Tableronde gouvernance 1003

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Organisée par DEFI médias, en partenariat avec le MEPI, la Fondation Friedrich Ebert et le Groupe Assabah M. Taieb Bacouche: Président de l’Institut arabe des Droits de l’homme (IADH); M. Ghazi Grairi: Secrétaire général de l'Académie internationale de droit Constitutionnel ; Mme Riadh Zghal: Professeure émérite en sciences de gestion, Présidente de l’Association tunisienne pour l’entrepreneuriat et l’essaimage (ATEE) ; Mme Monia Jguirim: Chef d’entreprise, Présidente du Centre des jeunes dirigeants (CJD); Mme Oum Kalthoum Benhassine: Présidente de l’Association Femmes et Sciences (AFS); M. Moncef Achour: Membre du Secrétariat exécutif du SMSI ; M. Lothar Witte: Représentant de la fondation allemande Friedrich Ebert ; Bochra Belhaj Hmida: Avocate, ex-présidente et membre de l’Association des Femmes démocrates. Liste des participants Modérateur: Ridha Kéfi Organisation: Ridha Kéfi et Amel Belhadj Ali. Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23

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La société civile et son importance pour une bonne gouvernance

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Organisée par DEFI médias, en partenariat avec le MEPI,la Fondation Friedrich Ebert et le Groupe Assabah

M. Taieb Bacouche: Président de l’Institut arabe desDroits de l’homme (IADH); M. Ghazi Grairi: Secrétaire général de l'Académieinternationale de droit Constitutionnel ;Mme Riadh Zghal: Professeure émérite en sciencesde gestion, Présidente de l’Association tunisiennepour l’entrepreneuriat et l’essaimage (ATEE) ;Mme Monia Jguirim: Chef d’entreprise, Présidentedu Centre des jeunes dirigeants (CJD);

Mme Oum Kalthoum Benhassine: Présidente del’Association Femmes et Sciences (AFS);M. Moncef Achour: Membre du Secrétariat exécutifdu SMSI ;M. Lothar Witte: Représentant de la fondationallemande Friedrich Ebert ;Bochra Belhaj Hmida: Avocate, ex-présidenteet membre de l’Association des Femmesdémocrates.

Liste des participants

Modérateur: Ridha KéfiOrganisation: Ridha Kéfi et Amel Belhadj Ali.

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Mesdames, messieurs,Chers professeurs,amis et collègues ; j’aitenu à ouvrir person-nellement cette qua-

trième table ronde que nous organisonsen partenariat avec le MEPI, ainsiqu’avec la fondation allemandeFriedrich Ebert, qui nous a rejointentre-temps dans cette initiative.

Je voudrais remercier les représen-tants de ces deux institutions en Tunisie,qui nous font l’honneur d’être parminous ce matin, notamment M. MatthewLong et M. Lothar Witte, pour leurs con-tributions respectives.

Après «l’accord de libre échange Tunisie- Etats-Unis», «médias et terrorisme» et «lesrelations entre le Monde arabe et les Etats-Unis», thèmes des trois premières tables ron-des, nous aborderons aujourd’hui «le rôle dela société civile dans la bonne gouvernance»,un sujet de très grande importance pour unpays comme le nôtre, qui passe par une phasedéterminante de son histoire marquée par lamise en route de nombreuses réformes à lafois politiques, économiques et culturelles.

Pays en transition démocratique,comme on dit aujourd’hui, la Tunisiecherche à renforcer le rôle de l’Etat dansla régulation des relations entre les dif-férents acteurs sociaux, mais aussi àdéléguer un certain nombre de sesprérogatives à une société civile, elleaussi en plein développement, et qui est

en train de gagner en maturité et en crédi-bilité.

L’implication de cette sociétécivile, à travers ses diverses com-posantes, dans des actions concrètesqui ont un impact direct sur la société,pose un certain nombre d’interroga-tions sur la nature de cette implication,son utilité, ses spécificités, sesurgences, mais aussi ses limites. Pourmener à bien leur mission, les associa-tions ont certes besoin d’une certaineindépendance vis-à-vis des différentsacteurs politiques, qu’ils soient au pou-voir ou dans l’opposition. Ellesdevraient aussi travailler dans la clartéet veiller à la transparence, surtout enmatière de financement. Car c’est dumélange des genres que naissent sou-vent les malentendus. Et si la sociétécivile veut jouer un rôle plus importantdans la gestion des affaires publiques,aux niveaux national et international,elle doit être un modèle de rigueur et deprobité.

Ce sont là quelques idées person-nelles que je propose à votre débat quisera, je n’en doute pas, d’un haut niveauintellectuel, vu la qualité des intervenantsque je remercie d’avoir répondu favor-ablement à notre sollicitation.

Mesdames, messieurs, je voussouhaite un excellent débat.

Allocution de bienvenue

Raouf Cheikhrouhoudirecteur général de Dar Assabah

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Merci Si Raouf, Vous avezévoqué là un sujet quiretiendra sans doute l’atten-tion des intervenants : àsavoir les affinités électives

ou les relations incestueuses entre le travailassociatif et l’action politique. Nous savonsque les frontières entre les deux domaines sontsouvent très ténues et les glissements de l’unvers l’autre, que ces glissements soientheureux ou malheureux, sont assez fréquents.Mais on ne voudrait pas commencer par cetaspect la problématique qui nous préoccupe cematin, celle du «rôle de la société civile dansla bonne gouvernance».

Par «société civile», nous entendons cetacteur autonome qui joue un rôle d’intermédi-aire entre la société et l’Etat, qui soutient etcomplète l’action de cet Etat, mais sans se sub-stituer à lui, notamment dans les secteursexigeant une gestion plus souple, plusautonome et plus personnalisée.

Par «bonne gouvernance», nous enten-dons ce souci d’efficacité, de transparence et

de responsabilité citoyenne qui doit être leprincipal moteur des actions de l’Etat, de seshommes et de ses institutions, mais aussi decelles des associations et représentants de lasociété civile. La crédibilité de l’un et del’autre est à ce prix. Leur légitimité aussi. Demême la réussite de l’un dépend de celle del’autre, de ses apports et de ses soutiens.

Nous voudrions, dans cet introduction,souligner la nécessité d’éviter le piège assezcommode, et dont s’accommodent volontiersparfois les Etats et certaines associations tropjalouses de leur indépendance, qui consiste àopposer les politiques aux activistes de lasociété civile, alors que la raison (et l’intérêtmême des sociétés) exigent une meilleurerépartition des rôles entre les deux, unemeilleure compréhension réciproque, voireune collaboration étroite entre eux.

Je ne cherche pas ici à orienter notredébat. Mais j’exprime une réflexion que jesais partagée par la plupart d’entre vous.Aussi, vais-je m’empresser de vous céderla parole. Pour la bonne marche de notre

débat, nous allons donner la parole à troisuniversitaires et chercheurs qui ontlongtemps travaillé sur le sujet de notretable ronde. Je voudrais citer MM. TaïebBaccouche, Ghazi Ghraïri et Mme RiadhZghal. A côté de leurs apports théoriques,nos trois universitaires sont aussi trèsimpliqués dans le travail associatif enTunisie et à l’étranger. Ils ont donc cettedouble casquette qui donne à leurs idées etappréciations une certaine profondeurintellectuelle et pratique. On fera ensuiteun tour de table pour permettre auxreprésentants de la société civile detémoigner chacun de son vécu et d’enrichirle débat par leurs idées et propositions.

Introduction

Ridha Kéfi

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Taieb Baccouche

Persistance de la culture non-démocratique

J’aimerais d’abord remercier les organ-isateurs de cette table ronde, et aussipour le papier introductif dense et quia posé les problèmes d’une manièretrès claire. Les questions finales de ce

document sont des questions clefs de cetteproblématique. Je pense qu’il est nécessaire de définir lasociété civile, car elle ne parait pas communé-ment admise ou comprise de la mêmemanière, aussi bien de la part de certainsacteurs de la société civile que de certainsresponsables politiques. Il persiste dans lesesprits – il faut bien le reconnaître – un prob-lème, à savoir la place attribuée aux partispolitiques qui ne sont pas au pouvoir, ainsi queles instances législatives.Si nous devons nous limiter à une réponsesimple qui ne pose pas de problèmes défini-toires, nous pouvons dire que la société civilese définit essentiellement en tant qu’initiativecitoyenne. La société civile et les organisa-tions qui la composent, sont d’abord une éma-nation de la citoyenneté, des citoyens quiprennent des initiatives indépendamment despouvoirs politiques, des gouvernements etmême des partis poli-tiques, aussi bien ceuxqui gouvernent que ceuxqui sont dans l’opposi-tion, car ces dernierspourraient être appelés unjour à l’exercer ; ils sontdonc dans l’antichambredu pouvoir.Pour cette raison, je con-sidère que les syndicatsreprésentent une des composantes essentiellesde la société civile, de par leur impact popu-laire et le nombre de leurs adhérents. Les syn-dicats assurent -à mon sens et essentiellement

