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  • LITTRATURES LIVRES DE POCHE

    Aucun enfer imaginpar un crivain nepeut ressembler celui-l. Mais juste-ment, ce nest pas

    une fiction. Hallucinants, les Rcitsde la Kolyma, de Varlam Chalamovle sont dabord parce quils tmoi-gnent scrupuleusement, dans ledtail, dune ralit indubitable, cel-le des camps sovitiques de lre sta-linienne. Il ne sagit pas de peindreune fresque de lhorreur ou danaly-ser avec recul et srnit les cons-quences immdiates de la dictaturecommuniste. Il sagit denfreindre laloi du silence et de loubli dont lesbourreaux veulent toujours accom-pagner leurs forfaits. Mais qui estcet homme qui a ainsi dsobi ?Fils dun prtre orthodoxe, Var-

    lam Chalamov est n en 1907. En1929, il est arrt une premire foispour avoir particip la diffusiondu Testament de Lnine (dans lequelcelui-ci faisait part de ses rticences lgard de Staline). Libr en 1931,il rentre Moscou et se consacre la littrature. En 1937, il est arrtde nouveau et condamn cinq ansde camp pour activit contre-rvo-lutionnaire trotskiste . Il est envoy la Kolyma, presqule lest de laSibrie, zone immense et peu peu-ple le froid, qui est, avec la faim,lun des acteurs principaux des

    rcits, descend frquemmentau-dessous de 50 C : Planteenchante : douze mois dhiver, et lereste, cest lt , grince Chalamov.Dans des conditions inhumaines, iltravaille dans diffrentes mines,dor en particulier, car le rgime avite compris le profit quil pouvaittirer du peuplement de cette rgionriche par unemain-duvre innom-

    brable (tous les ennemis du peu-ple), gratuite, liminer aprs usa-ge. En 1943, il est de nouveaucondamn pour propagande antiso-vitique. A partir de 1947, il exercecomme aide-mdecin dans des ta-blissements pour prisonniers. Ennovembre 1953 Staline vient de

    mourir il rentre Moscou. Vie dif-ficile, sant fragile, divorce. Amitisavec Pasternak, Soljenitsyne ouNadejda Mandelstam durent peu.Car lhomme qui juge que lauteurde LArchipel du Goulag est un por-te-parole du classicisme et quil ne connat rien ni ne comprend cequest le camp , est sombre, tacitur-ne. Il crit beaucoup, des pomes,une autobiographie, des essais, un antiroman ; et, de 1954 1972,les Rcits de la Kolyma. Des partiesdu livre sont diffuses clandestine-ment et hors du contrle de lcri-vain. Une premire dition parat,en russe, Londres en 1978. Sourdet aveugle, Chalamov meurt dansun hpital psychiatrique deMoscoule 17 janvier 1982.Maurice Nadeau publie un pre-

    mier choix en franais, ds 1969,chez Denol. Une dizaine dannesplus tard, Catherine Fournier don-ne une traduction du livre en qua-tre volumes, aux ditions Masperopuis LaDcouverte. Enfin, en co-dition avec Fayard, ce mme di-teur rassemble les rcits en un seulvolume (1986). Ldition qui sortaujourdhui, et que lon peut consi-drer comme dfinitive, comporteune section indite, la dernire( Le Gant ou RK 2 ), dont les cha-pitres ont t crits au dbut desannes 1970. La composition du

    volume correspond la volont delcrivain. Ce que jai connu, un homme ne

    devrait pas le connatre, ni mmesavoir que cela existe , a crit Chala-mov. Et aussi, en 1971 : Les Rcitsde la Kolyma, ce nest pas une inven-tion, ni une slection de choses fortui-tes : la slection a t effectue par lecerveau auparavant, semble-t-il, defaon automatique. Le cerveau laisseremonter la surface, ne peut laisserremonter que des phrases prparespar une exprience personnelle unmoment antrieur. Il ne sagit plus nide polir, ni de corriger, ni de par-faire : tout scrit au propre immdia-tement. Les brouillons, sils existent,sont enfouis profondment dans lecerveau Lensemble du livre metenuvre cette rigoureuse mtho-de . Elle est la seule crdible pourrapporter ce que nul ne devraitconnatre . Chacun des rcits estcomme un instantan de la vie laKolyma. La perspective temporelleou spatiale ne slargit jamais. Il nya pas dhorizon. Nous sommes aucur de la vie immdiate.Mais vo-quer la vie, ici, ressemble une plai-santerie. Il faut plutt parler demort, avec, comme variable, letemps ncessaire pour mourir. Il nesagit pas dun enfer progressif,mais donn en une fois, en totalit,riche de ses multiples cavits, sec-teurs, hypothses. Le dernier cercleest le seul possible, le seul autoris.Mais, partir des donnes concr-tes de ses rcits, Chalamov rejointsans artifice les plus graves ques-tions mtaphysiques. Celle du suici-de notamment ; celles aussi denotre rapport lautre, aux objets,au dsir et au besoinCe livre, quil faut ranger avec

    ceux de Robert Antelme, de PrimoLevi, de David Rousset ou deTadeusz Borowski parmi les plusterribles et ncessaires du XXe sicle,les plus beaux aussi, a gagn son sta-tut duvre dart en contournant,pour ainsi dire, la question de la litt-rature. Ecrivain, homme de culture,Chalamov pensait sincrement que la vie de Pouchkine, de Blok, deTsvetaeva, de Lermontov, de Paster-nak, de Mandelstam est infinimentplus prcieuse lhomme que celle denimporte quel constructeur de vais-seau spatial , comme il lcrit Soljenitsyne vers 1965. En mmetemps, sans contradiction, il pou-vait affirmer sa volont, avec laKolyma, dcrire quelque chose quine soit pas de la littrature . Do lerefus de polir, de corriger, de parfai-re. Do cette morale dcriture etcette capacit qui en est le bnficedirect : conduire le lecteur au seinmme de lespace dcrit et non lelaisser de lautre ct de la vitre,comme un spectateur dsol maisprotg.Cependant, il est dautres mani-

    res de poser la question de la littra-ture face lindicible de lexp-rience concentrationnaire, nazie oucommuniste. A ce propos, il faut lirelessai exemplaire de conscience etde clart de Luba Jurgenson. Sap-puyant notamment sur luvre deChalamov, elle dmontre que, pourfaire mmoire de ces expriences

    o lesclavage, le mpris absolu delhomme et lassassinat collectifsrigent en systme, lart et la pen-se, loin dtre impossibles ou emp-chs, demeurent des recours vitaux.Car nous ne sommes pas dans desdomaines spars. Ce qui reste lcart, ce qui doit se taire face cetoutrage fait lhumanit, cest la lit-trature comme luxe, distraction,gosme.Andr Siniavski, qui connut lui

    aussi les camps aprs Chalamov,crivait : En cela rside la supriori-t particulire de Chalamov sur lesautres crivains : il crit comme siltait mort. Ninterprtons pas malcette phrase, comme sil sagissaitdexalter lamort. Les pages du survi-vant Chalamov ne dmontrentquune chose : dans la ralit com-me dans lart, cest la vie qui est pr-cieuse, qui exige dtre exalte.

    FOIRE DU LIVRE

    APART

    De justesse...

    RELIGIONS

    Anne-Marie Garat.Pierre Drachline.Franois Ordet.Sylvie Matton.Margaret Drabble.

    pages III et V

    OUI, loubli engloutit pres-que tout. La poussire recou-vre larchive, le silence se fer-me sur les voix des hommespasss. Pourtant, parfois, com-me par miracle, un texte resur-git, mme sil navait aucunechance, premire vue, derevoir la lumire. La preuve :ce rcit de voyage de 1545. Sonauteur : un Grec de Corfou,migr Venise, employ com-me copiste. Il avait environ35 ans, on ne sait pas exacte-ment, quand son humanistede matre lemmena avec luidans un vaste priple euro-pen, de Venise Augsbourg,via les Alpes, pour continuerpar lAllemagne, les Pays-Bas,lAngleterre, la France etretour.On peut se plaire la des-

    cription de Mayence,dUtrecht ou de Fontainebleauau milieu du XVIe sicle. Mal-gr tout, ces plaisirs-l nontquun temps. Ailleurs rside lecharme trange de ce Voyageen Occident de Nicandre deCorcyre (ditions Anacharsis,286 p., 18 ). Le texte est rdi-g la manire dHrodote etdes historiens grecs de lAnti-quit. Nourri de culture classi-que, Nicandre rdige en grec(ancien !) ses observations deslieux et des gens. Cambraidpeinte comme par Strabon,ou Paris dcrite comme parPlutarque, a ne manque nidtranget ni dallure !

    Roger-Pol DroitLire la suite page XII

    Le dernier cercle de ChalamovCest un enfer sans horizon, quaucun homme ne devrait connatre , que dcrivent les Rcits de la Kolyma .

    Ldition intgrale et dfinitive de lun des livres les plus terribles et ncessaires du XXe sicle parat en franais

    RCITS DE LA KOLYMAde Varlam Chalamov.Traduit du russe parSophie Benech, CatherineFournier et Luba Jurgenson.Prface de Luba Jurgensonet postface de Michel Heller.Ed. Verdier, 1 760 p., 45 .

    LEXPRIENCECONCENTRATIONNAIREEST-ELLE INDICIBLE ?de Luba Jurgenson.Prface de Jacques Catteau.Ed. du Rocher, 392 p., 22 .

    Le quart de siclede Pluriel .Le retour de 10/18en essais.Les dicos PUF.

    page VIII

    Grasset

    Ces Morts imaginaires sont exercice

    dadmiration et, au-del, pure littrature.Michle Gazier - Tlrama

    VarlamChalamoven 1952

    LA RUSSIE FRANCFORTLa manifestation internationale se drouledans un contexte conomique difficile enAllemagne. Une enqute sur la lenterenaissance de ldition en Russie.pages IV et IX XII

    a Patrick Kchichian

    Lcrivain conduit le

    lecteur au sein mme

    de lespace dcrit

    et ne le laisse pas

    de lautre ct

    de la vitre, comme

    un spectateur dsol

    mais protg

    Eglise catholiqueet Shoah.Les biographiesde Jean Paul IIet de Boniface VIII.

    pages VI et VII

    DES LIVRESVENDREDI 10 OCTOBRE 2003

  • BORDEAUXde notre correspondante

    Les fidles et nophytes ne lesavent pas tous : la 16e dition duCarrefour des littratures en Aqui-taine, qui sachve le 19 octobre, vitson dernier chapitre cette anne.La directrice de lassociation por-teuse de ce festival nomade unique,Sylviane Sambor, a dcid de prendre un nouveau virage : partir du 1er novembre, elle seradirectrice de lOffice du livre en Poi-tou-Charentes, Poitiers.La nouvelle est tombe brutale-

    ment fin juillet. Elle en a surprisplus dun : son quipe dabord cinq personnes plein temps , lesadministrateurs de lassociation Lemonde autour des livres, les princi-paux bailleurs financiers, les parte-naires du Carrefour et le milieuculturel bordelais. Je pleure devoir partir Sylviane, mais elle ne peutpas laisser passer une telle occasionet je respecte son choix , reconnatle prsident de lassociation, RgisRitz.Sylviane Sambor veut rester serei-

    ne : Pas de regret ni de traumatis-me. La fin fait partie de la nature deschoses et on ne peut pas tre tout letemps dans un engagement force-n. Cette aventure a commencen 1987 : seule Sylviane Sambor a

    invit des crivains belges franco-phones, les premiers creuser lessentiers de ce qui allait devenir leCarrefour des littratures en 1995.Dbarque de son Lot-et-Garonnenatal, elle avait 25 ans et dj len-vie de transmettre sa passion deslivres et des auteurs peu connus sans litisme mais pour donner dusens et du plaisir .Par pudeur et parce quelle

    abhorre les polmiques, elle estreste floue sur la soudainet deson dpart : Ces aventures singu-lires et non institutionnelles nais-sent dune volont individuelle quidevient collective au fil des ans etsachvent un jour lorsque les condi-tions de leur existence ne sont plustout fait runies , a-t-elle conc-d publiquement, le soir de linau-guration.Avec le temps, ce rendez-vous

    culturel aquitain a irrigu de nom-breuses villes de la rgion. Il deve-nait de plus en plus dense, exigeantmais toujours prcaire : loprationdpendait de sponsors et de subven-tions, pour la plupart reconducti-bles chaque anne. Malgr la noto-rit et la qualit du projet, Sylvianedevait se battre tout le temps pourobtenir des financements, pour fairecomprendre le sens et limportancede sa dmarche , explique une col-

    laboratrice. Il fallait monter des dos-siers de plus en plus complexes, ren-contrer toujours plus dinterlocuteurs.A force, cest puisant et a devienttrop lourd porter. Je ne suis pas sreque les principaux bailleurs de fondsaient compris le poids de cette mani-festation qui va bien au-del de Bor-deaux et de lAquitaine.

