Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et...

256

Transcript of Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et...

Page 1: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions
Page 2: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

TabledesMatièresPagedeTitre

PagedeCopyright

INTRODUCTION1.TEXTEETENCYCLOPÉDIE1.1.Théoriesdepremièreetdesecondegénération

1.2.Sélectionscontextuellesetcirconstancielles

1.3.Lesémèmecommeinstructionorientéeautexte

1.4.Lesémèmecommetextevirtueletletextecommeexpansiond'un

sémème1.5.Delaprésupposition

2.PEIRCE:LESFONDEMENTSSÉMIOSIQUESDELACOOPÉRATIONTEXTUELLE2.1.Interprétant,ground,signifié,objet

2.2.Lefondement

2.3.ObjetDynamiqueetObjetImmédiat

2.4.Interprétantdudiscoursetinterprétantdestermes

2.5.Ladéfinitioncommeencyclopédieetprécepteopératif

2.6.Caractèresmonadiquesetinterprétantscomplexes

2.7.L'InterprétantFinal

2.8.Sémiosisillimitéeetpragmatique

2.9.Directionspourunepragmatiquedutexte

Page 3: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

3LELECTEURMODÈLE3.1.Lerôledulecteur

3.2.Commentletexteprévoitlelecteur

3.3.Textes"fermés"ettextes"ouverts"

3.4.Utilisationetinterprétation

3.5.Auteuretlecteurcommestratégiestextuelles

3.6.L'auteurcommehypothèseinterprétative

4.NIVEAUXDECOOPÉRATIONTEXTUELLE4.1.Limitesdumodèle

4.2.Lechoixd'unmodèledetextenarratif

4.3.Manifestationlinéaire

4.4.Circonstancesd'énonciation

4.5.Extensionsparenthétisées

4.6.L'encyclopédie

4.6.1.Dictionnairedebase

4.6.2.Règlesdeco-référence

4.6.3.Sélectionscontextuellesetcirconstancielles

4.6.4.Hypercodagerhétoriqueetstylistique

4.6.5.Inférencesdescénarioscommuns

4.6.6.Inférencesdescénariosintertextuels

Page 4: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

4.6.7.Hypercodageidéologique5.LESSTRUCTURESDISCURSIVES5.1.L'explicitationsémantique

5.2.Letopic

5.3.L'isotopie

5.3.1.Isotopiesdiscursivesphrastiquesàdisjonctionparadigmatique

5.3.2.Isotopiesdiscursivesphrastiquesàdisjonctionsyntagmatique

5.3.3.Isotopiesdiscursivestransphrastiquesàdisjonctionparadigmatique

5.3.4.Isotopiesdiscursivestransphrastiquesàdisjonctionsyntagmatique

5.3.5.Isotopiesnarrativesliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursives

quigénèrentdeshistoiresmutuellementexclusives

5.3.6.Isotopiesnarrativesliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursivesquigénèrentdeshistoirescomplémentaires

5.3.7.Isotopiesnarrativesnonliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursivesquigénèrententoutcasdeshistoirescomplémentaires

5.3.8.Conclusionsprovisoires6.LESSTRUCTURESNARRATIVES6.1.Du"sujet"àlafabula

6.2.Contractionetexpansion–Niveauxdefabula

6.3.Structuresnarrativesdansdestextesnonnarratifs

6.4.Conditionsélémentairesd'uneséquencenarrative

7.PRÉVISIONSETPROMENADESINFÉRENTIELLES

Page 5: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

7.1.Lesdisjonctionsdeprobabilité7.2.Lesprévisionscommepréfigurationdemondespossibles

7.3.Lespromenadesinférentielles

7.4.Fabulaeouvertesetfabulaefermées

8.STRUCTURESDEMONDES8.1.Est-ilpossibledeparlerdemondespossibles?

8.2.Définitionspréliminaires

8.3.Lesmondespossiblescommeconstructionsculturelles

8.4.Laconstructiondumondederéférence

8.5.Leproblèmedes"propriétésnécessaires"

8.6.Commentdéterminerlespropriétésessentielles

8.7.Identité

8.8.Accessibilité

8.9.Accessibilitéetvéritésnécessaires

8.10.Lesmondesdelafabula

8.11.PropriétésS-nécessaires

8.12.PropriétésS-nécessairesetpropriétésessentielles

8.13.Relationsd'accessibilitéentreW0etWN

8.14.Relationsd'accessibilitéentreWNcetWN

8.15.Relationsd'accessibilitéentreWRetWN

9.STRUCTURESACTANCIELLESETIDÉOLOGIQUES

Page 6: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

9.1.Structuresactancielles

9.2.Structuresidéologiques

9.3.Leslimitesetlespossibilitésdel'interprétationprofonde

9.4.Structuresprofondesintensionnellesetstructuresprofondes

extensionnelles10.APPLICATIONS:LEMARCHANDDEDENTS11.APPLICATIONS:UNDRAMEBIENPARISIEN11.1.Commentlireunmétatexte

11.2.Stratégiemétatextuelle

11.3.Stratégiediscursive:acteslinguistiques

11.4.Desstructuresdiscursivesauxstructuresnarratives

11.5.Fabulainfabula

11.6.Promenadesinférentiellesetchapitresfantômes

11.7.Leschémadelafabulaetdeschapitresfantômes

11.8.Ledramedeschapitresfantômes

11.9.Conclusion

APPENDICES.....I.Undramebienparisien

II.LesTempliers

BIBLIOGRAPHIE

Page 7: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

©1979,UmbertoEco.©1985,ÉditionsGrasset&Fasquelle,pourla

traductionfrançaise.978-2-246-78479-1

Page 8: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

DUMÊMEAUTEURL'ŒUVREOUVERTE,Seuil,1975.

LASTRUCTUREABSENTE,MercuredeFrance,1972. LENOMDELAROSE,traduitdel'italienparJean-NoëlSchifano,Grasset,1982. LENOMDELAROSE,éditionrevueetaugmentéed'uneApostille, traduitedel'italienparMyriemBouzaher,Grasset,1985. LA GUERRE DU FAUX, traduit de l'italien par Myriam Tanant avec lacollaborationdePieroCaracciolo,Grasset,1985. PASTICHES ET POSTICHES, traduit de l'italien par Bernard Guyader,Messidor,1988. SÉMIOTIQUE ET PHILOSOPHIE DU LANGAGE, traduit de l'italien parMyriemBouzaher,PUF,1988. LESIGNE:HISTOIREETANALYSED'UNCONCEPT,adaptédel'italienparJ.-M.Klinkenberg,Labor,1988. LEPENDULEDEFOUCAULT, traduitde l'italienpar Jean-NoëlSchifano,Grasset,1990.

Page 9: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

L'éditionoriginaledecetouvrageaétépubliéeen1979parBompianiàMilansousletitre: LectorinFabula

Page 10: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

INTRODUCTIONQuand, entre 1958 et 1962, j'écrivais Opera aperta (traduit en 1965 en

français sous le titre l'Œuvre ouverte), je voulais comprendre comment uneœuvred'artpouvaitd'uncôtépostulerunelibreinterventioninterprétativedelapart de ses destinataires et de l'autre présenter des caractéristiques structuralesdescriptiblesquistimulaientetréglaient l'ordredesesinterprétationspossibles.Comme je l'ai appris plus tard, je faisais de la pragmatique du texte sans lesavoir, du moins ce que l'on appelle aujourd'hui la pragmatique du texte ouesthétiquedelaréception.J'abordaisl'aspectdel'activitécoopérativequiamèneledestinataireà tirerdu texteceque le texteneditpasmaisqu'ilprésuppose,promet,impliqueouimplicitea,àremplir lesespacesvides,àreliercequ'ilyadanscetexteaurestedel'intertextualitéd'oùilnaîtetoùilirasefondre. Toutefois,bienquej'aiemaniédesconceptssémantiquesliésàdesprocédésphénoménologiques et que je me sois senti stimulé par la théorie del'interprétation de Luigi Pareyson, ces instruments étaient encore insuffisantspouranalyserunestratégietextuelle.LespremiersessaisdeOperaapertafurentécrits entre les années cinquante et ledébutdes années soixante. Jem'orientaiensuite vers les recherches des formalistes russes, de la linguistique et del'anthropologiestructurale,vers lespropositionssémiotiquesdeJakobsonetdeBarthes. L'Œuvre ouverte, dans l'édition française, porte la marque de cesinfluences.Plus tard, la sémantiquedeGreimas allait venir enrichirmes idéessur la structure d'une œuvre; quant à l'étude de Peirce, elle allait m'aider àclarifierladynamiquedel'interprétation. Maisàl'époquedupleinessordelasémiotiquestructuraliste,jeveuxdireaudébutdesannéessoixante,ledogmecourantétaitqu'untextedevaitêtreétudiédans sa propre structure objective, telle qu'elle apparaissait à sa surfacesignifiante.L'interventioninterprétativedudestinataireétaitlaisséedansl'ombre,quand elle n'était pas carrément éliminée, parce que considérée comme uneimpuretéméthodologique.Même si Jakobson n'avait jamais cessé de rappelerque, d'un point de vue structuraliste aussi, les catégories comme Emetteur,Destinataire et Contexte étaient indispensables pour traiter du problème de lacommunicationesthétique. Je rappelle ces débats pour expliquer pourquoi mes premiers efforts depragmatiquetextuelleappliquéeauxtextesartistiquesétaientrestésincomplets.

Page 11: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Jem'étaisaventurédansl'explorationdeladynamiquedel'interprétation(etdumalentendu ou des " décodages aberrants ") dans le domaine descommunicationsdemasse,oùilétaitévidentquel'intérêtseportaitnontantsurlesobjetstextuelsquesurl'usagequelasociétéenfaisait.Pourlereste,j'avaisessayé de mettre l'accent sur la nature des conventions sémiotiques, sur lastructuredescodes.C'estdanscetteperspectivequedoiventêtrevuscertainsdemestravauxcommeApocalitticieintegrati,1964(dontseulsquelquesessaisontététraduitsenfrançais),laStrutturaassente,1968(laStructureabsente,1972)etquelquesautres jusqu'auTrattatodisemioticagenerale, 1975.Mais dans cetexte j'abordais déjà le problème d'un modèle sémantique en formed'encyclopédie qui tiendrait compte, dans le cadre de la sémantique, desexigences de la pragmatique. Travail que j'ai poursuivi dans mes ouvragessuccessifs,dansceluiqui estprésenté ici etdans leplus récent,SemioticsandPhilosophyofLanguage,1984(quidevraitbientôtparaîtreenfrançais). En somme, toutes ces études,même si elles s'occupaientmarginalement duproblème esthétique, visaient à déterminer les fondements théoriques de cetteexpérience d' " ouverture " dont j'avais parlé (sans en fournir les règles) dansl'Œuvreouverte. Toutcelapourexpliquerpourquoij'aipubliécelivre,enitalien,en1979b.J'yréunissais une série d'études faites entre 1976 et 1978 sur lamécanique de lacoopérationinterprétativedanslestextesverbaux,etenparticulierdanscetypede textes verbaux que nous définissons intuitivement comme " narratifs ".L'objetdece livreest lephénomènedelanarrativitéexpriméeverbalemententantqu'interprétéeparunlecteurcoopérant. Ilfautquecesoitbienclair,et jetiensàsoulignerceslimites.Celivrenetraitepas,comme l'Œuvreouverte,detous les types de textes (musical, visuel, etc.) : il vise uniquement des textesverbaux.D'autrepart,ilnes'occupepasexplicitementdecetyped'interprétationquidoitconduireàlaréalisationdel'effetesthétique(quecesoitleplaisiroulajouissance d'un texte). On essaie, dans ce livre, d'expliquer comment " oncomprend " un texte, pas nécessairement comment on comprend " uneœuvred'art".Celadit,jen'excluspasquenombredesobservationsquejefaispuissentcontribuer au développement d'une esthétique de l'interprétation et de laréception.Mais jenevoudraispasque l'onm'accuse, commecelam'est arrivéparfois,denepasavoirexpliquéle"mystèredel'art".Onnepeutpasreprocheraux astronautes qui sont allés sur la Lune de ne pas être allés surMars. Aucontraire:enapprenantàallersurlaLune,neprépare-t-onpasdesinstrumentspouratteindreunjourMars?Quisait?Ehbien,moi,j'ailefermeespoirquelamécaniquedelacoopérationtextuelle,dontilestquestionici,pourras'intégrerà

Page 12: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

une théorie plus générale qui expliquerait ce que l'on trouve dans une œuvrelittéraireetpourquoionretireunejouissancedesalecture. Jevoudraissoulignerunautreaspectdecelivre(aspectquis'expliqueparlaprofonde influence que la sémiotique de Peirce a exercée surmes travaux aucoursdecesdixdernièresannées) : le textenarratifyest,pourainsidire,prisd'enbas.Ilestdessémiotiquesdelanarrativité(celledeGreimasparexemple,sans conteste l'une des plus convaincantes) qui prennent le texted'en haut. Sicettemétaphoren'estpassatisfaisante,disonsalorsqu'ellesleprennentduplusprofonddesesoriginesgénératives(tandisquemoijeleprendsàlasurfacedel'actedelecture).Ilesttrèsimportantd'étudiercommentuntexteestproduitetcomment toute lecture de ce texte ne doit pas être autre chose que lamise auclairduprocessusdegénérationdesastructure.J'ensuispersuadé.Maisjepensequ'ilesttoutaussiimportantd'étudiercommentletexte(unefoisproduit)estluetcommenttoutedescriptiondelastructuredutextedoitêtre,enmêmetemps,la description desmouvements de lecture qu'il impose. Ces deux aspects sontcomplémentaires, me semble-t-il, et une sémiotique du texte doit les prendretousdeuxenconsidération.J'aidoncchoisilavoiedubas,maiscelan'exclutpasqu'encheminjecroisel'autrevoie,celleduhaut.Ilestmêmenécessairequelesdeux démarches se rencontrent (c'est-à-dire qu'à la fin elles doivent rendrecomptedumêmetexteoudelamêmeactivitédeproductionetd'interprétationtextuelles).

Le dernier chapitre du livre est consacré à l'interprétation de la nouvelled'AlphonseAllais:Undramebienparisien(rapportéedansl'appendiceI).Maisdanstouslesautreschapitres,onseréfèreàcettenouvellepourenextrairedeséchantillonsàanalyser.Jedemandeaulecteurdeliretoutdesuitecettehistoire,une seule fois et si possible à une vitesse de lecture normale, puis del'abandonneretdeliremonlivre.J'aieneffetbesoind'unlecteurquisoitpasséparlesmêmesexpériencesdelecture,oupresque,quemoi. Pourquoiavoirchoisidefairetournerquasimenttoutmonlivreautourdecettehistoire?Ilnes'agissaitpasseulementpourmoideprendreununique textederéférence pour mesurer pas à pas mes propositions théoriques à un corpushomogène.Non.Touslesdiscoursdecelivrenaissentdelaperplexitéoùm'avaitplongé,ilyaquelquesannées,cettenouvellequandjel'ailuepourlapremièrefois.Enfait,latoutepremièrefois,onmel'aracontée.Ensuite,j'aidécouvertdecurieusesdivergencesentreletexteoriginal,lerésuméqu'onm'enavaitfaitetle

Page 13: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

résumédurésuméquej'enfaisaismoi-mêmequandjelaracontais.Ainsi,jemetrouvais face à un texte " difficile à résumer " et susceptible de produire desrésultatsinterprétatifsdiscordants. Commençaalorsunelonguefréquentationdecettenouvelle,dontjedonneicilachroniqueafindepayermesdettesàceuxquim'ontaccompagnéaucoursdecevoyage. C'est Serge Clément – il connaît tout Allais par cœur – qui me racontal'histoire la première fois. Ensuite j'en ai discuté avec Paolo Fabbri, dont j'aitoujoursreçuplusd'idéesquejeneluienaimoi-mêmedonné.Puisen1975,àSanDiego,j'enaiparléàFredJamesonqui,commeparhasard,avaitchezluiletexteoriginal (textequ'il a,plus tard, traduitenanglaispourundemes livres,TheRoleoftheReader,1979,quireproduitenpartielecontenudecelui-ci).ASanDiego toujours, jeconsacraiàUndrameunesériedeséminairesauxquelsparticipaientJamesonetAlainCohen.Acettemêmeépoquevenaitd'êtrepubliéVers une théorie partielle du texte, de J. S. Petöfi, qui proposait l'analyse destextesnarratifsentermesdemondespossibles:jepouvaiscommenceràessayerdemettreenformelelabyrinthed'Allais. L'annéesuivante,àl'universitédeBolognecettefois,jeconsacrailamoitiédemoncoursàlanouvelle:EttorePanizon,RenatoGiovannolietDanieleBarbieriécrivirentunessai intituléComecastrarsicolrasoiodiOccam ("Commentsechâtreraveclerasoird'Occam")quim'afourniunefouled'idéesprécieuses.Ala fin de 1976, travaillant avec les étudiants du département de français etd'italiendel'universitédeNewYork,jefisuncoursentiersurUndrame.Parmilesauditeurs,ilyavaitChristineBrooke-Rosequi,grâceàquelquesobservationslumineuses,enrichitconsidérablementladiscussion. Enfin, j'aiconsacréauxphasesfinalesdemarecherchetoutleséminairequis'est déroulé en juillet 1977 au Centre international de sémiotique et delinguistiqued'Urbino,aidéencelaparPaoloFabbri,PierreRaccahetPeerAgeBrandt.Larédactiondéfinitivedecetterechercheaeulieuàl'universitéYaleenautomne1977.Acetteoccasion,lesconseilsdirectsetlesétudesdeLuciaVainam'ontétéd'unegrandeutilité.Jecroisquemespropositionsthéoriquesdivergentdes siennes, mais je veux la remercier de son aide. Comme je ne cessais decommenter cette nouvelle dans mes cours, Barbara Spackman écrivit unecritique de mon interprétation ; certaines de ses observations m'ont poussé àpréciserlanotiondeLecteurModèle. Voilà.Commeonlevoit,ils'agitlàdel'histoired'uneobsession.Moi,jem'en

Page 14: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

suissorti(dumoinsjelecrois)enécrivantcelivre,maisenlepubliant,j'aivoululatransmettreàmeslecteurs.Lefaitquelelivreparaissemaintenantenfrançais(etdansquelquesautreslangues)indiqueque,simonprojetestpervers,iln'estcependantpasdépourvud'unecertaineénergiemissionnairec. Octobre1984. aPourlatraductionfrançaisedecelivre,j'aiinvitélatraductriceàemployer(biensouventàl'encontredesesinstinctsdelocuteurfrançais)des locutionsquelquepeu"barbares"maisquiserventàdistinguercertainsconceptsquicirculentengénéraldanslalogiqueetdanslaphilosophiedulangaged'origineanglo-saxonne.Ainsi : |implication| traduit implication, |implicitation| traduit entailment alors que |implicature|(quiestfranchementtrèslaid)traduitparfaitementpourtantlaconversationalimplicaturedeGrice. Je rappelle en outre qu'au cours de ce livre on mettra entre barres verticales les expressions (lessignifiants)etentreguillemetsdutype«»lescontenus(lessignifiés)correspondants.Ondira:Leterme|xxxx|signifie«yyyy». bCetteéditionfrançaisereproduitletexteitaliende1979,àpartquelquescorrectionsdestyle,quelquescoupureslàoùl'onfaisaitréférenceàdesécritsouàdesproblèmesconnusduseullecteuritalien,quelquessimplificationsd'argumentation.Jen'aipasvouluessayerdemettreàjourlabibliographie,parcequedansce domaine les recherches vont très vite, et il est juste qu'un livre de 1979 avoue son âge, en toutehonnêteté.J'aiseulementinsérédeuxouvragesdeG.DeledallesurPeirceparusenfrançaispendantquecelivreétaitsouspresseenItalie,ainsiquelenumérodeLangagesconsacréaumêmeauteuren1980. cIlyadanscelivreplusieursréférencesàmonTrattatodisemioticagenerale.Pourleslecteursfrançaisqui, à la différencedesFrançais de laRenaissance, ne lisent pas l'italien, je nepeuxque suggérer de sereporteràl'éditionanglaise:ATheoryofSemiotics,publiéeparIndianaUniversityPress(auxEtats-Unis)etparMacmillan(enAngleterre).

Page 15: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1

.TEXTEETENCYCLOPÉDIE

1.1.THÉORIESDEPREMIÈREETDESECONDEGÉNÉRATIONDansledéveloppementdessémiotiquestextuelles,ils'estdessinédèsledébut

deuxtendances.Nouslesdéfinironscommethéoriesdepremièreetdesecondegénération,maisnotredistinctionneserapasd'ordrechronologique.Lapremièregénération, c'est, selon nous, celle qui s'est montrée extrémiste et vivementpolémiqueàl'encontredelalinguistiquedelaphrase(etplusencore,ducode);laseconde,c'estcellequiessayaitaucontraired'opérerunefusionhabileentrelesdeuxoptiques,en jetantdespontsentreuneétudede la langueen tantquesystème structuré qui précède les actualisations discursives et une étude desdiscoursoudestextescommeproduitsd'unelanguedéjàparléeouentoutcas"àparler".Et,sil'onemploie,pourlaseconde,lanotionde"secondegénération",c'estqu'onenévaluesacomplexitésémiotique,sacapacitédemettreenrelationdivers univers d'investigation, sa tentative d'établir une approche unifiée.Maintenant, quedes étudesde secondegénération aient précédédes étudesdepremièregénération,celaneconstituepas,àproprementparler,uneviolationdesrèglesgénétiques.Quoiqu'ilensoit,ledébatsesituait(etsesitueencore)entreaune théorie des codes et de la compétence encyclopédique selon laquelle unelangue (système de codes reliés entre eux), à son niveau idéald'institutionnalisation, permet (ou devrait permettre) de prévoir toutes sesactualisations discursives possibles, toutes les utilisations possibles dans descirconstances et des contextes spécifiques et (II) une théorie des règles degénérationetd'interprétationdesactualisationsdiscursives. Enréalité,lesdeuxthéoriesontdémontréqu'untextepossèdedespropriétésaquinepeuventêtrecellesd'unephrase;toutesdeuxadmettentquel'interprétationd'untexteestaussi (voireessentiellement)dueàdesfacteurspragmatiquesb,etque,parconséquent,untextenepeutpasêtreabordéàpartird'unegrammairedelaphrasequifonctionneraitsurdesbasespurementsyntaxiquesetsémantiques.

Page 16: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

En général, les théories de première génération considèrent que le protospseudosd'unegrammairedelaphraseestsalimitelexicaliste,sibienqu'aucunethéorie à orientation lexicaliste ne peut expliquer la signification d'une phrasedonnée comme la pure agrégation ou l'amalgame de signifiés lexicauxpréalablementetdéfinitivementcodés. Déjà,desauteurscommeBuyssens(1943),Prieto(1964)ouDeMauro(1971)avaient soutenu qu'une expression comme |donne-le-moi| ne peut pas êtredésambiguïséeenrecourantàunesimpleanalysegrammaticalede |donne|, |le|,|moi| ; en effet, cette expression acquiert des signifiés différents selon lesdiverses situations d'énonciation – celles-ci impliquant naturellement desprocessusdéictiques,desactesderéférence,desprésuppositionsvariées. Dans cette perspective, la tentative d'établir une théorie du discours àcomposante nettement pragmatique invalidait toute analyse lexicale menée entermes de composantes élémentaires, que ce soit des sèmes, des marquessémantiques ou autres, que ce soit les membres d'un ensemble fini de traitsuniversels(constructionsmétalinguistiques)oudesunitéslinguistiquesutiliséespour définir d'autres unités linguistiques, comme dans une sémantique (àorientationpeircéenne)desinterprétantsc. Toutes ces objections des théories de première génération sont raisonnablesquand elles critiquent les tentatives d'analyse componentielle sous forme dedictionnaire, qui refusent d'inclure dans le cadre théorique l'informationencyclopédique (cf. la discussion in Eco, 1975,2 et Eco, 1984). Prenons unethéoriesémantiquesousformededictionnairefaceàdesexpressionscommeetquisemblentpostulerunesortedecompétenceextralexicale.Aucundictionnairen'estsusceptibled'offrirlemoyend'établirunedifférencesensibleentrelesdeuxexpressions, sibienqu'il sembledifficilededécider si le liondoitcomprendrel'expression b comme une menace et si Toto peut comprendre la a comme lapromessed'unerécompense.Danslesdeuxcas,seuleuneinsertionco-textuelledechaqueexpressionpeutpermettreaudestinataireunedécision interprétativedéfinitive.aNousdevrionsramenerTotoauzoo

bNousdevrionsramenerlelionauzoo

1.2.SÉLECTIONSCONTEXTUELLESETCIRCONSTANCIELLES

Page 17: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Toutefois, ilnousparaîtabsurded'affirmerqu'un locuteurnatifest incapablededésambiguïserlesdeuxexpressionscitées,quandellesluisontproposéeshorscontexte.Toutlemondeestàmêmedecomprendreintuitivementqueadoitêtreénoncée par un couple de parents aux intentions didactiques, tandis que b estprobablementénoncéeparungroupededompteurs,d'employésde la fourrièreoudepompiersquiontcapturéunlionéchappé.End'autrestermes,unlocuteurnormalpeutinférer,del'expressionisolée,soncontextelinguistiquepossibleetses circonstances d'énonciation possibles. Contexte et circonstances sontindispensables pour pouvoir conférer à l'expression sa signification pleine etcomplète, mais l'expression possède une signification virtuelle qui permet aulocuteurdedevinersoncontexte. C'est cette intuition qui va engendrer les théories textuelles de secondegénération.Elles reconnaissent en effet que, pour comprendre un texte, il fautnécessairementdes règlesquinesontpas réductiblesàcellesd'unegrammairedel'énoncé,mais,enmêmetemps,ellesn'entendentpasabandonnerlesrésultatsd'une analyse sémantique des termes isolés. Au contraire : les théories deseconde génération cherchent à construire (ou à postuler) une analysesémantique qui étudierait les termes isolés comme des systèmesd'instructionsorientéesautexte.Pourcefaire,ellesdoiventpasserbiensûrd'uneanalysesousformededictionnaireàuneanalysesousformed'encyclopédieoudethesaurusd. Uneanalysecomponentiellesousformed'encyclopédieestfondamentalementtext-oriented, c'est-à-dire visant au texte, parce qu'elle considère tant lessélectionscontextuellesquelessélectionscirconstancielles(cf.Eco,1975,2.11;Eco,1984)e. Une sélection contextuelle enregistre les cas généraux où un terme donnépourraitêtreoccurrentenconcomitance(etdoncêtreco-occurrent)avecd'autrestermes appartenant au même système sémiotique. Quand ensuite le terme estconcrètement co-occurrent avec d'autres termes (c'est-à-dire quand la sélectioncontextuelle se réalise), alors nous avons un co-texte. Les sélectionscontextuelles prévoient des contextes possibles : lorsqu'ils se réalisent, ils seréalisentdansunco-texte. Quant aux sélections circonstancielles, elles représentent la possibilitéabstraite(enregistréeparl'encyclopédie)qu'untermedonnéapparaissedansdescirconstancesd'énonciation(parexemple,untermelinguistiquedonnépeutêtreexprimé au cours d'un voyage, sur un champ de bataille ou au ministère desTravaux publics ; un drapeau rouge peut être occurrent le long d'une ligne dechemindeferoudanslecadred'unmeetingpolitique:uncheminotcommuniste

Page 18: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

regardera avec appréhension le premier cas et avec confiance le second). Cescirconstances co-occurrentes sont souvent des éléments d'autre systèmesémiotique : ainsi, l'expression verbale anglaise |aye| insérée dans le systèmed'étiquettes d'une séance parlementaire signifie vote positif, tandis qu'inséréedans le système d'étiquettes de la discipline navale, elle signifie déclarationd'obédience.Lesrèglesd'hypercodagecommelesrèglesconversationnelles[oud'autresconventionsquiétablissentlesconditionsdesuccès(felicityconditions)pour des actes linguistiques] représentent autant de sélections circonstanciellesoù la circonstance apparaît plus oumoins sémiotisée.Dans les textes narratifsenfin,même les circonstances, en tant qu'elles sont expriméesverbalement, secamouflentdanslescontextes. La distinction que nous avons décidé d'adopter entre co-texte, contexte etcirconstance devrait être maintenant assez claire. Un exemple : le lexème|baleine|peutêtredésambiguïsécommepoissonoumammifèreselonlasélectioncontextuelle qui envisage son occurrence dans deux classes distinctes decontextes possibles, l'une concernant des discours " anciens " (Bible, fables,bestiaires médiévaux), l'autre des discours " modernes " (du moins aprèsCuvier).Voicidonccommentunereprésentationentermesd'encyclopédiepeuttenircomptedecontextesdiversetdoncdepossiblesoccurrencesco-textuellesoùlelexèmeapparaîtcommeréalisationconcrète. Mais revenons à nos lions. D'habitude (j'insiste sur " d'habitude " : unecompétence encyclopédique se fonde sur des données culturelles socialementacceptéesenraisonde leur"constance"statistique),onconnaît les lionsdanstroissituations,danslajungle,aucirqueetauzoo.Touteslesautrespossibilitéssontfortementidiosyncrasiquesetsemettentdonchorslanorme:quandellesseréalisent, elles lancent un défi à l'encyclopédie et produisent des textes quifonctionnentcommeunecritiquemétalinguistiqueducode.Jungle,cirqueetzoosontdescirconstancessémiotisées(entantqu'enregistréesparl'encyclopédie)oùlelexème|lion|peutêtreproduit.Dansuntexte,mêmecescirconstancespeuventêtredéfiniesverbalementdefaçonàdevenirautantd'occurrenceslinguistiques.Nous disons alors que le contenu (sémème) « lion » qui prévoit une série demarquesdénotativesconstantes(dansleslimitesréduitesdudictionnaire)inclutensuite une série de marques connotatives qui varient selon trois sélectionscontextuellesf.Un lionquiapparaîtraitdansuneclassedeco-textesoùseraientco-occurrentsdestermescomme| jungle|, |Afrique|,etc.,connote«liberté»,«férocité », « sauvage », etc; dans un co-texte où seraitmentionné le cirque, ilconnote«dressage»,«habileté»,etc;dansunco-texteoùseraitmentionnélezoo,ilconnote«captivité»,«miseencage».Voicicommentunereprésentation

Page 19: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

encyclopédiquede|lion|pourraitrendrecomptedesessélectionscontextuelles:

Dans l'expression |zoo| de l'énoncéb, la marque de « captivité » estsémantiquement incluse ;parunamalgameassez intuitif avec les signifiésdesexpressionsco-occurrentes,onenconclutquel'expressionbconcernel'intentionde ramener le lion à un état de captivité d'où il provient (le verbe |ramener|présupposequel'objetdel'actionprovientoriginellementdulieuquiconstitueleterminusadquemde l'actionmême).Paruneséried'inférences, ledestinatairedumessage parvient alors à la conclusion que le lion doit s'être enfui du zoocontre la volonté de ses gardiens– et que somme toute il préfère son actuellecondition de cavale au retour à la captivité. Ces inférences sont matièred'interprétationtextuelle;cependantellesaussi,commeonleverraenparlantdeframes ou scénarios, peuvent être produites en utilisant comme prémisses desdonnéesdecompétenceencyclopédique:l'insoumissiondeslionsàlacaptivité(ainsi que le fait qu'habituellement ils ne jouissent ni de liberté ni de congéspayésetque,parconséquent,ilssortenttrèsrarementdeszoos,sicen'estpourdesraisonsfâcheusementaccidentelles)estprévueparuneséried'informationsqui circulent sous forme standardisée comme des " scénarios " d'événementspossiblesetprobables.

1.3.LESÉMÈMECOMMEINSTRUCTIONORIENTÉEAUTEXTEIln'estpasd'énoncéqui,pourêtresémantiquementactualisédans toutesses

possibilitésde signification,ne requièreunco-texte.Mais cet énoncéabesoind'un co-texte actuel car le texte possible était inchoativement ou virtuellementprésent dans lemême spectre encyclopédique des sémèmes qui le composent.Commel'affirmaitGreimas(1973:174),uneunitésémantiquedonnéecomme«pêcheur » est, dans sa structure sémémique même, un programme narratifpotentiel:"Lepêcheurporteenlui,évidemment,touteslespossibilitésdesonfaire,toutcequel'onpeutattendredeluienfaitdecomportement:samiseenisotopie discursive en fait un rôle thématique utilisable par le récit. " C'estpourquoi on dira qu'une théorie textuelle a besoin d'un ensemble de règlespragmatiquesquiétablissentcommentetàquellesconditionsledestinataireest

Page 20: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

co-textuellement autorisé à collaborer pour actualiser ce qui peut actuellementsubsisterseulementdansleco-textemaisqui,virtuellementdéjà,subsistaitdansle sémème. Peirce a été le premier sémiologue à être pleinement conscient decette dynamique quand il affirmait (sur des bases logiques rigoureuses) qu'unterme est une assertion rudimentaire et une proposition un " argument " (ouinférence)rudimentaire. Onpourraitobjecterqu'unereprésentationsémantiqueentermesdesélectionscontextuelles et circonstancielles fonctionne assez bien pour les termescatégorématiques mais beaucoup moins bien pour les termessyncatégorématiques qui ne peuvent être interprétés que sur des bases co-textuelles. Acesujet,onpeuttoutefoisadopterdeuxpositionsdifférentes.Lesdéfenseursd'unethéoriedepremièregénérationpourraientdire:pourquoi|lutteur|devrait-ilavoir un signifié, même hors contexte, tandis que |toutefois| ne prendrait sonsignifié que sur des bases contextuelles ? Il est vrai que sans cadre co-textuell'opposition générique suggérée par |toutefois| ne s'applique à rien;mais il estvraiaussique,sanssoncadreco-textuel,nousnesavonspaspourquietcontrequi luttenotre lutteur.Donc,aucuntermeneprendunsignifiésatisfaisanthorscontexte. Maislesdéfenseursd'unethéoriedesecondegénérationpourraientrépondre:quandjetrouve|lutteur|horscontexte,jesaisaumoins(etc'estunbonpointdedépart)quej'aiaffaireàunagent,probablementhumain,quiseposeensituationdeconflictualité(physiqueoupsychologique)parrapportàunautreouàd'autresêtreshumains(ouàdesforcesnaturelles,encasd'emploirhétorique);maisdelamêmefaçon,quandjetrouveun|toutefois|horscontexte,jesaisqu'unlocuteurpossibleestentraindeseposerensituationdeconflictualitéoud'alternativeparrapportàquelquechosequiaétéaffirméprécédemment. Voilàpourlesanalogies.Ilestbon– toutefois–demettreà jourmaintenantlesdifférences.Danslecasde|lutteur|,leco-textequiestvirtuellementsuggérérenvoieàune situationextra-sémiotiquedontparle le texte, tandisquedans lecasde|toutefois|laconflictualitéquiestsuggéréeestuneconflictualitétextuelle.Nousdevrionsdoncdire,enadmettantque|toutefois|aitunsignifiéendehorsdeses propres occurrences co-textuelles, que ce signifié concerne sa fonctionopérationnelletextuelle–cequiestd'ailleursexactementcequel'onentendpartermessyncatégorématiques. Nous dirons alors : il existe des opérateurs co-textuels qui fonctionnent

Page 21: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sémantiquement seulement par rapport à leur co-texte mais dont le destincontextuelpeutêtreétablisurlabased'uneanalysecomponentiellesousformed'encyclopédie. Analysonsundecesopérateurs,l'expression|inveceg|.Apremièrevue|invece|hors contexte ne signifie rien.Mais cela ne veut pas dire qu'il soit impossibled'endonnerunereprésentationsémémiquenousfournissantdesinstructionssurce qu'elle pourrait signifier dans des classes déterminées de co-textes. Pourcommencer, nous savons que cette expression peut avoir aussi bien valeurd'adverbe que de préposition. L'usage linguistique nous avertit que sa valenceprépositionnelle est marquée par sa co-occurrence avec la préposition |di| : "Invecediveniremandatuofratello(Aulieudevenirenvoietonfrère)."Ainsi,une sélectioncontextuelle inscritedans la représentation sémémiquepeutnousavertirque|invece|estprépositionquandilestoccurrentavec|di|.Plusencore:la sélection contextuelle qui spécifie l'emploi prépositionnel de |invece| nousavertit (oudevrait nous avertir, il s'agit d'insérer unemarque syntaxiquede cetype dans le spectre componentiel) que, dans une telle acception, c'est unopérateur phrastique. Il n'en va pas de même avec |invece| dans sa valeuradverbiale:c'estunopérateurtextuel.Commetel,ilexprimeuneoppositionouune alternative entre deux portions textuelles. Examinons-le dans troisexpressionsdifférentes:cMariaamalemele,Giovanniinveceleodia.(Marieaimelespommes,Jeanaucontrairelesdéteste.)dMaria ama lemele e invece odia le banane. (Marie aime les pommes et aucontrairedétestelesbananes.)eMariastasuonandoilviolino.Giovanniinvecemangiaunabanana.(Marieestentraindejouerduviolon.Jeanaucontrairemangeunebanane.)

Intuitivement, dans tous ces exemples |invece| exprime une alternative, ilsignifie"contrairementà".Maiscontrairementàquoi? Il sembleque |invece|puisse exprimer une alternativité en général mais que, seule, sa collocationcontextuelle nous dise à quoi. Sommes-nous alors face à une impossibilité decodagepréliminaire?Tentonsune expérience.Chacunedesphrases citéesplushaut a un sujet, un objet, un verbe qui exprime une action.A laquelle de cesentitéssémantiquess'opposenotreadverbe? Dans l'expression c ilmarqueune alternative au sujet et à son action ; dansl'expressiondilmarqueunealternativeàl'actionetàl'objet;dansl'expressione,enfin, il sembleque tout soitmis enquestion.Pouvons-nous alors affirmer en

Page 22: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

toutetranquillitéquel'onnedonnepasdereprésentationsémantiquede|invece|etquetoutdépendduprocessusd'interprétationtextuelle?Cetteconclusionn'estpas satisfaisante,mêmepour une théorie depremière génération : en effet, onrenonceraitàuneexplicationentermesdecodesanspourautantentrouveruneen termes de texte – et il ne nous resterait que le recours, plutôt décevant, àl'intuitiondulocuteur(catégoriedéplaisanteàlaquelleaucunethéoriesémiotiquesérieusenedevrait jamaisavoirrecours,parceque,siunethéoriesémiotiqueaunbut,c'estbienceluid'expliquercommentfonctionnel'intuitiondulocuteuretdel'expliquerentermesnonintuitifs). Heureusement, différentes théories textuelles viennent à notre secours, nousoffrant une catégorie à l'emploi très vaste (trop,même), qui semble cependantfonctionner de façon satisfaisante dans notre cas : il s'agit du topic (en tantqu'opposéàcommentouthèmedansl'opposition thème-rhème).Nousparleronsplus longuement du topic (cf. 5.2).Contentons-nous pour l'instant de suggérerque l'un des moyens proposés pour déterminer le topic d'un texte est deconsidérer la partie exprimée du texte (le comment ou le rhème) comme laréponseàunequestion,inexprimée,quiconstitueprécisémentletopicouthème.Essayonsalorsd'insérerlesexpressionsc,detedansunco-textepossibleetdelesvoircommedesréponsesauxquestionssuivantes:(3a)MaisMarieetJeanaiment-ilslespommes?(4a)QueltypedefruitsaimeMarie?(5a)Maisquediablefontlesenfants?Nedevraient-ilspassuivreleurcoursdemusique?

Ainsi, à travers la proposition de trois questions différentes, nous avonsdéterminétroisthèmestextuelsdifférents:(3b)Personnesquiaimentlespommes.(46)FruitsqueMarieaime.(5b)Leçondemusique.

Ici,ilapparaîtclairementque|invece|danscs'opposeà(3b),dansdà(4b)etainsidesuite.Mais ilapparaît toutaussiclairementqu'uneanalysesémantiquedecetadverbeestpossible,analysequienregistreraitunesélectioncontextuelledutype:"Aucasoùl'argumentdutexte(topicouthème)seraitx,l'expressionen question marque une alternative à x. " En termes plus synthétiques (et entenantcomptedeladoublevalencegrammaticaledel'expressionenquestion),lareprésentation sémantique de |invece| pourrait prendre l'aspect suivant (où la

Page 23: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

marque générique d'alternative reste constante pour chaque sélectioncontextuellepossible):

Ce type d'analyse componentielle ne remplace pas un ensemble de règlestextuellespluscomplètes:parexemple,iln'aideabsolumentpasàreconnaîtreletopic–opérationqui requiertdes inférencesbasées surdemultiples tracesco-textuelles. Toutefois, il constitue un ensemble raisonnable d'instructionssémantiques pour situer générativement et désambiguïser interprétativement lelexèmeenquestion.Decettefaçon,ledestinetlesdéterminationstextuellesdel'expressionnesontpasignorésmaisilssontprisenchargeparlareprésentationencyclopédiquequi fait fonctiondepont entre le lexème isolé et son insertiontextuelle.Unereprésentationdece typenousditaumoinsdansquellesclassesdeco-textes |invece|peutêtre inséréetcomment ilyfonctionne.Ellenousdit,par exemple, pourquoi nous ne pourrions jamais construire une expressioncommeparceque leseul topic imaginableestprécisément" le fruitqueMarieaime"etquedansfl'adverbeprometuneoppositionquineseréalisepas.Delamêmefaçon,cette représentationn'exclutpasmaisaucontrairepermet :parcequeici,detouteévidence,letopicest"opinionsdeJosephsurlespréférencesdeMarie"etquelelocuteuropposesonpropresavoirausavoirprésumédeJoseph.fMaria ama le mele e invece ama le pere (Marie aime les pommes et aucontraireaimelespoires)hGiuseppedicecheMariaamalemeleeinveceessaamalepere(JosephditqueMarieaimelespommesetaucontraireelleaimelespoires)Voilà pourquoi on peut considérer ce type de représentation comme

l'instrument d'une Instruktionssemantik orientée textuellement telle que lapropose aussi Schmidt (1976 : 56) : " Un lexème peut se concevoirthéoriquement comme une règle (au sens large) ou une instruction pour laproduction d'un 'comportement' verbal et/ou non verbal donné... Le champ-contexte(lechamplexématique)assigneaulexèmesespossibilitésgénéralesdefonctionnementdanslestextes."

1.4.LESÉMÈMECOMMETEXTEVIRTUELETLETEXTECOMMEEXPANSIOND'UNSÉMÈME

Page 24: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Nousverronsplus avant comment ce typede représentation encyclopédique

peutêtreintégrépardesélémentsd'hypercodageàtraversl'enregistrementde"scénarios"communsetintertextuels.Decettefaçon,onpostuleunedescriptionsémantique en termes de structure de l'encyclopédie que l'on construit dans lebutdelacompréhensiondetextes;etonpostuleenmêmetempsunethéoriedutextequineniepasmaisaucontraireenglobe(parlanotiond'encyclopédieouthesaurus et celle de frame) les résultats d'une analyse componentielle élargie.Elargie, s'entend,de façonà satisfaire les exigencesdeceModèleSémantiqueReformuléproposédansleTrattatodanslaperspectived'unesémiosisillimitéeet d'unmodèlede champ sémantiqueglobal ditModèleQ.Ainsi (et c'est celaqu'on entend par " théorie textuelle de seconde génération "), dans unesémantique orientée à ses actualisations textuelles, le sémème doit apparaîtrecomme un texte virtuel, et un texte n'est pas autre chose que l'expansion d'unsémème(enfait,ilestlerésultatdel'expansiondenombreuxsémèmes,maisilestthéorétiquementplusproductifd'admettrequ'ilpeutêtreréduitàl'expansiond'unseulsémèmecentral:l'histoired'unpêcheurnefaitqu'élargirtoutcequ'uneencyclopédieidéaleauraitpunousdiredupêcheur). Ilnous restepeudechoseàajouteravantd'approfondir lesdifférentspointsproposésici.Sicen'est–commeonl'adéjàlonguementditdansleTrattato–qu'une fois que l'on a admis cette notion, amplement compréhensive, decompétence encyclopédique, la notion deSystèmeSémantiqueGlobal, en tantqu'ensemble structuré d'informations encyclopédiques, devient très abstraite,postulat de la théorie et hypothèse régulatrice de l'analyse. Le SystèmeSémantique Global précède théoriquement ses réalisations textuelles maispratiquementilnepeutêtreconstruit,appliquéetpartiellementpostuléquedansles moments concrets où l'on se dispose à interpréter une portion textuelledonnée.Lestextessontlerésultatd'unjeud'unitéssémantiquespréétabliesdanslechampvirtueldelasémiosisillimitée,maisleprocessusdesémiosisillimitéene peut être réduit à ses descriptions partielles que lorsque l'on a affaire à untexte donné ou à un groupe de textes (cf. Eco, 1975, 2.13 ; 1984; Schmidt,1976b,4.4.2.1). Même les " scénarios "hypercodés sont, commenous leverrons, le résultatd'une circulation intertextuelle précédente. La société réussit à enregistrer uneinformation encyclopédique seulement parce que celle-ci a été fournie par destextes antérieurs. Encyclopédie et thesaurus sont le distillat (sous forme demacropropositions)d'autres textes.Cettecirculariténedoitpasdécouragerune

Page 25: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

rechercherigoureuse:leseulproblèmeestd'établirdesprocéduresprécisespourrendrecomptedecettecircularité.

1.5.DELAPRÉSUPPOSITIONTout ce qui a été dit dans les paragraphes précédents a fait entrevoir à

plusieurs reprises des phénomènes que sémiotique textuelle, philosophie dulangage, logique des langages naturels et sémantique générative ont souventdéfiniscomme|présuppositions|.Ils'agitd'untermequel'onemploierararementdans les chapitres suivants, et presque toujours dans un sens générique, cardésormais il faut bien se décider à le considérer comme générique ;même sidansdenombreuxcasilaétéetpourraêtreencoreheureusementgénériqueh. Si,commeonvalemontrer,letexteestunemachineparesseusequiexigedulecteurun travail coopératif acharnépour remplir lesespacesdenon-ditoudedéjà-dit restés en blanc, alors le texte n'est pas autre chose qu'une machineprésuppositionnelle. Dans leTrattato, on avait déjà fait une allusion rapide à lamultiplicité dessignifiéspossiblesdelacatégoriedeprésupposition:ilyadesprésuppositionsréférentielles,sémantiques,pragmatiquesetbiend'autresencore.Direimpliqueun bon nombre de ce que la littérature courante en la matière appelle "présuppositions ". Mais chacune d'elles est de type sémiotique différent. EnnommantlaReligieuse,onprésupposequedansunmondequelconqueilyaunindividuquirépondàcettedescriptiondéfinie(plutôtparantonomase):c'estlàune présupposition indexicale ou référentielle ou extensionnelle. En disantqu'elleétaitcélibataire,onprésupposequ'ellen'étaitpasmariée,maiscetypedeconnaissance est donné par des règles différentes et dépend de meaningpostulates, postulats de signifiés. Pour relier le pronom |lui| à laReligieuse, ilfautmettreenacteunprocessusparfoisditprésuppositionnelmaisquiestenfaitunprocessusde co-référence.Pour établir que le vœude chasteté (présupposécommedéjànomméenvertudel'articledéterminatif)seréfèreàsaqualitéd'êtrecélibataire, il faut une fois encore mettre en acte une co-référence mais enprésupposantunerègleencyclopédiqueselonlaquellelesreligieusesprononcentunvœuqui lesengagedansdeuxsens,ànepassemarieretànepasavoirderapports sexuels : cequi impose enoutredevoir ladifférence componentielleentre |célibataire|et |chaste|etquiamèneàspéculersurdesimplicationsvraiesoufausses(iln'estpasvraiquetouteslescélibatairessoientchastes,iln'estpas

Page 26: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

vrainonplusquetoutesleschastessoientcélibataires,maisilestvraiquetoutesles religieuses sont célibataires et que violer la chasteté implique avoir desrapports sexuels, etc.).Sansparlerdu faitque le |mais| imposedeprésupposercorrectementletopiccommecelasepassepourle|invece|déjàanalysé.(8)LaReligieuseétaitcélibatairemaislegoûtdeviolerlevœudechasteténeluifaisaitcertespasdéfautCertes,sitouscesprocessussontconsidéréscommedescasoùletextelaisse

ses contenus à l'état virtuel en attendant du travail coopératif du lecteur leuractualisationdéfinitive,onpeutalorscontinueràparlerdeprésupposition,parcequ'ilexistebienquelquechosepourunifiercesprocessussidifférents:c'est lefaitqu'untexteest toujours,enquelquesorte,réticent.Noustenteronsdansleschapitressuivantsdecernerlesdegrésetlesniveauxdecetteréticence.Cequirevient à dire que tous les chapitres de ce livre concerneront le phénomènegénérique de la présupposition qui se définira au fur et àmesure comme unemodalitédecoopérationinterprétative. aNousrenvoyonsàVanDijk,enparticulier1972aet1977;Petôfi,1974b;1975;PetôfietRieser,1973.Enitalien,GaravelliMortara,1974;VanDijk,1976d. bOnprendleterme|pragmatique|nonpasdanslesensmorrissienquilelimitaitàl'étudedeseffetsd'unmessage,nimêmedans lesens,encorerestrictif,d'interprétationdesseulesexpressions indexicales,maisplutôt comme étude de la " dépendance essentielle de la communication, dans le langage naturel, dulocuteuretdel'auditeur,ducontextelinguistiqueetducontexteextra-linguistique"etdela"disponibilitédelaconnaissancedefond,delarapiditéàacquérircetteconnaissancedefondetdelabonnevolontédesparticipantsàl'actecommunicatif"(Bar-Hillel,1968:271).Cf.aussiMontague,1968etPetôfi,1974. cPourlathéoriepeircéennedel'interprétant,cf.Trattato,2.7ettoutlechapitre2decelivre. d Pour l'opposition dictionnaire vs encyclopédie, cf. Trattato, 2.10 et Semiotics and Philosophy ofLanguage(àparaîtreenfrançais). e Le problème des sélections contextuelles et circonstancielles, élaboré dans le Trattato, 2.11, estamplementreprisdanscelivreauchapitre4,oùilestintégréparl'étudedelanotiondescénario. fJ'entendsparlasuite–etensuivantunusagecourantdanslasémantiqueanglo-saxonne–parlexèmel'unité signifiante (expression) et par sémème le contenu de cette expression, c'est-à-dire l'ensemble dessèmesoucomposantessémantiquesquireprésententlesignifiédumotoulexème.Cetusagenecorrespondpasàceluid'autresauteurs(pourexempleGreimas,voirlanote1duch.5)etilfautéviterd'entrevoirdesdifférencesthéoriqueslorsqu'ils'agitseulementdedifférencesterminologiques. g Le terme syncatégorématique italien |invece| a plusieurs fonctions grammaticales. Lorsqu'il estsyntagmatiquementliéavec|di|ilsignifie«aulieude»etilfonctionnecommeopérateurphrastique.Sanspréposition,ilestadverbeetfonctionnecommeopérateurinterphrastiqueetdonccommeopérateurtextuel.Ilpeutêtretraduitpar«aucontraire». hRécemment, j'ai essayédedonnerune représentation encyclopédiquedes termesqui entraînent uneprésupposition,etcelajustementsurlabased'unesémiotiquedesmondespossiblestextuelstellequ'elleestproposéedanscelivre(cf.l'articleparU.EcoetPatriziaVioliencoursdepublicationdansSemiotica).

Page 27: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Touteslesnotesprécédéesd'unastérisquesontdesnotesdelatraductrice.

Page 28: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

2

.PEIRCE:LESFONDEMENTSSÉMIOSIQUESDELACOOPÉRATIONTEXTUELLE

Le sémème est un texte virtuel et le texte est l'expansion d'un sémème.

L'affirmationn'estpasneuve.Elleest implicite (quandellen'estpascarrémentexplicite, parfois même dans des contextes où l'on n'aurait pas l'idée de lachercher) dans la théorie sémiotique de Peirce et elle est cohérente avec saperspectived'unesémiosisillimitéeetlacentralitéduconceptd'interprétant. Enallantà la recherchedecesélémentsdesémiotique textuellechezPeirce(indéniablement,lepremierdesthéoriciensdesecondegénération),nousauronsàaborderd'autressujets,apparemmentexcentriquesparrapportànotrepropos.Mais les éluder signifierait compromettre la cohérence de la sémiotiquepeircéenne,cohérencequis'affirmelàoùjustementnotreauteursembleleplusincohérent,occasionneletcontradictoire.C'estpourquoicetteexplorationexigequenous abordionsdifférents aspects de la penséedePeirce afin de retrouvernotreargumentcentralaprèsdespérégrinationsinterprétativesqui,pourlonguesqu'ellessoient,neseront jamais infructueuses.Eneffet, lechemin leplus longestparfoislepluscourt,nonseulementparcequ'ilpermetd'arriverplussûrementmaisaussiparcequ'onarriveenétantbeaucoupplusriched'expériencesgrâceàlavariétédes lieuxvisitésetau fait (cohérent,on leverra,avec laperspectivepeircéenne) qu'un lieu devient plus familier si on reconstruit les opérations àaccomplirpouryparvenir.

2.1.INTERPRÉTANT,GROUND,SIGNIFIÉ,OBJETEn 1895 (Collected Papers., 1.339)a, Peirce donnait cette définition de

l'interprétant:Unsigneestpourquelquechoseàl'égarddel'idéequ'ilproduitoumodifie...Cepour quoi il est, est appelé sonobjet, ce qu'il véhicule, son signifié et l'idée àlaquelleildonnenaissance,soninterprétant.

Page 29: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Définition quelque peu mentaliste encore, mais en 1897 (2.228) Peircespécifiait:Unsigne,ourepresentamenb,estquelquechosequitientlieupourquelqu'undequelquechosesousquelquerapportouàquelquetitre.Ils'adresseàquelqu'un,c'est-à-direcréedansl'espritdecettepersonneunsigneéquivalent,oupeut-êtreunsigneplusdéveloppé.Cesignequ'ilcrée,jel'appellel'interprétantdupremiersigne.Cesignetientlieudequelquechose:sonpropreobjet.Iltientlieudecetobjet,nonpassoustouslesrapports,maisenréférenceàunesorted'idéequej'aiparfoisappeléelegrounddelareprésentation.

Il apparaît clairement que dans le second texte, l'interprétant n'est plus uneidéemaisunsecondsigne.S'ilyaencoreuneidéeici,elleestl'idéedusecondsigne,quidoitavoirsonrepresentamenindépendammentdecetteidée.Enoutre,l'idéeintervienticipourréduirelahaecceitasdecetobjetdonné:cetobjetesttelseulemententantqu'ilestpensésousuncertainprofil.Ilestpensécommeuneabstraction,commeunmodèled'unepossibleexpérience(vécuesousuncertainangle). RiennenousautoriseàpenserquePeirceentendaitpar "objet "unechoseconcrètedonnée(cequi,danslasémantiqued'OgdenetRichards,estappeléle"référent").Cen'estpasquePeircesoutiennequel'onnepeutindiquerdesobjetsconcrets,maiscela seproduitpourdesexpressionscomme"cechien " (et cen'estquedansuncasdecegenrequel'objetestunehaecceitas,cf.5.434).MaisilfautrappelercependantquepourPeirce,même|aller|,|dessus|,|dansn'importequel cas| (et donc |invece| et |toutefois| aussi) sont des representamen.Naturellement,pourunréalistecommePeirce,mêmecesexpressionsseréfèrentàdesexpériencesconcrètes;deplus,toutethéoriesémantiquequitented'établirle signifié des termes syncatégorématiques détermine des couples d'oppositioncommedessus-dessous,aller-venircommeélémentsducontenu,danslamesureoùilsreflètentetlégitimentnotreexpérienceconcrètedesrelationsdetempsetd'espace.Mais,pourPeirce,|aller|estuneexpressionquin'apasd'autreidentitéque le consensus entre sesmultiplesmanifestations : par conséquent sonobjetestl'existenced'uneloi.D'autrepart,uneidéeestunechose,mêmesiellen'apaslemode d'existence d'unehaecceitas (3.460). Quant à une expression comme|Hamlet était fou|, Peirce dit que son objet n'est qu'un monde imaginaire (unmonde possible, donc) et qu'il est déterminé par le signe tandis qu'un ordrecommeGa-rdeàvous!|acommepropreobjetsoit l'actioncorrespondantedes

Page 30: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

soldats, soit l' " univers des choses désirées par le capitaine à cemoment-là "(5.178).Le faitque,danscepassage,Peircemêle la réponsedessoldatset lesintentions du capitaine montre qu'il y a quelque chose d'ambigu dans sadéfinitiondel'objet;eneffet,lepremiercasreprésenteplutôtuneinterprétationdusigne,commenous leverronsplus loin.Maisdans lesdeuxcas, ilestclairquel'objetn'estpasnécessairementunechoseouunétatdumonde:c'estplutôtune règle, une loi, une prescription (nous pourrions dire : une instructionsémantique). C'est la description opérationnelle d'une classe d'expériencespossibles. Enréalité,Peirceparlededeuxtypesd'objets(4.536,en1906).IlyaunObjetDynamique qui " en quelque sorte contraint à déterminer le signe à sareprésentation"etilyaunObjetImmédiatquiest"l'objetcommelesignelui-mêmelereprésenteetdontl'EtreparsuitedépenddesaReprésentationdanslesigne".

2.2.LEFONDEMENTPourmieuxcomprendrelerapportquis'établitainsientrerepresentamen(ou

plusgénéralementsigne),objet,signifiéetinterprétant,nousdevonsexaminerleconcept de ground (fondement). L'objet est défini plus précisément (2.418)commeuncorrélatdusigne (le signe |man|peutêtrecorréléausigne |homme|quiendevientl'objet)et letroisièmeélémentdelacorrélation,parallèlementàl'interprétant, n'est pas le signifiémais le fondement. Un signe se réfère à unfondement " à travers son objet ou le caractère commun de ces objets ".L'interprétantestsignificativementdéfinicomme" tous lesfaitsconnusautourdecetobjet".Ilyauneindication(1.551,noussommesen1867)quipeutnousexpliquerpourquoi le terme fondementaparfoisétésubstituéàsignifiéetviceversa.Laproposition"Cepoêleestnoir "assigneaumot |poêle|un"attributgénéral ".Cet attribut est ailleurs appelé " qualité ", et comme telle il devraits'agird'unePriméité (Firstness).Maisunequalité,mêmesielleest en soiunepuremonade,devientquelquechosedegénéralquand"onyréfléchit"(4.226).DanslalignedepenséescotisteàlaquellePeirceseréfère,elleestunindividu,unemonade,puisqu'elleestunequalitédelachose,maiselleestuniverselle,uneabstraction, puisqu'elle est saisie par l'intellect. Une qualité est une " idéegénérale"etun"caractèreattribué"(1.559) :c'estun intelligiblec.Etantun"attributgénéral"(1.551),elleest,parmitouslesattributsgénérauxpossiblesdel'objet, celui qui a été choisi pour cerner l'objet sous quelque rapport. Cette

Page 31: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

expressionneseraformuléeexplicitementqueplustard(voirparexemple2.228,trenteansaprès),maiselleestdéjàimpliciteen1867(1.553)quandilestditquel'interprétantreprésentelerelat"entantqu'ilestpour"sonproprecorrélat.Lefondement est un attribut de l'objet en tant que l'objet a été sélectionné d'unecertainefaçonetqueseulsquelques-unsdesesattributsontétérenduspertinentsdefaçonàconstruirel'ObjetImmédiatdusigne.Puisquelefondementn'estquel'undesprédicatspossiblesdel'objet(lepoêlepourraitêtredécritcommechaud,grand, sale ou autre), il est un " caractère commun " et une " connotation "(1.559:connotationétanticiopposéeàdénotationcommelesignifiéestopposéaudenotatum).Nousverronsplusloinquecesignifiésembleêtrepluscomplexeque ne l'est un caractère attribué ; c'est plutôt une sorte de " diagrammesquelettique ", une " ébauche de profil " de l'objet qui considère " quellesmodifications l'hypothétique état de choses demanderait pour être réalisé danscette image " (2.227).On pourrait alors suggérer que le fondement n'est autrequ'une composante du signifié : il est dit en effet que les symboles quidéterminent leurs propres fondements de qualités attribuées (c'est-à-dire lestermes)sontdes"sommesdemarques"(1.559). Lesensdecetteaffirmationseraplusclairdanslesparagraphessuivants.Pourle moment, il nous suffit de reconnaître que fondement et signifié sont de lanatured'uneidée:lessignessontpourleurspropresobjets"nonsoustouslesaspects, mais par référence à une sorte d'idée que j'ai appelée quelquefois lefondementdurepresentamen",etilestexpliquéqueleterme"idée"n'estpasentendu au sens platonique "mais dans le sens où nous disons qu'un hommesaisitl'idéed'unautrehomme"(2.228). Lefondementestcequipeutêtrecomprisettransmisd'unobjetdonnésousuncertain profil : c'est le contenu d'une expression, et il apparaît semblable ausignifié(ouàunecomposanteélémentairedecelui-ci).

2.3.OBJETDYNAMIQUEETOBJETIMMÉDIATIlrestemaintenantàétablirenquelsenslefondement(etlesignifié)diffèrent

del'interprétant(cf.1.338,maisaussidansd'autrespassages):l'interprétantestl'idéeàlaquellelesignedonnenaissancedansl'espritdel'interprète–mêmesilaprésence d'un interprète effectif n'est pas requise. C'est pour cette raison quePeirce étudie le problèmede l'interprétant plus dans le cadre de laRhétoriqueSpéculativequedansceluidelaGrammaireSpéculative,lapremières'occupant

Page 32: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

plutôtdesrapportsentrelessignesetleursinterprètes.Maisnousavonsvuquelefondementestuneidéeausensoùuneidéepeutêtresaisie lorsd'unrapportcommunicatifentredeuxinterprètes:ondevraitdoncdirequ'iln'yapasgrandedifférence entre signifié (comme somme de fondements) et interprétant, unsignifié ne pouvant être décrit autrement qu'au moyen d'interprétants.L'interprétantestalorslemoyenpourreprésenter,àl'aided'unautresigne(|man|égalà |homme|),cequelerepresentamensélectionnedefaitd'unobjetdonné(c'est-à-diresonfondement). L'ambiguïtédisparaîtentoutcassil'onconsidèrequelanotiondefondementsertàdistinguerl'ObjetDynamique(l'objetensoientantqu'ilobligelesigneàse déterminer à sa représentation, 4.536) de l'Objet Immédiat, tandis quel'interprétant sert à établir la relation entre representamen et Objet Immédiat.L'Objet Immédiatest la façondont l'ObjetDynamiqueest focalisé,cette façonn'étant pas autre chose que le fondement ou signifié. L'Objet Immédiat est "l'objetcommelesignelui-mêmelereprésenteetdontl'EtreparsuitedépenddesaReprésentationdanslesigne"(4.536). L'Objet Dynamique motive le signe, mais le signe à travers le fondementinstituel'ObjetImmédiat,quiest"interne"(8.534),c'estuneidée(8.183),une"représentationmentale " (5.473).Naturellement, pour décrire l'Objet Immédiatd'unsigne,onnepeutquerecouriràl'interprétantdecesigne:

En ce sens, le signifé (objet de la Grammaire Spéculative) " est, dans sonacception primaire, la traduction d'un signe dans un autre systèmede signes "(4.127), et " le signifiéd'un signe est le signeoù il doit être traduit " (4.132).Donc, l'interprétationà traversdesinterprétantsest lafaçondont le fondement,commeObjetImmédiat,semanifesteentantquesignifié. L'interprétant(commeobjetdelaRhétoriqueSpéculative)estcertainement"ceque leSigneproduitdansceQuasi-Espritqu'est l'Interprète " (4.536)mais,puisque la présence de l'interprète n'est pas essentielle à la définition del'interprétant, ce dernier doit être considéré " avant tout " comme Interprétant

Page 33: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Immédiat, c'est-à-dire comme " l'interprétant tel qu'il est révélé dans lacompréhension correcte du signe lui-même, et il est ordinairement appelé lesignifié[meaning]dusigne"(4.536). Donc, distincts comme ils le sont en tant qu'objets formels de diversesapprochessémiotiquesetenréférenceàdiverspointsdevue,fondement,signifiéetinterprétantsontenfait lamêmechose,puisqu'ilest impossiblededéfinirlefondementsinoncommesignifiéetqu'ilestimpossiblededéfiniraucunsignifiésinonsousformed'uneséried'interprétants.Denombreuxpassagesconfirmentcette idée : "Parsignifié[meaning]d'un termenouscomprenons l'interprétantgénéral entier en tant qu'entendu " (5.179) ; " Il semble naturel d'employer leterme signifié [meaning] pour dénoter l'interprétant compris d'un symbole "(5.175);"L'ObjetImmédiatcomplet,oulesignifié[meaning]"(2.293).

2.4.INTERPRÉTANTDUDISCOURSETINTERPRÉTANTDESTERMES

Toutefois, nous apprenons que l'interprétant n'est pas seulement le signifié

d'un termemaisaussi laconclusiond'unargument tiréedesprémisses (1.559).Dirons-nousalorsquel'interprétantauneacceptionplusamplequelesignifié?Quand il dit (4.127) que dans son acception principale le signifié est latraductiond'un signedans un autre signe,Peirce dit aussi que, dans une autreacception"applicableiciaussi"(Peircetraitealorsduproblèmed'unelogiquedelaquantité),lesignifiéest"unesecondeassertiond'oùtoutcequidécouledelapremièreassertionendécouleégalementetviceversa".Cequirevientàdirequ'une assertion " signifie l'autre ". Le signifié d'une proposition, tout commeson interprétant, n'épuise pas les possibilités que la proposition a d'êtredéveloppée dans d'autres propositions, et, en ce sens, c'est " une loi, unerégularité de futur indéfini " (2.293).Le signifié d'une proposition embrasse "toutessesdéductionsnécessairesetévidentes"(5.165). Ainsi,lesignifiéestenquelquesorteimplicitéparlesprémisses,et,entermesplus généraux, il est tout ce qui est sémantiquement impliqué par un signe. Iln'est pas nécessaire de souligner ultérieurement la portée de ces positions dePeirce : bien que nous ayons dû parcourir un long chemin à travers desdéfinitions multiples et souvent confuses (fondement, signifié, ObjetDynamique, Objet Immédiat), nous avons réussi à cerner une idée qui serapporte à notre sujet : le signifié d'un terme contient virtuellement tous ses

Page 34: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

possiblesdéveloppements(ouexpansions)textuels. Ilestindéniable,cependant,qu'aupointoùnoussommes,lanotiondesignifiéestdevenuetropvaste.Ellen'estpasappliquéeauxtermessimplesmaisbienàdesprémissesetàdesargumentations.Maispeut-ondire,en termespeircéens,qu'il existe, outre le signifié d'un dicisigne et d'un argument, le signifié d'unrhèmeoud'untermesimple?Laréponseàcettequestiondépenddel'affirmationpeircéenneselonlaquelletoutcequipeutsedired'undicisigneetd'unargumentpeutsedireaussidesrhèmesquilesconstituent.End'autresmots,lathéoriedusignifiéetdel'interprétantneconcernepasseulementlesargumentsmaisaussilestermessimples.Alalumièred'unetellethéorie,lecontenud'untermesimpledevientquelquechosedetrèssemblableàuneencyclopédie. Prenons le terme |pécheur|. Le fait qu'on puisse l'interpréter comme «misérable»doitêtreprisenconsidérationparsonanalysecomponentielle.Maisle rhème |pécheur| doit aussi impliquer toutes les conséquences inférentiellespossibles qui le concernent. Ainsi l'argument " Tous les pécheurs sontmisérables,Johnestunpécheur,doncJohnestmisérable"neseraitriend'autrequeledéveloppementnatureldespossibilitésinchoativementcontenuesdanslerhèmeenquestion–etceseraitenoutrelaseulefaçonderendreexplicitessesinterprétants.Maisbiensûr lecontraireestaussivrai.Toutargumentn'est riend'autrequ'uneassertionanalytiquequidétermine les interprétantsque l'ondoitassigneràun termedonné (donc rhèmesetdicisignespeuventêtredérivésdesarguments,cf.3.440). Ilestdit(2.293)qu'unsymboledénoteunindividuetsignifieuncaractère,cecaractère n'étant pas autre chose qu'un signifié général (il faut rappeler que lefondementd'unsigneestsaconnotationetsoncaractèreattribué,cf.1.559).Ladistinctionentredénoteret signifierdépendde ladistinctionentreextensionetintension, breadth et depth (ampleur et profondeur) ou, en termescontemporains, entre se référer à et signifier quelque chose. Le conceptd'intension (depth) est lié à celui d'information qui est " the measure ofpredication"etla"sommedespropositionssynthétiquesoùlesymboleapparaîtcommesujetouprédicat"(2.418).Touscesconceptsconcernentnonseulementlespropositionsetargumentsmaisaussilesrhèmesoutermes. " Un Rhème est un Signe qui, pour son Interprétant, est le signe d'unePossibilité qualitative ", et il identifie un fondement, c'est-à-dire " qu'il estcompris en tant qu'il représente tel ou tel autre type d'Objet possible. ChaqueRhème,peut-être,fournitquelquesinformations,maisiln'estpasinterprétésousceprofil"(2.250).Dansd'autrestextes,Peirceestd'ailleursplusaffirmatif:non

Page 35: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

seulement"lasignificationd'untermeesttouteslesqualitésindiquéesparlui"(2.431), mais les termes apparaissent comme des ensembles de marques (outraits,ourelations,oucaractères,cf.2.776)régis,toutcommelespropositions,parleprincipeselonlequelnotanotœestnotareiipsius(3.166)."Lesmarquesqui sont déjà reconnues comme prédicables du terme incluent la profondeurentièred'unautreterme,dontlapossibilitéd'inclusionn'étaitpasencoreconnue,augmentant ainsi ladistinctioncompréhensive du premier terme " (2.364).Untermepeutavoirdesmarques tantaccidentellesquenécessaires (2.396),etcesmarquesconstituentlaprofondeursubstantielled'untermedonné,c'est-à-dire"la forme réelle concrète qui appartient à tout ce dont le terme est prédicabled'une façon absolument vraie " (l'ampleur substantielle étant en revanche "l'agrégat de substances réelles dont seul un terme est prédicable d'une façonabsolumentvraie",cf.2.414).Encesenslaprofondeurd'unterme,c'est-à-direson" intension",est lasommedesmarquessémantiquesquicaractérisent soncontenu. Ces marques sont des unités générales (nominantur singularia seduniversaliasignificantur,cf. JeandeSalisbury,Metalogicus,2.433).Etcesontexactement ces " caractères attribués " qui étaient appelés fondements. Cetensemble de traits sémantiques est destiné à croître avec l'expansion de notreconnaisance des objets ; le rhème attire comme un aimant tous les nouveauxtraits que le processus de connaissance lui attribue : " Tout symbole est unechosevivante,enunsensréelquin'estpaspurefigurerhétorique.Lecorpsdessymboleschangelentement,maissonsignifiécroîtinexorablement,incorporedenouveauxélémentsetéliminelesanciens"(2.222).Leterme,dirons-nousalors,estuneentréed'encyclopédiequicontient tous les traitsqu'ilacquiertaucoursdechaquenouvelleproposition. Je ne crois pas forcer ici l'interprétation. C'est Peirce lui-même qui a dit àmaintesreprisesquechaquetermeestunepropositioninchoative(chaquerhèmeestpotentiellementledicisigneoùilpeutêtreinséré)etquiasouventsoulignélaconception sémantique d'un terme comme prédicat à plusieurs arguments. Lesignifiédestermeslogiquesestuneassertionrudimentaire(2.342),toutcommeunepropositionestuneargumentationrudimentaire(2.344);c'estlàleprincipedebasedel'interprétation,àsavoirlaraisonpourlaquelletoutsigneproduitsespropresinterprétants. On a longtemps compris l'interprétant peircéen comme l'expansiondéfinitionnelle d'un terme, sa capacité à être traduit en un autre terme (desystème sémiotique égal ou différent, comme si l'interprétant n'était qu'uninstrument de clarification et d'explication lexicale – cette critique concerned'ailleursmes lecturespeircéennesprécédentes) :or ilne fautpasoublierque,

Page 36: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pour Peirce, n'est pas signe seulement un mot ou une image, mais unepropositionetmêmeunlivreentier.Saconceptiondusignes'étendaussiàdestextes ; c'est pourquoi la notion d'interprétant concerne des processus detraductionbeaucoupplusvastesetcomplexesquelesprocessusélémentairesdesynonymie ou de définition lexicale. Nous pourrions dire que parmi lesinterprétantsdumot|enfant|,iln'yapasseulementdesimagesd'enfantsoudesdéfinitions du type " mâle humain non adulte ", mais aussi, par exemple,l'histoire du massacre des Innocents. Le problème est uniquement de savoircomment faire fonctionner la sémiosis illimitée pour en parcourir tous lesitinérairesetlesraccords. Alors laportée théoriqued'affirmationscommecellesquenousavonscitéesprécédemmentetcommecellesquisuiventnousapparaîtclairement.Untermeestunepropositionrudimentaireparcequ'ilestlaformevided'uneproposition:"Par rhème ou prédicat nous entendons une forme propositionnelle vide tellequ'elleauraitpuêtredérivéeeneffaçantcertainespartiesd'uneproposition,enlaissantunespaceblancàleurplace,lapartieéliminéeétanttellequesichaqueespacevideétaitrempliavecunnompropre,uneproposition(mêmedépourvuede sens) en serait recomposée " (4.560). Quand il parle de la forme despropositions (2.379), Peirce montre comment le verbe |marier| pourrait êtrereprésentécomme" -marie -à - ".Cequi revientàdirequepour représentergénérativementlanaturesyntaxiquede|marier|,ondevraitécrire"m(x,y,z)"(cf. aussi 3.64). Ce procédé, développé comme il se doit, fait en sorte que lareprésentation sémantiqued'un termeconcernedesphénomènesd'implicitationet de présupposition sémantique.Endes termes qui rappellent les postulats designifiécarnapiens,Peirceditquehi-<di"signifiequedansl'occasioni,sil'idéehestdéfinitivementimposéeàl'esprit,alorsdanslamêmeoccasionl'idéedestdéfinitivement imposée à l'esprit " (2.356). Ce qui est d'ailleurs le principetraditionnelde lanotanotœ.Mais,dans lesmêmespages,Peirce insiste sur lapossibilité d'une logique intensionnelle opposée à la logique ordinaire quis'occupedeclassesgénéralesd'objets.Ilsépareleproblèmedespropositionsenextensiondeceuxdespropositionsen"compréhension",élaborantdouzetypesdepropositionsoù le sujet estuneclassedechosesmaisoù leprédicat estungroupedetraitssémantiques(2.520-521). Onpourraitobserverquelaméthodedesespacesvidesn'estapplicablequ'auxverbesetauxprédicatsquiconcernentdesactions,selonla"logiquedesrelatifs" dont parle Peirce. Et en réalité, dans la terminologie aristotélicienne, rhèmesignifie seulement " verbe ". Mais à plusieurs reprises, Peirce identifie

Page 37: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

explicitementrhemaàterme:"Toutsymbolequipeutêtreleconstituantdirectd'une proposition est dit terme " (2.238). Il y a aussi des termessyncatégorématiques, alorsque tout terme " apte à être sujetd'unepropositionpeut êtreditonoma " (2.331).En tout cas, unnomcommunest un " symbolerhématique"(2.261).Nousapprenons(8.337)quemêmelesnomspropresetlesnomsdeclassesontdesrhèmes.Laraisonduchoixde|rhème|peutêtredueaufait quePeirce soutenait quemême les noms sont des verbes réifiés (3.440 et8.337). De toute façon, " un rhème est tout signe qui ne soit ni vrai ni faux,commepresquetouslesmotssaufouietnon"(8.337). Souvent,Peircea recoursà l'espacevidequand il traitedesadjectifsoudesnoms : la méthode est appliquée (1.363) à |amant| et |serviteur|, et on trouvel'exemple suivant de rhème (4.438) : " Tout homme est le fils de – ", ce quiconstitueunbonexempledereprésentationsémantiquede|père|dupointdevued'une logique des relatifs. L'affinité de cette perspective avec celle d'unegrammaire des cas basée sur une logiquedes actions (voirFillmore) sera plusclairedansleparagraphesuivant.Ilestévidentque,souscetangle," lesnomspropres restent, mais la démarcation entre noms communs et verbes devientindéfendable"etque"lesignifiédesnomsdanssalogiquedesrelatifs,commecelledesverbes,consisteenuneactionpossible"(Feibleman,1946:106-107,seréférantjustementaupassagequenousallonsexaminerbientôt).