dans les pays du tiers-monde – une respons-abilité morale de premier ordre. Ils sontappelés à être des locomotives de la sociétécivile. Mais dans la plupart de ces pays,jouent-ils réellement ce rôle ? Les ONG ont un champ d’action et d’inter-vention très varié, allant de la défense desDroits de l’Homme en général aux questionsspécifiques de la femme par exemple danscertaines sociétés. Ce champ est sans limites,tant l’action touche l’intérêt de la société etson développement intégral.D’une manière générale, on constate dans leMonde Arabe une faiblesse de la société civile,qui est due à des causes inhérentes à la sociétécivile mais également pour des raisons d’ordrepolitique. Ce qui est inhérent à la société mêmerelève de la culture citoyenne, qu’elle soit poli-tique ou religieuse. Il faut bien dans les paysarabes, évoquer cette culture religieusepasséiste, qui peut être – dans certains cas – unedes raisons de la faiblesse de la société civile. Les facteurs politiques relèvent de la volontédes Etats qui ne sont pas suffisamment démoc-ratiques, ou ne le sont pas du tout, et qui neveulent pas d’une société civile indépendante

et autonome, mais veu-lent par contre exercersur cette société unehégémonie politique.Ceci nous amène à poserle problème de la démoc-ratie, qui fait qu’unesociété civile sedéveloppe réellementdans un contexte démoc-ratique, ou, au contraire,

rencontre des difficultés pour se développer sile contexte n’est pas démocratique.Il faut rappeler que nous prenons ici aussi bienla démocratie que les Droits de l’Homme dans

leur acception universelle, qui transcende lesspécificités du détail, en référence à desvaleurs qui relèvent de l’universel. Malgré lesprogrès enregistrés, notamment dans le tissuassociatif qui s’est développé dans les paysarabes, les ONG et les organisations quirelèvent réellement de cette société, sont peunombreuses. La majorité est composée d’organisationssuscitées directement par le pouvoir, ou pard’autres forces politiques, ce qui nous amèneà poser le problème de l’allégeance. Nouspouvons illustrer par l’exemple des pays oùles syndicats émanent de partis politiques, cequi conduit ces organisations ouvrières à subirles effets des clivages politiques.En Tunisie, le mouvement syndical possèdeune histoire beaucoup plus complexe, de parsa participation à la lutte nationale et à l’édifi-cation de l’Etat national. Néanmoins, le pou-voir politique a essayé dès l’indépendance decontrôler ce mouvement. De ce fait, le rôlejoué par l’Etat, aussi bien pour développer lasociété civile ou freiner son développement,est d’une grande importance. En plus des causes exogènes, qui relèvent de lavolonté politique du pouvoir, il ne faut pas nég-liger aussi les causes endogènes, qui sontinhérentes à la nature même de cette sociétécivile et essentiellement à la nature de la culturedominante. On constate actuellement, malgréles efforts fournis par des ONG et desdéfenseurs des Droits de l’Homme, la persis-tance d’une culture non-démocratique. Ce con-stat concerne par exemple le fonctionnement decertains partis de l’opposition et même certainesONG, qui sont à l’image des partis au pouvoir.Je pense qu’il faut agir au niveau du culturelqui, malgré son importance, reste à la traîne,alors qu’il est le pivot et joue un rôle essentiel.Je pense qu’il faut agir à ce niveau.

«Le rôle de l’Etat, aussi

bien pour développer la

société civile ou freiner

son développement,

est d’une grande

importance.»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 5

Je veux en premier remercier lesorganisateurs de cette tableronde, et exprimer l’honneur quim’échoit, d’autant qu’il estrehaussé par la qualité des par-

ticipants et surtout l’occasion d’échangequi se présente à moi.

Avant d’entamer, j’aime bien dire queje suis en accord total avec ce qu’a présen-té M. Taieb Baccouche, concernant cettecorrélation entre l’existence d’une sociétécivile digne de ce nom, ou – ce que j’ap-pellerais – une société civile vertébrée, etla condition démocratique. Un regard quel’on jetterait sur l’expérience de paysqu’on qualifie aujourd’hui comme démoc-ratie confirmée nous rappelle que l’idéemême de la société civile est née dans lecreuset du siècle des Lumières, à savoircette période où les sociétés n’étaient pasencore démocratiques.

L’appel fait par la pensée desLumières à ce qu’il y ait entre l’individuet les institutions politiques un espaceintermédiaire, qui revendiquerait la finde l’absolutisme et qui aiderait àl’avènement de cette transition a aidé cessociétés à franchir les pas.

La société civile a eu dans cesrégions, deux missions, à savoir ce pas-sage vers l’Etat rationalisé par le droit, etqui confirme la pratique démocratique, etdans les sociétés démocratiques actuelles,où la société civile joue un rôle de vigi-lance et veille à ce que les institutionspubliques ne dépassent guère les limitesétablies par cette société démocratique.

Il serait tout à fait logique de confirmerce qu’a avancé M. Taieb Baccouche, con-cernant les pays arabes et dire – dans lesmeilleures des hypothèses – que la société

civile est faible ou pas assez structurée. Sion veut aller au fond des choses, on peutmême douter de l’existence d’une sociétécivile au sens cohérent et complet duterme. La raison de ce constat est simple, àsavoir que la société civile repose sur unensemble de composantes, essentiellementassociatives, mais qui peut englober dansun sens plus général, même l’initiativeéconomique privée.

Il est vrai aussi que le rôle et la situa-tion des partis politiques sont assez déli-cats, car ces derniers sont appelés aussibien à exercer le pouvoir qu’à être dansl’opposition, et de ce fait la part de leursactivités institutionnelles échapperait à lasociété civile. Néanmoins, ces partis –aussi bien au pouvoir que dans l’opposi-tion – observent bien des activités quiretomberaient tout à fait facilement sousl’aspect de la sociétécivile et sociale.

Il est tout à faitparadoxal de rappel-er que la sociétécivile est née dansun creuset libéral.Pourtant elle a étéstructurée au sens leplus théorique et leplus proche de notreréalité actuelle, pardes théoriciens marxistes, essen-tiellement Antonio Gramsci, qui aopposé la société politique à lasociété civile, et en donnant auxintellectuels comme mission de faireévoluer cette société, essentiellementselon son schéma politique, à savoirpasser d’une société bourgeoise à unesociété prolétarienne.

Antonio Gramsci appelle les intel-lectuels à opérer une subversion desesprits, à savoir un changement des men-talités. Ce qui nous rapproche de ce qu’aévoqué M. Taieb Baccouche, à savoirque le problème dans nos pays arabes sesitue au niveau culturel.

Je remarque personnellement – en maqualité de citoyen et nullement d’univer-sitaire – que l’idée de société civile esttrustée par les gouvernements mêmes, enquête d’apparence et de conformité parrapport à des standards internationaux,aussi bien un discours démocratique pardes régimes qui le sont peu ou pas dutout, tout aussi cette prétention à unebonne gouvernance et à une trans-parence, même si elles sont absentes,sans oublier ce discours d’acceptation dela société civile et du tissu associatif.

Notons que lesorganisations inter-nationales, liées à laquestion des droits del’Homme, sont trèsvigilantes et arriventà distinguer entre unesociété civile«réelle» et celle«suscitée». Une dis-tinction se fait biende ce qui est «fac-

tice» et n’est guère l’émanation d’unesociété. La société civile devientplutôt un alibi dans le discours offi-ciel, plus qu’une réalité tangible, parcequ’il me paraît très difficile, dans dessociétés où la liberté d’expression etd’association est objet à une déroga-tion, de voir éclore une société civilecohérente et vertébrée.

Ghazi Graïri

L’idée de société civile est trustée par les Etats

«La société civile devient

plutôt un alibi dans le

discours officiel, plus

qu’ne réalité tangible»

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Je suis très heureuse de participer à unetable ronde qui traite d’un thème quisemble stratégique pour notre société,le monde arabe et le monde en général.Je suis actuellement professeur

émérite en sciences de gestion, avec une baseen sociologie, tout enétant impliquée – depuisdes années – dans la vieassociative. Tout au longde ma carrière d’en-seignante et à travers mesfonctions au sein de laFaculté des scienceséconomiques et de ges-tion de Sfax, j’ai essayéde susciter une activitéassociative parmi mes étudiants.

Sans faire de référence à un schémathéorique, je dirai simplement que la sociétécivile existe et qu’elle a toujours existé, seule-ment il faut faire la part des choses. Il y a lasociété en tant qu’entité organisée d’une partet les structures organisées de type associatif,qui constituent une composante de l’organisa-tion formelle de cette société.

La société civile ne peut être perçueuniquement à travers le nombre d’associationslégales. Un certain nombre d’entre elles sontamarrées aux partis politiques, ou à des ONGinternationales, qui ne reflètent pas nécessaire-ment la dynamique ni l’identité de la société.D’autres émergent d’une manière spontanée etsont l’expression d’une problématique sociale.

Il faut bien faire la différence entre cestrois types d’associations. Aussi, nous avons lesentiment que la société civile ne semble pas,à première vue, organisée, néanmoins elle serévèle à travers l’histoire. L’étude des mouve-

ments de libération nationale prouve que cesderniers ont commencé sous forme de mouve-ments sociaux très mal structurés, puis ils sesont organisés progressivement pour donnernaissance à des partis ou à des organisationsde type syndical ou associatif.

Je prendrai pour exemple le mouvementféministe en Tunisie. Au début, les femmesont été sollicitées pour participer au mouve-ment national, puis elles se sont organisées en

mouvements sociaux, etont fini par créer leurspropres structures et leursassociations.

On ne peut raisonneren termes de sociétécivile, sans pour autantévoquer la question deconflictualité et de luttepour le pouvoir. Lasociété civile organisée,

constitue un moyen fondamental pour toutecatégorie sociale de défense de ses droits etd’acquisition d’un certain pouvoir.

