TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars...

40
"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 40 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial E. VAN SEVENANT 2 Alliance terre des femmes revit 3 PHOTOS ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT 4 La santé, la diaspora burundaise et la coopération internationale E.-B. RWANTANGO 8 Réhabiliter les politiques publiques d'autosuffisance alimentaire J. M. BAGALWA M. CULTURE ET SOCIÉTÉ 15 Discours à la réception du doctorat Honoris causa V. BISIMWA N. 19 Migration, intégration et développement M.-TH. NDUMBA 22 L'expérience gacaca, forme de pluralisme juridique ? S. GUNUMANA-SH. 31 Fondation Père EVERARD PERSPECTIVE ET POLITIQUE 32 Les frontières du Rwanda, une date tournant : 1910 L. GALLEZ sj 34 La mission de la diaspora ou la magie de l'organisation J.-P. MBELU 36 Thèses de doctorat défendues par des Africains ou concernant l'Afrique (LXX) : Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur (X) 37 Résumé de thèse : L'entreprise familiale et son capital social A. BIRHASHIRWA R. L. À TRAVERS LIVRES ET REVUES 37 M. REMON (sous la direction), ONG et acteurs locaux : l'ultime alternative ? E. VAN SEVENANT 38 Nouvelles familiales 39 PHOTOS Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain" Page 3 de la couverture : mots croisés n° Vincenzo SORETTI "L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana, secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84 E-mail : [email protected] Comité de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ; Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira. Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] France : Anicet Mobe Fansiama RD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa. ABONNEMENTS : 48 ème année : Année académique 2009-2010. abonnement ordinaire : Belgique : 15 Europe : 22 reste du monde : 25 abonnement de soutien : 25 payables au CCP 000-1178819-75 du C.A.C.E.A.C. Asbl, Charleroi (Belgique) ou par mandat postal international (si par chèque bancaire, ajouter les frais). Si payement par virement à partir de l'étranger, utiliser les codes : IBAN BE05 0001 1788 1975 BIC BPOTBEB1 Les articles n'engagent que leurs auteurs. Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

Transcript of TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars...

Page 1: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201040

TABLE DES MATIÈRES"L'Africain" n° 243, février – mars 2010

Page

1 L'éditorial E. VAN SEVENANT2 Alliance terre des femmes revit3 PHOTOS

ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT4 La santé, la diaspora burundaise et la coopération internationale E.-B. RWANTANGO8 Réhabiliter les politiques publiques d'autosuffisance alimentaire J. M. BAGALWA M.

CULTURE ET SOCIÉTÉ15 Discours à la réception du doctorat Honoris causa V. BISIMWA N.19 Migration, intégration et développement M.-TH. NDUMBA22 L'expérience gacaca, forme de pluralisme juridique ? S. GUNUMANA-SH.31 Fondation Père EVERARD

PERSPECTIVE ET POLITIQUE32 Les frontières du Rwanda, une date tournant : 1910 L. GALLEZ sj34 La mission de la diaspora ou la magie de l'organisation J.-P. MBELU36 Thèses de doctorat défendues par des Africains ou concernant l'Afrique (LXX) :

Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur (X)37 Résumé de thèse : L'entreprise familiale et son capital social A. BIRHASHIRWA R. L.

À TRAVERS LIVRES ET REVUES37 M. REMON (sous la direction), ONG et acteurs locaux : l'ultime alternative ?

E. VAN SEVENANT38 Nouvelles familiales39 PHOTOS

Page 2 de la couverture : présentation de "L'Africain"Page 3 de la couverture : mots croisés n° Vincenzo SORETTI

"L'Africain" : éd. responsable : Eddy VAN SEVENANT, dir. du C.A.C.E.A.C. Asbl, Michel Hakizimana,secrétaire de rédaction, rue Léon Bernus 7, 6000 Charleroi, Tél. ++ 32 (0)71 31 31 86. Fax : ++ 32 (0)71 31 31 84E-mail : [email protected]é de rédaction : Antwerpen : G. Muheme Bagalwa ; Bruxelles : Valérien Mudoy, Camille Tedanga Ipota ;Liège : J.C. Mputu ; Louvain-la-Neuve : Sabine Kakunga ; Namur : Tite Kubushishi, Eustache Niyitugabira.

Allemagne : Shungu M. Tundanonga-Dikunda, e-mail : [email protected] : Anicet Mobe FansiamaRD Congo : Jean-Pierre Mbwebwa Kalala et François Budim'bani Yambu, FCK. B.P. 1534, Kinshasa.

ABONNEMENTS : 48ème année : Année académique 2009-2010.abonnement ordinaire : Belgique : 15 €

Europe : 22 €reste du monde : 25 €

abonnement de soutien : 25 €payables au CCP 000-1178819-75 du C.A.C.E.A.C. Asbl, Charleroi (Belgique) ou par mandat postal international(si par chèque bancaire, ajouter les frais). Si payement par virement à partir de l'étranger, utiliser les codes :IBAN BE05 0001 1788 1975 BIC BPOTBEB1

Les articles n'engagent que leurs auteurs.Cette revue est publiée avec le soutien de la DGCD.

Utilisateur
Zone de texte
264
Page 2: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 1

Éditorial

l était impensable dans une revue comme celle-ci, consacrée à l’Afrique, de ne pasévoquer en cette année 2010 le 50e anniversaire des indépendances quasi-simultanées de 17 pays africains en 1960.

Bien entendu, je ne suis pas moi-même africain mais ces événements peuvent aussim’interpeller en tant qu’éditeur responsable de la revue et il se fait de plus que je me trouvaisen 1960 dans l’ex-Congo belge comme coopérant et que donc, j’ai pu vivre directement lesévénements qui s’y sont déroulés le 30 juin et les jours qui ont suivi.

C’est donc d’un point de vue extérieur en tant qu’Européen mais aussi en tant que"supporter sympathisant" de l’Afrique que je m’exprimerai ici. Je constate d’abord que cesindépendances, qui ont suscité au moment même tant d’espoir parmi les populations locales(je me souviens des chants, des manifestations d’allégresse), ont malheureusement débouché50 ans plus tard, sur beaucoup d’amères désillusions : dictatures, rébellions, paupérisation,guerres civiles, dilapidation des ressources, violations graves des Droits Humains, rienn’aura été épargné à ce malheureux Continent et ce n’est toujours pas fini ! Dans sondiscours du 2 février à l’occasion de la réception de son titre de Docteur Honoris causa del’UCL, Mme Vénantie BISIMWA NABINTU faisait remarquer que son pays, la RD Congo,subissait depuis l’indépendance une guerre tous les 4 ans en moyenne, avec tous les avatarsqui y sont liés pour les populations, principalement les plus faibles.

Devant toutes ces catastrophes, on peut logiquement se demander : "Afrique, qu’as-tufait de ton indépendance ?" Et déjà en 1962, René DUMONT publiait son ouvrage majeur :"L’Afrique noire est mal partie."

Cependant, malgré ce tableau plutôt sombre et négatif, on peut quand même se réjouirde pas mal de lueurs d’espoir : la démocratie pointe son nez ça et là malgré tous les obstaclesqu’elle doit affronter ; si la pauvreté reste endémique à beaucoup d’endroits, les signes derelèvement économique se font de plus en plus présents et il ne manque plus grand chosepour que de nombreux pays décollent réellement et se mettent alors à compter sur la scèneinternationale. L’Afrique possède aussi maintenant de très nombreux universitaires,docteurs, cadres de toutes sortes et si, par la force des circonstances, beaucoup d’entre euxvivent sur d’autres continents, ils n’en sont pas moins un terreau fertile qui, tôt ou tard,viendra féconder la mère patrie. L’espérance de vie qui était de 38 ans en 1950 est passée en2010 à 54 ans malgré tous les problèmes. Il suffit également de parcourir les rubriqueséconomiques de revues ou de journaux africains pour se rendre compte de la vitalité desentrepreneurs africains et de la société civile en général : dans son numéro consacré àl’indépendance du Congo ex-belge, la revue "Le Vif/L'express" présente une série depersonnages qui sont en pointe dans le grand mouvement d’ensemble qui fera décoller lepays. Et n’oublions pas que notre revue présentait dans sa dernière édition, en page decouverture, la photo de Marie NDIAYE, lauréate 2009 du prestigieux prix Goncourt.

Plus fort encore : l’Afrique pourrait devenir, avant 2050, le principal sinon l’uniquefournisseur en énergie de l’ensemble de la planète, via l’extraordinaire projet lancé en 2009par la fondation allemande Desertec et qui consisterait à exploiter l’énergie solaire des paysd’Afrique du Nord à l’aide d’un parc de miroirs paraboliques de 300 km² en plein désert etd’alimenter à partir de là les autres régions par un vaste réseau de lignes à haute tensionsouterraines et sous-marines. Une quinzaine de multinationales européennes s’investissentdans l’aventure, cruciale au moment où les problèmes énergétiques deviennentprépondérants.

I

Page 3: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 20102

Bref, l’Afrique est promise à un bel avenir. Là où cela coince actuellement, c’estévidemment le fait que les vrais hommes d’Etat y sont denrée rare et que d’autre part, lecordon ombilical avec les anciennes puissances coloniales n’est toujours pas définitivementcoupé. L’Afrique doit maintenant prendre des résolutions, se fixer des objectifs précis,apprendre à collaborer avec les autres nations sur un pied d’égalité et apaiser en son sein lestensions toujours vivaces. Alors, il fera vraiment bon y vivre.

E. VAN SEVENANT

Alliance terre des femmes revit

L’équipe d’Alliance terre des femmes souhaite proposer à votre attention son bulletind’information bisannuel. Alliance terre des femmes est une association féministe etchrétienne qui organise des rencontres, des conférences et des débats mais surtout qui éditeun bulletin destiné à l’information du public sur l’évolution internationale du statut desfemmes dans la société et dans l’Eglise.

Alliance terre des femmes a toujours été consciente du fait que la société et lesreligions se sont construites au fil du temps selon le seul point de vue masculin et sous sagouverne. Anne-Marie PELZER, qui nous a quittés il y a peu, fut le moteur incontesté del’association ; elle lutta pour que le genre féminin puisse, comme le masculin, choisirlibrement le travail et les positions sociales et religieuses qui correspondent à ses goûts. Elleentendait détruire les stéréotypes qui confinent les femmes dans certaines activitéssubalternes et moins gratifiantes.

À l’heure présente, l’association relève le défi d’Anne-Marie et poursuit son travail,consciente de faire ce qu’elle aurait voulu : persister.

Nous vous demandons de soutenir le projet d’Alliance en vous abonnant à notrerevue et, si vous avez des talents et des idées, en collaborant activement à ses activités età la rédaction du bulletin. Notre bulletin diffuse des données scientifiques et des penséesd’avant-garde émanant de sources informées et fiables qui représentent la société vivante.Alliance est connue de nombreuses organisations internationales et participe aux conférencesdes Organisations Non – Gouvernementales qui traitent des sujets qui l’intéressent ; elle peutde la sorte relayer ses études et motions dans certains rouages décisionnaires.

À titre informatif, voici le sommaire du premier numéro : Introduction : passé etprésent d’Alliance terre des femmes ; objet du bulletin N° 1 Spécial contact ; séminaire"Genres et religions" du 20/ 09/ 2008 organisé par Alliance terre des femmes ; synthèse desquatre conférences de Louvain-la-Neuve "Le christianisme est-il misogyne ?" organisées parSedes Sapientiae et la Faculté de théologie de l'UCL entre le 09/ 02/ 09 et le 24/ 03/ 09 ainsique du dossier Femmes du N° 33 janvier-février du Monde des religions ; conclusions,enjeu, stratégie.

Abonnement annuel : 10 €; cotisation de membre : 15 €(donne droit aux bulletins).Compte : 001-4844655-66 de Alliance terre des femmes.

Secrétariat : Anika LEMAIRE (69, rue du village, 1350 Marilles, 019/637002)E-mail : [email protected]

Siège social : Sabine KAKUNGA, (Avenue des Hirondelles 43, 1640 Rhode-Saint-Genèse).

Page 4: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 3

Page 5: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 20104

É C O N O M I E E T D É V E L O P P E M E N TLa santé, la diaspora burundaise et la coopération internationale

Week-end santé du 28 Novembre 2009au Château de Mondron, Charleroi (Jumet)

NDLR : Les Pharmaciens belges d'origine burundaise (SEMITI-PBB asbl), l'Organisationde la diaspora burundaise du Benelux (ODIBB) et la Communauté burundaise de Belgiqueasbl (CBB) ont organisé, le 28 novembre 2009, un week-end santé au château de Mondron àCharleroi (Jumet), sous la coordination générale du pharmacien EmmanuelBAMENYEKANYE. La conclusion et les recommandations de cette journée, telles qu'ellesfigurent dans le rapport final, sont reproduites ci-dessous.

Conclusion et recommandations

Conclusion

a rencontre organisée par laCommunauté burundaise deBelgique en partenariat avec

l’ASBL SEMITI-PBB a permis encoreune fois de réunir les professionnels de lasanté d’origine burundaise, leurscollègues d’origine belge et congolaisesur la problématique de la santé auBurundi. En outre, des membres de ladiaspora burundaise éparpillés en Europeet certains amis du Burundi ont pris part àl’activité. Ainsi donc, la première partiede la journée a été consacrée à desexposants qui ont évoqué la situation de lasanté au Burundi et les pistes deréflexions en vue de son amélioration.Ceci a été complété par une interventiond’un représentant de Cap santé asbl qui apartagé son expérience sur le montage deprojets pluriannuels dans la zone deKabinda en RD Congo. D’autresprofessionnels belges ont évoqué laquestion des migrants et la coopérationbilatérale et la question de la santé dans lemonde des migrants en Belgique.

Après une pause marquée par undîner burundais, la deuxième partie étaitcaractérisée par du travail en atelier pourrelever les problèmes de transfert descompétences de la diaspora burundaise,les obstacles mais aussi des opportunitésdont ils peuvent bénéficier.

Enfin, la dernière partie a été unerencontre informelle de prise de

connaissance mutuelle dans une ambiancede danse traditionnelle et qui s’estprolongée la nuit, le tout agrémenté pardes plats typiquement burundais.

Le constat de la situation et les aviséclairés de divers intervenants quiexercent dans le domaine ont interpellé lesparticipants qui ont approfondi lesréflexions dans deux ateliers différents.En définitive, cette activité a permis à laCBB et aux participants de mobiliser ladiaspora burundaise et ses amisoccidentaux sur la question de la santé auBurundi.

Recommandations

Recommandations générales

Les recommandations émises parles participants peuvent être adressées augouvernement du Burundi, à la diaspora etau pays d’accueil.

Envers le gouvernement duBurundi

De manière globale, le Burundi faitface au défi de la santé à cause de lapauvreté généralisée, du manqued’infrastructures et de l’instabilitésociopolitique ayant conduit beaucoup demembres de professionnels de la santé surle chemin de l’exil ou les ayant conduits àl’étranger en quête de meilleuresconditions salariales.

L

Page 6: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 5

1) Les participants ont remarqué que legouvernement fait des efforts pourréaliser les Objectifs du Milléniumpour le Développement et afin defaciliter l’accès à la santé pour tous.Cette politique d’accès à la santédevrait être suivie d’efforts visant àgarantir l’accès aux médicaments dequalité et aux soins de qualité quirestent un problème au Burundi.

2) En outre, l’Etat devrait considérer lasanté comme la priorité des priorités.Et à partir de là, l’Etat devraitplanifier et décider de manièrevolontariste des moyens matériels ethumains à affecter à la réussite de sapolitique.

3) Ainsi, par exemple, l’Etat devraitmener au niveau de la population despolitiques d’éducation à la santé :vulgarisation de la santé en utilisanttous les médias : radio, télé … etaussi au niveau de l’école primaire,enseigner des gestes simplesd’hygiène et habitudes saines(l'hygiène des mains, l’eau deboisson, la salubrité des logements…).

4) L’Etat devrait garantir une mutuellepour tous en renforçant les structuresexistantes ou en créer de nouvellespour ne pas laisser 90% de lapopulation (rurale!) sans couverturesociale.

5) Il est aussi recommandé à l’Etat derendre la profession desprofessionnels soignants plusattrayante par une rémunérationpermettant de vivre de manièredécente de son travail aussi bien à lacapitale qu’en province. C’est unequestion d’équité et de justicesociale.

6) Il faudrait rendre le pays plus attractifpour du personnel burundais del’extérieur et pour les étrangers quipourraient renforcer les effectifs(sécurité, liberté intellectuelle etrémunération).

7) L’Etat devrait renforcer les mesuresvisant au contrôle de la qualité desmédicaments en soumettant à uneréglementation l’importation et ladistribution des médicaments. Cecireviendrait à mettre sur pied uneréglementation concernant, entreautres, l’enregistrement obligatoirede tout médicament, le contrôle dequalité, etc.