2.5.LADÉFINITIONCOMMEENCYCLOPÉDIEETPRÉCEPTEOPÉRATIF

Peirce propose (1.615 et 2.330) un exemple de définition des mots |dur| et

|lithium|.Ilnousdit(1.615)que"tantqu'unepierrerestedure,toutetentativedel'érafler par la pression modérée d'un couteau échouera certainement. Dire lapierre dure signifie prédire que, indépendamment du nombre de fois où voustenterezl'expérience,celle-ciéchoueraàchaquefois".En2.330, l'exempleestencore plus convaincant et nous le citons intégralement en anglais, d'abord enraison de la difficulté stylistique du texte, ensuite parce que en cette occasioncruciale (et sur un sujet si prosaïque) l'anglais de Peirce (comme toujours,horrible)secharged'unepoésiedeladéfinitiontouteparticulière:Ifyoulookintoatextbookofchemistryforadefinitionoflithiumyoumaybetoldthatitisthatelementwhoseatomicweightis7verynearly.Butiftheauthorhasamorelogicalmindhewilltellyouthatifyousearchamongmineralsthatarevitreous,translucent,greyorwhite,veryhard,brittle,andinsoluble,forone

Page 38: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

which imparts a crimson tinge to an unluminous flame, this mineral beingtriturated with lime or witherite rats-bane, and then fused, can be partlydissolvedinmuriaticacid;andifthissolutionbeevaporated,andtheresiduebeextractedwithsulphuricacid,anddulypurified,itcanbeconvertedbyordinarymethods into a chloride, which being obtained in the solid state, fused, andelectrolyzedwithhalf adozenpowerful cellswill yield aglobuleof apinkishsilverymetalthatwillfloatongasolene;andthematerialofthatisaspecimenoflithium.Thepeculiarityofthisdefinition–orratherthispreceptthatismoreserviceablethanadefinition–isthatittellsyouwhatthewordlithiumdenotesbyprescribingwhatyouaretodoinordertogainaperceptualacquaintancewiththeobjectofthewordd.Malgré sa forme littéraire diluée, cette définition constitue un excellent

exempled'analysesémantiqueentermesdegrammairedescas.L'identificationest peut-être rendueplus arduepar le fait que cette définition contient tropdetraits difficiles à organiser dans une structure à arguments et prédicats. Il ymanqueenoutreunedistinctionclaireetnetteentrepropriétésplusoumoins"nécessaires " – ainsi qu'entre marques explicites et marques incluses ouimplicitéese. On voit ici ce que pourrait être une bonne définition en termesd'encyclopédie,mais iln'estpasencoreditcommentellepourraitêtreélaboréed'unefaçonplusformelleetéconomique.SiPeirceavaitparexempleditquelelithium est un métal alcalin, certaines propriétés exprimées auraient dû êtreconsidérées comme automatiquement implicitées. Mais Peirce ne voulait pasdonnerunexemplededéfinition"économique".Aucontraire,ilvoulaitmontrercommentuntermeinclutlaglobalitédel'informationquileconcerne. Parailleurs,malgré sonapparence si " encyclopédique", cettedéfinitionneconstitue en fait qu'une partie de l'information possible sur le lithium.L'ObjetImmédiat établi par la définition cerne l'ObjetDynamique correspondant sousquelques rapports seulement, c'est-à-dire qu'il ne prend en considération quel'information sémantique suffisante pour insérer le terme dans un univers dediscoursphysico-chimique.Lemodèle théoriqued'uneencyclopédieprévoitenrevanche différents " sens " ou différentes disjonctions possibles d'un spectresémantique idéalement complet. Les traits sémantiques enregistrés ici auraientdûapparaîtresousunesélectioncontextuelleprécise,tandisqued'autresauraientdûapparaîtrecommepossibles,mêmes'ilsétaient inexprimés.Parexemple, lelithium est un minéral vitreux et translucide qui apparaît parfois comme unglobule de métal rosé argenté : si l'univers du discours avait été de typelégendaire,cesontlàlestraitsquiauraientdûêtreparticulièrementmisenrelief,avec d'autres qui font ici défaut. Le lithium est connu (selon d'autres

Page 39: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

encyclopédies) comme l'élément solide le plus léger à température ordinaire.Dans un autre contexte, ce caractère de légèreté serait probablementfondamental. Peirce était conscient de ces problèmes et la réponse que son systèmephilosophiquefournitconcernejustementquelques-unsdesproblèmescruciauxpourlasémantiquecontemporaine,enparticulier:bLestraitssémantiquessont-ils universels et finis ?mQuel est le formatquedoit prendre la représentationencyclopédique pour pouvoir être tout à la fois maniable et satisfaisante f ?Quandonaposé lanotiond'interprétant tellequenous l'avons reconstruite,cequi disparaît tout d'abord, c'est la nécessité d'opérer avec un ensemble fini deconstructions métasémiotiques. Tout signe interprète un autre signe, or lacondition fondamentale de la sémiosis, c'est précisément cette condition derégression infinie. Dans cette perspective, tout interprétant d'un signe donné,étant à son tour un signe, devient construction métasémiotique transitoire et,danscetteoccasionseulement,agitcommeexplicansparrapportàl'explicatuminterprété, mais devient à son tour interprétable par un autre signe qui agitcommesonexplicans.L'objet de la représentation ne peut être autre qu'une représentation dont lapremière représentation est l'interprétant. Mais une série sans fin dereprésentations,chacunereprésentantcellequiestderrièreelle,peutêtreconçuecomme ayant un objet absolu qui soit sa propre limite. Le signifié d'unereprésentationnepeutêtreautrequ'unereprésentation.Defait,cen'estpasautrechose que la représentation elle-même conçue comme dépouillée de sesrevêtements négligeables. Mais ces revêtements ne peuvent jamais être ôtéscomplètement : ils sont simplement remplacés par quelque chose de plusdiaphane.Unerégressionàl'infiniapparaîtainsi.Toutcomptefait,l'interprétantn'estqu'uneautrereprésentationàquiestconfiéleflambeaudelavérité:etentantquereprésentation,elleadenouveausonpropreinterprétant.Voiciuneautresérieinfinie(1.339)g.C'est d'ailleurs cette série infinie qui pourrait rendre inaccessible

l'encyclopédie, en frustrant continuellement les aspirations d'exhaustivité dutravaild'analysesémantique;maisilyaunelimitelogiqueàl'encyclopédie,quine peut être infinie : sa limite, c'est l'univers du discours. La liste des douzepropositionsencompréhensioncitéesauparavant(2.520)présupposeununiverslimitédetraits:Ununiversillimitécomprendraitlerègneentierdulogiquementpossible...Notrediscours se relie rarement à cet univers : nous pensons soit à ce qui est

Page 40: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

physiquement possible ou historiquement existant, soit au monde de quelquenarration,soitàquelqueautreuniverslimité.Ununiversdechosesestillimitésienluitoutecombinaisondecaractères,tiréedel'universentierdescaractères,estoccurrenteenquelqueobjet...De lamêmefaçon,nousdironsqu'ununiversdecaractères est illimitéquand tout agrégatdechoses, tiréde l'univers entierdeschoses,possèdeencommunundescaractèresdel'universdescaractères...Dansnotre discours ordinaire, en revanche, non seulement les deux univers sontlimitésmais,enoutre,nousn'avonspasaffaireàdesobjetsindividuelsouàdesimples traits : nous avons simplement deux univers distincts de choses et detraitscorrélésl'unàl'autre,d'unemanièreengénéralparfaitementindéterminée(2.519-520;etaussi6.401).

Le passage n'est pas des plus clairs et demanderait une tout autre analysephilosophique. Cependant, à la lumière de toute la cosmologie peircéenneh, ilnous offre de passionnantes perspectives sur cette thématique des mondespossibles qui tente de réduire les regestes encyclopédiques dans les cadresd'univers précis de discours, à travers des modèles qui réduisent à un formatmaniablelenombredespropriétésenjeuetleurscombinaisonsi

2.6.CARACTÈRESMONADIQUESETINTERPRÉTANTSCOMPLEXES

Resteunautreproblème.Lefaitquele lithiumsoitvitreux, translucide,dur,

etc., semble sans aucundoute relever d'un jugement en termesdequalités (oupropriétésoucaractèresoutraits)générales.Maisquediredufaitque"s'ilestmélangé avec de la chaux et refondu il devient alors soluble dans l'acidemuriatique"?Etrevitreux,c'estunequalité–et,commetelle,c'estuncaractèremonadique, unePriméité – tandis que réagir d'une certaine façon à un certainstimulus ressemble plus à un comportement ou à une séquence de faits quiconfirmeunehypothèse.Naturellement,cetteséquencedefaitsaussi"interprète"lepremiersigne(lelithiumsedéfinitdonccommelematériauquisecomportedecettefaçon-làdanscesconditions-là),maiscelavoudraitseulementdireque,mêmesilescaractèressontdesinterprétants,touslesinterprétantsnesontpasdepurscaractèresj.Reprenonslecas,déjàcité,oùl'ObjetDynamiquemêmesembleagircommeinterprétant:c'est-à-direquandl'objetdel'ordre|Ga-rdeàvous!|estdéfini comme l'univers des choses désirées par le capitaine au moment où ildonnel'ordreoubiencommel'actionconséquentedessoldats. Ilnefaitpasde

Page 41: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

douteque les réponsesdecomportement, les réponsesverbales, les imagesquiinterprètentunedidascalieetlesdidascaliesquiinterprètentuneimagesonttousdesinterprétants.Maissont-ilsenmêmetempsdescaractèresk? OrPeirceditavecclartéque,mêmesilesmarquessontdesqualités,ellesn'ensontpaspourautantdepuresPriméités.Ellessont"générales"etlasensationderougen'estpasnonplusunepureperceptionmaisbienunperçu,c'est-à-direuneconstructionperceptive, la "description faitepar l'intellect d'une évidencedes sens " (2.141).Pour avoir une construction intellectuelle, on passe du purperçucommeRhèmeàunJugementPerceptifdontlefaitbrutestl'InterprétantImmédiat(5.568).Direquequelquechoseestrougenesignifiepasl'avoirvu:onareçuuneimagemaisl'assertionquequelquechosepossèdel'attributd'êtrerouge constitue déjà un jugement.Ainsi tout caractère, tout en étant une purePriméité, est tout de suite inséré dans une corrélation qui représente toujoursl'expérienced'uneTercéité(5.182,5.157,5.150,5.183)l. Iln'yadoncpasdedifférencesubstantielleentredirequelelithiumsedissoutquandilestpiléetdirequ'ilestvitreux.Danslesecondcas,nousavonsquelquechosecommeundicisigne,danslepremierquelquechosecommeunargument,maislesdeux"signes"interprètentlerhème|ithium|.Iln'yapasdedifférenceentre caractères et autres interprétants du point de vue de la description dusignifié d'un terme.L'attribution d'un caractère relève d'un jugement perceptif,maismêmemes" jugementsperceptifsdoiventêtreconsidéréscommedescasd'inférenceabductive"(5.153). D'autre part, le fait même que quelques soldats, en diverses circonstances,accomplissent une action régulière donnée chaque fois qu'est prononcé l'ordre|Ga-rde à vous !| signifie que ce comportement est déjà subsumé sous unconcept,c'estdevenuuneabstraction,uneloi,unerégularité.Pourpouvoirêtreinsérédanscetterelation,lecomportementdessoldatsestdevenu,toutcommelaqualitéd'êtrerouge,quelquechosedegénéral.

2.7.L'INTERPRÉTANTFINALIlnousfautsavoirmaintenantcomment,danslaphilosophied'unpenseurqui

se veut réaliste scotiste, il peut exister une régression sémiosique infinie, tellequel'objetquiadéterminélesignen'apparaîtjamaisdéterminéparlui,sicen'estsous la forme fantasmatique de l'Objet Immédiat. On emploie le terme "fantasmatique"avecquelqueraison(etquelquemalice),parcequ'ilnoussemble

Page 42: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

observer ici cette même impossibilité de posséder de nouveau l'objet (qui asuscitélaperception)quel'onretrouvedanslagnoséologiethomiste:l'intellectagentexerçantsurlefantasmedel'objetl'acted'abstraction,enoffrantlaspeciesimpressaàl'intellectpossible,maiscelui-cinepouvantjamaisreposséderl'objetoriginairesinonsouslaformejustementdiaphanedelareflexioadphantasmata.PeircesetiredecemauvaispasparlebiaisdelaRhétoriqueSpéculativeetdelanotionpragmaticisted'InterprétantFinal.Ilnousfautéclaircircepointcarc'estdans cette seule perspective que l'on verra comment la sémantique peircéenneprendlaforme,fût-elleencoreimprécise,d'unegrammairedescas. Comment un signe peut-il exprimer l'Objet Dynamique qui appartient aumonde extérieur (5.45), quand " par la nature même des choses " il ne peutl'exprimer(8.314)?Commentunsignepeut-ilexprimerl'ObjetDynamique(l'"Objet telqu'ilest" [8.183],unobjet" indépendantensoi" [1.538]),quandcesigne"nepeutêtrequelesignedecetobjetdanslamesureoùcetobjetestensoidelanatured'unsigneoud'unepensée"(1.538)?Commentpeut-oncorrélerun signe à un objet quand pour reconnaître un objet on doit en avoir eu uneexpérienceprécédente(8.181)etquelesignenefournitaucuneconnaissanceoureconnaissancede l'objet (2.231)?La réponse,on la trouvedéjàà la finde ladéfinitionde|lithium|:"Lacaractéristiquedecettedéfinition–oumieuxdeceprécepte,chosebeaucoupplusutilequ'unedéfinition–,c'estqu'elleditcequelemot lithium dénote en prescrivant ce qu'il faut faire pour obtenir un contactperceptif avec l'objet dumot " (2.330). Le signifié du signe se trouve dans laclasse des actions visant à susciter certains effets perceptibles (Goudge,1950:155)."L'idéedesignifiéesttellequ'elle impliquequelqueréférenceàunpropos"(5.166).Toutdevientplusclairencoresil'onconsidèrequecequel'onappelle le réalisme scotiste de Peirce doit être vu dans la perspective de sonpragmaticisme:laréalitén'estpasunesimpleDonnée,c'estplutôtunRésultat.Pour comprendre ce que le signifié d'un signe doit produire comme Résultat,nousavonslanotiond'InterprétantFinal.Unsigne,enproduisantdessériesderéponsesimmédiates(InterprétantEnergétique),établitpeuàpeuuneHabitude(habit),unerégularitédecomportementchezsoninterprète.UneHabitude,c'est"unetendance[...]àagirdefaçonsemblabledansdescirconstancessemblablesdans le futur " (5.487), et l'Interprétant Final d'un signe, c'est cette HabitudecommeRésultat(5.491).Celarevientàdirequelacorrespondanceentresignifiéet representamen a pris la formed'une loi ;mais cela revient à dire aussi quecomprendre un signe, c'est apprendre ce qu'il faut faire pour produire unesituationconcrèteoùl'onpuisseobtenirl'expérienceperceptivedel'objetauquellesigneseréfère.

Page 43: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Cen'estpas tout.LacatégorieHabitudeaundouble sens,psychologiqueetcosmologique.Unehabitude,c'estaussiunerégularitécosmologique,mêmeleslois de nature sont le résultat d'habitudes acquises (6.97) et " toute chose atendanceàprendredeshabitudes"(1.409).Siuneloiestuneforceactive(uneSecondéité), l'ordre et la législation sont une Tercéité (1.337) : prendre unehabitude,c'estétablirunefaçond'être,ordonnéeetréglée.Donc,pourenrevenirà la définition du lithium, l'Interprétant Final du terme |lithium| s'arrête à laproduction d'une habitude en deux sens : en produisant l'habitude humaine àentendre le signe commeprécepte opératif et en produisant (cette fois pour larendre explicite) l'habitude cosmologique par laquelle il y aura toujours dulithiumchaquefoisquelanatureagirad'unecertainefaçon.L'InterprétantFinalexprime la même loi qui gouverne l'Objet Dynamique, tant en prescrivant lafaçondontonenobtientl'expérienceperceptivequ'endécrivantlafaçondontilfonctionneetestperceptible. Noussommesalorsenmesuredecomprendrequelleestlahiérarchiequirègleladispositiondesinterprétantsdanscemodèleencoreinformeldereprésentationsémantique:ils'agitd'uneséquenceordonnéeetorientéed'opérationspossibles.Lescaractèresnesontpasorganisésparinclusiond'espèceàgenremaisselonlesopérations essentielles qui doivent êtremises en acte par un agent qui utilisecertains instruments pour modifier un objet donné dans le but de vaincre larésistanced'uncontre-agentpourpouvoirobtenircertainsrésultats.

De cette façon on atténue l'opposition apparente entre la sémantiqueintensionnelledel'infinierégressionsémiosiqueetlasémantiqueextensionnelledelaréférenceàunObjetDynamique.Ilestvraiquelessignesnenousdonnentpaslecontactavecl'objetconcret,parcequ'ilsnepeuventqueprescrirelafaçonderéalisercecontact.Lessignesn'ontuneconnexiondirecteavecleursObjetsDynamiquesqu'entantquecesobjetsdéterminentlaproductiondusigne;pourlereste,lessignesne"connaissent"quedesObjetsImmédiats,c'est-à-diredessignifiés(oudonnéesdecontenu).Maisilestclairqu'ilyaunedifférenceentrel'objet dont un signe est signe et l'objet d'un signe. Le premier est l'ObjetDynamique,unétatdumondeextérieur,leseconduneconstructionsémiotique,purobjetdumondeintérieur.Saufquepourdécrirecetobjet"intérieur"ilfautrecourir aux interprétants, c'est-à-dire à d'autres signes pris commerepresentamen,defaçonàavoirunequelconqueexpériencedesautresobjetsdumondeextérieur.

Page 44: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

L'ObjetDynamiqueest,sémiotiquementparlant,ànotredispositionseulementcomme ensemble d'interprétants organisés selon un spectre componentielstructuré opérativement. Mais, alors que du point de vue sémiotique il est lepossible objet d'une expérience concrète, du point de vue ontologique il estl'objetconcretd'uneexpériencepossible.

2.8.SÉMIOSISILLIMITÉEETPRAGMATIQUEToutes les observations précédentes nous amènent donc à revoir la notion

d'interprétant comme catégorie d'une théorie sémantique mais aussi commecatégoried'unesémiotiquequicompteparmisesramificationsunepragmatique.Maislanotiondepragmatiquepeutêtrecomprisedansdifférentssens:celuiquepropose Morris concerne seulement l'effet que les signes ont sur leursdestinataires. Il ne fait aucun doute que la perspective pragmaticiste dePeircefait une large place à ce problème. Pour l'instant, commençons par examinercettedirectionthéorique. On pourrait dire qu'en fournissant l'image d'une sémiosis où chaquereprésentationrenvoieàunereprésentationsuccessive,Peircetrahitsonréalisme"médiéval":ilneréussiraitpasàmontrercommentunsignepeutêtreréféréàunobjet,etlarelationconcrètededénotationseperdraitdansunréseauinfinidesignesquirenvoientàdessignes,dansununiversfinimaisillimitéd'apparencessémiotiques fantomatiques. Pourtant il suffit de penser en termes non pas deréalismeontologiquemaisderéalismepragmaticistepourserendrecomptequec'est tout le contraire qui est vrai et que la doctrine des interprétants et de lasémiosisillimitéeconduitPeirceaumaximumdesonréalismenonnaïf.Peircene s'intéresse jamais aux objets comme ensembles de propriétés mais commeoccasions et résultats d'expérience active. Découvrir un objet signifie, nousl'avonsvu,découvrir lemodusoperandipour leproduire (oupourenproduirel'usage pratique). Un signe peut produire un interprétant énergétique ouémotionnel:quandonécouteunmorceaudemusique,l'interprétantémotionnel,c'estnotreréactionaucharmedelamusique;maiscetteréactionémotionnelleproduit aussiuneffortmentaloumusculaire et ces typesde réponses sontdesinterprétants énergétiques. Une réponse énergétique ne requiert pasd'interprétation : elle produit (par répétitions successives) une habitude.Aprèsavoir reçu une séquence de signes, notre mode d'agir dans le monde en estchangé, pour un temps ou à jamais.Cette nouvelle attitude, c'est l'InterprétantFinal.Lasémiosisillimitéepeutalorss'arrêter,l'échangedessignesaproduitdes

Page 45: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

modifications de l'expérience, le chaînon manquant entre sémiosis et réalitéphysique a finalement été identifié. La théorie des interprétants n'est pasidéaliste. Maisn'enrestonspaslà.Puisquemêmelanatureadeshabitudes,àsavoirdesloisetdesrégularités,"lesprincipesgénérauxsontréellementopératifsdanslanature " (5.101.), le signifié ultime (ou Interprétant Final) d'un signe doit êtreconçu comme la règle générale qui permet de produire ou de vérifier cettehabitudecosmologique.Rappelons ladéfinitionde | lithium |: c'est à la fois larèglephysiquequigouvernelaproductiondelithiumetladispositionquenousdevons,nous,acquérirpourproduirelesoccasionsdesonexpérience.Cetteloiestobjectiveparcequ'elleestcontrôlableintersubjectivement.Toutel'oppositionentre lepragmatismede James et le pragmaticismedePeirce est là : n'est pasvrai cequi réussit à l'actionpratiquemais réussit à l'actionpratiquecequi estvrai. Il y a des tendances générales (régularités cosmologiques) et des règlesopérativesquinouspermettentdelesvérifier. Entendreunsignecommeunerèglequisedéveloppeàtraverslasériedesespropres interprétantssignifieavoiracquis l'habituded'agirselon laprescriptionfournieparlesigne:La conclusion [...], c'est que, dans des conditions données, l'interprète auraacquisl'habituded'agird'unecertainefaçonchaquefoisqu'ildésirerauncertaintypederésultat.Laconclusionlogique,réelleetvivante,c'estcettehabitude:laformulation verbale ne fait que l'exprimer. Je ne nie pas qu'un concept, uneproposition ou un argument ne puissent être des interprétants logiques, maisj'insistesurlefaitqu'ilsnepeuventêtrel'interprétantlogiquefinalpourlabonneraisonqu'ilestlui-mêmeuntypedesignequiasonpropreinterprétantlogique.Seule l'habitude, même si elle peut être un signe d'une autre façon, ne l'esttoutefois pas de cette façon dans laquelle est signe ce signe dont elle estl'interprétant logique.L'habitudeconjointe auxmotivations et auxconditions acommesonpropreinterprétanténergétiquel'action;maisl'actionnepeutêtreuninterprétantlogiqueparcequ'ellemanquedegénéralité(5.491).

Ainsi, grâce à son pragmaticisme, Peirce a réglé ses comptes avec sonréalismescotiste:l'actionestlelieuoùl'haecceitasmetfinaujeudelasémiosis. MaisPeirce,considéréàraisoncommeunpenseurcontradictoire,estaussiunpenseur dialectique – et plus encore qu'on ne le croit. En effet, l'InterprétantFinal n'est pas final dans un sens chronologique. La sémiosismeurt à chaqueinstantetrenaîtdesescendresàsamort.Lesactionsindividuellesmanquentde

Page 46: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

généralitémaisuneséried'actions,uniformémentrépétées,peuventêtredécritesentermesgénéraux.Justeàlafindelapagequivientd'êtrecitée,Peirceajoute:" Mais comment pourrait-on décrire une habitude si ce n'est à travers ladescriptiondutyped'actionàquielledonnenaissance,aveclaspécificationdesconditions et de lamotivation ? "Ainsi l'action répétéequi répondàun signedonné devient à son tour un nouveau signe, le representamen d'une loi quiinterprète le premier signe et donne naissance à un nouveau processus infinid'interprétation. En ce sens, Peirce semble assez proche du béhaviourisme deMorrisquandcedernierlielareconnaissancedusignifiéd'unsigneàlaréponsecomportementalequ'il produit (mis à part que, pourPeirce, cela est seulementune des formes de l'interprétation) : si j'entends un son dans une langueinconnue, si je réalise que chaque fois qu'un locuteur l'émet, son interlocuteurréagit par une expression de rage, je peux légitimement inférer de la réponsecomportementaleque lesonaunsignifiédésagréable ;ainsi, lecomportementdel'interlocuteurdevientuninterprétantdusignifiédumot. Danscetteperspective,lecercledelasémiosissefermeàchaqueinstantetnese ferme jamais.Lesystèmedessystèmessémiotiques,quipourraitapparaître,defaçonidéaliste,commeununiversculturelséparédelaréalité,amèneenfaitàagirsurlemondeetàlemodifier;maischaqueactionmodificatriceseconvertitàsontourensigneetdonnenaissanceàunnouveauprocessussémiosique.

2.9.DIRECTIONSPOURUNEPRAGMATIQUEDUTEXTEDans cette optique, la doctrine des interprétants semble se relier à d'autres

conceptionsde lapragmatique, cellepar exempleoù l'onprivilégienonpas lastructure sémantique de l'énoncé mais les circonstances d'énonciation, lesrapportsavecleco-texte,lesprésuppositionsmisesenœuvreparl'interprète,letravailinférentield'interprétationdutexte.

Disons tout d'abord que dans cette histoire d'interprétants, toute la viequotidienne se présente comme un réseau textuel où les motivations et lesactions,lesexpressionsémisesàdesfinsouvertementcommunicatives,ainsiqueles actions qu'elles provoquent, deviennent des éléments d'un tissu sémiosiqueoùn'importequellechoseinterprèten'importequelleautrechosem. En second lieu, il n'existe pas de terme qui, étant inchoativement uneproposition ou un argument, ne signifie les textes possibles où il pourra (ou

Page 47: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pourrait) être placé. Et pourtant, face à cette richesse d'implicitations, depromesses inférentielles, de présuppositions décalées, le travail d'interprétationimposelechoixdelimites,dedirectionsinterprétativesetd'universdediscours.Ce que Peirce appelle univers de discours, nous le comprenons clairementmaintenant, représente le format ad hoc que nous devons faire prendre àl'encyclopédie potentielle (système sémantique global) pour pouvoir l'utiliser.L'encyclopédie est continuellement activée, réduite, tranchée, élaguée, lasémiosisillimitéeserefrènepourpouvoirsurvivreetdevenirmaniable. Maislaréductiondel'universdediscours,tandisqu'ellefreinel'encyclopédiedefond,faitprospérerletexteauquelonl'applique.Lesdécisionspragmatiques(ausenscontemporain)del'interprètefontpourainsidiremûrirjudicieusementlarichessedesimplicationsquetouteportiontextuellecontient,destermesauxarguments. Nous pourrions interpréter Peirce en disant que, étant donné cemacrosigne qu'est le Rouge et le Noir de Stendhal (c'est un exemple choisipresque au hasard), tout le roman peut être vu comme l'interprétation de laproposition"Napoléonestmortle5mai1821".Réaliserpleinementledramed'unjeuneFrançaisdel'époquedelaRestauration,déchiréentrelesrêvesd'unegloire perdue et la banalité du présent, signifie réaliser que Napoléon estirréversiblementmortàcettedate–etque |Napoléon|estencyclopédique-mentplusqu'undésignateurrigide(commeleveutKripke),quec'estplutôtuncrochetauquelonpeut suspendreunnombre infinidedescriptionsdéfinies (comme leveutSearle),parmi lesquelles la sériedesconnotationsdevaleurs,desprojets,des idéaux, des propositions idéologiques qui concourent à constituerencyclopédiquementlanotiondupersonnagehistoriqueNapoléon(auhasard:l'" auteur du Code Napoléon ", le " propagateur européen des idéaux de laRévolution française", le "porteurd'unnouveauconceptdegloire",etc.,desdescriptionsquiviennentalimenterl'imageidiosyncrasiquedel'unitésémantique« Napoléon » que véhicule Julien Sorel le nostalgique). L'abondance deréférencesconcrètesàlaFrancepostnapoléonienne,lesjugements idéologiquesexplicites et implicites qui construisent ses macropropositions ainsi quel'aventure frustrée de Julien qui est la parabole (et donc la définition, fût-ellesous forme allégorique) d'un rêve bonapartiste en retard, tout cela fait que leRougeet leNoir est un interprétant de la proposition citée plus haut.D'autantque pour savoir ce que la disparition de Napoléon a signifié pour toute unegénération,nousavonsplussouventrecoursàdesœuvrescommeleRougeetleNoirqu'àdesvolumesd'historiographie.Celivre"interprète"(oufournittoutesles conséquences inférentielles de) un fait exprimé par une propositionmieuxque ne le font d'autres interprétations qui pourtant veulent mettre en lumière

Page 48: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

toute la signification de cette proposition-là. Mais cette lecture du roman deStendhal signifieque l'interprèteachoisi,poussépardesmotivationsdiverses,l'universdediscoursqu'il jugeaitpertinent.Sicetuniversavaitétédifférent, lalectureduromanauraitamenéàd'autresinterprétations(parexemple,etletitrelepermet : idéal religieuxvs idéal laïque.Après tout,pourquoipas?).En toutcas, le livre, pris comme signe,devient à son tourunprécepte : l'ordrede sesinterprétationsconstitueaussil'ordredesopérationsqu'ilsuggèrepouratteindreunquelconqueObjetDynamique.C'est-à-dire:ilestvraiqu'untextenarratifestuneséried'acteslinguistiquesqui"fontsemblant"d'êtredesassertions,quipourautantnedemandentniàêtrecruesniàêtreprouvées ;maiscelaneconcernequel'existencedespersonnagesimaginairesqueletextemetenjeu.Iln'estpasexcluen revanchequ'à la séried'assertions fictivesqui sontdéployéesd'autresviennent s'ajouter qui, elles, ne sont pas fictives et qui trouvent même leursconditionsdebonheurdansl'engagementquemetl'auteuràlessouteniretdansles preuves qu'il entend fournir (sous le voile de la parabole narrative) pourétayer ses affirmations sur la société, la psychologie humaine, les lois del'histoire. Unaspectdelafonctionqueremplissentdetelsproduitsdérivedufaitquedesacteslinguistiquessérieux(c'est-à-direnonfictifs)peuventêtrevéhiculéspardestextes d'imagination, même si l'acte linguistique véhiculé n'est pas représentédans le texte. Presque toute œuvre d'imagination importante véhicule " unmessage"ou"desmessages"quisontvéhiculésparletexteetquipourtantnesontpasdansletexte(Searle,1975:332). A ce stade, même le roman stendhalien devient quelque peu similaire à ladéfinitiondulithiumetilprescritcequ'ilfautfairepouracquérirdeshabitudesàl'action et à la modification du monde. La différence avec la définition dulithium,c'est simplementque l'ensembledes interprétantsdevientplusvasteetlabyrinthique.Parailleurs,ilresteencoreunautreobjetàinterpréter,quirésidecommepourl'ordre|Ga-rdeàvous!|dansl'universdechosesdésiréparl'auteuraumomentdel'énonciation. Nousnedironspas,enconclusiondecetteaventure interprétativedes textespeircéens, que chez Peirce il existe une sémiotique explicite du texte,directementtraductibleentermesdecellesquisontformuléesaujourd'hui.Maisnousrépétonsquec'estdanslanotiond'interprétationquetrouvesonfondementl'hypothèse qu'un sémème est un texte virtuel et un texte un sémème enexpansion–etquechezPeirce,mieuxquechezbeaucoupd'autresauteursvenusaprès lui, se dessine la liaison qui peut unir une sémiotique du code à une

Page 49: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sémiotiquedestextesetdesdiscours.C'estlàuntravailàpoursuivreetàmener,plusloinmêmequePeircenel'afait:maisonlesait,noussommesdesnainssurl'épauledegéants. aParlasuite,touteslescitationsrenvoientaumêmeouvrage. b(1.540).Peirceétablitunedifférenceentresigneetrepresentamen:ilsemblequ'ilveuilleentendrepar|signe| l'expression comme occurrence, utilisée dans le processus concret de communication et par|representamen| le type à qui le code assigne un certain signifié correspondant par l'intermédiaire desinterprétantscapablesdeletraduire.Oucommesigne,lesartificesexplicitementcommunicatifsetcommerepresentamentoutobjetquipeutsecorréleràuncontenu,mêmes'iln'estpasémisintentionnellement."Parsignej'entendstoutcequivéhiculetoutenotiondéfinied'unobjetdequelquemanièrequecesoit,dansla mesure où ces véhicules de pensée nous sont familiers. Or, partant de cette idée familière, je mènel'analyselameilleurepossiblesurcequiestessentielàunsigneetjedéfiniscommerepresentamentoutceàquoicetteanalyses'applique...Enparticuliertouslessignestransmettentdesnotionsàdesespritshumainsmaisjenevoispasderaisonspourquetoutrepresentamendoivefairelamêmechose."Onpeutlirecettepage comme l'affirmation d'une différence entre processus de communication concrets et rapports designificationabstraits.Quoiqu'ilensoit,Peirceemploiesouventuntermepourl'autre,etnousn'insisteronspassurcettedifférence. cPuisquelecaractèredela"noirceur"n'estpasconsidéréensoimaiscommeréféréaupoêle,ilnepeutpas être un attribut général : " Nous ne pouvons pas comprendre un accord entre deux choses ", maisseulement"unaccordsousquelquerapport"(1.551). LesobservationsquisuiventdansletextesontsuggéréesparCaprettini,1976. d Jedonne ici la traductiondeFrançoisPeraldi (U.Eco,«Peirce et la sémantique contemporaine»,Langages58,1980,p.86)."Sil'onchercheladéfinitiondulithiumdansunouvragedechimie,ontrouverapeut-êtrequ'ils'agitd'unélémentdontlepoidsatomiqueestapproximativementde7.Maissi l'auteurestdouéd'unespritpluslogique,ilindiqueraquesivouschoisissezparmilesminérauxvitreux,translucides,gris ou blancs, très durs, cassants et insolubles, celui qui donne à une flamme incolore une colorationcramoisie, si vousmélangez ceminéral avecde la chauxoude lamort-aux-rats pilée et si vouspouvezdissoudre partiellement cemélange dans de l'acidemuriatique, puis une fois la solution évaporée, aprèsavoirextraitlerésiduavecdel'acidesulfuriqueetl'avoirdûmentpurifié,sivouspouvezletransformerenunchlorureparlaméthodehabituelle,obtenircechlorureàl'étatsolide,lefondreetl'électrolyseravecunedemi-douzaine d'éléments puissants jusqu'à ce qu'il en sourde un globule demétal argenté et rosâtre quiflotterasurdel'essence,lematériaurésultantdetoutcelaseraitunspécimendelithium." eCethèmeserareprisplusàfondauchapitre8.5. f J'ai développé ce point dans le chapitre " Dictionnary vs Encyclopedia " de mon Semiotics andPhilosophyofLanguage,IndianaU.P.,1984(àparaîtreenfrançais). gDanslecadred'unesémiotiquegénérale,l'analysecomponentielled'untermeverbaln'imposepasquel'onconsidèrelesseulsinterprétantsverbaux.Parmilesinterprétantsdumot|rouge|,ilyaaussilesnuances(visibles)derouge,lesimagesd'objetsrouges;parmilesinterprétantsde|chien|,ilyaaussid'innombrablesdessinsdechiensdisponiblesdansl'encyclopédie.Surlavariétédesinterprétants,cf.Eco,1975,2.7. hIlyaunmondeidéal(oùdeuxpropositionscontradictoiressontpossibles),etilyaunmonderéelouactuel (où, étant donné une proposition, son contradictoire est impossible) : le second représente unesélection et une détermination arbitraire du premier (6.192). L'univers actuel, par rapport à ce vasterepresentamen(5.119)qu'estl'universentier"perfusedwithsigns"(5.448),estununiversdediscoursqui,pourainsidire,réduittouslescaractèrespossiblesàunnombremaniable.

Page 50: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

iOnparleradansledernieressaidecelivre,etenparticulierauparagraphe6,decetteopérationdanslaperspectived'unethéorieconstructivistedesmondespossibles. j Voir 5.569, où il est dit qu' " un portrait avec le nom de son original écrit au-dessous est uneproposition".Cetteaffirmationouvred'intéressantesréflexionssurlerôledesicônesdansladoctrinedesinterprétants.En1885(1.372),ilestditque,tandisqu'untermeverbalestunedescriptiongénérale,nilesindices ni les icônes ne possèdent de généralité.Mais en 1896 (1.422 et 447), ces qualités qui, en tantqu'icônes,sontdesPriméités,sontditesgénérales.En1902(2.310),seulundicisignepeutêtrevraioufaux,mais,en1893(2.441), ilestditquedeux icônespeuvent formeruneproposition : l'icôned'uneChinoise(mais Peirce peut dire d'une façon indéterminée " a chinese ") et l'icône d'une femme forment unepropositionetfonctionnentdonccommetermesgénéraux.En1902(2.275),uneicône,bienqu'ellesoitlapure imaged'unobjet,produitune idéequi l'interprète.En2.278, les icônespeuvent fonctionnercommeprédicatd'uneproposition(cequisembleconfirmercequiaétécitéaudébutdecettenote).Pourexpliquercescontradictionsapparentes,ilfautrappelerquePeircedistinguelesicônescommeexemplesdePriméité(etdoncpuresqualités)desrepresentameniconiquesqu'ilappelleaussihypoicônes.CesrepresentamensontdéjàdesTercéitésetsontdoncinterprétables.Ainsileportraitaveclenomécritau-dessousestpropositionen de nombreux sens : l'hypoicône peut agir comme interprétant du nom, ou le nom peut interpréterl'hypoicône. Quoi qu'il en soit, toute cette discussion sert à réduire la différence entre caractères comme puresqualitésetinterprétantspluscomplexes,commeonleverraparlasuite. k"Nouspouvonsprendreunsignedansunsens sivastequeson interprétantnesoitpasunepenséemaisuneactionouuneexpérience,etnouspouvonsaussiélargirlesignifiéd'unsigneàtelpointquesoninterprétantsoitunepurequalitédesentiment"(8.332). lToutcelaentre1901et1903.En1891 (en faisant lecompte rendudesPrinciples ofPsychology deJames),Peirceétaitplusprudent:"Danslaperception,laconclusionn'estpaspenséemaisvueenacte,sibienquecen'estpasvraimentunjugement,mêmesicelaéquivautàunjugement"(8.65)."Laperceptionavoisineunjugementvirtuel,ellesubsumequelquechosesousuneclasse,etcen'estpastout,virtuellementelleapposeàlapropositionlesceaudel'assentiment"(8.66). mCepansémiotisme,en faisant en sorteque toutechose fonctionnecomme interprétationdu signifiéd'uneautre,àtraverssonapparentefuitemétaphysiqueenavant,préserveenréalitélacatégoriedesignifiédetoutplatonisme.Atraverslesinterprétants,lesdéterminationsdusignifiécommecontenudeviennentenquelquesortephysiquement,matériellement,socialementaccessiblesetcontrôlables.Rienn'exprimemieuxla dialectique des interprétants – et la façon dont par elle le contenu cesse d'être un événementmentalinaccessible – que la Pierre de Rosette. Le contenu du texte hiéroglyphique est interprété et renduintersubjectivement contrôlable par le texte démotique et celui-ci par le texte grec. Le texte grec estinterprété par d'autres textes grecs dont l'ensemble donne le dictionnaire et l'encyclopédie de la languegrecque.Lesignifiésemanifesteàtraverslaréalitéintertextuelle.

Page 51: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

3.

LELECTEURMODÈLE

3.1.LERÔLEDULECTEURUn texte, tel qu'il apparaît dans sa surface (oumanifesta. tion) linguistique,

représente une chaîne d'artifices expressifs qui doivent être actualisés par ledestinataire. Puisque dans ce livre nous avons décidé de nous occuperuniquementdetextesécrits(etprogressivementnousrestreindronsnotreanalyseà des textes narratifs), nous parlerons désormais de " lecteur " au lieu dedestinataire–demême que nous emploierons indifféremment " émetteur " et "auteur"pourdéfinirleproducteurdutexte. Parcequ'ilestàactualiser,untexteestincompletetcelapourdeuxraisons.Lapremière ne concerne pas seulement ces objets linguistiques que nous avonsdécidédedéfinircommetexte(cf.1.1)maisn'importequelmessage,ycomprisdesphrasesetdestermesisolés.Uneexpressionrestepurflatusvocistantqu'ellen'estpascorrélée,enréférenceàuncodedonné,àsoncontenuconventionné:ence sens, le destinataire est toujours postulé comme l'opérateur (pasnécessairement empirique) capable d'ouvrir le dictionnaire à chaquemot qu'ilrencontre et de recourir à une série de règles syntaxiques préexistantes pourreconnaîtrelafonctionréciproquedestermesdanslecontextedelaphrase.Nousdisonsalorsque toutmessagepostuleunecompétencegrammaticalede lapartdudestinataire,mêmes'ilestémisdansunelangueconnueduseulémetteur–etsauf cas de glossolalie où l'émetteur lui-même admet qu'il n'y a pasd'interprétationlinguistiquepossiblemais,toutauplus,unimpactémotifetunesuggestionextra-linguistique. Ouvrir le dictionnaire signifie accepter aussi une série de postulats designifiéa : un terme est en soi incomplet quand bien même il recevrait unedéfinition en termes de dictionnaire minimum. Le dictionnaire nous dit qu'unbrigantin est un navire,mais il laisse impliciter par |navire| d'autres propriétéssémantiques,Ceproblèmerelèved'unepartde l'infinitéde l'interprétation(que

Page 52: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

nousavonsvuefondéedanslathéoriepeircéennedesinterprétants),d'autrepartil renvoie à la thématique de l'implicitation (entailment) et du rapport entrepropriétésnécessaires,essentiellesetaccidentelles(cf.4.). Cependant,untextesedistingued'autrestypesd'expressionparsaplusgrandecomplexité.Etlaraisonessentielledecettecomplexité,c'estqu'ilestuntissudenon-dit(cf.Ducrot,1972). "Non-dit"signifienonmanifestéensurface,auniveaudel'expression:maisc'estprécisémentcenon-ditquidoitêtreactualiséauniveaudel'actualisationducontenu. Ainsi un texte, d'une façon plus manifeste que tout autre message,requiertdesmouvementscoopératifsactifsetconscientsdelapartdulecteur. Etantdonnélaportiontextuelle:ilestévidentquelelecteurdoitenactualiserle contenu à travers une série complexe de mouvements coopératifs. Nousnégligeons pour l'instant l'actualisation des co-références (c'est-à-dire que l'ondoit établir que le |tu| dans l'emploi de la deuxième personne du singulier duverbe |être| se réfèreà Jean),mais,déjà, cetteco-référenceest renduepossiblepar une règle conversationnelle selon laquelle le lecteur admet qu'en l'absenced'éclaircissementsalternatifs,étantdonnélaprésencededeuxpersonnages,celuiquiparles'adressenécessairementàl'autre.Règledeconversationquisegreffesuruneautredécisioninterprétative,uneopérationextensionnelleeffectuéeparle lecteur : il a décidé, à partir du texte qui lui est administré, qu'il doitdéterminer une portion de monde habitée par deux individus, Jean et Marie,dotés de la propriété d'être dans lamêmepièce.Enfin, queMarie soit dans lamêmepièceque Jeandépendd'une autre inférencenéede l'emploi de l'articledéterminatif|la|:onparlebiend'uneseuleetmêmepièceb.Resteàsedemandersi le lecteur juge opportun d'identifier Jean et Marie, au moyen d'indicesréférentiels, comme des entités du monde extérieur qu'il connaît à partird'expériences précédentes partagées avec l'auteur, si l'auteur se réfère à desindividus inconnus du lecteur ou si la portion textuelle k doit être reliée à desportionstextuellesprécédentesousuccessivesoùJeanetMarieontétéouserontinterprétéspardesdescriptionsdéfinies.

kJeanentradanslapièce."Tuesrevenu,alors!"s'exclamaMarie,radieuse,Mais,mêmesinousnégligeonstouscesproblèmes,iln'endemeurepasmoins

qued'autresmouvementscoopératifsentrentindubitablementenjeu.Enpremierlieu,lelecteurdoitactualisersapropreencyclopédiedefaçonàcomprendrequel'emploi du verbe |revenir| présuppose d'une manière quelconque que le sujet

Page 53: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

s'estprécédemmentéloigné.Ensecondlieu,ilestdemandéaulecteuruntravailinférentiel pour tirer de l'emploi de la conjonction adversative| alors | laconclusion que Marie ne s'attendait pas à ce retour et de la détermination |radieuse|lacertitudequ'elleledésiraitardemment. Letexteestdoncuntissud'espacesblancs,d'intersticesàremplir,etceluiquil'a émis prévoyait qu'ils seraient remplis et les a laissés en blanc pour deuxraisons.D'abordparcequ'untexteestunmécanismeparesseux(ouéconomique)quivitsurlaplus-valuedesensquiyestintroduiteparledestinataire;etcen'estqu'en des cas d'extrême pinaillerie, d'extrême préoccupation didactique oud'extrême répression que le texte se complique de redondances et despécifications ultérieures – jusqu'au cas limite où sont violées les règlesconversationnellesnormalesc.Ensuiteparceque,aufuretàmesurequ'ilpassedela fonction didactique à la fonction esthétique, un texte veut laisser au lecteurl'initiative interprétative,même si en général il désire être interprété avec unemargesuffisanted'univocité.Untexteveutquequelqu'unl'aideàfonctionner.

Nousn'essayonspas ici dedessiner une typologie des textes en fonctiondeleur"paresse"oudeleurlibertéofferte,définieailleurscomme"ouverture".Nousenreparleronsplusavant.Pour lemoment,disonsceci :untextepostuleson destinataire comme condition sine qua non de sa propre capacitécommunicative concrètemais aussi de sa propre potentialité significatrice. End'autresmots,untexteestémispourquelqu'uncapabledel'actualiser–mêmesion n'espère pas (ou ne veut pas) que ce quelqu'un existe concrètement ouempiriquement.

3.2.COMMENTLETEXTEPRÉVOITLELECTEURCetteconditionévidented'existencedestextessembleparailleursseheurterà

une loi pragmatique tout aussi évidente qui est enfin sortie aujourd'hui desoubliettesoù l'avait reléguée l'histoirede la théoriedescommunications.Cetteloi, on peut la formuler sous forme de slogan : la compétence du destinatairen'estpasnécessairementcelledel'émetteur. Nousavonsdéjàlonguementcritiqué(etnousl'avonsfaitdéfinitivementdansleTrattato,2.15)lemodèlecommunicatifvulgariséparlespremiersthéoriciensdel'information:unEmetteur,unMessageetunDestinataire,oùleMessageestgénéréetinterprétéàpartird'unCode.Or,noussavonsdésormaisquelescodes

Page 54: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dudestinataire peuvent différer, tout ou partie, des codes de l'émetteur, que lecode n'est pas une entité simple mais plus souvent un système complexe desystèmesderègles,quelecodelinguistiquen'estpassuffisantpourcomprendreun message linguistique : |Vous fumez? |Non| est linguistiquement décodablecomme une question et une réponse sur les habitudes du destinataire de laquestion; mais dans des circonstances d'émission déterminées, la réponse seconnote comme " impolie " sur la base non pas d'une règle linguistiquemaisplutôt d'une règle d'étiquette – il aurait fallu dire |Non, merci|. Donc, pourcomprendre un message verbal il faut, outre la compétence linguistique, unecompétence diversement circonstancielle, une capacité d'envisager desprésuppositions,deréprimerdesidiosyncrasiesetainsidesuite.Danslafigure1, page ci-contre, nous donnons l'exemple de cette série de contraintespragmatiquesquenousavionssuggéréedansleTrattato. Quel est donc le garant de la coopération textuelle face à ces possibilitésd'interprétationplusoumoins"aberrante"?Danslacommunicationorale,desformesinnombrablesderenforcementextra-linguistique(gestuel,ostensif,etc.),de multiples procédés de redondance et de feedback interviennent et sesoutiennent réciproquement. Ce qui veut dire qu'il n'y a jamais decommunication linguistique, au sens strict du terme, mais bien une activitésémiotique au sens large, où plusieurs systèmes de signes se complètent l'unl'autre.Maisqu'enest-ild'untexteécrit,quel'auteurgénèreetconfieensuiteàdiversactesd'interprétation,commeonjetteunebouteilleàlamer? Nousavonsditqueletextepostulelacoopérationdulecteurcommeconditiond'actualisation.Nouspouvonsdirecelad'unefaçonplusprécise:untexteestunproduitdontlesortinterprétatifdoitfairepartiedesonpropre

Page 55: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Figure1mécanisme génératif; générer un texte signifie mettre en œuvre une stratégie

dont font partie les prévisionsdesmouvements de l'autre – commedans toutestratégie.Danslastratégiemilitaire(oudanscelledeséchecs,disonsdanstoutestratégie de jeu), le stratège se dessine un modèle d'adversaire. Napoléonenvisageaitdifférenteshypothèses:Sijefaistelmouvement,Wellingtondevraitréagir ainsi. Wellington, de son côté, pensait : Si je fais tel mouvement,Napoléondevraitréagirainsi.Ilsetrouveque,danscecasd'espèce,Wellingtona généré une stratégie meilleure que celle de Napoléon, il s'est construit un

Page 56: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

NapoléonModèlequiressemblaitauNapoléonconcret.Napoléon,lui,aimaginéunWellingtonModèlequineressemblaitquedetrèsloinauWellingtonconcret.Uneseulechosepourraitvenirinvalidercetteanalogie:engénéral,dansuntextel'auteurveutfairegagner,etnonpasperdre,l'adversaire.Etencore,cen'estpasdit. Le récit d'AlphonseAllais, que nous analyserons dans le dernier chapitre,tientplusdelabatailledeWaterlooquedelaDivineComédie. Cependant,danslastratégiemilitaire(àladifférencedecelledeséchecs),desimpondérablespeuventintervenir.Parexemple:Grouchyestunincapablemaisilsepeutqu'ilreviennesurlechampdebataille(cequ'iln'apasfaitàWaterloo),comme il se peut que Desaix, lui, arrive en renfort (ce qui s'est passé àMarengo).Toutbonstratègedoitdonctenircomptedecesévénementsfortuits,paruncalculdeprobabilités. Or,ilenvademêmepourlestextes.L'auteurd'untextedevradoncagird'unefaçonidentique:"LebrasdulacdeCômequis'étendverslesudd...":etsijetombe sur un lecteur qui n'a jamais entendu parler deCôme? Je dois faire ensortedelerécupérerplusloin,pourlemomentfaisonscommesiCômeétaitunflatus vocis, comme Xanadou. Ensuite je ferai des allusions au ciel deLombardie, au rapport entre Côme, Milan et Bergame, à la situation de lapéninsuleitalienne.Bref,lelecteurquiprésenteunecarenceencyclopédiqueestattendutôtoutardautournant. Au point où nous sommes, la conclusion paraît simple. Pour organiser sastratégie textuelle,unauteurdoit se référeràune sériedecompétences (termeplus vaste que " connaissance de codes ") qui confèrent un contenu auxexpressions qu'il emploie. Il doit assumer que l'ensemble des compétencesauquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C'estpourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l'actualisationtextuelle de la façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agirinterprétativementcommeluiaagigénérativement.

Iladenombreuxmoyensàsadisposition:lechoixd'unelangue(quiexclutévidemmentceluiquine laparlepas), lechoixd'un typed'encyclopédie (si jecommenceuntextepar|Commel'expliquetrèsclairementlapremièreCritique...|, j'ai déjà restreint, de manière très corporatiste, l'image de mon LecteurModèle), le choix d'un patrimoine lexical et stylistique donné... Je peux aussifournir des signaux de genre qui sélectionneront mon audience :| Mes chersenfants,ilétaitunefoisdansunpayslointain... |;jepeuxrestreindrelechampgéographique : |Amis, Romains, concitoyens !| Beaucoup de textes révèlent

Page 57: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

immédiatement leurLecteurModèle en présupposantapertisverbis (qu'onmepardonne cet oxymoron) une compétence encyclopédique spécifique. Pourrendre hommage à tant de célèbres débats sur la philosophie du langage,reportons-nousàl'incipitdeWaverley(dontl'auteurestnotoirementl'auteur):l Mais hélas ! Qu'est-ce que mes lecteurs auraient pu attendre des nomschevaleresquesdeHoward,Mordaunt,Mortimer,Stanley, oudes syllabesplussentimentalesetplusdoucesdeceuxdeBelmour,Belville,Belfield,Bel-grave,si cen'estdespages rempliesde futilités semblablesàcellesdesouvragesquiontétébaptisésainsidepuisundemi-sièclee?Cepassagenousfournitd'autresélémentsderéflexion.L'auteurprésupposela

compétencedesonLecteurModèleetenmêmetempsill'institue.Etnousquinepossédonspourtantpasl'expériencedesromansgothiquesqu'avaientleslecteursdeWalterScott,noussommesaussiinvitésàsavoirquecertainsnomsconnotent«héroschevaleresque»,quecertainsromansdechevaleriesontpeuplésparlespersonnages cités plus haut quimanifestent des caractéristiques stylistiques enquelquesorteblâmables. Donc,prévoirsonLecteurModèlenesignifiepasuniquement"espérer"qu'ilexiste, cela signifie aussi agir sur le texte de façon à le construire. Un textereposedoncsurunecompétencemais,deplus,ilcontribueàlaproduire.Peut-ondire alors qu'un texte est moins paresseux qu'il n'y paraît, que sa demandecoopérative estmoins libérale que ce qu'il veut bien laisser entendre?A quoiressemble-t-il le plus?A une de ces boîtes en " kit ", contenant des élémentspréfabriqués,quel'usagerutilisepourobtenirunseuletuniquetypedeproduitfini, sans aucune latitude quant aumontage, lamoindre erreur étant fatale, oubienàunLegoquipermetdeconstruiretoutessortesdeformes,auchoix?N'est-ilqu'unpuzzlecompletqui,unefoisreconstitué,donneratoujourslaJoconde,oun'est-ilvraimentriend'autrequ'uneboîtedepastels? Ya-t-ildestextesprêtsàprendreenchargelesévénementspossiblesprévuspar la figure1?Y a-t-il des textes qui jouent sur ces écarts, les suggèrent, lesespèrent – et sont-ce là des textes " ouverts " aux mille lectures possibles,procuranttoutesunejouissanceinfinie?Etcestextesdejouissancerenoncent-ilsàpostulerunLecteurModèleouenpostulent-ilsundenaturedifférentef? Nous pourrions tenter de déterminer des typologiesmais la liste obtenue seprésenterait sous forme d'un continuum gradué aux nuances infinies. Nouspréférons suggérer, au niveau intuitif, deux extrêmes, puis nous y reviendronspouressayerdetrouverunerègleunifiéeetunificatrice,unematricegénérativetranscendantale.

Page 58: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

3.3.TEXTES"FERMÉS"ETTEXTES"OUVERTS"Certains auteurs connaissent fort bien la situation pragmatique dont on a

donnél'exempledanslafigure1.Cependant,ilscroientquec'estladescriptiond'uneséried'accidentspossiblesmaisévitables.C'estpourquoi ilscernentavecsagacité sociologique et prudence statistique leur Lecteur Modèle : ilss'adresseronttouràtouràdesenfants,àdesmélomanes,àdesmédecins,àdeshomosexuels, à des amateurs de planche à voile, à des ménagères petites-bourgeoises, à des amateurs de tissus anglais, à des hommes-grenouilles.Pourparlercommelespublicitaires, ilssechoisirontun target,une"cible" (etunecible,çacoopèretrèspeu:çaattendd'êtretouché).Ilsferontensortequechaqueterme, chaque tournure, chaque référence encyclopédique soient ce que leurlecteurest,selontouteprobabilité,capabledecomprendre.Ilsviserontàstimulerun effet précis ; pour être sûrs de déclencher une réaction d'horreur, ils dirontavant:"Ilsepassaalorsquelquechosed'horrible."Acertainsniveaux,lejeufonctionnera. Cependant, il suffira que Souvestre etAllain, qui écrivaient pour un publicpopulaire, tombententrelesmainsduplusfrianddesconsommateursdekitschlittéraire pour que ce soit la grande fête de la littérature transversale, del'interprétationentreleslignes,deladégustationduponcif,dugoûthuysmansienpour les textes qui balbutient. Le texte, de " fermé " et répressif qu'il était,deviendratrèsouvert,unemachineàengendrerdesaventuresperverses. Maisilyapis(oumieux,selonlescas):laprévisionquantàlacompétencemême du LecteurModèle peut avoir été insuffisante – par manque d'analysehistorique,erreurd'évaluationsémiotique,ousous-évaluationdescirconstancesde destination. Les Mystères de Paris, de Sue, nous donnent un splendideexemple de ces aventures de l'interprétation. Ecrits avec des intentions dedandysme pour raconter à un public cultivé les péripéties savoureuses d'unemisèrepittoresque,ilssontlusparleprolétariatcommeunedescriptionclaireethonnête de son asservissement ; l'auteur s'en aperçoit et continue à les écrire,pourleprolétariatcettefois,truffantsontextedemoralitéssociales-démocratesafindeconvaincrecesclasses"dangereuses",qu'ilcomprendmaiscraint,denepassedésespérer,d'avoirconfiancedanslajusticeetdanslabonnevolontédesclasses possédantes. Catalogué par Marx et Engels comme un modèle deplaidoirieréformiste,lelivreaccomplitunmystérieuxvoyagedansl'espritdeses

Page 59: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

lecteurs,ceux-làmêmequenousretrouveronssurlesbarricadesde1848,tentantlarévolution,parceque,entreautresmotifs,ilsavaientlulesMystèresdeParisg. Ilsepeutquelelivreaitcontenuaussicetteactualisationpossible.Ilsepeutqu'il ait dessiné, en filigrane, ce LecteurModèle là. C'est probable même. Aconditiondele lireenomettant lespartiesmoralisantes–oudenepasvouloirlescomprendre. Rienn'estplusouvertqu'un textefermé.Maissonouvertureest l'effetd'uneinitiativeextérieure,unefaçond'utiliserletexteetnonpasd'êtreutiliséparlui,endouceur. Il s'agit làdeviolenceplusquedecoopération.D'ailleurs,onpeutaussi faire violence à un texte (on peut dévorer un livre, comme l'apôtre àPathmos),etentirerdesubtilesjouissances.Maisicionparledelacoopérationtextuelle comme d'une activité promue par le texte, ces modalités ne nousintéressentdoncpas.Quecesoitbienclair:ellesnenousintéressentpasdanscecadre.LemotdeValéry–«Iln'yapasdevraisensd'untexte»–autorisedeuxlectures:onpeutfairel'usagequel'onveutd'untexte,c'estcettelecture-làquine nous intéresse pas ici ; on peut donner d'innombrables interprétations d'untexte,c'estlalecturequenousallonsprendreenconsidérationmaintenant. Onauntexte"ouvert"quandl'auteursaittoutlepartiàtirerdelafigure1.Illa lit comme lemodèle d'une situation pragmatique qu'on ne peut éliminer. Ill'assumecommehypothèserégulatricedesastratégie. Ildécide(c'est làque latypologie des textes risque de devenir un continuum de nuances) jusqu'à quelpointildoitcontrôlerlacoopérationdulecteur,oùildoitlasusciter,ladiriger,lalaisser se transformer en libre aventure interprétative. Il dira |Une fleur|, et,quoiqu'il sache (et veuille) que " hors de l'oubli où ma voix relègue aucuncontour(...),musicalementselève(...)l'absentedetousbouquets",ilsauraaveccertitudequecen'estpaslebouquetd'uneliqueurbienvieilliequis'exhalera:ilélargiraetrestreindraàsongrélejeudelasémiosisillimitée. Enmenant sa stratégieavecperspicacité, il essaierad'atteindreunseulbut :pour nombreuses que soient les interprétations possibles, il fera en sorte quel'une rappelle l'autre, afin que s'établisse entre elles une relation non pointd'exclusionmaisbienderenforcementmutuel. Ilpourrapostuler,commecelasepassepourFinnegansWake,unlecteuridéalatteint d'une insomnie idéale, doté d'une compétence variable mais dont lacompétence fondamentale devra être lamaîtrise de l'anglais (même si le livren'est pas écrit en " véritable " anglais). Cependant, ce ne pourra pas être unlecteurhellénistiqueduIIesiècleaprèsJ.-C.,ignorantl'existencedeDublin;ce

Page 60: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

nepourrapasêtrenonplusunillettréaulexiquededeuxmillemots(pourquoipas,aprèstout.Maisonsetrouveraalorsdenouveaufaceàuncasd'utilisationlibre, décidée de l'extérieur, ou de lecture extrêmement réduite, limitée auxstructuresdiscursiveslesplusévidentes[cf.4]). Donc,FinnegansWake attend un lecteur idéal, totalement disponible, douéd'unegrande sagacité associative,d'uneencyclopédie aux limitesvagues,maispas n'importe quel type de lecteur. Son LecteurModèle, il se le construit enchoisissantlesdegrésdedifficultéslinguistiques,larichessedesréférenceseteninsérantdansletextedesclés,desrenvois,despossibilités,mêmevariables,delectures croisées. Le Lecteur Modèle de Finnegans Wake, c'est cet opérateurcapable de mettre en acte, dans le temps, le plus grand nombre possible delecturescroiséesh. End'autresmots,danssaproductionultime,mêmeJoyce,l'auteurdutexteleplus ouvert dont il nous soit donné de parler, construit son propre lecteur àtraversunestratégietextuelle.Référéàdeslecteursqueletextenepostulepasetqu'ilnecontribuepasàproduire,letextedevientillisible(plusqu'ilnel'est)oualorsceladevientunautrelivre.

3.4.UTILISATIONETINTERPRÉTATIONNous devons donc faire une distinction entre l'utilisation libre d'un texte

conçu comme stimulus de l'imagination et l'interprétation d'un texte ouvert.C'estsurcettefrontièrequesefonde,sansambiguïtéthéorique,lapossibilitédecequeBarthesappelletextedejouissance–ilfautsavoir:soitonutiliseuntextecommetextedejouissance,soituntextedéterminéconsidèrecommeconstitutifdesaproprestratégie(etdoncdesoninterprétation)lastimulationdel'utilisationlapluslibrepossible.Maisnouscroyonsdevoirlimiternotreaffirmationetdirequelanotiond'interprétationentraînetoujoursunedialectiqueentrelastratégiedel'auteuretlaréponseduLecteurModèle. Naturellementonpeutavoir,outre lapratique,uneesthétiquede l'utilisationlibre, aberrante, désirante et malicieuse des textes. Borges suggérait de lirel'Odyssée comme si elle était postérieure à l'Enéide, ou l'Imitation de Jésus-Christ comme si elle avait été écrite par Céline. Propositions splendides,excitantesetparfaitementréalisables.Toutautantcréativesqued'autres,plusquejamaismême,puisquedefaitunnouveautexteestproduit(leDonQuichottedePierre Ménard, par exemple, est très différent de celui de Cervantès, auquel

Page 61: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pourtant il correspond accidentellement mot pour mot). Et, qu'en écrivant cetautretexte(outexteAutre),onenarriveàfairelacritiquedutexted'origineouàendécouvrirdespossibilitésoudesvaleurscachées,celan'estpasétonnant.Rienn'estplusrévélateurqu'unecaricature,parcequejustementellesembleêtre(toutenn'étantpas)l'objetcaricaturé.D'autrepart,ilestcertainqu'unromanreracontédevientplusbeaucarildevientun"autre"roman. Dupointdevued'unesémiotiquegénéraleetàlalumièredelacomplexitédesprocessus pragmatiques (figure 1) et du caractère contradictoire du ChampSémantique Global, toutes ces opérations sont théoriquement explicables.Cependant, si la chaîne des interprétations est infinie, comme nous l'amontréPeirce, l'universdediscoursintervientpourlimiter leformatdel'encyclopédie.Et un texte n'est pas autre choseque la stratégie qui constitue l'univers de sesinterprétations– sinon légitimes–dumoins légitimables.Toute autredécisiond'utiliser librement un texte correspond à la décision d'élargir l'univers dediscours.Ladynamiquedelasémiosisillimitéenel'interditpas,aucontraireellel'encourage.Maisilfautsavoircequel'onveut:fairesubirunentraînementàlasémiosisouinterpréteruntexte. Ajoutons, pour finir, que les textes fermés sont plus résistants à l'utilisationque les textes ouverts. Conçus pour un Lecteur Modèle très défini, dansl'intention d'en diriger d'unemanière répressive la coopération, ils laissent desmarges de manœuvre assez élastiques. Prenez les histoires policières de RexStoutet interprétez le rapportentreNeroWolfeetArchieGoodwincommeunrapport"kafkaïen":c'esttoutàfaitpossible.Letextesupportetrèsbiencetteutilisation, on ne perd ni le divertissement de la fabula ni le goût final de ladécouverte de l'assassin. Prenez maintenant le Procès de Kafka et lisez-lecommeunehistoirepolicière.Légalementc'estpermismais textuellementcelaproduitunpiètrerésultat.Autantseroulerdesjointsdemarijuanaaveclespagesdulivre,ceseraitbienmeilleur. Proustpouvaitlirel'horairedescheminsdeferetretrouverdanslesnomsdeslocalités duValois les échos doux et labyrinthiques du voyage deNerval à larecherchedeSylvie.Maisilnes'agissaitpasd'interprétationdel'horaire,c'étaitl'unedesesutilisationslégitimes,presquepsychédélique.L'horaire,quantàlui,neprévoitqu'unseultypedeLecteurModèle,unopérateurcartésienorthogonaldouéd'unsensaigudel'irréversibilitédessuccessionstemporelles.

3.5.AUTEURETLECTEURCOMMESTRATÉGIESTEXTUELLES

Page 62: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Dans un processus communicatif, on a un Emetteur, un Message et un

Destinataire. Souvent, l'Emetteur et le Destinataire sont grammaticalementmanifestésparlemessage:|Jetedisque...|. Quandils'agitdemessagesàfonctionréférentielle,leDestinataireutilisecestraces grammaticales comme indices référentiels (|je| désignera le sujetempirique de l'acte d'énonciation de l'énoncé en question, etc.). Cela peutfonctionnerdelamêmefaçonavecdestextestrèslongs:deslettres,despagesd'unjournalintime;enfait,celapeutfonctionneravectoutcequiestludansledessein d'acquérir des informations sur l'auteur et les circonstancesd'énonciation. Maisquanduntexteestconsidéréentantquetel,enparticulierdanslescasdetextes conçus pour une audience très vaste (romans, discours politiques,instructionsscientifiques,etc.),l'EmetteuretleDestinatairesontprésentsdansletextenontantcommepôlesdel'acted'énonciationquecommerôlesactancielsde l'énoncé (cf. Jakobson, 1957). Dans ces cas, l'auteur est textuellementmanifestéuniquementacommeunstylereconnaissable–quipeutêtreaussiunidiolecte textuel, oude corpus, oud'époquehistorique (cf.Trattato, 3.7.6.) ; mcommeunesimplepositionactancielle(|je|=«lesujetdeceténoncé») ;(III)comme occurrence illocutoire (|je jure que | = « il y a un sujet qui accomplitl'acte de jurer ») ; comme opérateur de force perlocutoire qui dénonce une "instance de l'énonciation "; ou comme une intervention d'un sujet étranger àl'énoncémaisenquelquesorteprésentdansleplusvastetissutextuel(|soudain,ilsepassaquelquechosed'horrible...|;|...ditladuchessed'unevoixàréveillerlesmorts...|). D'habitude, cette évocation du fantôme de l'Emetteur est corrélative d'uneévocationdufantômeduDestinataire(Kristeva,1970).PrenonscepassagetirédesInvestigationsphilosophiquesdeWittgenstein(§66):mConsidèreparexemplelesprocessusquenousappelons"jeux".Jeveuxdirejeuxd'échecs,jeuxdecartes,jeuxdeballons,coursessportivesetainsidesuite.Qu'ya-t-ildecommunàtouscesjeux?–Nedispas:"ildoityavoirquelquechosedecommunàtous,sinononnelesappelleraitpas'jeux'"–maisregardes'il y a quelque chose de commun à tous. En effet, si tu les observes, tu netrouveras certainement pas quelque chose qui soit commun à tous, mais tutrouveras des ressemblances, des parentés et même tu en trouveras toute unesérie...

Page 63: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Tous les pronoms personnels n'indiquent absolument pas une personneappelée Ludwig Wittgenstein ou un lecteur empirique quelconque : ilsreprésententdepuresstratégiestextuelles.L'interventiond'unsujet locuteurestcomplémentaire de l'activation d'un LecteurModèle dont le profil intellectueln'est déterminé que par le type d'opérations interprétatives qu'il est censéaccomplir:reconnaîtredessimilitudes,prendreenconsidérationcertainsjeux... De la même façon, l'auteur n'est autre qu'une stratégie textuelle capabled'établirdescorrélationssémantiques:|Jeveuxdire...|(Ichmeine...)signifiequedanslecadredecetexteleterme|jeu|devraassumerunecertaineextension(quiembrasse les jeuxd'échecs, jeuxde cartes, etc.), tandis que l'on s'abstient d'endonner une description intensionnelle. Dans ce texte, Wittgenstein n'est autrequ'un style philosophique et le Lecteur Modèle n'est autre que la capacitéintellectuelledepartagercestyleencoopérantàsonactualisation. Qu'ilsoitdoncclairque,désormais,chaquefoisquel'onemploieradestermescommeAuteuretLecteurModèleonentendra toujours,dans lesdeuxcas,destypesdestratégietextuelle.LeLecteurModèleestunensembledeconditionsdesuccès ou de bonheur (felicity conditions), établies textuellement, qui doiventêtre satisfaites pour qu'un texte soit pleinement actualisé dans son contenupotentieli.