Je citerai, pour l’exemple, le mouvementféministe tunisien et précisément l’Unionnationale des femmes tunisiennes (UNFT),qui, au lendemain de l’indépendance et à lasuite de la décision de l’AssembléeConstituante de limiter le droit de vote auxhommes, a pris l’initiative d’écrire à tous lesmembres de cette Assemblée dans le but dedemander ou d’exiger des droits politiquespour les femmes.

Cette action a été occultée délibérémentpar un pouvoir politique, qui préférait mettreau premier plan le rôle de Bourguiba dansl’émancipation de la femme, plutôt que lemouvement féministe qui a précédél’indépendance.

Concernant les syndicats, je rejoins par-faitement M. Taieb Baccouche, concernant lefait que les syndicats, aussi bien ceux des tra-

vailleurs que ceux des patrons, constituentdes maillons essentiels pour le fonction-nement équilibré de la société. En effet, unesociété où personne n’exprime les droits destravailleurs ni ceux des employeurs est unesociété impotente.

Concernant la dimension culturelle, évo-quée par M. Taieb Baccouche, nous avonstous à l’esprit Alexis de Tocqueville qui amontré que la société américaine disposaitd’un tissu associatif extrêmement dense etactif. Ceci pour expliquer le dynamisme decette société et, à ses yeux, la différence avecles sociétés européennes de l’époque.

La culture – dans le sens anthropologiquedu terme – revêt une grande importance à cepropos. Est-ce que les citoyens possèdent lesaptitudes et les valeurs qui les prédisposent àl’engagement dans le travail associatif ? Cedernier, pris au sens large du terme, constitueun service à la communauté ainsi que l’ex-pression de ses problématiques.

La culture de service à la communauté etd’expression de ses problèmes n’est pas unphénomène tout à fait spontané. Sondéveloppement se réalise à travers les institu-tions de socialisation et le mode de fonction-nement de la société. De même, la gravité deslacunes que la société observe par rapport auxréponses que les pouvoirs publics apportentaux problématiques vécues favorise la genèsede mouvements sociaux pouvant évoluer versdes structures de type associatif.

Par ailleurs, il ne faut nullement êtreidéaliste et croire qu’une association vientuniquement dans le but de servir la caté-gorie sociale qu’elle prétend soutenir. Uneassociation – et cela a été bel et bien démon-tré – peut être exploitée en faveur d’unestratégie individuelle. L’association sertentre autres de «perchoir» qui donne unevisibilité à Ceux qui la dirigent.

Ceci explique le taux de mortalité – plus

Riadh Zghal

La société civile doit exprimerdes intérêts divergents

«On ne peut gérer une

société intelligente de la

même manière qu’une

société pauvre

en savoirs et en

exigences»

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J’aimerais en premier lieu remercierles organisateurs de cette tableronde, et exprimer ma joie d’êtreavec vous, même si nous, les partic-ipants, ne sommes pas du même

bord. Les occasions de discuter etd’échanger les idées sont très rares.

Je suis en accord avec ce qu’a été dit parles trois intervenants. Je voudrais porter uneprécision que je considère assez importante.Le rôle d’une société civile n’est nullementde jouer le rôle d’intermédiaire entre lasociété et l’Etat mais plutôt d’être un parte-naire de l’Etat. Si on revoit les Conventionsdes Nations-Unies, on remarque bien que cerôle est demandé et que les Etats se sont

engagés sur la base de considérer les ONGcomme des partenaires.

Partenaire ne veut nullement signifierinféodé à l’Etat, mais plutôt autonome etindépendant, aussi bien par rapport à l’Etatqu’aux divers partis politiques. Ce rôle departenariat suppose que la société civile puisses’exprimer librement, s’activer librement etpuisse attirer l’attention de l’Etat sur les prob-lèmes de la société et essentiellement par rap-port au secteur sur lequel l’association travaille.

L’Association tunisienne des femmesdémocrates (ATFD) – à titre d’exemple – estconsidérée par l’Etat comme une association«opposante» parce qu’elle est simplementautonome. Or, cette caractéristique rend

intéressante l’expérience tunisienne, car dif-férente des autres pays comme le Maroc ou leLiban, où les associations trouvent naissancedans les partis.

Les associations autonomes sont néesen dehors des partis politiques. Autonomien’est nullement synonyme de neutralité,l’ATFD n’a pas à faire de la propagandepour le parti au pouvoir ou un autre parti,mais elle n’est pas apolitique.

Bochra Belhaj Hmida

Pourquoi ne sommes-nous pasdémocrates?

ou moins important – des associations, parceque la création s’est faite en premier lieu dansle cadre d’un projet collectif, qui se transformeprogressivement en une structure servant desstratégies individuelles.

La survie dépend aussi de la capacité àgérer l’association qui, en l’absence destratégie, de leadership, de vision future ou decapacité de travail en équipe, court de gravesrisques d’instabilité conduisant à sa disparition.

Nous devons reconnaître que l’impor-tance de la société civile et son rôle découlentdu contexte actuel, où le rôle de l’Etat a con-sidérablement changé. On est passé progres-sivement de la logique de l’Etat dirigiste et, àtravers un développement économique dusecteur privé, à ce qu’on peut appeler unesociété duale renfermant deux entités : lesecteur public et celui privé.

De nos jours, les sociétés sont dev-enues d’une grande complexité, les prob-lèmes aussi, leur résolution ne peut être

assurée par l’Etat seul, ou les structureséconomiques, ou même les ONG.

On est aujourd’hui dans une logique degouvernance, à savoir l’obligation – pourfaire marcher une société – d’adopter unmodèle démocratique. Un tel modèle estcelui d’une société, où il existe une interac-tion positive entre l’Etat avec ses agences, lesecteur économique privé, et les organisa-tions non gouvernementales.

Les associations deviennent une néces-sité de nos jours, en vue de répondre à uncertain nombre de demandes sociales et àune complexité des systèmes sociaux,économiques, politiques, technologiques…

Un tissu associatif dense est nécessaireparce que l’humanité n’a jamais disposé d’au-tant d’intelligence, une intelligence percepti-ble au niveau de l’extension de l’éducation àdes catégories humaines de plus en plus larges,des équipements utilisés et des produits con-sommés au quotidien qui renferment une dose

de recherche et de sciences de plus en plusimportante. On ne peut gérer une société intel-ligente de la même manière q’une société pau-vre en savoirs et en exigences de toutes sortes.

La gouvernance signifie cette manière degérer dans la diversité et la coopération, maisaussi dans la conflictualité d’intérêts. A ce pro-pos, je suis de ceux qui adhèrent à la thèse deDarhendorf qui stipule qu’il n’y a pas de viesans conflit. Il faut simplement reconnaîtreque la conflictualité fait partie intégrante de lagestion de la société. La société civile a àexprimer les intérêts divergents, et à jouer dece fait le rôle d’observatoire, nécessaire à celuiqui gouverne, fusse-t-il du genre dirigiste.

La société civile joue un rôle importantdans la négociation des intérêts des diversescatégories sociales, qui, naturellement luttentpour assurer leurs intérêts et disposer d’uneportion de pouvoir. Cela se passe aussi bien àtravers les partis qu’à travers d’autres struc-tures dont les associations.

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Elle n’a pas pour rôle de faire de l’oppo-sition systématique, mais elle n’hésite pas às’exprimer sur les préoccupations desfemmes, qui sont d’ordre politique, même sicela va à l’encontre de la politique de L’Etat.

Les droits des femmes relèvent d’unedimension politique, à savoir assumer unchoix de société, comme le choix de l’égalitéentre les sexes qui revêt une dimension poli-tique. L’expérience de notre pays atteste quetout droit, aussi bien celui des femmes, del’environnement et autres, s’inscrit automa-tiquement dans un registre politique tantqu’on veut jouer pleinement son rôle.

Par ailleurs, concernant la dimension per-sonnelle, nier ou occulter cette dimension detout engagement dans une association relèved’une méconnaissance totale de la naturehumaine. Nul ne s’engage dans un combatsans une motivation personnelle. Seulement,il ne faut nullement que ce côté personnel out-repasse certaines limites et se fasse auxdépens de l’activité de l’association et surtoutde son intégrité et de sa bonne gouvernance.

Je suis en accord total avec ce qui a été ditconcernant la culture démocratique. J’ajoutemême que nous autres Arabes, nous ne sommesnullement des démocrates. Nous devons nousposer la question sur les causes de cette absencede culture démocratique. Je ne prétends pasapporter ici des réponses scientifiques et clairesmais seulement des éléments de réponse.

Pourquoi chacun de nous n’accepte pas leschoix des autres ?

D’abord on vit dans un environnement aussibien national que régional non démocratique.Même les médias qui sont venus «renforcer» le

pluralisme véhiculent des messages mono-lithiques. Je donne, à titre d’exemple, le slogande la chaîne Al-Jazira, à savoir «L’opinion etl’autre opinion». On est dans un système de pen-sée unique, qui n’accepte guère la différence.

Je pense que la politique de l’Etat tunisien,comme celles des autres Etats arabes, a étéconçue de manière à ce que nos sociétés seconstruisent sur la pensée unique. Lorsque jepense qu’un parti commele Mouvement desdémocrates socialistes(MDS), un parti libérals’il en est, dont les choixsont très proches de ceuxdu parti au pouvoir, a sou-vent été réprimé et a finipar perdre sa place surl’échiquier politiquenational, je dis que nousdevons nous poser des questions à ce niveau.

En face de ces Etats monolithiques sontnés des courants d’opposition, d’abord engrande partie issus de la gauche stalinienneet, plus tard, de la droite islamiste, qui ne sontpas elles-mêmes forcément démocratiques.

