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SYNTHESE

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MERCREDI 27 AOUT

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MARC HALEVY Philosophe, prospectiviste et physicien Les grandes mutations économiques : comment s’y adapter ?

« Que sont ces crises et ces mutations si ce n’est des manifestations de causes cachées, de

sens à chercher ?

Revenons aux fondamentaux de l’économie car l’offre et la demande sont impactées par

cinq ruptures de civilisation.

1. Rupture écologique. L’offre est liée une démographie… en croissance

exponentielle dans le monde ! Quelle est son évolution sur le long terme pour savoir

combien de ressources seront nécessaires ? les ressources utilisables par l’homme

sont accessibles si l’on consomme d’autres ressources pour les extraire.

Heureusement les renouvelables prendront le pas sur la pénurie des non

renouvelables… mais pour seulement deux milliards de personnes. Nous sommes

passés d’une logique de croissance à logique de pénurie. C’est la première rupture,

l’écologique sur l’eau, les terres arables, les énergies fossiles

2. Rupture technologique. Le passage du mécanique au numérique, c’est 80 milliards

d’emails par jour à 100km/seconde. Notre cartographie mentale est faite

d’apprentissages en lecture papier ; la génération numérique conçoit le monde

différemment. Commencée en 1983, la 3è révolution informationnelle intervient

après celles de l’écrit puis de l’imprimé comme l’écrivait Michel Serres dans sa Petite

Poucette. Cela donne un monde plus complexe, un monde d’interconnexions. Un

manager d’aujourd’hui traite autant d’informations en un jour que son homologue

du début de siècle en un mois ! Nous n’avons donc plus le temps de réfléchir, d’être

rationnel… Nous sommes dans un monde d’instinctivité. Nos organisations sont-elles

capables de fonctionner ainsi ?

3. Rupture organique. Le passage de modèles hiérarchiques à des modèles

complexes, c’est la logique de réseau pour gérer un maximum d’interconnexions.

4. Rupture économique. Le passage au modèle américain implique que, pour exister,

il faut être gros en vendant beaucoup par une baisse des prix. Comment faire ?

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Standardiser et baisser les coûts fixes (Ford et Taylor)… Un modèle impossible

aujourd’hui : on veut des options, des produits de qualité et que nos managers

réfléchissent en prenant des initiatives. Aujourd’hui c’est la valeur d’usage qui

compte.

5. Rupture philosophique. On ne souhaite plus réussir dans la vie mais réussir sa vie. La

valeur travail, la réussite sociale et professionnelle, le progrès humain s’éloignent

pour aller vers l’épanouissement personnel et égoïste.

Ces ruptures sont une bifurcation, une mutation. Les historiens disent qu’elles arrivent tous les

550 ans, la dernière étant la Renaissance avec le passage de l’agraire au marchand, de la

féodalité à l’Etat moderne. C’est dans le croisement des courbes de deux logiques, l’une

naissante et l’autre déclinante qu’il y a crise. Pour en sortir, il faut construire et s’investir dans la

courbe naissante, la courbe verte.

Quelles solutions aux cinq ruptures ?

- pour la pénurie, c’est la frugalité mais pas l’apologie de l’anorexie ! Faire « moins

mais mieux ». Donc consommer, travailler, communiquer ainsi ;

- pour le monde numérique, c’est mettre ce monde au service de l’Homme, et rester

maitre de nos pensées ;

- pour le monde organique, c’est rechercher un management aux interactions

multiples ;

- pour le passage de la logique de prix à celle de valeur, c’est devenir des virtuoses

de nos vies ! Les choses qui sont difficiles à faire sont celles qui ont de la valeur, donc

un prix haut. Oser le difficile pour être demandé ;

- pour « bien-vivre », c’est rechercher la spiritualité et répondre à la question du

pourquoi plutôt qu’à celle du comment. Rechercher du sens pour créer de

l’engagement, de la fierté.

Construisez votre courbe verte avec ces ingrédients.

Le déclin de l’ancien modèle de civilisation a commencé en 1914 et peut muter vers un

nouveau modèle mature vers 2070. Les institutions anciennes sont celles nées à la

Renaissance, celles qui communiquent et gouvernent aujourd’hui et qui forment les outils de

régulation de l’ancien modèle. Il faut donc chausser les lunettes vertes pour voir le modèle

naissant : c’est une révolution qui advient tous les 550 ans et c’est sur nous que ça tombe.

