Synthèse – L’État et ses contrôleur-e-s à l’épreuve de l ... · l’audit interne avec...

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L. Célérier – Candidature au Prix de Recherche de l’IFACI – Février 2017 1 Synthèse – L’État et ses contrôleur-e-s à l’épreuve de l’audit interne – Une étude sur l’introduction d’une fonction d’audit interne dans l’administration centrale d’État en France Laure CÉLÉRIER Candidature au Prix de Recherche de l’IFACI – Février 2017

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    Synthse Ltat et ses contrleur-e-s lpreuve de laudit

    interne Une tude sur lintroduction dune fonction daudit

    interne dans ladministration centrale dtat en France

    Laure CLRIER

    Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    Table des matires

    Introduction ...................................................................................................................................... 3

    1. Prsentation de la thse ............................................................................................................. 5

    1.1 La rforme de 2011 et le contexte du contrle de ladministration ................................... 5

    1.2 Cadre thorique et mthodologie retenue ............................................................................... 8

    2. Les conditions de possibilit et le lancement de la rforme de 2011 ...................................... 11

    2.1 Le succs plantaire de laudit interne dans les organisations publiques et prives ............ 11

    2.2 Les remises en cause du contrle de ladministration .......................................................... 13

    2.3 Le lancement de la rforme de 2011 et les incertitudes de laudit interne de ladministration

    .................................................................................................................................................... 15

    3. Linterprtation et la mise en uvre de la rforme de 2011 : lmergence dun audit interne

    de ladministration .......................................................................................................................... 18

    3.1 La pluralit des interprtations de la rforme ....................................................................... 18

    3.2 Lmergence dune interprtation dominante de laudit interne et les incertitudes pesant sur

    le renouvellement du contrle de ladministration ..................................................................... 20

    3.3 La mise en uvre de la rforme au sein de linspection gnrale des Finances .................. 22

    Conclusion ...................................................................................................................................... 24

    Bibliographie .................................................................................................................................. 27

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    Introduction

    Le 28 juin 2011 un dcret, suivi deux jours plus tard dune circulaire, lancent la mise en place

    dune fonction daudit interne dans ladministration de ltat en France (Dcret n 2011-775; Fillon

    2011). Laudit interne est dfini comme une activit, exerce de manire indpendante et

    objective, qui donne chaque ministre une assurance sur le degr de matrise de ses oprations et

    lui apporte ses conseils pour lamliorer (Dcret n 2011-775, 1) ; il doit couvrir le primtre de

    lensemble des activits ministrielles. La rforme introduit de nouvelles instances. Elle cre en

    effet, dans chaque ministre, des comits et missions ministrielles daudit interne, respectivement

    en charge de la supervision de la politique ministrielle daudit interne et de la programmation des

    audits. De plus, un interministriel Comit dharmonisation de laudit interne, le CHAI, est mis en

    place avec pour principal rle dharmoniser les mthodologies daudit dployes.

    La rforme de 2011 peut tre interprte comme une manifestation de plus du New Public

    Management (NPM) dans ladministration franaise, et des transformations de celle-ci dans un

    contexte de financiarisation du capitalisme. Dune part, laudit est largement assimil un

    renouvellement des modes de contrle dans les organisations publiques, visant accrotre

    lefficacit et lefficience de ces dernires, et dgager des conomies de fonctionnement (Power

    1994; Power 1999; Barzelay 2000; Pollitt 2007). Dautre part, du fait de son essor partir des

    annes 1980 dans le sillage de scandales boursiers, laudit interne fait figure de pratique de contrle

    du secteur priv, qui doit son succs plantaire au mouvement actuel de financiarisation (Power

    2010; Chiapello 2014). Inscrits dans un ensemble plus large de rformes, le dcret et la circulaire

    de juin 2011 pourraient ainsi participer dune transformation de ladministration, qui prendrait

    appui sur un renouvellement de lorganisation du contrle. Cette transformation contribuerait

    gommer les spcificits de ladministration franaise, vis--vis non seulement des administrations

    publiques dautres pays, mais en outre de lorganisation dentreprises but lucratif, soucieuses de

    leur bonne image auprs dinvestisseuses-rs. Au-del de lorganisation du contrle, la rforme

    pourrait donc affecter lexercice du pouvoir tatique, ltat rendant compte de sa bonne gestion

    auprs de parties prenantes. Dans le mme temps, ladministration franaise est bien souvent

    prsente comme fortement imprgne dune culture napolonienne, qui la rendrait unique et

    irrductible lorganisation interne dentreprises du secteur marchand et celles des

    administrations publiques dautres pays. Certes, lide dune administration antinomique du

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    mouvement de NPM et incompatible avec lintroduction de modes de gestion du secteur priv a

    largement t battue en brche par des travaux explorant la longue histoire des rformes de

    ladministration et de la permabilit entre les modes de gestion de ladministration et ceux

    dentreprises prives (voir essentiellement Bezs 2009). Mais et ces mmes travaux en font tat

    , ladministration franaise reste, au regard des exemples passs, fortement idiosyncratique. Par

    ailleurs, laudit interne lui-mme a dj t dcrit comme compatible avec une grande diversit de

    pratiques (Power 1994; Mennicken 2010; Arena et Jeppesen 2015). Dans ce contexte, les effets de

    lintroduction de laudit interne dans ladministration centrale franaise sont largement

    imprvisibles. Notre thse a alors propos une rponse la question de recherche suivante :

    Dans quelle mesure lintroduction dun standard international de contrle, laudit interne,

    est-elle rvlatrice dune transformation profonde de lexercice du pouvoir tatique lheure

    du capitalisme financiaris ?

    Pour rpondre cette question, nous avons adopt une mthodologie qualitative reposant sur

    une analyse de donnes collectes entre juillet 2012 et juin 2015. Nous avons conduit tout dabord

    des entretiens semi-directifs (n=121), mens principalement avec des personnes qui travaillaient,

    ou avaient travaill, dans des services de contrle de ladministration centrale. Au moment de notre

    terrain, les personnes interroges avaient particip llaboration de la rforme, ou bien

    contribuaient la mise en uvre de celle-ci. Des observations participantes et non participantes

    ont ensuite t menes. De plus, un grand nombre de documents de ladministration a t collect.

    Nous avons ralis un travail particulier sur le service de contrle de linspection gnrale des

    Finances (IGF), en conduisant avec les membres de ce service un nombre significatif dentretiens

    (n=50) ainsi quune observation participante de 5 mois.

    Dans cette synthse de notre thse, nous prsentons tout dabord le contexte et la mthodologie

    de notre enqute (1). Puis, nous exposons, en diffrentes parties, les rsultats de notre travail :

    premirement le contexte de la rforme, travers une tude de lessor de laudit interne, des

    rformes antrieures de ladministration franaise et du lancement de la rforme (2) ;

    deuximement, linterprtation et la mise en place de la rforme dans les services ministriels de

    contrle en gnral et au sein de lIGF en particulier (3). Nous concluons en mettant en avant les

    contributions de ce travail.

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    1. Prsentation de la thse

    Cette section introductive prsente notre objet de recherche et son contexte (1.1), le cadre

    thorique retenu et la mthodologie dploye dans notre travail (1.2).

    1.1 La rforme de 2011 et le contexte du contrle de ladministration

    Notre thse a pour objet une rforme, qui introduit une fonction daudit interne dans

    ladministration de ltat en France. Nous prsentons la rforme, puis le contexte du contrle de

    ladministration.

