Stratégie Et Pensée Complexe - Martinet & Hafsi

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STRATÉGIE ET PENSÉE COMPLEXE Alain-Charles Martinet Lavoisier | Revue française de gestion 2006/1 - no 160 pages 31 à 45 ISSN 0338-4551 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Martinet Alain-Charles, « Stratégie et pensée complexe », Revue française de gestion, 2006/1 no 160, p. 31-45. DOI : 10.3166/rfg.160.31-46 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.105.92.193 - 16/05/2012 13h51. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.105.92.193 - 16/05/2012 13h51. © Lavoisier

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Management stratégique et complexité- évolution de la pensée stratégique

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  • STRATGIE ET PENSE COMPLEXE

    Alain-Charles Martinet

    Lavoisier | Revue franaise de gestion

    2006/1 - no 160pages 31 45

    ISSN 0338-4551

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    Martinet Alain-Charles, Stratgie et pense complexe , Revue franaise de gestion, 2006/1 no 160, p. 31-45. DOI : 10.3166/rfg.160.31-46--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Pour tudier le lien entre complexit et stratgie, lauteur convie lelecteur un parcours en trois tapes. Il expose dabord commentlaction et le comportement stratgiques sont gnrs par la com-plexit et impliquent donc den faire lexprience pour tre mis enuvre. Il dit ensuite pourquoi une vritable pense stratgique,apte rendre intelligible les situations et orienter la pratique, nepeut qutre complexe, et doit donc possder certaines caractris-tiques, qui lloignent notamment de la pense managriale sim-plificatrice souvent la mode ces dix dernires annes. II rappelleenfin que, dvidence, la connaissance en sciences de gestion, etparticulirement en stratgie, ne peut pas tre neutre et na pas ltre et quune pense stratgique complexe ne doit pas craindre,bien au contraire, de sinterroger sur ses constructions et dexpli-citer leur gnalogie, et notamment leurs prsupposs normatifs.

    La stratgie des organisations et la connaissance quelle peut susciter ne seraient-elles pas un lieu privilgi pour argumenter de lintrt, voire de la ncessit, dunepense complexe ?

    Stratgie et pensecomplexe*

    Alain-Charles Martinet

    * Article publi dans la Revue franaise de gestion (n 93, 1993).

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  • Linstruction de cette question peut se faire par le truchement de trois sries derflexions : la complexit du monde en particulier socio-conomique appelle lac-tion stratgique ; celle-ci gagne en sret intellectuelle quand la connaissance qui laguide mane dune pense complexe ; cette dernire doit faire un retour sur elle-mme.

    I. La complexit appelle laction stratgique

    Citons Edgar Morin : La complexit appelle la stratgie. II ny a que la stratgiepour savancer dans lincertain et lalatoire [] (elle) est lart dutiliser les infor-mations qui surviennent dans laction, de les intgrer, de formuler soudain des sch-mas daction et dtre apte rassembler le maximum de certitudes pour affronter lin-certain1.

    Point nest besoin de dvelopper longuement. Conception particulire de lactioncollective organise et sorganisant, mettant en jeu les trois catgories fondatrices agn, poiesis, praxis laction stratgique suppose au moins la runion de cinq attri-buts2 :

    un acteur composite (unitas multiplex de Morin, unit active de Perroux),actif, autonome capable de poser lui-mme et partiellement ses normes de compor-tement (Castoriadis) mais non indpendant de son environnement bien sr ;

    un projet thico-politique, o tout le moins des bribes de projet, imagemotrice, vision qui volue, se prcise, se modifie, voire se transforme, mesureque laction se dveloppe et que le cheminement saccomplit. Bref, un projet quientretient une relation rcursive avec laction quil suscite et les moyens quil pousse mettre en uvre ;

    un univers conflictuel disput, concurrenc, donc incertain, changeant, jamaistotalement compris. Univers peupl dautres acteurs qui gnent, entravent, voire sop-posent, dont les (r)actions, et a fortiori les penses, crent de lincertitude ;

    un effort de lintelligence et de mise niveau de conscience des reprsentationsque lacteur se fait de lui-mme et du monde ;

    un temps multiple qui croise, compose, construit et dconstruit en permanenceles temps de limaginaire, de la prospective, de la prvision, de la dcision, de lac-tion le temps de la dure et celui de linstant3.