8) Dans cette filière, l’Etat devraitcentraliser les importations demédicaments à la Centrale d'Achat deMédicaments Essentiels du Burundi(CAMEBU) et s’assurer ainsi del’origine des médicaments afind’éviter la dérive, la saturation oul’inadéquation par rapport auxbesoins locaux.

9) L’Etat devrait valoriser sa diaspora,son expérience multiple et sacompétence acquise dans dessystèmes de santé déjà organisés.

10) L’Etat devrait jouer un rôlerégulateur important dans ceprocessus afin que le coûtd’importation, la marge bénéficiairedes importateurs et les autres frais nerendent les médicamentsinaccessibles aux populations.

11) En outre, l’Etat devrait s’assurer quela redistribution envers lesconsommateurs passe par des filièresautorisées pour garantir la maîtrise dela qualité, la fiabilité et l’innocuité.

12) Mais aussi l’Etat devrait s’assurerque les distributeurs de médicamentsont les compétences à exercer cemétier. Pour faciliter l’accès aumédicament, l’Etat devrait créer desstructures permettant la distributiondes médicaments de premièrenécessité par du personnel qui auraitune formation adaptée sous lasupervision d’un pharmacien.

13) Afin que ce contrôle ne soit pas uneentrave à l’existence de plusieurspoints de redistribution de

Page 7: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 20106

médicaments, l’Etat devrait mettresur pied un système de mise à niveaudes personnes voulant distribuer lesmédicaments tout en n’ayant pas deformation de pharmacien.

14) L’Etat devrait aussi garantir unerépartition géographique équitable dela distribution des médicaments etdes médecins. Actuellement, laplupart des pharmacies, despharmaciens et des médecins sontconcentrés dans la capitale du pays,Bujumbura.

15) L’Etat devrait chercher des moyenspour assurer la qualité et la quantitédes professionnels de la santé,notamment en renforçant les écolesexistantes et en en créant d’autres.

16) L’Etat devrait s’inspirer desexemples des politiques de santé quiréussissent dans les pays voisins etles adapter à notre contexte ainsi queprofiter des synergies régionales pournégocier avec les géantspharmaceutiques ou commerciaux.

17) Enfin, l’Etat devrait étudier lesproblèmes dans le secteur et dans lesautres secteurs puis prendre desmesures appropriées afin d’anticipersur les problèmes éventuels avantleur aggravation.

Envers les Burundais de ladiaspora

18) Les participants ont relevé qu’ilexiste beaucoup de médecins, depharmaciens et d’infirmiers dans lescommunautés burundaises de ladiaspora. À l’instar de Cap SantéBelgique, ces professionnels de lasanté peuvent renforcer les capacitésdes professionnels du secteur de lasanté au Burundi, notamment enparticipant au volet formation /éducation en vue d’augmenter lescompétences au niveau qualitatif etquantitatif ou en apport d'outilspouvant être récoltés dans les paysd’accueil.

19) En outre, il a été noté que leproblème du secteur de la santé estaggravé par la pauvreté. Dans le sensde la lutte contre celle-ci, plusieursorganisations de solidaritéinternationales issues des migrations(OSIM) montent des microprojetspour contribuer à la lutte contre lapauvreté ainsi qu'au développementde leurs régions d’origine. Il estrecommandé que les OSIM demigrants burundais redoublentd’efforts et mettent en commun lessynergies.

20) Par ailleurs, les OSIM burundaisesdoivent participer au processusd’accueil et d’intégration et àl’insertion depuis l’arrivée : sicertaines d’entre elles font des effortspour encadrer les migrants par desprogrammes socio-éducatifs, ellesrestent absentes dans l’accueil desnouveaux arrivants qui se retrouventperdus dans un systèmecomplètement nouveau pour eux.Elles pourraient ainsi aider l’autoritéen charge de l’accueil desimmigrants en participant à laconception de projets les concernant.

21) Les participants recommandent auxOSIM de renforcer leurs synergiesafin de mieux s’intégrer dans ladynamique de coopération avec lepays d’accueil, notamment enparticipants aux activités de laCoordination Générale des Migrantspour le Développement.

Envers le gouvernement belge

Les participants ont saluél’existence de la Plateforme M&D duCNCD ayant abouti à la mise sur pied dela Coordination Générale des Migrantspour le Développement (CGMD) encollaboration avec le Centre National deCoopération au Développement CNCD-11.11.11, et ce, malgré les difficultésrencontrées par celle-ci sur le manque departenariat effectif entre les organisationsbelges et les OSIM, un manque demoyens suffisants et l’absence

Page 8: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 7

d’articulations et de cohérence entre lespolitiques de développement, migratoireet d’intégration, alors que le thème M&Dest transversal à ces trois domaines. Enoutre, ils ont particulièrement salué lesefforts de la région wallonne en matièrede concertation pour le co-développementen Wallonie entre le DGO5, WBI, et lasociété civile.

Dans le but de renforcer etd’étendre la dynamique, ils ont fait lesrecommandations suivantes envers laBelgique :

22) Les participants se sont rendu compteque le Burundi a besoin de sespartenaires pour soutenir desprogrammes nationaux visant àaméliorer les soins de santé. Dans cesens, la Belgique fédérale et lesgouvernements régionaux peuventaider le Burundi en la matière,notamment en soutenant la créationde fabriques ou en soutenant lesservices burundais engagés dans lesactivités visant à faciliter l’accès auxmédicaments à des prix accessibles.

23) Les participants recommandent quele SPF en charge de la Coopérationau développement prenne l’initiatived’une coordination régulière entre lespouvoirs fédéraux et régionauxconcernés par le thème "migration etdéveloppement" en intégrant les

OSIM qui présentent l’avantage demieux représenter la dynamique defaire participer conceptuellement,financièrement, matériellement ethumainement, les populationsbénéficiaires et les autorités locales.Les trois régions devraients’approprier aussi cette initiative enveillant au dialogue effectif avec lesOSIM sur la problématique"migration et développement".

24) Une telle situation se traduirait par ungroupe de travail permanent au-delàdu concept "Coordination Généraledes Migrants pour leDéveloppement" : ce groupe detravail serait animé parl’administration du SPF en charge dela Coopération au développement.De même, chaque région devraits’approprier cette stratégie.

25) Au niveau des trois régions du pays,il appartiendrait à leurs responsablesde veiller au dialogue effectif avecles migrants sur ce thème "migrationet développement".

26) Enfin, il est recommandé auxautorités régionales qu’ellescontinuent à œuvrer pour lacoopération décentralisée entre desprovinces ou des communes belges etdes provinces ou des communes duSud.

Erick-Bayard RWANTANGORapporteur

VENTE DE "L'AFRICAIN" AU NUMÉRO

A Bruxelles, L'Africain est en vente àLibrairie U.O.P.C

Avenue Gustave Demey 14-161160 BRUXELLES

Page 9: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 20108

Réhabiliter les politiques publiques d’autosuffisance alimentairepour la stabilité des pays du Sud et la sécurité internationale

Introduction.

n juin 2008, le monde aassisté à une explosionbrusque et presque

simultanée des émeutes de la faim dans 20pays d’Afrique, d’Asie et d’Amériquelatine et centrale1. À entendre lesdéclarations de certains chefs d’États etmême de hauts responsables de certainesorganisations multilatérales dedéveloppement international, ces émeutess’expliquaient difficilement. La vérité estqu’elles étaient pourtant réapparuesprogressivement, y comprisparadoxalement dans les pays qu’onsupposait être les moins susceptibles d’enêtre le théâtre. Est-ce pour cela que lesgrands décideurs politiques etéconomiques internationaux n’ont rien vuvenir ? Émeutes qui ont porté le messagede l’émergence d’une crise alimentaire,non pas à l’échelle mondiale, mais surtoutdans de nombreux pays endéveloppement. La question centrale estcelle de déterminer les facteurs à la basede cette nouvelle crise alimentaire et lesmoyens d'en sortir à long terme.

La récente irruption médiatisée sur lascène internationale de la crisealimentaire au Sud

Un rapide survol historique nousdonne à voir qu’en fin 2006, un payscomme le Mexique, en Amériquecentrale, voyait le phénomène de la crisealimentaire se poser visiblement. N’est-cepas en janvier 2007 que plus de 100.000Mexicains manifestaient pour protestercontre la hausse vertigineuse (plus de40%) du prix de la tortilla qui estl’aliment de base du pays, et donc celuides classes rurales et urbaines populaires.Ces manifestations se répétèrent enseptembre de la même année. En mars2008, c’est au Maroc, en Afrique du Nord,

1 Pierre-Eric DAGORIN, "Les désordresalimentaires", in Sciences humaines, n° 195, juillet2008, Auxerre, pp. 30-31.

que des manifestations eurent lieu pourprotester contre les hausses du prix desdenrées alimentaires dans différentesvilles du pays. Des manifestations quivirent manifestants et policiers s’affronterviolemment, avec plusieurs dizaines demorts à la fin. Haïti, en Amériquecentrale, prenait le relais en avril 2008.Plusieurs dizaines de milliers de Haïtiensmanifestaient contre les hausses du prixdes denrées alimentaires, voire quasimentles ruptures totales des stocks alimentairesdu pays, particulièrement après lesterribles inondations et cyclones queconnut ce pays qui sortait encore de laguerre2. Des calamités climatiques qui, aupassage, détruisirent les champs et lesrécoltes et plongèrent le pays dans unefamine quasi généralisée. Nous noussouviendrons des nombreux reportagestélévisés, notamment des télévisionsfrançaises et américaines, qui montrèrentdes populations haïtiennes pauvres,rurales ou urbaines qui, n’ayant plus rien àmanger, tentaient de survivre quelquesjours en mangeant des galettes de boue !Une tragédie humaine indescriptible.

D’autres pays ont suivi, tel leCameroun où plus de 50 personnes furenttuées par la police lors des manifestationsdans la capitale Yaoundé ; la Guinée oùune dizaine des manifestants furent tuéspar la police ; le Sénégal, la Côte d’Ivoire,la Mauritanie, le Malawi, le Burkina Faso,l’Égypte, l’Argentine, l’Ouzbékistan, lePakistan, le Bangladesh, l’Indonésie,l’Éthiopie, la Somalie, le Yémen.

Aussi dramatiques que furent cesémeutes dans ces différents pays, elleseurent au moins le mérite de mettre enévidence un problème crucial, à savoir latransformation du phénomène de crisealimentaire, qui a été longtemps confinésournoisement aux régions rurales, et sonextension aux villes (et surtout à ses

2 Pierre-Eric DAGORIN, "Le retour des émeutes dela faim", in : Sciences humaines, n° 195, juillet2008, Auxerre, pp. 24-27.

E

Page 10: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 9

classes populaires et moyennes) des paysen développement qui n’en étaient doncplus épargnées. De nombreux pays endéveloppement sont donc désormaisconfrontés maintenant ou potentiellementà une double crise alimentaire : primo, lamalnutrition rurale souvent chronique quiétait déjà connue et souvent acceptée demanière fataliste ou désinvolte par lesgouvernements locaux, car elle touchaitdes classes sociales qui n’ébranleraientpas leurs pouvoirs. Secundo, une crisealimentaire des classes urbainespopulaires et même moyennes. Celle-ciétait une nouveauté et contenait lesgermes de tous les dangers pour cesgouvernements qui pouvaient toutcraindre des mouvements sociaux et doncdes mouvements politiques que cette criseporterait en terme de délégitimation, decontestation et donc d’ébranlement desrégimes en place.

Sur un autre point, ces émeutes dela faim apparaissent a priori comme unchoc dans un monde qui croyait, si pasavoir éradiqué, au moins avoir réduitsensiblement la faim et ses effets néfastessur tous les continents dès la fin desannées 1950. La plupart des rapportsinternationaux émis par divers organismesde coopération internationale audéveloppement n’ont cessé de soulignercela. C’est pourquoi, la recherche descauses profondes de l’explosion desémeutes semble s’être limitée aux causesimmédiates. Et c’est ainsi que la plupartdes solutions et actions proposées pourfaire face à cette nouvelle crise ont donnéune part importante à l’immédiateté. Onse souvient de la conférence de hautniveau entre plusieurs chefs d’États, desresponsables d’entreprises multinationalesalimentaires, des Nations unies et deplusieurs de ses organismes travaillant surles questions du développement (PNUD,FAO, CNUCED3…), des grandes ONG

3 Le document Addressing The Global FoodCrisis : Key trade, investment and commoditypolicies in ensuring sustainable food security andalleviating poverty de l’UNACTAD (CNUCED) estintéressant à lire non seulement pour son analysedes causes de la crise, mais aussi pour les

internationales. Tenue à Rome (Italie) du3 au 5 juin 2008, The High-LevelConference On World Food Security : TheChallenges Of Climate Change AndBioEnergy, comme elle s’intitulait, avaitainsi proposé des contributions financièresimportantes et urgentes pour relancer sansdélai des politiques agro-alimentaires dansles pays en développement. Mais presqueune année après la tenue de la conférence,en janvier 2009, la FAO (Fonds desNations unies pour l’alimentation)déclarait que les fonds promis par lesgrandes puissances politiques etéconomiques mondiales se faisaienttoujours attendre.

Les facteurs avancés par denombreux observateurs pour expliquercette crise brusque sont donc restésimmédiats. Citons : concurrence entre lesproduits agroalimentaires et lesagrocarburants et une demande mondialede plus en plus forte des produitsalimentaires comme la viande, le lait ou lepain qui sont de gros consommateurs deterres arables. Ou encore l’importanteponction au Sud sur les terres agricoles etleur détournement au détriment descultures vivrières et au profit des culturesd’exportation. Ou encore tout simplementdepuis ces dernières années, ledétournement des terres agricoles (enEurope, aux États-Unis et en Amériquelatine surtout) pour produire des culturesalimentaires ou non qui servent à laproduction des agro-carburants (maïs auxÉtats-Unis, soja au Brésil, jatropha enInde …), particulièrement au profit deséconomies industrialisées. Celles-ci sontengagées encore plus, depuis l’après 11septembre 2001, dans des stratégies delimitation (réelle ou déclarée ?) de leursdépendances pétrolières, surtout vis-à-visdes pays du golfe arabo-persique. À cettestratégie sont désormais collées desjustifications moralisantes etécologisantes avancées au nom de la"lutte contre le réchauffement climatiqueplanétaire."

propositions qu’il formule dans une perspective delong terme.

Page 11: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201010

La crise alimentaire comme sous-produit de la désétatisation néolibéralede l’État au Sud

De telles explications ne sont qu’enpartie vraies, dès lors qu’elles ne prennentpas en compte le problème central,produit par le néolibéralisme économiquetriomphant dès la fin des années 1970, auSud. Qui est, dans la plupart des pires cas,la disparition complète des politiquesagroalimentaires ou, dans le meilleur descas, leur réduction à des portionssymboliques ou folkloriques dans denombreux pays en développement depuisles années 1980. Cette situation s’estrapidement installée à l’occasion desfameux programmes d’ajustementstructurel (PAS) conclus avec ou imposéspar la Banque mondiale et le Fondsmonétaire international (FMI) à denombreux pays en développement,notamment africains. Rappelons que l’unedes composantes et conditionnalitésessentielles de ces programmes consistaitdans le désengagement économique etsocial des États. Ce qui signifiaconcrètement que les États au Sudcessèrent (ou cesseraient ?) tout soutien,tout apport, tout encadrement, touterégulation, bref tout effort demodernisation et de consolidation dessystèmes agro-économiques nationaux.Lesquels étaient ainsi abandonnés à la(fausse) simple régulation et, parait-il,réorganisation efficiente par le seulmarché !

Tout ceci a contribué nonseulement à la déresponsabilisation desÉtats au Sud s’agissant de la productiondu développement agro-rural-alimentaire,mais il a aussi contribué rapidement à ladésarticulation des systèmes agro-alimentaires et agro-économiques locaux.Car les circuits de production,d’encadrement, d’appui, de transport etd’écoulement depuis les zones ruralesproductrices jusqu’aux centres urbains,grands consommateurs, étaient désormaistotalement désorganisés. D’où despénuries urbaines des produitsalimentaires locaux qui se sont viteinstallées dans de nombreux pays.

Pénuries contre lesquelles les importationsagroalimentaires venant surtout des paysindustrialisés sont devenues la réponseapportée par les politiques nationales.Donc, les pays du Sud s’installaientprogressivement dans une dépendancealimentaire vis-à-vis du Nord qui détenaitalors contre eux l’arme alimentaire trèsperformante dans de nombreusessituations, assimilées toutes au Nord, àtort, comme des situations "humanitaires"alors qu’elles sont commerciales etrentables pour les multinationalesalimentaires du Nord.