    La mise en place dune fonction daudit interne dans ladministration franaise est lobjet de

    deux textes rglementaires le dcret et la circulaire de juin 2011 , dune longueur densemble

    de trois pages. Dfini dans des termes proches de ceux de lIFACI (cf. supra), laudit interne de la

    rforme se voit attribuer diffrents objets et finalits, dans la continuit de rformes antrieures de

    ladministration. Par le dcret du 28 juin, laudit interne non seulement vise assurer la matrise

    des risques lis la gestion des politiques publiques dont les services des ministres ont la

    charge ; mais sinscrit aussi dans un dispositif plus large de contrle interne et de matrise des

    risques, dont il doit assurer lefficacit ; enfin, la circulaire associe laudit interne lambition de

    rduire les cots de fonctionnement de ladministration, en cohrence avec la Rvision Gnrale

    des Politiques Publiques (RGPP) lance en 2007 (Fillon 2011). Les textes de la rforme installent

    une gouvernance de laudit interne, qui repose sur des instances nouvelles. Larticle 2 du dcret

    cr un interministriel Comit dharmonisation de laudit interne (CHAI). Prsid par la-e

    ministre en charge de la Rforme de ltat, le CHAI rassemble les responsables de laudit interne

    dans chaque ministre, un reprsentant du directeur gnral des Finances Publiques, [et] un

    reprsentant du directeur du Budget ; de plus, participent au CHAI trois personnalits qualifies,

    parmi lesquelles la-e ministre en charge de la Rforme de ltat dsigne un-e vice-prsident-e. Le

    CHAI joue un rle essentiellement mthodologique : selon le dcret, il harmonise la

    mthodologie de travail des ministres en matire daudit et diffuse en leur sein les bonnes

    pratiques . La circulaire de 2011 cre des organes ministriels. Dans chaque ministre est cr

    un comit ministriel daudit interne, prsid par la-e ministre et compos de personnes internes et

    externes aux ministres. Ce comit assume principalement un rle de supervision de lactivit

    daudit interne conduite dans le ministre. Les missions daudit interne sont les deuximes

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    instances organisationnelles cres par la rforme au niveau ministriel. Selon la circulaire (Fillon

    2011), chaque mission dfinit le programme daudit ministriel soumis ensuite lapprobation

    du comit. Dans laudit interne de ladministration, les responsables des missions daudit interne

    jouent un rle cl : iels rendent en effet compte de leurs activits au CHAI et au comit ministriel

    daudit interne. Les textes de la rforme ne crent pas de structure nouvelle, ni nimposent le

    recrutement dauditrices-eurs internes rien nest dit sur les effectifs des missions ministrielles

    daudit interne. Ces textes ne dictent pas les modalits de larticulation de cette gouvernance de

    laudit interne avec les dispositifs prexistants de contrle.

    Dans ladministration franaise, chaque ministre a, sa tte, un-e ou plusieurs ministres,

    chacun-e tant entour-e de son cabinet1. Il se divise en directions, qui dclinent la politique du

    ministre dans un domaine donn. Le fonctionnement de lensemble du ministre est coordonn

    par des secrtariats gnraux, qui rassemblent les fonctions support transverses lensemble des

    directions de chaque ministre. Les activits de contrle sont principalement dvolues des

    services de contrle placs auprs des ministres et directrices-eurs des ministres, pour lesquel-le-

    s ils conduisent des missions dites dinspection, denqute, dvaluation, de contrle ou encore

    daudit. La rforme crant des instances un niveau ministriel, nous nous sommes centre sur les

    effets de la rforme sur les services de contrle placs auprs des ministres. Ces services sont

    dsigns par diverses appellations : dinspection, dinspection gnrale, de contrle gnral et de

    conseil gnral ; nous avons choisi lappellation de services ministriels de contrle pour

    dsigner lensemble de ces services. Le nombre de services de contrle ministriel par ministre

    est variable ; il dpend dune part de lhistoire des services de contrle qui peuvent de scinder ou

    fusionner , et dautre part des redcoupages ministriels. Au moment de notre travail de thse,

    nous dnombrions, pour onze ensembles ministriels, seize services ministriels de contrle (cf.

    Tableau 1.1).

    1 Le nombre de ministres et le nombre de ministres pour chacun dentre eux varie selon les gouvernements lors de notre observation lIGF, il y avait par exemple sept ministres au sein du ministre

    de lconomie et des Finances.

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    Tableau 1.1 Les services ministriels de contrle

    Les services de contrle prsentent des caractristiques communes : ils accomplissent plusieurs

    types de missions semblables, le plus souvent ralises pour les ministres de tutelle des services ;

    ils partagent un mme positionnement hirarchique, au plus haut niveau ; leurs effectifs se

    caractrisent enfin par une autonomie et une indpendance fortes. Les services ministriels de

    contrle ne constituent toutefois pas un ensemble homogne. Leur prestige est par exemple ingal,

    lIGF tant, de manire inconteste, le plus prestigieux des services de contrle de ladministration.

    Outre quelle compte parmi les services de contrle les plus anciens de ladministration, lIGF

    2 Les ensembles ministriels, dnomms ministres dans cette thse, correspondent au primtre des

    secrtariats gnraux. 3 Les services de la-du Premire-er ministre ne disposent pas de service de contrle.

    Ministre2 Service de contrle ministriel3 Acronyme Corps

    conomie et

    Finances

    - Inspection Gnrale des Finances

    - Contrle Gnral conomique et

    Financier

    - Conseil Gnral de lconomie, de

    lIndustrie, de lnergie et des

    Technologies

    - IGF

    - CGEFI

    - CGE

    Oui

    Oui

    Oui

    Affaires

    Sociales

    - Inspection Gnrale des Affaires Sociales

    - Inspection Gnrale Jeunesse et Sport

    - IGAS

    - IGJS

    Oui

    Oui

    Intrieur - Inspection Gnrale de lAdministration - IGA Oui

    Dfense - Contrle Gnral des Armes - CGA Oui

    cologie et

    quipement

    - Conseil Gnral de lcologie et du

    Dveloppement Durable

    - Inspection Gnrale des Affaires

    Maritimes

    - CGEDD

    - IGAM

    Oui

    Oui

    Agriculture - Conseil Gnral de lAgriculture, de

    lAlimentation et des Espaces Ruraux

    - CGAAER Oui

    Culture - Inspection Gnrale des Affaires

    Culturelles

    - IGAC Oui

    ducation

    Nationale et

    Enseignement

    Suprieur

    - Inspection Gnrale de lAdministration,

    de lducation Nationale et de la

    Recherche

    - Inspection Gnrale de lducation

    Nationale

    - Inspection Gnrale des Bibliothques

    - IGAENR

    - IGEN

    - IGB

    Oui

    Oui

    Oui

    Affaires

    trangres

    - Inspection Gnrale des Affaires

    trangres

    - IGAE Non

    Justice - Inspection Gnrale des Services

    Judiciaires

    - IGSJ Non

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    recrute parmi les tudiant-e-s les mieux class-e-s de lENA, qui constitue la formation la plus

    lgitime dans la haute administration seuls deux autres services, lIGAS et lIGA recrutent des

    tudiant-e-s, moins bien class-e-s, de cette cole. En raison de ce recrutement la sortie de lENA,

    lIGF se caractrise aussi par une moyenne dge plus faible que celle des autres services de

    contrle ; lIGAS, lIGA et le CGA, qui dispose de son propre concours de recrutement, sont trois

    autres services dont le prestige tient aussi la jeunesse des effectifs. Celle-ci, associe une

    productivit et un dynamisme plus levs du service, est en effet valorise. Enfin, le prestige de

    lIGF tient aussi son primtre dintervention : non seulement lIGF est une inspection dite

    interministrielle, de mme que lIGAS et lIGA cest--dire ayant vocation intervenir dans

    lensemble de ladministration , mais en outre elle est habilite contrler toute structure

    collectrice de deniers publics.

    La rforme de 2011 semble appeler un renouvellement de la gouvernance de ladministration, fond sur un modle mis en avant par des associations professionnelles.

    Dans le mme temps, les textes de 2011 inscrivent laudit interne dans la continuit de

    changements antrieurs comme la RGPP. De plus, les transformations potentielles amenes

    par laudit interviennent dans un paysage administratif o existent dj des services de

    contrle placs auprs des ministres, et dont les diffrences laissent prsager de

    consquences plurielles de la rforme. Sur cette triple prise en compte du renouvellement

    de gouvernance que peut signifier lintroduction de laudit interne, du lit de rformes dans

    lequel elle sinscrit, et de la prexistence dun ensemble de services ministriels de contrle

    repose le cadre thorique principal retenu et les concepts heuristiques choisis pour cette

    thse.

