Strat gies identitaires dans des contextes ritualis s
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CENTRE DE RECHERCHE SUR LES LOGIQUES
SOCIALES ET LES STRATEGIES SYMBOLIQUES
'IDENTITES CULTURELLES ET APPARTENANCES REGIONALES"
Appel d'offre de la Mission du
Patrimoine Ethnologique
"STRATEGIES IDENTITAIRES DANS DES CONTEXTES RITUALISES"
Vol. 2
Qass)
SAINT LAURENT D'AIGOUZE : LA TRADITION SANS HISTOIRE
C. BRUCKNER - P. VALARIE
Centre National de la Recherche Scientifique - Domaine de Lavalette -Avenue du Val de Montferrand - 3U100 Montpellier - Tel : 67.5b.55.50.
Organismes de gestion : COOP RECHERCHE et CHERCHE MIDI - 510 Route de Mende 3U100 Montpellier- Tel : 67.5h.01.30. ^ % r
S O M M A I R E
IITRODUCTIOI 1
- Chapitre preaier:St laurent d'Aigouze, un village de
Camargue 10
1-1: Données sociales, économiques du. terrain 11
1-1-1: Situation géographique 11
1-1-2: Population. Données démographiques 13
1-1-3: Activités productives 14
1-1-3-1: Agriculture 14
1-1-3-2: Artisanat et petit commerce 17
1-1-3-3: Industries 18
1-1-4: Catégories socio-professionnelles 20
1-1-5: Parenté 21
1-1-6: Religion 22
1-2;La bouvino;, un. groupa d'appartenance.
Histoire et. symbolique 25
1-2-1: Historique de la tauromachie
en Camargue T. .25
1-2-1-1:Des origines au XVI ème siècle 25
I-2-l-2:Du Moyen Age au XIX ème siècle 27
1-1-1-3:Bref historique de la course 29
1-2-2:Du XIX ème siècle à nos jours: la Bouvine
Pratiques symboliques et reproduction des
pratiques sociales 32
1-2-2-1: La Nacioun Gardiano 32
1-2-2-2: L' idéologie 34
1-2-3: La Bouvine: un ensemble organisé 36
- Chapitre second: Les étrangers 41
II—1 ; LES. modes, d'arrivée sur. la. scène. locale. 46
II—1—1: Les travailleurs immigrés 46
11-1-2: Les fonctionnels 47
11-1-3: les agriculteurs non originaires 47
11-1-4: Les conjoints non originaires 48
II-1-5: Les touristes 48
II-2; Les. statégies d' intégration 49
11-2-1: Les travailleurs immigrés 49
11-2-2: Les fonctionnels 52
II-2-3: Les agriculteurs installés et les
propriétaires étrangers 56
11-2-4: Les conjoints non originaires 59
11-2-5: Les touristes " 62
-Chapitre troisième; Les fêtes 65
III-l; Fêtes de. la. bouvineL description
ei. représentations sociales 65
III-l-l:Les fêtes internes à la manade 70
III-1-l-l: la muselade 70
II1-1-1-2: Le bistournage 71
II1-1-1-3: La ferrade 71
II1-1-2: La bouvine au village 79
III-1-2-1: Abrivado 79
III-1-2-2: Encierro 81
III-1-2-3: Le taureau à la corde 82
III-1-2-4: La course camarguaise 83
III-2: La Îfiifî. Votive 89
iH-3! Les. aiiires. îèiss. 100
III-3-l:Le carnaval 101
III-3-2:La fête paroissiale 102
III-3-3:Le loto 103
-Chapitre quatrième; Vie associative- Vie municipale 105
IV.-l:, La. Vie, associative 110
IV-1-1: Typologie des associations 110
IV-l-2:Les associations
et leurs idéologies 112
IY-2:Vie politique ei yls. municipale. 120
IV-2-1:Histoire de la vie
municipale 122
IV-2-2: Vie politique et tradition 126
IV-2-3: Les rapports Municipalité / Associations 133
COICLUSIOI 136
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE
ANNEXES
INTRCDDUCTI ON
- 1 -
Si l'image de l'ile s'applique à une region, c'est bien à la
Camargue. Territoire insulaire, peuplé de flamands roses et de chevaux
blancs, dans les representations qu'en proposent les dépliants
touristiques, territoire insulaire par l'état souvent délabré et tenu
des reseaux routiers qui le rend relativement impenetrable, territoire
insulaire, enfin, par son aspect inhospitalier: climat humide,
moustiques, ... Image d'une ile, mais d'une ile deserte dont les limites
restent floues et varient d'un discours à l'autre, qu'il s'agisse des
discours savants du géographe ou du folkloriste, ou des discours
populaires des habitants eux mêmes. Le fait que la Camargue ne soit pas
un territoire institutionnalisé à travers un decoupage politico-
administratif induit le caractère d'enjeu, identitaire entre autres,à
l'appartenance ou la non appartenance à ce territoire.
Pourtant à regarder la Camargue, non plus à travers les images
qu'en proposent les dépliants touristiques (images qui combinent le far-
west et l'Afrique des safaris) où encore celles divulguées par la
plupart des productions cinématographiques grand public, elle apparait
comme multiple et fortement contrastée. Contraste fart par exemple entre
la Camargue de l'est fortement industrialisée, proche de grandes villes
comme Marseille- la Camargue des Salins de Giraud et de Fos sur Mer- et
la Camargue de l'ouest, viticole, fortement rurale et peu
industrialisée, la Camargue Languedocienne. Contraste fort également
entre la Camargue des villes ( Arles, St Gilles, Vauvert. . . ) et la
Camargue rurale, dépeuplée et composée de petits bourgs et de hameaux,
ou encore celle des grands mas qui se peuplaient de façon intermittente,
il y a encore peu de temps, d'ouvriers agricoles étrangers, au rythme
des travaux saisonniers. Contraste, aussi, entre la Camargue des petits
propriétaires (éleveurs, viticulteurs) et celle de la riziculture, des
grandes exploitations aux propriétaires "invisibles", de l'agriculture
intensive. Contraste, encore, entre la Camargue de la Crau, celle des
Alpilles espace d'un tourisme distingué et la Camargue du tourisme de
masse, celle de la Grande Motte et des Saintes Maries de la Mer.
Les modes de développement économique et social de la Camargue
apparaissent, dans les différentes recherches qui ont été menées sur ce
theme, comme largement explicatifs de ces contrastes, de ces inégalités.
- 2 -
Les travaux de B. PICON et A. DEGENNE <1>, montrent à quel point la
gestion de l'espace naturel et les différents modes d'évolution des
rapports sociaux sont liés en Camargue. Les différents modeles de
développement qui se sont succédés sur ce territoire depuis plus d'un
siècle et demi, soit sous l'impulsion directe de l'Etat, soit sous son
arbitrage, se sont imbriqués sans toutefois s'homogénéiser. Le
développement de l'industrie sauniere, les strategies de resistance des
propriétaires terriens à cette extension, les interventions d'arbitrage
de l'Etat, son intervention directe par le biais du Parc Regional dans
la zone deltaïque,. . . autant de bouleversements qui sont venus se
télescoper et qui expliquent la coexistence plus ou moins pacifique
d'un, ou plutôt de plusieurs, modeles de société rurale traditionnelle,
d'un modele d'agriculture intensive transformant l'espace social et
enfin d'un modele de société industrielle où s'imbriquent des segments
plus ou moins vivaces de sociabilité locale avec des sociabilités
"modernes" et cosmopolites, des identités spatialisées et des identités
transverses. Dans ce contexte de rupture multiple, de renversements des
alliances, de politiques publiques d'intervention diverses, peut on
encore parler d'identité locale, ou plutôt d'une société locale qui soit
encore une matrice spécifique à partir de laquelle se produisent les
identités. Parler de Camarguité, cela a-t-il encore un sens aujourd'hui?
nous n'avions pas pour ambition de depart de repondre à cette question,
notre terrain d'étude se réduisait à un bourg, situé sur une zone bien
spécifique, et si nous avions posé la nécessité d'analyser les rapports
de la société locale St Laurentaise avec la revendication d'une identité
camarguaise, cette dernière n'apparaissait que comme marginale dans le
projet initial. Nous posions l'hypothèse de caractéristiques spécifiques
â St Laurent, hypothèse dont il nous fallait verifier la pertinence. En
cours de recherche, nous nous sommes aperçus que la Camargue comme
matrice identitaire était un theme recurrent à l'ensemble des discours
qui portaient sur l'appartenance à un territoire géographique et
symbolique. L'histoire de St Laurent racontée par ses habitants,
l'espace symbolique de reference sur les fêtes qui rythment la vie
sociale et culturelle du village, les "marqueurs" mobilisés pour
(1) Voir bibliographie thématique
- 3 -
affirmer les identités,... autant d'éléments qui passaient par le Pays,
reference à une Camargue dont ces discours occultaient les divisions,
l'hétérogénéité et qu'ils reconstruisaient comme un pays unifié autour
de ses traditions, à partir d'un sentiment d'appartenance partagé. Ceci
nous a amené à largement ouvrir l'étude sur les modes de production de
cet espace symbolique , tant du point de vue historique, que du point de
vue idéologique. En d'autres termes comment et à partir de quels enjeux
s'était construite cette reference identitaire? Kais cette affirmation
d'une reference unique se combinait avec l'affirmation de plusieurs
camargues dans le champ du culturel. La Camargue de St Laurent renvoyait
dans un premier temps à un espace mythique: celle de Mistral, de
Baroncelli, celle de la culture du Taureau. Une Camargue des ancêtres,
ne reniant pas ses traditions opposées à celle de l'urbain, de
l'acculturation à la société globale définie le plus souvent comme une
société de profit et d'individualisme. Si tous les discours des
différentes personnes interviewées ne se referaient, pas avec la même
force et la même conviction à ce territoire symbolique.ee dernier n'en
constituait pas moins la reference centrale, le passage obligé. C'est à
partir de lui que se jouaient les strategies d'intégration ou
d'exclusion diverses. La bouvine comme ensemble organisé venait clore
cette légitimité et la reproduire. Cette Camargue de la bouvine
coïncidant, dans le discours des habitants, avec un territoire
géographique, aux limites indéfinies, la Petite Camargue, situé dans un
triangle s'étalant de Himes à Arles, et d'Arles à Aiguës Mortes. C'est
pourquoi tout au long de ce rapport nous serons amenés à articuler ce
qu'il en est des strategies identitaires à St Laurent avec ce système
idéologique que symbolise la Camargue sur le plan des representations,
que ces strategies actualisent ou tentent de fracturer.
Si la Petite Camargue a été marquée par les bouleversements que
nous venons d'évoquer, elle ne les a subis que de maniere atténuée:
l'industrialisation ne fut que tardive et reste faible < après la
seconde guerre mondiale), elle ne fut guère touchée - sauf dans le pays
d'Arles- par l'extension de l'agriculture industrielle, l'appropriation
du foncier se fit de maniere très parcellisée et la petite propriété
reste encore le mode d'agriculture dominant. Zone de viticulture
- 4 -
essentiellement, elle presente pour une large part les caractéristiques
de ce point de vue du Midi Viticole: déclin économique enrayé avec plus
ou moins de succès par des cultures alternatives, rapport de type
assistanciel avec l'appareil d'Etat dont les politiques jouent comme
contrainte forte sur la production viti-vinicole, développement
technologique faible du secteur agricole, evolution vers la bi-
activité Dans ce cadre, St Laurent d'Aigouze apparaît comme un
village type de cette zone, même si un certain nombre de traits le
distingue.
La premiere caractéristique qui frappe quand on arrive à St
Laurent c'est ce fort sentiment d'appartenance de la plupart de ces
habitants et la revendication du stigmate de sauvage,"d'un peuple de non
civilisés", têtu et fier, à l'image de son pays et de ses taureaux. Pas
un discours sur le village qui ne fasse appel à cette dimension.
La deuxième caractéristique est l'omniprésence de la bouvine,
cafés aux murs encombrés de photos de course camarguaise, façades de
maisons tatouées aux couleurs de telle ou telle manade, tridents
fetiches sur les calandres des voitures, affiches annonçant les
prochains événements taurins,... multiplicité des marqueurs renvoyant à
un referent unique.
Troisième caractéristique, l'importance de la fête dans les
representations que les habitants produisent sur leur village, que ces
representations soient à usage interne ou destinées à l'extérieur. De
façon shematique St Laurent se donne à voir comme un village de taureaux
et de fête, un village de "rouspéteurs" et de "rebelles" contre le
centre et plus globalement contre la société englobante. Le monopole du
PC sur la municipalité est presenté par les habitants eux mêmes comme la
marque de cet etat d'esprit, de cette seconde nature en quelque sorte.
Enfin, les St Laurentais se présentent comme des gens de
tradition, cette tradition que nous évoquions précédemment en évoquant
Mistral et Baroncelli, héritée de ces prestigieux ancêtres et qu'il
s'agit de défendre et de poursuivre, de sans cesse reactualiser.
Cette indivision apparente de la communauté demandait
d'interroger les conditions de production de ce consensus, les enjeux au
sein de la société locale qui expliquaient son maintien et de mieux en
comprendre les lignes de fractures eventuelles. Comment les identités
- 5 -
par definition transversales au local, comma les identités
professionelles s'articulaient elles avec la matrice identitaire locale?
Répondre à cet ensemble de question demandait également de mieux
cerner les rapports que le système social local nouait avec la société
englobante et plus particulièrement la place des notables dans ces
relations, de mesurer l'ampleur de leurs reseaux dans l'appareil
administratif local, mais également leur capacité à manipuler les
representations et symboles par lesquels la société locale se pense et
se represente sa realité.
L'étude de l'histoire démographique de St Laurent est venue dans
un premier temps fracturer l'idée qui nous était présentée d'une
communauté rurale traditionnelle, ancrée dans l'histoire. Les St
Laurentais étaient pour la plupart des émigrés, installés au siècle
dernier sur la commune et salariés agricoles dans les grands mas gérés
par des propriétaires terriens habitant dans les villes pour fuir des
conditions de vie extrêmement difficiles et par consequent fort peu
presents sur la scene locale. La redistribution du foncier datait de la
fin du siècle dernier par la conjonction de deux processus, la crise des
grandes propriétés et leur démantèlement au profit de certains de ces
émigrés devenus fermiers, l'extension de la viticulture dans cette zone
où la possibilité d'immersion de la vigne permettait de combattre le
phyloxera. C'est à partir de cette date que St Laurent prend ses allures
de bourg rural.
La mise en perspective de cette premiere etude avec l'histoire
de la bouvine montrait que si les activités taurines existaient depuis
longtemps sur la zone, elles ne s'étaient struturées telles que nous les
observions que depuis le debut du siècle sous l'impulsion du Marquis de
Baroncelli et que les traditions dont les St Laurentais se reclamaient,
étaient largement liées au développement des ideologies regionalistes du
Felibrige dans les années 1920. La bouvine comme système idéologique et
comme système social organisé était en large partie issue de ce
processus. Le traditionnalisme de St Laurent pouvait alors être
interprété comme l'appropriation par une communauté en quête de
representations d'elle même, d'idéologies se fondant sur la terre et le
sang construites par un groupe de notables qui menaient combat contre
le développement d'un Etat central. Sa constitution en tant que système
- 6 -
social nécessitait un travail symbolique dont les instruments se
trouvaient ainsi disponibles. La ritualisation du social en même temps
qu'elle faisait advenir une identité locale spécifique propre à assurer
l'unité de la communauté venait naturaliser les divisions sociales,
notamment entre les petits propriétaires et les salariés agricoles que
viendront remplacer, en partie, dans les années d'après guerre les
travailleurs marocains.
L'absence de groupes professionnels dominants est également une
caractéristique de la société locale. L'installation dans les communes
avoisinantes a favorisé la prolétarisation d'une large partie de petits
viticulteurs appelés à disparaître. Mais employant une main d'oeuvre peu
qualifiée, elles n'ont pas été generatrices d' identités professionnelles
transverses à l'identité locale. L'identité des groupes ouvriers de St
Laurent se structure fortement autour du local. Ce processus de
prolétarisation peu professionnalisé d'une partie importante de la
population s'est manifesté par une inversion des alliances politiques
au niveau local se soldant par un changement de l'équipe municipale il y
a trente ans, passant de la droite conservatrice à la gauche communiste.
Modification qui apparait comme le fruit d'une alliance objective des
bi-actifs et des ouvriers agricoles. La tertiarisation n'est pas un
phénomène dominant, et si elle se manifeste sur le plan politique en
alliance avec les professions liberales et certains agriculteurs, sa
capacité à imposer une modification sensible des representations
dominantes dans le sens de ses intérêts reste aujourd'hui réduite.
Autant de facteurs qui affaiblissent notre hypothèse de depart d'un role
consequent du secteur tertiaire sur la société locale, comme porteur de
modernité et vecteur des logiques de la société globale dans le système
social territorialisé.
Cette vie politique de St Laurent n'est pas marquée par le role
de notables tels que les définissent les sciences politiques. La
capacité d'intervention de la municipalité reste réduite et les reseaux
dans les administrations territoriales sont quasi inexistants. Pas de
personnalité à la Mairie. Le Maire lui même est un ouvrier des Salins du
midi et il tient plus sa position de sa place dans les reseaux de
connaissance du village que par ses relations externes. De l'avis des
différentes administrations territoriales importantes ( DDE, DDA,...> la
- 7 -
municipalité joue un rale mineur dans la gestion de la vie économique et
sociale de St Laurent. Cette absence de notables politiques
traditionnels s'explique en partie par l'histoire. Pas de tradition
notabiliaire sur cette region où les propriétaires étaient
essentiellement dans les grandes villes et n'occupaient pas la scene
politique. Deuxième element explicatif, l'extériorité relative de la
gestion des instruments symboliques du champ politique et administratif,
instruments à partir desquels se construisent et se légitiment les
systèmes de representation qui forment le cadre des strategies
identitaires possibles ou concevables. Un personnage central dans la
gestion de ses instruments symboliques: le manadier, et plus globalement
les personnages importants de la bouvine producteurs et reproducteurs de
sens sur les différents rituels que structure et qui structurent la
bouvine. Ce sont eux qui contribuent largement à instituer et legitimer
les modes de reconnaissance sociale dominants dans la société locale,
garants à la fois de la tradition, des representations collectives "déjà
là" qui jouent fortement comme contraintes sur la production des
identités à St Laurent et structurent le cadre de toute activité
symbolique.
L'absence d'un mouvement associatif alternatif fort à St
Laurent, à la fois cause mais aussi effet de ce quasi monopole de la
bouvine, lié également à une representation relativement faible des
classes moyennes sur la scene locale, est une donnée importante de la
vie sociale locale. Regroupées essentiellement dans les associations
sportives, elles ont constitué ainsi un lieu d'animation spécifique et
autonome mais qui reste à usage interne à ce groupe. Leur resistance au
système de representation dominant de St Laurent est fortement
marginalisée et les autres groupes sociaux les désignent comme des
donneurs de leçon.
Le système politique lui même est fortement contraint par cette
"extériorité" du pouvoir symbolique et les strategies qui lui permettent
de s'assurer une représentativité suffisamment large l'obligent à
composer avec cette situation. Les clivages droite/gauche passent par
ceux entre un comité des fêtes communiste et un club taurin dirigé par
un leader de droite. Mieux, il semble que cette "cohabitation" soit une
caractéristique de la vie politique locale depuis 1'après guerre. Le
- 8 -
contre pouvoir dans le champ politique se structure en articulation
forte avec la bouvine comme système organisé mais également comme
système de representation et passage obligé de toute représentativité.
L'animation du village n'est pas le fait de professionnels. Les
logiques de participation et de mobilisation se font essentiellement à
l'idéologie. La fé, veritable système de croyance, est le support
essentiel à toute mobilisation collective. C'est pourquoi nous nous
sommes plus particulièrement attachés à mieux cerner les rapports de
l'institution "bouvine" avec le système social local, institution qui
produit de la coupure symbolique par le biais des rituels tout en
reproduisant le mythe de l'indivision sociale contre la société
englobante et ses tentatives de recuperation. Peut on considérer la
bouvine, dans ce cadre, comme une stratégie de resistance de la société
locale contre la société globale, contre l'Etat?
Ce shema interprétatif est trop caricatural pour rendre compte
des rapports entre ces deux poles dans cette situation. Si la
confrontation à l'Etat Central est une constante dans les discours sur
ce theme, cette recurrence occulte un mode d'interpénétration
particulier dans lequel la bouvine joue un role de mediation non
négligeable. Elle même fortement divisée, elle est l'espace de gestion
de beaucoup de conflits qui traversent la société locale et des
multiples fractures dont elle est l'objet. La professionnalisation
rampante du rituel, l'introduction en son sein de rationnantes
économiques "importées", la confrontation à la société marchande par le
biais de la commercialisation du rituel, autant d'objets de division
interne qui menacent l'unanimisme de façade. La bouvine se presente
alors comme un espace de mediation où s'opèrent les micro ajustements
nécessaires dans les rapports avec la société englobante. Victime de son
succès en quelque sorte elle se trouve au centre des conflits
"Centre/Peripherie" à l'exemple de sa mobilisation contre l'installation
d'une reserve de gaz naturel non loin de St Laurent.
Cette focalisation de notre recherche sur les rapports entre la
bouvine comme cadre des pratiques rituelles et reproduction sociale
présentait le danger de naturaliser en quelque sorte les strategies
identitaires dominantes et de contribuer à marginaliser les modes
d'accès à d'autres identités périphériques. Cerner les modes de
- 9 -
production de ce cadre, ses strategies de legitimation, nous a semblé
permettre d'éviter ce risque . La bouvine assure en large partie les
fonctions de la notabilité traditionnelle et détient à ce titre une
position clé dans la production des identités, dans leur legitimation.
Elle verrouille ainsi l'accès aux identités concevables. Nous essaierons
d'observer les strategies identitaires périphériques, de cerner quelles
sont les institutions de legitimation alternatives. Force est de
constater aujourd'hui que la ritualisation du social demeure intacte et
que l'accès à la reconnaissance passe majoritairement par l'inscription
dans ce processus.
C H A P I T R E PREMIER
ST LAURENT D' ATGOUZE
UN VILLAGE DE FETITE CAMARGUE
- 10 -
Ce chapitre se donne une double fonction:
-Décrire le cadre social et économique de St Laurent à partir de
données, soit IHSEE, soit que nous avons recueillies dans les archives
municipales ou aux archives départementales. Les premieres pistes
d'interprétation que nous esquissons, ici, seront reprises et
développées pour la plupart dans les chapitres suivants
-Amorcer, par le biais d'un premier historique, la bouvine comme
cadre dominant des representations symboliques et du traditiannalisme
sur lequel nous nous attacherons plus particulièrement en termes
d'analyse.
Il nous a semblé utile dans un premier temps de fournir une grille
de lecture de ce rapport, sorte de cadre general à partir duquel les
autres chapitres, plus problématiques, s'articulent.
