Suzanne Pairault Infirmière 11 Le Poids d'Un Secret 1976

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JEUNES FILLES EN BLANC * N° 17LE POIDS D’UN SECET

par Suzanne PAIRAULT

*

Les élèves se bousculaient dans le vestibule d’un lycée des Hauts-de-Seine. Luce Derville, la jeune infirmière qui se préparait à faire passer une visite médicale, sursauta : elle croyait avoir reconnu une des jumelles du C.E.S. Stendhal de Neuilly.

« Ce n’est pas possible! pense Luce. J’ai des hallucinations... Je rêve...»

La ressemblance est d’autant plus surprenante que ces élèves n’ont aucun lien de parenté. Luce essaie de comprendre. Elle veut en savoir plus et ce qu’elle découvre va faire tomber sur ses épaules le poids d’un terrible secret.

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. Salle des urgences 1976 13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)14. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)16. La promesse de Francine 1979 (Francine)17. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)18. Florence fait un diagnostic 1981 19. Florence et l'étrange épidémie 198120. Florence et l'infirmière sans passé 198221. Florence s'en va et revient 198322. Florence et les frères ennemis 198423. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)3. Infirmière à bord 1970 (Juliette)4. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)7. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)8. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 9. Dora garde un secret 1974 (Dora)10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)13. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)15. La promesse de Francine 1979 (Francine)16. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)

Série Florence

1. Salle des urgences 1976 2. Florence fait un diagnostic 1981 3. Florence et l'étrange épidémie 19814. Florence et l'infirmière sans passé 19825. Florence s'en va et revient 19836. Florence et les frères ennemis 19847. La Grande Épreuve de Florence 1985

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Suzanne Pairault

Ordre alphabétique

Jeunes Filles en blanc

Série Armelle, Camille, Catherine Cécile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence,

Francine, Geneviève, Gisèle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthèses, le nom de l'infirmière.)

1. Catherine infirmière 1968 (Catherine)2. Dora garde un secret 1974 (Dora)3. Florence et les frères ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'étrange épidémie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmière sans passé 1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic 1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient 1983 (Florence)8. Infirmière à bord 1970 (Juliette)9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)11. La Grande Épreuve de Florence 1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)14. Le fantôme de Ligeac 1980 (Cécile)15. Le lit no 13 1974 (Geneviève) 16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)20. L'infirmière mène l'enquête 1978 (Dominique)21. Mission vers l’inconnu 1971 ( Gisèle)22. Salle des urgences 1976 (Florence) 23. Sylvie et l’homme de l’ombre 1973 (Sylvie)

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SUZANNE PAIRAULT

LE POIDS D’UN SECRET

ILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

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I

LA SIXIÈME B du CES Stendhal à Neuilly était en effervescence ce matin-là : c'était le jour de la visite médicale, et les deux premiers cours de la matinée avaient été supprimés. Très agitées, les fillettes se pressaient en désordre dans la grande pièce où aurait lieu l'examen, parlant et riant à mi-voix en se poussant du coude.

« Quelle chance que Je cours d'histoire ait sauté, je n'avais même pas ouvert mon livre!

— Qu'est-ce qu'on va nous faire, comme examens?

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— Oh! simplement le poids, la taille, les yeux...— Tu pèses combien, toi?— Chut ! Les voilà!— Vous avez vu? Il y a une nouvelle infirmière!— Oui, Mlle Dutour est malade. Elle a l'air

drôlement gentille, celle-là ! »Dans le fond de la salle, le médecin et

l'infirmière préparaient Feurs dossiers, s'installaient derrière une grande table.

« Alors, mademoiselle, c'est avec vous que je travaille ce matin? »

Luce Derville sourit gentiment au vieux médecin.« Oui, docteur, je remplace Mlle Dutour qui est

malade. Vous n'êtes pas trop mécontent de me trouver à sa place? »

Le médecin jeta un regard sur les yeux" clairs et rieurs, sur la coiffe d'infirmière sagement posée sur les cheveux noirs.

Comment aurait-il pu être mécontent d'avoir près de lui, pendant toute la visite scolaire, ce charmant visage?

« Tout est prêt? interrogea-t-il. — Tout est prêt, .docteur.— Eh bien, allons-y! »Luce se tourna vers les élèves qui continuaient à

chuchoter et à rire sans savoir pourquoi. « Elles ont l'air bien excitées, dit-elle en souriant.

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Mais je les comprends. Je me souviens qu'au lycée l'examen médical était toujours accueilli comme une récréation! »

Elle leur adressa un geste amical puis commença à les appeler l'une après "l'autre par ordre alphabétique.

Elle les mesura, les pesa; le médecin examinait le dossier et regardait le cliché pris quelques jours auparavant dans le camion-radio.

« Martine André... Anne Auclair... Roseline Binot...

— Ici, le rappel de vaccin antivariolique n'a pas été fait l'an dernier comme il aurait du l'être. Vous enverrez un mot aux parents, mademoiselle. »

Luce nota l'indication : « Roseline Binot, rappel de vaccin antivariolique. » Le médecin demandait aux enfants de marcher devant lui pour vérifier l'état de leur colonne vertébrale, puis passait à l'examen des yeux.

« Tu ne peux pas lire la quatrième ligne? Pas du tout? Il faut envoyer cette enfant chez l'oculiste! Tu ne portes pas de lunettes?

— J'en ai, mais je ne les mets pas toujours.— Pourquoi cela?— Parce que... c'est pas joli! avoua la petite fille.— Pas joli! Mais il y a des femmes qui en

portent par coquetterie! C'est le seul moyen de

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corriger tes yeux, tu comprends? Si tu veux, un peu plus tard, on te fera faire des lentilles de contact.»

Le défilé continuait. La plupart des élèves avaient encore l'air d'enfants; mais chez certaines, la jeune fille s'annonçait déjà dans la forme du corps, dans l'expression du visage.

Un âge difficile, pensait le médecin : l'âge des changements, des complexes, si on n'y prend pas garde...

« Isabelle Laurier! appelait Luce. Axelle Maloin!»

Elle remarqua cette dernière, plutôt grande pour son âge, très mince, avec des cheveux d'un blond de lin et une expression un peu rêveuse. En la faisant monter sur la bascule, l'infirmière observa sur son petit doigt gauche une tache de naissance assez étendue, dont le brun foncé tranchait sur la blancheur de la peau. '

« Taille... poids... dos en bon état, vue normale... tout va bien. A la suivante!

— Laure Maloin! dit Luce.— Tiens, vous- êtes de la même famille?

demanda le médecin.— Nous sommes sœurs, dit la première.— Et même sœurs jumelles! » précisa celle qui

s'avançait. -Luce et le médecin échangèrent un regard

surpris. Il était difficile d'imaginer deux types

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physiques bien différents : Laure était blonde elle aussi, mais plus foncée, son teint était coloré, ses yeux noirs, larges et brillants. Son air de vivacité surtout contrastait avec la douceur d'Axelle.

« Pour des jumelles, déclara le médecin, on peut dire que vous ne vous ressemblez pas!

— C'est ce que tout le monde nous dit, répondit Axelle.

— Vous êtes probablement ce qu'on appelle « de fausses jumelles ». Les vrais jumeaux, ceux qui proviennent d'un œuf unique, sont non seulement toujours du même sexe mais se ressemblent le plus souvent comme deux gouttes d'eau.

— Je sais, dit Laure, il paraît que nous sommes « fausses ». Mais ça ne nous empêche pas de nous entendre! » ajouta-t-elle en riant.

Elle subit l'examen à son tour. Bon dos, bons yeux...

« En cela au moins vous vous ressemblez. C'est l'essentiel, n'est-ce pas? »

II refermait les deux dossiers quand Luce lui fit remarquer que seul le dossier de Laure portait l'indication de groupe sanguin.

« Certains parents le font rechercher, dit le médecin; c'est une précaution qui peut être utile. Vous savez comme moi que certains groupes sont incompatibles; en transfusant à un accidenté, par

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exemple, un sang qui ne lui convient pas, on peut provoquer un choc mortel.

— Je sais, docteur, mais ce qui m'étonne, c'est qu'on ait pris cette précaution pour une des jumelles seulement.

— C'est vrai, je ne l'avais pas remarqué. » Il rappela Laure, qui bavardait avec animation à quelques pas de là.

« Tes parents ont fait rechercher ton groupe sanguin, dit-il, et pas celui de ta sœur. Tu sais pourquoi? »

L'enfant se redressa :

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« C'est parce que j'ai été blessée, moi! répondit-elle avec un accent de fierté. Je suis tombée à l'école quand j'étais petite; je me suis coupée à la jambe. »

Elle exhiba sa cuisse sur laquelle, en effet, on voyait une longue cicatrice blanchâtre.

« Elle avait voulu grimper sur le mur sans voir qu'il y avait derrière un tas de ferraille, ajouta sa sœur.

— Je sais bien, c'était ma faute, dit Laure avec une évidente satisfaction. Je m'étais coupée très fort; ça saignait beaucoup. On m'a mis un bandage et on a fait venir le médecin. »

Elle était visiblement ravie de raconter son aventure.

« J'avais perdu beaucoup de sang, continua-t-elle. Il fallait absolument le remplacer! Avant la transfusion, on a recherché mon groupe sanguin; on a trouvé que j'étais O. Ça veut dire que je peux donner mon sang à tout le monde! ajouta-t-elle fièrement.

— Ça veut dire aussi que tu ne peux en recevoir que de ton propre groupe! fit remarquer le médecin en riant. Tu ferais mieux de ne pas te couper trop souvent!

— Moi, j'ai eu drôlement peur... », dit Axelle. Quand la visite fut achevée, Luce, qui rangeait

la salle, resta un moment en tête-à-tête avec le médecin.

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« Ainsi, demanda ce dernier, vous n'êtes avec nous que provisoirement?

— Oui, comme je vous l'ai dit : je remplace l'infirmière titulaire du CES.

— Que faites-vous d'habitude? Vous vous occupez toujours de médecine scolaire?

— Non, pas du tout : je travaillais dans une clinique qui vient de fermer momentanément pour transformations. En attendant la réouverture, je fais dés remplacements à droite et à gauche

— Ces visites scolaires ne vous ennuient pas?— Non. J'aime beaucoup les enfants : cela me

fait toujours plaisir de me trouver au milieu d'eux.— Vous êtes presque encore une enfanta vous-

même! » déclara le médecin.La jeune fille protesta. Elle était diplômée, elle

travaillait depuis plus d'un an...« Ne vous vexez pas! fit-il. Pour un vieux

bonhomme comme moi, il n'y a pas tant de différence entre vous et toutes ces petites. A part la compétence, bien entendu! » ajouta-t-il en souriant.

Luce le trouvait gentil; elle regrettait que leur collaboration dût être de si courte durée. C'est important, de travailler avec quelqu'un pour qui on éprouve de la sympathie. A la clinique qu'elle venait de quitter, le patron était un excellent chirurgien,

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mais il avait une façon de regarder les infirmières qui vous donnait froid dans le dos, comme si on avait toujours quelque chose à se reprocher...

Lorsque Luce regagna le studio qu'elle partageait avec une amie, celle-ci n'était pas encore rentrée. Elle s'occupa du repas, mit de l'eau à chauffer, prépara la salade. Annie, qui travaillait dans une compagnie d'assurances, ne rentrait guère avant sept heures. Quand elle arriva, le couvert était mis sur la petite table et le dîner fin prêt.

« Oh! s'écria Annie en retirant son manteau.C'est formidable! Tout est prêt et j'ai une faim de

loup! »

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Elles s'installèrent Annie, aussitôt, remplit les assiettes...

« Décidément, dit-elle, ce travail de bureau m'assomme de plus en plus. Taper à la machine, classer des papiers, des papiers et encore des papiers... Je sais que je Serais incapable de faire une piqûre, mais par moments je t'envie, tu sais, d'avoir affaire à des personnes vivantes et non à de la paperasse! Au fait, ça c'est bien passé à 'Stendhal?

— Très bien, dit Luce en riant. Ça m'a rappelé mon jeune temps et notre cher lycée, tu te souviens?»

Luce parla à Annie" des deux jumelles qui se ressemblaient si peu qu'on avait même du mal à les prendre pour deux sœurs.

« J'ai souvent rêvé d'avoir une sœur jumelle, ajouta-t-elle, mais une vraie, toute pareille à moi, avec les mêmes goûts, les mêmes idées.

— Toi qui aimes les difficultés, dit Annie, en riant, je suis sûre que tu te lasserais très vite d'un sosie complet!

— Peut-être...— Tu retournes encore à Stendhal demain? — Non, demain c'est fini, malheureusement. Il

faut que je retourne à Santé-Service, l'agence d'intérim pour infirmières, et que je demande autre chose.

— C'est cela l'inconvénient, dans ton métier, dit Annie, l'imprévu, les gardes de nuit, les

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urgences. On a décidé de passer la soirée à s'amuser et tout à coup, crac! le chirurgien vous fait demander...

— Cela n'arrive pas tous les jours. D'ailleurs, je ne suis pas comme toi une fanatique des sorties. Quand on a passé la journée dans une salle de malades, on est trop fatiguée pour avoir envie d'aller danser.

— C'est vrai, reconnut Annie, on ne peut pas tout avoir. En attendant, il est huit heures. Tu mets les informations? »

Après le journal télévisé, elles feuilletèrent le programme et se disputèrent un peu sur le choix de l'émission.

« II y a un reportage sur l'Amazonie, sur la première chaîne, qui a l'air formidable! » disait Annie.

Mais Luce voulait à tout prix voir le film de Hitchcock que l'on donnait sur la deuxième.

« Toi et tes films policiers!... soupira Annie.— Que veux-tu, fit Luce contrite. J'adore ça, je

n'y peux rien. Ça m'amuse énormément d'essayer de résoudre le problème. »

Finalement elles regardèrent le film de Hitchcock qui les passionna toutes les deux. Et, effectivement, au bout d'une demi-heure Luce avait deviné qui était le coupable.

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« Tu as le chic, reconnut Annie. Tu raisonnes comme Sherlock Holmes ou l'inspecteur Maigret. »

Les jours suivants, Luce fit encore plusieurs remplacements dans des lycées de la banlieue parisienne. C'était toujours le même scénario : présentation au médecin, préparation des dossiers, examen des élèves.

Cet après-midi-là, elle devait assister un médecin au lycée de Bourgneuf, dans les Hauts-de-Seine. Elle s'y rendit vers deux heures.

Elle se dirigeait vers le secrétariat quand elle sursauta. Plusieurs élèves se bousculaient déjà dans le vestibule. Parmi elles, Luce venait de reconnaître une des jumelles du CES Stendhal, Axelle Maloin.

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II

CE N'EST pas possible, pensa Luce. J'ai des hallucinations... je rêve... »

La silhouette blonde se confondit avec les autres, puis disparut à l'extrémité du couloir.

« Je ne l'ai pas vue de près..., se dit la jeune infirmière. Je me suis laissé prendre à l'allure générale, à la couleur des cheveux... Que viendrait faire Axelle Maloin dans ce lycée de Bourgneuf, si loin de chez elle? Annie me dit souvent que j'ai trop d'imagination : elle a raison, il faut que je m'en méfie... »

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Au secrétariat du lycée, on lui indiqua la salle où avaient lieu les examens. Le médecin s'y trouvait déjà — un jeune, celui-ci, avec des cheveux un peu longs, une barbe et de grosses lunettes.

« Ah! mademoiselle, je suis content de vous voir. Je me débrouille assez mal au milieu de tous ces dossiers. Nous sommes un peu en avance l'un et l'autre — si nous en profitions pour remettre tout ceci en ordre? Les élèves sont rangés par classe, je suppose?

— Oui, et dans chaque classe par ordre alphabétique.

— Est-ce moi qui dois inscrire les observations sur ces feuilles?

— Non, je m'en chargerai. Vous n'aurez qu'à signer quand nous aurons fini.

— Excusez-moi : c'est la première fois que je fais ce travail. Mais je crois que je suis tombé sur une bonne assistante. »

Le compliment fit plaisir à Luce.Cependant; tout en rangeant les papiers, elle

cherchait le nom de Maloin. L'image de la fille très blonde qu'elle avait aperçue dans le vestibule lui trottait par la tête. Une parente d'Axelle et de Laure, peut-être? Si le nom était le même, tout s'expliquait. Peut-être, de loin, s'était-elle exagéré cette ressemblance? En tout cas, le nom de Maloin ne figurait pas parmi les dossiers.

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« Je la verrai tout à l'heure, quand elle viendra à la visite avec les autres... »

La fille ne se trouvait pas dans le premier groupe qui se présenta, bavardant et riant sous cape comme toujours. Il n'y eut pas de problème : pas de dos ronds, pas de mauvaise vue, pas de poids inférieurs à la normale. Le jeune médecin avait pris de l'assurance et se comportait comme s'il avait fait ce travail toute sa vie.

Le second groupe était composé de garçons. Moins de rires étouffés, de chuchotements à l'oreille — mais des bousculades, des grandes poussées, parfois un coup de pied sournois, revanche peut-être d'une ancienne bataille.

« Un peu de calme, s'il vous plaît! » dit le médecin.

Il y eut un silence, puis tout recommença. On dut renoncer à établir un semblant d'ordre. On découvrit plusieurs rappels de vaccin négligés, et un garçon aux dents en avant qui ne portait pas son appareil dentaire.

« Qu'en as-tu fait? Tu en avais sûrement un!— Je l'ai cassé, m'sieur.— Il faut le remplacer le plus tôt possible. Ta

mâchoire va se déformer de plus en plus.— Je sais bien. Mais mon père commence à

trouver que je le casse trop souvent. Ça coûte cher, un appareil! »

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Le médecin se mit à rire. Au début, il s'étaitLe médecin se mit à rire. Au début, il s'était senti

mal à l'aise devant tous ces enfants dont il n'avait pas l'habitude. Maintenant il commençait à les trouver amusants. Cependant, quand les garçons sortirent, il poussa un soupir de soulagement.

« Ouf! dit-il à Luce. C'est plus facile de maintenir l'ordre dans une salle d'hôpital que dans une équipe de gaillards comme ceux-ci! »

Luoe sourit.« Ce sont des enfants». La visite médicale, c'est un

peu comme une récréation; ils ne la prennent pas très au sérieux.

— Les filles sont plus -tranquilles, heureusement.

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— Plus tranquilles, je n'en suis pas sûre... Mais elles sont curieuses : la présence d'un médecin et d'une infirmière inconnus les intrigue. Sans doute sont-elles maintenant en train de discuter la coupe de votre barbe et celle de mes cheveux! »

Un nouveau groupe fit son apparition. Luce, dans l'intervalle, avait un peu oublié la fille blonde du vestibule; elle ressentit un choc en la voyant entrer.

Ce n'était pas une parente d'Axelle Maloin — c'était Axelle en personne. Même visage allongé, mêmes pommettes un peu hautes, mêmes yeux bleus doux et songeurs. La coiffure différait, les cheveux blonds étaient ici coupés à hauteur des .oreilles, mais cela ne suffisait pas à détruire la prodigieuse ressemblance.

Luce se tourna vers le médecin, puis s'arrêta, se souvenant qu'il n'avait jamais vu Axelle. Elle n'avait personne à qui confier sa stupéfaction.

D'une main fébrile, elle feuilleta de nouveau les dossiers. Elle ne s'était pas trompée : le nom de Maloin ne s'y trouvait pas.

« Janine Antoni... Françoise Ducamp... Sylvie Andron... »

Tout en pesant les enfants, Luce ne pouvait S'empêcher de jeter de temps à autre un coup d'œil vers la petite blonde qui attendait tranquillement son tour en causant à mi-voix avec ses voisines. Etait-il possible que ce ne fût pas là

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Axelle Maloin? Mais il était également impossible que ce fût elle...

« Mademoiselle, voudriez-vous mettre cette radio de côté? J'aimerais la regarder de plus près tout à l'heure. »

Luce sursauta : elle avait eu un instant d'inattention. Mais cette histoire était si étonnante...

« Isabelle Fanton... Colette Janvier... »L'image d'Axelle Maloin se détacha du groupe et

s'approcha. De près, la ressemblance était plus frappante encore. Ce grain de peau très fin, cette pâleur qui n'excluait pas l'apparence de santé...

« Tu t'appelles Colette Janvier?— Oui, mademoiselle. »La même voix, douce, un peu chantante...« Monte sur la bascule. C'est bien, le poids est

normal. Je... »Luce retint une exclamation. Elle venait de

remarquer, sur la main de l'enfant, une tache brune légèrement en relief. Ici, la tache était à droite et non à gauche, mais l'emplacement, la forme, la couleur, tout était identique.

« Qu'est-ce que vous dites, mademoiselle?— Oh! rien d'important. Je voulais seulement te

demander si tu n'avais pas une cousine de ton âge, qui s'appelle Axelle et habite Neuilly. »

La petite fille secoua la tête. « Non, je ne crois pas. Oh! je ne connais pas tous mes cousins, j'en ai

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beaucoup du côté de ma mère. Mais ils habitent tous le Midi. Et puis, Axelle, ce n'est pas un nom courant, je me souviendrais...

— Axelle Maloin, cela ne te dit rien? Tu ne connais pas de famille Maloin non plus?

— Non, pas du tout. » Luce revint près de la table.

« Vous connaissez la famille de cette petite? interrogea le médecin.

— Non, c'est seulement une ressemblance... Je me demandais si elle ne serait pas apparentée à une autre enfant que j'ai rencontrée.

— Vous savez, on voit parfois des gens qui se

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ressemblent sans appartenir à la même famille.— Vous avez raison, docteur. C'est plus fréquent

qu'on ne le croit. »« Mais pas des ressemblances comme celle-ci!

pensait-elle. Tout est pareil, absolument tout. Jusqu’à cette tache de naissance sur le petit doigt — l'une à droite, l'autre à gauche, comme cela se voit chez les vrais jumeaux... »

Axelle Maloin, elle, avait une sœur jumelle. Mais celle-ci ne lui ressemblait pas — pas du tout...

L'image des deux enfants ne quittait pas la jeune infirmière. Axelle Maloin... Colette Janvier... Quel rapport pouvait-il y avoir entre les deux? Il fallait qu'elle en eût le cœur net.

Elle attendit impatiemment la fin de la visite et commença à ranger les papiers. Elle voulait en savoir davantage sur cette Colette Janvier qui l'intriguait tant. Les fiches médicales, malheureusement, ne contenaient pas grand-chose. En les rapportant au secrétariat, elle demanda :

« Vous avez sans doute un dossier complet sur chaque élève, avec les renseignements d'état civil?

— Naturellement. Vous désirez les voir?— Oui, j'aimerais vérifier quelques détails. Je

crains qu'il n'y ait une erreur sur certaines fiches.

— Lesquelles? »

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En donnant plusieurs noms, elle n'attirerait l'attention de personne. Sans bien savoir pourquoi, die ne voulait pas donner l'impression qu'elle s'Intéressait particulièrement à Colette Janvier. Elle cita trois dossiers au hasard, la secrétaire les chercha dans un classeur, les remit à Luce et retourna à son travail.

Colette Janvier... Née le 3 novembre 1964, 161, rue Maurin, à Neuilty... A Neuilly!

161, rue Maurin... L'adresse n'était pas inconnue à la jeune fille. Mais bien sûr, elle la connaissait! La clinique Lasnier, la grande maternité qui faisait l'angle de la rue Maurin et du passage... Ils étaient nombreux, les enfants de Neuilly qui naissaient au loi-Mais Colette Janvier — pourquoi?

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III

EN REGAGNANT leur studio le soir, Luce et Annie avaient coutume de se raconter les menus incidents de leur journée. Ce soir-là, en voyant la mine préoccupée de son amie, Annie ne put s'empêcher de demander :

« Qu'est-ce qu'il y a, Luce? Tu as des ennuis? — N... n-non, enfin pas vraiment des ennuis.

Mais... » Luce hésita un instant à parler à son amie de la

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rencontre qui l'avait frappée. Il lui semblait avoir fait là une découverte dont elle ne devait pas parler avant d'en savoir davantage.

Mais, après tout, elle avait confiance en Annie et celle-ci l'aiderait peut-être à déchiffrer l'énigme. Aussi, finalement, se décida-t-elle à raconter toute l'histoire à son amie.

Assise sur le bras d'un fauteuil, celle-ci l'écouta, sidérée.

« C'est extraordinaire », murmura-t-elle enfin.Elle fut d'avis que Luce devait continuer ses

recherches.« C'est très grave, une substitution d'enfants. Tu

as raison, il faut chercher à éclaircir ce mystère. »Elles en parlèrent longuement. Puis Annie sauta

de son fauteuil et s'écria gaiement :« Bon, c'est bien joli, tout ça, mais j'ai faim, et il

n'y a rien de prêt pour le dîner. Si on téléphonait à Patrice? Il y a longtemps qu'il a promis de nous emmener au restaurant et cela nous changerait les idées!

— Entendu », dit Luce en riant.Aussitôt dit, aussitôt fait. Et elles passèrent une

excellente soirée.Le lendemain, Luce retourna au lycée de

Bourgneuf. Elle arriva de bonne heure, exprès, dans l'espoir d'apercevoir Colette Janvier. Elle avait

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besoin de se persuader une fois de plus qu'elle n'exagérait rien, que cette ressemblance était vraiment hallucinante.

Le. médecin survint presque aussitôt; elle dut le suivre dans la salle d'examen et s'occuper d'un nouveau groupe. Mais un peu plus tard, pendant une récréation, elle aperçut par la fenêtre Colette qui jouait au ballon dans la cour. Cette fois, elle n'eut pas l'impression de voir devant elle une enfant en chair et en os, mais d'être elle-même victime d'elle ne savait quel sortilège. Plus que jamais, elle avait besoin de comprendre.

Le soir, en rentrant, elle établit son plan avec Annie. Il fallait retrouver les jumelles Maloin, leur parler si c'était possible. Colette Janvier ne connaissait pas le nom de Maloin — les petites Maloin, elles, connaîtraient-elles celui de Janvier?