    1.2 Cadre thorique et mthodologie retenue

    Pour rpondre notre question de recherche, nous avons mobilis principalement le cadre

    thorique de la sociologie des preuves (Boltanski et Chiapello 1999), qui relve dune

    pistmologie pragmatique notre travail na ainsi de vise ni normative, ni positive. Dans ce

    cadre, une preuve est un vnement, impliquant une confrontation dtres, et lissue duquel des

    biens sociaux, matriels et symboliques, sont attribus ; lpreuve est galement inscrite dans une

    relation dialectique entre critique et changement : les critiques portant sur une preuve donne, en

    affaiblissant sa lgitimit, rendent le changement possible. Diffrents types de changements

    peuvent apparatre : lpreuve peut tre remplace par une nouvelle preuve, en rponse des

    critiques dites radicales ; elle peut tre modifie pour restaurer sa lgitimit, par lassimilation de

    critiques dites correctives ; enfin, lpreuve peut subir des dplacements, cest--dire des

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    changements incrmentaux ne faisant pas lobjet dune formulation explicite. Dans notre travail,

    nous considrons lorganisation du contrle par les services ministriels de contrle comme une

    preuve. Cette dernire implique des contrleur-e-s et des contrl-e-s, les premires-ers portant

    une apprciation sur ladquation des activits des second-e-s aux attentes relatives ces activits

    quil sagisse dun respect de rglements, dune atteinte dobjectifs, etc. Cette apprciation peut

    tre assortie de sanctions ou de rcompenses pour les contrl-e-s. Cette preuve du contrle est

    amene changer, en rponse aux critiques qui lui sont adresses. En loccurrence, nous

    considrons la rforme de 2011 comme un changement apport lpreuve du contrle. Cette

    considration nous amne explorer les critiques antrieures qui ont rendu la rforme possible, en

    faisant apparatre celle-ci comme souhaitable, logique ou ncessaire, pour remdier

    limpossibilit de dgager une signification claire du sens de lpreuve du contrle. Mais, nous

    estimons que la nature du changement radical ou correctif4 apport par la rforme est

    indtermine. Cette indtermination a pour origine lambigut des textes et la plasticit du

    dispositif introduit5. Elle nous conduit enrichir notre cadre thorique initial par le concept

    dexplicitation, emprunt la philosophie deleuzienne, et dj mani en sociologie pour ltude

    des rformes de ladministration (Muniesa et Linhardt 2011). Lexplicitation renvoie un

    processus dinterprtation et de mise en uvre dune rforme, qui conduit lmergence dune

    interprtation dominante de la rforme. Par lexplicitation, non seulement une rforme prend forme

    et son indtermination initiale est rsolue, mais en outre, lobjet sur lequel porte la rforme recouvre

    un sens renouvel et clarifi. Dans notre travail, nous avons donc tudi lmergence dune

    interprtation dominante de la rforme, issue de rapports de sens et de force entre celleux impliqu-

    e-s dans lapplication des textes de 2011. Puis, nous avons explor le renouvellement de lpreuve

    du contrle, qui rsulte de linterprtation et de la mise en uvre de la rforme, et qui permet au

    contrle de ltat de trouver un contenu et des contours clarifis.

    Notre thse prend la forme dune tude de cas, ralise partir dune mthodologie qualitative :

    la rponse apporte notre question de recherche se fonde sur lanalyse dentretiens semi-directifs,

    4 En tant que faisant lobjet dune formulation explicite via des textes rglementaires, la rforme ne relve

    pas dun dplacement. 5 La littrature tant comptable quissue de la science politique a soulign lambigut des textes de rforme

    (par exemple: Arnaboldi et Palermo 2011; Lascoumes 1990). Au sujet de la plasticit de laudit interne et

    de la pluralit des pratiques associes, voir par exemple Power (1999) Mennicken (2010); Arena et Jeppesen

    (2015).

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    dobservations, et de documents, portant principalement sur lorganisation du contrle au sein de

    ladministration. Les entretiens constituent le matriau le plus important de notre thse : 121

    entretiens, dune dure comprise entre 45 minutes et 4 heures 20, ont t conduits avec 100

    personnes, de juillet 2012 juin 2015. Les entretiens mens dans ladministration centrale se sont

    concentrs sur les services de contrle ministriels, et parmi eux, sur lIGF ; dautres entretiens ont

    t conduits avec divers actrices-eurs de ladministration centrale, auprs de la Cour des comptes6,

    lIFACI, lOCDE, au sein du service daudit de la Commission europenne et enfin avec des

    consultant-e-s du secteur priv. la collecte dentretiens sajoute la conduite dobservations entre

    janvier 2013 et juin 2015. La plus importante de ces observations a pris la forme dun stage de cinq

    mois lIGF entre fvrier et juin 2013, avec la participation deux missions daudit interne du

    ministre des Finances. Nous avons aussi particip des colloques, organiss dans la sphre

    publique, des vnements de lIFACI et des runions du CHAI. Enfin, notre travail repose sur

    une analyse de documents, savoir des textes lgislatifs et rglementaires ; des publications

    essentiellement de haut-e-s fonctionnaires de ladministration et dorganisations internationales,

    duniversitaires et dauditrices-eurs internes ; des supports de communication organisationnelle

    et de formation produits par des haut-e-s fonctionnaires ; une documentation interne aux services

    de ladministration ; des rapports produits par des instances internes et externes la sphre tatique

    des services de contrle, de commissions de haut-e-s fonctionnaires, de la Cour des comptes,

    dinstances parlementaires, de lIFACI, dorganisations internationales et enfin dorganisations

    prives.

    Dans notre thse, nous cherchons comprendre dans quelle mesure lintroduction dun

    standard international de contrle, laudit interne, est rvlatrice dune transformation profonde de

    lexercice du pouvoir tatique lheure du capitalisme financiaris. Pour rpondre notre question

    de recherche, nous retenons le cadre thorique de la sociologie des preuves, enrichi du concept

    dexplicitation et appliqu lorganisation du contrle dans ladministration. Nous analysons les

    conditions de possibilits de la rforme de 2011 i.e. la dstabilisation de lpreuve du contrle

    antrieurement la rforme ; le changement apport par la rforme au contrle de

    ladministration, par lanalyse de lmergence dune interprtation dominante de la rforme et une

    affirmation renouvele du contour et du contenu de lpreuve du contrle en dautres termes,

    lexplicitation de lpreuve du contrle loccasion de la rforme ; et enfin, la porte de ce

    changement sur ltat dans son ensemble. Notre tude se fonde sur une collecte de donnes

    qualitatives.

    6 La Cour des comptes remplit plusieurs fonctions dans le contrle de ladministration, y compris, depuis

    2006, celle de certifier les comptes de ltat en application de la LOLF.

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    2. Les conditions de possibilit et le lancement de la rforme de 2011

    Dans cette section, nous prsentons les lments, externes et internes ladministration, qui ont

    contribu lessor de la lgitimit de laudit interne dans ladministration et la dstabilisation de

    lpreuve du contrle, et nous exposons les incertitudes pesant sur le lancement de la rforme de

    2011.

