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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 1 - janvier-février-mars 2013 6 Immunité antitumorale dossier thématique Surveillance immune antitumorale et échappement Tumour immunosurveillance and immunoescape François Ghiringhelli* * Inserm, UMR866, université de Bourgogne, centre de lutte contre le cancer Georges-François- Leclerc, Dijon. L’ altération du génome des cellules normales conduit à une modification des voies de signa- lisation intracellulaires pouvant entraîner leur transformation et le développement des tumeurs. Actuellement, les processus d’oncogenèse se caracté- risent par 6 points essentiels : l’indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance, la résistance aux inhibiteurs de la prolifération, la résistance à la mort cellulaire, l’immortalisation, la capacité à promouvoir l’angio- genèse et la capacité à envahir les tissus et à traverser les membranes basales (1). Récemment, l’hypothèse selon laquelle l’échappement au système immunitaire pourrait constituer la septième caractéristique des cel- lules cancéreuses a été émise (2). Trois mécanismes immunitaires semblent essentiels pour prévenir l’onco- genèse. Premièrement, l’immunité protège contre les infections virales et ainsi contre la formation de tumeurs viro-induites. Deuxièmement, le système immunitaire protège des agents pathogènes et permet ainsi la réso- lution rapide des phénomènes inflammatoires qui favo- risent l’oncogenèse. Enfin, le système immunitaire a la capacité d’identifier et de détruire les cellules tumorales directement : il est capable de détecter les cellules dys- plasiques ou cancéreuses et de les détruire avant que la tumeur ne se développe. Ce phénomène est appelé “immunosurveillance antitumorale”. Cependant, malgré cette surveillance opérée par le système immunitaire, certaines cellules tumorales peuvent se développer. Le concept d’immunosurveillance a donc laissé la place à la théorie de l’immunoédition. Cette théorie définit les relations entre les cellules transformées et le système immunitaire selon 3 phases : l’élimination, l’équilibre et l’échappement (figure) [3]. Le concept d’immunoédition La phase d’élimination La phase d’élimination est la phase décrite par la théo- rie de l’immunosurveillance, au cours de laquelle les cellules transformées sont reconnues et éliminées par le système immunitaire. Le développement d’une réponse immunitaire à toute agression antigénique se traduit par l’activation de 2 systèmes de défense : une réponse innée, qui constitue la première ligne de défense [les cellules T γδ, les cellules Natural Killer (NK), les cellules dendritiques ou macrophagiques, les cel- lules T Natural Killer (NKT)], et une réponse spécifique RÉSUMÉ Summary » Le développement d’une tumeur dépend de l’équilibre entre une réponse immunitaire antitumorale capable d’éliminer les cellules cancéreuses dès leur formation et les mécanismes d’échappement au système immunitaire. Ces mécanismes d’échappement comprennent des mécanismes d’immunosélection, c’est-à- dire la capacité des cellules tumorales à perdre des molécules nécessaires pour leur reconnaissance par le système immunitaire. Il y a également des mécanismes d’immunosuppression actifs, c’est-à-dire la capacité de modifier la réponse immunitaire en elle- même et d’induire des cellules immunitaires immunosuppressives bloquant les cellules effectrices. Mot-clés : Cancer − Immunosurveillance − Tolérance immunitaire. The development of a tumor depends on the balance between an antitumor immune response capable of eliminating cancer cells and the development of mechanisms of immunoescape. These escape mechanisms use a mechanism of immunoselection. The mechanism is the ability of tumor cells to lose expression of molecules required for their recognition by the immune system. In addition, a mechanism of immunosuppression is also well documented. This mechanism is the ability of cancer cells to modify the immune response itself and to induce the generation of immunosuppressive cells which could blunt effector cell functions. Keywords: Cancer − Immunosurveillance − Immune tolerance.

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Immunité antitumorale

d o s s i e r t h é m a t i q u e

surveillance immune antitumorale et échappementTumour immunosurveillance and immunoescapeFrançois Ghiringhelli*

* Inserm, UMR866, université de Bourgogne, centre de lutte contre le

cancer Georges-François-Leclerc, Dijon.