3.6.L'AUTEURCOMMEHYPOTHÈSEINTERPRÉTATIVESi Auteur et Lecteur Modèle sont deux stratégies textuelles, nous nous

trouvonsalors faceàunedoublesituation.D'uncôté,commeon l'adit jusqu'àprésent, l'auteur empirique en tant que sujet de l'énonciation textuelle formuleunehypothèsedeLecteurModèle,eten la traduisanten termesd'unestratégiequi luiestpropre, il sedessine lui-même,auteuren tantquesujetde l'énoncé,commemode d'opération textuelle en des termes tout autant " stratégiques ".Maisd'unautrecôté,lelecteurempirique,entantquesujetconcretdesactesdecoopération, doit lui aussi se dessiner une hypothèse d'Auteur en la déduisantjustementdesdonnéesdestratégietextuelle.L'hypothèseformuléeparlelecteurempirique à propos de son AuteurModèle semble plus fondée que celle quel'auteurempiriqueémetàproposdesonLecteurModèle.Eneffet,leseconddoitpostulerquelquechosequin'existepasencoreactuellementetleréalisercommeséried'opérationstextuelles;lepremier,aucontraire,déduituneimagetypede

Page 64: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

quelquechosequi s'est précédemmentvérifié commeacted'énonciation et quiest présent textuellement comme énoncé. Prenons l'exemple m : Wittgensteinpostule seulement qu'il existe un Lecteur Modèle capable d'accomplir lesopérations coopératives qu'il propose, tandis que nous, lecteurs, nousreconnaissons l'image duWittgenstein textuel comme série d'opérations et depropositionscoopérativesmanifestées.Mais l'AuteurModèlen'estpas toujourssiclairementdiscernableetiln'estpasrarequelelecteurempiriqueaittendanceà l'aplatir (à partir d'informations qu'il possède déjà) sur l'auteur empirique entantquesujetde l'énonciation.Cesontces risques,cesdifférencesqui rendentparfoisaventureuselacoopérationtextuelle. Précisons que par " coopération textuelle ", on ne doit pas entendrel'actualisation des intentions du sujet empirique de l'énonciation mais lesintentionsvirtuellementcontenuesparl'énoncé.Prenonsunexemple:quelqu'undans une discussion politique ou dans un article désigne les autorités ou lescitoyensde l'U.R.S.S.par |russes|plutôtquepar |soviétiques| ;onestimealorsqu'ilentendactiveruneconnotationidéologiqueexplicite,commes'ilrefusaitdereconnaître l'existence politique de l'Etat soviétique issu de la révolutiond'Octobre et pensait encore à la Russie tsariste. Dans certaines situations,l'emploi de l'un ou de l'autre terme devient très discriminatoire. Or il se peutqu'un auteur, sans aucun préjugé antisoviétique, emploie le terme |russe| parinattention, habitude, commodité, légèreté, adhérant ainsi à un emploi trèsrépandu.Toutefois,encomparant lamanifestation linéaire (l'emploidu lexèmeen question) aux sous-codes dont il a la compétence (voir les opérationscoopératives déterminées au chapitre 4.6), le lecteur a le droit d'assigner auterme|russe|uneconnotationidéologique.Ilenaledroitparcequetextuellementlaconnotationestactivée:etc'estlàl'intentionqu'ildoitattribueràsonAuteurModèle indépendamment des intentions de l'auteur empirique. La coopérationtextuelleestunphénomènequiseréalise,nouslerépétons,entredeuxstratégiesdiscursivesetnonpasentredeuxsujetsindividuels. Naturellementlelecteurempirique,pourseréalisercommeLecteurModèle,ades devoirs " philologiques " : il se doit de récupérer, avec la plus grandeapproximation possible, les codes de l'émetteur. Supposons que l'émetteur soitunlocuteuraucodetrèsrestreint,àlaculturepolitiquelimitée,quinepeut(étantdonné le formatde sonencyclopédie) avoirprésenteà l'esprit cettedifférence;supposonsdoncqu'unillettrénepossédantquedevaguesconnaissancespolitico-linguistiques prononce une phrase du style " Khrouchtchev était un hommepolitique russe " (alors qu'il était ukrainien). Il est clair qu'interpréter le textesignifie en ce sens reconnaître une encyclopédie d'émission plus restreinte et

Page 65: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

génériquequel'encyclopédiededestination.Maiscelasignifievoirletextedansses circonstances d'énonciation. Or si l'on suppose que ce texte accomplit untrajetcommunicatifplusampleetqu'ilcirculecommetexte"public"nepouvantplusêtreattribuéàsonseulsujeténonciatiforiginal,ilfaudraalorslevoirdanssa nouvelle situation communicative comme texte qui, désormais, à travers lefantômed'unAuteurModèletrèsgénérique,seréfèreausystèmedecodesetdesous-codes accepté par ses destinataires possibles et qui requiert donc d'êtreactualisé selon la compétence de destination. Le texte connotera alors unediscrimination idéologique. Il s'agit bien sûr de décisions coopératives quinécessitentdesévaluationsquantàlacirculationsocialedestextes.IlfautdoncprévoirlescasoùconsciemmentondétermineunAuteurModèledevenutelparsuite d'événements sociologiques tout en sachant qu'il ne coïncide pas avecl'auteurempiriquej. Reste évidemment le cas où le lecteur avance l'hypothèse que l'expression|russe|aétéemployée involontairement (intentionspsychologiquesattribuéesàl'auteur empirique) et où il se hasarde pourtant à une caractérisation socio-idéologiqueoupsychanalytiquede l'émetteurempirique :celui-cinesavaitpasqu'ilactivaitcertainesconnotations,maisinconsciemmentillevoulait.Pouvons-nousparler ence casde coopération textuelle correcteoubiend'interprétationsémantiquedutexte? Ilestclairquel'ondécriticilestatutdeces"interprétations"sociologiquesou psychanalytiques des textes, où il s'agit de découvrir ce que le texte,indépendammentdel'intentiondel'auteur,ditenfait,soitsurlapersonnalitéoulesoriginessocialesdel'auteur,soitsurlemondemêmedulecteur. Et il est tout aussi clair que l'on en arrive à ces structures sémantiquesprofondes qu'un texte n'étale pas en surface mais qui sont envisagées par lelecteur comme clé pour l'actualisation complète du texte : les structuresactancielles (questions sur le " sujet " effectif du texte, au-delà de l'histoireindividuelledupersonnageTelouUntelquiyestapparemmentracontée)etlesstructures idéologiques. Ces structures, nous les déterminerons au chapitresuivantetlesdiscuteronsauchapitre9. Limitons-nouspourl'instantàconclurequel'onaunAuteurModèlecommehypothèseinterprétativequandonsereprésentelesujetd'unestratégietextuelletelle qu'elle apparaît à partir du texte examiné, et non pas quand on émetl'hypothèse, derrière la stratégie textuelle, d'un sujet empirique quiéventuellementvoulaitoupensaitouvoulaitpenserdeschosesdifférentesdecequeletexte,comparéaucodeauquelilseréfère,ditàsonLecteurModèle.

Page 66: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Toutefois, on ne peut nier le poids que prennent les circonstancesd'énonciationquiamènentàformulerunehypothèsesur les intentionsdusujetempiriquedel'énonciation,dansladéterminationduchoixd'unAuteurModèle.Prenons un cas typique : l'interprétation donnée par la presse et les partispolitiquesdeslettresd'AldoMoropendantl'emprisonnementquidevaitprécéderson assassinat, sur lesquelles Lucrecia Escudero a écrit des observations fortpertinentesk. EndonnantdeslettresdeMorouneinterprétationquitiennecomptedescodescourantsetenévitantdemettreenrelieflescirconstancesd'énonciation,iln'yaaucundoute:cesontdeslettres(etlepropredelalettreprivée,c'estdevouloirexprimersincèrementlapenséedeceluiquiécrit),oùlesujetdel'énonciationsemanifeste comme sujet de l'énoncé et exprime des requêtes, des conseils, desassertions.Si l'on se réfère tantaux règlesconversationnellescommunesqu'ausignifiédesexpressionsemployées,Morodemandeunéchangedeprisonniers. Cependant, la presse, dans sa grande majorité, a adopté ce que nousappelleronslastratégiecoopérativedurefus:ellemetenquestiond'unepartlesconditionsdeproductiondesénoncés(Moroécritsouslacontrainte,donciln'apas dit ce qu'il voulait dire) et d'autre part l'identité entre sujet de l'énoncé etsujet de l'énonciation (les énoncés disent |Moi, Moro| mais le sujet del'énonciationest unautre, ce sont les ravisseursquiparlent sous lemasquedeMoro). Dans les deux cas, la configuration de l'Auteur Modèle change et sastratégien'estplusidentifiéeàlastratégiequel'onauraitautrementattribuéeaupersonnage empirique Aldo Moro (l'Auteur Modèle de ces lettres n'est pasl'Auteur Modèle des autres textes verbaux ou écrits d'Aldo Moro dans desconditionsnormales). De là découlent différentes hypothèses : a Moro écrit ce qu'il écrit maisimplicitementilsuggèrequ'ilveutdirelecontraire,doncsesappelsnedoiventpasêtreprisàlalettre;mMoroemploieunstyledifférentdesonstylehabituelpourvéhiculerunseuletuniquemessage:"Necroyezpascequej'écris";(III)Moron'estpasMoroparcequ'ilditdeschosesdifférentesdecellesqu'ildisaitnormalement,qu'ildirait normalement, que raisonnablement ildevrait dire. Etl'on voit tout de suite, à cette dernière hypothèse, combien les attentesidéologiquesdesdestinatairesontjouésurlesprocessusde"véridiction"etsurladéfinitiondel'auteurempiriqueetdel'AuteurModèle. Deleurcôté,lespartisetlesgroupesfavorablesauxnégociationsontjouélejeudelacoopérationenélaborantaucontraireunestratégied'acceptation: les

Page 67: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

lettresdisentpetsontsignéesMoro,doncMoroditp.Lesujetdel'énonciationn'a pas été discuté, par conséquent l'AuteurModèle changeait dephysionomie(etdestratégie). Bienentendu,notreproposn'estpasicidedirequellestratégieétaitla"bonne".Si laquestionétait "Quiaécritces lettres?" la réponse resteconfiéeàdesprotocoles quelque peu improbables. Si la question était " Quel est l'AuteurModèledeceslettres?"ilestclairqueladécisionétaitinfluencéesoitpardesévaluations sur la circonstance d'énonciation, soit par des présuppositionsencyclopédiquessurla"penséehabituelle"deMoro,soitenfin(maiscedernierélémentsurdéterminaitbienévidemmentlesdeuxautres)pardespointsdevueidéologiques préliminaires (dont on parlera au chapitre 4.6.7). Selon l'AuteurModèlequel'onsechoisissait,letyped'actelinguistiqueprésuméchangeaitetletexte prenait des significations diverses en imposant diverses formes decoopération.C'estd'ailleurscequisepassesiondécidedelireunénoncésérieuxcommeénoncéironiqueetviceversa. Laconfigurationdel'AuteurModèledépenddetracestextuellesmaisellemeten jeu l'univers de ce qui est derrière le texte, derrière le destinataire etprobablement devant le texte et le processus de coopération (au sens où elledépenddelaquestion:"Qu'est-cequejeveuxfairedecetextel?"). aCf.Carnap,1952.Laquestionestreprisedanscelivre(8.5). b Sur ces procédés d'identification en rapport avec l'emploi des articles déterminatifs, cf. Van Dijk,1972apouruncompterendudelaquestion.Pouruneséried'exemples,voirdanscelivre(8.11et10). cPourlesrèglesconversationnelles,onseréfèrenaturellemmentàGrice,1967.Nousrappelonsentoutcas lesmaximesconversationnellesdeGrice:–maximedelaquantité: faisensortequetacontributionsoitinformativeautantquelerequiertlasituationd'échange;maximedelaqualité:nedispascequetucroisêtrefauxetneparlepasdecedonttun'aspasdepreuvesadéquates;maximedelarelation:neparlepaspourneriendire;maximedelamanière:évite lesexpressionsobscures,évite l'ambiguïté,soisbref(évitetouteprolixitéinutile),soisconséquent. d L'auteur cite ici les premiers mots du roman d'Alessandro Manzoni I promessi sposi (traductionfrançaised'ArmandMonjo:lesFiancés,Paris,1982). eTraductionfrançaisedeDefauconpret,Paris,Garnier,1931. fSurl'œuvreouverte,nousrenvoyonsàl'Œuvreouverte,Paris,Seuil,1965. gCf.Eco,1976,enparticulier "Sue : il socialismoe laconsolazione" ;Eco,1967 : "Rhétoriqueetidéologiedans'lesMystèresdeParis'd'EugèneSue",RevueInt.desSciencesSociales14,4. hCf.UmbertoEco, lesPoétiquesdeJoyce, in l'Œuvre ouverte, op. cit.Cf. aussi " Sémantique de lamétaphore"inTelQuel55,1973. iPourlesconditionsdesuccès,nousrenvoyonsévidemmentàAustin,1962;Searle,1969.

Page 68: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

jSommes-noussûrsque,dans|RendezàCésarcequiestàCésar|,Jésusentendaitposerl'équivalenceCésar = pouvoir de l'Etat en général, et qu'il n'entendait pas indiquer seulement l'empereur romain aupouvoir à ce moment-là, sans se prononcer sur les devoirs de ses disciples dans des circonstancestemporellesetspatialesdifférentes?Ilsuffitdevoirlapolémiquesurlapossessiondesbiensetlapauvretédesapôtres,tellequ'ellesedessineauXIVesiècleentrefranciscains"spirituels"etsouverainpontife,ainsique celle, encore plus vaste et ancienne, entre papauté et Empire, pour se rendre compte combien cettedécision interprétative était difficile. Aujourd'hui pourtant nous avons accepté comme donnéed'encyclopédie l'équationhypercodée (par synecdoques) entreCésar et pouvoir de l'Etat, et c'est sur cesbases que nous continuons à actualiser les intentions de l'Auteur Modèle, dit le Jésus des Evangilescanoniques. k " Il casoMoro ; manipolazione e riconoscimento ", communication présentée au Colloque sur lediscourspolitique,CentroInternazionalediSemioticaeLinguistica,Urbino,juillet1978. lLanotiondeLecteurModèlecircule,sousd'autresdénominationsetavecplusieursdifférences,dansdenombreusesthéoriestextuelles.Cf.parexempleBarthes,1966;Lotman,1970;Riffaterre,1971,1976;VanDijk,1976c;Schmidt,1976;Hirsch,1967;Corti,1976;Iser,1972.OntrouvedesindicationsindirectesmaisprécieuseschezWeinrich,1976(7,8et9).

Page 69: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

4.

NIVEAUXDECOOPÉRATIONTEXTUELLE

4.1.LIMITESDUMODÈLEUntexteestunartificesyntaxico-sémantico-pragmatiquedontl'interprétation

prévuefaitpartiedesonpropreprojetgénératif.Onl'aaffirmédansleschapitresprécédents.Pourclarifiercettedéfinition,ilfautavanttoutreprésenteruntextecommeunsystèmedenœudsoude"joints"etindiqueroù–àquelsnœuds–lacoopérationduLecteurModèleestattendueetstimulée. Il est probable qu'une représentation si analytique dépasse les possibilitésactuelles d'une sémiotique textuelle. Quelque chose de semblable a déjà étéproposépourdes textesconcrets–etmêmesi l'analyseétaitabordéeavecdescatégoriessouventadhoc,celles-ciaspiraientàuneapplicabilitéplusgénérale.Les exemples les plus féconds sont l'analyse de Sarrazine faite par Barthes(1970) et celle deDeux Amis de Maupassant faite par Greimas (1976). Desanalysesplusformaliséesdefragmentstextuelsplusréduits(commecellemenéepar Petôfi [1975] sur le Petit Prince de Saint-Exupéry) sont manifestementconçuescommedesexpérimentationssurl'applicabilitéd'unethéorieplutôtquecommedestentativesd'interprétationexhaustived'untexte. Quand elles proposent un modèle de texte idéal ou " type ", les théoriescourantes le représentent d'habitude en termes de niveaux structuraux –diversementconçuscommelesstadesidéauxd'unprocessusdegénérationet/oud'interprétation. La notion de niveau textuel est par ailleurs assez embarrassante et a déjàsuscité un grand nombre de discussions et de propositions. Tel qu'il nousapparaît, sousformedemanifestation linéaire,un texten'apasdeniveaux :cequi existe a déjà été généré. Segre (1974 : 5) suggère que " niveau " et "génération"sontdeuxmétaphores:l'auteurn'estpasentraindeparler,iladéjàparlé.Nous,nousavonsà faireavec leplande l'expression textuelleet iln'est

Page 70: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pas dit que les phases interprétatives que nous effectuons pour actualiserl'expression en contenu reflètent les phases génératives à travers lesquelles unprojetdecontenuestdevenuexpression.Parailleurs,dansbiendesthéories,cen'estpasladynamiquedel'interprétationquiestenquestionmaisladynamiquede laproduction, il s'agit plutôt d'unprojet deprocessusgénératif qui pourraitaussiêtreappliquéàunordinateur. Enréalité,lanotiondeniveautextuelnepeutêtrequ'unenotionthéorique,unschémamétatextuel.Etellepeuts'articulerdiversementselonleprojetthéoriquequ'elledoit soutenir.Nous,nousnous intéressonsauxmouvements coopératifsdulecteurd'untexteécrit,c'estpourquoileschémaproposédanslafigure2(cf.p.93)estorientéencesens.Ils'inspiredumodèledeniveauxtextuelsproposépar Petöfi pour saTeSWeSTa. Petôfi se fixe d'autres buts et il tente d'intégrerdans son cadre des éléments suggérés par d'autres approches théoriques (enparticulier celles de Greimas et de Van Dijk)b. Pourtant on s'est inspiré dumodèlepétöfienparcequ'ilessaie,plusquetoutautre,d'examinerdanslemêmetempslesproblèmesextensionnelsetintensionnels. Cependant cemodèlepétöfien établit avec rigidité ladirectionduprocessusgénératiftandisquelenôtrerefuseexplicitementdereprésenterlesdirectionsetla hiérarchie de phases du processus coopératif. D'où l'abondance de flèchesdansdesdirectionsopposées,sibienquel'onal'impression,toutàfaitexacteaudemeurant,quetoutescesflèchesn'indiquentaucunedirectionmaiscontraignentaucontraireàunva-et-vientépuisant.Notrediagrammeexprimelefaitque,dansleprocessusconcretd'interprétation,touslesniveauxetsous-niveaux–enfait,desimples"cases"métatextuelles–peuventêtreatteintspardegrands"sauts",sansnécessairementdevoirparcourirdescheminsobligatoires,caseparcase:silamétaphoreducoupducavalier, auxéchecs,n'avait pasdéjà servi àd'autrespropos,ilseraitbondel'employerici.Parfoislacoopérationdulecteurauniveaudesstructuresdiscursivespeutréussir,parcequejustementonadéjàavancéunehypothèseauniveaudesstructuresdemondes–etainsidesuite. Maisonpourraitdire–etilfautprendrecetteobservationcommeunesimplesuggestionsurunpointquineconcernepasdirectementnotresujet–qu'ilenvademêmepourlemomentgénératif.Combiendefoisunauteurneprend-ilunedécisionquantà lastructuresémantiqueprofondedu textequ'à l'instantoù,auniveaudelaréalisationlexicale,ilchoisitunmotplutôtqu'unautre?Etpourunepoésie, la décision sur les structures sémantiques profondes n'est-elle passouventsuggéréepardesexigencesderime? Disonsdoncque,danstouslescas,lesflèchesdenotrediagrammen'indiquent

Page 71: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pas un processus temporel ou logique, fût-il idéalisé, mais montrentl'interdépendanceentrelesdifférentescases.Etsicontrainteshiérarchiquesilya,ellesneconcernentquelescasesinférieures:onnepeutpasnepaspartirdelamanifestation linéaire, c'est-à-dire qu'on ne décide d'actualiser un texte quelorsqu'il nous est proposé comme expression. De même qu'on ne peut pascommenceràl'actualisersanschargerdecontenulesexpressions,enseréférantausystèmedescompétencessémiotiques(codesetsous-codes),systèmeculturelqui précède la production même de la manifestation linéaire concrète. Aprèsquoi,lalecturen'estplusstrictementhiérarchisée,elleneprocèdepaspararbreni par main street, mais par rhizome (un soupçon conservateur : la théoriespitzérienneducercleherméneutiquedit-elleautrechose?).

4.2.LECHOIXD'UNMODÈLEDETEXTENARRATIFLesniveauxtextuelsreprésentésdanslafigure2seréfèrentàuntextedegenre

narratif. Nous pensons en effet qu'un texte narratif présente, outre quelquesproblèmesspécifiques,touslesproblèmesthéoriquesdetoutautretexte.Nousytrouvons des exemples de chaque spécimen d'actes linguistiques,conversationnels,descriptifs,argumentatifs,etc. Van Dijk (1974b) distingue entre narrativité naturelle et narrativitéartificielle,toutesdeuxétantdesdescriptionsd'actionsmaislapremièreseréfèreàdesévénementsprésentéscommes'étantréellementproduits(parexemple,lesfaits divers des journaux), alors que la seconde concerne des individus et desfaitsattribuésàdesmondespossibles,différentsdumondedenotreexpérience. Certes la narrativité artificielle respecte peu les conditions pragmatiquesauxquellesestsoumiselanarrativiténaturelle(l'auteurparexemplenes'engagepasàdire lavériténiàprouver sesassertions),maiscettedifférenceestquasinégligeable quant à notre propos, car notre schéma tient compte aussi de cesdécisions interprétatives. Simplement, la narrativité artificielle contient unnombreplusvastedequestionsde type extensionnel, commeon leverradansl'analyse consacrée à la nouvelle d'AlphonseAllais, au dernier chapitre.Voilàdoncpourquoilemodèleproposéconcernedestextesnarratifsengénéral,qu'ilssoientnaturelsouartificiels. Comme on l'a déjà dit, ce modèle devrait aussi fonctionner pour desspécimenstextuelsplusréduits.Untextenarratifestpluscomplexequ'unsimpleconditionnel contrefactuel émis au cours d'une conversation (|Si tu n'étais pas

Page 72: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

venu, jeseraisallédîner toutseul|),mêmesi tousdeuxconcernentunpossibleétatd'affaireouunpossiblecoursd'événements.Ilyaunedifférenceentredireàunejeunefillecequ'ilpourraitluiarriversielleacceptaitlacourd'unlibertinetraconteràquelqu'uncequ'ilarrivairrémédiablementdansleLondresduXVIIIesiècle à une jeune fille prénommée Clarisse pour avoir accepté la cour d'unlibertinappeléLovelace.Danscecasnous relevonsquelques traits spécifiquesde la narrativité artificielle, à savoir : a à travers une formule introductivespéciale(impliciteouexplicite),lelecteurestinvitéànepassedemandersilesfaitsracontéssontvraisoufaux(toutaupluspeut-ilêtreimplicitementinvitéàdécider s'ils lui apparaissent suffisamment " vraisemblables ", cette conditionétantd'ailleurssuspenduepourlesnarrationsfantastiques);mquelquesindividussontsélectionnésetprésentésàtraversunesériededescriptions"accrochées"(comme dit Searle) à leurs noms propres, leur attribuant ainsi quelquespropriétés;(III)laséquencedesactionsestpeuouproulocaliséedansl'espaceetletemps;alaséquencedesactionsestconsidéréecomme"finie"(ilyaundébutetunefin);(V)pourdirecequiarrivedéfinitivementàClarisse,letextepartd'unétatdechosesinitialquiconcerneClarisseetlasuitàtraversquelqueschangementsd'état,offrantau lecteur lapossibilitédesedemander,aufuretàmesure,cequivasepasserauprochainstadedelanarration;(VI)toutlecoursdes événements décrits par le récit peut être résumé par une série demacropropositions–lesquelettedel'histoire,quenousappellerons fabula–enétablissantainsiunniveausuccessifdutexte,dérivéde–etnonidentifiableà–lamanifestationlinéaire. Pourtant,unconditionnelcontrefactuelnediffèred'unpassagedenarrativitéartificiellequeparceque,danslepremiercas,ledestinataireestinvitéàcoopérerplusactivementàl'actualisationdutextequiluiestproposé,pouréventuellementconstruire lui-même l'histoire complète que le contrefactuel lui suggère. Aucoursdesparagraphesquisuivent, toutennousentenantaumodèled'untextenarratifreprésentéparlafigure2,nousexamineronsaussiquelquescasdetextesnonnarratifs.Apparemmentcesderniersnedevraientpascadreraveclemodèleproposé.Maisnousverronsqu'ilestpossibled'élargirletextenonnarratifpourle transformer en texte narratif, tout simplement en actualisant certaines despossibilitésqu'ilcontientdéjà. Ce qui d'ailleurs nous convaincra de la validité de notre projet. Les textesnarratifssontpluscomplexes,sémiotiquementplusrichesenproblèmesetdoncilssontplus"payants".Maisilyadéjàtropdethéoriestextuellesquiregorgentd'analyses de portions textuelles trop détaillées ; pourquoi alors ne pas testercertainsprincipes théoriquessurdesportionsplusamples?Biensûr, le travail

Page 73: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sur des textes brefs facilite l'élaboration de théories formalisées qui visent àétablir des possibilités de calcul génératif. Mais là n'est pas notre but. Nousessaierons donc de suivre une démarche inverse, cela vaut peut-être la peine.Ainsi nous élaborerons des suggestions théoriques que nous vérifierons par lasuitesuruntextenarratifqui,bienqu'assezcourt,estextrêmementcomplexeetlanceunesériededéfisauxtentativesdeformalisationtropélémentaire.

4.3.MANIFESTATIONLINÉAIRENous appelons manifestation linéaire d'un texte sa surface lexématique. Le

lecteurappliqueauxexpressions

Page 74: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Figure2.Niveauxdecoopérationtextuelleun système de règles linguistiques pour transformer les expressions dans un

premierniveaudecontenu(structuresdiscursives). On peut avoir des textes ne présentant que la seulemanifestation linéaire à

Page 75: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

laquelleaucuncontenunepeutêtrecorrélé.Parexemplecesvers tirésdeDergrosseLaluladeChristianMorgenstern:seprésententcommeunemanifestationlinéaire à laquelle on ne peut faire correspondre aucun contenu actualisable,étant donné que l'auteur ne s'est référé à aucun code existant. (Nous excluonspourdesraisonsdesimplicitélehaloévidentde"littérarité"quiresteconnotéparcesversetquel'auteurescomptait;onl'exclutnonparcequeceneseraitpasuncontenupossible,maisparcequelerapportquis'établitentrelesarticulationsexpressivesetunenébuleuseimprécisedecontenunenouspermetpasdanscecas de parler de texte, alors qu'on pourrait parler demessage émis à des finscommunicatives.)(12)

Kroklowafgi?Semememi!Seikrontoprafliplo.Bifzi,bafzi;hulalomi...quastibestibo...Le texte qui suit, tiré deToto-Vaca de Tristan Tzara, n'est qu'apparemment

semblable au premier. Théoriquement parlant, il pourrait ou devrait avoir uncontenu,puisqueàl'originec'était,semble-t-il,unepoésiemaori.Entoutcas,ilaprobablementétéémisaveclesmêmesintentionsquelepremier.AmoinsquelarévélationextratextuelledeTzaranefassepartie,subrepticement,dutexteglobal(toutcommeuntitrepeutêtreconsidérécommepartiedel'œuvre)c :encecasonajouteraitàlaconnotationdelittéraritéd'autresconnotationsd'exotisme.(13)

katangitekiwikiwikarangitemobomoho...Même ce genre de textes, ainsi que les textes de glossolalie dont l'émetteur

lui-mêmeignorelecontenu,peuventêtresoumisàuneinterprétationphonétique(ils peuvent être récités) et peuvent déclencher des associationsphonosymboliques élémentaires et multiples. Ce seul élément nous permet dedireque,lorsqu'ontravaillesurdestextesquiprivilégientd'unecertainemanièreune " logique du signifiant " (par exemple des cas de métataxes et demétaplasmes)d, la manifestation linéaire revêt elle aussi une fonction,indépendammentdurecoursaucodeoucomplémentairementàlui.Onpourrase

Page 76: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

référer ànosobservations sur lesniveaux inférieursdu texte et sur l'ultérieuresegmentationducontinuumdansletexteesthétique(Trattato,3.7.4.). Nousnégligerons ici cet aspect important car nousnousoccuponsde textesnarratifs,etcelui-ciyrevêtindubitablementunefonctionsecondaire;maisnousvoudrionsrappelerqueseréalisentàceniveaudenombreuxcasd'inventionparratiodifficilis (cf. Trattato, 3.4.9., 3.6.7. et 3.6.8.) où lamanipulation du planexpressifimpliqueradicalementlareformulationducontenue.

4.4.CIRCONSTANCESD'ÉNONCIATIONLa manifestation linéaire est immédiatement mise en relation avec les

circonstancesd'énonciation.C'estjustementl'"immédiateté"deceraccordquiest la matière de notre réflexion (et c'est l'une des raisons pour lesquelles lemodèle de la figure 2n'est pas strictement hiérarchisé). Dans le cas d'uneénonciationverbale,ilestassezévidentqu'onréfèrel'énoncéàceluiquil'énonceetque,avantmêmederecourirauxrègleslinguistiquespourdéciderdecequelelocuteur est en train de dire, on reçoit de la circonstance d'énonciation desinformationsextra-linguistiquessurlanaturedel'actequ'ilaccomplit.Iln'estpasnécessaire d'interpréter linguistiquement l'expression |Je t'ordonne de...| poursavoir qu'on est en train de recevoir un ordre : des éléments tonémiques, lasituation sociale, le geste peuvent intervenir en priorité. Parfois cependant, leparcourspeutêtreinversé,dèslapremièreinterprétationdel'expressiononreçoitdes informations qu'il faut ensuite faire confluer vers la détermination descirconstances.D'habitudelemouvementestoscillatoire,ledestinatairedécide,àtraverstouteuneséried'ajustementsprogressifs,àqueltyped'actelinguistiqueilest soumis. Ainsi, si lemessage est entendu comme acte de référence, il fautsupposer que le destinataire exécute immédiatement quelques-unes desopérations extensionnelles (cf. 8), établissant ainsi que le locuteur se réfère aumonde de l'expérience commune, s'il dit ou non la vérité, s'il ordonne oudemandequelquechosed'impossibleetainsidesuite.Mêmedans lecasd'uneexpressioncomme|Viensici,saleintellectuel!|(auchoix:salejuif,salenègre,salecureton,vieillepédale),aprèsunpremierinvestissementdesens,onavancedessuppositionsquantauxstructuresidéologiquesdel'interlocuteur. Par contre, quand on lit un texte écrit, la référence aux circonstancesd'énonciation a d'autres fonctions. Le premier type de référence consiste àactualiser implicitement, auniveauducontenu,unemétapropositiondu type«

Page 77: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Iciilya(ilyavait)unindividuhumainquiaénoncéletextequejesuisentraindelireencemomentetquidemande(ounedemandepas)quej'assumequ'ilesten train de parler du monde de notre expérience commune ». Ce typed'actualisation peut impliquer aussi une hypothèse immédiate en termes de "genre"textuel(commenousleverronsauchapitre4.6.5.):ondécidealorssionestenprésenced'untexteromanesque,historiographique,scientifiqueouautre–enayantànouveaurecoursàdesdécisionsextensionnelles.Ledeuxièmetypederéférence implique des opérations plus complexes, de type " philologique " :c'est-à-dire quand, en présence d'un texte énoncé à une époque éloignée de lanôtre,onessaied'enreconstruirelalocalisationspatio-temporelleoriginairepoursavoiràqueltyped'encyclopédieondevraitrecourir. C'est précisément face à un texte écrit (quand l'émetteur n'est pasphysiquementprésent,connotépartouteslespropriétésdécodablesentermesdesystèmes sémiotiques extra-linguistiques) que le jeu coopératif sur le sujet del'énonciation,sonorigine,sanature,sesintentions,sefaitplusaventureux.C'estdanscecasque lesdécisionsàprendredépendentdoncd'une interactionentretouslesautresniveauxtextuels.

4.5.EXTENSIONSPARENTHÉTISÉESPour les textes écrits, et a fortiori pour des textes narratifs, nous pouvons

postuleruneséried'opérationsinterlocutoiresqui,dansunrapportcommunicatifverbal et dans des textes non narratifs, viendraient en fait coïncider avec desassignationsdéfinitivesdevaleursdevérité.Commeletextemetenjeuquelquesindividus (personnes, choses, concepts) doués de quelques propriétés (parmilesquelles celle d'accomplir certaines actions : et nous avons un individu quiaccomplitdesactionsmêmedansl'expression|Aujourd'hui,ilpleut|),lelecteurestamenéàfairefonctionnerdesindicesréférentiels.Maistantqueletexten'estpas mieux actualisé, la décision définitive quant à l'appartenance de cesindividusàunmondedéfini,"réel"oupossible,estlaisséeensuspens.Ainsilelecteur, comme premier acte afin d'être en mesure d'appliquer l'informationfournie par l'encyclopédie, assumeprovisoirement une identité entre lemondeauquell'énoncéfait référenceet lemondedesapropreexpérience, telqu'ilestreflétéparledictionnairedebase. Etsi,aucoursdel'actualisation, ildécouvredesdivergencesentre lemondede son expérience et celui de l'énoncé, il accomplira alors des opérations

Page 78: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

extensionnellespluscomplexes.Prenonsparexempleuntextequidirait|Hier,àcinqheuresdel'après-midi,leroideSuèdeestmort|.Deprimeabord,lelecteurassumeraque le texte parle de l'actuelmonarque suédois.Mais ilmettra entreparenthèses cette reconnaissance de monde, suspendant provisoirement sacrédulité (ouson incrédulité,cequi revientaumême)dans l'attentede trouverd'autrestraces,auniveaudesstructuresdiscursives,quil'induirontàreconnaîtreletyped'actelinguistiquequ'ilestentraind'expérimenter.Laprudenceresteraitderigueur,mêmesi,d'aventure,l'expressioncitéeapparaissaitcommetitreàlaune d'un quotidien. Certes, un indice de circonstance d'énonciation clair peutl'avoir averti que l'énoncé a été émis dans une situation où le scripteur prendl'engagement de dire la vérité, mais la phrase pourrait toujours être suivie del'explication|–c'estcequ'affirmaientcematindesbruitsquiontétérapidementdémentis|. Searle (1975) a montré comment les propositions narratives(artificielles ou fictional) se présentent avec toutes les caractéristiques desassertions,àcettedifférenceprèsquelelocuteurnes'engagenisurleurvériténisur sa capacité de les prouver : donc, ce sont des assertions, mais d'un typeparticulieroùlelocuteurnes'engagepasàdirelavérité,maisoùiln'entendpasnonplusmentir;simplementil"faitsemblant"defairedesassertions,quand"fairesemblant"doitêtrecomprisnonpasdanslesensoùfaitsemblantceluiquiseprésentesousunfauxnomafindejouirabusivementd'unplusgrandcrédit,maisdanslesensoùauthéâtreunacteur"faitsemblant".Searlesoutientquece"fairesemblant"estdéterminéuniquementparl'intentiondulocuteursansquel'on puisse définir des traces textuelles capables d'en manifester l'intention ;nous,nouspensonsaucontraire(cf.5et12)qu'ilexistedesartificestextuelsquimanifestententermesdestratégiediscursivecettedécision.C'estlaraisonpourlaquelle les premières opérations extensionnelles doivent être mises entreparenthèses jusqu'à ce que soient déterminées, au niveau des structuresdiscursives, des garanties suffisantes permettant de se prononcer sur le typed'actelinguistiqueenquestion.

4.6.L'ENCYCLOPÉDIEPouractualiserlesstructuresdiscursives,lelecteurconfrontelamanifestation

linéaireausystèmederèglesfourniesparlalanguedanslaquelleletexteestécritetparlacompétenceencyclopédiqueàlaquellepartraditioncettemêmelanguerenvoie. Ce système complexe, que nous définirons dans l'ensemble commecompétenceencyclopédique, estceluiquidans leTrattato (2.12)est représentéparleModèleQ.

Page 79: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Dansunaccèsd'optimismelexicologique,onpourraitdirequel'opérationneprésente aucune difficulté puisque le contenu de chaque expression est déjàétabliparlelexiqueetquelelecteurn'ariend'autreàfairequed'interpréterlesexpressions, lexème par lexème, et de procéder aux amalgames sémantiquesnécessaires. Il est évident que les choses ne sont pas aussi simples, et aucunethéorie de l'amalgame n'échappe aux problèmes posés par les signifiés ditscontextuelsouparlapressionduco-texte.Essayonscependantdepostuler,fût-cecommehypothèsethéorique,unesériedepassagescoopératifsquiiraientdesopérationslesplussimplesauxpluscomplexes.

4.6.1.Dictionnairedebase.Acesous-niveau,lelecteurrecourtàunlexiquedu format d'un dictionnaire et aussitôt il identifie les propriétés sémantiquesélémentairesdes expressions, de façon à tenter des amalgames provisoires, aumoinsauniveausyntaxique(dessubstantifsquiintroduisentunsujet,desverbesquiintroduisentuneactionetainsidesuite).Cesonticilespostulatsdesignifiéminimaux ou lois d'implicitation (entailment) qui fonctionnent. Si on lit que|dans un royaume lointain vivait jadis une belle princesse appelée Blanche-Neige|,onsaitpresqueautomatiquementque«princesse»implicite«femme»etpar conséquent«vivante,humain, sexe féminin».L'individudécrit commeprincesse est aussi investi depropriétésquid'habitudene sontpas considéréescomme implicitées, parce qu'elles sont non pas " analytiques " mais "synthétiques " ; par exemple, un être humain (de sexe féminin) doit avoirquelquespropriétésbiologiques (certainsorganes,uncertainpoidsmoyen,unecertainetaillemoyenne,descapacitésd'actiondéterminées).Cequelelecteurnesaitpasencore,c'est,parmicespropriétés,lesquellesdoiventêtreactualisées:enrenvoyantàPeirce(cf.2.9),nouspouvonsdirequel'universdediscoursn'apasencoreétédéfinietque lachaînedes interprétantspourraitcontinuerà l'infini.Nous verrons ce qui doit être actualisé lorsque nous parlerons des structuresdiscursives. Au chapitre 8.5, nous établirons la différence entre les propriétésimplicitées et les autrespropriétésnon analytiques.Pour l'instant, cequenouspouvons dire, c'est que le lecteur suspendra ses décisions et se limitera àidentifier ces propriétés syntaxiques reliées aux lexèmes pris en considérationquiluipermettentunpremieressaid'amalgame:de |princesseilretiendraqu'ils'agit d'une entité syntaxiquement singulière, féminine, et sémantiquement «humaineetanimée».

4.6.2.Règlesdeco-référence.Quelquesmotsseulementsurcesrèglesqueles

Page 80: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

linguistiques du texte ont déjà amplement étudiées. Le lecteur peutimmédiatement désambiguïser des expressions déictiques et anaphoriques, aumoins au niveau de la phrase. Par la suite il rencontrera des ambiguïtés co-référentielles qu'il devra résoudregrâce à l'identification du topic (cf. 5.3).Entoutétatdecause,si–aprèslaphrasecitéesurBlanche-Neige–suitunephrasedu type |Elle était très bélier|, il n'aura aucune difficulté à établir que |elle seréfèreausujetféminindelapremièrephrase.

4.6.3. Sélections contextuelles et circonstancielles. On a déjà parlé de cessélections au chapitre 1.2. Une encyclopédie devrait en fournir un nombresuffisant. Avec les sélections contextuelles on entre dans le système de lacompétence intertextuelle (cf. Kristeva, 1970), dont la portée apparaîtra plusclairement lorsqu'onparleradesscénariosou frames.En toutcas,assumerquel'expression|verbe|doitêtreinterprétéenoncommecatégoriegrammaticalemaiscomme « deuxième personne de la très sainte trinité » dans des contextesthéologiques,signifiequel'onnepeutdonnerdereprésentationencyclopédiqued'unlexèmesansseréférerauxemploisquiontétéfaitsdecelexèmedansdestextesprécédents.

4.6.4.Hypercodagerhétoriqueetstylistique.Acesous-niveau, le lecteuresten mesure d'interpréter, en référence à une encyclopédie, toute une série deparalexèmes et d'expressions figées enregistrées par la tradition rhétorique.Lelecteur sera en mesure de reconnaître tant les expressions figurées que lessyntagmesstylistiquementconnotés.Etantdonnéuneexpressioncomme|Ilétaitune fois|, il sera aussitôt enmesure d'établir, automatiquement et sans effortsinférentiels, que a les événements dont on parle se situent à une époque nonhistoriqueindéfinie;mqu'ilsnesontpasàentendrecomme"réels";(III)quel'émetteur veut raconter une histoire imaginaire pour divertir. C'est ici qued'habitudes'amorcelecontratdevéridiction. Nousclasseronsaussiparmicesrèglesd'hypercodagelesrèglesdegenre.Parexemple, dans l'histoire d'Allais rapportée dans l'appendice I (Un drame bienparisien), le titredupremierchapitre introduitun |monsieur| etune |dame|.Lapremière ligne du texte du premier chapitre introduit les individus Raoul etMarguerite. Etant donné que le dictionnaire de base doit aussi contenir undictionnaireonomastique, le lecteurn'aaucunedifficultéàreconnaîtredanslesdeuxindividusunhommeetunefemme.Maisaucunerègledeco-référenceneluiditqueRaouletMargueritedoiventêtreréférésau |monsieur|etàla |dame|

Page 81: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

du titre – opération par ailleurs essentielle pour établir que les deux individussont des adultes et qu'ils appartiennent probablement à un milieu bourgeois.Intervientalorsunerèglehypercodéeselonlaquelle(saufironieouautrefigurerhétorique)letitred'unchapitreenannoncelecontenu.Laco-référencenepeutêtreétabliequ'àcestade,nonpassurdesbasesgrammaticalesmaissurdesbasesderèglesdegenre. Le texte poursuit en disant que Raoul et Marguerite sont mariés. Il ne sesouciepasdedirequ'ilssontmariésl'unàl'autre,maisaucunlecteurraisonnablenelemetendoute.L'auteursavaitqueletextepouvaitsepermettrecetteparessesurlabased'unerèglestylistiquehypercodée.Sil'auteuravaitvouludirequ'ilsétaientmariésàdespersonnesdifférentes,ilauraitneutralisél'effetdecetterègleavec des expressions redondantes – comme le fait Woody Allen quand ilaffirme:"Jedésiredésespérémentretournerdansl'utérus.Den'importequi."

4.6.5. Inférences de scénarios communs. DansUn drame bien parisien, auchapitre2,Raoul etMarguerite, enpleinecrisede jalousie, sedisputent.Aunmomentdonné,RaoulpoursuitMargueriteetletextedit:(14)Lamainlevée,l'œildur,lamoustachetellecelledeschatsfuribonds,RaoulmarchasurMarguerite...

LelecteurcomprendqueRaoullèvelamainpourfrapperMarguerite,mêmesilamanifestationlinéairenementionnenilefaitnil'intention.SiRaoulétaitundéputéaucoursd'unvote, lamain levéeprendraitune toutautre signification.Maispuisqu'ilestentraindesedisputer,iln'yapasd'autreinférencepossible.Ils'agitd'uneinférenceautoriséeparun"scénario"préétabliquenousdéfinironscomme«disputeviolente». Les recherches en Intelligence Artificielle ainsi que différentes théoriestextuellesontélaborélanotiondeframequel'ontraduiticipar"scénario".Unscénario semble être quelque chose à mi-chemin entre une représentationsémémiquetrès"encyclopédique"expriméeentermesdegrammairedescasetun exemple d'hypercodage. Et si cette proposition suscite quelque incertitudequantà sadéfinition,celaestdûà sanatureencore trèsempirique.Cependantelle nous semble être très productive parce que, justement, elle a été élaboréepourrésoudreenpratiquelesproblèmesd'uneinterprétationtextuelledifficile:"Quandonrencontreunesituationnouvelle[...]onsélectionnedanslamémoireune structure substantielle appelée frame. Il s'agit d'un cadrage remémoré quidoits'adapteràlaréalité,enchangeantdesdétailssibesoinest.Unframeestune

Page 82: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

structurededonnéesquisertàreprésenterunesituationstéréotype,commeêtredans un certain type de salon ou aller à une fête d'anniversaire pour enfants.Chaqueframecomporteuncertainnombred'informations.Lesunesconcernentceàquoil'onpeuts'attendrequantàcequidevraitenconséquencesepasser.Lesautres concernent ce que l'on doit faire au cas où cette attente ne serait pasconfirmée " (Minsky, 1974). Les frames sont des éléments de " connaissancecognitive[...]desreprésentationsdu'monde'quinouspermettentd'effectuerdesactes cognitifs fondamentaux comme les perceptions, la compréhensionlinguistique et les actions " (Van Dijk, 1976b : 31). Par exemple, le frame «supermarché » détermine des unités ou groupes de concepts " qui dénotentcertainscoursd'événementsoucoursd'actionsqui impliquentdifférentsobjets,personnes, propriétés, relations ou faits " (ibid. : 36 ; voir pour une premièreformulationPetöfi,1976b). Donc le scénario « supermarché » comportera la notion d'un endroit où lesgensentrentpouracheterdiversesmarchandises, lesprennentdirectementsansl'intermédiairedevendeursetlespayentensuiteàlacaisseUnbonscénariodecetypedevraitprobablementconsidéreraussilesmarchandisesvenduesdansunsupermarché(parexemple:desbrossesoui,desautomobilesnon). Encesens,unscénarioesttoujoursuntextevirtuelouunehistoirecondensée.Supposons que l'on donne à désambiguïser à un cerveau électroniquel'expression:(15)Jeandevaitorganiseruncocktailetilallaausupermarché.

En admettant que la machine ait de simples informations en termes dedictionnairedebase,ellepeutcomprendrecequeJeanveutfaireetoùilvamaiselle ne peut pas décider pourquoi, pour organiser un cocktail, il va ausupermarché.Enrevanche,silamachineaéténourrieaveclescénario«cocktail», qui spécifie que, parmi les autres conditions sociales de réalisation d'uncocktail,ilcomporteladistributiondeboissons,liqueursetamuse-gueule,etsidans le même temps elle a été nourrie avec le scénario « supermarché » quiprévoit que l'on y vend, entre autres articles, des boissons, des liqueurs et desamuse-gueule,alorsl'amalgamedesélémentscommunsauxdeuxscénariosn'estpasdifficile.Ilestpresqueobligatoire.Jeaniraausupermarchépourtrouverlesproduits nommés plus haut en négligeant, comme le fait d'ailleurs lamachineintelligente,lesbiftecks,lesbrossesetlesdétergents.Engénéralundestinatairehumain n'agit pas autrement. Si l'on repense à l'exemple de Peirce (2.5)

Page 83: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

concernant la définition du lithium, on s'aperçoit que cette définitionencyclopédiqueatoutl'aspectd'unscénariohypercodésurcommentonproduitdulithiumf. Nous pensons que la compréhension textuelle est amplement dominée parl'application de scénarios pertinents, tout comme les hypothèses textuellesvouées à l'échec (dont nous verrons un exemple lumineux dans le dernierchapitre)dépendentdel'applicationdescénarioserronéset"malheureux".

4.6.6. Inférences de scénarios intertextuels. Aucun texte n'est luindépendammentdel'expériencequelelecteurad'autrestextes.Lacompétenceintertextuelle (cf. en particulier Kristeva, 1970) représente un cas spéciald'hypercodageetétablitsespropresscénarios. Le lecteur qui doit désambiguïser le passage (14) est convaincu que Raoullève la main pour frapper Marguerite parce que toute une série de situationsnarratives ont définitivement hypercodé la situation « dispute comique entremari et femme jaloux».Deplus, une longue série de scénarios iconiques (lesschémas de l'iconographie n'étant rien d'autre que des scénarios intertextuelsvisuels)ontprésentédesmilliersdemains levéespourfrapper.Lacompétenceintertextuelle (extrême périphérie d'une encyclopédie) comprend tous lessystèmessémiotiquesfamiliersaulecteur. En réalité, on pourrait rapprocher les scénarios intertextuels des topoi de larhétoriqueclassiqueetdesmotifsdontonaparlédeVeselovskijànosjours.Lefait même que la catégorie de "motif " ait suscité tant de débats (cf. Erlich,1954;Frye,1957;Segre,1974;Avalle,1975,1977;etcettelisteestloind'êtreexhaustive) nous fait comprendre que ce terme renvoie à de nombreux blocsencyclopédiques différents. Nous en voulons pour preuve Boris Tomasevskij(1928)qui,dèsl'époquedesformalistesrusses,proposel'acceptionsuivantedemotif : parcelle thématique non décomposable ultérieurement (" Le soirdescendit","Lehérosmourut");maisilinsistesurlefaitquecetteacceptiondiffèredecelledel'analysecomparativedesintrigues"errantes"oùlesunitéssont plus vastes et où elles apparaissent comme " historiquement nondécomposées"plutôtquenondécomposablesdanslecadred'ungenrelittéraire.Il donne comme exemple de motif l' " enlèvement de la fiancée " ou les "animaux adjuvants ". Ces motifs semblent plus proches de nos scénariosintertextuels mais nous pensons qu'un scénario sur la persécution d'une jeunefille doit être beaucoup plus analytique, en termes d'acteurs, d'instruments, de

Page 84: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

buts,desituations. Enfait,ilfaudraenarriveràétablirdeshiérarchiesdescénariosoùlesmotifsn'occuperaient qu'une seule position. En premier lieu, on pourrait définir desscénarios maximaux ou fabulae préfabriquées : tels seraient les schémasstandard du roman policier de série, ou des groupes de fables où se répètenttoujourslesmêmesfonctions(ausensdePropp)danslamêmesuccession;cesscénariosseraientaufonddesrèglesdegenre,commecellesquiprévoientla"correcte " organisation d'un spectacle de variétés à la télévision, où doivententrercertainsingrédientsdansunesuccessiondéfinie(leprésentateurintroduitla chanteuse, il a avecelleuneconversationbrèveet spirituelle, elle faitde lapublicité pour son dernier trente-trois tours puis commence l'exécution de sachanson, etc.).En second lieu entreraient en jeu les scénariosmotifs, schémasassez flexibles, du type la " jeune fille persécutée " où on détermine certainsacteurs (le séducteur, la jeune fille), certaines séquences d'actions (séduction,capture, torture), certains décors (le château des ténèbres), etc., sans que pourautant soient imposées des contraintes précises quant à la succession desévénements ; c'est la raison pour laquelle on pourra avoir la persécution deJustine,lapersécutiondeClarisse,lapersécutiondeFleur-de-Marieetmêmedesissuesdifférentes (lamort, le salut).Suivraient en troisième lieudesscénariossituationnels(exempletype:leduelentreleshérifetlebanditdanslewestern)quiimposentdescontraintesaudéveloppementd'uneportiond'histoiremaisquipeuvent être combinés de façon différente pour produire différentes histoires.Ces scénarios varient selon les genres et impliquent parfois aussi des actionsminimes. Prenons l'exemple d'une situation typique : la slapstick-comedy «dispute à la cuisine ou pendant une fête avec une tarte dans la figure ». Lesprescriptionssonttrèsclaires:latartedoitêtreàlacrème(touteautrepâtisserieétant interdite), elle doit venir s'écraser sur le visage de la cible, la personnetouchéedoitessuyerlacrèmedesesyeuxaveclesdeuxmains,puisdoitàsontouratteindresonagresseuren lançantunesecondetarte(maisc'est facultatif),etc. En quatrième lieu, on devrait considérer les véritables topoi rhétoriquescommelescénarioquiprescritlesmodalitésdescriptivesdulocusamoenus.

Cette énumération est encore fatalement incomplète. En effet, quel type descénario prescrit que, dans le roman policier, le coupable ne doit pas être ledétective ?Quoi qu'il en soit, on voit que le concept de scénario intertextuel,encore inévitablement empirique, est plus vaste que le concept demotif, plussemblableàunerègledegenre,etqu'ilprescritunesériede"cas",àsavoirlenombredesacteurs,lesinstruments,lestypesd'action,lespropos.Leconceptde

Page 85: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

scénario intertextuelestencoreunconcept tropvastemais ilestutiledanscesphasesdelarechercheoùilsertencoreàdésignercequeWittgensteinappelaitfamily resemblances, qui restent à approfondir par des taxonomies plusarticulées. Naturellement,lesscénariosintertextuelscirculentdansl'encyclopédie,ilsseprêtentàdifférentescombinatoiresetl'auteurpeutsciemmentdéciderdenepaslesobserver,justementpoursurprendre,tromperouamuserlelecteur.Danslesannées cinquante, la revueMad s'était spécialisée dans une série de bandesdessinéesmuettesintituléesàpeudechoseprès"Lesfilmsquenousaimerionsvoir";onyposaitlesprémisses"topiques"d'unescèneàl'issueévidentepourensuite résoudre l'histoire de façon contraire à toute prévision intertextuelle.Exemple : la jeune fille était ligotée par les bandits sur les rails d'une voieferrée;onmontrait,dansunmontageàlaGriffith,lacourseentrelessauveteursarrivant au grand galop et le train s'approchant à vive allure. Et alors? Alorsc'étaitletrainquigagnaitetquidéchiquetaitlajeunefille. Donc, les scénarios dits " communs " proviennent de la compétenceencyclopédique normale du lecteur, qu'il partage avec la majeure partie desmembresdelacultureàlaquelleilappartient;cesontdansl'ensembledesrèglespourl'actionpratique:Charniak(1975,1976)étudiedes framesapparemmentbanals tels que « Comment ouvrir un parapluie » ou « Comment peindre unmeuble ou un mur » qui sont des données de compétence opérationnelleimpliquantunesérieimpressionnanted'informations.Lesscénariosintertextuels,eux, sont au contraire des schémas rhétoriques et narratifs faisant partie d'unbagagesélectionnéet restreintdeconnaissancesque lesmembresd'uneculturedonnéenepossèdentpastous.Voilàpourquoicertainespersonnessontcapablesde reconnaître laviolationdes règlesdegenre,d'autresdeprévoir la find'unehistoire, tandisqued'autresenfin,quinepossèdentpasdescénariossuffisants,s'exposent à jouir ou à souffrir des surprises, des coups de théâtre ou dessolutionsquelelecteursophistiquéjugera,lui,assezbanales. Iln'estpasrarequelelecteur,aulieud'avoirrecoursàunscénariocommun,prélève directement du répertoire de sa compétence intertextuelle le scénariocorrespondant, plus réduit et plus concis par rapport au premier (et donc plusfacilement applicable à un univers de discours bien défini). Le scénariointertextuel«hold-upà labanque»,popularisépar tantde films,concerneunplus petit nombre d'actions, d'individus et d'autres relations que le scénariocommun « Comment faire un hold-up à la banque », auquel se réfèrent lestruandsprofessionnels(et lesamateurséchouentsouvent justementparcequ'ils

Page 86: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

utilisentpouruneactionpratiqueunscénariointertextueletnonpasunscénariocommun,solideetredondant). 4.6.7.Hypercodage idéologique. Les systèmes idéologiques sont considéréscommedescasd'hypercodage.Ilsappartiennentàl'encyclopédie.C'estpourquoile lecteurabordele texteàpartird'uneperspectiveidéologiquepersonnellequiest partie intégrante de son encyclopédie, même s'il n'en est pas conscient. Ils'agitdoncdevoir(casparcas)dansquellemesureuntexteprévoitunLecteurModèlequiparticiped'unecompétenceidéologiquedonnée.Maisils'agitausside voir comment la compétence idéologique du lecteur (qu'elle soit ou nonprévue par le texte) intervient dans les processus d'actualisation des niveauxsémantiques plus profonds, en particulier les structures actancielles et lesstructuresidéologiques. Nous parlerons (5.3) de l'actualisation des isotopies ou des niveaux de sensd'un texte.Acetégardaussi, lesattitudes idéologiquesdudestinatairepeuventintervenirpourdéterminerleniveaudelecture.Reprenonscequiaétédit(3.6)sur les différentes interprétations des lettres deMoro. Il est indéniable que ladécisionquantausujetdel'énonciation("L'auteurdutexteest-ilvraimentAldoMoro?")dépendaitdes tendances idéologiquesdes interprètes.Si l'onpensaitquel'EtatnedevaitpastraiteraveclesBrigadesrouges,onétaitamenéàpenserqueMorone pouvait pas avoir suggéré une solution contraire aux intérêts del'Etat;tandisqu'unepositionidéologiqueopposéeinclinaitàvoirdanslarequêtedenégociationsunepositionraisonnablequipouvaitfortbienêtreattribuéeàunhomme raisonnable.LucreciaEscudero (dans son essai déjà cité) nousdit queceuxquiont décidéque le sujet de l'énonciation étaitMoro et qu'il avait écritsous la contrainte, ont choisi la lecture " anagogique ", c'est-à-dire qu'ils ontconsidéré que ses messages étaient écrits en code. Moro avait probablementvoulu communiquer qu'il était prisonnier dans un sous-marin parce qu'il avaitemployédesexpressionscomme|soumis|(ilétaitdonc"sous"), |processus|(ilétaitdoncdansunechosequiavance), |processusopportunémentgradué|(donclachosepouvaitmonteretdescendre),etc.g Nous ne commenterons pas la puérilité de cette interprétation, àmi-cheminentreleromand'espionnageetl'herméneutiquemédiévale.Maislefaitestqu'ilaété possible de choisir aussi ce niveau de lecture là, du moment que dans lacompétence idéologique des interprètes il y avait la prémisse " Un dirigeantdémocrate-chrétienne peut pas penser ou dire que l'Etat doit traiter avec lesterroristes".Donc,ildevaitavoirditquelquechosed'autre. aCf. en particulier 1976b et 1976c. Pour une autre subdivision entre structures profondes, structures

Page 87: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

superficiellesetstructuresdemanifestation,cf.GreimasetRastier,1968. bIlest indubitable,commenousleverronsdansleschapitressuivants,quelescadres théoriquessontdifférents. Celui de Greimas est de type linguistique, il accentue l'aspect intensionnel, il s'intéressedavantageauxvaleurssémantiquesqu'auxprocessuspragmatiques.CeluideVanDijkestplusattentifauxvaleurs pragmatiques, il accentue l'aspect extensionnel, il est redevable de la sémantique et de lapragmatiqued'origineanglo-saxonne.MaismêmeVanDijk,commedu restePetöfiquiessaiede faire lasynthèse entre les deux univers de discours, tient compte des recherches greimasiennes et de toute latraditionstructuraliste,mêmesipeuàpeuils'estrapproché,àtraverslesproblèmesetlaterminologie,delaphilosophiedulangageetdelalogiquedeslangagesnaturels.D'autrepart,ilestsûrquetouscesauteurs(etd'autres),mêmes'ilsemploientdestermesdifférents,parlentdelamêmechose,c'est-à-diredutexteetdelafaçondont il estactualisé. Ilestclairqu'unobjetdediscoursdevientunechosedifférenteselon lecadrethéoriqueoùon l'insère.Mais il ne faudrait pas que chacunede ces théories fasse cavalier seul.D'où latentative,faiteici,detrouverunmodèleunifiéqui(aumoinsdupointdevuedesprocessusdecoopérationinterprétative)tiennecomptedesdifférentsproblèmes. c Une bibliographie sur la sémantique et la pragmatique du titre risquerait désormais de prendreplusieurspages.VoirparexempleDuchetinLittérature12,1973;FuretetFontanainLangages11;CharlesGrivel,Production de l'intérêt romanesque, Mouton, 1973; L. H. Hoek, Pour une sémiotique du titre;Urbino,1973;l'étudeduGroupeµsurlestitresdefilmsinCommunications16,1970;HelindansMarcheromane 3-4 ; Flandrin in Annales 5, 1965 ;Che cosa è un titolo, de Parisi, Devescovi, Castelfranchi(mimeo), 1978; je signale aussi la thèse de doctorat de Colette Kantorowicz qui m'a fourni une richebibliographie sur le sujet. Les différents auteurs déjà cités, qui se sont occupés de thème et de topiquetextuel,ontnaturellementconsacréunegrandeattentionauxtitres.Unproblèmeintéressantestceluideladifférenceentrelestitresquifournissentlethèmetextueletceuxquiaucontrairesonttrompeursetlaissentlalibredécisionthématiqueaulecteur.Voirladiscussionsurlanouvelled'AllaisetLesTempliersdontnousreparleronsplusavant. dOnrenvoiepourcetaspectauxrecherchesduGroupeµ,1970et1977. eVoirinEco,1971:"Sullapossiblitàdigeneraremessaggiesteticiinlinguaedenica"(traduitsousletitre:"Langageartistique,segmentationducontenuetréférents",Degrés1,3). f Un autre frame chez Peirce est la situation « comment faire une tarte aux pommes », discutée inCollectedpapers,1,341.VoiràceproposCaprettini,1976. Ilnenoussemblepasque lanotionde frametellequ'elleestemployéedans les recherchesenIntelligenceArtificiellesoit lamêmequecellequiaétéproposéeparBateson(1955)d'abord,parGoffman(1974)ensuite.IlestvraiqueGoffmanaffirmequ'"ilyaunsensoùcequiest jeupour le joueurdegolfest travailpour lecaddy" (1974 :8),mais les framessuggérés par Bateson semblent être plus des hypothèses textuelles que des scénarios déjà déposés dansl'encyclopédie,c'est-à-direqu'ilssemblentêtredescadresinterprétatifssuperposésàunesituationconcrèteen acte dans le dessein de la rendre compréhensible. En ce sens, ils ressemblent à des règles de genreintroduitespourfairechangerl'interprétationd'unesituation:"Faisattention,c'estunjeu."Maisilfautsedemanders'ilnes'agitpasdenuancesduesauxemploisencoreimprécisdelacatégorieetsi,àlalumièred'une analyse plus rigoureuse, on ne pourrait pas entrevoir et instituer des homologies sémiotiques plusfortes.QuantauxrecherchesenIntelligenceArtificielle,voir,pourlesdifférentesnuancesdelacatégoriedeframe:Minsky,1974;Winston,1977;Schank,1975;VanDijk,1977;Petöfi,1976a. gLesinformationssurcetteinterprétationsonttiréesdel'Espresso,16,1978.

Page 88: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

5

.LESSTRUCTURESDISCURSIVES

5.1.L'EXPLICITATIONSÉMANTIQUEQuandilsetrouvefaceàunlexème,lelecteurnesaitpasquellespropriétés

ou sèmes du sémème correspondant doivent être actualisées afin demettre enœuvrelesprocessusd'amalgame.Sichaquepropriétésémantiquequelesémèmeinclutouimplicitedevaitêtrepriseencompteaucoursdudécodagedutexte,lelecteurseraitobligédedélimiter,dansunesorted'impossiblediagrammemental,toutleréseaudepropriétésinterconnectéesquiconstitueleChampSémantiqueGlobaloulatotalitédel'encyclopédie. Heureusement on ne procède jamais ainsi. Normalement, les propriétés dusémème restent virtuelles, c'est-à-dire qu'elles restent enregistrées parl'encyclopédiedulecteurquitoutsimplementsedisposeàlesactualiserquandlecours textuel le lui demandera. Le lecteur n'explicite donc, de ce qui restesémantiquementinclusouimplicité,quecedontilabesoin.Enagissantainsi,ilaimante ou privilégie certaines propriétés tandis qu'il garde les autres sousnarcosea. Parexemple,dansUndramebienparisien,onditqueRaoulestun|monsieur|,cequiimplicitemâlehumainadulte.Toutêtrehumaina,commepropriétésquilui sont assignées par l'encyclopédie, deux bras, deux jambes, un systèmecirculatoire à sang chaud, deux poumons et un pancréas. Mais à partir dumoment où une série de signaux de genre avertissent le lecteur qu'il n'a pasaffaire à un traité d'anatomie, celui-là garde sousnarcose toutes cespropriétésjusqu'auchapitre2decettehistoireoùRaoullèvelamain.Lapropriétévirtuelled'avoir des mains, qui était pour ainsi dire restée " à disposition " dansl'encyclopédie, est ici privilégiée. Raoul, pour le reste, pourra textuellementsurvivre sans poumons – alors que si nous lisions la Montagne magique, lespoumonsdeHansCastorpdevraientêtretôtoutardprisencompte.

Page 89: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Cependant,unepropriéténarcotiséen'estpasunepropriétééliminée.Ellen'estpas explicitement affirmée, mais elle n'est pas non plus niée. Si tout à coupl'histoirequenousexaminonsnousdisaitqueRaoulaunsystèmecirculatoireàsangfroid,nousserionsobligésderéajustertoutenotreattentioncoopérativeetnous recevrions un signal de genre : nous serions passés de la comédie à lascience-fiction. Maispourdéciderdespropriétésquidoiventêtreprivilégiéesetdecellesquidoiventêtrenarcotisées,ilnesuffitpasdecomparertoutcequenousfournituneinspection de l'encyclopédie. Les structures discursives sont actualisées à lalumièred'unehypothèsesurletopicoulestopicstextuels.

5.2.LETOPICLesscénariosetlesreprésentationssémémiquessontfondéssurdesprocessus

desémiosisillimitée;commetels,ilsrequièrentunecoopérationdulecteurquidécide où il doit élargir ou stopper le processus d'interprétabilité illimitée.L'encyclopédie est potentiellement infinie (ou finie mais illimitée), et, del'extrême périphérie d'un sémème donné, le centre de tout autre sémème peutêtreatteint,etviceversa(cf.Trattato,2.12).Puisque toutepropositioncontienttoute autre proposition, un texte pourrait générer, au moyen d'interprétationssuccessives, tout autre texte (ce qui est d'ailleurs ce qui se passe dans lacirculationintertextuelle,l'histoiredelalittératureenestlapreuve). Nousdevonsdoncsavoircommentuntexte,ensoipotentiellementinfini,peutgénéreruniquementlesinterprétationsquesastratégieaprévues.Enréalité,"unscénariocontientdenombreuxdétailsdontlasuppositionn'estpasgarantieparlasituation"(Winston,1977:180),et"ilsembleévidentquelorsquej'organiseun cocktail ou que je lis une histoire à propos d'un cocktail, je n'ai pas àactualiser le supermarché tout entier par le simple fait que je vais ausupermarché acheter quelques amuse-gueule pour mes invités... Dans unesituationoù'acheterquelquesamuse-gueulepourlesinvités'estletopic[...],leseul aspect important est le succès de l'acte qui réalisemon but " (VanDijk,19766:38). En reprenant le concept de topic dont nous avons déjà parlé au premierchapitre,ilnousfautpréciserclairementpourquoinousdécidonsd'employeruntermeanglais (calquéd'ailleurs sur la terminologie rhétoriquegrecque) au lieud'avoirrecoursà|thème|quisembleservirparfaitementnotrepropos.Iln'yaurait

Page 90: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

eneffetaucunedifficultéàemployer indifféremment thèmeet topic,etparfoisnous le ferons, si ce n'était que le terme |thème| risque de prendre d'autresacceptions.Parexemple,chezTomasevskij(1928),ilserapprochebeaucoupduconceptdefabulaquenousanalyseronsauchapitre6.Letopicestuninstrumentmétatextuel,unschémahypothétiqueproposéparlelecteur,alorsquelafabulaest une part du contenu du texte (l'opposition est : instrument pragmatique vsstructuresémantique);cela,nousleclarifieronsplusloin. Nousverronsqu'ilyadestopicsidentifiablesavecunemacropropositiondefabula(letopicdelapremièrepartieduPetitChaperonrougeestsansconteste«rencontred'unepetitefilleavecleloupdanslebois»,etlamacropropositionquel'onobtientenfaisantabstractiondesstructuresdiscursivesest«Unepetitefillerencontreleloupdanslebois»).Maisilyaaussidestopicsdephrasesetdestopicsdiscursifsquidisparaissentquandonveutabstrairele"thèmedominant"d'untexte. SceglovetZolkovskij (1971)parlentdu" thème"commedequelquechosequi " est lié au texte non pas par un signe d'égalité mais par une flèched'inférence",ilsparlentnond'unrésumépourlelecteurmaisd'uneabstractionscientifiqueou"enregistrementdusignifiéentermesmétalinguistiques",etilsreconnaissent dans un texte des hiérarchies de thèmes ; en ce sens leur thèmesembles'apparenteràcequel'onappelleicitopic.MaisquandilsanalysentlesnouvellesdeConanDoyle,ilsdéfinissentcommethèmesgénérauxlesvaleursdechaleur, de confort, de sécurité qui, ici, seront plutôt vues comme de grandesoppositionsauniveaudesstructuresidéologiques. C'est pourquoi il nous semble opportun d'oser le barbarisme et d'employer|topic| dans une acception très précise, même s'il n'est pas dangereux de ledésignerparfois,parcommodité,commethème. Letopicnesertpasseulementàdisciplinerlasémiosisenlaréduisant:ilsertaussi à orienter la direction des actualisations.Dans le premier chapitre, nousavons examiné le spectre sémémique de l'expression |invece| qui ne reçoit sadéfinition comme instruction sémantique que si elle enregistre un opérateurtextueltelqueletopicjustement.Uncasanaloguenousestfourniparl'adverbe|aussi|,cequenousmontrel'expressionsuivante:(16a)Charlesfaitl'amouravecsafemmedeuxfoisparsemaine.Pierreaussi.Mêmelelecteurlemoinsdélurénepeutretenirunsourirefaceàlapossible

ambiguïtédecetexte.Cepourraitêtreunesimpleobservationstatistiquesurlafréquence des rythmes sexuels de deux couples, mais ce pourrait être aussi

Page 91: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

l'allusion à un triangle adultère.Nous nous apercevons que l'ambiguïté tombeaussitôtsinousentendons(16a)commelaréponseàl'uneouàl'autredesdeuxquestionsquisuivent:(16b)CombiendefoisparsemaineCharlesetPierre font-ils l'amouravec leurfemmerespective?(16c)Quesepasse-t-ilentrecestrois-là?Jeveuxdire,quifaitl'amouravecqui?

Danslecas(16b)letopicestlerythmesexueldedeuxcouples,alorsquedanslecas(16c)letopicestlesrapportsentreunefemmeetdeuxhommes.Commepour|invece|,nousnousapercevonsque|aussi|n'estpasseulementdéfiniparunemarqueou sèmevalabledans toutcontexte,maisqu'ildoitporterunecertainesélection contextuelle établissant qu'il marque une homogénéité decomportementparrapportàl'actiondéterminéeparletopic. Nousobserveronsaupassagedeuxchoses.Toutd'abord,l'ambiguïtéde(16a)nenaîtpasdirectementdel'emploidel'expression |aussi| ; iln'yauraiteneffetaucuneambiguïtédanslecassuivant:carilneviendraitàl'idéedepersonnequedeuxhommespuissentaspireràpromener lemêmechien.Cequisignifieque,dans(16a), ilyaaussidesscénarios intertextuels (topoibienétablisencequiconcerne les triangles adultères) qui entrent en jeu, alors qu'il n'existe pas descénariosanaloguespourlesrapportsentrehommesetanimauxdomestiques.Laseconde observation, c'est que pour définir le topic de (16a) le lecteur doitavancerdeshypothèsessurlenombred'individusenjeudanslemonde,possibleou"réel",quiaétédéfiniparletexte.Ilfautsavoireneffet–ettoutdépenddecela–siletexteparledequatreoudetroisindividusdistincts.(17)Charlespromènesonchientouslessoirs.Pierreaussi.Celanousamèneàdirequeladéterminationdutopicestmatièred'inférence

ou de ce que Peirce appellerait abduction ou hypothèse (cf. Eco et Sebeok,1983). Déterminer le topic signifie avancer une hypothèse sur une certainerégularitédecomportementtextuel.Cetypederégularitéestaussicequifixe–croyons-nous – tant les limites que les conditions de cohérenced'un texte. Letextesuivant:pourraitêtretotalementincohérentsinousnedéterminionspasuntopicformulablecomme«libreassociationd'idéesquis'effectuedansl'espritdeLéopoldBloom».Eteneffet,ils'agitd'unexempledemonologueintérieurtirédeUlyssebdeJoyce.Maisavantqu'unedécisiontextuelleétablissequ'unfluxdeconscienceaussipouvait êtreélevéau rangde thèmenarratif,des textesdecegenreauraientétéconsidéréscommeincohérentsetdoncqualifiésdenon-textes.(18)Mamoitiévientd'avoirun.Unetriquedesopranoavecdestachesdeson.

Page 92: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Nezen lamedecouteau.Assezgentilleàsamanièredansunepetite romance.Pas de gosier. Alors quoi, compère et compagnon ? Dans le même panier.Passeur de pommade. Ça vous porte sur le système. N'est-il pas capabled'entendreladifférence?

De la même façon, le topic fixe les limites d'un texte (autre problème surlequelnombredethéoriestextuellesrestentplusqu'évasives).Nousrenvoyonsàla seconde nouvelle d'Alphonse Allais (reportée dans l'appendice II), lesTempliers.Ilestcourantdepenserqueletitred'unmorceauenfixelethème.S'ilenétaitainsi(etilenestainsid'habitude),lanouvelled'Allaisseraitincomplèteparcequ'ellenousprometunthèmedutype«Cequisepassalejouroùjesuistombésurlestempliers»,puisellenesatisfaitpasnotreattente.Sienrevanchenousnégligeons le titre et si nous lisons attentivement les premières lignes del'histoire,nousnousapercevonsqueletopictextuelest«Commentserappelerlenomde ce bonhomme».Une fois que le résultat est obtenu, en remontant desouvenirensouvenirjusqu'ausouvenirleplusvivant,letexten'aplusderaisondecontinuer,ilestfini.L'histoiredestempliersn'estqu'instrumentaleparrapportau propos principal. Et bien sûr, Allais a donné un titre trompeur, justementparcequ'ilsavaitquelelecteurutiliseraitletitrecommeindicateurthématique.Unefoisencore,etc'estlecaspourdenombreusesnouvellesd'Allais,nousnoustrouvons face à un jeu métalinguistique sur les conventions narratives, oùl'auteurveutremettreenquestionunerègletrèsétablie. Enfait,leproblèmeestplutôtdesavoirdequellemanièreleLecteurModèle(qui d'habitude ne fait pas l'objet d'une machination ourdie par l'auteur) estorientéàlareconstructiondutopic.Lesignalestsouventexplicite:c'estletitreprécisément, ou une expression manifestée, qui dit de quoi le texte veuts'occuper.Parfois,aucontraire, le topicresteàchercher.Le texte l'établitalorspar la réitération très évidente d'une série de sémèmes, autrement dit demotsclésc. Ces expressions clés peuvent aussi, au lieu d'être distribuéesabondamment, être placées uniquement en quelques points stratégiques.En cecas,lelecteurdoit,pourainsidire,flairerquelquechosed'exceptionneldansuncertaintypededispositioet,àpartirdecela,hasardersaproprehypothèse.Biensûrl'hypothèsepeutserévélerfausse,commec'estlecas(nousleverrons)dansUndramebienparisien,quienapparencesuggèreuntopicetdanslesfaitsendéveloppeun autre.C'est la raisonpour laquelle,a fortiori quandun texte estcomplexe,lalecturen'estjamaislinéaire;lelecteurestcontraintderegarderenarrière,de relire le texte,plusieurs foismême,parfoisen recommençantpar lafin.