Luce résolut de s'adresser à Laure, qui semblait plus expansive que sa sœur. Axelle était plus réservée, plus silencieuse — comme Colette Janvier, en somme.

Avant de questionner l'enfant, il fallait en savoir davantage. Le CES Stendhal, tout comme le lycée de Bourgneuf, devait posséder des dossiers sur tous les élèves. On pouvait au moins apprendre, comme pour Colette, où et quand les sœurs Maloin étaient nées. Cela n'éclaircirait sans doute pas le mystère, mais c'était une information

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qui pouvait avoir sa valeur. En tout cas, elle était facile à obtenir : il suffisait de trouver un prétexte pour consulter les dossiers.

Justement, Luce n'avait pas de remplacement le lendemain. Elle avait donc sa journée devant elle; elle décida d'en profiter pour se rendre au CES Stendhal. Là ce fut une vieille dame, à l'aspect rébarbatif, qui la reçut au bureau.

« Vous êtes infirmière? Vous êtes venue ici pour les examens médicaux il y a quelques jours? Eh bien, que désirez-vous maintenant? Nous n'avons plus besoin de personne.

— Je voudrais, si c'est possible, jeter un coup d'œil sur les dossiers de certaines élèves.

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— Pour quoi faire? »Il fallait trouver une réponse. Heureusement Luce

ne manquait pas d'imagination.« Je crains d'avoir fait une erreur sur certaines

fiches médicales; je voudrais les comparer aux dossiers.— Une erreur! Une erreur! On se demande

vraiment où vous avez la tête! Enfin, si vous avez pensé à la réparer, c'est déjà quelque chose! De qui s'agit-il? »

Là encore, ne voulant pas faire soupçonner qu'elle s'intéressait particulièrement aux sœurs Maloin, Luce donna plusieurs noms.

« Si je comprends bien, vous voulez comparer vos fiches médicales aux dossiers d'inscription? Bon, attendez, je vais vous chercher tout cela. »

Elle revint au bout d'un moment, apportant dés papiers qu'elle posa sur une petite table.

« Tenez, installez-vous ici, vous ne gênerez personne. Rendez-moi le tout aussitôt que vous aurez fini. C'est moi qui suis responsable! ajouta-t-elle avec importance.

— Ne craignez rien, madame; je n'en ai d'ailleurs que pour quelques minutes. »

Au moment d'ouvrir les dossiers, elle hésita. Il lui venait tout à coup un scrupule : de quel droit se mêlait-elle de la vie de ces enfants qui ne lui étaient rien? Mais après tout elle ne faisait rien de mal : les renseignements qu'elle cherchait

Au moment d'ouvrir les dossiers, elle hésita.

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n'étaient un secret pour personne : elle voulait seulement se délivrer de l'obsession que lui causaient les deux sosies.

Elle jeta un regard sur la première feuille et releva brusquement la tête.

MALOIN, Axelle, Marie-Louise. Date et lieu de naissance : 4 novembre 1964, 161, rue Maurin, Neuilly.

La même maternité... un jour de distance...Luce ouvrit le dossier de Laure. Le lieu et la date

de naissance, naturellement, étaient identiques à ceux de sa jumelle; cela, du moins, ne la surprit pas.

Luce avait l'impression que le mystère s'épaississait autour d'elle. Une coïncidence, passe encore, mais deux! Ce n'était pas possible! Il devait y avoir une raison à tout cela. Il fallait continuer, interroger, réfléchir...

Elle referma lentement les dossiers. A ce moment une femme encore jeune, vêtue d'un tailleur sombre, ses cheveux grisonnants impeccablement coiffés, entra dans le bureau. La secrétaire fit les présentations,

« Mademoiselle est l'infirmière qui a remplacé Mlle Dutour pour la visite médicale, mardi dernier. Je ne sais, mademoiselle, si vous connaissez Mme Menin, notre directrice. »

Mme Menin s'avança et tendit la main à la jeune fille.

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« Je vous remercie, mademoiselle, vous nous avez rendu un grand service. Mlle Dutour est tombée malade subitement; il aurait fallu retarder la date des examens, ce qui n'arrangeait pas le docteur. Mais grâce à vous tout a été expédié en un temps record.

— Je suis très heureuse d'avoir pu me rendre utile, madame, répondit Luce en souriant.

— Je vois que vous consultez nos dossiers. Si nous pouvons vous aider en quoi que ce soit...

— Merci beaucoup : je craignais seulement d'avoir mal orthographié certains noms sur mes fiches médicales et j'ai préféré contrôler. Mais je ne m'étais pas trompée : tout va bien. »

Mme Menin jeta un coup d'œil sur les fiches étalées devant Luce.

« Ah! il s'agissait des Maloin! En effet, il arrive assez souvent qu'on fasse erreur et qu'on orthographie le nom avec un u : Malouin; la confusion est facile... Vous les avez donc vues, nos petites jumelles! Dites-moi, en avez-vous déjà rencontré qui se ressemblent aussi peu?

— C'est vrai : cela m'a frappée.— Il n'y a pas que le physique; elles sont aussi

dissemblables de caractère que de traits. Laure est un véritable garçon manqué — charmante, d'ailleurs! Axelle est plus douce, plus réfléchie aussi. Elle a de grandes dispositions pour la musique — ce qui n'a rien d'étonnant, les parents

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étant musiciens tous les deux. Vous avez certainement entendu parler de Pierre Maloin?

— Ce nom me dit quelque chose. Est-ce qu'il n'a pas écrit la musique de certains feuilletons télévisés?

— Mais si, justement! « Retour au pays »... « La maison hantée »... Il est considéré comme un des meilleurs compositeurs de musique de films. Sa femme est moins connue, mais c'est aussi une excellente pianiste. Axelle a hérité de leurs dons.

— Et Laure?— Laure, pas du tout! On lui avait fait

commencer le piano, mais elle étudiait tellement à contrecœur qu'on a dû y renoncer. Mme Maloin m'en a parlé elle-même. On ne force pas une vocation, n'est-ce pas? Remarquez que Laure est très douée de son côté, elle aussi; elle est excellente en mathématiques et en sciences naturelles. Je la vois très bien, plus tard, faire par exemple une carrière de médecin.

— Et elles s'entendent bien, malgré tout?— Parfaitement bien... Elles ne se disputent

jamais : celui qui se risquerait à dire du mal de l'une aurait affaire à l'autre, je vous assure! Ce sont vraiment deux enfants exceptionnelles, chacune dans son genre. Mais c'est étrange, n'est-ce pas, cette dissemblance?

— Oui, c'est étrange... »

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L'image de Colette Janvier se présenta à l'esprit de Luce. Un instant elle fut tentée de confier sa découverte à cette femme sympathique, qui semblait comprendre et aimer les enfants. Mais elle résista à la tentation : elle voulait découvrir elle-même la solution du problème. Elle demanda seulement :

« Puisque vous semblez les connaître, savez-vous si les Maloin ont beaucoup de famille?

— Pas que je sache, répondit la directrice. M. et Mme Maloin sont tous les deux enfants uniques. »

Luce sortit du CES plus bouleversée qu'à son arrivée. La naissance des jumelles Maloin à la clinique Lasnier, vingt-quatre heures après la venue au monde de Colette Janvier, posait un nouveau problème. Mais c'était aussi un indice qui pouvait conduire à la vérité...

En tout cas, c'était vers la clinique Lasnier qu'elle devait maintenant diriger ses recherches!

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IV

L'AGENCE Santé-Service n'ayant plus de remplacements pour visites médicales scolaires à lui proposer, Luce décida de se rendre dès le lendemain à la clinique Lasnier. Elle se demanda, chemin faisant, comment elle allait se présenter. Le mieux était peut-être de dire, par exemple, qu'elle voulait travailler en maternité et désirait savoir exactement en quoi consistait ce travail. Oui, cela était plausible — d'autant plus

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qu'après tout ce n'était pas un mensonge : il ne lui aurait pas déplu de s'occuper de nouveau-nés.

La difficulté serait, non pas d'entrer dans la clinique, mais d'y obtenir les informations qu'elle cherchait. Arriverait-elle à apprendre quoi que ce fût? Cela s'était passé il y avait si longtemps : douze ans, alors qu'elle-même n'était encore qu'une petite fille.

La clinique Lasnier dépendait d'un grand hôpital qui occupait tout un pâté de maisons. Il y avait un jardin intérieur, avec de beaux arbres. L'ensemble était vert et accueillant; l'établissement, récemment refait à neuf, passait pour un des meilleurs de la région parisienne.

Luce se dirigea vers le secrétariat de la maternité et se présenta en sortant ses papiers.

« Je m'appelle Luce Derville, je suis infirmière et j'aimerais avoir quelques renseignements sur les soins en maternité. Pourrais-je, sans trop vous déranger, demander à l'une d'entre vous de me faire visiter les locaux?

— Bien sûr! répondit la jeune femme à qui elle s'adressait. Ma collègue vient me remplacer dans quelques minutes; asseyez-vous en attendant. »

Un moment plus tard l'infirmière, libérée, entraînait Luce à l'intérieur du bâtiment. On voyait qu'elle en était fière et prenait plaisir à tout faire admirer.

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« Tout a été transformé... Avant, il y avait trois grandes salles et quelques chambres particulières. Maintenant aucune salle n'a plus de quatre lits et la plupart des chambres n'en ont que deux. Vous voyez, tout est peint en couleurs claires, et non en blanc cru, pour éviter au maximum l'aspect d'hôpital.

— C'est très bien, affirmait Luce.— Ici, nous ne pouvons pas entrer; regardez à

travers les vitres : c'est la salle des prématurés. Chacun est dans sa couveuse, bien entendu, mais personne ne peut pénétrer dans la salle sans vêtements stériles. »

Luce regardait les berceaux alignés dans leurs cages protectrices. Tant de bébés, qui autrefois eussent été condamnés, et qui maintenant, après quelques semaines, reprendraient normalement leur place parmi les autres...

« Par ici, continua l'infirmière, ce sont les salles de travail, avec les appareils de réanimation. Vous connaissez suffisamment tout cela pour vous rendre compte que notre installation est des plus modernes.»

A ce moment, une femme d'une soixantaine d'années portant une coiffe d'infirmière, apparut au bout du couloir.

« Notre surveillante, Mme Ornans, chuchota la jeune femme. Je vais vous présenter; elle sera enchantée de trouver quelqu'un qui s'intéresse à sa chère clinique! Elle est ici depuis le déluge, je

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suppose! Elle n'a jamais travaillé ailleurs... »Le cœur de Luce fit un bond : ainsi cette Mme

Ornans était déjà dans la maison en 1964! Elle lui fit compliment de la maternité et de ses nouveaux aménagements.

« Oui, c'est très bien, reconnut la surveillante. Mais ce n'était pas mal avant non plus... Moi, je me serais contentée de repeindre. Enfin, il faut bien se mettre au goût du jour, n'est-ce pas? Vous n'étiez jamais venue à Lasnier auparavant?

— Je n'en ai jamais eu l'occasion; j'ai fait mon stage de maternité à Baudelocque.

— Baudelocque... oui, c'est correct. Mais nous avons toujours été mieux équipés. J'ai toute la collection des photos prises depuis mon entrée. Venez dans mon bureau; je vais vous les montrer; je suis sûre que cela vous intéressera. »

La jeune femme les quitta et Luce suivit la surveillante dans une petite pièce claire qui donnait sur le jardin.

« Ce bureau est charmant! » déclara Luce.Mme Ornans parut enchantée.« Oui, n'est-ce pas? J'espère bien ne pas avoir à le

quitter avant ma retraite. Que voulez-vous, à Lasnier je me sens chez moi. Je suis dans la maison depuis trente ans! Tenez, asseyez-vous, regardez les photos. Celles-ci, ce sont les toutes premières, en 45, l'année de mon arrivée. Le jardin

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était beaucoup plus grand que maintenant. Mais nous avons été bien obligés d'agrandir les locaux!

» Ces photos-ci datent de 52; vous voyez, on avait repeint la façade et placé la marquise au-dessus du perron... »

Elle tournait les pages de son album une à une, s'attendrissant sur ses souvenirs.

« Je me rappelle qu'en 62, nous avons eu trois accouchements le même jour, à la même heure. Nous avions beaucoup moins de personnel que maintenant. Il a fallu endormir une des mères; nous avons envoyé chercher un anesthésiste à l'hôpital...

— Vous devez avoir beaucoup de travail, dit Luce. Une naissance ne se passe pas toujours facilement.

— En général, tout va bien, heureusement, mais il y a des cas vraiment angoissants. Tenez — elle tourna quelques pages — cette année-là, par exemple, en 64...

— En 64, répéta Luce. — Qui, le 4 novembre — ah! c'est une date que je ne risque pas

d'oublier! Figurez-vous que nous avions dans la chambre 22 une jeune femme, accouchée de la veille, dont la petite fille avait une occlusion intestinale. Vous connaissez les symptômes : vomissements, ventre gonflé, etc. Le patron décide de l'opérer le 5. Mais voilà que le 4 il nous arrive une autre femme,

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énorme, suffocante. Le médecin qui l'envoie prévient qu'il s'agit de jumeaux.

— De jumeaux... », répéta Luce.Elle avait l'impression d'arriver à ce point d'un

film où on commence à deviner le dénouement, sans en être encore bien sûr.

« Vous ' savez comme moi, poursuivit Mme Ornans, que la naissance de jumeaux pose parfois des problèmes. On emmène immédiatement la mère en salle de travail : le premier bébé se présente mal. La sage-femme est obligée de réclamer l'accoucheur, qui arrive en grommelant. Il était comme ça, notre patron de l'époque : un praticien remarquable — mais quel caractère!

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« Bref on commence; il n'y avait pas de temps à perdre : la mère n'en pouvait plus. Deux enfants, et bien à terme, pensez un peu! Le médecin et la sage-femme s'y mettent : on met au monde le premier — une belle petite fille, ma foi!

— Et ensuite? » demanda Luce.Elle était aussi émue que si elle avait elle-même

assisté l'équipe; elle pressentait ce que l'autre allait dire et avait du mal à réprimer son impatience.

« Pour la seconde, c'a été plus facile. C'était aussi une fille : deux vraies jumelles! Une belle enfant aussi : six livres, comme la première. Le patron a poussé un soupir de soulagement. Cependant la pauvre mère était sans connaissance; on l'a emmenée en réanimation et le patron a fait le nécessaire. Le père est arrivé; il est resté près de sa femme pendant que nous nous occupions des enfants. Il était tellement inquiet pour elle qu'il n'a même pas cherché à voir les petites; on lui a dit que c'étaient deux filles et que tout s'était bien terminé; il n'en a pas demandé plus.

— Vous avez dû passer un dur moment! dit Luce.

— Attendez : ça ne faisait que commencer! Le patron est parti, mais à l'aube il a fallu qu'on le rappelle : la seconde des jumelles n'allait pas bien du tout. Son ventre se ballonnait, elle commençait à vomir... Le patron a diagnostiqué

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une occlusion intestinale, comme la petite du 22!— Je croyais que c'était relativement rare?— Ce n'est pas exceptionnel — mais deux le

même jour, ça ne nous était jamais arrivé! Le patron a décidé de les opérer toutes les deux le même jour, l'une après l'autre. Vous pensez si la clinique était sens dessus dessous : personne n'avait fermé l'œil de la nuit.

— Les interventions ont réussi?— Oui, toutes les deux. Au bout de quelques

heures tout danger était écarté. On est allé rassurer le père des jumelles — il avait bien fallu le mettre au courant de ce qui se passait. La mère, elle, était toujours sous l'effet des calmants et ne se rendait compte de rien, ce qui valait mieux.

— Et l'autre mère — celle de la chambre 22?— Celle-là savait qu'on opérait sa fille; inutile

de vous dire si elle se tourmentait! Je ne sais pas si c'est pour cette raison, mais le jour suivant elle a fait une lymphangite du sein, avec 40° de fièvre. On n'a pas pu lui rendre sa petite fille avant plusieurs jours. Ils avaient deux autres enfants, deux garçons; le père venait en coup de vent, pour ne pas les laisser seuls à la maison.

— Enfin, dit Luce, tout s'est bien terminé, c'est l'essentiel.

— En effet. Ah! je vous assure que nous avons poussé un soupir de soulagement, le jour où nous

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avons rendu les bébés à leurs mères. Parce que, bien sûr, en plus de tout cela, il fallait s'occuper aussi du train-train habituel. Ah! je ne suis pas près de l'oublier, ce 5 novembre!

— Vous vous rappelez le nom des deux accouchées?

— Celle de la chambre 22, je ne sais plus. Nous voyons passer tant de monde! Mais les parents des jumelles, ça, je m'en souviens : ils s'appelaient Maloin; le père est un musicien connu. Et je me rappelle aussi le nom d'une des petites — celle qu'on n'a pas opérée. Je ne l'ai pas oublié, parce que le prénom n'était pas courant : Axelle. »

Dans l'esprit de Luce, le puzzle se reconstituait lentement. Maintenant qu'elle connaissait les circonstances de ces naissances, ce qu'elle avait soupçonné se transformait peu à peu en certitude. Elle imaginait la clinique dans le désarroi de cette double urgence. Etait-il impossible que dans une telle situation une erreur eût été commise? Que Laure Maloin fût en réalité Colette Janvier, et vice versa?

Une erreur de ce genre expliquait tout : l'extraordinaire ressemblance de Colette et d'Axelle, la tache de naissance identique et inversée, comme il arrive parfois chez les jumeaux?

Cependant, Mme Ornans continuait à tourner les pages de son album et à évoquer ses souvenirs d'une voix animée.

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Mais la pensée de Luce voguait bien loin de là, vers ces enfants presque inconnues dont elle venait de découvrir le drame.

Le drame... Mais en était-ce un, si tout le monde était heureux ainsi?

Luce mourait d'envie de parler à la surveillante, de lui dire ce qu'elle avait trouvé, ce qu'elle soupçonnait. Mais Mme Ornans, aimant Lasnier comme elle l'aimait, aurait-elle toléré la simple pensée qu'une erreur de cet ordre ait pu s'y commettre? Elle avait assisté aux interventions; elle était en partie responsable de ce qui s'était passé. Elle pouvait même prendre une question pour un blâme...

« Et voilà! dit-elle gaiement en refermant l'album. Maintenant vous connaissez Lasnier aussi bien que moi! »

« Aussi bien... Mieux, peut-être! » pensa Luce.Il lui semblait tout à coup qu'un poids très lourd

venait de tomber sur ses épaules.

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V

QUAND Luce repassa à l'Agence Santé-Service, le lendemain, la secrétaire l'accueillit avec un large sourire :

« Cette fois, j'ai quelque chose d'intéressant pour vous. J'ai eu deux demandes de travail à domicile, ce matin : une chez un vieux monsieur qui vient d'avoir une attaque et a besoin de soins assez sérieux. L'autre chez une jeune femme; elle a été opérée d'un kyste sans grande gravité, mais le médecin exige une surveillance pendant cinq ou six jours. Je lui ai d'ailleurs déjà envoyé quelqu'un : Mlle Blanc, que

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vous connaissez peut-être. »La secrétaire poursuivit :« Le vieux monsieur vit seul, avec une

gouvernante qui tient sa maison; je pense que vous y serez bien. Chez les autres, c'aurait été moins calme : le père est musicien, il y a deux enfants... »

Musicien... deux enfants...« Comment s'appellent-ils? demanda Luce.— Maloin — Pierre Maloin. Il est assez

connu. »La jeune infirmière avait sursauté. « Maloin...

Vous dites que vous leur avez envoyé Mlle Blanc?

— Oui : elle est arrivée cinq minutes avant vous.— Alors elle n'est peut-être pas encore très loin

d'ici?— Certainement non : je pensais même que vous

auriez pu vous croiser en chemin. Elle m'a demandé s'il y avait un libraire dans le quartier; elle voulait acheter un livre pour son petit neveu. Je lui ai indiqué Lebel, au coin de l'avenue.

__ Quand doit-elle prendre son poste?— Cet après-midi.__Vous croyez que je pourrais lui proposer un

échange?— Bien sûr. Je ne peux pas vous promettre

qu'elle acceptera, mais je ne pense pas que cela fasse une grande différence pour elle. Arrangez-vous

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comme vous voudrez, mais prévenez-moi le plus vite possible; je n'ai pas encore téléphoné chez la malade.»

Luce s'élança dans la rue. Un poste chez les Maloin! c'était presque miraculeux... Pourvu que Mlle Blanc fût d'accord! Après tout, pour elle, cela n'avait peut-être pas d'importance.

Chez Lebel, avait dit la secrétaire. Luce connaissait bien la grande librairie, toute proche. Avec un peu de chance...

Elle arriva dans le magasin, hors d'haleine, et chercha des yeux le rayon des livres pour enfants. Une dame d'âge mûr, aux cheveux grisonnants feuilletait un ouvrage illustré. Dieu merci! elle était encore là!

« Vous êtes bien Mlle Blanc? »La dame reposa l'album et leva sur la nouvelle

arrivante des yeux étonnés.« Excusez-moi, dit Luce. Je suis infirmière,

comme vous; je viens de l'Agence Santé-Service. On m'a dit qu'on vous avait proposé deux gardes à domicile, et que vous aviez choisi d'aller chez Mme Maloin...

— En effet, répondit l'autre.— Alors, je voudrais vous demander quelque

chose. Un... un grand service... Puisqu'on m'a dit

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que vous aviez hésité. Cela vous ennuierait-il de changer avec moi et de prendre l'autre poste? »

L'infirmière aux cheveux gris paraissait plus surprise que fâchée. Elle ne refusa pas tout net, comme Luce l'avait craint.

« Vous avez des raisons de vouloir allez chez Mme Maloin? interrogea-t-elle. Vous la connaissez?

— Je connais un peu ses filles. C'est pour cela que je me suis permis de vous poser la question. »

Mlle Blanc réfléchit un moment puis sourit gentiment :

« Ecoutez, c'est un peu inattendu, mais au fond pourquoi pas? Vous semblez y tenir tellement. Moi, cela m'est égal... »

Le visage de Luce s'illumina.« Vraiment? Vous accepteriez?...— Mais oui! et puis tenez, pour tout vous dire,

c'est mieux comme cela. Finalement ce musicien, ces enfants si jeunes, cela m'effrayait un peu... Je serai plus à l'aise chez un vieux monsieur!...

— Oh! Mademoiselle, je ne sais comment vous remercier.

— Attendez un instant... aidez-moi à choisir le livre que je cherche pour mon neveu. Un album comme celui-là, ce n'est pas trop enfantin pour un garçon de sept ans?

— Il me semble que vous-même, quand je suis arrivée, vous vous amusiez en le regardant! »

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Mlle Blanc se mit à rire.« C'est vrai. Bon. D'accord, je le prends. »En sortant de la librairie, elles firent un bout de

chemin ensemble, en bavardant amicalement. L'infirmière aux cheveux gris était au fond très contente de l'arrangement. Quant à Luce, l'idée de pénétrer chez les Maloin lui faisait battre le cœur comme au seuil d'une aventure.

Elle rentra chez elle et se fit griller un steak dans la kitchenette. Puis elle se rendit au bureau

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de poste voisin pour prévenir Annie qu'elle ne rentrerait pas le soir.

« Tu as trouvé quelque chose?— Oui, pour cinq ou six jours : une jeune

femme. Tu te rappelles, ces deux jumelles que j'avais vues au CES Stendhal?

— Ces jumelles qui se ressemblaient si peu?— C'est cela. Eh bien, il s'agit de leur mère.— Elle est gravement malade?— Non, elle a eu une petite intervention; il faut

la surveiller quelques jours.— Préviens-moi quand tu reviendras.

J'organiserai quelque chose pour le soir de ton retour. En attendant, bonne chance! »

Luce prépara sa petite valise avec ses effets personnels et la trousse d'infirmière qu'elle emportait toujours chez les malades.

Elle descendit et se dirigea vers la rue Peyrol, où habitaient les Maloin. La distance était courte, la valise légère; Luce, ayant tout son temps, avait décidé d'aller à pied, pour jouir du temps encore doux et des belles couleurs de l'automne.

En arrivant à l'adresse indiquée, elle s'arrêta un instant devant un immeuble déjà ancien, d'aspect cossu. Elle monta au premier et sonna à une porte de chêne, qui s'ouvrit presque aussitôt.

Une jeune femme assez forte, au visage basané,

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fit entrer la visiteuse. Mais déjà une petite fille se précipitait dans le vestibule. Luce reconnut Laure, la plus bavarde des deux sœurs.

« Vous êtes l'infirmière pour maman? » demanda la petite fille.

Puis, sans attendre la réponse :« C'est drôle, je crois que je vous ai déjà vue... »Luce sourit.« En effet, nous nous connaissons déjà. Vous ne

vous rappelez pas que j'assistais le médecin lors de la visite de santé, au CES Stendhal?

— Mais si, c'est vrai! Quelle chance! Mais vous n'êtes pas habillée en infirmière, aujourd'hui?

— Je ne le suis jamais dans la rue. J'ai ma blouse dans ma valise; vous me direz où je peux me préparer.

— Vous avez une chambre! dit l'enfant. Pas une grande comme maman; une plus petite, comme ma sœur et moi. Nous avons chacune la nôtre, parce que je fais du bruit, j'empêche Axelle de travailler. Moi, ça m'est égal : papa dit que ça ne me gênerait pas de faire mes devoirs au milieu d'une gare! Vous connaissez Axelle aussi?

— Oui, je la connais.— Elle ne me ressemble pas : elle est beaucoup

plus sage que moi. Elle est plus timide aussi. Vous voulez voir maman d'abord, ou vous habiller?

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— M'habiller; j'irai voir votre maman quand je serai en tenue.