L’ altération du génome des cellules normales conduit à une modifi cation des voies de signa-lisation intracellulaires pouvant entraîner leur

transformation et le développement des tumeurs. Actuellement, les processus d’oncogenèse se caracté-risent par 6 points essentiels : l’indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance, la résistance aux inhibiteurs de la prolifération, la résistance à la mort cellulaire, l’immortalisation, la capacité à promouvoir l’angio-genèse et la capacité à envahir les tissus et à traverser les membranes basales (1). Récemment, l’hypothèse selon laquelle l’échappement au système immunitaire pourrait constituer la septième caractéristique des cel-lules cancéreuses a été émise (2). Trois mécanismes immunitaires semblent essentiels pour prévenir l’onco-genèse. Premièrement, l’immunité protège contre les infections virales et ainsi contre la formation de tumeurs viro-induites. Deuxièmement, le système immunitaire protège des agents pathogènes et permet ainsi la réso-lution rapide des phénomènes infl ammatoires qui favo-risent l’oncogenèse. Enfi n, le système immunitaire a la capacité d’identifi er et de détruire les cellules tumorales directement : il est capable de détecter les cellules dys-plasiques ou cancéreuses et de les détruire avant que

la tumeur ne se développe. Ce phénomène est appelé “immunosurveillance antitumorale”. Cependant, malgré cette surveillance opérée par le système immunitaire, certaines cellules tumorales peuvent se développer. Le concept d’immunosurveillance a donc laissé la place à la théorie de l’immuno édition. Cette théorie défi nit les relations entre les cellules transformées et le système immunitaire selon 3 phases : l’élimination, l’équilibre et l’échappement (fi gure) [3].

Le concept d’immunoédition

La phase d’éliminationLa phase d’élimination est la phase décrite par la théo-rie de l’immunosurveillance, au cours de laquelle les cellules transformées sont reconnues et éliminées par le système immunitaire. Le développement d’une réponse immunitaire à toute agression antigénique se traduit par l’activation de 2 systèmes de défense : une réponse innée, qui constitue la première ligne de défense [les cellules T γδ, les cellules Natural Killer (NK), les cellules dendritiques ou macrophagiques, les cel-lules T Natural Killer (NKT)], et une réponse spécifi que

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» Le développement d’une tumeur dépend de l’équilibre entre une réponse immunitaire antitumorale capable d’éliminer les cellules cancéreuses dès leur formation et les mécanismes d’échappement au système immunitaire. Ces mécanismes d’échappement comprennent des mécanismes d’immunosélection, c’est-à-dire la capacité des cellules tumorales à perdre des molécules nécessaires pour leur reconnaissance par le système immunitaire. Il y a également des mécanismes d’immunosuppression actifs, c’est-à-dire la capacité de modifi er la réponse immunitaire en elle-même et d’induire des cellules immunitaires immunosuppressives bloquant les cellules eff ectrices.

Mot-clés : cancer − immunosurveillance − tolérance immunitaire.

The development of a tumor depends on the balance between an antitumor immune response capable of eliminating cancer cells and the development of mechanisms of immunoescape. These escape mechanisms use a mechanism of immunoselection. The mechanism is the ability of tumor cells to lose expression of molecules required for their recognition by the immune system. In addition, a mechanism of immunosuppression is also well documented. This mechanism is the ability of cancer cells to modify the immune response itself and to induce the generation of immunosuppressive cells which could blunt eff ector cell functions.

Keywords: Cancer − Immunosurveillance − Immune tolerance.

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Surveillance immune antitumorale et échappement

ou adaptative impliquant des réponses humorales (les lymphocytes B) et des réponses à médiation cellulaire (les lymphocytes T). Comme toute réponse immuni-taire, la réponse antitumorale adaptative nécessite pour son déclenchement l’activation par une cellule présentatrice d’antigène, le plus souvent une cellule dendritique présentant des antigènes de tumeur. Les cellules tumorales sont des cellules du soi et, de ce fait, bien qu’anormales, très faiblement inductrices de réponse, à cause de leur faible antigénicité. Le rôle des cellules présentatrices d’antigène est donc crucial pour le développement d’une défense effi cace.