Cette dépendance alimentaireextérieure, aussi aliénante soit-elle déjà,serait une partie de la solution pour lespays du Sud si elle n’impliquait pas enplus une confrontation des habitudesalimentaires. Car les denrées alimentairesdu Nord sont importées à prix d’or et dansdes conditions de production que les paysdu Sud ne maîtrisent pas et leurséventuelles conséquences sanitaires surleurs populations4 correspondent plutôtaux gouts "importés". Ou des goutsimposés par le nouveau néolibéralismealimentaire mondial dans le sillage desprogrammes d’ajustement structurel, pardes classes urbaines. Qu’elles soientsupérieures ou au contraire populaires,bref une minorité de la population danschaque pays. Donc, ces importations nerencontrent ni les gouts, ni les habitudes

4Les exportations alimentaires du Nord vers le Sudne sont pas exemptes de dangers pour lespopulations du Sud, avec ses lots de produitsavariés y envoyés par des affairistes sans scrupules(avec parfois la complicité des gouvernementslocaux corrompus), avec maintenant des produitsincorporant des organismes génétiquementmodifiés dont les méfaits potentiels sur les humainssont craints en Occident où ils font débat. On peutajouter ici la pollution chimique que peuventcontenir ces denrées venant du Nord, oùl’agriculture abuse souvent des engrais chimiques,ce qui ne manque pas d'entraîner des conséquencessanitaires pour les consommateurs. Par lesimportations alimentaires depuis le Nord, denombreux pays du Sud, qui avaient pourtant encorela possibilité de maintenir une agriculturebiologique plus saine, importent en même tempspotentiellement des maladies qui seront provoquéespar les effets de ces produits alimentaires. Maladiesqu’ils seront cependant incapables de soigner, vul’état de leurs systèmes sanitaires actuels moinsdéveloppés, voire en régression.

Page 12: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 11

ni les besoins alimentaires de la majoritédes populations qui habitent les milieuxruraux.

Dès lors, les politiques publiques(car c’est de la responsabilité de l’Étatd’assurer la sécurité alimentaire à sapopulation) d’autosuffisance et desécurisation alimentaire dans les pays envoie de développement devraient viser àrenverser ces tendances nocives. Ellesimpliqueraient au moins un quadrupleobjectif.

Primo, fournir des substitutionsdurables aux importations alimentaires, ense nourrissant d’abord de ce que l’on peutet l’on sait produire. Secundo, réhabiliterles circuits de commercialisation etd’approvisionnement agro-vivriersréguliers depuis les campagnes vers lesvilles des pays du Sud. Tertio, fairereposer la nouvelle économieagroalimentaire sur un double principe : ladiversification productive et l’intégration.Quarto, jeter les bases progressives d’uneindustrie alimentaire dont un pan seraitaussi tourné vers l’exportation. Ceci vautsurtout pour ceux des pays endéveloppement qui disposentd’importantes terres arables encore nonexploitées. Des terres arables inexploitéesqui, soulignons-le, aiguisent désormais lesappétits des groupes financiers et agro-industriels des pays industrialisés du Nordqui veulent trouver des espaces pourproduire, soit des produits alimentaires,soit les fameux produits agricoles nonalimentaires destinés aux agrocarburants.Les frontières des terres arables àconquérir, le mot n’est pas galvaudé, sontrepoussées. Car les pays asiatiques, latino-américains ou africains, jadis traités avecmépris comme peu propices auxinvestissements agro-économiquesoccidentaux, par exemple à cause dufaible développement des infrastructureset donc du cout élevé d’exploitation, fontmaintenant l’objet de toutes lesmanœuvres. Et ce n’est pas la crisefinancière actuelle qui peut oser refroidirles stratégies des intérêts agro-financiersinternationaux en quête des terres arablesau Sud.

Vers de fausses nouvelles bonnessolutions ? Fourvoiement dans lesagrocarburants, cession léonine desterres arables aux multinationalesagricoles étrangères

Des évolutions récentes ont montrécomment les 184 millions d’hectares desterres arables africaines5 sont l’objet d’uneruée de la part des acteurs agro-économiques et des fondsd’investissement extérieurs qui ne visentaucunement à contribuer à la sécuritéalimentaire des pays africains et de leurspopulations. Mais au contraire, devant laréduction drastique (Europe, États-Unis,Australie, Argentine, Corée du Sud) etl’explosion des prix des terres arables, ouleur quasi-inexistence dans leurs paysd’origines (pays arabes du golfe persique),ces acteurs extérieurs veulent utiliser cesterres africaines pour produire desaliments ou denrées non alimentairesutilisés pour la production desagrocarburants pour leurs pays. Ainsi,contrairement à l’empressement aveugledont certains gouvernements africains fontmontre pour satisfaire les sollicitations deces acteurs agro-économiques extraafricains, les démarches actuelles de cesderniers ne se substitueront pas auxpolitiques publiques agricoles appropriéespour résoudre les crises et l’insécuritéagroalimentaires qui se sont installéesdans beaucoup de pays africains. Crisesalimentaires dont les famines répétitivesces cinq dernières années dans un payscomme le Niger soulignent l’acuité.

Après les pillages extérieurs desressources minières africaines, que ce soitpar le recours aux violences politiquesinstiguées ou que ce soit "pacifiquement"grâce à la complicité des gouvernementsafricains néocoloniaux, assistera-t-onmaintenant aux pillages, voire à

5Dont, parait-il, seulement 14% seraient exploités(selon les experts occidentaux qui limitent souventla notion de l’exploitation à la seule culture et doncperdraient de vue les autres exploitations, nonvisibles pour le premier venu, des terroirs et doncdes terres agricoles) produisant 17% du PIB, 57%des emplois et 11% des recettes d’exportation del’ensemble des pays africains (selon les chiffres dela FAO en 2008).

Page 13: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201012

l’accaparement extérieur des ressourcesfoncières rurales bradées par ces mêmesgouvernements africains néocoloniaux audétriment des intérêts vitaux de leurspopulations ?

Questionnons quelques exemples.Au printemps 2008, la société saoudienneHadco entendait importer vers le golfe sapremière récolte de blé, légumes etfourrages qu’elle aurait produite auSoudan. Elle y avait acquis en mai 2008plus de 10.000 hectares de terres pour 95millions de dollars au Sud de la capitaleKhartoum sur les rives du Nil. À la fin del’année 2008, le gouvernement soudanaisavait accordé, pour 99 ans, au moins900.000 hectares, surtout à des sociétés dugolfe arabo-persique (proximité culturelleet géographique arabo-musulmane jouantaussi) mais aussi aux Chinois6, quiprendront toute leur production et, pireencore, ne paieront aucune taxe à l’Étatsoudanais. Fait intrigant dans un paysmenacé d’éclatement, à cause desrébellions du Darfour et du Sud Soudan,le potentiel sécessionniste Sud-Soudan semet dans la danse. Janvier 2009 a vu ainsila société américaine d’investissementJarch Management Group annoncerl’acquisition, dans cette partie du pays, deplus de 400.000 hectares dans le cadred’un "partenariat". Enregistrée aux îlesVierges, cette entreprise était déjà trèsactive au Sud-Soudan dans le secteur trèsviolent du pétrole et cela durant la périodede guerre. Sa trouvaille a été même defaire entrer dans son conseild’administration des généraux de l’ex-rébellion du Sudan’s People LiberationArmy (SAPLA). On se demande quellesera la réaction de cette entreprise si, parhasard, les Sudistes soudanais voulaientclaquer par la force la porte de lafédération soudanaise à la fin de lapériode de 7 ans où doivent être évaluésles accords de paix signés voici trois ansavec le gouvernement central deKhartoum.

6Lire aussi : Serge MICHEL et Michel BEURET,La Chinafrique. Pékin à la conquête du continentnoir. Paris, Grasset, 2008, pp. 237-261.

En Angola, les multinationalesDole Food et Chiquita, géantes des fruits,légumes et bananes, négociaient pourinstaller leurs plantations sur les terresfertiles de l’Angola. Ce pays exportateurde pétrole, dont il tire désormais au moins10 milliards de dollars par an, est sorti, en2002, d’une longue guerre civile née en1975, en pleine guerre froide. Guerrecivile qui détruisit toute son économie, àpart celle pétrolière sur les côtes. Lavenue de ces multinationales américainesn’améliorera en rien l’agricultureangolaise ravagée par un quart de sièclede guerre, alors même que les revenuspétroliers du pays n’y contribuent pasmais sont plutôt utilisés pour financer desimportations agricoles. À long terme,l’impasse agroalimentaire angolaise et lescrises socio-politiques susceptibles d’endécouler sont assurées si les revenuspétroliers venaient à baisserdrastiquement, voire disparaître.

En Afrique australe, c’est toute lasous-région qui se prend dans un rêvefrénétique de devenir, parait-il, unnouveau Moyen Orient des agro-carburants, grâce à la multinationaleanglaise Greenenergy (traduisez : ÉnergieVerte !). En octobre 2008, un grouped’investissement public et privé d’AbuDhabi a déboursé 40 millions de dollarspour acquérir 16.000 hectares dans laprovince pakistanaise du Balouchistan. Lamultinationale sud-coréenne DaewooLogistics a annoncé, en décembre 2008,un accord avec le gouvernementmalgache, du très néolibéral MarcRAVALOMANANA, qui portait surl’acquisition et l’exploitation pour 99 ans,et à titre gratuit, de 1,3 million d’hectares.Sur cette superficie record, les Coréensentendaient investir 6 milliards de dollarsen 5 ans dans les infrastructures quiserviront directement l’exploitation (etnon pas les populations locales) etl’exportation vers la Corée du Sud de laproduction attendue des plantations demaïs et des palmiers à huile. Legouvernement malgache ne disait pasd’où proviendraient ces terres (sur lesforêts malgaches menacées ou sur lesterres paysannes actuelles ?). Devant les

Page 14: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 13

critiques nationales et internationales,notamment de la FAO, les Sud-Coréens etle gouvernement malgache prétendaientmaintenant n’avoir rien signé jusque-là.Le renversement de RAVALOMANANA,par l’armée malgache, quelques mois plustard, est en partie lié au mécontentementgrandissant dans le pays à cause de cescontrats agrofonciers opaques conclusavec la multinationale sud-coréenne.

La culture des produits agricolesorientés vers les agrocarburants a vu semettre en ligne de course diversesmultinationales. L’allemande FloraEcopower a ainsi acquis 100.000 hectaresen Éthiopie pour la culture de jatrophaimportée de l’Inde. Pour un pays connupour ses famines régulières, l’on sedemande si les besoins en terres arablesdes paysans et producteurs alimentaireslocaux sont déjà largement satisfaits pourpouvoir octroyer autant de terre à laproduction d’une culture qui risque de nepas servir grandement au pays. Le groupebritannique Cams Group mettait la mainsur 45.000 hectares de sorgho en Tanzaniepour produire de l’éthanol, alors queBioenergy Africa, des îles Vierges, levait45 millions de dollars pour produire ausside l’éthanol au Mozambique. La sociétéde placement britannique Emergent AssetManagement a, quant à elle, lancé, avec lesud-africain Grainvest, l’African LandFund. L’objectif déclaré est d’offrir auxinvestisseurs (lesquels ?) l’opportunité departiciper à la croissance du secteuragricole au Sud du Sahara.

L’aventure des agrocarburants est siavancée en Afrique australe qu’elle asuscité une jalousie, injustifiée, enAfrique de l’Ouest : la Banqued’investissement de la Communautééconomique des États d’Afrique del’Ouest a tout simplement demandél’expertise du Brésil, le maestro mondialde la production et d’exportationd’éthanol. Le président sénégalaisAbdoulaye WADE, nouvellementconverti à la prétendue "révolution desbiocarburants", en a fait certainement undes éléments de sa Grande offensiveagricole pour la nourriture et

l’abondance (GOANA) lancée en avril2008. Ce programme public plutôtnéolibéral aurait des chances d’aboutir,s’il reposait aussi sur des efforts financierssénégalais au lieu de compter, pour saréalisation, sur la simple séduction desinvestisseurs étrangers. Pour cela, legouvernement sénégalais offre desfacilités de création d'entreprises pour lesinvestisseurs étrangers, l’exonérationdouanière, un "cahier de l’investisseur"qui présente le potentiel agricole duSénégal. L’Agence de promotion del’investissement et des grands travauxsénégalais (APIX) s’efforce ainsi deprésenter le Sénégal comme un eldoradofoncier rural, car seuls 50% des terresagricoles seraient cultivées7. L’on sedemande la valeur exacte de cepourcentage pour un pays à moitiédésertique, et les problèmes alimentairesaggravés que risquerait de connaître cepays en milieu rural si, effectivement,d’importantes acquisitions ou "locations"(pour rester dans la terminologieofficielle) foncières étaient opérées pourdes multinationales d’agrocarburants sansque les droits fonciers ruraux des paysanssoient garantis et sécurisés d’avance.

Le grand gâteau des terres arables,mais dont peu de gens parlentouvertement aujourd’hui, se trouve enAfrique centrale dans le bassin du fleuveCongo. Sur ce bassin de 227 millionsd’hectares s’étendent six pays auxconditions exceptionnelles : Guinéeéquatoriale, Cameroun, Gabon,République centrafricaine, RD Congo etRépublique du Congo. À part la Guinéeéquatoriale qui est un microterritoire àl'échelle africaine, avec 28.050 km²8, cesÉtats ont de vastes territoires allant de300.000 km² à plus de 2.300.000 km²(pour la RD Congo). Ils sont le domainede la deuxième forêt tropicale humide dumonde après l’Amazonie mais ils sontaussi le domaine de nombreux gisementsminiers stratégiques. Ainsi, les convoitises

7Cfr. Aussi Julie VANDAL, "Le Sénégal loue sesterres agricoles", in : Afrique Magazine, n° 281,février 2009, Paris, p. 63.8 Le Nouvel observateur, "Guinée équatoriale", in :Atlaséco 2009, Paris, pp. 98-99.

Page 15: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201014

internationales que suscite cet amas deressources naturelles expliquent en partieles instabilités et violences politiquesgénéralisées en RD Congo ces 13dernières années. Ceci à la suite, certes, deses contradictions sociopolitiques internesmal maîtrisées mais surtout à cause desconvoitises internationales braquées surses richesses naturelles, dans un mondepost-guerre froide qui est désormaisdominé par la guerre économique entre lespuissances industrielles pour le contrôledes ressources naturelles stratégiques auSud. Ressources parmi lesquelles setrouvent les terres arables.

L’enjeu pour les acteurs capitalistesagro-économiques extra-africains estd’accéder, voire de s’approprier, lesressources foncières rurales africaines etpose ainsi de nombreux défis que les Étatset populations africaines se doivent declarifier. En quoi ces dynamiquesexogènes qui prétendent vouloirdévelopper le secteur agricole en Afrique,en vertu des lois uniquement marchandes,sont-elles compatibles avec des objectifsde rentabilité économique et sociale àlong terme sur le continent ? Quedeviendront les petits producteursagricoles et/ou paysans africains qui sontsurtout la base de l’agriculture vivrièreafricaine actuelle qui fournit au moins50% des emplois sur le continent ?

Comment protégera-t-on leursdroits fonciers, c’est-à-dire ne pasconfisquer leurs terres agricoles au profitdes agro-industriels étrangers ? Ceux-ci,nous le savons, ne sont mus que par laseule rentabilité financière et sont prêts àtout fermer dès que ce secteur agricole neleur semblerait plus très rentable. Quelscadres juridiques régiront donc ces enjeuxfonciers ruraux nouveaux pour que lesÉtats africains n’aliènent à vil prix lesterres rurales ? Ce serait des cadres quitiendraient compte des risques et

opportunités, des couts et des avantagesmutuels à long terme, et qui seraientfondés à négocier avec ces investisseursexogènes. En quoi et comment cesinvestisseurs seront-ils responsabilisésdans la protection de l’environnementafricain ? Dans quelle mesure, d’une part,ces investisseurs contribueront-ils à lacréation des emplois agro-ruraux durableset décents dans les campagnes africaines ?Et de l’autre, comment contribueront-ils àune exploitation porteuse d’une valeurajoutée aux ressources naturellesafricaines dont ils veulent profiter ?

Conclusion.

Les réponses des États du Sud à cesquestions devraient mettre en priorité dessolutions concrètes en termes deréhabilitation de leurs politiques publiquesagricoles vivrières. Elles sont les seulessusceptibles de résoudre les diversesformes prises par l’insécurité alimentairedans ces pays. L’insécurité alimentaire estd’ailleurs aujourd’hui aussi un défiindirect à la sécurité internationale. Dèslors que l’on sait qu’elle conduirait, dansde nombreux pays, à de gravesdéficiences alimentaires (sur tous lescontinents) à des flux migratoiresinternationaux clandestins vers les paysindustrialisés (présentés ou crus à tortcomme ceux de l’abondance alimentairepour tous !). Dans ces pays, ces fluxmigratoires sont perçus purement etsimplement comme des menacessécuritaires et identitaires et sont réprimésviolemment. Soutenir l’émergence devéritables politiques publiques de sécuritéalimentaire au Sud, par l’amélioration dela production agricole locale vivrière,serait probablement un des meilleursmoyens pour les pays industrialisés deréduire à la racine ces menaces supposées.

