Suzanne Pairault Infirmière 19 Florence Et l'Étrange Épidémie 1981

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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 19

FLORENCE ET L’ETRANGE EPIDEMIE

par Suzanne PAIRAULT

*

Une étrange épidémie se propage dans Rouville.

Virus ? Empoisonnement ? Florence, la jeune infirmière, ne sait plus où donner de la tête, l’hôpital est en pleine effervescence : malades jeunes et vieux affluent sans pouvoir expliquer ce qui leur arrive.

On multiplie enquêtes et analyses, on soupçonne tout et tout le monde... même ceux qui affichent les sentiments les plus généreux. Mais Florence a sa petite idée là-dessus...

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. Salle des urgences 1976 13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)16. La promesse de Francine 1979 (Francine)17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)18. Florence fait un diagnostic 1981 19. Florence et l'étrange épidémie 198120. Florence et l'infirmière sans passé 198221. Florence s'en va et revient 198322. Florence et les frères ennemis 198423. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)15. La promesse de Francine 1979 (Francine)16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976 2. Florence fait un diagnostic 1981 3. Florence et l'étrange épidémie 19814. Florence et l'infirmière sans passé 19825. Florence s'en va et revient 19836. Florence et les frères ennemis 19847. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. Dora garde un secret 1974 (Dora)3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)15. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)22. Salle des urgences 1976 (Florence) 23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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© Hachette 1981.Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

HACHETTE, 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

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SUZANNE PAIRAULT

FLORENCE ET L’ETRANGE

EPIDEMIEILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

« Vous comprenez bien, mon petit, que cela ne peut pas durer! »

Mme de la Pacaudière, assise sur une chaise du poste de garde, secouait la tête avec indignation. Les bouclettes d'un blond roux qui entouraient son visage d'ordinaire bienveillant s'agitaient comme autant de clochettes. On voyait qu'elle était vraiment très fâchée.

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Florence, la jeune infirmière du service, se tenait debout devant elle, essayant de la calmer.

« C'est vrai, madame, vous avez raison. Certainement. Mais tout cela s'arrangera peut-être... »

II ne fallait pas mécontenter Mme de la Pacaudière. L'hôpital de Rouville lui devait trop. Dans le petit parc destiné aux convalescents, elle avait fait planter des lilas et des rhododendrons. Elle avait réuni, en quêtant à droite et à gauche, une collection .de livres qu'on prêtait aux malades. Elle venait voir ceux qui ne recevaient pas de visites; aux enfants déshérités, elle apportait des jouets et des bonbons. Pour tout l'hôpital, elle était une bienfaitrice, une sorte d'ange gardien, seulement plus volumineux qu'on ne les imagine

en général.Avec toutes ses qualités, l'excellente femme avait

un défaut : elle aimait commander et ne tolérait pas qu'on lui résiste. Si on était de son avis, tout allait bien; sinon, elle boudait comme un enfant gâté, exigeait des réparations. Comme on l'aimait, on finissait toujours par lui céder.

Ce n'était pas au personnel de l'hôpital qu'elle en voulait aujourd'hui, mais comme elle éprouvait une affection particulière pour Florence, la plus jeune des infirmières, elle venait volontiers se confier à elle et lui faire part de ses tracas. « C'est inimaginable, n'est-ce pas? dit-elle. Me faire ça, à moi! Et sans me prévenir, notez-le bien!

— M. Groult ne pourrait-il pas intervenir? suggéra Florence.

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— M. Groult? naturellement! En tant que maire, il devrait bien pouvoir faire quelque chose! Mais je vais vous dire la vérité : ce brave Groult s'occupe moins de sa commune que des séances à la Chambre... On ne devrait pas avoir le droit d'être maire et député à la fois! Ce n'est pas votre avis?

— Je crois que c'est assez fréquent, risqua la jeune fille.

— Eh bien, c'est un tort, voilà tout. Mais, ma pauvre enfant, que dites-vous de ce qui m'arrive? Comme si l'affaire du poteau ne suffisait pas! Il faut croire que le sort s'acharne contre moi... »

Florence ouvrait la bouche pour répondre quand un pas rapide se fit entendre dans le couloir. C'était Robert, l'interne de service, qui venait chercher un dossier oublié le matin au poste de garde. Naturellement il connaissait Mme de la Pacaudière; il la salua amicalement.

« Chère madame... Vous n'arrivez jamais les mains vides, à ce que je vois! Vous êtes venue des Roques à pied? Mais cela vous fait traverser toute la ville!

— La ville n'est pas si grande, docteur! Je marche toujours quand je le peux : cela me maintient en forme. »

Le mot « forme » fit sourire l'interne. En fait de forme, celle de la visiteuse rappelait plutôt un paquet mal équilibré. Robert était taquin; Florence craignit un instant qu'il ne risque une plaisanterie. Mme de la Pacaudière, par bonheur, prit les devants.

« Oh, cela ne me fait pas maigrir! dit-elle. Mais

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voyez, docteur, ajouta-t-elle en se pinçant le bras, pas un pouce de graisse, rien que du muscle! Tâtez vous-même, vous jugerez.

— Inutile, dit Robert, je vous crois sur parole. Vous êtes toujours resplendissante, c'est l'essentiel.

— Oui, mes soixante-sept ans ne se font pas trop sentir. S'il n'y avait que ma santé pour me tourmenter...

— Il y a donc autre chose? » demanda l'interne. Mme de la Pacaudière poussa un grand soupir. « Vous êtes certainement au courant de mon histoire de poteau! Vous ne lui en avez pas parlé, Florence? »

La jeune fille fit un signe à l'interne. Celui-ci comprit.

« Si, si, affirma-t-il avec assurance. Florence m'a tout raconté; c'est terrible. Mais j'ai tant de choses en tête que j'oublie souvent les détails... »

La visiteuse le regarda avec sévérité.« Des détails, il n'y en a pas : le fait pur et simple

suffit. Vous savez que si j'ai acheté la propriété des Roques, un peu en dehors de la ville, c'est d'abord pour être tranquille, ensuite à cause de la vue.

— En effet : vous donnez d'un côté sur les collines, de l'autre sur la vallée...

— Dites « vous donniez »! rectifia Mme de la Pacaudière d'un ton tragique. Car un beau matin, docteur, qu'est-ce que je vois? En plein devant la fenêtre de ma chambre! Un poteau! Oui, un grand poteau de ciment! »

La pauvre femme en rougissait encore

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d'indignation.« J'ai failli me trouver mal... Heureusement Paquita

— c'est ma... enfin, mon employée de maison, comme vous dites maintenant — m'a fait respirer je ne sais quoi, qui m'a permis de courir au plus pressé. J'ai trouvé un camion arrêté devant ma haie, et trois hommes, qui prétendaient appartenir à TE.D.F., en train de consolider le, poteau. J'ai commencé par leur dire d'arrêter, mais ils m'ont répondu que s'ils interrompaient leur travail, le poteau risquait de tomber et de tuer quelqu’un. J'ai donc attendu qu'ils aient fini. J'étais en robe de chambre et je grelottais; Paquita m'a apporté un châle, mais je ne voulais pas rentrer à la maison : j'avais trop peur qu'ils ne partent avant que j'aie pu leur parler!

— Vous leur avez dit ce que vous pensiez, je suppose? dit Florence.

— Vous me connaissez, ma petite fille : je ne suis pas femme à me laisser marcher sur les pieds! Ces hommes m'ont affirmé qu'ils n'y étaient pour rien : ils ne faisaient qu'exécuter les ordres de l'E.D.F. Alors j'ai demandé si l'E.D.F. devenait folle, de venir planter un poteau devant chez moi. Ils m'ont fait remarquer qu'ils n'étaient pas sur mon terrain. Le poteau, en effet, se trouve dans le sentier qui sépare ma haie de la grande prairie.

—- "Qu'avez-vous répondu? interrogea Robert curieux.

— J'ai demandé si, oui ou non, ce maudit Poteau se trouvait devant la fenêtre de ma chambre.

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Savez-vous ce qu'ils ont eu l'audace de me répondre? »

Robert, qui retenait son rire à grand-peine, fit signe que non.

« Eh bien, l'un d'entre eux, une espèce de petit brun, m'a répondu tranquillement que la maison est assez grande, que si le poteau me gêne, je n'ai qu'à changer de chambre! »

Cette fois Robert riait de bon cœur.« Vous ne trouvez pas que c'est un peu fort?

demanda Mme de la Pacaudière.— Après tout, c'est une solution... murmura

l'interne.— J'ai fait tout ce que je pouvais; j'ai écrit à

l'E.D.F.; on m'a répondu très grossièrement que l'on construisait une nouvelle ligne et que le tracé passait par là. Je me suis alors adressée à M. Groult; nous allons voir ce qu'il pourra faire. J'ai d'ailleurs autre chose à lui demander... »

Robert avait pris son dossier et se dirigeait doucement vers la porte.

« Attendez! dit Mme de la Pacaudière, ce n'est pas tout! Il y a plus grave, beaucoup plus grave même. Je viens de le raconter à Florence; elle n'en revenait pas! N'est-ce pas, ma petite Flo?

— Je regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps, dit le jeune homme. Mais mes malades m'attendent.

— Comment cela? Il est deux heures; tous vos malades dorment; vous pouvez bien rester cinq minutes.

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— J'ai un rapport à terminer.— Ah, bon, bon, je n'insiste pas. Florence vous

racontera ce qu'on est en train de me faire. »L'interne s'esquiva. Mme de la Pacaudière reprit :« Après tout, il le sait peut-être déjà. Il habite

Aumont, je crois? Quel chemin prend-il pour rentrer? Est-ce qu'il suit la grande route?

— Je crois que oui, madame. Il m'avait déjà raconté qu'il avait vu déblayer un grand morceau de terrain peu après la sortie de Rouville.

— Et il ne m'en a rien dit, à moi!— Il ne pensait sans doute pas que cela vous

intéresserait.— Ce Robert n'a décidément pas beaucoup de

tête... De chez moi, bien sûr, je ne voyais rien; Et pour venir à Rouville, je n'emprunte jamais cette route. Tant qu'on a travaillé à ras du sol, j'étais loin de me douter de ce qui se préparait là. J'entendais du bruit; je me disais que cela venait sans doute du quartier Saint-Louis — où, soit dit entre nous, quelques démolitions ne seraient pas du luxe! Et puis, tout à coup — je ne me rappelle plus quel jour — je vois des murs qui commencent à monter. Des murs, si l'on peut dire! Des espèces de grandes plaques toutes droites plantées les unes à côté des autres. Et il y en avait! il y en avait! Ce n'était pas une maison qu'on bâtissait, c'était un quartier... J'ai envoyé Paquita aux nouvelles; elle m'a rapporté ce que je vous ai dit. J'en ai été malade. C'est pourquoi vous ne m'avez pas vue pendant quelques jours. Vous

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le saviez, vous, Florence, que Rouville allait avoir un magasin de ce genre?

— J'en avais entendu parler; je ne savais pas où il se trouverait, ni qu'on le construirait aussi vite.

— Il est vrai que l'hôpital est à l'autre bout de la ville. Et vous n'allez sans doute pas souvent vous promener du côté de Saint-Louis : le quartier n'a rien de bien attrayant. Mais, un peu plus loin, la campagne est vraiment très jolie. »

Mme de la Pacaudière réfléchit un instant.« Saint-Louis ne me gêne pas, moi : le quartier est

dans un creux et toutes les maisons sont basses. Même de ma terrasse, je ne les vois pas. Et puis c'est encore assez loin des Roques. Tandis que cette abomination... Vous savez comment ils ont le toupet de baptiser ça ? L'Etoile Mauve! Oui, ma chère, l'Etoile! rien que ça! Il y a un grand écriteau, sur toute la longueur, avec des lettres mauves sur un fond jaune — et une grande étoile mauve par-dessus. La première fois que je l'ai vu, j'ai failli avoir une attaque : heureusement ma tête est à toute épreuve! »

Florence commençait à trouver la conversation un peu fastidieuse. En ce début d'après-midi, il n'y avait pas beaucoup à faire auprès des malades. Mais elle avait invité une de ses amies, Colette, mariée depuis peu avec un des médecins de l'hôpital, à profiter de cette heure calme pour venir lui faire une petite visite. Colette l'intéressait beaucoup plus que Mme de la Pacaudière, avec son poteau et son Etoile Mauve !

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Cependant la bienfaitrice de Rouville méritait bien un petit sacrifice. Florence, courageusement, poursuivit:

« Quand doit-il ouvrir, ce magasin?— Mais il est déjà ouvert, ma pauvre petite! On

avait à peine fini de poser, sur le ciment les plaques de tôle qui tiennent lieu de toit, que déjà des camions pleins de marchandises se déversaient aux ouvertures. Le soir même, à la tombée de la nuit, cette horrible Etoile Mauve empêchait de voir le ciel!

— Et qu'y vend-on? interrogea Florence.— Tout ce qui se mange : viande, légumes, pain, et

conserves. Et aussi, paraît-il, des outils et même des tissus! Paquita était enthousiasmée! Inutile de vous dire que je lui ai formellement interdit d'y acheter quoi que ce soit.

— Si c'est assez près des Roques, pourtant, cela faciliterait son travail. Elle n'aurait plus à descendre en ville.

— Pas question! J'ai mes fournisseurs et je leur suis fidèle. J'aimerais mieux mourir de faim que de m'approvisionner chez ces gens-là. L'Etoile Mauve1. Je vous demande un peu! J'ai toujours détesté le mauve; c'était sans doute un pressentiment. Des monstres qui me gâtent toute ma vue! »

Florence prit un air apitoyé qui parut soulager sa visiteuse.

« Vous êtes une fille intelligente, vous, Florence, vous comprenez. Je vous aime bien, vous savez.

— Moi aussi, madame, je vous aime bien. Et tous nos malades vous adorent.

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— Savez-vous, Flo, que si j'étais malade, je ne voudrais me faire soigner que chez vous? Avez-vous un spécialiste pour les troubles mentaux? Je risque fort d'en avoir si cette horrible Etoile Mauve me bouche longtemps mes collines! »

A ce moment, l'interphone sonna. Florence pressa le bouton; on entendit la voix de l'interne :

« J'ai besoin de vous, Flo. Pouvez-vous venir tout de suite? »

Mme de la Pacaudière se leva; sa chaise fit entendre un craquement sourd.

« Je vous laisse à vos devoirs, ma petite fille. Je vais apporter des magazines à cette gentille jeune femme qu'on a plâtrée la semaine dernière. Son mari est obligé de garder les enfants; il ne peut pas venir souvent; elle s'ennuie, la pauvre. »

Mme de la Pacaudière se dirigea vers la porte. Sur le seuil, elle croisa Colette Crépin, qui arrivait.

« Attends-moi, chuchota Florence à la jeune femme. J'en ai pour cinq minutes. »

Elle ne doutait pas que l'appel de Robert avait pour but de la délivrer de sa sympathique, mais un peu encombrante visiteuse.

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II

FLORENCE aborda l'interne en souriant. « Merci, Robert. Je pense bien que cette prétendue urgence... » Robert, lui, ne riait pas. « C'est une urgence pour de bon, Flo. Un empoisonnement, je suppose. Un enfant de sept ans. J'ai questionné la mère, mais elle est tellement affolée qu'elle ne sait plus ce qu'elle dit. Je

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vais faire un lavage d'estomac, à tout hasard, après quoi nous aviserons. »

Florence courut chercher la sonde gastrique et les accessoires indispensables. En passant devant le poste de garde, elle jeta à Colette :

« J'en ai peut-être pour longtemps, ne m'attends pas.— Je reste quand même, dit Colette. J'ai

apporté un livre. Ne t'inquiète pas pour moi, surtout. »Munie des instruments nécessaires, Florence se

dirigea vers la chambre où l'infirmier avait déposé la petit malade. En général, on mettait les enfants au second, dans le service dont s'occupait Clotilde, une camarade de Florence. Mais l'urgence du cas exigeait la présence immédiate de l'interne.

La mère du petit, une jeune femme échevelée, aux yeux exorbités, était effondrée au pied du lit.

« Calmez-vous, madame, lui dit doucement Florence. Nous faisons tout le nécessaire. Ce ne sera peut-être rien. »

L'état de l'enfant, cependant, semblait grave. Il gémissait faiblement, les yeux fermés. Florence toucha sa peau qui était brûlante.

Le lavage d'estomac terminé, Robert se redressa.« Pas de sang... murmura-t-il. Pas d'aliments non

plus. Préparez la perfusion D, Florence.— Vous pensez que ce serait...?— Je n'en sais rien; c'est ce qu'il faut découvrir le

plus tôt possible. »

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Tandis que la jeune infirmière s'affairait, l'interne s'approcha de sa mère.

« Cessez de vous désoler, dit-il, vous pouvez nous aider. Rapportez-nous exactement comment les choses se sont passées.

— Il s'est plaint d'avoir mal à la tête, puis au ventre. Comme il avait le front très chaud, j'ai pris sa température.

— Il avait combien?— Je ne me rappelle plus, gémit la jeune

femme. Tout à coup il a commencé à vomir... »Elle levait vers Robert un visage éploré.« Alors j'ai eu peur; j'ai appelé au secours, une

voisine est venue... C'est elle qui m'a dit de téléphoner à l'hôpital... »

Elle éclata de nouveau en sanglots. Robert dut attendre quelques instants pour l'interroger :

« Qu'aviez-vous mangé à midi?— Du bœuf et des pommes de terre. Mais lui, rien,

il n'avait pas faim. Le matin, il avait pris seulement un bol de lait.

— Et hier?— Je ne sais plus, docteur, je ne sais plus-Hier

soir, de la soupe... et puis des petits pois... Je voulais lui donner un yaourt, il n'en a pas voulu.

— Il se sentait peut-être déjà patraque. Et à midi?— Oh, ça, je me rappelle : j'avais fait une bonne

blanquette, avec des carottes, des champignons...— Des champignons! » Robert fronça les sourcils.

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« D'où venaient-ils, ces champignons? Du marché?— Oui, d'une bonne femme de la campagne, qui

les ramasse elle-même. Elle s'y connaît très bien, et elle est moins chère que les autres. Je lui en achète souvent.

— Hum... fit l'interne. Toute la famille en a mangé?

— Oui, tout le monde aime beaucoup ça.— Et personne d'autre n'a été incommodé?

Réfléchissez bien! Même pas un petit malaise, une digestion difficile?

— Absolument rien! gémit la mère. Jacquot avait très faim : il a beaucoup mangé ce midi-là. Mais la voisine m'a dit que ça ne pouvait pas être une simple indigestion. C'est vrai, docteur? »

Robert inclina la tête.« Alors c'est très, très grave?— Disons que c'est sérieux. Il est possible qu'un

des champignons ait été mauvais et que votre fils ait justement consommé celui-là. De toute façon, il est à peu près sûr que les champignons sont à l'origine de l'empoisonnement.

— Mon Dieu! Mais si c'est ça, il y a des personnes qui en sont mortes! Je la tuerai, cette femme qui m'a vendu les champignons, je la tuerai! »

Elle était visiblement à bout de nerfs.« Commencez la perfusion immédiatement, dit

Robert à Florence. Le lavage d'estomac, que j'ai fait d'urgence à tout hasard, était sans doute inutile,

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puisqu'il y a longtemps que l'enfant a absorbé ce qui a causé ces troubles.

— Il est perdu! » hurla la mère.Elle voulait se jeter sur le lit. Robert l'arrêta.« II n'est pas perdu, intervint la jeune infirmière.

Mais on ne peut rien vous dire encore. Vous habitez loin?

— Au quartier Saint-Louis. Mais je ne veux pas rentrer, je reste près de Jacquot.

— Vous n'avez pas d'autre enfant?— Si, deux. Je les ai laissés à ma voisine.— Il faut rentrer et vous occuper d'eux. Vous

reviendrez demain matin », dit Robert d'une voix ferme. La mère serra les poings et le regarda avec haine.

« Je reste! répéta-t-elle.

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— Non, madame. Vous nous gêneriez pour le traitement.

— Vous voulez me renvoyer pour que je ne voie pas mon fils mourir! »

Elle criait maintenant à tue-tête. Florence comprenait ce qu'elle éprouvait, mais Robert avait raison : il fallait éloigner cette femme pour pouvoir soigner l'enfant dans le calme. La jeune infirmière l'entraîna dans le couloir, lui parla doucement, lui expliqua que le petit malade avait besoin de silence. La mère résistait, continuait à hurler.

« Donnez-lui un comprimé, Flo, dit Robert. Et demandez qu'on la fasse reconduire. Il ne faut pas attendre pour la perfusion. »

Florence fit aussitôt le nécessaire. L'enfant semblait hébété : il ne réagit même pas quand elle enfonça l'aiguille.

« Ce qui m'ennuie, avoua Robert, c'est que les troubles ont été très tardifs; c'est toujours un signe de gravité.

— Il pourrait s'agir... d'une amanite mortelle?— On peut le craindre. Cependant une femme qui

récolte habituellement des champignons doit savoir reconnaître celui-là! De toute façon, nous ne pouvons rien faire sinon attendre. Venez le voir de temps en temps, Florence; s'il se passe quelque chose d'anormal, appelez-moi. »

Florence resta encore un moment près de l'enfant. Immobile, il semblait détendu, son visage était calme, son pouls plus lent. Elle se souvint alors tout à coup que Colette l'attendait au poste de garde.

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La jeune femme, assise près de la fenêtre, lisait tranquillement. Elle leva les yeux et aperçut Florence.

« Je t'ai fait attendre longtemps, dit celle-ci. C'était beaucoup plus sérieux que je ne pensais.

— Vraiment très grave, Flo?— Un empoisonnement. Un petit garçon qui a

mangé un champignon vénéneux.— On l'en tirera?— Je l'espère bien.— Tu sais, Flo, si tu es occupée, ne te gêne pas

pour moi. Je reviendrai un autre jour.— Non, non, j'ai un moment à te consacrer. Alors,

les nouvelles? Toi d'abord : tu es heureuse? »Le sourire de Colette en disait assez long sur ce

point.« Et ton frère? demanda Florence. Il est toujours

aussi préoccupé de sa santé?— Plus que jamais! Je l'ai encore vu hier; il ne

s'habitue pas à la solitude. »Maximilien Abel, le frère de Colette, était hanté par

la peur de la maladie. En réalité il se portait bien, mais ses craintes perpétuelles lui avaient valu un séjour prolongé à l'hôpital de Rouville 1. C'était d'ailleurs en venant lui rendre visite que sa sœur avait fait la connaissance du docteur Crépin, dont elle était devenue la femme. Le mariage de Colette, avec qui Maximilien vivait depuis la mort de leurs parents, l'avait profondément perturbé.