Page 93: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Pourfinir,ilfautremarquerqu'untexten'apasobligatoirementunseultopic.On peut établir des hiérarchies de topics, des topics de phrases aux topicsdiscursifs et ainsi de suite, jusqu'aux topicsnarratifs et aumacrotopic qui lesenglobetous.Audébut,lelivredeManzonilesFiancésparledulacdeCôme.Ilest nécessaire de le comprendre pour attribuer un sens géographique àl'expression |bras| dans |Lebrasdu lacdeCôme... |. Puis, en avançantdans lalecture,onserendcomptequecequiestenjeu,c'estlarencontred'uncurédecampagne avec deux bravi. Ensuite, on réalise que ces thèmes mineurs fontpartied'unthèmemajeurquiestladifficultédecélébrerunmariage.Etàlafin,voulant interpréter le livre dans ses valeurs idéologiques, on émet l'hypothèsequecedontonparle,c'estlerôledelaProvidencedanslesaffaireshumaines.Achaqueniveaudecettehiérarchie,untopicétablit,commel'asuggéréVanDijk,une aboutness, un être-autour-de-quelque-chose. L'aboutness du De bellogallico, c'est la guerre des Gaules, le |de| latin étant précisément un signalthématique. La détermination du topic permet une série d'amalgames sémantiques quidéterminent un niveau donné de sens ou isotopie.Mais il nous faut établir ladifférenceentretopicetisotopie(deuxnotionsquisemblentétymologiquementliées,etceàjustetitre). Ilestdescasoùtopicetisotopiesemblentcoïncider,pourtantunechosedoitêtrebienclaire:letopicestunphénomènepragmatiquetandisquel'isotopieestunphénomènesémantique.Le topicestunehypothèsedépendantde l'initiativedu lecteurqui la formuled'unefaçonquelquepeurudimentaire,sousformedequestion("Maisdequoidiableparle-t-on?")quise traduitpar lapropositiond'untitreprovisoire("Onestprobablemententraindeparlerdetellechose").Ilestdoncuninstrumentmétatextuelqueletextepeuttoutaussibienprésupposerquecontenirexplicitementsousformedemarqueursdetopic,detitres,desous-titres,demotsclés.C'estàpartirdutopicquelelecteurdécidedeprivilégieroudenarcotiserlespropriétéssémantiquesdeslexèmesenjeu,établissantainsiunniveaudecohérenceinterprétativediteisotopie.

5.3.L'ISOTOPIEGreimas (1970 : 188) définit l'isotopie comme " un ensemble redondant de

catégories sémantiques qui rendent possible la lecture uniforme d'un récit ".L'isotopie aurait donc des fonctions de désambiguïsation transphrastique ou

Page 94: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

textuelle, mais en diverses occasions Greimas fournit des exemples quiconcernentaussidesphrasesetmêmedessyntagmesnominaux.Pourexpliquerenquelsensl'amalgamesurunseulclassème(oucatégoriesémantique,ousèmecontextuel itératif) permet une lecture uniforme, il fournit l'exemple des deuxexpressions|Lechienaboie|et|Lecommissaireaboie|.Etantdonnéque|aboyer|a deux classèmes, « humain » et « canin », c'est la présence du chien ou ducommissairequiamèneàréitérerl'undesdeux,àdécidersi|aboyer|doitêtreprisausenspropreoufiguré.Ildevraitêtreclairquecequiestappeléiciclassèmes,ce sontnos sélectionscontextuelles (cf. 1.2 et 4.6.3). La présence humaine ducommissaire introduit un contexte « humain » et permet d'identifier dans lespectrecomponentielde|aboyer|lasélectionappropriéed. Mais pouvons-nous dire qu'une isotopie se réalise toujours et uniquement àces conditions? Disons d'abord qu'en ce cas elle ne se distinguerait pas de lacohérence sémantique normale et du concept d'amalgame ; d'autre part lesrépertoiresdesdifférentesacceptionsduterme,quecesoitchezGreimasouchezsesdisciples (cf.Kerbrat-Orecchioni,1976)nousapprennentque l'onaparléàplusieurs reprises d'isotopies sémantiques, phonétiques, prosodiques,stylistiques, énonciatives, rhétoriques, pré-suppositionnelles, syntaxiques,narratives. Cela nous autorise à supposer que |isotopie| recouvre diversphénomènes sémiotiques génériquement définissables comme cohérence d'unparcoursdelecture,auxdifférentsniveauxtextuels.Maislacohérences'obtient-elle, aux différents niveaux textuels, en appliquant les mêmes règles? Cettequestion nous confirme l'opportunité sinon de réaliser une systématique desisotopies,dumoinsderendreletermeplusunivoqueetmaniableenstipulantlesconditionsminimalesd'utilisation.Enpremière analyse, il nous sembleque cesont les acceptions représentées dans la figure 3ci-dessous qui émergent. Cediagramme n'entend pas présenter une systématique exhaustive des isotopiesmaisilveutmontrercommentcettecatégoriepeutprendredifférentesformes:

Page 95: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Figure3Considéronsmaintenantquelquesexemplesquipuissentvérifiercesdifférents

cas.

5.3.1. Isotopies discursives phrastiquesàdisjonctionparadigmatiquee.Dansson essai sur l'écriture cruciverbiste, Greimas (1970) examine cette définitionavec la dénomination corrélée : où l'astuce de la définition naît du fait que|simples| a deux sélections contextuelles, l'une commune et l'autre spécialisée,régie par la sélection « végétal ». Ce n'est qu'après avoir décidé (paridentificationdutopic)queletermedoitêtrecomprisdanssasecondeacception,que l'on établit qu'il vaut grammaticalement comme substantif et non commeadjectif.Ondécidedoncd'interpréter|ami|commeamateuroupassionnéetnoncommecompagnon.Letopicestintervenucommehypothèsedelecture(onestentraindeparlerd'herbesetnond'attitudeséthiques),iladirigéverslasélectioncontextuelle appropriée et a imposé une règle de cohérence interprétative quiintéresse tous les lexèmes en jeu. Nous pouvons appeler isotopie le résultatsémantique de cette interprétation cohérente et reconnaître l'isotopie actualisée

Page 96: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

comme contenu " objectif " de l'expression (objectif dans le sens où il estconfortépar l'encyclopédie :naturellement,dans lecasdecetteexpressionquiestvolontairementambiguëou,sil'onveut,bi-isotopique,ilyadeuxcontenusobjectifs,tousdeuxactualisables).Ondevraitdirequedanscecasl'isotopienedépend d'aucune redondance de catégories sémantiques, étant donné que |ami||et||simples|nesemblentpasavoirdesèmesencommun.Envérité,laphrasebi-isotopique est donnéepar la définitionplus sa solution.En effet, une fois quel'on a établi le topic (on est en train de parler d'herbes) on obtient la phrase|l'herboriste aime les simples|, où herboriste impose un sèmede végétalité quipermet d'actualiser la sélection contextuelle appropriée dans le spectrecomponentielde |simples|.Voilàpourquoi ces isotopies sontdéfinies comme"phrastiques ",même si, enpremière instance, elles semblent ne concerner quedesdescriptionsdéfinies.(19)L'amidessimples=herboristeEntoutcas,ellessontàdisjonctionparadigmatique :ellesdépendentdufait

quel'encyclopédiecomprenddesexpressionslexicalesàsignifiémultiple.Ilestclair que la disjonction paradigmatique dépend d'une pression co-textuelle quis'effectue syntagmatiquement, mais il n'empêche que l'on doit ici décider duparcoursàassigneràunouàplusieursspectrescomponentiels. En outre, ces isotopies sont dénotativement exclusives : on parle soit dessimplesd'esprit,soitdesherbes. Le topic intervient comme hypothèse coopérative pour déterminer dessélectionscontextuelles.

5.3.2. Isotopies discursives phrastiques à disjonction syntagmatique. Lagrammairetransformationnellenousahabituésàdesphrasesambiguës,commequisedistinguentparunestructureprofondedifférente.Ilestcertainquedansladésambiguïsationdecettephrasejouentdesdisjonctionsparadigmatiques(ilfautparexempledécidersileverbeestentenduausenstransitifouintransitif),maisladécisionfondamentale (toujoursdépendanteduchoixpréalabledu topic)estdesavoirsil'onestentraindeparlerdesujetshumainsquifontquelquechoseaveclesavionsoud'avionsquifontquelquechose.Acestade,ilfautmettreenacteuneco-référenceetétabliràquiouàquoiseréfère |they|.Nouspourrionsdire que la décision co-référentielle (syntagmatique) décide du choixparadigmatiquequiconcernelesensduverbe.

Page 97: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

(20)They are flying planes (Ce sont des avions en vol vs Ils font voler desavions),Cesisotopiesaussisontdénotativementexclusives:onparlesoitd'uneaction

humaine,soitd'objetsmécaniques. Ici, le topic intervient commehypothèse coopérativepour actualiser tant lesco-référencesquelessélectionscontextuelles. 5.3.3. Isotopies discursives transphrastiques à disjonction paradigmatique.Analysonscetteblague–citéedansGreimas (1966)–quiprésentedeux typesdiscutantaucoursd'unefête.Lepremierfaitl'élogedelanourriture,duservice,de l'hospitalité, de la beauté des femmes et pour finir il se prononce surl'excellencedes toilettes.Le second répondqu'iln'y estpasencoreallé.Or, lesecondlocuteur,entantqu'interprètedumessageémisparlepremier,setrompeparcequ'il superposedeux scénarios. Le scénario « fête » inclut sans l'ombred'undoute les toilettesdeshôtes,mais ilnepourraitenaucuncas inclure l'étatdespiècesdestinéesà l'hygiène, sinon ildevrait aussi considérer laplomberie,l'installation électrique, la solidité des murs, la disposition des lieux. Ceséléments pourraient être considérés par un scénario comme « architecture del'intérieur et ameublement ». La fête renvoie à un scénario de type social,l'ameublement à un scénario de type technologique. Déterminer le topic, celasignifie ici déterminer le champ sémantique afin de faire fonctionner lessélectionscontextuelles.Leterme|toilettes|estindéniablementpolysémiqueetilacquiertdeuxsensselonladisjonctionentrelasélection«mode»(quirenvoieàson touràunsèmede«socialité»)et lasélection«architecture».Encecas,nous pouvons certainement parler de la présence d'un classème ou d'unecatégoriesémantiquedominante,étantdonnéqueletextedupremierlocuteuraeffectivement fait une redondance de mots clés qui, tous, contenaient desréférencesàlafêteetàlasocialitédelasituation.Iln'yavaitpasd'équivoquespossibles, et la blague fait rire justement parce qu'elle représente un cas decoopérationtextuellemalheureuse. Cesisotopiessontàdisjonctionparadigmatiqueparceque,mêmesic'estsurlabased'unepressionco-textuelle(syntagmatique),ellesconcernentdessélectionscontextuellesdansdeslexèmesàsignifiémultiple. Ces isotopies aussi sont dénotativement exclusives : on parle soit devêtements,soitdecabinets. Le topic intervient comme hypothèse coopérative pour déterminer lessélectionscontextuellesenenvisageantdesscénarios.

Page 98: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

5.3.4. Isotopies discursives transphrastiques à disjonction syntagmatique.C'est lecasde l'expressioncitéeen(16a).Commeonl'avu, ils'agitde lirecepetit texte comme l'histoire de deux couples ou comme celle d'un triangle. Iciaussinousavonsune isotopiediscursiveavecdesdénotationsalternatives : entermes extensionnels, il s'agit de décider si on parle de quatre ou de troisindividus.Pourcefaire,ilfautdécidercommentonveutinterpréter|aussi|;maiscomme il s'agit d'effectuer une co-référence, le choix concerne la structuresyntaxiquedelaphraseetcen'estqu'àtraversunedécisionsyntaxiquequel'onobtient l'unou l'autredes résultatssémantiques.Commenous l'avonsvuaussi,c'estenchoisissantletopicquel'ondécidesil'onparlededeuxcouplesoud'untriangle:danslepremiercas,lastructurelogiquedutextedevientA:B=C:Dalorsquedans lesecondcaselledevientA :B=B :C.C'estunproblèmedecohérence interprétative; s'ilyaquatre individusen jeuet si,dans lapremièrephrase, on a comparé A et B, |aussi| impose que, de la même façon, dans lasecondephraseoncompareCetD;siaucontraireilyatroisindividusenjeu,etsi dans la première phrase on a comparé A et B, |aussi| impose que dans laseconde phrase on compare B et C. Mais on ne voit pas comment les deuxdécisionsinterprétativesdépendentdelaredondancedecatégoriessémantiques.Ici,lerapportsesitueentretopicetdécisionsco-référentielles,sanslamédiationdesélectionscontextuelles.Toutauplus,desprésuppositionsdescénarioentrentenjeu. Lesdeuxisotopiessontàdisjonctionsyntagmatique. Elles sont mutuellement exclusives (on parle soit du rapport Kinsey, soitd'adultère), mais elles ne sont pas totalement alternatives quant à leurdénotation : certains individus en jeu restent les mêmes dans tous les cas,seulement, on leur attribue des actions diverses et des intentions diverses.Commenousleverronsauchapitre8,diversmondespossiblessedessinent. Le topic intervient comme hypothèse coopérative pour établir les co-référenceset,cefaisant,ilorientelastructurationdediversmondesnarratifs.

5.3.5.Isotopiesnarrativesliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursivesquigénèrentdeshistoiresmutuellementexclusives.Examinonsletextequisuit.C'estlatraductionfrançaised'unpassagedeMachiaveletilimportepeudesavoirsi

Page 99: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dans le texteoriginal italiensemanifeste lamêmeambiguïtéquedans le textefrançaisf;letextefrançaisseraexaminécommesic'étaitunoriginalanonyme:(21)Domitiensurveillaitl'âgedessénateurs,ettousceuxqu'ilvoyaitenpositionfavorablepourluisuccéderillesabattait.IlvoulutainsiabattreNervaquidevaitluisuccéder.Ilsetrouvaqu'uncalculateurdesesamisl'endissuada,vuquelui-même [c'estnousquisoulignons]étaitarrivéàunâge tropavancépourquesamortnefûttouteproche;etc'estainsiqueNervaputluisuccéder.

Onvoittoutdesuitequ'iciseprofileavanttoutlechoixentredeuxisotopiesdiscursives transphrastiques à disjonction syntagmatique : le pronomanaphorique|lui-même|pourraitseréféreraussibienàDomitienqu'àNerva.S'ilse réfère à Domitien, alors la mort dont on parle après |sa mort| est la mortprochainedeDomitien,sinonc'est lamortdeNerva.Ilfautdoncdéciderdelaco-référencesurlabasedutopic:est-onentraindeparlerdel'âgedeDomitienou de l'âge de Nerva? Une fois que la co-référence est décidée, on a uneséquence discursive dénotativement alternative par rapport à l'autre. En effet,dans un cas le conseiller dit àDomitien de ne pas tuerNerva parce que lui –Domitien – mourra bientôt et qu'il est donc vain d'éliminer ses successeurspossibles ; dans l'autre cas, le conseiller dit à Domitien que Nerva vaprobablement mourir bientôt et que, par conséquent, il ne constitue pas undangerpourDomitien. Mais il est clair que sur la base des deux isotopies discursives, on peutrésumerdeuxhistoiresdifférentes.Danslechapitresuivant,nousparleronspluslonguement des macropropositions de fabula; pour l'instant, il nous paraîtsuffisant de rendre compte du fait que les deux isotopies discursives génèrentdeux résumés narratifs possibles. Dans un cas il y a l'histoire d'un ami deDomitienquiluitientunraisonnementsurlePouvoir:"Enmourantturisquesdeperdre lePouvoirmaisenépargnantNervaeten ledésignant implicitementcommetonsuccesseur,toi,mêmeaprèstamort,tugardeslecontrôleduPouvoir,tuengendreslenouveauPouvoir."Dansl'autrecasilyal'histoired'unamideNerva qui fait de Domitien la victime d'une manigance de courtisan – " ODomitien,pourquoiveux-tutuerNerva?Ilestsivieuxquedésormaisilmourrabientoutseul!"–etlecourtisanmetNervasurletrône. Ainsi se dessinent deux histoires mutuellement exclusives dont ladétermination dépend de l'actualisation discursive. Et ce n'est pas tout. A unniveau plus profond (cf. figure 2, p. 93), diverses structures actancielles etdiversesstructuresidéologiquessedessinent.Leconseillerpeutêtrevucomme

Page 100: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

l'opposantàDomitienetl'adjuvantdeNerva,oucommel'adjuvantduPouvoiretl'opposant à Domitien en tant qu'individu mortel, ou encore l'adjuvant deDomitienetneutreparrapportàNerva.Onpeutdéciderquel'onestentraindedéfiniruneoppositionidéologiquePouvoirvsMort(oùlePouvoirl'emportesurlaMort),oubienPouvoirvsRuse(oùlesmanigancesducourtisanl'emportentsurlabrutalitéduPouvoir).Onpeutaussilégitimementsedemandersic'est lechoix des co-références qui engendre les diverses structures profondes, ou sic'estunehypothèsepréliminairesurlesstructuresprofondesqui,ensuggérantuntopicspécifique,dirigel'actualisationdesco-référencesauniveaudiscursif.Onl'adéjàdit(4.1)etonlerépétera(chapitre9) : lacoopération interprétativeestfaite de sauts et de courts-circuits aux différents niveaux textuels, où il estimpossibled'établirdesséquenceslogiquementordonnées. En tout cas, nous avons vu qu'ici les isotopies narratives sont liées auxisotopiesdiscursives(ouviceversa). Les deux isotopies sont mutuellement exclusives, mais elles ne sont pastotalement alternatives quant à leur dénotation : dans les deux cas on parletoujours deDomitien et deNerva,mais on leur attribue différentes actions etdifférentesintentions.Commenousleverronsauchapitre8,lesindividusrestentlesmêmesmaiscertainesdeleurspropriétéschangent.Diversmondespossiblessedessinent. Letopicintervientpourorienterlastructurationdecesmondesnarratifs.

5.3.6.Isotopiesnarrativesliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursivesquigénèrentdeshistoirescomplémentaires.C'estlecasdelathéoriemédiévaledesquatre sens de l'écriture, énoncée aussi par Dante. Etant donné le texte noussavonsque " si nousne considéronsque le sens littéral, c'est la sortie des filsd'Israël de l'Egypte au temps deMoïse qui est signifiée ; si nous considéronsl'allégorie, c'est notre rédemption par le Christ qui est signifiée ; si nousconsidéronslesensmoral,c'estlaconversiondel'âme,passantdudeuiletdelamisèredupéchéàl'étatdegrâce,quiestsignifiée;enfin,sinousconsidéronslesensanagogique,c'estlasortiedel'âmesaintedelaservitudedecettecorruptionàlalibertédelagloireéternellequiestsignifiée".Examinonsmaintenant,poursimplifierleschoses,lesseulssenslittéraletmoral.Unefoisencore,toutdépendde l'hypothèse du topic : parle-t-on d'Israël ou de l'âme humaine ? Quand ladécisionestprise,l'actualisationdiscursivechange:danslepremiercas,|Israel|seracompriscommenompropred'unpeupleet |Aegyptus|commenompropred'unpaysafricain;danslesecondcas,Israëlseral'âmehumainemaisalors,par

Page 101: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

cohérenceinterprétative,l'Egyptedevraêtrelepéché(onnepeutpasconfondrelesniveauxdelecture).(22) In exitu Israel deAegypto – domus Jacob de populo barbaro, – facta estJudeasantificatioejus–IsraelpotestasejusIci cependant, on n'aura pas choisi de sens alternatifs d'un spectre

componentiel, parce que nous devons prévoir que dans une encyclopédiesuffisamment riche comme l'était l'encyclopédiemédiévale, | Israëldénotait lepeupleéluetconnotaitl'âme.Orcen'estpaslecasde|toilettes|quiasoitlesensxsoitlesensy.Icil'expressionconnotelesensyjustementparcequ'elledénotele sensx.C'est une relationd'implication et nondedisjonction. Il existe doncune disjonction isotopique, qui n'est toutefois pas fondée sur une disjonctionsémantiquemaissuruneimplicationsémantique. Quandonadécidéduparcoursdelectureauniveaudiscursif,onpeutinférerdifférentes histoires à partir des structures discursives actualisées ; l'histoiremorale dépendra de l'actualisation discursive morale, de même que l'histoirelittérale dépendra de l'actualisation discursive littérale.Mais les deux histoires(et nous savons qu'en réalité il y en a quatre) ne sont pas mutuellementexclusives:aucontraire,ellessontcomplémentaires,ausensoùletextesupported'être lu simultanément d'une façon ou de plusieurs façons, chacune venantrenforcerl'autreaulieudel'éliminer. Ce sont donc des isotopies narratives liées à des isotopies discursives,maisquinesontpasmutuellementexclusives.Aucontraire,ellessontdénotativementalternatives : onparle soit d'unpeuple élu, soit de l'âme.C'est envertu de cechoixquesedessinentlesdiversmondespossibles. Le topic (qu'il soit discursif ou narratif) intervient pour sélectionner entresèmesdénotés et sèmes connotés, et pour orienter la structurationdesmondespossibles. 5.3.7.Isotopiesnarrativesnonliéesàdesdisjonctionsisotopiquesdiscursivesqui génèrent en tout cas des histoires complémentaires. Greimas (1970), dansson analyse du mythe bororo des aras, nous parle d'un autre type d'isotopienarrative. Lemythecontientenfaitdeuxrécits;l'unquiconcernelarecherchedeseaux,l'autrequiconcernelesproblèmesdurégimealimentaire.Onadonc:isotopie"naturelle"vsisotopie"alimentaire".Unproblèmedecohérenceinterprétativesemblable à celui que nous avons à résoudre pour les Templiers se pose ici.Mais,danslesdeuxcas,nousnousapercevonsque,quellequesoitl'histoire(ou,

Page 102: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

commeonlediraauchapitresuivant,lafabula)quenousactualisons,onn'apasde changement au niveau discursif. Les récits parlent toujours de cespersonnages-làetdecesévénements-là.Toutauplus,selonl'isotopienarrative,choisirons-nous comme plus pertinentes certaines actions plutôt que d'autres,maislesactionsetlessujetsquilesaccomplissentrestentidentiques,mêmesilavaleurquenousleurattribuonsdansl'économienarrativepeutchanger.Ils'agitd'élaborerunehypothèsedethèmenarratifetdes'appuyersurdestermesoudesphrasescléssanspourautantopérerdedisjonctionsparadigmatiquesencequiconcerne le sens des lexèmes ou de disjonctions syntagmatiques en ce quiconcernelesensdesco-références. Lapermanenced'uneuniquecohérencediscursivefaitquelesdeuxisotopiesnarratives ne s'annulent pas réciproquement, qu'elles ne sont pas en rapportd'exclusion ou d'alternativité mais de complémentarité. Et même si Greimaschoisit, comme la meilleure, l'isotopie alimentaire, cela ne signifie pas quel'histoirenesoitpas lisibleaussià travers l'isotopienaturelle.Aucontraire, lesdeuxisotopiesserenforcentréciproquement. Danslecasdelablaguesurles|toilettes|,onavaitenoppositiondeuxlecturesdontl'uneétaitclairementperdante,et,silepremierinterlocuteuravaitvraimentvoulu parler des cabinets, son intervention aurait été conversationnellementmalheureuse, car il violait lamaximede relation.Onne peut pas dire cela dumythedesaras. C'est pourquoi nous avons ici des isotopies narratives non liées à desdisjonctions discursives. Les isotopies narratives, deux ou plus, ne sont pasmutuellement exclusives. Elles ne sont pas non plus totalement alternativesquantàleurdénotation,toutauplusattribue-t-onauxmêmesindividusdiversespropriétésS-nécessaires(dontonparleraauchapitre8.11).C'estpourquoidiversmondespossiblesnarratifssedessinent. Le topic intervient uniquement pour orienter l'évaluation des propriétésnarrativementpertinentesetdonclastructurationdecesmondes.

5.3.8. Conclusions provisoires. Tout ce que nous avons dit nous permetd'affirmer que |isotopie| est un terme qui recouvre des phénomènes divers.Cependant,ilnousrévèlequesouscettediversitésecacheunecertaineunité.Eneffet,|isotopie|seréfèretoujoursàlaconstanced'unparcoursdesensqu'untexteexhibequandonlesoumetàdesrèglesdecohérenceinterprétative,mêmesiles

Page 103: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

règles de cohérence changent, selon que l'on veut déterminer des isotopiesdiscursivesounarratives,désambiguïserdesdescriptionsdéfiniesoudesphraseset mettre en acte des co-références, décider de ce que font des individusdéterminésouétabliràcombiend'histoiresdifférentespeutdonnernaissancelamêmeactiondesmêmesindividus. Cequidevraitêtreclair,entoutcas,c'estqueladéterminationdutopicestunmouvement coopératif (pragmatique) qui amène le lecteur à déterminer lesisotopiescommedespropriétéssémantiquesd'untexte. a"Lelexèmeest[...]uneorganisationsémiquevirtuellequi,àderaresexceptionsprès[...],n'estjamaisréalisée telle quelle dans le discoursmanifesté. Tout discours, dumoment qu'il pose sa propre isotopiesémantique, n'est qu'une exploitation très partielle des virtualités considérables que lui offre le thesauruslexématique;s'ilpoursuitsonchemin,c'estenlelaissantparsemédefiguresdumondequ'ilarejetées,maisqui continuent à vivre leur existence virtuelle, prêtes à ressusciter aumoindre effort demémorisation "(Greimas, 1973 : 170). Pour comprendre ce passage, il faut se souvenir que lorsque Greimas parle delexème il n'entend pas l'expression verbale mais le contenu sémantique, tout le spectre sémémique (enréservant le terme |sémème| à des parcours de sens particuliers, ou disjonctions de la représentationsémémique).

bTraductionfrançaise:Gallimard,1reédition1948,p.74. cPourlatentatived'attributiondestopics,cf.VanDijk,1976b:50,quiparledestratégiesprobabilistesetd'attributionsprovisoires.Parfoisletopicestaucontrairerenduexpliciteparuneexpressioncomme|Lepointcrucialde laquestionest... |;VanDijkappellecesexpressions,etd'autres,desmarqueursde topic(parmilesquels,souvent,destitres).Pourlestopicsdegenre,cf.Culler,1975:7.Surlesmotsclés,cf.VanDijk,1975,etGreimas,1973:170,aveclanotionde"parcoursfiguratif"(cf.aussiGrouped'Entrevernes,1977:24). dCf.Greimas,1966:52-53. eLa distinction entre isotopies à disjonction paradigmatique et isotopies à disjonction syntagmatiquecorrespond à la distinction entre isotopies verticales et horizontales suggérée par Rastier et traitée parKerbrat-Orecchioni,1975:24-25. fLetexteaétéproposéparAlainCohenaucoursd'uncolloquesurlesmodalitésdufairecroirequis'esttenuàUrbinoauCentroInternazionalediSemioticaenjuillet1978.L'analysedeCohenvisaitd'ailleursdesbutsdifférentsdesnôtresetconcernaitexclusivementlediscourssurlePouvoirauquelnousferonsallusionplusloin.

Page 104: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

6

.LESSTRUCTURESNARRATIVES

6.1.DU"SUJET"ÀLAFABULAAprès avoir actualisé le niveau discursif, le lecteur est en mesure de

synthétiser des portions entières de discours à travers une série demacropropositions (cf. Van Dijk, 1975). Le lecteur des Fiancés, après avoiractualisélesstructuresdiscursivesdespremièrespagesduroman,estcapabledeformulerdesrésumésdecegenre:"DansunpetitvillagesurlelacdeCôme,ducôtédeLecco,unsoir,ausoleilcouchant,lecuréducoinsepromenaitquandilrencontrasursonchemindeuxtypeslouchesqu'ilreconnutêtredesbravietquisemblaient l'attendre. "Déjà, le lecteur est poussé à se demander : que va-t-ilarrivermaintenantànotrecuré,quevontluidirelesbravi? Pour mieux comprendre le mécanisme de ce processus abstractif et ladynamiquedecesinterrogations,ilfautreprendrelavieilleoppositionénoncéepar les formalistes russes entre fabula et " sujeta ". La fabula, c'est le schémafondamentaldelanarration,lalogiquedesactionsetlasyntaxedespersonnages,lecoursdesévénementsordonnétemporellement.Ellepeutaussinepasêtreuneséquenced'actionshumainesetportersuruneséried'événementsquiconcernentdesobjetsinanimésoumêmedesidées.Le"sujet",c'estenrevanchel'histoiretellequ'elleesteffectivementracontée,tellequ'elleapparaîtensurface,avecsesdécalagestemporels,sessautsenavantetenarrière(anticipationetflash-back),sesdescriptions,sesdigressions,sesréflexionsentreparenthèses.Dansuntextenarratif, le " sujet " s'identifie aux structures discursives.Toutefois, il pourraitêtreaussicompriscommeunepremièresynthèsetentéeparlelecteursurlabasedesstructuresdiscursives,unesériedemacropropositionsplusanalytiquesqui,par ailleurs, laissent dans le vague les successions temporelles définitives, lesconnexions logiques profondes. Mais ces subtilités sont négligeables. Ce quinous intéresse, nous, au niveau des stades coopératifs, c'est que, après avoiractualisé les structures discursives, à travers une série de mouvements

Page 105: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

synthétiques,onenarriveàformulerlesmacropropositionsnarrativesb.

6.2.CONTRACTIONETEXPANSION.NIVEAUXDEFABULADiverses théories textuellessoutiennentque lesmacropropositionsnarratives

neconstituentenfaitqu'unesynthèseouunecontractiondesmicropropositionsexprimées au niveau des structures discursives. Or, si cela est vrai dans lamajeurepartiedes cas (il a été suggéréque la fabuladeŒdipe roipouvait sesynthétiserpar "Cherchez le coupable "), il y abeaucoupde situationsoù lesmacropropositions narratives élargissent les micropropositions discursives.QuelleestlamacropropositionquisynthétiselesdeuxpremiersversdelaDivineComédie c ? Selon la théorie des quatre sens, nous avons au moins quatreisotopiesnarratives,chacuned'entreellesnepouvantêtreexpriméequeparunesérie de macropropositions (ou interprétants) qui, au niveau d'une nouvellemanifestation linéaire, se présentent comme plus amples que la manifestationlinéaire interprétée.De touteévidence,unemacropropositioncomme"Vers latrente-cinquièmeannéedesavie,DanteAlighierisetrouveplongédansunétatde péché " n'est actualisable qu'au niveaumoral.Au niveau littéral, on établitseulement qu'il y a un sujet qui, à mi-chemin du parcours moyen de la viehumaine, se trouvedansune forêt obscure.La structure narrativede la phrasebienconnue|Dieuinvisiblecréalemondevisible|setraduitpar«IlyaunDieu.Dieuestinvisible.Dieucrée(tempspassé)lemonde.Lemondeestvisible».Ilsuffitdeprendrel'exclamationduvieilHorace|Qu'ilmourût!|pourcomprendrequelle expansion requiert la traduction en termes narratifs de ce simple actelinguistique. Nous dirons que le format de la fabula dépend d'une initiative coopérativeassezlibre:autrementdit,onconstruitlafabulaauniveaud'abstractionquel'onjugeinterprétativementleplusfructueux.Ivanhoé,c'estsoit l'histoiredecequiarrive àCedric,Rowena,Rebecca, etc., soit l'histoire du conflit de classes (etd'ethnies)entreNormandsetAnglo-Saxons.Celadépenddecequel'onveutenfaire : réduire l'histoire pour un filmou en rédiger un compte rendupour unerevued'étudesmarxistes.Ilestvraique,pourarriveràlasecondefabula(misàpartlefaitqued'unefaçonoud'uneautreondoitêtrepasséparlapremière),onse trouve déjà au seuil du niveau actanciel : on a identifié deux actantsprincipauxdont les différents acteurs individuelsou collectifs qui apparaissentau fildu livre sont lamanifestation figurative ;mais il estvraiaussiquecettestructureactanciellesquelettiqueestencorevuecommeinvestiedansdeuxrôles

Page 106: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

(deuxracesetdeuxclasses),doncnoussommesauniveaudelafabula. Le problème que l'on a déjà soulevé sur le rapport entre topic et isotopieréapparaîtàcepropos.Ilestmanifestequ'unefabulaestuneisotopienarrative:lire ledébutde laDivineComédie comme l'histoire d'une âmepécheressequichercheuneissuepoursortirdela"forêt"dupéché,celasignifieliretoujoursaumêmeniveaudecohérencesémantique toutes lesentitésqui,auniveaudesstructures discursives, sont apparues dans leur forme littérale (au niveaudiscursif,unlynxestunanimal,maissionadécidédelelirecommelafigured'un quelconque vice, alors il faudra s'en tenir à la même décision en ce quiconcerne la louve).Mais pour actualiser cette structure narrative, il faut avoirproposéuntopiccommeclédelecture:onparleicidel'âmepécheresse. Relisonslanouvelled'AllaislesTempliers(cf.appendiceII):nousavonsditqu'elle devient textuellement cohérente ou incohérente uniquement si nous lavoyons comme la réponse donnée à deux topics différents : a « essayer de sesouvenir comment s'appelait la personne x » et m « ce qu'il se passa quandj'arrivaiauchâteaudestempliers».Aprèsavoiractivéletopic,nousvoyonsquepourtant,auniveaudesstructuresdiscursives, l'actualisationnechangepas;enrevanche, au niveau narratif, deux fabulae se dessinent, à partir desquelles onétablitquellessontlesactionsimportantes. Sil'onchoisitlepremiertopic,certainstoponymessontinterchangeables(parexemple les protagonistes pourraient arriver non pas dans le château destempliersmaisdansceluidesAssassinsduSeigneurdelaMontagne),etonpeutlaisser tomber ces détails au cours du résumé et de la synthèse parmacropropositions ;maissi l'onchoisit lesecond topic,onpourraitnégliger lefaitquelenarrateurnesesouviennepasdunomdesonami(maisquoiqu'ilensoit,l'autrefabularestedetoutefaçonensuspens). Souvent, la décision quant au format de la fabula dépend aussi de lacompétence intertextuelle du lecteur. Prenons Œdipe roi : s'il existe undestinatairequineconnaîtpasdéjàlemythed'Œdipe,ilrelèveraquelatragédie(pardesanticipationsetdesflash-back)racontel'histoired'unroiquiabandonnesonfilsparcequ'unoracleluiaditquecefilsletueraitunjour,etainsidesuite,jusqu'au moment où Œdipe, désormais roi de Thèbes, découvre qu'il a étél'assassindesonpèreetqu'ilaépousésamère.Parrapportàcettesynthèse, lejeud'interrogationsetdedénégationsparlequelŒdipemènesonenquêtefinalepeutdevenirpeuimportant. Mais si le destinataire connaît déjà le mythe, dont la connaissance est

Page 107: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

présupposéepar la tragédie (laquellepostuleunLecteurModèlequicomprendcequ'Œdipenecomprendraitpas,etquiparticipepassionnémentàladialectiqueentresavolontédesavoiretsondésirprofonddenepassavoir),ilsynthétiseraunefabuladifférentequiconcernerajustementlespassagesoùŒdipe,siprochedelavérité,larecherched'unepartetdel'autrelarepousse,jusqu'àserendreàl'évidence.Acestade,lafabulad'Œdipedevientl'histoirequiracontecommentuncoupablerefusedereconnaîtrel'histoiredesaculpabilité.Entrentalorsenjeud'autresniveauxplusprofonds:lesstructuresactanciellesetidéologiques,etladialectiqueentrelesmondespossibles–commeonleverraauchapitre8. Enfin, notons que pour passer du niveau narratif à celui des structuresactancielles, de même que pour passer des macropropositions de fabula auxprévisions sur le cours des événements, le lecteur doit accomplir quelquesopérations de réductions successives que la figure 2n'enregistre pas : et il estprobable qu'ici interviennent des synthèses du type de celles qu'ont élaboréesProppquandilréduitunehistoireàdesfonctionsnarratives,Bremondquandilréduit l'ossature narrative à une série de disjonctions binaires dont l'issue estintertextuellementcodée,outouteunetraditionquiaétudiéles"thèmes"etles" motifs ". Mais, ici, la notion de motif, on l'a déjà dit au chapitre 4.6.6,s'identifieàcelledescénariointertextueldontonreparleraauchapitre7.3.

6.3.STRUCTURESNARRATIVESDANSDESTEXTESNONNARRATIFS

Lemodèle de la figure2, tout en étant conçupour rendre compte de textes

narratifs,fonctionneaussipourdestextesquinelesontpas.End'autrestermes,onpeutactualiserunefabula,ouuneséquenced'actions,mêmedansdestextesnonnarratifs,mêmedanslesacteslinguistiqueslesplusélémentairescommedesquestions, des ordres, des serments ou des fragments de conversation. Face àl'ordre|Viensici|,onpeutélargirlastructurediscursiveenunemacropropositionnarrativedutype«Ilyaquelqu'unquiexprimedefaçonimpérativeledésirqueledestinataire,enversquiilmanifesteuneattitudedefamiliarité,sedéplacedelapositionoùilestets'approchedelapositionoùestlesujetd'énonciation.»C'est,sionveut,unepetitehistoire,fût-ellepeuimportante.Prenonsuneconversationcomme:(23)Paul.–OùestPierre?Marie.–Dehors.Paul.–Ah.Jepensaisqu'ilétaitencoreentraindedormir.

Page 108: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Onpeutfacilementenextrapolerunehistoirequiracontecomment:adanslemondedesconnaissancesdePauletdeMarie,ilexisteuncertainPierre;mPauldans un temps initial t1 croit p (= Pierre est encore en train de dormir à lamaison), alors queMarie dans un temps t2 affirme savoir que q (= Pierre estsorti) ; (III)Marie informePaul surq; a Paul abandonne sa croyance surp etadmetquepn'estpas lecas,alorsqu'ilavoueavoircrupen t1. Naturellementtouslesautresproblèmessémantiques(présuppositionssurlefaitquePierreestun être humain mâle, qu'il est connu tant de Paul que de Marie, que laconversationalieudansunemaisonoudevantunemaison,quePaulveutsavoirquelquechosesurPierreouqueletempsdelaconversationestprobablementlafindematinée)concernent leprocessusprécédentd'actualisationdesstructuresdiscursives.QuantàétablirsiMariedit lavérité,siPaulcroitqueMariedit lavérité ou s'il feint seulement de la croire, tout cela concerne des opérationsextensionnelles ultérieures (structures de mondes). Mais pour passer desstructures discursives aux structures demondes, il semble qu'une synthèse auniveau de la fabula soit indispensable. Indispensable, certes, si nous lisons undialoguedecegenre;maisindispensableaussiàPaul,protagonistedudialogueenacte,s'ilveutserendrecomptedel'événementqu'ilestentraindevivreetdesprévisions qu'il peut faire (en recourant éventuellement à des scénarioscommuns)pourpouvoir,parexemple,réagiràlasituationendécidantdelaisserunmessagepourPierre. Commeonl'adit (6.2), la fabulapeut iciaussiêtreactualiséeàdesniveauxplussynthétiques,parexempleenformulantlamacroproposition«PaulcherchePierre » ou « Paul interrogeMarie sur Pierre » ou encore « Paul apprend deMarieunenouvelleinattendue». Delamêmefaçon,lesexemplesd'implicatureconversationnelleproposésparGrice (1967) véhiculent une histoire possible. La valeur pragmatique del'implicature consiste exactement dans le fait qu'elle oblige le destinataire àformuler une histoire là où il y avait seulement, et apparemment, la violationaccidentelleoumalicieused'unemaximeconversationnelle:(24)A.–Jen'aiplusd'essence.B.–Ilyaungarageaucoindelarue.

Histoire : A a besoin d'essence et B veut l'aider. B sait que A sait que

Page 109: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

d'habitudelesgaragesontunepompeàessence,ilsaitqu'ilyaungarageaucoindelarueetilsait(ouilespère)quecegarageadel'essenceàvendre.AinsiBinformeAsur la localisationdugarageet il lefaitdefaçonànepasseperdredansdelongsdiscoursetsansfournirplusd'informationsqueneledemandelasituation.Acepoint,lelecteurdelaconversation(24)–etmêmeBentantquedestinatairepossibledel'histoiredontilestleprotagoniste–peutcommenceràseposerunesériedequestionssurlefuturcoursdesévénements:Asuivra-t-illes suggestionsdeB?Yaura-t-ilde l'essenceaugarage?etc., suspense légermais incontestable : il s'agit là d'unmécanisme dont on parlera (7.2 et 7.3) àproposdesprévisionsetdespromenadesinférentielles.

6.4.CONDITIONSÉLÉMENTAIRESD'UNESÉQUENCENARRATIVE

Ilresteàétablirquellessontlesconditionsélémentairespourqu'uneséquence

discursive puisse être définie comme narrativement importante. Décisionindispensablepourpouvoiravancerdesprévisionsetaccomplirdespromenadesinférentielles. Même sans avoir recours à la distinction, déjà proposée, entre narrativiténaturelle et narrativité artificielle, onpourrait accepter commedéfinitiond'unenarrationimportanteetcohérenteladéfinitionsuivantequirésumeunesériedeconditions proposées par Van Dijk (1974) : une narration est une descriptiond'actions qui requiert pour chaque action décrite un agent, une intention del'agent,unétatoumondepossible,unchangement,avecsacause et leproposquiledétermine;onpourraitajouteràceladesétatsmentaux,desémotions,descirconstances ; mais la description est importante (nous dirons :conversationnellement admissible) si les actions décrites sont difficiles etseulement si l'agent n'a pas un choix évident quant au cours des actions àentreprendrepourchangerl'étatquinecorrespondpasàsespropresdésirs;lesévénementsquisuiventcettedécisiondoiventêtreinattendus,etcertainsd'entreeuxdoiventapparaîtreinusuelsouétranges. Ilestclairqu'unesériedequalitésrequisesdecegenreexclut,àjustetitre,dunombredestextesnarratifs,desassertionscomme:(25)Hierjesuissortidechezmoipourallerprendreletrainde8h30quiarriveàTurinà10heures. J'aiprisun taxiquim'aamenéà lagare, là j'aiachetéunbilletetjemesuisrendusurlebonquai;à8h20jesuismontédansletrainqui

Page 110: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

estpartiàl'heureetquim'aconduitàTurin.

Face à quelqu'un qui raconterait une histoire de ce genre, nous nousdemanderions pourquoi il nous fait perdre notre temps en violant la premièrerègleconversationnelledeGrice,selonlaquelleilnefautpasêtreplusinformatifque ce qui est de rigueur (à moins bien sûr qu'hier il y ait eu une grève descheminsdefer,auquelcaslerécitcommuniquealorsunfaitinusuel). Cependantlesqualitésrequisesénuméréesci-dessussontpeut-êtreexcessives.Il est indubitable que le premier livre de laGenèse raconte une histoire où seproduisentdeschangementsd'étatprovoquésparunagentdotédeproposbienclairs;celui-ci,enmaniantdescausesetdeseffets,accomplitdesactionsd'uneraredifficultéqui(sionn'identifiepaslemondeexistantaumeilleurdesmondespossibles)neconstituaientenrienunchoixévident.Maispersonnenepourraitdire que les événements consécutifs à l'action étaient inattendus, étranges ouinusuelspourl'agent,carilsavaitexactementcequisepasseraitendisant"Fiatlux "ouenséparant la terredeseaux(ajoutonsàcelaque le lecteur, luiaussi,s'attend exactement à ce qui arrive dans la réalité). Et pourtant, il serait biendifficile de nier que le compte rendu de la création de l'univers est un beaumorceaudenarrativité. C'estpourquoionpeut limiter les conditions requises (quitte à en introduired'autres en fonction uniquement du genre narratif spécifique que l'on voudradéfinir) à celles que propose la Poétique aristotélicienne : il y suffit dedéterminerunagent(peuimportequ'ilsoithumainounon),unétatinitial,unesériedechangementsorientésdansletempsetproduitspardescauses(qu'iln'estpas nécessaire de spécifier à tout prix) jusqu'à un résultat final (qu'il soittransitoireou interlocutoire).Nousn'ajouteronspaspour l'instant (cettequaliténe vaudrait que pour certains types de narrativité artificielle) que l'agent, à lasuitedesactions,devrasubirunchangementdefortune,enpassantdubonheuraumalheurouviceversa.Enconservantunesériedeconditionsrequisesainsiréduites,nouspourrionsenarriveràdirequemêmeladescriptiondesopérationsnécessairespourproduiredulithium,donnéeparPeirce(cf.2.5)estunexemple,fût-ilélémentaire,denarrativité. Cettesériedeconditionsrequisespermetentoutcasdedéterminerunniveaunarratif (une fabula), même dans des textes qui apparemment ne sont pasnarratifs.Voyonsledébutdel'EthiquedeSpinoza:(26)Percausamsuiintelligoidcujusessentiainvolvitexistentiam;siveidcujus

Page 111: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

naturanonpotestconcipinisiexistens.

Il y a ici au moins deux fabulae emboîtées. L'une concerne un agent(grammaticalement implicite) |ego|quiaccomplit l'actiondecomprendreoudesignifieretqui,cefaisant,passed'unétatdeconnaissanceconfuseàunétatdeconnaissance plus claire sur ce qu'estDieu. Remarquons que, si |Intelligo| estinterprétécomme«Jecomprends»ou«Jereconnais»,Dieuresteunobjetnonmodifiéparl'action.Maissiparlemêmeverbeonentend«Jeveuxsignifier»ou«Jeveuxdire»(ImeanouIchmeine–commecelaétaitlecaspourletextedeWittgensteincitéauchapitre3.5),alorsl'agentinstitue,àtraversl'actedesapropre définition, son propre objet commeunité culturelle (c'est-à-dire qu'il lefaitêtre). Cetobjetavecsesattributsestparailleurslesujetdelafabulaemboîtée.C'estunsujetquiaccomplituneactionparlaquelle,parlefaitmêmed'être,ilexiste.Ilsemble quedans cette aventure de la nature divine rienne " se passe ", parcequ'iln'yapasdelapsdetempsentrel'actualisationdel'essenceetl'actualisationde l'existence (et la seconde ne change pas l'état représenté par la première) ;quant à l'être, ce ne semble pas une action telle qu'en la réalisant on produisel'exister.Mais cet exemple est un cas limite.Dans cette histoire, l'action ainsique le cours du temps sont à un degré zéro (= infini). Dieu agit toujours ens'automanifestantetilduretoujours,toujoursenproduisantlefaitqu'ilexisteparlefaitmêmequ'ilest.C'estpeupourunromand'aventures,c'estassezpourqu'ondonne, audegrézéro, les conditionsessentiellesd'une fabula.Tropd'épisodes,pas de coup de théâtre – d'accord,mais cela dépend aussi de la sensibilité dulecteur. Le LecteurModèle d'une histoire de ce genre est unmystique ou unmétaphysicien,untypedecoopérateurtextuelcapabled'éprouverdesémotionsintenses devant cette non-aventure qui ne cesse pourtant de l'étonner par soncaractèretrèssingulier.Ets'ilnesepasseriendenouveau,c'estparcequeordoetconnectiorerumidemestacordoetconnectioidearum.Toutestdit.L'AmorDeiIntellectualis est aussi une passion ardente, et l'inépuisable surprise de lareconnaissance de la Nécessité existe. Cette fabula est pour ainsi dire sitransparente qu'elle nous conduit immédiatement à une structure immobile depurs actants. Elle nous amène à la reconnaissance d'une structure de mondesavec un seul individu qui possède toutes les propriétés, qui a accès à tous lesmondespossiblesd.

Page 112: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

D'autre part, on peut toujours aborder, du point de vue de la constructionnarrative,des textesqui semblentne raconteraucune fabula : c'est cequ'a faitGreimas(1975)d'unefaçonremarquableenanalysantun"discoursnonfiguratif",l'introductiondeDumézilàsonNaissanced'Archange.Letextescientifiqueymanifeste non seulement une " organisation discursive ", mais aussi une "organisationnarrative"faitedecoupsdethéâtrescientifiques(ouacadémiques),de luttes contre les opposants, de victoires et de défaites.C'est l'histoire de laconstruction d'un texte et de la mise en œuvre d'une stratégie à laquelle nemanquentpaslesvolontéspersuasives,avecunsujetagentqui,àlafin,prétendpersonnifier laSciencemême.C'est làunesuggestion très importantequipeutnousameneràreliretouslestextesthéoriquescommel'histoired'unebatailledepersuasion,jouéeetgagnée.Dumoins,tantquel'analysen'enmetpasànulesartifices. aPourl'histoiredecettedistinction,cf.Erlich,1954.Pourunediscussionrécente,cf.inSegre,1974,"Logiquedurécit,analysenarrativeettemps",ainsiqueFokkemaetKunne-Ibsch,1977. b La question a une dimension théorique et une vérifiabilité empirique. Pour l'aspect théorique, voirl'idéed'histoirecomme"grandephrase"chezBarthes,1966;cf.aussiTodorov,1969.OnadéjàcitéparailleursGreimas, 1973 : 174, pour la structure sémémique comme programme narratif potentiel. Sur unautre plan, on consultera avec profit les recherches accomplies par Van Dijk, 1975 et 1976b, sur les "sommaires"queleslecteursfournissentd'unehistoire. cSurlemilieuduchemindelavie Jemetrouvaidansuneforêtsombre... TraductionfrançaiseParis,Garnier,1966. Danscette"forêtsombre",Danterencontretroisbêtessauvages,unlynx,unlionetunelouve. d Le principe vaut à plus forte raison pour ces textes expérimentaux où apparaissent des agents "immobiles",oùilnenousestpasdonnédedéterminerdessériesd'événementsremarquablesetoùc'estlanotionmêmed'agentquiestenquestion.Voirparexemplel'analysedeNouvellesImpressionsd'Afrique,deRoussel,faiteparKristeva,1970:73.

Page 113: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

7

.PRÉVISIONSETPROMENADESINFÉRENTIELLES

7.1.LESDISJONCTIONSDEPROBABILITÉLes macropropositions par lesquelles le lecteur actualise la fabula ne

dépendentpasd'unedécisionarbitraire:ellesdoiventenquelquesorteactualiserlafabulavéhiculéeparletexte.Lagarantiedecette"fidélité"autexteentantque produit est donnée par des lois sémantiques vérifiables grâce à des testsempiriques. Prenons la portion textuelle (14) : en termes d'encyclopédie –puisque Raoul est un homme et Marguerite une femme, puisque le verbemarcher |donneunsèmede«mouvementvers»–,ona lagarantiequecetteportionpeutêtrerésuméeparlamacroproposition«Unhommesedéplaceversune femme».D'autre part, les tests empiriques sur les capacitésmoyennesderésumer un texte nous disent que la construction des macropropositions semanifestecommestatistiquementhomogène. Maislacoopérationinterprétatives'effectuedansletemps:untexteestlupasà pas. C'est pourquoi la fabula " globale " (l'histoire racontée par un textecohérent), même si elle est conçue comme finie par l'auteur, se présente auLecteurModèlecommeendevenir:ilenactualisedesportionssuccessives.Onpeut alors prévoir que le lecteur en actualise des macropropositionsconsistantes : dans le casdu texte (14) le lecteur, plutôtquede résumer«Unhommesedéplaceversune femme»,attendque la séquenced'événementsaitatteintunecertaineconsistancepourrésumer«RaoulseprécipitesurMargueritepour la frapper,etelle s'enfuit». Ilestaussiprévisiblequ'àcestade le lecteurpercevraunedisjonctiondeprobabilité, étantdonnéque, selon sonexpérienceencyclopédique (scénarios communs et intertextuels), Raoul peut rattraperMargueriteetlabattre,oubiennepaslarattraper,êtresurprisparuneinitiativeimprévuedeMargueritequirenverselasituation(c'estd'ailleurscequisepassedanslanouvelle).

Page 114: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Chaque foisque le lecteurparvient à reconnaîtredans l'universde la fabula(bienqu'encoreparenthétisé quant auxdécisions extensionnelles) la réalisationd'uneactionquipeutproduireunchangementdansl'étatdumonderaconté,enyintroduisantainsidesnouveauxcoursd'événements,ilestamenéàprévoirquelsera le changement d'état produit par l'action et quel sera le nouveau coursd'événements. Ilestvraiqu'unedisjonctiondeprobabilitépeutseproduireàn'importequelpointd'unenarration:"Lamarquisesortitàcinqheures."Pourquoifaire,pouraller où? Mais des disjonctions de probabilité de ce genre s'ouvrent aussi àl'intérieurd'unesimplephrase,parexemplechaquefoisqu'unverbetransitifestoccurrent(|Louismange...|:quoi?unpoulet,unsandwich,unmissionnaire?). Nousneprendronspasencompteuneconditioninterprétativesiangoissante,carnousferonsconfianceàlarapiditédelectureduLecteurModèlequisaisitenun seul coup d'œil la structure d'une ou de plusieurs phrases et qui n'a pas letempsdes'interroger surcequemangeLouisque,déjà, il a reçu l'informationdésirée. Par contre, il est parfaitement légitime de se demander quels sont les coursd'événementset leschangementsqui impliquentunedisjonctiondeprobabilitédigned'intérêt.Répondrequelesdisjonctionsintéressantess'ouvrentquandsontoccurrentes les actions " pertinentes " pour le cours de la fabula risquerait deconstituerunepetitioprincipii. Mais ilserait toutaussipeusatisfaisant,bienqu'exact,dedirequele lecteurdétermine les disjonctions de probabilité selon l'hypothèse de fabula qu'ilformuleàpartirdutopicchoisi. Nous dirons plutôt qu'un texte narratif introduit des signaux textuels dedifférents types pour souligner que la disjonction qui va être occurrente estimportante. Appelons-les signaux de suspense. Ils peuvent, par exemple,consisteràdifférer la réponseà laquestion implicitedu lecteur.Nouspensonsaux pages sur les cris que Manzoni insère entre l'apparition des bravi à donAbbondio,lecuré,etlerécitdecequelesbraviluidiront.Pourplusdesûreté,l'auteurs'emploieànoussignalerpardeuxfois,avantetaprèsladigressionsurlescris,l'étatd'attentedupersonnage(étatquicorrespondaunôtreetqui,danslemêmetemps,lefonde):(27) [...]Lecuré [...]vitalorsunechoseà laquelle ilnes'attendaitpasetqu'ilauraitpréférénepasvoir:deuxhommessetenaient[...].(Suitladescriptiondes

Page 115: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

bravi,puiss'insère,pour alimenter le suspense, le long passage sur les cris ;ensuiteletextereprendavecd'autressignauxdesuspense.)[...] Que les deux personnages décrits plus haut fussent là pour attendrequelqu'un, c'était chose trop évidente. Mais ce qui contraria le plus donAbbondio ce fut d'être obligé de reconnaître, à certains de leurs gestes, quel'hommeattendu,c'étaitlui.[...] Ilsedemandaaussitôt rapidementsi,entre les"bravi"et lui, iln'yauraitpas quelque chemin de traverse à droite ou à gauche [...]. Il fit un rapideexamen:n'aurait-ilpasoffenséquelquepuissantpersonnage?[...]Ilmitl'indexet lemédiusde lamaingauchedans son rabatcommepour le rajuster; [...]. Iljetaunregardpar-dessuslepetitmurdansleschamps:personne;[...]personneendehorsdes"bravi".Quefaire?

Lessignauxdesuspensesontparfoisaussidonnésparladivisionenchapitre,lafinduchapitrecoïncidantavec lasituationdedisjonction.Parfoisencore, lanarration procède par épisodes et introduit un laps de temps imposé entre laquestion(pastoujoursimplicite)etlaréponse.Nousdisonsalorsquel'intrigue,auniveaudesstructuresdiscursives, travailleàpréparerlesattentesduLecteurModèle au niveau de la fabula et que, souvent, les attentes du lecteur sontsuggéréesparladescriptiondessituationsexplicitesd'attente,souventangoissée,dupersonnage.

7.2.LESPRÉVISIONSCOMMEPRÉFIGURATIONDEMONDESPOSSIBLES

Entrer en état d'attente signifie faire des prévisions. Le LecteurModèle est

appelé à collaborer au développement de la fabula en en anticipant les stadessuccessifs.L'anticipationdu lecteurconstitueuneportiondefabulaquidevraitcorrespondreàcellequ'ilvalire.Unefoisqu'ilauralu,ilserendracomptesiletexte a confirmé ou non sa prévision. Les états de la fabula confirment ouinfirment(vérifientoufalsifient)laportiondefabulaanticipéeparlelecteur(cf.Vaina,1976,1977).Ledénouementdel'histoire–telqu'ilestétabliparletexte–vérifie la dernière anticipation du lecteur, mais aussi certaines de sesanticipationspassées,etilreprésenteengénéraluneévaluationimplicitesurlescapacitésprévisionnellesdontlelecteurafaitpreuveaucoursdelalecturetoutentière.

Page 116: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Cette activité prévisionnelle sous-tend effectivement tout le processusd'interprétation et ne se développe qu'à travers une dialectique serrée avecd'autres opérations, alors qu'elle est continuellement vérifiée par l'activitéd'actualisationdesstructuresdiscursives. Comme nous le verrons au chapitre suivant, le lecteur, en faisant cesprévisions,assumeuneattitudepropositionnelle(ilcroit,ildésire,ilsouhaite,ilespère,ilpense)quantàl'évolutiondeschoses.Cefaisant,ilconfigureuncoursd'événements possible ou un état de choses possible – comme on l'a dit plushaut, il hasarde des hypothèses sur des structures de mondes. L'usage estmaintenant établi dans lamajeure partie des écrits courants sur la sémiotiquetextuelle de parler, à propos de ces états de choses prévus par le lecteur, demondespossibles. Nousexamineronsdanslechapitresuivantlesconditionsauxquellesonpeutemployer ce concept (emprunté avec toutes les précautions nécessaires à lamétaphysiqueetà la logiquemodale)dans lecadred'unesémiotique textuelle.Nous verrons aussi comment ces emprunts ont été jugés illicites, car ilsprésupposeraient une interprétationmétaphysique et substantialiste du conceptde monde possible (comme si un monde possible, comme état alternatif deschoses,avaituneconsistanceontologiqueégaleàcelledumondeactuel).C'estpourquoi il nous faut définir, et cela une fois pour toutes, le sens que nousentendonsassigneràl'idéedepossibilitéquandonparled'unlecteurquiimagine(croitouespère)undéveloppementpossibledesévénements.

Pour cela, prenons un indicateur horaire des chemins de fer (ou mieux,prenons les tableaux schématiques qui sont au début) : nous voyons que si jeveuxallerdeMilanàSienne,jedoisnécessairementallerdeMilanàFlorence.Après,jepeuxchoisirentredeuxpossibilités,Florence-Terontola-Chiusi-SienneoubienFlorence-Empoli-Siennea.Nousnediscutonspas icide lapossibilité laplus économique en termes de temps, d'argent et de la fréquence descorrespondances (même s'il est envisageable que ces éléments ajouteraientd'utilesvariablesau jeuprévisionnel)b.Mais le faitestque,en termesnarratifsoutrequ'entermesferroviaires,étantdonnéunpassageràlagaredeFlorence,onaunedisjonctiondeprobabilitéquis'ouvre:laquelledesdeuxrouteschoisira-t-il ? Dire que le passager a deux possibilités (et dire que celui qui fait desprévisions sur le passager a le choix entredeux cours alternatifs d'événementségalement possibles, coeteris paribus) ne signifie pas s'interroger sur laconsistanceontologiquedecescoursparrapportàcequisevérifieraparlasuite,

Page 117: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

et cela ne signifie pas non plus réduire ces cours alternatifs à d'insaisissablesétats psychologiques de celui qui prévoit. Les deux cours d'événements sontpossibles parce qu'ils sont donnés comme tels par la structure du réseauferroviaire. Tous deux peuvent se vérifier parce que le réseau donne desconditionsraisonnablesderéalisationpourlesdeux. Or, un texte qui me présente un individu x qui tire sur un individu y mepermet de faire deuxprévisions, sur le fondde la compétence encyclopédiqueauquel il renvoie (dans notre analogie le réseau ferroviaire ne correspond pastantàuntextequ'àunsystèmedescénarios):soitl'individuesttouché,soitilnel'estpas.Toujourscoeterisparibus(enexcluantdoncquel'individusoitattachéàunpoteauetqueletireursoitlagâchettelaplusrapidedel'Ouest–maismêmedans ce cas, que de belles surprises narratives possibles ! que de rêveriesoptativesde lavictimedurantsesderniers instantsdevie !), ilestpossible,envertu de la structure du " réseau ", que l'un ou l'autre cas se vérifie. Il seraitinsenséalorsd'observerquelaprévisionnonsatisfaiteestontologiquementplusfaiblequecellequi a été satisfaite.En tantqueprévisions, en tantqu'attitudespropositionnelles, toutes deux restent un pur événement mental face à lamatérialitémassiveducasvainqueur. Nousdevonsdoncseulementnousdemandersi,àlalumièredelacompétenceencyclopédique à laquelle le texte narratif se réfère et à la lumière desmouvements mis en œuvre par le texte, il est raisonnable d'entrevoir unedisjonction de probabilité. En ces termes, nous pouvons très bien appeler "mondepossible"cequiestconfiguréparlaprévisionexprimée. Admettonsqu'unenarrationsoitéquivalenteàunmanueld'échecsdestinéauxjoueurs qui veulent se perfectionner. L'auteur, à un moment donné, nousreprésentesurlapagedegauchel'étatSidel'échiquieràunstadecruciald'unecélèbrepartieoù IvanovbattitSmithendeuxcoups successifs.Sur lapagededroite, l'auteur représente l'étatSj (où jestsuccessifà i)consécutifaucoupdeSmith. Or, nous dit l'auteur, avant de tourner la page et de trouver lareprésentation de l'état Sk consécutif au coup d'Ivanov, essayez de deviner lecoupd'Ivanov.Lelecteurprendunefeuille(ouuneficheinclusedanslemanuel)etdessinecequi, selonsesprévisions,devraitêtre l'étatoptimalenSk,c'est-à-direcetétatparlaréalisationduquelIvanovmetSmithensituationdepat. Quefaitlelecteur?Ilaàsadispositionlaformedel'échiquier,lesrèglesdeséchecs et touteune série de coups classiques enregistréspar l'encyclopédiedujoueur d'échecs, de véritables scénarios interparties, considérés

Page 118: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

traditionnellement comme les plus fructueux, les plus élégants, les pluséconomiques.Cetensemble(formedel'échiquier,règlesdejeu,scénariodejeu)équivautauréseauferroviairedel'exempleprécédent:ilreprésenteunensembledepossibilitéspermisespar lastructurede l'encyclopédiedeséchecs.C'est surcettebasequelelecteurs'apprêteàproposersasolution. Ilaccomplitpourcelaundoublemouvement:d'uncôté,ilconsidèretouteslespossibilitésobjectivementreconnaissablescomme"admises"(ilneprendrapasenconsidérationlescoupsquimettentsonroienconditiond'êtreimmédiatementmangé:cesontlàdescoupsàconsidérercomme"interdits");d'unautrecôté,ilsepréfigurecequ'iljugeêtrelecouplemeilleurentenantcomptedecequ'ilsaitde lapsychologied'Ivanovetdesprévisionsqu'Ivanovdevrait avoir faitessurlapsychologiedeSmith(parexemple,lelecteurpeutsupposerqu'Ivanovsehasardeàungambithardiparcequ'ilprévoitqueSmithtomberadanslepiège). Lelecteurenregistrealorssursafichecequ'iljugeêtrel'étatSkvalidéparlapartie présentée par l'auteur comme optimale. Puis il tourne la page et ilconfronte sa solution avec celle du manuel. De deux choses l'une : soit il adeviné, soit il n'apasdeviné.Et s'il n'apasdeviné, queva-t-il faire? Il jettera(avecdépit)saficheparcequ'elleconstituelareprésentationd'unpossibleétatdechoses que le cours de la partie (considérée comme la seule bonne) n'a pasconfirmé. N'empêcheque l'étatalternatifqu'ilavaitprévupeutêtreparfaitementadmisdupointdevuedeséchecs;ilétaittoutàfaitpossibleetill'étaitsibienquelelecteurl'aeffectivementreprésenté.Seulementvoilà,cen'étaitpascequel'auteurproposait. Notons que b ce type d'exercice pourrait se prolonger pour chaquecoup d'une partie très longue et quem, pour chaque coup, le lecteur pourraitdessiner non pas un seul mais plusieurs états possibles ; enfin (III) l'auteurpourrait s'amuser à représenter tous les états possibles qu'Ivanov aurait puréaliser,avectouteslesréponsespossiblesdeSmith,etainsidesuite,ouvrantàchaque coup une série de disjonctions multiples, à l'infini. Procédé peuéconomiquemaisenprinciperéalisable. Bienentendu,ilfautquelelecteuraitdécidédecoopéreravecl'auteur,ildoitdoncadmettrequelapartieIvanov-Smithestàacceptercommelaseulequis'esteffectivementréaliséeetaussicommelameilleurequipouvaitêtreréalisée.Silelecteur ne coopère pas, il peut utiliser quand même le manuel, mais commestimulusdel'imaginationpourconcevoirsespropresparties;delamêmefaçon,on peut interrompre un roman policier au beaumilieu pour écrire son propre

Page 119: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

roman, sans se préoccuper de savoir si le cours des événements que l'on aimaginécoïncideavecceluiquevalidel'auteur. On peut donc avoir des possibilités objectivement consenties parl'encyclopédie (le réseau) des échecs. On peut donc représenter des coupspossiblesqui,toutenn'étantpossiblesqueparrapportàla"bonne"partie,n'ensont pas, pour autant, moins concrètement représentables. Ainsi, le mondepossible préfigurépar le lecteur se fonde soit sur des conditionsobjectives duréseau, soit sur ses propres spéculations subjectives quant au comportementd'autrui(autrementdit,lelecteurspéculesubjectivementsurlafaçondontIvanovréagirasubjectivementauxpossibilitésoffertesobjectivementparleréseau). Apartladifférencedecomplexitéentreleréseaudeséchecsetleréseaudeschemins de fer, les deux comparaisons satisfont aux conditions d'une fabulacomprise comme le récit d'un voyage de Florence à Empoli ou le récit d'unepartieentreIvanovetSmith.Pourcequiestdelacomparaisonavecleséchecs,un texte narratif peut ressembler aussi bien à unmanuel pour enfants qu'à unmanuelpourjoueursexperts.Danslepremiercas,onproposeradessituationsdepartiesassezévidentes(selonl'encyclopédiedeséchecs),afinquel'enfantaitlasatisfactiond'avancerdesprévisionscouronnéesdesuccès;danslesecondcas,on présentera des situations de parties où le vainqueur a hasardé un couptotalement inédit qu'aucun scénario n'avait encore enregistré, un coup tel qu'ilpasseraà lapostéritépoursahardiesseetsanouveauté,desorteque le lecteuréprouveleplaisirdesevoircontredit.Alafind'unefable, l'enfantestheureuxd'apprendrequelesprotagonistesvécurentheureux,exactementcommeill'avaitprévu ; à la fin de Cinq Heures vingt-cinq le lecteur d'Agatha Christie estheureux d'apprendre qu'il s'était complètement trompé et que l'auteur a étédiaboliquementsurprenant.Achaquefabulasonjeuetleplaisirqu'elledécidededonner.

7.3.LESPROMENADESINFÉRENTIELLESCependant,quel'onchoisissel'analogieavecleréseauferroviaireouavecla

descriptiondelapartied'échecs,ilestessentielàlacoopérationqueletextesoitcontinuellementrapportéàl'encyclopédie.Pourhasarderdesprévisionsquiaientuneprobabilitéminimedesatisfairelecoursdel'histoire,lelecteursortdutexte.Il élabore des inférences, mais il va chercher ailleurs une des prémissesprobables de son propre enthymème. En d'autres mots, si la fabula lui dit "x

Page 120: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

accomplit telle action ", le lecteur hasardera " Puisque chaque fois qu'un xaccomplittelleactiononad'habitudel'issuey"etconclura"alorsl'actiondexaural'issuey". Dans le texte (14), quand Raoul lève la main, le lecteur est appelé àcomprendre en vertu de l'encyclopédie que Raoul lève la main pour frapper.Mais à ce stade, le lecteur s'attend à ce que Raoul frappe Marguerite. Cedeuxièmemouvementn'estpasdelamêmenaturesémiotiquequelepremier.Lepremieractualiselesstructuresdiscursives, iln'engendrepasl'expectativemaislasécurité;ledeuxième,lui,coopèrepardescoupsd'essaiàactualiseràl'avancelafabula,ilrelèvedelatension,dupari,del'abduction. Pouravancersonhypothèse,lelecteurdoitrecouriràdesscénarioscommunsou intertextuels : " D'habitude..., Toutes les fois que..., Comme cela se passedans d'autres récits..., D'après mon expérience..., Comme nous l'enseigne lapsychologie..."Eneffet,activerunscénario(surtouts'ilestintertextuel)signifierecourir à un toposc . Ces échappées hors du texte (pour y revenir riche d'unbutin intertextuel), nous les appelons des promenades inférentielles. Et, si lamétaphoreestdésinvolte,c'estque l'onveut justementmettreenrelief legestelibreetdésinvolteaveclequellelecteursesoustraitàlatyrannie–etaucharme–dutextepourallerentrouverlesissuespossiblesdanslerépertoiredudéjà-dit.Mais en principe, sa promenade est dirigée et déterminée par le texte (c'estcomme si à la disjonction de Florence, le texte suggérait discursivement quenotrevoyageurneveutpasprendredecorrespondance;donc,parmilesdiversscénariosdisponibles,iln'yenaqu'unseuldepossible,etilfautrentrerdansletexteenavançantl'hypothèsequelevoyageurchoisiralarouted'Empoli).CettedernièrerestrictionneréduitpaslalibertéduLecteurModèle,maisellesoulignelapressionqueletexteessaied'exercersurlesprévisionsdulecteur. Deprime abord, la promenade inférentielle semble être un artifice pour destextesjouéssurdestopoiéculés.Prenonslewesternparexemple:leshérifestaccoudéaucomptoirdusaloon,leméchantsurgitdanssondos.C'estsansaucundouteparunepromenadeinférentiellequenousprévoyonsalorsqueleshérifval'apercevoir dans lemiroir placé derrière les bouteilles de liqueurs, qu'il va seretourner brutalement en dégainant son colt et qu'il va le tuer ; mais pour lemêmescénario "déposé " (jouéàrebours cette fois par un auteurmalicieux),dansunfilmàlaMelBrooks,leshérifseretourneraitetseraitdescenduparleméchant (leSpectateurModèle étant jouéparunauteur connaissant toutes sesréservesencyclopédiquespossibles).Maislespromenadesinférentiellesnesontpas toutes aussi mécaniques. Le roman contemporain, tissu de non-dit et

Page 121: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

d'espaces vides, confie la prévision du lecteur à des promenades bien plusaventureusesJusqu'àadmettre,commenousleverrons(7.4),plusieursprévisionsmutuellementalternativesetpourtanttoutesgagnantes. Le roman à l'eau de rose nous fait nous promener hors du texte pour yréintroduire ce que justement le texte promet et donnera ; d'autres genresnarratifsferontstrictementlecontraire.Undramebienparisien jouesur toutescespossibilités. LesMystèresdeParis,deSue(Eco,1976),nousdonnentunexempledejeubeaucouptropfacile.LelecteuryestsanscesseinvitéàsupposerqueFleur-de-Marie,laprostituéevirginalesauvéeparleprinceRodolphedansuntapis-francparisien,n'estautreque lafillequ'ilaperdueetqu'il recherchedésespérément.Cequiestlecasd'ailleurs.Seulementvoilà,contraintparlesuccèsdesonromanàajouterdesépisodes,Sueneréussitpasàfreiner l'impatiencedesonLecteurModèleet,aumilieudesonroman,ilrendlesarmes:monlecteur,admet-il,doitavoirdésormaistoutcompris,doncmoijenestimuleplusetluin'activeplusdeprévisions ; la révélationneviendraqu'à la finmaisacceptons-lacommeétantsurvenue(dumoinspournous,paspourRodolphequiignoretoutencore).EtlelecteurdeSuenepouvaitpasagirautrement,mêmes'ilétaitinculte:ilavaitàsadisposition, depuis la comédie grecque jusqu'à son époque, trop de scénariosintertextuelsanalogues.LesMystèresdeParisontunebonnefabulamaisuntrèsmauvais " sujet " : réduite à ses termesminimaux, l'histoire de cette agnitionpouvait fonctionner ; délayée dans les prolongations d'une structure discursivevaseuse,elleobligeaitl'auteuràfaireœuvredelecteur,c'est-à-direàvaliderdesanticipations, en gâchant ainsi un effet final par ailleurs déjà abondammentcompromis.