- 11 -
1 - 1 ^ D o n n ^ g g s o c i s 1 g> s f ^ c n n o m i a u p g rtu t e r r a i n
1-1-1:, Situation géographique
Mi-terre, mi-eau, ni terre, ni eau, les marais camarguais s'étendent du
Vidourle au Grand Rhône,d' Arles à la mer. Le territoire ainsi délimité
par les frontières naturelles ne coincide pas avec le découpage
politique (il recouvre partiellement les départements du Gard, de
l'Hérault, des Bouches du Rhône et du Vaucluse) ni à une zone
géographique définie officiellement (la plaine de la Camargue se situe
entre le Grand et le Petit Rhône) mais à une representation de l'espace
telle qu'elle apparait dans le discours des indigènes qui différencient
d'est en ouest le pays d' Arles (à l'extrémité de la Provence), la
Camargue nîmoise (au sud de Hîmes) et la Petite Camargue (incluant les
étangs à l'ouest bordant la mer, à l'extrémité du Languedoc). Les villes
et villages éparpillés sur ce territoire ne trônent pas au milieu de
leur fief, mais font plutôt figure de postes-frontières entre deux ou
trois zones: Arles, dernier bastion de la Provence face au Languedoc qui
s'ouvre dès le Petit Rhône; les Saintes Karies de la lier, à cheval entre
le pays d'Arles et la Petite Camargue; Aiguës Kortes et St Laurent
d'Aigouze, portes de la Camargue tournant le dos à la plaine
montpeliiéraine.
La commune de St Laurent d'Aigouze se situe grossièrement à equidistance
des villes de Kontpellier (33 km) et d* Arles (40 km); à proximité de la
mer (15 km) et d'Aiguës mortes (6 km).
L'accès à ces villes est relativement rapide grâce à la départementale
979 que l'on emprunte à la sortie de St Laurent pour se diriger vers le
nord ou le sud. Cette route qui se situe juste en bordure du village
longe le Vidourle, frontière entre les départements du Gard et de
l'Hérault. Elle a été élargie en maints endroits pour permettre une
circulation rapide car elle est une des voies les plus empruntées en été
- 12 -
Kotte et les villages de vacances.Cette départementale D 979 mène donc à
la mer en direction du Sud et à la nationale 113, qui fait la liaison
avec Montpellier vers l'ouest et avec Nîmes vers l'est. Cet axe routier
était considéré comme une frontière entre pays "hauts montagnards" et
pays de plaine et de marais, étangs appelés "palus" qui couvrent ici une
majeure partie du territoire: La superficie en eau de St Laurent est de
3336 ha, soit 37,14 % de la surface totale de la commune. Les landes,
les prés couvrent 1048 ha, soit 11,6 %. Le total de la superficie non
utilisable pour l'agriculture car non drainée occupe donc près de la
moitié de la superficie de la commune.
La configuration spatiale de St Laurent et des communes limitrophes
présente toujours la même physiologie: au nord, nord-est est implanté le
village entouré de vignes, de vergers et de cultures fouragères ou
maraîchères; au sud, sud-est se trouvent de grandes superficies
couvertes de prés, de marais et d'étangs, terres à la végétation pauvre
où viennent paître les taureaux au printemps.
Plus au sud, franchies les tours d'Aiguës Mortes, les marais salins
s'étendent jusqu'à la mer. Ici et là, quelques vieilles tours de péage
se détachent sur la plaine marécageuse et désertique.
A l'Est, non visibles de la route commence la plaine marécageuse et
les étangs, terres de predilection pour l'élevage des taureaux et la
chasse des gibiers d'eau. Au nord-est les terres alluvionnaires. Au sud
les terres sablonneuses.
La presence des marais favorise l'invasion de moustiques et provoque
une forte humidité qui, s'associant l'été à une grande chaleur, rend les
conditions de vie difficiles. Si la demoustification recente et
l'installation de stations de pompage onx contribué à assainir la zone
il est à noter que ce climat inhospitalier a fortement joue sur le
peuplement de la Camargue et est explicatif de l'absence de véritables
communautés rurales sur la contrée jusqu'au XIXe siècle.
La terre est saline et les pluies d'automne salinisent fortement les
terres.
- 13 -
1-1-2: Population. Données démographiques.
St Laurent d'Aigouze compte actuellement <1> 1736 habitants. Malgré 1'
apport de nouveaux résidents ( environ 300 depuis 1970, dont une
centaine d'étrangers) la population diminue régulièrement depuis le
début du siècle (2310 habitants en 1903 ).(voir graphique de l'évolution
de la population légale de St Laurent).
Cette population se départage en un nombre quasi égal d'hommes et de
femmes ( respectivement 862 et 874 ).I1 est à remarquer la jeunesse de
la population: 24,5 % des habitants ont moins de 19 ans, 26,6%ont entre
20 et 39 ans, 23,6 % ont entre 40 et 59 ans, et 24,4 % ont plus de 60
ans.
La population active represente 41,7 % de la population totale dont
90,1% d' hommes entre 20 et 64 ans et 45,7 % de la même tranche d'âge
pour la population féminine.
Des 9,9 % d'hommes n'ayant pas d'emploi, 8,8% sont chômeurs. Par contre,
seulement 8,9 % des femmes inactives (54,3 % de la population feminine)
sont au chômage.
Le nombre de personnes de nationalité étrangère recensées en 1982 est de
97 (soit 5,5 % de la population totale), 70 personnes d'entre elles sont
actives et ont un emploi, 4 sont au chômage. Le nombre de personnes
étrangères a régressé depuis 1975 où il représentait 11 % de la
population totale (ainsi qu'en 1962 ).
(1) Source INSEE. Recensement 1982.
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i^dcrrv jou^cei, IA)SE£ AJJJ
- 14 -
Quelques remarques:
En ce qui concerne les étrangers leur nombre semble avoir augmenté
considérablement, puisque la mairie en recensait 203 en Juin 86 dont 144
marocains. Cette augmentation ne signifie pas forcément que le nombre de
salariés agricoles ait augmenté en de telles proportions. L'augmentation
des declarations à la mairie tient pour une large part au resserrement
des contraintes administratives sur les titres de séjour. Au delà de la
simple constatation, ce fait est interessant en ce qu'il marque l'état
de quasi clandestinité de cette population dans la vie locale.
S'agissant d'autre part d'une immigration "familiale" un phénomène
semblable à celui qu'il est convenu d'appeler "la deuxième generation"
apparaît sans encore être tres sensible.
La baisse de la population, outre la dénatalité, est la consequence
d'un exode rural massif de la population jeune vers les villes
environnantes et Karseille. A noter cependant que jusqu'à ces dernières
années l'implantation d'usines d'agro-alimentaire sur la region
immediate a enrayé le processus. La proximité des émigrés explique aussi
leur relative presence sur la scene locale, lîous sommes à vingt minutes
de Uimes et 45 mn de Kontpellier.
Nombre de femmes répertoriées comme inactives sont des femmes
d'agriculteurs qui travaillent sur l'exploitation et de maniere
saisonnière dans les entreprises de conserverie proches de la commune.
I-i-3: Activités productives.
1-1-3-1: Agriculture:
La ressource principale des habitants de la commune de St Laurent est
constituée par l'agriculture. Le Vidourle, fleuve qui arrose la plaine
nontpellièraine, est célèbre pour ses "vidourlades", débordements et
inondations aussi imprévisibles qu'intempestives. Il a amélioré la terre
par le dépôt de ses alluvions permettant la relative prospérité agricole
des communes qui le bordent.
- 15 -
A St Laurent, 203 des 226 exploitations agricoles recensées(soit
89,82%) produisent du vin de table, et accessoirement du blé, de l'orge,
du mais et du maïs fourrager. Ces exploitations sont de type familial,
dirigées par un chef de famille ayant dépassé la cinquantaine dans plus
de la moitié des cas (28,7 % des chefs d'exploitation ont entre 55 et 64
ans, 25,2 % ont plus de 65 ans).
Il s'agit pour plus de la moitié d'entre elles ( 53,09 % ) de
petites exploitations de moins de 5 ha. Les exploitations de 5 à 15 ha
représentent 33,62 %. 86,71 % des exploitations ont donc une surface
agricole de moins de 15 ha.(1)
Si la vocation agricole de celles-ci est, depuis le debut du
siècle,essentiellement viticole, les difficultés économiques dues à la
surproduction de vin en Languedoc Eoussillon et à l'importation de vins
étrangers ont poussé de nombreux viticulteurs à tenter de diversifier
leur activité. Pour les petits propriétaires, la bi-activité a constitué
une réponse au déclin économique de leur exploitation.
D'après l'inventaire préliminaire de 1' INSEE établi en 1973, la
superficie consacrée à l'agriculture est de 38,4 % de la superficie
totale de la commune, soit 3464 ha qui se subdivisent en:
- 1298 ha plantés en vignes (37,5 % de la surface agricole) dont
.1285 produisent du vin de table
.12 produisent du raisin de table
.1 produit du VDQS
- 818 ha plantés en céréales (23,7 %)
- 252 en légumes frais (7,4 %)
- 84 en cultures fourragères (2,5 %)
- £5 en cultures industrielles (2,5 %)
- 85 en vergers (2,5 %)
- 10 en légumes frais maraîchers (0,2 % ) .
Le reste se subdivisant en jachères (110 ha:3,1%), en cultures diverses
(27 ha:0,7 %) et en surfaces toujours en herbe (675 ha:19,5 % ) .
D'après les sources SAFER cette structure du foncier a peu évolué et la
tendance à la micro parcellisation est, préoccupante.
(1) Source INSEE : 1982
- 16 -
Ce phénomène est le produit d'un double processus:
- Le faible turn over du foncier a pour consequence que sa
circulation est fortement déterminée par la transmission familiale. La
division des propriétés entre héritiers est la tendance principale. Il
est à remarquer que la SAFER manque de stock sur la zone et que la
demande de la part de jeunes agriculteurs locaux est importante.
- La bi-activité a renforcé l'immobilisme du marché foncier. Les
exploitants qui travaillent dans les entreprises locales (voir
paragraphe suivant) augmentent leur revenu par l'exploitation de
parcelles qu'ils soustraient de cette maniere au marché. Ceci a pour
autre consequence de jouer comme frein à l'innovation. Ils ne sont pas
en position d'investir pour améliorer 1 ' encepagement et la structure
cooperative leur donne un poids non négligeable dans les systèmes de
prise de decision en matière de production viticole et de vinification.
De plus, à l'enjeu économique comme force d'appoint, l'enjeu est
également identitaire. Etre viticulteur c'est affirmer son attachement à
la terre, au village, à la Camargue, son appartenance au terroir mais
aussi au Midi viticole, à son histoire, à ses luttes. Etre propriétaire
d'une parcelle pour certains de ces bi-actifs, fils d'anciens ouvriers
agricoles, c'est marquer l'attachement et la fidélité à la famille.
"Vendre ma vigne ça serait un peu trahir la famille. J'ai trop vu mon père y travailler pour m'en séparer. Vous savez c'était la seule chose qu'il possédait, le reste du temps il travaillait pour les patrons. C'est pas pour ce que ça me rapporte c'est une maniere de poursuivre la tradition."(Petit propriétaire-Ouvrier Spécialisé chez Royal Canin)
L'enjeu est aussi le poids politique - au sens large - que le statut
de propriétaire confère. Nous y reviendrons, mais il est interessant de
noter que sur les huits agriculteurs au Conseil Municipal, six sont des
bi-actifs ne possédant tout au plus que trois ou quatre ha.
Si la politique viticole gouvernementale a eu ici des effets, les
jeux sur le foncier et la transformation des activités qui lui seraient
directement imputables sont relativement faibles. Les primes à
l'arrachage n'ont pas produit de maniere satisfaisante les effets
attendus, d'autant que les autres systèmes d'intervention et d'aides
diverses de l'Etat en atténuaient grandement l'effet attractif. La
- 17 -
principale motivation à l'arrachage a été provoquée par l'introduction
de la culture de l'asperge. Les terres sablonneuses ou alluvionnaires
sur le bord du Vidourle se prêtant bien à cette culture, l'arrachage fut
en partie effectif et les primes constituèrent une prime à
l'investissement demandé par cette innovation. Mais celle- ci a été
introduite avant la politique de reconversion du monde viticole, par des
agriculteurs qui possédaient les terrains adéquats, important les
méthodes du Vaucluse et du Kord de la Camargue. Ceci faisait suite à une
tentative d'implantation de pommiers qui, suite à l'effondrement du
marché, échoua...et fit l'objet d'une prime d'arrachage. Le marché de
l'asperge étant aujourd'hui porteur, les terres sablonneuses y sont
exclusivement consacrées, mais elles ne représentent à peine qu'1/5 des
terres cultivables.
Les autres terres sont soit marécageuses, regagnées sur les marais
et sont pour partie consacrées aux cereales, soit marno-argileuses. Leur
prix varie entre 120 000 F/ha (terres sablonneuses) à 25 000 F/ha pour
les terres marécageuses, 30 000 F/ha pour les terres prés du village
(alluvionnaires) à 55 000 F/ha pour un hectare de vigne plantée.
1-1-3-2: Artisanat et petit commerce.
Les entreprises artisanales de St Laurent sont au nombre de 21:
-7 entreprises de Maçonnerie employant au total 10 salariés
-5 " Plátrerie-Peinture sans salarié
-4 " Plomberie employant au total 7 salariés
-3 " Menuiserie " " " 2
-3 " travaux agricoles employant 3 "
-3 " matériels agricoles sans salarié
-1 Sellier
-1 vannier
Seule une de ces entreprises emploie plus de 10 salariés (14 à
l'époque de l'enquête). Il s'agit d'une entreprise de fabrication-vente
de meubles dont la clientèle excede la seule population locale.
L'artisanat, sans le petit commerce, emploie 33 salariés. Cet artisanat
local rencontre des difficultés croissantes de par la concurrence des
- l o
gros artisans de Lunel et Nimes et par le manque de candidats à la
succession.
Il n'existe pas de gros commerçant sur la commune, par contre on
denombre 15.petits commerces:
-11 commerces de detail employant au total 5 salariés
-6 " alimentation (3 boucheries) employant 2 salariés
-4 restaurants dont 2 hors du village employant 2 salariés
Soit un total de 9 salariés dans le petit commerce.
Il s'agit essentiellement de commerces familiaux, tenus par les
femmes de petits agriculteurs ou d' ouvriers agricoles.
Le poids politique de ces petits commerçants est du même coup très
faible, si l'on retrouve deux artisans au conseil municipal il n'y a
aucun petit commerçant.
1-1-3-3: Industries
Il n'y a pas de grandes entreprises industrielles sur le territoire
de la commune, mais les cantons environnants ont largement beneficié du
développement de 1'agro-alimentaire ces vingt dernières années. A mains
de dix kms deux grosses entreprises de ce secteur d'activité regroupent
à elles seules plus de 2000 salariés et emploient un nombre impartant de
saisonniers:
- La source Perrier sur la commune de Vergeze, qui outre
l'exploitation de la source passsede sa propre Verrerie et procede au
conditionnement du produit. Elle emploie près de 2000 salariés, dont la
quasi totalité est issue des environs immédiats.
- Royal Canin sur la commune de Gallargues emploie 200 salaries,
eux aussi issus des communes proches. Cette entreprise embauche
également des saisonniers dans les périodes d'accroissement de
l'activité.
A coté de ces deux entreprises importantes existent de petites
conserveries employant environ une centaine de salariés fixes en grande
majorité feminin et un grand nombre de saisonniers. Si les conserveries
furent relativement prosperes dans les années 60 cette activité a peu à
peu decliné enrayant le prosessus de développement du salariat feminin.
- 19 -
Dernier volet de l'agro alimentaire local, une distillerie à Lunel
la SICA FINEDOC qui regroupe environ 150 salariés.
L'industrie saliniere, beaucoup plus ancienne, emploie environ 500
salariés. Situés sur la commune d'Aiguës Mortes, Les Salins du Midi ont
été pendant longtemps les plus gros employeurs de la region. Sorte de
deuxième pôle d'activité faisant concurrence à iïimes.
Le secteur des BTP constitue également un pôle d'activité important
avec l'entreprise BEC sur Lunel qui compte 400 salariés. Cette
entreprise en expansion au niveau local est fortement implantée et
participe à l'animation locale par l'acquisition d'une manade et sa
participation de ce fait à la vie de la bouvine.
Enfin, dernier secteur d'activité important localement, le textile
avec les entreprises Eminence regroupant environ 300 salariés, main
d'oeuvre en grande partie feminine. Ce secteur d'activité est
aujourd'hui en perte de vitesse. La reduction des effectifs viendrait
diminuer les possibilités de travail feminin.
La caractéristique premiere de ces entreprises est qu'elles
emploient de la main d'oeuvre peu qualifiée et que nombre d'entre elles
ont fait le choix du développement de la mécanisation du processus de
production. Les cadres supérieurs de ces entreprises sont généralement
originaires des grandes villes et à forte distance culturelle de la
population locale. Quant aux cadres dirigeants ils n'habitent pas la
region et ne sont pas intégrés dans la vie politique locale.
La population ouvrière est donc peu professiannalisée et on ne peut
véritablement parler de culture ouvrière structurée. Par contre il
existe une culture d'entreprise qui se manifeste à la fois par un fart
taux de syndicalisation, à la fois par une identification marquée à
l'entreprise chez la population salariée. L'activité syndicale est peu
transversale aux entreprises et les revendications portent
essentiellement sur les conditions de travail et la politique salariale.
Eeflexion d'un permanent syndical CGT à propos de Perrier:
- 20 -
"Pour savoir ce qui se passe dans ces entreprises c'est très difficile. Les gars, dès que tu leur demandes quelque chose, te disent que cela ne les concerne pas. A l'inverse ils font très peu appel à nous. Ce qui se passe dans l'entreprise ils te disent que c'est leurs oignons. Ils sont assez combattifs et la section marche bien, mais ils ne voient pas plus loin que leurs quatres murs. "
Ifous reviendrons sur ces identités professionnelles nouvelles sur la
scene sociale de St Laurent et leurs articulations avec les identités
locales. Nous n'avons pas approfondi cette dimension de la culture
d'entreprise qui caractérise les rapports sociaux de travail sur la
zone. Elle pourrait constituer un bon indicateur des fractures
identitaires, mais également des réaménagements que l'industrialisation
relative de la petite Camargue a provoqués.
1-1-4: Catégories socio-professionnelles.
Le secteur de l'agriculture est, nous l'avons vu, dominant. Il
occupe environ la moitié de la population active: soit 196 agriculteurs
exploitants (qui peuvent exercer une seconde profession) dont 29 sont
des femmes et 244 salariés agricoles dont une centaine de travailleurs
étrangers (Marocains principalement). Cette catégorie de travailleurs
peut être spatialement située. Les salariés agricoles natifs vivent dans
le village, pour les autres l'espace social se limite au territoire du
Mas.
Un quart de la population active se compose d'ouvriers employés dans
les entreprises environnantes. Il s'agit d'un proletariat peu qualifie:
150 OS et 0Q et une trentaine de manoeuvres, et quasi exclusivement
masculin (on ne compte qu'une vingtaine de femmes dans cette catégorie)
Le secteur tertiaire emploie un nombre de femmes qui pour n'être
guère important montre qu'il est le secteur d'activité salarié feminin
essentiel: 56 employés de bureau dont prés des 2/3 occupés par des
femmes.
Enfin le reste des salariés se partage entre les emplois offerts par
les artisans et commerçants locaux, comme le montre le tableau suivant:
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- 21 -
1-1-5: Earenié..
L'étude des mariages<1) célébrés à St Laurent net en évidence le passage
d'un système d'endogamie patrilinéaire recouvrant les divisions socio
professionnelles, à un système d'exogamie.
En effet, à la fin du siècle dernier,
- dans 60,5 % des mariages, les deux conjoints sont St Laurentais.
- On peut compter:
Parmi les couples dont la femme est St Laurentaise:
. 14 % d'hommes originaires des villages environnants (Aimargues,
Marsillargues, Le Caillar, Vauvert, Aiguës Mortes. .. )
. 9 % d'hommes venant du reste du département du Gard
Parmi les couples dont l'homme est St Laurentais
. 3 % de femmes venant des villages environnants
. 1 % de femmes originaires du reste du département
2 % des mariages célébrés concernent des conjoints originaires de
villages environnants.
Au total dans 89,5 % des cas l'un des conjoints est natif de St
Laurent,l'autre du Gard avec une immigration massive d'hommes, la femme
étant dans 86,5 % de la totalité des mariages originaire de St Laurent.
10,5 % de mariages se célèbrent entre étrangers au département et de
nationalité française. On ne dénombre pas alors de personnes ayant une
autre nationalité.
Dans les années 1975, le paysage des alliances est totalement inversé.
Le nombre de mariages où les deux conjoints sont originaires de la
commune ne s'élève qu'à 1 %, 7 % des hommes natifs des villages
environnants ont épouse une St Laurentaise, alors que 2 % de femmes de
ces mêmes villages épousent un natif de St Laurent, et 2 % de mariages
se célèbrent entre natifs de ces villages.
(1) Réalisée par sondage aux archives départementales du Gard et aux
archives communales.
- 22 -
Donc, dans 12 */. des cas l'un des conjoints est originaire de St Laurent
ou alentours (contre 79,5 % au siècle dernier).
Enfin, dans 20 'L des cas l'un des deux conjoints est originaire du Gard
et dans 22 */. les deux époux le sont.
Dans 25 % des mariages l'un ou les deux conjoints sont originaires du
reste de la France.
Dans 15 % des cas l'un ou les deux sont de nationalité étrangère (en
majorité espagnole).
Bref nous assistons à une importante "importation d'hommes" étrangers à
la commune, originaires en majorité du département du Gard. L'étude de
leur profession au moment du mariage montre qu'il s'agit pour les époux
non natifs d'une population ouvrière peu qualifiée qui s'intègre en cas
de residence sur la commune dans les entreprises locales. Ces données
que nous avons créées à partir des actes de mariages de la mairie de
1970 à 1980 ne sont cependant pas fiables dans le sens où la residence
est l'expression d'un souhait (correspondant à la question: "residence
familiale probable après le mariage") et non d'une certitude. De plus la
réponse à l'item profession n'est pas forcement remplie en fonction des
classements CSP standard. Il n'en reste pas moins que les tendances qui
s'en dégagent ont une forte probabilité de pertinence.
1-1-6: Religion.
On dénombre actuellement autant de catholiques que de protestants à St
Laurent. L'histoire pourtant nous montre que la conviction religieuse de
ses habitants bascule au fil des siècles d'une foi à l'autre.
A partir du Vème siècle, St Laurent abrite sur une partie de son
territoire l'abbaye de "Psalmody, reconstruite par des adeptes de
l'école de St Benoit vers 1004. Ce monastère "aide" les villageois à
mettre en valeur les cultures, à assécher les marais, et à construire la
route de Psalmody à Nîmes.
Puis, au XVème siècle, surviennent les guerres de religion: les St
Laurentais adhèrent massivement à la nouvelle religion et en 1562 les
protestants sont les maîtres du village. L'église est démolie.