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    1. E. Morin, Science avec conscience, nouvelle dition, Le Seuil-Points, p. 178, 1990.2. Dvelopp in A.-C. Martinet, coord., pistmologies et sciences de gestion, Economica, chapitre 6, 1990.3. A. C. Martinet, Management en temps rel et continuit stratgique sont-ils compatibles? , Revuefranaise de gestion, n 86, p. 52-56, 1991.

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  • Entendue ainsi, laction stratgique constitue le processus fondamental par lequellacteur se produit lui-mme en produisant quelque chose (autopoese), cre desformes et des structures nouvelles, tente de faire sens dans le magma par des spcifi-cations et des cltures provisoires4 dans son environnement, qui lui confrent, pourun temps, les bases de son identit.

    Laction stratgique, les comportements autonomes et auto-organisateurs ne sedploient pas face un environnement donn, cbl, parfaitement connaissable etprvisible. Ils sinscrivent dans des processus de mise en scne (enactment) de lor-ganisation et de son environnement, imposs, ngocis ou mergents selon les modesde gouvernement en vigueur au sein de lunitas multiplex5. F. Varela, pour lessciences cognitives, K. Weick et J.-G. March, pour les organisations sociales lonbien montr6.

    Ce faisant, lacteur combine ncessairement connaissance, pari et pouvoir pour uncheminement signifiant et viable, ragenc en cas de besoin, fort diffrent du cheminenvisag ex ante, de la trajectoire prvue, du programme prtabli.

    Lensemble de ces caractristiques, trop brivement rsumes, permet de poser lepoint central de notre premire proposition : laction et le comportement stratgiquesne peuvent tre conquis quen faisant lexprience de la complexit.

    En sefforant dagir stratgiquement, lacteur en rencontre les attributs : il lui fautfaire preuve de cette forme dintelligence qui consiste moins en la rsolution dunproblme compliqu, quoique prcis, quen la mise en forme dun monde parta-geable, tre l de faon viable (Varela).

    II prouve le caractre magmatique de son objet (lui-mme dans son environne-ment) ; objet irrductible une logique identitaire, appelant des axiomes, principeshtrognes, lisibles sous des dimensions multiples dont certaines chappent au cal-cul ; objet o coexistent des lments nouveaux et des lments anciens non intgra-lement digrs (Castoriadis).

    II prend conscience du double jeu de la dcision qui simplifie, ferme des voies,mais ouvre conjointement des futurs possibles et de nouvelles complexits. II luttecontre le hasard en cherchant linformation mais profite des occasions que celui-ci luioffre. II fait lexprience des seuils, des bifurcations, des points de non-retour ou decatastrophe partir desquels laction le conduit ailleurs et le contraint ragencer sonprojet. II a tt fait de se rendre compte que laction mrement rflchie chappeimmdiatement ses intentions, sans lamener condamner laction, la rflexion ou

    Stratgie et pense complexe 33

    4. Cf. F. Varela, Auto-organisation, colloque de Cerisy, Le Seuil, p. 147 sq., 1983.5. A.-C. Martinet, Management stratgique : organisation et politique, McGraw-Hill, 1984.6. F. Varela, Connatre, Le Seuil, 1989 ; K. Weick, The Social Psychology of Organizing, Addison-Weley,1979 ; J.-G. March, Dcisions et organisations, ditions dOrganisation, 1991.

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  • linteraction sociale. II se peroit rapidement comme machine non totalement trivialedans lincapacit quil est de prdire tous ses comportements.

    Plus son exprience senrichit, plus il dcouvre limportance de lattention de lavigilance, de linterprtation des signes qumettent les autres acteurs internescomme lenvironnement. Plus il dveloppe son aptitude conjoindre, faire jouerensemble des contraires, voire ce quil percevait jusqualors de faon contradictoire.

    Les ordres de complexit prouvs par lacteur sont peut-tre convenablement (et simplement) reprsents par la double distinction complexit informationnelle/computationnelle (Simon), complexit de sens/dabondance (Riveline).