1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

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« Tu comprends, dit Colette, depuis mon départ, il n'a plus personne à qui raconter ses misères. Quand j'étais là, il commençait tous les matins, au petit déjeuner. « Tu ne trouves pas, « Coco, que j'ai mauvaise mine? Si, si, regarde « bien, j'ai un cercle bleu autour des yeux... » A ce point de vue, il a une imagination débordante!

— Je m'en suis bien aperçue quand il était à l'hôpital, répondit Florence en riant. Mais tu ne pouvais pourtant pas rester vieille fille pour le plaisir de l'entendre gémir sur ses malheurs!

— Non, bien sûr! Au début, je pensais que le fait de me voir épouser un médecin serait pour lui comme une bouée de sauvetage. Nous nous voyons souvent et il peut se documenter directement sur toutes ses prétendues maladies. Seulement Paul n'a pas toujours la patience de l'écouter jusqu'au bout. Il l'interrompt : «

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Voyons, Max, « tout cela n'existe que dans votre tête. Parlons « d'autre chose: il y a des sujets plus intéressants. Avez-vous regardé les informations télé-« visées? Ce qui se passe dans le monde est plus « important que vos rhumes de cerveau!»

— Que répond Maximilien? Il se fâche?— Il n'ose pas : Paul lui en impose parce qu'il est

médecin. Mais il se plaint à moi par la suite; il me dit que mon mari ne le prend pas au sérieux, que je devrais lui faire comprendre... Tu penses bien que je n'en dis rien à Paul : je ne voudrais pas qu'il me croie aussi folle que mon frère. »

Florence réfléchissait.« Ecoute, Colette, je ne vois qu'un remède : c'est de

marier Maximilien. Il n'est pas réfractaire au mariage en principe?

— Tu sais bien que non, puisque il t'a demandée de l'épouser! Tu l'as déjà oublié?

— Oh, non! cela m'avait d'ailleurs plutôt vexée : je savais bien que ce qui lui plaisait en moi, ce n'était ni mon physique ni mon esprit; c'était la perspective d'avoir une infirmière à sa disposition, jour et nuit, du premier janvier à la Saint-Sylvestre. Avoue que ce n'était guère flatteur!

— Je te comprends, dit Colette. Pourtant, une infirmière, c'est bien ce qu'il faudrait à Max.

— Il y aurait peut-être une solution...— Laquelle? Dis vite...— Pas tout de suite : il faut que j'aille voir mon

petit malade. Reviens un de ces jours : nous en

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parlerons à tête reposée. »Florence trouva l'enfant agité. Il était à demi

éveillé, se plaignait d'avoir mal, mais ne savait pas expliquer où. La tête, le ventre, quelquefois les bras ou les jambes...

Sandrine, l'aide soignante, était près de lui. « Ça vient de le reprendre, Flo, dit-elle. J'allais

t'appeler quand tu es arrivée. »A ce moment, le petit fut repris de nausées.

Florence demanda à Sandra d'aller chercher l'interne de service.

Quelques instants plus tard, Robert entra dans la chambre. Il paraissait soucieux.

« L'enfant peut uriner, c'est bon signe. Mais ces vomissements, ces douleurs persistantes... Je fais analyser le produit du sondage gastrique; cela nous donnera peut-être une indication. »

L'enfant eut quelques hoquets, puis s'apaisa et se rendormit.

« II faut le surveiller, déclara l'interne : ces crises peuvent être graves. Ce qui m'étonne, c'est que les symptômes ne concordent pas. Nous avons déjà vu des empoisonnements par les champignons, vous et moi, Florence : ce n'était jamais tout à fait cela. Pourtant, l'origine n'est pas douteuse... J'espère que nous l'en tirerons, c'est tout ce que je peux dire.

— Je reste près de lui », dit Florence.Elle s'assit au chevet de l'enfant. Une heure s'écoula

sans changement, puis il hoqueta de nouveau.

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Il ouvrait de grands yeux, exorbités par l'angoisse.« N'aie pas peur, mon petit; respire bien à fond...

Là, oui, comme cela, très bien... »La crise fut moins forte que les précédentes.

Florence demanda à Sandrine d'aller prendre les températures à sa place, puis de rester dans la chambre pendant qu'elle irait distribuer les médicaments pour la nuit.

A la fin de l'après-midi, la mère revint. Cette fois, elle avait mis un peu d'ordre dans sa tenue, elle s'était recoiffée et semblait avoir repris un peu de calme. Mais en apprenant que tout danger n'était pas encore passé, elle eut un nouvel accès de désespoir.

« Vous ne voulez pas me dire qu'il est perdu, je le vois bien... gémit-elle.

— Mais non, je vous assure, dit Florence. Il va plutôt mieux, nous avons bon espoir.

— Je ne vous crois pas. Je veux voir le médecin!— Il ne vous dira rien de plus, madame.— Alors je reste. J'ai tout arrangé pour les deux

autres : ils coucheront chez la voisine. Je n'ai aucune raison de partir.

— La principale raison est que cet enfant a besoin de calme, et que vous ne semblez guère capable de lui en donner.

— C'est vous qui êtes sa mère, ou moi?— Je suis son infirmière, et ici, c'est moi qui

commande.

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— Vous êtes une misérable, un bourreau d'enfants...»

Florence avait déjà vu, chez des parents de malades, certaines réactions hostiles. Mais la traiter de « bourreau d'enfants », elle qui aimait tant les petits... Se dominant avec peine, elle conduisit doucement la mère vers la sortie. En la voyant s'éloigner, haletante, les poings serrés, elle eut un mouvement de pitié. Si cette femme avait compris à quel point elle souhaitait elle-même que tout se passât bien, que le lendemain Robert pût déclarer Jacquot hors de danger!

Quand la garde de nuit arriva, Florence la mit au courant de ce qui s'était passé et lui recommanda de surveiller l'enfant de près. On avait toujours du mal à se procurer des gardes de nuit; celle-ci était déjà âgée, très consciencieuse, mais un peu lente.

« Vous comprenez, madame Vernet, il y a un risque. Si le petit s'agite, s'il recommence à vomir, appelez immédiatement l'interne.

— Je le surveillerai, Florence, n'ayez aucune crainte. »

La jeune infirmière décida qu'après le repas du soir elle remonterait dans le service et resterait un moment près de l'enfant. Si rien ne s'était passé d'ici là, elle pourrait aller se coucher tranquille.

Tranquille, c'était beaucoup dire. Florence était encore trop jeune pour atteindre le calme des infirmières chevronnées. Quand elle sortit de la chambre, le petit malade était paisible, endormi.

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Mais si pendant la nuit il avait une nouvelle crise, s'il fallait annoncer à la mère...

Pour chasser son angoisse, Florence essaya de penser à l'idée qui lui était venue en bavardant avec Colette. Marier Maximilien Abel, c'était amusant. Elle le revoyait, récemment, la demandant elle-même en mariage. Mais tandis qu'il lui parlait, elle avait une autre image devant les yeux : celle de Gilles Martin, ancien stagiaire à Rouville, maintenant interne à Paris, qui revenait souvent la voir1...

Ce fut en pensant à Gilles qu'elle s'endormit enfin.

1. Voit Salle des Urgences, dans la même collection.

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III

LE LENDEMAIN, au réveil, la première pensée de Florence fut pour son petit malade. Dans quel état allait-elle le trouver? Elle s'habilla rapidement, et, avant même de prendre son petit déjeuner, passa dans le service. Mme Vernet, la garde de nuit, relevait les températures.

« Déjà là! fit-elle, étonnée.— Je venais voir l'enfant, expliqua Florence.

Comment a-t-il passé la nuit? »La garde sourit.

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« Allez le voir », dit-elle.Florence ouvrit la porte de la chambre. Le petit

garçon, redressé sur ses oreillers, la regardait. Le visage reposé, il était tout différent de la veille, avenant, joli même.

« Alors, demanda-t-elle, on n'a plus mal? »II secoua la tête.« Je voudrais bien qu'on m'enlève ça, fit-il en

désignant le long tube de caoutchouc qui, du flacon suspendu au-dessus de sa tête, descendait jusqu'à son bras. Ça ne me fait pas mal, mais ça me gêne pour jouer.»

Elle vit alors qu'il avait fait, avec son drap, tout un paysage de creux et de bosses.

« Je suis Lucky Luke, expliqua-t-il; les ennemis se cachent dans la vallée. Je vais les surprendre par-derrière. Et puis, aussi, j'ai faim; est-ce qu'on va me donner à manger?

— Pour cela il faut attendre l'arrivée du docteur.— Ce n'est donc pas vous qui commandez?— Mais non. Ça t'étonne? » Le petit fit signe que

oui.« II est venu une fois une infirmière à la maison,

pour faire une piqûre à ma petite sœur. Si vous aviez vu comment elle donnait des ordres à tout le monde — oui, même à papa! »

Florence se mit à rire.« Parce que ton papa n'est pas médecin; s'il l'était,

c'est elle qui lui aurait obéi. »L'enfant réfléchissait.

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« II ne couche pas ici, le docteur?— Il y en a un qui couche ici; il vient si on a besoin

de lui. Celui que tu vas voir est celui qui t'a soigné hier, quand tu étais très malade.

— Il est gentil, celui-là?— Très gentil. »Soulagée, Florence prit tranquillement son petit

déjeuner et remonta dans le service où elle trouva Robert. Celui-ci alla voir Jacquot et déclara que tout allait bien.

« Je vous avoue qu'hier soir, j'étais très inquiet. Mais les enfants récupèrent avec une vitesse surprenante.

— C'était bien un champignon, n'est-ce pas?— Certainement pas une amanite. Ou alors, il en a

consommé très peu. De toute façon, continuez la perfusion jusqu'à ce qu'il soit complètement réhydraté.

— Est-ce que je pourrai manger? répéta Jacquot.— Ah, tu as faim! c'est bon signe. Aujourd'hui, du

lait seulement. Tu aimes ça?— Oh, oui, surtout avec du sucre. »« Combien de temps le garderons-nous? demanda

Florence en sortant.— Quelques jours, répondit l'interne. Remarquez

qu'il pourrait rentrer chez lui dès maintenant, mais la mère a l'air tellement agitée... »

Dans la matinée, Mme Benoit, la surveillante, appela Florence à l'interphone.

« Je vous passe une communication; c'est pour un de vos malades. On voudrait avoir des nouvelles. »

« Ça me gène pour jouer.

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Florence s'attendait à la voix éplorée de la mère de Jacquot. Mais le timbre, au bout du fil, était plus grave et plus doux.

« Je suis la voisine de Mme Dausset, la mère de l'enfant qu'on vous a amené hier soir. Elle n'ose pas téléphoner elle-même, elle a trop peur que les nouvelles ne soient mauvaises. Elle est très nerveuse, vous savez...

— Je l'ai constaté, dit la jeune infirmière. Mais vous pouvez la rassurer : son fils est tiré d'affaire; elle peut venir le voir cet après-midi, si elle veut. »

Florence entendit un cri de joie : elle comprit que Mme Dausset se trouvait à côté de sa voisine. Ce fut celle-ci qui reprit :

« Elle n'ose pas vous parler elle-même. Elle dit qu'elle a été si désagréable avec vous hier...

— Dites-lui de ne plus y penser. J'ai bien compris qu'elle ne savait plus ce qu'elle disait. Elle peut venir tout à l'heure, à condition d'être très calme. On lui rendra l'enfant dans quelques jours.

— Elle demande si elle peut amener les deux autres.

— Les enfants ne sont pas admis dans les chambres, mais ils pourront jouer dans la cour de l'hôpital.

— Je les garderai, ce sera plus simple.— J'ai l'impression, madame, dit Florence, que

Mme Dausset a de la chance de vous avoir pour voisine. C'est vous, n'est-ce pas, qui lui avez dit qu'il ne s'agissait pas d'une simple indigestion

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et conseillé d'alerter l'hôpital? Vous avez fait preuve de beaucoup de bon sens.

— J'ai élevé cinq enfants moi-même cela vous met du plomb dans la cervelle. »

La matinée s'écoula paisiblement. Pourtant, vers onze heures, on amena à Rouville une nouvelle urgence. Cette fois c'était un homme d'une soixantaine d'années. Il présentait les mêmes symptômes que le petit : fièvre, vomissements, douleurs dans la tête et les membres. Sa femme avait téléphoné à l'hôpital, qui avait aussitôt envoyé l'ambulance.

« Je préfère l'avoir sous la main, dit Robert à Florence. Vous allez voir que, lui aussi, il aura mangé des champignons. A cette saison, c'est toujours la même chose. »

Ce cas-là, pourtant, était différent. L'homme déjeunait à la cantine de son usine, et on n'y avait pas servi de champignons. Le soir, il avait pris de la soupe, puis sa femme avait ouvert une boîte de petits pois; ils avaient terminé le repas avec du fromage.

« Tout cela paraît bien inoffensif... Et avant-hier?— Nous nous sommes contentés de café au lait,

avec des tartines de beurre.— Du café au lait... répéta l'interne. De toute façon

il faut le réhydrater, examiner le sang et les urines. J'en parlerai au patron dès qu'il arrivera. »

Le docteur Martel, directeur de l'hôpital, ne put diagnostiquer, comme Robert, qu'une « intoxication de cause inconnue ». A son avis, l'apparente

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similitude des deux cas n'était qu'une coïncidence.Après le déjeuner, Colette téléphona à Florence.« Est-ce que je peux venir te voir? J'ai tellement

hâte de connaître ton idée pour Max! s'écria-t-elle.— Ce n'est pas pressé, dit la jeune infirmière.

Aujourd'hui j'ai beaucoup à faire; par-dessus le marché, il m'arrive un nouvel empoisonné.

— Le petit garçon d'hier va mieux?— Oui, il est sauvé, Dieu merci. Mais l'autre est

âgé et sans doute plus fragile.— Encore des champignons? C'est vrai qu'avec ce

temps, moi aussi j'ai envie d'aller cueillir des girolles!— Eh bien, vas-y. Tu ne risques rien : elles sont

faciles à reconnaître. Mais fais-les cuire le plus tôt possible et ne les garde pas, même au réfrigérateur.

— Je les préparerai pour ce soir : Paul adore l'omelette aux girolles. »

Florence devait se féliciter d'avoir remis la visite de Colette à plus tard. En effet, il n'était pas trois heures quand on amena un nouveau malade, présentant les mêmes symptômes que les deux premiers. Dans la soirée, deux autres furent admis à l'hôpital. La chose devenait inquiétante.

« Une véritable épidémie! dit Robert au docteur Crépin.

— Avez-vous remarqué, demanda Florence, que tous ces malades viennent du quartier Saint-Louis? Ce sont des gens très modestes, habitant

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des maisons peut-être insalubres. On dirait que les autres quartiers n'ont pas été touchés.

— Vous avez raison, Florence, déclara M. Martel. C'est important; je vais téléphoner aux médecins du centre et de la banlieue résidentielle pour savoir s'ils ont des cas de ce genre. »

La réponse fut négative : aucun des médecins de Rouville n'avait eu à traiter d'empoisonnement récent.

Dans la soirée, on amena encore une jeune femme; la nuit on signala deux cas nouveaux.

« II faut prévoir de la place, dit M. Martel. Vous pourrez vous arranger, madame Benoit?

— Pour le moment, oui. Si les admissions augmentent, il faudra ajouter des lits dans les chambres.»

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Par ailleurs, une seule garde de nuit ne suffisait pas : il en fallait une seconde. Et ce n'était pas facile à trouver.

Pour les médecins et les infirmières, le problème se compliquait du fait que personne ne connaissait l'origine du mal. M. Martel décida de tenir conseil, le lendemain matin, dans le bureau de la surveillante. Il demanda à M. Groult, le député-maire, qui justement se trouvait à Rouville, de se joindre au groupe.

« S'il s'agit d'une intoxication collective, dit-il, cela regarde aussi les autorités locales. »

M. Groult était un homme d'une cinquantaine d'années, corpulent, mais vif et efficace. Il portait les cheveux mi-longs, à la mode des jeunes, dans le but de masquer un peu la rondeur excessive de ses joues.

M. Martel lui exposa le problème.« Vous dites, demanda le maire, que pour votre

premier malade il s'agissait certainement de champignons? Mais il est difficile d'imaginer que toute la population d'un quartier ait consommé de mauvais champignons en l'espace de deux jours!

— C'est bien ce que nous pensons, reconnut M. Martel. Et les quelques recherches que nous avons eu le temps de faire ont décelé la présence de salmonelles, c'est-à-dire de microbes dont l'apparition est généralement due à un manque d'hygiène. L'eau polluée, le lait manipulé par des mains sales...

— Il faut évidemment chercher de ce côté-là,

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déclara M. Groult. Mais l'eau de Saint-Louis provient des réservoirs de Montreuil, qui alimentent plusieurs communes; elle passe pour la meilleure eau de la région.

— Les conduites, peut-être, suggéra Robert.— Elles ont été vérifiées récemment. Non, l'eau ne

peut être responsable. Je penserais plutôt au lait...— Il est certain, dit M. Martel, que le lait peut

véhiculer beaucoup de germes nocifs. Pourriez-vous^ Groult, ordonner une enquête pour savoir où s'approvisionnent les habitants du quartier Saint-Louis.

— Ils ne vont peut-être pas tous chez le même crémier, dit Mme Benoit.

— S'il y en a plusieurs, nous en ferons le tour. Ils ne sont certainement pas bien nombreux. Et, à de rares exceptions, les fermiers ne livrent plus à domicile. »

^Sur ces mots M. Groult s'éloigna. Florence n'avait rien dit : elle ne se permettait pas de prendre la parole devant des personnes aussi importantes. Mais l'idée du lait lui paraissait vraisemblable.

Le lendemain, on vit arriver à la consultation de l'hôpital une jeune femme qui souffrait d'un panaris au pouce droit. Après l'incision pratiquée par Robert, Florence fit le pansement. Elle demanda à la malade où elle habitait.

« Vancourt, répondit celle-ci.— Vous n'allez pas repartir là-bas toute seule?

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Avec cette main, vous n'êtes pas en état de conduire », déclara l'infirmière.

La jeune femme secoua la tête.« Non! Mon beau-père, qui m'a amenée, doit venir

me chercher avec sa camionnette quand il aura fini sa tournée. Il est fermier; il vient à Rouville tous les jours, porter le lait à plusieurs crémeries.

— Lesquelles? demanda Florence.— Celle de M. Lambert sur le Cours, celle de M.

Despaux à Saint-Louis...— Saint-Louis... » répéta Florence.Et ce panaris... Le lait manipulé avec des mains

infectées peut devenir dangereux. Elle interrogea :« Vous travaillez avec lui à la ferme?— Oh non; mon mari est mécanicien; il a une

station-service à Vancourt. Mon beau-père habite un peu plus loin, en pleine campagne. Mon mari, lui, ne peut pas quitter le poste d'essence quand je ne suis pas là pour le remplacer. »

La jeune femme ne s'occupait donc pas du lait-Florence acheva le pansement et promit à la malade qu'elle serait complètement guérie sous peu.

Un peu plus tard, le beau-père arriva. C'était un homme jeune encore, aux épaules larges et au visage hâlé de ceux qui vivent au grand air. Il semblait contrarié.

« Puisque je vous vois, dit-il à Florence, il faut que je vous pose une question. C'est votre hôpital qui m'accuse de ne pas suivre les règles d'hygiène? »

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Florence comprit que M. Groult n'avait pas tardé à faire commencer son enquête.

« On ne vous accuse de rien, dit-elle. Mais nous avons eu à soigner un certain nombre d'intoxications; il faut en rechercher la cause.

— Figurez-vous qu'il est venu chez moi une espèce d'olibrius qui s'est mis à tout inspecter : les étables, le foin, le pis des vaches, les seaux de la traite, les bidons de transport. Je lui ai demandé s'il voulait voir aussi ma chambre à coucher! Il m'a expliqué qu'il faisait une enquête pour la mairie à la suite d'une plainte de l'hôpital.

— Il n'a rien trouvé, j'en suis sûre.— Au contraire : il m'a félicité de la bonne tenue

de la ferme. Il n'aurait plus manqué qu'il y

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trouve à redire! Je fournis les meilleures maisons de Rouville — Tenez, L'Etoile Mauve — et je vous assure que là, ils sont difficiles! »

L'homme se radoucit et se tourna vers sa belle-fille:« Ça va mieux, toi, petite? Bon, je suis content.

C'est qu'elle souffrait à crier, mademoiselle! Et elle est dure, pourtant.

— Les panaris sont toujours très douloureux », dit la jeune infirmière.

Deux jours plus tard, M. Groult communiqua au docteur Martel le résultat de son enquête. Rien à reprocher aux fermiers; le vétérinaire affirmait qu'il examinait régulièrement les vaches laitières. Dans les deux crémeries du bas quartier, le matériel était parfaitement entretenu. Les habitants de Saint-Louis pouvaient boire autant de lait qu'ils voulaient.

« D'ailleurs, observa Martel, les enfants en bas âge n'ont pas été touchés; s'il s'était agi du lait, ils auraient été les premières victimes. »

L'épidémie suivait son cours. L'état des intoxiqués, quand ils arrivaient à l'hôpital, était spectaculaire; cependant la plupart, avec un traitement aux sulfamides, guérirent en quelques jours.

Malgré tout, pendant cette période, tout l'hôpital fut sur les dents. Une telle affluence étant exceptionnelle, le nombre du personnel se trouvait insuffisant. Comme la plupart des infirmières, Florence restait au-delà des heures réglementaires, déjeunait sur le pouce, trouvait à peine le temps de dîner.

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Elle n'avait guère pensé à Mme de la Pacaudière. Celle-ci vint lui proposer ses services.

« J'ai suivi des cours de la Croix-Rouge dans ma jeunesse, lui dit-elle. Je sais bien que c'est loin, mais je dois être encore capable de faire une piqûre.

— Merci de tout cœur, répondit Florence. Mais si vous voulez nous rendre service, allez plutôt voir nos convalescents. Nous nous occupons tant des autres que nous les délaissons un peu. »

Colette, elle aussi, aurait voulu se rendre utile.« Je pourrais faire des gardes de nuit, proposa-t-

elle. Je ne connais rien à la médecine, mais si quelque chose n'allait pas, j'appellerais l'interne.

— Tu es très gentille, Colette. Mais nous tiendrons le coup, si cela n'augmente pas. »

Au bout de quelques jours, le nombre des intoxiqués diminua rapidement; on vit encore deux cas isolés, puis plus rien. Le soir où le docteur Crépin annonça à sa femme que la mystérieuse épidémie semblait terminée, il ajouta :

« Nous connaissons maintenant la cause de cette sorte de maladie : c'est un microbe qui se trouve généralement dans les aliments préparés sans soin, ou conservés trop longtemps avant d'être consommés. Il est difficile de penser que tant de personnes aient commis cette erreur à la fois... Mais c'est fini, et sans trop de dommage; nous ne pouvons rien demander de plus. »

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IV

LE JOUR où Florence put enfin faire savoir à son amie qu'elle serait heureuse de la revoir, Colette n'eut garde de manquer le rendez-vous. Elle n'avait pas oublié que la jeune infirmière, quinze jours auparavant, lui avait parlé d'une « idée » concernant son frère. Une idée de Florence, c'était chose à ne pas négliger.

