quézel-Ambrunaz, et 2671, obs. I. Gelbard-Le Dauphin ; RDSS 2009. 1161, obs. J. PeignéDocument InterRevues ; RTD civ. 2010. 111, obs. P. JourdainDocument InterRevues ; RTD com. 2010. 415, obs. B. BoulocDocument InterRevues ; JCP 2009. 381, obs. S. Hocquet-Berg. (61) Par ex., Civ. 2e, 9 nov. 2006, n° 06-11.399, D. 2006. 2948 : la mention du ministère public sur le procès-verbal « emporte présomption » que ce dernier a été entendu. (62) Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-11.384, D. 2004. 325 ; RTD civ. 2004. 93, obs. J. Mestre et B. FagesDocument InterRevues. (63) Com. 30 juin 1998, n° 96-15.825, D. 1998. 219 ; RTD com. 1998. 896, obs. M. CabrillacDocument InterRevues. (64) Soc. 23 juin 1983, n° 83-60.146. (65) Art. L. 132-1 c. consom. (66) Ces présomptions ont été qualifiées en doctrine d'« absolument irréfragables », X. Lagarde, Réflexion critique sur le droit de la preuve, LGDJ, 1994, n° 224.

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(67) Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, D. 2012. 1596, note G. Lardeux, 2826, obs. J.-D. Bretzner, 2013. 269, obs. N. Fricero, et 457, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. HauserDocument InterRevues. (68) Au sens du système des preuves légales. (69) Et dont la nature est intrinsèquement processuelle (ex. contradictoire). (70) Il peut s'agir du secret médical, bancaire, des correspondances, etc. (71) Les juges du fond doivent ainsi « caractériser la nécessité de la production litigieuse quant aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché », Civ. 1re, 16 oct. 2008, n° 07-15.778, D. 2008. 2726, et 2009. 2714, obs. T. Vasseur ; RTD civ. 2009. 167, obs. R. PerrotDocument InterRevues ; 31 oct. 2012, n° 11-17.476, préc. (72) Il aurait été utile de préciser que ces conventions n'ont de valeur que pour la preuve des actes juridiques pour respecter l'esprit de système. V. supra. (73) Civ. 3e, 3 mars 2010, n° 08-21.056, D. 2010. 1019, et 2671, obs. J.-D. Bretzner ; AJDI 2010. 909Document InterRevues, obs. M. ThioyeDocument InterRevues. (74) Auquel la Cour de cassation semble dénier la valeur d'un écrit, Civ. 1re, 30 sept. 2010, n° 09-68.555, D. 2010. 2362 ; AJDI 2011. 73Document InterRevues, obs. F. de La VaissièreDocument InterRevues ; RTD civ. 2010. 785, obs. B. FagesDocument InterRevues. (75) Que la jurisprudence semble avoir assimilée à un écrit, Com. 2 déc. 1997, n° 95-14.251, D. 1998. 192, note D. R. Martin ; RTD com. 1998. 187, obs. M. CabrillacDocument InterRevues ; JCP 1998. II. 10097, note L. Grynbaum. (76) A propos de l'incidence des preuves légales sur l'appréciation de la preuve, V. A. Esmein, Histoire de la procédure criminelle en France, L. Larose et Forcel, 1882, p. 260 : « le juge est un clavier qui répond inévitablement lorsqu'on frappe certaines touches ». (77) Civ. 3e, 22 févr. 2006, n° 05-12.521, D. 2006. 675 ; AJDI 2006. 395Document InterRevues ; RTD civ. 2006. 767, obs. J. Mestre et B. FagesDocument InterRevues ; Procédures 2006. Comm. 109. (78) A la date de la délivrance de l'acte, mentionnée par l'huissier, l'employée de mairie n'était pas entrée en fonction. (79) V. supra sur l'esprit de système. (80) J.-D. Bredin, Le doute et l'intime conviction, Droits 1996, n° 23, p. 21. (81) Par ex., Civ. 2e, 4 juill. 2007, n° 05-11.569. (82) Art. 455 c. pr. civ. et ses applications jurisprudentielles. (83) Civ. 1re, 20 mai 1981, n° 79-17.171. (84) C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. 12, 6e éd., par A. Esmein, 1958, p. 58. Une conception proche, C. Tournier, L'intime conviction du juge, PUAM, 2003, nos 135 s. (85) Civ. 3e, 18 mai 2011, n° 10-17.645, D. 2011. 1483, obs. I. Gallmeister, 2089, note M. Boutonnet, 2679, chron. A.-C. Monge, 2694, obs. F. G. Trébulle, 2891, obs. J.-D. Bretzner, et 2012. 47, obs. P. Brun ; RTD civ. 2011. 540, obs. P. JourdainDocument InterRevues. (86) Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-10.967, n° 05-10.593, n° 06-18.848 et n° 06-14.952, D. 2008. 1544, obs. I. Gallmeister, et 2894, obs. P. Jourdain ; RDSS 2008. 578, obs. J. PeignéDocument InterRevues ; RTD civ. 2008. 492, obs. P. JourdainDocument InterRevues ; RTD com. 2009. 200, obs. B. BoulocDocument InterRevues ; JCP 2008. II. 10131, note J.-L. Grynbaum. (87) F. Ferrand, préc., n° 483. (88) « Preponderance of evidence ».