- 23 -
Un siècle et demi plus tard, le rapport du Maréchal de Montrevel à
l'Intendant du Languedoc, chargé de surveiller les côtes, décrit la
population comme fortement attachée à la religion catholique. Pourtant,
cinq jours plus tard (nous sommes en 1703 ), les camisards surviennent
auxquels se joignent les protestants. L'église est brûlée ainsi que le
presbystère, le curé battu, martyrisé et les catholiques n'osent se
manifester.(1)
Enfin, si aujourd'hui, les protestants sont très discrets sur leur
conviction religieuse, les catholiques par contre ne dédaignent pas d'
affirmer leur foi qu'ils associent largement à "la fé di biou".Bien
qu'un prêtre de la paroisse (2), citant le curé d'Ars, lançait
l'avertissement suivant en 1941:"laissez une paroisse sans prêtre, on y
adorera les bêtes", l'abbé actuel organise des ferrades inter
paroissiales réunissant les fidèles de St Laurent et du Cailar.La
kermesse annuelle, avatar du "Cercle catholique" qui réunissait autour
d' un pastis et d'un jeu de cartes, ses membres en majorité masculins,
est aujourd'hui agrémentée d'une course organisée par les paroissiens.
L'hypothèse d'une partition catholiques/protestants qui renverraient
à la division sociale ouvriers agricoles/propriétaires est fréquemment
avancée dans nombre de travaux sur la Camargue et plus particulièrement
dans ceux qui portent sur la zone qui nous interesse. Nous n'avons pu
verifier la pertinence d'une telle construction qui nous parait, de
plus, contradictoire avec ce que nous avons pu recueillir nous même
ainsi qu'avec la description d'une population très "fluctuante" dans ses
demonstrations d'attachement à un culte ou à un autre. Pour notre part,
ces fluctuations ne renvoient pas à la versatilité d'une population de
"sauvages", representation par ailleurs totalement intégrée par la
(1) KAUE0ïï<K> : "Petite chronique sur l'histoire de St Laurent". Roneo.
(2) Bulletin Paroissial de St Laurent. Dec 1941.
- 24 -
population elle- même. On peut émettre l'hypothèse que ces variations
marquent bien plus la situation d'une structure sociale extrêmement
éclatée, sans representation d'elle- même pour elle- même, et de ce fait
en position d'intégration des representations que les différents
pouvoirs symboliques extérieurs, alternativement presents sur la scene
locale, produisaient. La position de sujétion aux manifestations locales
des rapports de force politiques et religieux aux rationnalités externes
pourrait être dans ce cadre interprétée comme une stratégie de
sauvegarde identitaire, une sorte de préhistoire de l'identité
collective. La" fé di biou" ne correspond- elle pas à la rencontre d'un
processus interne: l'appropriation par les habitants du foncier, au
milieu du XIXe siècle, d'un phénomène externe à la société locale, à
savoir le renouveau du régionalisme provençal à travers en particulier
le felibrige.L'émergence d'une société communautaire rurale, jusqu'alors
inexistante et en quête d'identité collective a ainsi trouvé les
conditions de sa structuration symbolique et de son identité. Identité
basée sur la distinction par rapport à l'Etat Central mais aussi sur une
ritualisation du social propre à construire le cadre des rapports
sociaux communautaires.
- 25 -
1 2 La B o u v i n o ; u n g r o u p e d ' a p p a r t e n a n c e .
H i s t o i r p et s y m b o l i q u e
La bouvine, la "civilisation du taureau" est le referent par excellence
de tout discours portant sur l'identité à St Laurent d'Aigouze comme
dans les autres villages de Camargue; le taureau est ici un "fourre-
tout" symbolique et le rapport au taureau est aussi bien l'un des
principaux modes d'accès à la reconnaissance sociale Sur quoi repose
cette omni-présence de la référence à la bouvine qui est présentée comme
étant une survivance de traditions ancestrales ? Une étude historique
devrait permettre de relativiser ces positions.
I-2-lHistorique de la tauromachie en Camargue
1-2-1-1) Des origines au XVIème siècle
lious ne possédons pas, pour cette époque, de documents d'archives
permettant d'attester au de contester l'existence de taureaux et de leur
utilisation par des hommes : nous ne pouvons donc nous baser que sur des
trouvailles archéologiques (sujettes à des interprétations diverses) et
à des reconstructions historiques en particulier celles élaborées par
les "poetes camarguais" de la fin du siècle dernier. Reconstructions qui
visent a légitimer l'amour du taureau, la "fé" du "peuple camarguais"
basées sur une recherche des origines, dans les cultes taurins des
peuples de l'antiquité.
L'image actuelle de la Camargue, terre saline, infertile, ne correspond
pas à celle de la Camargue des temps préhistoriques : le delta rhodanien
fermait des petites îles couvertes de forêts à la faune abondante qui
protégeaient leurs habitants d'éventuels ennemis et des bétes
dangereuses; situées entre la mer et le continent, celles-ci
constituaient des emplacements stratégiques pour la création de ports et
de commerces .
- 26 -
Après les Ligures, l'occupation romaine introduit la culture intensive
des céréales, trace des voies de communication, exploite les marais
salants: c'est l'âge d'or de la Camargue, et Arles en est la capitale
avec ses 10 000 habitants. C est à cette époque que l'existence de
taureaux sauvages est attestée. Les origines de ceux-ci sont néanmoins
controversées.L'opinion la plus courante étant que ces bovins seraient
des descendants du "bos primigenius" préhistorique
Pour les poetes et romanciers appartenant au mouvement du
Fe übrige,notamment Joseph d'Arbaud "Les plus lointaines origines de
nos courses de taureaux" Karie Mauron"Le taureau, ce Dieu qui
combat" et Henri Aubanel "Camargue bien aimée", le taureau Camargue
est le descendant d'une race autochtone, descendant du "Bos
primigenius" : le même type de taureau aurait existé en Crète et en
Camargue et aurait été utilisé pour des jeux taurins sans sacrifice
(alors que le Bos brachyceros, taureau plus lourd au front large
•serait à l'origine des taureaux espagnols, et aurait été utilisé
pour les sacrifices dont les formes modernes sont les
corridas,1'attente au trident et le taureau à la corde.
De nombreux échanges commerciaux auraient eu lieu entre les
peuples de Camargue et les Assiriens, les Phéniciens, les
Cartaginois, les Cretois , les Grecs et les Romains : d'où
1,importation des rituels de la bouvine et en particulier de la
course libre . La Ferrade, elle, trouverait son origine dans les
taurocapsie de Thessalie et les jeux taurins de Basse-Egypte.
Apres la chute de l'empire romain, la Camargue sera, pendant 400 ans,
périodiquement envahie : tout d'abord par les Visigoths et les Francs a
partir de 4ô5 ap. J.C. puis, par les Sarrazins (720) enfin les
Normands (vers 860), les Arabes (869). A la fin du IXème siècle, la
région est totalement dévastée,détruite,les habitants ont été massacrés
ou se sont enfuis; Arles, qui a été assiégée 10 fois et envahie 7 fois,
est en ruines.
La reconstitution progressive sera essentiellement l'oeuvre de moines et
de familles nouvellement émigrees: l'abbaye de Psalmody (dont les ruines
se trouvent sur la commune de St. Laurent) est l'un des monastères les
- 27 -
plus prospères ayant un territoire égal au l/5èine d'un département;
L'exploitation des marais salants contribue en grande partie à leur
richesse.
Au XII ème siècle, les bras du Rhone commencent à s'ensabler : les
habitants du delta construisent alors des digues pour empêcher
l'inondation de leurs maisons et cultures. Cela eut pour conséquence
l'insuffisance de l'alimentation en eau, la terre devint salée et se
dessécha; les cultures et les forêts s'épuisèrent. La mer avança à
l'intérieur des terres; les zones propices à l'agriculture se
déplacèrent au Nord de l'étang du Vaccarès.La croisade des Albigeois du
XlIIème siècle constituera un fléau supplémentaire.Après les guerres de
religion, vers le XVIIIème siècle, un nouveau mouvement d'immigration va
peupler la Camargue: cette période d'expansion durera jusqu'à la moitié
du 18ème siècle.
Dès les origines, la population qui a peuplé cette région s'avère
extrêmement fluctuante et mouvante , constamment renouvellée à cause des
invasions successives et des difficultés climatiques.
1-2-1-2:Du Koyen Age au XIXème siècle
A partir du XIXème siècle, le paysage camarguais acquiert petit
à petit ses caractéristiques de "désert salé": les forêts ont été
déboisées et ne protègent plus la terre du vent et de la chaleur torride
en été; des marais se forment et les moustiques et les fièvres qu'ils
véhiculent deviennent un fléau. Dés lors, les habitants délaissent
l'entretien des canaux et de l'agriculture, et souvent s'expatrient. La
Camargue se désertifie et devient un refuge pour les expatriés et les
renégats,qui vivent de la chasse et de la pêche. Seules subsistent
quelques grandes propriétés, appartenant soit à des abbayes soit à des
proprétaires terriens qui n'habitent pas la région.
C'est de cette époque que datent les premiers documents
d'archives concernant la tauromachie :
l*)La présence de taureaux sauvages est attestée des le XVéme siècle.
Ils constituaient une réserve alimentaire et appartenaient à qui les
capturait . En ce qui concerne la localisation des zones de pacages, le
dénombrement et l'utilisation exact de ce cheptel, de larges lacunes
- 28 -
subsistent qui ne pourraient être comblées que par le dépouillement long
et laborieux des transactions notariales (jusqu'au XVIIIème siècle) et
celui des négociations qui eurent lieu entre le gouvernement et les
propriétaires fonciers lors de l'assèchement des marais et du creusement
du canal de Beaucaire à la mer (entre le XVIIème et le XIXème siècle).
Une première estimation précise du nombre de bovins vaquant sur les
terres camarguaises se situant à la moitié du XVIIIème siècle donne
environ 4000 tètes de bétail paissant sur les terres des grandes
propriétés, qui sont au nombre d'une dizaine.
Ce nombre va aller progressivement en diminuant: les taureaux
constituant une reserve naturelle de nourriture (tout comme les lapins
et les produits de la peche): il ne s'agit pas encore "d'élevage",celui-
ci n'apparaîtra que vers le milieu du 19ème siècle, le nombre de
taureaux ayant nettement diminué , les premiers éleveurs , les
manadiers,constitueront leur cheptel d'une part en capturant des bëtes
sauvages dans les marais, d'autre part en opérant des croisements avec
des taureaux importés d'Espagne.
L'explication locale et littéraire pour cette importation de
taureaux espagnols est la suivante : les taureaux d'Espagne auraient
été plus combattifs,plus" intelligents, plus vifs que les taureaux
camargues, malingres, chétifs,peureux. Aujourd'hui, on assiste à une
inversion de cette explication de la psychologie taurine : le
taureau Camargue ne peut être utilise pour des corridas, parce que,
dit-on, il est plus intelligent, plus vif, plus malin que le taureau
espagnol et ne fonce pas dans la muleta mais dans le torero.
2°) La pratique de jeux taurins est attestée dans les archives
départementales du Gard à partir du XVIème : la première animation
taurine décrite est celle de la Ferrade, par Pierre Quiqueran de
Beaujeu,èvèque de Senez,"La Provence louée" (publiée en 1551) et par
Jean Poldo d'Albenas (1560): l'organisation de cette manifestation
ressemble beaucoup à celle d'aujourd'hui . Jusqu'au XIXème siècle, la
ferrade a donné lieu à de grands rassemblements, d'hommes pour la
plupart (au XVIIIème les femmes étaient invitées et ne le furent plus
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par la suite) . Au début du XXème,le cercle des spectateurs se restreint
aux amis du propriétaire; puis, dans les années 50, la ferrade se
popularise à nouveau,mais est organisée par des cercles électifs, des
clubs, des cercles.
1-2-1-3) Bref historique de la course.
. L'hypothèse la plus courante sur les origines de la course est la
suivante: des jeux avec les taureaux auraient eu lieu dans l'enceinte
des mas , se seraient popularisés, et auraient franchi les limites de la
cour de la ferme pour se dérouler au devant du parvis de l'église.
L'un des premiers documents rendant compte des courses de taureaux est
dû à un litige:
En 1759,1e maire et le curé de St Laurent adressent une lettre au
Maréchal de Thomond, commandant en chef du Languedoc, pour lui demander
d'interdire les courses de taureaux les Dimanches et les fêtes < Arch.
Depar. Hérault C 6814 ). A l a suite d'un rapport demandé par le dit
commandant en chef, on peut lire un plaidoyer pour les courses de
taureaux qui se pratiquent " de temps immémorial" à St Laurent et dans
les communautés voisines. L'auteur précise que" ces divertissements ne
se prennent point pendant les offices divins" et qu'ils peuvent être
tolérés par l'autorité:
"Les changements dans les coutumes qui n'ont rien de contraire aux règlements et aux bonnes moeurs .... peuvent jeter dans l'abattement un peuple qui a besoin d'être encouragé" ( Ârch.Dep, Hérault. C 6814 ) ,
Si nous ne possédons pas de description de ces courses, c'est qu'elles
sent un élément de la culture populaire-en 1'occurence celle des
ouvriers agricoles. Seuls nous restent certains actes de justice, comme
par exemple celui-ci: " Jugement du bureau de police d'Aiguës Mortes
condamnant Gaspard Ricard à tenir prison close pendant tous les jours
qu'on fera courir les vaches, pour avoir coupé l'oreille d'une bête lors
d'une course et lui avoir enioncé un bâton dans le corps. "Aiguës Mortes,
le 6 Sept. 1776 " (Arch. Mun. Aiguës Mortes FF 36 )
Mais les quelques documents qui ont été exhumés des Archives jusqu'à
présent ne suffisent pas pour nous donner un panorama même partiel , de
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ce qu'a pu être la course camarguaise jusqu'au milieu du XIX ême siècle.
Tout ce que l'on peut assurer, c'est la multiplication de nombreuses
réglementations pour les canaliser dans le temps et dans l'espace.
Témoin cette lettre du Préfet du Gard au Maire de Nîmes rappelant qu'en
application des ordonnances du Directeur Général de la police sur
l'observation des dimanches et fêtes", les courses de taureaux ne
peuvent commencer qu'après l'office divin et sont interdites de 8h à 12
h. Nines, le 23 Juin 1814" (Arch. Dep. Gard 9K30 ) .
Ou encore cet arrêté du Préfet du Gard interdisant les courses de
taureaux dans toute l'étendue du département,
"Attendu que des plaintes se sont élevées, de toutes parts, contre ces courses, qui, outre qu'elles habituent les populations à des actes de cruauté, plongent, chaque année, une foule de familles dans le deuil. Nîmes 19 Janvier 1841" ( Arch. Dep. Gard >
Une circulaire du Préfet du Gard aux maires du département tente peu
après d'interdire les courses de taureaux: "Depuis que la propagande socialiste a surexcité dans nos campagnes les mauvaises passions, les courses de taureaux sont devenues prétexte de rassemblements, qui ont pour but principal le développement des doctrines démagogiques. Nîmes Avril 1851" (Arch. Dep. Gard 6N356 )
Le rassemblement socialiste invoqué n'est-il pas un pretexte pour
interdire les courses ? D'une façon ou d'une autre, l'interdiction n'a
que peu d'effet sur la population, qui continue à organiser des courses
tout en se heurtant à diverses divisions militaires, comme le montre le
" rapport du Capitaine commandant le détachement du S ème Léger à Lunel,
sur les heurts survenus entre la troupe et la population d'Aiguës Vives
à l'occasion d'une course. Lunel 8 Kai 1851 " et la lettre du Général
commandant les 7ème, 8ème,9eme divisions militaires, au Préfet du Gard,
au sujet d'une course qui s'est tenue à Vauvert, avec la complicité du
Kaire. Kontpellier 6 Kai 1851 "
Ces scènes "tumultueuses", comme le ministre de l'Intérieur les nomme
dans une lettre au Préfet du Gard ( 18 Kai 1851 ) ne s'arrêteront que
lorsque la gendarmerie menacera de s'attaquer aux taureaux:
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"J'espère que la gendarmerie aura fait son devoir. . .Dans tous les cas, je lui donne l'ordre formel de tuer à coups de mousquetons les taureaux qui seront amenés pour une course quelconque. "Rapport du chef d'escadrons de gendarmerie au Préfet du Gard au sujet des courses de Vergèze. Nîmes, Août 1851" (1)
Mais peu à peu, c'est l'influence de la corrida et l'introduction de
taureaux espagnols de combat par M.Joseph Yonnet qui va transformer
l'aspect du taureau et de la course "Camargue". D'une part,
l'engouement pour la corrida vers la fin du XIX ème siècle amène les
journaux locaux de l'époque à créer, outre les rubriques
"vélccipédiques, théâtrales, artistiques et mondaines, une chronique
tauromachique".
La corrida s'installe dans les grandes villes comme Nimes, Alais, et
est suivie par tout un vocabulaire qui sera repris à propos de la course
camarguaise:" afición, paseo, pena, etc..." La corrida est déjà tant
appréciée de la population citadine que son interdiction par un arrêté
prefectoral en 1894- " a produit une vive émotion, de nombreuses
protestations s'élèvent de toutes parts".
"Nous savons avec quelle désinvolture nous sommes bafoués et blagués par ces austères parisiens qui nous traitent rien de moins que de sauvages. Nous demanderons à notre tour qu'on interdise le tir aux pigeons de Monte Carlo où de milliers d'innofensifs volatiles sont massacrés". ( Alais- Revue 30 Septembre 1894 )
L 'amour de la corrida dans les villes, l'amour de la course à la
campagne, permettent aux populations du Sud de s'opposer au pouvoir
central, de transgresser l'ordre établi par une autorité lointaine et
ainsi d'affirmer une identité régionale.
La bouvine n'est pas encore constituée comme institution. Mais les
pratiques taurines sont déjà l'objet central d'un affrontement entre
l'état qui tente d'imposer son autorité sur ce territoire par le biais
de l'arbitrage ou de l'intervention armée, les bourgeois des villes, de
ces villes gardoises très religieuses et puritaines et les ouvriers
agricoles, population fluctuante et peu structurée mais rebelle qui
produit une culture propre.
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Ce passé de lutte va être largement repris par la suite à travers les
thèmes de la lutte, de la vie comme combat, par les régionalistes de la
mouvance félibrige qui en feront 1' emblème de cet affrontement Nord-
Midi. Cette reconstruction occultera la dimension externe à la société
camarguaise de cet affrontement, et dépeindra la société rurale sous les
traits d'une communauté rurale structurée- de fait fictive.
1-2-2:Du 19ème siècle à nos jours : la bouvine. Pratiques
symboliques et reproduction des pratiques sociales
La modification de l'économie par l'introduction de la
viticulture et par l'assainissement des marais (terres qui, une fois
devenues cultivables permettront l'implantation de nouveaux habitants)
se conjugue à la crise des grandes propriétés foncières gérées sur le
mode féodal. Ceci a pour conséquence une redistribution des terres sur
le mode de la parcellisation. Ce processus d'appropriation des terres
par des petits propriétaires amorce la structuration d'une communauté
villageoise dont le travail d'appropriation économique va devoir se
doubler d'un travail d'appropriation symbolique du territoire, se
constituer un fondement symbolique. L'absence de notables locaux, les
proprêtaires des grands mas vivent en ville,fait qu' il n'existe pas de
médiation entre ces communautés naissantes et l'état ( nous reviendrons
sur ce paint. Chap. V).Pas de communauté traditionnelle donc, mais une
structure sociale qui va se fonder d'emblée traditionnaliste.
1-2-2-1: La Uacioun Gardiano
Les "poètes- gardians" de la Kacioun Gardiano fermaient un groupe a part
dans le cercle des Félibres : leur particularité résidait en un plus
grand attachement à l'expression de l'amour du pays, et à un engagement
profond pour la "Cause" camarguaise, la defense des traditions et de la
passion du taureau.
La Nacioun Gardiano fut fondee en 1909 par le Marquis de Baroncelli.
Celui-ci descendait d'une noble famille italienne, qui fut ruinée au
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courant du XIXème siècle (le grand-père du Marquis avait perdu sa
fortune en militant pour la réintroduction d'une monarchie en France) :
le père de Folco de Baroncelli travaillait alors comme directeur des PTT
de Himes, il conservait néanmoins des contacts étroits avec l'élite
intellectuelle de la ville, et ce fut chez ses parents que le petit
Folco rencontra Frédéric Mistral, Théodore Aubanel, et Félix Gras. Ces
rencontres fructueuses amenèrent le Marquis à écrire, puis à publier ses
premiers poèmes en Provencal (1890 : F. de Baroncelli a 21 ans) .
Dix ans plus tard ,Folco de Baroncelli s'installe en Camargue, aux
Saintes Maries de la Mer , • épouse Henriette Constantin , et fonde son
idéologie sur l'amour du Taureau et la recherche de la liberté. Il fonde
alors sa propre manade et se donne comme devoir de recréer une "pure"
race Camargue et d'empêcher les croisements avec les taureaux espagnols
.Sa conviction sera reprise quelques années plus tard par les autres
manadiers. La Nacioun Gardiano, idéologie structurante de la bouvine,
est le produit de ce travail. Reprenant les thèmes du régionnalisme
félibrigiste, elle rassemble autour d'elle "tous ceux qui ont envie de
se battre pour l'amour de la Provence". Ses buts explicites: de
préserver les coutumes et traditions de la Camargue taurine, faire vivre
la langue occitane, les idéaux de Mistral et ceux du Félibrige :
La "Nacioun Gardiano" , acó significo dos causo: significo que voulen garda jalousamen li trésor dou passât mejournau, e significo que sian li cavalié de la Bouvino. Or li dous sens soun clafi d'ideau e clafi de simbole. C . . ) E quau dis cavalié,dis chivalié. Coume li chivalié d'antan avèn voua noste vido au triounfle d'uno grando Idéio. E sian,- escoutas bèn,- li darrié préire dou dieu Tau, dou dieu Mitra... (H.Dibon "Les Chants palustres de Joseph d'Arbaud" in Le ValfiTitiTinlx 12 Mai 1951)
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Nous avons là un exemple type de la reconstruction de toutes pièces
d'une identité provençale qui se légitime par
1*) l'appel à un passé,"gardé jalousement"»construit autour des
idéologies de la terre et du sang
2*) les principes de division sur lesquels ce discours se naturalise:
nord-sud, bourgeois-paysans..., l'auto affirmation de l'existence d'un
héritage culturel, vont historiquement correspondre aux intérêts
objectifs de cette communauté qui y puise ses grands supports
identitaires
1-2-2-2: L'idéologie:
La notion de "raco miejournalo" a été élaborée par F. de Baroncelli et
reprise , non seulement par" les chevaliers" de la Nacioun Gardiano,
mais aussi par nombre d'aficionados à l'heure actuelle.
Le Marquis , après la visite de Buffalo Bill en Camargue en
1905,démontrait que les provençaux et les indiens d'Amérique étaient
issus de la même race et partageaient le même sort (rejettes par la
civilisation, massacrés par les colons; cf. recueil de poèmes Blad de
IimaParis-Avignon 1910): il se basait alors, pour la comparaison, sur des
caractéristiques morphologiques et psychiques.