BAGALWA MAPATANO Jules MapsDocteur en sociologie politique du développement

Groupe de Réflexion sur l’Afrique et le Congo (GRAC)[email protected]

(Genève, le 14 décembre 2009)

Page 16: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 15

C U L T U R E E T S O C I É T ÉDiscours de Madame Vénantie BISIMWA NABINTU

à l'occasion de la réception de son titre de docteur honoris causade l'Université Catholique de Louvain

n ce jour mémorable du 02février 2010, où l’UniversitéCatholique de Louvain nous

décerne le titre très prestigieux de Docteurhonoris causa dans le cadre du thème "Lescrises, une opportunité d’innover", nousexprimons notre sentiment de gratitude àvous tous ainsi qu’à tout le peuple belgepour la pensée et l’action positives enversl’Afrique en général et la RD Congo, monpays, en particulier, et plusspécifiquement envers la femme africaine.

Depuis que le titre de Docteurhonoris causa m’a été révélé par la lettreofficielle du Recteur de l’UCL datant du15 Septembre 2009, nous recevonsbeaucoup de messages de félicitations etd’encouragement de la part de gens qui sereconnaissent dans ce titre. Du Sud Kivu àKinshasa, des groupes de la société civile,du monde universitaire et des cadrespolitiques s’organisent spontanément pourl’accueil, l’information et la vulgarisationdu message sur le titre de Docteur honoriscausa. Quand nous constatons cettespontanéité et cet honneur sur notremodeste personne, nous réalisons notreresponsabilité vis-à-vis des attentesénormes suscitées par ce titre dans unesociété instable, exigeant de plus en plusd’innovations.

En fait, le Congo est l’un des paysafricains les plus instables. En 43 ansd’indépendance, de 1960 à 2003, leProfesseur MULUMBA a dénombré dixguerres, soit en moyenne une guerre tousles quatre ans.

Particulièrement, les guerresdémarrées en 1996 et 1998 ont eu uncaractère spécial, celui d’avoir été sousprocuration à travers les pays voisinsd’une part et ont ciblé les populationsciviles avec un accent sur les leaders et lesfemmes, d’autre part. Ces guerres d’accès

aux ressources naturelles ont permis auxpays voisins de réaliser leur propre agendalié à l’implantation des populations, audépeuplement progressif de la RD Congosuite aux massacres et aux violencessexuelles, à la désagrégation desstructures sociales et économiques endécapitant le leadership coutumier,religieux et intellectuel et en segarantissant le contrôle du pouvoirpolitique en RD Congo. Si les guerresprécédentes ont utilisé les armes à feu etles armes blanches pour atteindre leursobjectifs, celles d’à partir de 1996 ontintégré des armes plus insidieuses, àdestruction parfois lente mais sûre,notamment les violences sexuelles.

Les violences sexuelles ont étéintégrées comme arme de guerre pourdétruire les organes génitaux des femmescongolaises de tout milieu, rural commeurbain. Un autre effet recherché dansl’utilisation des violences sexuelles estpsychologique : humilier l’hommecongolais, le déséquilibrer pour qu’ilperde confiance en ses capacités, sescapacités de se défendre, de défendre saprogéniture, de défendre son espace vital.Elles visent aussi la désagrégation desstructures familiales, cellule de base de lasociété congolaise. Elles visent encore àanéantir les capacités de production et dereproduction du peuple congolais. Ellesont beaucoup répandu le VIH/Sida. C’estsuite à ces atrocités que plusieurs rapportsproduits par les organisations de la sociétéciviles ont qualifié ces dernières guerresde "guerres d’extermination descommunautés congolaises."

De plus, la trentaine d’années dedictature entretenue par les forcespolitiques et économiques avait déjàcontribué à la fragilisation de la sociétécongolaise dans tous les domaines. Lesvaleurs positives (de travail, de service

E

Page 17: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201016

public, d’amour de la patrie …) senoyaient avec l’accroissement de lapauvreté d’un grand nombre de citoyenset l’insuffisance d’éducation civique. Celalaisse douter du caractère démocratiquedes régimes en place car ils n’améliorentpas les conditions d’existence despopulations.

L’instabilité en RD Congo reposesur la stratégie de priver le pays dedirigeants responsables. À son avènementau pouvoir, tout Président ou PremierMinistre congolais est placé devant unchoix, celui de servir les intérêts despuissances impérialistes d’un côté et celuide servir son peuple, de l’autre côté. Ceuxqui ont privilégié l’intérêt du peuple ontété assassinés. Et ceux-là qui ont bafouéles intérêts du peuple sont devenus desdictateurs et ont mal fini.

L’assassinat de ces leaderspolitiques, déclarés par la suite hérosnationaux, a laissé chaque fois derrièreeux, dans le chef des masses populaires, legoût d’un bien-être raté. Dans ce contexte,les violations des droits humainsdeviennent le lot quotidien et une partiede la population se sent interpellée ets’engage dans l’action pour la promotionet la protection des droits humains.

Quand, suite aux déplacementsforcés et à l’occupation de leur terroir parles forces étrangères, les populationscongolaises ont compris que leur terrenourricière était en train de leur êtrearrachée, elles se sont mobilisées pourbarrer la route et réduire l’expansion del’occupation, dénoncer le complot et latrahison. Les femmes, contrairement àleur désintérêt habituel pour la chosepublique, ne sont pas restées inactives.Aux côtés des organisations des droits del’homme, les organisations féminines secréent et s’investissent dans la défensedes droits humains.

De notre côté, nous avons vouluconfronter les détenteurs du pouvoir defait et international avec le triste constatde la violation du droit international

humanitaire et de la charte internationaledes droits de l’homme.

La défense des droits humains estnotre point d’entrée dans le combat pourle développement de notre société et ils’agit avant tout du droit d’avoir un paysoù il fait beau vivre et où les citoyensjouissent des droits, accèdentéquitablement aux ressources et lescontrôlent. Ceci étant un droit pour toutpeuple et partout, le Congolais aussi devraen jouir.

Pour nous, femmes, il a étéessentiel pour notre survie de nous saisirde la situation de cette crise comme uneopportunité pour revendiquer plus deconsidération et une position d’égalitédans la société afin de garantir notreparticipation à la prise de décision etréduire notre vulnérabilité à la violence.

Toutes nos actions répondaient àcette vision et étaient basées sur laconception suivante : la femme va accéderà une position sociale équitable par ledéveloppement de ses capacitéspersonnelles. Le développement descapacités personnelles des femmesconstitue une condition pour ledéveloppement de la société tout entière ;il passe par l’éducation formelle etinformelle à travers laquelle serontpromues des valeurs positives depatriotisme, de partage et d’équité. Nousvoulons toujours promouvoir tout ce quifavorise le développement de cescapacités personnelles (physiques,intellectuelles, morales …) et empêcherpar tous les moyens ce qui les entrave.C’est ça le sens du combat que nousmenons en tout temps et en tout lieu et quidoit continuer avec ou sans nous.

La mise en œuvre de cette vision seréalise à travers les activités que nousmenons au plan national et international.Ces activités visent à :

Promouvoir la prise de conscience,dans le chef des femmes instruites etnon instruites, de leur droit às’exprimer dans la société, à s’associer

Page 18: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 17

et à se doter par leur propre initiativede cadres d’expression, de défense deleurs droits et intérêts et de promotionde leurs conditions d’existence.

Organiser les femmes, susciter leurintérêt pour la chose publique et àparticiper à la prise des décisions.Partout où la femme se trouve, aumarché, à l’église, au quartier, auniveau du pays, elle doit prendre unepart active dans les instances degestion.

Dénoncer par des canaux appropriés(contacts, mass media, rapportsd’étude et d’enquêtes…) les crimes

commis pendant les conflits armés, yinclus les crimes d’agression duterritoire congolais et des violencessexuelles utilisées comme arme dedestruction massive sur un long terme.

Assister les victimes avec desapproches innovantes dans laprévention et la réponse aux violencessexuelles : assister les femmesvictimes, ensemble avec leurscommunautés, dans leur proprecommunauté ; transformer les femmesvictimes des conflits en agents de leurpropre changement et celui de leurscommunautés.

Contribuer à la lutte contre l’impunitédes violences sexuelles.

Plaider et promouvoir des réponses quivont au-delà des conséquences de laguerre, telles les violences sexuelles,pour agir en faveur d’une réponsedurable qui intègre la répression desauteurs et surtout en œuvrant en faveurd’une coopération profitable pour lepeuple de la RD Congo en lieu et placede l’accès à ses ressources par desvoies de fait.

Les résultats atteints jusque làtémoignent d’une avancée dans ledomaine de la promotion et de la défensedes droits humains, plus particulièrementles droits de la femme.

Sur terrain, le Réseau des Femmespour la défense des Droits et la Paix(RFDP), est un cadre de référence qui a

reçu pour mission de faire des femmes desdéfenseures des droits humains. DesComités d’Alerte pour la Paix (CAP), quisont des structures de femmes de la base,constituent des cadres d’action desfemmes pour la prévention et la réponseaux violences sexuelles et basées sur legenre. L’action du RFDP et des Comitésd’Alerte pour la Paix travaille la questiondes violences sexuelles dans uneperspective à long terme, en ce sensqu’elle consiste à assister les femmesvictimes ensemble avec leurscommunautés, dans leur proprecommunauté, à transformer les femmesvictimes des conflits en agents de leurpropre changement et celui de leurscommunautés. Les femmes victimesd’hier se sont ainsi organisées pouraccompagner et assister les autres etinterviennent dans la médiation familiale.

Dans tout notre plaidoyer dans lesinstances internationales, aux Nationsunies, à l’Union européenne, auprès decertaines organisations nongouvernementales internationales et decertaines personnalités intéressées à laquestion, notre cheval de bataille atoujours été de montrer qu’au delà desréponses humanitaires, les violencessexuelles devraient être traitées dans uneperspective de développement durable.Fort heureusement, nous constatons avecbeaucoup d’intérêt qu’au niveau decertains organismes d’aide, il y aémergence des approches de lutte contreles violences sexuelles qui adressent lesviolences basées sur le genre au delà desviolences sexuelles en intégrant laprévention et la responsabilisation desacteurs étatiques. Tout en notant que lesviolences continuent sur le terrain, pournotre pays, un pas est déjà franchi, celuide promulguer la loi sur la répression desviolences sexuelles, le 20 juillet 2006, et àlaquelle le RFDP, agissant au sein de laCoalition contre les Violences Sexuelles(CCVS), avait joué le rôle moteur. Il vientde se doter d’une Stratégie Nationale delutte contre les Violences Basées sur leGenre.

Page 19: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201018

Agissant en Caucus des Femmescongolaises pour la Paix, ensemble nousavons stimulé l’engagement de l’éliteféminine congolaise du Sud Kivu dans lespartis politiques pour son implication dansles élections et, partant, dans la gestion dela chose publique. Nous constatons queplus de 80 femmes ont été candidatestitulaires aux élections législativesnationales et provinciales dans la provincedu Sud Kivu.

La mise en œuvre de cette vision seheurte cependant à des difficultés et à desrésistances de différentes natures. Ellesvont des menaces verbales, desintimidations, des bastonnades, de laprivation de la liberté de circuler, desblocages d’accès aux moyens de survie àdes tentatives d’assassinats. Cela exige,donc, du courage, un certain sensd’abnégation et un soutien familialéprouvé.

La lutte contre les violences faites àla femme et la promotion des droitshumains sont limitées dans un contexte demauvaise gouvernance. C’est pourquoi,nous œuvrons aussi pour contribuer àl’émergence d’un leadership politique quiva traduire notre vision d’une société oùles citoyens accèdent aux meilleuresconditions d’existence de façon équitable.

De plus, toutes les capacités quenous voulons voir se développer chez lesfemmes doivent aussi les amener à plusd’actions pour transformer les structuresqui bloquent leur participation au pouvoirà tous les niveaux.

Malgré la tendance dominanteobservable de maintenir le Congo commeune zone trouble dans laquelle lesprédateurs de tous bords viennent puiserles ressources, en violation desmécanismes de coopération établis et audétriment de plus de 60 millions desCongolais d’aujourd’hui et ceux d’avenir,nous avons pu bénéficier de l’appuid’autres forces plus positives et sensibles

à l’injustice que vit le peuple congolaispour mener notre combat.

Le titre de Docteur honoris causaqui nous est décerné ce jour nous donnede l’espoir que la RD Congo n’est pasabandonnée et qu’il y a quelque part aumonde une poignée de gens,d’organisations et d’institutions qui seconvainquent que les Congolais ont aussidroit à la vie et qu’il est injuste demaintenir 60 millions d'humains (1% de lapopulation mondiale) dans une situationde pauvreté et d’insécurité permanente.

Nous avons l’espoir que les forcespositives prendront le dessus pour que lesvrais protagonistes de la violence en RDCongo, bien identifiés dans les rapports del'ONU sur les pillages des ressourcesnaturelles en RD Congo et qui sont lesgroupes militaro-économico-politico-maffieux qui instrumentalisent lesmilitaires au pouvoir dans les pays desgrands lacs, répondent de leurs actes.

Notre espoir est de voir enfin lepeuple de la RD Congo libre de touteemprise impérialiste pour présider à sadestinée et assurer ainsi la reconstructionde son pays dans une coopérationresponsable et mutuellement profitable.Un pays où le citoyen participera auservice national dans sa plénitude, où lescadres seront choisis sur based’excellence intellectuelle et morale, oùun plan de développement durable seramis en branle ; un pays qui ne sera plussous-administré ; un pays où l’impunité etla perméabilité aux forces du mal à grandeéchelle seront bannies. Un pays quiapportera son concours au développementhumain et culturel planétaire.

C’est seulement dans un telenvironnement que nous espérons que lesfemmes pourront voir leurs conditionsd’existence s’améliorer, leur protectionassurée et le respect de leurs droitshumains garanti.

Vénantie BISIMWA NABINTULouvain-la-Neuve, le 02/02/2010

Page 20: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 19

Les questions de migration en lienavec l’intégration et le développement

l’occasion de cette journéeinternationale du Migrantque nous célébronsaujourd’hui à Wavre, suite

aux activités organisées, à l’initiative duConseil Wallonie Bruxelles de laCoopération Internationale, par le CNCD11.11.11 en partenariat avec Le Mondeselon les femmes et Yambi Africa, uneOSIM (Organisation de solidaritéinternationale issue de la migration)membre de la CGMD (Coordinationgénérale des migrants pour ledéveloppement), au nom des femmesmigrantes, nous voulons apporter ici notremodeste contribution pour une nouvellestratégie et des mécanismes derenforcement des capacitésinstitutionnelles et de visibilité des actionsdes OSIM des femmes migrantes.

En effet, dans cette réflexion sur lathématique "Migration et Développement"relevant des missions du ConseilWallonie-Bruxelles de la coopérationinternationale (CWBCI), il s’agit deformuler des propositions concernant lasensibilisation, l’éducation audéveloppement, l’implication despersonnes étrangères ou d’origineétrangère et la décentralisation de lapolitique de développement via un rôleaccru des pouvoirs locaux.

Certes, nous ne pouvons niercertaines avancées politiques et mesuresprises aux niveaux régional etcommunautaire, parfois aussi au niveaulocal (conseil consultatif dedéveloppement) en ce qui concerne cesmatières de migration, intégration etdéveloppement. Citons-en quelques-unes :

- le nouveau décret de la régionwallonne sur l’intégration des personnesétrangères ou d’origine étrangère d’avril2009, modifiant celui de juillet 1996 à lasuite d’un état des lieux effectué enseptembre 2008, le plan locald’intégration (centre régional

d’intégration) et le plan de cohésionsociale (décret de novembre 2008) danscertaines communes et villes.

- La table ronde organisée en mai2008 à l’initiative, toujours, du CWBCIpar le CNCD 11.11.11. en partenariatavec la CGMD sur le thème "Commentrendre effectifs les partenariats entre lesorganisations de solidarité internationaleissues de la migration (OSIM) et lesautres acteurs de la coopération enWallonie et à Bruxelles ?"

- La participation des deuxmembres de la CGMD (effectif etsuppléant) à la Commission wallonned’intégration des personnes étrangères oud’origine étrangère et à la Concertationwallonne pour le co-développement.

- La simplification admi-nistrativeoù l'on ne retrouve pas toutes lesquestions spécifiques liées aux personnesd’origine étrangère.

Le partenariat entre OSIM et les ONGmembres du CWBCI

Ce processus de partenariat entreOSIM et les organismes membres duCWBCI a été rendu possible d’abord parla collaboration entre le CNCD et laCGMD, pour ensuite concrétiser cettevolonté politique et l’une desrecommandations issues de la table ronde,par la collaboration de travail entre leCNCD 11.11.11 et le Monde selon lesfemmes (ONG) dans le cadre de ce projet.