— Bon, allons dans la chambre. »A ce moment, on gratta doucement à une porte

Laure se mit à rire.« Brigadier, lui, vous ne le connaissez pas, bien

entendu. Il ne va pas à l'école! Mais je vais vous présenter, comme cela vous serez tout de suite bons amis! »

Elle ouvrit la porte : un grand chien briard au poil ébouriffé s'élança vers elle, les oreilles dressées, et lui lécha la figure.

« Doucement, doucement, Brigadier! dit-elle. Maman est malade; nous ne devons pas faire de bruit. Quelquefois nous jouons tous les deux à

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courir dans le couloir, mais aujourd'hui il ne faut pas.

— Il est magnifique! déclara Luce.— Vous aimez les chiens? Je suis sûre que oui :

il n'y a que les gens méchants qui ne les aiment pas. Il est très intelligent : tous les bergers le sont, sans quoi ils ne pourraient pas garder les moutons. Ecoute, Brigadier, cette demoiselle, c'est l'infirmière qui vient soigner maman, donne-lui la patte pour lui dire merci. »

Le chien s'approcha lentement de la jeune fille et leva vers elle de beaux yeux dorés. Luce lui tendit la main, et il y déposa gravement sa patte.

« Quel âge a-t-il?— Oh! il est vieux! Papa nous l'a donné pour

nos quatre ans. Il venait toujours avec nous quand nous allions nous promener au Bois avec maman et il faisait un peu peur aux autres enfants quand il courait derrière eux pour jouer!...

— Mais il n'est pas méchant?— Non, il n'a jamais mordu. Seulement il y

a des choses qu'il n'aime pas... Une fois il y avait ici une amie. A un moment, elle a voulu aller visiter l'appartement, mais Brigadier s'est mis devant notre chambre et n'a pas voulu la laisser entrer!... Il grondait et il montrait les dents. Elle a eu très peur!...»

Luce caressait la tête du chien.

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« Il faut aussi lui dire votre nom, pour qu'il vous connaisse bien. Vous êtes mademoiselle?...

— Derville. Luce Derville. Vous pouvez m'appeler Luce tout simplement.

— Tu entends, Brigadier, c'est Mlle Luce. Tu peux venir dans notre chambre, mais pas dans celle de maman. »

Ils enfilèrent un grand corridor, passant devant plusieurs portes fermées. Laure en désigna une grande, à deux battants.

« Ça, c'est le salon : c'est là que papa travaille. Vous entendez le piano? Il ne joue pas fort, pour ne pas fatiguer maman. Sa chambre à elle est de l'autre côté, à l'opposé des nôtres. »

Un pas léger s'approcha : c'était Axelle.« Regarde, Axelle! c'est l'infirmière du CES! Tu

la reconnais?— Bien sûr! » dit Axelle.Elle était moins vive que Laure, mais tout aussi

cordiale. Toutes deux montrèrent à Luce la chambre qui devait être la sienne.

« Mais ne serai-je pas bien loin de votre maman? s'inquiéta celle-ci.

— On a mis un divan dans sa chambre, expliqua Axelle. Ici vous pourrez ranger vos affaires et faire votre toilette dans notre salle de bains, à ma sœur et à moi. »

Ma sœur... Le mot résonna étrangement aux

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oreilles de la jeune infirmière. Que venait-elle faire ici? Troubler leur bonheur? Mais il était encore temps : elle pouvait repartir sans rien dire.

Laure et Axelle la laissèrent se préparer, ce qui ne lui prit que quelques minutes. Quand elle ressortit de la chambre, vêtue de blanc, les deux filles, qui la guettaient, s'élancèrent à sa rencontre.

« Comme vous êtes belle! s'exclama Axelle.— Mais il ne faudra pas laisser Brigadier sauter

sur vous! recommanda Laure. Il n'a pas toujours les pattes très propres, surtout quand il pleut!

— Pouvez-vous maintenant me conduire chez ma malade? » demanda Luce en souriant.

Comme elles passaient devant la double porte, celle-ci s'ouvrit et un homme apparut : Laure et Axelle coururent à lui et le prirent chacune par une main. Il était de taille moyenne, très mince, avec un visage un peu émacié encadré d'une barbe blonde taillée court. Ses yeux gris avaient une expression très douce. Il serra la main de la jeune infirmière.

« Je suis heureux de vous voir, lui dit-il. Ma femme n'est pas très malade, heureusement, mais on vient de lui enlever un petit kyste; il y a des pansements à faire; quelquefois elle souffre encore un peu. Je ne suis pas très adroit; les enfants, comme vous voyez, sont encore jeunes.

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Elle a besoin pendant quelques jours d'avoir près d'elle quelqu'un comme vous.

— Je ferai de mon mieux, monsieur. »A la porte de la malade, il frappa du bout des

doigts et passa la tête dans l'entrebâillement.« C'est ton infirmière, chérie. »La malade reposait dans un grand lit, appuyée sur

des oreillers. Ses cheveux bouclés entouraient un visage un peu pâle, aux yeux très bleus. Les yeux d'Axelle! pensa Luce.

« On peut entrer? demanda Laure.— Pas maintenant, mon petit. Vous viendrez

tout à l'heure dire bonsoir à maman. »Il se tourna vers Luce :« Si je les écoutais, mes filles ne quitteraient pas

leur mère du matin au soir... »« Ses » filles... Encore un mot troublant. Un

instant Luce craignit de laisser deviner son émotion. Se ressaisissant, elle s'avança vers la malade. Le sourire qu'elles échangèrent promettait qu'entre elles deux tout irait bien.

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VI

IL Y AVAIT trois jours que Luce était chez les Maloin, et déjà elle s'y sentait comme chez elle. Le matin, elle faisait le pansement et la toilette de la jeune femme, coiffait avec plaisir les cheveux brillants qu'elle enroulait en boucles sur ses doigts. Le médecin venait tous les jours; il était satisfait des progrès de la convalescence; une semaine encore et ce serait fini; on pourrait peut-être envisager un petit séjour à la montagne.

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« Mais je n'ai pas envie de quitter mon mari et mes enfants! disait-elle.

— En tout cas, soyez raisonnable et mangez bien. Dès que vous n'aurez plus de fièvre, vous pourrez vous lever et faire quelques pas dans votre chambre. »

En reconduisant le médecin jusqu'à la porte, Luce. lui posa quelques questions professionnelles.

« La plaie se referme bien, n'est-ce pas, docteur?— Oui, localement c'est parfait : l'important est

qu'elle reprenne des forces. Elle a toujours été un peu fragile depuis la naissance des jumelles.

— L'accouchement a été difficile?— Il paraît : je ne la soignais pas encore à ce

moment-là. »Luce préparait elle-même les repas nutritifs et

appétissants recommandés par le médecin. A la cuisine, Rosa, l'Espagnole, ne tarissait pas d'éloges sur la famille.

« Ils sont gentils, mademoiselle, si vous saviez! Ils s'entendent tellement bien, tous les quatre! Les petites sont gentilles aussi; elles ont du cœur...

— C'est étonnant, n'est-ce pas, qu'elles se ressemblent aussi peu, étant jumelles. »

Rosa, elle, ne s'en étonnait pas. Les jumeaux ne se ressemblent pas toujours : il y en a bien qui sont garçon et fille — alors! C'était ainsi, d'ailleurs,

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que les parents eux-mêmes considéraient les deux petites.

En rentrant du collège, elles venaient toutes deux dire bonjour à leur mère, qui ne s'éveillait le matin qu'après leur départ. Laure se précipitait en coup de vent dans la chambre, tandis qu'Axelle se glissait doucement près du lit de Mme Maloin pour l'embrasser.

On passait ensuite à la salle à manger, où Luce déjeunait avec M. Maloin et ses deux filles. Le repas était toujours gai et animé : les plaisanteries de Laure faisaient souvent rire son père et sa sœur. Un jour, le compositeur annonça qu'il venait de signer un contrat pour la musique d'un nouveau film. Laure et Axelle l'assaillirent de questions.

« Un film comment? Une comédie? Un drame?— Plutôt une comédie, mais avec une partie

dramatique. Cela se tournera en Provence, près des Baux.

— Ça s'appellera comment?— On ne le sait pas encore. C'est toujours

difficile de trouver un bon titre.— Mais ça, ce n'est pas toi qui dois le trouver,

n'est-ce pas?— Non, non, moi je ne m'occupe que de la

musique.

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— Tu as commencé à l'écrire, papa? demanda Axelle.

— Oui, et j'ai d'autres airs dans la tête; je te les ferai entendre. Tu me diras ce que tu en penses.

— Oh! oui », fit la petite, les yeux brillants. Luce remarqua que Laure, depuis un moment,

ne s'intéressait plus du tout à la conversation. Elle jouait avec des miettes de pain sur la nappe et semblait penser à tout autre chose. Son ennui ne dura pas. Brigadier, qu'on ne laissait pas tourner autour de la table pendant le repas, se mêla aux convives quand ils passèrent au salon pour prendre le café. Il donnait la patte successivement à chacun d'eux dans l'espoir d'obtenir un morceau de sucre.

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« Un quart seulement! recommanda M. Maloin. Sinon vous le ferez engraisser.

— J'ai essayé de lui apprendre à faire le beau, dit Axelle, mais je n'ai pas pu y arriver. Le chien de notre amie Eliane le fait très bien.

— C'est qu'ils ne sont pas de la même race, expliqua son père. Le chien d'Eliane est un caniche, notre Brigadier, un berger. Il serait humilié d'être comparé à un chien de salon.

— Crois-tu qu'il saurait encore conduire les moutons, si on le mettait dans un troupeau?

— Je l'ignore, mais je pense que oui. Les instincts de la race ne disparaissent jamais. »

Laure intervint en riant :« Mais alors comment se fait-il que vous soyez

tous musiciens et moi pas? Nous sommes pourtant de la même race!

— Heureusement les humains ne sont pas tous pareils, même dans une famille. Ce serait un peu monotone, tu ne trouves pas?

— Je voudrais bien savoir jouer du piano comme Axelle!

— Il y a beaucoup de choses que tu fais très bien. Rappelle-toi la première fois que nous sommes allés à Val d'Isère, tu as appris à skier en quelques jours.

— Tandis que moi, ajouta Axelle, j'étais plus souvent par terre que sur mes pieds! »

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Tout le monde se mit à rire, et Brigadier lança en écho un aboiement joyeux.

Ce jour-là, Mme Maloin parla à Luce de ses deux filles. Dans le salon, Axelle étudiait son piano.

« Elle semble avoir un joli talent, remarqua Luce. A-t-elle l'intention de faire une carrière musicale?

— Je le crois, dit la mère. Je suis pianiste, moi aussi : j'ai abandonné les concerts après mon mariage, mais je fais de la musique avec joie toutes les fois que j'en ai l'occasion. Le professeur d'Axelle m'affirme qu'elle possède des dons exceptionnels. Vous penserez peut-être que je me fais des illusions parce qu'elle est ma fille...

— Pas du tout, protesta Luce. Laure ne fait pas de musique, elle? »

Mme Maloin secoua la tête.« Nous avons commencé à lui faire faire du

solfège et du piano en même temps qu'à sa sœur, mais nous avons vite constaté que cela ne l'intéressait pas. Elle y mettait beaucoup de bonne volonté, c'était amusant à voir : elle se forçait à travailler pour nous faire plaisir. Mais je trouve qu'il est aussi mauvais de vouloir forcer un talent que de s'y opposer lorsqu'il existe. Nous avons renoncé à lui faire étudier le piano ou tout autre instrument.

— Cela ne vous fait pas un peu de peine, à vous qui aimez tant la musique? »

Nous avons commencé à lui faire faire du solfège et du piano -*

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Mme Maloin sourit :« Je vous avoue que si... Oh! pour rien au monde

je ne voudrais le lui laisser voir! Mais je me demande quelquefois si elle ne s'en doute pas un peu malgré tout. La musique représente tant pour nous! Il nous arrive d'être si heureux de jouer tous les trois, ou d'écouter mon mari exécuter pour nous ses compositions. Beaucoup de nos amis sont aussi professionnels; nous faisons souvent de la musique ensemble. Je me demande quelquefois si ma pauvre Laure ne risque pas de se sentir un peu à l'écart... Vous comprenez ce que je veux dire?

— Je comprends parfaitement, répondit Luce.

— Mais elle est douée, elle aussi, poursuivit la mère. Au collège, elle a presque toujours de meilleures notes qu'Axelle. Cela me fait plaisir : cela l'empêche d'éprouver de la jalousie.

— Je crois que de ce côté-là vous ne risquez rien: les deux petites semblent avoir une profonde affection l'une pour l'autre.

— C'est exact, déclara Mme Maloin. Quoique n'ayant pas les mêmes goûts, elles se sont toujours parfaitement entendues. »

La cicatrice de Mme Maloin se refermait rapidement. Au bout de huit jours, le médecin

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l'autorisa à faire quelques pas. Le lendemain Axelle lui dit mystérieusement :

« Tu viendras dans le salon ce soir, maman : nous t'avons fait une surprise. »

Luce savait de quoi il s'agissait : M, Maloin avait déjà mis au point certains thèmes musicaux de son film. Il jouait lui-même du violon et avait étudié avec Axelle ton passage qu'il venait d'écrire et qui devait accompagner une scène d'adieux. Ils voulaient que Mme Maloin fût la première à l'écouter.

A cette surprise, naturellement, Laure ne participait pas réellement; quand les deux autres en parlaient à table, elle se taisait. Un soir, Luce remarqua qu'elle avait l'air un peu triste. Son chagrin était compréhensible. Elle avait, certes, l'habitude de situations analogues, mais ce soir c'était différent : il s'agissait de faire à sa mère un plaisir auquel elle ne pouvait prendre part. Le lendemain Luce s'arrangea pour se trouver seule avec les deux sœurs.

« Puisque nous fêtons la guérison de votre maman, leur dit-elle, ne serait-ce pas gentil de lui offrir quelques fleurs? Elle m'a dit qu'elle aimait beaucoup ces rosés jaunes que l'on trouve en ce moment.

— Quelle bonne idée! s'écria Axelle. J'en ai vu justement chez la petite fleuriste du coin.

— Je pourrai aller les chercher pendant que vous jouerez, dit Laure; ainsi elles seront toutes

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fraîches; je les lui donnerai quand vous aurez fini, comme dans les vrais concerts. »

A la fin de l'après-midi, la convalescente, qui s'était reposée jusque-là, se leva; Luce l'aida à s'habiller.

« Il faut vous faire très belle, lui dit-elle; c'est fête aujourd'hui, vous verrez la surprise qui vous attend! »

Les deux sœurs, elles aussi, avaient quitté leurs pantalons de tous les jours et revêtu les robes des grandes occasions. On installa Mme Maloin sur le grand canapé; M. Maloin accordait son violon, Axelle s'était assise au piano.

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« Où donc est Laure? demanda la mère.— Elle prépare sa surprise, elle aussi », lui glissa

Luce à l'oreille.Les musiciens commencèrent à jouer; on voyait

que tous les trois, les exécutants et l'auditrice, partageaient la même émotion. Quand Axelle et son père s'arrêtèrent, Mme Maloin déclara :

« C'est merveilleux! C'est un passage pour ton nouveau film, Pierre?

— Oui : la scène se passe au bord d'un lac» au lever de la lune : les comédiens sont debout sous des saules. Tu les imagines bien, Thérèse?

— Il me semble que je vois parfaitement la scène... les arbres, l’eau tranquille, la lune... Je crois, Pierre, que c'est tout à fait la musique qu'il fallait! »

A ce moment Laure, qui était rentrée sans bruit, posa sur les genoux de sa mère le bouquet de rosés. Mme Maloin serra ses filles dans ses bras.

« Merci... merci à tous! » murmura-t-elle.Cette nuit-là, la jeune infirmière réfléchit

longuement avant de s'endormir. Il était évident que Laure, malgré tout, vivait parfois en marge de la famille : on l'aimait, mais elle se sentait différente...

L'autre jumelle — la vraie — aurait-elle été plus à sa place ici? Luce n'en savait rien. Il lui avait fallu vivre plusieurs jours dans l'intimité des Maloin pour découvrir cette faille.

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Des Janvier, en revanche, elle ne connaissait rien; il lui était impossible d'imaginer l'existence de Colette au milieu de ses frères et sœurs. Elle savait par la surveillante de la clinique que les Janvier avaient plusieurs enfants : comment se comportait, parmi les autres, ce rameau issu d'une branche différente? Y avait-il, comme pour Laure Maloin, des moments où elle se sentait un peu à part?

De la substitution, maintenant, Luce ne doutait plus. Le problème, pour elle, était autre : seule à connaître le secret, avait-elle le droit, avait-elle le devoir, de révéler la vérité aux deux familles? Ne risquait-elle pas, en parlant, de créer une situation pire?

D'autre part, pouvait-elle garder un secret aussi lourd? Pouvait-elle, en se taisant, prolonger une situation basée après tout sur un tragique malentendu?

Peut-être, si elle connaissait les Janvier, tout serait-il différent... peut-être verrait-elle plus clairement où se trouvait son devoir?

Le moment approchait où elle devait quitter les Maloin. Toute la famille manifestait un vif regret de la voir partir; Brigadier lui-même semblait lui témoigner davantage d'amitié. En venant chercher son morceau de sucre quotidien, il posait la tête sur ses genoux et la regardait de ses

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grands yeux d'or, comme pour lui dire : « Ne t'en va pas! »

Depuis que Mme Maloin était rétablie, la maison, plus que jamais, s'emplissait de musique. La veille du jour où Luce devait partir il y eut un dîner particulièrement animé; au dessert, les jumelles offrirent à Luce un joli foulard qu'elles avaient choisi elles-mêmes, sur les conseils de leur mère.

« Non, protesta-t-elle, vous ne devez pas... je ne peux pas accepter...

— Vous nous feriez de la peine en refusant, Luce, lui dit M. Maloin, ne sommes-nous pas devenus des amis? »

Et en effet les regards affectueux des petites filles et le sourire de Mme Maloin étaient là pour le prouver.

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VII

JE POUVAIS vivre chez les Janvier comme j'ai vécu chez les Maloin, se disait Luce, je verrais mieux ce que je dois faire... »

Elle imaginait Colette malheureuse dans sa famille, sans lien avec ses frères et sœurs. Tout, en ce cas, serait tellement plus simple...

Mais les Janvier n'avaient pas besoin d'infirmière; Luce ne voyait aucun moyen de les approcher.

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« Tu as trouvé un autre poste? lui demanda Annie le soir de son retour au studio.

— Oui, pour la semaine prochaine. Et toi, qu'as-tu fait?

— Au bureau, pas grand-chose. Mais j'ai été invitée à une soirée chez Odile Marchand. C'était très sympathique. On a dansé toute la soirée, il y avait entre autres un étudiant en médecine, pas mal du tout!... et en plus très amusant, avec qui j'ai beaucoup parlé... je crois que nous nous reverrons! Il y avait aussi ce jeune avocat, Jacques Tessier, que j'ai déjà rencontré chez Odile. C'est un grand ami de ses parents.

— En somme, tu as passé une bonne semaine?— Excellente! Tu devrais sortir un peu, toi

aussi, maintenant que tu es plus libre.— Tu sais bien que je ne demande pas mieux.

Qu'est-ce que tu proposes?— Eh bien, vendredi, justement, je dois aller au

cinéma avec « mon » étudiant. Viens avec nous. On pourrait demander à Alain si cela l'intéresse...

— Très bonne idée!... »Mais tandis qu'Annie donnait d'autres détails sur

sa soirée, Luce se remit à penser aux jumelles. Elle ne voyait pas le moyen de s'introduire chez les Janvier, mais elle pouvait au moins essayer de se faire une idée sur la vie que menait la véritable sœur d'Axelle.

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Elle regrettait de ne pas avoir noté, le jour de l'examen médical, l'adresse de Colette. Mais il n'était pas difficile de la découvrir; elle n'avait qu'à retourner à Bourgneuf, guetter la petite fille à la sortie du lycée et la suivre jusque chez elle.

Aujourd'hui, vendredi, pourquoi pas? Les élèves, lorsqu'elles n'avaient pas de leçons particulières, sortaient à quatre heures. Luce pouvait s'asseoir sur un banc, en face du lycée, et attendre.

A quatre heures moins le quart, elle était à son poste. Elle avait apporté un livre pour se donner une contenance — comme un vrai détective! pensa-t-elle. Le côté policier de cette filature l'aurait amusée, si elle avait pu distraire son esprit un seul instant du secret qu'elle détenait et de la responsabilité qui pesait sur elle.

Les enfants commencèrent à sortir; à peine la porte franchie, ils se réunissaient par petits groupes et bavardaient avec animation. Il y avait des filles et des garçons de toutes les tailles; les cheveux blond pâle de Colette la faisaient reconnaître de loin. En l'apercevant, Luce sentit son cœur battre plus vite.

La petite fille s'éloigna d'abord avec deux camarades, puis se sépara d'eux et continua seule sa route. Luce la suivit de loin, pour ne pas se faire remarquer.

Colette s'arrêta d'abord devant une papeterie

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et regarda les journaux illustrés étalés à la devanture. Une fois même elle en ouvrit un, mais le referma très vite en voyant le papetier s'avancer du fond de la boutique.

Au bout de la rue, elle s'arrêta devant une grande école. Des enfants plus jeunes sortaient en trombe, courant et se bousculant comme de jeunes animaux échappés d'une cage. Un agent, planté au milieu de la chaussée, arrêtait les voitures et faisait traverser les plus petits. Quelques-uns rejoignaient leurs mères et s'éloignaient avec elles.

Colette se dirigea vers une petite fille de sept à huit ans, qui se précipita vers elle pour l'embrasser. Puis toutes les deux reprirent leur route ensemble en bavardant avec animation : la plus petite surtout semblait intarissable, l'autre riait en l'écoutant. Luce regrettait de ne pas pouvoir les entendre.

Un peu plus loin, elles entrèrent dans une boulangerie, Luce s'arrêta aussi, feignant d'admirer un étalage voisin, mais elle eût été bien en peine de dire ce qui s'y trouvait. Colette sortit avec un gros pain enveloppé de papier; la petite essayait de casser le bout du pain pour manger le croûton bien chaud; l'autre riait.

Le trajet était long; elles abandonnèrent le centre de la localité pour aborder un quartier de maisons basses, entourées de jardinets. L'ensemble

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était modeste, mais agréable. Colette poussa une grille et entra. Un mur que dépassait une haie de troènes entourait la maison; devant les quelques marches du perron on voyait une minuscule pelouse, une table, des chaises de fer peintes en vert.

Une impasse bordait le jardin sur la droite; Luce s'assit sur le mur du côté de cette impasse, afin de n'être pas vue si quelqu'un entrait dans la maison ou en sortait. De là, elle apercevait les enfants à travers le feuillage des troènes et entendait distinctement leurs voix.

« Tu veux goûter ici, Sabine? demandait Colette.

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— D'accord, il fait tellement beau! J'ai déjà mangé au moins la moitié du pain, tu sais!

— Tu exagères, fit Colette à demi fâchée; si on te laissait faire, il n'en resterait plus pour les autres! Je vais quand même te faire des tartines; je suis trop bonne! »

Elle rentra dans la maison et revint au bout d'un moment avec de la confiture, quatre bols et un pot de lait fumant. Toutes deux se mirent à manger avec appétit.

« C'est bon! » déclara Sabine en relevant vers sa sœur son visage barbouillé de blanc.

Un pas se fit entendre dans la rue; Luce se serra plus fort contre le mur de l'impasse. Deux silhouettes passèrent devant elle sans* la voir et poussèrent la grille. La petite s'élança joyeusement :

« Voilà Marc et Alain! »Ils pouvaient avoir de quinze à seize ans. Le plus

grand souleva Sabine et la fit tournoyer autour de lui.« Arrête, arrête, Alain! cria-t-elle en riant. Tu vas

me donner mal au cœur!— Tu n'as pas mal au cœur sur les chevaux de

bois, pourtant.— Ce n'est pas la même chose : sur les chevaux

je suis attachée.— Alors tu as peur que je te lâche? Tu n'aspas confiance en ton frère? J'ai bien envie, pour

te punir, de manger ta tartine! »

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Les garçons, eux aussi, avaient faim : le gros pain diminuait à vue d'œil.

« Vous avez beaucoup de travail, ce soir? demanda Colette.

— Moi, oui, j'ai un contrôle dans deux jours, dit Marc avec un soupir.

— Un contrôle de quoi?— De maths! la matière que je déteste le plus! Il

faut que je m'y mette tout de suite. Tu m'aideras un peu, Alain?

— Ouais, si tu veux. Mais plus tard, parce que je dois d'abord apprendre mon histoire.

— Ce que vous êtes sérieux ce soir! plaisanta Colette. Que vous arrive-t-il? »

L'atmosphère était gaie, amicale. Colette semblait heureuse au milieu des siens. Mais comme elle était différente d'eux tous! si blonde alors que les trois autres étaient bruns, si menue alors qu'ils étaient musclés et robustes... Luce l'imagina à côté d'Axelle et ferma les yeux.

Les garçons rentrèrent dans la maison.« Tu joues avec moi, Colette? demanda Sabine.— Je n'ai pas le temps; il faut que je fasse mes

devoirs. Je voudrais finir assez tôt pour...— Pour jouer de ta guitare, je parie! acheva la

petite.— Bien sûr!

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— Si tu continues comme ça, tu deviendras sûrement une grande artiste! » déclara gravement Sabine.

Colette haussa les épaules, en souriant : « Ne dis pas de bêtises... pour cela il faut tant de choses... ajouta-t-elle rêveusement.

— Quelle heure est-il? demanda sa sœur. Il faut que je recopie ma dictée; elle était pleine de fautes.

— Eh bien, va chercher ton cahier; nous pouvons travailler dehors tant qu'il fait encore jour. »

Toutes deux se turent. Luce n'entendait plus rien, mais elle ne quittait pas son poste d'observation : elle espérait, en attendant jusqu'à la nuit, apercevoir les parents. Elle pensait à la guitare à laquelle Sabine venait de faire allusion : Colette était donc musicienne — comme tous les Maloin...