    2.1 Le succs plantaire de laudit interne dans les organisations publiques et prives

    Par ltude de textes acadmiques et de manuels daudit interne parus partir des annes 1950,

    nous retraons le dveloppement de laudit interne et les diffrents rles accumuls par celui-ci au

    fil du temps. Nous associons laudit interne lessor, dans le contexte des rvolutions industrielles

    du XIXme sicle, de lentreprise capitaliste moderne : laudit interne merge comme une fonction,

    place auprs de la direction des entreprises, pour rendre compte celle-ci du reste des activits de

    lorganisation. partir des entreprises capitalistes anglo-saxonnes, laudit interne conquiert durant

    le XXme sicle un ensemble toujours plus large de rgions et dorganisations. Le succs de laudit

    interne est le rsultat de limplication russie dune pluralit dactrices-eurs organisations

    internationales, instances rgulatrices, auditrices-eurs internes, etc. , engag-e-s dans la diffusion

    de ce mode de contrle, et auxquel-le-s chaque nouvelle crise boursire et lclatement de scandales

    financiers donnent un nouveau souffle. Une partie de ces actrices-eurs sest regroupe partir du

    milieu du XXme sicle en associations professionnelles dauditrices-eurs internes. Les

    certifications dcernes par lIIA la plus connue dentre elles tant le titre de Certified Internal

    Auditor ou CIA permettent en outre dasseoir la lgitimit de laudit interne et danimer une

    communaut qui se revendique professionnelle au sens anglo-saxon, fonctionnaliste du terme7. La

    conqute de laudit interne est galement porte par des textes lgislatifs qui, dans plusieurs pays,

    associent celui-ci une meilleure gouvernance, une transparence accrue et la lutte contre la fraude.

    Lisomorphisme organisationnel entran par la diffusion de laudit interne est simultanment

    facilit et limit par la polysmie de celui-ci : laudit interne a embrass au fil des ans un nombre

    toujours plus large de pratiques, de la lutte contre la fraude la gestion des risques, en passant par

    7 Cest--dire une profession disposant du monopole dexercice dune activit donne, regroupant une

    communaut aux contours dlimits, caractrise par un ensemble de savoir-tre et de savoir-faire (Carr-

    Saunders et Wilson 1933; Larson 1980).

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    le simple reporting au management. Ces diverses fonctions sont essentielles au succs de laudit

    interne, pour deux raisons : laudit interne peut apporter des rponses sans cesse renouveles aux

    dfis indits poss par les transformations du capitalisme ; de plus, il sadapte aux particularits de

    chaque organisation, dans laquelle il prendra une forme ad hoc. Cette pluralit des fonctions de

    laudit interne rend en mme temps imprvisibles les effets de lintroduction de celui-ci dans une

    organisation donne. Cette imprvisibilit est accrue par lindfinition des frontires du groupe des

    auditrices-eurs internes : lexercice de laudit interne reste ouvert des personnes aux formations

    et aux parcours antrieurs divers. Dans le contexte de ladministration, il nest pas possible de

    prvoir comment laudit interne transformera lexercice du mtier de contrleur-e.

    La rforme de 2011 sinscrit dans un contexte de dynamisme de laudit interne franais dune

    part et de laudit interne des administrations publiques dautre part. En France, le succs de laudit

    interne a plusieurs explications. Laudit interne bnficie tout dabord de linvestissement

    dactrices-eurs professionnel-le-s. Cr en 1965, lIFACI diffuse sa Revue Franaise de lAudit

    interne en 1976, remplace en 2015 par la revue francophone Audit, Risques et Contrle, vocation

    internationale. Des membres actifs de lIFACI, comme Jacques Renard et Louis Vaurs, participent

    aussi la publication douvrages et darticles, destins des praticien-ne-s et des acadmiques

    (Vaurs 2002; Renard 2010; Renard et Nussbaumer 2011). De plus, lIFACI anime une communaut

    des auditrices-eurs internes. LInstitut cr des groupes de travail, qui, partir du dbut des annes

    2000, rflchissent une dclinaison des normes de laudit interne par secteur dactivit. Il met sur

    pied un programme de certification, distinct de celui de lIIA, et qui sanctionne la bonne matrise

    des normes daudit interne dans des services. Par ailleurs, lIFACI organise des vnements de

    diverses nature des formations payantes, des petits djeuners mensuels gratuits, etc. Lassemble

    gnrale annuelle est une autre occasion de rassemblements. Enfin, lIFACI ralise intervalles

    rguliers des enqutes sur ltat des lieux de laudit et du contrle internes en France, avec le

    concours ventuel dtablissements denseignement suprieur (par exemple IFACI & ESSEC

    2010). Ces efforts sont ports et rcompenss par la mise en uvre de diffrents textes lgislatifs

    et rglementaires, qui encouragent ou imposent le dveloppement de laudit interne dans des

    organisations de secteurs dactivit toujours plus nombreux. La rforme de 2011 peut donc tre lue

    comme un succs de plus de laudit interne dans le contexte hexagonal. Mais, elle est aussi

    cohrente avec les succs de laudit interne dans les administrations publiques.

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    Laudit interne caractrise depuis les annes 1990 une gouvernance financire renouvele des

    administrations publiques, associe la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance, axe

    sur la matrise des risques et reposant sur le dploiement du contrle interne. Encourag, ou impos,

    selon les contextes, par les organisations internationales, cet audit interne caractrise une nouvelle

    phase de rformes de New Public Management et succde ainsi aux audits dits externes et de

    performance, constitutifs des vagues antrieures. Dans lUnion europenne, la Commission

    europenne a impos lintroduction de procdures daudit pour attester de la bonne gestion de ses

    fonds, et a incit un renouvellement de la gouvernance financire reposant sur lintroduction de

    dispositifs daudit et de contrle internes des tats membres obligatoire pour les candidats

    ladhsion et quelques pays lendettement public lev.

    La rforme de 2011 permet donc daligner ladministration franaise sur les pratiques de

    contrle les plus lgitimes, tant au niveau des organisations marchandes que des administrations

    publiques. Mais ces lments sont insuffisants rendre compte des conditions de possibilit de la

    rforme.

    2.2 Les remises en cause du contrle de ladministration

    La rforme de 2011 est rendue possible par un affaiblissement du contrle de ladministration,

    dissociable de lessor de laudit interne. partir de la fin des annes 1980, une srie de rapports,

    portant sur les rformes conduire au sein la sphre tatique, formulent des critiques plus ou moins

    importantes des activits des services ministriels de contrle. Ces rapports, produits par des

    parlementaires, des commissions de haut-e-s fonctionnaires, avec le concours ventuel de

    chercheuses-rs, dnoncent linefficacit des contrles de ladministration, du fait du manque de

    coordination des activits de contrle, de labsence de mthodologie rigoureuse ou encore de la

    trop forte empathie des contrleur-e-s pour les contrl-e-s. Htrognes dans la svrit des

    constats dresss et des recommandations formules, ces critiques sont symptomatiques de

    revendications dune ampleur indite pour la prise en main de lorganisation du contrle par des

    instances externes ladministration notamment la Cour des comptes et le Parlement :

    lorganisation traditionnelle du contrle dans ladministration, par laquelle des contrleur-e-s

    rendent compte des ministres de leurs activits, est remise en cause. De plus, ces critiques

    rencontrent un cho favorable : elles sont reprises lextrieur de la sphre tatique, par des

    consultant-e-s et des chercheur-e-s ; au sein mme des services de contrle, elles entranent un

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    intrt croissant pour des activits normes daudit ou dvaluation. La rforme de 2011 est donc

    mise en uvre alors que les services de contrle se heurtent, en particulier depuis deux dcennies,

    des critiques relatives leur manque de professionnalisme, formules notamment par des

    instances qui revendiquent un droit de regard accru sur leurs activits.