    450 Aucun repreneur na t trouv,

    faute de candidat srieux, de tempset de prparation. Sylviane Sambordispose galement dun carnetdadresses dauteurs trangersenviable et la connaissance du ter-rain culturel rgional et institution-nel. Elle a un contact fantastique etle Carrefour tait sa chose , assureRgis Ritz. En seize ans, prs de450 auteurs, crivains, potes, chan-teurs et personnalits, sont venusdans une cinquantaine de villes, sa demande. Lassociation na paseu le temps non plus dlaborer unautre projet. Elle sera dissoute finoctobre et les cinq salaris serontlicencis.Depuis le lancement de cette der-

    nire dition, le public, des auteurset des professionnels du livre luifont part de leur tristesse. Nom-breux la remercient. Il ne faut passattrister, plutt se rjouir que cela

    ait exist , leur rpond cette pas-sionne. Je vais transformer et ru-tiliser autrement cette exprience uni-que, poursuit-elle, avec la mmeenvie de dfendre la diversit culturel-le. La lecture et la culture de maniregnrale aident vivre et tre, ellesdonnent du plaisir et, au-del, nousstructurent et nous rendent plus fort.Et a, je ne labandonnerai jamais. Le thme de ldition 2003,

    Ponts sur lEurope sujet de pr-dilection de Sylviane Sambor faitse rencontrer des potes aussi diff-rents que le Palestinien MahmoudDarwich et le Gascon BernardManciet. La chanteuse marocaineAmina Alaoui donnera un concertunique. LItalie est galement lhonneur avec Pino Cacucci, Mar-cello Fois, Rosetta Loy Le bou-quet final sera une illumination po-tique, avec lEspagnol AntonioGamoneda, Roberto Mussapi,figure de la posie italienne,Abdelwahab Medded, pote etromancier tunisien, MohammedBennis, figure de la posie arabecontemporaine, et Mostafa Nissa-bouri, autre grand pote marocain.

    Claudia Courtois

    e Jusquau 19 octobre. Tl. :05-56-44-92-40. www.carrefourdeslit-teratures.org

    aDU 9 au 12 OCTOBRE. Latinas ! ALyon, la 2e dition des Belles Lati-nas, qui rassemble des crivainsdAmrique latine, a pour thme Littrature et mmoire et seraconsacre au 30e anniversaire descoups dEtat en Uruguay et au Chili(Espaces Latinos, 4, rue Diderot,69001 ; rens. : 04-78-29-82-00 ouwww.espaces-latinos.org).

    a LES 10 ET 11 OCTOBRE. Camus. ALourmarin (84), plusieurs sancesde travail sur le thme AlbertCamus et les critures algrien-nes , o crivains algriens etuniversitaires dbattront lors des20es Rencontres mditerranennes(rens. : 04-90-08-34-12).

    a LES 10 ET 11 OCTOBRE. Romans. AParis, colloque dirig par MarcDambre, Marie-Odile Andr etJohan Faerber autour du thme Les premiers romans dans le se-cond demi-sicle ( 9 h 15 le 10et 9 h 30 le 11, la Sorbonne,salle Bourjac, 17, rue de la Sor-bonne, 75005).

    aDU 11 OCTOBRE 2003 AU 11 JAN-VIER 2004. Radiguet. Au MuseSaint-Maur de La Varenne-Saint-Hilaire (94) se tient lexposition Raymond Radiguet, regards dunsicle lautre (du mardi au sa-medi de 10 heures 12 heures etde 14 heures 18 heures ; le diman-che, de 11 heures 13 heures et de

    14 heures 19 heures ; Villa Mdi-cis, 92, avenue du Bac ; rens. :01-48-86-33-28).

    a LES 11 ET 12 OCTOBRE. Indien. AuMans (72), la 25e Heure du livre apour thme Peuples premiers :un t indien o crivains, histo-riens et danseurs viendront tmoi-gner de cette identit auprs dupublic, avec un hommage rendu JamesWelch (de 10 heures 18 heu-res le 11, et de 10 heures 18 heu-res le 12 ; rens. : 02-43-24-09-68).

    a LES 13 ET 15 OCTOBRE. Retour. AAngers, neuf auteurs liront desextraits de textes indits et picesde thtre crits durant leur sjourau Mali, au cours du spectacle Retour de Bamako , sous ladirection de Claude Yersin (auNouveau Thtre, 12, place Im-bach ; rens. : 02-41-88-90-08 ouwww.nta-angers.fr). Les 18 et 19,les lectures seront donnes Pa-ris, au Centre Wallonie-Bruxelles(rens. : 01-53-01-96-96).

    A la manire de Lagarde et Michard

    2004 ou le bicentenaire de lanaissance dAurore Dupin (1804-1876) pouse Dudevant Toutcommence par une incertitude surlorthographe de son prnom deplume. Une vrification surwww.google.fr permet de lever ledoute : il sagit bien de GeorgeSand , mme si Georges Sand renvoie les gars quelquesadresses.Premier dans la liste de ces rf-

    rences sandiennes , le site per-sonnel de Ccile Pichot (www.geor-ge-sand.info) est une vritablemine dinformations pour linter-naute, quil soit nophyte ou pas-sionn. La chronologie sous formede quatre tableaux mlant lhis-toire de France et la vie personnel-le de lcrivain vaut le dtour. Plusaustre, le site du CRDP-Langue-doc-Roussillon (www.ac-montpel-

    lier.fr/ressources/frdtse/frdtse42som.html) propose de consulterlintgralit du numro de la revueLe Franais dans tous ses tats quilui est consacr.La bonne dame de Nohant

    compte de nombreux admirateursen France avec lassociation LesAmis de George Sand (www.amis-degeorgesand.info) et aux Etats-Unis avec la George Sand Associa-tion (www.disls.ualr.edu/gsand),cre en 1976 luniversit Hof-stra de New York. Le Danemarknest pas en reste avec un site bilin-gue (www.george-sand.dk). Enfinles quatre volumes richement illus-trs du site George Sand et leMoyen Age offrent un clairageoriginal sur les sources dinspira-tion de son uvre en juxtaposantimages (tableaux et enluminures)et citations.

    Cristina Marinolemonde.fr

    LEcole desloisirs nira pas Montreuil

    LE PATRON de LEcole des loisirs,Jean Delas, a indiqu, dans une let-tre du 6 octobre, quil ne participe-rait pas au Salon du livre pour lajeunesse de Montreuil, partir du26 novembre. Parce que les condi-tions dimplantation de stand quinous ont t proposes cette anne,crit Jean Delas, taient notre avisinjustes et indignes de lide quenous nous faisons de la place quita-blement due notre maison, lunedes toutes dernires maisons ddi-tion indpendantes. En effet, LEcoledes loisirs est une maison totalementindpendante, indpendante de tou-te puissance dargent, indpendantede toute idologie contraignante.() Pour toutes sortes de raisons,videmment non avoues, lditionpour la jeunesse aujourdhui rsistede moins en moins la tentation delargent facile et du profit immdiat,la plupart du temps au prjudice,voire au mpris, des jeunes lec-teurs. Les organisateurs du Salon indi-quent quils ont fait plusieurs pro-positions LEcole des loisirs. Cette dcision nous dsole profon-dment, pour le travail de LEcoledes loisirs, mais aussi pour tout letravail de mdiation que lon faitautour de ses livres, explique ladirectrice du Salon, Sylvie Vassalo.Dans ce Salon, nous accueillons toutle monde, et lon porte un soin par-ticulier aux petits diteurs et auxindpendants.

    AGENDA

    LDITION FRANAISEa FRANCE LOISIRS ET LES LIBRAIRIES DE PROXIMIT. France Loisirs crePlaceMedia, un rseau de ples culturels de proximit en centre-vil-le , pour les petites ou moyennes villes. Le premier magasin a tinaugur Annemasse (Haute-Savoie). Trois autres magasinsdevraient ouvrir dans les six prochains mois Dax, Flers (Orne) etNarbonne. Il sagit de boutiques de 1 000 m2, comportant une librai-rie avec un espace audio et vido , des services photo et un pointde vente France Loisirs. La librairie ne sera pas gre par France Loi-sirs et sera reprise par un partenaire libraire . Ainsi, Narbonne, lalibrairie sera exploite par Privat et Nuggets. Pour France Loisirs, ilsagit de prenniser et moderniser le principe de partenariat avec leslibraires de petites villes qui accueillent 61 des 200 points de vente duclub, filiale de Bertelsmann.

    aATTALI NA PAS PLAGI VALDMAN. Le tribunal de grande instance deParis a donn raison Jacques Attali, accus de contrefaon pour LesJuifs, le monde et largent (Fayard, 2002). Il avait t attaqu pour contrefaon partielle par Edouard Valdman, auteur dun livre inti-tul Les Juifs et largent. Le tribunal a condamn M. Valdman payer M. Attali et Fayard 15 000 euros de dommages et intrts.

    aUNE VIRGULE POUR LES ENFANTS. Les ditions Faton (ArkoJunior, Le Petit Lonard) viennent de crer Virgule, le premier maga-zine mensuel de franais et de littrature pour les 10-15 ans. Vendu4,5 , Virgule veut faire aimer les lettres, la grammaire ou encore lty-mologie, hors de lcole. Le magazine propose des fiches dtachables,une iconographie colore, des nigmes et des BD et offre une carte demembre de la Socit protectrice des mots au lecteur qui sengagera utiliser rgulirement le mot dumois , gnralement en voie de dis-parition ( cornifleur , par exemple). Le portrait dun grand classi-que, Molire, pour le premier numro Les Pieds Nickels, le moisprochain initie lhistoire littraire.

    A la recherche dAurore Dudevant

    Chaque semaine, lemonde.fr propose aux lecteurs du Monde deslivres la visite dun site Internet consacr la littrature.

    Bordas publie la 3e dition du Lagarde et Michard ,une collection qui a dj vendu plus de 20 millionsdexemplaires, accompagne dun CD-ROM (en librairiele 15 octobre, 145 ). Voici la notice de cette nouvelle di-tion la manire de Lagarde et Michard.

    I. Sa vie (1948).1. LA RENCONTRE DCISIVE DE DEUX AGRGS. Andr

    Lagarde (1912-2001) et Laurent Michard (1915-1984) ensei-gnrent tous deux Toulouse puis Paris, dans leskhgnes, respectivement, des lyces Louis-le-Grand etHenri-IV. Ils furent tous deux inspecteurs gnraux delinstruction publique. Cest en 1948, aux ditions Bor-das, quils crivirent, quatre mains, le premier tomesur le Moyen Age. Chaque sicle aura ensuite son volu-me, jusqu celui du XXe sicle, paru en 1962.2. UNE RVOLUTION. Lenseignement du franais ne

    se fera plus dsormais en utilisant dun ct les antholo-gies de textes, de lautre les histoires littraires. Le Lagar-de et Michard opre une synthse rvolutionnaire, enmettant au centre ltude du texte mme.3. LE DCLIN. Linfluence du structuralisme et le recul

    de lhistoire littraire destituent le Lagarde et Michard.Sa prescription en milieu scolaire cesse en 1992. Il seveut dsormais, selon Marie-Franoise Ancelin, directri-ce de Bordas, usuel et beau livre de rfrence

    II. Une fte de lintellect (Valry).1. DES REPRES POUR LA LECTURE. Les notes stimulent

    lacuit de llve, qui saura reconnatre dans toutextrait lhyperbate ou la rfrence lEnide. Un appren-tissage fond sur la rhtorique et la connaissance quivise veiller le got, car Seul le savant peut admirer ,disait Renan. Les valuations critiques sur les qualitsstylistiques ou sur les valeurs morales des uvres char-penteront solidement la mallable pense des lycens.2. UNE RICHE ICONOGRAPHIE. Le Lagarde et Michard

    se prsente comme un muse imaginaire (1) , au rle fdrateur et mnmonique . Quoi de mieux, il estvrai, que le dessin de Jarry pour visualiser le personnagedu Pre Ubu ou bien les tableaux de lcole de Fontaine-bleau pour illustrer les potes de la Pliade ?