Elle la trouva au poste de garde, assise devant une table et vérifiant un relevé de pharmacie.

« Tu as l'air bien fatiguée, ma pauvre Flo!

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— C'est que nous avons eu des journées très chargées. Ton mari a dû t'en parler.

— Oui, d'ailleurs il rentrait beaucoup plus tard que de coutume. Je ne m'inquiétais pas, puisque j'en connaissais la raison. Les femmes de médecin doivent avoir beaucoup de patience! ajouta-t-elle avec une gravité qui fit sourire son amie.

— Parle-moi de toi, Colette, dit Florence. Tout va bien?

— De mieux en mieux, répondit Colette. Dépêche-toi de te marier, Flo, si tu dois être heureuse comme moi! »

Florence poussa un soupir. Elle pensait à Gilles Martin, naturellement. Ils n'avaient pas encore formé de projets très précis, mais tout le monde à Rouville soupçonnait qu'une fois le jeune homme en possession de son diplôme, les événements se précipiteraient.

« Excuse-moi d'être curieuse, risqua Colette. Mais tu devais me parler de Max. »

La jeune infirmière sourit.« C'est vrai. Je n'ai pas eu beaucoup le temps d'y

songer depuis, mais je crois que mon idée est bonne. Tu vas me dire ce que tu en penses.

— J'écoute de toutes mes oreilles.— Eh bien, voici. Puisque Maximilien désire tant

épouser une infirmière, il faut lui faciliter les choses et lui en faire connaître une. Il me semble qu'ici même, à l'hôpital...

— Tu ne vas pas me dire que tu as changé d'avis au sujet de la proposition de Max?

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— Oh, pas du tout! J'aimerais bien devenir ta belle-sœur, mais ce n'est pas suffisant, Colette.

— Dommage! soupira la jeune femme. Mais alors — qui?

— Je t'ai sans doute déjà parlé de Caroline, qui a le service du rez-de-chaussée?-

— Caroline? Je croyais qu'elle avait un fiancé à Paris.

— Tu confonds avec Clotilde, qui doit en effet se marier à la fin de l'année. Caroline n'est pas dans le même cas, ce qui la désole. C'est une de ces filles qui ne pensent qu'au mariage. Toutes les fois qu'elle reçoit dans son service un homme entre vingt-cinq et soixante ans, elle sent son cœur battre d'espoir. Malheureusement la plupart sont déjà mariés...

— Elle ne sort pas? Ne rencontre personne en dehors de l'hôpital?

— Ses parents habitent Tours; ils sont âgés et pas très bien portants. Elle passe presque tous ses jours de sortie à aller les voir. C'est pour cela qu'elle se désespère.

— Elle a du cœur, en tout cas. Tu crois, Flo, qu'elle épouserait Max?

— Réfléchis un peu. Ton frère est plutôt bien physiquement, n'est-ce pas?

— Je crois que oui — du moins quand il n'est pas emmitouflé d'écharpes et de châles! soupira Colette.

— Avec cela il a une belle situation. Pour Caroline, ce serait le Prince Charmant.

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— Mais son comportement bizarre? Cette idée fixe de se croire toujours malade?

— Caroline saura le délivrer de son obsession. Les infirmières n'ont pas l'habitude de s'en laisser conter.

— Elle deviendra enragée! J'ai bien failli le devenir moi-même, quand je vivais avec lui.

— Elle aura plus d'autorité que toi. D'ailleurs elle sera si heureuse de se marier que tout lui semblera facile. »

Colette secoua la tête en signe de doute.« Ce serait trop beau! Mais dis-moi, à quoi

ressemble-t-elle, ta Caroline? Je ne veux pas d'une belle-sœur épouvantai!! Je ne crois pas l'avoir jamais vue.

— Tu l'as certainement aperçue quand tu

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venais voir ton frère à l'hôpital. Tu ne te rappelles pas? Au rez-de-chaussée? Une grande, mince, les cheveux châtain foncé...

— Celle qui a de si jolis yeux noirs? Mais je la trouve très séduisante, cette fille!

— C'est aussi une excellente infirmière et un cœur d'or. Je t'assure que ton frère serait bien soigné!

— Flo, déclara Colette, tu es formidable! Je le savais déjà, mais je le constate une fois de plus. »

Florence reprenait son sérieux.« Attends : ce n'est pas encore fait. Il faut organiser

cette rencontre. Comment allons-nous nous y prendre?— C'est très facile : je peux inviter Caroline à

prendre le thé un dimanche, avec toi et Max.— Cette invitation l'étonnerait — lui aussi, peut-

être. Ils risqueraient de découvrir notre projet. Mieux vaut leur laisser croire que c'est le destin qui les rapproche.

— Tu as raison. Il faut trouver autre chose. Je pourrais demander à mon mari de faire venir Max à l'hôpital sous prétexte d'un examen de contrôle.

— Mais alors ton frère se croirait perdu! D'autre part, comment faire venir Caroline dans la salle d'examens — ce qui n'est pas du tout son service? Et puis il vaudrait mieux qu'elle voie Maximilien autrement qu'en tant que malade.

— Tu as raison! D'ailleurs, si on parle à Max d'examen de contrôle, il fera une de ces mines d'enterrement dont il a le secret en pareil cas. Reconnais qu'alors, il n'est guère à son avantage! »

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Colette réfléchit un moment.« Et si je disais tout simplement à Max qu'il te doit

une visite? Après tout, tu' l'as soigné plusieurs semaines avec dévouement...

— Un dévouement qui s'accompagnait parfois d irritation! coupa Florence.

— Max, poursuivit Colette, est toujours très pointilleux sur les questions d'étiquette. Si je lui dis qu'il doit venir, il viendra — et, j'en suis sûre, de très bon cœur.

— Il ne m'en veut pas d'avoir repoussé sa proposition de mariage?

— Non, puisque tu lui as dit que tu étais déjà fiancée — ou presque 1... Il est persuadé que si tu avais eu le cœur libre, tu te serais jetée dans ses bras!

— Arrangez-vous donc, conclut Florence, pour venir un après-midi vers les deux heures, au moment où j'ai le moins à faire. Caroline se trouve libre à la même heure. Préviens-moi seulement à l'avance pour que je trouve un moyen de l'attirer.

— Penses-y, Florence, j'y réfléchirai de mon côté. Je suis sûre qu'à deux, nous devons réussir. »

Un pas qui s'approchait leur fit tourner la tête. Quelques instants plus tard, une silhouette volumineuse s'encadrait dans l'embrasure de la porte.

«'Madame de la Pacaudière! s'exclama Florence. Et pas les mains vides, bien entendu!

— Puis-je m'asseoir un instant? demanda la

I. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

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visiteuse. L'ascenseur ne marche pas, et ces escaliers sont d'un raide! Il faut que je monte au second pour apporter ces jouets à un petit asthmatique, dans le service de Clotilde. Il ne reçoit pas souvent de visites, le pauvre gamin! Mais j'ai trouvé de quoi l'amuser : entre autres, un singe qui fait des cabrioles sur un trapèze-dans la boutique je riais moi-même en le regardant. Il faut que je vous montre ça! Attendez, je vais défaire le paquet. »

Florence l'arrêta : si Mme de la Pacaudière commençait à exhiber ses cadeaux, on en avait pour deux heures.

« Non, non dit-elle : nous ne serions pas capables de refaire aussi joliment le paquet.

— Vous avez raison, mon petit. Vous pourrez monter au second voir le singe... Ma pauvre Flo, si vous saviez! j'ai encore des tas d'ennuis.

— Vraiment?— Figurez-vous que l'E.D.F. est venue : on

accepte de changer le poteau de place, de le planter de l'autre côté du chemin.

— Eh bien, c'est un succès, il me semble?— A priori, oui. Mais même ainsi je le verrai

encore en me penchant par la fenêtre! C'est ce que j'ai fait remarquer : savez-vous ce que ce malotru de l'E.D.F. m'a répondu? Que je n avais qu'à ne pas me pencher; que c'était dangereux et que je risquais de tomber par la fenêtre! »

Florence et Colette ne purent s'empêcher deOui, oui, dit Mme de la Pacaudière, à votre

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âge on s'amuse de tout; vous verrez quand vous aurez le mien! Et par là-dessus cette Etoile Mauve a trouvé un autre moyen de m'empoisonner l'existence : maintenant on y fait de la musique!

— De la musique! Ils ont installé un rayon de disques?

— Exactement. Des disques avec les fromages et les conserves! Ça va bien ensemble, n'est-ce pas? Je vous assure que j'en deviendrai folle...

— J'aurais cru que, étant donné la distance, de votre propriété on ne devait pas entendre grand-chose.

— Ma pauvre enfant, quand je descends au potager et que le vent souffle du nord, c'est intenable. Je pourrais reconnaître les airs si c'était de vrais airs qu'ils jouaient, et non je ne sais quelle abominable cacophonie. Oh, mais j'avertirai le maire, je ferai chasser cette Etoile Mauve du pays! »

Elle se calma tout à coup.« Allons, je suis reposée, je monte au second, mon

petit asthmatique doit m'attendre. »Elle s'éloigna; les deux amies échangèrent un

sourire.« Une vraie soupe au lait! murmura Florence. Mais

elle est si bonne... »A ce moment, elles entendirent un bruit de voix

dans le corridor; un autre visiteur ne tarda pas à se montrer. Celui-ci était un homme entre deux âges, vigoureux, au nez cramoisi. Il se drapait, avec un geste d'empereur romain, dans une couverture de lit.

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« Camus 1 M s'exclama Florence. Que venez-vous faire ici? »

Il grommela :« J'ai cru qu'elle ne sortirait jamais d'ici, cette grosse

dondon. Qu'est-ce qu'elle a donc à faire chez vous? Elle n'est pas malade. Les malades doivent avoir la priorité.

— Si vous êtes malade, Camus, c'est bien votre faute. On vous remet sur pied, vous quittez l'hôpital, vous recommencez à manger n'importe quoi et surtout à boire; naturellement votre ulcère fait de nouveau parler de lui. »

L'homme se cacha le visage avec le pan de sa couverture.

« Il ne faut pas me parler comme ça, mademoiselle Florence. Vous savez que je vous aime bien, vous

1. Voir Salle des Urgences, dans la même collection.

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et le toubib. Si vous ne me forciez pas à me laver, ce qui me rend malade, et si vous ne me priviez pas de cigarettes...

— Vous ne venez pas pour me reparler de cigarettes, j'espère? Le tabac vous est défendu, et vous n'en aurez pas. »

Camus se fit suppliant.« Pas même une — une toute petite?— Pas même la moitié d'une.— Vous me faites de la peine, mademoiselle

Florence. C'est vrai que vous ne fumez pas, vous ne pouvez pas comprendre... M. Robert, autrefois, me passait de temps en temps un petit bout de gitane. Vous avez dû lui faire la leçon; maintenant il me refuse toujours.

— Parce qu'il en a assez de vous voir vous rendre malade à plaisir. »

Camus poussa un grand soupir et s'éloigna.« Toujours le même! s'exclama Colette. Quand

Max était hospitalisé, le bonhomme était déjà là. Il venait souvent le voir. Max était trop heureux de trouver quelqu'un à qui décrire tous ses malaises... »

Florence regarda sa montre.« L'heure passe; il faut que je te quitte, Colette. J'ai

à faire à la salle de pansements. Tu es un amour d'être venue me faire une petite visite.

— Je reviendrai bientôt, et nous mettrons au point tous les détails de notre plan. Je serais si heureuse si ça pouvait marcher!

— Ça marchera! » promit Florence.

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V

QUELQUES JOURS plus tard, M. Martel, le patron, réunit le personnel de l'hôpital : « M. Groult, dit-il, est encore à Rouville pour quelques jours; il doit nous amener demain un visiteur. Il désire que nous lui fassions faire le tour des différents services. Je compte sur vous tous pour lui donner bonne impression.

— Qui est donc ce personnage important? demanda Robert.

— Il s'appelle Carval; c'est le propriétaire du

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magasin à grande surface qui vient de s'ouvrir dans la banlieue de Rouville. Ce monsieur s'intéresse à nous, paraît-il. Groult veut le ménager : il peut favoriser le développement de la région.

— Vous ne pensez pas, patron, que ce Carval nous fait des grâces parce qu'il espère obtenir que l'hôpital s'approvisionnera chez lui?

— C'est fort possible. Mais après tout, si ses conditions sont intéressantes, pourquoi pas?

— Quand doivent-ils venir? interrogea le docteur Crépin.

— En fin de matinée. Il ne faut gêner ni les traitements du matin, ni le repas des malades. J'avais d'abord proposé le début de l'après-midi, avant les visites, mais Groult n'était pas libre. »

Florence poussa un soupir de soulagement. Le début de l'après-midi, c'était l'heure où Mme de la Pacaudière venait généralement à l'hôpital. Si elle s'était trouvée face à face avec le responsable de L'Etoile Mauve! La jeune infirmière imaginait la scène : Mme de la Pacaudière n'était pas femme à dissimuler ses sentiments. Elle était capable d'insulter ce M. Carval; il se défendrait, naturellement, mais avec elle, il n'était pas facile d'avoir le dernier mot. M. Martel passerait un mauvais quart d'heure.

Le matin, heureusement, Mme de la Pacaudière ne venait jamais; pareil affrontement ne risquait donc pas de se produire.

Les visiteurs se présentèrent vers onze heures. M. Martel, accompagné de la surveillante, leur fit

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visiter toutes les installations nouvelles dont il était fier : la salle d'opération, de réanimation, les laboratoires. Puis il leur montra la cantine, la cuisine et ses annexes. Robert les accompagna dans ses salles de malades.

En arrivant dans le service de Florence, M. Groult s'approcha amicalement de la jeune fille. Elle lui demanda des nouvelles de son fils, François, qu'elle avait soigné naguère après un accident de la route '.

« II va très bien, merci. Pour les études, c'est moins brillant : il n'a pas l'air de se rendre compte que le bac est à la fin de l'année... Il aurait encore bien besoin de vos conseils, ma petite Florence! »

Le député-maire se tourna vers M. Carval.« Je dois vous dire que si Mlle Florence est notre

plus jeune infirmière, elle est aussi une des meilleures — puis-je dire « la meilleure », madame Benoît?

— Il ne faut pas faire de jalouses », répondit la surveillante en souriant à Florence.

Le propriétaire de L'Etoile Mauve s'inclina devant la jeune fille.

« Si mademoiselle est aussi efficace que charmante, je regrette de ne pas être de ses malades! »

M. Carval était un homme d'une trentaine d'années, de taille moyenne, maigre, très brun, avec des yeux noirs vifs et perçants. Au premier coup d'œil, Florence ne l'avait pas trouvé très sympathique. Il était trop aimable, trop empressé. Elle

1. Voir Salle des urgences, dans la même collection.

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préférait les gens qui faisaient moins de frais — comme Gilles Martin ou même comme Robert, qui, en fait de liberté d'expression, dépassait parfois les bornes.

Elle ouvrit la porte d'une chambre vide pour en montrer l'agencement sans risquer de déranger un malade. Ils traversèrent ensuite une salle de quatre lits; là il n'y avait que des cas bénins : on avait commencé une belote, les cartes disparurent comme par enchantement sous un couvre-lit.

« Tâchez de vous arranger pour qu'il ne rencontre pas Camus! avait recommandé le patron à Florence. Ce diable-là est capable de surgir tout à coup de sa boîte pour nous faire un discours. »

Florence ne savait trop comment s'y prendre quand Robert était venu à son secours en promettant au clochard un quart de cigarette s'il n'apparaissait pas pendant la visite.

« Un quart, c'est dangereux, avait répliqué Camus. C'est si petit que je risque de l'avaler. Vous seriez tous bien embêtés, hein?

— Pas du tout, avait répliqué l'interne : il y a longtemps que je n'ai pas ouvert un ventre, ça commence à me manquer.

— Vous pouvez dire « une laparotomie »; je connais votre jargon, allez! »

Pendant toute la visite, Florence resta un peu inquiète; cependant Camus ne se montra pas. Le petit groupe entra au poste de garde.

« C'est votre domaine, mademoiselle, si je ne

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me trompe, dit Carval. C'est vous qui avez placé sur le mur ce charmant paysage? »

Florence inclina la tête sans mot dire. Décidément le propriétaire de L'Etoile Mauve ne lui plaisait guère. Maintenant le patron l'interrogeait sur son entreprise.

« Vous êtes content? Tout marche bien?— Très bien; je puis dire que nous avons

démarré en flèche!— On dit que vos prix sont inférieurs à ceux des

autres magasins; comment vous y prenez-vous? »Carval poussa un soupir.« II n'y a qu'un moyen, monsieur, et il est très

simple : c'est de se contenter d'un bénéfice modeste.— Je comprends, dit Groult. Ce n'est d'ailleurs pas

un mauvais système : la clientèle affluera chez vous, et vous vous rattraperez sur la quantité.

— Il n'y a pas que cela, reprit Carval. On s'imagine que les hommes d'affaires ne pensent qu'à l'argent. Ce n'est pas toujours exact.

— Que voulez-vous dire?— Eh bien, j'ai toujours été choqué de voir les

acheteurs — surtout ceux qui disposent de faibles moyens — payer très cher ce qu'ils consomment. Pour les biens de première nécessité — les aliments de tous les jours, par exemple —, les plus pauvres doivent souvent se rabattre sur des produits de qualité inférieure. Ce qui est inadmissible, n'est-il pas vrai? »

Florence commençait à s'intéresser à la conversation. Cet homme était-il si différent de ce

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qu'elle avait imaginé au premier abord?« C'est ainsi, expliqua-t-il, que m'est venue l'idée de

baisser mes prix en ne dépassant jamais une faible marge de bénéfice. Comme vous le dites — il faut bien vivre —, j'espère m'en tirer grâce à une clientèle plus nombreuse. Mais en attendant j'ai la satisfaction d'aider un peu mes concitoyens. C'est déjà quelque chose, n'est-ce pas? »

II se tourna vers la jeune infirmière comme pour quêter son approbation. Cette fois, elle répondit sans hésiter :

« Comment pourrait-on ne pas vous féliciter, monsieur?

— Vous voyez, poursuivit Carval, que même un commerçant peut avoir des sentiments humains-Mais je ne veux pas abuser de votre temps, qui doit être si précieux. Je reviendrai vous voir, monsieur Martel. »

Les visiteurs s'éloignèrent. « Eh bien, demanda Robert à Florence, que dites-vous de ce philanthrope?

— Je trouve que c'est très bien, ce qu'il fait. Et vous?

— Oui, si c'est vrai.— Vous doutez toujours de tout, Robert! »

Florence pensa avec amusement à Mme de laPacaudière. Au fond, celle-ci et Carval étaient faits

pour s'entendre : n'avaient-ils pas le même comportement généreux? Quel dommage que le bâtiment de L'Etoile Mauve obstruât en partie la vue dont l'excellente femme était si fière! Qui sait?

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elle finirait peut-être par s'y résigner. Elle deviendrait un jour cliente de L'Etoile Mauve — et une bonne cliente, étant donné tout ce qu'elle achetait pour ses bonnes œuvres!

Un pas traîna dans le couloir : Florence et Robert virent apparaître la face rougeaude de Camus.

« Je les ai vus partir! annonça-t-il. Alors je viens chercher... ce que vous m'avez promis, docteur.

— C'est vrai : un quart de cigarette.— Une demie, hasarda Camus.— Un quart », répéta Robert.Il tira un paquet de sa poche, prit des ciseaux sur la

table et coupa la cigarette avec soin.« Si c'est pas malheureux d'abîmer comme ça une

belle cig! soupira le clochard. Vous pourriez tout de même me donner le gros bout, docteur.

— Tu as déjà de la chance que je te donne ça. Si le patron me voyait, il m'attraperait.

__Ça, alors, pas de danger! Ma grand-mère,la sainte femme, disait que les loups ne se mangent

pas entre eux; c'est sûrement vrai aussi pour les docteurs! Quand il s'agit de moi, vous êtes toujours tous du même avis. Pas de tabac-pas de tabac... si vous croyez que c'est drôle! »

Camus prit le bout de cigarette avec précaution.« Vous devriez me donner aussi un microscope

pour que je puisse la voir! grommela-t-il. N'empêche que si je l'avalais — sans faire exprès, bien sûr! — qui est-ce qui serait bien ennuyé? Vous avez dit que vous seriez obligé de m'ouvrir le ventre.

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— Je t'ai dit aussi que j'aimais ça.— Mais vous n'aimez pas les urgences; je vous ai

entendu dire au patron que ce n'était pas du beau travail.»Robert commençait à s'impatienter.« Tu veux que je te l'allume, ta cigarette?— Bien sûr que non! je vais la faire plus mince,

comme ça j'aurai l'impression d'en avoir plus. »Le clochard s'éloigna, traînant toujours le pas.

L'habitude de marcher avec de vieux souliers qui ne lui tenaient pas aux pieds avait fini par lui donner cette démarche. Pourtant, aujourd'hui, il portait de belles pantoufles — des pantoufles offertes par Mme de la Pacaudière aux malades qui n'en avaient pas.

Après le déjeuner, celle-ci vint rendre visite à Florence. Elle demanda aussitôt :

« Alors? vous avez vu le singe? »Elle parlait du jouet qu'elle avait apporté à un petit

malade. Mais Florence pensa qu'elle faisait allusion à son visiteur du matin.

« Ce n'est pas un singe du tout, madame, je vous assure, répliqua-t-elle. Il est assez bien, d'abord, et il m'a paru très humain.

— Il a une expression presque humaine, vous avez raison. C'est pour cela qu'il est si réussi. Dès que je l'ai vu, dans le magasin... »

Dans le magasin... Florence se rendit compte qu'elle faisait fausse route. Réprimant avec peine une forte envie de rire, elle avoua qu'elle n'avait

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pas encore eu le temps de monter admirer le jouet.« Allez-y, cela vaut la peine. Mais alors, je ne

comprends pas : qui d'autre a l'air humain?— Je parlais de M. Carval, le propriétaire de

L'Etoile Mauve. Il est venu ce matin visiter l'hôpital. »Mme de la Pacaudière fronça les sourcils. « Cet

homme, ici! C'est un peu fort! Qui donc s'est permis de l'inviter?

— M. Groult l'a amené lui-même.— Groult! Il n'en fait jamais d'autres. Mais je lui

parlerai, je lui expliquerai...— Je voulais^ justement vous en dire un mot,

madame. Ce M. Carval vaut mieux que vous ne le pensiez : c'est un homme qui cherche à faire le bien.