    Dans les annes 2000, plusieurs rformes, en partie inscrites dans la continuit des rapports des

    annes 1990, se sont traduites par un renouvellement des attentes pesant sur les services de

    contrle. La plus importante de ces rformes est certainement la Loi Organique relative aux Lois

    de Finances (LOLF), vote en 2001 et mise en uvre en 2006. Protiforme, la LOLF est porteuse

    de plusieurs effets sur le contrle de ladministration : elle rforme la comptabilit de la sphre

    publique et fait de la Cour des comptes la certificatrice externe des comptes de ltat qui prend

    appui sur les services de contrle de ladministration pour la conduite daudits internes ; elle

    introduit dans ladministration un management par objectifs, qui donne lieu une reddition de

    comptes nouvelles envers le Parlement ; enfin, elle se traduit par la production dun ensemble

    dindicateurs et la mise en uvre daudits dits de modernisation, qui accroissent linfluence de

    Bercy sur le reste de ladministration. Trois rformes successives sinscrivent dans le prolongement

    de chacun de ces trois renouvellements du contrle de ladministration par la LOLF : vote en

    2005, la rforme du contrle financier poursuit la rforme comptable et accrot la pertinence des

    audits internes comptables et financiers dans ladministration ; mise en place entre 2007 et 2011,

    la RGPP prolonge les audits de modernisation et confirme linfluence de Bercy sur lorganisation

    du contrle de ladministration ; enfin, la rforme constitutionnelle de 2008 renforce le rle du

    Parlement et de la Cour des comptes dans la conduite dvaluation des politiques publiques. Au-

    del de leur diversit et de leurs contradictions8, ces rformes sont porteuses, ensemble, dun triple

    mouvement de renouvellement du contrle de ladministration : elles imposent des comptences

    indites en comptabilit, cette dernire devenant de manire croissante la matire premire des

    contrles conduits, qui visent de manire indite lefficacit et lefficience des administrations ;

    elles se traduisent par la lgitimit renforce de mthodologies inspires des sciences de gestion

    dans ladministration, pour conduire des contrles de manire standardise ; enfin, elles ont pour

    8 Lanalyse de l esprit de la LOLF et de la RGPP et des contradictions de ces rformes a fait lobjet de

    plusieurs travaux (Calmette 2006; Abraham et Brillet 2008; Bezs 2009; Bezs 2011; Eyraud 2013)

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    rsultat une redevabilit accrue des contrleur-e-s envers des instances diverses principalement

    les ministres, le ministre des Finances, le Parlement et la Cour des comptes.

    Le lit de la rforme de 2011 a donc t creus par un affaiblissement de la lgitimit des services

    de contrle, confirm par une srie de rformes, qui ont accru la subordination du contrle de

    ladministration trois instances concurrentes de la sphre tatique, en mme temps quelles

    familiarisaient les contrleur-e-s avec la conduite daudits, y compris internes. Mais, ces lments

    ne permettent pas de faire compltement sens de la survenue de la rforme de 2011 : ils ne disent

    rien des lments dclencheurs.

    2.3 Le lancement de la rforme de 2011 et les incertitudes de laudit interne de ladministration

    Au cours des annes 2000, laudit interne se dveloppe dans les ministres de manire disperse,

    et au-del de la seule prparation la certification des comptes. Outre les initiatives destines

    mettre en uvre les audits internes pralables la certification des comptes, celles, denvergure

    locale, rsultant de linitiatives de contrleur-e-s parfois isol-e-s au sein de leurs services , et

    enfin celles prises loccasion de programmes partenariaux de formation avec des services de

    contrle dadministrations dautres pays, trois ministres les Finances, la Dfense et les Affaires

    sociales mettent en place une fonction structure daudit interne, assortie dune gouvernance

    propre. Mais, dans ces trois ministres, ces fonctions obissent des dynamiques divergentes. Au

    sein du ministre des Finances, la fonction daudit interne est introduite linitiative de lIGF, qui

    prend ainsi la main sur un audit interne essentiellement ralis par dautres services directionnels

    et ministriels de contrle pour des instances diverses la Cour des comptes, les directrices-eurs

    de ladministration, les organismes dans lesquels ltat dtient des participations financires, etc.

    la Dfense, la fonction daudit interne mise en place permet non seulement au CGA, service

    ministriel de contrle, de prendre la main sur laudit interne du ministre comme au ministre

    des Finances mais aussi de revendiquer, vis--vis de la Cour des comptes et de Bercy, le

    professionnalisme de ses contrles et de prserver son autonomie. Enfin, au sein du ministre en

    charge des Affaires sociales, la mise en place dune fonction daudit interne est dvolue une

    mission daudit interne, externe lIGAS et en position rivale vis--vis de celle-ci. Cre

    linitiative du secrtaire gnral du ministre, cette mission conduit des audits internes comptables,

    en relation troite avec la Cour des comptes ; sa cration conduit lIGAS former ses effectifs

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    laudit interne, ce qui lui permet de revendiquer aussi le professionnalisme de ses contrles. la

    veille de la rforme, laudit interne de ladministration ne prsente donc pas de visage unifi. Les

    partisan-e-s de laudit interne dans les ministres se retrouvent au sein du groupe professionnel

    Administrations de ltat de lIFACI, qui merge ainsi comme une arne de rflexion et de

    partage des bonnes pratiques pour laudit interne de ladministration.

    La rforme de 2011 est lance linitiative de lIGF : deux rapports superviss par linspecteur

    gnral des Finances Henri Guillaume prparent la rforme. Le premier rapport ralise un

    benchmark de laudit interne dans les administrations publiques de cinq pays de lOCDE et des

    services de la Commission europenne ; le second rapport dresse un tat des lieux de laudit interne

    de ladministration et recommande la mise en place dune fonction daudit interne une

    proposition de dcret figure en annexe de ce rapport. Plusieurs motivations sont lorigine de ces

    rapports. Dune part, il est important pour lIGF de porter un coup darrt la monte en puissance

    de la Cour et de cantonner les audits externes de celle-ci la seule certification des comptes. LIGF

    propose en effet la mise en place dune fonction daudit interne, destine servir la gouvernance

    propre chaque ministre et qui serait orchestre, au niveau interministriel, par le ministre des

    Finances. Dautre part, Henri Guillaume encourage un alignement de ladministration franaise sur

    les pratiques de contrle dominantes au niveau international ; il nourrit de plus lambition que la

    France joue le rle de locomotive, pour llaboration dun cadre de rfrence de laudit interne

    propre aux administrations publiques. Dautre part enfin, laudit interne est investi de lambition

    de renouveler les services de contrle, notamment par un rajeunissement des effectifs et une

    professionnalisation des mthodes employes. De facto, le second rapport Guillaume contribue au

    dcloisonnement entre les services de contrle, en rassemblant des informations relatives ltat

    de laudit interne dans chacun dentre eux. Ce rapport permet aussi laffirmation de la domination

    de lIGF, qui porte une apprciation sur laudit interne de ladministration et prend linitiative de

    la rforme.

    La prparation et le lancement de la rforme sont ensuite marqus par des coups de force et des

    ngociations, qui faonnent le contenu des textes. Au sein de ladministration, linitiative de lIGF

    est largement considre comme servant les intrts et la domination propres de celle-ci vis--

    vis de la Cour des comptes et des autres services de contrle et linfluence de son ministre sur

    lensemble de ladministration. Afin dobtenir un ralliement le plus large possible son projet et

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    mettre fin la dispersion des initiatives de ladministration en matire daudit interne , lIGF

    accepte des concessions aux services de contrle dautres ministres. En particulier, par rapport au

    projet initial de rforme, linfluence du ministre des Finances sur laudit interne de

    ladministration est rduite. De leur ct, linvestissement des services de contrle dans la rforme

    est motiv par le souhait de ne pas laisser passer le train de la rforme et se retrouver concurrenc

    par de nouvelles instances daudit interne au sein des ministres, ou bien se voir imposer le fruit

    des discussions conduites au niveau interministriel. LIGF et la direction du Budget, qui appuie

    la rforme, doivent galement composer avec les rsistances du Conseil dtat et de haut-e-s

    fonctionnaires, qui redoutent notamment le dploiement dun audit interne sous la coupe de Bercy.

    Avec celleux-ci les coups de force et les ngociations se poursuivent en aval du lancement de la

    rforme, et dbouchent sur la publication de textes ultrieurs et notamment, en novembre 2012,

    le dcret relatif la gestion budgtaire et comptable publique (GBCP) qui impose le lancement

    daudits internes budgtaires, renforant ce faisant linfluence du ministre des Finances dans

    laudit interne de ladministration. Finalement, les textes de la rforme sont porteurs dincertitudes

    et dambiguts par exemple sur larticulation de laudit interne avec les activits de contrle

    prexistantes, sur la reprise des normes professionnelles de laudit interne. Ces incertitudes et

    ambiguts sont le fruit des ngociations et rapports de force qui ont conduit ladoption des textes.