Quelle chance ! »

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Frere samuel rouvillois philosophe et prêtre

Comment réhumaniser l’entreprise ?

« Il faut regarder le temps long du point de vue des ressources et des cycles : le XXè siècle fut

meurtrier et barbare mais aussi exceptionnel en termes de progrès social et culturel. Nous

finissons le cycle des 30 glorieuses mais aussi de l’occidentalo-centrisme ouvert avec

Constantin ; l’Asie reprend désormais toute sa place. C’est la fin d’un cycle sédentaire,

l’ouverture d’un cycle de mobilité qui implique un passage du hiérarchique au tribal. C’est la

fin d’un monde de « survie » tourné vers la production et l’abondance ; c’est le début d’un

monde de pénurie, difficile à organiser du fait des égos et des rivalités. L’Homme est tourné

vers une logique narcissique et morbide décrite déjà par Baudrillard. L’Homme expérimente

son pouvoir sur le monde depuis les années 80 et il n’y a plus de penseurs ni artistes majeurs et

révolutionnaires en vie depuis lors.

L’hypertrophie des moyens matériels donne accès aux informations mais pas à la

connaissance. L’accès à toutes les bibliothèques n’a jamais fait un discernement, ni donné

accès à la méditation ou au respect.

L’hypertrophie des moyens (en termes de propositions), c’est la multiplicité des possibles qui

angoisse et frustre. Etre soi est déjà difficile, alors devenir quelqu’un d’autre… Il faut tenir

compte de tous les possibles à chaque décision et chaque chef d’entreprise ici le sait bien. Il

y a une surdétermination des conditions économiques, politiques, philosophiques… Cette

liberté est en fait un déterminisme.

L’instabilité, la non lisibilité du futur, l’accélération des phénomènes, autant de conditions

pour que la modernité propose des substituts de soi, de sens, des insertions dans le virtuel.

L’homme peut déjà et pourra vivre dans un imaginaire permanent bien supérieur aux

fantasmes des générations passées.

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L’Homme doit penser les alternatives, être en résistance au cœur de la société et de soi. Il faut

en venir à l’altérité et à la singularité de la personne : l’épanouissement des personnes dans

l’entreprise est un préalable à l’épanouissement de l’entreprise, pas l’inverse.

La lenteur, c’est l’écologie de la personne. Comment permettre que la personne ne

décroche pas de la recherche de soi ? Sinon, c’est la bipolarité qui guette entre des

injonctions opposées. La lenteur, c’est cette spiritualité dans l’idée du rythme intime utile.

La personne doit être suffisamment libre dans l’entreprise pour décider chaque jour d’en faire

partie. La bienveillance du management et des personnes entre elles rend cette

interdépendance choisie. C’est la confiance qu’on construit ensemble. Dans l’entreprise il y a

l’organigramme (fonctions) et les compétences, les métiers et la géographie de la bonté :

quelles sont les personnes qui génèrent de la relation, du « cool », de la bonté ? Il faut mettre

en priorité le facteur humain grâce au temps long et grâce à la reconnaissance de la fragilité

et de l’interdépendance des êtres. Il s’agit de concevoir la réussite comme quelque chose de

collectif. Réussir sa vie, c’est aussi se préparer à réussir sa retraite, sa mort. Donc ne pas être

seul dans la certitude de son pouvoir. Cette conception de sa précarité nous oblige à être

plus fin, vis-à-vis de soi et des autres. Dans l’entreprise, c’est aussi investir dans l’humain sans

vouloir évaluer précisément ou durablement les bénéfices.

Le spirituel n’est pas un plus à ajouter au reste, comme on l’a appris au XIXè siècle en allant à

l’église uniquement le dimanche. Il en va ainsi de l’éthique dans l’entreprise : l’humain est

l’essentiel des choses, à l’origine du projet.