Aujourd'hui, la recherche d'une "pure race" que ce soit pour un cheval,
un taureau ou un homme est encore tout à fait actuelle dans le discours
populaire , comme par exemple dans l'hymne Saint Laurentais dont le
refrain est:
Sian di raco Nous sommes de race
Sian di raco " '
E maintendren Et nous maintiendrons
Kost i beu amusamen líos beaux amusements
E nosti tradicioun Et nos traditions
Car sian San Laurenen Car nous sommes St Laurentais
Dins nosti pichot village Dans notre petit village
Per li biou sian passiouna Pour les taureaux sommes
passionnés
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E dins tout lou vésinage Et dans tout le voisinage
Couma nautré n'y a pa ca Comme nous il n'y en a pas
losti fé a la bouvino Notre foi à la bouvine
Chaca jour vai grandissen Chaque jour va grandissant
Touti a pleni petrino Tous à pleine poitrine
Cantaren a San-Lauren Chantons 0 St.Laurent
Etre de race est aujourd'hui conçu, dans le discours populaire et
poétique, comme étant porteur d'un "sang" spécifique, un sang qui
véhicule la "fé"."Ce taureau a du bon sang" dit-on d'une bête dont les
parents ont fait leurs preuves dans l'arène; le sang est un euphémisme
pour désigner la filiation sanguine et le souci de sélection <cf le
bistournage) en est la pratique sociale corrolaire.
La race constituée par le "sang" est également déterminée par la "fé":
lorsqu'on est "de race", c'est parce que l'an "a la fé". "Avoir la fé",
se traduit littéralement par "avoir la foi" (aussi bien dans le sens
d'avoir la foi chrétienne qu'avoir foi en quelque chose ou quelqu'un);
mais cette expression intègre un certain nombre de concepts dont la
traduction littérale ne rend pas compte.
La traduction proposée par les autochtones est ¡"aimer le taureau" ou
"avoir la passion du taureau", c'est à dire, en premier lieu , ne pas
avoir peur du taureau et ensuite, ne pouvoir s'empêcher de courir après
lui, de le toucher, de le regarder, d'en discuter, d'assister aux
courses, etc...
La fé, dans le discours populaire, semble faire partie constitutive de
la personnalité (de la race) : La fé, "C'est le temperament" "C'est
inscrit dans les neurones" "J'ai la fé, parce que mon arriére grand-mére
était de Lunel, et l'avait".
"Avoir la fé" c'est également posséder ce'fil ténu qui relie l'homme à
la nature ; c'est aussi s'identifier au taureau et devenir comme lui,un
peu sauvage, retiré du monde, proche de la nature; c'est être un peu
barbare, s'opposer à la civilisation, aux gens du Kord; c'est fusionner
avec ceux qui ont l'instinct, qui ont conservé leur pureté naturelle :
les taureaux .Le taureau comme mythe métaphorise le rapport particulier
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que cette population entretient avec l'espace ,avec les frontières. A
l'image de l'ouvrier agricole;, il est attaché au sol et s'il a un
propriétaire , il ne connait pas la propriété. S'y projette par le
rituel comme vecteur, l'image d'un camarguais enraciné dans l'histoire
dans un territoire sans frontière dans une société sans clivage .La fé,
marque d'élection; critère de sélection permet également de distinguer
entre aficanados et non aficionados.
1-2-3: La bouvine: un ensemble organisé
La bouvine c'est aussi tout un ensemble de systèmes organisés
qui s'encastrent les uns dans les autres, et composent les institutions
qui confèrent et reproduisent certaines identités collectives: celle
d'aficionados, celle de camarguais, celle de villageois,... Nous nous
proposons ici d'en décrire les principaux. Cette description sera
reprise en detail ultérieurement dans ce rapport.
La premiere caractéristique de ces systèmes c'est, qu'aux
ideologies de la terre et du sang s'ajoute, mais peut-il en être
autrement, une idéologie extrêmement familialiste. Le charisme du
manadier tient pour une bonne partie au maintien du système de
correspondance entre manade et "famille". Sorte d'oustaou basée sur un
système d'affiliation symbolique. L'appel sans cesse répété à St Laurent
à l'esprit du Karquis (Baroncelli) illustre ce processus. Le charisme du
manadier tient à sa position de dépositaire de l'héritage légué par le
Père fondateur. Il est celui qui maintient les traditions, et l'élevage
des taureaux, la protection de la race est un gage de cette bonne
gestion de l'héritage, de sa volonté de défendre l'intérêt general. A
l'image du Marquis qui bien que royaliste envoya ses taureaux courrir à
l'occasion du Congrès du Parti communiste en pays d'Arles en 1930. A
l'issue de la manifestation, il déclarait:
"De toute ma vie, je n'ai pas fait de politique! Si j'ai accepté d'envoyer œ s taureaux et mes gens à ce congrès, c'est dans l'espoir de défendre notre Patrie provençale"(1)
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Au centre de la bouvine comme dispositif, le manadier. Autour de
lui,ses fidèles, ceux qu'il a initiés, à qui il a tout appris. Le statut
de ces proches est diversifié mais les rapports sont toujours teintés du
même paternalisme. Le gardian: sorte d'ouvrier agricole spécialisé dans
l'élevage des taureaux, "berger sans troupeau". Il est l'homme de
confiance et il est une sorte de médiateur entre la population
villageoise et le manadier, à l'exception des notables qui traitent
directement, pourrait-on dire. Ensuite, les gardians amateurs. Amis
personnels du manadier ou du gardian qui s'est porté garant, ils sont
les fidèles . Possesseurs d'un cheval dont la manade supporte
l'entretien, ils assurent durant leur temps de loisir les soins du
troupeau lui- même et les activités qui nécessitent de la main d'oeuvre.
Systeme d'échange, sur le mode du don et de la dette, du troc. Ces
amateurs représentent la manade à l'extérieur à l'occasion des
différents fêtes.
Troisième cercle: les inconditionnels. Sans participer aux
activités de la manade proprement dites, ils sont ses supporters au sein
des communautés villageoises. Ils sanf'Lafontistes"
ou"Blatieriste", comme on est supporter de Bordeaux ou du Paris St
Germain. En retour le manadier les invite à des manifestations
sélectives qui leur confèrent au sein de la société locale, ce statut de
passeur que nous évoquons dans la partie introductive de ce rapport. La
demonstration de la fidélité se doit d'être ostentatoire et l'accès à ce
cercle fermé demande des années d'initiation, un parcours du combattant
en quelque sorte durant lequel, à force de presence, de coups de main
divers, on acquiert ce statut de Fidèle. Statut précaire qu'il faut
mériter, position qu'il faut sans cesse entretenir.
(1) UiïGER (H.J.) "Die literatur dir Camargue". 1969. Uni. Druck.P234.
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Le Club Taurin est le deuxième groupe d'appartenance. Articulé
avec les manades il entretient avec elles une certaine transversalité.
Il n'y a pour ainsi dire pas de Club qui traite avec une seule manade.
"Ils s'organisent à partir des systèmes d'allianceou d'opposition
internes au village. Il y a des"clubs de droite et des clubs de gauche",
des catholiques et des protestants, des riches et des pauvres. On compte
certains villages où il y a plus de 3 ou 4 clubs. Leur fonction
officielle et d'organiser des fêtes, sorte d'organismes de gestion des
activités taurines en interface avec les manades et les aficionados.
Leur action et leur fonction effectives dépassent largement ce cadre.
Détenteurs d'une partie importante du pouvoir symbolique, ils se
constituent comme une sorte de contre pouvoir face à la municipalité. Le
système d'entrée s'effectue sur le mode du parrainage et leur capacité
mobilisatrice dans la société locale est conséquente. Hous reviendrons
sur ces différents points dans le chapitre sur la vie associative.
ITotons simplement ici qu'ils occupent une position stratégique dans les
différents rituels et que les relations qu'ils entretiennent avec
l'univers des manadiers leur confèrent une légitimité forte.
Enfin, 1'afición. Il ne s'agit pas d'un groupe aux contours
définis, Nébuleuse aux frontières fluctuantes elle designe de fait un
sentiment d'appartenance beaucoup plus qu'un système organisé. Qu'est-
ce qu'un aficionado?
"les aficionados ce sont les connaisseurs, ceux qui ont l'afician, le battement de coeur, et qui se déplacent de loin, pèlerins de leur rêve pour voir du taureau." (1)
L'afición designe simultanément une passion et l'ensemble
social de ceux qui la partagenx. Elle est le produit d'une
demonstration, celle d'un certain etat d'esprit que les intéressés
répugnent à definir, celle plus concrete, de sa foi par la participation
aux différentes manifestations. Elle pourrait être comparée à la notion
de pratiquant dans le monde religieux. Chacun en donne sa definition,
l'important étant d'en être. En ce sens elle est un des supports
identitaires forts qui structurent les systèmes d'appartenance.
Cl) CONRAD (J.R.) "Le culte du taureau". 1978. Payot.
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Nous reprendrons plus loin l'analyse de ces différents systèmes
sociaux et leurs rapports dans les processus de production du culturel
et des identités. Il s'agissait dans un premier temps de donner au
lecteur une premiere grille de lecture de cet espace social et
symbolique que constitue la bouvine pour lui faciliter la lecture des
pages qui vont suivre.
C H A P I T R E SECOND: *T* "T^ ¿T* *fr
LES ETRANGERS
- 41 -
"Dans ces plaines du bas Languedoc on se moque facilement de ceux qui viennent de "plus haut", même si ce "plus haut" n'est qu'à cinq ou six kilometres et si cette montagne n'est qu'un coteau, La nationale 113, par exemple, qui relie Nimes à Montpellier, était considérée comme une sorte de frontière entre pays hauts et pays de plaine et de marais. Pas le rideau de fer mais presque." (1)
La definition de "1 ' estranger" telle qu'elle est produite en
Camargue est très large et renvoie à une definition du pays
d'appartenance extrêmement restreinte, au moins peut -on le penser dans
un premier temps. A ce sujet, une anecdote. Lors de nos premiers
contacts à St Laurent d'Aigouze avec le maire, mais également un certain
nombre d'acteurs clés, nous apprenions l'existence d'un lotissement à la
sortie sud du village dans lequel n'habitaient que des étrangers.
Senseignements pris ces habitants "venus d'ailleurs" étaient tous
originaires du Grau du Roi ou d'Aiguës Mortes, soit des villages
distants de St Laurent d'Aigouze de 6 et 9 kms. Ils prenaient residence
à St Laurent pendant l'été pour fuir...les touristes!!!
Sehe matiquement, est défini comme étranger toute personne dont
on ne peut reconstituer l'arbre généalogique, la filiation avec une
famille de St Laurent. L' étranger est également celui qui
n'appartiendrait pas à la "même race" que les habitants natifs de St
Laurent. Le lien de sang metaphorise ici le lien social d'appartenance.
Sous reviendrons plus tard sur la thématique de la race dans les
representations que les st laurentais se font d'eux mêmes et des autres.
Cette métaphore est toujours associée à celle de la race bovine et
renvoie à toute la mythologie de la bouvine. L'hymne de St Laurent ne
s'intituie-t-il pas ¡"Rous sommes de race", (voir en annexe)
Kous reviendrons plus tard sur cette symbolique du sang, mais il
est à noter que la ferveur des St Laurentais à affirmer leur spécificité
raciale est sans cesse à reconstruire. La plupart d'entre eux, nous
l'avons vu précédemment sont originaires des départements avoisinants et
leur implantation sur le St Laurentais date tout au plus d'un siècle.
(1) DURAND (J) "André Bouix, Gardian de Camargue",paris, Stock,1980.
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On peut lire dans ce travail de reaffirmation taute une stratégie de
mise à distance de la part de ces fils et filles d'ouvriers agricoles de
la fin du XIXe siècle et qui se sont finalement implantés , à l'égard des
"sans patrie", de ceux dont ils ont fait partie et dont il s'est agi de
se distinguer après la phase "d'installation". Cette stratégie passe par
une occultation de l'histoire. L'amnésie est la condition minima à toute
affirmation de racines. Tout fonctionne dans le discours comme si tout
avait toujours existé comme aujourd'hui: la bouvine, la vigne, les Kas
et leur configuration,... le mythe des origines est redondant avec le
déni de l'histoire et renforce le pouvoir symbolique des petits
propriétaires qui trouvent ainsi une légitimité et une justification à
leur accès à la vie politique locale desinvestie par les grands
propriétaires au debut de ce siècle . L'accès au rituel est un enjeu
stratégique car il constitue un des points- clé de la reproduction des
rapports de domination internes au système social local. En naturalisant
l'histoire, en focalisant le sens sur lui même et non sur ses effets, le
rituel de la bouvine comme pratique sociale du mythe gomme les
conditions de production et de reproduction des rapports sociaux. Il
contribue à naturaliser le social, à le constituer comme un continuum.
Du même coup l'étranger, celui sur qui la ritualisation du
social ne provoque pas l'effet escompté, le porteur d'histoire et le
faiseur d'histoires, apparait comme un risque de fracture. Sa mise à
distance peut largement être interprétée comme une stratégie de
renforcement de l'identité, de ce que l'on est comme "construit", mais
également de protection du consensus interne basé sur l'amnésie et
l'allégeance au mythe comme biographie collective.
Structurellement on peut distinguer dans les discours de la
population locale sur les étrangers, trois groupes ou trois types de
classement:
- Le premier groupe est constitué par les habitants des villages
environnant St Laurent. Cette nébuleuse ne coincide pas avec un
découpage cantonnai ou politico-administratif, ni forcement avec des
reseaux d'échange économique reperables. Il s'agit plutôt d'une
proximité en termes de modes de sociabilité, de consensus idéologique
sur le rituel et sa nécessité, sur l'appartenance à la "nacioun
gardiano" comme idéologie.Ainsi Vauvert qui participait à cette nation
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mythique se trouve-t-il aujourd'hui exclu de ce premier cercle. Son
industrialisation recente, son urbanisation, a fait voler en eclats le
sentiment d'appartenance et les modes de sociabilité "traditionnalistes"
que l'on retrouve à Aimargues, Le Cailar ou encore Aiguës Vives.
- Le deuxième groupe est constitué par les populations du Gard
et de la Camargue Provençale, dont Arles constitue pour les camarguais
languedociens le poste frontière. Populations des grandes villes donc,
mais aussi de tous ces bourgs qui comme Vauvert se sont transformés dans
la période d'après guerre sous la poussée de l'industrialisation et de
l'accélération de l'intensification de la production agricole. Si ces
villages ont leurs fêtes votives et participent de ce fait à la nation
mythique, leurs habitants sont suspectés de ne plus respecter la
tradition, de ne plus être des agents reproducteurs du mythe
- Les autres. .. c'est à dire essentiellement les gens des grandes
villes dont Paris condense toutes les representations. L'élément clé
avancé dans les discours qui définissent le 75, c'est l'absence de
racines c'est à dire le rapport à la tradition en négatif. Sa mise à
distance passe alors par la place de spectateur qu'on lui assigne aussi
bien au sein des divers dispositifs festifs que dans les divers espaces
de sociabilité (cafés, place du village,...) où se reconstruit oralement
l'image que les St Laurentais produisent d'eux mêmes pour eux mêmes et
pour les éventuels "touristes".
Le processus de designation de l'autre comme étranger dans le
rapport à ces trois groupes n'est pas identique. Dans le premier cas il
s'agit pour ainsi dire d'une histoire de famille à rendement identitaire
interne:
" Certains villages, pourtant, et pour des raisons bien obscures, s'entendaient bien entre eux ou, à 1'oppose, se "chinaient". A l'époque de nos pères, ces rivalités s'extériorisaient en "castanhas". Le Cailar, par exemple allait se battre contre Aimargues. C'était pour se défouler. Ca ne gênait personne et on pouvait, à la limite, considérer ces conflits comme hygiéniques. Surtout qu'ils tachaient de ne pas trop se faire mal et de ne rien se casser. A 1'inverse des tribus parisiennes qui règlent leurs conflits avenue de l'Opéra. (... ) Plus loin deux villages sympathisaient. Ainsi contrairement à leurs pères, les jeunes du Cailar étaient à l'aise à Aimargues. Pourtant, le Cailar était un pays
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républicain, alors qu'Ainargues était royaliste*: cul blanc" (1)
La ritualisation de la violence peut renvoyer à un univers
normatif commun que l'on partage entre voisins. L'affrontement entre
bandes de jeunes a son propre rendement identitaire et regule d'une
certaine maniere les tensions qui peuvent naitre et se développer entre
classes d'âge de village voisin, notamment en ce qui concerne le partage
des femmes. Son soutien à telle manade et son opposition en consequence
à toutes les autres procèdent du même processus.
L'emploi de sobriquets pour designer les habitants des villages
voisins et l'intériorisation de celui qui vous est assigné participe de
ce processus de designation de l'identique. Ainsi les St Laurentais se
denomment-ils les" cotets nègres" (les cous noirs), les lunellois les
"pesca-luna" (les pécheurs de lune), les vauverdois les "cranotas" (les
crâneurs), les aigues-vivois "les banhats" (les mouillés)... les
Aimarguais les" rauba-vesta"" les saute Vistre". La gestion de l'espace
et ses enjeux au niveau du foncier est largement explicative des
rapports de rivalité entre villages, ainsi rauba-vesta (saute vistre)
vient du fait que les Aimarguais aient la reputation de déplacer les
bornes et d'accrôitre ainsi leurs terrains en dehors de la limite
naturelle du fleuve, (nous y reviendrons)
Dans les autres cas de figure le rapport à l'étranger renvoie
directement au rapport au different, à l'extérieur. Si les St Laurentais
se sentent gardois c'est parce qu'ils en seraient d'une certaine maniere
les modeles achevés, ils en constitueraient la source, l'origine. Nimes,
la capitale départementale, ne represente plus ce Gard rural et
traditionnel, traditionnaliste plutôt, et les representations qui en
*Aimargues était une commune anarchiste et les libertaires refusaient de
vexer. Ceci avait pour consequence que le candidat royaliste était élu à
chaque election. Illustration des rapports sociaux au milieu du XIXe
siècle entre les grands propriétaires et les salariés agricoles et
fermiers.
(1) DURAID (J) op cité p 78
- 45 -
sont données renvoient à celle de la grande ville "déshumanisée",
préfabriquée qui s'oppose au naturel de l'espace.
"Dites si les touristes s'arrêtent à Nîmes vous pensez pas que c'est pour la ZUP! Bien qu'il parait qu'on la visite, enfin! Si les gens s'arrêtent à Nimes c'est pour les arènes et pour les taureaux qu'on y fait courir! Regardez les corridas il y a un monde fou! Ce qui interesse les gens c'est le folklore, parce que vous savez à Nimes pour y aller faut vraiment en avoir besoin. Moi je plains les gens qui y vivent. " Ancien viticulteur retraité
Ce premier classement concentrique est le premier que l'on puisse opérer
quand il s'agit de definir l'étranger à St Laurent. Mais il est trop
simpliste pour comprendre toute la complexité des processus de
classement et de rapports sociaux qui se nouent entre les habitants et
les "extérieurs". Les reseaux d'appartenance, les phénomènes d'exclusion
ou au contraire de reconnaissance, ne correspondent pas à la seule
logique géographique. Celle ci ne constitue qu'un segment des différents
classements que la population opere. De plus celui que nous venons
d'exposer occulte les dynamiques sociales qui animent ces processus de
reconnaissance de l'autre comme identique ou different.
Il existe une multitude de groupes sociaux qui sont à la fois à
l'extérieur et à l'intérieur. Il ne s'agit pas à proprement parler de
groupes frontières mais bien plus de groupes transversaux au statut
diversifié, groupes qui peuvent être visibles sur la scene sociale ou
invisibles, tirer leur reconnaissance de leur mise en spectacle ou au
contraire de leur absence dans les différentes mises en representation
(les manadiers ).
Il ne saurait être question ici de recenser l'ensemble de ces
groupes, ni de rendre compte des diverses strategies qu'ils déploient
pour se faire reconnaître sur la scene locale.
Nous aborderons ici essentiellement les rapports entre les
personnes que les St Laurentais désignent comme "étrangers" et la
population locale sur les strategies d'intégration qui leur sont
disponibles sur le "marché" de la reconnaissance sociale et politique en
fonction de leur position dans le système social et économique , des
- 46 -
fonctions diverses qui sont les leurs ou qui leur sont assignées par la
population. Nous distinguerons les conditions de leur arrivée sur la
scene locale d'une part, les fonctions qu'ils y exercent et les
conditions de leur integration, d'autre part.
On peut répertorier cinq groupes d' "étrangers"dont les logiques
d'accès au village sont contrastées:
- Les travailleurs immigrés: marocains essentiellement
- les fonctionnaires et professions liberales (les fonctionnels)
- les agriculteurs non natifs et les grands propriétaires étrangers
- les conjoints qui ne sont pas originaires de St Laurent
- les touristes
II-l .Les modes d ',arr i vée gur la gegn& locale?
lous entendons par mode d'arrivée les conditions qui structurent la
position sociale des arrivants sur la scene locale et déterminent pour
une large part les strategies d'integration et les conditions de leur
mise en oeuvre.
II—1—1 î_ l£S_ travailleurs immigrés-
Les personnes de nationnalité étrangère constituaient en 1982
moins de 6% de la population de Sx Laurent. Ces étrangers se composent
essentiellement de travailleurs immigrés marocains travaillant dans
l'agriculture. Ils sont aujourd'hui tous salariés agricoles dans les mas
de la zone sableuse de la commune de St Laurent où l'on associe la
culture de l'asperge à la viticulture. Il s'agit d'une immigration
familiale où la cellule de base familiale s'élargit avec la presence de
frères de l'un des deux conjoints. Ils vivent dans la majorité des cas
dans les dépendances de ces mas dans des conditions de vie précaires
fortement dépendantes de la bonne volonté du propriétaire ou du
régisseur et de la frequence des visites des services de 1' Inspection du
Travail.
Leur arrivée dans les mas de la zone date des années d'après
guerre (environ 1950). Ils prirent dans ces mas la releve des
- 47 -
saisonniers ou ouvriers agricoles descendus des Cevennes Gardoises ou
Lozeriennes qui assuraient jusqu'en 1940 les travaux agricoles, sur les
moyennes et grandes propriétés. Ils sont la plupart du temps nourris
(pour les hommes) et leur vie sociale se trouve exclusivement repartie
entre le travail et le cellule familiale. Seuls points de contact avec
la société locale, assurés exclusivement par les femmes,les achats dans
les commerces du village et l'école.
II-1-2; lea fonctionnels,
Ce groupe est composé des fonctionnaires et des différentes
professions liberales:
- 2 médecins (Un couple)
- 1 masseur kinésithérapeute
- 1 notaire
Les conditions d'arrivée ici sont largement déterminées, soit
pour les professions liberales à l'opportunité d'une reprise de cabinet
(par exemple le notaire ou le médecin), soit par des contraintes
internes à la profession, particulièrement la difficulté d'installation
sur d'autres zones (le kinésithérapeute). L'existence d'une clientele
constituée en reseau (familial le plus souvent) est un element fort dans
les strategies d'insertion des professions liberales.