    Comme la suggr C. Riveline7, il convient de distinguer la complexit dabon-dance il existe beaucoup de solutions, et les moyens pour les explorer toutes sontlimits de la complexit de sens il ny a que peu de solutions mais les points devue sur les choix sont divers, antagonistes et puissants. Le premier problme est fami-lier en pratique comme en thorie. Face une offre justement abondante, le consom-mateur est en hyperchoix, submerg par la profusion des modles, rfrences,signes dont beaucoup sont des leurres (T. Gaudin, J. Baudrillard). Quant la tho-rie canonique de la dcision, elle a raffin lenvie ce type de problmes : objectifnon quivoque, information quasi parfaite, contraintes spcifies Les complexitsdabondance sont en ralit des complications dont la rsolution appelle recueil din-formations, puissance de calcul (stricto sensu), algorithme qui sinscrivent dansune logique de loptimisation (en thorie) ou de sa version dulcore (en pratique), la

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    7. C. Riveline, De lurgence en gestion, Grer et comprendre, mars 1991, repris Problmes cono-miques, n 2235, p. 1-6, 24 juillet 1991.

    Figure 1DEUX ORDRES DE COMPLEXIT

    Complexit de sens

    Complexitdabondance

    Complexitcomputationnelle

    Complexitinformationnelle

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  • rationalit (substantielle) du choix ntant limite que par le temps, le cot de larecherche de donnes et la lassitude du calculateur.

    De faon fort diffrente, la complexit de sens se rencontre dans les situations malstructures : objectifs flous, quivoques, donnes multiples ou agrges, informations construire, enjeux forts et conflictuels impact durable, diversit des critres dechoix, faible nombre des solutions concevables et praticables. Ces situations doivent,le plus souvent, faire lobjet dune transformation en problmes construits vis--visdesquels les solutions peuvent tre prouves. Optimisation et algorithmie sontinoprantes, qui rpondent dautres propos et conditions. Sont appels, en revanche,des efforts de computation lato sensu (Morin), de dcadrage recadrage (Palo Alto),daccommodation/quilibration (Piaget), dheuristique

    Cest dans ce type de situation que lon peut qualifier de stratgique par biendes aspects8 que se comprennent le mieux lassertion du scientifique ou la fulgu-rance de lcrivain :

    Limage de la cognition qui sensuit nest pas la rsolution de problmes aumoyen de reprsentations, mais plutt le faire-merger crateur dun monde (Varela).

    Peu peu les formes se prcisent, non parce que mon regard saccommode, maisparce que mon esprit, en les reconnaissant, les dlivre de leur enchevtrement (Malraux).

    Sagissant de la seconde distinction, H.-A. Simon, rappel par J.-L. Le Moigne, amontr que la construction ttonnante, par computation, du modle non seulementfacilitera la rsolution mais mettra en valeur sa richesse informationnelle. Ce proces-sus sopre par oscillation, va-et-vient, interactions entre description/explication, dia-gnostic/thrapeutique, comprhension du systme/pilotage du systme

    En ce sens, peut tre comprise, dans une situation complexe, lutilit dune mod-lisation elle-mme suffisamment complexe au plan computationnel pour accueillir larichesse informationnelle. A contrario, la simplification outrancire de la premire nepeut que renvoyer, dans un rsidu non lucid, lessentiel des informations. Lcono-miste en trouvera une bonne illustration dans la fameuse fonction de Cobb-Douglasdynamise (Y = A (t)KaL1 - a) o le rsidu, appel progrs technique mais en ralitmesure de lignorance, reprsentait 2,6 points (et en toute rigueur 4,4) sur les 5,1 %de taux de croissance de la PIB (France, 1949-1963).

    En limite, en complexit dabondance, le problme prcde la solution, la spci-fication du premier est relativement aise, la difficult est lie lencombrement ensolutions, lenjeu rside dans le tri de celles-ci par la puissance et la rapidit de trai-tement de linformation.

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    8. Ce que nous avions dtaill dans Stratgie, Vuibert, 1983.

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  • A contrario, en complexit de sens, les rares solutions (prfrons rponses) ten-dent apparatre avant la construction satisfaisante du problme. La difficult pro-vient de la diversit des points de vue sur la situation et donc des faons de construire,de prsenter, de mettre en scne le problme ; elle est aussi lie lambigut, lin-stabilit et la conflictualit des fins et des prfrences (March), limportance de lasmantique et de la rhtorique. Lenjeu se trouve dans une compatibilit stabilise etjuge satisfaisante du couple problme rponse. Les erreurs sont frquemment impu-tables lenracinement fragile de ce dernier dans lhistorique et le contexte de lasituation qui pousse des raisonnements symptomatiques , des capacits insuf-fisantes de dcadrage-recadrage, au recours des pseudo-algorithmes scurisants, des dterminations univoques de schmas disciplinaires (lconomique, le poli-tique) ou fonctionnels (le financier, la technique, le commercial) ; bref, ces erreurssemblent bien souvent dues lusage implicite et inconscient doutils forgs pouraffronter la complexit dabondance.