L’étude de l’intergénérationel montre que les moins de 25 ans sont dans la courbe verte

décrite par Marc Halévy. Mais ils prennent aussi de plein fouet la courbe rouge. Comment

allons-nous créer la courbe verte avec et pour les jeunes avec une dette qui est une injustice

qui leur est faite ?! Sans doute la croissance faible est-elle une chance pour nous. Pour nous

délester des biens inutiles et nous concentrer sur l’humain et l’essentiel. Il faut sortir d’un

narcissisme primaire. »

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Remise du 3ème prix du Livre

Optimiste : Décerné par France Roque et Philippe Gabillet à Malene Rydahl pour Heureux comme un

Danois (Grasset) :

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Christophe andre psychiatre et écrivain

Sens, croissance et conscience

« Je travaille sur la prévention car c’est le moyen pour les humains d’être capables d’être

plus forts et de savourer la vie. L’espèce humaine a la faculté d’apprendre, de progresser. Ce

qui implique aussi la faculté de régresser. C’est un effet secondaire ou « latéral ». Le progrès

implique des progrès matériels, technologiques mais sans progrès psychologiques : plus une

société adhère à des valeurs matérialistes, moins elle a de chance d’épanouir ses sujets. Les

sociétés matérialistes sont parfois « pléthoriques », cela vaut pour l’alimentation en occident

avec un accès libre et non contrôlé, ce qui entraine l’obésité notamment. Nous ne sommes

pas fait pour supporter mentalement cet environnement mais plus pour celui du jeûne. Idem

pour le temps de repos versus celui de l’écran, vécu comme une fatigue. L’apparition de

l’écran est du temps volé sur les échanges familiaux et sur le sommeil.

La vitesse est aussi un élément néfaste dans nos activités. Les interruptions et les sollicitations

nous empêchent de nous concentrer sur une tâche. Cette maîtrise de l’attention en baisse

est le signe d’une régression de nos capacités intellectuelles et émotionnelles, et la marque

d’un déficit d’intériorité. Les messages publicitaires sont la face souriante d’une tyrannie qui

sur-sollicite l’individu et le met face à des risques de troubles. Il existe d’ailleurs le « réseau par

défaut », une partie de notre cerveau qui ne s’active que quand on ne fait rien. Son rôle

semble essentiel selon les recherches menées actuellement.

La méditation connaît un succès qui s’apparente à celle de la pratique du sport. Elle répond

à des carences issues de nos sociétés matérialistes et sédentaires. Après l’approche religieuse

puis transcendantale, la troisième étape de la méditation est l’approche scientifique. Cet

état de présence est, par exemple, recherché en psychiatrie pour la stabilisation émotive,

appelée « entrainement attentionnel ».

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La technique de la « pleine conscience » est une technique bouddhiste laïcisée, codifiée et

pensée pour le monde occidental, avec comme bénéfices la régulation de l’impulsivité.

L’attitude de « pleine conscience » engage à être délibérément présent à l’expérience du

moment, sans jugement quant à ses pensées, en étant concentré sur une cible mouvante : le

souffle. Les champs d’application sont considérables : sports, médecine… Entreprise ! Certains

dirigeants ouvrent d’ailleurs leurs réunions en demandant un moment de silence, de retour sur

soi, hors des sollicitations, afin de prendre les bonnes décisions pour l’entreprise.

Je recommande de préserver des plages de silence, d’unité (une chose à la fois), de

continuité (pas d’interruption) ; se rendre présent à ce qui est agréable et accepter ce qui est

douloureux ; discerner ce qui est urgent et important. Les efforts individuels doivent aussi

s’accompagner d’efforts collectifs et associatifs. »

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Michel Maffesoli

sociologue et professeur à la Sorbonne

Un sens sans finalité

« Il n’y a de croissance que par rapport à là où l’on se situe. Ainsi l’amour n’existe que parce

qu’il se raconte. C’est « l’épistémie » dont parlait Foucault : il y a un rapport entre les mots et

les choses. Le commerce des biens découle d’une culture, des idées fécondes ou non qui

impliquent croissance ou crise. C’est l’idée d’un imaginaire qui nourrit une approche

holistique : c’est la « matérialité de la pensée » évoquée par Balzac.

Les mots d’aujourd’hui, s’ils ne sont plus pertinents, sont impertinents ! Dire ce qui est et non ce

qui devrait ou semblerait être. C’est la valeur contre-performative des messages qui peuvent

se retrouver dans l’entreprise.