Puisque la migration récente revêtde plus en plus un visage féminin sur labase des statistiques existantes, le CWBCIa voulu accorder une attention particulièreaux OSIM des migrantes pour cette année,par ces activités qui se focalisent surl’approche genre dans la solidarité issuedes migrations.

Des thématiques de "Travail décentet d’économie sociale" ont été abordées,

À

Page 21: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201020

montrant à la fois les conditions peudécentes de travail des femmes migrantesconfinées la plupart du temps dans lessecteurs des soins et services auxpersonnes, et les enjeux de lasyndicalisation pour la défense de leursdroits.

Quant au thème de "l’économiesociale", qui est l’une des pistes dessolutions d’intégration ou de réinsertionsocioprofessionnelle des migrantes etmigrants, et également un des volets deleurs initiatives de co-développement, ilexiste toute une série de servicesinstitutionnels en Wallonie et à Bruxellespour l’encadrement, l’orientation et lesconseils en ce domaine (Credal, AGES).

Toutefois, l’accès au financementreste toujours limité ou difficile pour lepublic migrant qui ne peut apporter unegarantie de fonds propres suffisants, vuses conditions de précarité liées à sonfaible accès à l’emploi.

Comme nous pouvons le constater,le partenariat entre Yambi Africa, uneOSIM et les deux ONG a été bénéfiquesur tous les plans : la visibilité auxniveaux régional et local, lacomplémentarité dans le travail d’équipe,l’enrichissement des idées et méthodes detravail, la reconnaissance et la valorisationde l’expertise du bénévole de YambiAfrica.

Bref, il y a une mutualisation et unrenforcement des savoirs ainsi qu’unesynergie, ce qui ne peut qu’augmenterl’efficacité de l’action entreprise enpartenariat dans le respect des identitéspropres de chaque opérateur.

L’autre avantage est de mobiliser etde canaliser ou de concentrer les moyenssur un seul projet des partenaires ou duconsortium, ce qui augmente les chancesd’obtention du financement plus que desoumettre des dossiers de projet en isolé.

Ce partenariat est égalementpossible entre OSIM des migrantes etmigrants pour mieux se renforcer suivant

leur domaine d’intervention et accéderainsi aux différents systèmes definancement d’initiatives d’intégration, decohésion sociale, de citoyenneté etd’interculturalité.

Malheureusement, nous constatonsque peu d’OSIM comprennent cettenécessité de travailler en synergie ou enréseau ou encore en consortium déjà entreelles, ce qui, entre autres, limite leuraction et réduit leur chance d’obtention definancement puisque travaillant demanière éparse sur des sujets parfoissimilaires (Cas de soumission de projetsdes Assises de l’interculturalité).

Interpellations

Force est de constater que lesOSIM ne sont pas logées à la mêmeenseigne que les A.S.B.L des autochtonesen matière d’accès au financement, auxaides à l’emploi et en matière de créationde partenariat avec les ONG, les privés,les villes et les communes, alors quetoutes sont régies par la même loi.

Des inégalités et des préjugéssubsistent encore, en plus d’autrescontraintes spécifiques dues au manque demoyens propres, à l’exercice du bénévolatdu personnel impliqué qui est, au mieux,en situation vulnérable face à l’emploi(hors marché de travail).

Au vu de cette expérience departenariat concrétisant lesrecommandations de la table ronde de mai2008, nous plaidons pour la poursuite dece type de partenariat et demandons auxONG membres du CWBCI de serapprocher des OSIM pour unecollaboration franche, efficace et durable,car tous, nous sommes acteurs/ actrices dechangement pour un monde meilleur.

Du côté migrante et migrant, cemanque de cette culture de travail enpartenariat en interne est à déplorer : c’estpourquoi, nous lançons un appel, à cetteoccasion, aux OSIM pour changer destratégie de travail et d’être plus solidairespour marcher dans la voie du

Page 22: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 21

professionnalisme et de l’efficacité de nosactions, évitant aussi des préjugés entrenous.

Sachant que la majorité des OSIMmanquent de personnel salarié, ce quirend plus difficile leur professionnalismeet réduit la plupart du temps leur efficacitéde travail et leur visibilité, nous plaidonsauprès des pouvoirs régionaux,communautaires et décentralisés locauxpour une politique incitative de mise àdisposition d’un poste de personnelpermanent subventionné (de mettre enplace des mesures d’incitations dupersonnel) aux OSIM sur base de critèresclairs, soit : faciliter les accords avecCPAS pour art. 60 et 61, avec l’ONEM/FOREM/ORBEM pour les ACS, leMaribel social, le plan Activa, le crédittemps, le chèque A.L.E.

Toujours dans le but de rechercherde l’efficacité, du professionnalisme desactions des OSIM des femmes migrantes,en particulier dans le cadre d’intégrationet d’égalité des chances, nous plaidonspour des pratiques cohérentes des lignesde financement pour OSIM qui devraienttenir compte de la globalité du projet,surtout dans le cas d’activités pérennes(fonctionnement, personnel et activités).

Constatant également la limitationde l’enveloppe budgétaire réservée pour lefinancement des initiatives de solidaritéinternationale des OSIM et la difficulté defaire un suivi de terrain, nous demandonsaux pouvoirs régionaux, communautaireset locaux de mettre en place unmécanisme de suivi et d’appui techniquerecourant à l’expertise des migrantes etmigrants.

Dans le cadre des initiatives de co-développement, nous demandons auxpouvoirs régionaux, communautaires etlocaux de soutenir par une enveloppecomplémentaire (cas de Cap Santé) lagestion du projet ou du programme ayantreçu le financement au Nord ou dans lepays d’accueil. Que cette même mesuresoit également d’application pour le projet

de solidarité internationale financé par laWallonie Bruxelles internationale (WBI).

S’agissant des conditions de travaildécentes, nous constatons que les femmeset hommes migrants ne jouissent paspleinement de leurs droits en matière desécurité sociale, soit du fait de leur statutde "sans papiers", soit du fait des horairesdifficiles, des salaires non respectés et desabus dans le secteur d’aide aux personnes(travail domestique). C’est pourquoi, nousplaidons pour une réglementation et unevalorisation du travail d’aide auxpersonnes ou domestique.

En matière de régularisation despersonnes étrangères ou d’origineétrangère, nous demandons, malgré lapolémique et le problème d’irrégularitésoulevé, que soient prises en compte lasituation de vulnérabilité de ces "sanspapiers" et toutes les conséquencespsychosomatiques, socioéconomiques quien découlent, et qu’une commission, àlaquelle seront associés les expertes etexperts issus de la migration, puisse sepencher sur cette matière pour définir unepolitique de l’immigration qui soithumaine.

En définitive, nous demandons auxpouvoirs régionaux, communautaires etlocaux que soient associés à tous lesniveaux de réflexion, de consultation oud’avis les expertes et experts issus del’immigration pour atteindre des résultatsconcrets de toutes les mesures et loisexistant en faveur d’une sociétéinterculturelle où chaque citoyenne/citoyen ait sa place et jouisse pleinementde ses droits et obligations.

En matière des politiquesd’intégration, nous demandons que soientprises en compte toutes les spécificités descommunautés migrantes par rapport à leuraccès tardif sur le marché de l’emploi, cequi explique leur vulnérabilité plus grandedans la période de vieillissement. Dans cesens, nous demandons que soit revisitée laloi sur la pension minimum pour lespersonnes n’ayant pas travaillé pendant 30ans.

Page 23: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201022

Nous disons Non à l’exclusion, auxdiscriminations multiples dont sontvictimes les immigrés et Oui pour despolitiques de migration, d’intégration et

de coopération au développement, de co-développement où le migrant est à la foisacteur et un pont entre le Nord et le Sud.

Marie-Thérèse NDUMBAWavre, 18 décembre 2009

Est-ce que l'expérience gacaca témoigne d'une forme de pluralismejuridique et d'appropriation du droit par la société rwandaise ?

a réponse à cette question passe par la compréhension d’abord du concept depluralisme juridique (1), ensuite de la notion de gacaca (2) et en finl’appropriation de ce mécanisme de la part de la population, victimes et auteurs

des faits, dans ce mode alternatif de résolution des conflits post génocide(3).

Introduction générale

De prime abord, il convient de signaler que les contraintes liées au temps et à l’espacenous interdisent de verser dans les controverses existant sur la notion de pluralismejuridique. Car, cette notion est une des tentatives de réponse à la question de qu’est –ce quele droit ? Cette question a continué et continue à diviser les auteurs, des philosophes du droitaux sociologues du droit. Il existe à ce propos une doctrine bien nourrie. Nous n’avons prisqu’un échantillon des définitions de quelques auteurs pour nous permettre de répondre ànotre question.

Dans cette brève présentation, nous partirons de l’hypothèse que le pluralismejuridique est une réalité sociale, et l’institution des tribunaux coutumiers à l’instar desgacaca à côté des juridictions modernes, peut en être une manifestation.

1. Le concept de pluralisme juridique

Le pluralisme juridique peut être défini comme un courant qui constitue "… unetentative plus homogène de traiter le droit dans une perspective sociologique déniant à l’Étatson monopole et même son contrôle de la production du droit"9

L’idée est qu’il existe d’autres sources du droit en dehors de l’État. Les normes ainsiproduites constituent le droit au même titre que le droit étatique. " Dans une même société, ilpeut y avoir plusieurs systèmes juridiques qui interagissent. "10

L’histoire de ce courant révèle qu’il a connu son véritable développement avecEugene EHRLICH pour qui "ce n’est pas un élément essentiel du concept de droit que d’êtrecréé par l’État, pas plus que cela ne constitue la base des décisions des tribunaux et autresjuridictions, ni d’ailleurs que ce soit la base d’une force de contrainte juridique qui feraitsuite à pareilles décisions."11

Le professeur B. DUPRET, développant la pensée d’EHRLICH, note que pour cedernier "le droit est donc fondamentalement une question d’ordre social, que l’on trouvepartout. […] Sa source réelle ne réside pas dans les législations, mais dans les activités de lasociété elle-même. Il y a, sous les règles formelles du système juridique, ce qu’il appelle un"droit vivant", un "centre de gravité juridique" qui se situe dans la société elle-même. Si la

9 B. DUPRET, Droit et sciences sociales. Paris, Armand Colin, 2006, p. 43.10MAUSS M. cité par B. DUPRET., op. cit., p. 43.11EHRLICH E, Fundamental Principes of the sociology of Law" cité par B. DUPRET., op. cit., p. 44.

L

Page 24: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 23

société est hétérogène ou plurale, le droit l’est aussi, par la force des choses. Le danger peutvenir d’un droit imposé indépendamment de ces réalités sociales."12

Ainsi défini, le pluralisme juridique semble rencontrer les réalités sociales etjuridiques de la plupart des États de l’Afrique subsaharienne, devenus indépendants après delongues années de colonisation.

En effet, introduisant son ouvrage sur une "Contribution à l’étude des sociétés multi-confessionnelles : effets socio-juridiques et politiques du pluralisme religieux", G. G. CORMnous fait observer que "certes, le droit constitutionnel moderne de l’État-Nation a été presqueuniversellement adopté ; il ne représente cependant souvent qu’un secteur juridique dont lefonctionnement est tout à fait en marge de la vie socio-juridique réelle des peuples. C’estainsi que persistent dans la plupart des pays du tiers monde, qu’ils aient opté pour lemarxisme-léninisme ou pour le libéralisme constitutionnel, des institutions qui se rattachentpleinement à l’ordre ancien précolonial."13

M. ALLIOT note à ce sujet que "l’adoption du modèle juridique de l’État-Nation créeen fait un pluralisme d’ordre juridique et des problèmes d’acculturation difficiles dont ilcommence à peine d’être conscient."14

Ainsi, coexistent dans ces États d’une part, le droit étatique , dit le droit moderne, qui,au départ, est un véritable mimétisme du droit de la métropole, véritable héritage et preuvede la mission civilisatrice de la colonisation et d’autre part, le droit dit coutumier, survivancedes institutions précoloniales qui accomplit aussi la mission de dire le droit pour un certainnombre des matières.

Le droit moderne connaît au fur et à mesure une certaine appropriation par ces Étatspar des réformes qui tiennent compte de leurs réalités spécifiques, comme l’avait prédit unauteur "c’est en évoluant vers le droit européen que s’unifiera le droit coutumier. Il n’est pasinterdit qu’un jour les deux droits puissent se rapprocher assez pour se fondre parl’introduction dans le code civil des règles de la coutume sous une forme adaptée à la sociétéafricaine nouvelle."15

Dans ce cadre, malgré les efforts d’unification du droit congolais en RD Congo,subsistent encore jusqu’à ce jour des juridictions coutumières qui appliquent le droittraditionnel dans les territoires où les tribunaux de paix (droit étatique) ne sont pas encoreinstallés. Or, jusqu’il y a peu, un tiers seulement de ces tribunaux étaient installés et partant,c’est tout le pays pratiquement qui connaît encore cette justice sans code, basée uniquementsur la sagesse des notables. Ce droit ainsi produit, tranche des conflits et apaise les tensionssociales au sein de la société congolaise.

La survivance de cette justice au Congo n’est pas le reflexe de la peur du droitmoderne qui tranche par un jugement comme l’a soutenu M. ALLIOT : "l’Africain a horreurdu jugement qui clôt une querelle en appliquant aux deux parties une loi préétablie. Lajustice n’est pas affaire technique, elle est d’abord expression de l’autorité : c’est le chef quidoit la rendre. Ensuite, il s’agit moins de trancher conformément à une loi que d’amener lesparties à se concilier : le rappel de la règle coutumière est surtout destiné à obtenir

12 Ibidem.13Georges G. CORM, Contribution à l’étude des sociétés multi-confessionnelles : effets socio-juridiques etpolitiques du pluralisme religieux, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1971, p. 8.14Michel ALLIOT., L’Acculturation juridique, in Ethnologie générale, Dir. J. Poirier, Paris, 1968, in Georges G.CORM Contribution à l’étude des sociétés multi-confessionnelles : effets socio-juridiques et politiques dupluralisme religieux, op. cit., p. 9.15SOHIER A., Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Bruxelles, Larcier, 1954, p. 16.

Page 25: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201024

l’acquiescement des intéressés. Juger, ce n’est donc pas faire appliquer un texte par untechnicien, c’est pour le chef rapprocher des esprits, concilier des hommes." 16

C’est sans contestation une des manifestations du pluralisme juridique. Le pluralismejuridique avait aussi prévalu tout au long de la colonisation du moment où deux ordresjuridiques coexistaient au Congo belge, d’un côté l’ordre juridique de droit écrit, pour lescivilisés et de l’autre côté le droit coutumier, pour les indigènes comme l’observe J.MAQUET "c’est le droit coutumier qui a tranché les litiges de la population congolaise danssa presque totalité pendant trois quarts de siècles. En 1926, un décret établit une organisationjudiciaire complète, " les juridictions indigènes " chargées exclusivement de juger lespersonnes de statut coutumier."17

En note : "les juridictions indigènes n’appliquent pas que le droit coutumier mais aussile droit écrit, c’est-à-dire les nombreuses dispositions légales ou réglementaires que lesautorités belges et même africaines ont prises."18

La notion du pluralisme juridique ainsi circonscrite, peut-on soutenir que lesjuridictions gacaca constituent une application de ce courant ?

2. La notion de gacaca

a. Le gacaca traditionnel

Le gacaca est une justice traditionnelle, familiale de réconciliation. Commel’observent F. DIGNEFFE et J. FIERENS "en l’absence d’une instance étatique de règlementdes différends, la famille s’organisait pour imposer l’ordre en son sein et pour résoudre leslitiges qui pourraient naître dans ses relations avec les familles voisines. La justice gacacan’avait ni siège fixe, ni période déterminée de réunion (ONU, Rapport, Phase I, 1.)."19

Il s’agit d’une "forme de justice traditionnelle servant jusqu’alors surtout à résoudre enassemblée des querelles locales."20 C’est "le plus bas échelon du cadre traditionnel rwandaisde trancher les différends, comparable à un arbre à palabres africain."21

D’après F. DIGNEFFE et J. FIERENS "Le gacaca visait presque exclusivement lerétablissement de l’harmonie sociale. Le droit traditionnel n’opérait aucune distinction entrele droit civil et le droit pénal. Tout désordre était considéré comme touchant la société etdevait être sanctionné. Le but de la règle de droit n’était pas la répression du coupable, maissa socialisation. En général, les anciens de la famille, seuls habilités à juger, recherchaientdans leur décision la conciliation des parties et non l’humiliation par l’application des règlesde droit. Certaines décisions, pourtant, pouvaient être sévères, notamment l’exclusion de lafamille d’un membre insoumis. Cette sanction était comparable à la mort civile."22

16ALLIOT M. cité par F.DIGNEFFE et J. FIERENS (éds.), "Justice et gacaca. L’expérience rwandaise et legénocide ", Namur, Presses universitaires de Namur, 2003, p. 15.17MAQUET J., Droit coutumier traditionnel et colonial en Afrique centrale. Bibliographie commentée, in Journalde la société des africanistes, 1965, v. 35, n°35-2, p. 413.18MAQUET J., op. cit. p. 314.19DIGNEFFE F. et FIERENS., (éds.) "Justice et gacaca. L’expérience rwandaise et le génocide", Namur, Pressesuniversitaires de Namur, 2003, p. 15.20VANDEGINSTE cité par DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), Justice et gacaca. L’expérience rwandaise et legénocide ", op. cit., p. 77.21NDAMAGE V., Rwanda : autoréconciliation et droits citoyens. Une dialectique politico-culturelle,L’Harmattan, 2004, p. 106.22DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 15.