Pour les fonctionnaires, instituteurs, agents des P et T,
...leur statut est determiné dans un premier temps par la fonction
qu'ils occupent et l'insertion est avant tout statutaire.
il-1-3: Lss. agriculteurs mm. originaires
Ce groupe d'agriculteurs se divise en deux sous groupes:
-les agriculteurs originaires des communes avoisinantes et
qui dans le cadre de la politique d'installation de la
SAFER se sont installés sur la commune de St Laurent,
-les propriétaires étrangers qui ont investi dans de
grandes propriétés.
Ces deux positions différenciées renvoient à deux types de
stratégie d'intégration que nous détaillerons un peu plus loin. Il est à
- 48 -
noter cependant pour le deuxième groupe qu'il a tendance à disparaitre
la rentabilité des investissements agricoles sur la zone devenant
problématique. La riziculture, qui n'a jamais été impartante sur la
commune, est aujourd'hui en perte de vitesse et ce phénomène
s'accompagne d'un reflux des investissements étrangers.
Pour le premier groupe, il s'agit essentiellement de jeunes qui
quittent l'exploitation familiale et tentent de mettre sur pied leur
propre exploitation.
H-l-4: Les. conjoints non. originaires.
Sous avons vu que les mariages à St Laurent étaient
essentiellement exogames et que l'origine des conjoints était diverse,
lous focaliserons notre attention sur les conjoints venus de
départements étrangers. C'est eux le plus souvent qui sont designés
comme étrangers par la population et pour qui l'intégration est
problématique.
Leur arrivée sur la scene locale est largement médiatisée par la
belle famille pour les hommes, par l'époux St Laurentais pour les
femmes. L'insertion professionnelle est également determinante.
II-1-5: Les. "touristes".
Le theme du touriste est recurrent a l'ensemble des discours sur
les étrangers à St Laurent. On vient en touriste ou on vient
"sérieusement", c'est à dire "en respectant les regles du pays" et en
"aimant la Camargue".
Le theme du touriste est pour une large part la consequence de
l'aménagement du littoral et il est associé à celui de l'invasion, de la
perte. Perte des traditions, perte des valeurs traditionnelles par la
mercantilisation, perte de la culture par les nouveaux besoins que la
presence des estivants fait naitre. Hais l'arrivée des touristes a
fracturé les representations sur l'avenir du "Pays" et s' ils sont mis à
distance ils représentent une ressource potentielle sur le plan
économique. L'entrée du touriste sur la scene locale est largement
organisée et donne lieu à tout un ensemble de strategies de
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détournement, d'encadrement, de mise à distance mais aussi de seduction,
dans lesquelles se condensent toute les ambiguïtés de la "camarguité".
IT--?- leg gtrateriies ö • i nteyrati on :
11-2-1; Isa travailleurs immigrés.
Il est extrêmement rare de rencontrer la population marocaine
quand on parcourt les rues du village. Seules quelques femmes passent
très vite, accompagnées de leurs enfants, les bras chargés de
commissions. Pas de travailleurs marocains non plus dans les cafés où
dès six heures du soir se regroupe la majorité des hommes et des femmes
après la journée de travail.
Nous:"La presence de travailleurs immigrés marocains sur la commune pose-t-elle problème?
Le Maire:" Non! Vous savez ici nous ne sommes pas racistes. D'ailleurs nous sommes loin de la situation de St Gilles ou de Vauvert. Ici ils vivent dans les Mas et on les voit peu. A part les enfants qui vont à l'école ils ne viennent jamais dans le village. Ils ne sont pas nombreux.
Nous:"est ce qu'ils participent à la vie du village? A la fête par exemple?"
Le Maire:"A la vie du village, non! Je vous dis ils restent le plus souvent dans les Mas! A la fete les enfants viennent aux abrivados ou aux courses pour s'amuser, mais les parents on ne les voit jamais. Et puis pendant la fête ils travaillent. Je crois que c'était une erreur de les faire venir en France, ils n'ont pas la même culture que nous et ils ont du mal à vivre ici. Mais ça c'est surtout vrai pour St Gilles. A l'école, vous demanderez à l'institutrice, il n'y a pas de problème je pense. On est loin des banlieues des grandes villes."
La condition au statu quo entre la population du bourg et les
travailleurs marocains est leur absence sur la scene locale. De ce fait
l'ensemble des rapports avec le village passe, hormis ceux qui
concernent la scolarisation des enfants, par l'intermédiaire du
propriétaire. Un travailleur immigré agricole n'appartient pas à la
communauté il appartient à un mas où se trouve rabattu l'ensemble de sa
- 50 -
vie sociale. Les rapports sociaux entre travailleurs immigrés et
propriétaires ne sont pas sans rappeler ceux des salariés agricoles du
cru et leurs patrons dans la période d'avant guerre.
"Quelque chose d'assez féodal caractérisait les rapports entre patrons et ouvriers. Ca bougeait difficilement et pourtant le député d'Arles était toujours un élu de gauche. Socialiste ou communiste. Nais dans les mas, les rapports sociaux se fondaient sur le paternalisme et selon une hiérarchie de plomb. Lorsqu'un vieux baïle demandait une augmentation à son employeur, le type refusait en lui tapant sur l'épaule: "Toi, voyons, c'est pas pareil. Toi, tu fais partie de la famille". Et l'autre était ravi, il faisait partie de la famille. Ou bien le patron lui faisait remarquer qu'il jouissait de quelques avantages. (. . . ) Finalement, les avantages rentraient en compte et permettaient à l'employeur de couper le robinet à finances. " (1)
Le passage à la culture intensive du ris et les besoins en main
d'oeuvre saisonnière qu'elle va entrainer s'accompagne de la rupture sur
ce consensus. L'appel à des travailleurs saisonniers étrangers, moins
onéreux que les "montagnards" des Cevennes va avoir pour consequence
l'apparition de nouveaux modes de regulation dans lesquels
l'intervention de l'Etat est centrale:
"Il a fallu attendre les années 1955 pour qu'avec 1'arrivée des repiqueurs espagnols de Valencia les services de la Main d'Oeuvre se penchent sur les conditions de travail dans les mas de Camargue. Ils s'aperçurent enfin que les "masetiers n'avaient ni lits, ni VC, encore moins de douches. Impensable une douche en Camargue. Un ouvrier de mas se lavait quand il pleuvait ou lorsqu'il tombait accidentellement dans la roubine Alors, vite, vite, les propriétaires se lancèrent dans le social, achetèrent des lits à l'armée, des matelas, installèrent quelques sanitaires. Des fonctionnaires de la Kain d'Oeuvre passaient dans les mas pour s'assurer qu'on obéissait aux regles." (2)
Si ces flux migratoires saisonniers sont tres importants jusque
dans les années 1975, il n'en reste pas moins que les deux mondes, celui
des villageois et celui des émigrés restent êtanches l'un à l'autre
(1) et (2) DURAND (J) op. cité p 214
- 51 -
Les courses sont faites exclusivement par le propriétaire ou le chef de
groupe et les journées de travail sont longues. Point de jour de repos,
point d'espaces de sociabilité communs.
Le modele est identique en ce qui concerne les travailleurs
immigrés aujourd'hui. Le territoire de sociabilité se réduit à celui du
mas où l'on travaille. Aucune transversalité à ce territoire ne semble
s'être organisée. Peu de contact entre travailleurs immigrés et le repli
sur la famille, quand elle existe, semble total. Les moments de sortie
se passent la plupart du temps dans les villes avoisinantes où vivent
une population immigrée importante et des membres de la famille ou de la
communauté d'origine.
La preoccupation des immigrés est de ne pas avoir d'histoire, et
la condition premiere est de savoir tenir sa place, de respecter le jeu
des frontières qui pour n'être jamais explicite n'en est pas moins
respecté. L'intériorisation des frontières se rationnalise par l'absence
de nécessité, de besoin:
- Ca fait combien de temps que vous vivez à St Laurent. - Ca va faire quinze ans que je suis ici au mas X. Je suis bien. Le travail me plait. - Vous allez souvent au village? - Non! j'y vais jamais. - Pourquoi? - Non ici il y a tout, je n'ai pas besoin d'y aller. Ha femme elle va à Escale à Lunel faire les courses, mais au village on a rien à y faire. Et puis on ne veut pas d'histoire, alors on reste ici. - Vous avez connaissance d'histoire entre la population du village et des compatriotes qui travaillent dans les mas? - Non! Ca se passe bien! Il faut que chacun reste chez soi et tout va bien.
"L'intégration" -comme evitement de la stigmatisation- passe par le
respect des limites des territoires symboliques, par l'invisibilité sur
d'autres scenes que celle du mas, celle du village et de la société
locale d'une part, celle dans la vie politique ou syndicale d'autre
part. La non exclusion est le seul mode d'insertion possible.
- 52 -
11-2-2:Les fonctionnels.
Ce groupe se compose de toutes les personnes non natives qui
remplissent dans la vie locale des fonctions precises et reconnues par
l'ensemble de la population comme indispensables ou obligatoires. Il
s'agit des fonctionnaires d'une part qui sont en poste à St Laurent,
des professions liberales ¡médecin, masseur kinésithérapeute, notaire,
d'autre part, enfin du curé qui sur St Laurent partage son temps entre
le village et Aiguës Mortes.
La premiere condition à l'intégration est le respect des normes
de comportement du village, ce qui demande une premiere phase
d'apprentissage basée sur l'ouverture et le "laisser venir". Voici la
description de son arrivée par un instituteur de maternelle:
"Quand on arrive ici, on est étonné des rapports qui existent entre les gens. Pourtant Evelyne et moi on est de St Gilles, mais à mon arrivée je me suis cru dans un autre monde. Les gens sont à la fois tres chaleureux et en même temps très distants. La premiere chose c'est de te faire reconnaître professionnellement. Koi j'ai eu des difficultés au depart, les gens me disaient:"mais alors vous n'êtes qu'un instit de maternelle" l'air de dire vous êtes un sous instituteur. Les mères me demandaient si j'avais des diplomes, si je ne desirais pas enseigner à des plus grands. Ici beaucoup plus qu'ailleurs ça choquait qu'un homme s'occupe des "petits". Au fur et à mesure des contacts, en discutant des gamins, les choses se sont détendues et je crois qu'il a été admis que j'étais un vrai instit. Si tu veux on te demande d'être extrêmement chaleureux, à la limite "extraverti", il faut parler à tout le monde, il y a un espèce de code. .. difficile à expliquer, ici tout passe par l'oral, la demonstration, mais en même temps, sans qu'on te le dise jamais il faut que tu tiennes ta place. Tu peux aller au café, discuter avec force gestes avec les parents mais en même temps il faut que tu evites les familiarités. Sinon très vite des ragots se mettent à courir sur toi. Tu peux te faire griller à la limite. Il faut pas te découvrir, que les gens puissent dire que tu deconnes dans les bistrots. Si tu cherches à t'integrer à tout prix dans le village, tu te fais mettre à l'index."
Deux regles essentielles à la reconnaissance sociale sont ici
posées:
- correspondre au plus près à l'attente de la population en ce
qui concerne l'exercice de la fonction professionnelle. Les doutes émis
- 53 -
dans un premier temps par les mères sur la capacité d'un homme" à j ouer
à la maman" expriment d'une certaine manière cet attachement à l'ardre
des positions sociales et l'inquiétude que fait naître toute fracture.
-"Ne pas forcer l'intégration ": c'est en jouant le rôle sur
lequel on est attendu et ne pas tenter d'endosser celui de ceux qui vous
attendent . En d'autres termes le mimétisme peut être interprété par la
population locale comme une fracture et un non respect de l'ordre des
positons sociales immédiatement retraduit comme une incapacité à remplir
les devoirs de sa position et une cause de désordre.
L'attitude chaleureuse, "extravertie", n'est que la
manifestation d'un ensemble de normes implicites qui tout en
introduisant du jeu dans les relations entre personnes de position
différente respecte l'ardre des ces dernières .
"Ici il faut savoir être bavard ,en même temps il y a un mirage auquel les gens tiennent beaucoup c'est celui du statut. C'est marrant à dire mais d'une certaine manière même dans la rue il faut jouer à l'instit. C'est une question de mise en scène. "
La comparaison de la vie sociale du village à une mise en scène
théâtrale est un thème recurrent à l'ensemble des discours de cette
population sur les rapports sociaux à St Laurent. Le dosage savant entre
l'exubérance et le maintien d'une certaine réserve attendue est le
premier apprentissage de tout arrivant " fonctionnel" • Il ne peut y avoir
de continuum enxre la sphere publique et la sphère privée. La chaleur
des rapports publics ne peut se confondre avec une convivialité
intimiste basée sur la perméabilité de ces deux univers. Elle renvoie à
une euphémisation des distances sociales par la jovialité qui participe
de ce fait à ia reproduction de ces distances. "Chacun à sa place"
pourrait être la maxime de cet univers social et du relatif consensus
sur lequel il se fonde. Venir le fracturer c'est nier l'utilité du
rituel et méconnaître ouvertement la légitimité des institutions qui
structurent la vie sociale. Ceci n' est pas sans danger: les prix à
payer en sont la perte de confiance et le rejet. Ainsi un des médecins
de St Laurent nous a-t'il raconté l'histoire d' un collègue d'Aiguës
Kortes.
- 54 -
"X était un bon copain, c'était un type sérieux qui faisait bien son boulot. Seulement il s'est laissé prendre au piège. Le soir il allait au bistrot et se tapait le pastis avec les gars de village. Tout le monde connaissait ses histoires amoureuses et les ragots ont commencé à courir. Il a perdu aujourd'hui toute sa clientèle, il va être obligé de quitter le coin. La même histoire s'est passée à St Laurent. Ici il faut se méfier, tu crois être accepté, les gens te payent le pastis mais peu à peu ils ne viennent plus te voir au cabinet et les histoires courent sur toi. "
Le respect des coupures symboliques entre soi en position et les
autres est un element clé du système d'attente de la population à
l'égard des fonctionnels. L'identité du nouvel arrivant appartenant à
cette catégorie préexiste d'une certaine maniere à son arrivée. Elle est
un donné et la voie de la reconnaissance passe par l'apprentissage de
l'habitus attaché au poste que l'on occupe, par son incorporation.(1) Le
gage de ce travail sur soi même, fortement contraint par un controle
social omnipresent, la preuve de bonne volonté, passent par la
demonstration des signes.attachés à la fonction. L'anecdote suivante est
révélatrice de cette surveillance de l'univers du signe et de sa gestion
par la population par la rumeur.
"Quand je suis arrivé ici je débutais dans la profession. Autant dire que je n'étais pas fortuné. Lors de mes visites on a commencé à me faire remarquer que ma voiture était dans un sale etat et que "certaines personnes" colportaient le bruit que je n'avais pas beaucoup de clients et que je ne valais pas mon prédécesseur. Ici ta valeur correspond à ce que tu montres, un bon médecin ça doit avoir une grosse bagnole. Ca ne veut pas dire qu'il faut en rajouter. Il faut coller à ce qu'il pense de ce que doit être le train de vie de la position que tu occupes."
Jouer son role, l'habiter, c'est ne jamais laisser entrevoir qu'une
distance existe pour soi entre le jeu qu'on joue et ce que l'on pense
être. L'accumulation des signes extérieurs propres à la fonction qu'on
occupe, joue ici comme preuve d'adhésion au système de valeurs de la
scene publique.
(1> cf les travaux de Pierre BOURDIEU.
- 55 -
Si l'intégration peut apparaître moins problématique pour ce groupe
que pour d'autres, il n'en reste pas moins vrai qu'il reste prisonnier
de l'héritage de la fonction. Si l'entrée en fonction confère un capital
de reconnaissance à priori, l'identification à la fonction qu'elle
reclame, invalide toute forme de transgression, et ceci est d'autant
plus vrai que le système social qui autorise la reconnaissance est
susceptible de mettre en oeuvre un dispositif de controle fort. Le
verrouillage de certains lieux de sociabilité au nouvel arrivant,
l'intériorisation de ce verrouillage comme autant de normes et
d'interdits, contribue largement à neutraliser leur intervention
possible sur la vie sociale locale. Du coup le repli sur l'univers
intime, la non ingérence dans les affaires du village hors de la sphere
de la competence reconnue devient la regle.
"On est complètement replié sur nous mêmes. Depuis que nous sommes à St Laurent nous n'avons jamais autant vécu ensemble. Je veux dire qu' il n'y a pas vraiment d'activités que l'on puisse faire sur le village. Du coup, on va ailleurs, de temps en temps à Nîmes ou à Kontpellier. A part ça, c'est la vraie vin de ïàmille.» (Couple d'instituteurs)
Une anecdote montre l'attachement aux symboles et leur mode de
lecture immediate de la société locale. A la. veille des elections
présidentielles le curé de St Laurent avait fleuri l'autel à l'occasion
de la messe hebdomadaire. . . avec des roses. Des la fin de la messe, les
fidèles allèrent le voir et lui demandèrent de retirer les fleurs
susceptibles de signifier sournoisement les opinions politiques d'un
curé qui ,pour bénéficier de la consideration des croyants se devait de
rester neutre dans le jeu politique. Ceci fut fait et l'interdiction
s'étendit du même coup aux fleurs de lys! L'absence de presence
politique des fonctionnels non natifs de la vie politique locale, ou
encore des associations qui animent la vie du village du point de vue
culturel, manifeste l'efficacité de cette mise à distance par leur
enfermement dans la peau du personnage attaché à l'exercice de la
fonction.
- 56 -
11-2-3: Las. agriculteurs installés ei. IÊS. propriétaires
étrangers:
Le nombre de jeunes agriculteurs non originaires du canton est
relativement faible. De plus il s'agit essentiellement de jeunes issus
des cantons voisins et qui ont acquis leur propriété par la SAFER. La
Petite Camargue, et plus globalement la Camargue n'a pas été touchée par
l'installation de jeunes citadins participant à la mouvance du retour à
la nature. Les zones viticoles n'ont que rarement été touchées par ce
mouvement de retour à la terre. Pas de vieux mas à retaper, un prix de
la terre eleve (variant entre 35 000 et 120 OOOf l'ha), un attachement à
la terre enraciné dans la conscience collective, la bi-activité comme
•réponse au surpeuplement agricole,... autant d'éléments partiellement
explicatifs de cette absence des neos.
Comme le souligne B. PICON dans son ouvrage "L'espace et le temps en
Camargue", l'ensemble du Delta a été touché par l'appropriation d'une
bonne partie des exploitations par des capitaux étrangers ou des
sociétés marseillaises qui réalisaient ainsi un placement lucratif. Ces
operations furent rendues possibles par la crise des produits céréaliers
en la seconde moitié du XIX eme siècle. Acquisition de terres a visée
plus speculative que productiviste. De plus le développement industriel
de la zone Est et Nord de la Camargue ne fut pas sans susciter des
conflits entre les propriétaires fonciers et les industriels avec pour
consequence l'intervention croissante de l'Etat comme arbitre et
investisseur. Arbitrage qui s'effectua le plus souvent au profit de
1'industrie.
Ces vingt dernières années la nécessité de couper la Camargue
industrielle en forte extension (ros, Salins de Giraud.,.) de la
Camargue touristique du Languedoc fonda pour partie la volonté
amenagiste des pouvoirs publics dont une realisation les plus remarquées
est la creation d'une zone tampon: Le Parc Regional.
La zone ouest fut moins touchée par ce double processus de
l'industrialisation (sauniere) et du passage à une gestion
capitalistique du foncier. Le passage des grandes propriétés à une
parcellisation s'effectua au debut du siècle "plus en douceur" que sur
le restant du territoire camarguais. Le passage de la culture cerealiere
- 57 -
à la viticulture, largement favorisé par la crise du phyloxera à la fin
du XIX eme siècle s'est accompagné d'une vente parcellisée des grandes
propriétés, sur une zone dont la rentabilité faible n'était pas
suffisamment attractive pour les grands investisseurs.
L'attachement à la viticulture sur cette zone renvoie pour partie à
l'histoire de l'introduction du vignoble en Camargue. Mais l'absence de
gros investisseurs, de grands projets industriels en ont pour ainsi dire
atténué la violence des rapports de force.
L'attachement à la terre fait que le marché foncier est de peu
d'amplitude et que l'installation de jeunes agriculteurs se fait pour
une large part à l'occasion de la vente de grandes propriétés qu'acheté
la SAFER et qu'elle revend sous forme de parcelles à de jeunes
demandeurs de terres, originaires mais également non originaires de St
Laurent. L'intégration de ceux- ci passe par cet attachement à la vigne,
par le partage du mythe d'une viticulture qui ne peut pas mourir.
L'agent foncier de la SAFER chargé de la zone tente en vain de les
convaincre à la reconversion: '
"Ici le vin c'est de la piquette. Le cépage est vieux et de mauvaise qualité:" aramon et carignan". En plus c'est un pays de. plaine et même si certains encepagent en "cabernet et en syra" ça ne peut pas donner un AOC. Ils sont condamnés au vin de table. Kais les jeunes comme les vieux y croient encore. C'est pas du "je m'en foutisme", parce qu'au niveau travail ils en veulent, non ça fait partie du mode de vie. Les asperges, aujourd'hui c'est encore rentable, et il y en a pas mal qui en font aujourd'hui sur les terres sablonneuses, mais dans leur tête ils sont d'abord viticulteurs, il n'y a rien à faire. -Et les jeunes qui s'installent quelles reactions provoquent-ils chez les agriculteurs installes?. -Ils s'intègrent bien et ça passe essentiellement par les organismes agricoles (syndicats. ..) et le taureau".
Le CDJA est reconnu comme dynamique sur la region et il regroupe les
jeunes propriétaires qui contestent "la main mise des gros propriétaires
sur le monde agricole" mais tentent de maitriser le marché du foncier
qui a tendance à flamber. La participation de tout agriculteur non natif
à cette instance est la condition essentielle à l'intégration, dans le
monde agricole St Laurentais d'une part, dans la vie sociale locale
d'autre part. La deuxième est la participation aux fetes diverses qui
- 53 -
jalonnent l'année de la bouvine. La fête votive constitue le fleuron de
cette chaine, nais il n'est pas suffisant. L'introduction dans une
manade, dans le cercle d'initiés que cette dernière institue est un
atout supplémentaire.
Le marché du foncier est largement controlé par les propriétaires
eux mêmes qui une fois à la retraite "passent la main à leur fils" ou
louent la terre à de jeunes agriculteurs qui n'ont pas les moyens
financiers d'acquérir dans le present les terres qui leur sont
nécessaires.
"Les vieux ici ils ne vendent pas, ils préfèrent louer. Quand ils mourront il est possible que les enfants vendent à la SAFER, mais c'est pas sûr. Ici les gens sont attachés à la terre. (...) Pour la location ça se fait entre nous, de gré à gré, en fonction des besoins du moment. En regle generale il y a une solidarité qui joue entre les vieux et les exploitants."