    II. La stratgie appelle une pense (un peu) complexe

    On a prsent ailleurs9 une mise en perspective historique des discours consacrs la stratgie dentreprise. Bornons-nous mentionner, pour notre propos, que la lit-trature spcialise et souvent les pratiques ont, depuis 1950, oscill de la balistique lactivisme10.

    La conception balistique, qui a trouv son point dorgue dans certaines proc-dures de prvision-planification-programmation, a rduit la stratgie un outillagetechniquement sophistiqu au sens originel du terme mais conceptuellementsimple. Quant lactivisme, sous la bannire de lexcellence, il a prtendu affronterla complexit (et la turbulence) par une pense simpliste la limite de labsence depense.

    Les raisons cognitives, techniques, socioculturelles et idologiques de ce balance-ment, quoiquaisment identifiables, ne nous arrteront pas ici. Constatons plutt quedans ces deux conceptions extrmes il ny a plus de place pour une vritable pensestratgique qui ne peut se satisfaire des postulats quelles renferment.

    Leur dpassement est impratif, qui sollicite la construction dune pense-mthode, ncessairement plus complexe quand on songe aux attributs des catgoriesquelle met ncessairement en uvre :

    La pense stratgique na de raison dtre que si elle permet une meilleure orien-tation et un guidage intellectuellement plus sr de ce systme fort loign dune

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    9. Les discours sur la stratgie dentreprise , Revue franaise de gestion, n 67, p. 49-60, 1988.10. Cf. La logique paradoxale du management stratgique , Cahiers lyonnais de recherche en gestion,n 11, p. 197 209, 1990.

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  • machine triviale comme dun ordre qui natrait spontanment de lagrgation desactions microscopiques.

    Une pense plus complexe signifie de trs nombreuses caractristiques. Conten-tons-nous den marquer trois sries parmi les plus importantes nos yeux.

    1. Une pense des passages

    La vulgate pdagogique surtout de la pense stratgique la pose volontiers enrflexion de synthse, globale, gnrale

    Sauf forger un cadre vide mais mcanique, occulter les conflits et les dialec-tiques, ntre que le support de discours superficiels et idologiques, elle ne peutltre que trs partiellement.

    Elle gagne, au contraire, se placer sous lemblme dHerms11, se construirecomme pense de la communication, des allers-retours entre des ples dont la listepourrait tre longue :

    local-globalconcret-abstrait

    digital-analogiquealgorithmique-heuristique

    ''''

    facteurs-acteurs''''

    hmisphre gauche-hmisphre droit''

    Stratgie et pense complexe 37

    11. linstar de M. Serres, cf. en particulier Herms V, le passage du nord-ouest, ditions de Minuit, 1980.

    Figure 2LA PENSE MTHODE

    But (s)

    Acteur

    Cheminement Champ(dont les autres)

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  • Mthode de pense donc, scientifiquement construite, propre problmatiser lessituations que rencontre lacteur dans sa qute jamais acheve de ses finalits, expliciter les dimensions, les variables, les critres mis en jeu par des actions toujours locales mais susceptibles de produire une uvre globalement viable etcohrente.

    Pense qui ne saurait dire ce quil convient de faire mais qui prtend donner lac-teur des moyens cognitifs, prouvs par confrontation avec lexprience, rsistantsaux preuves, susceptibles de laider a le concevoir, stimuler son imagination touten confortant son raisonnement.

    Pense qui, loin de prfrer une fois pour toutes certains dcoupages, favorise lamise en relation, les va-et-vient, pour accder une connaissance plus sre et plusfine.

    Pense qui a pris acte de ce que la ralit ne saurait tre parfaitement logique (ausens classique). Que certaines contradictions ont des vertus heuristiques et permettentdaccder des dimensions caches. Que tout systme formel est frapp dincompl-tude (thorme de Gdel), que le concept de vrit relatif un langage nest pasreprsentable dans ce langage (thorme de Tarski), que lincertitude et la contradic-tion npargnent pas mme la physique (Heisenberg)12.