    III. Une mmoire longue.1. UN CHOIX CLOS. Lagarde et Michard ont toujours

    veill conserver la pagination originelle, afin de nepas drouter les professeurs et parce quils estimaientque le choix douvrages tait dfinitivement clos, ainsiquune typographie (2) et une maquette identiques.2. DES COUPES CLAIRES. Les catgories critiques

    convoques rappellent Sainte-Beuve ou Brunetire.Lagarde et Michard font lloge du beau mestier (3) ou de la beaut : Telle serait la ranon du ralismebalzacien : llaboration du rel resterait insuffisante, etla raction du lecteur plus motionnelle que vritable-ment esthtique. Ils purgent les extraits ( Il y a descoupures de dcence, ce nest pas lemploi de chier quifait lintrt de Rabelais , disait Lagarde) et vont jus-qu rayer Sade de lhistoire, lui qui a pourtant ses Pliade .

    IV. Lart du Lagarde et Michard.1. LES DFAUTS. 1968 a dj critiqu des choix de tex-

    tes idologiss, et le procd de lanthologie, dont letrononnage coupable endormirait llve coups deprt--lire. On reprochera plutt cette nouvelle di-tion que les noms de du Bouchet, Des Forts, Jaccottetou Tardieu ne soient pas ou peine cits, et que Bonne-foy, Beckett, Char et Ponge rassembls noccupent pasla moiti des pages sur Romain Rolland.2. LES QUALITS. Mais le Lagarde et Michard sest

    renouvel ! Il a par exemple corrig ostensiblement sonsilence sur lantismitisme de Cline ou sur lhomosexua-lit de Gide et modernis un appareil critique dsor-mais prioritairement sensible aux systmes dcritureet lintertextualit. Le CD-ROM, sur lequel travaillaitLagarde avant de mourir, ajoute aux entres tradition-nelles par sicles, auteurs et uvres, des entres th-matiques en rapport avec les nouveaux programmesdu bac. Un beau coffret dont les couvertures sont aus-si scintillantes quest aride la maquette et que sontchevrotants les contours des images reproduites qui,telle la mer toujours recommence, viendra trnerdans la bibliothque dune troisime gnration.

    No. Ph.

    (1) Consulter Le Muse imaginaire, Malraux.

    (2) Etudier ltymologie.(3) Sujet possible dexpos : la potique de Boileau.

    http://g.sand.etlemoyenage.free.fr/

    Le Moi(s) franco-allemandJusquau 29 octobre, Besanon et son universit clbrentle 40e anniversaire du trait de lElyse par un dbat, deuxconfrences, une projection et une table ronde, ainsi que parune exposition et un concert ; cette occasion, les ditionsLHarmattan publient le livre dAndreas Rittau, InteractionAllemagne-France : les habitudes culturelles daujourdhuien questions (rens. : 03-81-61-50-27 ou 03-81-59-26-59).

    Le Carrefour des littratures, dernireSylviane Sambor, sa fondatrice, va diriger lOffice du livre en Poitou-Charentes

    ACTUALITS

    LE NET LITTRAIRE AVEC

    II/LE MONDE/VENDREDI 10 OCTOBRE 2003

  • Lui, elle et lautre. Rien du tradi-tionnel trio avec un cocuentre deux amours qui lex-

    cluent.Lui, il porterait volontiers le nom

    deMortimiste emprunt un nolo-gisme de Louis Calaferte pour direla conscience aigu de lide de lamort . Cela lui irait bien. A lexcep-tion des dimanches et jours de fte,il suit lenterrement dun inconnuou dune inconnue choisi dans larubrique ncrologique. Cest sa dis-traction. Il lui arrive de se glisserparmi les invits de la famille quioffre un pot dadieu, les cocktailsde la charogne . Ce rentier misan-thrope dont le pessimisme est sau-v de labjection par sa pratiquedun grand art qui a peu de grandsmatres, lautodrision, a port quel-que temps une minerve pour tresr de ne jamais baisser la ttedevant quelquun. Quelque tempsaussi, il a visit un crivain clbrequi na rien perdu de sa gueulederreur judiciaire dans le mou-roir o il achve une vie, son intelli-gence en voie dengloutissement .

    Elle, ne dans une ville de provin-ce o lamaternit jouxte le cimeti-re , est cet ge o les rides arri-vent la lisire des yeux . Dappa-rence fragile, mais nullement vuln-rable, elle a horreur du pharisasmeet de la tolrance. Il ny a aucune rai-son pour quelle rencontre un jourle mortimiste. Tout les spare,mais, elle aussi, elle suit des enterre-ments dinconnus ou dinconnues pour se rincer lil et profiter delhypocrisie ambiante , et ils seretrouvent un jour face face aubord dune tombe. Il la surnommelEnchante, rfrence aux sorci-res ainsi appeles par lInquisition.Lautre, un vieil homme au terme

    dune vie de joueur professionnel.Les femmes oublient vite son ge. Illes sduit comme nagure quand il voussoyait leur sensibilit avantde tutoyer leur corps . Le sien dp-rit. Cancer. Il a, avec lEnchante,une aventure dune dizaine dejours, o elle tient le rle dune accompagnatrice de fin de vie .Critiquer les murs de son

    temps, dnoncer les travers de lasocit, cest une facilit laquellebeaucoup cdent. Mais tout tientdans lart et la manire. Drachline ade bonnes manires dans son art.

    Avec ces trois destins qui se juxtapo-sent et sentrecroisent, il fait uvrede voyeur atrabilaire et irascible,mais jamais grincheux ouennuyeux. Pour fustiger sans banali-ts les vulgarits qui nous sont don-nes en pture, lhumour est la qua-lit essentielle de ce genre romanes-que. Encore faut-il quil soit, com-me ici, mesur, plus dans le choixdes mots que dans les situations,efficace dtre discret, et que leregard lucide de lauteur soit plusanim de sourires que de haine.Et puis, il faut un style. Saccad,

    trpidant, celui de Drachline estdune respiration haletante. Com-me dun souffle coup qui reprendet relance lide qui semblait seule-ment pose et qui rebondit, la vir-tuosit de lcriture donne force etoriginalit au rcit. LEnchante naque de la rpugnance pour les lec-teurs frigides qui intellectualisent leplaisir . Avec un roman aussi br-lant l o a fait mal, impossible derester froid, et le plaisir est assursans besoin dtre dcrypt. Alcesteest aussi un homme de talent.

    Pierre-Robert Leclercq

    e Pierre Drachline collabore au Mon-de des livres .

    Franois Ordet est le pseudony-me de lauteur de ce premierroman intrigant, dont le per-

    sonnage principal est un certainFranois Ordet et le narrateur sonnigmatique jumeau.Brillant pied de nez lautofic-

    tion, Moscou ! Moscou ! racontecomment un acteur la carrire couronne dchec se laisseaspirer par la capitale russe et ytrouve un remde son penchantpour lintermittence. Attir par lir-rsolu, lbauch et les engage-ments temporaires, dou danslart de disparatre, prompt dcliner les offres, se faire prier,conduire, esquiver, FranoisOrdet veille entretenir en lui lavalse des identits ventuelles , semeut comme un balourd en proie une honte permanente, et fr-quente des tres aux existencesdiaphanes, molles, rsignes, station-naires lorsquune opportunitsurgit au moment de passer le capde la trentaine.A Paris, un certain Soubbotine,

    producteur de cinma de nationali-t ukrainienne lappartementtruff de gousses dail pour seprotger des vampires , lui propo-se dtre son missaire pour mener bien une srie de films sur leshros mconnus de lhistoire sovi-tique. Il sagit de convaincre VictorLouzine, chanteur franais dascen-dance russe, dtre le protagonistedu premier portrait de la saga, etde soutirer Babek, puissantindustriel, un mcnat culturel.

    Sous la plume de Franois

    Ordet, le priple de Franois Ordetsapparente au documentaire-fic-tion bauch par Soubbotine, une diffrence prs : Ordet dlais-se vite lantipathique Louzine,acteur de cinma lonctuositsournoise et rlant contre le pou-voir tel un moujik de province. Ilenterre le projet de film et se laisseembaucher par laffairiste Babek,patron dun conglomrat recyclantluranium pour la gloire du nuclai-re, lun de ces sauriens dunenomenklatura ayant prserv sesintrts en soutenant Eltsine. Mais compromis ? manipul ? le voi-l pris dans un tourbillon de fr-

    quentations suspectes et dactivi-ts illicites.Aprs la mort brutale de Babek,

    Ordet connat la peur collantecomme une sueur . Le KGB semle cette ferie noire. Lamafia pourchassait Soubbotine, quirecherchait Louzine, qui avait assas-sin Babek et traquait maintenantlunique tmoin compromettant. Franois Ordet (le hros) disparat.Le narrateur se lance sa recher-che, et s ordise vue dil,avant de disparatre son tourUltime pirouette : le livre se termi-ne par les crits ( fragments ) deFranois Ordet, confessions dunedissolution dans la foule moscovi-te, dune renaissance par la qui-tude du repli , o il se fait jourque Louzine et Babek ne fontquun.Cadre de cet ironique priple,

    Moscou est brosse par un compli-ce des hallucinations quinspire cet-te ville creuse de mille recoins,truffe de traquenards et de remoustrompeurs , peuple de silhouet-tes que leurs chapkas rendenthydrocphales, et que la vodkaentrane dans le siphon des impul-sions dtraques .

    Jean-Luc Douin

    Ample, profond, cisel dansune langue magnifique deprcision et de justesse, et

    aussi, puissant, terrible, mer-veilleux De mme que lonnpuisera pas les adjectifs pourqualifier le roman dAnne-MarieGarat (son treizime) et le stylequi le sous-tend, de mme serait-il vain de vouloir puiser toutesles lectures possibles de Nous nousconnaissons dj. Telle est sansdoute la marque des grandsromans. De ceux qui laissent, unefois la dernire page tourne, unsentiment tout provisoire dach-vement . Cest ainsi quAnne-Marie Garat, lectrice insatiable,aime les livres. Ainsi quelle lescompose, lombre de VirginiaWoolf, Joseph Conrad, BohumilHrabal, Nathalie Sarraute ouClaude Simon, et les conoit com-me une matire poreuse, o le lec-teur doit trouver place et sinstal-ler .Dans le clair-obscur de son

    appartement, la romancire expli-que : Quest-ce que finir un livredailleurs ? Moi, je ne les finis pas,parce que je ne les commence pas.Achever, cest dgraisser, extraire,

    allger la matire crite en exc-dent. Et bien que je ne la garde pas,elle continue tout de mme de tra-vailler. Tout ce que jenlve, cestdj le roman suivant sans que jesache ce quil va tre. Il va fermen-ter et sengendrer de cette matire-l. Un roman achev nest que lesymptme dun tat, dun momentdonn de mon travail.