7.4.FABULAEOUVERTESETFABULAEFERMÉESLeschoixprévisionnelsfaitspar le lecteurn'ontpas tous lamêmevaleurde

probabilité.Etantdonnéuneprobabilitéinitiale(etthéorique)de1/2,lediscourss'occupe de changer le rapport. Si les scénarios intertextuels disponiblestravaillentà réduire lespossibilités, l'auteurpeut toujourschoisir lescénario lemoins probable. Et naturellement la malice inférentielle et l'étendueencyclopédique du lecteur interviennent. Certaines narrations peuvent aussi sechoisirdeuxLecteursModèles,l'unplus"astucieux"quel'autre;oualorsellespeuventprévoirunLecteurquigranditenastuceàlasecondelecture(commele

Page 122: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

faitUndramebienparisien).D'autrepart,unlivretrouveratoujoursdeslecteursnonmodèlesquiexercerontlescomportementsprévisionnelslesplusvariés–etilyena,des lecteursdeSue,qui, lorsque l'auteuraadmisqueFleur-de-MarieétaitlafilledeRodolphe,sonttombésdesnues.Enfin,onpeutraconterdefaçonprévisibleoudefaçonsurprenante. Maislàn'estpasl'oppositionquinousintéresse:elleestassezintuitiveetsurcette base on peut construire aussi des typologies plus subtiles. Ce qui nousintéresseplutôt,c'estuneautreopposition,cellequiexisteentrefabulaeouvertesetfabulaefermées.Bienentendu,onidéaliselàdeuxtypesthéoriques,carilestévidentqu'aucunefabulaneserajamaistotalementouvertenitotalementfermée,etquel'onpourraitoudevraitétablirunesortedecontinuumgraduéoùsituerlesdiversesnarrations,chacuneàlaplacequiluirevient–aumoinspargenres. Le diagramme (a) représente un modèle de fabula fermée alors que lediagramme(b)représente,assezschématiquement,unefabulaouverte:

Danslecas(a)noussommesdansunesituationanalogueàcelledumanueld'échecsdontonparlait en7.2.Achaquedisjonctiondeprobabilité, le lecteurpeut hasarder différentes hypothèses et il n'est pas du tout à exclure que lesstructuresdiscursives l'oriententmalicieusementverscellesqui sontàécarter :maisilestclairqu'iln'yauraqu'uneseulebonnehypothèse.Lafabula,aufuretàmesurequ'elle se réalise et se dispose le longde son axe temporel, vérifie lesanticipations,exclutcellesquinecorrespondentpasàl'étatdeschosesdontelleveutparler;àlafin,elleauratracéunesortedelignecosmologiquecontinueoù(dansleslimitesdumondeconstruitparlerécit)cequiestarrivéestarrivéetcequin'estpasarrivén'aplusd'importance(aulecteurimprudentdesemordrelesdoigts,d'aller relire lespartiesdu textesurvolées trophâtivement,dedire"Etpourtant, j'aurais dû le comprendre ! " comme cela se passe pour celui quireferme,dupé,CinqHeuresvingt-cinq).Cetypedefabulaestfermécarellenepermetàlafinaucunealternativeetéliminelevertigedespossibles.Lemonde(delafabula)estcequ'ilestd. Le diagramme (b) nousmontre au contraire comment peut fonctionner une

Page 123: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

fabulaouverte.Danssaschématicité,cediagrammenousmontreuneouvertureàl'étatfinaldelafabula,maisundiagrammeplusminutieuxetarticulé(moinsenarbre et plus rhizomatique) pourrait nousmontrer des histoires qui génèrent àchaque pas ces ouvertures (une fois encore nous pensons àFinnegansWake).Maisrestons-enaumodèleminimal.Unefabuladecegenrenousouvre,àlafin,différentes possibilités prévisionnelles, chacune étant en mesure de rendrecohérente (en accord avec quelques scénarios intertextuels) l'histoire toutentière;oubienaucunen'étantcapablederestituerunehistoirecohérente.Quantautexte,ilnesecomprometpas,ilnefaitpasd'affirmationssurl'étatfinaldelafabula : il prévoit un Lecteur Modèle si coopératif qu'il est à même de sefabriquersesfabulaetoutseul. Iln'estpasnécessairedepenseràdesfabulaetrop"atonales"(bienqu'ellesexistent,dunouveauromanàBorgesouàCortazar,enpassantparleshistoiresqueracontentlesfilmsd'Antonioni).IlsuffitdepenseràlafindeGordonPymdePoe. Quellequesoitlanaturedelafabula(ouverteoufermée),ilnoussemblequecequinechangepas,c'estlanaturedel'activitéprévisionnelleetlanécessitédespromenades inférentielles.Cequichange,c'est seulement (etcen'estpas rien)l'intensitéetlavivacitédelacoopératione. aLastructuredestrajetsMilan-Siennepeutseprésentersouscetteforme:

bLanotiondepossibilité,ausensoùnousl'employons,n'estpasvaguedutout.Nousenvoulonspourpreuve leNuovo Orario Grippaudo Tutta Italia – Estate 1978. A la page 3 les deux possibilités sontreprésentéessurdescartes.ToutefoisonréserveàlapossibilitéFlorence-Empoli-Siennelecadre26,oùoncertifiequ'ilestpossiblede fairece trajet sansprendredecorrespondance.L'autrealternative requiertenrevanchebeaucoupplusd'initiativedelapartdulecteurqui,enpassantducadre11aucadre26,doitétudiertouteslescorrespondancespossibles.Engros,lasecondealternativenécessitetroisheuresetdemiecontredeuxheures (etmêmemoins) pour la première.C'est pourquoi, si c'était la variable temps qui jouait, laprévisionqu'unsujetchoisirait lapremièrealternativeserait,dupointdevuede laprobabilité,gagnante.Naturellement cela dépend des variables qui dans un texte sont données par la description de l'individuagent.DisonsquePhiléasFoggaurait choisi la route laplus courtemaisqueCendrars etButor auraientchoisicelledeTerontola. cCf.aussiKristeva,1969et1970.VoiraussilanotiondecodeproaïrétiqueinBarthes,1970. d En fait il existe une troisième possibilité : une fausse requête de coopération. Le texte fournit desindicesdestinés àdésorienter le lecteur, en lepoussant sur lavoiedeprévisionsque le texten'accepterajamaisdevérifier.Toutefois,letexte,aprèsavoircontreditlesprévisions,lesconfirme.Situationquinousamèneraitaumodèle(b)delafabulaouverte,saufqueletexteempêcheexplicitementlelecteurdefairesespropreschoix librementetquemêmeilsoulignequ'aucunchoixn'estpossible.C'est lecasdeUndramebienparisien.

Page 124: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

e Voir dans l'Œuvre ouverte comment l'intensité de la coopération requise peut devenir un élémentd'évaluationesthétiquedel'œuvre.

Page 125: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

8

.STRUCTURESDEMONDES

8.1.EST-ILPOSSIBLEDEPARLERDEMONDESPOSSIBLES?Onadéjàvucommentunconceptdemondepossibleestindispensablepour

parler des prévisions du lecteur. Revenons unmoment encore sur le texte n :quandRaoullèvelamain,lelecteurestamenéàavanceruneprévisionsurlefaitqueRaoulfrapperaounon.Lelecteurassumeuneattitudepropositionnelle : ilprévoitoucroitp (= "Raoul frapperaMarguerite ").Comme le textenous ledira,lafabuladanssonétatsuccessifcontrediracetteprévision:RaoulnefrappepasMarguerite.Laprévisiondulecteur(à"jeter")restecommel'ébauched'uneautrehistoirequiauraitpuarriver(etquinarrativementn'estpasarrivée). Il est important de souligner à nouveau la différence entre explicitationsémantique et prévision narrative : actualiser, face au lexème |homme|, lapropriété d'être humain ou d'avoir deux bras signifie assumer le monde del'histoirecommemonde"réel"(etdonccommemondeoù,jusqu'àaffirmationcontrairede l'auteur,cesont les loisdumondedenotreexpérienceetdenotreencyclopédiequisontenvigueur).Enrevanche,prévoircequivasepasserdanslafabulasignifieavancerdeshypothèsessurcequiest"possible"(cf.7.2pourlafaçondecomprendrelanotiondepossible). Maintenant,nouspouvonsnousdemanders'ilestlégitimed'emprunter,danslecadred'unesémiotiquedestextesnarratifs,lanotionde"mondepossible"àlalogiquemodaleoùelleaétéélaboréepouréviterunesériedeproblèmesliésàl'intensionalitéen lesrésolvantdansuncadreextensionnel.Maispourcefaire,une sémantique logique des mondes possibles ne doit déterminer ni lesdifférences concrètes de signifié entre deux expressions ni le code nécessairepour interpréter un langage donné : " La théorie sémantique traite l'espaced'entités et de mondes possibles comme des ensembles dépouillés etindifférenciés, dépourvus d'une quelconque structure, et même si l'espace deslaps de temps est au moins un ensemble ordonné, il est normal et opportun

Page 126: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

d'imposer aux relations d'ordre lemoins de contraintes possible " (Thomason,1974:50). Or,cequenousessayonsdefairedanscelivreesttoutlecontraire:nousnousintéressons aux occurrences concrètes tant des explicitations sémantiques quedes prévisions ; donc, du point de vue d'une sémiotique textuelle, un mondepossible n'est pas un ensemble vide mais bien un ensemble plein, ou, pouremployeruneexpressioncourantedanscequiestécritàcepropos,unmondemeublé.Ainsi,nousnedevonspasparlerdetypesabstraitsdemondespossiblesqui ne contiennent pas de listes d'individus (cf. Hintikka, 1973, 1) mais demondes"gravides"dontilnousfautconnaîtrelesindividusetlespropriétés. Seulement,unedécisiondecegenreprêteleflancàdenombreusescritiques,certainesayantétéavancéesparVolli(1978).LescritiquesdeVollivisenttroisobjectifs:l'emploiexcessiffaitdanslesmilieuxlogiquesdelamétaphorede"monde possible " ; la notion substantive et ontologique qui circule dans desthéoriesmodalesàorientationmétaphysique;enfin,l'emploidelacatégoriedemonde possible dans les analyses textuelles. Si nous approuvons les deuxpremièrescritiques,nousréfutonslatroisième.

Volli observe que la notion demonde possible est employée dans bien descontextes philosophiques comme métaphore qui vient, entre autres, de lascience-fiction(c'estvrai,maisilestvraiaussiquelascience-fictionapriscettenotion chez Leibniz et ses semblables). Quand elle sert à traiter des entitésintensionnellesentermesextensionnels,lanotionestlégitimemaisl'emploidelamétaphore n'est pas essentiel à la théorie. De plus, de nombreuses définitionsdonnées en termes de logique modale peuvent laisser perplexe : dire qu'unepropositionpestnécessairequandelleestvraiedanstouslesmondespossiblesetdireensuitequedeuxmondessontmutuellementpossiblesquandeneuxsontvalables les mêmes propositions nécessaires, ce n'est pas autre chose qu'unepetitio principii. Et cela est valable aussi pour la définition de propositionspossibles(quidevraientêtrevraiesaumoinsdansunmonde). Certaines théories,quimanifestentdedangereuses tendancesmétaphysiques,sontensuitepasséesd'unenotion"formelle"àunenotion"substantive"."Dupointdevueformel, |mondepossible|estunnompourunestructured'uncertain type, ledomained'une interprétationà laTarski,quisur leplan intuitifpeut bien être justifié par la métaphore du monde ou de la situationcontrefactuelle,maisquiest faitd'unemanière trèsdifférenteetquisurtoutest

Page 127: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

caractérisépardespropriétésdetypetrèsdifférentdecellesquisontattribuéesplus oumoins intuitivement à une entité par ailleurs assez confuse commeun'monde' (par exempleunmondepossible formel 'n'existe' pas,ouplutôt il a lamême réalité que les figures géométriques ou les nombres transfinis...). Lanotionsubstantivedemondepossibleenfait,parcontre,quelquechosequi'n'estpasactuelmaisquiexistea,etquiestdécritplusoumoinssommairementparleformalisme.Cetteconceptionsubstantivesemblesupposerquelaréalitén'estpasunealternativepossibleparmitantd'autresmaisunealternativepossibleàcôtédetantd'autres,àlaseuledifférenceprès(maisplutôtineffable)qu'elleestlà."

NoussouscrivonsàcettecritiquedeVollietdanslechapitreprécédent(7.2)nousavonsessayédedéfinirlesensstructuraloùl'onpeutentendrelanotiondepossibilité : il est clair, même intuitivement, qu'il y a une différence entre lapossibilité que m'offre le réseau ferroviaire d'aller de Florence à Sienne viaEmpoli et la possibilité queVolli ne soit pas né.Cette dernière possibilité estcontrefactuelle et on avère le fait (plutôt ineffable) que Volli est né. Mais lapossibilitéd'allerdeFlorenceàSienneviaEmpolin'estpascontrefactuelledanslemêmesens:lecosmos(enadmettantqueletermeaitunsens)estfaitdetellesortequesoitVolliestné,soitVollin'estpasné.Leréseauferroviaireestfaitaucontrairedetellesortequ'ilesttoujourspossibled'accomplirunchoixalternatifentreEmpolietTerontola. Pouvons-nous paraphraser Vico en suggérant que possibile ipsum factum,c'est-à-direqu'il est trèsdifférent deparler despossiblescosmologiques et despossiblesstructuraux,inscritsdansunsystèmeconstruitparlaculture,commelesontlesréseauxferroviaires,leséchiquiersetlesromans?

MaisVollin'enrestepaslà.Aprèsavoircritiquéàraisonlanotionsubstantive,ilajoute:"Maisc'estaussi laconceptionquiestàlabasedecertainsemploisapparemmentnoncompromettantsdelanotiondemondepossible,commeceuxquionttraitauxattitudespropositionnellesouauxanalyseslittéraires." Parlonsclair.Onpourraitmeneràfondunecritiquedelanotiontellequ'elleestemployéeparlasémiotiquetextuellebenmisantsurladifférence(cruciale)entre ensembles vides de mondes, comme les emploie la logique modale, etmondes " individuels "meublés. Il suffirait de dire que ce n'est pas lamêmechose. En effet : il s'agit de deux catégories qui fonctionnent dans des cadresthéoriques différents. Dans les pages suivantes on empruntera de nombreusessuggestionsàlalogiquemodale,maisdanslebutdeconstruireunecatégoriede

Page 128: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

mondepossiblepleinmiseaupointàdesseinpourservirunesémiotiquedutextenarratif.Quand nous aurons payé nos dettes et reconnu nos emprunts, il noussuffirad'affirmerqu'il s'agitd'unecatégorien'ayantavec l'autrequ'une relationd'homonymie.Exceptéque,sipourlalogiquemodalec'estunemétaphore,pourunesémiotiquedutexteelledevrafonctionnercommereprésentationstructuraled'actualisationssémantiquesconcrètes.Etnousverronscomment.Parexemple,la notion sémiotico-textuelle ne permet pas de calculs mais elle permet lacomparaison entre structures et l'énonciation de quelques règles detransformation. C'est plus qu'il n'en faut ici. Et si nous prenons le risque del'homonymie (nous aurions pu parler d' " univers narratifs " ou d' " histoiresalternatives "), c'est que, tout compte fait, nous pensons qu'une théorie desmondes possibles textuels, avec tout ce qu'elle comporte pour redéfinir desconceptscommepropriétésnécessairesetessentielles,alternativité,accessibilité,peutaussifournirquelquessuggestionsàceuxquitravaillentdanslesdisciplinesauxquellesonaempruntécescatégories. Loin de se mesurer sur ce front (critique des conditions méthodologiquesd'ameublement forcédesmondes),Volli ironise sur les finalités qui pourraientorienterceuxquiparlentdemondespossiblestextuels.Ilcritiqueimproprementl'application de cette notion à des mondes narratifs en se demandant : quesignifiedirequelemondeoùjevisestunmondepossible?IlciteQuinequi,lui,s'interrogeavecsarcasme:unpossiblemonsieurchauvedansl'embrasured'uneporteest-illemêmequ'unpossiblemonsieurgrasdansl'embrasured'unemêmeporte, et combien demessieurs possibles peuvent tenir dans l'embrasure d'uneporte?C'estlàunmauvaisservicerenduàunphilosophequiapeut-êtreletortdenepascroireàlalogiquemodalemaisquiabiend'autresmérites.Quiaditque ceux qui parlent demondes textuels s'intéressent au nombre demessieursqui tiennent dans l'embrasure d'une porte? Ils cherchent plutôt à connaître ladifférencestructuralequ'ilyaentreunehistoireoùŒdipes'aveugleetJocastesependetunehistoireoùJocastes'aveugleetŒdipesepend.Ouencore,entreunehistoireoùlaguerredeTroieaeulieuetunehistoireoùlaguerredeTroien'apaseulieu.EtquesignifieraconterdansuntextequeDonQuichottes'élanceàl'assaut des géants et que Sancho Pança le suit demauvais gré à l'assaut desmoulinsàvent?EtAgathaChristie,quellehistoireprévoyait-ellequelelecteurconstruirait pour dénouer les péripéties de Cinq Heures vingt-cinq, tout ensachantqueceseraitunehistoiredifférentedecellequ'elleallaitmeneràterme,mais tout en comptant pourtant sur cette diversité comme le joueur d'échecscompte sur le coup raté que l'adversaire (si possible) jouera en réponse, aprèsavoirétéhabilementattirédanslepièged'ungambit?

Page 129: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

C'est la représentation structurale de ces possibilités qui intéresse unesémiotiquetextuelle,etnonpaslaquestionangoisséequeVollis'adresse(fût-cerhétoriquement) quand il se demande s'il existe dans tous les mondes qu'ilespère, imagine ou rêve, ou seulement dans celui où il affirme exister. "Moij'existe – dit-il –, Emma Bovary non (Emma Bovary a sa réalité culturelle,existante,actuellemaiscelanefaitpasdutoutd'elleunechosequiestlà)."Zutalors!NousquidepuisdesannéesfaisionsletourdetouteslesfêtesforainesdeFranceetdeNavarrepouressayerdelarencontrer...!Touteplaisanteriemiseàpart, c'est précisément la nature bizarre des opérations extensionnelles qu'unlecteuraccomplitdans les limitesdecesexistencesculturellesquenousallonstenter d'éclaircir ici. Un monde culturel est meublé mais il n'en est pas pourautantsubstantif.Direquel'onpeutdécrireentermesd'individusetdepropriétéscemondeplein,cen'estpasdirequ'onluiattribueunequelconquesubstantialité.Iln'estpas làdans le sensoùest là lamachineàécrire sur laquelle je suisentraindetaperceslignes.Maisilestlàdanslesensoùestlàlesignifiéd'unmot:à traversdifférents interprétants, jepeuxendonner lastructurecomponentielle(misàpartlefaitque,dansl'espritdesgens,quandoncomprendlesignifiéd'unmot il devrait se passer quelque chose, une étrange histoire de synapsie et dedendrite dont nous ne nous occuperons pas ici mais qui ne doit pas être trèsdifférente du réseau ferroviaire). Et s'il est permis de représenter le tissud'interprétantsquiconstituelesignifiéde |chat|,pourquoin'est-ilpaspermisdereprésenterletissud'interprétantsquiconstituel'universoùagitleChatbotté? Oui,maisvoilà.C'estjustementlemondeduChatbottéquidérangeVolli,ouplusexactement–maiscelarevientaumême–celuiduPetitChaperonrouge.Vollistigmatise les tendancesàreprésenter lemondede lafableet lesmondesdesattitudespropositionnellesduPetitChaperonrougeoudelaMère-Grandendisantqu'ilpècheparfixitéphotographiqueetparnaturalisme.D'accordpourlafixitéphotographique:pouranalyserunfilmonlebloqueenphotogrammes,onperd ladiégèsemaison trouve lasyntaxe. Ilestdonccertainque l'entrepriseàlaquelle nous nous attelons s'exposera à tous les risques que court celui quitravaillesurunMoviola.Quantàl'accusationdenaturalisme,ellevoudraitdireque parler de mondes textuels équivaut à entendre la narrativité en réalistestalinienpourquiunenarrationdoitreprésenterphotographiquementlaréalité. Maislaquestionn'estpas,ici,desavoirsi,etcomment,unromanreprésentelaréalité,ausensduréalismenaïf.Cesontdesproblèmesesthétiques.Lesnôtressontplushumblementd'ordresémantique.Cequinousintéresse,c'estlefaitquequiconquelisant–audébutd'unroman–|JeanallaàParis|estamené,mêmes'il

Page 130: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

s'agit d'un admirateur de Tolkien ou d'Ursula Le Guin, à actualiser commecontenu de l'énoncé que quelque part il existe un individu appelé Jean qui vadansunevilleappeléeParis,villedontiladéjàentenduparlerendehorsdecetexte parce qu'elle est citée dans le livre de géographie comme capitale de laFrance dans ce monde. Il peut même l'avoir visitée personnellement.Mais siensuiteleromancontinuepar|arrivéàParis,Jeanallahabiterdansunechambred'hôtelausommetdelatourEiffel|,noussommesprêtsàjurerquenotrelecteur,s'il a une encyclopédie tant soit peu étoffée, décideraqu'au sommetde la tourEiffel,danscemonde, iln'yapasd'hôtels.Maismalgrécela, ilneseplaindrapasqueleromanne"représente"pascorrectementlaréalité:toutsimplementilchoisirauneautreattitudeinterprétativeetdécideraqueleromanluiparled'ununivers un peu étrange où il y a Paris, comme dans le nôtre,mais où la tourEiffelest faitedifféremment. Il seprépareraéventuellementàaccepter l'idée–rienmoins–qu'àParis iln'yanimétroniSeinemaisunlacetunsystèmedevoies surélevées dessiné parMoebius. C'est-à-dire qu'il fera des prévisions enaccordaveclesindicationsqueletexteluiadonnéesàproposdutypedemondeauquelildoits'attendre.Quantauproblèmede"complétude"quecesmondestextuelsdevraient(etnepeuventpas)avoir,nousenreparleronsen8.9c. Pour conclure, nous dirons donc que : a il semble difficile de procéder à lafondationdes conditionsdeprévision sur les états de la fabula sans construireunenotionsémiotico-textuelledemondepossible; k cettenotion,commeon ledira, doit être prise comme instrument sémiotique et on doit lui imputer lesdéfautsqu'ellepourraitprésenteretnonpasceuxqueprésententd'autresnotionshomonymes; (III) s'il estvraique lanotiondemondepossible est arrivée à lalogiquemodaleparlalittérature,pourquoinepasl'yramener?;ac'estjustementen essayant de représenter la structure d'une histoire comme Un drame bienparisienqu'ilnousestapparuindispensablederecourirauxmondespossibles. Par ailleurs, nous devons à Alphonse Allais un très beau slogan (qui, sansl'ombre d'un doute, était pour lui un programme de poétique) que noustransmettons aux logiciens qui s'inquiéteraient de l'usage que nous ferons d'unconceptquileurappartient:"Lalogiquemèneàtout,àconditiond'ensortir."

8.2.DÉFINITIONSPRÉLIMINAIRESNous définissons commemonde possible un état de choses exprimé par un

ensemble de propositions où, pour chaque proposition, soit p, soit non-p.

Page 131: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Comme tel, un monde est constitué d'un ensemble d'individus pourvus depropriétés.Commecertainesdecespropriétésouprédicatssontdesactions,unmonde possible peut être vu aussi comme un cours d'événements. Comme cecoursd'événementsn'estpasactuel,maispossiblejustement,ildoitdépendredesattitudespropositionnellesdequelqu'unquil'affirme,lecroit,lerêve,ledésire,leprévoit,etc. Cesdéfinitionssont formuléesdansunegrandepartiede la littératuresur lalogiquedesmondespossibles.Certains,enoutre,comparentunmondepossibleàun"romancomplet",c'est-à-direàunensembledepropositionsquinepeutêtreenrichisanslerendreinconsistant.Unmondepossibleestcequeceromancompletdécrit(Hintikka,1967et19696).SelonPlantinga(1974:46)–dontlestendances ontologisantes nous inquiètent par ailleurs –, toutmonde possible asonpropre"livre":pourtoutmondepossibleW,lelivresurWestl'ensembleSdepropositions, tel quep estmembredeS siW implicitep. "Tout ensemblemaximaldepropositionsestlelivresurquelquemonde." Evidemment,direqu'unmondepossibleéquivautàuntexte(ouàunlivre)nesignifie pas dire que tout texte parle d'un monde possible. Si j'écris un livrehistoriquementdocumentésurladécouvertedel'Amérique,jemeréfèreàcequenous définissons comme le monde " réel ". En en décrivant une portion(Salamanque, les caravelles, San Salvador, les Antilles...), j'assume commeprésupposéouprésupposabletoutcequejesaissurlemonderéel(parexemplequel'Irlandesetrouveàl'ouestdel'Angleterre,quelesamandiersfleurissentauprintemps et que la somme des angles internes d'un triangle fait cent quatre-vingtsdegrés). Que se passe-t-il au contraire quand je trace les contours d'un mondefantastiquecommeceluid'une fable?En racontant l'histoireduPetitChaperonrouge, je meuble mon monde narratif avec un nombre limité d'individus (lapetitefille,lamaman,lagrand-mère,leloup,lechasseur,deuxcabanes,unbois,un fusil, un panier) pourvus d'un nombre limité de propriétés. Certaines desassignationsdepropriétésàdesindividussuiventlesmêmesrèglesquelemondede mon expérience (par exemple, le bois de la fable aussi est fait d'arbres),certainesautresassignationsnevalentquepourcemonde :parexemple,danscette fable, les loups ont la propriété de parler, les grand-mères et les petitesfillescelledesurvivreaprèsavoirétéingurgitéesparlesloups. A l'intérieur de ce monde narratif, les personnages prennent des attitudespropositionnelles : par exemple, le Petit Chaperon rouge pense que l'individudanslelitestsagrand-mère(alorsquelelecteurdelafableacontreditàl'avance

Page 132: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

la croyance de la petite fille). La croyance de la petite fille est une de cesconstructionsdoxastiques,mais il n'empêche qu'elle appartient aux états de lafabula.Ainsi,lafabulanousproposedeuxétatsdechoses,l'unoùdanslelitilyaleloupetl'autreoùdanslelitilyalagrand-mère.Nous,noussavonstoutdesuite(maislapetitefillenelesaitpasjusqu'àlafindel'histoire)quel'undecesétats estprésenté commevrai et l'autre comme faux.Leproblèmeestd'établirquels rapports existent, en termes de structure de monde et de mutuelleaccessibilité,entrecesdeuxétatsdechoses.

8.3.LESMONDESPOSSIBLESCOMMECONSTRUCTIONSCULTURELLES

Un monde possible est une construction culturelle. En termes très

intuitivementréalistes,lemondedelafableduPetitChaperonrougeainsiquelemonde doxastique de la petite fille ont été " faits " par Perrault. S'agissant deconstructions culturelles, nous devrions être très rigoureux pour en définir lescomposantes : étant donné que les individus sont construits par additions depropriétés, nous ne devrions considérer comme primitifs que les propriétés.Hintikka(1973)amontrécommentonpeutconstruirediversmondespossiblesàtravers les différentes combinaisons d'un même paquet de propriétés. Etantdonnélespropriétés

elles peuvent être combinées de façon à constituer quatre individus différentsdelamanièresuivante:

rouge rond

x1 + +x2 + -x3 - +x4 - -

desortequel'onpeutimaginerunW1oùexistentx1etx2etpasx3etx4,etunmondeW2oùexistentseulementx3etx4. Il est clair, au point où nous sommes, que les individus se réduisent à descombinaisons de propriétés. Rescher (1973 : 331) parle de monde possible

Page 133: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

commed'unensrationisoucomme"uneapprocheauxpossiblescommeàdesconstructions rationnelles " et propose une matrice (à laquelle nous auronsrecours par la suite) avec laquelle onpeut combiner des paquets depropriétésessentielles et accidentelles pour délimiter divers individus. Donc, le PetitChaperon rouge, dans le cadre de l'histoire qui le construit, n'est que leconglomérat spatio-temporel d'une série de qualités physiques et psychiques(sémantiquement exprimées comme " propriétés "), parmi lesquelles aussi lespropriétés d'être en relation avec d'autres conglomérats de propriétés,d'accomplircertainesactionsetd'ensubird'autresd. Toutefois,letexten'énumèrepastouteslespropriétéspossiblesdecettepetitefille : en nous disant que c'est une petite fille, il confie à nos capacitésd'explicitationsémantique ledevoird'établirqu'elleestunêtrehumaindesexeféminin,qu'elleadeuxjambes,etc.Letextenousorientedonc,saufindicationscontraires, vers l'encyclopédie qui règle et définit lemonde " réel ".Quand ildevraopérerdescorrections,commedanslecasduloup,ilnouspréciseraquecedernier"parle".Ainsi,unmondenarratifemprunte–saufindicationscontraires–despropriétésdumonde"réel",et,pourfairecelasansgaspillaged'énergie,ilmetenjeudesindividusdéjàreconnaissablescommetels,sanslesreconstruirepropriété par propriété. Le texte nous fournit les individus à travers desnomscommunsoupropres. Et cela pour de nombreuses raisons pratiques. Aucun monde narratif nepourrait être totalement autonome du monde réel parce qu'il ne pourrait pasdélimiter un état de choses maximal et consistant, en en stipulant ex nihilol'entier ameublement d'individus et de propriétés. Un monde possible sesuperpose abondamment aumonde " réel " de l'encyclopédie du lecteur.Cettesuperposition est nécessaire pour des raisons pratiques d'économiemais aussipourdesraisonsthéoriquesplusradicales. Nonseulementilestimpossibled'établirunmondealternatifcomplet,maisilest aussi impossible de décrire commecomplet lemonde " réel ".Mêmed'unpointdevueformel, ilestdifficiledeproduireunedescriptionexhaustived'unétat de choses maximal et complet (justement, on postule éventuellement unensemble de mondes vides). Mais d'un point de vue sémiotique, toutparticulièrement,l'opérationsembledésespérée:l'UniversSémantiqueGlobalnepeut jamais être décrit de façon exhaustive parce qu'il constitue un systèmed'interrelationsencontinuelleévolutionetfondamentalementautocontradictoire(Trattato,2.12et2.13).EtantdonnéqueleSystèmeSémantiqueGlobalestunepurehypothèserégulatrice,nousnesommespasenmesurededécriredemonde

Page 134: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

"réel"commemaximaletcomplet. A plus forte raison, un monde narratif emprunte ses individus et leurspropriétés au monde " réel " de référence. Voilà pourquoi nous pouvonscontinuer à parler d'individus et de propriétés, même si seules les propriétésdevraientapparaîtrecommedesprimitifs.Lesindividusdesmondesnarratifsseprésentent à nous comme préconstitués et toute discussion sur les conditionsépistémologiques de leur constitution relève d'autres types de recherches quiconcernentlaconstructiondumondedenotreexpérience.Cen'estpasunhasardsi Hintikka (1969a) relie le problème des mondes possibles aux questionskantiennessurlapossibilitéd'atteindrelaChoseenSoi.

8.4.LACONSTRUCTIONDUMONDEDERÉFÉRENCEDanslecadred'uneapprocheconstructivistedesmondespossibles,mêmele

monde"réel"deréférencedoitêtreentenducommeuneconstructionculturelle.Quanddans le Petit Chaperon rouge nous jugeons " irréelle " la propriété desurvivreaprèsavoirétéingurgitéparunloup,c'estparcequenousremarquons,même si c'est d'une façon intuitive, que cette propriété contredit le secondprincipe de la thermodynamique. Mais le second principe de lathermodynamiqueestjustementunedonnéedenotreencyclopédie.Ilsuffiraitdechanger d'encyclopédie pour qu'une donnée différente soit valable. Le lecteurancienqui lisaitqueJonasfutengloutiparunebaleineetqu'il resta trois joursdanssonventrepourenressortirindemnenejugeaitpascelaendésaccordavecson encyclopédie. Les raisons pour lesquelles nous, nous estimons notreencyclopédiemeilleurequelasiennesontextra-sémiotiques(parexemplenouspensonsqu'enadoptantlanôtre,onréussitàallongerlamoyennedevieet/ouàconstruire des centrales nucléaires), mais il est indéniable que pour le lecteurancien l'histoire duPetit Chaperon rouge aurait été vraisemblable parce qu'enaccordaveclesloisdumonde"réele". Cesobservationsnetendentpasàrendrevain,d'unefaçonidéaliste,lemonde" réel " en affirmant que la réalité est seulement une construction culturelle(mêmes'ilnefaitaucundoutequenosdescriptionsdelaréalitélesont):notrebutestuniquementdefixerlesconditionspermettantdeparlerd'unmonde"réel" dans le cadre d'une théorie textuelle. En effet, si les différents mondespossibles textuelssesuperposent,commeon l'adit,aumonde"réel"etsi lesmondes textuels sont des constructions culturelles, comment pourrions-nous

Page 135: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

compareruneconstructionculturelleàquelquechosed'hétérogèneetlesrendremutuellement transformables ? Bien sûr en rendant homogènes les entités àcompareretàtransformer.D'oùlanécessitéméthodologiquedetraiterlemonde"réel"commeuneconstruction,etmêmedemontrerquechaquefoisquenouscomparonsuncourspossibled'événementsauxchosestellesqu'ellessont,enfaitnous nous représentons les choses telles qu'elles sont sous forme d'uneconstructionculturelle,limitée,provisoireetadhoc. Unmondepossible,commeonl'adit(8.2),faitpartiedusystèmeconceptueldequelqu'unetdépenddesesschémasconceptuels.SelonHintikka(1969a),lesmondespossiblessedivisentendeux:ceuxquisontenaccordavecnosattitudespropositionnellesetceuxquinelesontpas.Encesens,notreengagementenversunmondepossibleest, comme leditHintikka,un fait " idéologique". Ilnoussemblequepar" idéologique"ondoiveentendredanscecas"quelquechosequidépenddel'encyclopédie".Siacroitquep,ditHintikka,celasignifiequepest lecasdans tous lesmondespossiblescompatiblesavec lescroyancesdea.Lescroyancesdeapeuventêtreaussidesopinionstrèsbanalesquiconcernentun cours d'événements plus oumoins privé,mais elles forment une partie dusystème(plusvaste)detouteslescroyancesquicomposentl'encyclopédiedea(si a croit qu'un certain chien est méchant, c'est parce qu'il croit vraie laproposition selon laquelle les chiens sont des animaux qui peuvent mordrel'homme).SiacroitqueJonaspeutêtreengloutiparlabaleinesansencourirunesériedeconséquencesfâcheusespoursasanté,c'estparcequesonencyclopédieacceptecefaitcommeraisonnableetpossible(siacroitquesonadversairepeutmangersatouravecuncavalier,c'estparcequelastructuredel'échiquieretlesrègles des échecs rendent structuralement possible ce coup). Un homme duMoyenAgeauraitpudirequ'aucunévénementdesonexpériencen'avaitjamaiscontreditl'encyclopédieencequiconcerneleshabitudesdesbaleines.Idempourl'existence des licornes. Plus encore, sa compétence encyclopédique aurait siprofondément influencé, sous forme de schémas mentaux et d'attentes, sadynamiqueperceptiveque,l'heuredujouretladensitédelaforêtaidant,ilauraitfacilement pu " voir " une licorne, même si nous, nous pensons qu'il auraitseulementappliquéd'unefaçonerronéeundesesschémasconceptuelsàcetypedechampstimulantquinouspermettrait,ànous,depercevoiruncerf. Donc, le monde de référence de a est une construction encyclopédique.CommelesuggèreHintikka(1969a)iln'yaaucuneChoseenSoiquipuisseêtredécriteouidentifiéeendehorsdescadresd'unestructureconceptuelle. Mais que se passe-t-il quand on se dispense de cet acte de prudence

Page 136: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

méthodologique ? On considère d'autres mondes possibles comme si on lesregardaitàpartird'unmondeprivilégiépourvud'individusetdepropriétésdéjàdonnés,etcequ'onappelle l'identitéà travers lesmondes(transworld identity)devient la possibilité de concevoir d'autresmondes à partir du nôtref. Refusercetteoptiquenesignifiepasnierquedans les faitsnousavonsuneexpériencedirected'unseulétatdechoses,àsavoirdeceluioùnoussommes.Celasignifieseulementque, si nousvoulonsparler d'états de choses alternatifs (oumondesculturels), il faut avoir le courage méthodologique de réduire le monde deréférenceà leurmesure.Dumoins, tantque l'on faitde la théoriedesmondespossibles (narratifs ou pas). S'il s'agit de vivre, tout simplement, alors vivonsdansnotremondesans se laisseremporterpardesdoutesmétaphysiques.Oui,maisiciilnes'agitpasde"vivre":moi,jevis(jeveuxdire:moiquiécris,j'ail'intuitiond'êtrevivantdansleseulmondequejeconnais),mais,aumomentoùjefaisunethéoriedesmondespossiblesnarratifs, jedécide(àpartirdumondedont j'ai directement l'expérience physique) de réduire ce monde à uneconstructionsémiotiquepour lecompareràdesmondesnarratifs.C'estcommequand je bois de l'eau (claire, douce, fraîche, polluée, chaude ou gazeuse), jebois, tout simplement; mais au moment où je veux la comparer à d'autrescomposéschimiques,jelaréduisàuneformuledestructure. Quand on n'accepte pas ce point de vue, il arrive ce qu'ont déploré, à justetitre, les critiques (déjà citées) faites à la théorie des mondes possibles : parexemple, la qualité pour un monde alternatif d'être concevable estsubrepticementréduiteàmacapacitédepouvoirleconcevoir.Prenonsl'exempledeHuguesetCresswellmentionnéàlanote6:àpartirdemonmonde,jepeuxconcevoirunmonde sans téléphone, à partir d'unmonde sans téléphone je nepeuxpasenconcevoirunavec.L'objectionestévidente:alors,commentMeucciet Graham Bell ont-ils fait? Il est certain que chaque fois que l'on parle depossibles états de choses, il y a la tentation de les interpréterpsychologiquement : nous sommesdans notremonde et notre in-der-Welt-seinagitdetellemanièrequenousconféronsunesortedestatutpréférentielàl'hicetnunc. Et il est curieux de voir comment aux frontières extrêmes de laformalisationlogique,c'estlesensdelaLebensweltquijoueencontraignantlesrusselliensàdevenir,malgréeux,deshusserliensg.Pouréchapperàcerisque,ilsuffit justement de considérer lemonde de référence comme une constructionculturelle–etdeleconstruirecommetel,avectouslessacrificesnécessaires. Certes,ilsembleintuitivementdifficiledeconsidérerd'unpointdevueneutredeuxmondesderéférenceW1etW2commes'ilsétaient indépendantsdenotre

Page 137: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

monde de référence, et plus encore de considérer ce dernier comme un W0

structuralement non différent (pas plus riche et pas plus privilégié) que lespremiers. Mais tout bien considéré, c'est là l'effort qu'a fait la philosophiemoderne, deMontaigne et Locke aux encyclopédistes, quand elle a essayé decomparer "nos "coutumesaveccellesdespeuples sauvages, enéchappantaupréjugés axiologiques de l'ethnocentrisme. Par ailleurs, dans la philosophie dulangageaussi, ilaétéditàplusieursreprises(cf.parexempleStalnaker,1976)que"présent"ou"actuel"(entantqueréférésànotremonde)nesontquedesexpressions indexicales – à savoir des embrayeurs comme les pronomspersonnels ou les expressions comme |ici| et |maintenant|. Une expressioncomme |le monde actuel de référence| indique n'importe quel monde d'où unhabitant jugerait et évaluerait les autres mondes (alternatifs et seulementpossibles).Bref,pourlePetitChaperonrougequijugeraitunmondepossibleoùles loups ne parlent pas, lemonde " actuel " serait le sien, celui où les loupsparlent. C'est pourquoi nous considérerons désormais des expressions comme "accessibilité"ou"conceptibilité"(possibilitéd'êtreconçu)commedesimplesmétaphores qui se réfèrent au problème de la transformabilité mutuelle entrestructuresdemondes.

8.5.LEPROBLÈMEDESPROPRIÉTÉSNÉCESSAIRESConstruire un monde, cela signifie assigner des propriétés données à un

individu donné. Devons-nous dire que certaines de ces propriétés sontprivilégiéespar rapportauxautres–disonsmême"nécessaires "–etqueparconséquent elles sont plus résistantes que les autres aux processus denarcotisation?Queveutdirelalogiquedesmondespossiblesquandelledéfinitles vérités nécessaires comme celles qui sont valables dans n'importe quelmonde? Noustouchonslàauproblèmeconnudanslasémantiquephilosophiquesouslenomde"rapportd'implicitation"(entailment).Voyonsquellesolutiononpeutdonner à cette question du point de vue d'une sémiotique de la coopérationtextuelle. DansUndramebienparisien,auchapitre2,RaouletMarguerite,aprèsunequerelleauthéâtre,rentrentchezeuxdansuncoupé.Quefaitlelecteurquandilrencontre ce lexème ? A travers une opération élémentaire d'explicitation

Page 138: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sémantique,ilrelèvequ'uncoupéestunevoiture(|Ceciestuncoupé|implicite«Ceci est une voiture ») et que par-dessus le marché c'est aussi un véhicule.Toutefois,lesdictionnaireshdisentqu'uncoupéest"unecourtevoiturefermée,àquatreroues,avecunsiègeintérieurpourdeuxpersonnesetunsiègeextérieuràl'avant pour le conducteur ". Dans les dictionnaires anglais, il est parfoisconfonduavecunbrougham,mêmesidansdesencyclopédiespluscomplètesonspécifiequelesbroughamspeuventavoirindifféremmentdeuxouquatrerouesetqu'ilsont,detoutefaçon,unsiègeàl'arrièrepourleconducteur. Il y a bien une raison qui amène de nombreux dictionnaires à faire cetteconfusion : en effet les deux véhicules sont des " voitures bourgeoises ",différentesdesvoiturespluspopulairescommel'omnibusqui,lui,peutcontenirjusqu'àseizepassagers(naturellement,cesdonnéessontprisesdel'encyclopédieen vigueur à l'époque où le récit d'Allais a été écrit, sinon nous devrionsconsidérerlecasd'unlecteuraucodetrèsrestreintquipensequelecoupéestuntyped'automobile). Il faut admettre que les propriétés d'un coupé ne deviennent plus oumoinsnécessaires (ou accidentelles) quepar rapport au topicnarratif, cequi fait quenécessitéetessentialitédépendraientd'unecomparaisoncontextuelle.Quandoncompare un brougham à un coupé, la position du conducteur devientdiagnostique, tandis que le fait qu'ils soient tous deux fermés reste en arrière-plan (pour les propriétés diagnostiques, cf. Nida, 1975). Une propriétédiagnostique est celle qui permetdedéterminer sans ambiguïté les classesdesindividus auxquels on se réfère dans le contexte d'unmonde co-textuel donné(cf.aussiPutnam,1970). Danslechapitreenquestion,letopicdominantest:noshérossontentraindesedisputer;ilyaunsous-topic:ilsrentrentchezeux.Cequiresteimplicite(etqui restematière d'inférence, à l'aide de divers scénarios communs), c'est queRaouletMarguerite,étantuncouplebourgeoisdegensbien,doivent résoudreleurproblèmeenprivé.Ilsontdoncbesoind'unevoiturebourgeoisefermée.Lapositionduconducteurimportepeu.Uncabrioletàcapotemobilegénéralementbaissée ne ferait pas leur affaire dans ce cas, un brougham si. Dans unetraductionanglaisedumêmetextei,"coupé"est traduitparhansomcab–unevoiturequialesmêmespropriétésquelebrougham. Ilsemblepourtantqu'ilyaitunedifférenceentre:êtreunevoiture(propriétéimplicitéepar |coupé|)etavoirquatreroues:estsémantiquementinsoutenable,alorsqueestacceptable.

Page 139: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

(28)Ceciestuncoupémaiscen'estpasunvéhicule

(29)Ceciestuncoupémaisiln'apasquatrerouesDonc, ilyaunecertainedifférenceentrepropriétés logiquementnécessaires

et propriétés accidentelles ou factuelles. A partir du moment où quelquespostulats de signifié (cf. Carnap, 1952) ont été acceptés, un brougham estnécessairementunevoiture(etunvéhicule),maislefaitqu'ilaitdeuxouquatrerouesn'estqu'accidentelj:

Cependant, la différence entre propriétés nécessaires et propriétésaccidentellesdépendd'unesorted'"effetd'optique".Posons-nouslaquestion:pourquoi aucun dictionnaire et aucune encyclopédie, en définissant unbrougham, ne mentionnent-ils sa capacité de se déplacer, d'être tiré par deschevaux, d'être en bois et enmétal ? La réponse est évidente : parce que cespropriétéssontsous-entenduesdanslapropriété,explicitée,d'êtreunevoiture.Sice phénomène d'inclusion n'existait pas (un terme en sous-entend un autre etcelui-ciàsontourensous-entenduntroisième),unereprésentation"méticuleuse"debroughamdevraitavoirleformatsuivant:

Page 140: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

A la vérité, cette représentation devrait être encore plus méticuleuse car «contenant », «mobile », et « cheval » devraient être interprétés à leur tour etainsidesuite,jusqu'àl'infini.Heureusement,nousavonsànotredispositionunesortede sténographiemétalinguistique, et, par soucid'économied'espaceetdetemps, nous évitons d'expliciter dans une encyclopédie ces propriétés quel'encyclopédieadéjàenregistréessousdesarticlesdecaractèrehyperonymique(comme « voiture »), afin qu'elles puissent être appliquées aux coupés et auxbroughamsmais aussi aux victorias, aux berlines, aux landaus, aux cabriolets,auxcalèchesetauxcoches.Etantdonnéqu'ilyalasémiosisillimitéeetquetoutsigne est interprétable par d'autres signes, étant donné que tout terme est uneassertionrudimentaireetquetouteassertionestunargumentrudimentaire,ilfautbien en sortir d'une manière ou d'une autre : on établit alors des règleséconomiquesd'implicitation. Lesprocéduresd'implicitationserventdoncàabrégerunelistepotentiellementinfiniedepropriétésfactuelles.Dansunereprésentationsémantiquetotalement"méticuleuse " il n'y aurait pas de différence entre propriétés nécessaires etpropriétésfactuellesouaccidentelles.Commedanslesexemplesdepostulatsdesignifié fournis par Carnap, où dire qu'un célibataire est un mâle adulte nonmarié ou bien que les corbeaux sont noirs est de la même façon matièred'implicitation. Ilestvraiquedansl'optiquedeCarnapilyaunedifférenceentreL-véritéetvéritéssynthétiques,etquel'onentendparL-implicitation"unexplicatumpourl'implicitation logique ou entailment " (Carnap, 1947:11) ; de sorte quel'implicitation ou entailment est définie comme un cas de vérité analytique.Ainsi, on devrait dire qu'un coupé et un brougham restent analytiquement desvéhicules, alors qu'ils ne sont que factuellement de caractère bourgeois. Selonnous,Quine adéjà excellemment répondu sur cepointdans "Twodogmasofempiricism " (1951) quand il a développé sa critique de la conceptioncarnapienne.Qu'uncoupésoitunevoitureestaussiempirique(aussidépendantdenosconventionssémantiques)quelanotionhistoriqueselonlaquelleilaétéprivilégiéparunpublicbourgeois. Quine observe que, si on entend par vérité analytique une vérité logiquecomme personne ne peut mettre en doute la vérité indiscutable de cettetautologie.Maisilestdifférentdedireou,dansnotrecas,"Aucuncoupén'estdépourvu de la propriété d'être une voiture ". Ici en effet nous n'avons quel'enregistrement lexicographique d'un usage sémantique courant. Pour rendrecettepropositionvraieou fausse,cequicompte,c'est le systèmegénéralde la

Page 141: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sciencequi,entantqu'ensemblesolidaire,établitquellespropositionsdoiventenconstituerlecentre(etlesassumedonccommeanalytiquementincontestables)etquelles propositions doivent en constituer la périphérie, discutable, révisable,sujetteàdesstipulationstransitoires:"Lasciencedanssaglobalitéestcommeunchampde forceoù lespoints limites sont l'expérience. "Qu'il y aitounondansElmStreetunemaisonenbriquenousapparaîtcommeunfaitcontingent,carcelanesemblepasêtresusceptiblededérangerlecentredusystème.Mais,par rapport à la globalité du système, il n'y a pas de différence entre une loiphysiqueetlefaitquedansElmStreetilyaitunemaisonenbrique:c'estnous(la science) qui décidons des propositions auxquelles nous devons conférer lerôledevéritédontlacontestationexigeraitlaréorganisationduchampglobal,etdecellesauxquellesnousneconféronspascerôlek.(30)Aucunhommenonmarién'estmarié,

(31)Aucuncélibatairen'estmariéLaculturedenospèresestun tissud'énoncés.Entrenosmains, elle évolueetchange en passant par de nouvelles révisions et adjonctions plus ou moinsarbitrairesetdélibérées,plusoumoinsoccasionnéesparlastimulationcontinuede nos organes sensoriels.C'est une culture grise, noire de faits et blanche deconventions.Maisjen'aitrouvéaucuneraisonsubstantiellepourconclurequ'ilyaenelledesfilstoutnoirsoud'autrestoutblancs(Quine,1963).

Lesloisd'implicitationsémantiquesontdesélémentsd'unsystèmeglobaldece type : " Quant au fondement épistémologique, les objets physiques et lesdieux diffèrent uniquement par degré et non par leur nature. Les deux typesd'entitésentrentdansnotreconceptionseulemententantquepostulatsculturels." Chaque proposition synthétique aurait le droit de devenir une propositionanalytique"sinousfaisionsdes rectificationssuffisammentdraconiennesdansunequelconquepartiedusystème". Il est curieux que ce soitQuine, justement, que nous ayons dû appeler à larescousse pour arriver à une définition de propriétés applicable dans le cadred'une théorie textuelle des mondes possibles – quand ce concept vient de lalogiquemodalecontrelaquelleilatoujourspolémiqué.Maispeut-êtren'aurait-ilrienàopposeràcettenotiondemondepossible.Quoiqu'ilensoit,nouspouvonsconclure que la différence entre synthétique et analytique dépend de ladétermination du centre et de la périphérie d'un système culturel global ethomogène(quelqu'ensoitleformat!).Nouspouvonsalorsaccepterladéfinition

Page 142: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

de Chisholm (1967:6) selon laquelle une propriété " devient nécessaire sousquelquedescription". Considérons à nouveau les propriétés importantes (mais quelles sont cellesquenousaurionsnégligéespourrendrenotreexempleutilisable?)destroistypesde voituresmentionnées plus haut, selon des critères analytiques élémentaires(où + signifie présence de la propriété, – signifie son absence et 0 =indéterminé).

Lespropriétés de1 à 6 sont importantes dans le contexte deUndrame, lespropriétés7et8nelesontpasetpeuventdoncêtrenarcotisées(tantparl'auteurqueparlelecteur).SupposonsmaintenantquecesoitledirecteurdumuséedesVoituresquidemandeuncoupé.Alorslespropriétésde3à8seraientlesseulesimportantesparcequ'ilveutquelquechosequisedistingueetd'unpousse-pousseet d'un brougham. Pour le reste, il importe peu que le coupé destiné àl'expositionsoitencoremobileetqu'ilpuissevraimentcontenirdespersonnes(àla limite, un modèle en carton ferait tout aussi bien l'affaire). A chacun sespropriétésnécessaires. Pourtantleterme"nécessaire"peutencoresemblerambigu(etd'ailleursnousl'utiliseronsauparagraphe8.15àd'autresfins).Disonsalorsquepourdécrirelespropriétésd'unindividudansunmondetextuel,notreintérêtestdeprivilégierlespropriétésquiapparaissentcommeessentiellesauxbutsdutopicl.

8.6.COMMENTDÉTERMINERLESPROPRIÉTÉSESSENTIELLES

L'essentialité d'une propriété est topico-sensible. C'est le topic textuel qui

Page 143: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

établit la structure minimale du monde en discussion. Cette structure ne peutjamaisêtreglobaleetcomplète,maisellereprésenteunprofilouuneperspective(du monde en question). C'est le profil qui apparaît comme utile pourl'interprétationd'uneportiontextuelledonnée.

Si ma belle-mère se demandait : la réponse serait que, puisque dans sonmonde de référenceW0 je suis décrit (et donc déterminé) uniquement commeson gendre (propriété que l'individu considéré à partir de son mondecontrefactuelW1 ne peut pas avoir), elle pense curieusement à deux individusdifférents, dont le second serait assez imprécis, et elle s'efforce en vain de lesfaire coïncider. Si au contraire quelqu'un (ma belle-mère si on veut) sedemandait : la réponse serait différente. L'individu considéré dans les deuxmondesW0etW1estdanslesdeuxcascaractériséparlapropriétéd'avoirécritcelivre.Donc,s'ilnes'étaitjamaismarié,ilestprobablequecelivren'auraitpascontenu l'exemple dont nous parlons, mais, au moins dans les limites où lecontrefactuel établit un propre co-texte élémentaire, les choses n'auraient pasbeaucoupchangé(saufsionavaitstipulédesprécisionscomme:"L'auteurdecelivrequiestincapabled'écrireendehorsdelachaleurdesafamille...").Nouspouvonsdirequedans lesdeuxmondesnousavonsaffaireaumême individu,exceptédesvariationsdepropriétésaccidentelles.(32)Queseserait-ilpassésimongendren'avaitpasépousémafille?(33)Queseserait-ilpassésil'auteurdecelivrenes'étaitmarié?Ces deux exemples ne resteraient que d'amusants jeux linguistiques s'ils ne

nous servaient pas à approfondir le problème qui nous préoccupe : commentétablirl'essentialitéetl'accidentalitédespropriétésenjeuetcommentconstruirelesmondesderéférence. Rescher (1973) suggère que pour définir un monde possible commeconstructionculturellenousdevonsspécifier: aunefamilled'individusactuelsx1...xn;kunefamilledepropriétésF,C,M...,attribuées aux individus; (III) une " spécification d'essentialité " pour chaquepropriété d'individus, d'après laquelle on peut établir si une propriété lui estessentielle ou pas ; a des relations entre propriétés (par exemple des relationsd'implicitation). EtantdonnéunW1habitépardeuxindividusx1etx2ettroispropriétésF,C,

Page 144: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

M, le signe+ signifie que l'individu en question a la propriété en question, lesigne – signifie qu'il ne l'a pas et les parenthèses marquent les propriétésessentielles:

ImaginonsmaintenantunmondeW2oùilyauraitlesindividussuivantsaveclespropriétéssuivantes:

Un individu enW2 est la variantepotentielle de l'individuprototype enW1

s'ilsdiffèrentseulementdanslespropriétésaccidentelles.Doncy1enW2estunevariantedex1enW1,ety2enW2estunevariantedex2enW1. Unindividuestunsurnuméraireparrapportàunindividud'unautremondepossible,s'ildiffèredeluidanslespropriétésessentiellesaussi.Doncy3enW2

estsurnuméraireparrapportauxindividusdeW1. QuandunprototypedansunmondeW1auneetuneseulevariantepotentielledans un mondeW2, la variance potentielle coïncide avec ce que l'on appelle

Page 145: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

l'identité à travers les mondes ou transworld identity. On ne parle pasnaturellementdescasd'identitéabsolue(mêmespropriétésessentiellesetmêmespropriétésaccidentelles). Enformulantlecontrefactuel(32),mabelle-mèrecompareunmondepossibleW1àunmondederéférenceW0etlesconstruittousdeuxcommesuit:

W0 m px1 (+) +

W1m py1 - +

où m est la propriété essentielle d'être marié avec sa fille et p est unequelconqueautrepropriétéaccidentelle(parexemple,celled'être l'auteurdecelivre).Etant donnéquedans sonmonde contrefactuelW1 apparaîtun individuquin'apaslapropriétéessentiellem,ondoitdirequelesdeuxindividusnesontpasidentiques. Celui qui formule en revanche le contrefactuel (33) compare deuxmondesconstruitsdecettefaçon:

W0m px1 + (+)

W1m px1 - (+)

etilestclairquey1estunevariantepotentielledex1. Enréalité, leschosesnesontpasaussisimples.Danslecasducontrefactuel(32), le fait que le sujet de l'énonciation pense à " son " gendre introduit unecomplicationultérieuretantenW0qu'enW1.Eneffet,endéfinissantl'individuàtraversunerelationausujetdel'énonciation("Celuiquiestcaractériséparunecertaine relation avec le sujet de l'énonciation "), onpose aussimabelle-mère

Page 146: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

parmi les individus dumonde de référence (et dumonde contrefactuel) et onfournit de l'individu en question une description relationnelle. Comme on leverraen8.15,onintroduit icidesrelationsS-nécessaires.Maispour l'instant ilnoussuffitdemontrercommentlaconstructiondumondederéférencedépendd'un topic textuel : en (32) le topic était " état civil dugendredeMmeUntel"tandisqu'en(33)ilétait"étatcivildel'auteurdulivreTel". Cette solution que nous proposons nous permet de résoudre une objectionavancéeparVolli (1978)sur lerapportentremondepossibleetmonde"réel"auquel le premier se superpose fatalement (à cause de l'impossibilité de leformulercommecomplet).Volliobservequ'ennousréférantaumonde"réel"nous serions obligés de considérer toutes les propositions qui, en termesd'encyclopédie,valentenlui:parexemple,quelaterreestronde,que17estunnombrepremier,queHawaiiestdanslePacifique,etc.,probablementàl'infini.Notresolutionalemérited'épargneràmabelle-mèreuntravailénorme,dontonsedoutebienqueVollilui-mêmel'évite,quandlematinilsedemandecequisepasseraits'ilmettaitunT-shirtLacosteaulieud'unT-shirtFruitoftheLoom.Letopic textuel a établi quelles sont les propriétés qui doivent être prises enconsidération : toutes les autres, encore que non niées, sont narcotisées parl'auteuretnarcotisablesparlelecteur.Danslecontrefactuel(33),lefaitquej'aieou non deux jambes n'est pas pertinent (même si on ne s'attend pas à ce quel'éventuellesuitedutextelenie);cequiestpertinent,c'estcequeveutdire,parentailment,|livre|ou|auteur|.Lefaitdeconstruirelemondederéférenceaulieude prendre le nôtre tel qu'il est est d'un grand secours pour la sémiotiquetextuelle, mais c'est aussi une aide incontestable pour les méninges de toutepersonnenormalementconstituéequi,étantdonnéuneproposition,nevapassedemanderquellessonttouteslesconséquenceslogiquespossiblesnicombienilyenam.

8.7.IDENTITÉLevraiproblèmedel'identitéàtraversdesmondesestdedéterminerquelque

chose comme persistant à travers des états de choses alternatifs. Tout bienconsidéré,celanousramèneauproblèmekantiendelaconstancedel'objet.Maisdanssesobservationsàcesujet,Bonomi(1975:133)rappellequel'idéedel'objetdoitêtreliéeàsaconstanceàtraversdemultipleslocalisations.Ainsi,lanotiond'identité à travers des mondes doit être analysée à partir de la notionhusserlienned'Abschattung,c'est-à-diredesdiversprofilsquej'assigneàl'objet

Page 147: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

demonexpérience.Or,établirceprofil,cen'estpasautrechosequedélimiteruntopictextuel. Chisholm(1967)avaitproposéunW0habitéparAdam(quiselonlaBibleavécu930ans)etNoé(quiavécu950ans).Puis ilavaitcommencéàdélimiterdesmondesalternatifsoù,graduellement,AdamvivaitunandeplusetNoéunandemoins,jusqu'àenarriveràunmondepossibleoùAdamavaitvécu950ansetNoé930 ans,mais aussi oùAdams'appelaitNoé etNoéAdam.Ace stadecependant, Chisholm ne donnait pas l'unique réponse qui nous sembleraisonnable pour définir l'identité de nos deux amis ; il n'avait pas décidé àl'avancedespropriétésauxquellesils'intéressaittextuellement.Commetoujours,la réponse dépend de la question. Si l'expérience de Chisholm concernaitl'identité du premier homme, aucun changement dans le nom ou dans l'âgen'aurait pu porter atteinte à l'identité du personnage en question. Tout dépendbien sûr du fait qu'il ait été postulé oupas d' " accrocher " aunom |Adam| ladescription "Celuiqui est connuessentiellement comme lepremierhomme".Ensomme,danscetexemple,onnepeutpasjouersurlessimples"désignateursrigides " que seraient les noms propres selonKripke (1971a). Il faut établir àtraversquelledescriptiondéfinie(dans lecadred'un textedonné)onattribueàAdamlespropriétésessentielles.NouspensonsquepourDarwinouTeilharddeChardin,lefaitquelepremierhommes'appelleAdamouNoéetqu'ilait900ou1000ansauraitététoutàfaitaccidentel.Poureux,l'intérêtétaitdeparlerd'unxdéfinicomme"lepremierhommeapparusurlaterre". QuandHintikka(1969b)dit:«SijevoisunhommesansêtresûrquecesoitJohnouHenryoun'importequid'autre,cethommeseradetoutefaçonlemêmedans tout monde possible parce que c'est l'homme que je vois à ce momentprécis », il soulève en termes d'évidences perceptives le problème du topictextuel, c'est-à-dire de ce dont je suis en train de parler en cemoment. Etantdonnéquemaquestionest"Quiestl'hommequejevoisàcetinstant?",l'uniquepropriété essentielle de cet individu est celle d'être celui que je vois : mesbesoinsmatérielsetempiriquesontétablicequitextuellementcompte.

8.8.ACCESSIBILITÉEssayons maintenant d'établir de quelle façon on peut parler d'accessibilité

entre mondes. Selon la littérature courante, l'accessibilité est une relationdyadique W¡ R Wj, où Wj est accessible à Wi. Si nous voulons négliger les

Page 148: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

interprétationspsychologiques(dutype:unindividuenWipeut"concevoir"lemondeWj),nousdevonsnouslimiteràdirequeWjestaccessibleàWisi,àpartirdelastructuredeWi,ilestpossibledegénérer,parlamanipulationdesrapportsentreindividusetpropriétéslastructuredeWj. Nousavonsainsidiversespossibilitésderelation: aWiRWjmaispasWjRWi:larelationestdyadiquemaispassymétrique;

kWiRWjetWjRWi:larelationestdyadiqueetsymétrique;(III)WiRWj,WjRWk,WiRWk:larelationestdyadiqueettransitive;alarelationprécédentedevientaussisymétrique.Etantdonnédeuxmondesouplus,lesrelationsconsidéréesci-dessuspeuvent

changerenaccordaveclesconditionssuivantes: a le nombre des individus et des propriétés est le même dans tous les

mondesconsidérés;blenombredesindividusaugmentedansaumoinsunmonde;clenombredesindividusdiminuedansaumoinsunmonde;dlespropriétéschangent;e (d'autres possibilités résultant de la combinaison des précédentesconditions).

Puisquenousparlonsdemondesnarratifs,nouspourrionstenterd'établirsurcesbasesunetypologiedesdifférentsgenreslittéraires(voir,pourunepremièreproposition, Pavel, 1975).Dans notre optique présente, nous ne considéreronsquequelquescas. Voyons tout d'abord un cas où (au-delà de toute différence entre propriétésessentielles et accidentelles) il y a deux mondes avec le même nombred'individusetdepropriétés:

Page 149: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Ilestévidentqu'avecquelquesmanipulationsnouspouvonsfaireensortequelesindividusenW2deviennentstructuralement identiquesauxindividusenW1

etviceversa.Nousparleronsalorsderelationdyadiqueetsymétrique. ConsidéronsmaintenantuncasoùenW1ilyamoinsdepropriétésqu'enW2.Imaginons,àlasuitedel'exempledeHintikkadéjàdonnéauchapitre8.3quelespropriétésenW1soientlefaitd'êtrerondetceluid'êtrerouge,alorsqu'enW2lesindividus, en plus d'être ronds et rouges, peuvent aussi être tournant sur eux-mêmes:

W1 rond rougex1 + -x2 + +

Page 150: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Onvoitqu'enW2,iln'estpasdifficiledegénérerlesindividusdeW1:ilsuffitdeconsidérerpourchacund'euxlapropriétédenepasêtretournant:

Eneffectuantune transformationde cegenre, on se rend comptequeY4eststructuralementidentiqueày2,alorsquey3apparaîtcommeunnouvelindividu(quin'existaitpasencoreenW2maisqu'ilétaitpossibledeconcevoir). Ilestcependantimpossibledefairelecontraire,c'est-à-diredegénéreràpartirdeW1lesindividusdeW2,parcequelepremiermonde,parrapportausecond,possède unematrice (ou structure demonde) plus pauvre, où ne peuvent êtreévaluéesnil'absencenilaprésencedelapropriétéd'êtretournant.C'estpourquoila relation entre les deuxmondes n'est pas symétrique.A partir du second, jepeux " concevoir " (c'est-à-dire produire pour des raisons de flexibilité de lastructure)lepremier,maispasviceversa. A y bien songer nous sommes là face à la situation déterminée parAbbottdansFlatland:unêtre,vivantdansunmondetridimensionnel,visiteunmondebidimensionneletréussità lecomprendreetà ledécrire,alorsquelesêtresdumonde bidimensionnel ne réussissent pas à rendre compte de la présence duvisiteur (quipossèdeparexemple lapropriétédepouvoir traverser leurmondede haut en bas quand eux ne raisonnent qu'en termes de figures planes). Unesphère tridimensionnelle traversant un monde bidimensionnel se présentecomme une série de cercles successifs, de format variable ; les êtresbidimensionnels, eux, ne réussissent pas à concevoir comment il peut se fairequelevisiteurchangecontinuellementdeformat.

Page 151: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Passonsàun troisièmecasoù,auxdeuxmondesde l'exempleprécédent,onajoute un troisième monde W3 dans lequel est valable la distinction entrepropriétés essentielles et accidentelles. Pour ce monde, la propriété d'êtretournantestessentielleàchacundesesindividus(situationsemblableàcelledesindividusdenotresystèmesolaire).

W1 rond rougex1 + -x2 + +

PourpasserdeW3àW2ilyadifférentessolutions.Sil'onconsidèrequey1alapropriétédetournerdefaçonaccidentelle,ilseraunsurnuméraire(commey2d'ailleurs)parrapportauxprototypesdeW3.Sil'ondécidedeconstruireàpartirdeW3uny1auquelonreconnaîtcommeessentiellelapropriétéd'êtretournant,on aura obtenu un y1 comme variante potentielle de k1. Etant donné qu'il estfaciledepasserdeW2àW1,commeonl'adéjàmontré,nousavonsobtenuunerelationdyadiqueettransitivemaisnonsymétrique. PourpasserdeW3àW1,ilsuffitdeconstruireunmondeoùchaqueindividua

Page 152: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

lapropriétéessentielledenepasêtretournant.Sionseréfèreàcequel'onaditen8.7,lesindividusainsidéterminésserontdessurnumérairesvis-à-visdeceuxdeW3. Puisqu'enlogiquemodaleletypederelationchangeselonlesystèmeemployé(T, S4, S5, brouwérien), on pourrait s'interroger sur les rapports entre lessituationsexemplifiéesci-dessusetlesdiverssystèmesmodaux;lelecteurbieninformé aura reconnu quelques analogies entre ces rapports des matrices demondes et les parlour games utilisés par Hughes et Cresswell (1968) pourexemplifier les différents types de relation.Mais il n'est pas nécessaire ici detrouver coûte que coûte une homologie formelle entre less deux ordres derecherche. Ce qui nous intéresse, c'est d'avoir établi des matrices structuralesaptes à représenter le format de mondes textuels et à établir des règles detransformationentreeux.

8.9.ACCESSIBILITÉETVÉRITÉSNÉCESSAIRESEnréduisantlesprétenduespropriétésnécessairesàdespropriétésessentielles

(établies comme telles par le topic), nous avons évidemment accompli unesimplification utile du problème. Il n'empêche qu'une question demeure : quefaire de ces vérités dites "logiquement nécessaires", comme, par exemple, leprinciped'identitéouleModusPonens? Nous répondrons que ces vérités ne sont pas à considérer comme despropriétés d'individus d'unmondemais éventuellement comme des conditionsmétalinguistiquespourlaconstructiondematricesdemondes.Direquetouslescélibatairesont essentiellement lespropriétésd'êtredesmâleshumains adultesnonmariéssignifieétablir(nousl'avonsdéjàdit)quellessontlespropriétésquenous définissons comme essentielles en vertu d'un certain topic ;mais définird'une part qu'il est impossible d'être à la fois célibataire etmarié (postulat designifié)etdanslemêmetempsaffirmerquecertainscélibatairessontmariésestpourlemoinsinsensé.Nouspouvonsconcevoirunematricedemondeoù,pourune raison quelconque, nous ne considérons pas comme essentiel auxcélibataireslefaitd'êtrehumain(parexempledansl'expression:"Dansl'universdeWaltDisneyDonaldDuckestcélibataire"),maisunefoisquel'onastipuléqu'uncélibataire(mêmenonhumain)estnonmarié,ilestimpossiblededire:"Dansl'universdeWaltDisneyDonaldDuckestcélibataireetmarié." Unevéritélogiquecomme"soitp,soitnon-p"estlaconditiondepossibilité

Page 153: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

d'une structure demonde. S'il existait unmondeW4 où les individus peuventsimultanémentavoiretnepasavoir lapropriétéd'être ronds (c'est-à-direoù lesigne+ou-delamatricen'auraitaucunevaleurstable,etoùl'unpourraitêtreconfonduavecl'autre),cemondenepourraitpasêtreconstruit(et,sionveut,nepourraitpasêtre"conçu",ausensdestructuralementinformulable).Nousnousapercevons que c'est là le cas de l'exemple (32) oùma belle-mère pense à unmondepossibledanslequelunindividu,caractériséparlefaitd'êtresongendre,est en même temps caractérisé par le fait de ne pas l'être ; mais cettecontradictionseraéclaircieauxchapitre8.14etsuivants. Les vérités logiquement nécessaires ne sont pas des éléments del'ameublementd'unmondemaisdesconditionsformellespourlaconstructiondesamatrice. Onpourraitobjecterquedanslesmondesnarratifs,ilestdescasoùlesvéritéslogiquessontniées.Biendesromansdescience-fictionsontencesenstypiques:ilyexisteparexempledeschaînescausalesferméesn,oùAcauseB,BcauseC,etCàsontourcauseA;ilpeutsetrouveraussidespersonnagesquiremontentletempsetquinonseulementserencontrenteux-mêmes,plusjeunes,maisquideviennent leur propre père ou leur propre grand-père. Nous pourrions aussidéciderqu'aucoursd'un telvoyage, leprotagonistedécouvreque17n'estplusunnombrepremieretconstatequesontremisesenquestionbeaucoupd'autresdeces"véritéséternelles",commeonlesappelle.Nedevrait-onpasalorsparlerdemondesoùlesvéritéslogiquementnécessairesnetiennentplus? Nous pensons, nous, qu'il s'agit d'une singulière illusion narrative. De telsmondes ne sont pas " construits ", ils sont simplement " nommés ". On peutparfaitementdirequ'ilexisteunmondeoù17n'estpasunnombrepremier,onpeut toutaussibiendirequ'ilexisteunmondeoùexistent lesVerdiersMange-Cailloux.Mais pour construire ces deuxmondes, il faut, dans le premier cas,fournir les règles à partir desquelles 17 peut être divisé, avec succès, par unnombrequinesoitpas lui-même,et,dans l'autre,décrire les individusappelésVerdiersMange-Caillouxen leur attribuantdespropriétés : par exemple, avoirvécuauXVIIesiècle,avoirétéverts,avoirrésidésousterrepourmangertouslescaillouxque lepèreKircher laissait tomberdans les cratèresdesvolcanspourvoirs'ilsressortiraientauxantipodesous'ilss'arrêteraientengravitantaucentreduMundusSubterraneus.Danscederniercas,onvoitbienquel'onconstruiraitdesindividusencombinant,fût-ced'unemanièreinédite,despropriétésquisontenregistréesdansunematriceW0deréférence.Celarejointlaquestiondébattuedans l'histoirede laphilosophie–Peut-on concevoir unemontagned'or?–ou

Page 154: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

celledébattueparHorace–Peut-onconcevoirunêtrehumainàtêtedecheval?Pourquoi pas? Il s'agit de combiner des choses nouvelles en partant du déjàconnu. Il est plus difficile – l'histoire de la logique nous l'enseigne – deconcevoir(ausensdedonner lesrèglesdeconstructionde)uncerclecarré.Lamêmeobservationvautpourladivisibilitéde17. Prenonsun romandescience-fiction :onyaffirmequ'il existeunemachinepouvantdématérialiseruncubeet lefaireréapparaîtreenarrièredans le temps(le cube apparaîtra donc sur la plate-formede lamachine une heure avant d'yavoir été posé) ; un tel instrument est nommé mais pas construit, c'est-à-direqu'onditqu'ilexiste,qu'ilatelnom,maisonneditpascommentilfonctionne.Alors, cela reste un opérateur d'exception comme le Donateur Magique desfablesouDieudansleshistoiresdemiracles:unopérateurauquelonattribuelapropriété de pouvoir violer les lois naturelles (et les vérités logiquementnécessaires). Cependant, pour postuler cette propriété, il faut accepter les loisqu'ellepourraitvioler.Pourciterunopérateurcapabledesuspendreleprinciped'identité(defaireensortequejedeviennemonproprepère),jedoisconstruiredesmatricesdemondesoùleprinciped'identitéestvalable.Sinonjenepourraismêmepasparlerdemoi,demonpère,delaconfusionpossibleetcurieuseentrelesdeuxet jenepourraispasnonplusassignerà l'opérateur"magique"cettepropriété, parce que simultanément il l'aurait et ne l'aurait pas.Voilà pourquoinousdistinguonsnommerouciterunepropriétéetconstruireunepropriété.Bienentendu, quand je postule un monde où il existe un individu x (Dieu, unDonateur, unemachine à remonter le temps) capable de suspendre les véritéslogiquementnécessaires,jemuniscemonded'unindividuquiestsurnuméraireparrapportaumondederéférence.Vis-à-visdecetindividux,l'identitéàtraversles mondes subit une crise, mais pas l'accessibilité entre les deuxmondes enquestion, selon les règles déjà énoncées au chapitre 8.11, puisquemême dansl'encyclopédie deW0 il existe la propriété d'être nommé comme violateur desloislogiques. On a objecté (Volli, 1978, note 37) que la distinction entre propriétésnomméesetpropriétésconstruitesoudécritesstructuralementnetientpasdeboutparce que " toute l'histoire de la science (et de la littérature) est là pourdémontrer que l'on a beaucoup de mal, en se servant des modèles et desmétaphores qui deviendront ensuite des désignateurs, à connaître (c'est-à-direnommeretdécrire)desobjetsetdespropriétésnouvellesquiétaient'inexistants'avant, dans les mondes possibles cognitifs ". Si cette objection signifie qu'àpartir de propriétés connues on peut suggérer des combinaisons de propriétés

Page 155: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

encore inconnues,celarevientàdirecequenousavonsdéjàdit (etavecnous,toute l'histoiredelaphilosophie)sur lamontagned'or.Enobservant levoldesoiseaux et un petit cheval à bascule, un homme de génie comme Léonard deVincipouvaitimaginerunecombinaisondepropriétésassorties(êtrepluslourdquel'air,avoirdesailesquibattent,constituerunmodèledansunmatérielinerted'une forme organique) lui permettant de décrire un aéroplane, de postuler unmondeoùcelui-cipourraitêtreconstruitetd'orienterainsil'imaginationdeceluiquiparlasuitepenseraitàleconstruire.DansLemeravigliedelDuemila,EmilioSalgari avait imaginé de grands éléphants métalliques préposés au service devoirie qui aspiraient les immondices avec leur trompe. Pour autant qu'il m'ensouvienne,l'idéedel'aspirateurétaitdéjàdansl'airàcetteépoque-là,maiscelaimporte peu : quoi qu'il en soit, c'était une façon de suggérer une certainecombinaisondepropriétéspourproduireunindividunouveau;ilasuffiensuitederéduirel'individuàunélémentenformedetubeaspirantetàun"ventre"ourécipient,et le tourétait joué.RemarquonscependantqueSalgarinedisaitpascommentseproduisaitl'aspiration:donc,ilconstruisait,enpartieseulement,sonindividu,pourleresteilselimitaitàlepostuler(àlenommer)commeopérateurd'exception. Et si, par la suite, quelqu'un d'autre a pu être amené à traduire lecaractèred'exceptionnomméencaractèreopérationnelquipeutêtreconstruitetdécrit,çac'estuneautrehistoire. Maintenant,sil'objectiondeVollisignifiequ'unromandescience-fictionpeutdécrireunemachineàremonterletempset,cefaisant,anticiperlaconstructiond'un objet semblable, alors nous disons qu'il y a une équivoque sur le terme|décrire|. Nous renvoyons au deuxième chapitre de ce livre : donner unedéfinition,Peircelesavaitbien,signifiespécifierlesopérationsàaccomplirpourréaliser lesconditionsdeperceptibilitéde laclassed'objetsà laquelle le termedéfiniseréfère.Donc,direqu'unemachineàremonterletempsnouspermetdevisiter le passé, en inversant le deuxièmeprincipe de la thermodynamique, neconstituepasencoreunedéfinitionsatisfaisante.Siunscientifique,enentendantparlerdecetétrangeobjet,estpousséàchercherlesconditionsdedescriptionetde construction (des opérations pour déterminer) d'une chose analogue, nousn'avonsrienàobjecteràcela:ilyena,desgens,quisontpartisàlarecherchedes licornes,pourne trouverquedes rhinocéros.Penserque la littératurepeutavoirdesfonctionsprophétiques(unlivreannonceetnommequelquechosequi,par la suite, se réalisera vraiment) est une opinion crédible : mais alors, ilfaudrait redéfinir la notion aristotélicienne de « vraisemblable ». Est-ilinvraisemblable d'affirmer aujourd'hui que l'on pourrait aller sur Aldébarancommehier on est allé sur laLune ?Selon les critères scientifiques courants,

Page 156: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

cela paraît non vraisemblable parce que non réalisable dans un laps de tempsraisonnable.Cependant,pourunespritnonscientifique,ilneseraitpasinsensédepenser:"Puisqu'onestallésurlaLunealorsqu'onpensaitcelaimpossible,pourquoi ne pas considérer comme possible un voyage à Aldébaran ? " Lascience, on le sait, est très prudente dans la formulation de ses critères devraisemblance : l'opinion publique, l'imagination quotidienne et l'imaginationpoétique le sont, elles, beaucoupmoins.Voilàpourquoiun texte littérairepeutanticiper un monde possible où on débarque sur Aldébaran. Mais comme cetexte le fera contre toutes les évidences fournies par nos connaissancesphysiques,ildevraselimiterànommerlesindividusenmesurederéalisercetteentreprise (fusées, réducteursspatio-temporels,dématérialisateursàondeszêta,opérations parapsychologiques), sans les construire. Et il est tout naturel queceluiquivitdansunmondeoùcesindividusexistentsedemandeavecstupeurcomment lepoèteantiquea faitpour lesdécrire, sans s'apercevoirqu'iln'avaitfaitquelesnommer.Ainsi,quandnouslisonsRogerBacon,nousnousétonnonsdelafermetéaveclaquelleilavaitaffirmélapossibilitédesmachinesvolantesetnous le considérons comme un esprit aussi brillant que Léonard. Seulementvoilà:cesmachines,LéonardlesavaitsommairementdécritesquandBacon,lui,les avait seulement postulées, avec génie certes, mais en se limitant à lesnommer.