Page 26: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 25

Les sanctions que pouvait prononcer cette juridiction étaient de diverses natures : "legacaca condamnait à des amendes, à la restitution et aux dommages et intérêts. Lorsque lesamendes consistaient en cruches de bières, les juges, les témoins et les parties partageaientces boissons en signe de réconciliation. S’il s’agissait d’une offense grave, notammentl’assassinat, un mariage pouvait être conclu entre les deux familles. Celui-ci créait unealliance. Les enfants à naître remplaceraient celui ou celle qui était mort(e) et ainsicontinueraient la chaîne de procréation."23

Ce gacaca traditionnel entretenait des rapports avec les autorités traditionnelles,lesquels rapports étaient essentiellement subsidiaires ou exceptionnels car "parallèlement auxgacaca des familles, existait une justice des chefs administratifs et du Roi (Mwami) quin’intervenait que dans les cas jugés graves, si ces familles ne s’y opposaient pas, ou parfoislorsque les familles requéraient une intervention de l’autorité (VANSINA, 2001,181). LeMwami avait le droit d’intervenir à tout moment pour rendre justice. Les chefs politiques,représentants du roi, rendaient justice dans les conflits opposants des familles différentes oudans les conflits familiaux mettant en cause l’un de leurs protégés."24

L’on peut aussi noter un autre type de rapport des gacaca avec le Mwami dansl’exercice du droit de vengeance, considéré comme une obligation religieuse. En effet "lavengeance était une obligation religieuse pour tout membre mâle (Nations unies, 1996,16). Elle s’exerçait indistinctement sur tous les membres mâles du groupe familial dudélinquant. La responsabilité pénale était collective. Seul le Mwami pouvait y mettre fin endécrétant la fin de la vendetta (guca inzigo). La reprise des hostilités était un acte derébellion contre le Mwami."25

L’on note donc que le droit qu’appliquent les gacaca traditionnels est essentiellementcoutumier et notamment le recours aux preuves d’origine magique ou religieuse. Comme lesignale ces auteurs "il existait ainsi des preuves par ordalie (fer rouge, eau bouillante). Ceuxqui imposaient ces preuves avaient la conviction que celui qui, par exemple, oserait plongersa main dans l’eau bouillante, ne pouvait pas se brûler s’il était vraiment innocent. Cespreuves ne sont plus usitées."26 Pendant la colonisation, allemande puis belge, ce droitcoutumier va être appliqué à côté du droit écrit, occidental.

Ce pluralisme juridique et judiciaire connaîtra en 1943 une première organisation. Eneffet, "les autorités du mandat belge ont réorganisé ces juridictions indigènes (Ord. lég.n°348/AIMO du 5 octobre 1943, B.A., 1943, 1498). Celles-ci comprenaient un tribunal dechefferie, un tribunal de territoire et le tribunal du Mwami, juridiction coutumière suprême.Dans les centres urbains ou extra- coutumiers, le tribunal du Centre avait les mêmesattributions que le tribunal de chefferie. Un tribunal du parquet avait compétence pourannuler, même d’office, les décisions des juridictions indigènes, mais sans statuer sur le fond(D. du5 juillet 1948, B.O., 1948, 856). Ces tribunaux connaissaient des affaires civilesmettant en cause des indigènes dans des matières régies par le droit traditionnel et desinfractions mineures en application de la coutume.

Les juridictions de droit écrit avaient compétence générale en matière pénale et danstoutes les matières régies par le droit écrit. Ces juridictions comprenaient une cour d’appel,un tribunal de première instance et des tribunaux de police. Elles appliquaient le Code pénalcongolais. (D. du 30 janvier 1940, B.O., 1940, 193). En 1962, une nouvelle organisation

23Ibidem.24DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., pp. 18-19.25DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 16.26DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 16.

Page 27: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201026

judiciaire unifia ces juridictions en supprimant les juridictions indigènes (loi du 24 août1962, J.O., 1962, 308)."27

De ce qui précède, il appert que les gacaca traditionnels étaient des juridictions denature familiale appliquant la coutume comme droit traditionnel avant et pendant lesdifférentes colonisations que le Rwanda a connues. Les gacaca nouaient des rapports diversavec les autorités traditionnelles.

L’on note que pendant la colonisation, il s’était instauré un pluralisme juridique etjudiciaire qui a cessé officiellement en 1962. Mais, dans la vie sociale, l’on recouraittoujours aux gacaca pour la résolution de certains conflits comme l’ont observé ces auteurs :"les Rwandais ont peur du droit [écrit], parce qu’il ne permet pas de régler les conflits maisqu’à leurs yeux, il les entretient."28 "Le nouveau gacaca ne disqualifiera-t-il pasdéfinitivement le gacaca traditionnel, encore actif sur les collines dans des litigesquotidiens ? Notamment quant les "Rwandais intègres" du nouveau gacaca et lesinyangamugayo médiateurs traditionnels seront les mêmes ?"29

Dans une enquête réalisée en 1990 en Commune de Ndora, préfecture de Butare, F.REYNTJENS constate l’organisation courante des gacaca pour les matières suivantes :coups et blessures, injures, calomnies, terrains (bornage et empiètement), successions,responsabilité civile, remboursement de dettes, contrats, vols, relations conjugales et dot-contredot.30

Ce pluralisme juridique fut fustigé par le professeur C. NTAMPAKA "au Rwanda, lesystème judiciaire traditionnel n’était pas étranger à l’organisation familiale en général.L’évolution de l’organisation socioculturelle a eu un impact sur les règles applicables et surles structures de règlement des différends. Comment peut-on aujourd’hui faire cohabiter cesinstitutions avec les juridictions modernes, peut-être défaillantes, mais mieux organisées etmieux préoccupées des droits individuels que des droits collectifs ? Les institutions surlesquelles la société se fondait ont évolué ; d’autres ont disparu ou ont été remplacées ;comment peut-on, sans adaptation, réintroduire une institution fondée sur une organisationfamiliale autre ?"31

Il s’en suit que les gacaca ainsi décrits obtenaient l’adhésion de la population. Lesvictimes avaient le moyen d’exercer la vengeance et obtenaient aussi des dommages etintérêts. C’est dire que la population concernée s’était appropriée ce mécanisme derésolution des conflits.

Si les gacaca traditionnels étaient et sont une application du pluralisme pendant lacolonisation et que la population autochtone s’en était appropriée, peut-on soutenir le mêmeargument pour les gacaca instaurés après le génocide ?

b. Les gacaca créés par la Loi Organique n°40/2000 du 26 janvier 2001 portantcréation des Juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutivesdu crime de génocide ou de crimes contre l’humanité telle que modifiée par la loi organiquen°33/2001 du 22 juin 2001 constituent-ils une application du pluralisme juridique ? Il s’agitici du gacaca juridique et judiciaire.

27DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 19.28DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 15.29Ibidem, pp. 86-87.30REYNTJENS F., Le Gacaca ou la justice du gazon au Rwanda, in Politique Africaine, n° 40, Les Droit et sesPratiques, décembre 1990, p. 34.31NTAMPAKA C., Le gacaca, une juridiction pénale populaire, in C. de LESPINAY, Construire l’État de droit :Le Burundi et la Région des Grands Lacs, éditions L’Harmattan, Paris, 2000, p. 219.

Page 28: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 27

Cette question appelle de notre part une réponse d’emblée négative en principe surbase de l’article 1èr de la loi pour qui l’objet de la loi gacaca est "la mise en jugement despersonnes poursuivies pour avoir, entre le 1èr octobre 1990 et le 31 décembre 1994, commisdes actes qualifiés et sanctionnés par le code pénal et qui constituent :

a) soit des crimes de génocide ou des crimes contre l’humanité tels que définis par laConvention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, parla Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles entemps de guerre et les Protocoles additionnels ainsi que dans celle du 26 novembre 1968 surl’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ;

b) soit des infractions visées au Code pénal qui, selon les accusations du MinistèrePublic ou les témoignages à charge, voire ce qu’admet le prévenu, ont été commises dansl’intention de faire le génocide ou les crimes contre l’humanité."

Ainsi, "la première fonction de la loi gacaca, seule à figurer dans le texte de la loi, estd’instaurer des tribunaux pénaux (la "mise en jugement de personnes poursuivies" pour"crimes" et "infractions"), étatiques et non traditionnels, puisqu’ils émanent de la loi."32

Il ressort donc de la lecture de cette loi que les juridictions gacaca appliquent le droitécrit, le droit étatique et partant, il n’y a qu’une seule source de production du droit. De cepoint de vue, il n’y a pas lieu de parler de pluralisme juridique.

Ce gacaca "n’est pas le processus destiné à régler les différends communautairesquotidiens actuels, mais une institution rwandaise revisitée pour répondre à un vide laissé parle génocide : "… période marquée par l’arrêt de fonctionnement des tribunaux classiques dûau manque de personnel et de matériel, pour revenir à la vie normale, pour punir lesresponsables du génocide."33 De ce fait, l’on peut à juste titre se poser la question : quelssont les rapports réels entre le gacaca traditionnel et les juridictions gacaca telles que crééespar la loi du 26 janvier 2001 ?

D’aucuns ont cru rapprocher les deux juridictions par rapport à la procédure et à lafinalité recherchée par leurs jugements. Or, comme le font observer DIGNEFFE F. etFIERENS "il est frappant de constater que le préambule ne fait aucune allusion à la justicetraditionnelle, alors que les médias notamment mettent constamment en avant le caractèreprétendument coutumier. La référence à la tradition ne risque-t-elle pas de constituer l’alibid’un système avant tout pragmatique, destiné à répondre aux questions posées par les délaisde jugement de plus en plus insupportables et par la longueur des détentions, souvent nonconforme au droit ?[…] Invoquer la spécificité culturelle en matière de génocide et de crimescontre l’humanité, fût-ce en ce qui concerne la procédure de jugement, n’est-il pasparadoxal, au moment où ces infractions sont précisément considérées comme les crimesuniversels par excellence, ainsi qu’en témoigne l’évolution spectaculaire du Droitinternational pénal ?"34

Au demeurant, il faut noter que le gacaca traditionnel est encore actif, comme signaléci-dessus et constitue de la sorte une application du pluralisme juridique dans la mesure où ilapplique le droit traditionnel comme une autre source de production du droit différent dudroit étatique et de l’ordre judiciaire tel que organisé par l’État. Non pas dans une démarcheconcurrente mais dans une approche de subsidiarité.

32DIGNEFFE F. et FIERENS. (éds.), op. cit., p. 86.33 Rapport sur Gacaca, Droit Coutumier, p.5 in RUNYANGE, M., Défis de la justice communautaire commeinstrument de résolution des conflits : Cas de Gacaca traditionnel au Rwanda.34DIGNEFFE F. et FIERENS., (éds.), op. cit., p.86.

Page 29: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201028

En outre, ce gacaca traditionnel est appelé à gérer au quotidien les conflits quinaîtraient de gacaca et qui devraient être gérés par gacaca-conciliation.

c. Le gacaca - conciliation

Le Gacaca-Conciliation consacre-t-il une sorte de pluralisme juridique ?

Une réponse positive s’impose du moment où c’est le gacaca traditionnel qui jouecette fonction de réconciliation et applique le droit traditionnel. Le gacaca traditionnelparticipe de ce principe : le conflit doit être géré par le milieu dans lequel il est né.

L’on note que le recours au gacaca est motivé par l’aveu d’échec du droit étatique,jugé inapte à aboutir à une véritable paix publique et individuelle, la logique vainqueur –vaincu ne pouvant qu’exacerber les conflits. Comme l’exprime cet auteur rwandais "lajustice des tribunaux a montré ses limites dans la résolution des conflits communautaires.Les cas litigieux, même légers, quand ils sont portés devant les juridictions judiciaires, aulieu d’être tranchés à la satisfaction des parties, se transforment souvent en conflits graves :la partie perdante, frustrée et fâchée d’avoir perdu la face dans un procès public, transformele litige simple en un conflit profond."35 Le gacaca-conciliation est une alternative aujudiciaire et continue à jouer ce rôle pour les victimes et les auteurs en leur permettant de serencontrer hors de la procédure judicaire pour retisser les liens rompus et régénérer le tissusocial par l’écoute et le pardon et ce, sans le spectre d’une condamnation.

Le gacaca – conciliation est aussi un alternatif par rapport au Comité desConciliateurs prévu par la Constitution en son article 159 qui institue dans chaque secteur uncomité des conciliateurs chargé de régler, chaque fois, par la médiation, les litiges prévus parla loi, avant de saisir le tribunal. Il est libellé comme suit : "il est institué dans chaque secteurun "Comité des Conciliateurs" destiné à fournir un cadre de conciliation obligatoire préalableà la saisine des juridictions de premier degré siégeant dans certaines affaires définies par laloi."36

"Cette institutionnalisation de la médiation sous forme de tribunal formé par lespersonnes intègres élues par le conseil consultatif et le Comité Exécutif de secteur est un pasimportant vers la résolution pacifique du conflit, mais le comité des conciliateurs reste uneinstitution de l’État. Pour être communautaire, le comité n’a-t-il pas besoin d’un accès directà la population ou mieux la communauté n'a-t-elle pas le droit de trancher certains différendsqui opposent ses membres ?"37 À défaut donc de ce comité, le gacaca – conciliation peutêtre saisi pour résoudre les différends avant la saisine des tribunaux. Ce faisant, il y a ipsofacto pluralisme juridique car ce gacaca n’applique pas le droit écrit mais le droittraditionnel.

3. L’appropriation du droit par la société rwandaise

La déjuridicisation opérée par l’institution des gacaca par la loi organique du 26janvier 2001 a-t-elle aidé le Rwanda à passer à la démocratie ? Est-ce que les gacaca ontpermis aux victimes de s’exprimer ? Quelles sont les attitudes des Rwandais vis-à-vis desjuridictions gacaca ?

S’il est évident que le gacaca traditionnel avait obtenu et obtient toujours l’adhésionde la population rwandaise dans son ensemble pour la connaissance des délits mineurs,

35Rapport sur Gacaca, op. cit., p.7.36Journal Officiel Spécial du 4/6/03.37RUNYANGE M., Défis de la justice communautaire comme instrument de résolution des conflits : cas degacaca traditionnel au Rwanda.

Page 30: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 29

pénaux ou civils, des incidents de la vie courante, en revanche le gacaca issu de la loiorganique chargé de juger les crimes de génocide et contre l’humanité connaît un succèsmitigé.

V. NDAMAGE note à ce sujet que "tous les Rwandais ne perçoivent pas les Gacacade la même façon. Certains considèrent les Gacaca comme un simple moyen de réduire lapopulation carcérale, d’autres comme un moyen d’établir la réalité sur les faits liés augénocide, d’autres comme une méthode permettant de punir les véritables coupables,notamment par voie de dénonciation, d’autres comme un instrument de réconciliation. Il y ena aussi qui redoutent que la procédure des Gacaca ne conduise à une augmentation de lapopulation carcérale : les accusés pouvant identifier de nouveaux suspects au cours desprocès publics. En contrepartie, il y a lieu d’espérer que les dossiers des nouveaux arrêtéspourront être traités assez rapidement, car il y aura probablement suffisamment de preuvespour les juger en les inculpant ou en les disculpant). Toutefois, il faudra suffisamment devigilance car beaucoup de calomnies risquent de se glisser là-dedans."38

Dans son Monitoring sur les juridictions gacaca, Avocats Sans Frontières, suite auxentretiens menés avec les différentes composantes de ce processus, avait mis en évidencetrois principaux points s’agissant des rapports entre les gacaca et la population, entrevictimes et auteurs des faits :

"- Nombreuse à assister aux audiences des Juridictions Gacaca, la populations’abstenait cependant de fournir les informations qu’elle détenait sur le déroulement desfaits.

- Les accusés étaient réticents à dire la vérité et ne s’exprimaient que de façonparcellaire sur des faits connus de tous et taisaient les faits dont ils pensaient qu’ils n’étaientpas connus à l’extérieur des prisons.