Diagnostique :

Ce que l’on est en train de quitter, c’est la modernité fondée sur deux principes : la

socialisation basée sur l’individu et sur le futur avec une temporalité du « demain ». Le futur,

autrefois paradis lointain, subsiste. Le mot « projet » l’incarne : un but lointain mobilise l’énergie

vers « demain ». La crise vient de ces deux changements dans la conception de l’individu et

du futur. L’individualisme prend ses origines dans le cogito ergo sum de Descartes et dans le

protestantisme avec l’accès de chacun aux Textes et à Dieu sans corps intermédiaires. C’est

enfin l’invention de l’individu politique avec l’Emile de Rousseau (l’éducation vise à

l’autonomie) et le Contrat social (organisation égalitaire du collectif). Kant puis Marx

montreront l’évolution de la valeur travail, d’une nécessité à la réalisation de soi. La valeur

travail n’a pas toujours existé et n’existera pas toujours. Max Weber décrit la rationalisation de

l’individu et de tout provoquant un « désenchantement du monde ». Les institutions modernes

comme les entreprises se définissent en fonction de cette modernité dépassée.

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Pronostique :

La post-modernité vécue aujourd’hui interroge la conception du collectif. L’individu va se

construire en identifications multiples, en une fragmentation : « je est un autre » disait

Baudelaire. Le Contrat social laisse la place à une forme de « pacte » éphémère ; c’est le

tribalisme des réseaux sociaux. La performance est désormais collective. Les solidarités sont

locales. L’esprit du temps engage à « faire de sa vie une œuvre d’art », « ne pas perdre sa vie

à la gagner ».

La valeur alternative au travail réside désormais dans la création, pour agir sur

l’environnement. La compétence dans l’entreprise sera fondée sur l’appétence : c’est le

secret de l’esprit d’entreprise d’aujourd'hui. Le corporatisme laisse place au « corporéisme »

ou « entièreté de l’être » : c’est l’approche holistique reliant l’environnement et l’individu.

Les passions et les émotions se vivent désormais publiquement dans une « esthétisation de

l’existence ». Le carpe diem est vécu par des jeunes générations sans qu’ils connaissent le

latin pour autant… La loi du père incarnée par le chef d’entreprise ou le pédagogue est

remplacée par l’initiation : des pères aux pairs, de la structure verticale à l’horizontale. On

passe donc de la flèche du Progrès à la spirale des tribus via le cercle réactionnaire.

Coopération, partage et réversibilité caractérisent le nouvel esprit du temps. Comment

penser la croissance, non pas vers le futur, mais dans le sens qu’on donne à son action ? Tel

est l’enjeu. »

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Barbara Hendricks

cantatrice, ambassadrice pour le Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés (UNHCR)

Echange avec Christophe de La Chaise, directeur du CECA

« Comment devient-on cantatrice quad on est d’origine modeste et issue d’un milieu

ségrégationniste ? Grace au destin et à beaucoup de travail. A 19 ans, j’étais à l’Université du

Nebraska en chimie organique. Je chantais depuis ma naissance, avec mon père pasteur, à

l’église ou à l’école. On me fit une proposition pour aller chanter pendant un festival à Aspen

(Colorado), à l’époque plutôt hippy. A l’issue, un professeur, Jennie Tourel, me fit la

proposition d’être élève à la Juilliard School à New York. J’ai alors sauté dans le vide… Mais

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ma vie était peuplée d’anges ! Je ne voulais pas passer à côté de cette opportunité, ne

serait-ce que pour montrer à mes enfants qu’il faut saisir sa chance.

En arrivant à New York pour faire de la musique, c’était presque trop de plaisir pour la

protestante que je suis. Mais j’aimais tellement ça. Et je voulais suivre l’exemple de Jennie

Tourel, artiste « au service de la musique ». Cette artiste d’origine juive avait commencé sa

carrière en France avant d’être réfugiée au Portugal puis au Etats-Unis. Karajan m’a donné le

courage de devenir mon propre maître après la disparition de Jennie Tourel, qui aura été

mon seul professeur de chant.

J’aurais préféré chanter comme Aretha Franklin, mais ce n’était pas ma voix. Karajan m’a dit

que je lui rappelais Maria Callas… Il voulait évoquer en fait le potentiel d’expression de ma

voie.