Pourfinir,quelqu'unasuggéréquetoutemétaphorereprésentelaconstructiond'unmondepossible.Avant toutechose, il fautendéfinir lemécanisme :pournousenteniràcequiaétéditdansleTrattato(3.4.7),nousrappelleronsquelamétaphore se réalise quand, de deux unités sémantiques, l'une devientl'expressionde l'autregrâceàunamalgame réalisé suraumoinsunepropriétéque toutesdeuxontencommun.Donc,sic'estcela, lamétaphoreestdéjàunetentative de " construction " sur la base d'une combinaison de propriétés : jenommel'entitéx(muniedespropriétésa,b,c)aumoyendesasubstitutionavecl'entitéy(muniedespropriétésc,d,e,),paramalgamesurlapropriétéc;decettefaçon,jesuggèreunesorted'unitésémantiqueinéditemuniedespropriétésa,b,c,d,e.Encesens,mêmelamétaphorepoétiquepeutdeveniruninstrumentdeconnaissance parce qu'elle représente le premier pas, encore imprécis, vers laconstructiond'unematricedemonde :unmonde,parexemple,oùune femmeserait un cygne et où on suggère, d'une façon assez vague, la possibilité d'unindividu qui relève à la fois de la femme et du cygne.Cela dit, il nous paraîtimprudentdes'engagerdansuneanalysedelamétaphoreentermesdemondespossibles.Unemétaphore ne produit pas des individus d'unmonde alternatif :

Page 157: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

toutsimplement,ellecontribueàenrichirnotreconnaissancedesindividusd'unseulmondederéférence. Quantauxnouvellesde science-fictionoù jedeviensmonproprepèreetoùdemain s'identifie à hier, leur but est en général de nous faire éprouver cemalaisedelacontradictionlogique,enjouantsurlefaitque,selonlesrèglesdeconstructiondemondesetlalistedespropriétésfourniesparnotreencyclopédie,le monde possible qu'elles proposent ne pourrait pas fonctionner (eteffectivement,onnepeutpasleconstruiresicen'estd'unefaçondéséquilibréeetstructuralement vague). Elles nous demandent d'éprouver le plaisir del'indéfinissable(entablantsurnotrehabituded'identifierlesmotsauxchosesquifait qu'instinctivement nous croyons qu'une chose nommée est par celamêmedonnéeetdoncenquelquesorteconstruite).Simultanément,ellesnousinvitentàréfléchir sur la possibilité que notre encyclopédie soit incomplète, tronquée,dépourvuedecertainespropriétésprévisibles.Ensomme,ellesveulentquenousnoussentionscommeceshabitantsdumondebidimensionneld'Abbottquandilsétaient traversés par une sphère tridimensionnelle. Elles nous suggèrentl'existence d'autres dimensions. Mais elles ne nous disent pas comment lesdéterminer.C'estpourquoiilrestedesdifférencesentreFlatlandetlathéoriedelarelativitérestreinte.Au-delàdenospréférencespersonnelles.

8.10.LESMONDESDELAFABULAAprésent,nouspouvons traduire lesrésultatsdesparagraphesprécédentsen

termesd'unethéoriedelafabulaetdelacoopérationprévisionnelledulecteur. Il a été dit que les différents états d'une fabula constitueraient autant demondespossibles:c'estlàunesuggestionàrepousseravecfermetésionneveutpasabuserdecequideviendraitcettefoisunemétaphore, fascinantepeut-être,maisvide.Unefabulaestunmondepossible:lePetitChaperonrougedessineune série de personnages et de propriétés différents de ceux de notreW0. Or,dansunpremierétatdelafabula,lePetitChaperonrougediscuteavecsamère;dansundeuxièmeétat, ilentredans leboiset rencontre le loup.Pourquoidirequelefragment temporeloùlafilletterencontre le loupestunmondepossibleparrapportàceluioùellediscuteavecsamère?Si,pendantqu'elleparleavecsamère, la fillette s'imaginait ce qu'elle ferait dans le bois au cas où ellerencontreraitleloup,alorslàoui,ceserait,vis-à-visdufonddéterminéparl'étatinitial de la fabula, un monde possible, à savoir celui des croyances et des

Page 158: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

attentesde la fillette.Commetel, ilpourraitêtreconfirméou infirmépar l'étatsuccessifdelafabula,oùestditcequiarriveactuellement(nousrappelonsqu'"actuel"estuneexpressionindexicale:lemondedelafabulaestactuelunefoisquenousavonsacceptédeleconsidérercommepointderéférencepourévaluerlescroyancesdesespersonnages).MaislePetitChaperonrougequiparleavecsamèreet lePetitChaperonrougequidiscuteavecle loupsontabsolument lemêmeindividuquipasseàtraversdiverscoursd'événements.Siondit:ilnefaitaucundoutequelesujetdel'énonciationparle"aujourd'hui"d'unindividuquiestlemêmequeceluid'hier,etqu'ilparlededeuxétatsdumêmemonde.Siaucontraireondit:ondétermine"aujourd'hui",danslemonderéeldulocuteur,unétatdechosespossible(quines'estpasréalisé);leproblèmeseraitalorsd'établirsi, à la lumièredu topic textuel, le jeenquestiondans lesdeuxmondesest lemême individu ou bien un couple prototype-variante ou encore un coupleindividu-surnuméraire.(34)Hierj'étaisàMilanetaujourd'huijesuisàRome,

(35)Sihierjen'étaispaspartideMilan,aujourd'huijeneseraispasàRome,Grâce à ces observations, nous pouvons poursuivre en fournissant les

définitionssuivantes: a Dans une fabula, le monde possible WN est celui qui est affirmé par

l'auteur.Ilnereprésentepasunétatdechosesmaisuneséquenced'étatsde choses s1...sn ordonnée par intervalles temporels t1...tn. NousreprésenteronsdoncunefabulacommeuneséquenceWNS1...WNSnd'étatstextuels. Si nous avions à déterminer unWN dans sa complétude, nousdevrions le déterminer seulement aumoment oùWNsn s'est réalisé. End'autres termes, nous sommes dans le vrai quand nous disons queMadameBovaryestl'histoired'unefemmeadultèrepetite-bourgeoisequimeurt;nousnoustromperionsendisantqueMadameBovaryestl'histoirede la femme d'un médecin, heureuse de vivre un bonheur tranquille,mêmesilesétatsinitiauxdelafabulapeuventnousconforterdanscettecertitude.NousrépétonsquelesWNsinesontpasdesmondespossibles:ils sont des états différents dumêmemonde possible. Comme nous leverrons, le lecteurquicompareunétatdonnéde la fabulaàsonpropremondederéférenceouaumondedesespropresattentesassumequecetétat est unmonde possible ; mais cela peut se produire parce qu'il nepossèdepasencorelemondepossiblenarratifdanssatotalité,et,commeil est persuadé que l'état de la fabula doit être d'unemanière ou d'une

Page 159: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

autrecomplété,ilatendanceàavancerdesprévisions.kAucoursdu textenoussontprésentéscommedesélémentsde la fabulaquelquesWNc c'est-à-dire le monde des attitudes propositionnelles despersonnages. Donc, un WNcsi donné dépeint le cours des événementspossibles tel qu'il est imaginé (espéré, voulu, affirmé...) par unpersonnage c déterminé. Les états successifs de la fabula doiventconfirmer ou infirmer ces prévisions des personnages. Dans certaineshistoires, les attitudes propositionnelles des personnages ne sont pasconfirmées par des états successifs mais par des états antérieurs de lafabula.Parexemple,quandlePetitChaperonrougearriveprèsdulitdela grand-mère, il croit que la personne qui est dans le lit est sa grand-mère(alorsquelafabulaadéjàditquec'estleloup).Encecas,lelecteurparticipede l'omnisciencede la fabulaet juge,avecunebonnedosedesadisme,lacrédibilitéduWNcsidecepersonnage.

Au cours de la lecture du texte (ou de sa transformation successive enmacropropositions partielles de fabula) se configure une série de WR,c'est-à-diredemondespossiblesimaginés(craints,attendus,désirés...)dulecteurempirique(etprévuspar le textecommemouvementsprobablesduLecteurModèle).CesWRsontcensésseproduireauxdisjonctionsdeprobabilité importantes dont on a parlé au chapitre 7.2. Les étatssuccessifs de la fabula confirmeront ou infirmeront les prévisions dulecteur. A la différence des mondes des personnages, les mondes dulecteurnepeuventêtreconfirmésqueparlesétatsquisuccèdentaunœudoùvientsegrefferlaprévision(ilesttotalementinutiledesepréoccuperd'un lecteur qui, sachant que le loup a pris la place de la grand-mère,continueraitàpenser,aveclePetitChaperonrouge,quelapersonnequiestdanslelitestlagrand-mère;denotrepointdevue,c'estunimbécile;pourunpédagogue,unpsychologuepourenfantouunpsychiatre, c'estsans doute un cas très intéressant). Naturellement, il est des cas où letexte laisse entendre qu'un état donné est en train de se vérifier, maisentre les lignes seulement, sibienque le lecteurcontinueànourrirunecroyancequelafabuladevraitavoirdéjàprissoindedésapprouver.C'estle cas, nous le verrons, de la stratégie narrative de Un drame bienparisien.

aAucoursdesesmouvementsprévisionnels,lelecteurpeutaussiimaginer(dans le récit d'Allais, il est tenu de le faire sur certains points) les

Page 160: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

mondespossiblesdescroyances(attentes,désirs...)despersonnagesdelafabula.NousappelleronsWRclemondepossiblequelelecteur,enfaisantdesprévisions,attribueàunpersonnageetWRcclemondepossiblequelelecteurimaginequ'unpersonnageattribueàunautrepersonnage("Peut-être croit-il qu'elle croit que... "). Il y a des histoires où le lecteur estappeléàformulerdesmondesdetypeWRcccc...,cequiestlasituationdemiseenabîmeo.

8.11.PROPRIÉTÉSS-NÉCESSAIRESSinousrésumonsenmacropropositionsdefabulaledébutdeUndramebien

parisien,nouspouvonsentirerladescriptiond'étatdechosessuivantes:(36)Auxenvironsde1890,ilyavaitàParisunhommeappeléRaoul.IlétaitlemarideMarguerite.Le lecteur, en recourant à sa propre encyclopédie, réalise que Paris est un

individudesonW0deréférenceetque1890estundesétatsdumêmemonde(ladate2001délimiteraitenrevancheunmondepossibleparrapportàW0).Jusqu'àpreuveducontraire (extensionsparenthétisées), le lecteurassumeraqu'ilexisteune homologie de fond entre WN et W0. Mais que décidera-t-il à propos deRaoul ? Pour ce qu'il en sait, il est décrit comme l'individu ayant les seulespropriétésd'êtremâlehumainadulteetdevivreàParisauxenvironsde1890.Heureusement,aussitôtaprès, ilestditqueRaoulestmariéàMarguerite.C'estsuffisantpouridentifierRaoulàl'intérieurdelafabula,sanspossibilitéd'erreur.Ilpeutyavoird'autresmâleshumainsadultesquiviventàParisàcetteépoque(etmême, ilspeuvent tousavoir lapropriétéde s'appelerRaoul),mais iln'yaque celui-là qui a la propriété d'êtremarié à cetteMarguerite-là dont le textenousparle.Sil'onvoulaitemployerunesymbolisationappropriée,nousdevrionsassigneràRaoulunopérateuriotad'identificationindividuelle:

C'est-à-dire qu'il y a aumoins un individu x qui est homme et qui, dans lemonde que nous sommes en train de considérer, s'est marié avec un autreindividuzdansunétatprécédantceluioùcommencel'histoire,etquepourtout

Page 161: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

individuyquiparticipedesmêmespropriétés,pourvuque l'individuzqueyaépouséaitétépréalablement identifié,ceynepeutêtreautreque lexdontonparlait(lequelenoutres'appelaitRaoul). Ce qu'il y a d'étrange dans cette formulation? Eh bien, c'est que, pouridentifierRaoul,onabesoind'unautreindividuprécédemmentidentifié,àsavoirMarguerite.MaispouridentifierMarguerite,ilfautprocédercommepourRaoulet établir une formule symétrique où Raoul intervient comme ancrage deMarguerite:

Ainsi,RaoulnepeutpasêtreidentifiésansMargueriteetMargueritenepeutpasl'êtresansRaoul.Celan'estpeut-êtrepaslafaçondontnousidentifionslesxdans notre expérience (même si l'on devrait réfléchir à cette possibilité),maisc'est lafaçonprincipaledontnousidentifions lesxdansuntextenarratif.Toutdumoins,c'estainsiquenousidentifionslessurnumérairesparrapportàW0.Eneffet, pourParisnousn'avonspasbesoinde cette identification croisée : il estdéjàabondammentidentifiédansl'encyclopédie.MaispourRaouletMarguerite,onnepeutpasfaireautrement.

Imaginonsuntextequidirait:(37)IlétaitunefoisJean.EtilétaitunefoisJean.

Intuitivement,nousdirionsquecen'estpasunebellehistoireetmêmequecen'estpasunehistoiredutout,d'abordparcequ'ilnes'ypasserien,ensuiteparcequenousneréussissonspasàcomprendrecombienilyadeJean. Supposonsaucontrairequel'histoirecommenceainsi:(38)UnsoiràCasablancaunhommeenvesteblancheétaitassisauRick'sBar.Au même moment, un homme accompagné d'une femme blonde arrivait àl'aéroport.

Lepremierhommeest identitiféparrapportàsarelationspécifiqueavecunbardonné(identifiéàsontourparrapportàCasablanca,individudéjàidentifiéenW0) ; le bar est identifié à son tour par rapport à l'homme. Le deuxième

Page 162: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

homme,lui,quandilaétéétabliqu'ilarrive"aumêmemoment"àl'aéroport,n'estpasidentifiéaupremiermaisparrapportàl'aéroportainsiqueparrapportàlafemmeblonde(pourlaquellelemêmeprocédéd'identificationseravalable). Il est important que les deux hommes soient différenciés grâce à deuxprocédés d'identification différents : il est en effet des romans comme lesfeuilletonsduXIXe siècle qui jouent souvent sur de fausses différences.NousrenvoyonsàEco(1976)pourunedéfinitiondutoposdufauxinconnu:endébutde chapitre on nous présente un personnage trèsmystérieux et on nous révèleensuite (surprise en général cousue de fil blanc) qu'il s'agissait d'un x déjàabondamment identifié etnommédans les chapitresprécédents.Or, la relationquiexisteentreRaouletMarguerite,commecellequiexisteentrel'hommeàlavesteblancheet lebar (etensuiteentrecelui-ciet lesdeuxautrespersonnagesqui arrivent à l'aéroport) est une relation dyadique et symétrique xRy où x nepeutêtresansyetviceversa.Enrevanche, larelationentrel'hommeàlavesteblanche,lebaretCasablancaestdyadique,transitivemaispassymétriqueparceque:al'hommeestidentifiéparsarelationaveclebar;klebarestidentifiétantpar sa relation avec l'homme que par sa relation avec Casablanca ; (III)transitivement, l'homme est identifié par sa relation avec Casablanca ; a maisCasablanca, comme individu deW0, n'est pas nécessairement identifié par sarelation avec les deux autres individus (et même, il est identifié parl'encyclopédie grâce à d'autres moyens; et dans la mesure où il est identifiéuniquementparsarelationavecl'hommeetaveclebar,alorsiln'estpasditquece soit le Casablanca que nous connaissons par l'intermédiaire del'encyclopédie).Celanouspermetdedireque:(a)dansunefabulalesrelationsentre surnuméraires sont symétriques alors que (b) les relations entre lesvariantes et leurs prototypes en W0 ne le sont pas. Quand les relations sontcomplexes,ellessonttransitives. Cesrelationsdyadiquesetsymétriques(et,lecaséchéant,transitives),quinevalentqu'àl'intérieurdelafabula,nouslesappelonsdesrelationsS-nécessairesou propriétés structuralement nécessaires. Elles sont essentielles àl'identificationdesindividussurnumérairesdelafabula. AprèsavoirétéidentifiécommelemarideMarguerite,Raoulnepourraplusjamaisêtreséparédesapartieopposée:ilpourradivorcerdansunWNSn,maisilgardera toujours la propriété d'être celui qui, dans unWNS1, a été le mari deMarguerite.

Page 163: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

8.12.PROPRIÉTÉSS-NÉCESSAIRESETPROPRIÉTÉSESSENTIELLES

Raoul est un homme, Marguerite une femme. Il s'agit de propriétés

essentiellesdéjàreconnuesauniveaudesstructuresdiscursivesetacceptéesparla fabula.Or, les propriétés S-nécessaires ne peuvent contredire les propriétésessentielles parce que même les propriétés S-nécessaires sont liéessémantiquement.Jem'explique:sientreRaouletMargueritevautlarelationS-nécessairerSm,elleapparaîtdanslafabulacommerelationMdemariage(rMm)etelleestsémantiquement liéepuisque,aux termesde l'encyclopédiede1890,onnepeut semarierqu'entrepersonnesdesexeopposé.Donc,onnepeutpasétablir que Raoul est S-nécessairementmarié àMarguerite et soutenir ensuiteque ce sont tous deux des mâles (sauf si à la fin on veut déclarer que cetterelationnécessairen'étaitqu'apparente,qu'elleneconsistaitpasàêtremariémaisàparaîtremarié–onaquelquechosedecegenreàlafindeFalstaff). En tant que sémantiquement liées, les relations S-nécessaires peuvent êtresoumisesàdescontraintesdetypedifférent: -relationsd'antonymiegraduée(xestpluspetitquey);

- relations de complémentarité (x est le mari de y qui est à son tour safemme);

-relationsvectorielles(xestàgauchedey);-etbeaucoupd'autres,ycomprislesoppositionsnonbinaires,ternaires,lescontinuagradués,etc.(cf.Lyons,1977;Leech,1974).

Ilsuffitdepenseràlafaçondontonidentifiele"brasdulacdeCôme"oula" maisonnette toute petite qui s'élevait sur la placette d'une grande bourgade,justedevantl'église,aupieddumont". Cependant,silespropriétésS-nécessairesnepeuventcontredirelespropriétésessentielles, ellespeuventcontredire lespropriétésaccidentelles, et en toutcaslesdeuxordresdepropriétésnesontpasstructuralementdépendants.Raoulestnécessairementmarié àMarguerite,mais c'est accidentellement qu'il prend uncoupépour aller du théâtre à sondomicile. Il pouvait tout aussi bien rentrer àpied, ça n'aurait pas beaucoup changé l'histoire. Par contre, si le topic textuelavait été différent, semblable à celui de laLettre volée, duChapeau de pailled'ItalieouduFiacren°13–c'est-à-diresitoutel'histoireavaitétécentréesurunmystérieuxobjet,lecoupé,àretrouveràtoutprix–,Raouletcecoupéauraient

Page 164: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

étéliésparunerelationS-nécessaire. LessurnumérairesdansunmondenarratifsontdoncliéspardesrelationsS-nécessaires tout comme deux traits distinctifs dans un système phonologiquesontliésparleuroppositionmutuelle.OnpeutcitericiledialogueentreMarcoPoloetKublaïKhândanslesVillesinvisiblesdeCalvino:(39)MarcoPolodécritunpont,pierreparpierre.

-Maislaquelleestlapierrequisoutientlepont?–demandeKublaïKhân.-Lepontn'estpassoutenupartelleoutellepierre–répondMarco–maisparlalignedel'arcqu'àellestoutesellesforment.

KublaïKhânrestesilencieux,ilréfléchit.Puisilajoute:-Pourquoimeparles-tudespierres?C'estl'arcseulquim'intéresse.Polorépond:–Sanspierres,iln'yapasd'arcp.

C'est uniquement parce qu'ils entretiennent des relations S-nécessaires quedeux ou plusieurs personnages d'une fabula peuvent être entendus commedesacteurs incarnant des positions actancielles données (Adjuvant, Opposant,Destinateur,Destinataire)quinesubsistentquecommerelationsdeS-nécessité.Faginn'estpasl'OpposantdeClarisseetLovelacen'estpasl'Opposantd'OliverTwist.S'ilsserencontraientendehorsdeleursfabulaerespectives,LovelaceetFaginpourraienttrèsbiensereconnaîtrecommeuncouplesympathiquedebonsvivants,l'undevenantmêmel'Adjuvantdel'autre.Çasepourrait.Maisenfaitçanesepeutpas.SansClarisseàséduire,Lovelacen'estplusrien, iln'est jamaisné.Nousverronsplusloinquesondestinauncertainpoidssurnotrediscours. En conclusion, dans un WN les individus surnuméraires sont identifiés àtraversleurspropriétésS-nécessairesquireprésententdesrelationsdyadiquesetsymétriquesd'étroiteindépendanceco-textuelle.Ellespeuventcoïnciderounonaveclespropriétésattribuéescommeessentiellesauxmêmesindividus,maisenaucun cas elles ne peuvent les contredire. Les propriétés accidentelles ne sontpas prises en considération étroite par le monde de la fabula, elles sontconsidérées uniquement au niveau des structures discursives. Ce qui revient àdire que, dès qu'une propriété subsiste lors de la transformation des structuresdiscursives en macropropositions narratives, elle apparaît commestructuralementnécessaire.

Page 165: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

8.13.RELATIONSD'ACCESSIBILITÉENTREW0ETWN

La comparaison entre monde de référence et monde narratif peut prendre

diversesformes: aLelecteurpeutcomparerlemondederéférenceàdesétatsdifférentsdela

fabula, en essayant de comprendre si ce qui s'y passe répond à descritères de vraisemblance. En ce cas, le lecteur accepte les états enquestioncommedesmondespossibles,figésdansleurimmobilité("Est-ilvraisemblablequ'ilyaitunboishabitépardesloupsquiparlent?").

kLelecteurpeutcomparerunmondetextuelàdiversmondesderéférence:onpeut lire les événements racontésdans laDivineComédie comme "crédibles"parrapportàl'encyclopédiemédiévaleetcommelégendairesparrapportàlanôtre.Decettefaçon,oneffectueaussidesopérationsde"véridiction" (dontnousparleronsauchapitre9) en attribuant ounonunevéridicitéàcertainespropositions,c'est-à-direenlesreconnaissantentantqu'ellessontprésentéesparletextecommevraiesoufausses.

Selon le genre littéraire, le lecteur peut construire divers mondes deréférence, divers W0. Un roman historique demande à être référé aumondede l'encyclopédie historique ; une fable demande tout au plus àêtreréféréeàl'encyclopédiedel'expériencecommune,pourqu'onpuissejouir (ou souffrir) des différentes invraisemblances qu'elle propose.Ainsi, si une fable raconte que sous le règne du roi Roncibalde(historiquement,iln'ajamaisexisté,maisçan'aaucuneimportance)unejeunefilles'esttransforméeencitrouille(invraisemblanceselonleW0del'expérience commune,mais c'est cette divergence entreW0 etWN quidoit êtrepriseenconsidérationpour jouirde la fable),on l'accepte.Enrevanche, si en lisant un roman historique on y trouve nommé un roiRoncibaldedeFrance,lacomparaisonauW0del'encyclopédiehistoriqueproduit une sensation de malaise qui présage le réajustement del'attentioncoopérative:ilnes'agitévidemmentpasd'unromanhistoriquemais d'un roman fantastique. Donc, l'hypothèse formulée sur le genrenarratifdéterminelechoixconstructifdesmondesderéférence.

Voyonsmaintenantcequipeutarriverau lecteurdeUndrame ayant décidéqu'ilaaffaireàunrécitdemœurscontemporainetayantchoisicommemondederéférencel'encyclopédiemiseàjouren1890.Ildoitpourcelaavoirconstruitune certaine structure de monde W0 où Raoul et Marguerite ne sont pas

Page 166: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

considérés. Cependant, en lisant le deuxième chapitre de la nouvelle, il seraamenéàassumerqu'enW0existentleThéâtred'applicationetM.dePorto-Riche(quenousprésumonsconnusduLecteurModèleparisiendel'époque,commesidansunehistoireitaliennecontemporaineondisaitqu'unpersonnageestalléàlaPiccolaScalapourécouteruneœuvredeLucianoBerio). Examinons maintenant les opérations que le lecteur devra accomplir pourcomparer leWN d'Allais auW0 de référence. Parmi les propriétés en jeu nousavons : M (être mâle), F (être femelle), D (être dramaturge), ainsi que lapropriétéS-nécessairexMy(être liéparune relationmatrimonialeetdoncêtreidentifiédecettefaçon).IlfautnoterquecettedernièrepropriétépeutêtreaussienregistréedanslastructuredeW0oùiln'estpasexcluqu'ilexistedesxmariésàdes y.A la différence des structures demondes réalisées dans les paragraphesprécédents, nous introduisons ici des propriétés entre crochets : ce sont lespropriétésS-nécessaires.Bienentendu,iln'existepasenW0depropriétésdecetype.Donc, quand on doit transformer la structure deWN en celle deW0, lespropriétésentrecrochetsdeviennentsimplementdesrelationsessentielles:xRydevient une relation de conversité ou de complémentarité (être le mari d'uneépouseetviceversa). Etant donné deuxmondesW0 etWN (où p = Porto-Riche, t = Théâtre, x =Raoulety=Marguerite):

Page 167: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

il apparaît en W0 deux individus dont on donne la variante en WN (vul'élémentaritédelastructure,ilssontabsolumentidentiques).MaisenWNilyaun x et un y qui enW0 ne sont pas considérés. Par rapport àW0, ce sont desimplessurnuméraires.Iln'estpasimpossibledetransformerlastructuredeW0

encelledeWN,c'est-à-dire(selonlamétaphorepsychologique)deconcevoir,àpartir du monde où nous sommes, un monde où existent aussi Raoul etMarguerite. Le seul problème, c'est qu'en WN ils possèdent une propriété S-nécessaire.Puisqu'enW0cettepropriéténepeutêtrereconnuecommetelle,ellesera traduite en termes de propriété essentielle. C'est ainsi qu'apparaîtra lastructuredemondeoùàpartirdeW0onjustifieWN:

Voilà la raison pour laquelle on dit que lemonde narratif est accessible au

Page 168: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

mondedenotreexpérience.Maisonnepeutpasdirelecontraire.CetterelationentremondesW0RWNn'estpassymétrique.Eneffet,pourconstruireàpartirdeWN la structure de W0, nous devrions assigner à x et à y une relation S-nécessaire,ceque lastructuredeW0 nepermetpas. Ilymanquerait les règlespermettant d'identifier les x et les y deWN enW0. En d'autres termes, vus dumondederéférence,RaouletMargueritesontdessurnumérairesquipourraientexister et qui pourraient même exister chacun de leur côté, comme ils ontprobablementexistéavantdeserencontreretdesemarier;maisdel'intérieurdelastructureWN(oudanslestermesconstructifsdecettematricedemonde)ilsnesubsistent qu'en tant qu'ils sont liés par une relation nécessaire. Sans cetterelationd'identificationmutuelle,ilsn'existentpas,commeLovelacen'existeraitpas si Clarisse n'avait pas existé (narrativement). En WN, un individusurnuméraire par rapport àW0 est l'ensemble des x satisfaisant à la conditiond'être en relation symétrique avecun autre individuy.Commecet ensemble aun, et un seul, membre, l'identification d'un surnuméraire est narrativementpossible. Nousnedisonspasiciquel'onnepeutpasconstruireenW0lesindividusxety uniquement parce qu'on ne dispose pas de crochets ; ou plutôt, c'estexactementcequenousvoulonsdire,àconditionqu'ilsoitbienentenduqu'avecl'artifice des crochets nous avons introduit la propriété d'être narrativement etindissolublementsymétrique,propriétéquidansunmondederéférenceW0n'apasgrandsensmaisquidansunmondenarratifWNestconstitutive. End'autrestermes,étantdonnéunmondenarratifavecdeuxindividusliésparS-nécessité:

nousdevrionsenréalitél'enregistrercomme:

Page 169: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

parceque les individusnepeuventvéritablement êtrenommés sinoncomme"cetxquiestS-nécessairementliéày"etviceversa.Sibienquesil'onvoulait,àpartir duWN, envisager un monde quelconque où ces relations S-nécessairesseraientniées,onparviendraitàunematricecontradictoiredecegenre:

où justementseraitmentionné"cetxquiest liéparune relationavecyetquin'est pas lié par une relation avec y " (idem pour y). Exemple lumineux dematricenonformulableparcequ'elleviolesespropresloisconstitutives. Si ce concept semble encore quelque peu obscur ou s'il paraît difficile del'appliquer endehorsd'unematricedemondes, il estutile, et suffisant, d'avoirunenouvellefoisrecoursàl'exempledeséchecsdontnousnoussommesservisauchapitreprécédent. Une pièce d'échecs, en soi, n'a pas de signifiés, elle n'a que des valencessyntaxiques(ellepeutbougerd'unefaçondéterminéesurl'échiquier).Lamêmepièce,audébutdujeu,atouslessignifiéspossiblesetellen'enaaucun(ellepeutentrerenn'importequellerelationavecn'importequelleautrepièce).MaisàunétatSidelapartie,lapièceestuneunitédejeuquisignifietouslescoupsqu'ellepeut faire dans cette situation donnée ; c'est un individu muni de propriétésprécisesetcespropriétéssontcellesdepouvoir fairecertainscoups immédiats

Page 170: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

(etpasd'autres)quipréludentàunensembledecoupsfuturs.Encesens,lapièceestsoituneentitéexpressivequivéhiculecertainscontenusdejeu,soitquelquechosedestructuralementsimilaireàunpersonnaged'unefabulaaumomentoùs'ouvreunedisjonctiondepossibilité. Admettonsquecetindividusoitlareineblanche.Nouspouvonsdirequ'elleacertaines propriétés essentielles (celle de pouvoir bouger dans toutes lesdirections,celledenepaspouvoirbougercommelecavalieroudenepouvoirsauterpar-dessusd'autrespiècesdansunetrajectoireenlignedroite);maiselleaaussi dans la situation Si des propriétés S-nécessaires qui lui viennent du faitqu'elleest,àcetétatdu jeu,enrelationavecd'autrespièces.Ceseradoncunereine S-nécessairement liée à la position du fou noir, par exemple, ce qui luipermetdejouercertainscoupssaufceuxquilamettraientendangeràcausedufou. L'inverse est symétriquement valable pour le fou. Tout ce que l'on peutpenser, espérer, projeter, souhaiter à l'égarddes coupsde la reineblanchedoitpartir du fait que l'on parle d'une rRf, c'est-à-dire d'une reine qui se définituniquementparsarelationaveclefou. Etsionvoulaitpenseràunereinenonliéeàcefou,ilfaudraitpenseràuneautre situation de jeu, à une autre partie et donc à une autre reine définie pard'autresrelationsS-nécessaires. Bien sûr, ce parallèle ne tient que si l'on compare la fabula entière dans latotalitédesesétatsàunseulétatdelapartie:eneffet,lacaractéristiqued'unepartied'échecs(àladifférenced'unenarrationquiestpluslibredansseschoix),c'est que les relations S-nécessaires entre les pièces changent fatalement àchaquecoup. Imaginonsmaintenantlareinedel'étatSiquis'efforcerait,àgrand-peine,desepenser comme déliée de son rapport nécessaire avec le fou. Eh bien, elle seretrouveraitalorsdanslasituationtrèsbizarrereprésentéeparladernièrematricede mondes : elle serait amenée à penser à une elle-même qui n'est pas elle-même,elledevrait formuler lecontrefactuel impossible"Quesepasserait-il sicetterRfquejesuisn'étaitpasunerRf?"c'est-à-dire"Quesepasserait-ilsimoijen'étaispasmoi?"Petitjeumétaphysiquebienconnuauquelchacundenouss'adonneparfois,presquetoujourssansrésultat. Cependant,direquedel'intérieurd'uncertainmondenarratif(oud'uncertainétat d'une partie d'échecs) on ne peut concevoir ou construire le monde deréférence du lecteur (ou du joueur, qui est en mesure d'imaginer des étatsdifférents) semblerait en soi une sottise, condamnée par son évidence même.

Page 171: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Cela reviendrait à dire que le Petit Chaperon rouge n'est pas en mesure deconcevoirununiversoùilyaeularencontredeYaltaetoùReaganasuccédéàCarter.Lachosepourtantestmoinssottequ'iln'yparaît.Ilsuffitdereprendrelesmatricesquiviennentd'êtreconstruitespours'apercevoirdupartique l'onpeutentirer. Tout d'abord, elles nous disent pourquoi le contrefactuel (32), celui où mabelle-mèresedemandaitcequiseseraitpassésisongendren'avaitpasépousésafille, nous paraissait si bizarre. Ma belle-mère aurait construit son monde deréférencecommeuntexte,ellem'auraitdéfinidanslesseulstermesd'unerelationS-nécessaire avec elle et n'aurait pas été capable de me concevoir autrement.Ainsi,naturellement,enpensantàunmondepossibleW1où,simultanément,jeserais et ne serais pas son gendre, elle se serait trouvée dans une situationsimilaire à celle que représente la dernière (et impossible) matrice. Cecontrefactuelsemblaitdoncbizarreparcequ'illaissaitentrevoirunetendance,dela part du sujet hypothétique, à construire le monde de sa propre expériencecommeunmondeirréel,plussemblableauxmondesdel'imaginationqu'àceuxde notre quotidien.C'est ce qui arrive aumalade dont on dit qu'il vit dans unmondebienà lui ;c'est l'enfantquiconçoitsamèredansun liensiétroità luique,lorsquesamères'absente,illavitcommeréduiteaunéantpuisqu'ilnepeutplusladéfinirparrapportàsaprésence. Onnepeutpaspenseràunmondeoùlesindividussedéfinissentuniquementpar rapport au fait que nous les pensons sous une certaine description etprétendreensuiteidentifiercesmêmesindividusdansunmondepossibleoùilsne satisfont pas à cette description.Pour reprendre l'exemple (cité en8.10) deHintikka,nousnepouvonspaspenseràcequeseraitl'individuquejeperçoisencemomentsicen'étaitpasl'individuquejeperçoisencemoment.Toutaupluspouvons-nous penser : Où serait Jean (le cousin de Lucie, le directeur de labanquelocale)quejevoisencemomentenfacedemoi,s'iln'étaitpasenfacedemoi ? Il serait ailleurs, c'est évident,mais il pourrait l'être parce que nousavons désancré l'identification d'une relation S-nécessaire avec le sujeténonciateurducontrefactuel. Puisque nous savons que les transformations d'unmonde narratif aumonderéel sont impossibles, nous comprenonsmieux ce qui se passe dans un dramecommeSixPersonnagesenquêted'auteurdePirandello,oùil"semble"quelespersonnages peuvent concevoir lemonde de leur auteurmais où en vérité ilsconçoiventunautremondetextueldontfaitpartiel'auteurcommepersonnagedudrame. Six Personnages est tout simplement un texte où se heurtent un WN

Page 172: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dramatiqueetunWNmétadramatique. Ce point éclairci, nous pourrions dire que notre discussion partait d'unequestion paradoxale (un personnage peut-il penser lemonde de ses lecteurs?)pour servir uniquement à clarifier d'autres problèmes concernant lemonde dupersonnaged'unepart, lemondedu lecteurde l'autre.Toutefois,cettequestioninitialen'étaitpasdépourvued'uneforceheuristique. Cetteexpérience,eût-elleétéconduiteentermesdepsychologie-fiction,asonutilité, et il peut être intéressant de lamener jusqu'au bout. Prenons les TroisMousquetaires. Dans ceWN, nous avons des individus qui sont des variantespotentielles d'individus dans le W0 de l'encyclopédie historique : Richelieu,Louis XIII et dans une certaine mesure, mais avec prudence, d'Artagnan.Ensuite, il y a des surnuméraires commeAthos etMilady (nousnégligeons lapossibleidentité,contestéed'ailleursparlesphilologuesdumasiens,entreAthos,comtedeLaFère,etunprobablecomtedeLaFareq.)Cesdeux surnumérairesont la propriété S-nécessaire d'être (d'avoir été) mari et femme. Si cetteinteridentification n'avait pas eu lieu, les TroisMousquetaires auraient été unautreroman. Maispouvons-nousimaginerunAthosqui(del'intérieurdesonWN)penseraità ce qui se serait passé s'il n'avait jamais épouséMilady quand elle s'appelaitencore Anne de Breuil ? La question est dénuée de sens. Athos ne peut pasidentifierAnnedeBreuil,sinoncommecellequ'ilaépouséedanssajeunesse.Ilnepeutpasconcevoirunmondealternatifoùexisteunevariantepotentielledelui-mêmequin'apasépouséAnnedeBreuil,justementparcequ'ildépend,poursadéfinitionnarrative,de cemariage.Ce seraitdifférent siDumasnousdisaitqu'Athospense"Commeceseraitbien,sijen'avaispasépousécettemisérable"(etd'ailleurs,Dumasnouslaisseentendrequ'Athosnepensequ'àçaetquepar-dessuslemarché,ilboitpouroublierlemonderéeletrêverunmondedifférent).Maiss'ilavaitagiainsidansleroman,AthosauraitformulésonmondeWNcenseréférantàunWNcommesic'étaitunmondeW0réel,oùnesontpasvalablesles relations S-nécessaires : c'est un artifice auquel les narrations ont recours,comme elles ont recours aussi à des opérateurs d'exception. Nous acceptonsqu'un personnage puisse penser des contrefactuels vis-à-vis du monde de lanarrationparsimpleconventionnarrative.C'estcommesil'auteurnousdisait:"En feignant d'assumer mon monde narratif comme un monde réel, j'imaginemaintenant un personnage de ce monde qui imagine un monde tout à faitdifférent."

Page 173: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Nous pouvons faire une autre remarque, qui revêt une importance pourl'esthétique et la critique littéraire. Il est exact que d'habitude nous jugeons lemonded'unenarrationàpartirdenotremondederéférenceetquenousfaisonsrarement l'inverse. Mais que signifie alors affirmer avec Aristote (Poétique,1451b et 1452a) que la poésie est plus philosophique que l'histoire parce quedanslapoésieleschosesarriventnécessairementtandisquedansl'histoireellesarriventaccidentellement?Quesignifiereconnaître,àlalectured'unroman,quece qui s'y passe est plus " vrai " que ce qui se passe dans la vie réelle ?Quesignifiedireque leNapoléonprispourcibleparPierreBesuchovestplusvraiqueceluiquiestmortàSainte-Hélène,quelescaractèresd'uneœuvred'artsontplus " typiques " et " universels " que leurs prototypes réels, effectifs etprobables?Ilnoussemblequeledramed'Athos,quinepourrajamaisabolir,enaucunmondepossible,sarencontreavecMilady,estletémoindelavéritéetdela grandeur de l'œuvre d'art, au-delà de toute métaphore, par la force desmatrices structurales de mondes, nous faisant entrevoir ce que signifie la "nécessitépoétique"r. Pour conclure : le mondeWN de la fabula est accessible au monde W0 deréférence,maislarelationn'estpassymétrique.

8.14.RELATIONSD'ACCESSIBILITÉENTREWNcETWN

La comparaison entre W0 et WN (même s'il est pris dans un de ses états

transitoires) est toujours synchronique. Par contre, un certain WNc peut êtrecomparéaussibienàunétatprécédentqu'àunétatsuccessifdeWN(nousl'avonsdéjà dit au paragraphe 8.13). Un personnage peut avancer des prévisions etformulerdesmondesépistémiquesetdoxastiques tantauniveaudesstructuresdiscursivesqu'auniveaudes structuresnarratives.Commenous l'avonsvu, lesmondes déterminés par le personnage au niveau des structures discursivespeuventconcernerdespropriétésaccidentellesnégligéespar la fabula.Dans lechapitre2deUndrame,lefaitqueRaoulbatteounonMarguerite(etdonclefaitque le lecteur – et les personnages – avance des prévisions à ce propos) estnégligeablequantauxbutsdelafabula.Commeonleverra,lechapitre2fournitunesortedemodèleréduitdelafabulamaisilpourraitêtresupprimésansquelafabula change ; en revanche, il est essentiel au " sujet ", soutenu par lesstructuresdiscursives,pourinduirelelecteuràfaireuncertaintypedeprévisionssurlecoursdelafabula.

Page 174: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Au niveau des structures discursives, les personnages peuvent imaginer ouvouloirbeaucoupdechoses(contreditesounonparlesévénementssuccessifs);le texte met en jeu ces attitudes propositionnelles pour déterminer leurpsychologie.Lepersonnagepensequetellepersonnevavenir,ellenevientpas,ilreconnaîtlafaussetédesaprévision,ill'abandonne.VoyonscequisepasseaudeuxièmechapitredeUndrame.RaouletMargueritevontauthéâtre,MargueritepensequeRaoulobserveavecdésirMlleMoréno(celuiquiestS-nécessairementsonmarietquiestessentiellementunmâledésireaccidentellementunecertaineautre femme).Notonsque le textene se souciepasdevérifier siRaouldésirevraimentMlleMoréno.Cequiestpsychologiquementintéressant,c'estdesavoirqueMargueritealapropriétédelepenser(etdoncd'êtrejalouse,commecelaseréaliseraauniveaudesmacropropositionsdefabula).Danslemondedoxastiquede Marguerite, ce Raoul qui désire accidentellement Mlle Moréno est unevariante potentielle duRaoul narratif qui, nous le supposons, ne la désire pas.Aucun problème d'identification à travers les mondes. L'identification estréalisable. Mais il est des cas où les attitudes propositionnelles des personnagesconcernent lesrelationsS-nécessairesde lafabula.QuandŒdipecroitqu'iln'arienàvoiraveclamortdeLaïos,c'estunecroyancequiadeuxcaractéristiques:aelleconcernedespropriétésindispensablesaudéveloppementdelafabulaetkelle concerne des relations S-nécessaires (Œdipe n'étant autre, narrativement,quecepersonnagequiatuésonpèreetépousésamèresanslesavoir).Aupointoùnoussommes,ildevraitêtreclairqu'êtreS-nécessaireetêtreindispensableaudéveloppementdelafabulaestlamêmechose.

A unmoment donné de l'histoire de Sophocle,Œdipe croit qu'il y a en jeuquatreindividus:Œdipe(o)quiatuéunjourunpassantinconnu(p),Laïos(l)etunassassininconnu(a)quil'atué.DanslemondeWNcdesesproprescroyances,ŒdipepensequesontvalablescertainespropriétésS-nécessaires,àsavoir: -oAp:larelationquifaitd'Œdipel'assassinetdupassantlavictime;

-aAl:larelationquifaitd'uninconnul'assassinetdeLaïoslavictime.

Maislafindelafabula,tellequeSophoclenousladonne,estbeaucoupmoinscompliquée (moins compliquée structuralement et plus compliquéepsychologiquement, et c'est précisément cette relation inverse qui a une

Page 175: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

significationpournous).Danslafabula,iln'existequedeuxpersonnages,ŒdipeetLaïos,carl'assassininconnuetlepassantinconnus'identifientrespectivementà Œdipe et à Laïos. Ce qui fait que les propriétés S-nécessaires en jeu seréduisentdedeuxàune–oAl:lapropriétéquifaitd'Œdipel'assassinetdeLaïoslavictime. Voyonscequecelacomporteentermesdestructuresdemondes.Pourrendrelesstructuresplusmaniablesetlesindividusplusreconnaissables,nousajoutonsaupaquetdespropriétésenjeucelled'êtrevivant(V),puisquemêmel'assassinprésumé est considéré comme vivant, dans le monde possible des prévisionsd'Œdipe.LesstructuresdesmondesWNetWNcprennentlaformesuivante:

WN oAl Vo [+] (+)l [+] (-)

Ons'aperçoitaisémentquecesdeuxmondessontmutuellementinaccessibles

parcequeleursstructuresnesontpasisomorphes,nonparcequel'undesdeuxaplusd'individusquel'autremaisparcequelesindividussontidentifiésdanslesdeuxmondesàtraversdespropriétésS-nécessairesdifférentes.Ilestàremarquerquelesstructuresdesdeuxmondesauraientpuêtrecompliquéesenintroduisantlesrelationsquifontd'ŒdipelefilsetdeLaïoslepère(maisdanslemondedes

Page 176: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

croyancesd'Œdipe,ilyauraiteulàaussiplusd'individusetdiversesrelations);celles qui font d'Œdipe le fils et de Jocaste lamère ; enfin, celles qui font deJocaste l'épouse et d'Œdipe le mari (avec ici aussi des divergences entre lemondedescroyancesd'Œdipeetceluidelafabula).Toutceladeviendraitalors(comme cela le devient en fait chez Sophocle) bien plus dramatique.Mais lareprésentation réduite que nous avons fournie est déjà suffisante. La fin de lafabula propose une structure demonde absolument autre par rapport à celle àlaquelleŒdipecroit.Œdipenepeutpasréorganisersonmondeetletransformerenceluidelafabula.Œdipecroyaitpetdécouvreensuitequeq,réalisantainsiquedanslemonde"réel"onnepeutpasavoirpetqenmêmetemps,quep=non-q. Œdipedoit"sedébarrasser"dumondedesescroyances.Seulementvoilà :celuiqu'ildoitprendreenéchangeestbeaucoupmoinsagréableetilavaitédifiésa santé mentale sur le monde auquel il croyait. Deux bonnes raisons pourdevenir fou. Ou pour s'aveugler. Et en effet, cette histoire de mondesincompatibles,c'estbien l'histoired'une " cécité " anticipée.Commentpeut-onêtre aveugle aupointdenepas s'apercevoir combien lemondede sesproprescroyancesétaitinaccessibleaumondedelaréalité?Deplus,siauniveaudelafabula les mondes sont mutuellement inaccessibles, au niveau des structuresdiscursives Œdipe pouvait trouver de nombreuses traces évidentes afin deconstruireunmondedoxastiqueplusaccessibleàceluidelafindelafabula...Etcelaaexacerbésarageetsondésespoir.SiŒdipeavaitréussi,lesdeuxmondesWNc et WN auraient été accessibles, comme sont accessibles les mondesdoxastiquesquetoutbondétectiveconstruitpourrendrecompteetdumondedela fabula et du monde des intentions de l'assassin. Mais Œdipe roi, c'estjustementl'histoired'uneenquêteratée. Nousdironsenconclusiondeceparagraphe:encequiconcernelesrelationsS-nécessaires,quandleWNcSmestisomorphedanssastructureavecl'étatdelafabulaWNsnquilevérifie(oùonaaussibienm<nquen<m),alorsleWNcSm

est approuvé par la fabula et les deuxmondes sontmutuellement accessibles.Quand cela ne se produit pas, le monde doxastique du personnage estdésapprouvéetlesdeuxmondesdeviennentdoncmutuellementinaccessibles–avec toutes les conséquences qui peuvent se produire en termes d'effetpsychologiqueetesthétiquedelanarration.

8.15.RELATIONSD'ACCESSIBILITÉENTREWRETWN

Page 177: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Lesmondesdéterminésparlesprévisionsdulecteursontsoumisauxmêmes

règlesd'accessibilité: alemondedesattentesdulecteurpeutêtrecomparéàl'étatdelafabulaqui

levérifie(toujoursetuniquementsuccessifàlaprévision,commeonl'adéjàdit);

klelecteurluiaussipeutavancerdesprévisionsmineuresetpartielleslorsde l'actualisation des structures discursives, et le phénomène suit unedémarche semblable à celle qui concerne les mondes possibles dupersonnage;

quand les mondes possibles déterminés par le lecteur concernent despropriétésS-nécessaires,sonmondeestaccessibleaumondedelafabula,etviceversa, uniquement si un isomorphisme se vérifie entre les deuxmondes.Sinon,ildoitse"débarrasser"desaprévisionetaccepterl'étatdechosesdéfiniparlafabula.

Il suffit de penser à un Lecteur Modèle qui suivrait les mêmes processusmentaux qu'Œdipe et qui ferait des prévisions sur ce nœud d'événements : larévélation finale plongerait le lecteur dans la même situation structuralequ'Œdipe. Pourtant,onaditqu'un texteprévoitetcalcule lescomportementspossiblesduLecteurModèle, que son interprétation possible fait partie du processus degénération du texte. Comment peut-on alors affirmer que les prévisions dulecteur sont refusées?Mais il faut prendre bien garde à ne pas confondre lesmécanismesdutextedanssonensembleaveclesmécanismesdelafabula.DansUndrameonverracommentle texteinvite,auniveaudiscursif, le lecteuràseprépareràfairedefaussesprévisionsetcomment,auniveaudelafabula,illeslui conteste. Le cas de Un drame est encore plus complexe car les faussesprévisionsdulecteursontprisesencharge,defaçonambiguë,parlafabulaelle-mêmeàl'instantoùellelescontredit.Parcontre,toutcequel'onaditestvalablepour des textes plus " normaux ", un roman policier par exemple, où lesstructures discursives induisent en erreur le lecteur (en lui présentant unpersonnage ambigu et réticent) pour le pousser à avancer des prévisionsirréfléchies;l'étatfinaldelafabulainterviendraensuitepourobligerlelecteuràse " débarrasser " de sa prévision. Ainsi, il s'établit une dialectique entretromperieetvéritéàdeuxniveauxtextuelsdifférents.

Page 178: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Letexte"sait"quesonLecteurModèlesetromperadeprévision(etill'aideàformulercesprévisionserronées),maisletexte,danssonensemble,n'estpasunmonde possible : c'est une portion de monde réel et c'est, tout au plus, unemachine à produire des mondes possibles, celui de la fabula, ceux despersonnagesdelafabulaetceuxdesprévisionsdulecteur. Biensûr,onpeutdirequ'enécrivantuntextel'auteurfaitunehypothèsesurlecomportement de sonLecteurModèle, le contenu de cette hypothèse étant unmonde possible prévu et espéré par l'auteur. Cependant, cette hypothèse neconcernepasletexte,maislapsychologiedel'auteur.Lesintentionsdeceluiquiécrit peuvent être extrapolées en termesdedescriptionsde stratégie textuelle :mais dès que l'on décrit, métatextuellement, les possibles anticipations dulecteur,onadéjàaffaire,fût-cecommehypothèsecritique,auxmondespossiblesréalisés par le lecteur. En d'autresmots, et pour en revenir à notremétaphoreferroviaireduchapitre7.2:lefaitdepouvoirallerdeFlorenceàSienneparuneligne ou par une autre ne constitue pas encore une description de mondespossibles ; c'est la descriptiond'une structureactuelle, qui permet de formulerdes décisions, des opinions, des attentes, des hypothèses quant à la ligne àchoisir, ou la ligne que d'autres pourraient choisir ou avoir choisi. Unmondepossibleestunensrationis, tandisque le tissuduréseauferroviaireestunensmateriale,avectoussesnœudseffectivementréalisés. Onpeutdiredutextecequel'onpeutdiredetoutacteillocutoirevisantàuneffetperlocutoire.Affirmer|Aujourd'hui,ilestentraindepleuvoir|peutvouloirdireque le locuteurémetunordreen ledéguisantenassertionetqu'il comptebien que l'auditeur se représentera une action possible (ne pas sortir). Maisl'expressionenelle-mêmeneconfigurepasdemondespossibles,mêmesiellepeutêtrejugéecommeunmécanismeapteàenstimulerlaformulation. a Volli cite Plantinga, mais nous pourrions citer aussi certaines affirmations de Lewis dansCounterfactuals : " Je tiens à signaler que je n'identifie en aucune façon les mondes possibles à derespectablesentités linguistiques : je lesassumecommedesentités respectablesdepleindroit.Quand jeprofesseuneattituderéalisteenverslesmondespossibles,j'entendsêtreprisaupieddelalettre.Lesmondespossiblessontcequ'ilssont,et ilsnesontpasautrechose.Siquelqu'unmedemandecequ'ilssont, jenepeuxpasluifournirletypederéponsequ'ilattendprobablementdemoi,c'est-à-direluiproposerderéduirelesmondespossiblesàquelquechosed'autre.Jenepeuxquel'engageràadmettrequ'ilsaitquelgenredechoseestnotremondeactuel,etdoncjepeuxseulementluiexpliquerquelesautresmondessontbienplusde choses de ce genre, qui ne diffèrent pas quant au typemais quant aux choses qui s'y passent.Notremondeactueln'estqu'unmondeparmitantd'autres...Vouscroyezdéjàennotremondeactuel.Moi,jevousdemandedecroireenplusdechosesdecegenre,etnonpasendeschosesd'unquelconquegenredifférent"(1973:85-87). bLesrecherchesdeVanDijk,Petôfi,Pavel,dugrouperoumaindirigéparLuciaVaina(cf.VS17,1977),deSchmidt(1976:165-173)etIhwe(1973:339etsuivantes)quidébattentduconceptdefictionalpossible

Page 179: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

worldtémoignentdufaitquecettenotionestdésormaisrépanduedanslecadred'unesémiotiquetextuelle. cIl faut reconnaîtrequeVolli,enmenantsacritique,pensaitàcertainesutilisationsduconceptplutôtqu'à d'autres et qu'il serait probablement disposé à accepter des utilisations atténuées ou plus oumoinsmétaphoriquesdel'expression|amendepossible|.Mais,d'aprèslecontextedesonarticle,onnepeutinférerde telles distinctions ; donc, à critique générique réponse générale. Réponse que nous devions faire,précisémentparcequel'articledeVollisoulèveavecprofitunproblèmequiexisteetquidoitêtredébattu,afindepréciser lemieuxpossible les conditionsd'une«greffe»disciplinairequiprésentedenombreuxrisques. dUnevisionbienplusatomisteestaussipossible.Maisnousnouslimitonsàassumercommeprimitivela notion de propriété, et cela non tant parce qu'elle est couramment employée par la littérature sur lesmondespossibles queparcequ'elle traduit la notiondemarque sémantique, ou sème, ouunité culturelleemployéecommeinterprétant. e Cf. la notion demonde " actuel " comme appareil sémantique relativisé en référence à un usagersingulier, présentée parVolli, 1973. Voir aussi chezVanDijk (1976c : 31 et suivantes) la notion de S-mondes(mondespossiblesdulocuteur/auditeur). f Voir par exemple Hughes et Cresswell (1968 : 78) : " Nous pouvons concevoir un monde sanstéléphone...maiss'iln'yavaitpasdetéléphone,ilsepourraittrèsbienquedansuntelmonde,personnenesachecequ'estuntéléphoneetquepersonnenepuissedoncconcevoirunmonde(commelenôtre)oùilyadestéléphones;c'est-à-direqu'unmondesanstéléphoneseraitaccessibleaunôtre,maisquelenôtreneluiseraitpasaccessible."Bienquel'exemplesoitproposéàdesfinsdidactiques,cettedidactique-làimpliquefatalementunepsychologisationduproblème. gEtpuis,ilyanaturellementleslogiciensquiontvraimentluHusserletquiessaientdesel'approprierdefaçoncritiqueetproductive.Cf.parexempleHintikka,1978,oùilestreconnusansambagesquepourdébattredel'intensionalitéilfautaborderleproblèmedel'intentionalité.

h Ont été consultés : The Encyclopaedia Americana, Grand Dictionnaire du XIXe siècle (Larousse,1869),TheEncyclopaediaBritannica(1876),TheOxfordEnglishDictionary,Webster'sDictionary(1910),NuovissimoMelzi(1905:oùbrougham="coupé"). iIls'agitdelatraductionfaiteparFredJamesonpourl'éditionaméricainedenotreessaisurUndramebienparisien. jCettedistinctioncorrespondàcelleentrepropriétéSigmaetpropriétéPidéveloppéeparleGroupeµdans laRhétorique générale.C'est pourquoi la critique qui suit inclut aussi cette distinction, par ailleursutileauxeffetsdescriptifsdesopérationsrhétoriquesàquielleestdestinée. kIlnousvientàl'espritledébatdeKuhn(laStructuredesrévolutionsscientifiques,traductionfrançaisedeL.Meyer,nouvelleédition,Paris,Flammarion,1982):touslesphysicienss'intéressentàlamécanique,"mais ils n'apprennent pas tous les mêmes applications de ses lois, c'est pourquoi ils ne sont pas tousinfluencésdelamêmefaçonparleschangementsquisurviennentdanslapraxisdelamécaniquequantique";doncunchangementquinesereflètequesurl'unedesapplicationsdelathéorieneserarévolutionnaire(c'est-à-dire qu'il nous obligera à revoir tout le système théorique) que pour une partie des physiciensseulement. l Existe-t-il des propriétés qui ne pourraient jamais, à aucun prix, être réduites au rang de propriétésaccidentelles?MêmeaumuséedelaNavigation,unbrigantindevraitconserver,potentiellementdumoins,lapropriétédeflotter.Maiscelauniquementparcequenousconsidéronsd'habitudelesbrigantinscommedesinstrumentsdenavigation.PourlecapitaineNemo,unbrigantinresteunbrigantin,mêmes'ilestréduitau rangd'épave à laquellenepeuventplus être reconnues lespropriétés traditionnellesd'objet flottant etnaviguant. Pour le commandant de Dachau, les êtres humains avaient la seule propriété d'être aptes à

Page 180: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

produiredusavon.Nousavonsledroitdejugerlechoixmoralquil'apousséànarcotisertouteslesautrespropriétésd'unêtrehumain;maissinouspouvonsrefuserl'idéologiequigouvernaitsonéthique,nousnepouvons rien objecter à sa sémantique : en référence à son topic et à ses scénarios, le commandant deDachausecomportaitdefaçonsémantiquementlégitime.Leproblèmeaétédedétruiresesscénariosetdelesexpulserdenotreencyclopédie. m Le problème a déjà été débattu par la logique épistémique. Pouvons-nous dire que si p alors qimpliqueque,siasaitp,alorsaconnaîtq?ouquesipalorsq,siacroitp,alorsacroitaussiq?Peut-ondiredoncquesiquelqu'unsaitoucroitquelquechose,alorsilsaitoucroiteoipsotoutessesconséquenceslogiques?Onrépondensoutenantquelescasidiosyncrasiquesd'ignorancen'affectentpasceprincipe(quiestd'ailleursceluidunotanotaedontonparlaitauchapitre2.4).Maislaréponsedépenddecequeveutdire"comprendre"cequel'onsaitoucroit.Ilyaunedifférenceentrecequiestprésupposé(sémantiquement)parl'encyclopédieetcequiestpragmatiquementprésupposédansleprocessusd'interprétationd'untexte.Sedemander si savoirqu'un individudonnéestunhommesignifie aussi savoirqu'il adeuxpoumonsetsavoiraussi,parlaforced'implicationssuccessives,queriennesecréeetrienneseperdestunequestionquidépenddelaprofondeurquantificationnelledel'énoncé,c'est-à-diredela"complexitémaximaledelaconfigurationdesindividusconsidérésenluiàn'importequelmoment,comparésaunombredesindividusimpliqués"(Hintikka,1970:170). ToutcelanoussembleconfirméparHintikka,dansl'article"Degreesanddimensionsofintentionality"publiéinVS19/20:"Lescritiquesquimettentendouteleréalismedelasémantiquedesmondespossiblesnégligentfréquemmentlefaitqu'unedesdisciplineslesplusimportantespourl'étudedelanatureetdelasociété, à savoir la théoriede laprobabilité, est normalement formulée endes termes semblables à ceuxd'unesémantiquedesmondespossibles."Hintikkaobservecependantquelesmodèlesdesthéoriciensdelaprobabilité sont sans doute plus "modestes " que lesmondes possibles de Leibniz: ce sont des " petitsmondes ", c'est-à-dire un type de cours alternatif qu'une expérience peut raisonnablement prendre enconsidération.Mais–ensemontrantperplexequantàunemploiplusambitieuxdelamétaphoredeLeibniz–ilpensequel'ondoitjustementtravaillersurde"petitsmondes". nOnentend|fermé|dansunsenstotalementdifférentdeceluiquel'onemploiepourl'oppositionentrefabulaeouvertesetfabulaefermées.Onl'entendausensproposéparReichenbach(TheDirectionofTime,UniversityofCaliforniaPress,1956,p.36-40):encesens,unechaînecausaleferméepermetdesparcoursàl'infiniet(quantauxeffetstextuels)desissuesplutôt"ouvertes".Maisilestclairqu'ils'agitdecatégoriesdifférentesetquelesdeuxrécurrencesdulexème|fermé|représententuncasd'homonymie. oIlseraitamusantdeformaliserl'affirmationsuivante,quiestdevenueaussil'objetd'unposter:IknowthatyoubelieveyouunderstandwhatyouthinkIsaid,butIamnotsureyourealizethatwhatyouheardisnotwhatImeant. pLesVillesinvisibles,Paris,Seuil,1974,p.100.JeremercieTeresaDeLauretis("Semiosisunlimited",PTL2,1977)d'avoirproposécetextecomme"parabole"finaleàunarticlesurmonTrattatodisemioticagenerale. qCf.CharlesSamaran,dansl'IntroductionàA.Dumas,lesTroisMousquetaires,Paris,Garnier,1968. r Que dire alors des parodies littéraires, où subsiste l'image vivace de l'œuvre originale mais oùbeaucoupdepropriétésS-nécessairessontaltérées?Commentpouvons-nousencecasétabliruneidentitéentreunindividud'unmondeWNparodiéetunindividu,homonyme,d'unmondeWPparodiant?Imaginonsune comédie musicale inspirée des Trois Mousquetaires, où Richelieu serait un danseur de tango, oùd'ArtagnanépouseraitavecbonheurMilady(qui,elle,n'auraitjamaisconnuAthos)aprèsavoirvenduàunusurier les ferrets d'Anne d'Autriche. Qu'est-ce qui nous permettrait de reconnaître dans cette comédiemusicale les personnages comme étant ceux de Dumas, après que tant de propriétés S-nécessaires etessentiellesauraientétéaltérées?Unepremièreréponseestque,biensouvent,desparodiesdecegenreneseréfèrentplusauxpersonnagesd'unromanmaisàdespersonnagesdésormaismythiques,quisontpassés

Page 181: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

du roman d'origine à un répertoire encyclopédique généralisé. Bien des gens n'ont pas lu Cervantès etreconnaissentpourtantunpersonnagedel'encyclopédiequis'appelleDonQuichotte,quiavaitlapropriétéd'êtremaigre,fouetespagnol. C'estsurcestypesgénériqueslàquelaparodiejoue.Cependant,ilsepourraitaussiquelaparodieaitdéterminélevraicaractèred'unpersonnagederoman:disonsque,dansnotrecas,elleauraitdécidéquelavraiemorale(lavraiefabula)desTroisMousquetairesest:"Commenttriomphergrâceàdescoupsbasetjouirde lavie. "Et en ce cas, en réduisant les individusdu romanaux seulespropriétésnécessairesquiconcernentcettefabula,ellesuggérerait: "Vous,vousnelesreconnaissezpas,ouplutôtvousnelesreconnaissezquecommehomonymes,maismoijevousdisquesionlitbiencelivre,lespersonnagesn'étaientpasautrechosequecela."Ilyauraituneréductiondespropriétésquicomptentàlalumièred'unecertainedescription.

Page 182: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

9.

STRUCTURESACTANCIELLESETIDÉOLOGIQUES

9.1.STRUCTURESACTANCIELLESQuand il a actualisé les structures narratives et alors qu'il avance des

prévisions sur les états de la fabula (en déterminant desmondes possibles), lelecteur peut formuler (avant, pendant, après) une série de macropropositionsencoreplusabstraitesquelesmacropropositionsnarratives.Ilpeutdépouillerlesacteursde leur individualitéet les réduireàdesoppositionsactancielles (sujet-objet,adjuvant-opposant,destinateur-destinataire),endécidantque,danscertainscas,plusieursacteursrecouvrentununiquerôleactanciel. La définition de la position théorique de ce nœud coopératif est renduedifficile par le fait que, d'un côté, le lecteur devrait déjà avoir préfiguré deshypothèsessurlesactantsafindepouvoirdéfinircertainesstructuresnarrativesetque,d'unautrecôté,ildevraitavoirdéjàdéterminédesmondespossibles,avecleursindividus,afind'établirquelssontlesacteursenjeu. Prenons un texte comme Sylvie de Gérard de Nerval. Trois femmes yapparaissent,Sylvie,AuréliaetAdrienne:chacuneentreavecuneautredansunjeu d'opposition toujours changeant, prenant divers rôles actanciels, l'une oul'autre devenant tour à tour la présence réelle, en tant qu'opposée au souvenir,selon l'état de la fabula et la section temporelle (présent, passé proche, passééloigné) dont le narrateur parle. Ainsi le lecteur doit avoir déjà avancé unehypothèse sur le rôledupersonnagedanscetteportionde fabulapourpouvoirformulerdesmacropropositionsnarrativesetd'autrepartildoitavoirreconnulesétats de la fabula dans leur succession logique pour établir si une portiondiscursive donnée représente un fait qui se produit, qui s'est produit, qui estrappelé,quidanslepasséaétécrupuiscontreditparlaréalitésuccessiveetainside suite.Et bien sûr, onnepeutpas identifier demondespossibles sans avoir

Page 183: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

actualisé les structures discursives; mais pour désambiguïser certainsenchevêtrementsdetempsverbaux,ilfaudraitdéjàavoirformulédeshypothèsessurlesmondesmaisaussisurlacharpenteactancielleetlesrôlesrecouvertsparlespersonnages. Ce sont là quelques-unes des raisons qui rendent improbable unereprésentation théorique des niveaux profonds de coopération en séquencelinéaire.Le texte est traversé (commeon le suggérait au chapitre 4.2) par desrenvois,desbondsenavant,desanticipationsetdesretoursenarrière. Lathématiquedesstructuresactancielles,dontlesapportslesplusintéressantsetlesplusfructueuxsontsanscontesteceuxdeGreimas,aeudesantécédentsendehorsmêmedel'étudedelanarrativité.Nouspensonsauxnotionsd'agentetdecontre-agentchezBurke(1969),auxrôlessituationnelsdePike(1964)etsurtoutauxcasdeFillmore (1970), sansoublier lespropositionsd'analyse sémantiquechezBierwisch(1971).Lanotiond'actants'insèreaucœurd'unereprésentationsémémiquesousformed'encyclopédie.Donc,sidesoncôtélesémèmeproposedéjà des éléments pour la formulation d'hypothèses actancielles à des niveauxnarratifspluscomplexes,deleurcôtéleshypothèsesactanciellesformuléesau-delàduniveaudelafabuladéterminent,dèslespremierspasdelacoopérationtextuelle,lesdécisionssurlesactualisationssémantiques. Quand nous lisonsQuatrevingt-Treize, de Victor Hugo, à quel moment duromandécidons-nous,surdesdéclarationsexplicitesetréitéréesdel'auteur,quece qui est raconté, c'est l'histoire d'un sujet grandiose, la révolution, voix dupeuple et voixdeDieu, sedessinant contre sonopposant, la réaction?C'est-à-dire:quandcomprenons-nouspleinementqueLantenacouCimourdain,Gauvainou la Convention, Robespierre ou la Vendée sont les manifestationssuperficiellesd'unconflitplusprofondsur lequeletduquel l'auteurparleavanttout?Et, aprèsavoir compriscela,quand le lecteur renonce-t-il à identifier lespersonnages,certains"historiques"etd'autresfictifs,quipeuplentleromanau-delàdes limitesdumémorisable? Il est clairquedansuneœuvrede cegenre,l'hypothèse actancielle ne survient pas pour résoudre une série d'abstractionssuccessives,desstructuresdiscursivesà lafabulaetde lafabulaauxstructuresidéologiques;enfait,elles'instauretrèstôtaucoursdelalecture,elleguideleschoix,lesprévisionsetdéterminelesfiltragesdesmacropropositions. Onpeutlaissertomberuneactionouunévénementetconsidérerenrevanchequeleslonguespéroraisonsphilosophiquesdel'auteurs'insèrentdanscequiestvraiment pertinent pour la fabula, car parmi une foule de visages, de gestes,d'aventures,lesseuleschosesàretenirsontcellesquinousdisentcequefaitla

Page 184: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

révolutionpourpoursuivresondessein,commentelleagitsurlesindividusetendirigelesactions. Nousnevoulonsabsolumentpasdire,aveccela,quelatentativedeconstruiredescarrésetdesoppositions,defaireémergerlacharpenteprofonded'untextesoitànégliger.Aucontraire,c'est laseule façondemettreen lumièrecequi"compte"dansletexteetcequelelecteurcoopératifdevraitfaire.Cequenousvoulons dire, c'est que la construction de la charpente profonde est le résultatfinal d'une inspection critique et que, comme telle, elle ne survient qu'à unephase avancée (et réitérée) de lecture. Mais dans notre optique présente (onessaie de cerner les nœuds textuels où un type déterminé de coopération estrequis),ladécisionthéoriquedevientdésespérée.Noussavons,dumoinsquandla reconstruction critique est effectuée, qu'un texte a ou devrait avoir tellestructureactancielle,maisnouspourrionsdifficilementdireàquellephasedelacoopérationleLecteurModèleestinvitéàl'identifier.