- Les rescapés exprimaient toujours un sentiment d’insatisfaction face à une justicequi, à leurs yeux, était plus favorable aux personnes poursuivies pour crimes de génocidequ’aux victimes elles-mêmes."39

Ce monitoring fait aussi part de préoccupations de la population, récoltées de manièrespontanée auprès de l’assistance aux audiences des gacaca : "Après une audience, lesecrétaire exécutif de la Cellule a évoqué des cas de corruption de la part des victimes et desaccusés. Il est parfois reproché aux premières de demander de l’argent pour disculper lesaccusés alors que les seconds sont accusés de profiter de la pauvreté des victimes pour lescorrompre avec des sommes modiques. Il est arrivé également que certains membres del’assistance dénoncent auprès de l’observateur d’ASF un arrangement, " Ceceka" [trad.Retiens ta langue], dans le Secteur et évoquent le paiement de sommes d’argent en échangede silence. [ …] Enfin, l’absence des conseillers en traumatisme a été plusieurs foisconstatée, alors que des victimes manifestaient des signes de traumatisme."40

L’on peut donc soutenir que les jugements des gacaca laisseront des frustrations et desrancœurs aussi bien dans le camp des coupables que dans celui des victimes du génocide etdes massacres. Comme l’affirme S. GASIBIREGE dans une recherche qualitative qu’il amenée sur les attitudes des Rwandais vis-à-vis des juridictions gacaca : "les juridictionsgacaca mettront les gens face à face avec leur conscience. Elles situeront les communautés

38NDAMAGE V., Rwanda : autoréconciliation et droits citoyens. Une dialectique politico-culturelle,L’Harmattan, 2004, p. 220.39Avocats sans frontières, Monitoring des juridictions gacaca, phase de jugement, rapport analytique, n°3,octobre 2006- avril 2007, p. 13.40Ibidem., p. 51.

Page 31: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201030

en face les unes des autres. Elles placeront individus et groupes en face de la vérité et desconséquences de la dire, de mettre les gens devant leurs responsabilités."41

Si les victimes ont réellement la possibilité de s’exprimer, il reste que l’institution desgacaca est loin de rencontrer toutes les exigences démocratiques d’un procès. Une simpleanalyse juridique suffirait à démontrer de nombreux hiatus à ce sujet : procès non équitables,absence de motivation des jugements, omission fréquente du formalisme procédural, lacunesdans l’application du contradictoire, absence de condamnation pour faux témoignage, la nonaudition des témoins à décharge …"42

Il s’ensuit que ce processus n’a pas totalement permis une certaine démocratisation dela société rwandaise. Tout comme il n’a pas exorcisé cette société de ses vieux démons dehaine tribale viscérale. Les gacaca-conciliation seront peut-être les mieux outillés pour cefaire. Une évaluation future à ce sujet nous le renseignera.

De notre point de vue, aucun processus judiciaire ou juridique ne sera à même derencontrer les exigences démocratiques sans que la solution politique à la crise rwandaise nesoit trouvée et notamment un partage équilibré du pouvoir entre les hutus et les tutsi.

Conclusion générale

De ce qui précède, il est un fait que "les juristes, qu’ils se déclarent sociologues ouanthropologues du droit, s’associent dans une même perspective de reconnaissance d’unejustice non institutionnelle, délivrée par des tiers non professionnels."43

Au Rwanda, cette justice non institutionnelle est rendue par le gacaca traditionnel,encore actif, dont les compétences se limitent à la connaissance des délits mineurs, pénauxou civils, des incidents de la vie courante : vols, coups et blessures, injures, calomnies,successions, dot, relations conjugales, …

Il semble que cette justice rendue par le gacaca traditionnel soit bien comprise etacceptée par la population parce qu’appliquant le droit traditionnel, mieux connu et biencompris, du reste, par ladite population qui se l'approprie. Pour s’en convaincre, en 1990,pendant un mois, 112 litiges étaient recensés devant les gacaca dans la Commune deNdora.44 Ce qui est sans nul doute une preuve d’une activité bien nourrie des gacacatraditionnels et une application du pluralisme juridique. Comme le note M. RUNYANGE,dans son enquête "pour les gens, Gacaca a existé et subsiste dans certains milieux, il devraitêtre restauré, sa légitimité n’est pas discutée."45

Quant aux gacaca créés par la loi organique déjà citée, la lecture de l'exposé desmotifs sur les objectifs poursuivis par la restauration officielle des Gacaca peut prêter àcroire qu’ils appliquent la coutume pour juger ; tel n’est cependant pas le cas car les gacacaappliquent le droit écrit, le droit étatique voire supra étatique conformément à l’article 1er susmentionné. Les cinq objectifs sont :

a) faire connaître la vérité sur ce qui s’est passé

b) accélérer les procès du génocide

41GASIBIREGE. S., Cahiers du Centre de Gestion des Conflits, nº3, p. 130.42Avocats sans frontières, op. cit., pp. 52 à 57.43SERVERIN E., Sociologie…in B. DUPRET., Droit et sciences sociales , Paris, Armand Colin, 2006, p.49.44REYNTJENS F., op. cit., p. 34.45RUNYANGE M., Défis de la justice communautaire comme instrument de résolution des conflits : cas deGacaca traditionnel au Rwanda.

Page 32: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 31

c) éradiquer la culture de l’impunité

d) réconcilier les Rwandais et renforcer l’unité nationale

e) faire preuve de la capacité de la société rwandaise à régler ses propres problèmes àtravers une justice basée sur la coutume rwandaise. Signalons que cette justice des gacacajudiciaires est rendue par les Inyangamugayo " homme intègre ".

S’agissant de l’appropriation de cette justice par la population, il importe de noter quel’exposé des motifs de la précitée créant les gacaca insistait sur la nécessité, voirel’obligation, de la population à se l'approprier. L’on peut ainsi lire : "de par le fait que lesinfractions récriminées ont été commises publiquement sous les yeux de la population, celle-ci doit relater les faits, révéler la vérité et participer à la poursuite et au jugement des auteursprésumés. Le devoir de témoignage est une obligation morale, nul n’est en droit de s’ydérober pour quelque cause que ce soit. Il y a nécessité, pour parvenir à la réconciliation et àla justice, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité …"46

Au demeurant, cette appropriation par la population a connu des fortunes diversescomme nous l’avons souligné et notamment des pratiques de corruption, de monnayage destémoignages,… Les victimes ont certes, la parole dans ces gacaca, ce qui, du reste, justifieces juridictions car sans cette écoute, la réconciliation ne serait qu’un leurre, mais l’on aaussi fait remarquer l’inexistence des psychologues pour prendre en charge les traumatismesde cette confrontation.

Ainsi, la société rwandaise, à l’instar de la plupart des sociétés africaines qui ont vécula colonisation, a connu pendant la colonisation et continue à connaître après sonindépendance un pluralisme juridique et judiciaire d’une part avec les gacaca traditionnelsdont la légitimité ne souffre aucune contestation, qui appliquent le droit traditionnel, le droitdes communautés locales, pour régler les différends et d’autre part, l’ordre judiciairemoderne, qui applique le droit écrit, le droit étatique.

GUNUMANA-SHATANGIZA Séverin

FONDATION Père EVERARD

Nous renouvelons notre appel à la générosité des donateurs en faveur de laFondation Père EVERARD qui aide les étudiants démunis du Tiers-Monde aux étudesen Belgique.

Ils ont besoin de vous. Nous comptons sur vos dons généreux, petits ougrands. Vous pouvez les verser au compte du CACEAC ASBL à Charleroi numéro :000-1178819-75, avec la mention "Fondation Père EVERARD".

Si vous désirez recevoir une attestation fiscale pour votre don en faveur desétudiants du tiers-monde aidés financièrement par l'Asbl CACEAC (dans les critèresde la Fondation ou en dehors), vous pouvez le verser au compte 000-0000041-41 deCaritas Secours International qui soutient notre projet, avec la mention "CACEACprojet P161".

A l'occasion d'un jubilé, d'un mariage ou d'un autre événement familial, songezà faire un double plaisir en désignant la Fondation comme bénéficiaire de lagénérosité de vos amis.

Grand et cordial MERCI de la part du CACEAC et de tous les bénéficiaires.

46 Exposé des motifs de la Loi Organique n°40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des Juridictions Gacacaet organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanitételle que modifiée par la loi organique n°33/2001 du 22 juin 2001 in NDAMAGE, V., " Rwanda :autoréconciliation et droits citoyens. Une dialectique politico-culturelle ", op.cit., p.219.

Page 33: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201032

P E R S P E C T I V E S E T P O L I T I Q U ELes frontières du Rwanda, une date tournant : 1910

es frontières de la plupart des pays d’Afrique noire, on le sait, ont étéarbitrairement tracées dans les grandes lignes par le Congrès de Berlin en 1885.Le "bassin conventionnel du Congo" devenait une zone cédée au roi Léopold II,

à condition qu’y soit assurée la liberté du commerce. À l’est de ce bassin, dans la région desgrands lacs, sans rien connaître ni de la géographie ni de l’histoire de cette zone, une lignearbitraire coupait le Rwanda en deux, selon une ligne droite descendant à partir du sud duLac Albert et virant brusquement vers le sud-ouest pour atteindre le coin nord-est du lacTanganyika, là où se situe aujourd’hui Bujumbura. Heureusement, l’article 36 prévoyait que"les puissances signataires du présent Acte général se réservent d’y introduire ultérieurementet d’un commun accord les modifications ou améliorations dont l’utilité serait démontrée parl’expérience."

Nous voulons rappeler ici les accords principaux concernant particulièrement lafrontière nord-ouest du Rwanda.

À l’est du "bassin conventionnel du Congo", les territoires étaient partagés entre lesAnglais au nord et les Allemands au sud. Ceux-ci explorèrent progressivement la région quileur était attribuée. L’explorateur BAUMANN entre au Rwanda par le sud en 1892. Deuxans plus tard, l’expédition dirigée par G. A. von GÖTZEN traverse le pays. L’Allemandcache son jeu. Le chancelier BISMARCK envisage d’ailleurs seulement "une souverainetécommerciale".

G. A. von GÖTZEN ne passe aucun traité, contrairement à la manière de procéder end'autres endroits du continent. Par ailleurs, le Mwami (Roi) a été informé qu’il est inutile devouloir s’opposer aux arrivants, d’autant que ceux-ci laissent en place les autorités locales47.Les Allemands, tout en renforçant progressivement leur administration, laissent le Mwamicontinuer ses guerres de souveraineté. La cour passera d’ailleurs par une crise à la mort deKIGERI IV (1895-1897).

Au milieu de cette crise, en juillet 1896, un élément nouveau montre la nécessité defixer la frontière avec l’État Indépendant du Congo (E.I.C.). Poursuivant les Batetela enrévolte dans la lutte contre les esclavagistes, une colonne de l’expédition DHANIS pénètreau Rwanda et s’installe à Ishangi, au sud-est du lac Kivu, après avoir entamé des pourparlersavec les chefs locaux. Les historiens disent que cette colonne est dirigée par le lieutenantSTANDART ; d’après A. KAGAME48, ce STANDART étant mort l’année précédente, ils’agirait plutôt des lieutenants LONG et DEFFENSE.

Quoi qu’il en soit de ce détail, les troupes de l’E.I.C. s’installent donc sur ce territoire,conformément aux cartes de Berlin, mais que revendiquent les Allemands. En 1900, uneconvention est passée entre les officiers allemands et ceux de l’E.I.C., BETHE et HECQ : enattendant que les États concernés prennent des décisions, les troupes congolaises se retirentsur Cyangugu. Dès l’année suivante, des missions viennent, composées de représentants destrois pays concernés : l’Allemagne, l’Angleterre et l’E.I.C., ce qui n’empêche pasl’administration allemande de s’installer, de choisir Kigali comme capitale (1908) et derenforcer l’unité du pays. L’Angleterre en effet est aussi concernée pour la frontière nord dupays. En 1909, des troupes anglaises descendent jusqu’au lac Kivu et veulent obliger lesBelges (l’E.I.C. est devenu colonie belge l’année précédente) à se retirer de la région deRutshuru.

47 Mgr A. KAGAME, Un abrégé de l’histoire du Rwanda de 1853 à 1972, Tome II, 1975, n° 481-482, pp. 93-94.48 Idem, n° 510, p.74.

L

Page 34: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 33

1910 : la convention de Bruxelles

Finalement, le 8 février 1910, une conférence s’ouvre à Bruxelles à la demande de laBelgique. Présidée par le premier ministre SCHOLLAERT, elle réunit des délégués des troispays. Voici comment L. de LACGER49 en résume les conclusions pour ce qui regarde lesfrontières ouest et nord du Rwanda : "le cours de la Ruzizi, une ligne traversant le lac Kivuen laissant la grande île d’Idjwi à la Belgique et aboutissant à la rive nord du lac, à l’est duposte belge de Ngoma ; de ce point, une ligne passant par le mont Karisimbi, atteignant lepic de Sabyinyo, qui devint ainsi le point de rencontre des frontières allemande, anglaise etbelge. L’Allemagne profita de la conférence pour arrêter également avec l’Angleterre sesfrontières limitrophes entre le pic Sabyinyo et le lac Victoria, frontière qui n’avait été fixéequ’astronomiquement le premier juillet 1890." Une commission tripartite est chargée deveiller à l’application de cette décision.

Le Rwanda se trouve ainsi amputé de régions où l’on parle le kinyarwanda et de l’îleIdjwi, où l’autorité royale était encore peu affermie. Cependant, la cour de Nyanza neréclame pas. Comment pourrait-elle intervenir dans ces accords entre puissanceseuropéennes ? Mais cela explique pourquoi, durant la guerre qui se prépare, le Mwamisoutiendra l’Allemagne, espérant que celle-ci, à l’administration forte et travaillant à l’unitédu pays, récupérera ces territoires après sa victoire.

Mais l’Allemagne sera vaincue. On sait comment les troupes de la colonie belgecollaborent à la lutte contre les Allemands dans cette partie du monde. En avril-juin 1916, lepays tombe sous leur administration. Pendant que les puissances victorieuses élaborent letraité de Versailles, qui répartira les anciennes colonies allemandes entre "les puissances àintérêts généraux", donc pas la Belgique, celle-ci, en février 1919, revendique le droit deconserver la totalité des territoires qu’elle gère depuis 1916.

Les pourparlers entre l’Angleterre et la Belgique sont entamés sans tarder à Saint-Germain-en-Laye. Avant même que soit signé le traité de Versailles le 30 juin 1919, laConvention ORTS-MILNER, du nom des deux chefs de délégation (P. ORTS du côté belgeet Lord MILNER du côté anglais), est signée le 28 mai et homologuée par les puissancesalliées le 22 août . Le Ruanda-Urundi devient un protectorat confié à la Belgique sous lecontrôle de la Société des Nations, fondée par ce même traité de Versailles. Les autresterritoires gérés depuis la guerre par la Belgique dépendront des "puissances à intérêtgénéral".

À cette date, l’Angleterre rêvait encore de son chemin de fer joignant Le Cap (Afriquedu Sud) au Caire. C’est pourquoi le Rwanda est amputé du ‘territoire de Kisaka’, banded’une centaine de kilomètres de long sur une trentaine de large, soit près d’un huitième dupays.

Devant les plaintes du Mwami MUSINGA et du gouvernement belge, avec l'appui desmissionnaires, quand l’Angleterre abandonnera son projet de chemin de fer, ce territoire serarestitué. On sait comment le Père CLASSE, alors vicaire général de Mgr HIRTH, intervintavec fermeté en faveur de la révision de la convention ORTS-MILNER, particulièrement parses rapports signés du 25/02/1920 et du 04/10/192150. La Société des Nations avalisera lanouvelle convention le 31/08/1922 ; les Anglais se retireront officiellement le 1 janvier 1924.À cette date donc, les frontières nationales sont définitivement fixées, sans que lesintéressés aient pu intervenir.

L. GALLEZ sj

49 L. de LACGER, Rwanda, tome II. Le Rwanda moderne, 1939, p. 74.50 Pour toute cette affaire, voir L. de LACGER, op. cit., pp. 137-143 et D. MUREGO, La révolution rwandaise1959-1962, pp. 422-475.

Page 35: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201034

La mission de la diaspora ou la magie de l’organisationtransnationale et "multifacétale"

Notre hypothèse : l’origine de la misère (crise ?) anthropologique congolaiseétant transnationale et ayant plusieurs faces, sa conjuration devrait être transnationale et(complexe ?) multifacétale.

u’est-ce que la diaspora congolaise a fait dans un passé très récent ? Que fait-elle ? Que pourra-t-elle faire ? La question de la mission de la diaspora peutêtre abordée sous plusieurs angles : politique, juridique, économique, militaire

et social.