    De ce mouvement perptuel de

    lcriture qui charrie alluvions etdpts jusqu former une massedense, compacte, nigmatique asurgi tout dabord La Rotonde(deuxime volet dun triptyque surlimage commenc avec LAmoursi loin, [1]), qui dpeint, le tempsdu parcours dune balle de fusil,tout le dispositif qui prlude lcriture du roman. Avec ce tex-te, explique Anne-Marie Garat, jaiarm la machine romanesqueavant dappuyer sur la dtente. Etlibr cette nergie folle , qui ense dployant, a imprim sa mar-que, donn son amplitude et sonintensit Nous nous connaissonsdj. Limage de la vague ctaitle premier titre envisag revient,tel un avertissement occulte ,dans tout le roman. Un signe rcur-rent adress aussi bien pour le lec-teur qu la narratrice.De cette femme derrire

    laquelle la romancire avance mas-que , de son nom, de son visage,de son physique, nous ne sauronsrien ou presque. Silhouette lou-

    voyant au bord de la vie, limagede Fernet (LInsomniaque [2]) oudAden Seliani (Aden [3]), en fuitedun pass quelle repousse dansle travail et linsomnie.Ainsi volue cette narratrice,

    que son regard aigu, port aux ima-ges et aux tableaux, rend absenteau monde et aux tres. Jusquaujour o ses pas vont la conduiredans un chteau du Sud-Ouestpour expertiser de vieilles plaquesphotographiques. Et une nuitdautomne baigne dmerveille-ment et de stupeur o, sous lecoup dune apparition, ses yeuxvont se dessiller peu peu. Nousnous sommes rencontres dans lobs-curit. () De manire incidente etfurtive, javais de longtemps perudans mes parages la prsence intan-gible de quelquun, mais celle-cisemblait issue davantage dunergion intrieure inconnue de moique du monde extrieur. () com-me si me rejoignait un double, ouune ombre invisible dtachedepuis longtemps de moi, aussifmes-nous encore quelques pasensemble avant de nous souhaiterle bonsoir, et nos voix se trouvrentdaccord .Runies par ce lien trange et

    mystrieux qui leur fait dire nousnous connaissons dj , Laura etla narratrice vont, dun mmelan, sauter le pas pour affron-ter ensemble ce crimedenfance qui intuitivement les arunies.Au fil de la conversation qui sen-

    gage et se poursuit lors de leursrencontres nocturnes (en apparen-ce fortuites), chacune, en miroirde lautre, va livrer cette part del-le-mme longtemps enfouie etrepousse dans la chambre noiredes souvenirs. L o sagitent lesspectres de lenfance : celle de lamort que Laura, petite fille, appro-cha lorsque sa sur tenta de lanoyer ; celle de labandon mater-nel dont a souffert la narratrice lidentit fantme.

    Au fil aussi des voyages et dune

    enqute que mne sa narratricesur de mystrieuses et terrifiantesphotographies de la deuximeguerre mondiale, Anne-MarieGarat entremle finement histoireintime et collective pour interro-ger la part la plus sombre de notrehumanit.Au-del de cette (en)qute entre-

    prise sur les dcombres dun sicledhorreurs, au-del dune explora-tion des territoires de la mmoire,dans ltoffe somptueuse dunrcit aux rsonances proustiennes,se rvle aussi lessence mme dela littrature, de lacte dcrire etde lire : une faon dtre en soi etau monde.

    Christine Rousseau

    (1) Actes Sud, 1998. La Rotonde para-

    tra le 4 fvrier 2004 chez Actes Sud.

    (2) Flammarion 1987 et Actes Sud

    Babel no 440.

    (3) Seuil, 1992, prix Femina.

    Sylvie Matton et la maladie de la guerre

    Regards de misanthropesPierre Drachline en peintre amus des temps modernes

    Anne-Marie Garat entrouvre la chambre noire des souvenirsAu travers de rencontres nocturnes apparemment fortuites, deux femmes vont livrer, chacune en miroir de lautre, la part intime

    de leur mmoire denfance. Un somptueux roman aux mille lectures possibles, une criture prcise et juste

    Cest un livre quon lit avecpassion, motion et incon-fort. Emotion devant le des-

    tin de cette petite Albanaise deMacdoine, au nom qui fait rverde grands territoires marins, Oca-ne. Elle est atteinte dune leucmieet sa famille se mobilise pour quel-le puisse venir se faire soigner Paris. Inconfort parce que SylvieMatton parle dune guerre qui nestpas encore sujet de romans histori-ques, qui a dchir lex-Yougoslaviedans la dernire dcennie du XXe si-cle, et dans une indiffrence certai-ne.Sylvie Matton se garde de morali-

    ser, de faire du spectaculaire sur lesmassacres et son roman nen estque plus fort. Elle tente de restituerlpope dun peuple, mlant leslgendes et lhistoire rcente, et

    liant subtilement la lutte de lapetite Ocane contre la maladie etle dsastre de son pays et de sonpeuple.LorsquOcane, Paris, sort de

    lhpital, o elle ne reviendra plusque pour des traitements ponc-tuels, deux nuits plus tard, le mal-heur sabattrait sur la maison. Tan-dis que des mdecins sacharnentcontre les maux des corps, que dansles campagnes de pays sacrifis lestueurs dvastent et massacrent, tou-jours imprvisible la mort. Comme sila rmission dOcane voulait unsacrifice. Personne ne le dira. SeulesZana et Doruntine le formuleront,tout bas .Grce ce roman familial, dont

    SylvieMatton, comme dans une pi-ce de thtre ou un scnario, pr-sente les personnages, dressantleur liste avant de commencer sonrcit, cette guerre que trop de voi-sins europens ont voulu ignorer,mettre distance, se dtournant

    des images tlvises, trop cruelles,redevient quotidienne, incarne.Les barbares , Milosevic en tte,les crimes, le gnocide, les famillesqui comptent leurs morts, lexil quispare les survivants, ne sont plusobjets de rapports, de statistiques,de bilans de guerre.Le roman redonne la parole aux

    personnes, leur rend la part dhuma-nit quon a voulu leur enlever.Mais sa russite tient aussi un usa-ge trs pertinent et subtil, par Syl-vie Matton, dune enqute et duneimposante documentation unebibliographie et une filmographieen tmoignent. Ocane et les barba-res, par sa manire de fondre lgen-de et actualit, obsessions indivi-duelles et souvenirs historiques, estune invitation mditer sur lHistoi-re et sur ce quon appelle, de mani-re un peu trange, les leons delHistoire tant on a le sentimentquelles ne sont jamais apprises.Cest pourquoi, ayant laiss, la

    dernire page du livre, la petiteOcane, en 2001, New York, oelle a migr un an auparavant, ilest bon de revenir sur les textes queSylvie Matton met en exergue dechacun de ses chapitres, notam-ment des propos de Lon Trotski. Les Serbes de la Serbie ancien-

    ne, dans leur tentation nationale decorriger les donnes statistiques etethnographiques qui ne leur sontpas trs favorables, se sont tout sim-plement engags dans lextermina-tion systmatique de la populationmusulmane. Nadmettez-vous pas que cette

    conspiration du silence par tous nosjournaux les plus importants ()que cet accord mutuel de se tairefait de vous tous des touristes et desparticipants moraux aux bestialitsqui resteront comme une souillurede dshonneur sur toute notre po-que ? Trotski a crit cela en 1913.

    Josyane Savigneau

    Les pirouettes de Franois OrdetLe priple moscovite dun roi de lesquive. Ironique et intrigant

    V I E N T D E PA R A I T R E

    Juin 1939 - Novembre 1942Ds la premire page on est pris ...

    Darcanges est un enchanteur.Pierre Lance -Lre Nouvelle

    ISBN : 2-913543-06-05 Prix TTC : 18

    LENCHANTEde Pierre Drachline.Le Cherche midi, 170 p., 14 .

    NOUS NOUS CONNAISSONS DJd'Anne-Marie Garat.Actes Sud, 338 p., 19,50 .

    LITTRATURES

    MOSCOU ! MOSCOU !de Franois Ordet.Fayard,306 p., 18 .

    RENCONTRE

    OCANE ET LES BARBARESde Sylvie Matton.Plon, 360 p., 19,50 .

    LE MONDE/VENDREDI 10 OCTOBRE 2003/III

  • Le petit monde de TchbatchinskAlexandre Tchoudakov remonte le cours inchang du temps

    Et si la grande histoire, celledes traits, des victoires, deschangements de rgime et

    des dcouvertes spectaculaires, nesaccomplissait quen marge delautre ? En priphrie de cette peti-te histoire sans clat particulier : cel-le des jours qui scoulent et des tra-ditions qui perdurent, des mortsdont personne ne parle et desvivants qui passeront leur tour,des saisons perptuellement recom-mences, de la vie dans sa secrtepaisseur.Cest de cette inversion des

    valeurs communes que parleAlexandre Tchoudakov dans sonroman trs dlectable et plein diro-nie. Partant dun petit coin de lan-cien empire sovitique, lcrivainrusse remonte le cours du tempsdune manire saisissante, savou-reuse et radicalement opposante.Une forme dopposition subtile

    et latrale, qui prend comme dcorprincipal Tchbatchinsk, un villagede la partie nord de la steppekazakhe . L ont t dports, jus-qu la deuxime guerre mondiale,des gens de toute sorte, depuis leskoulaks des steppes de Salsk, jus-qu des Corens, des Allemands,des Tchtchnes, des artistes etintellectuels divers, des prisonnierspolitiques, des rescaps des campsstaliniens. En outre, crit Alexan-dre Tchoudakov, pendant la guerre,ladministration considrant sansdoute que le Kazakhstan du nordntait pas encore assez riche intellec-tuellement, on vacua dans la villedeaux de Borovo, dix-huit verstesde Tchbatchinsk, toute lAcadmiedes sciences. Cest aussi dans cettergion qua migr la famille dAn-ton Stremooukhov pour chapper lil du NKVD, la fin des annes1930. Devenu historien, Antonretourne sur les lieux de son enfan-ce, la recherche des traces de sesproches, en particulier celles de songrand-pre et de sa grand-mre.A travers ces personnages res-

    suscits par le regard plein detendresse et dhumour de leurpetit-fils, Tchoudakov tire les fils

    de toute une vie parallle, construi-te bien loin de Moscou, deSaint-Ptersbourg (les grands-parents ne diront jamais Lenin-grad) et de toutes les guerres, quel-

    les soient chaudes ou froides. Maisau lieu de prsenter ce village dexi-ls comme un hameau des confins(ce quil est, gographiquement par-lant), lauteur a lhabilet de lemon-trer comme un vritable centre, oaffluent des individus de tous leshorizons, comme vers une mtro-pole. L se rcre un monde faitdanciennes habitudes, de savoirsancestraux, dun entrelacs de rela-tions de voisinage qui nont quefaire de la rvolution. Du rgimepolitique, le lecteur saura surtoutce quen disent, en creux, les pnu-ries et les interdictions endurespar les habitants de Tchbatchinsk comme si lunivers des dirigeantsnavait pas tant dimportance.Les grands-parents font comme

    si rien navait chang depuis lestsars. En particulier, la grand-mre,Olga Petrovna, une ancienne pen-sionnaire des instituts de jeunesfilles de la noblesse. Soucieuse dap-prendre ses petits-enfants lesbonnes manires, elle les question-ne inlassablement sur la bonnemanire de se laver les mains, lamanire de dguster le homard, lagelinotte ou le melon. Hlas,constate le narrateur, nous ne man-gions pas de homard, mme avecnos doigts. Sans doute. Mais lunedes forces du livre de Tchoudakovest de suggrer que la puissance delimagination et celle des mots quila servent permet de vaincre, elleseule, les pires ennemis.

    Raphalle Rrolle

    Chronique dune nvrose ordinaireIrina Muravieva restitue limage implacable dune Russie dsoriente

    En marge du premier et dudeuxime cercle du pouvoirde lEtat sovitique dfunt

    et des dirigeants du Parti commu-niste, politiciens et savants, per-sonnalits artistiques et crivainsattachs au rgime, slargissait lasphre anonyme qui jouissaitdun certain bien-tre, cadresmoyens ou suprieurs, techni-ciens, membres de diverses institu-tions, journalistes et crivainsdbutants, crateurs en qutedune improbable clbrit.Si la confortable majorit des

    deux premires catgories respec-tait, sous le regard vigilant desorganes de rpression, les consi-gnes de lidologie officielle, latroisime constituait un vritablebouillon de culture, source de tou-tes sortes de penses hrtiqueset, aussi, paradoxalement, levivier dune conscience conformis-te, petite-bourgeoise, nostalgiquedes consignes de la morale prol-tarienne en vigueur lpoque sta-linienne. En ce temps, toute mani-festation de frnsie sexuelle taitconsidre, linstar de lhomo-sexualit, comme une activitcontre-rvolutionnaire.La priode de stagnation

    brejnvienne , la perestroka deGorbatchev aboutirent la liqui-dation de lempire sovitique, etles structures de la socit, sesfondements en furent boulever-ss. Les privilgis du premier etdu second cercle, quand ils nequittrent pas les ruines de

    lUnion sovitique effondre, dis-parurent dans lanonymat. Enrevanche, les rejetons, tout com-me les membres plus ou moins envue des organes de rpression, seconvertirent en hommes daffai-res opulents ou en redoutablesmafieux proches des nouvellesautorits. Le sisme frappa avecune brutalit particulire la troi-sime catgorie. A cet gard, leJournal intime de Nathalia, dIrinaMuravieva, 45 ans, romancirerusse installe Boston, demeureexemplaire.