9.2.STRUCTURESIDÉOLOGIQUESOn peut en dire autant pour ce que nous avons appelé les structures

idéologiques,auxquelles tantdeplaceaété faitedans les recherches textuellesde ces dix dernières annéesa. A la suite de ce qui a été dit sur la naturesémiotiquedes idéologiesdans leTrattato (3.9),nousobserverons toutd'abordque, tandis qu'une charpente actancielle se présente – comme bagageencyclopédique déjà, avant même qu'elle ne se soit réalisée dans un texte –commeunsystèmed'oppositionsvides,unestructure idéologique,elle (tantauniveaudelacompétenceencyclopédiquequedanssonactualisationtextuelle),semanifeste quand des connotations axiologiques sont associées à des pôlesactanciels inscrits dans le texte. C'est quand une charpente actancielle estinvestie de jugements de valeurs et que les rôles véhiculent des oppositionsaxiologiques comme Bon vsMéchant, Vrai vs Faux (ou encore Vie vsMort,NaturevsCulture)queletexteexhibeenfiligranesonidéologie. Nous cernonsmieux ce qui avait été à peine suggéré au chapitre 4.6.7. : lacompétenceidéologiqueduLecteurModèleintervientpourdirigerlechoixdelacharpenteactancielleetdesgrandesoppositions idéologiques.Parexemple,unlecteur dont la compétence idéologique consisterait en une opposition,rudimentaire mais efficace, entre Valeurs Spirituelles (connotées comme "bonnes")etValeursMatérielles(connotéescomme"mauvaises"),pourraêtre

Page 185: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

tenté d'actualiser dans un roman comme la Mort à Venise deux grandesoppositions,lavocationesthétiqued'Aschenbachcontresondésircharnel(doncEsprit vs Matière), en assignant, au niveau des structures idéologiques, unemarquede«positivité»aupremieretunemarquede«négativité»àlaseconde.Lecture assez pauvre et peu problématique, mais on cherchait justement unexemple de la façon dont la compétence idéologique détermine l'actualisationdesstructurestextuellesprofondes.Naturellement,untextepeutprévoirunetellecompétencechezsonLecteurModèleettravailler–àtoussesniveauxinférieurs– à l'ébranler, et amener le lecteur à déterminer des structures actancielles etidéologiquespluscomplexes. Ilyaaussidescasdedécodage"aberrantb"(plusoumoinsheureux).Celuides Mystères de Paris (cf. 3.3) est typique: la propension idéologique deslecteursprolétairesafonctionnécomme"embrayeur"decodeetlesaamenésàactualiser du point de vue révolutionnaire un discours fait du point de vueréformiste. La compétence idéologique n'agit pas nécessairement comme unfrein à l'interprétation, elle peut aussi fonctionner comme un stimulant. Et,parfois, elle amène à trouver dans le texte des choses dont l'auteur étaitinconscientmaisqueletextevéhiculaitd'unecertainemanièrec.

9.3.LESLIMITESETLESPOSSIBILITÉSDEL'INTERPRÉTATIONPROFONDE

Quesepasse-t-ilquandlelecteur,enidentifiantdesstructuresprofondes,met

enlumièrequelquechosequel'auteurnepouvaitpasvouloirdireetquepourtantletextesembleexhiberavecuneabsolueclarté?Onfrôleicilalimitetrèsmincequisépare lacoopération interprétativede l'herméneutique–et,parailleurs, lepropredel'herméneutique,n'est-cepasd'assumerladécouvertedansletextedelavéritéqu'iloffre,laisseentrevoir,transparaître? Biensûr,ilyaherméneutiqueetherméneutique.Lesétymologiesd'IsidordeSéville – et nombre de celles deHeidegger – font dire auxmots ce qu'ils nepeuventpasdiresil'encyclopédieauneexistencesocialeobjective;leslecturesmédiévales deVirgile utilisées comme texte prophétique faisaient violence audiscoursvirgilien.Encesens, le texten'estpas interprétémaisutiliséen touteliberté,commesic'étaitunjeudetarots. Mais dans le cas de quelqu'un qui parcourt un texte pour en tirer desconclusionssurlespulsionsprofondesdel'auteuroupourytrouverdestracesde

Page 186: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

sonidéologieinavouée,c'estdifférent.Suesevoulaitrévolutionnaireetilaécritunlivreréformistemâtinédeconservatisme.Pourtant,seslecteursouvriersyonttrouvédesappelsàlarévolution.Quiavaitraison?Poevoulaitraconterl'histoired'un esprit très lucide – Dupin –, or bien des gens ont vu dans la trilogie deDupin lamise en scène d'un théâtre de l'inconscient.Est-il légitime de ne pasobserver les affirmations explicites de l'auteur sur la rationalité lucide etcontrôléedeDupin? Supposonsqu'il existeun textenarratif,produitcesdernièresannées,où,auniveau des individus, des propriétés et des relationsmais aussi au niveau desstructures syntaxiques même, se manifestent de façon obsessionnelle desimprécisionsactancielles,deséchangesd'anaphores,despassagesbrusquesdelapremière à la troisièmepersonne, en unmot, des difficultés à reconnaître et àrendre reconnaissables les sujetsmis en jeu par l'énoncé et le sujet-auteur lui-mêmeentenducommestratégieénonciative.Iln'estpasdifficiled'attribuercettedescription à une grande série de textes expérimentaux ou d'avant-garde.Celanous autorise à présumer que l'auteur avait en tête tous ces aspects del'encyclopédie courante, selon laquelle de tels phénomènes expressifs sontcorrélésàdescontenusdedissociationetàdescrisesd'identité.Ondoitattribuerau texte, parmi ses contenus, une vision schizomorphe – non décrite maismanifestée en prise directe, comme style, comme modalité d'organisation dudiscours.L'auteur en tantque sujet empiriquede l'énoncépouvait êtreplusoumoins conscient de ce qu'il faisait,mais textuellement il l'a fait; une situationsimilaire: je peuxne pas savoir qu'un certainmot a une certaine signification,mais à partir du moment où je le prononce, j'ai dit ce que j'ai dit. Alors, auniveau psychologique on parlera de gaffe, on dira que j'ai parlé en étatd'obnubilationmentale,quejesuisunsot,quej'aifaitunlapsus. Maislà,onestdéjàpasséàunesituationdifférentequel'onpeutexemplifieravecunautretexte,produitàuneépoqueoùlesdécouvertesdelapsychiatrieetde la psychanalyse n'étaient pas encore du domaine public (ou produit par unauteur contemporain ayant une encyclopédie très restreinte). Ce texte peutraconterunehistoire anodine,maisona lanette impressionque sedessine enfiligrane, par l'emploi de métaphores obsédantes ou la disposition syntaxiqueparticulière,lareprésentationd'uneattitudeschizoïdeoud'uncomplexed'Œdipe.Pourrons-nous dire que cette structure fait partie du contenu du texte que leLecteurModèleétaitappeléàactualiser? Par interprétation, on entend (dans le cadre de ce livre) l'actualisationsémantiquede tout ceque le texte, en tantque stratégie,veutdire à travers la

Page 187: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

coopérationdesonLecteurModèle.Onpourraitalorssoutenirqu'un textequi,autraversdesesstructures,manifestelapersonnalitéschizoïdedesonauteurouuncomplexed'Œdipeobsessionneln'estpasuntextequirequiertlacoopérationd'unlecteuridéalpourmettreenévidencecestendancesinconscientes.Mettreànucestendancesnerelèvepasduprocessusdecoopérationtextuelle.C'estplutôtleressortd'unephasesuccessivedel'approchetextuelleoù,aprèsavoiractualisésémantiquementletexte,onpoursuitenl'évaluant,enlecritiquant;cettecritiquepeutsefixerplusieursbuts:l'évaluationdusuccès"esthétique"(quellequesoitla définition que l'on donne de cet effet), l'évaluation des relations entreidéologie,solutionsstylistiquesdel'auteuretsituationéconomique,larecherchedesstructuresinconscientes(quineconstituentpaspourautantlecontenuvouluparl'auteur).C'estpourquoidetellesenquêtespsychologiques,psychiatriquesoupsychanalytiques, importantes et fructueuses, appartiendraient à l'utilisationdutexteàdesfinsdocumentairesetsesitueraientdansunephasesuccessiveàsonactualisationsémantique(mêmesilesdeuxprocessuspeuventsesurdéterminerréciproquement).Commesi,devantl'expressionJ'avouetout|,c'étaitl'affairedela coopération textuelle de mettre en acte les explicitations sémantiques, dedéfinir le topic, de clarifier en somme les présuppositions et les circonstancesd'émissiondecetactelinguistique;etcommesi,enrevanche,employerletextecomme témoignagedu fait que le locuteur est coupable d'un certain délit étaitl'affaire d'une utilisation documentaire. Cela voudrait dire que, face àl'expression | Viens ici, je te prie |, ce n'est pas l'affaire de la coopérationtextuelled'eninférerquelelocuteurestmûparundésirévidentquej'ailleverslui. Or, il nous semble que ce type d'inférence est la partie essentielle del'actualisationdumessage,encorequel'onpourraitdireque,dupointdevuedelacoopérationtextuelle,jedécidesimplementquelesujetdel'énoncédésirequej'ailleverslui,tandisquec'estdupointdevuedel'utilisationdocumentairequejedécidequecedésircoïncideavecledésirdusujetdel'énonciation. Supposons un texte où l'auteur, de toute évidence, ne pouvait pas être aucourantdesdonnéesencyclopédiquesselonlesquellesuneséried'actionsouderelationsexprimedescontenuspsychiquesdonnés,etoùpourtantilestmanifestequetoutelastratégietextuelleamènefatalementàyinvestirdescontenusdecegenre.L'Œdipe roi de Sophocle pourrait être un cas typique, du moins de lafaçon dont l'a lu Freud. Il est évident que nous pouvons liremaintenant cettetragédiecommeétant référéeàuneencyclopédiequienregistre les résultatsdel'interprétation freudienne, or ni Sophocle comme sujet de l'énonciation, niSophoclecommestratégietextuellenepouvaientrenvoyeràcetteencyclopédie.Toutefois, l'obstination aveugle d'Œdipe à refouler la vérité, qui se présente

Page 188: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pourtantàluiplusieursfoisetdemanièreincontestable,sembleêtrejustementlecontenu premier du texte de Sophocle (voir la lecture en termes de mondespossibles et de relations structuralement nécessaires que nous en donnons auchapitre8).Nousdironsalorsque,danscecas,l'auteurétaitentraind'instituerdenouvellesdonnéesd'encyclopédie.Le textecommeacted'invention (voir ladéfinition de cette catégorie dans le Trattato, 3.6.7 et suivants) institue unnouveau code, pose pour la première fois une corrélation entre des élémentsexpressifs et des données de contenu que le système sémantique, jusqu'alors,n'avaitpasencoredéfini etorganisé.Encecas, la lecture freudienneconstitueuneopérationlégitimedecoopérationtextuelle,elleactualisecequ'ilyadansletexte et que l'auteur, en tant que stratégie d'énoncé, ymet.Maintenant, que leSophocle empirique, comme sujet de l'énonciation, ait été plus ou moinsconscient de ce que textuellement il était en train de faire, ça c'est l'affaire del'utilisation,d'unelecturesymptomalesortantdel'activitédéfinieparunethéoriede la coopération textuelle; cela concerne, si on veut, Freud commemédecinpersonneldeSophocleetnonpasFreudcommeLecteurModèled'Œdiperoi.Cequinousamèneàdire(ouàredire)queleLecteurModèledel'Œdipen'estpasceluiauquelSophoclepensaitmaisceluiqueletextedeSophoclepostule. De la même façon, il est clair que le texte de Sophocle, en postulant sonpropre Lecteur Modèle comme stratégie coopérative, construit un lecteurcapable de mettre en lumière ces données de contenu qui jusqu'alors étaientrestéescachées(enadmettantnaturellementqueSophoclen'aitpasétélepremieràserendrecomptedecesphénomènesconnussouslenomdecomplexed'Œdipeet que dans l'encyclopédie de la culture grecque de l'époque il n'ait pas déjàexisté des compétences organisées à ce sujet, éventuellement comme traditionintertextuellemythique).End'autres termes, leLecteurModèlede l'Œdipeestappeléàaccomplircoopérativementlesmêmesopérationsdereconnaissancederelations qu'Œdipe, en tant que personnage, est invité à accomplir – et qu'ilaccomplitavecquelqueretard.Encesens,certainstextesnarratifs,enracontantl'histoire d'un personnage, fournissent en même temps des instructionssémantico-pragmatiquesàleurLecteurModèledontilsracontentl'histoire.Ilestlégitimedepenserquecelasepasseplusoumoinsainsidanstouttextenarratifetpeut-êtredansbeaucoupd'autrestextesnonnarratifs.Detefabulanarratur. Afindemieuxcernerladifférencequenousessayonsdedéterminer,prenonsl'exemple d'une des interprétations données par Marie Bonaparte de l'œuvred'EdgarAllanPoed.Elle litde façonsymptomale l'œuvredupoète (déjàdéfiniparLauvrièrecommeundégénérésupérieuretparProbstcommeunépileptique)pour en tirer la conclusion que c'était de toute évidence un impuissant total,

Page 189: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dominéparl'impressionque,enfant,iléprouvaàlavuedesamère–mortedeconsomption – couchée dans son cercueil; ce serait là l'explication de cetteattirancemalsaineque,adulte,ilressentit,danslafictioncommedanslaréalité,pourdesfemmesprésentantlesattributsmorbidesetmortuairesdesamère.D'oùsesamourspourdesfemmes-enfantsmaladesetseshistoirespeupléesdemortsvivants. Ces données sont prises indifféremment dans la vie du poète et dans sestextes ; procédé correct pour une enquête psychologique sur le personnageditEdgarAllanPoe,maisàrejeterpouruneenquêtesurcetAuteurModèlequelelecteurdecestextessereprésente,etqu'ilabesoindesereprésenter,mêmes'ilnepossèdeaucunedonnéebiographiquesurPoe.Nouspouvonsdoncaffirmerentoute tranquillité que Marie Bonaparte utilise les textes de Poe comme desdocuments, des symptômes, des protocoles psychiatriques. Il est dommagequ'ellen'aitpulefaireduvivantdePoe,elleauraitpucontribueràleguérirdeses obsessions. Mais enfin, c'est comme ça et ce n'est pas la faute de MarieBonaparte.Ilnousreste,puisquePoeestmort,lasatisfaction(toutehumaineetscientifiquementtrèsproductive)deréfléchirsurlesproblèmesexemplairesd'ungrandhommeetsurlesliensmystérieuxentremaladieetcréativité. Toutcelan'arienàvoiravecunesémiotiquedutexteniavecuneanalysedecequelelecteurpeuttrouverchezPoe.MaisMarieBonapartesaitaussifairedela sémiotique textuelle et d'une façon tout à fait remarquable. Dans le mêmeessai, elle analyse, quelques pages plus loin, le poème«Ulalume» : le poèteveut se diriger vers l'astre Vénus-Astarté, Psyché terrifiée le retient, il n'enpoursuitpasmoinssoncheminpourtrouver,àlafindesonvoyage,latombedesa bien-aimée. Marie Bonaparte observe que le symbolisme du poète esttransparent,etelleenfaitunesorted'analyseactancielleantelitteram:unacteurmortempêchePoed'allerversl'amournormal,psychiqueetphysique,symboliséparVénus.Transformonslesacteursenpurespolaritésactanciellesetnousavonsunsujetquiviseàunobjet,unadjuvantetunopposant. Elle examine ensuite trois récits, " Morella", " Ligea " et " Eléonore ",trouvant que tous trois ont lamême fabula.A quelques différences près, nousavons toujoursunmariamoureuxd'unefemmeextraordinaire, lafemmemeurtdeconsomption,l'épouxluijureundeuiléternel,netientpassapromesseetselie à une autre femme ; mais la mort réapparaîtra et enveloppera la nouvellefemmedans lemanteaudesonfunèbrepouvoir. Ilest faciledepasserdecettefabula (véritable scénario intertextuel) à des structures actancielles; MarieBonaparte le fait d'instinct quand elle décide de considérer comme morte la

Page 190: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

secondefemmedeladernièrenouvelle–quipourtantnemeurtpasmaisqui,enquelque sorte, recouvre le rôle d'objet d'amour qui se soustrait à l'aimé ens'identifiantainsiàlapremièrefemme.MarieBonapartereconnaîtdanslestroisnouvelles la structure d'une obsession et elle la reconnaît surtout comme uneobsessiontextuelle. Mais voilà qu'après une si belle analyse l'auteur conclut que la vie d'EdgarAllanPoe fut semblable à celle des héros de ces récits, opérant ainsi un écartméthodologique qui déplace son attention, de l'interprétation des textes à leurutilisationdupointdevueclinique. Passonsmaintenantàunelecturequiseproposeunbutopposé,plusprochedenosintentions.C'estcellequemèneJacquesDerridasur"laLettrevolée"dans"Lefacteurdelavérité"(seréférantàuneautrelecturedeMarieBonaparteetàunelecturetrèscélèbredeLacanque,parailleurs,ilcritique)e. En partant de sa propre compétence idéologique, qui l'amène à privilégierdansletextelediscoursdel'inconscient, ilyidentifiedessujetsplusgénérauxquelesacteursquilesreprésentent.Cequicompte,cen'estpastantlanaturedelalettrequelefaitqu'ellerevienneàlafemmeàquielleavaitétésoustraite,ouqu'elle soit retrouvéeaccrochéeàunclou sous le centrede la cheminée (" surl'immense corps de femme, entre les jambages de la cheminée ") ; et ce quicompte,cen'estpas tant l'acteurDupinque le faitqu'ilmanifesteuncaractèredouble faisant qu'il s'identifie successivement à tous les personnages. Peuimporte pour nous de décider ici si l'interprétation de Derrida satisfait à lapluralité des contenus possibles exhibés par le texte de Poe. Ce qui nousintéresse, c'est queDerridaveuillemettre en lumière, comme il dit (et cela endésaccordavec lapositionqu'ilattribueàLacan), les"structures textuelles" :c'est-à-dire qu'il veuille " interroger l'inconscient de Poe " mais " pas lesintentionsde l'auteur"etque,pourcefaire, ilessaiede l'identifier"à telleoutellepositiondesespersonnages". Ainsi, Derrida part de la fabula (sélectionnée selon ses propres tendancesidéologiques qui l'amènent à déterminer ce qui selon lui est le topic de toutel'affaire,unehistoiredecastration)pourallerverslesstructuresactancielles,enmontrantcommentellessemanifestentauxniveauxprofondsdutexte.Bonneoumauvaise,l'opérationestentoutcaslégitime. Resteàsavoirsiceprocédénetientpasplusdel'interprétationcritiquequedelacoopérationinterprétative.Maislafrontièreentrecesdeuxactivitésesttrèsminceetondoitl'établirentermesd'intensitécoopérative,declartéetdelucidité

Page 191: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dansl'expositiondesrésultatsd'unecoopérationaccomplie.Lecritique,danscecas, est un lecteur coopérant qui, après avoir actualisé le texte, raconte sespropresmouvementscoopératifsetmetenévidencelafaçondontl'auteur,parsastratégietextuelle,l'aamenéàcoopérerainsi.Ouencore,ilévalueentermesderéussite esthétique (quelle que soit la définition théorique qu'il en donne) lesmodalitésdelastratégietextuelle. Les formes de la critique sont, on le sait, variées: il y a la critiquephilologique, esthétique, sociologique,psychanalytique ; cellequi exprimedesjugements de valeur et celle quimet en lumière le parcours d'une écriture. Etbiend'autresencore.Cequinousintéresse,nous,cen'estpasladifférenceentrecoopérationtextuelleetcritique,maiscelleentrecritiquequiraconteetexploitelesmodalitésdecoopérationtextuelleetcritiquequiutiliseletexte,commenousl'avonsvu,àd'autresfins.Nousnousborneronsàconsidérerlepremiertypedecritiquecommeétantétroitementliéauxprocessusquecelivretendàmettreenlumière.Cettecritique-là,c'estcellequiaideàréaliserlacoopération,mêmelàoù notre manque d'attention risquait de la faire échouer. Cette critique, nousdevrons la définir, dans l'optique qui est la nôtre, comme l'exemple decoopération textuelle " excellente ".Mêmequand elle divergedes résultats denotre coopération et que l'on estime devoir refuser au critique la fonction deLecteurModèle.Remercions-lesimplementd'avoiressayé.

9.4.STRUCTURESPROFONDESINTENSIONNELLESETSTRUCTURESPROFONDESEXTENSIONNELLES

Ilyauneautreraisonquinousaamenéàprivilégieraucoursdecechapitre

non tant la mécanique structurale des oppositions idéologiques et actanciellesquelemomentetlesconditionsdeleuridentification.Reprenonslafigure2(cf.p. 93). A droite, nous avons les mouvements accomplis par le lecteur enextension: quels sont les individus en jeu, quels sont les états du monde, lescoursd'événements?Sommes-nousfaceàuneséried'assertionsquiconcernentlemonde où nous vivons ou unmonde possible? Et quel que soit cemonde,quellesprévisionspouvons-nous faire surcequiva sepasser?Agauche,nousavonslesmouvementsaccomplisparlelecteuren intension:quellespropriétésassignerons-nousauxindividusenjeu,indépendammentdufaitqu'ilsexistentounon dans lemonde de notre expérience?Quelles abstractions représentent-ils?Sont-ilsbonsoumauvais?Plusieursindividusjouent-ilslemêmerôle?etc.

Page 192: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Mais ces deux ordres demouvements sont-ils vraiment si irréductibles quecela?Siuntextenarratif (si tout texte)n'étaitsignifiantquedans lamesureoùsespropositionssontvérifiablesdanslemondedenotreexpérience–c'est-à-direseulementsitoutcequeletexteditseproduitous'estproduitdanslemonde"réel " –, alors, il y aurait bien peu de travail coopératif à faire sur un textenarratif(surtouttexte).Toutserésoudraitlàoù(danslafigure2)nousavionsaucontraireparenthétisélesextensions.Sil'onestimequesoitletexteparled'états"réels",soitilneparlederien,alorstoutetentativedefairedesprévisions,d'ydéterminerdesactantsdevientinutile. C'est pour se sortir de cette ornière que la sémantique logique a élaboré lanotiondemondepossible,afindetraduirelesproblèmesintensionnelsentermesextensionnels.Direalorsqu'unepropriétéestvalablepourun individudansunmondepossibleetqu'unepropositionestvraiedansunmondepossible(décisionformuléeentermesextensionnels),celasignifiereproposercetteproblématiquedela"véridiction"quelasémantiquestructuraledeGreimas(1973:165;1976:80) met en jeu au niveau intensionnel. Dire qu'un texte nous offre uneproposition donnée comme vraie dans unmonde possible (celui que la fabuladessine ou celui que le texte attribue aux attitudes propositionnelles despersonnages)signifiedirequeletextemetenactedesstratégiesdiscursivespournous présenter quelque chose comme vrai ou comme faux, comme objet demensonge ou de réticence (secret), comme objet de croyance ou commeproposition affirmée pour fairecroire ou pour faire faire. Ainsi, le fait que lelecteur, au niveau des prévisions, avance un projet d'un possible étatd'événements doit être évalué au niveau extensionnel dans sa cohérence ou sanon-cohérence avec le développement successif de la fabula; au niveauintensionnel, par contre, cela peut nous amener à nous interroger sur la façondont le texte a agi pour stimuler cette croyance (à laquelle le texte, dans unephasesuccessivedelafabula,assigneunevaleurdevérité1oD). Donc, construire des matrices de mondes mutuellement comparables etassigner des propriétés à des individus n'est pas très différent, semble-t-il,d'assignerdes rôles actanciels à des acteurs, surtout si certainesdespropriétésdesindividusd'unefabulasontstructuralementnécessaires,àsavoirfondéessurlamutuellesolidaritédesindividusàl'intérieurd'unmonde.Aucontraire,ilfautse demander si même les assignations de valeurs de vérité, en termesextensionnels, ne doivent pas venir faire partie des structures idéologiques dutexte.Danslesfabulaelogiquesaussi,ilyadesstructuresidéologiques. Toutescesraisonsfontquelesprocessusdedécisionextensionnelleentermes

Page 193: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

de structures de mondes, étudiés dans le chapitre précédent, semblent sesuperposeràbiendeségardsauxprocessusintensionnelsdontnousavonsparlédans ce chapitre – qui peut-être ne proposent qu'une version alternative despremiers. Nous avons employé " semblent " et " peut-être " par prudenceméthodologique:enfait,lemodèlereprésentédanslafigure2atentédemettreenrelationdescatégoriesquiproviennentd'universderecherchetrèsdifférents.Ilnousaparunécessaired'accomplircetteopération(sansencacherlesrisquessyncrétistes), car, en définitive, tous ces univers de recherche ont un objetcommun, même s'ils le définissent différemment: c'est la sémantique et lapragmatiquedestextes. aCf.parexemplenosrecherchessurJamesBond,lesMystèresdeParis,Superman,etc.,inEco1965a,1965b,1968,1976. bOnadéjàparléàplusieursreprisesdedécodageaberrant(Eco,1968,1977,etEcoetFabbri,1978).Voir aussi le diagrammede la figure 1(cf. p. 69) dans ce livre.On ne doit attribuer au terme | aberrant|aucuneconnotationnégative:onentendseulementundécodagequi,loindeseconformerauxintentionsdel'émetteur, en inverse les issues. Un tel décodage est " aberrant " eu égard à l'effet prévu,mais il peutconstituer une façon de faire dire au message ce qu'il pouvait dire ou même d'autres choses qui sontintéressantesetfonctionnellespourlesproposdudestinataire. cQueSuesesoitcrurévolutionnairequandilétaitréformisten'estpasprisencompteici.Lesstructuresidéologiques ne concernent pas les intentions du destinatairemais ce que le textemanifeste ou contientvirtuellement.Ellesneconcernentpasnonplusdesnomsoudesétiquettesmaisdesstructuressémiotiquesactualisables.C'estpourquoi il sepouvait trèsbienqueSue,pourdes raisons idiosyncrasiques, appelle "idéologie révolutionnaire " ce que d'autres (Marx et Engels, par exemple, lecteurs de Sue) appelaient "idéologieréformiste".l'oppositiond'étiquetteslaissaitetlaisseintacteslesoppositionsidéologiquesquisedessinent dans lesMystères, par exemple l'opposition « océan de la rage populaire vs action de charitéilluminéeducapital»,quiconnote«RisqueàévitervsSolutionoptimale».Biensûr,ilestdifficiledelireSueenfaisantabstractiondecesoppositionstellesquel'auteurlesaétiquetées.Cen'estpasunhasardsil'onrequiert,pourmettreenlumièrecescontradictionsentreniveaudiscursifetniveauidéologique,uneanalysecritiquecommeexempledecoopérationinterprétative"excellente"quiprimeletextecontrel'auteur,c'est-à-direl'AuteurModèlecontrel'auteurempirique. dCf.MarieBonaparte,PsychanalyseetAnthropologie,Paris,P.U.F.,1952. eJacquesDerrida,"Lefacteurdelavérité"inPoétique21,1975,LittératureetPhilosophiemêlées. L'oeuvredeMarieBonaparteàlaquelleonseréfèreest:EdgarPoe,savie,sonœuvre.Etudeanalytique,Paris,P.U.F.,1933.

Page 194: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

10.

APPLICATIONS:LEMARCHANDDEDENTSLespropositionsthéoriquesdeschapitresprécédentsontétéexpérimentéessur

debrefsfragments textuels.Danscechapitreetdans lesuivant,onessaieradeles appliquer à des portions textuelles plus grandes. Ici, on traitera de l'incipitd'unromandeconsommationcourante;dansleprochainchapitre,ils'agirad'unenouvelle complète qui présente en outre la caractéristique d'être " difficile ",ambiguë,passibledediverseslectures. LetextequenousallonsanalyserestledébutduromanTheToothMerchantde Cyrus A. Sulzberger. Nous l'avons choisi pour deux raisons. La première,c'est qu'il s'agit d'un exemple de narrativité " plane " ne présentant pas departiculières difficultés interprétatives et qui ne devrait donc pas, selon touteapparence, requérir d'interventions coopératives de la part du lecteur: on verrapourtantàquelpointilenrequiertetcombienellessontcomplexes,signequeleprincipedecoopération interprétativevautpour tout typede texte.Laseconderaisonestquenousenavonsunexemplede traduction italienne (le livreaétépubliéparBompianisousletitreIlmercantedidenti).Latraductionestcorrectemais, nous le verrons, elle " ajoute " quelque chose au texte original: elleintroduitsousformedelexèmesdanslasurfacelinéairedutextecequel'originalanglaislaissaitàl'actualisationdulecteur.Procédétypiquedetoutestraductionsqui représententeneffet,quandellessont réussies,unexempledecoopérationinterprétative rendue publique. C'est pourquoi nous donnerons la traductionitalienne à côté de l'original anglais, afin de pouvoir vérifier les hypothèsesthéoriquesquenousavonsélaboréesjusqu'iciab:(40)

1ThefoulestbrothelsinEurope2and1knowallofthem3areonAlbanozStreet4inthePerahdistrictofIstanbul

Page 195: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

5andthereIwassleeping6onelatesummermorningin19527besideaTurkishwhorenamedIffet8withacuntasbroadasthemercyofAllah9whensuddenlytherewasascreamatthedoor10followedbyathumponthestairs11"Aaaaaaiiiiieee,theAmericanFleet"12moanedIffet13haulingtheflyblownsheetaboutherhead14asthepoliceburstin.1Icasinipiùluridid'Europa2eioliconoscotutti3sonoinviaAlbanoz4nelquartierediPerah,aIstanbul,5einunodiquestistavodormendoio6unamattinaditardaestatedel19527accantoaunaputtanaanomeIffet,8dallaficagrandequantolamisericordiadiAllah,9quantofummorisvegliatidisoprassalto10dastrilligiùinbasso,seguitidaunoscalpicciosuperlescale11"Ahïahiahi,laflottaamericana!"12gemetteIffet13coprendosilatestacollenzuolo14Irruppeinvecelapolizia.1Lesbordelslesplusrépugnantsd'Europe2etjelesconnaistous

Page 196: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

3setrouventrueAlbanoz4danslequartierdePerah,àIstanbul,5etc'estdansl'und'euxquej'étaisentraindedormir6unmatindelafindel'été19527auxcôtésd'uneputainnomméeIffet,8auconaussigrandquelamiséricorded'Allah,9quandnousfûmesréveillésensursaut10pardescrisenbas,suivisd'unpiétinementmontantl'escalier11"Aïeaïeaïe,laflotteaméricaine!"12gémitIffet13ensecouvrantlatêteavecledrap.14Aucontrairecefutlapolicequifitirruption.

Le lecteur aura déjà résolu les problèmes concernant les circonstancesd'énonciation: il y a un x qui, dans un temps antérieur à celui de la lecture, aémisparécritletexteenquestion.Cetxsujetdel'énonciation(empiriquement:Cyrus A. Sulzberger) pourrait s'identifier au sujet de l'énoncé, à savoir le jenarrateurquifaitsonapparitionen2.Mais,enassumantdesrèglesdegenre,lesujetde l'énonciationseradissociédusujetde l'énoncéqui,de touteévidence,estunindividudumondenarratif.Lanarrationn'exposedoncpasseulementdesfaits extérieursmais aussi des faits " intérieurs " concernant en particulier lesréactionspsychologiquesdelavoixquiraconte. Aprèsavoiractualisé1(explicitationssémantiquestendantàenrichir1casino– bordel – de toutes ses composantes), on procède en 2 à l'actualisation de ladéclarationduprotagoniste(ilyaunx,décritpourl'instantdefaçonimprécisecomme étant celui qui est en train d'énoncer les propositions en question, quiaffirme connaître tous les bordels d'Europe) et on applique une règled'hypercodagerhétorique:ils'agitbiensûrd'unehyperbole.Premièreinférence:comme la connaissance de tous les bordels d'Europe est une opération quidemandebeaucoupdetemps,mêmesionenvisageuneréductionraisonnablede

Page 197: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

l'hyperbole,lenarrateuraconsacréunegrandepartiedesavieàcettepratique.L'hyperbole est atténuée par la restriction qui limite le nombre des bordelsconnusàceuxquisontlesplusrépugnants:celaappauvritlemondeépistémiquedunarrateurmaisenrichitnotreconnaissancedesesgoûtsetdeseshabitudes.Autreinférence:soitilfréquentelesbordelslesplusrépugnantsparperversion,soitilestcontraintdeselimiteràceux-cipourdesraisonssociales;lenarrateurest donc probablement un homme de basse condition; comme il doit avoirbeaucoup voyagé à travers l'Europe, il apparaît comme un vagabond.Ce n'estqu'en 4, en apprenant qu'on se trouve à Istanbul, port maritime connu, quel'inférences'enrichitd'autresélémentsprobables:ils'agitpeut-êtred'unmarin. Au cours de tous ces mouvements coopératifs, le lecteur a fait référence àl'encyclopédiepour établir, à travers |Europe |, une référenceaumondeW0 deson expérience.Ce qui lui a permis demieux actualiser | bordels | et les plusrépugnants |, en ayant recours à des scénarios communs valables dans sonencyclopédie (il ne doit pas s'agir de la taverne galactique de la Guerre desétoiles,mais de bordels commeon en trouve àGênes,Marseille ouAthènes).Notonsqu'arrivéà6,lelecteurestenmesure,grâceàladate1952,deprendredes décisions sur la nature de l'encyclopédie à laquelle faire recours (parexemple : à cetteépoque lenarrateurpouvait encore fréquenter légalement lesbordels de Gênes, puisqu'ils ont été fermés en Italie en 1958). A ce stade, lelecteurnesaitpasencorecependantquellepropriété sémantiquede |bordel |ildoit expliciter et lesquelles il doit narcotiser. Il attend, en gardant, pour ainsidire, le tiroir de l'encyclopédie ouvert. Mais il sait une chose, grâce à unepressionco-textuelle:debordels,ilactualiseralapropriétéconnotatived'êtredeslieuxsordides. Après avoir lu 3 et 4, il effectue quelques opérations assez complexes. Leformatdel'encyclopédiedulecteurluipermetprobablementd'avoirdesnotionssur Istanbul mais pas sur la rue Albanoz et le quartier de Perah. Il va doncactualiserd'abordtoutcequiluisertsurIstanbul.D'unepartquec'estunevilleturque, portmaritime, porte de l'Orient (et il tiendra à sa disposition quelquesscénariosintertextuelssurcettevillelevantine,lieudetraficsambigus;pourunlecteurquiseprépareàunscénariocinématographique,desscénariosvisuelsetmusicaux sont activés). La pression co-textuelle lui dit qu'il doit actualisersurtoutlesdimensionsd'Istanbul:eneffet,ildoitréaliseruneopérationlogiqueselon laquelle Istanbul-ville est plus grand qu'un quartier et un quartier plusgrandqu'unerue.Lelecteur(toutenparenthétisantlesextensions,c'est-à-direennesedemandantpassilequartierdePerahexistevraiment,nis'ilyaàIstanbul

Page 198: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

une rue Albanoz) construit un univers narratif muni de ces trois individusordonnésselondesrelationsspatialesprécises.Voilàuncasoùactualisationdestructures discursives et actualisation de structures de mondes vont de pair.Ainsi,lelecteuradéjàétablidesprocédésd'identification:PerahestliéparunerelationS-nécessaireàAlbanozStreet(symétriquement)ettoutesdeuxsontliéesparunerelationS-nécessaireàIstanbul(qui,appartenantàl'encyclopédie,adéjàétéidentifiéetnerequiertpasderelationsS-nécessaires;cf.chapitre8.14). Il s'agit maintenant d'identifier le narrateur sans équivoque possible. Lesfragments5et6ypourvoient.Lenarrateur,c'estcetxqui,àunmomentprécis,estentraindedormirdansunlieudéjàactualiséprécédemmentetdoncliéàluipar une relation S-nécessaire. Notons que le traducteur accomplit ici uneopérationdeprécisionquel'originalévite.Letexteitalienditeneffet|inunodiquesti(casini)|–dansundeces(bordels)–quandl'anglaisditseulement|there|ce qui peut être rue Albanoz, dans le quartier de Perah ou à Istanbul. Maisnaturellementletraducteuraraison,parcequ'ileffectuel'inférencesuivante:silenarrateurm'anomméavectantdeprécisionnonseulementlavillemaisaussilequartier et la rue et s'il a commencé en focalisant le bordel, je ne vois paspourquoi,après tantdedétails, ildevraitmedirequ'ildormaitdansunendroitqui n'était pas un bordel. D'accord, le texte original pourrait suggérer: "Lesbordels les plus répugnants d'Europe sont rueAlbanoz et c'est justement danscetteruequej'étaisentraindedormir,maispasnécessairementdansundesesbordels " ; mais ici entre en jeu la règle conversationnelle supposant que lenarrateur ne doit pas être plus explicite que ne le requiert la situation. C'estpourquoi l'inférence du traducteur est, sinon sémantiquement, du moinspragmatiquement(conversationnellement)correcte;deplus,elleestvérifiéepar7, où l'on apprend que le protagoniste dort aux côtés d'une prostituée. Si lenarrateur avait voulu dire que, bien qu'il soit au paradis des bordels, il avaitchoisileseulédificerespectabledelarueAlbanoz,ill'auraitspécifiéentouteslettres. Nous laisserons de côté la précision sur le matin de la fin de l'été: elle neprendraunreliefnarratifquedanslespagessuivantesquenousn'analysonspasici.Idempourl'année1952,quipourl'instantvautuniquementcommeindicationgénérale:«denos jours».Cen'estqu'auxchapitresultérieursque l'onverrasafonction:leromanraconteunehistoiredeguerrefroide. D'autrepart, ilnoussembleexcusableque le traducteurnégliged'enregistrerque la putain est turque: il se comporte en lecteur normal qui trouve celatotalement redondant puisque nous nous trouvons à Istanbul. Nous pouvons

Page 199: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

présumer que le texte anglais, du point de vue discursif, entendait ajouter uneconnotationpéjorative,cequipourraitêtreconfirméparlefragment8.Fragmentque nous ne soumettrons pas à l'analyse, non pas par pudeur,mais parce qu'ilmet en jeu des mécanismes d'hypercodage rhétorique et des scénariosintertextuelsbeaucoup tropcomplexes. Ilyaunesimilitude,unehyperbole, lerenvoi à des scénarios communs sur les conditions gynécologiques desprostituéesdesportsetàdesscénarios intertextuelssur lestyle très imagédesmusulmans... Bref, trop de matériel. Disons que le Lecteur Modèle devraitcomprendrequelaprostituéeestvieilleetdésagréablemaisnéanmoinsprodiguede ses charmes. Une fois encore, par des inférences faciles, le narrateur enressortconnotécommeunindividuauxgoûtsvulgaires(ousubtilementpervers). En 7, nous avons quelque chose de plus intéressant: le narrateur y estdéfinitivementdéterminéentermesdefabula;ilestdésormaisliéparunesériederelationsS-nécessaires,d'abordaulieu,ensuiteàIffet.Iffet,quantàelle,estdéterminée sans ambiguïté comme cette unique prostituée qui, en cematin de1952,dortaveccetindividudanscelieu.Noussavonstrèspeudechosesurcetxquiraconte,maisdésormaisnousneleconfondronsavecaucunautreindividu.Sisoudaincelui-ciénonçaitl'improbablecontrefactuel"Quesepasserait-ilsijen'étaispasaujourd'huidansunbordeldelarueAlbanozauxcôtésd'Iffet?"nousdevrionsparlerde totale inaccessibilitéentremondecontrefactueletmondederéférence, parce que nous ne disposerions plus d'aucune propriété nouspermettantdeparlerd'unequelconqueformed'identité. En 9 aussi, nous avons quelque chose de textuellement intéressant, et lesdivergencesentrel'originaletlatraductionnousfontcomprendrequenousnoustrouvonsicifaceàunnœudcoopératifremarquable.D'abord,l'originalditqu'ilyeuttoutàcoupuncriàlaporteetletraducteurinterprètequelenarrateuretIffetfurent réveillés en sursaut.L'inférence est explicable: si quelqu'un raconteuneexpériencepersonnelleendisantqu'ilétaitentraindedormiretqu'aprèsilyeutuncri,celasignifiequececri, il l'aentendu,maiscomme,avant, ildormait, ilfautqu'ilsesoitréveilléjusteavantoupendantl'émissionducri;ilestprobable(scénariocommun)qu'ilaitétéréveilléparlecri(ainsiqu'Iffet,puisqu'en11elleselamenteàhautevoix).Letraducteuramêmeinsérédanslastructurenarrativeprofonde une série de phases temporelles ordonnées que l'original n'exprimaitpas: d'abord x dort, ensuite quelqu'un pousse le cri, puis (mais il s'agit d'unefraction de seconde) x se réveille. Sinon, pourquoi le cri devrait-il avoir été "soudain"?Soudainpourqui?Evidemmentpourceluiquiaétéréveillé:cen'estpas le cri qui a été soudain, mais l'expérience qu'en a eu le dormeur. Ce |suddenly|,s'ilétaitréféréaucri,seraitunhypallage.

Page 200: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Ce n'est pas tout. L'original dit qu'il y eut un cri à la porte suivi d'un coupsourdsurl'escalier.Letraducteureninfèreuneséried'opérationsordonnéesdansletempsetl'espace:lecrifutémisàlaported'entréedurez-de-chaussée,puislebruit (rendu ici par |scalpiccio| – piétinement –) se fait entendre le long desescaliers qui mènent à la chambre où les deux dormaient. Notons que, selonl'original, ilyad'autres interprétationspossibles: a lecriestémisàlaportedurez-de-chausséeparlesintrus,quifrappentquelqu'unquileurbarraitlaroute,lefaisanttomberetproduireunbruitsourdsurlespremièresmarchesdel'escalier;klecriestémisàlaporteparquelqu'undelamaison,quiestfrappéetquel'onfait tomber sur les premières marches de l'escalier; (III) le cri est émis parquelqu'un de la maison devant la porte de la chambre, puis ce quelqu'un estfrappéetdégringoledansl'escalier.Onpourraitcontinuerlongtemps.Qu'afaitletraducteur? Il a eu recours à des scénarios communs, il a ainsi appris qued'habitude unemaison de tolérance a une porte qui donne sur la rue, puis unescalierquimèneauxchambresdupéché,situéesenrèglegénéraleauxétagessupérieurs.Letraducteurarendu|scream|par«strilli».C'estjuste,maisilnoussemblequ'ilaajoutéuneconnotationdeféminité.Doncl'inférence,parailleursimplicite dans la traduction, est: les intrus ont trouvé la tenancière devant laporte,elleacrié, ilssontentrésenbasetmaintenantilssontentraindegravirl'escalierquimèneàlachambre(oùévidemmentilyaunesecondeporte).Cettehistoiredesdeuxportesnousdit que traduire (et lire), cela signifie établir desstructures de mondes, avec des individus en jeu. Ici, la porte d'en bas estimportante,celled'enhautl'estunpeumoins(elleseprofileen14,probablementenfoncée par la police). Mais il est sûr que la porte apparaissant dans lamanifestationlinéairen'estpaslaportedelachambre,celaestcertifiéparlefaitqued'abordilyalecriàlaporteetensuitelebruitdansl'escalier.Aconditionqu'on ait décidé que le bruit est un piétinement et non un bruit de chute... Ensomme,voilàcommentuneexpressionapparemmentplaneetlittéraleentraînelelecteur dans une série de décisions interprétatives. Un texte est vraiment unemachineparesseusequifaitfaireunegrandepartiedesontravailaulecteur. Lesfragmentsde11à13sontencorepluscomplexes.Pourquoi Iffetgémit-elle et prononce-t-elle la phrase 11? Le lecteur doit accomplir les mêmesinférences que celles que le texte attribue à Iffet : qui dit arrivée violente etbruyante,ditalorsbeaucoupdegens;quiditbeaucoupdegensfaisantirruptiondans un bordel du port, dit marins ; qui dit marins dans un port de laMéditerranée, ditmarinsde l'OTAN;qui ditmarins arrivant à l'improviste, ditflottenonnationale;parabduction,cesontprobablementdesAméricains.Ilyaenoutredenombreusessynecdoques(laflottepourquelquesmarinsquienfont

Page 201: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

partie)ainsiquedeshyperboles(toutelaflotte!n'exagéronspas!).Puisilyaunsecondordred'inférence:mêmepourunemondaineàlachattegrandecommelamiséricorded'Allah,toutelaflotte,ouneserait-cequ'unebonnedélégation,c'esttrop ; enfin, il y a les scénarios communs et intertextuels : quand les marinsviennentdedébarqueretqu'ilsseprécipitentsur lesbordels,àDieuvat...Toutcomptefait,lasituationestpassablementcocassemaispourl'actualiserilfautunsacrétravailcoopératif.Deplus,nousavonssurIffetuneconcentrationimplicitede descriptions qui la connotent dans toute samisère de vieille prostituée quidoitenavoirvudetouteslescouleursetquisaitparexpériencecommentvontleschoses. Mais est-il vrai qu'Iffet gémit de désespoir? C'est ainsi que l'interprète letraducteur, mais certains locuteurs américains nous ont fait remarquer quel'interprétation pourrait être différente : | moaned |peut vouloir dire gémir dedouleurmaisaussiglapirdeplaisir, et alors le | aaaaaaiiiiieee |pourrait êtreunhurlement de triomphe, d'autant plus qu'en 13, Iffet ne se couvre pasnécessairementlatêteavecledrap,commeleditlatraductionitalienne;l'anglaissuggère qu'elle pourrait agiter le drap commeunevoile ouunebannière.A lavérité,Iffetperd,danslespagesquisuivent,toutefonctionnarrativeetdoncladécision interprétative dont nous discutons n'est pas si importante que cela: iln'empêchequelenœudresteambigu. Quelquesmots sur |hauling| : il y a d'indubitables connotations de voile, devol, de grand pavois, mais ce pourrait être une métaphore ironique; Iffet,apeurée,veutsecouvrirlatête,commeuneautruche.Ledrapest|flyblownpleinde vermine, de mouches, sale, dégoûtant. Le traducteur, face à ces deuxexpressions,pourresteràtoutprixfidèleàl'isotopiedelapeur,laissetombercesdétails. Maislaquestionlaplusintéressanteestdesavoird'oùvientcedrap:ledrap,the sheet, celui-là justement et pas un autre. La réponse de n'importe quellecteur,même leplusdémuni, est tellequ'elle justifie ladésinvolturedu texte:c'estévident,Iffetdort,doncelledortdansunechambreetdansunlit,unlitaunmatelas,unoreilleretundrap,ilenamêmedeux,maisunseulpeutêtresoulevéparledormeur...Biensûr,c'estcommeça.Maispourqueletextesoitactualisédecettefaçon,nousdevonspostulerquelelecteuraactivélescénariocommun«chambre à coucher ». Supposons que le fragment 13 soit proposé à unordinateur nourri d'un lexiquemais pas d'un ensemble consistant de scénarios(parmilesquels«bordel»et«chambreàcoucher»).Ilsauraitactualiserlefaitqu'ilyaunefemmequidort–maisellepourraitdormirparterreoudansunsac

Page 202: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

decouchage–etqu'ilyaundrapqueletexteidentifiecurieusementàtraversunarticle déterminatif, comme s'il fallait présupposer qu'il a déjà été mentionné.Mais ilnesauraitpasdired'oùvient ledrap.LeLecteurModèle, lui seul, saitque les bordels sont organisés en chambres individuelles, meublées selon uncertain standard (ou scénario commun) et il n'a donc pas d'hésitation pouridentifier ce drap: il appartient à la classe des draps qui, dans tout scénario,recouvrentun lit et c'est cedrap-làqui se trouveen relationS-nécessaireavecIffet.Ledrapestàprésupposerparcequ'ilestdéjàdanslescénario. Nous en arrivons au fragment 14. Ici, l'original est lapidaire. Après avoirpréfigurélemondepossibled'Iffethabitéparlamarineaméricaine,etaprèsavoirpermis que le lecteur s'associe à cette prévision, le texte oppose l'état final decette portion de fabula, c'est-à-dire lemonde (WN) tel qu'il est. Tout le fracasavaitétéfaitparlapolice.Iffet,etlelecteur,doiventabandonnerleursmondespossibles: les individus qui les habitaient, narrativement n'existent pas. Nouspourrionsdirequelemondedescroyancesd'Iffetresteaccessibleaumondedela fabula: il est habité par des marins surnuméraires, mais, pour le reste, lesautres individus (bordel, escalier, Istanbul) demeurent les mêmes. Il ne s'agitdonc pas d'une collision de mondes importante pour le développement de lafabula, c'est un simple jeu de prévisions effectué au niveau des structuresdiscursives; celui qui fera un résumé final du livre oubliera cette équivoqued'Iffet, toutcommedansUndrameonoublierafacilementquedans lechapitre2MargueriteacruqueRaoulregardaitavecdésirMlleMoréno. Le traducteur en tout cas souligne la différence entre lesmondes avec un |invece|–aucontraire–:contrairementautopicdumondepossibled'Iffet. Le lecteur sent qu'il est ici face à une disjonction de probabilité assezintéressante.Quepeutbienvouloirlapoliceàcevagabonddesseptmers?Peut-être sommes-nous entrés dans le vif de la fabula. Mais, même jusque-là, lelecteuradonnédusienpourfaire"parler"letexte.Untexten'estvraimentpasun cristal. Et s'il l'est, la coopération de son LecteurModèle fait partie de sastructuremoléculaire. aLe textequi suit est subdivisé, tant en italienqu'enanglais, en "versets".La subdivisionne reflèteaucune hypothèse sur des unités minimales présumées du texte, des pauses du lecteur, des nœuds dedisjonctiondeprobabilité:ellerépondseulementauxexigencesdel'expositionquenousallonsfaire. b Je donne à la suite des deux textes une traduction française qui traduit littéralement la traductionitalienne.

Page 203: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

11.

APPLICATIONS:UNDRAMEBIENPARISIENa

11.1.COMMENTLIREUNMÉTATEXTEUn drame bien parisien, publié par Alphonse Allais en 1890 dans le Chat

noir,peutsembleraulecteursuperficielunsimplejeumalicieux,unexercicedetrompe-l'oeillittéraire,quelquechoseàmi-cheminentrelesgravuresd'EscheretlesnouvellesdeBorges(danslesdeuxcas,detoutefaçon,courageusementantelitteram).Admettonsquecenesoitquecela.C'estpourcetteraisonprécisequ'ildoit être considéré avec respect comme un texte narratif qui a le courage deraconter saproprehistoire.Et après tout, s'il s'agit d'unehistoiremalheureuse,celavientpimenterl'expérience.Puisquecemalheur,c'estl'auteurlui-mêmequil'asoigneusementplanifié,Undramene représentepasunéchecmaisbienunsuccèsmétatextuel. Undrame a étéécritpourêtre ludeux fois (aumoins) : lapremière lectureprésupposeunLecteurNaïf,lasecondeunLecteurCritiquequiinterprètel'échecde l'entreprise du premier. Voilà donc un exemple de texte ayant un doubleLecteurModèle. Pour procéder à notre analyse, nous présumons d'abord que notre lecteur adéjà luUndrame (voirappendice I),uneseule foisetàunevitessede lecturenormale.Oncalculeeneffetpour le lecteurnaïfuntempsdelecturequi laissedans l'ombre de nombreuses traces importantes destinées au lecteur critique.Nous ferons donc une seconde lecture,menée auxdépens de la première, uneanalyse critique de la lecture naïve deUn drame. D'autre part, puisque toutelecture critique est toujours une représentation et une interprétation de sespropres procédures interprétatives, ce chapitre est aussi, implicitement, uneinterprétation de la possible lecture critique (seconde) de la nouvelle. Cepréambule est peut-être ambigu,mais que le lecteur se tranquillise:Un dramel'estencoreplus.

Page 204: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Undrameestunmétatextequiraconteaumoinstroishistoires:cequiarriveàses dramatis personae, ce qui arrive à son lecteur naïf et ce qui arrive à lanouvelleelle-mêmeentantquetexte(cettehistoireétantaufondl'histoiredecequiarriveàsonlecteurcritique).Cechapitren'estdoncpasl'histoiredecequiarrive en dehors deUndrame en tant que texte (les aventures de ses lecteursempiriques représentent peu d'intérêt pour notre optique: il est évident qu'untextesiambiguprête le flancàdenombreusesutilisationsetàdesaberrationsainsiqu'àdesrefusdecoopérer),cen'estriend'autrequel'histoiredesaventuresdesLecteursModèlesdeUndrame.

11.2.STRATÉGIEMÉTA'TEXTUELLEQuandilarriveauchapitre6,lelecteurdeUndramenesaitplusoùilenest.

Les chapitres 6et 7 ne peuvent pas être justifiés, en termes intuitifs, si l'onn'assume pas que les chapitres précédents postulaient un lecteur capabled'élaborerleshypothèsessuivantes: a à la fin du chapitre 4, le lecteur naïf devrait soupçonner que Raoul et

Marguerite décident d'aller aubal déguisés, l'un enTemplier, l'autre enPirogue congolaise, chacun dans le dessein de surprendre l'autre enflagrantdélitd'adultère.

kPendantlalectureduchapitre5,lelecteurnaïfdevraitsoupçonnerquelesdeuxmasquesquiparticipentaubalsontRaouletMarguerite(ildevraitsoupçonner au moins que quatre personnes, importantes pour l'action,participent à la fête, Raoul, Marguerite et leurs deux partenairessupposés).

Pourélaborercesdeuxhypothèses, il faudraitpostulerquechacundesdeuxconjoints a lu la lettre reçue par l'autre, sinon il ne saurait pas comment estdéguisé le rival auquel il doit se substituer; or le texte ne conforte pas cettehypothèse,bienplusill'exclutcarrément:maiscelanefaitrien,lelecteurnaïfsecomporteenrèglegénéraleainsi,commel'attestentlescontrôlesempiriquesfaitssurdenombreux lecteurs.Les résumés sontdans l'ensemblede cette teneur: "Raoul reçoit une lettre où il est dit que Marguerite, habillée en Pirogue,rencontrera son amant habillé en Templier " (et vice versa). Ce typed'interprétation naïve, effectuée au rythme normal de lecture, c'est exactementceluiqu'Allaisavaitprévuquandilpréparaitsonpiègetextuel.Etcela,nonpaspourquel'onavancedeshypothèsessurlesintentionsdelapersonneempirique

Page 205: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

del'auteur,maisparcequeletexteneseconcluraitpascommeilseconcluts'ilneparlaitpasàcetypedeLecteurModèle. Pour être honnête, le texte est d'une honnêteté scrupuleuse. Il ne ditabsolumentrienquipuissefairesoupçonnerqueRaouletMargueriteprojettentd'alleraubal:ilprésentelaPirogueetleTemplieraubalsansdirequoiquecesoitquipuissefairecroirequ'ils'agitdeRaouletdeMarguerite;endéfinitive,ilne dit même pas, pas une seule fois, que nos deux héros ont chacun unemaîtresse/unamant.C'estdonclelecteurquiprendlaresponsabilitédefairedefausses inférences, c'est le lecteur seul qui se permet des insinuations sur lamoralitédenosdeuxconjoints. Mais le texte postule justement ce type de lecteur-là comme son propreélémentconstitutif: sinon, pourquoi dirait-il au chapitre6que leTemplier et laPirogue,découvrantqu'ilsne sontpasRaouletMarguerite,poussentuncridestupeur?Leseulàêtrestupéfait,cedevraitêtrele lecteurquiavaitcaressédesattentesque le textene satisfait pas...Etpourtant, ce lecteur a été autorisé, entantqueLecteurModèle,àcaressercesattentes-là.Undrameaprisenchargeseserreurspossiblesparcequ'illesaplanifiéesavecsoin. Mais alors, si l'erreur du lecteur a été perfidement provoquée, pourquoiensuite la refuser comme une inférence abusive? Et pourquoi, après avoir étérefusée,est-elleenquelquesortelégitimée? Enréalité,ilyaunecohérencedanslacontradictiondelaleçon(implicite)deUndrame:Allaisveutnousdireque tout texte,etpas seulementUndrame, adeux composantes, l'information que fournit l'auteur et celle que le LecteurModèle ajoute, la seconde étant déterminée et orientée par la première. Pourdémontrer ce théorèmemétatextuel,Allais pousse le lecteur à remplir le texted'informations qui contredisent la fabula, l'obligeant à coopérer à la mise surpiedd'unehistoirequinetientpasdebout.L'échecdeUndramecommefabulaestlavictoiredeUndramecommemétatexte.

11.3.STRATÉGIEDISCURSIVE:ACTESLINGUISTIQUESPourconstruireunLecteurModèle,ilfautmettreenœuvrequelquesartifices

sémantiques et pragmatiques. Aussi, la nouvelle tisse-t-elle tout de suite unréseau subtil de signaux illocutoires et d'effets perlocutoires, le long de sonentièresurfacediscursive.

Page 206: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Letexteestdominéparlapremièrepersonnedusingulier(lenarrateur)qui,àtout instant, souligne le faitquequelqu'un,étrangerà la fabula,esten trainderaconter,avecunedistanceironique,desévénementsdontiln'estpasnécessairequ'on les considère comme vrais. Ces interventions pesantes du sujet del'énonciation stipulent indirectement (mais sans équivoque, pour peu que lelecteur cultive dans son encyclopédie des données d'hypercodage stylistico-rhétorique)uncontratmutueldeméfiancecourtoise:"Vousnecroyezpasàceque je vous raconte et je sais que vous n'y croyez pas,mais cela étant établi,suivez-moi avec une bonne volonté coopérative, comme si j'étais en train devous dire la vérité. " C'est la technique du " feindre de faire une assertion"définie par Searle (1975) et qui implique justement une parenthétisationpréliminaireetprovisoiredesextensions. Touteunebatteried'expressionshypercodéesestmiseen jeupourétablir cecontratfiduciaireambigu: - |A l'époque où commence cette histoire| est un indicateur de fiction

comme"Ilétaitunefois";- Un joli nom pour les amours |renvoie à des conventions littéraireshypercodées,voiredenaturesymboliste;

- |Bienentendu|estunclind'œilquisignifie"Commevous lesavezdéjà,d'aprèstantdescénariosintertextuels";

- |Raoul, dis-je... | réaffirme, comme beaucoup d'autres expressions, laprésence d'un narrateur afin de dissoudre l'impression de réalité quel'histoirepourraitcréer;

- | C'était à croire que... | invite presque le lecteur à avancer ses propressuppositions,toutcommel'auteuravancelessiennes,collaborantainsiàl'histoire;c'estensommeuneinviteàchercherdesschémasnarratifssouslastructurediscursive.

Cette énumération pourrait continuer, mais il suffit de relire le texte pouridentifiertoutescesinstancesdel'énonciation. Le texte projette son lecteur naïf comme un consommateur typique deshistoires d'adultère bourgeois de la fin de siècle, nourri à la comédie deboulevard et aux petites histoires de la Vie parisienne. On ne cache pas lespropensionsdecelecteurpourlecoupdethéâtrenisanaturede"client"prêtàpayer pour obtenir des produits savoureux : |Simple épisode qui donnera à la

Page 207: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

clientèle|,expressionquiapparaîtdansletitredudeuxièmechapitre,rappellelespremièresphrasesduTomJonesdeFielding(unauteurquiavaitentêteuneidéebienprécise:leromanestunproduitconfectionnépourunmarché):Unauteurnedevraitpas seconsidérercommeungentilhommequidonneuneréception privée ou qui fait une œuvre de bienfaisance, mais comme legestionnaired'unlocalpublicoùtoutunchacunestlebienvenuenvertudesonargent...

Ces clients sont les membres d'un auditoire payant, prêt à apprécier unenarrationconstruiteselondesrecettesgaranties.L'épigrapheduchapitre1,avecsacitationtiréedeRabelais,mentionneun|challan|quisignifiebien«client». Letitreduchapitre3|Vousquifaitesvosmalinssemoquedulecteurprésuméparce qu'il le reconnaît comme un de ceux qui s'attendent à une narrativitéconstruite selondes scénarios courants.C'est pour ce typede lecteur-là que letexte ne se refuse aucune expression galvaudée, aucune tournure digne desromans-feuilletons ou d'une conversation de concierge comme: |La pauvrettes'enfuit,furtiveetrapidecommefaitlabicheenlesgrandsbois|,ouencore:|Cesbilletsnetombèrentpasdanslesoreillesdedeuxsourds|.Lemessageréitéréàchaquefoisest:"Attendez-vousàunehistoirestandard." Cependantonnepeutpasdirequeletexterenonceàsusciterdessoupçonssursa véritable stratégie (s'adressant ainsi à son second lecteur). Des expressionscomme |C'était à croire |, Un jour pourtant... un soir, plutôt|, |Bien entendu |,Comment l'on pourra constater sont si lourdement ironiques qu'elles dévoilentleurmensongeaumomentmêmeoùellesl'imposent.Maiscesontdesstratégiesquinedeviennentclairesqu'àlasecondelecture.

11.4.DESSTRUCTURESDISCURSIVESAUXSTRUCTURESNARRATIVES

Auniveaududiscours,iln'yapasdeproblèmed'ambiguïté.Lespersonnages

sont nommés et décrits de façon suffisante, les co-références peuvent êtreaisémentdésambiguïsées, le lecteurreconnaît les topicsdiscursifsetétablitsesisotopies. Les données de l'encyclopédie du lecteur affluent doucement pourremplir lesespacesvidesdutexte, lemondedeRaouletMargueriteprenduneformesemblableaumondedulecteurde1890(oudulecteurcapablede"pêcher"danscetteencyclopédie).

Page 208: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Seuls les épigraphes semblent introduire quelques complications: elles sonthermétiques.Maisàlapremièrelectureonleslaissetomber(n'agit-onpasainsid'habitude?).Lelecteurestencouragéencelaparlastratégiedecomplicitéquel'instance de l'énonciation fait fonctionner à plein régime. Rien de plus facilealorsquedetomberdanslasituationaristotéliciennede"pitié",departicipationaffective:detefabulanarratur.Toutestenplacepoursusciter,aprèslapitié,laterreur,c'est-à-direl'attentedel'inattendu. Mais il n'est pas tout à fait vrai que les structures discursives soient si peuproblématiques. Le mécanisme syntaxique des co-références est rarementambigu,maislemécanismesémantiquedesco-indexicalitésn'estpassisimple.Quand,auchapitre5,apparaissentenfinlaPirogueetleTemplier,lelecteurestprêtàcroirequec'estMargueriteetRaoul.Cetteco-indexicalitéestfavoriséeparla lettre du chapitre 4: puisqu'on y disait que Raoul irait au bal déguisé enTemplieretqu'aubalilyaunTemplier,doncRaouletleTempliersontuneseuleetmêmepersonne(idempourMarguerite).Logiquementparlant, l'inférenceesttotalement incorrecte–comme si on disait: les chats sont des animaux, monlévrierestunanimaldoncmonlévrierestunchat.Maisnarrativementparlant,lasupposition est plus que justifiée: nous avons déjà parlé du topos du fauxinconnu, si populaire dans la prose du XIXe siècle, où un personnage déjànommé réapparaît en début de chapitre sous un aspect qui le rendméconnaissablejusqu'àcequel'auteurdévoiledequiils'agit.CelasembleêtretoutàfaitlecasduTemplieraubal.Ons'attendàcequ'onnousdise:"Commenoslecteursl'aurontdeviné,notrepersonnagen'estautrequeRaoul."Enréalité,Allaisprendàcontre-piedcescénariointertextuel.Cequeferaplustardunautregrandhumoriste,AchilleCampanile,dans sondébut sublimedeSe la lunamiportafortuna:(41)Celui qui, par ce petitmatin gris du 16 décembre 19.., se serait introduitfurtivement,àsesrisquesetpérils,dans lachambreoùsedéroule lascènequiouvrenotrehistoire, aurait été infiniment surprisde se trouver faceà ce jeunehomme hâve, les cheveux ébouriffés, les joues creusées, qui se promenaitnerveusement de long en large; un jeune homme en qui personne n'aurait pureconnaître le docteur Falcuccio, d'abord parce que ce n'était pas le docteurFalcuccio, ensuite parce qu'il ne ressemblait, ni de près ni de loin, au docteurFalcuccio.Remarquonsaupassagequelasurprisedeceluiquiseseraitintroduitfurtivement dans la chambre dont nous parlons est absolument injustifiée.Cethomme-làétaitchezluietilavaitparfaitementledroitdesepromenercommeill'entendait,puisquetelétaitsonbonplaisir.

Page 209: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Mais revenons-en à Allais. La nouvelle établit ainsi, en spéculant sur unepromenade inférentielle nourrie de bons scénarios, un lien entre les deuxindividus et fait en sorte que tous les pronoms employés au chapitre 5pour leTempliersoientréférésimplicitementàRaoulouàMarguerite.Soyonsclair,laco-référencen'a pas debases grammaticales,mais biennarratologiques, par lamédiation d'une opération incorrecte en extension.Mais elle prouve que dansl'actualisationdesstructuresdiscursives,déjà,jouentdeshypothèsesavancéesauniveau des structures narratives,mais aussi des tentatives de préfigurations destructuresdemondes. Parailleurs,danstouttextenarratif,ilestnormalquelesstructuresdiscursivespréludentàlaformationdesmacropropositionsdefabula,etqu'ellessoientdanslemêmetempsinfluencéesparelles.Cequiestsingulier,dansUndrame,c'estquejusqu'auchapitre6lesstructuresdiscursives laissent lavoieouverteàdeuxfabulae différentes. Il pourrait y avoir deux topics : histoire d'un adultère ethistoire d'unmalentendu, avec leurs scénarios intertextuels respectifs; selon letopicchoisi,nousavonsdeuxhistoirespossibles: aRaouletMarguerites'aimenttendrement,maisilssonttrèsjaloux.Chacun

des deux reçoit une lettre qui annonce comment le partenaire respectifs'apprête à rencontrer l'une son amant, l'autre sa maîtresse. Tous deuxessaientdesurprendreleurpartenaireenflagrantdélit.Etilsdécouvrentqueleslettresdisaientlavérité.

kRaouletMarguerites'aimenttendrement,maisilssonttrèsjaloux.Chacundes deux reçoit une lettre qui annonce comment le partenaire respectifs'apprête à rencontrer l'une son amant, l'autre sa maîtresse. Tous deuxessaientdesurprendreleurpartenaireenflagrantdélit.Ilsdécouvrentaucontrairequeleslettresmentaient.

La fin ne confirmeni n'infirme aucunedes deuxhypothèses narratives: ellevérifie et falsifie les deux. Un drame planifie, au niveau discursif, unemachination qui doit porter ses fruits au niveau narratif et dont les raisons sesituentàunniveauplusprofondencore(structuresdemondes).Letextenementjamaisauniveaudiscursifmais il induitenéquivoqueauniveaudesstructuresdemondes. Nousavonsditqu'untopicdiscursif(d'oùinférerensuiteletopicnarratif)sedéduit (en formulant une question) d'une série de mots clés, statistiquementréitérés ou stratégiquement situés.Or, dans la nouvelle, tous lesmots clés qui

Page 210: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

dirigentversletopic a sontstatistiquement réitérés,alorsqueceuxquidirigentversletopicksontstratégiquementsitués. Lapremière question est: "Qui sont ces deux intrus quimettent enpéril lafidélité de nos deux héros? " (Ou bien: " Nos deux héros réussiront-ils àsurprendreleconjointrespectifavecsonamantousamaîtresseinconnus?")Lelecteur découvrira trop tard que le vrai topic était: "Combien d'individus sontréellementenjeu?" Pourmenersonjeu,c'est-à-direpourpousseràactualiserlepremiertopic,letextejouesavammentsurlescompétencesidéologiquesprésuméesdulecteurquine peut concevoir la vie conjugale qu'en termes de possession réciproque. Celecteur est si enclin à concevoir le sexe comme une possession et lemariagecommeunensemblededevoirssexuelsqu'ilattenddel'histoirecequ'elleprometd'ailleurs,sanspudeur,dansletitre:undrame"bienparisien",oùl'onacquiertunconjoint etoù, enbon"challan ",on s'attendàcequ'il fonctionnecommeunebonnemachine(la loivautautantpour la femmequepour l'homme,undramebienparisienestundrametrèsdémocratico-bourgeois,ilnepeutêtreféodal). Et bien sûr, le texte met tout en œuvre pour encourager cette perspectiveidéologique. Un mariage, si on veut analyser l'affaire du point de vueencyclopédique, c'est beaucoupde choses: c'est un contrat légal, un consensussur la communauté des biens, un rapport parental qui en institue d'autres, unehabitudedemangeretdedormirensemble,lapossibilitéd'engendrerdesenfantssanctionnéeparlalégalité,touteuneséried'obligationssociales(surtoutdansleParisdelaBelleEpoque).Pourtant,detoutescespropriétés, lediscoursdeUndramen'enmetenreliefqu'uneseule:lecontratdefidélitésexuelleetlerisquecontinuel auquel il est soumis. L'ombre de l'adultère plane sans cesse. L'unitésémantique«mariage»estentouréed'autresunitésappartenantaudomainedesrapportssexuels:lemariageestd'«inclination»(amourvséconomie),RaoulsejurebienqueMargueriten'appartiendrajamaisàaucunautre,lajalousieapparaîtàtoutmoment.Lechapitre2estmêmecarrémentuneépiphaniedelajalousie:onpourraitdirequ'iln'estriend'autrequ'unmacro-interprétantdulexème|jalousie|toutcommechezPeircelecomportementdessoldatsestl'interprétantdel'ordre|Ga-rde à vous ! |. Et que dire du chapitre 4qui est une série d'instructionssémantiquessurlafaçonderéalisertantunedénonciation(anonyme)d'adultèrequ'uncomportementévasifencasdesoupçonsd'adultère? Quant au second topic, le titre, il suggère la frivolité et une atmosphère "parisienne",maisdans lemêmetemps ilestconstruitcommeunoxymoronetsuggèrel'idéedominantedecontradiction:ledrameetlacomédielégèrenevont

Page 211: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

pas de pair. Le titre du premier chapitre affiche la notion de malentendu. Ladernière phrase du même chapitre laisse comprendre que nos deux hérostrichent,qu'ilstrompentleurconjointoueux-mêmes,qu'ilsfontunechosedansl'espoir d'en obtenir son contraire. L'épigraphe du chapitre 2brode sur lacoïncidence des opposés: fausses étymologies, paronomases, ressemblancesphonétiquesetrimessuggèrentquetoutechosepeutendeveniruneautre,amouret mort, mord et remord. Par-dessus le marché, au cas où le lecteur seraitvraimenttropinattentif,leterme|piège|apparaîtaussi.Maislelecteurdoitêtreinattentif. Lechapitre3n'aapparemmentpasd'histoire,maisilesttrèsimportantpourlesdeuxtopics.Lelecteurestinvitéparlasériedepointsdesuspensionàimaginercequivasepasserdansl'intimitédel'alcôve.L'épigrapherappelleaulecteurtrèscultivé(trop:oùletrouver?)unversdeDonne:ForGod'ssakeholdyourtongand let me love. Pour ce qui est de la tentative d'entraîner le lecteur sur unefaussepiste,cechapitrevideestbienuneinviteimpliciteàleremplir,àfairedesanticipations, à écrire des chapitres " fantômes " (erronés). Mais en ce quiconcerne le second topic, l'épigraphe représente un avertissement clair (?) : "Faisattentionàcequetudis,neparlepastrop,netemêlepasdemesaffairesdenarrateur." Silechapitre2estdominéparlethèmedel'infidélité,lechapitre4metenjeule thèmede l'incohérence (dédiéaubal),alorsque le titresuggèreune idéedeconfusionetd'intrusion,enladésapprouvant.Encoreunavertissement:"Nevousmêlez pas des affaires qui ne vous regardent pas, laissez-moi raconter monhistoire!"Etdesincohérences,onpourraitentrouverdenombreusestraces:unTemplierfindesiècle(allonsdonc!ilsontcesséd'êtreavecPhilippeleBel!)etl'idée d'un déguisement en Pirogue! Or toutes ces indications sont donnéesjustementdansunchapitreoùleniveaudiscursifsembletoutentierserésoudreenundiscourssurl'infidélité... Certes, le lecteur perspicace pourrait s'apercevoir (mais après combien delectures)que,dupremierauquatrièmechapitre,lajalousieesttoujoursstimuléeparun texte:unechansona,unecomédieb,une lettred.Aucune insinuation n'estvalidéepardespreuvesdirectes,toutdépenddecequedit,pense,affirme,croitquelqu'und'autre.