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THEME 3 : LES MODES DE PREUVE Nul ne peut se constituer une preuve à lui-même Doc 1 : Cass. 1ière civ. 18 octobre 2005, n° 04-14248 Non publié au bulletin, Cassation AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil ; Attendu que que Mme X... a présenté à M. Y... une facture pour obtenir paiement d'une somme de 1 829,36 euros correspondant au solde du prix de vente, de livraison et de pose d'un portail avec ouverture automatique ; que M. Y... a refusé de payer, soutenant n'avoir pas été bénéficiaire des travaux en cause ; Attendu que pour accueillir la demande en paiement, le jugement retient que Mme X... verse aux débats une facture en date du 25 janvier 2002 pour la vente d'un portail avec ouverture automatique, livré et posé ainsi que des mises en demeure et qu'il ressort des pièces produites et des explications fournies que M. Y... reste devoir à Mme X... une somme de 1 829,36 euros ; Attendu qu'en se déterminant ainsi, sur le seul fondement de ces documents, alors que nul ne peut se constituer un titre à soi-même, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 24 juin 2003, entre les parties, par le tribunal d'instance de Privas ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Largentière. Doc 2 : Cass. 1ière civ. 28 janvier 2003, n° 00-17553 Publié au bulletin, Rejet. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu que la société France Télécom a réclamé à M. X... le paiement de la somme de 3 621,43 francs comprenant le montant de factures téléphoniques impayées, outre une taxe pour non restitution de postes téléphoniques ; que M. X... a formé opposition à une ordonnance lui ayant fait injonction de payer cette somme ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Reims, 2 septembre 1999) d'avoir fait droit à la demande de la société France Télécom, alors, selon le moyen : 1 / que celui qui se prétend créancier d'une obligation doit la prouver ; qu'en se fondant dès lors sur les seules réclamations de France Télécom d'un montant de 3 621,43 francs en dépit de la contestation de M. X... qui ne se reconnaissait débiteur que d'une somme de 395,21 francs réglée à l'audience devant le premier juge, pour condamner M. X... au paiement de la somme réclamée par France Télécom, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;

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2 / que tenu de motiver sa décision, le juge doit viser et analyser les documents sur lesquels il se fonde ; qu'en faisant droit aux prétentions de France Télécom, sans viser et analyser les pièces sur lesquelles serait fondée sa prétendue créance, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu que si la société France Télécom devait prouver l'existence et le montant de sa créance, en application de l'article 1315, alinéa 1er, du Code civil, elle bénéficiait, à ce titre, d'une présomption résultant du relevé des communications téléphoniques ; que, par motifs adoptés non critiqués par le pourvoi, la cour d'appel a visé et analysé les pièces versées aux débats justifiant du montant de la créance de la société France Télécom ; qu'ayant relevé que M. X... n'invoquait aucun élément objectif permettant de mettre en doute cette présomption et qu'il ne rapportait pas la preuve du paiement, en leur temps, des factures, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; D'où il suit qu'en aucune de ses branches, le moyen n'est fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Liberté des conventions relatives à la preuve Doc 3 : Cass. 1ière civ. 8 novembre 1989, n° 86-16197, aff. Crédicas, D. 1990, p. 369, note C. Gavalda Publié au bulletin, Cassation. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu les articles 1134 et 1341 du Code civil ; Attendu que la société Crédicas a consenti à Mme X... une ouverture de crédit utilisable par fractions, dans la limite de 5 000 francs, destinée à financer des achats dans des magasins déterminés ; que le contrat a prévu l'usage par l'emprunteur d'une carte magnétique et la composition concomitante d'un code confidentiel valant ordre, pour l'organisme prêteur, de verser au vendeur le prix d'achat ; que, Mme X... ayant refusé de régler les sommes dont la société Crédicas s'estimait créancière en vertu de la convention précitée, cette société l'a assignée en paiement ; Attendu que, pour rejeter la demande, le jugement attaqué retient que si, pour les créances inférieures à 5 000 francs, la preuve est libre, il est néanmoins nécessaire, quelles que soient les conventions des parties, que soient produits des éléments propres à entraîner la conviction du juge ; qu'il énonce que la simple production de documents dactylographiés émanant de la société demanderesse, ou, pour le moins et selon ses dires, d'une machine dont elle a la libre et entière disposition, est inopérante à constituer la preuve de l'engagement de rembourser consécutif à l'utilisation d'une fraction de l'ouverture de crédit consentie ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société Crédicas invoquait l'existence, dans le contrat, d'une clause déterminant le procédé de preuve de l'ordre de paiement et que, pour les droits dont les parties ont la libre disposition, ces conventions relatives à la preuve sont licites, le Tribunal a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 14 mai 1986, entre les parties, par le tribunal d'instance de Sète ; remet, en conséquence, la

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cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Béziers. Doc 4 : Cass. 2ième civ. 10 mars 2004, n° 03-10154 Publié au bulletin Cassation. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l'article 1315 du Code civil, ensemble l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 27 décembre 1995, les époux X... ont déclaré le vol, survenu la veille, de leur véhicule Audi, assuré auprès de la compagnie Axa (l'assureur) ; qu'après le règlement de l'indemnité, l'assureur, mettant en doute la matérialité du vol compte tenu de l'absence de traces d'effraction, a poursuivi le remboursement des sommes par lui versées ; que le premier juge, qui a admis l'existence du vol, a retenu que le véhicule n'avait pu être démarré sans l'aide d'une clé nécessairement laissée dans le véhicule, pour appliquer au sinistre une garantie restreinte à hauteur de 70 % ; que l'arrêt a infirmé le jugement et condamné les époux X... à payer à l'assureur une certaine somme ; Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt retient que la convention liant les parties prévoyait que l'assuré établisse, outre des détériorations liées à une pénétration dans l'habitacle par effraction, le forcement de la direction ou de son antivol et la modification des branchements électriques ayant permis le démarrage du véhicule, et que si les circonstances du vol envisagées par la police sont du domaine du fait juridique dont par principe la preuve est libre, la garantie n'est due, en cas de recours à des techniques plus affinées d'appréhension frauduleuse, que lorsque ces modes opératoires causent des détériorations matérielles figurant au nombre des indices exigés par la police ; Qu'en statuant ainsi, alors que la preuve du sinistre, qui est libre, ne pouvait être limitée par le contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon. Commencement de preuve par écrit Doc 5 : Cass. 1ière civ. 12 juillet 2005, n° 04-15314 Publié au bulletin, Cassation. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le moyen unique : Vu les articles 1341, 1347 et 1353 du Code civil ;

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Attendu que sur opposition formée par M. X... à l'encontre de l'ordonnance lui enjoignant de payer la somme principale de 1065,04 euros à la société France Telecom, que celle-ci lui réclamait après résiliation d'un abonnement de services téléphoniques, le tribunal a condamné M. X... à payer ladite somme à la société France Telecom ; Attendu que pour statuer ainsi, le tribunal retient que la société France Telecom produit un relevé informatique valant tant commencement de preuve par écrit de l'existence de l'obligation comme de son montant, que présomption du bien-fondé de la demande, et qu'en l'absence d'autres éléments objectifs permettant de combattre cette présomption, laquelle est confortée par d'autres éléments, il y a lieu d'accueillir cette demande ; Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en l'absence d'écrit constatant l'abonnement, le relevé informatique émanant de la société France Telecom ne pouvait constituer un commencement de preuve par écrit de la créance litigieuse, de sorte que, faute d'un tel commencement de preuve par écrit, la preuve par présomptions de l'existence, comme du montant, de cette créance ne pouvait être admise, le tribunal a violé, par fausse application, les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 18 septembre 2003, entre les parties, par le tribunal d'instance de Valenciennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Douai. Télécopie Doc 6 : Cass. 1ière civ. 2 décembre 1997, n° 95-14251 Publié au bulletin, Rejet. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 décembre 1994), que, prétendant avoir valablement recueilli, au regard de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981, par télécopie émanant de la société Descamps, un acte d'acceptation de la cession d'une créance professionnelle, la banque Scalbert Dupont a poursuivi cette société en paiement ; que la société a invoqué l'absence d'écrit original comportant son acceptation et la mauvaise foi de la banque, lors de l'escompte de la créance, en déduisant la recevabilité de son exception de non-conformité de la marchandise livrée par le cédant par rapport à la commande ; Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : Attendu que la société Descamps fait grief à l'arrêt de l'admission de la télécopie comme preuve de son acceptation de cession de créance, alors, selon le moyen, d'une part, qu'une télécopie ne constitue pas un écrit au sens de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ce texte ; et alors, d'autre part, que la photocopie de l'acte d'acceptation d'une cession de créance professionnelle ne vaut que comme indice ou, si elle émane de la partie à laquelle on l'oppose, comme commencement de preuve par écrit de cette acceptation ; qu'en retenant pour preuve parfaite de l'acceptation contestée par la société Descamps la photocopie de télécopie produite par la banque, la cour d'appel a violé l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 ;

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Mais attendu que l'écrit constituant, aux termes de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l'acte d'acceptation de la cession ou de nantissement d'une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l'imputabilité de son contenu à l'auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées ; qu'en analysant les circonstances dans lesquelles a été émise la télécopie litigieuse, dont le caractère mensonger n'avait pas été allégué, la cour d'appel a pu en déduire que la preuve écrite de l'acceptation de la cession de créance était établie ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. CAS PRATIQUE : Le 19 juin 2013, lors de l’anniversaire de son ami Camille (Camille est un garçon), Armand a conclu une affaire avec Mehdi, lequel est en première année de droit à l’UPEC. Ils sont convenus de la chose suivante : Armand, qui vient d’obtenir son diplôme de peintre en bâtiment, a accepté de repeindre le grand appartement de Mehdi pour la somme de 2 000 euros. L’affaire est scellée par une poignée de main virile, sous les yeux de leur ami Camille qui, passablement éméché, est ravi de voir que ses deux amis s’entendent si bien. Hélas, cette amitié naissante tourne court. Armand, qui a déjà acheté toute la peinture, trouve porte close le jour où il devait intervenir chez Mehdi. Non sans aplomb, ce dernier soutient que, n’ayant rien signé, il ne doit rien à Armand à l’égard duquel il n’est nullement engagé ! Armand retrouve pourtant un sms que Mehdi lui a envoyé et qui est ainsi rédigé : « Salut Armand. Pour le salon, qui fait 20 m2, le gris clair que tu m’as montré me va. Pour le reste : blanc mat c’est parfait. Merci encore ! Mehdi. ps : C’était énorme la fête chez Camille ! ». Mehdi, qui sait parfaitement avoir envoyé ce message, lui précise que ce sms ne vaut rien, puisqu’il ne mentionne pas en chiffres et en lettres le montant de l’engagement et que, de toute manière, produire en justice un tel élément de preuve constituerait une atteinte intolérable à sa vie privée ! Armand, qui est un peu désemparé par cette argumentation juridique à laquelle il ne comprend rien, vous consulte pour l’éclairer sur sa situation et pour savoir s’il pourra demander à Mehdi d’exécuter sa part du marché.