    Nathalia, intellectuelle ex-sovi-

    tique, travaillait autrefois au seindun institut (linguistique ? demarxisme ? Nous ne le sauronsjamais !). Son poux, fils duneballerine du Bolcho et dcora-teur de thtre, la quitte pour unejeune beaut russe aux dents lon-gues, vtue de minijupe. Leur uni-que fille, Nioura, jeune fille nym-phomane, se drogue en compa-gnie de trafiquants minables dansle petit appartement familial aban-donn par le pre dmissionnaire.Pour fuir latmosphre charge

    de vapeurs dltres de lherbeimporte dAfghanistan ainsi queles vocalises provoques par lesorgasmes violents de sa fille,Nathalia choisit de rdiger unjournal, tout en se partageantentre de brefs sjours la modes-te datcha hrite de ses parents,cadres moyens pendant les derni-res annes du rgime communis-te. Parfois, elle leur rend visite aucimetire lugubre o ils sontenterrs. Les consolations de sonami denfance Platonev, devenumystique et prophte de la fin dumonde, ne lui suffisent plus, et la

    mort du vieux Troll, son chien-confident, la plonge dans le dses-poir absolu.Peu peu, lcriture sobre et

    nerveuse dIrina Muravieva laissetransparatre la nvrose de Natha-lia, son tat dpressif ainsi que lelent glissement vers la folie et lamort qui la guettent, enracinesdans la solitude et le manquedamour.Ainsi, la vieille femme rencon-

    tre prs de la tombe de sesparents, et qui lui confie lexisten-ce dun fils, survivant du dernieravortement de Nathalia survenuil y a un quart de sicle, est-elleun spectre, le produit dune imagi-nation malade ou bien relle ?Les voyous qui couchaillent avecsa fille sont-ils des proxntes, defroces assassins ou bien depetits malfrats amateurs de voitu-res rutilantes ? Lnigme demeu-re ! Toujours est-il que ce petitroman, qui se lit dune traite, resti-tue limage implacable dunecertaine Russie daujourdhui, nicelle d en bas ni celle de cesnouveaux Russes, oligarquesmilliardaires.

    Edgar Reichmann

    LIVRAISONSa LA PRISEDIZMAL,de MikhalChichkineLa parution enFrance du pre-mier roman delcrivain rus-se MikhalChichkine estun vnementditorial

    important. Chichkine ! Tout ceque lon sait de lui, cest que, gdune quarantaine dannes, il vit Zurich et que son rudition galeun talent fabuleux. LoccupationdIzmal (petite ville de pcheurssitue sur le bras septentrional dudelta danubien, tour tour otto-mane, roumaine et aujourdhuiukrainienne) par les troupes dumarchal russe Souvarov la findu XVIIIe sicle, ne constitue pas lesujet de ce texte grandiose, sujetque lauteur dsigne ds le dbutdu roman, la Faute : Qui dfendlhumanit risque tout instant dese faire lalli de lillgalit, le

    complice de limmoralit, le rece-leur du crime, lennemi de la jus-tice. Bien sr, dans cette mta-phore, il nest question que deculpabilit individuelle, quil sagis-se du meurtrier, de son dfenseuret de ses juges, de la victime et duprocureur. Ce sont donc les varia-tions de la Faute qui composent cediscours ininterrompu qui coule travers le temps et les espaces rus-ses. Tout au long du rcit, lhom-me de loi, la victime et le meurtrierainsi que les magistrats subissentdes mtamorphoses, chaque anc-tre lguant son successeur unepartie de son identit, de ses tareset de ses angoisses. E. R.Traduit du russe par Marc Weinstein,Fayard, 414 p., 23 .

    a LE CONSEILLER DTAT,de Boris AkounineSixime volet des aventuresdEraste Petrovitch Fandorine (letroisime, Lviathan, reparat simul-tanment dans la collection Grands dtectives de 10/18,no 3559), ce Conseiller dEtat nous

    ramne strictement sur les terresrusses dont Le Dcorateur ,lumineuse variation sur Jack lEven-treur propose dans Missions sp-ciales, nous avait partiellementcarts. Depuis dix ans que rgneAlexandre III, mont sur le trne lassassinat de son pre, lagitationnihiliste transforme la chasse lhomme dEtat en une sorte desport, o les records daudace etdimagination tombent avec uneclrit stupfiante. Do le rythmetrpidant et la riche galerie de por-traits, o les comparses sont aussinombreux quattachants. Si la lassi-tude du formidable policier se faittangible, mme sil ne peut dsar-mer et abdiquer face aux entravesprocdurires et hirarchiques quile ligotent, jusqu le laisser dsu-vr, Akounine poursuit sa cruellepeinture dune socit o les monstres , positifs ou non, sontles plus vivants, dynamiteurs deconventions et de trop conforta-bles postures. Ph.-J. C.Traduit du russe par Paul Lequesne,Presses de la Cit, 464 p., 13,60 .

    Apriori, les choses sont sim-ples : il y a les faits, patents,incontestables ; les intui-

    tions, motrices, qui font progresserlhomme quand elles conduisent lescientifique corriger, avec uneconviction que tous ne compren-nent pas, un rel trop accablant ;les rves enfin, visions intimes, voi-re intrieures, qui relaient plusquils ne concurrencent la mmoi-re. Chez Ludmila Oulitskaia, toutsemble li, intrinsquement imbri-qu, et cest le lecteur du Cas du doc-teur Koukot-ski qui seul est confon-du devant tant de virtuosit au ser-vice dune fresque si personnelle delhistoire russe au XXe sicle.Sil est question davortement,

    rejet hors la loi lheure de la tou-te puissance stalinienne avec lescortges de drames que cela suppo-se, de spectres dmographiquesaussi bien que du charlatanisme deLyssenko, dont la fortunemeurtri-re dcapita le monde des gnti-ciens russes, la science exprimenta-le nest quen apparence le partipris de cette tonnante traversedun demi-sicle de turbulencesovitique. La preuve en est que leprototype du savant inflexible,

    Pavel Alexeevitch Koukotski,admet dentre, le don fort peurationnel que la nature lui a octroy une vision quasi radiologique quilui permet de voir ce qui se joue aucur du vivant, dveloppement duftus comme tumeur maligne etmtastases luvre, le scintille-ment dor, la vie cele lintrieurdes corps et nvite, lorsque leshonneurs le rattrapent, la dshono-rante compromission avec des th-ses officielles aussi errones que cri-minelles quen senivrant, lalcoolis-me excusant tous lesmanquementsde soumission la ligne. Bien peurigoureux en fait de principe scienti-fique Sil est une science au curde ce Cas, cest paradoxalementla gnalogie.Tout y est affaire de parent, de

    filiation ou dhritage, sans que lagntique soit la cl de la transmis-sion. Dans la famille du chirurgienobsttricien Pavel AlexeevitchKoukotski, authentique descen-dant dune ligne de mdecinsdont la gestation professionnellesest joue ds lenfance dans lamatrice protectrice de la biblioth-que familiale, Elna Guorguievna,lpouse, na plus dutrus (cest aucours de la dlicate opration quele praticien tomba amoureux de sapatiente), Tania, la fille tient tout( Le front, la bouche, les mains.Quant aux gestes et aux expressions,aux mimiques, aux faons dtre, cenest mme pas la peine den par-ler ) de celui qui na fait que

    ladopter, le vrai gniteur, AntonIvanovitch mourant le jour mmeo Elena cde son sauveur (dumoins le croit-elle assez longtempspour nourrir le lancinant remordsdun meurtre symbolique quelleaggrave en dpouillant sonmari deson authentique paternit, offerte son nouveau compagnon.Si Vassilissa Gavrilovna vit avec

    eux, moins servante que parentepauvre comme lunivers tchkho-vien en propose, elle nappartientpas strictement la famille, agr-ge au hasard dun parcours caho-teux un foyer qui nest que ledeuxime havre dune malheureu-se infirme nourrie par la seule foien Dieu que les perscutions politi-ques nbranlent pas ; pas plus quela jeune Toma, recueillie au lende-main de la mort de sa mre, pitoya-ble victime dun avortement clan-destin, et pour cela arrache uneautre gnalogie, indiffrente son sort.

    Refuge de certitudes claires

    moins difficile soutenir que lematrialisme philosophique deKoukotski, Vassilissa incarne uneRussie ancestrale, gauche et voue la gratitude aveugle envers ceuxqui ne lhumilie pas. Une tombedsole, celle de la moniale Anato-lia, quelle part entretenir chaqueanne, sans pravis, comme la mis-sion imprieuse de quelque Antigo-ne obscure et disgracie, circons-

    crit la seule vritable famille quel-le ait jamais eu. Tous les autresntaient que de lointains parents .Un pendant brutal la volont phi-lanthropique de Pavel Alexeevitch,dont laffirmation brutale de sescroisades de savant ruine le couple.Entre les deux, Elena, sans espacepropre et qui sen invente un. Par larecomposition de la mmoire, quila fuit, croit-elle, quelle confie par-fois un cahier o elle fixe ce quel-le ne prend pas mme pour desrves : Ctait lombre de la mort...Et lorsque lextrme bord de ces tn-bres a quitt la chambre et disparutquelque part vers le nord, jai enten-du une voix frache et claire, une voix

    indubitablement masculine, quidisait : Le monde intermdiaire.Ses ides sur la nature graphiquede lunivers , ses traductions tra-vers les mots, les maladies ou lamusique, elle les conserve en elle,visionnaire retenue, comme un ger-me en rserve, enfoui au plus pro-fond comme la blessure que lui cau-sa Pavel et quelle transforme orga-niquement en tumeur.Bien sr la vie continue. Et lon

    sourit des rituels funbres contras-ts de la grand-mre, assiste parVassilissa, et de Staline, pleur chaudes larmes par Toma, dune froideur pragmatique lenterre-ment de sa propre mre ; Tania

    grandit et bientt attend un enfantdes jumeaux Vitaly et Guennadi,les fils dIlya Gollberg, Don Qui-chotte de la gntique sauv delhorreur du sicle par sa foliemme On laura compris : enradiographiant la Russie, Oulits-kaa partage le don de PavelAlexeevitch et livre la vie cele dun corps dont la science et lamorale se disputent le chevet. Untour de force.

    Philippe-Jean Catinchi

    e Signalons la parution en pochedUn si bel amour et autres nouvelles,(Gallimard, Folio , 224 p., 4,60 ).En librairie le 23 octobre.

    SPCIALISTEDE TCHEKHOV

    La vie cele Ludmila Oulitskaa met sa virtuosit au service

    dune fresque personnelle de lhistoire russe au XXe sicle

    ANTON(Lojitsia mgla na starye stoupeni),dAlexandre Tchoudakov.Traduit du russe par MachaZonina et Catherine Guetta,d. Christian Bourgois,620 p., 27 .

    /

    LITTRATURES RUSSIE

    N en 1938 Schutchinsk, la frontire du Kazakhstan etde la Sibrie, AlexandreTchoudakov a fait des tudesde lettres luniversit deMoscou. Spcialiste deTchekhov, il a enseign danscet tablissement, puis enAllemagne, aux Etats-Unis eten Core. Il est lauteur des-sais sur la littrature russeclassique et contemporaine.Anton a reu le prix de larevue littraire russe Znamia.

    JOURNAL INTIME DE NATHALIAdIrina Muravieva.Traduit du russepar Antonina Roubichou-Stretz,d. Jacqueline Chambon,142 p., 18 .

    LE CAS DU DOCTEUR KOUKOTSKI(Kasus Kukotskogo)de Ludmila Oulitskaa.Traduit du russe parSophie Benech,Gallimard, Du monde entier ,528 p., 25 .