Ce premier controle est renforcé par une presence forte de la SAFER
qui semble jouer le jeu de l'installation et tente d'enrayer la
"flambée" des prix:
" L'asperge a joué un role non négligeable dans le fait de faire flamber les prix. Ca concerne surtout les terres sablonneuses. Là on y peut pas grand chose. Mais il y a un autre phénomène qui joue. Nombre de types achètent 2 ha pour leur cheval Camargue et vont jusqu'à payer le double du prix normal. A la demande des agriculteurs nous intervenons. C'est des gars du coin qui travaillent à l'usine et qui achètent de la terre pour leur loisir d'une certaine taçon".
La regulation des échanges fonciers passe ici par la mediation de la
SAFER qui tente de maitriser les ententes locales entre particuliers et
qui viendraient à 1'encontre des projexs d'installation.
Consequence le relatif immobilisme du foncier, le fait que les gens
qui s'installent pour être non natifs n'en sont pas moins du coin même
"s'ils ne sont pas d'ici", fait que l'insertion de ces jeunes arrivants
ne pose pas de problème majeur.
Il n'en est pas tout à fait de même pour les grands propriétaires
étrangers. Si leur installation n'est pas recente et leur nombre limité
(2 recensés) ils restent absents de la vie sociale locale. Nous n'avons
pas pu les rencontrer et par consequent recueillir leur discours sur la
- 59 -
société locale. Il est cependant remarquable d'observer leur absence
totale de la vie sociale et politique locale.
n-2-4: les. conjoints, non originaires:
Sous avons vu dans le chapitre precedent que l'exogamie
caractérisait les mariages à St Laurent. Si les ménages ne restent pas
forcement sur St Laurent, il n'en est pas moins vrai que le mariage
reste un mode d'arrivée frequent de non natifs dans la vie sociale de St
Laurent.
La premiere variable qui influence les strategies possibles
d'integration est le statut et la profession. La deuxième est le sexe du
non natif. Enfin troisième variable, le lieu d'origine. En ce qui
concerne cette dernière, nous avons focalisé notre observation .sur les
non natifs originaires de départements étrangers. Les conjoints issus du
Gard, en situation de proximité culturelle . avec la société St
Laurentaise, s'integrant beaucoup plus facilement et de façon moins
médiatisée.
- Pour les agriculteurs le problème concerne essentiellement les
femmes. La mediation avec la société locale passe alors par l'époux et
l'espace social d'intégration se situe dans cette société distincte des
mas, ou des reseaux de solidarité et de voisinage s'instaurent de façon
autonome des reseaux internes au village. Kous avons pu observer des
reseaux relationnels entre les épouses des petits propriétaires qui ne
passaient ni par la mouvance associative (à part l'association des
parents d'eleves), ni par la vie politique. Kais l'espace social central
reste le mas:
"Je vais peu au village, d'abord parce que je travaille au mas et qu'avec les enfants je n'ai pas beaucoup de temps libre, mais aussi parce qu'il n'y a pas beaucoup d'endroit où les femmes se rencontrent. Je suis fille de paysan et j'ai l'habitude de vivre sur la propriété. En fait ça ne me change pas de ce que j'ai connu jeune fille. Les gens que je connais c'est essentiellement les voisins et puis les amis de mon mari" (Agricultrice-originaire de la Droma)
- 60 -
La participation à la fête votive est le moment privilegié où l'on
marque son appartenance à la communauté St Laurentaise. Il faut y tenir
son role de femme dans le rituel , à savoir y marquer la passion pour le
taureau, y manifester sa peur dans les arenes et pendant les abri vados
et les bandidos, participer à la ferveur collective aux prés. C'est
aussi preparer avec les autres femmes le repas du soir où l'on s'invite
de mas en mas pendant les huit jours que durent la fête.
- En ce qui concerne la population ouvrière le premier support à la
reconnaissance est l'entreprise. On travaille chez Perrier ou à Royal
Canin où l'on est rentré bien souvent, pour les hommes, par le biais de
sa belle famille. Les relations de travail vont constituer le premier
médiateur, après la famille de son conjoint, avec la société locale. Le
café joue ici l'espace de sociabilité majeur où peut s'opérer
l'acculturation à la société environnante. Elle passe par l'adoption des
comportements dominants, en 1'occurence à St Laurent la jovialité, la
demonstration virile des liens d'amitié ou des conflits, par la
participation au rite de l'apéritif que nous avons déjà evoqué, par
l'adoption des signes implicitement convenus comme marqueurs legitimes à
la position sociale que l'on occupe, par la reconnaissance des systèmes
de division sociale mais aussi par la participation à leur occultation.
La nécessité d'acquérir une position sociale reconnue, une identité
sociale stable peut contraindre à l'abdiquation de l'identité
antérieure. Le reniement des origines en quelque sorte peut constituer
un mode d'accès à l'identité, une stabilisation des modes d'évaluation
que les autres, les autochtones, développent à votre égard. Cette
contrainte est d'autant plus forte que la position à l'arrivée et le
pouvoir de la belle famille est symboliquement faible.
Inversement, une stratégie de revendication de sa position
"d'étranger" est jouable. Pour éviter qu'elle ne se solde par un rejet
elle nécessite de se faire reconnaître ailleurs, là où l'on n'était pas
attendu ou encore par l'exercice remarqué d'une fonction qui se solde
par une reconnaissance de l'extérieur dont tout le village beneficie.
L'exemple d'un Lozerien, contremaître chez Royal Canin, entraineur du
club de football illustre bien la mise en oeuvre de ce renversement des
valeurs.
- 61 -
"Quand je suis arrivé je ne suis pas tombé dans le panneau de l'apéritif, de la fête, du pastis et tout le tintouin. Moi je suis sportif et à part mon travail et ma famille ce qui m'intéresse c'est le stade. Le club de foot était le dernier de sa division. Les jeunes arrivaient sur le stade à moitié ivres et les matchs à l'extérieur c'était surtout une occasion de faire la fête. Quant à l'entraîneur je préfère ne pas en parler. Quand il est parti, personne ne voulait de la place,alors je l'ai prise. Très vite beaucoup de jeunes qui n'étaient pas là pour faire du sport sont partis. J'ai recruté des gars qui en voulaient et pas forcement de St Laurent et puis je me suis beaucoup occupé des jeunes. Au depart ça a failli mal tourner. Heureusement j'avais des collegues de travail qui ont un peu arrondi les angles avec les gens du village. Là où ça s'est vraiment tassé c'est quand le travail a porté ses fruits et qu'on a commencé à gagner des matchs. Cette année on est en tête de la coupe des clubs et ça s'annonce bien. Le taureau ça ne m'interese pas du tout. Je ne vois pas pourquoi ça serait une obligation. Aujourd'hui dans le village je suis considéré. D'ailleurs ce soir la mairie offre l'apéritif aux membres du club."
Cette alternative à l'assimilation demande d'etre dans une situation
où l'évaluation de la société locale puisse se solder positivement pour
soi, et sa realisation demande d'avoir des médiateurs qui intercèdent,
régulent,transforment les representations negatives ainsi suscitées.
L'accès à ces médiateurs peut passer par le milieu professionnel, il
peut aussi être le produit d'un système d'alliance plus ou moins
structuré avec des groupes marginaux qui sont en position de
contestation de l'identité collective dominante. Contestation qui ne se
manifeste pas ouvertement mais par le biais d'activités d'animation,
sportives par exemple, qui servent de support aux strategies de
distinction de groupes sociaux en position de minorité. Ainsi le tennis
club de St Laurent regroupe un nombre impartant de membres issus de
nouvelles classes moyennes qui trouvent dans ce club un espace de
reconnaissance et un mode d'organisation (nous y reviendrons dans le
chapitre IV).
- 62 -
U-2-5: Las. touristes.
Les touristes tiennent une place particulière dans le discours des
St Laurentais sur les étrangers. S' ils désignent ainsi l'estivant, ils
désignent aussi un processus, celui de la transformation de la Camargue
en objet de consommation. Celui d'une confrontation à l'extérieur, à la
société globale, dont le touriste est une des manifestations concretes.
En fait de touristes il y en peu pour ne pas dire pas du tout sur la
commune. Un petit camping municipal installé loin du village, de l'autre
coté de la nationale, héberge quelques rares campeurs l'été. Voilà tout
pour l'estivant. De plus, contrairement à certains villages environnants
St Laurent n'est pas connu, ne possede pas de ruines romaines ou de
vestiges de remparts St Louis. Peu de visiteurs donc! Le restaurant
local vit d'une clientèle d'habitués et le mois d'août est plutôt un
mais creux...à part pendant la fête votive.
Pour le touriste, il peut paraître surprenant de parler
d'integration. • Nomade par exellence, il ne se trouve pas à proprement
parler en position d'insertion dans la société locale. Et pourtant il
exerce une fonction forte dans le travail symbolique du marquage de
l'identité locale et sa designation renvoie à des logiques sociales et
des systèmes de representation qui structurent, construisent le
sentiment d'appartenance à St Laurent. Les divisions Kord/midi,
urbains/ruraux, cols blancs/paysans, autant de principes qui se trouvent
ici mobilisés.
Le tourisme presente une menace car il est aussi une opportunité.
Kenace de l'ordre symbolique, opportunité potentielle dans l'ordre de
l'économique. Le processus d'assimilation s'inverse ici, et les rapports
de forces symboliques ne sont pas favorables. C'est centre
l'assimilation par l'extérieur, par la société globale qu'il faut se
mobiliser.
La resistance à l'assimilation, à l'évaluation de l'extérieur,
passe par la revendication du stigmate. En Camargue, et peut être plus
encore à St Laurent, on s'affirme sauvage, barbare. St Laurent d'Aigouze
ne serait -elle pas, nous a-t-on dit, la francisation maladroite par un
fonctionnaire parisien de St Laurent des GOZES, c'est à dire des GOTHS,
des sauvages. Cette revendication permet à la fois la construction d'une
- 63 -
identité collective par le biais de la designation en même temps qu'elle
sert de support à l'action. L'autobiographie d'A. BOUIX est à ce sujet
interessante quand elle se conclut par cette double affirmation d'une
histoire humaine et d'une camarguité éternelle:
"Jusqu'à present la Camargue a survécu à tout. Au Rhone d'abord, qui la violait mais la fécondait en même temps. Aux Romains, aux invasions des Barbaresques, aux guerres multiples, au phylaxera, à l'échec de la riziculture. Va-t-elle résister au carton pâte que ses prétendus protecteurs nous préparent? On peut imaginer l'avenir. Deux ou trois manades agréées, certifiées exactes, avec un label, exhiberont des taureaux et des chevaux d'appellation contrôlée. Avec un coup de tampon sur un papier, c'est facile d'avoir un pur sang Camargue. Les faire venir naturellement, ça, c'est autre chose. Tout ça finira par des manades préfabriquées que le Parc Naturel fera visiter dans toutes les langues. Et ce sera le mieux en cour, le type du bon coté du manche, qui en profitera. Celui qui sera de race, du pays, y vivant, y travaillant, il claquera du bec. (...) Kais qui sait? La crise aidant, manadiers, gardians, bergers, pécheurs, chasseurs, "sagniers", gens du pays reagiront pour que la Camargue retourne à sa vacation premiere: faire vivre des mas, nourrir des moutons, des chevaux, des taureaux, "(1)
Dans ce cadre, le touriste c'est "les autres" â l'état pur, ceux en
opposition desquels on existe, on se mobilise. L'opportunité économique
du tourisme apparait alors comme contradictoire à la survie identitaire,
l'introduction de nouvelles rationnantes économiques qui
s'accompagnerait d'une domination symbolique.
L'appel à la Camargue comme territoire, comme nation, comme race, ce
glissement sémantique qui permet le passage du territoire à l'être
social, lui -même euphemisé sur le theme de la race participe a. cette
reconstruction d'une identité «n opposition a la société globale.
Le débat de savoir si le tourisme est ou non une opportunité dont les
St Laurentais devraient se saisir, débat entre la population ouvrière et
les groupes modernistes transversaux au local, recouvre une opposition
qui ne trouve pas sa logique dans les seules rationnantes économiques,
mais renvoie au;; rapports de farces symboliques internes à la société
locale ayant comme enjeu le pouvoir de definition de cette société.
(1) DURAND <J> op. cité p. 240
CHAPITRE TROISIEME: • ^ <*T* «T» •+•
LES FÉTÉS
- 65 -
La Petite Camargue est largement identifiée regionalement à un
espace festif, une sorte de mini feria permanente où alcool et taureau
sont indissociablement liés. Les fêtes considérées comme importantes par
les habitants natifs de St Laurent trouvent leur signification dans un
espace social et symbolique beaucoup plus large que celui du Bourg.
Elles s'intègrent dans la bouvine comme espace géographique, comme
espace symbolique, comme espace social qu'elles contribuent en même
temps à structurer. Elles en sont à la fois la demonstration et
l'élément structurant.
Ainsi la fête votive de St Laurent s'integre dans le continuum
des fêtes de village sur une zone qui s'étend d'Aiguës Vives au Nord, à
St Gilles à l'est, d'Aiguës Mortes au Sud à Kauguio à l'Ouest. La fête
structure le territoire d'appartenance, et l'effort consenti par la
municipalité et la population est à la hauteur de l'enjeu. Un
arrangement entre mairies et clubs taurins de ces différents villages
pour echelonner le calendrier des fêtes s'est instauré depuis quelques
années. L'objectif en était de permettre la participation de toute la
population de ces villages non pas à telle fête, mais à ce continuum de
fêtes qui s'étale de Juin à fin Septembre. Chaque fête durant à minimum
huit jours. Les jeunes passent ici l'été et une partie de l'automne de
fêtes en fêtes, les plus vieux vont y faire un tour le Dimanche.
Les autres fêtes de la bouvine (Ferrades, bistournage...) sont
beaucoup plus restrictives en termes de participation. Celle ci est
selective, elle confère l'appartenance à l'univers symbolique du
taureau, à un des groupes qui la constitue comme système social tout en
donnant l'appartenance au territoire mythique de la Camargue. Elles
participent des différents systèmes de distinction sociale internes à la
société locale. Contrairement à la fête votive, elles ne constituent pas
une mise en representation du village à usage collectif, mais une
demonstration de sa position dans un des groupes d'appartenance qui
- 66 -
structurent la société locale, demonstration non ostentatoire, mais à
usage restreint. Elles marquent tout en 1'euphemisant un des principes
de division en vigueur dans la société locale entre aficionado et
profane, mais aussi sa sujétion à telle manade. On appartient à la
manade Lafont ou à la manade Blatiere et c'est la participation aux
différents dispositifs festifs organisés et mis en place par les
manadiers qui marque cette appartenance.
Enfin, les fêtes qui ne sont pas organisées autour et par la
bouvine. Peu nombreuses elles ne présentent pas d'enjeu identitaire
collectif comparable aux autres. Il s'agit essentiellement du Carnaval
organisé par l'école, du 14 Juillet, de la fête paroissiale. Encore que
ces deux dernières se soient d'une certaine manière "bouvinisées"
puisque le clou de la fête est pour l'une, une course camarguaise, pour
l'autre, une ferrade.
Au delà des fêtes proprement dîtes, restent le loto et la
tombola paroissiale. Ces dispositifs ludiques méritent quelque
attention, par la mobilisation qu'ils suscitent au niveau de la
population, d'une part, par leur caractère local, d'autre part.
Le discours des habitants sur les fêtes s'organise autour de
plusieurs poles:
- "les fêtes ça disparaitra". L'idée d'une disparition fatale des
fêtes renvoie au discours que nous évoquions à propos du tourisme.
L'idée d'une vulgarisation des fêtes, particulièrement des fêtes
votives, est pregnante. L'exemple d'un certain nombre de villages qui se
sont industrialisés et qui ne respectent plus vraiment la tradition, ce
qui signifie en creux où le système de valeurs et de normes se sont
diversifiés, où le consensus s'est fracturé, est souvent avancé. Un des
signes de cette fracture: les bagarres. Une rationnalisation: la
presence dans ces bourgs/villes (St Gilles, Vauvert) d'immigrés.
- la commercialisation tue les fêtes de la Bouvine. Le fait que
certains manadiers organisent des ferrades payantes, fassent des
abrivados pour les touristes est sévèrement jugé. Ceci se thematise
selon deux axes: la trahison, la recuperation.
- trahison de la part des manadiers qui vendent la tradition et
d'une certaine maniere bradent l'identité. La reconversion de certains
manadiers dans des activités taurines à but essentiellement commercial.
- 67 -
Cette trahison de certains manadiers de souche se double de l'arrivée de
nouveaux manadiers qui valorisent ainsi leur position sur la scene
locale (ex: certaines entreprises ont aujourd'hui leur manade) ou
tentent de s'y faire reconnaître. La reaction des traditionnalistes est
ici feroce. Ainsi cet article de la plus célèbre revue de la bouvine "LE
CAMARIGUQ" sur une reunion rassemblant manadiers, gardians et
razetteurs:
"Les brebis galeuses, les touche à tout sans connaissance, ont été fustigés comme si un mot d'ordre avait été donné et seul ce qui est valable a été pris en considération. Point n'est besoin de faire le procès de qui que ce soit, ce procès est déjà fait par les aficionados qui n'ont que faire de ceux qui effrontément se mêlent de la chose taurine sans la connaître, comme de ceux qui la connaissent peut être, n'en passent pas mains leur temps à faire des discriminations, à faire une critique systématique, partisane et negative de tout ce qui n'est pas dans l'ordre qu'ils souhaitent imposer." (1)
Critique au ton vif mais où ceux qu'elle designe ne peuvent être
nommés. La stigmatisation explicite accentuerait les fractures d' un
dispositif qui se sent déjà menacé par des divisions internes qu'il faut
faire taire. Systeme paternaliste où le conflit est impossible et où
l'on passe alternativement de l'anathême à la conciliation, comme
l'illustre la conclusion de l'article que nous venons de citer:
"Maintenant que ceux qui ont été egratignés sachent que ce sont les plus aimés, liais oui, car c'est pour leur éviter le pire qu'il était bon de mettre l'accent sur leurs défauts qui ont trop souvent pour témoins de nombreux spectateurs qui s'étonneraient à juste titre de notre silence. Si nous nous taisions nour leur rendrions un trop mauvais service ce qui serait même tres méchant de notre part et, puis, ne serions nous pas alors leur complice?"
Les conflits éventuels se doivent de rester dans la famille, l'image
du consensus interne est de regle dans les rapports avec l'extérieur
(1) Editorial du "Camariguo".n*75. Mars 1979.
- 68 -
-. Une des reactions possibles est alors de verrouiller l'accès à la
tradition: exemple: L'Association pour la Defense de la Camargue et de
ses Traditions repartie sur le territoire camarguais en sections
(appellees unités familiales et dont l'animateur est un chef).
L'autre stratégie possible est de composer et de tenter un melange
savant de "tradition" et de modernité. Sorte de compromis qui
permettrait de sauver l'essentiel. Nous reviendrons plus loin sur ces
deux points qui renvoient pour une large part à la fonction des notables
qui médiatisent les rapports avec les traditions en même tant qu'ils
sont garants de la tradition et de ses usages.
-La recuperation des traditions "nationales" (en reference à la
nacioun gardiano) par la société englobante est un autre thème majeur.
La professionnalisation de la course camarguaise, à entendre par là
celle des razetteurs , est une des variations de ce thème.
L'introduction d'une logique contractuelle dans un système symbolique
basé sur la demonstration de la foi, du don de soi,... est
problématique. Elle est une irruption de la société globale dans le
rituel, d'autant plus menaçante qu'elle repose sur le gain économique,
qu'elle a pour effet de mettre en place un système de competition. Bref
qu'elle exerce un veritable pouvoir attractif.
"Les gars (rasetteurs) aujourd'hui ils courent pour de l'argent. Le taureau ça vient après. Ils deviennent des vedettes et ils vont dans l'arène comme ils vont à l'usine. En plus pendant la course ils se piquent le taureau pour empocher la prize. Je crois que c'est la fin de la course camarguaise que cette histoire de salarier des rasetteurs. Moi quand j'allais dans l'arène c'était d'abord pour le plaisir. Maintenant les gars ils y vont avec une autre mentalité, le rasetteur il gagne de 1'argent, le taureau, lui il a rien."(ouvrier agricole-ancien rasetteur)
L'inversion du monde des valeurs par lequel le rasetteur prend la
place du taureau, devient la vedette de la course, est assimilée á une
recuperation de la société extérieure où seul compte l'argent, où la loi
disparait peur laisser la place "à la seule loi du profit" du "chacun
peur soi" où "on est un numero", bref, est assimilé à une rupture de
l'identité collective par l'introduction de nouvelles rationnantes.
L'argent jusqu'alors tabou dans les courses et les fêtes en regle
- 69 -
generale fait brutalement son apparition, venant briser le mythe de
l'acte gratuit, introduisant l'idée d'un système d'équivalence universel
qui vient en contre du particularisme revendiqué. Au taureau comme
symbole se substitue l'argent comme equivalent general.
Nous posions l'hypothèse, dans le projet initial, que la production
du sens sur les fêtes, sur les rituels, que les fêtes comme expression
et structurant de l'identité collective, était un enjeu stratégique au
niveau de la société locale. Ceci demandait de prêter attention aux
rituels eux -mêmes, mais aussi aux divisions sociales que ces rituels
produisaient, organisaient, et en même temps occultaient. Nous nous
sommes attachés à observer l'organisation des rituels, la place que
chacun y tenait, le mode d'accès proposé aux différents groupes sociaux,
mais également à analyser les effets sociaux que ces pratiques
produisaient, les différents classements qui s'institutionnalisaient
ainsi, les coupures symboliques que le rituel venait en quelque sorte
naturaliser.
- 70 -
Bous classerons les fêtes en trois groupes:
- les fêtes de la bouvine qui marquent l'appartenance à un
groupe restreint d'initiés et qui se structurent à partir de la manade
-La fête votive et la course camarguaise qui marquent
l'appartenance au village.
-les autres fêtes qui n'ont pas trait à la bouvine et dont
les fonctions sont diverses.
III-l : F ê t e s d e la b o u v i n e : D e s c r i p t i o n sJc
r e p r p s e n t a t i o n s s o c i a l e s ;
Dans ce premier paragraphe nous décrirons l'ensemble des fêtes de la
bouvine et tenterons de rendre compte des representations sociales dont
elles sont l'objet ou dont elles sont l'occasion, le support. Enfin nous
essaierons de dessiner les contours des systèmes d'appartenance , et du
même coup, en creux, des divisions sociales que ces événements
produisent et reproduisent, à la fois causes et effets.
III-l-l:Les fêtes internes à. la. Kanaie.
III-l—1—1 La Xuselade:(au printemps)
Il s'agit Ju sevrage du jeune veau. Cette activité était
autrefois prétexte à un rassemblement d'amis de la manade, tout comme le
bistournage. Elle n'est plus pratiquée aujourd'hui. Pour sevrer le veau
(qui avait plus d'un an) on insérait dans les naseaux une planchette
d'aube en ferme de demi-lune appelée "mcurrau". Lorsque le veau levait
la tête vers sa mère, la planchette s'abaissait sur sa bouche et ainsi
il ne pouvait plus téter; au contraire, lorsqu'il baissait la tete, elle
libérait la bouche ce qui lui permettait de brouter(l). Cet instrument
tombait de lui même par pourrissement au bout de deux mois environ.