Je considère que la question de la bonnegouvernance concerne aussi bien les ONG quel’Etat et qu’on ne peut évoquer la bonne gou-vernance sans la démocratie. Aussi, nous nepouvons traiter de ce sujet, si les rôles ne sontpas clarifiés. A savoir, qui doit rendre compte àqui ? Nous vivons dans des pays où les ONG,les partis d’opposition et les citoyens sontappelés à rendre compte à l’Etat. Evoluons-nousdans une culture politique – puisque nous avonsévoqué la question de la culture – où l’Etat est

lui aussi appelé à rendre des comptes ? Ceci résume toute la question. On ne

peut parler de bonne gouvernance, sans uneclarification des rôles. L’Etat – qu’il soit élude manière démocratique ou non – estencore loin de rendre des comptes des résul-tats de ses actes aux citoyens. On oublie qu’ilest là pour servir.

Je pense que, pour donner l’exemple etêtre irréprochables, lesONG doivent travaillerdans la transparence,assurer une bonne gou-vernance et respecterl’alternance à travers desélections libres etdémocratiques, ainsiqu’une gestion transpar-ente.

Tout ceci relèved’une dimension purement théorique, car au vude la réalité, certaines ONG ne peuvent avoiraccès qu’occasionnellement au financement del’Etat, tandis que d’autres bénéficient de donset de financements, sans subir de contrôles.

Je pense – comme il a été dit par lesautres intervenants – qu’il y a des conditionsqui doivent être réunies et pour lesquellesnotre pays est tout à fait préparé, à savoir l’in-stauration des conditions du contrôle démoc-ratique et le respect de l’action libre desONG, qui peuvent favoriser cette sociétécivile et lui octroyer les moyens de jouer sonrôle pleinement, dans les conditions jadisévoquées, à savoir la transparence, la bonnegouvernance et le respect des engagements,loin de tout esprit partisan.

«Autonomie n’est pas

synonyme d’opposition

et encore moins de neu-

tralité ou d’apolitisme»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 9

J’interviens dans cette table ronde enme basant sur une expérience vécuelors de la deuxième phase du Sommetmondial de la société de l’information(SMSI), où j’ai exercé au sein du

Secrétariat exécutif, chargé des relations avecla société civile internationale. J’étais un fonc-tionnaire international dans un organismeinternational, œuvrant pour l’organisationd’un sommet mondial.

Je porte – comme tout citoyen – mes con-victions politiques, que j’assume pleinement.Je suis membre du Rassemblement constitu-tionnel démocratique (RCD) depuis l’avène-ment du 7 novembre 1987. J’étais étudiantmilitant et aussi fondateur de la première sec-tion de la Ligue tunisienne des droits del’homme (LTDH).

A ce stade du débat, à la fois riche etintéressant, j’aime intervenir au niveau séman-tique et conceptuel, et plutôt dans un esprit dedébat interactif et nullement de polémique, etdire, en premier, que la société civile est unenotion très complexe, qui supporte – tel que l’aavancé M. Taieb Baccouche – plus d’une déf-inition, à savoir selon le contexte politique,historique et culturel, selon l’appartenance etaussi l’évolution de cette notion, car il y a euévolution. Aussi, selon les écoles, au senslarge du terme, c’est-à-dire que l’approcheaméricaine et anglo-saxonne est différente decelle européenne et plus exactement française,sans oublier le système institutionnel desNations Unies (NU), plus précisément l’article71 de la Charte. Il y a aussi le statut consul-tatif, octroyé aux ONG, indépendamment dessensibilités politiques. Cette précision estd’une grande importance, car par rapport ausystème des NU, nul ne peut s’adonner à unesurenchère ou à une quelconque sélection. Ilest naturel de reconnaître que les associationsqui ont ce statut le méritent certainement, tan-dis que d’autres ont préféré librement le mili-tantisme, au gré de leurs cultures. J’appelleplutôt à dépassionner le débat et à relativiser,comme l’a bien fait Mme Riadh Zgal.

Relativiser, dépassionner et recentrer, d’oùla nécessité de repenser ce concept. On doitplutôt parler de sociétés civiles, ainsi au pluriel.Aanalyser le mot ONG, le «N» doit nous inter-peller et appeler à une nuance. ONG ne veutpas dire nécessairement «anti-gouvernemen-tale». Ne pas être «anti-gouvernementale» neveut pas dire non plus être inféodé au pouvoir.Réduire ce sens à ce niveau équivaut à insulterdes compétences, et surtout dresser des bar-rières et adopter une ségrégation sur fond declivages politiques et idéologiques.

Une association peut très bien êtrealignée sur une poli-tique ou logique d’unparti, qu’il soit au pou-voir ou dans l’opposi-tion, et mériter le statutd’ONG. Ceci dépendessentiellement du dis-cours, du comporte-ment, des attitudes, desréflexes, ainsi que de ladynamique de fonc-tionnement de cette association. Si ladynamique et le processus de prise de posi-tion émanent bien de la potentialité de cetteONG, ceci sera la preuve de son fonction-nement transparent et démocratique.

A la suite du constat de ces conditions, onpourrait dire que cette association défend leschoix politiques d’un tel parti ou d’une telleidéologie. Ne prendre en compte que le posi-tionnement politique – au premier degré –équivaut à condamner les quatre cinquièmesdes ONG africaines. Ce clivage politique etidéologique est appelé à être dépassé.

Je joins complètement le souci de démoc-ratie et du bon fonctionnement interne, detransparence et d’autonomie, et non d’agen-das qui sont dictés par des partis politiques. Jesuis heureux de voir Mme Riadh Zgaldévelopper une question cruciale, celle del’Etat, surtout que les débats concernant lasociété civile ont souvent négligé cettedimension. Car, il ne peut y avoir de société

civile sans un Etat démocratique.Je conclus par la notion de partenariat au

sein de la société civile. Le dernier SMSI adéfendu une approche multipartenaire, qui vaplus loin et au-delà du partenariat classique. Asavoir engager les gouvernements, les institu-tions internationales spécialisées qui représen-

tent bien l’évolution del’intelligence humaine,le secteur privé, ainsique la société civile.

Il est vraimenttemps de dépasser ladualité classique. Je citebien une phrase du poli-tologue allemand RalfDahrendorf, qui consid-ère qu’il faut bien six

mois pour organiser des élections, dix ans pourinstaller une économie de marché, tandis qu’ilfaut toute une génération pour créer une sociétécivile. Ce constat joint la dimension culturelleet d’apprentissage.

Cette culture démocratique inclut aussibien la responsabilité de l’Etat que celle de lasociété civile même, et conduit à instaurer undébat concernant la légitimité de la sociétécivile et sa transparence. Ceci n’est guère undiscours de gauche, qui chercherait à culpa-biliser la société civile, mais plutôt un souci debonne gouvernance, sans quoi on ne peut parlerde transparence ou d’exigence démocratique.

A ce stade du concept, il faut beaucoupplus de modestie et surtout relativiser, et pren-dre ces notions dans leurs contextes, dans unrespect total de la donnée essentielle, à savoirl’initiative citoyenne. Il faut également établirdes plans nationaux de partenariat durable etrenforcé entre l’ensemble des composantes dela société civile et les pouvoirs publics.

Moncef Achour

Pas de société civile sans Etat démocratique

«Une organisation non

gouvernementale (ONG)

n’est pas nécessairement

anti-gouvernementale»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 10

Merci beaucoup à DEFIMédias qui m’a donnél’occasion de participerà cette table ronde. C’estun honneur pour moi de

participer en tant que sociologue allemand,tout en soulignant que je ne dispose mal-heureusement pas des mêmes compé-tences que Ralf Dahrendorf que vousvenez de mentionner.

Je vais me référer brièvement à la défini-tion de la société civile, et essayer d’aborderles conditions de développement ainsi que lespoints de faiblesse, sans oublier la relationentre l’Etat et la sociétécivile. Je ne peux préten-dre connaître la sociétécivile tunisienne mieuxque ceux ici présents et jevais me référer à quelquesexpériences européennes.

La notion de«société civile» est sou-vent employée sans pourautant que nous soyonstous du même avis concernant le sens et ladéfinition. Il me semble qu’il serait utile devoir d’abord quels sont les champs dedémarcation de la société civile. Toutd’abord, elle se démarque de l’Etat, de sabureaucratie et de sa hiérarchie. Par la suite,elle se démarque de l’entreprise, car ellen’adopte guère une vision mercantile, etfinalement elle se démarque aussi de lasphère privée de l’individu proprement dit.

En termes positifs, quel est ledénominateur commun ? L’auto-organisa-tion de la société, en mettant l’accent sur l’au-tonomie du citoyen au-delà des frontières desrelations sociales traditionnelles; l’action col-

lective dans l’espace public; et troisièmementl’orientation vers le bien commun, et non passur les intérêts particuliers.

Si on revient à l’histoire, on remarque qu’ily a deux époques distinctes où le concept de lasociété civile s’est particulièrement développé.D’abord, au XVIIIe siècle, quand lesphilosophes des Lumières tels queMontesquieu, Rousseau et Kant ont développél’idée de la société civile comme un projetd’une société libre, opposée à l’Etat autoritaire.

La deuxième grande conjoncture s’estinscrite vers la fin du 20e siècle, en Europe del’Est et en Amérique latine, encore une foiscomme une forme de contestation face à unsystème politique autoritaire. Dans ce con-texte, le concept de la société civile s’est

donc développée commeun projet de société basésur la libre associationdes citoyens, les libertésfondamentales, à savoirla liberté d’association etla liberté de réunion.