Luce attendit longtemps; enfin un pas s'approcha de nouveau. Celui d'une femme. Les deux filles se levèrent pour aller au-devant d'elle.

« Comme tu es chargée, maman! dit Colette.— Oui. J'avais du temps; je suis sortie plus tôt,

j'en ai profité pour faire un grand marché. Tu as pensé au pain, toi, Colette?

— J'y ai pensé. Mais j'ai peur qu'il n'en reste plus beaucoup! »

Mme Janvier posa son grand sac et se laissa tomber sur une chaise. Luce distinguait son

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visage, jeune encore, souriant malgré la fatigue. «Tu as eu beaucoup de travail, aujourd'hui? demanda Colette.

— Assez : il y avait du courrier en retard. Mais j'ai tout fini à temps, c'est l'essentiel.

— Tu ne veux pas goûter, toi aussi? demanda Sabine.

— Non, merci, il est trop tard. J'ai apporté un sauté de veau, je vais le mettre au feu tout de suite.

— Avec des carottes?— Avec des carottes, bien entendu! »Elle rentra dans la maison. Elle paraissait

sympathique, elle aussi.« Maintenant, pensa Luce, il me reste à voir le

père! »Peut-être rentrait-il très tard. Mais elle était bien

résolue à ne pas repartir avant de l'avoir vu. Quel était son métier? Il travaillait sans doute dans le voisinage : si la famille avait quitté Neuilly pour Bourgneuf, c'était probablement pour le rapprocher de son usine ou de son bureau.

Le soir tombait; Colette et Sabine prirent leurs cahiers et rentrèrent à leur tour. Des lumières apparurent aux fenêtres. Mme Janvier avait ouvert la porte de la cuisine et l'odeur du sauté arrivait jusqu'à la jeune infirmière.

« Je commence à avoir faim, moi aussi! » se dit-elle.

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Cette fois elle n'eut pas longtemps à attendre : une des voitures qui passaient dans la rue ralentit et s'arrêta devant la grille. Rien qu'au bruit, on devinait qu'elle n'était pas neuve. Une portière s'ouvrit; quelqu'un sauta sur le trottoir. Luce aperçut la haute silhouette d'un homme tandis qu'un pas décidé faisait craquer le gravier.

« Je ne verrai pas son visage, pensa Luce, quel dommage! »

Au bruit de la voiture, Sabine s'était lancée et dégringolait les trois marches du perron.

« Papa! » s'écria-t-elle en se jetant dans les bras du nouveau venu.

Luce le vit se baisser pour embrasser la petite fille, puis Colette. En se relevant, il se retourna;

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pendant quelques instants Luce le vit en pleine lumière : un visage dont les traits énergiques étaient adoucis par une expression de bonté.

« Tu n'es pas trop fatigué? demanda sa femme en apparaissant sur le seuil.

— Non, ce soir ça roulait bien : je n'ai mis que trois quarts d'heure. Elle marche encore, ma vieille Renault! »

La porte se referma; Luce comprit qu'elle n'en verrait pas davantage ce soir-là.

Un instant, elle eut l'idée de sonner pour demander sa route. Le prétexte était valable : au crépuscule il est facile de s'égarer. Mais on se demanderait peut-être pourquoi elle n'allait pas jusqu'aux boutiques éclairées qu'on apercevait au bout de la rue. Et si Colette allait la reconnaître, comme Laure et Axelle?

Elle hésitait, quand la porte s'ouvrit de nouveau; Luce reconnut la frêle silhouette de Colette, tenant un objet à la main. La petite fille se dirigea vers le faible rai de lumière qui tombait d'une des fenêtres du premier sur le perron; elle s'assit sur une marche et posa l'objet sur ses genoux. Des notes de musique montèrent dans l'air.

La guitare!La sonorité n'était pas fameuse, mais l'enfant

avait un toucher si doux et si sûr à la fois que son jeu compensait les défauts de l'instrument.

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Elle commença avec une mélodie que Luce reconnut sans peine : c'était Nuages de Django Reinhardt. Colette joua ensuite d'autres airs, plus rapides, avec la même facilité.

Au bout d'un moment, une voix appela par la fenêtre :

« Colette! Ah, tu es ici, c'est bien...— Je t'ai dit, maman, que j'allais faire un peu de

guitare.— Oui, mais tu jouais si doucement que je ne

t'entendais pas; j'avais peur que tu ne sois partie jouer dans ton petit bois, tu sais que je n'aime pas beaucoup que tu y ailles le soir...

— Je n'avais pas le temps, maman. D'ailleurs tu sais bien que je t'ai promis de ne jamais y aller qu'en plein jour.

— C'est vrai, ma chérie, j'ai confiance en toi. Mais maintenant le dîner est prêt; il faut rentrer. »

Colette se leva aussitôt et rentra dans la maison. Cette fois, Luce s'éloigna et repartit d'un bon pas vers Bourgneuf. Elle retrouva l'école, puis le lycée; de là elle n'avait plus qu'à marcher tout droit vers le terminus de l'autobus qui la ramènerait à Paris.

Durant le trajet, ses scrupules l'assaillirent de nouveau. Les Janvier semblaient former une famille aussi unie que les Maloin — très différente, certes, mais heureuse.

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Si Luce parlait, que se passerait-il? Admettons que Laure revînt chez les Janvier, Colette chez les Maloin... Ce serait détruire deux foyers solides, séparer des frères et des sœurs qui s'aimaient. Peut-être les rendre très malheureux... Fallait-il courir un tel risque?

Tout cela dépendait de Luce, de Luce seule. Et elle commençait à trouver cette responsabilité bien lourde à porter.

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VIII

« Tu rentres bien tard lui dit Annie ce soir-A là. Tu n'as pourtant pas encore commencé ton nouveau travail?

— Pas encore, mais je suis passée au lycée de Bourgneuf, où j'avais à faire. »

Elle essayait de dissimuler sa préoccupation. Mais plus elle y songeait, plus la situation se compliquait d'aspects nouveaux. En supposant qu'elle parlât, si on devait rendre Laure aux Janvier,

Colette aux Maloin, cela n'entraînerait-il pas des

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difficultés sans fin? On n'échange pas deux enfants comme deux objets... Chacune des petites possédait une identité légale... Ce genre d'affaire ne pouvait se régler par un simple accord entre personnes privées; il faudrait une procédure. Luce avait déjà lu dans les journaux des histoires d'enfants adoptés réclamés par leurs familles légitimes. Il y avait des rapports d'experts, de psychologues, un procès, un jugement... Tout cela lui avait toujours paru affreusement délicat et pénible. A qui s'adresser pour savoir ce qu'il en était réellement?

Elle avait beau chercher, elle ne voyait aucun moyen de s'informer de façon précise. Il aurait fallu connaître un homme de loi... Tout à coup, elle se souvint de l'avocat dont Annie lui avait parlé la veille, l'ami des Marchand. Au moment de lui demander son adresse, elle décida de tout raconter à Annie. Elle était lasse de porter seule un secret si grave. Elle avait besoin de se confier à quelqu'un et personne, mieux que son amie, ne pouvait l'écouter avec plus d'attention. Lentement, sans omettre un détail, elle fit le récit de sa bouleversante découverte. Annie l'écoutait sans un mot, visiblement impressionnée.

Quand elle eut fini, toutes deux restèrent un moment silencieuses.

« Tu as raison, dit enfin Annie, il faut en par1er

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à un avocat. Jacques Tessier acceptera sûrement de t'aider.

— Est-ce que tu as son adresse?— Je ne suis pas sûre de me la rappeler. Mais tu

peux demander à Odile le numéro de téléphone de son cabinet; il y est tous les jours à dix heures. »

Dès le lendemain, Luce appela le jeune avocat. Elle était très émue : qu'allait-il penser de cette extraordinaire confidence? Elle était décidée à tout lui raconter : les avocats n'étaient-ils pas tenus au secret professionnel comme les médecins?

La voix qu'elle entendit au bout du fil la rassura un peu : c'était une voix sympathique, jeune et bien timbrée.

« En quoi puis-je vous être utile, madame?— Mademoiselle... Je connais votre nom par M.

Marchand, dont la fille est une de mes camarades. Je suis infirmière... j'aurais besoin d'un conseil...

— Il ne s'agit pas d'une question d'ordre médical? Parce que ce n'est pas ma partie et, en ce cas, je ferais mieux de vous adresser à un confrère.

— Non, non, ce n'est pas médical... Je voudrais seulement vous parler franchement, vous mettre au courant d'une situation qui me tourmente.

— Voulez-vous passer à mon cabinet à cinq heures? J'aurai certainement un moment à vous consacrer. »

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Elle attendit l'heure avec impatience. Quand elle entra dans le bureau, elle se trouva devant un grand garçon mince, au visage souriant.

Elle se sentait un peu intimidée. Qu'allait-il penser de ce qu'elle avait à lui dire? Ne lui reprocherait-il pas de se mêler de ce qui ne la regardait pas? En somme, il aurait raison... Elle regrettait presque d'être venue.

« Voyons, dit-il gentiment, de quoi s'agit-il?— C'est un peu long, un peu compliqué... Mais

je voudrais vous faire comprendre comment j'en suis arrivée à me trouver en face d'un problème qui me dépasse.

— Parlez : nous avons tout notre temps. » Elle commença par le début : les visites médicales, la ressemblance étonnante de deux filles qui n'avaient aucune parenté. Il l'écoutait, les deux coudes sur la table, les doigts joints devant son menton. Elle avait l'impression que le récit l'intéressait.

« Vous comprenez, maître, tout cela m'a troublée. Non seulement leur aspect, mais cette tache de naissance... Les petites Maloin, elles, se ressemblaient si peu... J'avais besoin d'en savoir davantage. J'ai peut-être eu tort... je me suis renseignée, j'ai découvert les circonstances des deux accouchements à la clinique...

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— Je vous comprends parfaitement, dit-il. La chose était assez surprenante pour exciter votre intérêt. »

Il n'avait pas dit « votre curiosité »; elle lui en fut reconnaissante. Pourtant, au début, il ne s'agissait peut-être que de cela. Maintenant, c'était différent.

Elle raconta comment elle avait pu vivre quelques jours dans l'intimité des Maloin, comment elle avait compris que Laure, bien qu'aussi aimée que sa sœur, semblait parfois à l'écart de la vie familiale. Elle parla aussi de Colette Janvier et de sa guitare.

« Voilà, dit-elle enfin, je crois vous avoir tout dit. Je nie sens perdue, je ne sais ce que je dois faire. Sans doute sont-ils tous heureux ainsi... et pourtant il me semble qu'ils pourraient l'être davantage. Faut41 me taire? Faut-il parler? »

Maître Tessier répondit gravement :« Il faut parler, sans aucun doute, et parler le plus

tôt possible. On aurait le droit d'hésiter si la substitution pouvait n'être jamais connue. Mais le monde est petit, et une rencontre est toujours possible un jour ou l'autre. N'importe où, dans la rue, à l'Université, que sais-je? Ces deux filles peuvent un jour se trouver face à face. »

Il réfléchit un instant, ajouta : « II y a une autre raison, à laquelle vous pourriez penser, vous qui êtes infirmière. En cas de maladie, il est souvent important de connaître l'hérédité du malade.

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Une erreur peut parfois mettre sa vie en danger. Bien sûr, les considérations morales restent les plus importantes, mais enfin il faudrait penser à cela.

— C'est vrai, dit Luce, j'avoue que je n'avais pas envisagé ce côté de la question. Vous avez raison : il faut que je parle.

— A mon tour, reprit-il, je vais vous poser une question. Pourquoi, dans cette affaire, avez-vous pensé à consulter un avocat?

— Est-ce que cela ne regarde pas la justice? Dans une situation de ce genre, n'est-ce pas à un juge d'arbitrer le conflit?

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— Quel conflit? demanda le jeune homme.— Mais il me semble avoir lu, dans les

journaux, que pour rendre un enfant à ses parents... »

II secoua la tête.« Dans le cas dont vous parlez, il s'agit

généralement d'un enfant adopté, que les vrais parents décident un jour de reprendre. Si les parents adoptifs s'y refusent, il y a en effet conflit, donc matière à jugement. Si l'enfant choisit de rester près de ceux qui l'ont élevé, on peut l'y maintenir par décision de justice. Mais qui vous dit qu'ici les parents, une fois avertis de la substitution, ne chercheront pas à s'entendre?

— Alors il suffirait d'échanger les enfants, tout bonnement? »

Le jeune avocat sourit.« Non, ce n'est pas aussi simple. Il faudra

apporter les preuves de la substitution et faire une rectification d'identité. Cela peut être long, mais ce n'est qu'une formalité administrative. »

II réfléchit encore.« Cependant, comme je vous l'ai dit, il y a tout

intérêt à agir le plus tôt possible, avant que ces enfants soient en possession de documents officiels : diplômes, permis de conduire, etc. Sinon on peut imaginer des complications à perte de vue. Et puis surtout, il est préférable pour les deux familles

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qu'elles soient prévenues, maintenant que nous sommes sûrs des faits. Plus on attend, plus le choc risque d'être violent pour les enfants.

— Je vois, dit la jeune infirmière songeuse. Alors que faut-il faire?

— D'abord, informer les parents, répondit-il sans hésiter. Puisque vous êtes certaine de ce que vous affirmez, vous n'avez pas le droit de leur laisser ignorer la vérité. »

Luce revoyait la chambre de Mme Maloin, les deux filles penchées sur la malade. Pouvait-on dire tout à coup à la mère : « Une de ces enfants n'est pas la vôtre »? Cela semblait tellement cruel...

« Je comprends ce que vous éprouvez, dit maître Tessier. La révélation sera difficile. Je vous conseillerais d'avertir d'abord les pères. Si j'ai bien compris, vous connaissez personnellement M. Maloin? »

La jeune fille fit signe que oui.« Alors,' vous pouvez commencer par lui.— Je n'oserai jamais! déclara Luce. Il aime

tellement ses deux filles! Je ne veux pas imaginer quelle sera sa réaction... Lui dire que Laure n'est pas sa fille... Non, répéta-t-elle avec force, je ne pourrai jamais! »

Maître Tessier hésita un moment. « Voulez-vous que ce soit moi qui lui parle? demanda-t-il enfin.

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— Vous accepteriez?... Oh! ce serait tellement mieux! »

Il l'arrêta du geste.« A une condition, c'est que nous le fassions

ensemble. C'est vous qui avez découvert l'étrange ressemblance, c'est vous qui possédez les preuves de la substitution. Je ne peux rien faire si vous n'êtes pas là. »

Luce avait l'impression d'être prise dans un filet dont elle ne pouvait se dégager. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux.

« Voyons, dit doucement maître Tessier, si vous êtes venue me trouver, c'est qu'au fond de vous-même vous sentiez que cette solution était la seule possible.

— Je sais..., murmura-t-elle. Mais ils vont être si malheureux!

— Cela sera certainement une épreuve difficile; nous devons nous y attendre... Mais il nous appartient — à vous surtout — de la rendre moins pénible si nous le pouvons. A propos, vous serait-il possible de vous procurer une photo de Colette Janvier?

— Pourquoi cela? demanda-t-elle surprise.— Pour la montrer à M. Maloin; ce serait

moins brutal que de le mettre tout à coup en présence de sa fille.

— Une photo de Colette Janvier..., répéta Luce.

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Je peux en tout cas obtenir par le lycée une photo de la classe entière...

— Si elle est assez nette, ce sera suffisant. »Luce se ressaisissait peu à peu. Elle se leva.« Voudriez-vous, maître, dit-elle tin peu gênée,

me dire ce que je vous dois? »Le jeune avocat sourit.« Vous n'y pensez pas. Elles m'intéressent, moi

aussi, ces enfants... Ne croyez pas que je donne uniquement mon attention aux affaires qui exigent une plaidoirie. Il est permis, même à un homme de loi, d'écouter son cœur de temps à autre. »

Il posa doucement la main sur l'épaule de Luce.« Allons, bon courage! Nous réussirons, vous

verrez.»En sortant du cabinet de l'avocat, la jeune

infirmière était un peu moins anxieuse. Ce qu'elle devait faire l'effrayait toujours — mais elle n'était plus seule.

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IX

LES YEUX fixés sur la photo, M. Maloin restait immobile, comme frappé de stupeur. Luce remarqua que ses mains tremblaient.

Convoqué par maître Tessier « pour affaire urgente », le compositeur était arrivé intrigué, se demandant ce dont il s'agissait. En trouvant Luce dans le bureau du jeune avocat, il avait paru très surpris.

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« Luce! s'était-il écrié. Est-ce vous, par hasard, que cette affaire concerne? »

Imaginant le bouleversement, l'atroce désarroiqu'elle allait infliger au pauvre homme et à sa

famille, la jeune fille s'était senti le cœur déchiré. « II le fallait..., se disait-elle, et avec le temps, ils accepteront... » Elle s'était avancée et lui avait pris les deux mains.

« Ce n'est pas moi, monsieur. Mais c'est tout de même moi qui suis responsable. Il s'agit de vos filles... ou plutôt de Laure. J'ai appris quelque chose que je n'ai pas le droit de vous cacher... »

Pâle d'appréhension, il avait reculé. Le ton grave de Luce lui faisait craindre le pire... Allait-elle lui apprendre que Laure était atteinte d'une maladie, qui sait, que la jeune infirmière aurait détectée pendant son séjour chez eux?

« Il ne s'agit pas de sa santé, soyez tranquille. Mais d'une affaire si étrange, si difficile... Vous allez avoir besoin de beaucoup de courage... »

Maître Tessier lui avait alors tendu la photo; il l'avait regardée avec étonnement.

« Une photo de la classe... Je reconnais bien Axelle. Mais où est Laure? Et pourquoi donc me montrez-vous... ?

— Ce n'est pas Axelle », avait répondu Luce.M. Maloin, incrédule, avait regardé l'image de

plus près.

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« Pas Axelle! C'est impossible! Je connais ma fille, voyons!

— Cette enfant, déclara Luce, s'appelle Colette Janvier. J'ai fait sa connaissance au lycée de

Bourgneuf, pendant les visites médicales. J'avais vu Axelle quelques jours plus tôt au CES Stendhal. Vous comprenez quelle a pu être ma stupéfaction! »

M. Maloin regardait Luce en ouvrant de grands yeux. Il ne voyait pas où elle voulait en venir, mais un vague sentiment de trouble l'envahissait peu à peu.

« Racontez-lui tout », dit maître Tessier.Luce fit au malheureux père le même récit qu'au

jeune avocat. Quand elle eut fini, M. Maloin resta un instant immobile, comme frappé par la foudre. Puis il passa sa main tremblante sur son front couvert de sueur.

« C'est incroyable..., murmura-t-il. Et pourtant...»II jeta encore un coup d'œil à l'image souriante de

Colette.« Est-ce possible, maître? demanda-t-il d'une

voix rauque, quêtant désespérément un démenti auquel il ne croyait pas lui-même.

— D'après ce que nous dit Mlle Derville, il est difficile d'en douter. »

L'air accablé, M. Maloin s'appuya au dossier d'une chaise.

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« Excusez-moi, dit-il, le choc est trop grand. Penser que Laure, ma petite Laure, pourrait ne

Puis il passa sa main tremblante sur son front...

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pas être ma fille... C'est atroce, comprenez-moi...— Un enfant qu'on a élevé vous appartient par le

cœur autant que s'il était à vous », dit gravement le jeune homme.

Il y eut un silence. M. Maloin se tourna vers Luce.

« Existe-t-il un moyen scientifique de reconnaître si un enfant est le vôtre ou non? »

Ce fut maître Tessier qui répondit :« II y a les groupes sanguins. On a recours à eux

dans les procès en recherche de paternité.— Les groupes sanguins... répéta le père. Je n'y

connais pas grand-chose, je dois dire... Je sais que chacun de nous appartient à un groupe sanguin qui reste le même toute sa vie. Je sais aussi que certains d'entre eux sont incompatibles... Quand Laure s'est blessée à l'école et a eu besoin d'une transfusion, on a dû rechercher un sang appartenant à son groupe...

— Le groupe O, précisa Luce; je l'ai vu sur sa fiche médicale au collège. Ce que vous ne savez peut-être pas, monsieur, c'est que ces groupes sont héréditaires, selon des lois qui ne souffrent pas d'exception.

— Ainsi, l'examen sanguin permet de savoir si tel enfant est bien le fils de son père?

— Non, car il pourrait être le fils d'un autre individu appartenant au même groupe. En revanche, on peut prouver qu'il n'est pas le fils d'un

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individu donné, si le sang des deux parents est incompatible avec le sien.

— Je comprends, dit M. Maloin. Laure est O, vous m'en faites souvenir. Ma femme est A : on a recherché son groupe avant de l'opérer de ce kyste. Pour Axelle et moi-même, je n'en sais rien.

— Faites-le rechercher, conseilla maître Tessier. N'importe quel laboratoire fera l'examen. A moins que vous ne soyez O vous-même, Laure ne peut pas être votre fille. »

M. Maloin se redressa brusquement.« Je vais le faire ce soir même, déclara-t-il. Mais

si mon groupe est O, cela ne prouvera pas, hélas, que Laure soit notre fille... Et puis il y a cette autre enfant, cette enfant qui est le portrait vivant d'Axelle! Pardonnez-moi : il me semble que je deviens fou... Quand puis-je vous revoir, tous les deux?

— Demain à la même heure, si vous voulez. » II sortit très vite. De la fenêtre maître Tessier

et Luce virent le malheureux s'engouffrer dans la voiture et démarrer brusquement.

« II ne sait plus ce qu'il fait, murmura la jeune infirmière. Pourvu qu'il n'ait pas un accident!

— Vous aussi, remarqua l'avocat, vous êtes émue... Venez prendre une tasse de thé, vous en avez besoin. »

Elle accepta. L'entrevue qui venait de s'achever l'avait vivement secouée. Elle se sentait

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responsable de la détresse de ce père. Et cela ne faisait que commencer... Il faudrait bientôt avertir la mère, et pire encore, Laure elle-même et Axelle Elle frissonna en songeant au drame qu'elle venait de déclencher. A présent, le sort en était jeté. Il était trop tard pour revenir en arrière.

« Mais que pouvais-je faire d'autre? murmura-t-elle d'une voix angoissée plus pour elle-même que pour son compagnon.

— Absolument rien, lui répondit maître Tessier d'une voix douce. C'est une lourde responsabilité, je sais, et je comprends vos sentiments. Mais vous n'avez fait que prévenir une découverte

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qui serait de toute façon survenue un jour ou l'autre, et peut-être dans des circonstances plus dramatiques parce que plus brutales encore. Plus l'on s'y prend tôt, mieux cela vaut dans ce genre d'affaires... Il faut cesser de vous tourmenter…

— Et la réaction des autres» vrais y avez pensé s'écria Luce. Pauvre Mme Maloin… Si vous la connaissiez.. Elle m'a parlé de ses «feux filles : elle s'inquiétait parfois au sujet de Laure, qui ne lui semble pas être aussi heureuse que .sa sœur. Mais elle l'aime peut-être d'autan* plus quelle arrive moins à la comprendre. Et maintenant, cette nouvelle incroyable... Elle est de santé délicate; comment supportera-t-elle ce choc?' » Luce soupira, puis jeta un coup œil à sa montre.

« Je dois rentrer; j'habite avec une amie, elle va se demander ce que je deviens. Cela ma tait du bien de parler avec vous. Merci de comprendre et de m'aider... A demain, maître...

— Vous me feriez plaisir en disant « Jacques »,tout simplement, dit-il alors avec un sourire.Nous aurons encore souvent l'occasion de nous

voir, Luce. »

Le lendemain, quand la jeune fille arriva dans le cabinet de maître Tessier, il était seul. Le rendez-vous de M. Maloin était fixé pour six heures.

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Tous deux regardaient la pendule; ni l'un ni l'autre n'avait envie de parler.

Le temps passait : six heures dix, six heures vingt... .

« II lui est arrivé quelque chose, murmura Luce. Oh! Jacques, si nous étions responsables d'un malheur!

— On peut être en retard de quelques minutes. »

Mais elle voyait bien que, lui aussi, était inquiet.Enfin on introduisit le visiteur. Dès que les deux

jeunes gens aperçurent celui-ci, ils devinèrent quel avait été le résultat de l'examen : M. Maloin ne doutait plus.

Il entra comme un automate et se laissa tomber sur une chaise.

« J'appartiens au même groupe que ma femme, annonça-t-il, je suis A. Le médecin du laboratoire m'a confirmé ce que vous me disiez : deux personnes du groupe A ne peuvent avoir une enfant du groupe O. Laure ne peut pas être notre fille. »

II prit sa tête entre ses mains.« C'est affreux... Ma petite Laure... Elle m'aimait

tant, elle aussi...— Vous parlez comme si vous l'aviez perdue!

protesta Luce.— Je vais la perdre! Ces gens, quand ils sauront,

voudront me la reprendre; c'est naturel.

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— Mais ils vous rendront votre véritable fille, qui depuis douze ans est privée de vous. »

M. Maloin gémit :« Vous ne pouvez pas comprendre... Si on me

rendait l'autre sans m'enlever Laure, je serais tout prêt à les aimer toutes les trois... D'ailleurs, voudront-ils même me rendre leur petite Colette? Même cela, nous n'en savons rien!

— Les Janvier ne sont pas encore au courant... intervint le jeune avocat. Le plus urgent dans l'immédiat consiste à les sortir de l'ignorance où ils se trouvent.

— C'est vrai, ils ne savent rien! murmura M. Maloin. Pauvres gens... Ils vont souffrir ce que je souffre... Comment réagiront-ils, les malheureux? Peut-être ne voudront-ils pas plus se séparer de Colette que moi de Laure? Et les enfants, y avez-vous pensé? Le drame que ce sera pour ces deux petites de changer de famille après douze ans? D'apprendre tout à coup que leur mère n'est pas leur mère, ni leur père leur vrai père? C'est atroce... »

II étouffa un sanglot. Luce s'approcha de lui et lui posa la main sur l'épaule.