— Et qui commence, par me gâcher ma vue!— Il ne s'en est sans doute pas rendu compte. Il a

construit son magasin si rapidement...•— En effet, ça a poussé comme un champignon.

Un champignon vénéneux, bien entendu! Le plus dangereux de tous, c'est l'amanite panthère, si j'ai bonne mémoire. L'Etoile Panthère, voilà le nom qui conviendrait à sa boutique! »

Florence se mit à rire. Décidément, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle réconcilierait le propriétaire de L'Etoile Mauve et son irascible ennemie.

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VI

« JE NE TE DÉRANGE PAS, Flo? » lança Colette. La jeune infirmière jeta un coup d'œil à la pendule.

« En principe, je suis prise dans un quart d'heure. Tu as quelque chose à me dire?

— J'ai tellement hâte de te raconter tout ce que j'ai fait depuis notre dernière entrevue! Du côté de Max, ça marche très bien.

— C'est-à-dire?— Je l'ai décidé à te rendre visite. Il a commencé

par faire des difficultés. « Tout de même, « disait-il, elle a refusé de m'épouser! » Je lui ai répliqué que c'était naturel, puisque ton cœur n'était plus libre. J'ai insisté sur le fait que tu l'as

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soigné longtemps...— Et l'argument a porté?— Oui : sa déception n'a pas diminué sa

reconnaissance. Il a volontiers admis qu'il te devait des remerciements, mais il préférait t'écrire. Il prétendait que c'était plus correct, qu'il t'écrirait un mot en t'envoyant des fleurs. Cela ne faisait pas du tout mon affaire, comme tu penses. Pardonne-moi pour les fleurs, mais je l'en ai dissuadé.

— Comment as-tu fait?— Je lui ai dit qu'en ce cas tu serais obligée de lui

répondre, et que tu n'avais pas beaucoup de temps... Il a fini par reconnaître que j'avais raison. A toi de jouer maintenant : il faut fixer un jour où Caroline puisse venir dans ton service.

— Ce ne sera pas difficile : je vais lui prêter un livre de biologie que Gilles m'a donné et qu'elle a grande envie de lire. Le jour venu, je lui dirai que j'ai besoin de consulter ce livre et lui demanderai de me le rendre pour quelques heures. Elle viendra sûrement au début de l'après-midi : c'est l'heure la plus commode pour nous toutes.

— Formidable! Il ne me reste plus qu'à convenir d'un jour avec Max. »

Ce petit stratagème amusait Florence. Le soir, justement, avant de se coucher, Caroline vint passer un moment dans sa chambre. Comme toujours, elle soupirait : les infirmières avaient si peu d'occasions de sortir! Comment trouverait-elle jamais à se marier?

Comme toujours, elle soupirait.

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« Bien sûr, dit-elle, il y a des malades qui épousent leur infirmière... Mais c'est tout de même relativement rare. Et en ce moment, je ne suis guère favorisée : je ne sais pas ce qui se passe, dans mon service, il n'arrive que des femmes.

— Je croyais qu'avant-hier on t'avait amené un cirrhotique?

— Florence! il a soixante-dix ans! Et avec ça il boit; c'est de là que lui vient sa cirrhose.

— Tu sais, Caroline, dans la vie tout est souvent une question de hasard.

— Dis plutôt de chance! Et de la chance, moi je n'en ai jamais... »

Le terrain est tout à fait favorable, pensa Florence.Le lendemain était son jour de repos. Il faisait trop

beau pour s'enfermer dans un cinéma, aussi décida-t-elle de faire une promenade.

Et si j'allais du côté de cette fameuse Etoile Mauve? se dit-elle. Je pourrais même y faire quelques achats, puisque tout y est si avantageux.

Florence prenait ses repas à la cantine de l'hôpital, mais elle aimait avoir dans sa chambre des biscuits, du chocolat, des fruits. Parfois, aussi, les infirmières se réunissaient dans la chambre de l'une d'elles : il fallait avoir de quoi régaler ses amies.

En sortant de l'hôpital Florence traversa la ville, puis le faubourg et se trouva sur la grande route. A quelque distance elle apercevait, sur sa gauche, deux toits pointus : les Roques de Mme de la Pacaudière; sur sa droite, un

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bâtiment allongé dont les couleurs éclatantes rutilaient au soleil.

Il est vrai, pensa-t-elle, que cela ne fait pas très bien dans le paysage. Mais des Roques on ne doit pas en voir grand-chose.

De près, le bâtiment ne s'améliorait pas. La façade était peinte en violet, avec des bordures jaunes; au centre, une énorme étoile mauve complétait le mauvais goût de l'ensemble.

Florence s'avança vers une des grandes portes de verre jaune qui donnaient accès au magasin. Une musique — la radio, probablement — jouait des airs de jazz. Ce n'était pas désagréable en soi, mais Florence pensa qu'elle eût préféré faire ses achats dans le calme. Quant aux malheureuses employées qui devaient entendre ce bruit toute la journée, il y avait de quoi les rendre folles.

Des employées, d'ailleurs, il y en avait fort peu : L'Etoile Mauve était un libre-service. Florence prit un panier de métal et se promena dans les allées. La renommée disait vrai : il y avait de tout sur les comptoirs, cependant l'alimentation y tenait la première place. Une fois passé le rayon des aliments frais, des piles de boîtes de conserves montaient de tous côtés.

Florence regardait les prix. N'étant pas habituée à faire le marché, elle pouvait difficilement effectuer des comparaisons, cependant certains produits lui paraissaient plutôt avantageux.

Elle errait au hasard quand tout à coup, au fond du magasin, elle aperçut M. Carval qui dirigeait

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l'installation d'un comptoir. Il la reconnut et s'avança vers elle avec un large sourire.

« Mademoiselle... Excusez-moi, j'ai oublié votre nom. Vous êtes infirmière à l'hôpital, n'est-ce pas?

— Oui, monsieur.— Et vous vous appelez... Ah, je me souviens

maintenant : Mlle Florence, c'est bien cela?— En effet. »Elle se sentait un peu gênée. Que M. Carval la

reconnût, cela n'avait rien d'extraordinaire. Mais qu'il se montrât aussi empressé... Elle retrouva l'impression de méfiance éprouvée lors de leur première rencontre.

« Vous êtes venue visiter L'Etoile Mauve? demanda-t-il. Vous ne connaissiez pas encore le magasin? »

Florence fit signe que non.« L'Etoile Mauve se trouve loin de l'hôpital;

d'ailleurs, je n'ai jamais beaucoup d'achats à faire. Mais c'est une nouveauté à Rouville; j'ai eu la curiosité de venir la voir.

— Votre première impression n'a pas dû être très bonne, dit Carval. Ces couleurs criardes-Mais que voulez-vous? la plus grande partie de notre clientèle adore ça... Un commerçant n'est jamais libre de suivre ses propres goûts. Mais cela ne l'empêche pas de juger.»

Intérieurement, Florence lui décerna un bon point. Mais n'était-il pas possible de former le goût d'une clientèle? Elle s'y connaissait trop peu en affaires pour répondre à la question.

« Promenez-vous à votre guise, conseilla Carval,

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val, regardez, comparez. Vous pourrez constater que nos prix, dans l'ensemble, défient toute concurrence.»

II s'éloignait, mais se retourna brusquement.« Si vous voyez quelque chose qui vous plaît,

appelez-moi. Aujourd'hui je suis ici toute la journée. »II retourna à ses rangements, tandis que Florence

flânait entre les rayons. Les fruits attiraient particulièrement la jeune infirmière, mais de ce côté les prix ne lui semblaient pas très différents de ceux des autres magasins. Cela valait-il vraiment la peine de se charger pour traverser toute la ville?

Devant un étalage de boîtes de conserves, elle s'arrêta. Le lendemain soir, les jeunes infirmières fêtaient l'anniversaire de Caroline : on se réunirait dans sa chambre pour manger des sandwiches et des petits fours. Si Florence prenait une ou deux de ces boîtes de pâté de foie? Le pâté, tartiné sur du pain de mie coupé en triangle, faisait toujours un plat appétissant. Elle examina plusieurs boîtes; là, le prix était nettement inférieur à celui des épiceries qui avoisinaient l'hôpital. Elle décida d'en prendre trois pour en avoir une d'avance en cas de besoin.

Elle déposait les boîtes dans son panier quand elle sentit qu'on lui touchait l'épaule. Elle se retourna vivement : c'était Carval, qu'elle n'avait pas entendu approcher.

« Chère mademoiselle, montrez-moi ce que vous avez choisi. »

II regarda le contenu du panier et secoua la tête.

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« Ne prenez pas cela : j'ai mieux à vous proposer. Regardez ces boîtes-ci; je vous promets que vous n'en serez pas mécontente. C'est de la galantine; j'en prends moi-même assez souvent.

__ C'est que... je cherche du pâté et non de la galantine. C'est pour faire des sandwiches. »

Tout en parlant, Carval avait ôté les boîtes de son panier et les avait replacées au sommet d'une pile.

« Des sandwiches? répéta-t-il. Rien de plus facile. Nous avons tout ce qu'il vous faut. Prenez ceci, vous m'en direz des nouvelles. »

II prit trois autres boîtes et les plaça dans le panier sans que Florence eût le temps d'intervenir. La jeune fille ne comprenait pas : il arrive souvent qu'un commerçant vous vante tel ou tel

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produit, mais de là à vous l'imposer de force...Elle regarda l'étiquette.« Mais, monsieur, dit-elle, ce pâté-ci est beaucoup

plus cher!— C'est qu'il est plus raffiné, répliqua Carval.

Naturellement, nous avons plusieurs qualités. Rappelez-vous ce que je disais l'autre jour à M. Martel : mon but est de mettre de bons produits à la portée de toutes les bourses. Mais j'ai aussi des produits de luxe pour les connaisseurs.

— Monsieur, reprit Florence, je fais partie des gens qui doivent faire des économies. Je ne peux pas payer aussi cher. »

Elle tendait la main vers les premières boîtes qu'elle avait choisies. Carval l'arrêta.

« Payer! Vous n'y pensez pas, mademoiselle Florence! Ces boîtes, c'est moi qui vous les offre, en souvenir de votre première visite à L'Etoile Mauve. J'espère bien que ce ne sera pas la dernière... Vous n'avez besoin de rien d'autre? Alors, venez. »

La jeune fille protesta : elle n'avait aucune raison d'accepter un cadeau de Carval! Mais celui-ci l'entraînait déjà vers la sortie, jetait un mot à la caissière qui les laissa passer au portillon sans rien demander.

« Mais, monsieur, je ne veux pas...— Je suis ici chez moi : j'ai bien le droit de faire ce

qu'il me plaît! D'ailleurs, si vous voulez, vous pouvez aussi me rendre service.

— En vous envoyant des clients? demanda Florence.

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— Mieux que cela! J'ai rendez-vous avec M. Martel dans quelques jours. Vous comprenez, si je pouvais avoir la fourniture de l'hôpital... même en baissant encore un peu mes prix, vu l'importance des commandes,... Or, j'ai remarqué que M. Martel vous estimait particulièrement. S'il vous était possible de lui glisser un mot en ma faveur...

— Mais, monsieur, ce n'est pas M. Martel qui s'occupe du ravitaillement de l'hôpital! Il vaudrait mieux, je pense, vous adresser à l'économe.

— Je le ferai aussi, naturellement. Mais je sais ce que c'est qu'un patron. Si M. Martel est pour moi, je suis sûr de mon affaire. »

Ainsi c'était par intérêt que Carval lui faisait ce cadeau! Au fond, Florence aimait mieux cela. Pourtant il fallait le prévenir honnêtement qu'elle ne pouvait pas grand-chose pour lui.

« Monsieur, dit-elle, jamais M. Martel ne me parle de ces questions. Je ne peux pas aller de but en blanc lui dire de s'adresser à vous plutôt qu'à un autre. Je ne peux même pas juger si cette affaire, que vous dites intéressante pour vous, le serait aussi pour l'hôpital. »

Carval sourit.« Vous êtes une enfant! déclara-t-il. Dites

seulement autour de vous que vous avez visité L'Etoile Mauve, que tout vous y a paru meilleur marché qu'ailleurs. Le reste, je m'en charge. »

II la quitta et rentra dans le magasin, tandis que Florence reprenait sa route vers l'hôpital.

En longeant la grande rue de Rouville, elle eut

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la curiosité de regarder la devanture d'une épicerie où des boîtes de conserves étaient empilées. Elle reconnut la marque de galantine que Carval lui avait d'abord proposée; elle entra et en demanda le prix. Il était supérieur de presque deux francs à celui de L'Etoile Mauve.

Le soir, elle ouvrit deux de ses boîtes et confectionna de petits sandwiches. Quand les jeunes infirmières se trouvèrent réunies dans la chambre de Caroline, toutes firent honneur au cadeau de M. Carval.

« Mais c'est du vrai pâté de foie gras! s'exclama Clotilde. Tu as dû te ruiner, Flo! Où donc as-tu trouvé ça?

— A L'Etoile Mauve. Et je ne me suis pas ruinée du tout; au contraire, j'ai fait des économies! »

Elle raconta sa visite, l'intervention de M. Carval et le présent qu'il lui avait fait des trois boîtes.

« J'en avais choisi d'autres — bien meilleur marché, je l'avoue. Mais il n'a jamais voulu que je les prenne. Il me les a presque arrachées des mains. Au début, je ne comprenais pas pourquoi. Mais il m'a avoué qu'il souhaitait obtenir la clientèle de l'hôpital, et il s'imaginait, je ne sais pourquoi, que je pourrais l'y aider.

— En tout cas, il ne s'est pas moqué de toi! déclara Caroline en reprenant un petit sandwich. Il est généreux, cet homme-là!

— Il est peut-être célibataire! taquina Clotilde. As-tu pensé à le lui demander, Flo?

— Cessez de me taquiner, dit Caroline. Pensez qu'à

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mon prochain anniversaire, je coifferai sainte Catherine! »

Florence sourit en pensant au plan qu'elle avait échafaudé.

« Tu n'en es pas encore là! dit-elle gaiement. En attendant, je bois à l'inconnu qui peut survenir d'un moment à l'autre! »

Elles levèrent leurs verres et la petite fête s'acheva dans des éclats de rire.

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VII

LE LENDEMAIN, Colette téléphona à Florence : « Flo, c'est merveilleux : je crois que notre projet va réussir. Hier soir, Max est venu nous voir : il m'a parlé le premier de la visite qu'il veut te faire; il m'a demandé de convenir du jour avec toi. Il préférerait que ce soit un samedi, parce que ce jour-là il ne travaille pas. « Et pour-« quoi pas samedi prochain? » a-t-il même proposé. — En effet, dit Florence, pourquoi pas? Il faut

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seulement que vous veniez tôt : disons à deux heures. Et ne soyez pas en retard!

— Je vais donc dire à Max que c'est entendu pour samedi, c'est-à-dire après-demain. De ton côté, n'oublie pas de prêter ton livre à Caroline.

— Je n'oublierai pas, sois tranquille! »La jeune infirmière raccrocha. Elle voulait profiter

de l'heure creuse pour téléphoner à Gilles Martin, qui devait être à son hôpital. Ils n'avaient presque jamais le temps de se parler longuement, mais les quelques mots qu'ils échangeaient suffisaient à les mettre de bonne humeur pour le reste de la journée.

Elle tendait la main vers l'appareil quand un pas ébranla le parquet du couloir; Mme de la Pacaudière, suant et soufflant sous le poids d'un énorme paquet, s'avança vers elle.

« Regardez ce que j'ai trouvé, mon petit. Vous ne devineriez jamais ce que c'est : un théâtre de marionnettes! Je vais dire à Clotilde de l'installer dans la salle 8, où il n'y a jamais de grands malades. Elle le mettra au fond, entre les deux fenêtres; il y a assez de place, je l'ai vérifié. Ceux des enfants qui peuvent aller et venir organiseront le spectacle. Ce sera merveilleux, vous ne trouvez pas? »

Florence se demanda si Clotilde apprécierait beaucoup l'encombrement de ce volumineux guignol dans une pièce où les lits tenaient avec peine. Certes, elle ne refuserait pas le cadeau — on ne disait pas non à

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Mme de la Pacaudière. Mais elle n'en penserait pas moins...

« Tous les enfants aiment les marionnettes, n'est-ce pas? poursuivit la généreuse donatrice. Au début ils ne sauront peut-être pas les manœuvrer, mais je leur montrerai comment faire. J'ai joué la comédie dans mon jeune temps — vous ne vous en doutiez pas, Florence?»

La visiteuse poursuivait son idée.« Cela va me prendre pas mal de temps, je sais

bien. Mais après tout je n'ai pas d'occupation si pressante. Et puis, pour tout vous dire, ma petite fille, avec ce qui se passe je n'ai plus envie de rester chez moi.

— Plus envie! est-ce possible? Les Roques sont une maison si charmante...

— Etaient, mon petit, étaient*. Car maintenant, comme vous savez, je ne peux même plus regarder par mes fenêtres.

— Même depuis qu'on a déplacé le poteau? » Mme de la Pacaudière eut un geste dédaigneux. « II s'agit bien du poteau! Je parle de cette

horrible bâtisse bariolée qui me dissimule la vue des prés — cette vue qui me donnait tant de joie... Il y avait souvent des vaches. Eh bien, j'aime les vaches, moi! Pas de près bien sûr, à cause des cornes. Mais à distance, derrière des barbelés... A mon âge, me priver de cet innocent plaisir! »

Elle soupira :« Vous ne la connaissez pas, vous, cette

monstrueuse Etoile Mauve. D'ici, vous ne risquez ni de

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la voir ni de l'entendre — quelle bénédiction! Quelle chance pour vous que l'hôpital soit situé à l'autre bout de

Rouville! »La jeune infirmière sourit.« Eh bien, si, madame, figurez-vous que je connais

L'Etoile Mauve. Hier, par curiosité, je suis allée me promener de ce côté-là.

— Une curiosité malsaine, mon enfant! Au moins, puisque vous avez vu de près cette horreur, vous pouvez comprendre les sentiments que j'éprouve. N'est-ce pas que c'est tout simplement hideux?

— Je reconnais que l'extérieur n'est pas de très bon goût.

— L'intérieur est-il mieux? cela m'étonnerait! Vous pensez bien que je n'y ai pas mis les pieds. Et j'ai interdit à Paquita d'en approcher! Vous y êtes entrée, Florence?

— Oui. Cela ressemble à tous les grands magasins. C'était neuf et c'est propre. On peut y trouver une quantité de choses.

— On raconte partout que c'est moins cher qu'ailleurs. Est-ce vrai?

— Oui, pour certains produits. Pour le reste, je n'en sais rien.

— C'est que ces produits sont de mauvaise qualité, déclara Mme de la Pacaudière d'un ton péremptoire. Mais, ma petite Florence, après cette épreuve, vous auriez dû faire quelques pas de plus et venir vous reposer chez moi. Je vous aurais offert une tasse de thé pour vous aider à vous remettre. Ce violet et ce jaune — pouah!

— Le propriétaire lui-même est de notre avis. Mais, d'après lui, cela plaît à une partie de sa clientèle.

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— Le propriétaire? Vous n'allez pas me dire que vous l'avez vu? Et que vous lui avez parlé?

— C'est lui qui est venu me parler, madame. Comme il m'avait vue à l'hôpital, il m'a reconnue; il m'a même offert trois boîtes d'excellent pâté. »

D'émotion, la visiteuse se laissa choir sur une chaise qui fit entendre un craquement plaintif.

« Cet homme a de mauvaises intentions! déclara-t-elle avec fermeté. S'il vous flatte ainsi, c'est qu'il espère quelque chose de vous.

— Je crois qu'il aimerait obtenir la clientèle de l'hôpital. Mais n'est-ce pas naturel pour un commerçant?

— Petite malheureuse, vous ne vous rendez pas compte? Moi qui... qui espérais... »

La pauvre femme suffoquait. Florence la laissa reprendre son souffle.

« J'espérais qu'il ferait faillite! explosa-t-elle dès qu'elle fut capable de parler. Vous comprenez bien, ma pauvre enfant, qu'avec la clientèle de l'hôpital, son chiffre d'affaires va doubler — que dis-je? tripler, quadrupler! L'Etoile Mauve va se développer comme une tumeur! Il est capable d'y ajouter un autre bâtiment et de m'ôter le reste de ma vue... »

Florence l'écoutait avec une impatience grandissante. Pourvu que Gilles n'eût pas déjà quitté l'hôpital! Enfin, Mme de la Pacaudière ramassa son théâtre de marionnettes, se leva avec peine et s'ébranla.

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« Clotilde va être bien contente! » lança-t-elle encore en sortant.

Florence courut vers le téléphone. Elle n'avait pas fini de former le numéro quand une silhouette massive s'encadra dans la porte. Elle raccrocha aussitôt et reconnut Camus. Il venait sans doute raconter quelque sottise, mais c'était un malade : elle ne pouvait le renvoyer sans l'entendre.

« Vous avez quelque chose à me dire? » interrogea-t-elle un peu sèchement.

Camus, se balançant d'un pied sur l'autre, répondit d'une voix lugubre :

« Je venais vous faire mes adieux, mademoiselle Florence. Vous pensiez que je partirais sans vous dire au revoir?

— Comment? Mais vous ne deviez sortir que lundi!»II ricana.« Alors, on ne vous avait même pas prévenue?

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Ils sont bien élevés, dans la médecine, à ce que je vois! Je ne suis pas un monsieur, moi, j'ai quitté la communale à dix ans, mais je ne me conduirais pas comme ça vis-à-vis d'une dame!

— Qui donc vous a annoncé que vous étiez sortant?

— Qui? Le Robert, naturellement! Il m'a dit que ce matin, après la visite, il avait parlé de moi avec le patron. Vous n'étiez donc pas là?

— Non, j'avais été appelée dans une des chambres. Et alors? Ils ont jugé que vous étiez guéri?

— Guéri? Vous voulez rire, mademoiselle Florence. Je ne suis pas guéri du tout. Mais probablement qu'on en a assez de me voir. Alors on me chasse, voilà tout — on me chasse comme un malpropre! »

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Florence ne put retenir un sourire. Le mot « malpropre », en effet, ne convenait pas mal à Camus. Après un séjour à l'hôpital, il devenait plus ou moins acceptable. Mais quand il revenait, on aurait pu croire qu'il sortait d'une poubelle.

« C'est moche, hein, mademoiselle Florence? Vous me comprenez, vous, j'en suis sûr. Vous ne me donnez jamais de cigarettes parce que c'est défendu — vous avez peur de vous faire pincer, hein? — mais je pense que vous m'aimez bien tout de même. Moi aussi, vous savez.