    IV/LE MONDE/VENDREDI 10 OCTOBRE 2003

  • Ne en 1954 Little Falls,dans le Minnesota, dunemre Ojibwe et dun pre

    dorigine allemande, LouiseErdrich, lane de sept enfants,appartient au groupe Chippewade la montagne de la Tortue ,annonce la notice biographique.Son uvre, dj longue de plu-

    sieurs romans, nouvelles et livresde pomes, reconnue par nombrede prix, salue par Philip Roth com-me celle de lun des crivainsamricains les plus importants ,explore, sur le mode du lyrisme,les relations mouvementes dungroupe de familles indiennes dansune rserve du Dakota du Nord.Aux lgendes de lAmriqueancienne, elle mle une veine decatholicisme fervent. Ici, pas dob-servation sur le vif, ni de soucidexactitude, ni de volont docu-mentaire, mais un puissant uni-vers imaginaire o se dplacent,saiment, se hassent et se tuentdes tres plus grands que nature,dune laideur cauchemardesquequand ils ne sont pas dune beautflamboyante des monstres trshumains aux prises avec la duretde la vie et les mfaits de la socitblanche. Un petit prtre gar, soli-taire en ces rgions perdues, lesprotge, les accompagne et les sou-tient.Le Pre Damien a plus de

    100 ans. Il na jamais connu queles quelques nonnes du couventde son enfance. Son entente trspersonnelle avec Dieu, dont labase est la musique (cest enjouant Chopin que lui vient le sen-timent du divin), sest quelque peuobscurcie en ces terres dexil, mal-gr les paquets de lettres quilenvoie comme autant dappels laide au souverain pontife dansson lointain Vatican.Les paroissiens de Little No Hor-

    se, ce sont les familles Nanapush,les Kashpaw, les Morrissey, lesLamartine Ils croient au diable,invoquent les esprits, se rendent lglise et branlent les convictionsrudimentaires du Pre Damien.Mais si lon a soi-mme, sans auto-risation officielle, revtu la souta-ne, si, changeant de sexe, on a dci-d dassumer seul et contre tous le

    grand mensonge de sa vie le vraimensonge , le mensonge le plussincre quune personne puissejamais faire , alors on est bienmal plac pour juger les autres etcondamner leurs faiblesses.On lapprend au seuil du rcit :

    le Pre Damien est en fait une fem-me. La transformation a lieu aubout de pripties dignes du polarle plus chevel. Agnes de Witt,qui se destinait au couvent,connat son premier orgasme enjouant Chopin, tombe amoureuse,toujours en jouant du piano, dunfermier rude et pauvre, se fait enle-ver par des bandits, manque demourir dune balle tire en pleinetempe, chappe de peu une cruequi noie le pays entier, enfin, rg-nre, voit le visage de Dieu qui lasauve et, dans une hutte, sestcouch contre elle.

    Cest par amour que, usurpant

    lidentit dun prtre noy, elledcide de revtir son habit et detenir sa mission. Fminin-masculinne sont que des comportementsappris. Les seins bands, les che-veux rass, rompue la disciplinela plus dure, au froid et la faim,Agnes/Frre Damien nest elle-mme que dans la prire.Remontant dans le temps, en

    1912, au dbut de la vie religieusedAgnes, les histoires se succdentou senchssent, celles du pass dela tribu, des catastrophes et desmiracles, dvnements qui repous-sent toutes les limites de ce quelon peut admettre ou croire . Detemps autre, au sein de cet tran-ge carnaval, une scne de gigantes-que bouffonnerie : la mort deNanapush, le visionnaire paillard,qui ressuscite dans un grand ventempuanti, sbat avec sa femme, larobuste Margaret, puis meurt deplus belleUn jour enfin, un missaire du

    pape arrive, charg denquter surun cas de saintet possible. Mais,comme la sexualit, comme le mys-ticisme, comme toute tension deltre qui mne lexcs, la sainte-t est difficile saisir. Le menson-ge du Pre Damien, la vitalit deNanapush en sont peut-tre plusproches que la ferveur exaltedune vieille femme sadiqueHaut en couleur et inventif, le

    roman joue sur les images fortes,sans reculer devant loutrance,pour traduire, de faon visuelle,ces craintes, ces fantasmes et cespassions qui nous habitent.

    Christine Jordis

    Non, Margaret Drabble napas abandonn la fiction.A ceux qui en doutaient

    encore on navait plus eu de sesnouvelles depuis La Voie radieuse,sorti chez Stock il y a quinze ans ,elle a rpondu lan dernier avec LaSorcire dExmoor, magnifique por-trait dune vieille dame indignepubli par Phbus. Ce come-backremarqu, le voici confirm,moins dun an plus tard, par deuxlivraisons simultanes, la traduc-tion de The Peppered Moth(papillon nocturne), un romanparu en Angleterre en 2001, et unerdition de La Cascade, lun deses premiers rcits, paru en 1970chez Buchet-Chastel, la maisonqui fut, en France, linventrice de son uvre.Avec ces deux ouvrages, on a

    donc en main, non pas le dbut etla fin, mais deux jalons essentielsdans le parcours dune des plusgrandes romancires anglaisescontemporaines. Ne en 1939 Sheffield, Margaret Drabble a com-menc crire ds le dbut desannes 1960, aprs de brillantestudes Cambridge. Des biogra-phies, des essais, une quinzaine deromans dont LEnfant du millet(Buchet-Chastel, 1969), Le Poingde glace ou Le Milieu de la vie(Stock, 1979 et 1981) : son uvre,nanmoins, est reste peu connue,jusqu prsent, de ce ct-ci de laManche. En France, on lit davan-tage sa sur ane, Antonia Susan

    Byatt. Comme dans toutes les fra-tries dcrivains les Corneille, lesBront, les Singer , le coupleDrabble-Byatt donne lieu des dis-cussions sans fin. Chacune a sesdtracteurs et ses admirateursinconditionnels. On rapproche, onspcule, on compare Et lon ditque ce serait Margaret Drabblequi aurait, pour lheure, lesfaveurs du public britannique.

    -Mais quimporte ? Il suffit

    douvrir La Cascade, crit lgede 30 ans, pour cerner la maturitstylistique qui tait dj la sienneil y a trente-cinq ans. Rcit dunsingulier adultre la passion sou-daine et dvorante dune jeunefemme pour le mari de sa cousine

    , ce roman est dabord une varia-tion vibrante sur les thmes delinluctable et du libre arbitre.Mais il contient en germe ce quiest aujourdhui si frappant dans laprose de Margaret Drabble : unefaon dtre dans et hors de lhis-toire, dentraner le lecteur dis-tance et de jouer avec lui en en fai-sant le tmoin des interrogationsdu romancier. Comme si MargaretDrabble avait invent, en littra-ture, un systme de zoom avant-arrire pour passer au crible lessentiments de ses personnages oules travers dune socit ossifie :lAngleterre snob de la deuximemoiti du XXe sicle, o la proccu-pation de classe et de rang reste une maladie qui ronge et quidvore .

    Dans La Phalne, cette techni-que, parfaitement matrise, estdevenue un art du rcit. Bessie, lepersonnage principal que ldi-teur dcrit comme une MadameBovary des Midlands, intelligente etbride par la convention provincia-le , est inspire par la propremre de Margaret Drabble etdA. S. Byatt. On la voit, petite,avec sa dtermination peu com-mune et son dsir inhabituellementfort dimposer aux autres sa proprevision delle-mme ; on la retrou-ve brillante diplme de Cam-bridge mais trbuchant sur les bar-reaux de lchelle sociale ; et onlabandonne en ternelle insatis-faite, tombant peu peu dans ladpression chronique.A chaque carrefour de lhistoire,

    Margaret Drabble suspend lercit, comme lors dun arrt surimage o lon passe du pass sim-ple au prsent : Regardez-la quilit, dans les spacieux jardins du col-lge, entoure de lclat de la bri-que rouge et des peintures blanchesfrachement refaites, [] parmi del-phiniums et lavandes. Ou plusloin : Elle gt en plein dsarroi.[] Cest une maladie, une fermen-tation. [] Et quen sortira-t-il ?Une croissance ou une mort ? Ilarrive aussi que le je de laromancire fasse intrusion dansson rcit pour dire quelle a tenten vain dexpliquer le mariage deBessie et Joe, ce qui avait pu lesattirer lun vers lautre et qui allaittre, plus tard, totalement recou-vert par lamertume et le mpris.De tout cela, il rsulte un trou-

    blant portrait de mre peinte parsa fille. Un mlange poignant deduret critique et de sincre volon-t de comprendre. Avec, enconclusion, laveu dun chec : Je suis descendue la chercherdans le monde du dessous, mais jene lai pas trouve. Elle ny taitpas. Les tres les plus prochessont-ils irrmdiablement les plusopaques ?

    Florence Noiville

    Le retour au village natal dAnita NairLa chronique dun monde rural, traditionnel et fig, de lInde du Sud

    Les parents dAnita Nairallaient vendre leur maison.La grande maison qui

    appartenait depuis des gnrations la famille, dans ce village de5 000 habitants, terre de Malaya-lam, Etat de Kerala, Inde du Sud. Je voulais capturer la vie de cevillage, pour mon fils sans doute quiplus tard ne pourrait plus laconnatre. Elle voulait faire la chronique dun monde ruraltraditionnel o lanonymat estimpossible, la hirarchie patriar-cale inamovible et o les femmesdoivent se marier celui quon leurdestine, sans souffler mot.Dans Un homme meilleur, pre-

    mier roman de lcrivain indienneAnita Nair, qui a dj publi lerecueil de nouvelles Compartimentpour dames (d. Picquier, 2002), levillage prend le nom imaginaire de

    Kairukissu, sans pour autant quelauteur cde une idalisation quelle craignait et quelle vite ilest vrai, parce que les hommes ysont trop insatisfaits, les femmestrop arraches elles-mmes et lesrelations humaines trop ritualisespour tre vivantes.Cest donc lhistoire de Mukun-

    dan, fonctionnaire clibataire qui,une fois la retraite, revient, fautede mieux, dans son village natal. Ily retrouve son pre, homme autori-taire quil na cess de craindre, etle fantme de sa mre qui lui re-proche, lancinante, de lavoir aban-donne en partant pour Bangalore.Mukundan enfant voulait crire.Son pre lui avait tenu le dis-

    cours strotyp consistant dnoncer les mtiers des lettrescomme des inutilits doisifs etMukundan ne pourra jamais crire.Il se rfugie alors, dans une corres-pondance Anita Nair la reproduiten italiques aussi drisoire quesubstitutive : des lettres changesavec des employs propos demenues rclamations ou constats,

    et dans lesquelles il dveloppe toutun art de la formule police quireflte la rigidit servile dune cer-taine administration indienne. Unpersonnage veule en somme, silen-cieux et dont la carapace est aussifragile quune coquille duf ,mais dont linsignifiance tient lieude manifeste pour Anita Nair : Les gens extraordinaires ne sontpas forcment des gens daction, deshros fauteurs dexploits.

    Il ny aurait l que conte ralistico-

    pittoresque, et roman dune vie si lepersonnage de Bhasi (apparu, nousdit Anita Nair, seulement la moi-ti de la conception du roman) nevenait pas relever le propos. Cetancien professeur duniversit etdsormais psychothrapeute alter-natif guide Mukundan dans saqute identitaire.Et ouvre le roman en exprimant,

    parole dplace dune Anita Nairqui dit ne pas parvenir quitter,la dernire page crite, ses person-nages , toute son affection pour le

    protagoniste. Peintre en btimentaussi, ce mme Bhasi aime les lam-beaux de peinture, les surfaces demurs gratter et recouvrir mta-phore avoue du travail de lcri-vain autant quAnita Nair aimedcrire dtails, couleurs et odeurs,de prfrence ces petites chosessensuelles de la vie quotidienne,premires gorges de lassi ou bou-ches de pappadum.Ce roman, qui pose la question

    Comment dcider si une vie estrussie ? , traite de manire mal-heureusement assez attendue unetrame dj exploite le fils plusou moins prodigue qui revient,aprs des annes, au village origi-nel , que ce soit par UpamanyuChatterjee (Les Aprs-midi dunfonctionnaire trs djant, RobertLaffont, 2002) ou par Akhil Sharma(Un pre obissant, LOlivier, 2002).Il faudra chercher dans Un hommemeilleur bien moins une crituredpaysante quune attachantevariation sur un thme cher auxauteurs indiens contemporains.