Au-delà de ces con-ditions formelles,d’autres conditions sontnécessaires pour le

développement d’une société civileautonome : l’Etat ne doit pas instrumen-taliser les composantes de la société civilepour ne pas entraver leur autonomie et lespriver de leur «goût particulier».

Souvent, les actions de la société civileétablie – en Europe, les syndicats et lesassociations de bienfaisance classiques enfont souvent partie – sont fortement orien-tées vers l’Etat, qui tient le rôle d’inter-locuteur ou même de commanditaire.Dans ce cas, on ne peut parler d’une quel-conque démarcation entre les affaires de lasociété civile et celles de l’Etat et il est àse demander si on peut alors toujours par-

ler de société civile.Cela ne veut pas dire que le rôle de

ces organisations au sein de la sociétén’est pas important. La représentation destravailleurs constitue une mission trèshonorable, et ce n’est pas par hasard quel’UGTT est notre plus important parte-naire en Tunisie. Ainsi, en Allemagne,Caritas – une association caritative liée àl’Eglise Catholique – est, avec plus d’undemi-million d’employés, le deuxièmeemployeur après l’Etat, bien devant lesgrandes multinationales du pays. C’estdonc un important prestataire de servicessociaux. Mais les principes de la partici-pation, de l’auto-organisation, de la créa-tivité et de l’innovation sont souventrelégués au second plan. Ainsi, la sociétécivile perd son caractère de ferment pourpermettre à la société d’évoluer.

Ceci explique – peut-être – le manqued’enthousiasme des jeunes pour ce genred’organisations traditionnelles. Ilspréfèrent les organisations à l’imaged’Attac et les forums sociaux, qui sontplus ouverts et où prime la spontanéité,sans pour autant pouvoir assurer néces-sairement une plus grande efficacité.

Mais, à la longue, il ne suffit pas queles possibilités de participation, la créativ-ité et l’innovation existent seulement ausein de la société civile, pourvu que lachose ne mène pas à l’isolement. On nepeut s’imaginer le développement de lasociété civile sans un développement detoutes les composantes de la société, sansune participation des employés à la vie del’entreprise, sans une ouverture de l’Etat àun dialogue ouvert avec les citoyens, sansune ouverture de la scène politique auxnouvelles tendances, et sans une vraie etréelle articulation avec les autres com-posantes de la société.

Lothar Witte

La société civile se démarquede l’Etat, de l’entreprise et de l’individu

«On ne peut s’imaginer

le développement de la

société civile sans un

développement de

toutes les composantes

de la société»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 11

Je suis très heureuse de participer àcette table ronde, et aussi de voirimpliquée notre jeune associationdans cet intéressant débat. LeCentre des jeunes dirigeants

(CJD) a été créé en 1998 par M. HédiJilani, Président de l’UTICA.Néanmoins, nous n’assumons guère unrôle syndical, mais plutôt un laboratoired’innovation. Notre mission principaleconsiste à assurer à l’entreprise et, parconséquent, à l’économie une pérennitéet une performance durable.

Nous œuvrons dans le but de fairesortir le jeune chef d’entreprise de sonisolement, face à ses problèmes et sonentreprise. Le CJD se veut un centreconvivial, de partage d’expériences,d’apprentissage continu et d’enrichisse-ment mutuel.

Nous basons notre association et notreaction sur un ensemble de valeurs quepartagent tous les membres. Le jeune chefd’entreprise suit une formation appelée«start» avant de rejoindre nos rangs, quilui permet d’adopter nos valeurs, à savoirl’engagement, l’esprit d’éthique, dupartage et du progrès.

Nous œuvrons afin à constituer unmouvement influent et reconnu àl’échelle nationale, et participer active-ment aux débats socioéconomiques.Nous pouvons dire qu’en dix ans de par-cours, nous nous sommes frayé unepetite place assez modeste. Je voudraisparler, entre autres, de notre participationen 2007 au débat concernant la loi detransmission d’entreprises familiales,sachant que plus de 70% des entreprisesrelèvent de cette catégorie, avec une fis-calité qui était non propice. Suite à notreintervention et un débat riche, une loi aété promulguée, permettant le passage de

la possession d’une génération à uneautre sans payer d’impôt.

Nous avons soulevé aussi depuis 2007un débat au sujet des marchés publics, àsavoir qu’en Tunisie, les jeunes entrepre-neurs profitent d’encouragements et d’a-vantages multiples, sans pouvoir accéderaux marchés publics, qui sont pourvoyeursde richesses. La condition de cinq ansd’expérience manque aux jeunes entrepre-neurs qui, paradoxalement, ne peuventacquérir cette expérience, s’ils restentexclus des marchés publics.

J’aime bien signaler que nous avonstrouvé un très grand répondant au niveaudu Premier ministère, et que nous par-ticipons à des réunions, et nous sommesheureux de constaterque la loi sur l’initia-tive économiqueaccorde à cette notionqui existe aux Etats-Unis, le «SmallBusiness act», qui con-sacre une proportion de20% des marchéspublics aux jeunes.

La loi sur l’initia-tive privée, qui a été promulguée en jan-vier 2008, a repris cette idée, et consacreune proportion des marchés publics auxPME. Nous optons, au sein de notreassociation, pour la critique construc-tive, sans langue de bois, avec desrecommandations et des suggestions.

Concernant la gouvernance, nous con-sidérons que la société civile joue ungrand rôle et assume une grande respons-abilité. La bonne gouvernance concerneaussi le secteur privé. Faut-il se demandersi le secteur privé est favorable à la bonnegouvernance ?

Nous sommes, au sein du CJD, en

train de réfléchir sur un code pour uneentreprise plus éthique», que nousexpérimenterons dans nos entreprises,afin de savoir si les jeunes dirigeants sesoumettent à des règles strictesd’éthique ? Nous avons aussi entamédepuis quelques mois une étude concer-nant la qualité de l’environnement insti-tutionnel et du climat d’affaires enTunisie.

Nous projetons de mener uneenquête au niveau national, car notreassociation est présente dans 9 gouver-

norats et nous avonsl’ambition de couvrirl’ensemble du terri-toire national, afin desavoir si le jeune entre-preneur disposepartout en Tunisie desmêmes chances deréussite.

Nous voulonssavoir si la décentrali-

sation est bien fictive sur le terrain, etétablir sur la base de cette enquête undiagnostic profond de l’environnementdes PME, comprendre les éventuellessources d’étranglement et des inégalitésde prestation. Sur cette base, nous pen-sons détecter les leviers d’action et pro-poser un plan d’action.

L’administration est très favorable àce projet que nous projetons de mener encollaboration avec elle, car nous voulonsécouter les jeunes et l’administrationaussi, et établir de la sorte un compte-rendu par région.

Monia Jguirim

La bonne gouvernance concerne aussi le secteur privé

«Nous sommes, au

sein du CJD, en train

de réfléchir sur un

code pour une entreprise

plus éthique»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 12

L’Association Femmes etSciences, a émané d’unerecommandation d’un con-grès international organisé àTunis en 1997 sous l’égide

de l’UNESCO, par le ministère de laFemme, en collaboration avec la Facultédes Sciences de Tunis.

Ce congrès a été le premier d’unesérie qui a abouti à la Conférence mondi-ale sur les sciences, tenue à Budapest en1999. Le comité d’organisation et lecomité scientifique comprenaient desfemmes de la faculté des sciences deTunis. Nous avons voulu mettre cetterecommandation en application etl’Association a vu le jour et obtenu sonvisa le 28 décembre 1998.

Nous sommes parties du constatque le développement durable et lacroissance économique sont condition-nés par le progrès scientifique et tech-nologique, qui vient en nécessité à lavie quotidienne des femmes, deshommes et des enfants.

Je résume nos objectifs en deuxaxes, les femmes en sciences et aussiles sciences pour les femmes, à savoirvulgariser les connaissances pour lasociété entière, et essentiellement lesfemmes, car elles prennent une largeresponsabilité dans l’éducation desenfants.

Nous avons constaté que toutes lesétudes internationales ont montré quecertaines filières restent l’apanage deshommes. Nous avons voulu remédier àce déséquilibre et informer les jeunesconcernant ces filières et leur dire que la

réussite est possible à l’instar de MmeZohra Lakhdar, Prix L’Oréal/Unesco‘‘Femmes et Sciences’’, dans la catégoriedes sciences physiques.

Nous voulons être actives au niveaudes femmes qui s’engagent dans larecherche. Nous avons pu constater, surla base de statistiques et comparaisons,que la carrière scientifique de la femmedans la recherche –dans tous les pays –s’arrête à l’obtentiondu dernier diplôme, enraison de leurs troisrôles, à savoir, famil-ial, social et profes-sionnel. Il faut sensi-biliser ces femmes, lespousser dans la per-sévérance et les aiderà résoudre leurs problèmes.

Notre approche ne se limite pas auxonze femmes du Bureau et aux centadhérents, y compris des hommes, maisadmet une vision participative, à traversles questionnaires et les enquêtes, touch-er toutes les femmes actives dans lesdomaines scientifiques.

Nous œuvrons actuellement dansles secteurs des sciences dites«dures», et nous portons l’ambitiond’élargir notre champ d’action auxsciences humaines. Nous organisonsdes cercles de discussions avec et sansthèmes afin de comprendre lesfemmes, les sensibiliser et les pousserà être plus actives.