    Pense qui ne peut donc sappuyer exclusivement sur lanalytique, le squentiel,le sriel, le digital mais qui doit, simultanment, se prmunir contre les dliresquengendrent, sils ne sont pas contrls, le global, le simultan, le fusionnel, lana-logique

    Si, avec E. Landowski13, on substitue, smiotiquement, la confrontation entreactants au seul affrontement entre adversaires, lagir stratgique se dfinit, a minima,comme suit :

    Un tel carr smiotique accueille le dploiement des pratiques stratgiques posi-tives. Pour notre propos, ici, il montre la richesse mais aussi les piges des champsdans lesquels la pense stratgique se meut ncessairement. On peut lire aussi lesdvoiements historiquement constats que la littrature managriale a pu provo-quer/pouser ; le balancement de la balistique lactivisme que nous voquionsrecouvre largement la substitution du politico-magique au technocratique qui a mar-qu les annes 80.

    Lexploration de ces territoires convie ncessairement aux doubles jeux de laconnaissance explicits par E. Morin14 et leurs ressorts de rappel.

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    12. Cf. Le trs synthtique chapitre Rationalit et Logique , dE. Morin, La Mthode 4 les Ides, LeSeuil, 173-2009, 1991.13. E. Landowski, La socit rflchie, Le Seuil, p. 230 sq., 1989.14. La Mthode, t. 3, La Connaissance de la connaissance, Le Seuil, 1986.

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  • Cette connaissance riche passe tout le moins par le plein usage des deux hmi-sphres corticaux, puisque laction managriale sollicite les quatre secteurs15.

    Lintelligibilit dune situation stratgique ne peut, en effet, se satisfaire dunelatralisation de la pense. Quelle se rfugie exclusivement dans le cortex gauche,elle ne verra que la disjonction, la rification des variables, les enchanementslogiques, la certitude Quelle se complaise dans le cortex droit, et elle risquera depercevoir des synthses superficielles, de conjoindre exagrment le rel et limagi-naire, de privilgier changements et mtamorphoses

    La pense stratgique qui ne peut avoir dautre raison dtre que de guider lin-telligibilit des situations concrtes et laction que ces dernires appellent doit doncconstruire des concepts, des cadres et des mthodes qui autorisent le passage duconnu en conu, stimulent mais assurent le design (dessin/dessein), le gnie (geneia,ingenium), cest--dire la cration de formes praticables, dutopies dont certainesdeviendront topiques.

    Cette pense-l doit permettre la construction et la simulation de modles men-taux utiles au raisonnement, lapprentissage, la comprhension et la communi-cation. Elle est donc mtis16 qui combine simplification et respect de la complexitdu problme, permet de supputer le futur partir du pass/prsent, de situer le nou-veau par rapport au connu, de dsigner les zones dincertitudes pour appeler la vigi-lance

    Loin dune pense scientiste qui se serait persuade que la stratgie des organisa-tions humaines peut obir des lois tablies par un positivisme logique, cette connais-sance prouve ses modles construits aux expriences du monde et sattache expli-

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    15. Cf. les travaux de Herrmann, rapports, par exemple, par D. Chalvin, Utiliser tout son cerveau, ESF.16. Cf. E. Morin, la mthode, t. 3, op. cit., et M. Dtienne, J.-P. Versant, Les Ruses de lintelligence ; lemtis des Grecs, Flammarion, 1974.

    Figure 3LE CHAMP DE LAGIR STRATGIQUE

    FAIRE POLITIQUE manipuler les hommes

    FAIRE MAGIQUEmanipuler les chosescomme des hommes

    FAIRE TECHNOCRATIQUEmanuvrer les hommes

    comme les choses

    FAIRE TECHNOLOGIQUEmanuvrer les choses

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  • 40 Revue franaise de gestion N 160/2006

    Figure 4LES DEUX JEUX DE LA PENSE

    Figure 5LES DEUX HMISPHRES DU CERVEAU

    SYSTME CORTICAL(la pense)

    CONTRLECONSERVATEUR

    PLANIFIORGANIS

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    LOGIQUEANALYTIQUE

    MATHMATIQUETECHNIQUE

    RAISONNEMENT(Algorithmique)

    CRATIFSYNTHTIQUE

    ARTISTIQUEGLOBAL

    CONCEPTUALISATION(Heuristique)

    CONTACTTRANSFORMATEUR

    MUSICALSPIRITUALISTE

    EXPRESSIF

    SYSTME LIMBIQUE(les motions)

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  • citer leurs conditions de viabilit. En ce sens, elle accueille le positif pour linscriredans une phnomnologie constructiviste. Elle sollicite donc toutes les ressources delintelligence de lhomme.