    Nora Philippe

    Margaret Drabble, joueuse de styleDeux ouvrages rvlent toute la subtilit des rcits de la romancire anglaise. A la fois dans et hors

    de lhistoire, elle droute son lecteur pour mieux le confronter ses propres interrogations dauteur

    Divin ChopinLouise Erdrich raconte ltonnante histoire

    du Pre Damien chez les Indiens du Dakota

    LIVRAISONSa SOUS LESBOMBES,de Gert LedigUne ville enfeu, une villeen guerre, uneville bombar-de. Le rcit deGert Ledigdcrit une heu-re et neufminu-

    tes dun bombardement alli surune ville qui na pas de nom maisqui pourrait tre Munich, si lon serfre la biographie de lauteur nen 1921 et mort en 1999. Ce livre,dfait par la critique en Allemagne

    mais ayant malgr tout obtenu unnorme succs lors de sa sortie en1956, et qui vient dtre rdit parSuhrkamp, est lun des rares dcri-re de faon aussi juste et prenantele massacre des populations civilesallemandes. Les squences se succ-dent, sans lien entre elles, mimantle chaos de ces heures o le destinsemble se rduire celui des corpssouffls par les bombes. De brvesbiographies de certains protagonis-tes ponctuent ces scnes hallucinan-tes et fonctionnent comme deschambres dcho qui amplifient letragique des hommes en guerre,loin dtre tous des barbares. Une lit-

    trature des ruines au vrai sens dumot. P. Dhs.Traduit de lallemand par CcileWajsbrot, d. Zulma, 224 p., 15 .

    a LE MARDI DE LA FORT,dAndreas MaierSebastian Adomeit, un vieil originalsur qui courent de nombreux bruits,vient de mourir. On parle de sa for-tune, mais aussi de la relation inces-tueuse quil aurait eue avec sa sur.Adomeit a voulu que son enterre-ment ait lieu le dimanche de la Pen-tecte.Mais les amateurs de nouvel-les croustillantes doivent patienter,car cet hurluberlu a dcid que son

    testament ne serait ouvert que deuxjours aprs son enterrement :moment mal venu, car les habitantsde la rgion ont pour habitude de seretrouver cette date dans la fortpour fter le Wldchestad (titrede luvre allemande). AndreasMaier, dont cest le premier roman,samuse restituer des confessionsimpromptues, des discussions decomptoir o se mlent ressenti-ment et admiration. Belle illustra-tion de la mesquinerie dune certai-ne province. P. Dhs.Traduit de lallemand par FranoiseToraille. Ed. Mtaili, 312 p., 20,50 .En librairie le 14 octobre.

    /

    DERNIER RAPPORT SUR LESMIRACLES LITTLE NO HORSE(The Last Report on the Miraclesat Little No Horse)de Louise Erdrich.Traduit de l'anglais (Etats-Unis)par Isabelle Rheinharez,Albin Michel, 534 p., 23 .

    LITTRATURES

    LA PHALNE(The Peppered Moth)de Margaret Drabble.Traduit de langlais parKatia Holmes,Phbus, 402 p., 21,50 .

    LA CASCADE(The Waterfall)de Margaret Drabble.Traduit de langlais parMarie-Christineet Robert Mengin,Buchet-Chastel, 360 p., 17 .

    UN HOMME MEILLEURdAnita Nair.Traduit de langlais (Inde)par Marielle Morin,d. Picquier, 352 p., 20,50 .

    LE MONDE/VENDREDI 10 OCTOBRE 2003/V

  • Un autre regard chrtien sur le peuple juif

    Cest un sujet sur lequel on nepeut crire quavec des doigts dange , selon le

    mot de Marcel Dubois, dominicainenseignant lUniversit hbraquede Jrusalem. On ne traite pas, eneffet, de lhistoire deux fois mill-naire des rapports entre lEglise etla Synagogue sans respecterdabord le silence que pleurent noscurs , comme disait le prophteJrmie. Et sans faire de lvne-ment notre matre intrieur (Emmanuel Mounier).JeanDujardin est un prtre orato-

    rien. Il appartient cette gnra-tion dintellectuels chrtiens qui,comme ses nombreux amis juifs, nese consolent pas de la Shoah. Lap-pel quil lance, dans ce livre, un autre regard chrtien sur le peu-ple juif est crit avec des doigts dan-ge. Et lvnement, devenu son matre , est bien cette Shoah qui,selon une chronologie pressante ettoute intrieure, commence sonparcours historique.Parmi les experts catholiques du

    judasme, Jean Dujardin fut lundes premiers ne pas se satisfairedes motifs raciaux gnralementdonns la perscution, puis dis-cerner et reconnatre le sens propre-ment religieux de lexterminationdu peuple juif. Une fois plongdans le Jsus et Isral, de Jules Isaac(1948), le jeune prtre ne le lcheraplus. Et il en tirera lardente obliga-

    tion quil dcline dans louvrage :tant quon ne sattaquera pas auxracines religieuses de lantijudas-me, on narrivera pas radiquerun antismitisme toujours prompt ressurgir.Lpiscopat franais en a fait son

    dlgu officiel (de 1984 1999)pour les questions juives, charg dele reprsenter dans toutes les ren-contres avec la communaut juive.L enseignement de lestime , suc-cdant l enseignement dumpris , cest en partie lui. La ngo-ciation pour rgler la polmiqueautour du carmel polonais dAus-chwitz, cest encore lui, avec quel-ques autres. Lhomme qui, inlassa-blement, conduit des groupes dejeunes et dadultes dans les campsde la mort pour comprendre ettmoigner, cest lui. Lhomme de la repentance des vques fran-ais en 1997 au camp de Drancy,cest toujours lui.

    Pdagogue, thologien, historien,

    toutes ces qualits se conjuguentdans le livre de Jean Dujardin quidonne les cls pour comprendre cet-te indicible iniquit , dont parlaitJean Paul II lui-mme avant sa visite Jrusalem. Lauteur revient lon-guement sur la sparation dori-gine, le premier schisme intra-juifaux consquences inoues. Celui-cioppose les pharisiens scrupuleuxdans lapplication de la Loi de Mo-se et la jeune communaut des disci-ples de Jsus. Conflit hermneuti-que sur les Ecritures et la fidlit laLoi. La conceptualisation dogmati-

    que du discours antijuif peuple dicide , dispers par Dieupour ne pas avoir reconnu lamessia-nit de Jsus, caducit de lAn-cienne Alliance, substitution dans la Nouvelle viendra bienaprs sous la plume des Pres latinset grecs, justification idologiquedu pouvoir dune Eglise reconnuepar lempereur romain sautoprocla-mant nouvel Isral .Lemal tait fait. Un discours anti-

    juif dorigine chrtienne va trecharri qui justifiera parfois lespires atrocits. Un discours qui vaanesthsier, sauf exceptions(Pguy, Maritain, Bonsirven, etc.),les consciences les plusmodernes etparfois les plus claires, et interdi-re toute raction denvergure face un vnement comme la perscu-tion, ft-elle aussi planifie que cel-le des nazis.Etre inform de la perscution

    des juifs ne suffisait pas pour ragir,explique Jean Dujardin. Un Pie XIIne pouvait rien ignorer de ce qui sepassait. Mais comment lvnementpouvait-il tre reu dans uneEglise qui, pendant deuxmille ans, aconfondu sa thologie antijuiveavec la Vrit ? Et commentlEglise, avec sa prtention linfailli-bilit, pouvait-elle admettre stre silongtemps trompe ?Les progrs accomplis depuis ont

    t considrables, et Jean Dujardinen retrace toutes les tapes. Maislauteur reste doublement inquiet :par lassurance de certains milieuxchrtiens qui pensent que les nou-veaux outils conceptuels de lEglisela prmuniraient contre toute nou-

    velle catastrophe et par la persistan-ce dune mmoire juive soupon-neuse.Inquiet aussi par la rsistance de

    discours distinguant (dans le docu-ment du Vatican, en 1998, sur laShoah) lantijudasme historique,auquel lEglise a renonc, et lanti-smitisme moderne, base raciale,des nazis et de leurs hritiers. Com-me si lantismitisme navait passvi au sein dun monde et de men-talits ptris par une histoire chr-tienne antijuive. Comme si le travailde purification de la mmoire tait dfinitivement achev.

    H. T.

    Lattitude de lEglise catholiquevis--vis de la Shoah nourritun dbat sans cesse renais-

    sant qui peine, tant les plaies demeu-rent vif, quitter le registre pol-mique ou apologtique. Au curde ce sujet hautement sensible, lecomportement du pape Pie XII(1876-1958) est lobjet de toutes lesattentions. Le malaise puise, com-me la crit Etienne Fouilloux, dansle dcalage que nous vivons pluttmal entre lnormit du phnomneet lamollesse des ractions quil a sus-cites . Cette apathie est inintelligi-ble venant dune autorit spirituelleet universelle dont il tait lgitimedattendre plus et autre chose. Pourpercer lnigme, les historiens de

    mtier font flche de tout bois,svertuant trouver la bonne dis-tance ; lchelle dune vie pour lana-lyse subtilement nuance de Philip-pe Chenaux, un sicle et demi pourle travail saisissant de David Kertzertaillant son chemin la serpe.Cest le dramaturge ouest-alle-

    mand Rolf Hochhuth qui, avec unepice monte Berlin en 1963, mitle feu aux poudres en dnonant lemutisme de Pie XII devant lextermi-nation nazie. Le Vicaire (Der Stellver-treter) naurait pas eu cet impact sisa mise en scne navait concidavec la prise de conscience, lasuite du procs Eichmann (1961),du caractre monstrueux et inoude lHolocauste, dune part, avec lavolont de lEglise de sengagerdans un processus daggiornamen-to avec le concile Vatican II(1962-1965), dautre part. Depuislors, en dpit de la publication, linstigation de Paul VI, des onzevolumes slectifs des Actes etdocuments du Saint-Sige relatifs la seconde guerre mondiale, malgrdes travaux universitaires qui ontmieux explor le Vatican, les criti-ques adresses lhomme Pie XIInont pas cess, jusquau JohnCornwell en 1999 avec Le Pape de

    Hitler. Lhistoire secrte de Pie XII.Comme Giovanni Miccoli (I dilem-mi e i silenzi di Pio XII. Vaticano,Seconda guerra mondiale e Shoah,2000, annonc chez Complexe), Phi-lippe Chenaux a voulu viter la per-sonnalisation de ce dossier min.

    Son ambition ? Ecrire un ouvragescientifique embrassant la viedEugenio Pacelli sur fond demono-graphie du Vatican dans la pre-mire moiti du XXe sicle. Sa chan-ce ? Louverture, en fvrier, desarchives vaticanes relatives aux rela-

    tions avec lAllemagne entre 1922 et1939, celles du pontificat de Pie XIIrestant closes.Ordonn prtre le 2 avril 1899,

    Eugenio Pacelli fit ses armes dediplomate au sein de la Congrga-tion des affaires ecclsiastiquesextraordinaires, o son ascensionfut foudroyante. Nonce apostoli-que auprs de la rpublique deWei-mar, lvque Pacelli, vite lev aucardinalat, fut promu secrtairedEtat en 1930 laube dune dcen-nie brlante. A un Pie XI rsolu jouer la carte hitlrienne dans salutte antibolchevique, Philippe Che-naux oppose un Pacelli plus enclin couter les voix catholiques pr-nant la rsistance lordre brun.Voil pour la lecture fine des archi-ves accessibles. Quant lactionpublique, Pie XI la donna voir enmars 1937 avec les encycliques Mitbrennender Sorge ( Avec un soucibrlant ) et Divini Redemptoris,sans que la balance ft gale : la pre-mire rdige en allemand linten-tion des vques allemands ne nom-mait pas expressment lidologienazie tandis que la seconde rdigeen latin pour toute la catholicitcondamnait explicitement le com-munisme athe.Deux ans plus tard, Eugenio

    Pacelli devenait pape un momentcrucial. Quil nait pas pris la mesurede la tragdie qui se joua alors, il yen a de nombreux signes. Effraypar la menace dune bolchevisationde lEurope, il louvoya avec une pru-

    dence extrme, dont la manifesta-tion la plus criante fut son aphasieface au gnocide. Dment informdu sort inflig aux juifs, Pie XII enparla rarement. Le fait est dautantplus sidrant que ce pape ntaitpas taiseux ; il pronona quelque1 400 discours durant son rgne.Indpendamment de sa germano-philie, il estima peut-tre que, parson choix tragique, il protgeait sesouailles. Bien que Pie XII ait jou unrle important et controvers aprs guerre, la mmoire de sonpontificat en dilate les six premiresannes, domine par la chapepose sur lextermination. Du coup,au-del de la personne du pape, leVatican et lEglise sont somms derendre des comptes.