Nous pensons que la bonne gou-vernance ne consiste pas seulement à

opérer un diagnostic et rester ensuiteinactif. Il faut essayer aussi de porterces résultats et constats par tous lesmoyens et à travers tous les supports,afin que les recommandationsarrivent aux décideurs.

A titre d’exemple, nous avons remarquéque la majorité des femmes dans les secteursscientifiques se trouvent en biologie et en

médecine, sans que cetteproportion ne soitreprésentée au niveau desjurys, où nous avons con-staté une dominance mas-culine. Nous avons portéce constat auprès du min-istère de l’Enseignementsupérieur et de laRecherche scientifique, etaussi auprès de celui de la

Femme, qui ont été à l’écoute de notredoléance.

Nous bénéficions de beaucoup d’en-couragements, et trouvons de l’écoute, etsurtout on nous prend au sérieux.

Nous avons déjà organisé trois rencon-tres annuelles, que nous avons intitulées«les assises scientifiques de Femmes etSciences», où de jeunes doctorantes vien-nent exposer les résultats de leursrecherches et nous accordons des prix auxmeilleures présentations et aux meilleuresproblématiques.

On a pris la première édition commethème «les recherches prioritaires»,ensuite «la biodiversité et l’environ-nement», et nous invitons des observateursinternationaux qui viennent assister pourconstater la qualité de nos recherches.

Oum Kalthoum Benhassine

Promouvoir les femmes en sciences

«Nous oeuvrons pour

que la carrière scienti-

fique de la femme

chercheur ne s’arrête

pas à l’obtention du

dernier diplôme»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 13

Je suis ravie de voir M. MoncefAchour insister sur la nécessité dedépasser le manichéisme dans lamanière et le regard portés sur lasociété civile et les associations. Je

pense que le débat – dans notre société –devrait plutôt s’orienter davantage vers lepartenariat, évoqué par Mme Bochra BelhajHamida.

Si notre société veut se développer, ellea intérêt à développer des synergies entreses différentes structures, elle a intérêt aussià ce que se développent des institutions deproximité adhérant à la société, et qui expri-ment des problématiques vécues tout encontribuant à leur traitement.

Je pense que les témoignages qu’ontapportés Mesdames Bochra BelhajHamida, Monia Jguirim et Oum KalthoumBenhassine révèlent que, dans notresociété, des associations ont saisi desopportunités afin d’agirsur la prise de décisionpolitique.

Je me rappelle quel’ATFD a toujours attirél’attention de la sociétésur la violence à l’égarddes femmes. Cette thé-matique a été repriseaujourd’hui par plusieursinstances et fait l’objet deprogrammes d’action à la fois politiques etassociatifs. Aujourd’hui, Mme BochraBelhaj Hamida affirme que cette associationse penche sur la violence que subissent lesenfants. C’est un dossier qui est ouvert et quimobilisera certainement d’autres acteurs.

Mme Monia Jguirim a aussi montré

combien l’effort de l’association contribueà attirer l’attention du gouvernement sur lesproblématiques de l’entreprise qu’il faudratraiter. Elle a aussi confirmé l’existenced’une écoute de la part des autorités. MmeOum Kalthoum Benhassine a exposé l’ac-tion menée par son association, et égale-ment ses efforts visant à favoriser des déci-sions politiques concernant les questionsrelatives au domaine femmes et sciences.Ces exemples venant parmi d’autres quel’on peut observer, la société ne peut quebénéficier de ce genre de complémentaritéet synergie.

Si on arrête de trop focaliser sur ladimension politique, au sens restrictif duterme, on pourra identifier un certain nom-bre d’espaces d’action et de marges de lib-erté. Je veux à ce propos évoquer ce qui sefait en matière de partenariat entre dif-férents ministères d’une part et la société

civile, d’autre part. Eneffet, il y a plusieursministères qui comptentsur des associationsdans la réalisation desprojets de développe-ment. Je cite – à titred’exemple – le partenar-iat qui existe entre leministère des Affairesde la Femme, de

l’Enfance et des Personnes âgées, et cer-taines associations qui jouent un grand rôlepour amener les femmes à développer desactivités économiques et par conséquent,engendrer de la richesse. Un autre exempleest celui de la Banque tunisienne de soli-darité (BTS) qui gère les crédits accordés

aux porteurs de projets d’entreprise enpartenariat avec des associations dedéveloppement non gouvernementales.

Il faudrait aussi à ce niveau, prendre enconsidération un autre volet : les organisa-tions de la société civile peuvent jouer lerôle de levier pour la production de larichesse, aussi bien d’une manière directequ’indirecte.

Qu’une association œuvre dans le sou-tien ou l’accompagnement de jeunes entre-preneurs, qu’il y ait des associations quicréent chez les femmes des envies de par-ticipation à la vie publique ou de prendrepart à l’activité économique et sortir ducadre informel de la production, prouvebien que la société civile joue un rôleéconomique indirect.

Je pense aussi que les associationsjouent un rôle de socialisation d’une grandeimportance du fait qu’elles participent àdévelopper des modes de comportement etdes attitudes nouvelles. Les associationsconstituent aussi un lieu de débat et de con-frontation de points de vue différents.L’esprit démocratique n’est-il pas cettecapacité d’écouter, de découvrir la dif-férence et de la reconnaître ?

Les associations constituent de ce faitun lieu d’exercice et d’entraînement pour ladémocratie, le respect de l’autre, d’appren-tissage de la négociation, essentiellementpour les jeunes, qui sont – à l’école oumême à l’université – soumis à une logiquedirigiste et souvent autoritaire.

Comment voulons-nous que nos jeunesadoptent des comportements démocratiquesou soient disposés à prendre des initiativess’ils ne participent pas à une vie associative ?

Hors du politique, il y a desespaces d’action et de liberté

Riadh Zghal

«Plusieurs ministères

comptent sur des asso-

ciations dans la

réalisation des projets

de développement»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 14

Je suis en fait d’accord avecMme Zghal, car j’ai faitréférence à la culture religieusedominante dans le Monde arabe,et non à la culture religieuse

d’une manière absolue. Je vise la cul-ture religieuse dominante, salafisteessentiellement, qui freine ledéveloppement de la société civile.

Afin de progresser dans notre débat,je peux dire que je ne suis pas pour l’op-position entre la société civile et l’Etat,

car on ne peut les opposer en principe. Sion se réfère à l’expérience de l’Institutarabe des droits de l’Homme (IADH),qui a été pratiquement la première ONGdans le Monde arabe à développer cettestratégie et à œuvrer pour le renforce-ment des capacités des ONG en partic-ulier, on remarque bien un sens de parte-nariat double : un partenariat horizontalentre les composantes de la sociétécivile, et un autre vertical avec les gou-vernements.

Lorsque l’IADH organise des sessionsde formation ou conférences, il associerégulièrement aussi bien les représentantsde la société civile que des gouvernements,

dans le but de les habituer à discuter et àdialoguer ensemble. Cette tradition n’exis-tait pas, ce qui explique la persistance desmalentendus et des conflits qui nefavorisent pas le dialogue et le partenariat.

Les pouvoirs accusent certaines ONG,essentiellement celles qui s’activent dans ledomaine des droits de l’Homme, d’être à lasolde de l’étranger, ou de s’adonner à la politiquepoliticienne sous couvert de syndicalisme oude droits de l’Homme. Ces critiques ne sontpas toujours infondées. A l’opposé, certainesONG accusent les pouvoirs de chercher àfreiner la société civile. Nous devonsreconna î t r e auss i l ’ ex i s t ence decet te tendance despot ique.

Les ONG doivent tenir une comptabilité claire et transparente

J’ai évoqué dans ma première interven-tion la dimension personnelle de l’engage-ment dans une association et les comporte-ments opportunistes qui sont par ailleurs biennaturels. Je ne porte pas de jugement devaleur sur cela. Mais, d’un autre côté, je con-sidère que, quels que soient les motifs de l’en-gagement dans une association, on a besoind’un vivier qui génère des «leaders» aussibien dans le domaine politique qu’ailleurs.Les associations jouent et doivent bien jouerce rôle de vivier pour le bien de la société.

Pour ce faire, il faudrait que les premiersresponsables des associations ne s’enraci-nent pas dans leurs fonctions et que le travailse fasse d’une manière collective, et nonpour un projet émanant d’une seule et mêmepersonne, visant à réduire les autres mem-bres au rôle de simples exécutants.

Il y a dans le travail associatif unedimension d’altérité, de reconnaissance del’autre et du travail pour l’autre. Nousavons un besoin pressant de cette dimen-sion, essentiellement pour nos jeunes, afinde renforcer chez eux un sentiment d’ap-partenance. Cette dimension a une impor-tance stratégique à cette époque où desEtats éclatent en micro-Etats, par le fait demouvements à la recherche d’une apparte-nance politico-sociale. Aussi l’Etat abstraitqui caractérisait les vieilles démocraties estsecoué par une crise de citoyenneté. Ladynamique de la société civile, fournitjustement aux individus des argumentspour s’identifier à quelque chose.

Je ne suis pas du tout d’accord avec M.Taieb Baccouche qui a affirmé que la culturereligieuse affaiblit la société civile. Si on se

réfère à l’époque coloniale, on verra bien quela religion est ce qui a soudé la population.Elle a été le support de l’identité nationale.Elle a permis à la société de s’exprimer puis dese mobiliser pour se libérer du joug colonial.