Les eff ecteurs de la réponse immunitaire antitumorale

Les cellules dendritiquesLes cellules dendritiques sont des cellules proches des macrophages et qui, comme ces derniers, ont des fonctions d’endocytose et de phagocytose. Ainsi, ces cellules peuvent ingérer les antigènes de tumeurs pro-venant de débris ou de corps apoptotiques des cellules cancéreuses. Dans le cas d’une réponse immunitaire antitumorale, les cellules dendritiques internalisent les antigènes de tumeurs au site tumoral puis migrent, sous l’infl uence de diff érents facteurs, jusqu’aux ganglions. Dans les ganglions de drainage, la réponse lymphocy-taire T sera déclenchée à la suite de la stimulation par les cellules dendritiques. La sécrétion de cytokines de ces cellules joue un rôle en orientant la réponse immunitaire

à médiation cellulaire vers une réponse antitumorale ou immunosuppressive, en fonction du contexte.

Les lymphocytes TLes lymphocytes T CD4 spécifiques reconnaissent, via leur récepteur TCR, les antigènes associés aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe 2 présentes uniquement sur les cellules présentatrices d’antigènes. Les lymphocytes T CD4 activés sécrètent des cytokines, ce qui détermine la diff érenciation. Ainsi, les lymphocytes T CD4 de type Th1 libéreront de l’interféron γ (IFNγ). L’IFNγ joue un rôle anticancéreux majeur en inhibant l’angiogenèse, en induisant la sénescence des cellules tumorales et en activant les fonctions tueuses des cellules de l’immu-nité innée ou adaptative (4). Les lymphocytes T CD4 de type Th2, qui produisent de l’IL-4, pourraient favoriser la croissance tumorale. Enfi n, les lymphocytes T CD4 de type Th17 produisent de l’IL-17 et pourraient jouer un rôle délétère dans certains cancers en favorisant la résistance à l’apoptose et en induisant l’angiogenèse tumorale.Des lymphocytes T CD8 cytotoxiques (CTL) sont produits et capables de reconnaître directement les cellules tumorales via le CMH de classe 1, qui est exprimé à la surface de toutes les cellules. La reconnaissance du com-plexe CMH-peptide via leur TCR les active et induit leur fonction tueuse. Ainsi, ils acquièrent la capacité de lyser les cellules tumorales par diff érents mécanismes. Par ailleurs, ces cellules sont capables de sécréter de l’IFNγ.

Figure. Théorie de l’immunosurveillance et de l’échappement.

1. La phase d’élimination 2. La phase d’équilibre 3. La phase d’échappement

Immunosuppressionactive

NKNK DC

DC

NK

IcT

IcT

Treg Th17

Mdsc

IcT

NK

Perte des molécules de reconnaissance

Cellules cancéreuses

Prolifération tumorale

Cytotoxicité

ImmunosubversionCytotoxicité

Cytotoxicité

Activation

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Immunité antitumorale

Les NKLes cellules NK sont des cellules tueuses innées capables de tuer les cellules tumorales qui, contrairement aux cellules normales, n’expriment plus les molécules inhi-bitrices bloquant les fonctions tueuses des NK. Cela se traduit souvent par la sous-expression du CMH de classe 1 (un récepteur inhibiteur des NK) par les cel-lules cancéreuses. Les cellules tumorales peuvent aussi surexprimer des ligands de récepteurs activateurs des NK. Dans certaines hémopathies, comme la leucémie myéloïde chronique (LMC) ou les sarcomes gastro-intestinaux (GIST), ce mécanisme est impliqué dans le contrôle de la croissance tumorale.

Les lymphocytes BDiff érents mécanismes impliquent les anticorps spéci-fi ques des antigènes tumoraux dans la mort des cellules tumorales. Le mécanisme principal est appelé “cytotoxi-cité à médiation cellulaire dépendante des anticorps”, ou ADCC (Antibody-Dependent Cell-mediated Cytotoxicity). Les anticorps liés aux cellules tumorales activent les cellules eff ectrices du système immunitaire. Les anti-corps IgG se fi xent via leur région Fc sur les récepteurs aux fragments Fc des macrophages ou des cellules NK, cette fi xation entraînant leur activation et la lyse des cellules tumorales (5). La liaison des antigènes de tumeurs aux anticorps peut aussi entraîner la cascade classique du complément et donc la lyse des cellules.