« Je vous en prie, courage... On trouvera une solution pour faire le moins de mal possible à chacun, si tout le monde est d'accord... Laure restera en contact avec vous, autant qu'elle le voudra et il en

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sera de même pour la petite Janvier. On pourrait trouver un moyen pour ne pas séparer totalement les deux enfants de leur première famille, qui s'élargirait, pour ainsi dire, d'une seconde... D'après ce que j'ai vu des Janvier, ce sont des gens avec lesquels vous devriez pouvoir vous entendre. Ils semblent très humains et unis, eux aussi. Ils vous comprendront, j'en suis sûre... »

M. Maloin se redressa.« Merci mon petit. Vous avez raison. Je suis un

vieil égoïste. Il faut parler tout de suite aux parents de Colette. Qui s'en chargera? Vous, maître?

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— A mon avis, le mieux serait que vous le fassiez vous-même... En somme, vous vous trouvez tous les deux dans la même situation; si vous parvenez à vous parler, à échanger vos points de vue,, vous aurez déjà fait un grand pas.

— Moi! s'écria M. Maloin, vous voudriez que...» Puis, après un moment de réflexion :

« Je crois que vous voyez juste. Si cet homme, comme le croit Luce, éprouve la même chose que moi, nous pourrons nous aider mutuellement. De quelle façon puis-je le joindre?

— Je connais son adresse, dit Luce; c’est à Bourgneuf, dans les Hauts-de-Seine. Je pourrais retrouver la maison. Mais vous pourrez difficilement le voir chez lui. Voulez-vous que j essaie de savoir où il travaille?

— Comment ferez-vous?— Je m'adresserai au lycée. J'y suis connue

comme infirmière; on ne s'étonnera pas que je désire parler au père d'un des enfants que j'ai aidé à examiner.

— Quand pourrez-vous obtenir le renseignement?

__Ce soir, le secrétariat est certainement fermé. Mais demain matin, dès neuf heures...

__Vous me préviendrez tout de suite, n'est-ce pas? Mais pas chez moi surtout : ma femme pourrait nous entendre. Je vous appellerai moi-même dans la

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matinée.— Je n'ai pas le téléphone, dit Lace.— C'est bien simple, intervint Maitre Tessier.

Luce me téléphonera l'adresse et vous m'appellerez, moi, à onze heures. »

M. Maloin poussa un grand soupir.* C'est entendu », dit-il.Quand il sortît, les deux jeunes gens échangèrent

un regard apitoyé.« J'espère qu'ils se verront le plus tôt possible, dit

Jacques. Jamais cet homme ne supportera d'attendre plusieurs jours.

— Il pourra téléphoner à M. Janvier êès demain matin, déclara la jeune fille.

— Vous aurez hâte, vous aussi, Luce, de savoir ce qu'ils auront décidé. Comment puis-je vous en avertir?

— Voulez-vous que je passe ici demain dans la journée?

— D'accord; venez vers quatre heures; j'ai une audience qui se termine à ce moment-là. »

Il ne se trompait pas : Luce avait hâte de savoir quand le rendez-vous aurait lieu. De même qu'elle s'était sentie soulagée après avoir parlé au jeune avocat, elle pensait que M. Maloin se sentirait moins seul quand il aurait partagé son désarroi avec l'autre père.

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X

LE LENDEMAIN, à quatre heures, Luce arrivait au cabinet du jeune avocat. « Eh bien? lui demanda-t-elle. — M. Maloin a préféré que j'appelle moi-même M. Janvier à son bureau. Un coup de téléphone d'un inconnu pouvait ne pas être pris au sérieux ou trop inquiéter... Il a eu raison. Il était beaucoup plus simple que la convocation vienne de moi. J'ai prié M, Janvier de passer à mon cabinet

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pour une affaire le concernant. « Je ne peux « rien dire au téléphone » ai-je ajouté. Il n'a même pas eu l'air surpris, et a accepté tout de suite comme s'il savait de quoi il s'agissait. Je crois qu'il m'a pris pour quelqu'un d'autre, l'avocat de son propriétaire avec qui il doit être en litige apparemment. Il a parlé de réparation de toiture... Toujours est-il qu'il a accepté de passer ici aujourd'hui même,. Il quitte son travail plus tôt que d'habitude car il doit emmener sa fille acheter des livres boulevard Saint-Michel.

— Vous voulez dire Colette?— On dirait En effet il a ajouté : « J'ai une « fille

de douze ans; à cet âge, ça devient sérieux, « les études! »

— Mais c'est impossible! Il ne peut pas l'amener ici!

— Il lui demandera de l'attendre dans un salon de thé. Il dit qu'elle aura des livres et pourra travailler en l'attendant. J'ai, aussitôt après, téléphoné à M. Maloin pour l'avertir.

— Il sera libre de venir?— Sans problème. Mais il voudrait que vous

«oyez présente, Luce. Pas au début, peut-être, car il voudrait d'abord parler seul à seul avec M. Janvier, mais ensuite, pour que vous répétiez devant celui-ci tout ce que vous nous avez appris. »

M. Maloin arriva te premier. Depuis la veille,

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il semblait avoir vieilli de dix ans : ses traits étaient tirés, ses yeux cernés.

« Il n'est pas encore là? dit-il. Tant mieux. Même si je ne peux rester qu'un moment avec vous, il me semble que cela me donnera du courage. Penser que je vais infliger à un autre cette angoisse que j'endure depuis hier... »

M. Janvier ne tarda pas à paraître. Il était bien tel que Luce l'avait entrevu : grand, robuste, l'air ouvert et bon. Il semblait moins ému que curieux de la communication que maître Tessier pouvait avoir à lui faire.

« Vous êtes bien l'avocat de M. Beaudoin, mon propriétaire? Eh bien, quelle solution avez-vous à me proposer au sujet de la toiture? Et qui est donc ce monsieur? ajouta-t-il en se tournant vers M. Maloin.

— Je vous présente M. Maloin; il va vous parler d'un problème qui vous concerne tous les deux, répondit Jacques Tessier. Vous êtes dans l'erreur, monsieur. Je ne suis pas l'avocat de M. Beaudoin. Il s'agit de tout autre chose. »

M Janvier regarda alternativement l'avocat et l'inconnu d'un air interloqué.

« Un problème qui nous concerne tous les deux? dit-il à M. Maloin. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Je ne vous connais pas, monsieur.

— Nous allons faire connaissance..., répondit

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M. Maloin d'un air grave qui coupa court à une nouvelle protestation de son interlocuteur. J'ai le pénible devoir de vous avertir d'une situation incroyable, une situation que, je ne connais que depuis hier, et dont la découverte vous bouleversera comme moi... »

Impressionné par l'expression de M. Maloin, M. Janvier le suivit sans un mot dans le bureau que l'avocat mettait à leur disposition. Il avait été convenu que Jacques Tessier et Luce n'interviendraient que plus tard.

Le temps semblait infiniment long à Luce. Restée dans la salle d'attente, elle s'efforçait d'imaginer la conversation des deux pères. M. Janvier réagirait-il aussi douloureusement que le compositeur? L'un était un artiste, l'autre semblait plutôt un homme d'action. Il aurait peut-être plus de résistance. Mais devant une situation comme celle-là, était-il possible de se montrer vraiment fort?

A travers la porte, elle distinguait un bruit de voix alternées, l'une assez haute, l'autre plus sourde...

Enfin, la porte s'ouvrit ; M. Maloin sortit du bureau.

« Luce... Voudriez-vous venir, je vous prie. »Elle eut l'impression que M. Janvier, lui aussi,

avait changé : son visage, qui lui avait paru énergique et jovial, était à présent décomposé,

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et les pommettes rouges se détachaient sur un teint livide.

Une fois de plus, la jeune fille dut reprendre son récit par le commencement. Elle avait presque l'impression de faire l'aveu d'un crime.

« II ne faut pas m'en vouloir, balbutia-t-elle enfin. Il m'a semblé que je devais...

— Vous avez bien fait, dit M. Maloin d une voix plus forte qu'auparavant. Puisque cette incroyable substitution a eu lieu, la situation doit être rétablie. M. Janvier est de mon avis. »

Celui-ci inclina la tête. Encore sous le coup de la révélation, il semblait incapable de prononcer

un mot.« Vous êtes une jeune fille, dit M. Maloin a

Luce. Vous ne savez pas encore ce que c'est que de s'attacher à un enfant comme nous le sommes tous deux à ces petites que nous croyions les nôtres.

__je crois que je devine un peu... Mais pensez aussi que c'est à vous, désormais, de faire le nécessaire pour que les mères et les enfants comprennent la situation, dit doucement Luce.

— Je parlerai à ma femme, dit enfin M. Janvier en relevant la tête. Elle s'étonne parfois de la nature de Colette. Elle souffre comme moi de ne pas pouvoir donner à cette enfant ce dont elle a tant besoin — je veux dire la musique. Nous lui achetons de bons disques, mais ce n'est pas

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suffisant. J'ai beau gagner correctement ma vie, je ne peux pas payer à Colette tes leçons d'un grand professeur.

— Vous lui avez donné une guitare », dit Luce.M. Janvier la regarda avec étonnement.

Comment savait-elle que Colette avait une guitare?« Une guitare bien ordinaire, dit-il. Quand je suis

allé l'acheter, il y en avait de beaucoup plus belles dans le magasin. Le luthier insistait : « Si « l'enfant est vraiment musicienne, c'est une « autre qu'il lui faut... »

Luce regarda M. Maloin. Se disait-il que chez lui, la petite fille ne manquerait pas de musique? Ou pensait-il à sa petite Laure, aux élans affectueux de cette enfant si vive et spontanée?

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Ils décidèrent d'appeler maître Tessier, qui travaillait dans le bureau d'un de ses collègues. L'avocat attendait qu'on le fasse intervenir pour parler de l'aspect légal de l'affaire.

« Comme je l'ai dit à Luce, il s'agit d'une procédure simple, qui s'appelle rectification d'identité. Si vous êtes d'accord, elle ne posera aucun problème. Il faudra seulement une expertise médicale établissant que les preuves fournies sont irréfutables. Possibilité matérielle de l'échange, ressemblance des enfants, tache de naissance, groupes sanguins... Vous ne connaissez pas celui de votre femme, monsieur Janvier?

— Je connais celui de Colette; elle appartient au groupe A.

— Comme M. et Mme Maloin..., ajouta Luce.— Moi, je suis O ; on m'a communiqué mon

groupe quand je me suis proposé comme volontaire à la Banque du Sang, il y a quelques années.

— Laure aussi est O, dit la jeune infirmière.

— Avec toutes ces précisions, reprit maître Tessier, il ne vous sera pas difficile d'obtenir un jugement ordonnant la rectification. Le mieux serait, à mon avis, de retrouver le chirurgien qui a fait la double opération il y a douze ans. Savez-vous s'il exerce encore, Luce?

— Il est facile de le savoir par la clinique.

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— Voulez-vous que nous voyions cela ensemble tout de suite? » proposa maître Tessier.

M. Janvier se leva.« Je le voudrais bien, mais il faut que j'aille

chercher Colette. Je l'ai laissée dans une pâtisserie. Elle doit commencer à s'inquiéter, la pauvre petite.

— Voulez-vous que j'y aille? proposa Luce. Vous n'avez plus besoin de moi, je pense? Donnez-moi seulement un mot pour qu'elle accepte de me suivre.

—'• En effet c'est indispensable. Nous avons appris à Colette à se méfier des inconnus et sans cette précaution, elle refuserait certainement de venir avec vous. »

II griffonna quelques mots sur la feuille d'un carnet et tendit la feuille à Luce.

Luce trouva la petite fille à l'endroit indiqué. Colette leva les yeux, jeta un coup d'œil indifférent vers cette personne qui n'était pas celle qu'elle attendait, puis se replongea dans son livre.

« Vous êtes bien Colette Janvier?— Mais oui, fit celle-ci d'un air surpris.— Alors j'ai un mot pour vous. De votre père »,

ajouta Luce en posant la feuille sur la table.Le visage de l'enfant s'éclaira. « Alors je vais

avec vous?— Oui, chez un avocat qui n'habite pas très loin.

Vous ayez payé votre citronnade?

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— Pas encore, je pensais que papa la paierait. Mais j'ai de l'argent! ajouta-t-elle vivement.

— Laissez, laissez », dit Luce en posant sur la table les quelques francs de la consommation.

Elles commencèrent à marcher le long du quai. Tout à coup, Colette s'exclama :

« C'est drôle, il me semble que je vous reconnais! — Vous êtes sûre?— Oui, maintenant j'en suis certaine. Vos

cheveux, vos yeux... Et puis votre voix... Pour les voix, je ne me trompe jamais. Ce n'est pas vous qui êtes venue faire l'examen médical au lycée?

— Vous avez une très bonne oreille. Vous êtes musicienne?

— J'aime la musique plus que tout. J'ai plusieurs disques, dont on m'a fait cadeau pour mes étrennes. Il y en a de Beethoven, par Arthur Rubinstein...

— Vous aimeriez jouer du piano?— Oh! oui. »Mais presque aussitôt la voix retomba : « Je sais

bien que ce n'est pas possible. Les leçons d'un bon professeur, c'est trop cher. On peut travailler tout seul, bien sûr, mais on n'arrive jamais à grand-chose. D'ailleurs je n'ai pas de piano, seulement une guitare.

— C'est déjà beaucoup. Vos frères et sœur sont musiciens, eux aussi?

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— Ils aiment bien que je leur joue un air de temps en temps, mais quand je fais des exercices, ça les agace. Pour travailler tranquille, avant, j'allais dans mon bois. Mais maintenant, je n'ai plus le droit, maman me l'a défendu. Elle dit que c'est dangereux d'y aller seule.

— Votre bois?— Oui : au-delà de la maison, il y a des champs,

puis un bois où je pouvais être seule, vraiment seule. Je m'asseyais sur un petit mur près d'un ruisseau et puis je prenais ma guitare et je jouais, je jouais...

— Dans ces moments-là, vous deviez être très heureuse?

— Tellement, que j'aurais voulu que cela ne finisse jamais. Ah! si je pouvais faire de la musique, rien que de la musique!

— Vous le pourrez peut-être un jour — qui sait?»

Elles étaient arrivées. Luce laissa l'enfant dans la salle d'attente et appela M. Janvier.

« Votre fille est là », lui dit-elle.« Votre fille... » Un mot qu'elle n'aurait peut-être

pas dû prononcer...M. Janvier sortit, laissant la porte du bureau

ouverte. Colette s'élança vers lui et tous deux s'éloignèrent rapidement. On aurait dit que le père avait peur qu'on ne la lui reprît déjà, maintenant qu'il savait.

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Luce rentra dans le bureau où M. Maloin était assis en face du jeune avocat.

« Tout est arrangé, dit celui-ci à la jeune fille. Le chirurgien de la clinique exerce toujours; il les recevra après-demain. »

M. Maloin n'écoutait pas. Une image l'obsédait. Celle d'une frêle silhouette d'enfant aperçue derrière une porte entrouverte. Les coudes sur ses genoux, le front dans ses mains, il répétait :

« C'est Axelle... Sa taille, ses cheveux, jusqu'à ses gestes... Oui, c'est Axelle... »

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XI

IL POUVAIT être huit heures du matin quand on sonna à la porte du studio. Les deux jeunes filles, qui prenaient leur petit déjeuner, se regardèrent.

« Qui cela peut-il bien être? demanda Luce. — Attends, dit Annie, je vais voir. » Elle revint,

tenant une enveloppe qu'elle tendit à son amie.

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« C'est pour toi — un pneu. Peut-être à propos du poste qu'on t'a proposé?

— C'est de Jacques Tessier, dit I,uce. Je dois passer à son cabinet. M. Maloin a quelque chose à me demander. Je te raconterai. »

Annie partie, Luce rangea la vaisselle du petit déjeuner et mit un peu d'ordre dans le studio. L'allusion du jeune avocat à M. Maloin l'intriguait.

« Que peut-il bien avoir à nie demander? »se disait-elle.Quand elle arriva chez l'avocat, le compositeur se

trouvait déjà là. Il allait et venait dans le bureau d'un air anxieux.

« Je suis heureux de vous voir, dit-il à la jeune fille en lui tendant les deux mains.

— Moi aussi, balbutia-t-elle. Mais...— Je dois vous faire un aveu, interrompit-il. Je

n'ai pas eu le courage de parler à ma femme. Elle est délicate, vous savez; justement hier elle avait un peu de fièvre. Le médecin dit que ce ne sera rien, mais, malgré tout, elle est en état de moindre résistance. Ce n'est pas le moment de... Et pourtant... Oh! Luce, je ne sais que faire...

— Avez-vous vu le chirurgien?— Je suis allé le voir ce matin, avec M. Janvier.

A propos, ce M. Janvier est «in homme bien, Luce. Nous nous sommes trouvés en parfait

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accord. Je suis heureux de penser que ma fille a été élevée par un homme comme lui. Songez-y : elle aurait pu tomber entre les mains de n'importe qui!

— Il pense sans doute la même chose de vous, dit Luce. Mais que vous a dit le chirurgien?

— Au début, il ne voulait pas nous croire : c'était naturel. Mais devant les preuves que nous lui apportions — la ressemblance, la tache de naissance, les groupes sanguins, il nous a dit qu'il était décidé à éclaircir l'affaire de son côté. De sa vie il n'avait entendu parler d'une substitution pareille, mais il se rappelle parfaitement ce jour-là, les deux interventions urgentes qu'il craignait de ne pouvoir mener à bien. Une fois les enfants sauvées, on n'a plus pensé qu'à leur faire franchir le cap dangereux des premiers jours; on les a placées dans une salle où elles pouvaient recevoir les soins nécessaires et on ne les a rendues à leurs mères qu'au bout d'une semaine.

— Il a donc admis que la chose n'était pas impossible?

— Oui; il nous a dit que devant des faits aussi probants, l'expertise serait forcément concluante. Il s'offre à faire lui-même le rapport qui permettra la rectification des identités. De ce côté-là tout est simple. Mais il reste des problèmes — les plus difficiles, hélas!

— Mme Janvier est-elle au courant?

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— Oui; pour elle tout s'est mieux passé qu'on n'aurait pu le craindre ; c'est une femme courageuse, capable de faire face à un grand choc. Malgré le déchirement qu'elle éprouve à se séparer éventuellement de Colette, elle l'aime assez pour accepter une telle solution. Du moins, la petite sera-t-elle dans un milieu où elle pourra réaliser sa vocation... Maigre consolation, il est vrai, pour une mère... Ce qui tourmente le plus Mme Janvier, c'est la réaction de Colette elle-même. Elle ne sait comment la petite va supporter le choc. Colette a un tempérament nerveux, hypersensible...

— Oui, c'est peut-être là le plus grave... Le point de vue des enfante... Les adultes peuvent se raisonner, mais les petites vont subir un choc terrible... Il faudra trouver une solution de transition, très douce… votre femme, vous ne croyez pas qu'elfe parviendra à accepter un échange qui pourrait, avec le temps, rendre Laure plus heureuse?

— Si, à la longue... Peut-être... Mais je n'ose pas lui en parler. J'ai peur. C'est ici, Luce, que vous pouvez m'aider.

— Comment cela?— Je vous ai dit que ma femme était de nouveau

un peu souffrante; je lui ai parlé de reprendre une infirmière pendant quelques jours. Elfe m'a dit aussitôt : «  Oui, si tu peux retrouver « Luce, et si

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elle est encore libre. » Vous l'êtes, n'est-ce pas?— Oui, pour quelque temps. Je serai très

heureuse de retourner auprès de Mme Maloin. Mais si je comprends bien, vous voudriez que ce soit moi qui lui dise... Je ne sais pas si j'en aurai le courage, moi non plus.

— A deux, nous en aurons davantage. Ne dites pas non, Luce, je vous en prie! Pourriez-vous venir dès aujourd'hui? Quand ma femme saura, il faudra envisager la question la plus grave, celle des enfants...

— Y avez-vous déjà pensé?— Après notre visite au chirurgien, M. Janvier

et moi n'avons parlé que de cela. Comme vous l'avez dit, il ne peut être question d'une séparation brutale : il faut que tout se passe doucement, peu à peu. Colette est aussi attachée à M. et Mme Janvier que Laure l'est à ma femme et à moi.-Il faut nous arranger pour que ces petites retrouvent leur vraie famille sans abandonner leur famille adoptive.

— Mais cela sera-t-il possible — je veux dire, matériellement?

— Oui : autrefois les Janvier habitaient Neuilly; c'est ainsi que les enfants sont nées dans la même clinique. Leur famille grandissant, ils ont dû déménager; ils n'ont trouvé qu'en banlieue une maison assez vaste à un prix abordable.

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Mais en fait ils ont toujours regretté Neuilly.— Et vous pensez qu'ils pourraient y revenir?— Vous connaissez notre immeuble, Luce. Je

suis propriétaire du premier étage et du second. Celui-ci était occupé par ma mère, qui a préféré, il y a deux ans, se retirer à la campagne. Il m'était pénible de louer son appartement à n'importe qui, de sorte qu'il se trouve toujours libre. Je l'ai proposé à Janvier, avec le loyer qui lui convient. Je suis prêt à faire ce petit sacrifice matériel si cette solution doit empêcher que Laure et Colette ne souffrent trop de cet échange: les enfants vivront donc en quelque sorte tous ensemble. Si -je ne redoutais pas autant la réaction de ma femme, je penserais que tout est pour le mieux... »

Luce reprit son poste dans l'après-midi. Dès l'entrée, elle fut accueillie par des jappements joyeux; à peine la porte ouverte, Brigadier s'élança vers elle.

« II vous reconnaît! dit Rosa en essayant de retenir le chien par son collier. Tout le monde ici est content de vous revoir, mademoiselle. »

Mme Maloin reçut la jeune fille avec affection.« Si vous n'aviez pas été libre, lui dit-elle, je

n'aurais pas voulu d'une autre infirmière! »Quand les jumelles revinrent du collège, elles

firent fête à la jeune fille. M. Maloin rentra un

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peu plus tard; ils se mirent à table tous les quatre. Luce voyait que le compositeur était gêné; il n'osait pas la regarder, craignant sans doute de laisser voir son émotion. La jeune fille était elle-même mal à l'aise : ils parlaient de choses insignifiantes, très vite, pour meubler les silences dont ils avaient peur.

M. Maloin alla passer un moment près de sa femme, puis entra dans le salon et se mit au piano. Après avoir fait la toilette de la malade, Luce se retira à son tour. A présent elle n'avait plus besoin de coucher dans la chambre de Mme Maloin; elle pouvait dormir au fond de

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l'appartement, près de Laure et Axelle. Avant de regagner leur lit, toutes deux vinrent bavarder un moment avec elle.

« Vous n'avez pas de frère ni de sœur? » leur demanda Laure.

Luce secoua la tête.« C'est dommage, dit Axelle. Moi, je suis

contente d'avoir une sœur. Je n'aimerais pas être fille unique...

— Moi, tout de même, je regrette qu'on n'ait pas de frère..., déclara Laure. Les garçons, c'est plus amusant que les filles... »

Elle haussa les épaules.« Ça a peur de tout, les filles... »Elle regarda sa sœur en riant.« Je ne dis pas ça pour toi, Axelle, toi tu es

toujours dans la lune, c'est autre chose... »Le lendemain, dans la matinée, on appela Mme

Maloin au téléphone. Luce sortit discrètement de la chambre. Quand elle y rentra, la malade avait l'air enchanté.

« Une bonne nouvelle! annonça-t-elle. Nous désirions beaucoup, mon mari et moi, nous rendre pour les fêtes de fin d'année à la Scala de Milan. Le programme est remarquable, les artistes de première qualité. Mais les places sont difficiles à obtenir et j'avais peur que nous ne réussissions pas à en avoir.

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Mon mari m'annonce que c'est chose faite. C'est merveilleux, n'est-ce pas? »

Elle attendit impatiemment l'arrivée de ses filles pour leur annoncer la nouvelle. Le visage d'Axelle s'illumina.

« Oh! maman, quelle chance! Qu'est-ce qu'on donne?

— Entre autres, La Flûte enchantée et Don Juan, de Mozart. »

Laure ne disait rien, mais son visage montrait qu'elle était déçue.

« Tu n'es pas contente, Laure?— Mais si, maman », répondit-elle, visiblement

à contrecœur.Sa mère l'attira près d'elle.« Tu regrettes de ne pas aller aux sports d'hiver,

comme nous l'aurions fait si nous n'avions pas eu ces places? Mais c'est une occasion inespérée; elle peut ne jamais se renouveler.

— Je sais bien...— Veux-tu que nous organisions d'autres

vacances pour toi, que nous t'envoyions à la montagne avec un groupe?

— Oh! non, j'aime mieux aller avec vous... » Une clef tourna dans la serrure de la porte d'entrée : M. Maloin arrivait à son tour.

« Tu es contente que j'aie eu ces billets? demanda-t-il à sa femme.

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— Oh! oui, répondit-elle avec élan.— Que ferons-nous de Brigadier? demandaAxelle. Nous ne pouvons pas l'emmener à Milan.— Brigadier restera avec Rosa.— Il ne s'ennuiera pas de nous?— Un peu certainement, mais il n'en sera que

plus heureux de nous retrouver. »Les deux enfants s'éloignèrent.« Axelle est ravie! dit Mme Maloin à son mari.— Et... Laure? »La jeune femme poussa un soupir.« Je vois bien qu'elle aurait préféré les sports

d'hiver. Mais que faire? Je voudrais tant qu'elle passe de bonnes vacances, elle aussi.