Bernstein lui aussi a beaucoup compté, surtout par son exemple d’engagement politique ; ce

qui est rare dans le monde de la musique classique. Nous avons fait des concerts à Hiroshima

et en Pologne pour la paix. Après, je ne pouvais pas fermer les yeux sur ce qui était autour de

moi.

J’ai la chance que mes parents m’aient appris à ne pas haïr les autres. Je juge les gens par

leurs actes. On ne peut pas être artiste sans se mettre à la place de l’autre. Mon engagement

vient d’une époque où il y avait des revendications identitaires fortes mais j’ai préféré militer

pour les droits humains universels. Chacun doit suivre les mêmes règles.

Aujourd’hui la ségrégation a officiellement disparu mais des médias comme Fox news

continuent de vouloir séparer les gens. Il faut continuer les combats, à chaque génération,

car la liberté se gagne ; elle n’est jamais acquise.

La situation des réfugiés est toujours compliquée mais leur cas ne me quitte jamais. Ce sont

surtout des femmes avec enfants qui se comportent avec dignité. J’ai le souvenir d’une

femme qui voyait mourir l’un de ses enfants mais qui gardait dignité et courage car un autre

de ses enfants se nourrissait à son sein… Il y a 10 millions d’apatrides dans le monde.

Ma fondation est toute petite… J’en suis la secrétaire. Je soutiens des petits projets. C’est une

motivation assez personnelle pour avoir le sentiment d’agir en mon nom personnel.

Quand je donne une Master class, je dis toujours aux jeunes qu’il est important de savoir

pourquoi ils sont sur scène. Il faut être honnête avec soi sinon on est une « feuille dans le

vent ». Quand j’ai été accusée par un journaliste de faire un concert à Sarajevo pour vendre

des disques, je n’ai pas eu vraiment besoin de me justifier car je savais pourquoi j’étais là. Le

concert de Sarajevo a été certainement le plus marquant de ma vie. Lors de la répétition,

après les trois longues strophes de l’Ave Maria de Schubert, j’ai rouvert les yeux sur l’orchestre ;

les musiciens étaient physiquement transformés et revivifiés par la musique. J’ai eu l’impression

de résister un peu avec eux ce soir-là.

Pendant un concert, j’ai toujours l’impression qu’il y a un moment où il y a une vibration qui

me lie au public et aux musiciens. Cette vibration, c’est l’appartenance au genre humain, et

je suis sûr que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme provient aussi de cette

vibration. »

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Jeudi 28 AOUT

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Pascal picq paléoanthropologue et professeur au Collège de France

Le progrès est mort, vive l’évolution !

« Le Progrès, dans son acception moderne, émerge avec les connaissances et la maîtrise des

lois de la nature. L’Homme a la maîtrise de son avenir. La Théorie de l’évolution implique

l’adaptation, notamment aux catastrophes et aux phénomènes naturels. « Il faut courir le plus

vite possible pour rester à sa place », écrivait Lewis Carroll. Mais nos gouvernements

s’évertuent à tuer les moteurs du changement et de l’évolution, en freinant les chercheurs et

les entrepreneurs. Dans l’histoire, des changements radicaux et des révolutions sont apparus

par rapport à l’évolution des modes de communication et de déplacement, des langues et

des monnaies, des systèmes de gouvernance. Les cycles des révolutions industrielles sont de

plus en plus courts (cf. cycles de Kondratieff/Schumpeter) mais toujours avec des ruptures

technologiques initiées par l’association d’un inventeur et d’un investisseur.

La génération des Baby boomers est la seule qui n’a pas connue la guerre, voire la crise ;

d’où le décalage avec la génération X, la génération Sida… Au pouvoir sont encore des

hommes qui ne connaissent pas la crise et qui ont du mal à identifier les enjeux du futur. Le

futur repose sur ces classes moyennes sur lesquelles repose notre modèle économique. Mais

la population est démultipliée et son empreinte écologique explose. Ca ne peut pas tenir. Les

TIC modifient le monde, les modèles éducatifs et économiques. Les Etats-Unis retrouvent la

croissance mais pas l’emploi. Donc il n’y a pas de modèle vertueux et rien n’est écrit, car le

monde change très vite ; les politiques sont désemparés.

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« Ce qui a fait mon succès ne fera pas forcément mon succès demain », nous dit Darwin.