    2. Une (r)ouverture des procdures de raisonnement

    La pense stratgique ne peut se dployer lintrieur du cadre troit de lalogique dductive/identitaire (Morin), ensembliste (Castoriadis), que lpistmolo-gie occidentale a absolutise en transformant un instrument de connaissance (organon dAristote) en cours de cassation pour reprendre la formule dEdgarMorin17.

    Formidablement efficaces quand leur usage respecte approximativement lesconditions aristotliciennes mme temps, mme relation les trois principesdidentit, de non-contradiction et du tiers exclu touffent la pense quand lobjet decelle-ci ne peut, par essence, satisfaire ces conditions.

    Tel est bien le cas de la stratgie comme nous lavions argument dans un texteprcdent18. La pense stratgique doit placer en son centre et non comme caslimite les couples ago-antagonistes19 qui fondent sa raison dtre :actualisation/potentialisation (Lupasco), stratge/stratgie, libert/adaptation, autono-mie/dpendance, apprentissage/raction, projet/opportunisme

    II convient donc de se (re)donner les moyens de penser la complmentarit des antagonismes, les luttes cooprations et les dialectiques gnralises (Perroux)dans le cadre dun paradigme dialogique qui accueille la logique, ncessaire lintelligibilit mais autorise son dpassement, indispensable lintelligence (Morin).

    Loin dtre un scandale pour lesprit, cette redcouverte du phylum ago-antago-niste peut sancrer dans lhistoire de la pense humaine comme la fort bien montrWunenburger20. DHraclite et Hippocrate Piaget en passant par Kant, Pascal,Bergson et bien dautres, la philosophie, la psychologie, la mdecine, la thermodyna-mique et naturellement la littrature (Hugo, Baudelaire, Shakespeare), ou les artsplastiques nous ont donn les fondements dune pense de lharmonie contrastedes formes (Wunenburger) qui ne rcuse pas le tiers inclus, la mixit, la coprsenceet la coactivit des ples, le macro-quilibrage malgr/grce aux microdsquilibres,larc et la corde (N. Elias) plutt que la balance

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    17. E. Morin, La Mthode, t. 4, op. cit., 3e partie, chapitre 2.18. A.-C. Martinet, La logique paradoxale du management stratgique , Cahiers lyonnais de rechercheen gestion, n 11, p. 197-209, 1990.19. Cf. E. Bernard-Weil, Prcis de systmique ago-antogoniste, LInter-disciplinaire, 1989.20. J.-J. Wunenburger, La Raison contradictoire, Albin Michel, 285 pages, 1990.

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  • 3. Une pense cultive

    Le traitement inflig la culture dentreprise par une pense managriale simpli-ficatrice outrance dsigne bien, a contrario, la voie suivre par une pense de lacomplexit.

    Cest prcisment parce quelle complexifie que la culture rend plus intelligent(Lussato)21. Aux antipodes dune prtendue gestion dune culture forte en ralitrduite quelques strotypes sommairement extraits de leur contexte et sitt trans-forms en mots dordre les entreprises ne peuvent faire face la complexit quepar une gestion cultive, fine, subtile qui refuse des modles (et des modes)(re)devenus barbares force de simplification, rification, logique, analyse disjonctive

    Comme la bien marqu Lussato, la vraie culture signifie pense flexible, apte audiscernement, la diffrenciation, la hirarchisation, la comprhension synth-tique, la sensibilit aux diffrentes dimensions du fait humain, louverture et la tolrance, la concentration et lesprit critique.