(1) TAURINES (M) "Des taureaux et des hommes". Thèse de 3ème cycle,1983.
Université Montpellier III
- 71 -
Les techniques de l'élevage s'étant transformées, ces pratiques
n'existent plus à l'heure actuelle, ou sont associées à la ferrade.
III-1-1-2: Bistournage: <en automne hiver)
C'est la castration du taureau ayant environ quatre ans. La
méthode employée actuellement est celle de l'écrasement des conduits
séminaux à l'aide d'une pince spéciale appelée "burdizzo".
La motivation essentielle à la castration est celle de la sélection.
Suivant le comportement du jeune taureau dans l'arène celui-ci sera
consacré cocardier.il sera alors castré.De ce fait ce que nous appelons
ici "taureaux" sont des boeufs. La raison donnée par les gardians pour
la non- utilisation d'un taureau entier dans l'arène, est que celui-ci
serait trop facilement distrait par une sexualité contradictoire avec la
combativité qui lui est demandée dans l'arène. Nombre d'histoires
courent sur les cocardiers celebres qui lors d'une course ne pensaient
qu'à retourner au toril". Ce jour là, dit-on le taureau était amoureux.
L'anthropomarphisation du taureau est une constante que nous retrouvons
ici.
Le bistournage, organisé une ou deux fois l'an par le manadier
est occasion à une invitation adressée aux "amis" de la manade. Le
travail dure toute la journée. Les taureaux sont amenés en camions dans
le pré où est effectuée la castration, en sortent un par un, tirés par
une corde qui leur est attachée autour des cornes. Les gardians et
gardians-amateurs le renversent et l'homme specialise dans le
bistournage le castre. Le taureau se redresse, la corde est déliée et
le boeuf part en courant vers les prés. Gardians et gardians amateurs
sont des hommes âgés de 20 à 40 ans. Les spectateurs, qui ne sont pas
passifs car ils doivent se cacher ou courir lorsque la bête est lâchée,
sont composes d'ex-gardians, de razetteurs, les femmes et les enfants de
ceux-ci et d'autres invités nominatifs: on ne compte habituellement pas
d'étrangers
- 72 -
III—1—1—3: La íerrade:(au printemps)
Hous trouvons une première description de la ferrade ou" moyen de
marquer les boeufs sauvages", dès 1560 dans "1*historial de l'antique et
illustre cité de Nismes" par Jean Poldo d'Albenas(l). Ce récit est si
précis et ressemble tant aux descriptions actuelles que nous le
rapportons ici pour illustrer notre propos:
"...l'an ne trouvera pas moins de plaisir au conflit de taureaux, que nous appelons la Ferrade(... )0r donc, ainsi que chacun père de famille ou mesnaguier a une certaine quantité de boeufs, il est besoin, s'il ne veut mettre en hasard de les perdre, (car ils ne s'enferment ordinairement de jour, de nuict es estables ou granges) qu'il note de sa marque, ou armoiries,la race et succession d'iceux ,ou de deux en deux ou pour le plus, de trois ans:par ce que les taureaux plus âgés, ne sont aisés à être ainsi marqués, ce que l'on fait en une plaine bien grande, n'ayant de cailloux, de buissons, toute découverte, sèche; et la plus dure, qu'on peut choisir: sur un bout de laquelle on fait venir tout le bestail, et à l'autre fin d'icelle y fait on un buyer, et feu assez grand pour chauffer les ferremens et marques emmanchées de longues hastes.En ceste plaine se trouvent les gardiens du gros bétail circonvoisin en grand nombre, montés sur chevaux du haras du pais, qui sont autant légers à la course, qu'il est possible, et portans en mains en lieu de lance, un long bois ferré ainsi que le trident de Neptune, fors que le fer du milieu est plus court que les autres deux? Ainsi à force et sur tout le troupeau on choisit les jeunes taureaux, non encor marqués, que à course de chevaux, et coups du trident l'on chasse jusques auprès du feu, ou ya gens à pié,qui les attendent, et se ruant le taureau sur l'homme de sursaut, ayant ia esté harassé, et piqué par ces chevaucheurs à tout leur tridents, l'homme qui attend, se destourne à costé, le saisit par les cornes, et à la mode da la luitte, luy baille croc en jambe et le pousse à terre avec l'épaule: donc l'ayant ainsi abattu par terre, il est aisément enferré du fer chault et rouge, et ainsi marqué. L'ay autres fois en plusieurs compagnies assisté à tels passetemps, et moy-mesme à pié en ay attendu un, mais avec le trident en main, et me souvint pour lors, voyant ces courses, d'un semblable passetemps, qu'on lit avoir esté exhibé au peuple romain par les grans au cirque, fait contre les
(1) Archive?; départementales du Gard
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taureaux, par les hommes, et chevaux Thessaliques. Suetonius Tranquill, en la vie de Claud. Cesar."
Passons sans commenter à la description d'une ferrade au XXème siècle
due à R. Laurans, directeur du Centre d'Enseignement Zootechnique de
Rambouillet U ) :
"La ferrade. C'est la marque au fer rouge des animaux. Chaque propriétaire possède sa marque particulière. Cette opération a lieu à l'âge d'un an, est l'occasion d'une grande réunion où sont invités les amis du manadier. Après avoir écarté de la manade les bêtes à marquer, les gardians à cheval, les conduisent dans un enclos, ils mettent pied à terre et renversent l'animal en l'empoignant par la corne et la patte. Cette opération nécessaire à l'élevage est devenue un jeu de force et d'adresse tout comme dans la Grèce antique. On pratique également des ferrades en plein champ où les anoubles sont envoyées par des cavaliers, ( après une poursuite au galop de 600 à 800 mètres, pour les essoufler), sur les invités qui s'en emparent et les "tombent".L'animal à terre est attaché et maintenu par des hommes, tandis qu'on le marque au fer rouge sur la cuisse. (...)"
Ces deux textes, écrits à quatre siècles de distance (1560-1962),
donnent une description très semblable du déroulement de la
manifestation, au niveau:
- des participants: propriétaires, manadiers, pères de famille,
mesnagiers, villageois.
- De la description technique: les gardians à cheval, munis de
tridents, piquent et poussent les taureaux choisis vers les invités
(gens â pie ) qui, les maintenant par les cornos, les poussent a terre
avec l'épaule et les marquent au fer rouge.
- De la référence à la Grèce antique qui est une constante dans
(l)"Quelques aspects de l'élevage en Camargue", in Bulletin technique
d'information de¿ ingénieurs des Services Agricoles.N.174 Nov.1962
- 74 -
l'ensemble des textes "populaires" mais aussi "savants", sur les
pratiques d'élevage du taureau et les rituels qui en rythment le
déroulement. Il est à noter qu'aucun document, aucune archive ne
viennent valider une pareille construction généalogique.
Mais la comparaison s'arrête là. En effet, alors que les
descriptions de l'élevage, ou plutôt l'appropriation de taureaux
sauvages, élaborées à l'époque de la renaissance, renvoie à l'image
d'une société pastorale ,les ferrades aujourd'hui n'ont plus la fonction
de marquage materielle de la capture et s'intègrent dans une stratégie
de reproduction d'une société viticole, semi-proletarisée. La
comparaison comme fiction renvoie ici à un acte de "magie sociale",
comme langage performatif qui a pour pretention de faire exister ce
qu'il énonce, à savoir la généalogie comme continuum, comme
reconstruction de l'histoire sociale à travers celle du taureau.
Outre l'aspect symbolique du marquage, la prise de possession du
manadier, la singularisation des taureaux (actuellement en plus de la
marque au fer, on imprime un numéro d'identification en vue de la
sélection s'il se révèle bon cocardier), la dimension sociale joue un
rôle prépondérant dans la ferrade: elle a été le lieu de rassemblement
privilégié des amis du propriétaire, et c'est la seule activité taurine
où les femmes aient été régulièrement admises. En effet, après le
travail de ferrement qui dure en général de six heures à midi, a lieu un
grand repas qui occupe, lui, le reste de la journée sinon de la nuit.Ce
banquet peut:
soit réunir les"supporters" de la manada en cercle très fermé comme
au début du siècle:
" Chaque sanade comptait ainsi ses axis triés sur le volet. Un ami de telle manade ne serait pas aile à une ferrade de telle autre. Il aurait fait figure d'espion." (1)
(l)DURAHD (J)"André Bouix. gardian de Caaargue" . Stock. 1980, p. 128
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soit rassembler les habitants d'un ou plusieurs villages, comme le
11 Septembre 1754:
'Tout le peuple de Lunel, Aimargues, Karsli largues et Vauvert s'y était rendu pour être spectateur d'un pareil acte qui fut,à la vérité, très célèbre."(1)
La ferrade est certainement l'événement taurin le plus structurant
de la manade comme espace de sociabilité et comme groupe d'appartenance.
Participer à une ferrade est un signe distinctif, en être différencie
fortement de ceux qui n'en sont pas.
"On devenait ami d'une marque, soit parce qu'on préférait ses taureaux, soit parce qu'on appréciait le manadier, soit parce qu'on était ami du gardian. <. ..) Ces preferences tombaient parfais dans une. sorte d'idolâtrie, de sectarisme. On reconnaissait, par exemple, les amis de la manade Granan -une des plus réputée de l'époque- à leur chapeau. Ils arboraient le même chapeau que le manadier"(2)
Au marquage des taureaux comme signe de leur appartenance repond le
signe d'appartenance des hommes par leur marquage, par l'attestation
signifiante de leur sujétion au manadier. Le marquage de la bête est
symétrique à celui de l'homme.
L' ensemble de ces fêtes se structure sur le modele familial. Au
centre, le chef (cette expression est reprise par l'ensemble de la
presse taurine pour designer le manadier), autour les croyants, les
"baptisés" ceux qui font acte de foi et d'allégeance au cercle que
constitue la manade, entre les deux les "officiants" (les gardians) qui
médiatisent les rapports entre le chef et les fidèles (la fidélité est
un theme recurrent à l'ensemble des discours regionalistes sur la
Camargue). La structure religieuse est ici transparente, quasi explicite
(DLE01ÎARD (E.G)."Kon village sous Louis XV". FUF 1941. Description de la
ferrade par PRIOK,secrétaire du Marquis d'Aubais.
(2) DURAND (J)"André Boulx. gardian rie Camargue".Stock 1980, p. 129
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La íé unit ce cercle d'initiés.
L'ensemble des fêtes qui se déroulent dans ces cercles électifs sont
les seules où la presence du manadier est quasi obligatoire. Sa presence
confère la légitimité à la fête, confère de l'énergie au rituel. Nous
avons dit que le manadier était un "homme invisible". En fait il se doit
de doser sa presence sur les différentes scenes, elle seule est
véritablement chargée de sens.
Après le marquage des bètes effectue, le repas donne l'occasion de
récits, de raille et une histoires sur la Camargue, le taureau, les
courses. Une rivalité s'instaure pour la prise de parole, pour qui
racontera l'histoire "la plus enorme", ou encore celui qui aura les
accents les plus vibrants pour évoquer emphatiquement son attachement à
la nation gardianne, à la patrie. Ainsi le récit d'un de ces discours
dont les St Laurentais se souviennent.
"Il se leva et improvisa une tirade étonnante à partir de quelques comparaisons. Il parla du vieux rideau fait en sac, troué, où le chien fait sa place à force d'allées et venues, de la treille, du sulfate et du chateau de Lunel Viel où il était né. Il mêla toutes ces images et sortit un discours magnifique. Ces vignerons qui 1'écoutaient bouche bée, qui avaient bien déjeuné, qui avaient bien bu du Pastis, ils en tombaient d'emotion, des larmes comme des grains de raisin. Ils reniflaient: "lo zabiam, que nos faria plorar" (nous le savions, qu'il nous ferait pleurer)"(1)
Appel à la nostalgie d'un temps révolu, certes, mais avec l'art
oratoire qui fait le'veritable narrateur, dans la lignée de l'emphase du
felibrige. Il est étonnant que sur St Laurent peu de references soient
faites à la langue. Elles portent pour l'essentiel sur le discours comme
art. Parler de la Provence ce n'est pas d'abord parler provençal, ni
languedocien, c'est d'abord le discours comme emphase, l'art rethorique.
Celui ci est nettement plus transversal à l'ensemble des groupes sociaux
qui composent la "nation mythique" que le Provençal, langue regionale
largement reconstruite par le mouvement Felibrige. De cette
reconstruction ce qui s'est gardé, reproduit, c'est la rethorique
(1) in "Camariguo Editorial".»' 63,Mars 78, p 3
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. Le contenu lui même doit ceder le pas sur les effets. Les grands
themes récurrents aux discours des camarguais sur la Camargue et sur eux
mômes sont relativement peu nombreux et pauvres, ce qui compte c'est
l'art de produire de l'émotion, l'art du discours et du geste comme
miracles: faire surgir l'apparence comme realité. L'engagement corporel
fait partie du discours dans cette tradition de l'oral, la gestuelle
comme preuve de l'engagement du locuteur, de sa foi dans le rituel.
Muselade, bistournage, ferrade, autant d'espaces où l'on se retrouve
entre hommes de la même famille à produire de la memoire collective. Où
au delà des clivages politiques, religieux, on se retrouve entre
sudistes, entre aficionado pour se serrer les coudes contre les
diviseurs, les nordistes, l'Etat, les "touche à tout", ... contre le
risque de recuperation.
Car aujourd'hui, les ferrades sont devenues des divertissements très
prisés qui tiennent de plus en plus du spectacle et demandent de moins
en moins la participation des invités, comme le remarque avec acidité A.
Bouix:
"On a beau dire, la ferrade est devenue une manifestation commerciale et presque permanente, comme le cinéma. Tu as des ferrades tous les Dimanches et parfois en semaine. Alors, tu es la ferrade FTT, la ferrade CGT, la ferrade des infirmiers, des Étudiants en ceci, du club de cela, de l'association de "X", du cercle de "Z". Tout le monde, peut -être des philatélistes, fait la ferrade. Cest ni plus ni moins une fête champêtre qui rapporte aux manadiers, alors que dans le temps, la ferrade privée était la fête de l'élevage, de la manade. " (1)
La perte de la distinction que conférait la participation à la
ferrade, distinction interne à la société locale est vécue cornue un
traumatisme identitaire. Deux attitudes alors sont reperables, et
peuvent se combiner:
- Definir les vraies ferrades en opposition aux autres, celles
qui ne respectent pas le système électif de participation et les tourner
en derision pour leur coté préfabriqué :" ces simulacres de ferrades
(l)DURAIÏD (J). op.cit. p. 127.
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qu'organisent des margoulins". Si cette attitude est plus ou moins
generale de la part des vieux, garants de la tradition , elle devient de
plus en plus difficilement tenable en ce sens où un nombre croissant de
manadiers "vulgarisent" ce type de fêtes. La stigmatisation des traîtres
conduit à l'isolement.
- Accepter le compromis, se poser en "pedagogue", en définissant
ceux qui méritent de participer à ces fêtes en spectateurs et en tenant
à l'écart ceux "qui n'y ont pas leur place". Se joue ici un jeu subtil
sur les frontières, qui pour être générateur de desequilibre a
l'avantage d'obvier aux consequences du sectarisme étroit. Le spectateur
ideal c'est celui qui se tient à sa place, qui y croit et repart touché
par la fé, un peu envieux de ne pas faire partie de la famille. Les
autres, les indésirables, sont représentés comme ceux qui produisent un
sens alternatif à celui qui leur est proposé, qui se situent "en
donneurs de leçons", qui établissent un rapport de force dans l'ordre
symbolique. Parmi ceux là, les pseudo-penseurs, les intellectuels de la
ville tiennent une place de choix.
"Il y a des gars qui débarquent, je suis pas sûr qu'ils aient vu un taureau de leur vie et c'est tout juste si ils ne te donnent pas des leçons. Un jour un vétérinaire de Lyon m'a dit tout de go dans une ferrade qu'organisait le patron, que notre race taurine était bâtarde et que nos méthodes d'élevage n'étaient pas techniquement bonnes. Ce type là soignait les chats et les chiens à longueur de journée et tout à trac, il se croyait doué pour élever les taureaux. Des types comme ça, faut les virar"(Gardian proiessionnel-Le Cailar)
Les bons spectateurs, définis comme ceux qui connaissent leur place
et la reconnaissent, sont spatialement determines dans le discours que
l'on tient sur eu:c: ce sont les jens de culture proche, les Gsraois.
L'affiche de la candidate socialiste aux dernières élections
représentait cette dernière à cheval, au milieu des marais de Camargue.
Le slogan en était: le coeur battra toujours a gauche. Cette
reconnaissance de la Camargue comme le coeur du Gard, sen ame en quelque
sorte, est redondante avec l'idée que les St Laurentais et les
camarguais Languedociens se font d'eux mêmes quand ils se pensent sur le
Departement. De quoi legitimer les strategies de compromis.
CHAPITRE QUATRIEME: -T" *T* "T" •'T'
LE POUVOIR LOCAL:
VIE ASSOCIATIVE
VIE MUNICIPALE
»
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Il 1-1-2: La, bouvine au. village
Il s'agit ici des rituels de la bouvine qui se déroulent dans
l'ensemble des villages de Petite Camargue. Cette animation est très
importante et se constitue comme un quasi monopole. Elle apparaît comme
un des vecteurs par lequel ces villages se pensent et tentent de se
constituer comme realité.
III-1-2-1: L"abrivado:( été )
C'est l'ancien mode de déplacement des taureaux, qui parcouraient
entourés de gardians la distance entre le lieu de tri de la manade et le
village où était prévue la course. Le voyage inverse se dénomme bandido.
L'abrivado et la bandido sont donc les rituels d'ouverture et de
fermeture de la course.
Autrefois,c'étaient les mêmes taureaux que l'on amenait,qui
participaient à la course,et que l'on ramenait vers les champs .
Aujourd'hui les taureaux destinés à la course elle même sont amenés en
camion. L*abrivado et le bandido sont effectués par des taureaux dont
c'est l'unique spécialité. Il s'agit le plus souvent de bêtes qui n'ont
pas fait leur preuve dans l'arène ou de vachettes.
Encadrés, donc par des gardians en selle, les taureaux parcourent au
galop les rues du village, de son entrée aux arenes. Pendant tout le
parcours, les jeunes, les hommes vont tenter de s'immiscer entre les
chevaux et les taureaux (généralement six) pour tenter de les faire
échapper , les attrapant par les cornes ou la queue. Les gardians de
leur coté serrent la bâte au plus prés, et à l'aide des pieds et parfois
de la bride comme d'un fouet, tentent de décourager les intrépides. Si
le taureau s'échappe, poursuivi par la foule le gardian s'élance a sa
poursuite et tente de le ramener. Si ses tentatives échouent, le village
s'organise, et dans l'exaltation generale, l'abrivado finit dans les
vignes.
La premiere caractéristique de ce rituel est l'énorme mobilisation
qu'il suscite dans la population. Tout le village est dans les rues où
vont passer les taureaux. La repartition spatiale est extrêmement
rigoureuse. Dans telle rue large et longue se trouvent les jeunes et les
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hommes vaillants, les aficionados actifs. Dans ces rues les taureaux
vont vite et c'est là où les jeunes ont le plus de chance de les faire
échapper. A tel virage se trouvent les plus courageux. Pour le négocier
les chevaux devront ralentir et les possibilités de pénétrer dans le
groupe des gardians se multiplient. Dans l'encadrement des portes les
femmes et les hommes plus âgés. Dans celui des fenêtres, les enfants qui
s'assurent ainsi la possibilité de voir. Aux fenêtres, les personnes
âgées, les seules qui peuvent rester chez elles sans s'attirer la
reprobation. Au milieu de la rue les hommes et les jeunes, contre les
murs les jeunes filles et les femmes. La foule est extrêmement compacte
et ces mouvements divers font partie integrante de l'événement.
En effet, la deuxième caractéristique c'est l'agencement du rituel
dans le temps. L'abrivado se prepare. On arrive à sa place une bonne
demi-heure avant et l'attente commence. Elle fait partie de la
manifestation. Au debut on s'interpelle, on discute de la famille, de la
course, de l'univers particulier; puis peu à peu la discussion derive
sur les taureaux "qui vont arriver... qui ne vont pas tarder". On
anticipe sur l'événement, on imagine les tournures qu'il peut prendre.
Soudain un homme se met à courir, bousculant les voisins. Immédiatement
on se met, qui en garde pour faire face, qui à courir, qui à se réfugier
derrière les barrieres. On crie, on hurle. Fausse alerte. La foule se
reorganise, on se moque des couards, les plus courageux prennent un air
assuré. La tension monte. Chacun a le regard rivé sur le bout de la rue.
Les farces se multiplient, on plante deux doigts dans le dos de son
voisin qui crie surpris ou qui rigole. La tension arrive à son comble,
l'impatience se manifeste. Peu à peu l'observateur voit les choses
s'accélérer. Et puis soudain les taureaux arrivent dans un nuage de boue
sèche. On se gare. On s'élance. On crie: "toro, toro". Un sillon forme
par le cortege se creuse dans la foule, se refermant aussitôt sur son
passage. Les femmes manifestent leur peur en hurlant. Les hommes jurent.
Un taureau s'est échappé!! Vrai? Faux? L'affaire ne fait pas l'ombre
d'un doute et chacun se hausse sur la pointe des pieds pour voir sa
direction tout en repérant un espace de repli. Le cortege est passé. On
court derrière lui. Et puis. Tout s'arrête. Deux trois phrases sur sa
peur, celle des autres. "Il y avait du monde, hein!? oui plus que la
dernière fois!Non?" Et puis tout doucement on se dirige vers la place où
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la foule se presse aux terrasses des cafés, tout en gardant un oeil
derrière soi. Et si cette histoire de taureau échappé était vraie ?
La foule tient ici une place centrale. La période d'attente n'est
pas un temps mort où l'on attendrait le debut d'un spectacle, en
1'occurence extrêmement fugitif. Dans son organisation, dans la
contrainte d'y participer, dans ses mouvements, dans les jeux auquels
elle donne lieu, la foule est le premier acteur d'une scene où le
village se regarde. La foule comme continuum, comme unité inventée et
démontrée est une manifestation concrete de l'identité collective. La
peur joue le role de liant, de medium. Pas un gendarme, sauf à l'entrée
du village pour arrêter la circulation.
Les positions elles mêmse, les roles de chacun sont reinvestis dans
cette production identitaire. Leur fonctionnalité naturalise en quelque
sorte les clivages. Aux hommes le courage, aux jeunes hommes, l'audace,
aux femmes la peur, aux vieillards l'expérience sans la participation,
aux jeunes filles l'évaluation des jeunes gens et l'attrait... Le
manadier lui est absent, les taureaux portent sa marque. Les gardians,
souvent amateurs, montrent leur fidélité en les protégeant, seule
protection contre le vol collectif. Les fidèles de la manade eux mêmes
ne participent pas à la tentative de rapt. Ils marquent parfois leur
deception si la tentative aboutit, tout en participant à l'animation, â
la ritualisation de la peur, à l'épuisement de celle ci dans sa mise en
scene..