Il se trouve aujourd’hui que la religiona été orientée vers des mouvements quin’œuvrent pas pour l’intérêt de la société nipour son développement, mais dans le butde diffuser une certaine interprétation de lareligion, qui est étrangère pour beaucoupd’entre nous dans ce pays.

Je serais par contre tout à fait d’accordavec M. Baccouche dans le cas où la cul-ture de la religion se réduit à un modèlesimplifié et unique, élimine tout esprit cri-tique, et tue par conséquent toute expres-sion de la société civile et des contradic-tions qui la traversent.

Taieb Baccouche

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Nous essayons donc de les mettre autourde la même table, afin de dépasser ces diver-gences et ces malentendus, afin que toutesles parties soient convaincues que seule lacomplémentarité permet de concrétiser lesprojets et former les desseins.

Il faut d’abord accepter de dialoguer sur labase du respect mutuel des différences et parla suite s’entendre sur un dénominateur com-mun pour avancer. C’est ainsi que l’IADH areçu des demandes des ministères del’Intérieur du Qatar et de Bahreïn, par exem-ple, pour former leurs cadres, essentiellementles officiers de police.

Nous assurons aussi des sessionspour les magistrats en partenariat avecles ministères de laJustice. Ceci faitpartie de nos choixstratégiques.

Je pense qu’il y aprogrès en la matière : ladernière réunion à Tunisconcernant l’élaborationdes plans nationaux desdroits de l’Homme a vula participation de sixministères nationaux, enplus des ONG. De ces rencontres émanent desrecommandations communes, qui seront misesen pratique par la suite sur le terrain.

Concernant la manière de consolider lessociétés civiles dans le Monde arabe, jereviens à la dimension culturelle car il estimportant de développer la culture démocra-tique et celle des droits de l’Homme, qui con-stituent les outils nécessaires à toute action dece genre. Ceci n’a rien de théorique. Nous

constatons en effet une insuffisance auniveau des connaissances nécessaires au pro-grès. Il faut noter que le simple fait de dia-loguer instaure un début d’acceptation del’autre et de respect pour son point de vue.

Personne ne vient au monde démocrateou porteur de la culture démocratique oucelle des droits de l’Homme. C’est seule-ment à travers l’acquisition et la pratique quese consolide et s’enracine cette culture… Ilest évident que l’environnement politique,religieux ou autre, joue un rôle crucial dansle développement de cette culture.

La société civile se consolide en per-mettant aux membres et adhérents desassociations de maîtriser les techniques

des enquêtes sur leterrain, non seule-ment à caractèresocial, mais ausside constat des casde violences sur lesfemmes par exem-ple, de torture, etc.La manière demener une enquêteobjective consolidela société civile,

ainsi que la manière d’élaborer unestratégie, qui reste absente des plans dela plupart des ONG, aussi bien à courtterme que sur de longues périodes.

Concernant le financement des asso-ciations, nous devons faire la part entrele Sud et le Nord. Au nord, les gouverne-ments financent même les ONG qui sontcritiques à leur égard, parce que ces gou-vernements possèdent une tradition

démocratique et observent un respect dela société civile, car ils sont connaisseursdu rôle des ONG et de leur utilité.

Dans les pays du Sud, y comprisdans les pays arabes, les pouvoirs poli-tiques observent un comportement dif-féent. La part du financement arabe del’IADH, par exemple, qui a 19 ansd’existence, n’a jamais dépassé le seuilde 5%, l’essentiel du financementprovient de sources occidentales, enl’occurrence l’UE, ou même de certainsgouvernements, par le biais de l’ONU.

Ce comportement et ce genre d’action,ne font pas partie de la culture dominantedans les pays arabes, où on ne comprendguère que la consolidation de la sociétécivile est bénéfique pour toutes les parties,y compris les pouvoirs.

Nous devons reconnaître que l’ap-proche de la problématique dufinancement se fait parfois sous unangle assez négatif, essentiellement àcause des abus observés, y compris dela part de certaines ONG, essentielle-ment au niveau de la transparence, quidoit être méticuleusement observée,par l’intermédiaire d’audits, de rap-ports financiers qui doivent toujoursaccompagner les rapports d’activité.Les ONG doivent être formées àrecourir aux audits et tenir une compt-abilité claire et transparente.

A l’IADH, on pose deux conditionsessentielles à l’acceptation du financement :il ne doit nullement être conditionné, qu’ilvise un programme clair et net, et que sa ges-tion soit transparente.

«Les pouvoirs accusent

certaines ONG de s’adonner

à la politique politicienne.

Certaines ONG accusent les

pouvoirs de chercher à

freiner la société civile»

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 16

Ce débat intéressant et remar-quable me pousse à soulignerquelques éléments qui, dansnos discussions, semblentacquis, mais dont on n’est pas

tout à fait conscients ou attentifs, quoiquel’idée consensualiste s’est dégagée et doitrégner dans le fonctionnement de la sociétécivile, au sens intrinsèque et dans ses rela-tions avec ses partenaires, tant officielsnationaux qu’internationaux.

Pour revenir aux propos de Mme BochraBelhaj Hamida, concernant l’intermédiaritésoulevée dans les aspects de mon propos et celuide M. Taieb Baccouche, je la vois – me concer-nant, au moins – englobant le partenariat.

L’intermédiarité se considère entre l’in-dividu, qui est l’élément de base de la struc-ture sociale et le titulaire constitutionnel dela souveraineté. Ce citoyen ne peut agir ouinfléchir à lui seul. Il doit à cet effet s’or-ganiser dans un espace autre que celui offi-ciel, à savoir la société civile.

Cela me permet de souligner, en ter-mes de constat et nullement de critique,un glissement ou une facilité sémantiquedans nos propos, à savoir que nous avonssignifié par société civile des signifiantsparfois non identiques, à savoir opinionpublique ou espace public, ou ce que cer-tains auteurs distinguent entre sociétécivile et société civique.

L’aspect de la société civique se dis-tingue à travers l’activité de chaque citoyenen tant que citoyen dans le fonctionnementpolitique de sa société, à savoir son inscrip-tion dans une liste électorale, participer àune campagne électorale ou le vote même.

Pour revenir aux aspects concrets, jeme demande et je vous associe, concernantla faiblesse constatée de la société civiledans le Monde arabe. Je me suis intéresséà cet effet, à un aspect, à savoir cephénomène qui, par certains côtés, trouveses causes dans l’étroitesse juridique deslibertés et de la culture de la société civiledans le Monde arabe. Mais, puisque cephénomène est assez constant, il expliqueaussi ce maintien dans cet état de faib-lesse, ce que certains auteurs appellent lasociété civile mondiale, représentée parl’émergence d’un espace civil mondial quin’est nullement une addition des espacescivils nationaux, mais plutôt un espacetransnational, et dans lequel, beaucoupd’activistes, de militants et d’associationsoriginaires de ces régions où la libertén’est pas requise, ou par crainte de cer-taines répressions, préfèrent agir au niveaude cet espace transnational.

Un des moments de cette société civiletransnationale a été le Sommet du G8 deGênes, qui a connu une mobilisation d’as-sociations de profils différents, de diversesorigines et d’identités multiples, mais quise sont organisées, non pas pour faire faceaux institutions d’un Etat, mais ce quireprésenterait le pouvoir à l’échelle interna-tional, tantôt le G8, tantôt le Forum deDavos, pris comme étant les réceptacles desdécideurs à l’échelle mondiale.

La participation de beaucoup d’associ-ations arabes dans cette société civile mon-diale est significative. Internet est lecyberespace qui recueille les réfugiés dessociétés civiles nationales non virtuelles,

parce qu’ils ne disposent guère d’une lib-erté totale.

Ce nouvel espace doit bien nous inter-peller, car il peut ne pas perturber le fonction-nement des sociétés occidentales, bien struc-turées, mais la question reste posée et mêmecruciale dans l’espace arabe, à savoir si unepartie de l’énergie qui aurait aidé à l’évolutionde la société civile dans sa cristallisation n’estpas en train d’alimenter cette société de super-position ou même parallèle.

Quand on parle de financement et delimite des droits, on a l’impression de voirles composantes de la société civile en étatde réclamation uniquement par rapport auxinstitutions publiques, ce qui est légitime.Néanmoins, nous devons dire que lacitoyenneté qui doit être l’élément essentielde leurs réactions, revendique et exige aussiune responsabilité.

Je revois, à cet effet, le débat qui a eulieu suite à la signature du Pacte National,où on a mis en place un certain nombre devaleurs qu’on croit communes à toute lasociété tunisienne. Ces choix qui ont étémis en place par l’Etat tunisien indépen-dant appartiennent désormais à toutes lescomposantes publiques et privées, institu-tionnelles ou civiles, qui doivent protégeret sauvegarder ce modèle social, parceque, certaines composantes de la sociétécivile ne sont pas toujours en faveur de cePacte, car il existe – comme il a été dit –des mouvements qui, à la première priseou participation aux décisions publiques,ne laisseraient pas les libertés – aussiréduites qu’elles sont – en leur état. Il y amatière à vigilance.

Le cyberespace recueille lesréfugiés des sociétés civilesarabes

Ghazi Graïri

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On ne peut concevoir unexercice démocratiquesans une pratique quoti-dienne de la démocratie,aussi le terme «culture»

ne peut se réduire à l’apprentissagescolaire ou théorique ou la formationdispensée par l’IADH, dont je partagetout à fait la démarche. Mais l’ap-prentissage ne peut se faire sans unexercice quotidien et réel de ladémocratie.