— Naturellement je vous aime bien, Camus. Je voudrais seulement vous voir un peu plus raisonnable. Enfin, je suis contente de vous savoir guéri

— ne dites pas non, si on vous fait sortir, c'est que vous l'êtes.

Elle ajouta, sans trop y penser :« Dommage que vous partiez avant samedi : vous

auriez pu revoir quelqu'un de connaissance.— Quelqu'un? qui? Dites vite... Quelqu'un que

j'aime bien?— Je crois que oui. C'est M. Abel. Il nous a

annoncé sa visite.— Maximilien Abel! Vous dites qu'il va revenir? Il

est donc retombé malade? Je disais bien qu'il n'était pas guéri, lui non plus!

— Pas du tout : il vient nous voir, tout simplement. Il y a des malades qui se souviennent de leurs infirmières.

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— Ce vieux Maximilien! fit Camus d'un air attendri. Non, ce n'est pas possible qu'il revienne et que je ne le voie pas! Hors de l'hôpital, ce n'est pas possible, vous comprenez! on n'est pas de la même société, lui et moi. Mais ici, c'était mon copain, mademoiselle Florence, vous le savez bien. On en a passé, de bonnes heures ensemble, quand il était tellement malade1 !

— Il n'était pas malade en réalité.— Que vous dites! Mais moi je sais : il me

racontait tout. Et moi, je l'écoutais — comme M. le maire à la veille des élections, c'est vous dire! Et vous voudriez me faire sortir au moment où il revient! Ce n'est vraiment pas gentil...

— Vous savez bien que cela ne dépend pas de moi.1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

— De qui, alors?— De M. Martel, le patron.— Et du Robert, je parie? Ah, celui-là... Bon, je

vous laisse, mademoiselle Florence. A la revoyure, comme on dit dans le grand monde. »

Enfin! pensa Florence en reprenant le téléphone.La ligne était occupée. Elle attendit un moment,

recommença sans plus de succès. Elle appela la standardiste sur le circuit intérieur.

« Soyez gentille, Anna, rappelez-moi au poste dès que vous aurez une ligne libre.

— Entendu, Flo. »Comme le temps était long! Tout à coup Florence

vit arriver Robert.

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« Qu'est-ce que cette histoire, Flo? Vous avez dit à Camus que vous ne le trouviez pas tout à fait guéri et que vous voudriez le garder quelques jours de plus? »

Florence se mit à rire.« C'est lui qui vous a raconté ça? C'est vraiment

trop fort! Voyons, Robert, est-ce que j'irais contremander vos ordres et ceux de M. Martel?

— Je me disais bien... fit Robert. C'est qu'il vient de me faire un de ces cirques! Il affirme que vous n'osez pas me le dire, mais qu'à votre avis il aurait besoin de quelques jours de plus.

— Jusqu'à lundi, par exemple?— Pourquoi lundi?— Parce qu'il n'y a pas de sorties le dimanche. Il

est inouï, ce Camus! Combien de temps lui donnez-vous pour nous revenir?

— Trois mois, je suppose. C'est généralement le temps qu'il faut pour que son ulcère recommence à faire des siennes.

— C'est ce que je pensais », dit Florence.Le jeune interne s'éloigna. Un instant plus tard

Sandrine, l'aide-soignante, entra au poste.« J'aimerais bien que vous veniez, Florence. Le 12

est repris de vomissements. Je lui ai fait sucer un peu de glace, mais ça continue.

— Je viens », dit Florence.Elle jeta un regard désolé vers le téléphone. La

communication tant espérée ne serait pas pour aujourd'hui.

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VIII

LE LENDEMAIN MATIN, à la visite, Robert raconta au patron la tentative de Camus pour rester à l'hôpital quelques jours de plus. M. Martel trouva la chose très amusante.

« II est incroyable, cet homme! En somme, il a tous les défauts : paresseux, menteur, voleur peut-être à l'occasion. Et malgré tout, il est plutôt sympathique... J'espère que vous n'avez pas cédé : il sort ce matin?

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— Cet après-midi, répondit Florence. Il m'a déclaré que ça ferait au moins un repas dont il n'aurait pas à se préoccuper.

— Cela en fera au moins un qui ne sera pas trop copieusement arrosé! » ajouta Mme Benoit.

L'équipe médicale fit le tour des chambres. Robert signala au patron que le 12 avait encore eu des vomissements.

« J'ai fait faire les examens, pour être sûr.— Vous pensez que ce pourrait être...?— Dame, ça y ressemble fameusement... » Le

patron poussa un soupir.« La série des empoisonnements semblait bien

finie. Mais vous avez eu raison, Robert : mieux vaut être trop prudent que pas assez. »

Un peu plus tard, au poste de garde, M. Martel raconta qu'il avait eu la visite du propriétaire de L'Etoile Mauve.

« Nous avons parlé assez longtemps; il m'a fait des offres de service qui m'ont paru intéressantes. Je ne puis qu'approuver son plan d'améliorer, en se contentant de petits bénéfices, le niveau de vie des Rouvillais.

— En somme, demanda Robert, il vous a fait plutôt bonne impression?

— Plutôt, oui. Mais naturellement il ne faut pas se fier aux apparences. Je l'ai présenté à Dan-vert qui, en tant qu'économe de l'hôpital, est plus qualifié que moi pour prendre une décision. Dan-vert a été assez impressionné par les prix que propose L'Etoile Mauve...

— Au point d'abandonner d'anciens fournisseurs

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dont il est content? interrogea le jeune interne.— C'est ce qui le fait hésiter. Peut-être, devant les

offres de Carval, les autres baisseront-ils aussi leurs prix?»

Florence écoutait la conversation sans y prendre parti. Elle pensait davantage au lendemain samedi et à la réussite de son plan. De ce côté, tout semblait s'arranger pour le mieux. A la cantine, pendant le déjeuner, elle parla à Caroline du livre de biologie qu'elle avait promis de lui prêter.

« Je te le passerai ce soir; n'oublie pas de me le rappeler.

— Tu l'as fini? demanda Caroline.— Oui, hier; c'est vraiment très bien.— Pas trop difficile? Tu sais que mes connaissances

scientifiques...— Elles valent les miennes! Mais ce livre-là est

facile à lire, tu verras.— Tu es sûre de ne plus en avoir besoin?— Si je voulais le consulter, je te le redemanderais,

c'est bien simple. »Caroline ne se doutait pas que Florence comptait lui

redemander son livre dès le lendemain. Mais le plan était prêt : il n'y avait plus qu'à attendre.

Après le déjeuner, Florence retourna dans la salle de pansements et plaça dans l'étuve les divers instruments dont elle s'était servie le matin. Elle regagnait le poste de garde quand elle vit arriver Sandrine.

« Un nouveau malade, Flo. Je l'ai mis au 9; j'ai bien fait, je pense?

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— Très bien. Est-ce que Robert l'a vu?— Pas encore. Je viens de l'appeler, mais il n'est pas

là. C'est M. Crépin qui va venir.— Est-ce qu'il souffre, cet homme? Je vais le voir

immédiatement.— Oui, dit Sandrine, venez vite. C'est curieux, on

dirait que c'est encore un empoisonnement. Tout à fait les mêmes symptômes que la dernière fois. Les mêmes aussi que le malade d'hier.

— Le 12?— Oui, exactement.— Quel âge a-t-il, celui-ci?— C'est un tout jeune, un mécanicien. Le

patron du garage l'a amené lui-même. Il paraît que ça l'a pris d'un coup, pendant le travail.

— Il est encore là, le patron?— Non : il a été obligé de repartir aussitôt. » Tout

en parlant, Florence se dirigeait vers la chambre 9. Le malade ne vomissait plus; pour le moment il était immobile et prostré. Elle prit sa température : 39° 5.

Quelques instants plus tard, le docteur Crépin arrivait. Le jeune homme ouvrit les yeux; Crépin en profita pour l'interroger.

« Vous ne voyez pas ce qui a pu provoquer cela? Tâchez de vous souvenir, cela nous aidera. Qu'avez-vous mangé à midi?

— Rien : je n'avais pas faim. Ce matin j'ai pris du café au lait, mais je n'ai pas pu avaler le pain et le beurre.

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— Et hier?— Hier... attendez... Il y avait de la soupe, des

œufs brouillés...— Vous êtes sûr que les œufs étaient frais?— Du jour! A la maison on n'achète jamais

d'œufs; ma mère élève des poules.— Et à midi? »Le malade fit un effort pour se concentrer.« A midi... Ah, je me rappelle. On avait beaucoup

de travail au garage, alors je ne suis pas rentré, j'ai mangé sur place, du pain avec du pâté.

— D'où venait-il, ce pâté?— Je n'en sais rien, c'est ma mère qui m'en avait

donné une boîte. »Presque malgré elle, Florence intervint :« Est-ce que votre mère fait ses achats à L'Etoile

Mauve? »II eut un geste d'ignorance. Puis les nausées

reprirent. Dès que le malade fut calmé, Florence demanda au médecin :

« Le traitement sulfamide? »II inclina la tête.« Ça nous a réussi la dernière fois. Et j'ai bien

l'impression qu'il s'agit de la même chose. Nous faisons les analyses, Florence, naturellement. »

Ils sortirent ensemble de la chambre.« Dites-moi, Florence, interrogea Crépin, pourquoi

avez-vous parlé de L'Etoile Mauve? Avez-vous des raisons de vous en méfier? ou est-ce simplement Mme de la Pacaudière qui finit par vous influencer?

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— Je ne sais pas... j'ai dit cela sans y penser... La dernière fois, nous avions remarqué que tous les malades venaient des quartiers pauvres, en particulier de Saint-Louis où presque tout le monde se sert à L'Etoile Mauve, à cause de la proximité du magasin et des prix pratiqués.

— Je sais bien. Mais vous connaissez Saint-Louis et les conditions d'hygiène dans lesquelles vivent la plupart des habitants. Ces conditions suffisent à les rendre plus vulnérables que les autres.

— Vous avez certainement raison, Paul. » Cependant, sans savoir pourquoi, Florence

éprouvait une vague sensation de malaise. Elle n'avait rien contre L'Etoile Mauve; si le propriétaire ne lui plaisait pas, ce n'était pas une raison pour incriminer son entreprise. Là-bas dans le magasin, tout lui avait paru très propre et bien ordonné. Le pâté que lui avait offert M. Carval était délicieux et n'avait fait de mal à personne... Subissait-elle l'influence de Mme de la" Pacaudière, comme Paul Crépin venait de le lui dire en riant?

Elle exécuta la prescription du médecin et eut la satisfaction de voir le malade s'endormir paisiblement. Si le cas était semblable aux précédents, la fièvre remonterait légèrement le soir : c'est ce qui s'était passé la veille pour le 12. En mettant les choses au mieux, il lui faudrait plusieurs jours pour se rétablir.

Mais tous ces cas avaient-ils réellement la même origine? Cela, personne n'en savait rien.

Robert, qui reprit son service dans l'après-midi, approuva les décisions du docteur Crépin.

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« C'est un type qui connaît bien son affaire », déclara-t-il.

Florence en fut heureuse : le docteur Crépin n'était-il pas le mari de son amie Colette? Bien sûr, il ne valait pas Gilles Martin — qui, au monde, valait Gilles Martin? La jeune fille fut un instant songeuse : quand seraient-ils réunis pour de bon? Elle poussa un soupir. Mais quand l'espoir est là, même l'attente peut devenir une joie.

Le soir, elle regagna sa chambre de bonne heure. Elle n'avait pas envie de bavarder avec les autres : son esprit était trop plein des projets du lendemain. Elle redemanderait le livre de biologie à Caroline le matin; celle-ci viendrait le lui rapporter après le déjeuner. Il faudrait faire traîner l'entretien pour être sûre qu'elle soit encore là quand Colette et son frère arriveraient.

Le matin, elle venait de monter au poste de garde quand le téléphone sonna.

« C'est pour vous, Flo », dit la standardiste.Florence fronça les sourcils. Elle n'aimait pas qu'on

la dérangeât aux heures de service. A moins qu'un événement important... Gilles, peut-être?

Ce n'était pas Gilles, mais Colette.« Excuse-moi, mais il fallait que je te prévienne.

Ma pauvre Flo, tout est dans le lac!— Pas possible! Mais pourquoi?— Max est venu dîner hier soir à la maison. Il

vient souvent : il supporte mal la solitude. Avant le dîner, nous avons causé tous les deux : la visite

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d'aujourd'hui était bien décidée, il avait l'air d'en être très heureux. Et puis Paul est rentré; comme d'habitude, je lui ai demandé ce qui s'était passé de neuf à l'hôpital. Il a parlé de l'arrivée d'un nouveau malade, présentant des signes d'empoisonnement. Comme il en était déjà entré un la veille, a-t-il ajouté, on commençait à se demander ce que cela signifiait; on attendait les résultats du laboratoire pour savoir s'il s'agissait du même phénomène que la dernière fois. Max ne disait rien, mais je le voyais blêmir. Après le dîner, il m'a dit : « Tu comprends bien, Coco, « qu'avec ce qui se passe, il ne peut pas être « question d'aller demain à Rouville. »

— Tu ne lui as pas demandé pourquoi?— Nous avons bien compris qu'il craignait la

contagion. Paul s'est moqué de lui; il lui a expliqué que les empoisonnements ne se transmettaient pas d'une personne à l'autre. Que dans ton service il n'y avait jamais de contagieux.

— Et qu'a répondu ton frère?— Que c'était très joli, tout ça, mais que la dernière

fois le mal s'était bel et bien propagé comme une véritable épidémie. Que le virus s'était répandu dans l'hôpital, qu'un hôpital pouvait devenir un réservoir de microbes...

— Mais c'est ridicule! Paul n'est pas arrivé à le convaincre?

— Tu connais Max : quand il a une idée dans la tête... Tu te rappelles, l'été dernier 1... »

1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

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Le souvenir fit sourire Florence. Mais cet obstacle imprévu à leur plan la contrariait.

« II veut attendre, poursuivit Colette, voir comment la chose va tourner. Samedi prochain, peut-être, s'il n'y a pas d'empoisonnement d'ici là. « De « toute façon, a-t-il conclu, cette visite n'est pas urgente, nous avons le temps de voir venir. J'ai eu beau lui répéter que tu nous attendais aujourd'hui... Préviens-la, Coco, a-t-il dit, fais-lui toutes mes excuses. Je lui enverrai des fleurs. Tu peux « lui raconter que j'ai un travail urgent à finir... » Je suis désolée, Flo.

— Inutile de te dire que je le suis aussi. Consolons-nous en pensant que ce n'est que partie remise.

— Il ne faudrait pas que Caroline découvre un parti d'ici là.

— Ou que Maximilien rencontre l'âme sœur...— Je crois qu'il n'y a rien à craindre, fit Colette en

riant. Ces deux-là ont besoin de nous pour arranger leurs affaires! »

Florence venait à peine de raccrocher quand le téléphone sonna de nouveau. Elle le prit avec un geste d'impatience. C'était le docteur Dupuy, un des praticiens de Rouville.

« Mademoiselle Florence? Je vous envoie une malade, une intoxication. J'ai fait un lavage d'estomac sans résultat : l'empoisonnement doit remonter à 24 ou 48 heures. Botulisme ou salmonellose? Vous êtes mieux équipés que moi pour le savoir. De toute façon, je ne peux pas la laisser chez elle.

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— C'est une personne de quel âge?— La soixantaine bien sonnée; j'ai l'impression que

le cœur a tendance à flancher. Je lui ai donné de la trinitrine.

— Vous voulez que j'envoie l'ambulance?— Inutile : j'ai appelé celle du garage. Je pense

qu'elle sera chez vous dans dix minutes.— Très bien, docteur. »Florence annonça l'arrivée à Robert. L'interne

bougonna : il commençait à en avoir assez, de soigner toujours la même chose!

Cependant, cette fois, l'âge et l'état cardiaque de la malade posaient des problèmes nouveaux. Il fallait prendre des précautions particulières, réduire les doses de sulfamides, surveiller de près toutes les réactions.

La matinée s'acheva sans encombre. Mais, à trois heures, Florence vit arriver Mme Benoit.

« Florence, on nous annonce une urgence. J'ai envoyé l'ambulance immédiatement.

— On ne vous a pas dit de quoi il s'agissait?— Rien de précis : j'ai compris seulement que la

famille était affolée. »Le nouveau malade présentait les mêmes

symptômes que les premiers. Dans la soirée, il y en eut encore deux autres. Au service des enfants, Clotilde en avait également reçu deux.

Tout recommençait comme la première fois.

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IX

FLORENCE avait projeté de passer la journée du dimanche avec Gilles Martin. Elle dut lui téléphoner que ce ne serait pas possible, d'autres malades étaient arrivés pendant la nuit : on ne savait où donner de la tête.

« Toujours la même chose, Flo?— Toujours.— C'est curieux... » murmura le jeune homme.

Dans la journée, on amena deux autres cas.Il fallut ajouter des lits dans les chambres. Les

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médecins connaissaient maintenant le microbe

responsable, ce qui rendait le traitement plus facile. Mais comment ce microbe s'introduisait-il dans la population de Rouville? Sur ce point on n'en savait pas plus qu'au premier jour.

Les recherches se tournèrent d'abord du côté des aliments. Médecins et infirmières interrogeaient les malades et leurs familles. Le microbe agissant lentement — quarante-huit heures au minimum — la plupart ne se rappelaient même pas ce qu'ils avaient mangé. Beaucoup d'entre eux déjeunaient à la cantine de leur lieu de travail, usine ou atelier; cependant, là aussi, on remarquait que dans une même entreprise, certains étaient atteints, d'autres non. Il en était de même dans les foyers. Le docteur Martel expliquait que la tolérance aux poisons différait d'un individu à l'autre.

Il alerta de nouveau le maire. Celui-ci fit examiner une fois de plus les conduites d'eau et ordonna des prélèvements dans les quartiers de Rouville qui semblaient les plus touchés.

Car cette fois, fait nouveau, Saint-Louis n'était pas le seul atteint. Les malades venaient également des quartiers résidentiels de la ville. Une des dernières arrivées, Mme Béthune, habitait la plus belle avenue de l'endroit. Alors?

Florence sortait d'une des chambres en compagnie du patron quand ils aperçurent M. Carval qui venait à leur rencontre. M. Martel se souvint tout à coup qu'il lui

Les malades venaient également des quartiers résidentiels de la ville.

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avait promis de l'appeler. Il lui tendit la main.« Je n'ai pas eu le temps de m'occuper de notre

affaire, lui dit-il. Nous sommes surchargés par une série d'empoisonnements dont nous ne voyons pas la fin.

— D'empoisonnements! répéta Carval avec surprise. Est-ce que ce sont des cas très graves?

— Très graves, non, puisque jusqu'ici tous nos malades s'en sont tirés. Mais inquiétants, malgré tout.

— Vous avez pensé à l'eau? au lait?— De ce côté tout le nécessaire a été fait. Si vous

avez une idée... »Carval haussa les épaules en signe d'impuissance.« Pour en revenir à vous, dit M. Martel, l'économe

serait assez d'accord en principe, mais il demande à réfléchir un peu.

— Je ne suis pas pressé, répondit Carval. Les affaires marchent, la clientèle augmente de jour en jour. Maintenant, on vient même de loin s'approvisionner à L'Etoile Mauve.

— C'est un grand avantage que de pouvoir tout trouver dans le même magasin.

— Surtout avec nos prix, n'est-ce pas?— En effet, répondit M. Martel. Mais excusez-

moi, je vous prie : nous avons beaucoup à faire. »Le patron s'esquiva. Carval rattrapa Florence qui

s'éloignait vers le poste de garde.« Mademoiselle Florence, vous êtes très occupée

aussi, je suppose? Je tenais seulement à vous remercier : l'accueil que j'ai reçu à l'hôpital vous

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est certainement dû en partie. Me feriez-vous le plaisir de dîner avec moi un de ces soirs?

— Je regrette, monsieur, dit Florence, mon travail ne me laisse guère le temps de sortir.

— En ce moment, je le comprends, mais plus tard, peut-être...

— Excusez-moi, mais je sors très rarement le soir.»

Carval esquissa un geste désolé. Florence le-trouvait de moins en moins sympathique. Il lui arrivait parfois de dîner en ville, mais l'idée de sortir avec cet homme lui était franchement désagréable.

Tout à coup, une phrase de Carval lui revint à l'esprit. Il venait de dire qu'à présent on venait même de loin s'approvisionner chez lui. En ce cas, pourquoi ces intoxications, qui semblaient maintenant se produire dans tous les quartiers de la ville, n'auraient-elles pas leur origine à L'Etoile Mauve?

Carval vendait-il des produits de mauvaise qualité? Florence se rappelait la façon dont il lui avait littéralement arraché des mains la première boîte de conserves qu'elle avait choisie. Si cette boîte était douteuse, il pouvait craindre qu'elle, en tant qu'infirmière, ne s'en aperçût.

Cela paraissait incroyable, et pourtant...Elle avait envie de confier ses soupçons à

quelqu'un. Robert, bien sûr, prendrait la chose en plaisantant. Mais Mme Benoit? Ou le docteur Crépin, peut-être? Oui, Paul Crépin l'écouterait certainement.

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Mais peut-on accuser ainsi sans preuve? Il fallait se renseigner davantage, parler aux malades, arriver à savoir si tous avaient fait des achats à L'Etoile Mauve. Robert s'inquiétait toujours de ce qu'ils avaient mangé, mais ne leur avait encore jamais demandé où ils faisaient leurs courses comme elle aurait voulu le faire.

Le soir du troisième jour, une voiture de la gendarmerie amena Camus. Il avait été pris de nausées dans un café où il allait boire son vin blanc traditionnel. Le patron du café avait alerté les gendarmes.

Ceux-ci avaient vainement tenté de découvrir la cause de l'intoxication. Le cafetier affirmait que Camus ne venait chez lui que pour boire; comment il s'alimentait dans l'intervalle, cela, personne n'en savait rien.

Le clochard semblait moins abattu que les autres malades. Entre deux nausées, il bougonnait, à son habitude :

« Vous voyez, mademoiselle Florence, que j'avais raison de vous dire que je n'étais pas guéri! Vous vous êtes trop pressés de me mettre à la porte!

— Ce n'est pas votre ulcère qui vous fait souffrir maintenant, Camus. Vous avez mangé quelque chose qui ne vous convenait pas. Pouvez-vous me dire ce que vous avez pris hier et avant-hier?

— Comme si je me souvenais! Des saletés, bien sûr. J'ai pas de quoi me payer des ortolans, moi, comme certaines personnes que je connais.

— Je peux vous affirmer que je ne suis pas

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du nombre, répliqua Florence. Mais tâchez de vous souvenir : ces « saletés », étaient-ce de la viande, du poisson, du fromage?

— Un peu de tout. Chez Mme de la Pacaudière, l'Espagnole m'a refilé une tartine.