Evoluer et se diversifier, c’est là que se situe le potentiel de développement. Il faut regarder

les nouveaux modèles : l’économie circulaire, l’empathie, la coopétition, etc. Ce sont des

mécanismes d’évolution parfaitement identifiés scientifiquement. Il s’agit en fait de donner

pour recevoir dans l’écosystème. Le repli sur ses acquis, c’est la Planètes des singes où

l’Homme a perdu l’intérêt pour tout. C’est la perte de sens et le déclin assuré.

Le nouveau monde est déjà là avec le Big data et Big Brother, et de nouvelles gouvernances,

de nouvelles éthiques s’écrivent. The second machine age, un best seller américain récent,

montre que tous les métiers liés aux algorithmes et aux calculs sont menacés dans les 10 ans,

comme les experts comptables par exemple. D’ailleurs la robotique intéresse surtout le Japon

et les pays émergents. Il faudra donc réinventer la relation au travail comme dans chaque

révolution technologique ou industrielle. A ce titre, l’art donne des signes avant-coureurs.

Réapprenons à louer la diversité et faisons confiance aux jeunes… Vu qu’on est jeune jusqu’à

70 ans !

Ayons confiance car le propre de l’Homme c’est d’avoir su traverser les océans depuis

100.000 ans, avec femmes et enfants, vers l’inconnu. L’ère du Progrès est sur la fin ; nous

sommes passés de l’âge de l’adaptation à l’ère de l’adaptabilité ; c’est un précepte pour

l’éducation de nos enfants. »

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JEAN-MARIE CAVADA Député européen

Quel sens, quelle croissance pour l’Europe ?

« 2014 est une date qui ne doit rien au hasard, un siècle après l’attentat de Sarajevo et

l’assassinat de Jaurès. Le projet européen est fondé en cela, sur les cendres des pays

d’Europe après la guerre, et la France en particulier avec ses poilus et ses gueules cassées. La

deuxième guerre mondiale est allée encore plus loin en sapant les fondements

philosophiques de l’Occident. Il faut relire Le monde d’hier de Stefan Zweig pour comprendre

la misère intellectuelle après l’exode des intellectuels. L’Europe c’est Vinci ou Einstein mais

c’est aussi le terreau maléfique du nazisme. Nos systèmes politiques actuels trouvent leurs

origines et spécificités dans la culture des pays. C’est ça, le sens que nous cherchons

aujourd’hui ici. Il fallait sortir du malheur par les idées et non par les armes : l’Europe est un cas

unique dans l’Histoire de construction politique volontaire entre les pays. Il fallait partager la

richesse et privilégier la négociation ; ce fut la CECA… avec la foi du charbonnier. Et cela,

seulement cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Cela tient du miracle !

Comment retrouver cette foi dans un continent qui en a besoin pour gouverner 500 millions

d’habitants ? L’Europe est devenue un moyen et non une finalité. Ce qui vaut aussi pour le

France.

La bascule penche désormais vers l’Asie et l’Afrique car nous avons laissé vieillir nos modèles,

comme Pascal Picq le disait. On déplore aujourd’hui une absence de démocratie, un

corporatisme dans la gestion de la relation capital/travail. Comme Christophe Colomb, nous

ne croyons pas que nous sommes aux Amériques mais aux Indes !

Mai 68 a produit des effets dans les familles mais pas dans les institutions, restées dans le

jacobinisme. L’Etat ne peut pas tout mais, surtout, ne doit pas tout. Il y a un besoin de liberté

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pour que les acteurs gouvernent entre eux, comme au sein des branches professionnelles et

entre les partenaires sociaux. Le retard de l’Europe, la vide de son sens : vieillissement

scientifique, économique, technologique par manque de liberté, d’équilibre dans les

richesses, de production intellectuelle et culturelle. Il faut se comparer aux pays émergeants

tels le Vietnam et l’Egypte aussi peuplés que l’Allemagne, car l’intelligence n’est pas

l’apanage des Blancs, elle est partagée ; c’est l’instruction qui ne l’est pas.