Il est vrai aussi que la tentationpeut exister, celle de ne pas avoirrecours aux élections ou d’outrepass-er la direction collégiale, mais il y atoujours des mécanismes et desgardes-fous, des structures et desrègles, qui vous imposent l’exercicede la démocratie.

Concernant la notion de partenariat,je partage pleinement ce qui a été dit, etj’ajoute que l’ATFD – depuis sa créa-tion – a cru au partenariat, et pourpreuve, elle n’a jamais refusé l’offred’aucune institution publique. On a étémembre du Comité du CREDIF, mem-bre au conseil «Femme et famille». Lepartenariat constitue pour l’ATFD unchoix stratégique.

La situation, les lois et le statut de lafemme ne peuvent changer, aussi nous nepouvons mettre fin à la violence exercée àl’égard de la femme, sans un partenariatavec l’Etat. Le problème réside plutôtdans la manière de l’Etat de concevoir lepartenariat, à savoir que nous devonsnous aligner sur ses positions.

Actuellement, nous menons uneexpérience importante en tant quemembre du «Plan national de luttenationale contre la violence», sachantque quelques années auparavant ausein du Conseil «Femme et famille»,certaines voix réfutaient avec insis-tance l’existence du phénomènemême. Nous voyons l’engagement del’Etat et le fait de nous faire participercomme une avancée et une victoireassez importante.

Le partenariat doit être pris sous l’an-gle de la différence etdu droit à la critique,nous ne pouvonsaccepter ou tolérerqu’une femme –quelleque soit sonopinion politique –subisse une violence.

Le partenariatmulti-acteurs, aussibien le partenariatavec des associationsétrangères, ne poseaucun problème pour moi, le financementaussi tant que tout se fait dans la trans-parence. L’idéal serait d’assurer un auto-financement pour garantir notre indépen-dance même par rapport à l’Etat.

Cette belle expérience d’autofinance-ment a été vécue par la section tunisi-enne d’Amnesty International, qui, à sesdébuts, était l’unique petite sectionparmi toutes les sections d’AI à ne pasêtre financée par le siège. Le problèmedu financement a été résolu grâce à l’or-

ganisation de galas et d’expositions dev-enue malheureusement impossible par lasuite…

Si l’Etat permettait à la sociétécivile autonome d’organiser des galas etautres manifestations pour avoir desressources financières, la problématiquedu financement serait autre. L’Etat, rap-pelons le, ne distribue pas le finance-ment public d’une manière équitableentre les différentes ONG.

Nous ne pouvons pas comprendrepourquoi l’Etat se permet lui-même de

recevoir desfinancements dep a r t e n a i r e sétrangers et nousinterdit à nousassociations cettep r a t i q u e ?Personnellement,en ma qualitéd’ex-prés identede l’ATFD, jedéclare ne sentiraucune culpabilité

à recevoir des financements aussi bien del’Etat tunisien que d’Etats amis, ou de lapart d’ONG amies étrangères tant qu’ilsrespectent notre autonomie et notreindépendance.

Je voudrais ajouter que tous cesfinancements sont accompagnés de con-trôles et d’audits, qui veillent à l’appli-cation méticuleuse du projet préétabli.Il faut casser tous les tabous concernantles questions relatives au financementdes associations.

Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 17

«Il existe des mouvements qui,

à la première participation aux

décisions publiques,

ne laisseraient pas les

libertés en leur état»

Bochra Belhaj Hamida

L’autofinancement garantitmieux l’indépendance

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Rôle de la société civile dans la bonne gouvernance - Supplément gratuit distribué avec “L’Expression” n° 23 18

J’aimerais relativiser tout ce qu’a étédit par Mme Bochra Belhaj Hamida.Je vais relater une expérience que j’aivécue en tant que membre du comitéde pilotage de projets d’ONG,

financés par le PNUD, dans le cadre del’Agenda 21. Un certain nombre de ces pro-jets ont réussi, d’autres pas, même si lavolonté ne manquait guère, seulement il leurmanquait la formation nécessaire.

La bonne volonté et la sincérité, ne peu-vent suffire, car nous devons faire la dif-férence entre les initiateurs des projets, quisont souvent imbibés de culture environ-

nementale, mais – souvent installés dans lacapitale et les grandes villes – délaissent leprojet au profit des bénéficiaires qui vontveiller sur la bonne marche du projet. Si cesbénéficiaires n’ont pas été intégrés par cequ’on appelle l’approche participative, leprojet ne connaîtrait guère la réussite.

N’oublions pas d’évoquer certaines autresfaillites, où l’initiateur voulait tout simplementtransformer le projet en «carte de visite».

Les membres des ONG doivent instau-rer un débat, et se poser la question –comme l’a très bien dit Mme Riadh Zghal.Concernant la démocratie, je me suis rendu

compte de par ma fonction au sein de cecomité de pilotage que, dans certainesassociations, l’activité se limitait réelle-ment à une seule personne, soit elle estautoritaire et accapare tous les pouvoirs,soit les autres sont démissionnaires. Il vade soi que les gens s’arment de savoir et deconnaissances, en plus de la bonne volontéet cet esprit de volontariat

Oum Kalthoum Benhassine

Connaissance, bonne volontéet volontariat sont les maîtres-mots

Concernant le rôle économique,j’aimerais dire que si on regarde lasociété civile comme un laboratoirede la société, pour la créativité, pourla coopération et l’aide mutuelle, on

constate que tous ces éléments sont d’une grandeimportance pour l’économie. Et un pays commela Tunisie, qui compte bâtir son avenir sur uneéconomie de savoir et une société de savoir, a par-ticulièrement besoin d’un tel ferment.

Concernant le rôle politique, je pense

qu’il ne faut pas confondre les différentsgroupes qui existent au sein de la sociétécivile. Il y a les associations professionnellesqui pratiquent le lobbying, dans le but dedéfendre leurs intérêts. Il y a les grandesassociations de bienfaisance qui accomplis-sent un travail très important. Et finale-ment, il y a les associations qui représententla voix des citoyens dans les discussions etles débats et cherchent à agir sur la prisedes décisions politiques. C´est ce dernier

groupe qui, selon moi, correspond le mieuxau concept de la société civile que j’aiessayé de décrire tout à l’heure. Et, detemps à autre, leur contribution à la viepolitique peut être très importante.

Concernant l’Europe, j’aimerais justerappeler qu’il y a trente ans, la classe politiquea négligé la question écologique. C’est grâceaux mouvements des citoyens que cettequestion est aujourd’hui fortement ancréedans l’agenda politique.

Lothar Witte

«En Europe, la société civile ainscrit l’écologie sur l’agenda politique»

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Je pense qu’on a bien démontré, à tra-vers ce riche débat, qu’il y a encore dela place, au-delà du langage de bois etdu langage de vipère, pour un langagede raison dans notre pays. Nous

sommes tous, ici présent, dans cette démarched’apprentissage et d’exercice démocratique,qui consiste à accepter l’autre. Ceci est d’unegrande importance pour la culture de la sociétécivile. Il est important aussi de dépassionner ledébat et l’approche, et d’admettre unedémarche qui ne soit pas trop axée sur le poli-tique. Aucun, ici, n’a évoqué deux conceptstrès chers à la société civile, à savoir volon-tariat et bénévolat, qui constituent le socle del’action civile

Certaines ONG, les grandes essentielle-ment, se professionnalisent, au sens noble duterme, en se dotant de moyens de communi-cation, de sites Internet, de réseaux, deprésence et de discours.

Paradoxalement, la question de la trans-parence a été évoquée par M. Hubert Védrine,

qui a appelé à repenser la société civile, et à cequ’elle rende compte – à l’instar des Etats.Ceci ne peut en aucun cas culpabiliser lesONG, mais plutôt les responsabiliser.

Sur le plan national, nous devonsreconnaître l’existence de défis énormes,à l’instar de la participation des jeunesdans la vie aussi bien publique que poli-tique, et plus largement dans l’espacepublic et celui de la société civile.

L’enquête menée par les NU en collabora-tion avec l’Observatoire national de lajeunesse (ONJ) dévoile des taux de participa-tion de la jeunesse assez inquiétants. Cecimérite une réflexion, étant donné que lajeunesse constitue une part dominante de lapopulation tunisienne, surtout avec les nou-velles mutations, on assiste à une réticencevis-à-vis de l’action politique.

De ce fait, les principales perspectives quipeuvent s’ouvrir devant les jeunes sont lasociété civile et l’espace associatif, à savoirqu’on ne doit nullement «terroriser» cette

frange et la cloisonner dans des choix unique-ment politiques.

On doit reconnaître un certain cumul, àsavoir des expériences et des réalisations. Jepeux à cet effet citer un grand nombre d’asso-ciation dynamiques qui travaillent sur le ter-rain. En Afrique, ces associations de proximitéont accompli un grand travail, avec une excel-lente capacité de communication. Ils n’ontnullement de leçons à recevoir et sont d’unprofessionnalisme – au sens noble – qui n’arien à envier à celui des ONG du Nord.

Il faut relativiser et ne pas focaliser surcertains groupes activistes de la sociétécivile. Lorsque j’entends qu’il y a dix asso-ciations autonomes en Tunisie, je ne peuxque récuser cette approche sélective etréductrice. C’est une aberration étrange à laculture démocratique. Je conclus par unappel à nos partenaires internationaux, pourétablir des liens de partenariat avec larichesse du tissu associatif tunisien etdiversifier leurs actions.

Moncef Achour

A l’instar des Etats, la sociétécivile doit aussi rendre compte

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