    Le livre de David Kertzer, paru

    chez Knopf en 2001, ne leur facilite-ra pas la tche. Bien quil exploresurtout le XIXe sicle, le nud en estaussi lHolocauste. Une commissionnomme par Jean Paul II ayant en1998 exonr lEglise de responsabi-lits dans la Shoah en distinguantlantijudasme catholique de lantis-mitisme apparu la fin du XIXe si-cle, lauteur juge cette version desfaits terriblement fallacieuse .Etay sur les archives du Saint-Office de lInquisition, elles aussircemment ouvertes, le rcit courtde 1814 au pontificat de Pie XIIpour mettre au jour la responsabili-t de la chane des papes dans la ds-humanisation des juifs.Pie XI contre Pie XII ? Srement

    pas. Plutt Pie XII hritier de Pie VII(1800-1823), qui rata loccasion uni-que de rebattre les cartes en 1814.Conversions forces, sermons obli-gatoires, ghettos hermtiques, accu-sations de meurtres rituels, voilautant de pratiques antismites vio-lentes qui imprgnrent le Vatican.Sans doute lauteur dilate-t-il cer-tains pisodes passant vite sur lamanire dont le lien se fit entre lh-ritage mental de ce noir XIXe sicleet les drames du sicle suivant.A partir de la mme question

    obsdante, sur des tons et avec desvises qui diffrent, ces deux ouvra-ges viennent souligner que, de dcla-ration de repentance en ouverturedarchives, lEglise nen a pas finiavec les questionnements secrtspar son assourdissant silence aucur de la plus grande tragdie dusicle pass.

    Laurent Douzou

    LGLISE CATHOLIQUEET LE PEUPLE JUIFde Jean Dujardin.Calmann-Lvy, 567 p., 28 .

    1939 :le nouveaupape, Pie XII,lit sonmessagede paixau monde

    LIVRAISONSaAU CUR DU VATICAN, du cardinal Paul Poupard Ministre de la culture de Jean Paul II depuis1985, Paul Poupard est lun des tmoins les plus pas-sionns des vingt-cinq ans du pontificat de KarolWojtyla.Mais le dernier ouvrage de cet auteur proli-fique est plus quun bilan de rgne. Cest le rcitdune aventure intellectuelle la sienne et dunecarrire au service du Saint-Sige, si mal connu,dont ce cardinal franais de la Curie, ancien recteurde lInstitut catholique de Paris, prdicateur des der-nires confrences de Carme Notre-Dame, esten France le meilleur des ambassadeurs. Un livre-

    interview qui bnficie de la prodigieuse mmoire de son auteur, sousla plume de qui renaissent trente ans de la vie de lEglise. H. T.Perrin-Mame. 386 p. 21,50 .

    a LE PAPE ET LEMPEREUR, de Georges SuffertLa rivalit entre le pape et lempereur fut la grande affaire de lOccidentchrtien durant prs de deux sicles, du bras de fer qui opposa ds 1075Grgoire VII et Henri IV laffrontement entre Grgoire IX, puis Inno-cent IV et le Hohenstauffen Frdric II, dont lamort, en 1250, rgla seulele conflit. De la querelle des investitures, lauteur a choisi de relater lpi-sode central, celui qui dresse face face Frdric Barberousse(1152-1190) et Alexandre III (1159-1181). Le rcit qui, par souci pdagogi-que, rappelle bien des notions et pisodes annexes, sans toutefois viterles trop faciles intuitions rtrospectives, plus drangeantes que leserreurs de dtail, est clair et sait ne pas sacrifier les morceaux de bra-voure aux valeurs qui fondent lengagement du pape Alexandre (concilede Latran III, 1179). On regrette dautant labsence de la moindre pistebibliographique, utile quand le texte se fait peu prcis. Ph.-J. C.De Fallois, 224 p., 18 .

    a SAINT DOMINIQUE, de Michel RoquebertLe sous-titre ( La lgende noire ) induit en erreur. Spcialiste dumon-de cathare, auquel il a consacr lessentiel de son engagement dhisto-rien,Michel Roquebert ne sacrifie pas la vision caricaturale dunDomi-nique de Guzman y Aza, pre dune terrifiante Inquisition qui ne vit lejour que prs de douze ans aprs sa mort Bologne, en aot 1221.Ouvrant son travail par une ncessaire mise au point sur les sourceshagiographiques, lhistorien rend Dominique un parcours spirituelqui, loin den faire un boucher des hrtiques, insiste sur le lien qui lielidal du frre prcheur lcoute dumessage de lhrsie. Une compr-hension indispensable pour une juste rfutation. Les bchers viendrontplus tard et la durable contamination de leur triste gloire. Ph.-J. C.Perrin, 356 p., 21 .

    LEglise catholique et la Shoah, questions ternellesPhilippe Chenaux, bnficiant de louverture rcente darchives, retrace la vie de Pie XII sur fond de monographie du Vatican dans la premire moiti

    du XXe sicle. De son ct, le rcit de David Kertzer, de 1814 Pie XII, met au jour la responsabilit des papes successifs dans la dshumanisation des juifs

    Un entretien avec Etienne Fouilloux, professeur dhistoire contemporaine lUniversit Lumire-Lyon II

    Larchive ne parle pas delle-mme

    ESSAIS RELIGIONS

    Sitt les dictatures communis-tes terre, la spectaculaire publi-cit faite aux documents dsor-mais accessibles fit de larchiveun paradoxal terrain de scoop . La curiosit pour lesarchives pontificales participe-t-elle du mme mouvement ?Il y a bien unmythe du document

    darchive enfin accessible, aprs desdcennies de protection par lesecret, dEtat ou dEglise. Il reposesur lillusion selon laquelle la vritsortirait toute nue des cartonsrcemment ouverts. Or le docu-ment ne parle pas de lui-mme : ilfaut le faire parler. Par un patienttravail de recoupement et dinter-prtation, lhistorien assigne lin-dit la place qui lui revient dans unetrame dj constitue que cet inditmodifie ou renforce sans ncessaire-ment la bouleverser. Il ne cherche

    pas le scoop (comme l encycliquecache de Pie XI contre lantismi-tisme), mais la vrification de seshypothses interprtatives.

    Quattendre de louverture pro-gressive des archives du Vatican ?Lhistoire de la papaut a scrtun maquis dinstitutions.Des ministres romains tels

    que la Congrgation de la propagan-de (pour les missions) ou celle duSaint-Office (pour les questions doc-trinales) conservent leurs fonds lcart de lArchivio segreto vaticano,qui recueille, pour lessentiel, ceuxde la secrtairerie dEtat, tout lafois prsidence du conseil, minis-tre de lintrieur et ministre desaffaires trangres du Saint-Sige.Les archives rcemment ouvertes,qui concernent les rapports de celui-ci avec lAllemagne de 1922 1939,en proviennent. Elles permettent de

    complter, prciser, voire corrigerce quon savait sur ces rapportsgrce aux documents diplomati-ques des grandes puissances. Inu-tile, en revanche, dy chercher lesopinions intimes des papes sur cesrelations : elles nont gure laiss detraces. Do le dcalage perceptible,dans les biographies de Pie XII,entre leur versant officiel, bien docu-ment, et leur versant priv, large-ment hypothtique. De lindit surles choix politiques du pape ? Sansdoute.Des informations sur ses sen-timents profonds ? Rarement, fautede quelque chose qui sapparenteaux agendas dAngelo GiuseppeRoncalli, futur Jean XXIII.

    Selon quels critres varie leregard sur Pie XII ?Ce regard change essentiellement

    en fonction de la posture adopteface une personnalit controver-

    se. Une grande partie de la littra-ture rcente le concernant veut tout prix le juger. Engags dans unprocs de batification lissueincertaine, les apologistes enten-dent le disculper de toute erreur,voire de toute faute. Les procu-reurs, eux, visent sa condamnationposthume en prouvant sa culpabi-lit. Comme le montrent, chacun leur manire, Philippe Chenaux etGiovanni Miccoli, lhistorien refuseune procdure judiciaire trangre sa mthode. Il cherche seulement comprendre et expliquer com-ment et pourquoi Pie XII a ragi ou non aux vnements dramati-ques quil vivait, au poste de respon-sabilit suprme qui tait le sien. Jene vois pas dautre principe de dis-crimination dans lavalanche depapier sur ses silences .

    Propos recueillis par Ph.-J. C.

    PIE XII DIPLOMATE ET PASTEURde Philippe Chenaux.Cerf, 462 p., 28 .

    LE VATICAN CONTRE LES JUIFSLe rle de la papautdans lmergencede lantismitisme moderne(The Popes Against the Jews)de David Kertzer.Traduit de langlais (Etats-Unis)par Bella Arman,d. Robert Laffont, 398 p., 23 .

    VI/LE MONDE/VENDREDI 10 OCTOBRE 2003

  • On a envie de hausser lespaules. Encore une biogra-phie de Jean Paul II ? De cet

    homme si familier des crans quonly croit install pour lternit, lundes plus vieux chefs dEtat, qui aconnu cinq prsidents des Etats-Unis, huit premiers ministres fran-ais, a vu le mur de Berlin chuter, lesystme communiste exploser, leProche-Orient condamn lenfer,lIrak la guerre. Depuis un quartde sicle, le sportif de Dieu , quine cache plus courage ou folie les outrages du temps et de la mala-die, rpte inlassablement des motsaussi vieux et dcals que non-violence et paix, respect de la vie,repentance, chastet, accueil desplus petits, dialogue des cultures etdes confessions.Scepticisme encore devant une

    biographie du pape qui ne vient nidun historien, ni dun thologien.Comment, sans le recul du temps,dcouvrir tous les ressorts dun telpersonnage, rendre compte dunetelle uvre, analyser le troisimepontificat le plus long de lhistoire,de loin le plus dense, en saisir tousles prmices, en deviner lhritage ?Avec une bonne dose dinconscien-

    ce, Bernard Lecomte sest attel louvrage, avec pour tout bagageune connaissance mticuleuse de laPologne, une fascination sans bor-nes,mais nonmilitante, pour lhom-me et de modestes tickets dentreau Vatican.Journaliste La Croix, grand

    reporter LExpress, lauteur a suivide prs cette dcennie (1978-1989)qui a vu se lzarder, puis exploser lebloc communiste. Son monumentalouvrage (Le Monde du 2 octobre),quil a mis quatre ans rdiger,nest pas une biographie mivre etcomplaisante, encoremoins auto-rise comme le fut, en 1997, cellede lAmricain Georg Waigel, quiaccda aux sources les plus officiel-les. Cest le travail dun investiga-teur qui, grce sa connaissancedes pays de lEst, a trs tt comprisque KarolWojtyla tait de la trempedes Soljenytsine, Sakharov, Bouko-vski, Michnik, Havel et que, deRome, il continuerait de se battrepour le droit la vrit contre lemensonge, pour le respect de la libert et le droit de toutcroyant avoir sa place dans lasocit athe.Ce pressentiment de lauteur

    remonte cette poque o en Occi-dent, notamment en France, il taitde bon ton de ricaner contre cepape venu de Pologne, riv la tra-dition et au dogme, forcen du

    culte de Marie, des anniversaires etdes saints, intransigeant sur le cli-bat du prtre et les vertus de lafamille. Depuis, le retournement futtel que nos cathos de gauche ouintellectuels en ont fait, avec excs,le tombeur du comm