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FREDERIQUE BEDOS Journaliste et créatrice du projet Imagine

Des héros anonymes pour retrouver du sens

Les médias, la télévision principalement puisque c’est le média dominant, sont très nombreux

mais très semblables dans les contenus. Ils véhiculent une violence et le pire de nous ; ce qui

laisse penser que le monde est perdu. L’espérance est atteinte et la peur s’infiltre. Elle

empêche le partage. Les médias ont une responsabilité énorme vu leur diffusion : la violence

est multipliée par quatre sur nos écrans depuis dix ans. C’est d’ailleurs un calcul économique,

parfois guidé par le neuro-marketing.

C’est en 2008 que j’ai eu un déclic professionnel et personnel quand je me suis reconnectée

à mes souvenirs d’enfance. J’ai alors décidé de faire du « journalisme avec espérance » en

valorisant des héros anonymes. C’est en effet dans le modèle de ma famille d’accueil qui a

adopté jusqu’à vingt enfants du monde entier que j’ai forgé cette conviction que tout est

toujours possible. Nous avons vécu tellement de choses formidables dans cette famille grâce

à la qualité de cœur de mes parents d’adoption. Mon père [adoptif] était actif auprès

d’Edmond Kaiser qui venait de fonder l’ONG Terre des hommes. Il recueillait les dossiers

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d’enfants jugés « inadoptables » et avait le courage d’accueillir toujours plus d’enfants même

s’il était de condition modeste. Cette ouverture de cœur et d’émotivité est un risque autant

qu’une grande récompense.

La valeur du confort tend à s’imposer aujourd’hui mais l’on est pas fait pour cela : la vie est

faite pour être intense et vive, au contact des autres et dans l’amour. « La mesure de l’amour,

c’est l’amour sans mesure » écrivait Saint Augustin. C’est ce qui nous a sauvé dans cette

famille : la démesure dans l’amour de nos parents adoptifs. Chacun de nous, voyant qu’un

autre enfant était peut-être plus mal que soi, nous permettait de nous décentrer de nous, et

de s’aimer finalement soi-même.

C’est pourquoi j’ai voulu créer en 2008 mon propre média, philanthropique, pour faire le

portrait de ces héros humbles et extraordinaires du quotidien : www.leprojetimagine.com.

L’idée est de communiquer pour agir ensemble. Et quand nous le pouvons, nous aidons aussi

un peu ces héros du quotidien au sein du projet. C’est le projet d’exercer cette excellence

que chacun de nous a en soi : un choix de chaque jour ; un choix d’aimer.

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PIERRE-YVES GOMEZ Economiste et professeur de stratégie à l’EM Lyon

Le travail invisible

Qu’est-ce que l’entreprise, cette organisation qui nait au XVIIIè siècle et qui pèse 40% du PIB

et 7 millions de salariés ? Quel est son rôle ? L’économie est impactée par l’évolution des

entreprises : c’est ce qui devrait être introduit dans les manuels de l’ENA ou de Sciences po.

De même, la notion de travail n’est jamais abordée dans les écoles de commerce. Le travail

crée la valeur. Il y a des sujets qui travaillent et cherchent de la reconnaissance. Si il n’y a pas

de reconnaissance, il y a souffrance pour le sujet. La création puis le don de la production

constituent la dimension objective du travail : l’évaluation est faite par autrui. Le travail est

aussi collectif et solidaire, et profondément humanisant.

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Qu’est-ce qui nous prive de travail ? Le chômage, la retraite (phénomène horrible de

dépossession d’utilité sociale), le reporting qui est lu à 10% et qui met des chiffres derrière des

chiffres pour un pilotage par écran… Qui fait écran. Pourquoi cette disparition du travail

comme valeur dans un modèle économique dominant ?

C’est après la seconde guerre mondiale que l’on généralise un système de garantie salariale,

de minimum, voire de rente pour certains selon l’âge ou la fragilité. Il n’y a plus de lien entre

salaire et travail. Ce n’est pas un jugement de ma part. Cette promesse tend vers un ratio de

1 travailleur pour 1 « rentier », ratio aujourd’hui à 4 pour 1.

Le système des fonds de pension américain est révélateur. Les caisses de retraites américaines

privées furent autorisées en 1974 à placer leur argent en dehors de l’entreprise pour sécuriser

l’argent des retraites. Phénomène reproduit en France avec les SICAV en 1985 sous Fabius.