Les preuves du concept d’immunosurveillanceChez la sourisIl existe 3 modèles chez la souris, reproduisant assez bien la carcinogenèse humaine et illustrant l’importance du rôle de l’immunité dans l’élimination des tumeurs : les tumeurs induites par les carcinogènes, les tumeurs spontanées induites par le vieillissement et les tumeurs provenant de souris génétiquement prédisposées au cancer. Ainsi, les concepts d’immunosurveillance et d’immunoédition ont été démontrés en exposant des souris immunocompétentes et des souris immunodéfi -cientes à des carcinogènes et en comparant l’incidence des tumeurs : il y avait une plus grande incidence de cancers chez les souris immunodéfi cientes, les souris privées de lymphocytes T ou NK et les souris privées de capacité à produire de l’IFNγ.Les cellules du système inné et adaptatif jouent un rôle crucial dans l’élimination des sarcomes primaires induits par le carcinogène appelé “méthycholanthrène”. Les souris Rag défi cientes en lymphocytes T et B sont ainsi plus susceptibles de développer des tumeurs après exposition au méthycholanthrène. Étonnamment, 40 % des tumeurs dérivées de souris Rag sont reje-

tées spontanément quand elles sont transplantées dans des souris immunocompétentes, alors qu’elles peuvent se développer et grossir chez les souris Rag défi cientes. À l’inverse, 100 % des tumeurs dérivées de souris immuno compétentes se développent normale-ment quand elles sont transplantées dans des souris immunocompétentes. Ces observations montrent que les sarcomes dérivés des souris immunodéfi ciences sont plus “immunogènes” que ceux qui proviennent de souris ayant un système immunitaire fonctionnel. Elles mettent en évidence le concept d’immunoédition (6).Une autre approche pour examiner le rôle du système immunitaire dans le contrôle du développement tumoral est d’éliminer certains composants du sys-tème immunitaire murin et d’évaluer l’apparition de tumeurs spontanées après une période de 2 ans (la durée de vie moyenne d’une souris de laboratoire). Ces études de vieillissement ont clairement démontré un rôle critique des lymphocytes T et des cellules NK, des cytokines comme l’IFNγ (7) et de certaines molécules cytotoxiques telles que la perforine, et dans la préven-tion du développement de tumeurs spontanées.

Chez l’hommeChez l’homme, il existe de nombreuses preuves de l’existence d’une immunosurveillance. Ainsi, de nom-breuses situations d’immunodéfi cience humaine sont associées à une prédisposition pour le développement de cancers. Chez les patients transplantés et traités par immunosuppresseurs, une augmentation de l’in-cidence des cancers induits ou non par des virus est observée (8). Les patients porteurs d’un syndrome de Chediak-Higashi, caractérisé par un dysfonctionnement des NK, ont un risque de cancer 200 fois plus élevé que les sujets sains (9). Certains polymorphismes aff ectant la cytotoxicité des NK sont aussi associés à un risque aug-menté de développer certains cancers (10). Par ailleurs, des preuves directes d’une immunosurveillance existent chez les patients porteurs de gammapathie monoclo-nale bénigne, état pouvant précéder l’apparition d’un authentique myélome multiple. Chez ces patients, il est possible de mettre en évidence une réponse T vis-à-vis des clones des lymphocytes B, qui n’est plus retrouvée chez les patients ayant évolué vers un myélome (11). Par ailleurs, la présence de lymphocytes T CD8 spécifi ques d’antigènes tumoraux, comme MUC-1 (molécule expri-mée par de nombreux types de cancers épithéliaux) ou HER2, a été mise en évidence dans la moelle osseuse de patientes porteuses d’une tumeur localisée du sein, et ces lymphocytes sont capables d’induire la régression tumorale lorsqu’ils sont transférés de façon passive à des souris xénogreff ées avec la tumeur primitive (12).

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Surveillance immune antitumorale et échappement

Dans de nombreux cancers, la présence d’un infi ltrat tumoral lymphocytaire T détecté dans la tumeur et sa périphérie est fréquemment associée à un meilleur pronostic des patients. Ces cellules sont habituelle-ment considérées comme le témoin d’une tentative de détection et d’élimination des cellules anormales. Ainsi, chez les patients porteurs d’un cancer du côlon, une forte expression au sein du microenvironnement tumoral de molécules importantes pour les fonctions des lymphocytes Th1 (CD8α, granzyme B, T-bet, IFNγ) est associée à une meilleure survie et à un risque métasta-tique moins important (13) [cf. article de J. Galon, p. 12].Toutefois, des variantes de cellules tumorales peuvent parfois ne pas être complètement éliminées. Une phase d’équilibre se crée alors, au cours de laquelle le système immunitaire contrôle la croissance des cellules tumorales.