    Bref, la pense cultive est polymorphe, polycentrique, polychrome et poly-chrome, polyglotte et polysmique Sont-ce ces attributs que lon retrouve parexemple dans de trs actuelles thories, mthodes et techniques de communication?Contre linteraction communicationnelle o la relation entre sujets est centrale , nese rfugient-elles pas dans le seul modle du tlgraphe qui se contente de transpor-ter des donnes digitalises et pures l o oprent ncessairement verbal et non-ver-bal, digital et analogique, contenu et contexte22

    Dans notre domaine, il sagit principalement dune pense du qualitatif quirenonce la mesure quand celle-ci dtruit les phnomnes examins, qui mobilisentdes savoirs divers (sciences sociales, sciences cognitives, mathmatiques, sciences delinformation et de la communication) en les articulant selon son projet propre ; unepense attentive, ex ante, aux conditions de sa mise en uvre dans laction, condi-tions qui faonnent le style et la porte de ses modlisations.

    On laura compris, cette pense se distingue fondamentalement de la connais-sance arrogante, trop souvent panouie dans la littrature et les enseignements mana-griaux. Connaissance arrogante qui se pare tour tour des habits du scientisme enforgeant des modles rputs dire le vrai (substantiellement) ou, plus frquemment,ces dix dernires annes, du masque de la simplicit oprationnelle autorisant dejeunes dcideurs, trancher de tout, toujours et partout.

    42 Revue franaise de gestion N 160/2006

    21. B. Lussato, G. Messadie, Bouillon de culture, Laffont, 261 pages, 1986 et B. Lussato, le Dfi culturel,Nathan, 184 pages, 1989.22. Cf., par exemple, Bougnoux, La Communication par la bande, La Dcouverte, 278 pages, 1991, et sonprcdent ouvrage Vices et vertus des cercles, La Dcouverte, 266 pages, 1989.

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  • III. Une pense qui interroge ses propres constructions

    Sauf sombrer dans un hyperpositivisme naf, il nest plus gure possible derevendiquer lobjectivit, la neutralit et le dsintressement de la connaissance, ft-elle scientifique.

    Quoi quil en soit, il nous parat trivial mais semble-t-il inutile de rappeler quela connaissance en sciences de gestion, et spcialement en stratgie i) ne peut pas treneutre, ii) ne doit pas ltre. Elle est toujours normative, par construction, puisquellecharrie cadres mentaux, visions du monde, prfrences idologiques, dont elle nepeut se dpartir mais quil lui appartient dexpliciter. Elle na dautre raison dtreque propositionnelle du nom pour ceux de ces auteurs que la socit rtribue pourpenser.

    1. Un questionnement pistmologique consubstantiel la pense qui se construit

    Admettre le caractre ncessairement normatif de la connaissance stratgiqueconduit ipso facto rcuser deux positions frquentes et qui, dailleurs, se rejoignent :soit considrer que les mtiers de producteur dnoncs scientifiques et dpistmo-logue sont disjoints ; soit sabriter, une fois pour toutes, sous lombrelle scurisantedun paradigme objectiviste et neutraliste en posant que la qualit technique desmthodes rgle automatiquement la question de la scientificit.

    Le chercheur dintention scientifique, producteur dnoncs enseignables dontpeuvent semparer les acteurs sociaux pour guider/justifier leurs actions, est aucontraire invit un double effort de conscientisation et dexplicitation des fonde-ments pistmologiques et des conditions de recevabilit, de mise en uvre de sesdiscours. Sil doit autoriser et dailleurs participer la tradition critique qui caractrise, a minima, le fonctionnement collectif de la production scientifique,encore faut-il quil donne voir, autant que faire se peut, les composants de sesproduits23.

    En ce sens, et spcialement dans notre domaine, lautocontrle premier passencessairement par un travail dcriture au sens plein de ce terme. Celle-ci ne sauraittre vue ce qui serait dailleurs conforme au modle du tlgraphe comme le vhi-cule neutre, digitalis et pur, de rsultats acquis pralablement et par ailleurs. Elleest construction de sens, reprise mais transformation de donnes recueillies Pour-quoi ? Comment ? Pour quoi faire ? tant dans le champ empirique que dans le champthorique. Les lots de langage formalis que peut contenir le discours ne peuvent

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    23. A.-C. Martinet, coord., pistmologies et sciences de gestion, Economica, 1990.

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  • quentrer en interaction avec locan de langue naturelle que les spcificits dudomaine ncessitent. Les risques mais aussi la richesse de la polysmie ne peu-vent tre limins, de mme que la naturalisation des discours ds lors quils seconcrtisent dans les pratiques. II reste cependant possible et indispensable de lesinterroger.