    La rforme de 2011 est rendue possible par une conjonction dlments. Hors de

    ladministration, laudit interne connat un succs en apparence irrsistible en France et dans le

    monde, dans les entreprises et les administrations publiques. Au sein de ladministration, les

    services de contrle font lobjet de critiques et les attentes leur gard sont renouveles ; laudit

    interne est introduit dans les annes 2000, principalement en pralable la certification des comptes

    par la Cour. La rforme est dclenche linitiative de lIGF, non seulement en raction aux

    renouvellements des modalits de contrle dans les administrations dautres pays, mais aussi pour

    rpondre aux critiques adresses aux services de contrle, et dans un contexte de rivalit avec la

    Cour des comptes. Mais, les changements apports par laudit interne lorganisation du contrle

    restent imprvisibles, en raison non seulement de la polysmie de celui-ci mais aussi de la diversit

    des interprtations possibles des textes de la rforme.

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    3. Linterprtation et la mise en uvre de la rforme de 2011 : lmergence dun audit interne de ladministration

    Laudit interne de la rforme donne lieu diverses interprtations par les contrleur-e-s investi-

    e-s dans la mise en uvre des textes de 2011. Dans cette section, nous prsentons les diffrentes

    interprtations de laudit interne, et les renouvellements du contrle de ladministration auxquels

    ces interprtations sont associes. Puis, nous montrons lmergence dune interprtation dominante

    de la rforme, associe un renouvellement limit du contrle de ladministration. Enfin, nous

    exposons les raisons de la marginalit de laudit interne au sein de linspection gnrale des

    Finances.

    3.1 La pluralit des interprtations de la rforme

    La rforme de 2011 est lobjet dun accueil cliv par les contrleur-e-s investi-e-s dans sa mise

    en uvre. Une grande partie des contrleur-e-s manifeste des apprhensions de plusieurs ordres

    vis--vis de lintroduction dune fonction daudit interne. Ces contrleur-e-s redoutent tout dabord

    que lintroduction de laudit interne ne soit instrumentalise par la Cour des comptes et le ministre

    des Finances, qui obtiendraient la subordination des services de contrle de ladministration leurs

    projets et, partant, leur mainmise sur le contrle de ladministration. Iels expriment ensuite leurs

    craintes que laudit interne nentrane une dgradation du contenu de leurs activits et la

    substitution dun savoir managrial la connaissance intime des arcanes de ladministration. Enfin,

    ces contrleur-e-s voient dans lintroduction de laudit interne le rsultat dinfluences diverses qui

    ne viseraient pas tant lamlioration du contrle dans ladministration que la satisfaction dintrts

    pluriels lobtention de parts de march pour les cabinets de conseil, un affichage russi auprs de

    lUnion europenne pour lIGF et le ministre des Finances, une visibilit accrue pour les

    associations professionnelles daudit interne, etc. Dans ce contexte, linvestissement important

    dautres contrleur-e-s en faveur de laudit interne est considr comme une menace. Une petite

    partie des contrleur-e-s peroit en effet laudit interne comme une opportunit bienvenue pour une

    transformation et une professionnalisation de leur mtier. Ces contrleur-e-s sappliquent suivre

    rigoureusement les recommandations de lIFACI, les normes de lIIA et/ou dialoguer avec la

    Cour pour la transmission de leurs travaux. Laudit interne permettrait alors, outre de partager un

    langage commun avec les contrleur-e-s dautres pays, de servir lintrt gnral, par des contrles

    plus rigoureusement mens et par une organisation rationalise du contrle de ladministration.

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    Au-del de cette perception clive des consquences de lintroduction de laudit interne sur le

    mtier de contrleur-e, les contrleur-e-s investi-e-s dans la mise en uvre de la rforme associent

    laudit interne des vertus diverses dans lamlioration du contrle de ladministration. A minima,

    celui-ci permettrait lamlioration de la mthodologie dploye par les contrleur-e-s, avec

    notamment, une meilleure traabilit des pices collectes, ainsi quune hirarchisation et un suivi

    des recommandations. En plus de ces avantages mthodologiques, des contrleur-e-s estiment que

    laudit interne peut entraner un changement souhaitable dans lorganisation du contrle, par la

    mise en place dune gouvernance visant la matrise des risques et reposant sur la formalisation de

    processus de contrle interne. Dans une acception plus pousse de laudit interne, des contrleur-

    e-s considrent bienvenu le dveloppement de contrles non seulement caractris par une

    mthodologie nouvelle et relevant dune gouvernance indite, mais en outre prenant pour objets

    des donnes comptables, visant principalement lefficacit et lefficience de ladministration, ainsi

    que la soutenabilit des dpenses, et inscrits dans une chane de contrle au bout de laquelle se

    situe la Cour des comptes. Enfin, une minorit de contrleur-e-s partage une vision maximaliste de

    laudit interne, qui renverrait une nouvelle profession, caractrise par un ensemble de savoir-

    tre et de savoir-faire, dont la bonne matrise est indissociable du respect des normes de laudit

    interne, et garantie par les certificats de lIIA.

    Les propos des contrleur-e-s sur les vertus et menaces que reprsenteraient laudit interne et

    sur ce que celui-ci pourrait appeler au contrle de ladministration permettent de deviner diffrentes

    reprsentations du contrle de ltat. Une partie, minoritaire, des contrleurs, envisage son activit

    dans une perspective essentiellement rgalienne dinspection, fonde sur un contrle de rgularit.

    Lappropriation de laudit interne par les services de contrle peut permettre dune part de prserver

    le monopole de ceux-ci dans le contrle de ladministration au service des ministres, et

    ventuellement damliorer les contrles raliss et mieux collaborer avec les services de contrle

    des autres ministres. Dautres contrleur-e-s revendiquent ladoption dune posture de

    conseillres-ers auprs des dirigeant-e-s de ladministration et des ministres ; le contrle aurait une

    dimension participative marque, sloignant ainsi de linspection traditionnelle. Une troisime

    reprsentation du contrle de ladministration implique un renouvellement profond du mtier de

    contrleur-e-s, dont les activits seraient subordonnes celles dinstances externes daudit, et non

    plus destines aux ministres. Enfin, dans la reprsentation la plus innovante du mtier de

    contrleur-e, ce dernier deviendrait un prestataire de service, ralisant, au sein de la sphre

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    publique, diffrentes activits, permettant notamment dassurer les parties prenantes, parmi

    lesquelles les apporteuses-rs de capitaux de la bonne gestion de ladministration.

    La mise en uvre de la rforme de 2011 se traduit par des querelles dinterprtation sur ce

    que doit tre laudit interne. Pour lensemble des contrleur-e-s, ce dernier peut amliorer le

    contrle de ladministration, mais les raisons voques sont diverses. Pour une partie des

    contrleur-e-s, laudit interne est porteur de menaces, car il pourrait profondment changer

    lorganisation du contrle, ce que dautres contrleur-e-s estiment souhaitable. Les divergences

    entre les contrleur-e-s traduisent diffrentes reprsentations du contrle de ltat. La mise en

    uvre de la rforme permet lmergence dune acception dominante de laudit interne et du

    contrle de ltat.

    3.2 Lmergence dune interprtation dominante de laudit interne et les incertitudes pesant sur le renouvellement du contrle de ladministration

    Les activits du CHAI permettent lmergence dune interprtation dominante de la rforme.