— Oui, que faire? » répéta le compositeur. Ses yeux rencontrèrent ceux de Luce; ils se

détournèrent aussitôt.« Ne t'inquiète pas trop, lui dit sa femme. Laure

s'habituera vite à ce voyage en Italie. Elle ne fera pas de ski, c'est vrai, mais l'Italie, ce n'est tout de même pas une corvée... »

M. Maloin ne répondit pas. Pendant tout le repas il ne fit pas allusion aux vacances. Il semblait si préoccupé que même Axelle, qui mourait d'envie de lui poser des questions sur la Scala, n'osa pas interrompre ses rêveries.

Le soir, en embrassant ses filles, il serra

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longuement Laure dans ses bras.« Ma petite Laure... » murmura-t-il.Puis il entra vivement dans < le salon. Mais ce

soir-là le piano resta silencieux...

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XII

LE LENDEMAIN, Mme Maloin parla longuement avec Luce.

« Je ne peux m'empêcher, lui dit-elle, de me tourmenter au sujet de Laure. Cette petite n'est pas heureuse, je le sens bien. Vous l'avez remarqué, hier, quand j'ai annoncé que nous avions ces places? Je voudrais pourtant qu'elle passe d'aussi bonnes vacances que sa sœur... » Elle hocha la tête.

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« Un changement de milieu lui ferait peut-être du bien. Ma belle-mère, la seule famille qui nous reste, s'est retirée à la campagne. Elle recevrait volontiers Laure, mais pour la petite ce ne serait pas très gai... Pour Axelle, cette saison de Milan, c'est un rêve!

— Elles sont très différentes l'une de l'autre...— A quel point, vous ne pouvez pas vous en

rendre compte... Cela nous surprend souvent, mon mari et moi.

— C'est vrai : on ne dirait pas qu'elle est votre fille. »

Luce avait parlé comme elle l'eût fait à toute autre mère s'étonnant des goûts différents de son enfant. Elle se mordit les lèvres : dans la situation présente les mots prenaient un tout autre sens. Mais Mme Maloin la regarda en souriant :

« Je vais vous choquer : il m'est arrivé de me dire la même chose! Non que je l'aime moins que sa sœur; au contraire, j'y tiens peut-être encore davantage, précisément à cause des différences qu'elle présente avec nous... Quoi qu'il en soit, ajouta-t-elle en riant, elle est bien notre fille, de cela il n'y a aucun doute. Mais la génétique joue parfois d'étranges tours, n'est-ce pas? »

C'était le moment de parler, de crier la vérité, mais Luce ne se sentait pas la force d'énoncer la certitude à cette mère. Elle garda le silence

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quelques minutes avant de hasarder enfin, d'un ton qu'elle espéra anodin :

« Vous croyez que si Laure et Axelle n'étaient pas vos filles', vous les aimeriez de la même façon? »

La jeune femme n'hésita pas.« Evidemment, dit-elle vivement. Ce qui fait la

maternité, voyez-vous, ce n'est pas seulement le fait de mettre un enfant au monde; c'est tout l'amour qu'on lui donne depuis qu'il est né.

— Ainsi, si vous appreniez que -Laure, par exemple, n'est pas votre fille..., continua Luce toujours sur le même ton léger.

— Cela ne changerait rien, j'en suis sûre! Mais pourquoi me regardez-vous de la sorte, Luce? Vous me faites presque peur. »

Luce, incapable de parler, fondit en larmes. Mme Maloin l'attira doucement vers elle.

« Ma petite Luce, qu'est-ce qui se passe? Vous avez quelque chose à me dire? Parlez-moi, mon enfant. Je pourrai peut-être vous aider... »

Les sanglots de Luce redoublèrent à cette parole chargée d'involontaire ironie.

Ce fut ainsi, en pleurant, appuyée sur l'épaule de Mme Maloin, que la jeune fille lui raconta tout. Le compositeur, rentrant un peu plus tard, les trouva dans les bras l'une de l'autre.

« Elle sait... », murmura Luce en se relevant.

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Pendant un long moment, ils ne prononcèrent pas une parole.

« Tu es sûr, toi aussi? » demanda enfin Mme Maloin.

Il fit signe que oui.« Tu les connais, ces Janvier? Comment sont-ils?— Je connais le père : très bien. Il ne vit que

pour sa femme et ses enfants.— Ils en ont plusieurs?— Quatre : deux garçons et deux filles. »

Jusque-là, Mme Maloin n'avait pensé qu'àLaure. Elle-demanda timidement : « Et... l'autre?— L'autre, c'est Axelle. Il suffirait de les

habil1er de la même façon pour ne plus pouvoir les distinguer l'une de l'autre.

—Elle ne sait pas, elle non plus?— Oh! non, ni l'une ni l'autre n'est au courant. Il

faudra choisir le moment pour leur dire. De toute façon, dans l'immédiat il est préférable de laisser les choses comme elles sont.

— Tu as raison », dit. Mme Maloin.Mais quand le soir les enfants vinrent

l'embrasser, elle fondit en larmes. La nuit, elle eut un peu de fièvre, son mari et Luce s'inquiétèrent. Le lendemain, la fièvre était tombée, mais Mme Maloin restait immobile dans son lit, et semblait incapable de prononcer un mot.

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« Tu n'appelles pas le médecin, papa? » demanda Laure.

M. Maloin secoua la tête. Il savait trop bien que la prostration de sa femme n'était pas de celles qu'un médecin peut guérir.

Quelques jours plus tard, Mme Maloin était sur pied. Luce déclara qu'on n'avait plus besoin d'elle et qu'il lui fallait trouver un nouveau travail. Cependant avant de retourner à l'agence Santé-Service elle passa voir Jacques Tessier à son cabinet.

« Eh bien? demanda-t-il en la voyant entrer.— Mme Maloin sait tout, répondit-elle. Elle est

restée comme hébétée pendant plusieurs jours, mais elle va mieux à présent. Son mari l'a beaucoup aidée.

— Vous aussi, Luce, j'en suis sûr. C'est vous qui lui avez appris?...

— Cela s'est fait presque de soi-même. Elle est bouleversée, bien sûr, mais elle ne veut plus penser qu'au "bonheur de Laure et à celui de Colette, sa fille inconnue. »

Luce expliqua au jeune avocat les projets que formaient les parents pour ne pas séparer les enfants des deux familles, afin que la transition se fît au mieux.

« Tout cela est très joli, dit le jeune homme. Mais lorsque Axelle et Colette se trouveront en face l'une de l'autre, elles devineront. Et pour

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des enfants de cet âge, le choc peut être brutal.— C'est ce que les parents voudraient éviter. J'ai

bien une idée, moi : je voulais vous en parler avant de la leur soumettre.

— Et quelle est cette idée?— Elle est très simple. Pendant les vacances de

Noël, les Maloin doivent partir pour Milan avec leurs deux filles pour assister au festival de la Scala. Laure n'est guère enthousiaste. Je suis sûre, au contraire, que pour Colette Janvier ce serait un grand bonheur.

— Vous voudriez que les Maloin emmènent Colette?

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— Oui, et que Laure reste chez les Janvier. Il est facile de dire que M. Maloin .a retrouvé un vieux camarade, que celui-ci a une fille très musicienne et que les parents ont pensé à échanger les deux enfants pour quelques jours. Laure, j'en suis sûre, serait ravie de passer les fêtes dans une famille nombreuse. Que pensez-vous de mon idée?

— Elle paraît séduisante... Deux objections, cependant. Laure acceptera-t-elle de si bon cœur de passer ses vacances avec des inconnus, loin de sa famille?

— Je crois que si les Maloin lui expliquent que ce sont des amis et s'ils insistent sur la présence des jeunes garçons — Laure a toujours désiré avoir des frères... — cela devrait s'arranger. L'autre objection?

— C'est qu'il est impossible de mettre les jumelles en face l'une de l'autre sans qu'elles devinent la vérité.

— C'est pourquoi j'ai pensé qu'à Milan, avec le voyage, l'ambiance nouvelle, la musique •— n'oubliez pas que pour Colette, la musique, c'est la vie! —, il serait plus facile de tout leur dire.

— Laissez-moi réfléchir encore un instant, Luce; il faut que j'examine le cas sous tous ses angles. C'est mon métier, vous savez! » ajouta-t-il en souriant.

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Il s'assit à son bureau, tandis que Luce examinait les gravures accrochées au mur.

Enfin le jeune homme releva la tête.« Elles vous plaisent, mes gravures? demanda-t-

il.— Beaucoup — surtout Celle qui représente un

cheval de Camargue.— C'est ma préférée, à moi aussi. Je suis

contente qu'elle vous plaise.— Mais vous ne me dites pas ce que vous

pensez de mon idée.— L'avocat ne voit rien à redire. L'ami vous

félicite de tout son cœur. »Luce appela M. Maloin et lui suggéra son idée en

quelques mots. Le compositeur et sa femme devaient justement dîner ce soir-là au restaurant avec les Janvier pour pouvoir parler à l'écart des enfants.

« Soyez des nôtres, Luce, vous savez que nous en serons tous heureux.

— Je préfère vous laisser entre vous, mais je vous rejoindrai après le dîner. D'accord? »

Quand elle arriva au restaurant, M. Janvier la présenta à sa femme, que Luce n'avait encore vue que de loin.

« M. Maloin nous a parlé de votre idée, dit celle-ci. Pour ma part, je l'approuve : mes enfants recevront avec plaisir celle qu'ils prendront pour la fille de nos amis. Si Laure se trouve heureuse

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à la maison, elle apprendra plus volontiers qu'elle appartient à notre famille.

— Pour Colette, c'est différent, déclara M. Maloin. Nous pensons comme vous, Luce, que la rencontre des vraies jumelles sera facilitée par le dépaysement. Mais il faut que cette rencontre ait lieu là-bas, et non avant le départ.

— Nous allons encore "vous mettre à contribution, ma pauvre Luce! » dit Mme Maloin.

La jeune fille la regarda d'un air interrogateur. Le compositeur précisa :

« Voici notre plan : nous partons pour Milan avec Axelle. Vous passez la nuit avec Laure à Neuilly, et le lendemain matin vous la conduisez chez M. et Mme Janvier. Puis vous allez chercher Colette que M. Janvier conduira chez le dentiste pour éviter la rencontre avec Laure.

— Ça lui paraîtra d'autant plus naturel qu'elle doit se faire soigner une carie, intervint Mme Janvier.

— Après quoi, acheva son mari, vous prendrez le train avec Colette pour Milan...

— Où nous vous invitons à passer les fêtes, acheva Mme Maloin.

— Aller en Italie, moi aussi!... s'écria Luce abasourdie.

— Cela vous déplaît? interrogea M. Maloin en souriant. Vous refuseriez l'invitation d'une famille qui vous considère comme une amie?

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—- Mais, monsieur, je ne peux pas, je ne dois pas... Je peux très bien vous amener Colette et revenir le jour même ou le lendemain...

— Et nous abandonner au moment où nous aurons peut-être le plus besoin de vous? » demanda Mme Maloin en lui serrant la main.

Ce soir-là, en regagnant son studio, Luce annonça la nouvelle à Annie.

« Tu ne sais pas ce qui m'arrive? Je suis invitée à passer les fêtes de Noël en Italie!

— En Italie! s'exclama Annie. Et par qui?— Par les Maloin, tu te rends compte?— Eh bien, tu peux dire que tu as de la chance!

Ce n'est pas à mon bureau qu'on m'offrirait des vacances comme celles-là! »

Luce sourit sans répondre. Mais elle pensait intimement que ce séjour ne serait sans doute pas de tout repos. Comment les jumelles réagiraient-elles en se trouvant en face l'une de l'autre pour la première fois?

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XIII

« Tu es prête, Laure? •» demanda Luce. M. et Mme Maloin étaient partis la veille avec

Axelle. Laure bourrait une grande valise d'objets divers. Brigadier, comprenant qu'il s'agissait d'un départ et qu'on ne l'emmenait pas, tournait d'un air inquiet autour de la pièce.

« J'arrive, Luce! Mais je ne sais pas très bien quoi emporter. Est-ce que je prends ma jupe de velours?

— Prends plutôt deux pantalons, de bons chandails et des souliers de marche.

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— On ira se promener? Chic, alors!— Je vois que tu as des patins à glace' :

emporte-les. Il me semble avoir entendu dire que les garçons patinaient beaucoup. »

Laure fourra les patins par-dessus tout le reste. Elle semblait enchantée de ces vacances improvisées. Dans le taxi qui les emmenait, elle dit tout à coup :

« C'est drôle que papa ne nous ait jamais parlé de ses amis Janvier. Surtout s'ils ont une fille de notre âge.

— Je crois qu'ils ne se voyaient pas très souvent.»

Le taxi arriva enfin à la porte des Janvier. La mère vint ouvrir : elle paraissait très émue. Les enfants, en vacances depuis la veille, se précipitèrent pour voir la nouvelle arrivante.

« C'est toi qui viens remplacer ma sœur? demanda la petite Sabine.

— Oh! je ne prétends pas la « remplacer »! répondit Laure en souriant. Je ne suis ici que pour quelques jours...

— En quelques jours, on a le temps de faire beaucoup de choses! dit Alain. Il paraît que tu aimes le sport?

— Oui, je fais du tennis et du basket.— Formidable! s'écria Marc. On va pouvoir

s'entraîner ensemble. Je suis le meilleur joueur de basket de mon lycée.

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— C'est aussi le plus modeste, ajouta Alain. . Comme tu vois.

— Et du patin à glace, tu en fais? interrogea Sabine.

— Si je n'en faisais pas, je n'aurais pas emporté mes patins!

— Génial! s'exclama Alain. Je sens qu'on - va bien s'amuser! Le petit étang est gelé, ça fait une patinoire terrible! »

Laissant les enfants faire connaissance, Luce suivit Mme Janvier dans la cuisine.

« Elle a l'air très gentille, dit la mère d'une voix tremblante. Mais je né peux pas encore me faire à l'idée qu'elle est à nous. J'ai tant pleuré, ce matin, quand mon mari a emmené Colette!

— Vous la reverrez bientôt, dit la jeune infirmière.

— C'est vrai. Mais quand elle reviendra elle saura qu'elle n'est pas notre fille. Ce ne sera plus la même chose -r- jamais!

— L'aimez-vous moins, vous, depuis que vous connaissez la vérité? »

La réponse partit comme un cri :« Moi? non, bien sûr! »A cet instant, Alain entra en coup de vent.« On peut aller patiner, maman?— Bien sûr, répondit Mme Janvier. Mais soyez

prudents. »

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Comme Alain regagnait la salle à manger, Luce se leva.

« Il faut que je parte, maintenant. Je dois aller chercher Colette au bureau de votre mari.

— A quelle heure est votre train?— II part à douze heures trente de la .gare de

Lyon, répondit la jeune fille. Je vais aller embrasser Laure, et puis je m'en irai. »

Une demi-heure plus tard, Luce arrivait au bureau de M. Janvier. Colette, assise sur une chaise, lisait sagement. Son père l'avait accompagnée chez le dentiste, puis amenée ici. En voyant entrer la jeune infirmière, elle ferma son livre et se leva.

« Alors, Colette, je t'enlève? »M. Janvier porta la valise jusqu'au taxi qui

attendait devant la porte. Avant d'y monter, Colette se jeta dans ses bras.

« Je suis contente d'aller à Milan, chuchota-t-elle. Mais j'ai quand même de la peine de vous quitter tous. Je vous enverrai des cartes tous les jours... Ah! si vous aviez pu venir, maman et toi! »

Comme il allait refermer la portière, elle se pencha au-dehors.

« Encore une bise, demanda-t-elle. Et ce soir tu embrasseras maman pour moi — bien, bien fort! »

Le taxi fila vers Neuilly. En arrivant devant

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la maison des Maloin, Colette demanda, l'air admiratif :

« C'est ici qu'habitent Axelle et Laure? » Luce inclina la tête, paya le chauffeur et prit la valise. Pour éviter la surprise de Rosa à la vue de Colette, Mme Maloin lui avait donné une journée de congé en lui recommandant de laisser un repas prêt pour les voyageuses. Elle avait également confié une clef à Luce. Lorsque toutes deux arrivèrent au premier, on entendit des aboiements derrière la porte.

« H y a un chien? demanda Colette.— Oui, un berger nommé Brigadier. Tu n'as pas

peur des chiens, j'espère?— Oh! non, je les aime beaucoup. Mais si c'est

un chien de garde, il ne voudra peut-être pas me laisser entrer?

— Si, puisque tu es avec moi. Il me connaît; j'ai habité ici quelque temps quand je soignais Mme Maloin. Tu vas voir. »

La jeune infirmière appela à travers la porte :« Brigadier! Brigadier! »Puis elle ouvrit la porte et entra la première.Mais, à sa grande surprise, le chien passa devant

elle, parut hésiter quelques instants, puis s'avança vers la petite fille et se frotta contre ses jambes en poussant des gémissements de joie. Colette, un peu effrayée d'abord, se pencha pour le caresser. Le chien lui donna un grand coup de langue

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sur la joue, puis continua à tourner autour d'elle en frétillant.

« On dirait qu'il me connaît aussi! fit-elle ravie. Est-ce qu'il est aussi gentil avec tout le monde?

— Non, habituellement il est plutôt un peu sauvage. Il t'aime, voilà tout. Les animaux ont leurs sympathies comme les humains.

— C'est curieux, tout de même... Il ne m'a jamais vue, et tout d'un coup... »

Luce, elle, avait compris. Celle que Brigadier accueillait avec ces transports de joie, ce n'était pas Colette, l'inconnue — mais Axelle... Axelle qui l'avait quitté la veille et revenait maintenant vers lui. En plus de la ressemblance physique, il existait donc chez les jumelles une similitude plus extraordinaire encore, que le flair de l'animal pouvait percevoir?

Luce ôta son manteau, fit entrer Colette dans la salle à manger et passa elle-même dans la cuisine chercher le plateau préparé par Rosa.

Quand elle revint, elle trouva la petite fille debout devant la desserte, une grande photo à la main.

Elle devina aussitôt ce qui se passait. Mme Maloin avait oublié de faire disparaître les portraits de ses deux filles, dont -l'appartement était rempli. Colette regardait la photo, comme pétrifiée.

« Je ne comprends pas, murmura-t-elle enfin. C'est moi, n'est-ce pas, avec une autre fille? »

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Luce, prise de court, ne sut quoi répondre.« C'est maman, sans doute, qui a donné cette

photo à Mme Maloin? Mais je n'ai jamais été habillée comme ça... Et l'autre, qui est-ce?

— Je vais t'expliquer, dit doucement la. jeune infirmière. Ce n'est pas toi; c'est seulement une petite fille qui te ressemble beaucoup. »

Colette se regarda dans la glace qui ornait la desserte.

« C'est moi ! répéta-t-elle. On ne se ressemble pas ainsi — à moins d'être jumeaux, naturellement. — Eh bien, est-ce que cela te déplairait d'avoir une sœur jumelle?

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— Pas du tout, mais je sais bien que je n'en ai pas. D'ailleurs même les jumeaux ne sont pas toujours aussi semblables.

— La petite fille de la photo te ressemble beaucoup », dit Luce.

Elle comprenait qu'il valait mieux préparer l'enfant : le choc de la rencontre risquait d'être trop rude.

« Elle te ressemble à tous les points de vue, continuât-elle; elle adore la musique, comme toi. Elle est déjà très bonne pianiste. Tu veux que je te montre son piano?

— Alors, la fille de la photo, c'est Axelle Maloin?

— Oui, c'est elle.— Et l'autre, c'est sa sœur?— En effet, c'est Laure.— Laure qui est à Bourgneuf, chez moi?— Bien sûr.— Ah! » fit seulement Colette.Dans le salon, la vue du piano à queue lui fit

écarquiller les yeux.« Comme Arthur Rubinstein! Je ne me doutais

pas que tout le monde pouvait avoir des pianos comme ça.'

— M. Maloin n'est pas tout le monde; c'est un compositeur connu.

— Oui, je sais... Et Axelle joue dessus aussi?

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— Bien sûr. Maintenant, viens déjeuner, ou nous allons manquer notre train. »

Pendant le repas, Luce s'efforça de distraire l'enfant en lui parlant d'autre chose. Brigadier avait posé la tête sur les genoux de Colette et la regardait avec ces yeux adorateurs qu'ont les chiens devant un maître qu'ils aiment. Elle caressait doucement le poil ébouriffé.

« Tu peux lui donner un morceau de poire, dit Luce; il aime beaucoup ça.

— Je ne savais pas que les chiens aimaient les fruits.

— Oh! Brigadier est un gourmet! tu vas voir. » Colette tendit un quartier de poire au chien,

qui le happa délicatement du bout des lèvres.« II est très bien élevé! » déclara la petite en

souriant.Depuis qu'elle avait vu la photo, c'était la

première fois qu'elle souriait. Voyant qu'elle s'intéressait au chien, Luce lui raconta tout ce qu'Axelle et Laure lui avaient appris de Brigadier. Une fois, à la campagne, il avait mis en fuite, à lui tout seul, une bande de vauriens qui volaient du raisin. Il n'aimait guère les chats; cependant un jour il avait tiré de l'eau un chaton qui se noyait et l'avait remonté sur la rive.

Avant de partir, Colette embrassa le chien entre ses deux oreilles pointues.

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« Je t'aime bien! » lui dit-elle.A onze heures et demie, Luce et Colette

pénétrèrent dans le hall de la gare de Lyon. Elles allèrent au buffet boire un jus d'orange, puis gagnèrent le quai n° 7 où stationnait le TransEurope Express.

« Nous serons à Milan à 20 heures 23, déclara Luce en s'installant dans le compartiment. M. et Mme Maloin nous attendront à la gare. »

Peu après, le train s'ébranla. Penchée à la fenêtre, Colette regarda s'éloigner les quais rectilignes. Puis elle remonta la vitre, s'assit sur la banquette et se plongea dans un journal. A cet instant, Luce aurait tout donné pour connaître ses pensées...

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XIV

MET Mme Maloin, accompagnés de leur fille, • attendaient les voyageuses à la gare de Milan. A la vue d'Axelle, Colette se rapprocha de la jeune infirmière, instinctivement, comme pour chercher une protection contre elle ne savait quel danger.

Le compositeur et sa femme embrassèrent l'enfant, qui se laissa faire de bonne grâce. Les deux fillettes se regardèrent un instant, profondément troublées. Puis Axelle s'approcha de Colette et la prit par la main..

« Marchez devant, mes petites, dit M. Maloin, pour faire un peu connaissance. »

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Il parla à Luce à mi-voix.« Axelle ne sait rien non plus; nous l'avons

seulement prévenue que Colette Janvier lui ressemblait d'une façon vraiment extraordinaire. Je crois qu'elle ne s'est pas posé de questions. Pour elle, d'ailleurs, ce n'est pas la même chose, vous le comprenez bien. Pour... l'autre, je crois qu'il faut attendre. qu'elle s'habitue à cette ressemblance. Si elle se sent heureuse parmi nous, d'ici quelques jours ce sera plus facile de lui parler.

— Je l'espère », dit Luce.A l'hôtel, sa chambre communiquait avec celle

des deux fillettes. Par la porte restée entrouverte, la jeune infirmière entendait leur conversation.

« Tu défais ta valise? demandait Axelle. Moi, j'ai rangé mes affaires hier soir. Je t'ai laissé la moitié droite de l'armoire; si tu préfères la gauche, ça m'est égal.

— Ça m'est égal aussi », dit Colette.Elle ouvrit sa valise et commença à accrocher ses

vêtements sur les cintres.« C'est extraordinaire, n'est-ce pas, dit Axelle,

que nous nous ressemblions autant? — Oui, c'est curieux.

— Moi ça me fait un drôle d'effet : il me semble que j'ai tout à coup une autre sœur jumelle, une vraie, celle-là. Tu sais que Laure et moi sommes de fausses jumelles, n'est-ce pas? »

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Colette ne répondit pas. Au bout d'un moment, Axelle remarqua :

« Tu ne parles pas beaucoup...— Non, je ne suis pas bavarde. »Pendant le dîner, en effet, Colette n'ouvrit pas la

bouche. Elles montèrent se coucher; un moment plus tard, Luce, de s'a chambre, l'entendit qui pleurait.

La jeune infirmière poussa doucement la porte. Axelle dormait à poings fermés. Luce s'approcha du lit de Colette; la petite se blottit contre elle.

« Emmenez-moi, balbutiait-elle, emmenez-moi... j'ai peur!

— Viens avec moi; nous allons parler toutes les deux. »

Colette la suivit, marchant pieds nus. Luce s'efforça de la rassurer.

« De quoi peux-tu avoir peur, ma chérie? Pense que tu vas passer de bonnes vacances..» entendre de si beaux opéras...

— C'est cette fille — cette fille qui me ressemble tant. Il me semble... je ne sais pas...

— Elle est gentille, cette fille, non?— Très gentille. Ce n'est pas d'elle que j'ai peur,

mais de toutes ces choses étranges, ces choses que je ne comprends pas... »

Elle tremblait de tous ses membres. Comment pourra-t-on jamais lui dire? se demandait Luce, le cœur serré.

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« Tu ne dois pas avoir peur, Colette. Tu vas passer ici quelques jours merveilleux, puis tu retourneras dans ta famille... »

La petite leva sur elle des yeux apeurés.« C'est vrai? c'est bien vrai?— Mais naturellement! pourquoi ne le serait-ce

pas? Maintenant, va te recoucher; je vais te donner un peu de sirop, cela t'aidera à t'endormir. Demain tu verras comme tout ira mieux. »

Le lendemain matin, Colette paraissait aller mieux. Cependant, sa mère remarqua immédiatement son visage défait, ses yeux cernés. Elle s'inquiéta de sa santé, l'interrogea, mais n'obtint de l'enfant que des réponses évasives.

Après le petit déjeuner, M. Maloin leur proposa de visiter la ville. Il avait la veille loué une voiture à cette intention.

M. Maloin conduisait dans les rues de Milan, désignant à ses enfants les monuments et lieux dignes d'intérêt. Colette et Axelle écoutaient ses explications, posaient des questions.

« Nous arrivons piazza del Duomo, dit M. Maloin. Place du Dôme, si vous préférez...