Problème : 90% de cet argent des ménages est aspiré par 80 entreprises françaises sur les 800

cotées en bourse. Ce qui a créé des mastodontes qui ont absorbé leurs concurrents et se sont

mondialisés. Cela a créé la financiarisation de l’économie et de l’entreprise ; celle-ci pilote

dès lors des reportings pour garantir les dividendes promis. L’entreprise est abstraite et

enseignée comme telle aujourd’hui. D’où la logique des changements de stratégie

permanents pour faire des promesses de rentes aux marchés et capter des capitaux. Mais

c’est aussi la courbe d’innovation formidable qu’on a depuis 1995. Cette rupture dans le

capitalisme produit un « effet Gulliver » où l’on ne voit que les mastodontes de l’économie

mondialisée (seules 76 entreprises font plus de 47% du PIB en France). Ce système d’hyper

productivité du travail est atteint en 2007 : ce n’est pas alors une crise financière mais une

crise du travail. Ne valorisant plus un travailleur considéré comme abstrait, on lui donne des

objectifs de croissance intenables.

On arrive à la fin du cycle de la financiarisation après 30 ans, celui d’avant ayant duré 30 ans

aussi avec le Fordisme. Le cycle d’après s’écrit déjà, par exemple avec la subsidiarité où l’on

permet la décision au plus près de la création de valeur. Il nous faut donc former des

manageurs qui sachent ce que « font » les gens, et remettre le travail au cœur de l’entreprise

et de la société. C’est la raison même de leur existence.

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MAUD FONTENOY Navigatrice, porte-parole de la Commission Océanique Intergouvernementale de l’UNESCO

Economie et écologie enfin réconciliées ?

Quel sens peut-il y avoir à se lancer dans de telles aventures ? C’est un rêve d’abord, la

manifestation d’ambition, celle d’une volonté de montrer la capacité à faire des choses

presque impossibles, coup de rame après coup de rame pour traverser l’Atlantique.

La préparation parfaite n’existe pas, ni le zéro risque. On constitue d’abord une équipe qui

croit dans le sens de notre aventure. Pour réussir ensemble avec un rôle essentiel pour

chacun. Cette ambition est un idéal à suivre, sans écouter la peur qui seule vous empêche

d’accomplir ces projets. La vraie peur arrive ensuite au cours de l’aventure comme lors de

ma traversée à la rame où je me griffais les bras au sang, morte de peur dans des creux de

douze mètres pendant 48h !

La préparation a donc ses limites car tout ne peut être anticipé. Il faut chaque jour obtenir

une victoire, dans son projet et sur soi. Morceler la distance. Construire sa réussite. Ce bonheur

n’est pas forcément confortable. Il est fait d’efforts et de souffrances. Dans ces aventures,

l’important était aussi de garder une dignité, de continuer à trouver le temps de s’épiler

quand on a à peine le temps de manœuvrer un gigantesque monocoque. Quand le mat est

tombé, il a fallu aller chercher un regain d’énergie non prévue. Ce jour-là, je me suis

souvenue des enfants qui suivaient à distance mon aventure et aussi du jour des essais où j’ai

encastré le bateau dans le ponton... Cette réussite a constitué le plus grand des bonheurs,

celui de m’être dépassée.

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Ma fondation conduit des programmes dans les 55.000 écoles primaires sur le lien entre

l’homme et la nature. Je veux replacer l’océan au cœur des préoccupations car il constitue

les ¾ des surfaces de la planète et sa réserve d’oxygène principale ; c’une ressource

énergétique durable formidable. Si la priorité est de diminuer notre emprunte carbone, il faut

alors tout dire et aborder tous les sujets : de l’extraction de gaz de schiste à l’utilisation du

nucléaire, énergie peu chère. Il ne faut pas discréditer l’écologie en évitant des débats. Je

suis pour une croissance raisonnée dans un discours clair pour le grand public.

« Là où il y a une volonté, il y a un chemin »… Alors je souhaite que vos rêves à vous aussi se

réalisent.

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Le Ceca remercie ses partenaires :

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L’équipe du CECA vous donne rendez-vous pour la prochaine édition,

au Château Smith Haut Lafitte :

Mercredi 26 et jeudi 27 aout 2015

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Synthèse réalisée en temps réel

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Crédits photos : fotolia.com, Jean-Marie LAUGERY