    Cette dernire est faonne non seulement par la confrontation des actrices-eurs au sein du CHAI

    mais en outre par la place que ce dernier parvient se crer au sein de la sphre publique et la

    reconnaissance obtenue vis--vis dautres instances qui exercent une influence sur laudit interne

    de ladministration, comme la Cour des comptes et lIFACI. Depuis septembre 2013, laudit interne

    de ladministration a son propre cadre de rfrence : il sagit dune transposition des normes de

    lIIA ladministration de ltat. Cette transposition, qui permet de satisfaire les attentes de la Cour

    des comptes et dimposer la lgitimit du CHAI au sein de ladministration et en dehors

    notamment vis--vis du groupe prexistant Administrations de ltat , de lIFACI , est impose

    par Bercy la plus grande partie des contrleur-e-s, qui taient favorables llaboration dun

    cadre fondamentalement distinct de celui des associations professionnelles. En dpit de

    limposition dinitiatives parfois rebours de leur volont, les contrleur-e-s trouvent leur compte

    dans une participation au CHAI, qui joue le rle dune arne et dune instance de sociabilit, pour

    des contrleur-e-s de ladministration parfois isol-e-s au sein de leur ministre dans leur

    investissement en faveur de laudit interne. Au sein de ladministration, lancrage du CHAI est

    affermi par la diversification des activits du comit, qui permettent ce dernier daccrotre sa

    visibilit et sa lgitimit auprs non seulement des contrleur-e-s de ladministration, mais plus

    largement des haut-e-s fonctionnaires et des ministres. Finalement, la ngociation par le CHAI de

    sa place dans le paysage de ladministration, tout comme les rapports de force et de sens au sein

    du comit, entranent lmergence dun audit interne ne ncessitant pas de changement radical de

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    lorganisation du contrle de ladministration, destin avant tout aux ministres, ax sur la matrise

    des risques oprationnels et financiers et lvaluation des dispositifs de contrle interne les

    contrleur-e-s, partisan-e-s dune forte coopration avec la Cour des comptes sont ainsi mis-es en

    minorit. Mais, linterprtation de la rforme est lobjet de ngociations et de rapports de force

    permanents, et linfluence de la Cour des comptes, de lIFACI et du ministre des Finances laisse

    ouverte la possibilit dun audit interne plus proches des prceptes de lIIA, davantage soumis aux

    exigences de la Cour ou bien subordonn aux attentes du ministre des Finances.

    Au sein des ministres et au moment de notre terrain, laudit interne a des effets limits sur le

    renouvellement du contrle. Lenrlement des contrleur-e-s ladoption dune dmarche nouvelle

    constitue lobstacle principal : les contrleur-e-s qui sinvestissent dans la conduite de missions

    daudit interne constituent un groupe restreint. Si lintrt pour laudit interne va croissant, celui-

    ci reste fragile, dans un contexte de restrictions budgtaires qui limitent les formations et les

    recrutements et alors que laudit interne est concurrenc par dautres activits dites dvaluation et

    de conseil, sur lesquels dautres contrleur-e-s portent leurs efforts. Dans le mme temps, le

    fonctionnement des instances ministrielles daudit interne est marqu par des rapports de force

    entre les diffrentes composantes des ministres secrtariat gnral et directions notamment ,

    qui cherchent exercer une influence sur laudit interne de ladministration et sintressent donc

    aux effets de celui-ci sur leurs activits. Il semble que lavenir de laudit interne dans

    ladministration et les effets de celui-ci sur le contrle de ladministration dpendent en trs grande

    partie non seulement des renouvellements quil est possible dapporter au fonctionnement des

    services de contrle et plus largement de ladministration en termes de recrutement et de parcours

    de carrire notamment , mais aussi de lintrt des cabinets ministriels pour lamlioration du

    fonctionnement de ladministration. La question de linfluence de la Cour des comptes reste

    galement ouverte : si linstitution peut jouer un rle moteur dans le dveloppement de laudit

    interne de ladministration, elle prsente, pour bien des contrleur-e-s, le risque dune autonomie

    rduite. Celleux-ci sappuient donc de manire prudente sur la Cour pour allguer de limportance

    de dvelopper laudit interne dans ladministration. Au-del de ces questionnements, le triple

    mouvement de fond de transformation de lactivit des services de contrle, dont nous avions

    diagnostiqu llan dans les annes 1990 (cf. 2.2), vers une redevabilit accrue, lemploi de donnes

    comptables et celui de mthodes standardises, sort renforc de la mise en uvre de la rforme.

  • L. Clrier Candidature au Prix de Recherche de lIFACI Fvrier 2017

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    3.3 La mise en uvre de la rforme au sein de linspection gnrale des Finances

    Ayant jou un rle central dans la prparation et lorchestration de la mise en uvre de la

    rforme, lIGF maintient paradoxalement ses effectifs labri de la conduite de missions daudit

    interne. En particulier, la tourne , qui rassemble les inspectrices-eurs des Finances dans les

    quatre annes suivant leur intgration dans le corps et constitue la force de frappe du service,

    participe trs peu aux missions daudit interne programmes par les instances issues de la rforme

    de 2011. Ces missions autant que les personnes qui les promeuvent linspection ne sont pas

    valorises par ces inspectrices-eurs. Le paradoxe est dautant plus fort que, cre originellement

    pour vrifier la bonne tenue des caisses des tablissements collecteurs de deniers publics, le cur

    de mtier de lIGF parat proche de lexercice de missions daudit interne. De plus, ce grand corps

    dtat est caractris, historiquement, par lessaimage de ses membres la tte dinstitutions des

    secteurs bancaires et financiers, et lon pourrait supposer une affinit dautant plus grande que des

    inspectrices-eurs des Finances, dirigeant des instances de rgulation et des banques, ont encourag

    au dveloppement de laudit et du contrle internes dans les organisations9.

    Nous avons apport deux rponses ce paradoxe. Une premire rponse concerne lIGF en tant

    que corps. LIGF se caractrise par une culture cohsive forte au centre de laquelle la mission de

    vrification joue un rle important. Cette mission, souvent compare de laudit interne, consiste

    en un contrle de rgularit, men la plupart du temps dans un tablissement des Finances

    publiques. Premire mission conduite par les inspectrices-eurs au moment de leur entre dans le

    corps, la mission dite de vrification joue un rle important en tant quexprience formatrice et

    moment de transmission de valeurs entre des inspectrices-eurs aguerri-e-s et les nouvelles-eaux

    arrivant-e-s. Or, quel que soit le sens que les inspectrices-eurs placent dans cette mission, laudit

    interne nest le plus souvent pas vu comme un substitut pertinent celle-ci : les inspectrices-eurs

    valorisent tantt le bagage mthodologique rapidement acquis et aisment transposable transmis

    loccasion de la mission de vrification, tantt lexhaustivit et la profondeur des contrles sans

    hirarchisation des risques , tantt enfin, le rle de cette mission comme exprience commune et

    distinctive de tou-te-s les membres du corps. Par ailleurs, peu dinspectrices-eurs dfendent

    lintroduction de mthodes daudit durant les quatre annes de tourne, alors que la plupart des

    9 Ctait ainsi le cas de Jean-Pierre Jouyet lAutorit des Marchs Financiers, et de Marc Vinot et Daniel

    Bouton, successivement la tte de la Socit Gnrale.

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    inspectrices-eurs ne se projettent pas dans une carrire de contrleur-e. La tourne est en effet avant

    tout vue comme un passage, pour ensuite exercer des responsabilits ailleurs, des postes de

    dirigeant-e-s. Non seulement, rester dans le service ou bien y revenir en cours de carrire est

    bien souvent interprt comme un chec, mais en outre, la formation un mtier dauditrice-eur

    est perue comme pouvant restreindre les opportunits professionnelles des inspectrices-eurs. Dans

    ce contexte, la professionnalisation des contrleur-e-s par la formation laudit interne ne fait pas

    sens aux yeux de la plupart des inspectrices-eurs.

    Une seconde rponse concerne lIGF en tant que service dune part et grand corps dtat dautre

    part. En tant que service, lIGF ne sinvestit pas dans les missions daudit interne programmes par

    les instances ministrielles. Tout dabord, les inspectrices-eurs de la tourne prfrent le plus

    souvent ces missions celles dites de vrification, dvaluation et de conseil, qui leur paraissent

    revtir des enjeux plus importants en termes de lutte contre la fraude, une dimension plus

    intellectuelle ou bien une porte stratgique plus leve. Souvent peu connu des inspectrices-eurs,

    laudit interne souffre donc dune rputation moyenne. Ensuite, les inspectrices-eurs apprcient

    peu la gouvernance collgiale et la dimension participative auxquelles sont associes les missions

    daudit interne : les missions conjointes, menes avec des contrleur-e-s dautres services du

    ministre ne sont pas les plus prises ; de mme, les dispositifs participatifs et collgiaux, auxquels

    sont associes les instances de la rforme, sont peu valoriss. Dautre part enfin, les inspectrices-

    eurs gnrales-ux plus g-e-s, les IG , participent rarement des quipes collgiales de

    contrleur-e-s iels occupent souvent une position de supervision, ou bien sont seul-e-s luvre.