— Une tartine de quoi?— Dites donc, je ne suis pas cuisinier. Un reste, bien

sûr; je ne mange jamais autre chose. Vous savez pas ce que c'est que d'être un pauvre bougre, sans travail...

— Du travail, M. Martel vous en avait trouvé; vous n'en avez pas voulu.

— Pour bêcher la terre, merci bien! Avec la maladie que j'ai, j'aurais passé l'arme à gauche avant huit jours! »

L'arrivée de l'interne interrompit les doléances de Camus; il se rejeta sur ses oreillers et commença à gémir. Robert l'examina comme les autres.

« Je crois que ce ne sera pas très sérieux, déclara-t-il. Mais il ne faut pas oublier son ulcère. Faites-lui le traitement habituel, mais léger, très léger. »

Camus se redressa et ouvrit les yeux.« Pourquoi léger? Alors j'ai pas le droit, moi, d'être

soigné comme tout le monde? C'est pas juste! Toujours la même chose! Je voudrais bien savoir pourquoi...

— Parce que tu as un ulcère, et qu'il ne faut pas l'irriter. De toute façon, ne t'inquiète pas, tu es solide comme un roc.

— Solide? moi! Ecoutez, docteur... »Robert n'avait pas de temps à perdre. Il s'éloigna

rapidement. Florence resta seule avec le clochard.

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« Qu'est-ce qu'on va me faire, mademoiselle Florence? Ça fait pas mal, au moins?

— Il y a quelques piqûres. Mais vous savez bien que ce n'est pas terrible.

— Pas terrible! On voit bien que vous êtes du bon côté de la seringue! »

Florence avait la main très douce et le malade ne sentit même pas l'injection. En retirant l'aiguille, elle lui demanda à brûle-pourpoint :

« Camus, achetez-vous quelquefois des conserves à L'Etoile Mauve?

— Qu'est-ce que ça peut bien vous faire? répondit-il d'un air soupçonneux.

— Il se trouve que ça m'intéresse.

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— Ah, ah! Je vois ça : vous vous intéressez au patron! C'est un bel homme, ma foi; moi, si j'étais une fille...

— Ne dites pas de bêtises, Camus, et répondez-moi. Avez-vous acheté des conserves à L'Etoile Mauve, oui ou non?

— J'achète jamais rien! Avec quel argent j'achèterais quelque chose? »

Florence comprit qu'elle n'en tirerait rien. Il était possible que Camus eût été tenté par le bas prix de certains produits. Mais il n'avouerait jamais qu'il savait s'arranger pour s'offrir quelques gâteries, — plus particulièrement, il est vrai, du côté des liquides.

Dans l'après-midi, elle interrogea Mme Béthune, qui commençait à se sentir mieux.

« Eh bien, dit celle-ci, je crois que je l'ai échappé belle! Je me demande ce qui a bien pu me rendre aussi malade!

— Dites-moi, madame, vous arrive-t-il d'acheter des conserves?

— Comme tout le monde naturellement. Mais mon empoisonnement ne peut pas provenir de là : je vérifie toujours la date limite d'utilisation.

— Et où vous servez-vous?— Depuis que L'Etoile Mauve a ouvert, c'est là que

je me sers toujours: Ça me fait faire de belles économies. J'y envoie mon employée deux fois par semaine. C'est un peu loin, mais elle y va à bicyclette. »

Florence se souvint que Mme Béthune, malgré

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sa fortune, avait la réputation d'être, comme on disait dans le pays, « près de ses sous ». Sans doute n'était-elle pas la seule qu'avaient pu attirer, dans la région, les bas prix du nouveau magasin.

De plus en plus, Florence se persuadait que L'Etoile Mauve n'était pas étrangère aux deux séries d'empoisonnements constatées à Rouville. Personne d'autre n'y songeait : le patron faisait confiance à Carval; le maire, lui, pensait toujours à l'eau : si les riches étaient généralement moins touchés, c'était peut-être, disait-il, parce qu'ils buvaient de l'eau minérale?

La jeune infirmière était plongée dans ses réflexions quand Gilles Martin l'appela de Paris.

« Je ne t'ai pas téléphoné depuis plusieurs jours, Flo, j'ai pensé que tu avais trop à faire. Ça s'arrange un peu, ces empoisonnements?

— Nous n'avons eu qu'un entrant ce matin; cela va peut-être se calmer.

— Et on ignore toujours la cause?— Toujours. Mais justement, Gilles, à ce propos,

je voudrais te demander ton avis. Tu me diras si ce que je pense te semble raisonnable. »

Elle lui fit part de ses soupçons. Gilles ne semblait pas convaincu.

« Ma petite Flo, d'après ce qu'on dit à Rouville, le magasin serait très bien tenu. Depuis combien de temps existe-t-il?

— Deux mois à peu près.— Alors, on ne peut pas le soupçonner d'écouler de

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vieux stocks. Et puis tous les produits péris-sables portent une date. Je crois que tu te fais des

idées, Flo. Le propriétaire ne t'est pas sympathique et tu es portée à le soupçonner.

— Tu crois donc qu'il vaut mieux ne rien dire?— Pour le moment, oui. Les fabricants français

sont très surveillés; les produits étrangers n'entrent chez nous qu'après un sérieux contrôle. N'y pense plus, Flo. Vous avez eu des malades parmi les personnes que je connais?

— Oui : notre fameux Camus.— Empoisonné, lui aussi? Et on ne voit pas

comment? A moins que l'eau ne soit responsable-Camus doit boire à la fontaine publique.

— De l'eau, Camus! tu n'y penses pas! Sauf à l'hôpital, je suis sûre qu'il n'en touche jamais une goutte!»

Gilles se mit à rire et promit sa visite pour le vendredi suivant. Florence n'était pas de garde et ils pourraient passer un grand moment ensemble.

Florence raccrocha et reprit son travail, soulagée. Gilles avait certainement raison : elle se laissait trop influencer par ses sentiments. Carval lui déplaisait : ce n'était pas une raison pour l'accuser sans preuves.

Une heure plus tard, le téléphone sonna.« Mademoiselle Florence? dit une voix éplorée. Ah,

je suis bien contente... C'est Paquita.— Paquita?— Oui, l'employée de Mme de la Pacaudière.

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Madame elle va pas bien, pas bien du tout.— C'est vrai que je ne l'ai pas vue depuis plusieurs

jours. Qu'est-ce qu'elle a?— Elle vomit, et puis elle a de la fièvre.— Un empoisonnement, encore! Qu'a-t-elle

mangé, Paquita?— Ce matin, rien, elle avait trop mal. Hier, des

soles; elles étaient bien fraîches, le poissonnier venait de les recevoir. Avant-hier, du chou farci.

— Bon, je vous envoie l'ambulance et je fais préparer un lit. »

En allant prévenir Sandrine, Florence se dit une fois de plus que Gilles avait raison! Elle se faisait des idées. Car on pouvait être bien sûr que Mme de la Pacaudière, elle, n'était pas cliente de L'Etoile Mauve !

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X

LE SOIR de son entrée, Mme de la Pacaudière donna quelques inquiétudes. Elle était très forte, facilement essoufflée, et M. Martel craignait qu'un traitement trop énergique ne lui fatiguât le cœur. Cependant, dès le lendemain, elle prit le dessus; les nausées avaient cessé; se sentant mieux, elle appela Florence.

« Je suis contente d'être dans votre service, mon petit, lui dit-elle. Nous nous sommes toujours bien-

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entendues, toutes les deux, n'est-ce pas? Vous allez m'aider à me tirer de là... Vraiment je me demande ce qui a bien pu me rendre aussi malade. »

Comme aux autres malades, Florence lui demanda ce qu'elle avait mangé.

« Hier, rien : j'étais déjà bien mal en point. Avant-hier, des soles, et mardi, un chou, farci avec un reste de rôti de la veille. Certaines personnes se méfient du chou, moi je l'ai toujours bien toléré. Il suffit de l'ébouillanter deux fois pour le rendre parfaitement digeste.

— De toute façon, le chou, même s'il est un peu lourd, ne vous aurait pas empoisonnée.

— C'est donc vraiment de poison qu'il s'agit? » Florence inclina la tête.

« Vous avez évidemment été victime de la même intoxication qu'un certain nombre d'habitants de Rouville.

— C'est incroyable! Et on n'a pas la moindre idée de son origine?

— Aucune. On a d'abord pensé au lait, qui a été mis hors de cause. M. Groult fait revoir les canalisations d'eau. »

Mme de la Pacaudière haussa les épaules. « Si c'était ça, mon petit, tout le monde serait malade, et pas seulement quelques personnes.

— M. Martel dit que celles qui boivent de l'eau minérale ont pu être épargnées.

— Sottises, tout cela! On ne se sert pas d'eau seulement pour boire, mais pour la toilette. Pour se laver les dents, par exemple. Je parie qu'aucun

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d'entre eux n'a pensé à ça. Les hommes n'ont pas de tête, je l'ai toujours dit, ma petite Florence.

— Ils y ont bien pensé, madame, mais ne voyant pas d'autre cause possible... »

Mme de la Pacaudière réfléchit un instant.« Vous ne savez pas ce que je pense, moi? Un

magasin comme cette Etoile Mauve serait capable de polluer toute une ville. »

Florence tressaillit.« Mais, madame, vous ne vous servez pas chez eux,

n'est-ce pas?— Moi? jamais! J'aimerais mieux mourir! Mais un

bâtiment comme celui-là, avec son toit en plastique, ses couleurs certainement nocives, est un danger public. S'il faut tout vous avouer, ma petite Florence, je l'ai regardé assez longuement dimanche soir. Et deux jours après, j'ai commencé à avoir mal au cœur. Sandrine m'a dit que chez tous les malades les troubles survenaient après quarante-huit heures. C'est une drôle de coïncidence, vous ne trouvez pas? »

Florence sourit.« Jusqu'ici, on n'a jamais constaté

d'empoisonnements provoqués par la vue.— Parce qu'une chose n'est jamais arrivée, ça ne

veut pas dire qu'elle n'arrivera jamais. Je vous assure que ce violet, ce jaune, avec cette énorme étoile au milieu... Dites, je pourrai bientôt sortir d'ici?

— Vous avez donc bien hâte de nous quitter? Je crevais que vous n'aimiez plus rester chez vous.

— Ce n'est pas à moi que je pense, c'est à mes

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petits du second, chez Clotilde. J'avais installé mon théâtre de marionnettes; je voulais justement venir aujourd'hui leur expliquer comment s'y prendre. J'en serais encore bien incapable : mes jambes sont comme du coton... »

Florence s'éloigna. Les idées de Mme de la Pacaudière la faisaient sourire. Mais se laisser influencer par ses sentiments envers Carval, n'était-ce pas aussi ridicule que d'accuser les couleurs de L'Etoile Mauve?

Avant le dîner, Colette téléphona.« Je ne te dérange pas trop? Il faut que je te raconte,

c'est trop drôle. Ce matin je suis passée chez Max. Quand je lui ai dit que vous aviez reçu de nouveaux cas d'empoisonnement, il s'est laissé tomber sur une chaise. « Une épidémie... c'est une « épidémie »... répétait-il.

— Tu ne lui as pas expliqué que l'empoisonnement n'était pas une maladie infectieuse? demanda Florence.

— J'ai expliqué tout ce que j'ai pu, comme tu penses. Il n'a rien écouté; il a seulement murmuré : « Pourvu que ça ne vienne pas jusqu'ici, « moi qui suis si fragile... » Puis il a pensé qu'avec mon mari à l'hôpital, j'étais particulièrement exposée. Il m'a recommandé de lui faire se laver les mains — comme si Paul ne le faisait pas toujours! Et puis il m'a dit de ne pas aller te voir, car je risquais d'attraper le microbe! Quand je lui ai fait remarquer que toi, tu étais au contact des malades toute la journée, il a répondu : « Oui, «

Coco, mais elle, c'est une infirmière! »

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— Il pense peut-être que les infirmières ne sont pas exposées à la contagion?

— Attends, ce n'est pas le plus beau! Je lui ai dit que je n'irais sûrement pas te voir, parce que tu étais trop occupée, mais que je te téléphonerais. Alors, il m'a suppliée : « Fais bien attention, « surtout! » comme si une maladie pouvait s'attraper par téléphone...

— Ton frère a vraiment besoin qu'on s'occupe de lui! dit Florence.

— En attendant, notre beau projet est renvoyé aux calendes grecques. Si nous attendons trop, il risque d'arriver quelque chose.

— Quelque chose? c'est-à-dire? Ce n'est pas en ce moment, surchargée de besogne comme elle l'est, que Caroline pourra reprendre sa chasse au mari!

— On ne sait pas ce qui peut arriver : un des intoxiqués, peut-être... Et ce serait vraiment dommage; plus j'y pense, plus je suis persuadée que Caroline est la femme qu'il faut à Max. »

Toutes deux se mirent à rire et Colette raccrocha. Le lendemain, Florence préparait les doses de sulfamides qu'on administrait aux malades, quand Sandrine vint l'appeler.

« II se passe quelque chose... Je voudrais que vous interveniez, Florence. Moi j'ai essayé, mais je n'arrive à rien. »

Le « quelque chose » se déroulait devant la porte de Mme de la Pacaudière. Le battant était grand ouvert; Camus, en pyjama d'hôpital, les

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deux bras appuyés au chambranle, passait la tête à l'intérieur.

Dans son lit, la malade faisait de grands gestes.« Que venez-vous faire ici? Qui êtes-vous? Voulez-

vous vous en aller! criait-elle.— Pourquoi que je m'en irais? répondait

Camus très calme. Quel mal je vous fais? Je vous regarde, j'ai bien le droit. Dans mon pays, on dit qu'un chien peut regarder un évêque!

— Allez-vous-en! répétait Mme de la Pacaudière en agitant les bras.

— Vous en avez, du beau linge! fit le clochard avec admiration. De la dentelle, ma parole! C'est peut-être pas tout à fait de votre âge... mais quand on est riche on peut tout se permettre — pas vrai? »

Florence intervint avec autorité.« Voulez-vous retourner dans votre chambre,

Camus? Vous n'avez rien à faire ici. Vous allez prendre froid dans le couloir. Vous êtes malade; il faut rester au lit.

— Dans mon lit, je m'embête. Pourquoi je resterais couché puisque je peux me tenir sur mes jambes?

— Si vous êtes guéri, je vous fais sortir de l'hôpital immédiatement! »

Comme Camus ne semblait pas disposé à obéir, Florence lui prit le bras et essaya de l'entraîner de force. Mais il était vigoureux; elle n'arrivait pas même à lui faire lâcher prise. Sandrine, dans le couloir, les regardait.

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« Sandrine, dit Florence, voulez-vous aller chercher l'infirmier? »

L'aide-soignante allait s'éloigner quand Camus, comme par miracle, lâcha tout et fit un bond en arrière.

« Hé là, pas de blagues, la petite! Plus souvent que j'aurais affaire à cette brute! Une fois déjà, il a failli m'assassiner. Je suis malade, mademoiselle Florence, faut pas l'oublier!

— Puisque vous êtes malade — au lit! et tout de suite! »

Quand Florence parlait sur ce ton, les plus récalcitrants sentaient qu'il fallait obéir.

« Bon, bon, dit Camus, j'y vais — mais c'est bien pour vous faire plaisir! »

II s'approcha d'elle et, à mi-voix :« Pour me remercier, vous me donnerez bien un

petit bout de cigarette? »Florence haussa les épaules et referma la porte.

Avant de s'éloigner, il lui donna son avis sur Mme de la Pacaudière :

« Au fond, c'est pas une mauvaise femme; elle a même plutôt l'air gentil... Mais pourquoi que je lui fais peur? On dirait qu'elle a jamais vu un homme! Ah, les riches! je les comprendrai jamais... »

Sans écouter la suite, Florence entra chez la malade. Elle la trouva encore très agitée.

« Qu'est-ce que cet individu, Florence? Déjà, il y a quelque temps, je l'ai rencontré dans le couloir et il a été d'une impolitesse... Maintenant, le

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voilà qui entre dans ma chambre et qui me dit : «Alors, la mémère, on a bobo? »

Florence se détourna pour dissimuler un sourire.« Vous ne connaissez pas Camus? C'est pourtant

une célébrité de Rouville! II est vrai qu'il ne traîne pas souvent de votre côté : il préfère le centre de la ville, où les mégots sont plus nombreux. Il fait un petit séjour à l'hôpital de temps en temps, pour son ulcère. Mais, actuellement, il a un empoisonnement, comme tout le monde.

— Comme moi? demanda Mme de la Pacaudière, scandalisée.

— Exactement.— Pourtant, moi, je ne cherche pas mon ordinaire

dans les poubelles! »L'émotion faisait remonter la température de la

malade. Florence la calma de son mieux, lui promit que personne ne ferait plus irruption dans sa chambre. Elle avait l'intention de faire morigéner Camus par Robert.

Il n'y eut pas de nouvelle entrée ce jour-là. « L'épidémie », pour parler comme Maximilien Abel, touchait à sa fin. La plupart des malades commençaient à se lever. De toute la matinée, le clochard n'avait pas reparu; Florence espérait que la semonce de Robert portait ses fruits. Mais vers midi, elle le surprit dans le couloir.

« Où allez-vous, Camus? »II désigna du doigt la porte de Mme de la

Pacaudière.« Je peux bien aller lui dire bonjour, non? Main-

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tenant qu'on se connaît, elle n'aura plus peur. Au fond, je l'aime bien, moi, la mémère. Elle a seulement besoin qu'on la dresse un peu.

— Je vous défends, moi, d'aller la voir. C'est bien entendu?

— Quelle histoire! Je n'ai pas la gale, tout de même!

— Le docteur ne vous a pas interdit de traîner dans les couloirs?

— Le Robert? Si, il est venu me parler hier. Mais je voyais bien que ce n'était pas sérieux : il avait tout le temps envie de rire. C'est un rigolo, celui-là! Moi je l'aime mieux que l'autre ; il se prend moins pour le pape...

— Si vous le voulez bien, Camus, nous parlerons une autre fois de vos opinions sur les médecins et les malades. Veuillez retourner dans votre chambre. »

Il cligna de l'œil, implorant : « Un tout petit bout de cigarette? » Puis, voyant que sa tentative était vaine, il s'éloigna.

L'heure des visites arriva. Une jeune femme très brune, aux cheveux frisés, aux yeux vifs, aborda Florence devant le poste de garde.

« Excusez-moi, madame l'infirmière : en bas on m'a dit que Mme de la Pacaudière elle est au premier, mais yo n'ai pas vien compris le numéro. __ Elle est au 11, au bout du couloir. Vous êtes peut-être Paquita? »

Le visage de la jeune femme s'éclaira.

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« La señora vous a parlé de moi? Comment elle va?— Beaucoup mieux. Elle sera sûrement très

contente de vous voir. »Paquita entra dans la chambre. Florence, restée

seule, reprit le cours habituel.de ses réflexions. D'où pouvaient provenir les empoisonnements? Depuis l'arrivée de Mme de la Pacaudière, peu suspecte de s'approvisionner à L'Etoile Mauve, la prévention de la jeune infirmière vis-à-vis du grand magasin aurait dû disparaître. Cependant, elle ne parvenait pas à s'en libérer complètement.

« Et si... » pensa-t-elle tout à coup.Elle guetta la sortie de Paquita. Dès que celle-ci

apparut dans le couloir, elle s'avança vers elle.« Pourrais-je vous dire un mot, Paquita?— A moi?... Si, bien sûr... » Florence la fit entrer

au poste de garde.« Ecoutez-moi, Paquita. Ce que vous allez me dire

est très, très important.— Important pour la señora?— Pour elle et pour tout l'hôpital. Vous me

comprenez ?— Yo comprends.— Dites-moi : où faites-vous vos provisions?— Dans la Grande Rue, il y a le boulanger, le

boucher, l'épicier...— Toujours au même endroit? Vous n'êtes

jamais allée ailleurs : à L'Etoile Mauve, par exemple? »

Paquita cilla; Florence vit qu'elle se troublait.

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« Dites-moi la vérité : c'est très sérieux. Vous y êtes allée? »

La jeune Espagnole baissa la tête.« Une fois seulement, une fois, yo le jure!— Quand cela, et dans quelles circonstances?— Vous le direz pas à la señora?— Je vous le promets.— C'était le mardi. Yo devais faire un chou farci

avec le reste du veau. Et puis, à la dernière minute, yo me suis aperçue qu'il y avait plus assez de veau. Y'ai pensé : ça va être mauvais, la señora elle sera pas contente...

— Alors vous êtes allée à L'Etoile Mauve?— C'est tout près, avoua Paquita. Y'avais le temps

d'y aller... Y'ai acheté une toute petite boîte de pâté pour ayouter dans ma farce. Yo l'ai payée avec mon argent, pour que la señora elle se doute de rien. Y'ai pris le moins cher, bien sûr...

— Et Mme de la Pacaudière ne s'est pas aperçue que la farce avait un goût différent?

— Non, elle a dit : « Paquita, votre farce elle « est très bonne! »

— Vous en avez mangé, vous aussi? » La jeune femme secoua la tête.

« Non, moi, y'avais trop honte! Y'ai donné le reste du pâté à un pauvre homme qu'il avait très faim.

— A Camus... murmura Florence. Je comprends...

— Yo loui ai donné aussi un verre de vin, parce que le pauvre il avait tellement soif...

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— Je comprends tout maintenant », répéta Florence à mi-voix.

Elle regarda Paquita en face. « Ce chou, demanda-t-elle, c'est bien mardi que Mme de la Pacaudière l'a mangé?

— Si, mardi. »Quarante-huit heures... c'était bien le temps voulu

pour que les premiers troubles fissent leur apparition... Florence s'aperçut que la jeune Espagnole la regardait avec inquiétude.

« Merci, Paquita. Maintenant je sais ce que je voulais savoir. Soyez tranquille, je ne dirai rien. Rentrez vite : Mme de la Pacaudière sera chez elle dans un jour ou deux. Elle aura sans doute un régime; il faudra y faire bien attention. Et ne faites pas vos achats n'importe où! » ajouta-t-elle presque malgré elle.

Restée seule, Florence se laissa tomber sur une des chaises du poste. Ainsi, ses soupçons n'étaient pas absurdes : le plus puissant des arguments qui pouvaient innocenter L'Etoile Mauve avait disparu. Mme de la Pacaudière, elle aussi, avait consommé un produit provenant du magasin qu'elle haïssait!

Florence attendit avec impatience la fin de l'après-midi, décrocha le téléphone et appela Gilles Martin.

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XI

« MA PAUVRE Flo, tu as l'air vraiment bouleversée!»

Comme Florence et Gilles avaient tous deux leur soirée libre, le jeune médecin était venu à Rouville. Il était monté, comme de coutume, chercher Florence dans le service où il avait de vieilles connaissances.