Sous ces différents aspects, le passé de la diaspora peut être approché. L’histoireimmédiate de notre pays évoque l’implication de la diaspora dans la guerre dite "delibération" en 1997. Cette guerre, qui a finalement dévoilé sa véritable face de guerred’agression, a conduit la diaspora congolaise à s’engager dans une aventure belliqueuse dontelle ne semblait pas maîtriser les tenants et les aboutissants. Les quelques opportunistes qui,en son sein, ont pu avoir accès à la gestion de la chose publique sous Laurent-DésiréKABILA ont brillé par leur amateurisme. "Le soldat du peuple" avait fini par les disqualifieren disant qu’ils étaient "un conglomérat d’aventuriers" n’ayant rien de consistant à apporterà la lutte pour l’émancipation de nos populations.

En dehors de ce "conglomérat d’aventuriers", la RD Congo compte parmi ses filleset fils de la diaspora des indifférents. Ayant réussi à changer de nationalité ou étant sur lavoie d’acquérir une autre nationalité, ces filles et fils ne s’intéressent pas outre-mesure audevenir collectif de leur pays. Fatigués par les histoires des guerres interminables quisévissent dans cette partie de l’Afrique centrale, ils conseillent ceci : Eloko wana, totekayango, tokabola mbongo (Cette histoire-là, vendons-là et partageons-nous le prix derevient.). Dans cette dernière catégorie se rencontrent "les marchands de la terrecongolaise". Ils vont à la rencontre des étrangers pour leur demander de soutenir leur accèsaux hautes fonctions de l’État chez nous pour faciliter ce marché.

En marge de ces filles et fils perdus, nous avons tous ces compatriotes qui, à la fin(ou au cours) de chaque mois, soutiennent, à différents niveaux, les membres de famillesrestés au pays : deuil, école, université, santé, transport en commun, etc. sont les domainesoù ces compatriotes interviennent régulièrement. D’autres compatriotes encore, membres dela société civile ou des partis politiques essaient tant soit peu, de se réorganiser pour larefondation d’un autre Congo.

Quelques remarques. Si nous mettons entre parenthèses "les aventuriers et lesindifférents", nous pouvons soutenir que plusieurs compatriotes de la diaspora contribuentéconomiquement et politiquement à l’avènement d’un autre Congo. Il serait même établique l’aide économique des Congolais(es) de la diaspora dépasse de loin les sommes quel’Occident accorde à notre pays comme aide au développement.

Mais comment se fait-il que, malgré cette aide, notre pays n’arrive pas à rompre lecycle infernal de la misère de nos populations ? Comment cette aide est-elle accordée ? Aquoi sert-elle ? Les Congolais(es) de l’extérieur qui aident ne sont pas aux affaires. Cetteaide n’est pas, à 70%, investie dans des entreprises de production. Elle est dépensée pour lanourriture, la boisson, les médicaments, les mariages, etc., les salaires au pays n’étant pasrégulièrement versés et le chômage touchant plus de 90% de la population. Elle est,prioritairement, une aide à la consommation. Souvent, elle est transférée par les banquesétrangères et dispensée individuellement.

Q

Page 36: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 35

De tout ce qui précède, il appert qu’il y a des défis à relever : fédérer les forcescongolaises de la diaspora qui croient dans le changement et les inciter à travailler ensynergie entre elles et avec celles restées au pays ; créer (de l’argent) une ou des banquescongolaises de la diaspora et entreprendre des investissements collectifs dans les secteursproductifs au pays ; entretenir des médias alternatifs, etc. Des tâches qui incombent auxascètes du provisoire congolais (un leadership collectif) et à leurs alliés, eu égard aucaractère transnational de la misère anthropologique congolaise. Il y a, à ce point nommé,un travail de discernement à abattre en permanence pour identifier, avec les alliéstransnationaux, les acteurs majeurs agissant dans l’ombre et les acteurs apparents qui sontcontinuellement sur le devant de la scène51.

Forte de son expérience dans les pays étrangers (et surtout occidentaux et latino-américains), la diaspora congolaise devrait s’inspirer de l’expérience des autres. Les prêtreset les chrétiens congolais auraient beaucoup à apprendre de la théologie de la libération et dela contribution des communautés ecclésiales vivantes à la promotion de la dignité humaine(en Amérique Latine par exemple). Des communautés ecclésiales vivantes bien structurées etbien organisées constitueraient un fer de lance dans la lutte contre l’usage instrumental de lareligion contre les faibles (facilement assimilés aux sorciers) et pour le développementhumain intégral52. L’organisation des forces capitalistes donne, elle aussi, à penser.Comment font-elles ?

La semaine dernière, un article publié sur le site de Michel COLLON et intituléBilderberg de tous les pays, unissez-vous notait que le monde est dirigé par 200 sociétés etgéré par des réseaux très bien organisés de gens qui se connaissent et se rencontrent.

Quel est leur objectif ? "Propager le 'libre marché' et contrer toute opposition par desmoyens légaux ou tordus." De quand date leur première rencontre et qui sont-ils ? L’auteurde cet article, recourant aux sources dignes de foi indique que "(…) les hommes les pluspuissants du monde se sont rencontrés pour la première fois" à Oosterbeek, aux Pays-Bas [ily a plus de cinquante ans], "ont débattu de l’avenir du monde", et ont décidé de se rencontrerchaque année en secret. Ils se sont appelés eux-mêmes le Groupe Bilderberg, dont lesmembres représentent le gratin des élites du pouvoir mondial, venues généralementd’Amérique, du Canada et de l’Europe occidentale. Ils portent des noms familiers commeDavid ROCKEFELLER, Henry KISSINGER, Bill CLINTON, Gordon BROWN, AngelaMERKEL, Alan GREENSPAN, Ben BERNANKE, Larry SUMMERS, Tim GEITHNER,Lloyd BLANKFEIN, George SOROS, Donald RUMSFELD, Rupert MURDOCH, d’autreschefs d’État, des sénateurs influents, des membres du Congrès et des parlementaires, deshuiles du Pentagone et de l’Otan, des membres des monarchies européennes, des gens desmédias triés sur le volet et d’autres personnes, invitées – comme si de rien n’était, par desimples notes, comme Barack OBAMA et ses collaborateurs les plus importants."

Que font-ils pour que le monde et ses dirigeants politiques leur soient soumis ?L’auteur répond : "Les liens de famille, d’éducation et d’affaires – avec l’État en tant que"médiateur" – ont créé ce qui est devenu aujourd’hui un réseau international mettant enrapport les classes dirigeantes des États capitalistes les plus puissants. Voilà pourquoi ils ontun Groupe Bilderberg ; c’est l’endroit où les magnats des affaires, la classe politique, lesmédias sélectionnés et les universitaires peuvent se rencontrer et formuler les stratégies etles tactiques nécessaires dans un monde où les communications, aujourd’hui, se font pourainsi dire de façon instantanée." Et l’auteur conclut son article en posant cette question :"Qui a besoin des Illuminati, quand nous avons tout ce déploiement ligué contre nous ?"

51 Lire J.-P. BADIDIKE, Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard duGroupe Justice et Libération. Paris, L’Harmattan, 2009, ; B. TUNGA DIA LUTETE, La crise des grands Lacs.Analyse et pistes de règlement. Paris, L’Harmattan, 2010.52 Lire C. BOFF et J. PIXLEY, Les pauvres : choix prioritaire. Paris, Cerf, 1990. L’organisation des forcescapitalistes donne, elle aussi, à penser. Comment font-elles ?

Page 37: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201036

La magie de l’organisation transnationale est plus efficace que celles des sciencesoccultes. D’ailleurs ces dernières y recourent. La nôtre devrait inclure la montée de larésistance africaine et mondiale aux "nouveaux maîtres du monde."53

Mais quand nos partis politiques sont alimentaires et ne représentent que lesmembres de nos familles biologiques et quelques clients mangeurs, quand nos organisationsde la société civile, infiltrées par les ONG servantes du capitalisme sauvage, ne sont que descaisses à fabriquer du pognon de la mendicité, quand les querelles inutiles sur la dernièremarque des 4X4 commandés par les mipao au pays remplacent les débats fédérateurs desénergies positives indispensables à la refondation du pays, nous croyons rapidement enl’efficacité des sciences occultes. Il me semble qu’il y a, à ce point nommé, une questiond’honnêteté et de sérieux à l’endroit de nous-mêmes. Nous nous mentons à nous-mêmesrégulièrement. Comment voulons-nous qu’un pays où tout le monde veut être préso dequelque chose aille de l’avant ?

Nos critiques du capitalisme sauvage ne devraient pas nous dispenser d’apprendredes méthodes et des moyens auxquels il recourt afin qu’il règne en nous et sur nous ad vitamaeternam. La culture de l’interdisciplinarité et/ou de la multidisciplinarité (transfrontalière)devrait, chez nous, mener une lutte acharnée contre la culture de la paresse intellectuelle. Ily a ici comme un appel à l’hybridité, au métissage des intelligences .

Faire face à notre misère anthropologique nous exigera, entre autres, que son côtéjuridique soit approfondi. Il devient de plus en plus clair, en côtoyant FlorenceHARTMANN, Carla Del PONTE, Delphine ABADIE et le CADTM, que la guerred’agression à laquelle notre pays résiste jusqu’à ce jour fait partie des "guerres secrètes de lapolitique et de la justice internationales." Elle est (et sera) longue et périlleuse. Mais unsursaut d’orgueil des résistants congolais, africains et autres transnationaux peut faire queles choses aillent vite. Même si, généralement, tout grand changement est moléculaire etexige que les luttants soient armés de courage, de patience, de persévérance et d’esprit desacrifice. Et qu’ils doivent, constamment, dans un esprit de renoncement, de mort à soi,apprendre à passer le relais.

J.-P. MBELURotterdam le 30 janvier 2010)

THÈSES DE DOCTORAT DÉFENDUES PAR DES AFRICAINSOU CONCERNANT L'AFRIQUE (LXX)

FACULTÉS UNIVERSITAIRES NOTRE-DAME DE LA PAIX (X)54

FACULTÉ DE DROIT

MANIRAKIZA Egide (Burundi) : "La subsidiarité procédurale dans le système africain deprotection des droits de l'homme." 23/01/2009. Promoteurs : Professeurs Jacques FIERENSet Gervais GATUNANGE

FACULTÉ DES SCIENCES

MONENTCHAM Serge (Cameroun) : "Alimentation et nutrition des juvéniles de Heterotisniloticus (Arapaimidae, Teleostei) : premières estimations des besoins nutritionnels etvalorisation de sous-produits végétaux." 06/03/2009. Promoteur : Patrick KESTEMONTSTENUITE Stéphane (Belgique) : "Le picoplancton du lac Tanganyika : nature, biomasse etproduction." 09/01/2009. Promoteur : Jean-Pierre DESCY

53 Lire J. ZIEGLER, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent. Paris, Fayard, 2002.54 La 9ème série a paru dans "L'Africain" n° 240 de juin-juillet 2009.

Page 38: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 37

FACULTÉ DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET DE GESTION

TENIKUE Michel (Cameroun) : "Essays on the Economics of Education." 26/06/2009.Promoteur : Professeur Jean-Marie BALAND

FACULTÉ DES SCIENCES BIOMÉDICALES ET PHARMACEUTIQUES

GASINGIRWA Marie-Christine (Rwanda) : "Is Hyal1-1 an authentic lysosomal enzyme ?"12/05/2009. Promoteur : Professeur Michel JADOT

Résumé de la thèse de A. BIRHASHIRWA Rwibunza Lwangosoutenue le 2 juillet 2009

à l'Université Catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve

Titre : L'entreprise familiale et son capital social : fondement et limites del'avantage concurrentiel à travers la croissance et la succession.

Le présent travail s’inscrit dans la dynamique de l’avantage concurrentiel découlantdes spécificités familiales de l’entreprise. Il montre d’une part, que plus la solidarité etl’implication familiales renforcent le capital social, plus l’entreprise familiale bénéficie d’unavantage en termes de réduction des coûts bureaucratiques internes. D’autre part, enrevanche, avec la complexification de l’organisation ou le retrait de son fondateur, lesbénéfices de ce capital social familial deviennent une contrainte comparativement à la firmenon familiale. Les coûts bureaucratiques s’élèvent alors lorsque les "règles du jeu" familialesdeviennent exclusives pour les autres parties prenantes à l’organisation.

Cette inversion de l’avantage explique les difficultés qu'éprouvent de nombreusesentreprises familiales à croître et à passer aux mains de la seconde génération. Ce travails’appuie sur un échantillon de 260 entreprises familiales situées dans la ville de Bukavu, àl’est de la RD Congo. Il explique les problèmes de la croissance et du transfert successoralauxquels fait face l’entreprise familiale dans cette zone peu étudiée d’Afrique.

Par ailleurs, à travers les liens entre le capital social familial et les coûtsbureaucratiques, il propose un angle de vue original qui éclaire les canaux de diffusionconnectant les spécificités familiales à l’avantage de l’entreprise familiale. Nous contribuonsainsi à l’émergence d’une théorie générale et transposable sur terrain pour expliquer lesproblèmes majeurs de la croissance et de la succession au sein de l’entreprise familiale. Nousouvrons aussi une perspective nouvelle et à développer afin de "capter" la dynamique desavantages concurrentiels découlant des spécificités de l’entreprise familiale.

Albert BIRHASHIRWA Rwibunza Lwango

À T R A V E R S L I V R E S E T R E V U E S

Marcel REMON (sous la direction de), ONG et acteurs locaux : l’ultimealternative ? La concurrence des ONG dans le Nord. Les limites du modèleparticipatif dans le Sud. Namur, Presses universitaires de Namur, collection"Éclairage Nord-Sud", 2009. 108 pages. (avec les contributions de J.-Ph.PLATTEAU, V. SOMVILLE, G. ALDASHEV et A. SIMILON).

Page 39: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 201038

Comme nous le constatons tous maintenant, pour les PVD, ni le marché libre niles soutiens étatiques ne constituent la panacée pour le développement.Heureusement, il existe une troisième voie, celle des ONG et des communautéslocales, la société civile en somme, lesquelles jouent un rôle capital pour colmater lesbrèches ouvertes par les deux piliers précédents. C’est donc cette troisième voie, sesréussites et ses difficultés que ce petit ouvrage bien conçu se donne pour butd’analyser.

L’ouvrage n’est pas très long mais le texte très dense et sans être difficile,demande quand même une attention soutenue comme tout bon ouvrage universitaire.Plusieurs problématiques y sont abordées, par exemple la question de la durabilitéquand elle est confrontée aux exigences de résultats immédiats et concrets. On y metaussi bien en relief les difficultés inhérentes à un projet de développementparticipatif comme la différence de compréhension des choses entre donateurs etbénéficiaires, ce qui entraîne confusions, conflits et blocages.

Difficultés aussi de décentraliser l’aide quand on constate que les élites localesconfisquent les dons à leur propre profit en s’arrangeant pour que les "inférieurs" quireçoivent l’aide comme eux sur base de l’égalité démocratique chère aux donateurs,s’en voient finalement dessaisis sous prétexte que l’ordre social existant ne soit pasbouleversé. Ou alors qu’en plus des détournements d’argent et de la corruptionviennent s’ajouter les défaillances des capacités techniques dans la mise en œuvredes projets. Tous ces inconvénients étant donc à mettre en balance avec la corruptiondu pouvoir central si on passe par lui pour décider et exécuter les projets.

Les difficultés se situent également au niveau du Nord quand on voit la rudeconcurrence entre les ONG pour obtenir le maximum d’aides publiques ou plusparadoxalement le fait que ces ONG n’ont finalement pas vraiment intérêt à réduirela pauvreté puisqu’elles perdraient dès lors leurs financements extérieurs, leursemplois, leur raison d’être.Bref, un petit ouvrage bien fait, rempli d’idéesintéressantes à conseiller à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à cetteproblématique des ONG de développement.

E. VAN SEVENANT

N O U V E L L E S F A M I L I A L E S

C'est avec regret que nous vous faisons part du décès :

- le 5 janvier 2010 à Bruxelles, de André LONGMO Bakutu, époux de JacquelineNSASE et parrain de TEDANGA Ipota Bembela- le 5 février 2010 à Libreville, de Eugène EFOÉ (né SODANGBE), frère de JeanBosco SODANGBE- le 8 février 2010 à Kinshasa, de Alberic BAKONGA Isanga Bosanganye, onclematernel de TEDANGA Ipota Bembela- le 14 février 2010 à Lomé, de Jacques Têtê BENISSAN, frère de ClémentineBENISSAN

Ne soyons pas tristes de l'avoir perdu mais soyons reconnaissants de l'avoireu (Saint Augustin).

Page 40: TABLE DES MATIÈRES L'Africain n° 243, février – mars 201040 "L'Africain" n° 243, février-mars 2010 TABLE DES MATIÈRES "L'Africain" n° 243, février – mars 2010 Page 1 L'éditorial

"L'Africain" n° 243, février-mars 2010 39