    Les missions daudit, de conseil ou dvaluation ne constituent dailleurs quune de leurs

    occupations parmi dautres et la plupart de leur temps de travail peut tre dvolu lexercice

    dautres fonctions de reprsentation, danimations de comit, etc. En tant que grand corps dtat

    ensuite, lIGF adopte une stratgie destine maintenir sa domination au sein de ladministration.

    Suite une rforme de ses statuts conduite dans les annes 2000, lIGF a fait le choix dun

    positionnement sur des missions de conseil stratgique, pour plusieurs raisons. Recrutant la sortie

    de lENA parmi les narques les mieux class-e-s celleux de la botte , lIGF est en

    concurrence avec la Cour des comptes et le Conseil dtat, qui sont les deux autres grands corps

    dtat dits administratifs, avec lesquels lIGF se partage les premires-ers sorti-e-s de lENA. Or,

    le positionnement sur des activits de conseil stratgique semble le mieux rpondre aux attentes

    des narques, et assure de plus une spcificit lIGF vis--vis de la Cour des comptes : les rapports

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    de lIGF, souvent confidentiels, visent appuyer les dcideuses-rs, quand les rapports dvaluation

    des politiques de la Cour connaissent une forte publicit. Enfin, le choix du conseil est galement

    distinctif vis--vis des autres services de contrle du ministre et assure une rpartition des rles

    destine viter les redondances : les missions daudit interne sont conduites par dautres services

    de Bercy, qui en font leur spcialit.

    LIGF se positionne donc en concurrence avec des cabinets de conseil du secteur priv. Vis--

    vis de ceux-ci, elle adopte une stratgie double dimitation et de distinction. Dun ct, lIGF

    affiche un positionnement sur des activits de conseil en stratgie et conduit des rformes internes

    destines rapprocher son fonctionnement de celui de cabinets priv rformes des recrutements,

    parcours de monte en comptences, etc. Dun autre ct, le service et ses effectifs se montrent

    soucieux de ne pas tre assimils tout fait un cabinet de conseil. Dans sa communication, lIGF

    met ainsi en avant une dimension rgalienne dinspection, une longue histoire, une fine

    connaissance de ladministration, la diversit des individualits qui la constituent et dans les

    propos des inspectrices-eurs, le sur-mesure des prestations. Si les discussions sur les

    rapprochements effectuer ou non avec les cabinets de conseil ou bien ce que ces cabinets sont

    censs tre ont toujours cours, la plupart des inspectrices-eurs se montrent proccup-e-s de

    maintenir cette identit. Or, cette dernire loigne certainement encore un peu plus lIGF de laudit

    interne tel quil est mis en uvre dans ladministration et via les travaux du CHAI avec

    notamment une dimension participative, une mthode standardise, et une rfrence relative au

    monde professionnel des auditrices-eurs internes.

    Conclusion

    Dans cette thse, nous avons donc montr que la rforme de 2011 nest pas, elle seule,

    symptomatique dun changement radical du contrle de ltat et de lexercice du pouvoir de ce

    dernier. Laudit interne mis en place avec la rforme de 2011 sinscrit dans la continuit de

    changements et de rformes antrieures, dont il confirme la porte en matire de renouvellement

    du contrle , tout en apportant un inflchissement avec lattention porte la matrise des risques

    notamment. La prparation et le lancement de la rforme confirment limportance prise par le

    ministre des Finances dans lorganisation du contrle de ladministration sans rsoudre pour

    autant de manire dfinitive la question du primtre dinfluence sur ladministration exerce par

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    celui-ci et la Cour des comptes. Dans sa mise en uvre, laudit interne de ladministration se

    dploie dans les services de contrle en place, o il sajoute aux activits de contrle prexistantes,

    sans rorganisation majeure des services ni de leur recrutement. Ltude de linspection gnrale

    des Finances fournit un clairage symptomatique : dans le service le plus prestigieux, qui orchestre

    la prparation et la mise en uvre de la rforme, laudit interne a peu prise. Pour autant, et ltude

    de lIGF illustre galement cet aspect, les effets de laudit interne sur lorganisation du contrle et

    lexercice du pouvoir tatique ne sont pas du tout dpourvus de signification. Ils sajoutent en effet

    ceux dautres changements et rformes, qui, ensemble, dessinent une nouvelle facette de ltat.

    Ces changements et rformes concernent par exemple la hirarchisation des contrles, la

    professionnalisation des contrleur-e-s et la reddition de comptes de ladministration des

    instances externes Union europenne et agences de notation notamment , dont la lgitimit

    semble aujourdhui acquise dans ladministration.

    Notre travail vise enrichir les recherches et alimenter les discussions dans plusieurs domaines.

    Un premier concerne celui des rformes de ltat. Par notre tude de lessor de laudit interne dans

    un contexte de New Public Management, nous avons mis au jour une troisime vague de celui-ci.

    De plus, nous avons montr, au-del des variations contextuelles, les traits communs des rformes

    mises en uvre, qui apportent une triple extension, des logiques de rationalisation comptable, de

    limpratif de redevabilit, et de lutilisation de mthodes issues des sciences de gestion.

    Concernant en particulier ladministration franaise, notre recherche se situe dans la continuit des

    travaux de Philippe Bezs (Bezs 2009) et complte ceux de Corinne Eyraud sur les rcentes

    rformes comptables de ladministration (Eyraud 2013). Notre thse enrichit galement les

    rflexions portant sur les rcentes dynamiques de renouvellement des mtiers des administrations

    publiques (voir par exemple Boussard et al. 2010; Bezs et al. 2011) et celles, pour le moment

    rares, relatives aux grands corps dtat administratifs (Latour 2004; Morin 2011). Ensuite, notre

    thse apporte un nouvel exemple de possibilit dutilisation du cadre thorique de la sociologie des

    preuves. Dune part, nous esprons avoir dmontr, par notre utilisation de ce cadre, la pertinence

    de celui-ci pour lanalyse des rformes de ladministration et au-del, du changement dans les

    organisations. Dautre part, notre thse a utilis ce cadre de manire peu ordinaire, non seulement

    par un recentrage sur lorganisation dune preuve en loccurrence celle du contrle de

    ladministration , mais en outre par lajout du concept dexplicitation, peu utilis jusqualors

    (Muniesa et Linhardt, 2011). Cette utilisation nous a permis de rassembler, de manire dialectique,

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    lensemble de ce qui nous semblait devoir tre pris en compte pour notre tude des tenants et

    aboutissants de la rforme de 2011. Enfin, notre recherche entend contribuer aux changes et dbats

    relatifs lintroduction de laudit interne dans les organisations. Par notre analyse des diffrentes

    facettes prises par laudit interne au fil du temps et du succs de celui-ci, nous offrons une synthse

    du dveloppement de laudit interne et des facteurs de son extension. travers notre tude des

    diffrentes interprtations donnes de laudit interne, nous entendons enrichir les discussions sur

    ce que laudit interne peut tre dans les organisations, notamment en dpassant les difficults

    habituellement soulignes dans la littrature sur laudit interne. Celle-ci invite la fois la

    prudence, pour ne pas surestimer les changements apports par laudit (Mennicken 2010), tout en

    dnonant une colonisation des organisations par laudit (Power 1994; Power 1999; Power 2010).

    Nous montrons de notre ct ce que laudit contient en puissance, mais qui ne se ralise pas

    ncessairement, ou bien avec diffrents degrs dintensit, dans les organisations. Nous proposons

    que cette typologie puisse tre complte par dautres travaux analysant le dploiement de laudit

    interne dans les organisations.

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