Maintenant ils étaient seuls devant l'hôpital, dans la lumière rosé du soleil couchant.

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« Tu comprends, Gilles, qu'en voyant arriver Mme de la Pacaudière malade, je me suis dit que je m'étais trompée, que L'Etoile Mauve, qu'elle fuyait comme la peste, ne pouvait être responsable des empoisonnements. Mais après avoir interrogé son employée...

— Il est bien naturel que cela t'ait troublée. Mais tout de même... Je ne vois pas comment un magasin tout neuf se trouverait en possession de marchandises avariées. Tout ce qui touche à l'alimentation est soumis en France à un contrôle sévère; les produits périssables portent une date limite d'utilisation. Une fois cette date passée, on les retire des étalages. Or seuls des produits vraiment gâtés sont capables de provoquer des intoxications comme celle-là.

— Mais, en ce cas les acheteurs devraient s'en apercevoir au goût.

— Pas forcément. On a vu des gens s'empoisonner en consommant des gâteaux à la crème qu'ils avaient trouvés délicieux... Est-ce que L'Etoile Mauve vend de la pâtisserie fraîche? »

Florence fit un signe négatif.« N'est-ce pas, Gilles, que tout cela est bien

mystérieux?Le jeune homme réfléchissait.« J'aimerais bien voir cette fameuse Etoile Mauve,

déclara-t-il. Quand j'étais à Rouville, elle n'existait pas encore. C'est un établissement très important?

— De beaucoup le plus grand de Rouville. C'est une construction très légère : à la voir on dirait

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un énorme jouet d'enfant en plastique. C'est pour cette raison, sans doute, qu'elle a pu être montée aussi rapidement. La pauvre Mme de la Pacaudière dit que seul le diable est capable de faire sortir du sol, en un rien de temps, un monstre pareil.

— C'est vraiment tellement laid?— Les matériaux sont de mauvaise qualité; les

couleurs sont criardes et jurent les unes avec les autres. Mais cela permet de voir le magasin de plus loin; les voitures de tourisme qui passent sur la route s'y arrêtent souvent. Si tu as envie de connaître L'Etoile Mauve, Gilles, le plus simple serait que nous allions un jour nous promener de ce côté-là.

— Pourquoi pas aujourd'hui? proposa le jeune homme.

— Il se fait tard, dit Florence, et je pense que tu as faim.

— C'est vrai, avoua le jeune homme. Ce matin, j'ai opéré avec le patron; nous avons fini à deux heures et je n'ai pas eu le temps de déjeuner.

— En ce cas, dînons d'abord; nous irons nous promener ensuite. La nuit est claire : tu auras au moins une idée des dimensions de L'Etoile Mauve. »

Ils se dirigèrent vers un petit restaurant où ils dînaient parfois, sûrs de pouvoir parler tranquillement loin des oreilles indiscrètes. Le patron, qui les connaissait, leur donna leur table favorite, tout au fond de la salle; la rivière coulait sous les fenêtres, faisant entendre son gazouillis; les

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nappes à carreaux, les pots de grès, parlaient de confort simple et de bonheur.

« Des truites? proposa le patron. Des vraies, pas d'élevage... »

Florence et Gilles se laissèrent tenter. La friture des truites demandait quelques minutes, mais elles étaient si bonnes-Pendant le dîner, ils oublièrent un peu L'Etoile Mauve et ses problèmes. Ils avaient tant de choses à se dire! Gilles parlait à Florence de sa carrière : une fois terminé son internat à Paris, se présenterait-il aux grands concours? Son maître le lui conseillait, lui promettant son appui. Florence l'y poussait vivement.

« Je tiens beaucoup à ton opinion, Flo. Je n'oublie pas que si je réussis ce sera grâce à toi. Sans toi, j'aurais probablement tout lâché 1.

— Tu as eu un moment de dépression; cela arrive à tout le monde.

— Pas à toi, Florence!— Moi je suis heureuse », dit-elle en lui souriant.Il l'interrogea sur la vie quotidienne de l'hôpital.

Elle lui parla de Mme de la Pacaudière, de Camus qu'il avait bien connu.

« II m'a joué un bien mauvais tour, celui-là! dit Gilles '. Mais je crois qu'il ne se rendait pas compte de l'importance de la chose : il croyait simplement faire une farce.

— Il est un peu piqué, mais ce n'est pas un méchant homme. »

1. Voir Salle des Urgences dans la même collection.

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Florence raconta l'irruption du clochard dans la chambre de Mme de la Pacaudière. Gilles rit de bon cœur.

« Pauvre femme! Elle n'a sans doute pas l'habitude de s'entendre appeler « la mémère »!

— Elle ne pouvait pas se douter que de la part de Camus c'était probablement un mot amical. »

Gille redevint sérieux.« Quoi qu'il en soit, j'espère que vous n'aurez plus

d'alerte de ce genre. Vous avez dû passer de bien mauvais moments.

— Ce n'est peut-être pas fini, Gilles. Ce qui s'est passé deux fois peut se renouveler une troisième. »

Ils finissaient leur dessert, une excellente salade de fruits.

« Tu veux du café, Flo?— Non : il doit être déjà tard; regarde, il fait noir.

Mon Dieu! neuf heures et demie! Il est peut-être trop tard pour aller jusqu'à L'Etoile Mauve.

— Nous ne sommes pas si pressés, dit Gilles. Mais il vaut mieux partir tout de suite. »

Florence avait raison : la nuit était tombée. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient une promenade au clair de lune. Mais ce soir le clair de lune était capricieux : à des moments lumineux succédait parfois une obscurité presque totale.

Ils se mirent en route gaiement. « Enfin, dit Gilles, je vais la voir, ton Etoile Mauve !

— Ne dis pas « mon » Etoile Mauve, je n'ai rien à voir avec ce magasin.

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— Sauf tes soupçons! »Ils sortirent de la ville et atteignirent la grande

route. Après avoir marché un moment, ils distinguèrent, sur leur gauche, deux toits pointus.

« C'est là? demanda Gilles. Moi, je trouve ça plutôt joli. »

Florence se mit à rire.« Tu as bien oublié Rouville! dit-elle. Ce que tu

vois, là, c'est la maison de Mme de la Pacaudière. L'Etoile Mauve est à droite, un peu plus loin... »

La nuit s'était assombrie. Mais bientôt une masse imposante se dessina dans l'obscurité.

« La voilà! » dit Florence.Ils s'arrêtèrent pour regarder le bâtiment de loin.« C'est moins laid la nuit, quand on ne voit pas les

couleurs, déclara la jeune infirmière.

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— Tu dis cela sur un ton! Tu deviens pire que Mme de la Pacaudière.

— Là tu pourrais dire « ta », car je l'aime bien, cette brave femme. »

Sur toute la façade de L'Etoile Mauve on ne voyait pas de lumière. Mais par-derrière le bâtiment on apercevait des lueurs qui se déplaçaient comme des torches allant et venant.

« Qu'est-ce que ça peut bien être? murmura Florence.

— Ils ont sans doute un gardien de nuit.— Alors pourquoi ne passe-t-il jamais par

devant? Il me semble que des cambrioleurs essaieraient plutôt d'entrer en cassant une des grandes vitres.

— Tu as sans doute raison. Je n'en sais rien : je n'ai jamais été cambrioleur. »

Comme ils étaient immobiles au bord de la route, un camion surgit, venant de la direction opposée. Ils se rangèrent sur le bas-côté.

« C'est drôle, remarqua Gilles, ce camion ralentit. Il va peut-être à L'Etoile Mauve. »

En effet, le véhicule stoppa; ses phares explorèrent la route un instant, puis s'éteignirent : le véhicule s'engagea dans le chemin de sable qui conduisait derrière le bâtiment.

« Ils vont faire une livraison, dit Gilles.— Est-il naturel de faire une livraison au milieu de

la nuit?

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— En général, non. Mais le camion a pu avoir du retard. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ait éteint ses phares au moment de bifurquer, là où il a quitté la grande route. Il doit bien connaître l'endroit.

— Oh, Gilles, s'exclama Florence, je voudrais trop savoir ce qui se passe. Rapprochons-nous, veux-tu? »

Ils enfilèrent le chemin de sable, en se dissimulant derrière les buissons. Le camion, lentement, approchait de L'Etoile Mauve. Deux hommes, qui portaient de grosses torches électriques, s'avancèrent vers lui. En même temps une lampe s'alluma dans la réserve du magasin, et Florence reconnut Carval. Non pas l'élégant visiteur qu'elle connaissait, mais un tout autre Carval, en vieux chandail pendillant, et chaussé d'espadrilles.

Florence poussa Gilles du coude.« C'est lui! chuchota-t-elle.— Et l'autre?— Je ne sais pas. »Le chauffeur était descendu et ouvrait la porte

arrière du camion. Les trois hommes, en silence, se mirent à décharger des caisses et à les transporter vers le magasin. Une fois là, ils les ouvraient et en tiraient des boîtes de conserves qu'ils empilaient le long du mur. Quand une caisse était vide, ils la rapportaient dans le camion.

« Approchons encore un peu », murmura Florence.Tout à coup, un des hommes poussa un juron. Au

moment où il soulevait une des caisses pour la

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placer sur son épaule, elle lui échappa et tomba sur le sol. Elle s'ouvrit; des boîtes roulèrent de tous côtés.

« Imbécile! grommela Carval. Ramasse-moi tout ça, le plus vite possible. »

L'homme prit une lampe et commença à ramasser les boîtes éparses. Florence et Gilles eurent un instant de frayeur : une des boîtes avait roulé près du buisson qui les abritait; si on les découvrait, comment expliquer leur présence? Mais la boîte avait roulé assez loin des autres et l'homme ne la remarqua pas.

Les trois hommes entrèrent dans la réserve. Florence et Gilles attendirent un moment, puis le chauffeur ressortit et le camion s'éloigna. Carval et son acolyte restèrent seuls. Les deux jeunes gens s'attendaient que la lumière s'éteignît, mais au contraire, il s'en alluma une plus forte.

Gilles fit un signe à Florence et tous deux se dirigèrent sans bruit vers le bâtiment. La porte de la réserve était restée entrouverte. Ils s'approchèrent et jetèrent un coup d'œil à l'intérieur.

Les deux hommes se livraient à une étrange besogne. Carval plaçait les boîtes, l'une après l'autre, dans un grand seau et décollait le papier qui les entourait, puis le remplaçait par un autre. Son aide séchait les boîtes avec des serviettes chaudes, devant un petit radiateur électrique, puis les remettait en pile dans un coin de la réserve.

« Que font-ils? murmura Florence.— Chut... viens, partons! »Un peu plus loin, Gilles murmura :

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« Je donnerais beaucoup pour avoir une de ces boîtes!»

Florence lui rappela que l'une d'elles, roulant hors de sa caisse, s'était arrêtée dans un buisson, tout près de leur cachette. Ils se mirent aussitôt à sa recherche. La nuit était noire; ni l'un ni l'autre n'avait de lampe de poche. Tout en tâtonnant dans les fourrés, ils apercevaient la lumière qui brillait toujours dans la réserve.

« Je l'ai! dit tout à coup Florence.— Alors filons vite! »Les deux jeunes gens se retrouvèrent sur la route et,

sans un mot, reprirent le chemin du centre de la ville. Ce fut seulement en arrivant aux premiers réverbères que Florence interrogea :

« Comment t'expliques-tu tout cela, Gilles? Car-val veut évidemment cacher l'origine de ces conserves.

— Mais nous, répondit Gilles, nous allons la connaître! Flo, je vois maintenant que tu avais raison : tous ces empoisonnements inexplicables proviennent certainement de L'Etoile Mauve.

— Tu peux faire examiner le contenu de cetteboîte?— Très facilement. Un de mes amis travaille au

service qui s'occupe de la répression des fraudes. Il fera faire l'analyse par son labo. »

A Rouville, ils trouvèrent un café encore ouvert et prirent une boisson chaude pour se remettre de leurs émotions. La boîte, posée devant eux, sur la table, portait une étiquette avec l'image d'un

«Que font-ils? » murmura Florence.»

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parc, entouré d'une inscription dans une langue inconnue.

« Ton Carval, dit Gilles, me fait l'effet d'un fameux coquin.

— Ne dis pas « mon » Carval, je t'en prie! Il ne m'appartient pas plus que L'Etoile Mauve.

— Pardonne-moi, Flo. En tout cas, c'est bien « ta » découverte. Cela, tu ne peux pas le nier.

— Quand penses-tu avoir le résultat de cette analyse?

— Très rapidement. Si c'est bien ce que je soupçonne, cette boîte renferme des germes nocifs, probablement des salmonelles.

— C'est ce qu'on avait découvert chez nos malades. Mais ces boîtes avariées, d'où viennent-elles? Comment ont-elles pu passer le contrôle que l'on dit si sévère?

— Qui te dit qu'elles l'ont passé? Les producteurs étrangers dont une cargaison a été refusée essaient parfois de la vendre clandestinement à bas prix pour n'avoir pas à la remporter. »

Florence et Gilles se séparèrent devant la porte de l'hôpital; Florence regagna sa chambre. Sur le palier, elle rencontra Caroline, qui la regarda avec étonnement.

« D'où viens-tu donc, Flo? Tu es couverte de brindilles.

— Je suis allée me promener avec Gilles Martin. Un peu de marche nous fait du bien à tous les deux.

— Et vous vous êtes assis dehors? Brrr... vous n'avez pas dû avoir chaud! »

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Florence ne pouvait pas révéler à Caroline que l'intérêt de leur découverte leur avait fait oublier la température.

« Nous ne nous sommes assis qu'un moment, dit-elle; nous avons marché presque tout le temps. »

Caroline soupira :« Tu as de la chance, Flo, d'aller te promener avec

un garçon!— Ça t'arrivera peut-être plus tôt que tu ne penses.»A vrai dire, Florence n'imaginait pas très bien

Maximilien Abel se promenant au clair de lune-Mais après tout, qui pouvait savoir si Caroline ne lui ferait pas perdre la peur des rhumes?

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XII

PRESQUE toutes les victimes de l'empoisonnent étaient maintenant retournées chez elles; seuls quelques malades, plus fragiles ou plus gravement touchés que les autres, avaient encore besoin d'une surveillance médicale.

Le docteur Martel annonça à Mme de la Pacaudière qu'elle pourrait bientôt regagner les Roques et y reprendre une vie normale. Elle en parut moins heureuse qu'on ne l'aurait cru. Après la visite, se trouvant seule un moment avec Florence, elle soupira :

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« C'est curieux, ma petite Flo... Je devrais être ravie, n'est-ce pas, de rentrer chez moi. J'ai une maison que j'ai arrangée à mon goût, des meubles que pour la plupart j'ai choisis moi-même...

— Je sais. J'ai beaucoup admiré les Roques le jour où vous m'avez si gentiment invitée à prendre le thé. Et vous n'avez pas envie d'y retourner? »

Mme de la Pacaudière secoua la tête.« S'il faut tout vous avouer, je ne pense qu'à une

chose : à ce monstre qu'il me faudra avoir sans cesse devant les yeux. Vous me direz qu'ici, dans ma chambre d'hôpital, je n'ai pas beaucoup de vue. Mais j'aimerais mieux contempler toute ma vie un mur blanc que cette horreur.

— Vous vous y habituerez, dit Florence qui ne voulait pas encore révéler ce qu'elle avait appris l'avant-veille.

— Jamais! »C'était vraiment le cri du cœur. Mme de la

Pacaudière était capable de déménager, uniquement pour ne plus voir L'Etoile Mauve.

« Vous avez réussi à vous débarrasser du poteau de l'EDF...

— En partie, ma petite fille, en partie! Quand je me penche un peu à ma fenêtre... Mais que vouliez-vous dire avec ce poteau?

— Tout simplement que vous parviendrez peut-être de même à vous débarrasser du magasin.

— Comment voulez-vous, ma pauvre enfant? Il paraît que Groult est enchanté de L'Etoile Mauve,

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qui donne, dit-il, de la vie à Rouville! Une vie comme celle-là, il vaut mieux ne pas en avoir du tout. »

Elle devait sortir le lendemain matin. Dans l'après-midi, Paquita vint la voir. Elle apportait des fleurs du jardin et un quatre-quarts confectionné exprès pour sa patronne. Florence, en venant relever les températures, trouva l'ex-malade mordant à belles dents dans le gâteau.

« Prenez-en une tranche, mon petit, il est délicieux. Ah, ma Paquita est vraiment une perle! Je peux compter sur elle pour tout, j'ai une telle confiance en elle... »

Paquita, qui depuis quelques minutes s'agitait sur sa chaise, éclata brusquement en sanglots.

« Yo peux pas entendre ça! gémit-elle. Yo ne le mérite pas. Yo suis oune mauvaise fille, une menteuse...»

Florence lui fit signe de se taire. Mais le secret était trop lourd pour la jeune Espagnole. Elle avait besoin de s'accuser.

« Si vous êtes malade, señora, c'est ma faute! »Elle se frappait la poitrine d'un air égaré. Mme de la

Pacaudière l'arrêta.« Que racontez-vous là, Paquita? Est-ce que vous

devenez folle? Cessez de vous donner des coups de poing, vous finiriez par vous faire mal.

— C'est ma faute! répétait la jeune femme. Yo vous dis que c'est ma faute!

—Mais enfin expliquez-vous! » fit Mme de la Pacaudière exaspérée.

Paquita baissa la tête.

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« Yo ai... yo ai... acheté oune boîte de pâté à L'Etoile Mauve§ »

Mme de la Pacaudière sursauta.« A L'Etoile Mauvel Mais je vous avais défendu d'y

aller!— Une fois... une seule fois! yo le yure! déclara

l'Espagnole éplorée. C'était le your du chou farci... »

Elle raconta comment, n'ayant pas assez de farce et manquant de temps pour descendre en ville, elle avait... elle était...

« Vous êtes allée à L'Etoile Mauve? Malgré ma défense? C'est mal, c'est très mal, Paquita! »

Mme de la Pacaudière semblait réellement fâchée.« Je n'aurai plus jamais confiance en vous! » lança-

t-elle.Paquita sanglotait. Mais tout à coup Florence

stupéfaite vit le visage de Mme de la Pacaudière se détendre, un sourire malicieux apparaître sur ses traits. Elle interrogea d'une voix adoucie :

« Paquita, ce chou, vous en avez mangé, vous aussi? »

La jeune femme secoua la tête.« Non, moi j'ai fini la soupe du lundi.— Et le jour du chou, c'était... mardi, n'est-ce pas?— Si, señora.— Florence, il faut quarante-huit heures, n'est-ce

pas, pour que l'empoisonnement se manifeste?— Dans le cas présent, oui, madame.— Alors, je comprends! s'écria triomphalement

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la malade. C'est L'Etoile Mauve qui m'a empoisonnée! Que vous ai-je toujours dit, Florence? Ces gens-là sont des misérables, des assassins! Ce sont eux qui ont empoisonné toute la ville! Et ces ânes de médecins qui analysent tout dans leurs laboratoires! ce benêt de Groult qui fait racler des conduites d'eau en parfait état! Ha, ha, ha! Je vais lui dire la vérité, moi! je vais lui téléphoner aujourd'hui même! »

Florence préférait que Mme de la Pacaudière ne se mêlât pas de l'affaire. Elle voulait attendre les résultats de l'analyse faite par l'ami de Gilles. Mais comment décider cette femme déchaînée à patienter?

« Ne faites rien, je vous en prie, dit-elle. On s'occupe de tout cela. Je vous tiendrai au courant, je vous le promets.

— Ainsi je ne suis pas la seule à soupçonner L'Etoile Mauve? Qui s'en occupe? M. Martel? Je lui en parlerai demain matin, à la visite; je ne sors de l'hôpital que l'après-midi. »

Florence décida, si c'était possible, de faire avancer cette sortie de quelques heures.

Toutes deux avaient oublié Paquita, qui se tenait dans un coin, penaude, soulagée pourtant de son aveu. Se rappelant tout à coup sa présence, Mme de la Pacaudière se tourna vers elle avec bonté.

« Ne pleurez plus, petite sotte. Vous m'avez trompée — c'est très mal. Mais vous me l'avez avoué, et je vous pardonne. Préparez-moi un bon dîner pour demain. Et n'allez pas faire vos achats

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à L'Etoile Mauve ! ajouta-t-elle avec un sourire qui prouvait que le pardon était accordé du fond du cœur.

— Yamais! » fit la jeune femme avec ferveur. Mme de la Pacaudière, très agitée par ce que lui

avait laissé entendre la jeune infirmière, aurait bien voulu que celle-ci restât un moment dans la chambre pour lui donner de plus amples détails sur ce qui se tramait autour de L'Etoile Mauve. Mais à ce moment l'interphone qui reliait toutes les chambres au poste central sonna doucement.

« On vous demande de Paris, Florence », dit une voix dans le haut-parleur.

La jeune infirmière se rendit immédiatement au poste de garde. Elle prit l'écouteur et reconnut immédiatement la voix de Gilles.

« Florence... c'est extraordinaire! Il faut que je parle à M. Martel le plus tôt possible. Il est à l'hôpital?

— Oui, il est dans son bureau. Il ne doit partir qu'à six heures.

— Eh bien, je vais tâcher d'arriver avant. Je ne peux pas te raconter tout cela au téléphone, mais tu as fait une fameuse découverte! A tout à l'heure.

— Tu passeras me voir?— Naturellement.— Ne roule pas trop vite, Gilles. Je vais avertir le

patron de ta visite et lui demander de t'attendre. »Elle alla frapper à la porte de M. Martel. Celui-ci

leva les yeux du rapport qu'il rédigeait.

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« Florence! fit-il avec surprise. Vous, avez quelque chose à me signaler?

— Je viens de la part de Gilles Martin, monsieur. Il a une communication très importante à vous faire. Il quitte Paris à l'instant. Je sais que vous devez sortir, mais pourriez-vous attendre jusqu'à son arrivée?

— Je m'arrangerai. Une communication très importante, me dites-vous? Vous ne savez pas de quoi il s'agit?

— Je le soupçonne, monsieur. »Elle lui raconta leur expédition de la veille et les

faits étranges dont ils avaient été témoins.« Gilles a emporté la boîte, acheva-t-elle. Il a dû

faire examiner le contenu. Je suppose qu'on y a trouvé quelque chose d'anormal.

— Incroyable... murmura le patron. Naturellement, j'attendrai. »

Au sortir du bureau, Florence rencontra Mme Benoit. La surveillante parut mécontente; elle ne posa pas de question précise, mais Florence devina ce qu'elle pensait : elle jugeait que tous les rapports entre le patron et les subalternes devaient nécessairement passer par elle.

« Tout va bien, Florence? fit-elle un peu sèchement.— Oui, madame. »En approchant de son service, Florence entendit des

cris. Elle reconnut le timbre puissant de Camus.C'était lui, en effet, planté devant la porte de sa

chambre, en pyjama et tenant son estomac à deux mains.