La phase d’équilibreDans la phase d’équilibre, les cellules tumorales restent en dormance et cliniquement invisibles pour l’hôte. Le système immunitaire de l’hôte et les cellules tumorales entrent dans un équilibre dynamique ; l’immunité anti-tumorale contient alors, mais ne peut totalement éradi-quer, une population hétérogène de cellules tumorales, dont certaines ont acquis des moyens de se soustraire au système immunitaire (14). La phase d’équilibre est à l’origine de l’hypothèse qui explique la longue période de latence depuis l’événement de la transformation tumo-rale jusqu’à la phase d’échappement et à l’émergence d’une maladie maligne. Selon cette hypothèse, l’équilibre peut être la phase la plus longue de l’immunoédition, durant laquelle les eff ecteurs de la réponse immunitaire sélectionnent les cellules tumorales qui acquièrent des mutations permettant l’immunoévasion et pouvant conduire à la maladie cliniquement décelable. Dans ce cas, les cellules tumorales sont en division, mais la lésion ne peut s’étendre au-delà d’une certaine taille en raison soit de l’absence de néoangiogenèse, soit de la barrière du système immunitaire. Une étude utilisant de faibles doses de méthylcholanthrène montre que l’immunité maintient les lésions primaires cancéreuses dans un état d’équilibre. Ainsi, des analyses ont révélé que la déplétion des cellules de l’immunité adaptative (les cellules CD4+ CD8+) ou des cytokines comme l’IFNγ plusieurs mois après l’adminis-tration du carcinogène favorise la croissance rapide des sarcomes au site d’injection du carcinogène, alors que la maladie ne peut pas se développer en présence d’un sys-tème immunitaire. Au contraire, les cellules immunitaires innées, comme les NK, ne semblent pas impliquées (15). Bien que les phases d’élimination et d’équilibre soient importantes dans le phénomène d’immunoédition, et plus généralement dans l’inhibition du développement

des cancers, certaines tumeurs échappent au contrôle du système immunitaire, ce qui conduit à l’apparition d’un cancer cliniquement détectable.

La phase d’échappement au système immunitaireCe phénomène se caractérise essentiellement par la capacité des cellules cancéreuses à développer des moyens de contrôler la réponse immunitaire anti-tumorale. Ainsi, le système immunitaire contribue à la sélection des variants tumoraux agressifs et capables de bloquer la réponse antitumorale. Les cellules transfor-mées sont capables d’échapper à l’immunosurveillance soit par immunosélection, c’est-à-dire par la sélection de variants cellulaires tumoraux non immunogènes, soit par immunosubversion, c’est-à-dire par le dévelop-pement de mécanismes de suppression de la réponse immunitaire capables d’induire une tolérance du sys-tème immunitaire vis-à-vis de la tumeur.

immunosélectionL’échappement des cellules tumorales peut résulter de changements au niveau de la tumeur qui permettent de bloquer la reconnaissance des cellules tumorales par le système immunitaire. Ainsi, les cellules tumorales peuvent acquérir des défauts dans les voies de présentation des antigènes, ce qui empêche leur reconnaissance par les cellules du système adaptatif. En particulier, la perte de TAP1 ou des molécules du CMH de classe 1 par les cellules tumorales empêche leur élimination par les cellules T et favorise donc la progression tumorale (16). Ce processus d’évasion devient puissant lorsque les tumeurs perdent la capacité de répondre à l’IFNγ. Dans ce cas, les cellules tumorales touchées ne parviennent pas à augmenter l’expression du CMH de classe 1 en réponse à l’IFNγ. En outre, l’instabilité génomique dans les cellules tumorales peut entraîner la perte des antigènes tumoraux, qui ne sont plus détectables par des cellules T CD8+ spécifi ques de l’antigène. De même, les tumeurs peuvent devenir invi-sibles pour les cellules du système immunitaire inné du fait de la perte de ligands activateurs des cellules NK (2).

immunosubversionL’immunosubversion est un processus actif, impli-quant une modifi cation du système immunitaire qui a pour conséquence l’inhibition des fonctions des cel-lules ayant des propriétés antitumorales (cf. articles de A. Boespfl ug et al., p. 17, de J. Faget et al., p. 23, et de M. Manuel et al., p. 27).