    2. Une pense qui se saisit de ses propres discours

    De faon voisine de ses prdcesseurs le marketing notamment le discoursstratgique appliqu lentreprise a merg, sest dvelopp et se rpand aujourdhuide faon explosive.

    Sauf ntre quun sophiste, le chercheur en stratgie ne peut se rsoudre ajou-ter sa voix au cortge des experts dont la survie professionnelle dpend de la vitessede naturalisation du discours.

    Si les bouclages

    discours fi pratiques et connaissance fi pouvoir

    sont dsormais acquis, alors il faut bien admettre que les discours, loin dtre unereprsentation iconique de la ralit, sont enchsss dans des pratiques/institutionssociales qui reproduisent leur faon de voir et renforcent leur pertinence (sinon leurvrit).

    En ce sens, la stratgie fait partie intgrante des actions et des pratiques quelleest cense expliquer ou justifier, comme tous les discours sur la gestion dailleurs24.

    Mais son essence la rend particulirement vulnrable ou excessivement sredelle, ce qui revient au mme parce quelle est modle cognitif de construction deproblmes plus que technique de rsolution, parce quelle entretient une relationrcursive avec le politique.

    Puisquelle est discours de construction de problmes, il ny a rien dtonnant ce quelle ait une forte propension dfinir les problmes en des termes que le dis-cours peut matriser. la limite, le discours constitue les problmes auxquels il pr-tend apporter une solution. II est videmment moins tent de dsigner les zones surlesquelles il naurait, au moins provisoirement, rien dire.

    44 Revue franaise de gestion N 160/2006

    24. Sur toutes ces questions, cf. D. Knights, G. Morgan, Corporate Strategy Organization and Subjecti-vity: A Critique, Organization Studies, vol. 12, n 2, p. 251-273, 1991.

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  • Parce que le stratgique entretient ncessairement une relation rcursive avec lepolitique, le discours qui conceptualise le premier peut tre utilis comme techniquedexercice du pouvoir25.

    Que lon songe un seul instant la formidable intrusion du vocabulaire strat-gique dans la plupart des domaines de la gestion. II ny a plus gure de cadres qui nerevendiquent la dimension stratgique de leur activit ; lachat dun power (!) bookdApple sinscrit videmment dans une stratgie bureautique !

    La transformation discursive de la gestion du personnel en management strat-gique des ressources humaines est cet gard rvlatrice. Tant que lon a pu, lgiti-mement, grer les hommes comme des choses, point na t besoin de rechercher unebannire autre quoprationnelle. partir du moment o cette lgitimit vacille, lesmanagers concerns doivent en trouver une autre et, au moins, soffrir une scuritpsychique minimale en se posant comme acteurs stratgiques, cest--dire partielle-ment matres du destin du champ quils grent.

    Que lon prte attention, de la mme faon, lextraordinaire succs du discourssur le leadership. mesure que la complexit et la turbulence saccroissent, aug-mente, dans le monde occidental au moins, lanxit des dirigeants comme des diri-gs. La dsignation et la survalorisation des leaders offrent une base de lgitimit auxpremiers et dlivrent partiellement les seconds de langoisse puisquil est ditqu il y a un pilote dans lavion .

    Les sciences de gestion ne peuvent navement dans le meilleur des cas, de faonmercantile dans le pire postuler que les problmes sous analyse ont une existenceontologique telle quelle. II leur faut aussi tudier les fonctions quexercent leurspropres discours. II ny aurait rien de dshonorant reconnatre quune partie de lapense stratgique ne sert pas rsoudre les problmes du mme nom mais est deve-nue un anxiolytique. Rle tout fait lgitime puisquil est admis quau-del dun cer-tain seuil le stress inhibe toute action. Cela servirait au contraire sa scientificit et sadignit, et contribuerait la dmocratie organisationnelle.

    Mais cette prise de conscience/reconnaissance passe par lanalyse des condi-tions historiques qui rendent possible et font voluer le discours. Cest--dire sagnalogie26.

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    25. Cf., par exemple, M. Edelman, Pices et rgles du jeu politique, Le Seuil, 253 pages, 1991.26. Cf., bien sr, luvre de M. Foucault, en particulier Les Mots et Les Choses, Gallimard, 400 pages,1966, et LArchologie du savoir, Gallimard, 280 pages, 1969.

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