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« Qu'est-ce qui vous arrive encore, mon pauvre Camus? Que se passe-t-il?

— Ce qui se passe? Toujours la même chose : on me renvoie! On vient de m'avertir que je devais vider les lieux demain matin! Comme je vous le dis, mademoiselle Florence! »

Le même scénario se reproduisait chaque fois que Camus quittait l'hôpital. Florence haussa les épaules.

« On ne vous l'a pas dit en ces ternies, certainement.

— Presque — en tout cas, c'est kif-kif. Même dans les prisons, on y met un peu plus de formes. »

Florence sourit.« Je n'ai pas beaucoup d'expérience de ce qui se

passe dans les prisons. Mais dans les hôpitaux, c'est la coutume de renvoyer un malade quand il est guéri.

— Guéri — moi? Vous voulez rire! Avec mon ulcère!

— Ce n'est pas pour lui que vous avez été hospitalisé cette fois-ci. Sans tabac et sans alcool, il s'est tenu bien tranquille. A cause de lui, justement, on a pris à votre égard des précautions particulières. La radio montre qu'il n'a pas bougé.

— Vous y croyez, vous, à ces radios? Boum, un déclic, et tout le monde sait ce que vous avez dans le ventre? Allons donc! On ne me la fait pas, à moi. Quand je souffre, je n'ai besoin de personne pour me dire où ça se trouve.

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— Vous souffrez, en ce moment?— Vous voyez bien que je me tiens l'estomac.

Vous pensez peut-être que je fais ça pour m'amuser?— Vous en seriez bien capable! Mais je crois

surtout que vous vous tenez l'estomac pour nous apitoyer et rester quelques jours de plus à être logé et nourri gratuitement.

— Vous me décevez, mademoiselle Flo, vous me décevez... Alors vraiment il faut que je parte demain?

— Absolument. »Alors, comme toujours, il se rapprocha et geignit : « Vous êtes si gentille... Vous me donnerez bien un

petit bout de cigarette pour me consoler? »

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Elle se mit à rire.« Je n'en ai pas, Camus, je ne fume pas. Demandez

à M. Robert; vous verrez ce qu'il vous répondra.— Celui-là, il a une pierre à la place du cœur!— D'accord, Camus, mais laissez-moi passer, j'ai à

faire. »Elle venait de regagner le poste de garde quand M.

Martel la fit appeler. Elle trouva Gilles Martin assis dans le bureau en face du patron.

« J'ai voulu que vous soyez au courant, Flo, dit celui-ci. La chose est grave, en effet. Dans la boîte qu'a emportée Martin, on a découvert des bacilles, en particulier des salmonelles. Or vous savez qu'on a retrouvé ces mêmes bacilles dans les selles de nos malades.

— Carval vendrait donc des produits avariés?— Quelques-uns. Il peut sûrement les acheter pour

presque rien et profite du bénéfice qu'il fait sur eux pour abaisser le prix des autres.

— Mais comment arrive-t-il à se procurer ces produits?

— C'est ce qui reste à découvrir. Mais ceci ne nous regarde plus : c'est l'affaire de la police. Je vais téléphoner immédiatement au commissaire pour faire saisir les boîtes apportées hier soir et fermer L'Etoile Mauve afin que personne ne risque plus d'acheter des aliments suspects. »

II soupira :« Quand je pense que j'ai failli pousser l'économe à

accepter les offres de ce bandit! Les prix me tentaient,

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comme ils tentaient tout le monde. Cet homme, avec les sentiments généreux qu'il affichait, m'était plutôt sympathique. La nouveauté du magasin me semblait garantir qu'il ne s'y trouverait que des produits frais. L'idée de le soupçonner ne m'avait même pas effleuré.

— Je ne pense pas, dit Gilles, qu'à l'hôpital il aurait osé fournir des produits avariés.

— Vous pensez qu'il aurait au moins respecté les malades?

— Non, monsieur : je pense qu'il aurait eu peur d'être découvert! »

M. Martel tenait à la main la fiche du laboratoire que Gilles venait de lui remettre.

« Laissez-moi maintenant, mes enfants; je dois alerter le commissariat le plus tôt possible. Je voudrais que L'Etoile Mauve soit fermée dès demain matin et Carval arrêté avant qu'il ait le temps de prendre la fuite.»

« Tu dînes avec moi, Flo? demanda Gilles.— Oui, si tu peux attendre l'arrivée de la garde de

nuit qui vient me remplacer. »Ils retournèrent dans le petit restaurant où ils

avaient dîné la veille. Le patron leur fit un sourire amical.

« Des truites?— Pas tous les jours! s'exclama Gilles en riant.

Elles sont délicieuses, mais tout de même...— On ne se lasse jamais des bonnes choses,

docteur! » dit le patron d'un ton solennel.

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Gilles se tourna vers Florence. « Qu'en dis-tu, Flo?— Ma foi, avoua-t-elle, je reprendrais volontiers

des truites. »Les truites n'étaient pas chères, et elle savait que

Gilles n'était pas riche.« J'ai la tête qui tourne, dit-elle. Depuis hier, que de

changements!— Tu es la seule à avoir soupçonné Carval.

D'ailleurs il t'a toujours été antipathique.— C'est vrai, mais on ne peut pas juger les gens sur

une impression. Depuis hier, il s'agit d'une certitude. »Elle réfléchit un instant.« Je me demande toujours, Gilles, où il pouvait se

procurer ces produits avariés.— C'est ce que l'enquête nous apprendra.

Maintenant, si tu veux bien, ne pensons plus à lui. Nous avons tant de choses plus intéressantes à débattre.

— Lesquelles? demanda malicieusement Florence.

— Nous deux, par exemple », répondit doucement le jeune médecin.

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XIII

LE TEMPS passe vite quand on travaille. Florence n'arrivait pas à croire que tant d'événements fussent arrivés en si peu de jours.

Le lendemain de la visite de Gilles, à 7 heures du matin, le commissaire de police se rendit à L'Etoile Mauve... Il n'y avait personne. A 8 heures, Carval arriva, s'apprêtant à faire ouvrir les portes, la caissière et un employé le suivaient de près.

Le commissaire s'avança vers lui et lui posa la main sur le bras.

« Police! » annonça-t-il en exhibant sa carte. Carval sursauta.

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« Mais vous êtes fou! s'écria-t-il. J'ai bien le droit d'exercer mon commerce, non?

— Ça dépend quel commerce, répondit le le commissaire.

— Venez avec moi dans mon bureau; je vous montrerai que mes papiers sont en règle.

— Ce n'est pas de vos papiers que je m'occupe, mais justement de la marchandise que vous introduisez sans papiers.

— Je ne vous comprends pas, dit Carval.— J'aimerais jeter un coup d'œil aux boîtes de

conserves qu'on vous a livrées avant-hier.— De quoi parlez-vous? Je n'ai pas eu de livraison

ce jour-là.— Dans la journée, peut-être, mais la nuit? Ne

dites pas non : il y a des témoins. »Carval n'osa pas nier.« Ah oui, c'est vrai, je me rappelle. Un camion que

j'attendais l'après-midi, mais qui a eu plusieurs heures de retard. J'étais même très fâché de devoir l'attendre jusqu'à plus de minuit.

— Je crois plutôt que vous préfériez qu'il passe inaperçu. Pourrais-je voir les boîtes qui formaient son chargement? »

Carval exhiba des boîtes de marques connues, ne pouvant prêter à aucun soupçon. Mais le commissaire repéra vite celles dont les étiquettes étaient fraîchement collées.

Il fit emporter ces boîtes : elles seraient

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lysées par le laboratoire du service d'hygiène. Puis le commissaire ordonna la fermeture du magasin, et, comme Carval protestait, il le pria de se tenir à la disposition de la justice.

Interrogé sur la provenance des caisses, Carval répondit d'abord qu'il 1'ignorait. Un de ses amis, disait-il, avait fait venir ces produits d'Angleterre; il avait été tenté par leur prix très bas et avait voulu l'en faire profiter.

— C'est de la contrebande, alors? Comment s'appelle votre ami? demanda le commissaire.

— Quand je dis « un ami », je veux dire quelqu’un que j'avais rencontré. Je ne me souviens même pas de son nom.

— Vous ne saviez sans doute pas, non plus, que ces conserves ne répondaient pas aux normes de sécurité?

— Bien sûr que non! »On finit par découvrir le fin mot de l'affaire. Les

services français se montrent — avec raison — difficiles sur la qualité des produits alimentaires; on ne laisse pénétrer ceux qui proviennent de l'étranger qu'après leur avoir fait subir un contrôle très strict. Les conserves de L'Etoile Mauve — qui ne venaient pas d'Angleterre, mais d'un petit pays du Moyen-Orient — ne présentant pas des garanties de sécurité suffisantes, avaient été refusées à ce contrôle. Le fabricant, pour se débarrasser de cette encombrante cargaison, avait cherché à la revendre à bas prix sur le bateau même qui l'avait apportée.

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Carval s'était porté acquéreur. D'autre part, comme le fabricant avait en réserve un stock important de ces boîtes et désespérait de l'écouler, Carval lui avait proposé de lui acheter le tout au prix de la première cargaison. Le bateau s'arrêtait au large d'un petit port normand; les caisses étaient apportées en barque jusqu'à un point désert de la côte où le camion les attendait.

La personne la plus heureuse du tour que prenaient les événements fut certainement Mme de la Pacaudière. Le bâtiment exécré se dressait toujours devant ses yeux, mais la pensée qu'il était fermé, le directeur condamné, était une jouissance suffisante pour compenser tout le reste.

Au bout de quelques jours, d'ailleurs, le propriétaire du terrain décida de rendre celui-ci à son rôle primitif de prairie.

« Des vaches! disait Mme de la Pacaudière enchantée. De mes fenêtres je verrai des vaches! Je les aime, ces animaux-là!

— Sauf les cornes, m'avez-vous dit, remarqua malicieusement Florence.

— Rien ne m'oblige à descendre les caresser! Avec les clôtures électriques que l'on fait maintenant, je serai bien tranquille. »

En attendant, elle pouvait goûter le doux plaisir d'apercevoir, au bord de la route, une équipe d'ouvriers jetant à bas les panneaux multicolores qui l'avaient tant fait souffrir.

Dès que l'excitation provoquée par les événements se fut un peu calmée, Colette appela son amie Florence au téléphone.

« Tu n'as plus tant à faire, maintenant?

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— Non, seulement le travail courant de l'hôpital.— Alors, notre projet tient toujours?— Bien entendu!— Que dirais-tu de samedi prochain?— Pour moi, ce serait parfait. Mais Maximilien se

découvrira peut-être un nouvel empêchement!— Je ne crois pas, dit Colette. Il s'est ragaillardi

depuis que les intoxications ont pris fin et qu'on en connaît l'origine. Lui-même, hier, m'a dit de but en blanc : « Et si nous allions voir « Florence samedi? »

— En ce cas, d'accord. »Le vendredi, Caroline avait le cafard. En dehors de

son service, qu'elle assurait toujours avec conscience, elle semblait ne s'intéresser à rien. Florence lui demanda si le livre de biologie lui plaisait.

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« Oui, il est très bien fait : il m'aide à chasser les idées noires. Dès que je ne travaille pas, je m'ennuie... »

Florence pensa que, si le plan réussissait, Caroline ne s'ennuierait plus. Elle s'énerverait peut-être parfois, mais on ne peut pas tout avoir.

Le samedi matin, Colette la rappela.« Je viens d'avoir grand-peur, dit-elle. Hier soir j'ai

rappelé à Max que nous devions venir te voir aujourd'hui. Sais-tu ce qu'il m'a répondu? Qu'il n'était peut-être pas très prudent pour lui de m'accompagner, l'épidémie n'ayant pris fin que depuis quelques jours!

— Et il admettrait que tu y viennes, toi? C'est un peu fort!

— Tu sais bien qu'il se considère comme un être exceptionnellement fragile, tenu à plus de précautions que les autres.

— Il a vraiment besoin d'être pris en main! déclara Florence. Tu es arrivée à le décider malgré tout?

— Oui, mais non sans difficulté, tu peux me croire! Je te rappellerai à midi pour te dire si tout va bien. »

Toute la matinée, les deux amies tremblèrent. L'hôpital était calme : les soins habituels, deux opérés à surveiller, un malade timoré à réconforter. De ce côté-là, sauf urgence imprévue, rien à craindre. Mais avec Maximilien, savait-on jamais?

A midi, Florence allait descendre à la cantine quand Colette l'appela de nouveau.

« Tout va bien : Max vient déjeuner à la maison et me conduira ensuite à Rouville. J'ai beau avoir

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maintenant ma voiture personnelle, il deviendrait fou à l'idée de se laisser conduire par moi. »

A la cantine, Florence dit à Caroline : « Excuse-moi, mais je vais .être obligée de te redemander mon livre. Pas pour longtemps : je voudrais y prendre deux ou trois notes.

— Il est à toi : tu peux le reprendre quand tu voudras.

— Oh, j'en ai pour un quart d'heure. Mais je voudrais que ce soit le plus tôt possible.

— Je monte immédiatement te le* chercher. Tu vas directement dans ton service?

— Non, mais j'y serai certainement à deux heures.»C'était l'heure où Colette et son frère devaient

arriver à l'hôpital. S'ils étaient en retard, il faudrait trouver un moyen de retenir Caroline. Mais Colette avait promis d'être à l'heure; quant à Maximilien, il était aussi exact qu'il était prudent.

La jeune infirmière arriva la première. Elle posa le livre sur la table et allait se retirer aussitôt. Florence la retint.

« Où en es-tu de ta lecture? Tu as fini la première partie?

— Pas encore.— C'est, à mon avis, la plus - facile à

comprendre. A mesure qu'on avance, les choses se compliquent un peu.

— Evidemment, toi, tu as Gilles Martin pour tout t'expliquer! » fit Caroline.

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Elle soupira une fois de plus. Tout en parlant, Florence la regardait.

« Arrange tes cheveux, Caroline. Tu es tout ébouriffée. Habituellement tu prends plus de soin de ta coiffure.

— Ça n'a pas d'importance : je remonte directement dans ma chambre.

— Et ta coiffe est tout de travers. Ce n'est pas joli.— Qu'est-ce que cela peut bien faire? N'aie pas

peur : j'arrangerai ça avant de retourner prendre ma garde.

— Tu peux le faire tout de suite, devant la glace de mon poste.

— Bon, bon, si tu y tiens... Je ne savais pas que tu t'intéressais autant à ma tenue. »

Tandis que Caroline se recoiffait, Florence regarda la pendule. Deux heures cinq! Colette lui avait pourtant promis... Bien sûr, il peut y avoir des incidents imprévus : une déviation de la route, une panne... Mais Florence ne pouvait pas retenir Caroline indéfiniment.

« Attends, dit-elle, je voudrais te montrer quelque chose. Au début du chapitre 2, il y a une phrase que j'ai eu du mal à comprendre. J'ai fini par y parvenir. Tu ne veux pas que je te l'explique?

— Si tu l'as comprise toute seule, j'y arriverai bien aussi. Je ne suis pas complètement idiote.

— Je ne dis pas ça, Caroline. Mais, à moi aussi, il a fallu l'expliquer.

— Gilles Martin, naturellement! »

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Le temps coulait : deux heures dix... Mais que se passait-il donc?

« Ecoute, Caroline, pendant que tu es ici je voudrais te demander un service. Tu sais : ces notes qu'on nous a réclamées sur le fonctionnement de notre service...

— Je sais; j'ai recopié les miennes avant-hier.— Moi, je n'ai pas encore eu le temps de le faire.

Ton écriture est tellement plus lisible que la mienne...— Tu voudrais que je te les copie? C'est bien facile

: donne-les-moi. Je ne suis de service qu'à cinq heures; je te les remettrai ce soir.

— C'est que... je voudrais les avoir le plus tôt possible. Tu ne pourrais pas le faire tout de suite? »

« Du temps, du temps! pensait Florence. N'importe quoi, mais gagner du temps! »

Pendant que Caroline s'installait devant la table, Florence admira le brillant de sa chevelure, sur laquelle tombait un rayon de soleil.

Si Colette et son frère pouvaient arriver maintenant! se disait-elle. Il était impossible de ne pas remarquer ces beaux cheveux...

Enfin un pas s'approcha. Quelques instants plus tard Colette entrait, mais seule.

Florence lui jeta un regard interrogateur.« Mon frère me suit, dit Colette. Il sera ici d'une

minute à l'autre.— Il range sa voiture? Il aurait pu la mettre dans la

cour. »Colette retenait difficilement un fou rire. Elle

entraîna Florence dans le couloir.

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« Il ne s'agit pas de la voiture, dit-elle. Figure-toi qu'en entrant dans l'hôpital, nous nous sommes heurtés à Camus.

— Camus? Mais il n'est plus ici!— Il venait chercher je ne sais quel papier que la

Sécurité Sociale lui réclame. Il était devant le guichet de l'administration, tonitruant à son habitude. Le forcer à se déranger pour venir chercher un papier! lui, un grand malade! Enfin tu connais la chanson...

— Je peux dire que je la connais par cœur! dit Florence en riant.

— Tout à coup il nous a reconnus et s'est élancé vers Max, les bras ouverts. « Mon vieux copain! « je ne m'attendais pas à te trouver ici! C'est un « vrai coup de chance! » Etc., etc... Il serrait Max

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contre son cœur; j'ai cru qu'il allait l'embrasser sur les deux joues!

— Et ton frère appréciait ces effusions?— C'était la première fois qu'il voyait Camus au

naturel — je veux dire sans les soins de propreté qu'on lui impose à l'hôpital. Au début il ne le reconnaissait même pas. J'ai cru un instant qu'il allait se mettre à crier, comme Mme dé la Pacaudière.

— Il n'aurait plus manqué que ça!— Mais Camus s'est exclamé : « Comment, on ne

reconnaît plus son vieux camarade! Tu ne te rappelles pas, quand tu avais la maladie des rayons ? 1 » Alors Max a compris : il était partagé entre sa reconnaissance pour Camus, qui écoutait si bien toutes ses doléances, et l'horreur que lui inspirait ce clochard qui devait véhiculer d'innombrables microbes.

— Comment cela s'est-il terminé?— Heureusement la secrétaire a appelé Camus

dans le bureau; Max en a profité pour m'entraîner.— Cela ne m'explique pas pourquoi ton frère n'est

pas avec toi.— Tu ne devines pas? Il est évident que, livré à

lui-même, Camus est peu ragoûtant. Max s'est imaginé qu'il avait pu lui passer je ne sais quelle maladie. Il m'a dit : « Va devant, Coco, tu feras prendre patience à Florence. Moi je préfère passer à la pharmacie. »

— Mais tu es sûre qu'il viendra?

1. Voir Florence fait un diagnostic dans la même collection.

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— Absolument sûre. Il sait que tu l'attends; il ne se dérobera pas. »

Elles reprirent leur sérieux et rentrèrent au poste de garde. Caroline leva la tête.

« Puisque tu as des amis, Florence, je te laisse. Je vais copier tes notes dans ma chambre et je te les rapporterai immédiatement.

— Oh, Caroline, tu en as encore pour longtemps?— Non, j'ai presque fini. Il faudra seulement que je

me relise.— Si tu peux achever ici, j'aurai mon rapport plus

tôt.— Alors je continue. Ne vous occupez pas de

moi.»Dix bonnes minutes plus tard, Maximilien faisait

son entrée. Il était assez rouge et répandait une odeur acide de désinfectant.

« Colette vous a expliqué, n'est-ce pas? Ma chère Florence, je suis si heureux de vous revoir!

— Moi aussi, Maximilien. Quoique vous ayez bien failli naguère, avouez-le, nous faire tous tourner eh bourrique!

— Je n'avais pas tout à fait tort, dit Maximilien. J'ai eu la chance de m'en tirer — mais j'ai couru un fameux danger tout de même! »

Florence préféra ne pas engager la discussion. Maximilien, d'ailleurs, lui remettait une énorme boîte de chocolats qui répandait, elle aussi, une odeur acide. La jeune infirmière se demanda s'il l'avait fait désinfecter

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également. L'odeur, heureusement, n'avait pas pénétré à l'intérieur de la boîte; Florence le remercia chaleureusement et offrit les chocolats à la ronde.

« Tu ne connais pas Mlle Caroline, je crois? dit Colette en attirant la jeune fille vers elle. Caroline, je vous présente M. Abel, mon frère. »

Comme Maximilien s'inclinait cérémonieusement, elle ajouta :

« Mlle Caroline est une collègue de Florence. Elle travaille au rez-de-chaussée; je ne crois pas que tu l'aies jamais rencontrée. »

Caroline tendit une main hésitante; elle rougit, ce qui lui allait fort bien. Peut-être se demandait-elle si le frère de Colette était célibataire...

« Excusez-moi, dit-elle, je dois continuer mon travail. »

Maximilien la suivit des yeux jusqu'au rayon de soleil qui illumina soudain sa chevelure. Florence l'entendit murmurer :

« Une infirmière... Et jolie, par-dessus le marché...»Les deux amies échangèrent un coup d'œil

complice. Maximilien était sur la voie de la guérison.

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Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en 1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et obtient la Croix de guerre 1939-1945.

Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français. À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de traducteur.

Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »

Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault décède en juillet 1985.

Bibliographie Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans 1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 196.

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1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 255.1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-Bibliothèque.1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection Nouvelle Bibliothèque rose no 195.1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278. Illustrations de J.-P. Ariel.1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.

Série Jeunes Filles en blanc Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.1968 : Catherine infirmière (no 367)1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)1973 : L'Inconnu du Caire1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre1974 : Le lit n°131974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)1981 : Florence et l'étrange épidémie1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)1984 : Florence et les frères ennemis1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série DominoCette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.

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1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie 1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque n°101.1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-Bibliothèque).1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette, Coll. Bibliothèque rose.1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique 1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque  1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  no 128.1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 205.1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

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1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

Série Sissi 1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983, illustrations de Paul Durand.1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et 1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle 1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte.1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose.1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 218.1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 220.1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 242.1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

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Série Une enquête des sœurs Parker Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.1966 : Le Gros Lot.1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.1967 : L'Orchidée noire.1968 : La Villa du sommeil.1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.1969 : L'Inconnu du carrefour.1969 : Un portrait dans le sable.1969 : Le Secret de la chambre close.1970 : Le Dauphin d'argent.1971 : La Sorcière du lac perdu.1972 : L'Affaire du pavillon bleu,1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde 1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose, illustré par Pierre Dessons).1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette, Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en 1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries 1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd. Jean-Goujon).1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed. Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque verte.1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette, collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).

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1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll. Vermeille.1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette.1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains - Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).

Prix et Distinctions Croix de guerre 1939-1945.Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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