— Le dôme? répéta Axelle. Où est-il? » Mme Maloin, assise à côté de son mari, répondit en souriant :

« Tu l'as sous les yeux, ma chérie. On appelle ainsi la cathédrale de Milan.

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— Et ce monument au milieu de la place, c'est quoi? interrogea Colette.

— C'est le monument de Victor-Emmanuel II, dit M. Maloin. Je vais me garer, et puis nous poursuivrons la promenade à pied. »

Quelques instants plus tard, M. et Mme Maloin, Luce et les deux enfants, traversaient, à pied, la place et gagnaient la cathédrale. Après avoir visité le somptueux édifice gothique, ils se dirigèrent vers la célèbre galerie Victor-Emmanuel II. L'endroit plut énormément aux deux enfants. Magasins, cafés et restaurants bordaient

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la galerie passante aux superbes arcades, animée de rires et de cris joyeux. Petit à petit, Colette se détendait dans cette atmosphère nouvelle, elle devenait plus amicale à l'égard d'Axelle. Vers midi, lorsqu'il fallut rentrer a l'hôtel, elle déclara en souriant :

« Je serais bien restée ici toute la journée! »Après le déjeuner, M. Maloin emmena ses deux

filles visiter la pinacothèque. Mme Maloin préféra demeurer à l'hôtel; elle avait besoin de parler à Luce, de lui dire ses espoirs après cette première matinée.

Devant les Botticelli, tes Titien, les Véronèse, Colette et Axelle rivalisèrent d'enthousiasme. Elles passèrent ensuite-un long moment dans les salles Leonardi, où de nombreux tableaux du grand Léonard de Vinci étaient exposés. Vers cinq heures, M. Maloin et ses enfants quittèrent à regret le musée.

« Quelle est la suite du programme? demanda Axelle à son père en montant dans là voiture.

-r- La Scala! répondit M. Maloin. Nous devons y être à huit heures.

— Qu'entendrons-nous ce soir? interrogea Colette.

— Le Don Juan de Mozart— Formidable! s'écria Axelle. Je connais le

livret par co2ur. Si tu veux, Colette, je te résumerai l'histoire pendant le dîner. »

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A huit heures, Luce et les Maloin pénétrèrent dans le grand théâtre lyrique construit au xvine siècle. M. Maloin s'était donné beaucoup de mal pour obtenir un billet supplémentaire, afin que Luce pût également assister à la représentation. Finalement, le portier de l'hôtel avait réussi à lui procurer une place.

Dans la salle, Axelle et Colette ouvraient des yeux ébahis; elles semblaient subjuguées par la majestueuse beauté de ce haut lieu de l'opéra.

Enfin, la représentation commença, les voix des ténors et des sopranos déchirèrent l'espace magique du vaste théâtre. Luce qui était assise à côté de Colette, sentait frémir tout le corps de l'enfant; un instant la jeune infirmière tourna les yeux vers sa petite voisine et entrevit un visage extasié.

A l'entracte, ils discutèrent de l'œuvre. Colette, qui ne se sentait pas capable de donner un avis, écoutait avec passion les commentaires des Maloin et de leur fille. Au retour, elle demanda à Axelle :

« Si nous nous revoyons à Paris, tu voudras me jouer du piano?

—.Si nous nous revoyons! s'exclama Axelle. Mais j'espère bien que nous serons amies! Ma sœur Laure aussi; tu l'aimeras beaucoup, j'en suis sûre. »

Plusieurs jours se passèrent ainsi. M. et Mme Maloin, enchantés, avaient l'impression de gagner du terrain : Colette semblait s'attacher à eux.

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« Je crois qu'elle nous aimera, dit Mme Maloin à Luce. Avant de quitter l'Italie, nous leur dirons la vérité à toutes les deux. » . Cependant, vers la fin de la semaine, Colette devint songeuse.

« Elle pense à sa famille, évidemment, dit Luce. Je crois que si elle recevait une lettre, cela lui ferait du bien. »

Plusieurs fois, en effet, Colette avait demandé au portier s'il n'y avait pas de lettre de France. La réponse était toujours négative : entre la France et l'Italie le courrier marche toujours

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mal : il suffit d'un incident pour que des lettres restent en souffrance des semaines entières. On avait prévenu Colette, mais elle écrivait fidèlement une carte tous les jours et s'étonnait de ne pas recevoir de réponse.

Une lettre arriva pourtant. Une seule : elle venait de Laure et était adressée à M. et Mme Maloin.

« Cher papa, chère maman, je passe des vacances formidables! Nous allons patiner tous les jours; hier, comme la glace n'était pas très bonne, nous avons fait une grande promenade en forêt. Nous avions emporté un pique-nique, mais il faisait trop froid pour s'asseoir, alors nous avons mangé debout. M. et Mme Janvier sont très gentils; je m'amuse énormément avec les garçons; je voudrais bien avoir des frères comme eux. Ce qui serait merveilleux, c'est qu'ils viennent habiter Neuilly. J'espère que vous vous plaisez bien là-bas et que Colette profite de la musique. J'ai bien hâte de vous revoir tous; je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre Laure. »Mme Maloin regarda son mari.« Elle est heureuse là-bas... Si elle s'y habitue

trop vite, cela me fera un peu de peine — mais après tout c'est ce qu'il faut souhaiter, n'est-ce pas?

— Ne t'inquiète pas, Laure ne nous oubliera

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pas. D'ailleurs, nous la verrons tous les jours. Ces enfants doivent vivre comme trois sœurs. »

Mme Maloin soupira :« Si Colette écrit aux Janvier,, crois-tu qu'elle

parle de nous comme Laure parle de ses parents?— Elle est différente — plus timide, plus secrète.

Mais je crois pourtant que nous pourrons bientôt lui dire la vérité. »

A la fin de la semaine, on commença à parler de retour. Les Maloin devaient prendre le train le samedi; Luce préférait arriver à Paris un peu plus tôt, pour se rendre dès le vendredi à l'agence de placement.. Après ces magnifiques vacances, il fallait penser au travail.

Elle regagna Paris avec l'impression de laisser derrière elle une œuvre inachevée, une entreprise incomplètement réussie. M. et Mme Maloin avaient décidé de dire la vérité aux enfants le jour du départ; ainsi Colette, retrouvant les Janvier peu après, comprendrait qu'on ne songeait pas à la séparer d'eux. L'idée semblait bonne — mais n'aurait-il pas mieux valu ne jamais rien dire? Un remords prenait la jeune infirmière : les deux familles, en somme, n'étaient-elles pas plus heureuses avant que personne fût au courant de rien?

Elle pensa à Jacques Tessier qui lui avait conseillé de parler. Avait-il eu tort, lui aussi? Mais les raisons qu'il donnait étaient valables :

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il était important pour chacun de connaître son hérédité... la substitution se serait découverte tôt ou tard. Non, Jacques ne s'était pas trompé.

Le lendemain, elle lui téléphona. Elle était contente : à l'agence Santé-Service, on lui avait confirmé l'engagement pris avant le départ, un poste stable, dans une clinique. Elle l'annoncerait au jeune avocat en lui donnant des nouvelles de son voyage en Italie.

Maître Tessier, ce soir-là, était pressé.« Je n'ai pas une minute à moi, Luce. Mais j'ai

hâte de vous revoir; voulez-vous dîner demain soir avec moi? »

Elle accepta, tout heureuse.« Dois^je venir vous chercher à votre bureau?— Bien sûr que non! Vous habitez Neuilly, je

crois?— Oui, rue Meulan, au 12.— Moi, je demeure 16 rue du Val, ce n'est pas

loin. Je passerai vous prendre à sept heures. D'accord? »

Elle attendit le rendez-vous avec impatience. Par moments, elle, en oubliait les jumelles et leurs parents. Même plus tard, quand elle lui en parla, la situation lui parut différente.

« Qui sait? disait-il, votre Colette a peut-être en elle l'étoffe d'une grande virtuose. Avouez qu'il aurait été dommage de laisser perdre son talent! »

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Elle souriait, rassérénée. Quand elle rentra, vers onze heures, elle ne pensait plus qu'à leur dîner, en tête à tête, dans un restaurant tranquille du quartier.

Elle se coucha; Annie, qui était allée au cinéma, rentra bientôt et se mit au lit à son tour.

Toutes deux dormaient d'un profond sommeil quand on sonna plusieurs fois, très vite. Luce se leva et s'avança vers la porte. L'aube se levait à peine.

« Qui est là? demanda-t-elle, un peu effrayée.— Pierre Maloin... Ouvrez, je vous en prie! »Elle ouvrit. M. Maloin entra dans le vestibule,

ébouriffé, le visage en sueur malgré le froid.« Colette a disparu », dit-il.

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XV « DISPARU ! répéta Luce bouleversée. Mais

comment? que voulez-vous dire?— Pouvez-vous venir avec moi? demanda

M. Maloin. Ma voiture est en bas. »La jeune fille rentra dans le studio et s’habilla en

toute hâte. Annie, à demi éveillée, s'assit dans son lit et murmura :

« Qui est-ce? Quelle heure est-il?— Je ne sais pas quelle heure il est, réponditLuce en enfilant vivement un chandail. Ce

monsieur est M. Maloin, avec qui j'étais en Italie.

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— Mais pourquoi vient-il? Où allez-vous?— Je t'expliquerai plus tard...— Mais Luce... tu ne vas pas sortir maintenant!

Il fait à peine jour... »Avant qu'Annie ait eu le temps de sauter de son

lit, Luce avait disparu. Elle s'assit dans la voiture à côté de M. Maloin qui démarra aussitôt et commença son récit d'une voix entrecoupée.

« Nous leur avons tout dit hier matin, juste avant de quitter Milan... Il nous semblait que c'était le moment... les petites s'entendaient bien... Colette avait sa guitare et Axelle chantait avec elle. Ma femme leur a dit tout doucement qu'elles ne devaient pas s'étonner de se ressembler autant, car elles étaient vraiment sœurs.

— Comment ont-elles réagi?— Axelle a demandé : « Et Laure? » Nous leur

avons expliqué qu'elles seraient trois...— Et Colette?— Colette n'a rien dit. Mais à partir de ce

moment elle n'a plus ouvert la bouche. Elle ne semblait pas triste... Elle n'a posé aucune question : on aurait dit que la révélation ne la touchait même pas. Nous avions hâte de rentrer à Paris; nous pensions qu'en revoyant les Janvier elle se détendrait. Nous avions décidé de la laisser chez ses parents adoptifs jusqu'à ce qu'elle

Colette avait sa guitare et Axelle chantait avec elle.

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demande elle-même à vivre avec nous... Ma femme et moi étions prêts à attendre...

— Et ensuite? demanda Luce.— Nous sommes rentrés hier soir, comme il était

convenu. Nous étions à la maison vers minuit; tout le monde est allé se coucher. Nous devions reconduire Colette chez les Janvier le lendemain matin. Dans la nuit — je ne sais pas quelle heure il était au juste — Brigadier, qui dort dans le vestibule, a grogné; j'ai pensé qu'il" avait entendu rentrer les locataires du rez-de-chaussée et ne me suis même pas levé pour aller voir. Et puis, il y a peut-être une heure, nous avons entendu un grand cri; Axelle est entrée en courant dans notre chambre et nous a dit que sa sœur n'était plus là..

— Vous ne savez pas à quelle heure elle est partie?

— Absolument pas. Elle n'avait sans doute pas dormi : elle s'est relevée sans bruit et s'est glissée vers la porte. J'ai espéré un moment qu'elle s'était réfugiée chez vous. Je crois que vous lui aviez donné votre adresse. C'est pour cela que je suis venu. Mais quand vous m'avez ouvert, j'ai compris tout de suite qu'elle n'était pas là.

— Vous pensez bien que, si elle était venue, je |, serais allée moi-même vous prévenir aussitôt.

— Oui, bien sûr. Mais alors, où est-elle? Chez | les Janvier? Elle aurait fait tout ce trajet en

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pleine nuit, à pied, toute seule? Et puis les Janvier seraient venus nous avertir, eux aussi... Du moins si elle est arrivée.

— Elle n'a rien emporté? demanda Luce.— Non, rien... je ne crois pas... Vous imaginez

dans quel état e&t ma femme... Vous allez la voir, d'ailleurs. »

Ils arrivèrent devant la maison. Au premier, tout était éclairé; on voyait des ombres aller et venir devant les fenêtres.

Mme Maloin se jeta dans les bras de Luce.« Vous n'avez pas la moindre idée, vous non

plus? Elle ne vous a rien dit qui puisse vous mettre sur la voie?... »

La jeune fille secoua la tête.« Quand je suis partie, elle ne savait rien encore.

Elle a bien eu ce moment d'angoisse, le premier soir, comme si elle pressentait je ne sais quoi. Mais après tout c'était la première fois qu'elle quittait sa famille... Vous n'avez pas pensé à mettre le chien à sa recherche?

— Nous avons essayé de lui faire flairer quelques effets de la petite, répondit M. Maloin. Il avait l'air de comprendre... une fois il s^'est dirigé vers la porte. Mais ensuite il est revenu vers Axelle, tout joyeux; il avait .l'air de nous dire : « Ne vous inquiétez pas : elle est ici! »

— Lui non plus, il ne les distinguait pas

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l'une de l'autre! dit Mme Maloin en pleurant.— A mon avis, déclara le père, elle n'a pu aller

que chez les Janvier.— Non, je ne pense pas, déclara Luce. Ils vous

auraient aussitôt téléphoné pour vous rassurer.— Alors?... demanda M. Maloin.— Alors, je ne sais pas... Elle est peut-être partie

au hasard, droit devant elle. J'ai déjà vu des enfants faire des fugues; souvent ils ne savaient même pas où ils allaient. D'ailleurs elle a pu s'enfuir dans l'intention d'aller chez les Janvier et ne pas retrouver son chemin. Elle n'est venue ici qu'une fois, avec moi, en taxi; nous étions parties du bureau de son père.

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— Et si elle avait essayé de se rendre à ce bureau, pour y attendre M. Janvier? suggéra Mme Maloin.

— Quel qu'ait été son but, rien ne prouve qu'elle l'ait atteint. Elle peut être en train d'errer au hasard dans les rues.

— Mais en ce cas, s'écria Mme Maloin, il a pu lui arriver n'importe quoi! Elle a pu se faire renverser par une voiture, être attaquée par des malfaiteurs...

— Je vais immédiatement alerter la police et prévenir les Janvier, dit M. Maloin. Vous restez avec ma femme, Luce?

/—Je reste en tout cas jusqu'à votre retour. » A ce moment Axelle, en pyjama, entra en courant dans la chambre»

« Papa! maman! elle a emporté quelque chose!— Quoi donc?—r Sa guitare! Je viens de m'en apercevoir à

l'instant : elle la mettait toujours près d'elle pour dormir.

— Tu es sûre qu'elle n’est plus là?— Venez voir vous-mêmes. »Ils constatèrent qu'Axelle disait vrai « Recouche-

toi, conseilla M. Maloin à sa femme; Luce restera près de toi.

— Me recoucher) tu crois que j'en serais capable! »

Elle le regarda s'éloigner par la fenêtre.

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Des flocons de neige commençaient à tomber.« La neige..., murmura Mme Maloin. Et elle n'a

même pas pris son gros manteau... S'il se met à neiger plus fort, où se réfugiera-t-elle, mon Dieu? »

Elle gardait les yeux fixés sur le téléphone, espérant follement que son mari allait la rappeler, lui annonçant que la police avait retrouvé Colette.

Le jour se leva, un jour gris et maussade. Axelle, malgré son inquiétude, avait fini par se rendormir. Mme Maloin s'était enveloppée dans une robe de chambre et Luce restait près d'elle. Brigadier, sentant qu'il se passait quelque chose d'anormal, tournait autour d'elles d'un air malheureux.

Enfin une voiture s'arrêta devant la maison. Mme Maloin courut à la fenêtre. C'était bien son mari.

« II est seul! » s'exclama-t-elle en fondant en larmes.

Quelques minutes plus tard, M. Maloin entrait dans la pièce.

« Je suis allé jusqu'à Bourgneuf, dit-il. J'ai trouvé Janvier déjà levé : il craignait, par ce froid, de ne pouvoir mettre sa voiture en marche. J'étais déjà passé au commissariat de Neuilly; nous sommes allés, ensemble à celui de Bourgneuf.

— Ils ne savaient rien?

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— Absolument rien. On n'a signalé nulle part la découverte d'un enfant perdu. Mais des deux côtés ils vont commencer les recherches aujourd'hui même. Quant à nous, nous n'avons plus qu'à attendre.

— Mon Dieu! murmura Mme Maloin, c'est affreux... »

Voyant qu'elle ne pouvait plus rien pour eux, Luce prit congé de Pierre Maloin et de sa femme.

« Vous devez avoir besoin de vous reposer aussi, ma pauvre Luce, dit le compositeur.

— Je crois que je ne me reposerai pas beaucoup non plus avant que l'on ait retrouvé Colette,

— répondit la jeune fille.— Je vous reconduis, bien entendu.

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— Je n'habite pas loin, dit-elle; cela me fera du bien de marcher un peu.

— Par ce temps affreux!— Je ne crains pas le mauvais temps », répondit

Luce. Elle n'habitait pas loin, c'était vrai. Mais elle

n'avait pas l'intention de rentrer chez elle. Il lui semblait qu'elle pouvait faire quelque chose pour Colette, elle ne savait quoi. Elle avait besoin de réfléchir, de se rappeler, de remettre ses idées en ordre. Les Maloin, dans leur angoisse, ne pouvaient lui être d'aucun secours. Il n'y avait qu'une personne qui pouvait l'aider à se ressaisir : Jacques Tessier.

A cette heure matinale, il devait être encore chez lui. Elle se rappelait l'adresse qu'il lui avait donnée : 16 rue du Val. Elle n'avait pas le numéro de téléphone, mais il était facile de se le procurer. Quelques cafés commençaient à relever leurs devantures. Elle entra et demanda l'annuaire.

« Ici, Jacques Tessier... Qui est à l'appareil? Vous, Luce?

— Oh! Jacques, il est arrivé une chose terrible : Colette Janvier a disparu!

— Disparu? J'arrive tout de suite, Luce. Où êtes-vous?

— Dans un café; pas loin de chez vous. Je ne sais même pas comment il s'appelle.

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— Demandez-le au patron et attendez-moi. » Elle s'assit et commanda un café. Le liquide chaud lui fit du bien. A ce moment seulement _elle se rendit compte qu'elle frissonnait.

« Vous n'êtes pas bien, mademoiselle? lui demanda le garçon. C'est qu'il fait un temps, ce matin! Vous voulez un petit alcool pour vous remonter?

— Non, merci. Mais je prendrais bien un autre café. »

Elle achevait sa tasse quand Jacques arriva. En quelques mots, elle le mit "au courant.

« La petite a évidemment été traumatisée par la situation. Elle a pu vouloir rejoindre ceux qu'elle considérait comme. sa véritable famille. Mais pourquoi, en ;ce cas, ne s'est-elle pas immédiatement rendue chez eux?

— M. Maloin pense qu'elle a pu s'égarer en voulant se rendre à Bourgneuf. C'est aussi ce que pense la police. Mais est-ce possible? La nuit, il y a des rondes sur les avenues..._

— Pourquoi pensez-vous, demanda l'avocat, qu'elle ait forcément emprunté les avenues?

— Parce qu'elle ne connaissait pas d'autre chemin. Quand nous sommes parties toutes deux en taxi, venant du bureau de M. Janvier, qui est proche de l'Etoile, nous avons suivi d'un bout à l'autre l'avenue de la Grande-Armée.

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— Du bureau de son père à Bourgneuf, elle devait connaître le chemin pour l'avoir pris plusieurs fois avec lui. C'est celui-là qu'elle a dû prendre.

— Et cependant elle n'est pas arrivée... Croyez-vous, Jacques, qu'elle ait pu avoir un accident?

— Non, car la police eût été prévenue.— Et si elle avait été enlevée?— En général, les malfaiteurs qui enlèvent les

enfants ne le font pas au hasard; ils s'assurent d'abord que la famille peut payer une forte rançon. »

Soudain Luce releva la tête.« Jacques, il me vient une idée. Et si Colette

n'avait pas cherché à se rendre chez ses parents, mais dans un endroit qu'elle aimait, qu'elle avait toujours considéré comme un refuge?

— Que voulez-vous dire?— Une fois elle m'a parlé d'un bois, où elle allait

jouer de la guitare sur un petit mur, près d'un ruisseau...

— Vous pensez qu'elle aurait pu retourner là, toute seule, la nuit, sous la neige?

— Un enfant qui fait une fugue n'est plus tout à fait lui-même. Colette était évidemment sous le coup d'une terrible émotion; son petit bois a pu lui apparaître comme l'unique ressource... Oh! Jacques, maintenant j'en suis sûre : c'est là qu'elle s'est réfugiée!

— Vous savez où il se trouve, ce bois?

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— Il ne doit pas être très loin de chez les Janvier, puisqu'elle y allait souvent à pied.

— Mais dans quelle direction? au nord? au sud? On ne peut pas partir ainsi au hasard...

— Nous pourrions le demander aux Janvier, mais je n'y tiens pas. Comprenez-moi, Jacques, si je me trompe, si Colette n'est pas là, je ne veux pas donner un faux espoir à ses parents. Il faut trouver une carte de la région, découvrir un ruisseau qui traverse un bois. Cela ne doit pas être impossible.

— J'ai chez moi toutes les cartes des environ? de Paris. Attendez-moi ici; je vais les chercher et prendre ma voiture.

— Vous voulez dire... que vous viendriez avec moi?

— Cela me semble évident! » répondit le jeune homme en souriant.

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XV

ILS ROULÈRENT sans un mot dans la direction de Bourgneuf. Le jeune avocat conduisait; Luce, enveloppée d'une couverture qu'il lui avait prêtée, étudiait la carte.

« II y a des bois vers l'ouest; il faut bifurquer après le village. Le chemin est indiqué comme moyennement praticable. .

— Nous irons lentement. De toute façon il faut se méfier du verglas.

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— Jacques... elle a pu tomber, se casser la jambe..!

— Ne pensez pas à cela. Voyez-vous l'indication d'un ruisseau?

— Oui, il coupe le bois dans toute sa largeur. Le chemin le traverse; il doit y avoir un pont.

— C'est peut-être là le mur dont vous a parlé la petite. »

II était maintenant un peu plus de neuf heures; un soleil pâle brillait sur la neige fraîchement tombée. Ils traversèrent le village de bout en bout.

« II ne faut pas nous faire remarquer, dit Luce. Ne ralentissez pas. Voici la maison des Janvier.

— Si elle est venue par ici, elle est donc forcément passée devant.

— Et pourtant elle ne s'est pas arrêtée... »Ils se trouvèrent en pleine campagne; les 'champs

étaient couverts de neige. On apercevait à peu de distance la ligne sombre d'un bois.

« C'est sans doute ici, dit Luce. Ce chemin sur la gauche conduit vers le ruisseau, c'est bien cela. Elle a dû prendre ce chemin. Malheureusement, la neige a effacé toute trace de son passage. »

Ils avançaient lentement sur le sol inégal, dont la neige dissimulait les ornières. Par instants, un cahot plus violent les précipitait l'un contre l'autre.

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« C'est peut-être fou, ce que nous faisons là, dit le jeune homme. Nous aurions pu nous contenter de faire part de notre idée à la police.

—- Mais si l'enfant est vraiment là, si elle entend venir les policiers, elle se cachera. Et même des chiens ne suivraient pas une trace dans cette neige. »

Après le départ de Luce, M. et Mme Maloin avaient gagné Bourgneuf pour y attendre auprès des. Janvier le retour de Colette. Une même angoisse étreignait les deux familles.

« Je ne comprends pas... prononça faiblement Mme Maloin. Pourquoi est-elle partie?

— Colette est extrêmement sensible, déclara M. Janvier. Le choc aura été trop fort pour elle...

— Pourtant, elle semblait s'habituer à nous, dit tristement M. Maloin. Bien sûr, elle était parfois un peu triste de n'avoir pas de vos nouvelles... »

M. et Mme Janvier sursautèrent. « Comment cela? demanda M. Janvier. Elle n'a donc pas reçu nos lettres?

— Non, pas une seule.— Mais nous lui avons écrit trois fois! » s'écria

Mme Janvier.M. Maloin soupira profondément : « Le courrier

marche si mal entre k France et l'Italie... Vos lettres ont dû arriver après notre

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départ... Elles vous seront sans doute renvoyées d'ici deux ou trois mois... »

Le silence se referma sur le petit groupe. De temps à autre, quelqu'un jetait un coup d'œil inquiet vers le téléphone. Mais il restait muet, lui aussi, désespérément muet.

La neige tombait de nouveau, très fine, presque en poussière, mais suffisante pour effacer toutes les empreintes. Ils atteignirent enfin le ruisseau, que le chemin enjambait comme il était indiqué sur la carte.

« Il n'y a pas de mur! » dit Luce.Ce n'était donc pas là, évidemment, que se

trouvait le refuge de Colette...« Mais vous a-t-elle jamais dit, observa maître

Tessier, que ce refuge était au bord du chemin? Il est même probable qu'elle devait chercher à s'en écarter, de peur qu'un passant n'entendît sa guitare. Elle devait descendre ou remonter le ruisseau jusqu'à ce petit mur dont elle vous a parlé.

— En ce cas, il faut faire comme elle, déclara la jeune infirmière.

— Mais comment pourrez-vous, Luce? Vous n'êtes pas chaussée pour marcher dans la neige!

— Il n'y en a pas tellement. Descendons d'abord le courant jusqu'à la sortie du bois; si nous ne trouvons rien, nous le remonterons ensuite. »

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Ils laissèrent la voiture au bord du chemin, un peu avant le pont, et descendirent sur la berge. Par endroits «es plaques de verglas s'étaient formées entre les cailloux; Jacques avançait sons trop de difficulté, mais Luce, par instants, devait s'agripper aux branches; une poussière de neige s'abattait sur sa tête et lui givrait les cheveux.