Les cellules dendritiquesDes facteurs dérivés des cellules tumorales peuvent inhiber la fonction des cellules dendritiques et ainsi

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Immunité antitumorale

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bloquer leur capacité à induire une réponse immuni-taire antitumorale. Ces signaux correspondent à des cytokines inhibitrices de la maturation des cellules den-dritiques ou à des dérivés lipidiques qui perturbent leur migration vers les ganglions lymphatiques.

Les lymphocytes T régulateursLes lymphocytes T régulateurs sont une population de lymphocytes T CD4 qui expriment l’antigène CD25 et le facteur de transcription Foxp3 ayant la capa-cité d’inhiber la fonction de la plupart des cellules du système immunitaire. Ils agissent notamment en produisant des molécules inhibitrices comme l’IL-10, le TGFβ et l’adénosine (17). Les lymphocytes T régula-teurs sont essentiels dans le phénomène d’induction de tolérance et sont souvent recrutés au site tumoral où ils suppriment l’immunité antitumorale. Dans les modèles expérimentaux, leur expansion au site tumo-ral dépend de la production de TGFβ ou de chimio-kines les attirant sur le site tumoral. Les infi ltrats en lymphocytes régulateurs sont un facteur de mauvais pronostic dans de nombreux cancers (cf. article de J. Faget et al. p. 23). Le cyclophosphamide pourrait éliminer ces cellules et ainsi augmenter la réponse immunitaire antitumorale (18).

Les lymphocytes Th17Les lymphocytes Th17 sont une population de cellules T CD4 produisant de l’IL-17 et exprimant le facteur de transcription RORc. Ces cellules sont induites après sti-mulation par l’IL-6 et le TGFβ, 2 cytokines fortement pro-duites au site tumoral. L’IL-17 a la propriété d’induire la production de VEGF et ainsi de favoriser l’angio genèse. Les infi ltrats en lymphocytes régulateurs sont un facteur de mauvais pronostic dans de nombreux cancers. Des médicaments comme le 5-fl uorouracil favorisent leur expansion (19).

Les macrophagesDe nombreuses tumeurs ont la capacité de recruter des macrophages au site tumoral. Les macrophages tumoraux exercent des fonctions immunosuppressives et peuvent inhiber l’immunité antitumorale par la pro-duction de TGFβ, d’IL-10 et de PGE2. Ces macrophages induisent des réponses immunitaires Th2 et limitent ainsi la réponse immunitaire antitumorale. Ils favorisent également la néoangiogenèse par la sécrétion du fac-teur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF) [20].

Les cellules myéloïdes suppressivesLes cellules myéloïdes suppressives sont une population de précurseurs myéloïdes bloqués à un stade immature de diff érenciation. Ces cellules s’accumulent au cours de l’évolution des tumeurs, aussi bien chez l’animal que chez l’homme. Elles sont induites lorsque des précur-seurs myéloïdes communs sont stimulés par des facteurs solubles et des microvésicules tumorales. Ces cellules ont la capacité d’inhiber la réponse immunitaire T CD4 et CD8 via diff érents mécanismes immuno suppresseurs. Récemment, il a été montré que des molécules comme la gemcitabine ou le 5-fl uorouracil sont capables d’éli-miner ces cellules spécifi quement (21, 22).

Conclusion

Le système immunitaire représente une barrière majeure à l’apparition de tumeurs. Pour échapper à la reconnaissance immunitaire et se développer au sein de l’hôte, les tumeurs mettent en place de mul-tiples stratégies. La compréhension de ces mécanismes d’échappement permet aujourd’hui de proposer des stratégies pour restaurer des réponses immunes anti-tumorales effi caces (cf. article de A. Boespfl ug et al., p. 17, et article de A. Marabelle et al., p. 32). ■

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R é f é r e n c e s