11.5.FABULAINFABULA

Page 212: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Et si tout cela ne suffisait pas, voilà que le chapitre 2en entier se présentecommeunmodèleréduitdel'ensembledelanouvelleetdesastratégieprofonde.Même le titre le dit: " Simple épisode qui, sans se rattacher directement àl'action,donneraàlaclientèleuneidéesurlafaçondevivredenoshéros."Plusclairqueça...Quelleestdonccettefaçondevivre?C'estvivredanslajalousie,certes,maisàtraversdevaguessoupçons,etrésoudreledramedanslacomédied'uneconfusionentrerôles. RaoulpoursuitMarguerite,Marguerite se retourneet luidemandede l'aider.Quels sont les actants en jeu? Il y a un Sujet et un Objet de la lutte, unDestinataire et un Destinateur de la demande d'aide, un Adjuvant et unOpposant.Maisilyatroisrôles:Victime,MéchantetSauveur.Seulementvoilà,les trois rôles sont manifestés par deux acteurs seulement. Comment situerMarguerite, ça c'est clair.Mais que faire de Raoul? Raoul qui dans la réalité(narrative)est leMéchantdevient leSauveurdanslemondedesdésirs(oudesordres) deMarguerite.Marguerite croit (ou veut) que Raoul est (ou soit) sonSauveur, et son attitude propositionnelle crée une sorte de situationperformative:ellefaitdeschosesaveclesmots. Marguerite sait qu'elle veut ce qui est logiquement (et narrativement)impossible. Mais comme elle le veut, elle croit que cette contradiction estacceptable.Naturellement, ce n'est pas la seule inférence que le lecteur puissefaire:ilpeutestimerqueMargueritecroitque,dumomentqu'elleveutquelquechose, l'impossible devient possible. Ou qu'elle veut que Raoul croie quel'impossibleestpossible,etainsidesuite. Entoutcas,lafabulainfabulaanticipelelabyrinthedescontradictionsentremondesépistémiquesetdoxastiquesetmonderéel,donttoutel'histoireesttisséeetdans lequel le lecteurviendra s'engluer;dans lemême temps,elleassureaulecteurqu'ilestpossibledeprendresesdésirs(ousesattentes)pourdesréalités.Sicette fabula in fabula était luedès l'abordavecunesprit critique, le lecteurpourrait éviter ses propres erreurs successives:mais comment diagnostiquer silucidementlethèmedumalentenduetdelacontradictionquand,mêmedanscechapitre,cequiestredondant,c'estlethèmedel'adultère?Onpeuttoutauplussourire des bizarreries de la cervelle d'oiseau de Marguerite capable de siexquises incohérences. Et une fois encore, le texte spécule sur la compétenceidéologique du lecteur: " Tu sais que les femmes sont de petits animaux quiraisonnent ainsi, n'y fais pas attention! " C'est l'éclair génial de l'angoissesuprêmequifrappela"petite"cervelledeMarguerite,quis'entiredejustesseenmélangeantdélicieusementlescartes...Commecela,lelecteurneserendpas

Page 213: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

comptequ'Allaisestentrainderévéler,d'avance,lafaçondontlui,ilmélangeralescartestextuelles. Maisc'est inutile:Dieuaveugleceuxqu'ilveutperdre.Ou ilperdceuxqu'ilveutaveugler.Onparlaitd'Œdipe...Untexteestundieucrueletvindicatifquipunitceluiquine tientpassa langueetveutgoûterà l'arbredupossibleetdunécessaire.C'estdumoinscequeveutdireAllais.Danslesencyclopédies,ilestdéfinicommeunauteur"mineur".Lesencyclopédiessevengentdeceuxquilesremettentenquestion.

11.6.PROMENADESINFÉRENTIELLESETCHAPITRESFANTÔMES

Une fabula établit une succession temporelle d'événementsa...n permettant

au lecteurd'avancerdesprévisions àpartir de toutedisjonctiondeprobabilité.Pourformulersesprévisions,lelecteuraccomplitsespromenadesinférentiellesdansl'universextratextueldel'intertextualité,puisilattendquel'étatsuccessifdelafabulaapprouveoucontredisesesprévisions.Maissouvent,lesfabulae,étantdonné une succession a... e, introduisent l'état a, et, après quelquesatermoiements discursifs (qui peuvent être substitués par des subdivisionstextuelles, des intervalles entre chapitres), semettent à parler de l'état e, étantsous-entenduque,surlabasedesesproprespromenadesinférentielles,lelecteura " écrit " tout seul, comme des chapitres fantômes, tout ce qui concerne lesévénementsb,c etd. C'est ce qui se passe dans les films : un homme et unefemmes'embrassent, l'éphémérideest effeuilléeenaccéléréetonvoitunbébédans un berceau. Que s'est-il passé entre-temps ? Le texte, mécanisme trèsparesseux,alaisséaulecteurlesoind'accomplirunepartiedesontravailetilestpersuadéquelelecteurafaitcequ'ildevaitfaire.Ilyauneautreraisonàcela:beaucoupdetextes,auniveaudiscursif,nesituentpaslesévénementsdansunesuccession temporelle ordonnée, ils anticipent ou retardent ; au lecteur deremplirlesvides. Quand,auchapitre4, le lecteur est informédesdeux lettres, il sedispose àécriresonpremierchapitrefantôme.Thème:lesprojetsdesdeuxconjoints,lesdémarchesquechacunferapouralleràlafête,etc.Etquandils'aperçoitquelechapitre5décrit la fêtedéjàenacte, iln'aplusd'hésitation : ilabienrempli levidequeletextenes'étaitpassouciéderemplir. Pour écrire son chapitre fantôme (c'est-à-dire pour déterminer son monde

Page 214: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

possiblequianticipelemonderéeldelafabula),lelecteurdisposedecertainestracestextuelles.LalettreàRaoulditqueMargueriteiraaubalpourprendredubontemps:iln'yapasdedoute,sielleprenddubontemps,c'estqu'elleprenddu bon temps avec quelqu'un. Si elle prend du bon temps avec quelqu'un, cequelqu'unexiste.Etvoilà commentest introduit l'amantdeMarguerite commeélémentde l'ameublementdumondedeschapitres fantômes.Naturellement, letexteneditpasqueMargueriteiraprendredubontempsavecquelqu'un.Ilditseulement que quelqu'un dit que. Mais le lecteur naïf ne s'arrête pas à cessubtilités.EtilprocèdeaveclalettredeMargueritecommepourcelledeRaoul.Ilestaidéencelaparl'intertextualité:d'habitude,çasepassecommeça. Puis, quand Raoul etMarguerite se disent qu'ils s'absenteront le soir de cefatal jeudi, ils le font en " dissimulant admirablement leurs desseins ".|Dissimuler|, par explicitation sémantique, présuppose l'existence de quelquechosedecaché.Dumomentquelesdeuxpersonnagesdissimulentundesseinetenmanifestentunautre,ilestclairqueledesseinmanifestéestfaux.Quelseralevrai ? Ici aussi, l'univers des scénarios intertextuels vient à la rescousse : deBoccace jusqu'à Allais, que fait un conjoint soupçonneux? Il va espionner leconjoint soupçonné.La prévision est donc fatale : chacun des deux ira au baldéguisé(e) comme l'amant(e) de l'autre, et on a vuque le lecteur n'est plus enmesure icidese rendrecompteavec luciditéqu'aucundesdeuxnepeutsavoircomment sera déguisé(e) l'amant(e) présumé(e) de l'autre, puisque la lettre ditseulementàchacuncomment seradéguisé sonpropreconjoint.C'est làuncasassez intéressant d'identification des connaissances du lecteur avec celles dupersonnage:lelecteurattribueauxpersonnagesunecompétencequin'estquelasienne. C'est-à-dire : il pense que leWNcSi d'un personnage doit être meublécomme le WNSi de la fabula dont lui, lecteur, est au courant mais pas lepersonnage.Lesinformationsontétéfourniesparletexteavecunetelleintensitéet d'une façon si entrecroisée qu'il est difficile, pour un lecteur novice, de lesdémêler. Unefoisquelelecteurestexcitédanssongoûtcoopératif,ilneselimiteplusàfairepenserRaouletMargueritequ'ilsveulentalleraubal : il lesy faitallertoutcourt.EtquandiltrouveunTemplieretunePirogueàlafête,iln'apasdedoutes et les identifie avec les personnages que lui, il a fait aller au bal : ilconstruitunesoritedeparalogismes.LalettredeMargueriteditqueRaoulseraau bal déguisé en Templier, le lecteur oublie que cette information resteréférentiellement opaque et il l'assume comme une affirmation sur un état dumonde:Raoul iraaubaldéguiséenTemplier.Donc, le lecteur transformeune

Page 215: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

proposition contingente (il y a un Templier qui est Raoul) en une propositionnécessaire (pour tout individu en tout monde possible, qui dit Templier, ditRaoul). Enfin, au chapitre 5, le lecteur se sert de l'affirmative particulièresoutenue par le texte (ici il y a un Templier) pour valider un syllogisme enModusPonens:siTemplieralorsRaoul;maisTemplier;alorsRaoul. Commeexploitlogiquec'esttrèspauvre.Maiscommeexploitcoopératif,c'estpour le moins justifiable : l'encyclopédie intertextuelle obsède le lecteur avecl'image du cocu magnifique. D'autre part, nos héros ne vont-ils pas voir lescomédiesdeM.dePorto-Richequi(c'estl'EncyclopaediaBritannicaquiparle)réalisa toujours dans ses comédies de " continuelles variations sur le mêmethème, l'éternel trianglemari, femme, amant "?Ainsi, le lecteur imagine deuxtrianglesaveclabaseencommun,defaçonàformerunesecondefigureàdeuxcornes:

alorsque, frustrant lesattentesdu lecteur,cedouble triangleestenfaitdestinéàserévélerêtredeuxparallèlesqui,commelepostulelecinquièmepostulat,neserencontrerontjamais:

C'est que Un drame est un étrange jeu de hasard. Jusqu'au chapitre 4, ilsemblefonctionnercommeuneroulette:onmisesurlerouge,c'estlenoirquisort,maisaujeucommeaujeu.Lelecteurs'adapteauxrèglesdelaroulette.Or,il découvre au chapitre 6que lui avait misé sur le rouge et que le croupierannonceunequinteflush.Lelecteurdeprotester,etlecroupierderiposter,aveclaplusgrandecandeur :"Rouge? rouge?Maisàquel jeucroyiez-vousdoncjouer?"Lesdeuxjeuxnesontpasaccessibles l'unà l'autre.Commelemondedeschapitresfantômesetceluidelafabula. RelisonsUn drame à la lumière des règles pour la construction demondesfournies au chapitre8de ce livre. Ce qui saute aux yeux (mais cela saute auxyeuxseulementaprèsquel'onaparlélonguementdesstructuresdemondes,cen'est pas aussi intuitif que cela semble maintenant, avec un certain espritd'escalier),c'estque: 1 Au chapitre 5, deux individus apparaissent au bal, le Templier et la

Pirogue, identifiéspar lapropriétéS-nécessairequi lesplaceenrapport

Page 216: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

symétrique. Au chapitre 6, on nous dit qu'ils ne sont pas Raoul etMarguerite.Sid'aventurelelecteuravaitconstruitunmondepossibleoùRaoulavaitlapropriétéS-nécessaired'êtreenrelationsymétriqueaveclaPirogueetoùMargueriteavaitlapropriétéS-nécessaired'êtreenrelationsymétrique avec le Templier, il s'est trompé. Son mondeWR n'est pasaccessibleaumondedelafabulatelqu'ilestdéterminéauchapitre6.Sile lecteur avait identifiéRaoul auTemplier etMarguerite à laPirogue,c'estencorepis.Qu'ils'enmordelesdoigts,commeŒdipe,sivraimentilne veut pas se crever les yeux avec une broche (et ce n'est pasfranchement nécessaire). Nous l'avons dit, à ce jeu, c'est toujours labanquequigagne.DansleWNRaouletMargueritenesontjamaisallésaubal et ils n'y ont jamais rencontré personne.Et si on s'était imaginéqueleTemplieretlaPirogueétaientcaractériséschacunparlapropriétéS-nécessaire d'être en relation d'amour adultère avec le héros du sexeopposé,encecasaussileWRn'aaucunrapportd'aucuneespèceavecleWN.

2Maislafabula,aprèsavoiropposésonWNauWR,continueàbrouillerlescartes.EnfaisantensortequeleTemplieretlaPiroguesoientsurprisdene pas se reconnaître et qu'au chapitre7Raoul etMarguerite tirent uneleçondecequineleurestpasarrivéàeuxetdontilsnepeuventpasêtreinformés,lafabularéintroduitdanssonWN,austadefinal,despropriétésS-nécessaires qui n'étaient valables que dans les WR précédents (etcontredits)quelelecteuravaitformulésd'unefaçonerronée.

Donc : le lecteuraproduitdesmondespossiblesendéterminantsespropresattentes et il a découvert que ces mondes sont inaccessibles au monde de lafabula;maislafabula,aprèsavoirjugécesmondesinaccessibles,d'unecertainemanièreselesréapproprie.Comment?Certainementpasenreconstruisantunestructure de monde qui tienne compte des propriétés contradictoires, elle nepourraitpaslefaire.Toutsimplement,auniveaudesstructuresdiscursives,ellelaissepenserquecesmondesinaccessiblespourraiententrerencontactmutuel.Disonsqu'ellenomme lecontact,ellen'endécritpas lesmodalitésstructurales.Mais ici aussi, par un effet d' " optique " le lecteur pense que la fabula seréapproprieaussi,depleindroit,sonmondedéjàrépudié.Ils'agitd'unadmirablejeudemiroirsentrestructuresdiscursiveset structuresde fabula.Maispour lemieuxcomprendre,nousdevonssuivrepasàpaslesopérationsdecoopérationqueletextestimuleauniveaudesmacropropositionsnarratives.

Page 217: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

11.7LESCHÉMADELAFABULAETDESCHAPITRESFANTÔMES

Dans cette représentation schématique de la fabula et de ses chapitres

fantômes, nous ne considérerons que les événements et les attitudespropositionnelles indispensables au développement de la machine narrativo-prévisionnelledeUndrame.Aulieudeconstruirelesstructuresdemondesselonles modalités exposées au chapitre 8, nous les résumerons sous forme demacropropositionsoù:PsontlespropositionsquidécriventlesétatsdeWN;QsontlespropositionsquidécriventlesdifférentsWNc;RsontlespropositionsquidécriventlesprévisionsWR;Z sont les propositions, normalement emboîtées dans les propositions R, quidécriventdesattitudespropositionnellesWRcetWRcc.La succession de propositions P1...Pn et Q1...Qn représente une succession

univoque et temporellement ordonnée d'états de la fabula ; au contraire, lespropositions R1...Rn et les dépendantes Z1...Zn peuvent représenter aussi deshypothèsesalternativesquelelecteurhasardeaumêmemoment. La fabula de Un drame peut être synthétisée dans les macropropositionssuivantes:P1=ilyadeuxindividusidentifiésparlapropriétéS-nécessaired'êtremariél'unavecl'autre,des'aimerréciproquementetd'êtreréciproquementjaloux;P2=dansunétatdonné,ilyaunxquiaffirmeQ1;P3=dansunétatdonné,ilyaunxquiaffirmeQ2;Q1=MargueritedansunétatsuccessifiraaubaletseraidentiqueàunePirogue;Q2=RaouldansunétatsuccessifiraaubaletseraidentiqueàunTemplier;P4=Raoulaffirmequ'ilveutQ3,cequiestfaux;P5=Margueriteaffirmequ'elleveutQ4,cequiestfaux;Q3=RaouliraàDunkerque;Q4=MargueriteirachezsatanteAspasie;P6 = Il y a deux individus caractérisés par la propriété S-nécessaire de serencontreraumêmebal;P7=leTemplieretlaPiroguecrientdesurprise;P8=ilsnesereconnaissentpasl'unl'autre;P9=leTempliern'estpasRaoul;

Page 218: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

P10=laPiroguen'estpasMarguerite;P11=RaoultireuneleçondespropositionsP6...P10;P12=MargueritetireuneleçondespropositionsP6...P10.

Toutefois,lesmacropropositionsP7...P10n'auraientpasdesenssilafabulaneprenait pas à sa charge trois chapitres fantômes écrits par le lecteur qui sontrésumésparlespropositionssuivantes:R1 = il y a deux individus liés à Raoul et à Marguerite par la relation S-nécessaired'êtreleuramant(e)respectif(ve);R2=RaoulprojetteZ1;Z1 =Raoul ira au bal déguisé enTemplier (on voit comme la Z1 formulé parRaoulcoïncideaveclaQ2);R3=MargueriteprojetteZ2;Z2=MargueriteiraaubaldéguiséeenPirogue(Z2=Q1);R4=Raoulconnaîtlepossiblecoursd'événementsexpriméparQ2;R5=Margueriteconnaîtlepossiblecoursd'événementsexpriméparQ1;R6=ilyadeuxindividus,Raouletsonamante,liésparlarelationS-nécessairedeserencontreraubal.RaoulestleTempliermaiscroitZ3;Z3=laPirogueestMarguerite(propositionfaussecependant);R7 = il y a deux individus, Marguerite et son amant, liés par la relation S-nécessairedeserencontreraubal.MargueriteestlaPiroguemaiscroitZ4;Z4=RaoulestleTemplier(propositionfaussecependant);R8=ilyadeuxindividus,RaouletMarguerite,liésparlarelationS-nécessairedese rencontreraubal. Ils sont identiquesauTemplieretà laPirogue.Raoul.croitZ5etMargueritecroitZ7;Z5=MargueriteestlaPirogueetcroitZ6;Z6=leTemplierestl'amantdeMarguerite;Z7=leTemplierestRaouletcroitZ8;Z8=laPirogueestl'amantedeRaoul;R9=sileTempliersaitquelaPiroguen'estpasMargueriteetpousseuncridestupeur,alorsdansunétatprécédentilcroyaitquelaPirogueétaitMarguerite;R10 = si la Pirogue sait que le Templier n'est pas Raoul et pousse un cri destupeur,alorsdansunétatprécédentellecroyaitqueleTemplierétaitRaoul;R11=R9estimpossibleparcequel'identitéentreMargueriteetlaPirogueétaitun

Page 219: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

élément de l'ameublement deWRc alors que leur différence irréductible est unélémentdel'ameublementdeWN.Commecesdeuxmondessontmutuellementinaccessibles,R9netientpas;R12=R10est impossibleparcequel'identitéentre leTemplieretRaoulétaitunélément de l'ameublement deWRc alors que leur différence irréductible est unélémentdel'ameublementdeWN.Commecesdeuxmondessontmutuellementinaccessibles,R10netientpas;R13 = les chapitres fantômes doivent être réécrits en assumant qu'il y a deuxindividus,différentsdeRaouletdeMarguerite,liésparlarelationS-nécessairedeserencontreraubal,respectivementdéguisésenTemplieretenPirogue,etleTempliercroyaitZ3alorsquelaPiroguecroyaitZ4.

Symbolespourlesindividusr=Raoul;m=Marguerite;t=Templier;p=Pirogue;x1=amantsupposédeMarguerite;x2=amantesupposéedeRaoul.

Opérateursdoxastiquesetépistémiquescroire;savoir;vouloir;affirmer.

StructuresdemondesWNSi=étatsdelafabula;WNcSi,=mondespossiblesconstruitsparlespersonnages;WRSi=mondespossiblesconstruitsparleLecteurModèle;WRcSi=mondespossiblesque leLecteurModèle imagineque lespersonnagesconstruisent;WRccSi = mondes possibles que le Lecteur Modèle imagine qu'un personnageimaginequ'unsecondpersonnageconstruit.

Page 220: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

PropriétésS-nécessairesM=êtreidentifiéparunerelationsymétriquedemariage;L=êtreidentifiéparunerelationsymétriquedepassionamoureuse;J=êtreidentifiéparunerelationsymétriquedejalousie;E=êtreidentifiéparunerelationréciproquederencontredansunlieudonné.

Autresprédicatsalleraubal;alleràDunkerque;allercheztanteAspasie;exprimerlastupeur;nepasreconnaître.

Commeonleverraparlareprésentationschématiquesuivantedelafabula,lespropositions fournies ici admettent que sont données toutes les explicitationssémantiquesactualiséesauniveaudesstructuresdiscursives. Le chapitre 2, comme on l'a dit, n'appartient pas au développement de lafabula,ainsiévidemmentquelechapitre3.

Page 221: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions
Page 222: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

11.8LEDRAMEDESCHAPITRESFANTÔMESLareprésentationschématiquequiprécèdeaessayédemontrercommentles

chapitres fantômes s'insèrent dans le tissu de la fabula et comment les étatsfinaux de la fabula semblent prendre en charge les propositions que la fabulaelle-mêmeavaitprécédemmentcontredites.Ilestintéressantderelireinextensoceschapitrespourvoirleseffortsdésespérésquefaitlelecteurpourréaliserunecoopérationdestinéeàavoirquelquesuccès.

Premier chapitre fantôme. Le lecteur imagine deux individus imprécis liésrespectivementparunerelationS-NÉCESSAIREàRaouletàMarguerite.Puis,ilattribueàRaouletàMargueriteleprojetd'alleraubal.Ilnedécidepass'ilsontprojetéd'yalleravecleuramant(e)respectif(ve)oupoursurprendreleconjoint.Mêmelelecteurlepluscoopératiflaissecepointensuspens. Aucasoùlesprotagonistesiraientaubalpoursesurprendreréciproquement,le lecteurestcontraintd'assumerquechacunconnaissait lecontenudela lettrede l'autre et d'assumer donc comme factuel ce qui dans le WNS2 était

Page 223: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

référentiellement opaque. Au cas où les protagonistes iraient au bal pourrencontrer leur amant(e) respectif(ve) – et donc au cas où existeraient deuxcomplots, Raoul-amante et Marguerite-amant – le lecteur doit implicitementsupposerquelesdeuxcouplesontimaginé,àl'insul'undel'autre,lamêmepairededéguisements. Commeonlevoit,danslesdeuxcaslelecteurassume,toutennes'enrendantpas compte, quelque chose d'erroné. Dans le premier cas l'incorrection estlogique,danslesecondelleestintertextuelle(descoïncidencesdecegenresontimprobables).Mais les deux hypothèses ont été avancées sous la pression del'intertextualité. Nous pouvons supposer que le lecteur oscille entre les deuxhypothèsessansopterpourl'uneoupourl'autre:lepremierchapitrefantômeest"ouvert"etletexteacalculécetteincertitude. Quoi qu'il en soit, Raoul et Marguerite ont été liés par une relation S-nécessaireavecdeux individusque le texten'a jamaisninommésnidécrits etque la fabula ne connaît pas. La fabula connaît seulement au chapitre 5deuxindividusliésparunerelationmutuelle,leTemplieretlaPirogue,ellen'assumepasqu'ilssont lesdeuxamants,dontellenesait rien,etellen'assumepasnonplus,bienentendu,queRaouletMargueritesontprésentsaubal. Toutes les inférences de ce chapitre fantôme sont donc dépourvues de toutfondement.

Deuxièmechapitrefantôme.Lelecteurestpousséàcroire(ouàcroirequ'ilestpossibledecroire)quelescassuivantssontalternativementpossibles: aRaoulestleTemplieretcroit,d'unefaçonerronée,queMargueriteestla

Pirogue;kMarguerite est laPirogueet croit,d'une façonerronée,queRaoul est leTemplier;

Raoulest leTemplieret croit,d'une façoncorrecte,queMargueriteest laPiroguemaisilcroitaussiqueMargueritecroit,d'unefaçonerronée,qu'ilestsonamant;

aMargueriteest laPirogueetcroit,d'unefaçoncorrecte,queRaoulest leTemplier mais elle croit aussi que Raoul croit, d'une façon erronée,qu'elleestsamaîtresse.

Si les suppositions du premier chapitre fantôme avaient été vraies, chacune

Page 224: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

des suppositions du deuxième chapitre fantôme pourrait se tenir,indépendamment des autres. Mais toutes ensemble, elles sont mutuellementcontradictoires. Le lecteur semble avoir accordé un crédit excessif à Hintikka (1967 : 42)quandilditque"lefaitqu'unpersonnagedansun'romancomplet'réagisseetsecomporteprécisémentcommelemembred'unautremondepossible représenteunepreuvetrèsfortepourleuridentification".CequelelecteursemblenepasavoirapprisdeHintikka(1962)cesonttouteslesprécautionsàprendrequandonveut quantifier dans des contextes opaques gouvernés par un opérateurépistémique. Dans tous les cas, le lecteur procède à des mises en acte de faussesidentificationsenmaniant,demanière illicite,despropriétésS-nécessaires.Onpeut supposerque,commedans lepremierchapitre fantôme, le lecteuravancesimultanément les différentes hypothèses tout en percevant qu'elles sontincompatiblesentreelles,maisqu'ilgardesonhistoire"ouverte",attendantdela fabuladesconfirmationsdans l'unou l'autresens.Entendons-nousbien :unlecteur empirique pourrait faire beaucoup d'autres types de suppositions,maiscellesquenousavonsenregistréessontcellesquelesétatssuccessifsdelafabulasemblentprendreenconsidération. Troisième chapitre fantôme. A ce stade, la fabula a dit clairement que leTemplieretlaPiroguenesontpasRaouletMarguerite.Cependant,elleaajoutéavecmalicequ'ilssontsurprisdenepassereconnaître.Le lecteur,déconcerté,essaiedésespérémentd'écrireuntroisièmechapitrefantômepourrationaliserlasituation.Parexemple:sicesdeux-lànesereconnaissentpasmaiss'étonnentdenepas se reconnaître, cela veut dire que, avant de se démasquer, ils croyaienttrouver respectivement, sous les dépouillesmensongères,Raoul etMarguerite.Mais à l'instant même où il avance cette rationalisation, le lecteur devrait serendre compte que cette croyance n'a jamais été attribuée au Templier et à laPirogue par le WN de la fabula mais bien que le WR du lecteur lui-même.Comment font deux personnages de la fabula pour se comporter comme si lafabuladésapprouvaitunecroyancequ'ilsauraientnourrienonpasdanslemonde" réel " de la fabulamaisdans lemondepossible (et inaccessible) du lecteur?Mêmesilelecteurn'apaslulechapitre8denotrelivre,ilpressentplusoumoinsconfusémentqu'ilya iciquelquechosequine fonctionnepas. Ilestobligédeformuler de façon obscure et " sauvage " une observation que Leibniz avaitexpriméebeaucoupmieuxdanslalettreàArnaulddu14juillet1686:"Sidansla vie de quelqu'un ou même dans l'univers tout entier chaque chose s'était

Page 225: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

passée différemment de la façon dont elle s'est passée, rien ne pourrait nousempêcherdedirequec'étaituneautrepersonneouunautreuniversqueDieuachoisi. " Le lecteur doit maintenant décider qui est Dieu : lui ou son AuteurModèle?Soitiljetteaupanierlafabula,soitiljetteaupanierlesmondesdessespropresattentesfrustrées.Maiscommentlesfairecohabiter?Etpourquoiletextel'invite-t-ilàlefaire? Le fait est que la fabula prend à son compte, ici, la stupeur du lecteur : auchapitre 6, c'est la fabula en personne qui est structuralement etpragmatiquement étonnée parce qu'elle s'aperçoit qu'elle est le résultatmalheureux d'une coopération pragmatique couronnée d'échec (cf. Barbieri,Giovannoli,etPanizon,1976). Pour ne pas accepter cette idée, tropmétatextuelle, le lecteur tente d'autresrationalisations(etnousavertissonsaussinoslecteurs:vousn'enfinirezpasdediscuteravecvosamispourtrouverd'autresexplicationsrationnelles;ainsivouscontinuerez à être victimes du texte). On peut imaginer par exemple que leTemplieretlaPiroguesontréellementl'amant/l'amantedesdeuxconjointsetquechacun de son côté attend son partenaire d'adultère. Et la supposition seraitmêmecrédible si l'onse référaitaumondede l'expériencequotidienneoù toutpeut arriver et où les individus sont innombrables : mais dans une fabula, iln'existequelesindividusnommésetdécrits;lemondedelafabulaestréduitetsi on commence à y introduire d'autres individus, alors il faudrait vraimentprendreenconsidérationlefaitquelesîlesHawaiisontdanslePacifiqueetque17 est un nombre premier... Dans la fabula de Un drame, l'amant/l'amanten'existent pas, et décider qu'ils s'identifient avec le Templier et la Pirogue, ceseraitcommedéciderqueM.dePorto-Richeestl'amantdeMarguerite. De plus on retomberait, dans tous les cas, dans l'incohérence intertextuelledéjà citée : si les deuxmasques sont l'amant/l'amante, alors deux couples ontdécidé à leur insu réciproque d'aller au même bal avec le même couple demasques. Si le texte voulait briser à ce point-là l'étiquette narrative, il seraitobligédedirequelquechosedepluspourconfortersonincroyableaffirmation.Unesorted'implicaturenarrativejouealorspourtoutlecteurraisonnable,selonlaquelle il est impossible qu'un texte ait violé d'une façon si éhontée la règleintertextuelle:ous'ill'afait,c'étaitpoursuggérerautrechose.Cetteautrechose,c'estjustementlethéorèmemétatextuelquenousattribuonsàAllais. Parceque,aussi,toutetentativederationalisationestébranléeparlechapitre7.SiRaouletMargueritetirentuneleçondetoutcequis'estpassé,celaveutdirequ'ilssaventtoutcequiaétéracontédanslechapitreprécédentmaisqu'enplus

Page 226: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

ilssontaussiaucourantde toutcequele lecteuraécritdesapropre initiativedans les chapitres fantômes, parce qu'il leur faut connaître les attitudespropositionnellesattribuéesauTemplieretà laPiroguepourpouvoirexpliquerleurdéception.Etpuis,ilyadesrèglesd'hypercodagestylistiquequ'onnedoitpassous-estimer:quandletextedit |CettepetitemésaventureservitdeleçonàRaouletMarguerite| , il laissecomprendrequ'onest en traindeparlerde leurmésaventureetdeleurerreur.Cequinepeutpasêtre. Mais s'il y a une explication rationnelle, pourquoi alors le titre du dernierchapitre:"Dénouementheureuxpourtoutlemonde,saufpourlesautres"?Ici–et de façon magistrale – l'incohérence sémantique renforce l'incohérencenarrative.Aucuneanalysesémantiquede|toutlemonde|nepermetdeconsidérerdes |autres| laissésendehors.Cetitrereprésenteundéfi lancénonseulementànos bonnes habitudes intensionnelles mais aussi à l'extensionalité la plusinstinctive. C'est donc un raccourci splendide de toute l'histoire, une allégoriefinaledel'inconsistanceetdel'incohérence. A moins que |tout le monde| signifie tous les individus de WN et que |lesautres|seréfèreauxlecteursquiont lemalheurd'apparteniràunWooùvalentencore les lois d'une logique de bon aloi. Cela pourrait constituer unemoraleidéaleàlanouvelle:nevousimmiscezpasdanslemondeprivéd'unehistoire,c'estununiversabsurdeoùvouspourriezvoussentirmalàl'aise. Maisilyaaussiunemoraleopposée:Undramevoulaitmontrercombienlesnarrations requièrent l'intrusion de leur Lecteur Modèle et comment elles nepeuventvivresanssenourrirdesonfantôme.Aurisqued'enmourir,parexcèsdecoopération.

11.9.CONCLUSIONLaissonsmaintenant lafabulaetrevenonsautextedanstoutesacomplexité.

Lemalheur de cette fabula a dubon : il rappelle au lecteur qu'il existe diverstypesdetextes.Certainsrequièrentlemaximumd'intrusion,pasuniquementauniveau de la fabula : ce sont des textes " ouverts ". D'autres, au contraire,feignent de réclamer notre coopération mais, sournoisement, ils continuent àpensercequ'ilsveulent:cesontdestextes"fermés"etrépressifs. Undramesesitue,semble-t-il,àmi-chemin:ilséduitsonLecteurModèleenluilaissantentrevoirlesparadislibérauxdelacoopération,puisillepunitparce

Page 227: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

qu'ilenatropfait.Encesens,Undrameneseraitniouvertnifermé:ilparleraitdesdeuxpossibilitésen lesexhibant.Enréalité, ilappartientàunclubraffiné,présidé, selonnous,parTristramShandy : leclubdes textesqui racontentdeshistoiressurlamanièredontleshistoiressefont.Etcesontdestextesbeaucoupmoins inoffensifs qu'il n'y paraît : leur objet critique, c'est la machine de laculture,celle-làmêmequipermetlamanipulationdescroyances,quiproduitlesidéologies et titille la fausse conscience qui permet de nourrir sans s'enapercevoir des opinions contradictoires. C'est la machine qui produit et faitcirculer les endoxa, celle qui permet aux discours persuasifs de manier, parexemple,letoposdelaqualitéenmêmetempsqueletoposdelaquantité,sansjamais laisser entrevoir le caractère contradictoirede sonprocédé : ceque faitd'habitudetoutepublicitédontlediscoursprofondesttoujours:"Toutlemondeemploieceproduit.Veneztousfairepartiedecegrouperestreintd'élus." Des textes commeUn drame nous en disent long sur la circulation de lasémiosis,surlesmodalitésdufairecroireetdu fairefaire.C'estpourquoinousavons vérifié sur Un drame nos hypothèses théoriques sur la coopérationtextuelle afin que, en les éprouvant sur un objet de complexité logique etsémiotiquepréoccupante,ellesmontrentleurapplicabilitéàd'autresobjetsplussimples : au discours persuasif sous toutes ses formes, aux mécanismes deproductionidéologique. Undramenousparleausside lanatureesthétiqued'un texte.Enapparence,notreétudenes'estpassouciéedediscernerlesvaleursesthétiques.Maislefaitd'avoir montré comment un texte fonctionne, grâce à quelles stratégies ilfonctionne si bien (dans tous ses dysfonctionnements volontaires), qu'il nousoblige à en considérer sa structure à tous les différents niveaux, de sa surfacelexématiqueàsesniveauxlesplusprofonds,cefait-lànousditunefoisencoreque le message esthétique possède la double qualité de l'ambiguïté et del'autoréflexivité;ilditaussiqueletravailauniveaudel'expressionproduitdesaltérationsdans l'ordreducontenuetnous imposede revoir l'universentierdel'encyclopédiequ'ilremetenquestion. Undrameestunmétatexte,cen'estpasundiscours théoriquesur les textes.C'est pourquoi, au lieu de délivrer ses affirmations du haut de son piédestalcritique, il exhibe directement le processus de ses propres contradictions. Ildevientsapremièrevictimepournousinciterànepasdevenirlesvictimesdesobjetstextuelsdontimplicitementildévoilelesmanigances.NouspourrionsdirequeUn drame est vraiment uneœuvre ouverte parce qu'elle représente une "métaphoreépistémologique".

Page 228: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Maisnesommes-nouspasallé troploin?Undrameestpeut-êtreseulementun métatexte qui tient un discours tranquille, direct sur le principe de lacoopérationinterprétativedanslegenrenarratif,et,cefaisant,ildéfienotredésirdecoopérationetpunitavecdouceurnotresans-gêne. Pourpreuvedenotrerepentir,ilnousdemanded'extrapolerdesonhistoirelesrèglesdeladisciplinetextuellequ'ilsuggèreetpostule. C'estcequenousavonstentédefaire,entoutehumilité.Etc'estcequenousterecommandonsdefaire,àtoi,noblelecteur. aAlphonseAllais(1864-1905)apubliécettenouvelledansleChanoir,26avril1890.AndréBretonenarapportéleschapitres4-7danssonAnthologiedel'humournoir.Pourletexteoriginal,voirl'appendiceIdecelivre.

Page 229: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

APPENDICEIALPHONSEALLAIS

Undramebienparisien

ChapitrepremierOù l'on faitconnaissanceavecunMonsieuretuneDamequiauraientpuêtreheureux,sansleurséternelsmalentendus«Oqu'ilhabiensceuchoisir,lechallan!»RABELAIS.

Al'époqueoùcommencecettehistoire,RaouletMarguerite(unjolinompourlesamours)étaientmariésdepuiscinqmoisenviron. Mariaged'inclination,bienentendu. Raoul, un beau soir, en entendant Marguerite chanter la jolie romance ducolonelHenryd'Erville:L'averse,chèreàlagrenouille,Parfumeleboisrajeuni....Lebois,ilestcommeNini.Ysentbonquandys'débarbouille.

Raoul, dis-je, s'était juré que la divine Marguerite (diva Margarita)n'appartiendraitjamaisàunautrehommequ'àlui-même. Leménageeûtétéleplusheureuxdetouslesménages,sanslefichucaractèredesdeuxconjoints. Pourunoui,pourunnon,crac!uneassiettecassée,unegifle,uncoupdepieddanslecul. Acesbruits,Amourfuyaitéploré,attendant,aucoind'ungrandparc,l'heure

Page 230: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

toujoursprochedelaréconciliation. Alors, des baisers sans nombre, des caresses sans fin, tendres et bieninformées,desardeursd'enfer. C'étaitàcroirequecesdeuxcochons-làsedisputaientpours'offrirl'occasiondeseraccommoder.

Chapitre2Simple épisode qui, sans se rattacher directement à l'action, donnera à laclientèleuneidéesurlafaçondevivredenoshéros«Amourenlatinfaictamor.Ordoncprovientd'amourlamortEt,paravant,soulcyquimord,Deuils,plours,pièges,forfaitz,remord...»(Blasond'amour.)

Unjourpourtant,cefutplusgravequed'habitude. Unsoirplutôt. Ils étaient allés au Théâtre d'Application, où l'on jouait entre autres pièces,L'infidèle,deM.dePorto-Riche. –QuandtuaurasassezvuGrosclaude,grinchaRaoul,tumelediras. –Et toi,vitupéraMarguerite,quandtuconnaîtrasMademoiselleMorénoparcœur,tumepasseraslalorgnette. Inauguréesurceton,laconversationnepouvaitseterminerqueparlesplusregrettablesviolencesréciproques. Dans lecoupéqui les ramenait,Margueritepritplaisiràgratter sur l'amour-propredeRaoulcommesurunevieillemandolinehorsd'usage. Aussi, pas plutôt rentrés chez eux, les belligérants prirent leurs positionsrespectives. Lamain levée, l'œildur, lamoustache tellecelledeschats furibonds,RaoulmarchasurMarguerite,quicommençadèslors,àn'enpasmenerlarge.

Page 231: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Lapauvrettes'enfuit,furtiveetrapide,commefaitlabicheenlesgrandsbois. Raoulallaitlarattraper. Alors, l'éclair génial de la suprême angoisse fulgura le petit cerveau deMarguerite. Seretournantbrusquement,ellesejetadanslesbrasdeRaoulens'écriant: –Jet'enprie,monpetitRaoul,défends-moi!

Chapitre3Oùnosamisseréconcilientcommejevoussouhaitedevousréconciliersouvent,vousquifaitesvosmalins«Holdyourtongue,please!»

Chapitre4Commentl'onpourraconstaterquelesgensseinêlantdecequinelesregardepasferaientbeaucoupmieuxderestertranquilles«C'estépatantcequelemondedeviennentrossedepuisquelquetemps!»(Parolesdemaconciergedanslamatinéedelundidernier.)

Unmatin,Raoulreçutlemotsuivant: "Sivousvoulez,unefoisparhasard,voirvotrefemmeenbellehumeur,allezdonc, jeudi, au bal des Incohérents, auMoulin-Rouge.Elle y seramasquée etdéguiséeenpiroguecongolaise.Abonentendeur,salut! Unami.'"

Page 232: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Lemêmematin,Margueritereçutlemotsuivant: "Sivousvoulez,unefoisparhasard,voirvotremarienbellehumeur,allezdonc, jeudi, au bal des Incohérents, au Moulin-Rouge. Il y sera, masqué etdéguiséenTemplierfindesiècle.Abonneentendeuse,salut! Uneamie."

Cesbilletsnetombèrentpasdansl'oreillededeuxsourds.Dissimulantadmirablementleursdesseins,quandarrivalefataljour:

-Machèreamie,fitRaouldesonairleplusinnocent,jevaisêtreforcédevous quitter jusqu'à demain. Des intérêts de la plus haute importancem'appellentàDunkerque.

-Ça tombebien, réponditMarguerite,délicieusementcandide, jeviensderecevoiruntélégrammedematanteAspasie,laquelle,fortsouffrante,memandeàsonchevet.

Chapitre5Oùl'onvoitlafollejeunessed'aujourd'huitournoyerdanslespluschimériquesetpassagersplaisirs,aulieudesongeràl'éternité«Maivouélivièurepamens:Lavidoestantbello!»AugusteMARIN.

Les échos duDiable boiteux ont été unanimes à proclamer que le bal desIncohérentsrevêtitcetteannéeunéclatinaccoutumé. Beaucoupd'épaulesetpasmaldejambes,sanscompterlesaccessoires. Deux assistants semblaient ne pas prendre part à la folie générale : unTemplier fin de siècle et une Pirogue congolaise, tous deux hermétiquementmasqués. Surlecoupdetroisheuresdumatin,leTempliers'approchadelaPirogueetl'invitaàvenirsouperaveclui. Pour toute réponse, laPirogue appuya sa petitemain sur le robuste bras du

Page 233: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Templier,etlecouples'éloigna.

Chapitre6Oùlasituations'embrouille«–Isay,don'tyouthinktherajahlaughsatus?–Perhaps,sir.»HenryO'MERCIER.

–Laissez-nousuninstant,fitleTemplieraugarçonderestaurant,nousallonsfairenotremenuetnousvoussonnerons. LegarçonseretiraetleTemplierverrouillasoigneusementlaporteducabinet. Puis, d'un mouvement brusque, après s'être débarrassé de son casque, ilarrachaleloupdelaPirogue. Tous les deux poussèrent, en même temps, un cri de stupeur, en ne sereconnaissantnil'unnil'autre. Lui,cen'étaitpasRaoul. Elle,cen'étaitpasMarguerite. Ils se présentèrent mutuellement leurs excuses, et ne tardèrent pas à lierconnaissanceàlafaveurd'unpetitsouper,jenevousdisqueça.

Chapitre7Dénouementheureuxpourtoutlemonde,saufpourlesautres«BuvonslevermouthgrenadineEspoirdenosvieuxbataillons.»GeorgesAURIOL.

CettepetitemésaventureservitdeleçonàRaouletàMarguerite. Apartirdecemoment,ilsnesedisputèrentplusjamaisetfurentparfaitementheureux. Ilsn'ontpasencorebeaucoupd'enfants,maisçaviendra.

Page 234: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions
Page 235: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

APPENDICEIIALPHONSEALLAIS

LesTempliers1

Envoilàunquiétaituntype,etunrudetype,etd'attaque!Vingtfoisjel'aivu,rienqu'enserrantsonchevalentresescuisses,arrêtertoutl'escadron,net. Ilétaitbrigadieràcemoment-là.Unpeurossedansleservice,maischarmant,enville. Comment diable s'appelait-il ? Un sacré nom alsacien qui ne peut pas merevenir,commeWurtzouSchwartz...Oui,çadoitêtreça,Schwartz.Dureste,lenom ne fait rien à la chose.Natif deNeufbrisach, pas deNeufbrisachmême,maisdesenvirons. QueltypeceSchwartz! Undimanche(nousétionsengarnisonàOran),lematin,Schwartzmedit:"Qu'est-cequenousallonsfaireaujourd'hui?"Moi,jeluiréponds:"Cequetuvoudras,monvieuxSchwartz." Alorsnoustombonsd'accordsurunepartieenmer. Nousprenonsunbateau,souquedur,garçon!etnousvoilàaularge. Ilfaisaitbeautemps,unpeudevent,maisbeautempstoutdemême. Nousfilionscommedesdards,heureuxdevoirdisparaîtreàl'horizonlacôted'Afrique. Çacreuse,l'aviron!Nomd'unchien,queldéjeuner! Je me rappelle notamment un certain jambonneau qui fut ratissé jusqu'àl'indécence. Pendantcetemps-là,nousnenousapercevionspasquelabrisefraîchissaitetquelamersemettaitàclapoterd'unefaçoninquiétante.

Page 236: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

–Diable!ditSchwartz,ilfaudrait... Aufait,non,cen'estpasSchwartzqu'ils'appelait. Ilavaitunnompluslongqueça,commequidiraitSchwartzbach. VapourSchwartzbach! AlorsSchwartzbachmedit:"Monpetit,ilfautsongeràrallier."Maisjet'enfiche, de rallier. Le vent soufflait en tempête. La voile est enlevée par unebourrasque, un aviron fiche le camp, emporté par une lame. Nous voilà à lamercidesflots.

Nousgagnionslelargeavecunevitessedéplorableetuncahotementterrible. Prêtsàtoutévénement,nousavionsenlevénosbottesetnotreveste. Lanuittombait,l'ouraganfaisaitrage. Ah ! une jolie idée que nous avions eue là, d'aller contempler ton azur, ôMéditerranée! Etpuis,l'obscuritéarrivecomplètement.Iln'étaitpasloindeminuit. Oùétions-nous? Schwartzbach,ouplutôtSchwartzbacher,carjemerappellemaintenant,c'estSchwartzbacher:Schwartzbacher,dis-je,quiconnaissaitsagéographiesurlebiduboutdudoigt(lesAlsacienssonttrèsinstruits),medit: –Noussommesdansl'îledeRhodes,monvieux. Est-ce que l'administration, entre nous, ne devrait pas mettre des plaquesindicatrices sur toutes les îles de laMéditerranée, car c'est le diable pour s'yreconnaître,quandonn'apasl'habitude? Il faisait noir comme dans un four. Trempés comme des soupes, nousgrimpâmeslesrochersdelafalaise. Pasunelumièreàl'horizon.C'étaitgai. – Nous allons manquer l'appel de demain matin, dis-je, pour dire quelquechose. –EtmêmeceluidusoirréponditsombrementSchwartzbacher.

Page 237: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Etnousmarchionsdanslespetitsajoncsmaigresetdanslesgenêtspiquants.Nousmarchionssanssavoiroù,uniquementpournousréchauffer. –Ah!s'écriaSchwartzbacher,j'aperçoisunelueur,vois-tu,là-bas? Jesuivis ladirectiondudoigtdeSchwartzbacher,eteffectivementunelueurbrillait,maistrèsloin,unedrôledelueur. Ce n'était pas une simple lumière de maison, ce n'étaient pas des feux devillage,non,c'étaitunedrôledelueur. Etnousreprîmesnotremarcheenl'accélérant. Nousarrivâmes,enfin. Surcesrocherssedressaitunchâteaud'aspect imposant,unhautchâteaudepierre,oùl'onn'avaitpasl'airderigolertoutletemps. Unedes toursdecechâteauservaitdechapelle,et la lueurquenousavionsaperçuen'étaitautrequel'éclairagesacrétamiséparleshautsvitrauxgothiques. Des chants nous arrivaient, des chants graves etmâles, des chants qui vousmettaientdesfrissonsdansledos. –Entrons,fitSchwartzbacher,résolu. –Paroù? –Ah!voilà...cherchonsuneissue. Schwartzbacher disait : " Cherchons une issue ", mais il voulait dire : "Cherchonsuneentrée."D'ailleurs,commec'est lamêmechose, jenecruspasdevoir lui faire observer son erreur relative, qui peut-être n'était qu'un lapsuscauséparlefroid. Ilyavaitbiendesentrées,maisellesétaienttoutescloses,etpasdesonnettes.Alorsc'estcommes'iln'yavaitpaseud'entrées. Alafin,àforcedetournerautourduchâteau,nousdécouvrîmesunpetitmurquenouspûmesescalader. –Maintenant,fitSchwartzbacher,cherchonslacuisine. Probablementqu'iln'yavaitpasdecuisinedansl'immeuble,caraucuneodeurdefricotnevintchatouillernosnarines.

Page 238: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Nousnouspromenionspardescouloirsinterminablesetenchevêtrés. Parfois,unechauve-sourisvoletaitetfrôlaitnosvisagesdesasalepeluche. Audétourd'uncorridor, leschantsquenousavionsentendusvinrentfrappernosoreilles,arrivantdetoutprès. Nousétionsdansunegrandepiècequidevaitcommuniqueraveclachapelle. –Jevoiscequec'est,fitSchwartzbacher(ouplutôtSchwartzbachermann,jemesouviensmaintenant),nousnoustrouvonsdanslechâteaudesTempliers. Il n'avait pas terminé ces mots, qu'une immense porte de fer s'ouvrit toutegrande. Nousfûmesinondésdelumière. Deshommesétaientlà,àgenoux,quelquescentaines,bardésdefer,casqueentête,etdehautestature. Ils se relevèrent avec un long tumulte de ferraille, se retournèrent et nousvirent. Alors,dumêmegeste, ilsfirentSabre-main!etmarchèrentsurnous, la lattehaute. J'auraisbienvouluêtreailleurs. Sans se déconcerter, Schwartzbachermann retroussa sesmanches, semit enposturededéfenseets'écriad'unevoixforte: –Ah!nomdeDieu!messieurslesTempliers,quandvousseriezcentmille...aussivraiquejem'appelleDurand...! Ah ! jeme rappellemaintenant, c'estDurand qu'il s'appelait. Son père étaittailleuràAubervilliers.Durand,oui,c'estbiença... SacréDurand,va!Queltype!

1LeChatnoir,1eroctobre1887.

Page 239: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

BIBLIOGRAPHIEAUSTIN,JohnL.

1962HowtodoThingswithWords,Oxford,Clarendon(traductionfrançaise:Quanddire,c'estfaire,Paris,Seuil,1970). AVALLED'ARCO,Silvio 1975ModellisemiologicinellaCommediadiDante,Milan,Bompiani. 1977"DasantaUlivaaJustine",introductionàVeselovskij,1866. BARBIERI,D.,GIOVANNOLI,R.etPANIZON,E. 1975ComecastrarsiconilrasoiodiOckham(ovveroProduzionedidrammiper mezzo di drammi, ovvero Elementi di tautoeterologia), université deBologne,manuscrit. BAR-HILLEL,Yehoshua 1968 " Communication and argumentation in pragmatic languages ", inAA.VV.,Linguagginellasocietàenellatecnica,Milan,Comunità,1970. BARTHES,Roland 1966"Introductionàl'analysestructuraledesrécits",Communications68. 1970S/Z,Paris,Seuil. 1973LePlaisirdutexte,Paris,Seuil. BATESON,Gregory 1955"Atheoryofplayandphantasy",PsychiatricResearchReport2. BIERWISCH,Manfred 1970 " Semantics ", in Lyons, J. (ed.), New Horizons in Linguistics,Harmondsworth,Penguin. BONFANTINI,MassimoA.etGRAZIA,Roberto 1976"Teoriadellaconoscenzaefunzionedell'iconainPeirce",VS15.

Page 240: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

BONOMI,Andrea 1975Leviedelriferimento,Milan,Bompiani. BREMOND,Claude 1977Logiquedurécit,Paris,Seuil. BROOKE-ROSE,Christine 1977"Surfacestructureinnarrative",PTL2,3. BURKE,Kenneth 1969 A Grammar of Motives, Berkeley et Los Angeles, University ofCaliforniaPress. BUYSSENS,Eric 1943LesLangagesetlediscours,Bruxelles,Officinedepublicité. CAPRETTINI,GianPaolo 1976"SullasemioticadiCh.S.S.Peirce:il'nuovoelencodicategorie'",VS15. CARNAP,Rudolf 1947MeaningandNecessity,Chicago,UniversityofChicagoPress. 1952 " Meaning postulates ", Philosophical Studies 3, 5 (maintenant inCARNAP,1947). CHABROL,Claude(ed.) 1973Sémiotiquenarrativeettextuelle,Paris,Larousse. CHARNIAK,Eugène 1975 " A partial taxonomy of knowledge about actions ", Institute forSemanticandCognitiveStudies,Castagnola,WorkingPaper13. CHISHOLM,RoderickM. 1967"Identitythroughpossibleworlds:somequestions",Noûs1,1. COLE,PeteretMORGAN,Jerry,L.(eds.) 1975SyntaxandSemantics,3,SpeechActs,NewYork,AcademicPress.

Page 241: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

CONTE,Maria-Elisabeth(ed.) 1977Lalinguisticatestuale,Milan,Feltrinelli. CORTI,Maria 1976Principidellacomunicazioneletteraria,Milan,Bompiani. CULLER,Jonathan 1975StructuralistPoetics,Ithaca,CornellUniversityPress. DAVIDSON,D.etHARMAN,G.(eds.) 1972SemanticsofNaturalLanguages,Dordrecht,Reidel. DELEDALLE,Gérard 1979 Théorie et pratique du signe-Introduction à la sémiotique de C. S.Peirce,Paris,Payot,1979. DEMAURO,Tullio 1971Sensoesignificato,Bari,Adriatica. DRESSLER,Wolfgang 1972EinführungindieTextlinguistik,Tübingen,Niemeyer,1972. DUCROT,Oswald 1972Direetnepasdire,Paris,Hermann. Eco,Umberto 1962 Opera aperta – Forma e indeterminazione nelle poetichecontemporanee,Milan,Bompiani(traductionfrançaise:l'Œuvreouverte,Paris,Seuil,1965). 1964Apocalitticieintegrati,Milan,Bompiani. 1965a"LestrutturenarrativeinFleming",inOrestedelBuonoetUmbertoEco, IlcasoBond,Milan,Bompiani (traductionpartielle : " JamesBond :unecombinatoire narrative ",Communications 8, 1966.Maintenant dans l'Analysestructuraledesrécits,Paris,Seuil,1981). 1965b"EugèneSue:ilsocialismoelaconsolazione",introductionàImisteridi Parigi,Milan, Sugar (traduction française : " Rhétorique et idéologie dans

Page 242: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

'LesMystèresdeParis'd'EugèneSue",RevueInt.desSciencesSociales14,4,1967). 1966 Le poetiche di Joyce, Milan, Bompiani (traduction française dansl'Œuvreouverte). 1968 La struttura assente, Milan, Bompiani (traduction française : laStructureabsente,Paris,Mercure,1972). 1971Leformedelcontenuto,Milan,Bompiani. 1975Trattatodisemioticagenerale,Milan,Bompiani. 1976"Codice",VS14(aussiinEnciclopediaEinaudi,3,1978). 1984 Semiotics and Philosophy of Language, Bloomington, IndianaUniversityPress(àparaîtrechezP.U.F.). Eco,UmbertoetFABBRI,Paolo 1978 Progetto di ricerca sull'utilizzazione dell'informazione ambientale dapartedelpubblico,recherchemenéepourl'Unesco. Eco,U.etSEBEOK,T.A.(eds.) 1983TheSignofThree,Bloomington,IndianaUniversityPress. ERLICH,Victor 1954RussianFormalism,LaHaye,Mouton. FABBRI,Paolo 1973"Lecomunicazionidimassa inItalia :sguardosemioticoemalocchiodellasociologia",VS5. FEIBLEMAN,JamesK. 1946AnIntroductiontoPeirce'sPhilosophy,Cambridge,M.I.T.Press(2eéd.,1970). FILLMORE,Charles 1968 " The case for case ", in Bach, E. et Harms, R. (eds.),Universals inLinguisticTheory,NewYork,Holt. FOKKEMA,D.W.etKUNNE-IBSCH,Elrud

Page 243: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1977TheoriesofLiteratureinthetwentiethcentury,Londres,Hurst. FRYE,Northorp 1957AnatomyofCriticism,PrincetonUniversityPress. GARAVELLIMORTARA,Bice 1974Aspettieproblemidellalinguisticatestuale,Turin,Giappichelli. GENETTE,Gérard 1972FiguresIII,Paris,Seuil. GOFFMAN,Erving 1974FrameAnalysis,NewYork,Harper.GOUDGE,ThomasA. 1950TheThoughtofC.S.Peirce,Toronto,UniversityofTorontoPress. GREIMAS,A.J. 1966Sémantiquestructurale,Paris,Larousse. 1970Dusens,Paris,Seuil. 1973 " Les actants, les acteurs et les figures " in CHABROL,Claude (ed.)1973. 1975"Desaccidentsdanslessciencesditeshumaines",VS12. 1976Maupassant–Lasémiotiquedutexte:exercicespratiques,Paris,Seuil. GREIMAS,A.J.etRASTIER,François 1968"Theinteractionofsemioticconstraints",YaleFrenchStudies41. GRICE,H.P. 1967"Logicandconversation",WilliamJamesLectures,HarvardUniversity. Grouped'Entrevernes 1977Signesetparaboles:sémiotiqueettexteévangélique,Paris,Seuil. Groupeµ 1970Rhétoriquegénérale,Paris,Larousse. 1977Rhétoriquedelapoésie,Bruxelles,Complexe.

Page 244: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

HAWKES,Terence 1977 Structuralism and Semiotics, Berkeley et Los Angeles, University ofCaliforniaPress. HINTIKKA,Jaakko 1962KnowledgeandBelief,Ithaca,CornellUniversityPress. 1967"Individuals,possibleworldsandepistemiclogic",Noûs1,1. 1969a " Semantics for propositional attituted ", in J. Davis et al. (eds.),Philosophical logic,Dordrecht,Reidel (maintenant in LINSKY,Léonard (ed.),1971). 1969b "On the logic of perception ", inModels forModalities, Dordrecht,Reidel. 1970"Knowledge,beliefandlogicalconséquence",Ajatus32(revuinJ.M.E.Moravcsik (ed.),Logic andPhilosophy for Linguists, LaHaye,Mouton, etAtlanticHighlands,HumanitiesPress,1974). 1973Logic,LanguageGamesand Information, Londres,OxfordUniversityPress. 1974Induzione,accettazione,informazione,Bologne,Mulino. 1978"Degreesanddimensionsofintentionality",VS19/20. HIRSCH,EricD.Jr. 1967ValidityinInterpretation,NewHaven,YaleUniversityPress. HUGHES,G.E.etCRESSWELL,M.J. 1968AnIntroductiontoModalLogic,Londres,Methuen. ISER,Wolfgang 1972DerimpliziteLeser,Munich,Fink. 1976DerArtdesLesens,Munich,Fink. IHWE,Jens 1973 " Text-grammars in the 'Study of literature', in PETÖFI et RIESER(eds.),1973.

Page 245: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

JAKOBSON,Roman 1957 Shifters, Verbal Categories and the Russian Verb, Russian LanguageProject,Dpt.ofSlavicLanguagesandLiteratures,HarvardUniversity. 1958"Closingstatements:linguisticsandpoetics",inSebeok,T.A.,StyleinLanguage, Cambridge, M.I.T. Press, 1960 (traduction française in Essais delinguistiquegénérale,Paris,Minuit,1963). KARTTUNEN,Lauri 1969 " Discourse referents ", Preprint 70, International Conference onComputationalLinguistics(COLING),Sånga-Säbry/Stockholm,1969. KEMPSON,RuthM. 1975 Presupposition and the Delimitation of Semantics, Cambridge,CambridgeUniversityPress. KERBRAT-ORECCHIONI,C. 1976"Problématiquedel'isotopie",Linguistiqueetsémiologie1. KOCH,WalterA. 1969VomMorphemzumTextem,Hildesheim,Olms. KRIPKE,Saul 1971a " Identity and necessity ", in Munitz, M. K. (ed.), Identity andIndividuation,NewYork,NYUPress. 1971b " Semantical considerations in modal logic ", in LINSKY, L. (ed.),1971. 1972"Namingandnecessity",inDAVIDSONetHARMAN(eds.),1972. KRISTEVA,Julia 1967"Bakhtine,lemot,ledialogue,leroman",Critique,avril(maintenantinKRISTEVA,1969). 1969Σηµεωτκή–Recherchespourunesémanalyse,Paris.Seuil. 1970LeTexteduroman,LaHaye,Mouton. LEECH,Geoffrey

Page 246: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1974Semantics,Harmondsworth,Penguin. LEWIS,DavidK. 1968 " Counterpart theory and quantified modal logic ", The Journal ofPhilosophy65,5. 1970 " General semantics ", Synthese 22 (maintenant in DAVIDSON etHARMAN(eds.),1972). 1973Counterfactuals,Oxford,Blackwell. LINSKY,Léonard(ed.) 1971Referenceandmodality,Londres,OxfordUniversityPress. LOTMAN,IouriM. 1970 Struktura khudožestvenogo teksta, Moskva (traduction française : laStructuredutexteartistique,Paris,Gallimard,1973). LYONS,John 1977Semantics,2vol.,Cambridge,CambridgeUniversityPress. MANETTI,GiovannietVIOLI,Patrizia 1977Grammaticadell'arguzia,numérospécialdeVS18. MINSKY,MarvinM. 1974 " A framework for representing knowledge ", Al Memo 306, M.I.T.ArtificialIntelligenceLaboratory(inWINSTON,PatrickH.(ed.),1975). MONTAGUE,Richard 1968"Pragmatics"inKlibansky,Raymond(ed.),ContemporaryPhilosophy–Asurvey,Florence,NuovaItalia. 1974FormalPhilosophy,NewHaven,YaleUniversityPress. NIDA,EugèneA. 1975ComponentialAnalysisofMeaning,LaHaye,Mouton. PAVEL,Thomas 1975"Possibleworldsinliterarysemantics",JournalofAestheticsandArt

Page 247: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Criticism34,2. PEIRCE,CharlesS. 1931...CollectedPapers,Cambridge,HarvardUniversityPress (Tr.partielleenfrançais:Ecritssur lesigne, traduitsetcommentésparG.Deledalle,Paris,Seuil,1978.) PERALDI,François(ed.) 1980"LasémiotiquedeC.S.Peirce",Langages,14,58. PETÖFI,JanosS. 1969 " On the problem of coptextual analysis of texts ", InternationalConferenceofComputationalLinguistics,Sånga-Säbry. 1974aSemantics,Pragmatics,TextTheory,Urbino,Centro internazionalediSemioticaeLinguistica,WorkingPaperS,36. 1974b " Nuovi orientamenti nella tipologia dei testi e delle gramma tichetestuali"(compterenduau1ercongrèslass-Aiss),Uomoecultura11-12. 1975Versunethéoriepartielledutexte,Hambourg,Buske. 1976a " Lexicology, encyclopaedic knowledge theory of text ",Cahiers delexicologie29,11(auxsoinsdeA.Zampolli). 1976b"Aframeforframes",inProceedingsoftheSecondAnnualMeetingoftheBerkeleyLinguisticSociety,Berkeley,UniversityofCalifornia. 1976c " Structure and function of the grammatical component of the Text-StructureWorld-Structuretheory",mimeo,WorkshopontheFormaiAnalysisofNaturalLanguages,BadHomburg. 1976d Some Remarks on the Grammatical Component of an IntegratedSemioticTheoryofTexts,universitédeBielefeld,mimeo. s.d."Aformaisemiotictext-theoryasanintegratedtheoryofnaturallanguage",mimeo. PETÖFI,JanosS.etRIESER,H.(eds.) 1973StudiesinText-Grammar,Dordrecht,Reidel. PIKE,Kenneth

Page 248: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1964"Discourseanalysisandtagmemematrices",OceanicLinguistics3. PLANTINGA,Alvin 1974TheNatureofNecessity,Londres,OxfordUniversityPress. PRIETO,Luis 1964Principesdenoologie,LaHaye,Mouton. PRIOR,A.N. 1962"Possibleworlds",PhilosophicalQuarterly12,46. PUTNAM,Hillary 1970 " Is semantics possible ? " in Kiefer, H. E. et Munitz, M. K. (eds.),Language, Beliefs, and Metaphysics, Albany, State University of New YorkPress. QUINE,W.V.O. 1951 " Two dogmas of empiricism ", Philosophical Rev. 60 (in From aLogicalPointofView,Cambridge,HarvardUniversityPress,1953). RESCHER,Nicolas 1973"Possibleindividuals,trans-worldidentity,andquantifiedmodallogic",Noûs7,4. 1974"Leibnizandtheevaluationofpossibleworlds",inStudiesinModality–AmericanPhilosophicalQuarterly,MonographSéries,8. RIFFATERRE,Michael 1971Essaisdestylistiquestructurale,Paris,Flammarion. 1973"Theself-sufficienttext",Diacritics,fall. 1974"Thepoeticfunctionofintertextualhumour",RomanicReview,65,4. SCHANK,Roger 1975 Conceptual information processing, Amsterdam-New York, NorthHollandandAmericanElsevier. SCHMIDT,SiegfredJ. 1973"Texttheorie/Pragmalinguistik",inAlthaus,H.P.,Heune,H.,Wiegand,

Page 249: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

H.E.(eds.),LexicondergermanistischenLinguistik,Tübingen,Niemayer. 1976a " Towards a pragmatic interprétation of fictionally ", in VAN DIJK(ed.). 1976bTexttheorie,Munich,Fink. SCHOLES,RobertetKELLOG,Robert 1966TheNatureofNarrative,NewYork,OxfordUniversityPress. ŠČEGLOV,Yu.K.etŽOLKOVSKIJ,A.K. 1971 " Kopisaniyu smisla svyaznogo teksta ", Institut russkogo yazykaANNSSSR,predvaritel'nyepublikatsii.Vypusk22.Trad.anglaise."Towardsa'Thème – (Expression devices) – Text'Model of Literary Structure ",RussianPoeticsinTranslation1,1975("Generatingtheliterarytext"). SEARLE,JohnR. 1958"Propernames",Mind67. 1969SpeechActs,Londres-NewYork,CambridgeUniversityPress. 1975"Thelogicalstatusoffictionaldiscourse",NewLiteraryHistory14. SEGRE,Cesare 1974 "Analisi del racconto, logica narrativa e tempo ", inLe strutture e iltempo,Turin,Einaudi. STALNAKER,RobertC. 1970"Pragmatics",Synthese22. 1976"Possibleworlds",Noûs10. THOMASON,Richmond 1974IntroductioninMONTAGUE,Richard,1974. TITZMANN,Manfred 1977StrukturaleTextanalyse,Munich,Fink. TODOROV,Tzvetan 1966"Lescatégoriesdurécitlittéraire",Communications8.

Page 250: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1969GrammaireduDécameron,LaHaye,Mouton. TODOROV,T.(ed.) 1966Théoriedelalittérature,Paris,Seuil. TOMAŠEVSKIJ,Boris 1928 " Siuzetnoe postroenie " (traduction française in Todorov formalistirussi,Théoriedelalittérature,textesdesformalistesrusses,Paris,seuil,1966). VAINA,Lucia 1976 Lecture logico-mathématique de la narration, Institut de recherchesethnologiquesetdialectales,Bucarest,mimeo. 1977"Lesmondespossiblesdutexte",VS17. VALESIO,Paolo 1978Novantiqua:RhetoricsasaContemporaryTheory,manuscrit. VANDIJK,TeunA. 1972aSomeAspectsofTextGrammars,LaHaye,Mouton. 1972b Beiträge zur generativen Poetïk, Munich, Bayerischer Schulbuch-Verlag,1972. 1974a"Modelsofmacro-structures",mimeo. 1974b"Action,actiondescriptionandnarrative",NewLiteraryHistory,V/I1974-1975. 1975"Recallingandsummarizingcomplexdiscourses",mimeo. 1976a Complex Semantic Information Processing, mimeo (Workshop onLinguisticandInformationScience,Stockholm,mai1976). 1976b"Macro-structuresandcognition",mimeo(TwelfthAnnualCarnegieSymposiumonCognition,CarnegieMellonUniversity,Pittsburgh,mai1976). 1976c"Pragmaticsandpoetics",inVANDIJK,T.A.,(ed.),1976. 1976dPerunapoeticagenerativa,Bologne,Mulino. 1977TextandContext,NewYork,Longman. VANDIJK,TeunA.(ed.)

Page 251: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

1976 Pragmatics of Language and Literature, Amasterdam-Oxford, NorthHolland&AmericanElsevierPublishingCo. VESELOVSKIJ,AleksandrN. 1886 " La favola della fanciulla perseguitata ", maintenant in Veselovskij-Sade,Lafanciullaperseguitata,Milan,Bompiani,1977. VOLLI,Ugo 1973"Referentialsemanticsandpragmaticsofnaturallanguage",VS4. 1978"Mondipossibili,logica,semiotica",VS19/20. WEINRICH,Harald 1976"StreitumMetaphoren".InSpracheinTexten,Stuttgart,Klett. WINSTON,PatrickH. 1977ArtificialIntelligence,Reading,Mass.,Addison-Wesley. WINSTON,PatrickH.(ed.) 1975ThePsychologyofComputerVision,NewYork,McGraw-Hill.

Page 252: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

COLLECTION«FIGURES»DIRIGÉEPARBERNARD-HENRILÉVY

LesAristocrateslibertaires,Manifeste.

Jean-PaulAronetRogerKempf,lePénisetlaDémoralisationdel'Occident. DominiqueAuffret,AlexandreKojève. JeanBaudrillard,lesStratégiesfatales. JeanBaudrillard,laGauchedivine. Jean-MarieBenoist,laRévolutionstructurale. ClaudieetJacquesBroyelle,ApocalypseMao. ClaudieetJacquesBroyelle,lesIllusionsretrouvées. MadeleineChapsal,Envoyezlapetitemusique... FrançoisChâtelet, JacquesDerrida,MichelFoucault, Jean-FrançoisLyotard,Michel Serres, Politiques de la philosophie (textes réunis par DominiqueGrisoni). CatherineClément,LesfilsdeFreudsontfatigués. CatherineClément,l'OpéraoulaDéfaitedesfemmes. CatherineClément,ViesetlégendesdeJacquesLacan. CatherineCLÉMENT,LeGoûtdumiel. CatherineCLÉMENT,LaSyncope. BernardCohen,PortesdeJérusalem. AnnieCohen-Solal,PaulNizan,communisteimpossible. ChristianDelacampagne,Antipsychiatrie.Lesvoiesdusacré. GalvanoDellaVolpe,RousseauetMarx. Jean-ToussaintDesanti,Undestinphilosophique.

Page 253: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

LaurentDispot,laMachineàTerreur. LaurentDispot,Manifestearchaïque. Jean-PaulDollé,Voied'accèsauplaisir. Jean-PaulDollé,l'OdeurdelaFrance. Jean-PaulDollé,Dansermaintenant. Jean-PaulDollé,Fureursdeville. UmbertoEco,Lectorinfabula. LucFerryetAlainRenaut,HeideggeretlesModernes. MichelGuérin,Nietzsche,Socratehéroïque. MichelGuérin,LettresàWolfoulaRépétition. GérardHaddad,Mangerlelivre. Heidegger et la question deDieu (sous la direction de R. Kearney et J. S.O'Leary). JacquesHenric,laPeintureetleMal. L'identité,séminairedirigéparClaudeLévi-Strauss,1974-1975. ChristianJambet,ApologiedePlaton. ChristianJambetetGuyLardreau,l'Ange. ChristianJambetetGuyLardreau,leMonde. GuyKonopnicki,l'Amourdelapolitique. GuyKonopnicki,l'Âgedémocratique. GuyLardreau,laMortdeJosephStaline. MichelLeBris,l'Hommeauxsemellesdevent. MichelLeBris,leParadisperdu. DominiqueLecourt,Bachelard.Lejouretlanuit. Bernard-HenriLévy,laBarbarieàvisagehumain. Bernard-HenriLévy,leTestamentdeDieu.

Page 254: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

Bernard-HenriLévy,l'Idéologiefrançaise. Bernard-HenriLévy,Élogedesintellectuels. ThierryLévy,leCrimeentoutehumanité. ClaudeLorin,l'Inachevé(Peinture-Sculpture-Littérature). ClaudeLorin,PoursaintAugustin. Jean-LucMarion,l'IdoleetlaDistance. JacquesMartinez,Moderneforever. AnneMartin-Fugier,laBourgeoise. AnneMartin-Fugier,laPlacedesbonnes. GérardMiller,Dupèreaupire. PhilippeNemo,l'Hommestructural. PhilippeNemo,Jobetl'Excèsdumal. MichelOnfray,leVentredesphilosophes. MichelOnfray,Cynismes. Pasolini,séminairedirigéparMariaAntoniettaMacciocchi. FrançoisePaul-Lévy,KarlMarx,histoired'unbourgeoisallemand. PhilippeRoger,Sade.Laphilosophiedanslepressoir. PhilippeRoger,RolandBarthes,roman. GuyScarpetta,BrechtouleSoldatmort. GuyScarpetta,Élogeducosmopolitisme. GuyScarpetta,l'Impureté. MichelSerres,Zola.Feuxetsignauxdebrume. DanielSibony,laJuive:unetransmissiond'inconscient. DanielSibony,l'Amourinconscient. DanielSibony,Jouissancesdudire.

Page 255: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions

DanielSibony,Perversions. DanielSibony,AvecShakespeare. DanielSibony,Entredireetfaire. BernardSichère,Merleau-PontyouleCorpsdelaphilosophie. BernardSichère,leMomentlacanien. AlexandreSoljenitsyne,l'Erreurdel'Occident. PhilippeSollers,VisionàNewYork. GillesSusong,laPolitiqued'Orphée. ArmandoVerdiglione,laDissidencefreudienne. ArmandoVerdiglione,Fondationdelapsychanalyse.I.Dieu. GiambattistaVico,ViedeGiambattistaVicoécriteparlui-même. ClaudeVigée,l'Extaseetl'Errance. ClaudeVigée,leParfumetlaCendre. ElieWiesel,Signesd'exode.

Page 256: Table des Matières › ... · 6.1. Du " sujet " à la fabula 6.2. Contraction et expansion–Niveaux de fabula 6.3. Structures narratives dans des textes non narratifs 6.4. Conditions