Au bout d'un moment, ils commencèrent à appeler. Colette connaissait la voix de Luce; si elle se trouvait dans le voisinage, elle lui répondrait peut-être. Qui pouvait dire si elle ne regrettait pas déjà son équipée?

« Colette! ma petite Colette! »Pas un bruit, sinon celui de leurs pas et parfois un

paquet de neige s'écroulant sourdement derrière eux. Ils parvinrent enfin à l'orée du bois; nulle part ils n'avaient aperçu de mur.

« Il faut retourner sur nos pas et remonter le courant », dit Luce.

Non sans peine, ils regagnèrent le petit pont près duquel ils avaient laissé la voiture.

« Vous claquez des dents, dit maître Tessier à la jeune fille. Vous n'êtes pas équipée pour une randonnée de ce genre. Laissez-moi continuer seul; de toute façon, nous avons si peu de chances de réussir... »

Elle fit « non » de la tête; il n'insista pas.

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« Au moins, dit-il, reposez-vous un peu. Si nous

retournions à Bourgneuf boire quelque chose de chaud avant de poursuivre nos recherches? Vous- n'avez rien pris depuis cette tasse de café...

— Je voue en prie, Jacques. Il est presque dix heures. Colette est dehors depuis la nuit dernière. Nous devons continuer nos recherches. Peut-être découvrirons-nous au moins une trace. »

Ils reprirent leur marche, plus difficile à mesure que le terrain montait. Luce glissa et s'écorcha la main sur une pierre; elle suça la plaie sans mot dire. Soudain le jeune avocat, qui marchait devant elle, poussa une exclamation.

« Regardez là-bas! Le petit mur! »

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A quelque distance devant eux, un muret de pierre s'élevait au bord du ruisseau.

« C'est là! » s'écria Luce.Ils approchèrent. Le petit mur était couvert de

neige fine.« La petite s'est peut-être cachée en nous

entendant approcher, dit Luce. Elle peut se trouver tout près d'ici, dans le bois.

— Impossible; nous verrions des traces de pas.— Alors ce n'est pas ici qu'elle est venue! »

s'exclama Luce avec désespoir.Ils échangèrent un regard désolé. Ils avaient beau

savoir que leurs chances de réussir étaient minimes, tous deux espéraient secrètement que le petit mur au bord du ruisseau avait été pour Colette le but de sa fugue. Ils avaient surtout craint de ne pas retrouver l'endroit. Mais à présent ils s'y trouvaient — et Colette n'était pas là.

Où était-elle? Ils ne possédaient aucun indice, aucune possibilité de découvrir les intentions de l'enfant. Elle avait pu aller devant elle au hasard, en ville ou dans la campagne.

Soudain Luce poussa un cri. Elle venait d'apercevoir à l'abri du petit mur, près du ruisseau, un objet qui brillait dans la pénombre. Elle le ramassa : c'était un petit cœur de cristal, attaché à une mince chaînette.

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« Jacques ! s'écria-t-elle, Colette est venue ici !l » Le: jeune homme prit la chaînette, l'observa un instant, puis il déclara :

« Même si le bijou lui appartient, ce n'est pas une preuve. Elle a pu le perdre il y & longtemps en venant ici jouer de la guitare.

— Mais non : je le reconnais! Il vient de Milan : M. et Mme Maloin avaient acheté le même aux deux petites... Colette est passée ici aujourd'hui même, c'est certain Mais il y a. déjà longtemps, puisque ses traces ont été recouvertes par la neige. »

Maître Tessier réfléchit un instant. « Vous avez raison. Mlle est passée ici, puis elle a poursuivi sa route...

— Montrez-moi la chaînette,, Jacques *, dit Luce; tout à coup*

II la lui tendit; elle examina le fermoir avec attention.

« Cette chaîne ne s'est pas détachée seule; elle a été arrachée.,

— Comment cela?—Colette l'a arrachée dans un geste de colère ou

de désespoir. »Ils restèrent un moment silencieux.« Que pouvons-nous faire? dit enfin le jeune

avocat. La seule solution raisonnable est de prévenir la police que nous avons découvert la preuve de son passage dans la région. »Luce, elle, imaginait l'enfant

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éperdue, fuyant dans le froid. La vue des policiers lancés à sa poursuite n'aurait pu que l'effrayer davantage encore.

« Si nous pouvions, nous..., murmura-t-elle.— Je vous comprends — mais comment? »Il fallait se rendre à l'évidence : il n'y avait rien

de plus à faire.« Rentrons, dit Luce. Mais ne reprenons pas le

même chemin; il est peu probable que la petite soit revenue sur ses pas. En continuant la route nous découvrirons peut-être un autre indice. »

Jacques ne voulait pas la contrarier, mais lui-même n'espérait plus rien. Ils rejoignirent la voiture. La neige avait maintenant cessé de tomber; le froid augmentait.

Ils franchirent le petit pont et continuèrent le chemin. Ils sortirent bientôt du bois; un village apparut sur la gauche.

« Si nous nous arrêtions? proposa Luce. Il se peut que quelqu'un l'ait vue passer? » „

Ils stoppèrent devant un garage; le pompiste n'avait rien vu.

« Vous recherchez la petite dont on a parlé à la radio? Vous pensez bien que si je l'avais vue, j'aurais appelé lés gendarmes! »

Même réponse à l'auberge, un peu plus loin. Une enfant toute seule, pensez, ça se remarque, quand elle n'est pas du pays.

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Ils repartirent, ayant abandonné tout espoir. Ils roulaient maintenant en pleine campagne, très lentement à cause du verglas qui commençait à se former. Tout à coup, Luce posa la main sur le bras de Jacques.

« Une ferme! Arrêtons-nous!: »Le jeune homme avisa la vaste bâtisse qui se

dressait un peu en retrait de la route, puis il gara sa voiture sur le bas-côté.

« Les propriétaires de cette ferme ont peut-être aperçu Colette, expliqua Luce es marchant vers la grande maison.,

— On peut toujours leur demander! » Derrière la ferme, on apercevait une grange où

le foin était remisé. Luce s'approcha de la porte et frappa. Quelques instants plus tard, un homme apparut.

« Excusez-nous de vous déranger, déclara la jeune fille. Nous sommes à la recherche d'une enfant qui a? disparu. Nous savons qu'elle est passée non loin d'ici Vous me l'auriez pas vue?

— Non..., marmonna l'homme. Comment est-elle, cette enfant? »

Une femme, la fermière; sans doute, était apparue dans l'embrasure de la poste. Elle observait d'un air intrigué les inconnus qui parlaient à son mari.

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« Elle a douze ans, elle a des- cheveux blonds et porte une guitare, répondit Luce.

— Une guitare? répéta la femme.— Oui, madame.— Alors je n'avais pas rêvé! s'écria la fermière.

Tout à l'heure, j'ai cru entendre un air de guitare. Je suis sortie, mais la musique s'était tue. Alors je n'y ai plus pensé.

— Vous ne savez pas d'où venait cette musique? » demanda Jacques.

La femme haussa les épaules.« C'est difficile à dire, vous savez... J'ai eu

l'impression que ça venait de la grange, mais je ne pourrais pas le jurer! »

A cet instant, venant de la grange, s'élevèrent les premières notes d'un air de guitare.

« Colette! » s'écria Luce en courant vers le bâtiment.

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XVII

ASSISE sur les genoux de Luce, devant le grand feu de bois de la ferme, Colette pleurait doucement.

« Elle a froid, dit Ta fermière en frictionnant les pieds de l'enfant. Elle a peut-être faim aussi... Il reste de la soupe d'hier soir; je vais lui en faire réchauffer une bonne assiettée. »

Colette avala docilement le bouillon chaud et les légumes. La fermière lui fit ensuite cuire deux œufs.

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« Elle meurt de faim, la pauvre petite! Mange, va, après je te donnerai du fromage. On dirait vraiment qu'elle n'a rien pris depuis vingt-quatre heures!

— C'est bien le cas, dit Luce. Elle est partie de chez elle hier en pleine nuit. Tu avais dîné dans le train, Colette?

— Non, je n'avais pas faim, dit Colette.— Et cette nuit, tu es allée à pied de Neuilly

jusque dans le bois? »Petit à petit, on reconstituait l'histoire. Colette

s'était bien réfugiée dans le bois, mais au petit jour la neige l'en avait chassée. Elle avait marché devant elle au hasard. En arrivant devant la ferme, elle avait vu qu'il n'y avait personne dans la cour. Elle avait gagné la grange et s'était blottie dans le foin.

« J'avais toujours ma guitare, expliqua Colette. J'ai voulu en jouer un peu pour me consoler. Mais j'ai eu peur qu'on m'entende et je me suis arrêtée. »

Maître Tessier avait demandé au fermier s'il avait le téléphone. Sur sa réponse affirmative, il avait aussitôt appelé les parents.

« Elle est retrouvée! annonça-t-il à M. Janvier. Saine et sauve, ne craignez rien.

— Quel soulagement! Vous nous la ramenez immédiatement? »

Le jeune avocat jeta un regard vers Luce.

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« Nous la ramenons? » demanda-t-il.L'enfant se serra contre ht jeune infirmière.

Celle-ci, de la tête fit signe que son.« Pas maintenant, dit le jeune homme au

téléphone. Je passerai moi-même chez vous tout à l'heure. »

Il raccrocha.« Tu ne veux pas aller à Bourgneuf, Colette? »

demanda Lace. Pour toute réponse, la petite fille se serra plus

fort contre elle.«  Nous ferons ce que tu voudras, ma chérie Dis-

moi, où veux-tu aller?— Je yeux rester avec vous», dit l'enfant. Luce

l'emmena dans son petit studio. A peine arrivée, Colette se coucha et s'endormit d'un sommeil de plomb. Elle dormit dix-huit heures d'affilée.

Le lendemain, matin, devant ton grand bol de chocolat et des tartines beurrées, elle parut enfin se détendre.

« Veux-tu que nous parlions un peu toutes les deux? lui demanda Luce.

— Oui, répondit la fillette après une légère hésitation»

— Alors explique-moi pourquoi tu es partie. Tu étais malheureuse chez M. et Mme Maloin?

— Oh! non : ils sont très gentils. Je les aime bien. Seulement... seulement,,.

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— Quoi donc, ma chérie?— Je ne pourrai jamais appeler « maman »

quelqu'un d'autre que la mienne, dit Colette en éclatant en sanglots.

— Mais tu retourneras près d'elle, lui dit Luce. Tu resteras près d'elle aussi longtemps que tu voudras! Plus tard, tu comprendras que tu as aussi un autre père, une autre mère, une sœur jumelle. Cela viendra peu à peu, tu verras... »

Elle caressait les cheveux épars de la petite fille.«; Je comprends bien que tu aies eu envie de

revoir tes .parents. Mais alors, pourquoi, au lieu de partir dans les bois, n'es-tu pas retournée chez eux? M. Maloin t'y aurait conduite ce matin même... »

Colette sanglota plus fort.« Parce que j'ai bien deviné, à Milan... Je me

doutais déjà de quelque chose en arrivant. Hier j'ai tout compris, Maintenant, papa et maman savent que je ne suis pas vraiment leur fille; ils ne m'aiment plus, ils ne veulent plus de moi. C'est Laure qui sera leur fille, et pas, moi... Marc et Alain seront ses frères, Sabine sa petite sœur... Moi, je les aimerai toujours, plus que tout au monde, mais eux ne m'aimeront plus... Alors Je serai trop malheureuse, je préfère ne plus les revoir...

— Et pourquoi ne t'aimeraient-ils plus, eux,

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puisque toi tu les aimes encore? Tu crois que quelque chose sera changé? Vous serez une plus grande famille, voilà tout! Tu verras comme vous serez tous heureux...

— Vous le pensez vraiment? demanda la petite fille en levant sur Luce ses yeux pleins de larmes.

— Bien sûr! Comment pourrais-je en douter? » Le visage de Colette s'illumina d'un sourire rayonnant.

Luce et Jacques avaient déjeuné chez les Maloin, autour de la grande table qui réunissait souvent les deux familles.

Le retour de Colette avait créé un lien plus profond entre ceux qui avaient craint de la perdre. L'angoisse qu'ils avaient éprouvée ensemble, la joie qu'ils avaient partagée, avaient fait d'eux une véritable famille.

Deux mois après cette terrible journée, les Janvier étaient déjà installés au second étage de l'immeuble des Maloin. Les trois filles, qui allaient ensemble au même lycée, ne se quittaient pas et se considéraient comme trois sœurs. La ressemblance entre Axelle et sa jumelle était devenue un sujet de gaieté; toutes deux s'amusaient de constater que leurs camarades ne les distinguaient pas l'une de l'autre, ce qui prêtait à des plaisanteries sans fin.

Colette avait gardé sa chère guitare; elle

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apprenait maintenant le piano et, sans oser l'avouer, espérait 'bien un jour devenir une grande artiste. Laure, de son côté, profitait de tous ses moments libres pour aller courir et s'amuser avec les deux grands frères que le destin lui avait envoyés.

L'amitié réelle qui existait entre les parents facilitait les choses : Laure et Colette disaient en riant qu'elles avaient chacune deux pères et deux mères, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Axelle elle-même considérait M. et Mme Janvier comme un oncle et une tante et avait pour eux une profonde affection.

« Je suis si heureuse que tout se soit bien terminé, déclara Luce en montant dans la voiture de Jacques Tessier qui la ramenait chez elle.

— Rappelez-vous pourtant combien vous avez hésité à dévoiler votre secret!

— C'est vrai, Jacques, mais avouez que ce n'était pas facile! Je me suis si souvent répété : « Toute vérité n'est pas bonne à dire! »

— II fallait quand même faire mentir ce vieil adage. Regardez-les, maintenant! »

Par la vitre de la voiture, Luce vit s'éloigner Laure, Colette et Axelle, marchant joyeusement vers le lycée.

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Biographie

Née en 1897 à Paris, Suzanne Pairault est la fille du peintre Jean Rémond (mort en 1913). Elle obtient une licence de Lettres à la Sorbonne et part étudier la sociologie en Angleterre pendant deux ans. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, elle sert un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais. Elle effectue de nombreux voyages à l’étranger (Amérique du Sud, Proche-Orient). Mariée en 1929, elle devient veuve en 1934. Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle entre dans la résistance et obtient la Croix de guerre 1939-1945.

Elle publie d’abord des livres pour adultes et traduit des œuvres anglaises en français. À partir de 1950, elle publie des romans pour la jeunesse tout en continuant son travail de traducteur.

Elle est surtout connue pour avoir écrit les séries Jeunes Filles en blanc, des histoires d'infirmières destinées aux adolescentes, et Domino, qui raconte les aventures d'un garçon de douze ans. Les deux séries ont paru aux éditions Hachette respectivement dans la collection Bibliothèque verte et Bibliothèque rose. « Près de deux millions d’exemplaires de la série Jeunes filles en blanc ont été vendus à ce jour dans le monde. »

Elle reçoit le Prix de la Joie en 1958 pour Le Rallye de Véronique. Beaucoup de ses œuvres ont été régulièrement rééditées et ont été traduites à l’étranger. Suzanne Pairault décède en juillet 1985.

Bibliographie Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Romans 1931 : La Traversée du boulevard (sous le nom de Suzanne Rémond). Éd. Plon.1947 : Le Sang de bou-okba - Éd. Les deux sirènes.1951 : Le Livre du zoo - Éd. de Varenne. Réédition en 1951 (Larousse).1954 : Mon ami Rocco - Illustrations de Pierre Leroy. Collection Bibliothèque rose illustrée.1960 : Vellana, Jeune Gauloise - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 196.1963 : Un ami imprévu - Illustrations d’Albert Chazelle. Collection Idéal-Bibliothèque no 255.1964 : Liselotte et le secret de l'armoire - Illustrations de Jacques Poirier. Collection Idéal-Bibliothèque.

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1965 : La Course au brigand - Illustrations de Bernard Ducourant. Éd. Hachette, Collection Nouvelle Bibliothèque rose no 195.1965 : Arthur et l'enchanteur Merlin - Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque no 278. Illustrations de J.-P. Ariel.1972 : Les Deux Ennemis - Éd. OCDL. Couverture de Jean-Jacques Vayssières.

Série Jeunes Filles en blanc Article détaillé : Jeunes Filles en blanc.Cette série de vingt-trois romans est parue en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. L'illustrateur en titre est Philippe Daure.1968 : Catherine infirmière (no 367)1969 : La Revanche de Marianne (réédition en 1978 et 1983)1970 : Infirmière à bord (réédition en 1982, 1987)1971 : Mission vers l´inconnu (réédition en 1984)1973 : L'Inconnu du Caire1973 : Le Secret de l'ambulance (réédition en 1983, 1990)1973 : Sylvie et l'homme de l'ombre1974 : Le lit n°131974 : Dora garde un secret (réédition en 1983 et 1986)1975 : Le Malade autoritaire (réédition en 1984)1976 : Le Poids d'un secret (réédition en 1984)1976 : Salle des urgences (réédition en 1984)1977 : La Fille d'un grand patron (réédition en 1983, 1988)1978 : L'Infirmière mène l’enquête (réédition en 1984)1979 : Intrigues dans la brousse (réédition en 1986)1979 : La Promesse de Francine (réédition en 1983)1980 : Le Fantôme de Ligeac (réédition en 1988)1981 : Florence fait un diagnostic (réédition en 1993)1981 : Florence et l'étrange épidémie1982 : Florence et l'infirmière sans passé (réédition en 1988, 1990)1983 : Florence s'en va et revient (réédition en 1983, 1989, 1992)1984 : Florence et les frères ennemis1985 : La Grande Épreuve de Florence (réédition en 1992)

Série DominoCette série a été éditée (et rééditée) en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose puis Bibliothèque rose.1968 : Domino et les quatre éléphants - (no 273). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino et le grand signal - (no 275). Illustrations de Jacques Poirier.1968 : Domino marque un but - (no 282). Illustrations de Jacques Poirier.1970 : Domino journaliste - (no 360). Illustrations de Jacques Pecnard.1971 : La Double Enquête de Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1972 : Domino au bal des voleurs - Illustrations de Jacques Pecnard.1974 : Un mustang pour Domino - Illustrations de Jacques Pecnard.1973 : Domino photographe - Illustrations de Jacques Pecnard.1975 : Domino sur la piste - Illustrations de François Batet.

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1976 : Domino, l’Étoile et les Rubis - Illustrations de François Batet.1977 : Domino fait coup double - Illustrations de François Batet.1977 : La Grande Croisière de Domino - Illustrations de François Batet.1978 : Domino et le Japonais - Illustrations de François Batet.1979 : Domino dans le souterrain - Illustrations de François Batet.1980 : Domino et son double - Illustrations de Agnès Molnar.

Série Lassie 1956 : Lassie et Joe - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Collection Idéal-Bibliothèque n°101.1958 : Lassie et Priscilla - no 160. Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1978 (Bibliothèque rose).1958 : Lassie dans la vallée perdue - Adapté du roman de Doris Schroeder. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque - Réédition en 1974 (Idéal-Bibliothèque).1967 : Lassie donne l’alarme - Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Collection . Idéal-Bibliothèque . Réédition en 1979 (Idéal-Bibliothèque).1971 : Lassie dans la tourmente - Adapté du roman de I. G. Edmonds. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1972 : Lassie et les lingots d'or - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1976 : La Récompense de Lassie - Adapté du roman de Dorothea J. Snow. Illustrations d'Annie Beynel - Éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose.1977 : Lassie dans le désert. Illustrations d'Annie Beynel. Éditions Hachette, Coll. Bibliothèque rose.1978 : Lassie chez les bêtes sauvages - Adapté du roman de Steve Frazee. Illustrations de Françoise Boudignon - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Véronique 1954 : La Fortune de Véronique - Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque  1955 : Véronique en famille - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  1957 : Le Rallye de Véronique - Illustrations d’Albert Chazelle - Éd. Hachette, Coll. . Idéal-Bibliothèque  no 128.1961 : Véronique à Paris - Illustrations d’Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 205.1967 : Véronique à la barre - Illustrations d'Albert Chazelle. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 377.

Série Robin des Bois ]1953 : Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 43. Réédition en 1957 (coll. Idéal-Bibliothèque).1958 : La Revanche de Robin des Bois - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 154. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

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1962 : Robin des Bois et la Flèche verte - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 234. Réédition en 1974 (coll. Idéal-Bibliothèque).

Série Sissi 1962 : Sissi et le fugitif - Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 226. Réédition en 1983, illustrations de Paul Durand.1965 : Sissi petite reine - no 284. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque. Réédition en 1976 et 1980 (Idéal-Bibliothèque, illustrations de Jacques Fromont (1980)).

En tant que traducteur Liste non exhaustive. La première date est celle de la première édition française.

Série Docteur Dolittle 1967 : L’Extravagant Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.1968 : Les Voyages du Docteur Dolittle, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque no 339.1968 : Le Docteur Dolittle chez les Peaux-rouges, de Hugh Lofting. Illustrations originales de l'auteur. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque.

Série Ji, Ja, Jo Série sur le monde équestre écrite par Pat Smythe et parue en France aux Éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte.1966 : Ji, Ja, Jo et leurs chevaux - Illustrations de François Batet.1967 : Le Rallye des trois amis - Illustrations de François Batet.1968 : La Grande randonnée - no 356 - Illustrations de François Batet.1969 : Le Grand Prix du Poney Club - Illustrations de François Batet.1970 : À cheval sur la frontière - Illustrations de François Batet.1970 : Rendez-vous aux jeux olympiques - Illustrations de François Batet.

Série Les Joyeux Jolivet Série écrite par Jerry West et parue en France aux éditions Hachette dans la collection Nouvelle Bibliothèque rose.1966 : Les Jolivet à la grande hutte - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 218.1966 : Les Jolivet font du cinéma - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose no 226 (réédition en 1976, coll. Bibliothèque rose).1966 : Les Jolivet au fil de l'eau - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 220.1967 : Les Jolivet font du camping - Illustrations de Maurice Paulin - Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose no 242.1967 : Le Trésor des pirates - no 259 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : L’Énigme de la petite sirène - no 284 - Illustrations de Maurice Paulin.1968 : Alerte au Cap Canaveral - no 272 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Les Jolivet au cirque - no 320 - Illustrations de Maurice Paulin.1969 : Le Secret de l'île Capitola - no 304 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet et l'or des pionniers - no 340 - Illustrations de Maurice Paulin.1970 : Les Jolivet montent à cheval - no 347 - Illustrations de Maurice Paulin.

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Série Une enquête des sœurs Parker Série écrite par l'Américaine Caroline Quine, éditée en France aux éditions Hachette dans la collection Bibliothèque verte. Rééditions jusqu'en 1987.1966 : Le Gros Lot.1966 : Les Sœurs Parker trouvent une piste.1967 : L'Orchidée noire.1968 : La Villa du sommeil.1969 : Les Disparus de Fort-Cherokee.1969 : L'Inconnu du carrefour.1969 : Un portrait dans le sable.1969 : Le Secret de la chambre close.1970 : Le Dauphin d'argent.1971 : La Sorcière du lac perdu.1972 : L'Affaire du pavillon bleu,1972 : Les Patineurs de la nuit.

Série Un cochon d'Inde 1965 : Un cochon d'Inde nommé Jean-Jacques, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose).1966 : Qui a volé mon cochon d'Inde ?, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque Rose (Mini rose) no 219.1968 : Le Tour du monde d'un cochon d'Inde, de Paul Gallico. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Coll. Nouvelle Bibliothèque rose (Mini rose) no 268.

Série Une toute petite fille ]1955 : L'Histoire d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Simone Baudoin. Réédition en 1959 (Nouvelle Bibliothèque Rose no 29) et 1975 (Bibliothèque Rose, illustré par Pierre Dessons).1964 : Les Bonnes idées d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Éd. Hachette, Bibliothèque rose no 166. Réédition en 1979 (Bibliothèque rose, Illustré par Jacques Fromont) et 1989 (Bibliothèque rose, Illustré par Pierre Dessons).1968 : Les Découvertes d'une toute petite fille, de Joyce Lankester Brisley. Illustrations de Jeanne Hives. Éd. Hachette, Nouvelle Bibliothèque Rose (mini rose) no 298. Réédition en 1975 et 1989 (Bibliothèque Rose, Illustré par Pierre Dessons).

Romans hors séries 1949 : Dragonwyck d’Anya Seton. Éd. Hachette, Coll. Toison d'or. Réédition en 1980 (Éd. Jean-Goujon).1951 : La Hutte de saule, de Pamela Frankau. Éd. Hachette.1953 : Le Voyageur matinal, de James Hilton. Éd. Hachette, Coll. Grands Romans Étrangers.1949 : Le Miracle de la 34e rue, de Valentine Davies. Éd. Hachette - Réédition en 1953 (ed. Hachette, coll. Idéal-Bibliothèque, ill. par Albert Chazelle).1964 : Anne et le bonheur, de L. M. Montgomery. Illustrations de Jacques Fromont. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque verte.1967 : Cendrillon, de Walt Disney, d'après le conte de Charles Perrault. Éd. Hachette, collection Bibliothèque rose. Réédition en 1978 (ed. Hachette, Coll. Vermeille).1970 : Les Aventures de Peter Pan, de James Matthew Barrie. Éd. Hachette, Coll. Bibliothèque rose. Réédition en 1977 (Hachette, Coll. Vermeille).

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1973 : Blanche-Neige et les Sept Nains, de Walt Disney, d’après Grimm. Éd. Hachette, Coll. Vermeille.1967 : La Fiancée de la forêt, de Robert Nathan - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette.1965 : Le Chien du shérif, de Zachary Ball - Illustrations de François Batet. Éd. Hachette, Coll. Idéal-Bibliothèque n°283.1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains - Robert Graves, Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).

Prix et Distinctions Croix de guerre 1939-1945.Prix de la Joie en 1958 décerné par l'Allemagne pour Le Rallye de Véronique.

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