III-1-2-2: L'encierro:
Le centre du village est barricadé. Un camion arrive, lâche 6
taureaux dans cette enceinte temporaire; le centre du village
métamorphosé en arenes en quelque sorte. Sur la place, dans les rues,
les adolescents, les jeunes hommes vont "escagasser", pendant une heure,
les vachettes généralement emboulées.
Comme dans l'événement precedent le premier moment est un moment
d'attente: on se regroupe une bonne heure avant l'arrivée des taureaux,
en general dans les cafés et l'on entretient cette peur indispensable à
la manifestation. Même scenario donc, mais cette fois sans la presence
des gardians. Le contact avec l'animal est direct.
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Au lâcher, les bestiaux partent en tous sens.Les hommes leur courent
après, leur lancent des seaux d'eau, des pétards, de la farine, essayent
de les prendre par les cornes de leur tirer la queue, de leur faire
peur, de se faire peur. Aux balcons, aux fenêtres, derrière les
barrières de protection, les femmes, les enfants, les personnes âgées
participent bruyamment au rite en manifestant leurs emotions par de
hauts cris et de grands gestes.
Les habitants des rez de chaussée et des premiers étages des immeubles
ont fermé fenêtres et volets pour que les aficionados puissent se
réfugier dans les encadrements. La majorité des personnes est regroupée
dans les cafés et un des jeux favoris est d'y attirer le taureau.
L'atmosphère générale qui entoure le rituel diffère d'un village à
l'autre: ce qui, ici, a des connotations tout à fait carnavalesques
(déguisements, pitreries, allusions obscènes, hystérie collective) peut
en être dénué là-bas. Par contre, dans tous les villages, 1'encierro
constitue un rite de passage de l'adolescence à l'état adulte, ceci tout
autant pour les garçons qui peuvent s'initier à l'attouchement au
taureau en cette occasion et" prouver leur courage et leur "fê", que pour
les jeunes filles, qui, si elles peuvent encore s'aventurer sur la place
lorsqu'elles ne sont pas mariées, devront rester derrière les barricades
une fois devenues épouses et surtout si elles ont des enfants.
En bref, la division du travail symbolique des groupes sexuels est
toujours identique dans ces rituels: la femme doit être "hystérique",
crier haut et fort, trembler, et mettre en séné sa peur pour atiirmer
son statut de femme; elle doit être spectatrice de l'homme qui, lui,
affirme sa virilité par son courage et son défi au taureau, au danger et
à la mort...
L' encierro a été pendant de lcnc'ues années cr5ar.ii.tr par le club ta'jnr.
de St Laurent; depuis 1984 le Comité des lètes de la Mairie a remplace
le club et a également instaure le paiement du droit d'entrée au village
pendant 1'encierro.
I iI-1-2—2: Le taureau â la corde.
Cette coutume a disparu de la scene villageoise de St Laurent
depuis 1955, a la suite d'un arrêté du Préfet du Gard l'interdisant.
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Quelques villages l'organisent encore dans l'Hérault.
Un boeuf est attaché aux cornes par une longue corde et tenu par
plusieurs hommes.
"Il courrait partout et se retournait, poussait les hommes contre les portes cochères avec son mufle... .La mission était de faire passer le taureau dans toutes les rues du village. On en faisait la moitié, on faisait une pause puis l'autre moitié... .Quand il était fatigué, on le saignait et on le mangeait." (1)
"Quand on était passé dans le village, on en vendait une partie au boucher, on mangeait l'arrière en "gardianne"". (2)
A Marsillargues, le taureau était loté en fin de parcours mais souvent
la bête mourrait d'épuisement avant d'arriver à l'abattoir, situé à la
sortie du village (3)
Ce rituel disparu est le seul (4) où l'on assiste à un sacrifice de la
bête et au partage de sa dépouille en vue de sa consommation
III-1-2-4: La course libre.
La course libre,aujourd'hui appelée "course camarguaise",est
l'animation centrale de toute fête. Nous en avons détaillé l'histoire
dans le premier chapitre. Nous la décrirons ici telle qu'elle se
pratique actuellement à St Laurent, comme dans la plupart des villages
de Petite Camargue.
De toute les manifestations taurines dont elle constitue
l'aboutissement elle est la plus organisée. Le tissu réglementaire est
serré et le rituel en est strict. Organisée par le Club Taurin local, ou
la municipalité par le biais du Comité des Fêtes, sa realisation demande
un nombre important de préalables, qui outre les rapports avec les
manadiers qui "louent" leurs taureaux, portent sur les autorisations
<1> CR Interview Mr. B, 72 ans, St L.,Aout 84.
(2) CR Interview Mr. C. , 52 ans, St L., Août 84
(3) TAURINES Œ> op cité pl73
(4) idem p 95-96
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administratives diverses, la presence d'un membre de la FFCC, ... en
d'autres termes, elle constitue un acte de sociabilité interne, mais
elle se trouve à l'interface de tous les systèmes organisés de la
"bouvine" et des pouvoirs publics.
La course est organisée, à St Laurent, soit par le club taurin
soit par la Mairie. Elle était entièrement gratuite jusqu'en 1984 où
pour la première fois, un prix d'entrée a été demandé aux
spectateurs.Antérieurement la municipalité assumait en grande partie les
frais de la manifestation.
Venons en à la course elle même:
Le razet .affrontement de l'homme au taureau, se donne comme spectacle
dans l'espace circulaire et clos de l'arène.
Six taureaux de combat appelés "cocardiers," se livreront l'un après
l'autre à la course. Le temps qui leur est imparti est de quinze minutes
chacun.
Chaque taureau est orné d'une cocarde, de la taille d'un ongle, ronde
et rouge, attachée par une ficelle entre les deux cornes, de deux glands
blancs reliés à chaque corne par une ficelle. Le razetteur a donc le
devoir de s'emparer de la cocarde, de la ficelle, des deux glands et de
leurs ficelles respectives, et ce, à l'aide d'un crochet qu'il serre
entre ses doigts repliés.Pour ce faire, le tourneur (équipier du
razetteur) essaie d'attirer l'attention du taureau en agitant les bras,
sautant sur place, poussant des cris ou grattant la terre . Le taureau
s'élance alors vers lui, et en même temps le razetteur entame son
"razet": formant un angle aigu avec la trajectoire du taureau, il court
vers celui-ci et au moment où tous deux sont de front , il lance sa main
munie du crochet pour arracher un des attributs qui orne les cornes. Le
taureau dévie alors de sa trajectoire pour poursuivre l'homme. C'est la
course proprement dite: l'homme pour échapper au taureau se précipite
vers la barrière,seule protection possible. Il y prend appui pour sauter
sur les gradins ou se cacher derrière les planches.Le taureau, sur sa
lancée, donne des coups de cornes dans la palissade et quelquefois même
la saute continuant la course dans la contre-piste - exploit salué
bruyamment par les spectateurs.
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Voici la description par un "professionnel de la bouvine" d'un "coup de
barrière" d'un taureau célèbre en Camargue: Goya.
"Devant des arènes archi-combles comme d'habitude, Goya se présenta sous un jour divin. . .Départ sur les chapeaux de roues et retour aux planches à toute vitesse avec Goya à ses trousses, le razetteur se comporta comme il l'avait prévu. C'était du tout cuit!Il enroula parfaitement la barricade, tomba en souplesse sur ses pieds, et...Ah, ça alors! En quelques dizièmes de secondes, Goya avait tout compris. Il ne sauta pas comme il le faisait d'habitude, mais au ralenti. .. si on peut dire. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, il freina son élan en s'arc-boutant sur ses pattes arrières, dans une attitude plus coquine que jamais il passa la tête au-dessus des planches, regarda avec curiosité l'homme en blanc qui se tortillait comme un serpent pour lui échapper, il écarquilla les oreilles comme il faisait toujours dans les moments de vive jubilation, puis, avec l'agilité d'un "aigle" il lui sauta après à la vitesse d'un éclair, et lui porta un violent coup de corne entre les jambes! Incroyable! Et tout ça en trois secondes à peine!.. .Cet exploit de Lunel démontre de toute évidence que ce taureau n'avait pas de cervelle, mais qu'il disposait d'un véritable cerveau, de reflexes extraordinaires, et qu'il pouvait sans doute s'adonner aux délices du plaisir et peut être même de la réflexion"
Le coup de barrière est le marnent de la course le plus apprécié des
spectateurs car le plus dangereux de la course, celui où le taureau est
le plus proche du public, celui où le razetteur risque de se faire
encorner. . .
L'agencement des arenes, la disposition et la repartition des
places sont minutieusement distribués. Dans la contre piste se trouvent
ceux que nous avons définis comme les fidèles du manadier. Poste
d'observation privilegié du comportement du taureau, et qui nous l'avons
vu n'est pas sans danger. L'intrusion d'un étranger dans ce premier
cercle est généralement econduite, au nom du risque possible, mais elle
renvoie également à une stratégie de sauvegarde de l'ordre des positions
et du prestige qu'elles confèrent.
Parmi les gradins coexistent une spatialisation officielle et
une spatialisation officieuse mais effective. Spatialisation officielle
avec les gradins, à l'ombre, du troisième age, avec les places du Club
Taurin. Spatialisation officieuse mais effective par village ou groupe
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d'amis. Dans les arenes chacun a sa place et cet ordre marque
l'appartenance à tel ou tel cercle qui compose la sociabilité locale.
Enfin surplombant les arenes, généralement au dessus du toril,
la tribune officielle, où se trouvent reunies les personnalités
municipales, dont le Maire, mais également les personnalités de la
bouvine assistant à la course. Centralement se trouve l'annonceur. C'est
lui qui annonce les mises sur les attributs du taureau (cocarde, glands,
ficelles,...). Le montant des mises est annoncé (généralement de 20f à
50f) ainsi que l'identité du miseur.
"Vingt francs à la cocarde par or X, quincailler au Callar, vingt francs de plus à la cocarde de or Y, boucher à St Laurent, ceci porte la cocarde à. .."
Les mises montent ainsi jusqu'à ce que l'attribut soit saisi
par un des razeteurs qui touche la prime. Ce système de don d'une partie
de la population est payé en contrepartie du prestige que confère la
demonstration publique de sa fé, et de sa position sociale. Parmi les
grands pourvoyeurs, on trouve, bien sûr, les institutions de la bouvine:
Clubs Taurins, revues spécialisées, ... mais également les institutions
politiques: municipalités, conseil general, ... les grandes entreprises
locales: Perrier, Royal Canin,... les artisans de St Laurent, les petits
commerçants, certaines professions liberales. La participation des
représentants politiques et économiques locaux à la realisation
"materielle" du rituel pourrait rentrer ici dans le cadre de
l'interprétation d'un rapport social don/dette venant clore la
legitimation des pouvoirs économiques et politiques dans le champ du
pouvoir symbolique, bref participerait du processus de consecration des
notables. Ce shema nous parait impropre à rendre compte des rapports qui
se nouent entre les différents champs de pouvoir à St Laurent. Nous
préférons noter pour notre part que cette participation demontre une
relative extériorité du symbolique par rapport aux autres sources de
pouvoir et qu'elle joue comme contrainte forte sur elles.
Les affiches qui annoncent les courses citent en grosses lettres
les noms des taureaux, puis en lettres plus petites le nom de la manade,
enfin, et de maniere quasi facultative, celui des rasetteurs en petits
caracteres. Cet ordre dans le registre du symbolique place la manade
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dans une position qui par certains aspects renvoie à celle de la lignée
(celle des cocardiers). Il legitime la position du manadier comme
représentant du lignage,comme sorte de porte parole.
Le fait que 1' activité du manadier soit considérée comme non
lucrative, contribue largement à augmenter le prestige de la position.
Bous n'avons pas pu vérifier si, objectivement, l'organisation des
courses ne répondait pas à une logique bénéfice économique. D'après les
calculs approximatifs que nous avons pu effectuer mais dont la fiabilité
fait problème, il semble bien que, comparée au capital investi la
rentabilité tirée de la réalisation d'activités taurines soit faible.
Les bénéfices sont surtout symboliques.
Le prestige de telle manade engendré par les rituels successifs,
les systèmes d'appartenance qui lui sont propres, échappe aux pouvoirs
politiques ou économiques et constitue un pouvoir en partie autonome,
que les rituels divers, et la course en particulier, viennent reproduire
à travers les pratiques sociales qui les réalisent. La reproduction de
ce pouvoir a pour effet de maintenir la coherence du système social,
d'obvier aux eventuelles fractures.
Ces rituels viennent naturaliser en quelque sorte tout un
ensemble de divisions:
- celle nous l'avons vu entre les initiés, consacrés par un système
d'appartenance lache à une manade, des non initiés, des simples
afficionados. Cette division est instituée par le pouvoir du manadier.
- celle entre hommes et femmes, à travers l'ordre symbolique
attribué à chacun dans le rituel. Une femme par exemple doit éviter de
traverser les arenes pour ne pas souiller l'espace de combat.
- celle du pouvoir politique et du pouvoir symbolique. Si le pouvoir
politique occuppe une place particulière dans le rituel, il n'est pas le
seul producteur de representations legitimes et la production de sens
sur lui lui échappe pour une large part.
- celle des classes d'âges. A la question au club du troisième age à
St Laurent: "a partir de quand fait on partie du troisième age?" Il nous
fut repondu, non sans humour: quand on ne peut plus courir derrière le
taureau! Definition assez éloignée de celle développée dans le cadre des
politiques sociales nationales.
- celle des différents groupes professionnels...
- 88' -
La plupart des rituels que nous venons de décrire se retrouvent
au niveau de la fête votive des villages. C'est dans leur repartition
dans le temps et leur articulation que cet événement trouve une de ces
originalités. Chaque village s'approprie là le rituel pour lui même et
c'est dans les subtilités de son agencement qu'il va marquer sa
distinction.
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I I 1-2 : L a f^te v o t i v e ; u n v i l l a g e e t s o n
m i r o i r
Nous disions en introduction de ce chapitre que la seule
dimension pertinente d'analyse de la fête de St Laurent ne se réduisait
pas au village. Element d'une suite ininterrompue de fêtes votives, de
mai à octobre, sur un territoire aux contours définis, celle de St
Laurent participe à ce marquage d'un territoire symbolique qui se
confond pour partie avec celui de la Petite Camargue.
Mais dans cette continuité s'affirment les differences. Chaque
fête rivalise avec les autres pour se distinguer, et malgré
1'immuabilité du cadre rituel d'une fête à l'autre, chaque village
s'emploie à se distinguer, à affirmer son originalité. Par le prestige
de ses courses, par la mobilisation que les diverses manifestations
suscitent,... par la capacité à creer l'événement!
La spécificité de la fête votive de St Laurent tient à sa renommée,
largement investie et reproduite par les habitants. Si vous demandez à
un jeune Nimais si il connaît St Laurent, il y a de fortes probabilités
pour qu'il identifie ce village à sa fête. Cette "célébrité" ne date pas
d'aujourd'hui, A. BOUIX par la plume de J. DURAND, raconte une anecdote
qui expliquerait cette aura:
"Le record est detenu par St Laurent d'Aigouze. La fête, une année se fit sur trois semaines. Un record qui n'est pas prés d'être battu. A ce moment là, une cinquantaine d'années environ, on vendangeait plus tot qu'à present: debut Septembre. On finissait la fête de St Laurent fin Août. On passait directement aux vendanges. Or, une année, a la date prévue, les raisins ne furent pas mûrs. Les St Laurentais, qui venaient d'en finir avec la semaine officielle de la vota, décidèrent que, ma fol, puisque la vigne mettait de la mauvaise volonté et donnait elle même l'exemple, e be, on avait qu'à continuer sur sa lancée. Pour les taureaux ça ne posait pas de problèmes: le père Raynaud, père de mon collegue Jacques, les fournirait. Ils venaient des prés du Callar par les bords du Vistre. Menés tout à cheval jusqu'à St Laurent, ils mettaient une demi-heure sans un sou de frais. Finalement la jeunesse n'avait qu'à s'occuper de trouver de la musique pour faire danser. Et comme l'orchestre était composé de gens du Pays et qu'ils n'étaient pas trop gourmands, le problème
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fut vite réglé. Le village fit une seconde semaine de fête. De temps en temps un vieux partait dans les vignes voir l'état des raisins et revenait dare dare porter la bonne nouvelle: " je les trouve encore un peu acides."
A la fin de la deuxième semaine, après examen de la situation vltlcole, palabres et raclages de fonds de tiroir, on jugea que, decidemment, il eut été prématuré de s'aventurer dans les vignes, que huit jours de sursis ne feraient pas de mal aux raisins et que, plutôt que de se languir en attendant le mûrissement de ces foutues grappes, le mieux était de faire peter huit Jours'de plus de bious et de bals. C'est ainsi que St Laurent fit trois semaines de fête et que les papes en parlent encore. (...) Ils en sont fiers. A Juste titre. Si les raisins n'avaient muri qu'à Noël, des taureaux auraient couru jusqu'à Noël."(l)
Cette description un peu langue de "l'événement" est
interessante en ce qu'elle presente la fête sous son aspect d'
organisation collective. Evénement pour la durée exceptionnelle,
événement aussi par la mobilisation mise ainsi en scene. Le "on" n'est
jamais défini. Il renvoie ici à une image, celle d'un village qui
s'autogere, que la fête reunit aux delà des clivages économiques,
politiques, sociaux. Bref, le St Laurent ideal c'est celui de sa fête.
L'histoire de cette fête fait partie pour les habitants des
representations qu'ils produisent de leur propre histoire. Elle
constitue un temps fort de la sociabilité puisqu'elle reunit l'ensemble
des villageois, mais également ceux, les jeunes et ex -jeunes qui sont
partis. Une native nous expliquait:
"Mes parents je les vois à l'occasion de la fête. Sinon je ne reviens jamais au village. Mais louper une fête c'est ne plus être de St Laurent. Je ne reviendrais pas vivre ici, ma vie est complètement ailleurs, mais je pense que tant que la fête aura lieu, je reviendrai" (institutrice)
Participer à la fête est un devoir. Le village se compte, mesure
son importance et il faut être du nombre. L'absentéisme pendant les
jours de fête dans les entreprises environnantes est très important et
s'est imposé comme une donnée avec laquelle il faut jouer.
Les deux types de temps forts de la fête sont les activités
taurines et les aperitifs au café, qui pour l'occasion ont dressé des
tables sur tréteaux dehors, sous les platanes. Après l'apéritif, la
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course, après la course l'apéritif, et ce pendant dix jours, dans une
alternance hallucinante.
Le programme est extrêmement precis et répétitif.
A huit heures du matin: les "prés". Le village se retrouve dans
un pré à la périphérie du bourg et "petit déjeune" d'un bout de saucisse
grillée ou d'un bout de côtelette cuite sur la braise. Dans le champ d'à
coté paissent les "bious". Si, aujourd'hui, une légère palissade en
bois sépare les convives du bétail, il n'en était pas de même avant les
années 50 où il n'existait pas de séparation entre les hommes et les
taureaux; de temps en temps des jeunes gens capturent une vachette qui
traverse cette salle à manger improvisée. Les hommes s'approchent,
touchent la bête. Les femmes crient et fuient en tout sens au gré de la
trajectoire de l'animal et de la grappe humaine qui s'est agglutinée
autour de lui. Les jeunes tentent de faire échapper l'animal, pour
tenter de le recapturer à nouveau. Puis l'animal est "récupéré" par un
gardian.
Les convives sont séparés en groupes déterminés par les classes d'âge;
sont présents en plus grand nombre les adolescents qui se regroupent en
bandes: chacune à un nom, une couleur, une marque ( un sigle) et une
voiture: rescapée de la casse, celle-ci est aménagée spécialement pour
la fête, peinturlurée et décorée aux couleurs de la bande et peut
transporter jusqu'à une vingtaine d'adolescents.
Vers llh a lieu le tri des taureaux pour l'abrivado: ceux-ci
(amenés à l'heure actuelle par camion dans le champ) sont encadrés par
des gardians qui, tirant, piquant, poussant les mènent à la route où
sera donné le signal du départ de l'abrivado.
Après celui-ci vers midi l'apéritif a lieu sur la place de
l'église, en face de l'arène où se déroule la course "d'une vache pour
la jeunesse". Une anouble ( vache d'un an) est lâchée dans l'arène; elle
est emboulée < deux boules en fer protègent la pointe de ses cornes ),
pour que les 15-20 ans (parfois plus jeunes) puissent s'en amuser: les
plus jeunes s'aventurent aux "razets"; les plus âgés se font "bachucher"
par la vache "pour la gloire", pour faire rire l'assemblée; ce sont
souvent des meneurs de bandes dont les accolytes attendent les exploits.
Seules les jeunes filles et les femmes assistent généralement au
spectacle. Les hommes, aux terrasses ont entamé l'apéritif.
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L'apéritif est organisé par les trois cafés qui bordent l'arène.
On y retrouve la quasi totalité des habitants de St Laurent. Des groupes
se forment par affinités, et les tournées de Pastis se multiplient. Puis
ses groupes se décomposent et se recomposent deux metres plus loin. On
s'interpelle, on s'invite, et chacun de remettre sa tournée. Les plus
jeunes accoudés au bar rivalisent à coup de "mètre de pastis", à savoir
la consommation de tous les verres de pastis accolés sur un mètre de
distance. La consommation d'alcool pendant ces fêtes apparaît comme
considerable. Il n'est pas rare qu'une personne consomme plus de vingt
pastis par aperitif. L' importance de la consommation est
proportionelle, pourrait on dire, à l'importance de son reseau social.
Plus on est connu, et donc reconnu, plus on se trouve happé par les
différents groupes , aux frontières indéfinies, et plus il est important
de payer la tournée, sorte de tribut, et d'accepter celle des autres.
Cette regle joue comme contrainte forte. Ne pas payer la tournée au
groupe dans lequel on se trouve invité correspond à rompre le continuum,
à briser l'échange.
"Pendant l'apéritif, il faut toujours remettre la tournée. Les gens sont très attentifs à ça. Si tu t'y soustrais, tu ne seras plus invité et tres vite on va dire que tu es radin, que tu es un profiteur, . . . C'est la meilleure maniere de se faire exclure. "(commerçant)
He pas faire l'apéritif à St Laurent c'est faire acte de
marginalité, c'est aussi montrer son absence de reseau.
Il est cependant interessant de noter que cette consommation
hallucinante d'alcool n'est pas source d'aggressivité ou de scenes
d'ivresse ou de bagarres. Le controle social joue ici à plein, tout le
monde connait tout le monde, et se distinguer par un comportement qui
viendrait briser le consensus, produit dans ce rituel particulier, se
solde par l'exclusion rapide et sans appel. Le tissu normatif est serré,
et nous sommes très loin d'une société anomique où la deviance
apparaîtrait comme l'expression d'un desordre generalise. "S'empeguer"
dans le cadre des fêtes est un devoir, car cette conduite favorise la
communion du groupe, il est un element indispensable à sa mise en
coherence. Un des sujets les plus frequents lors des aperitifs est le
récit d'autre aperitif, celui de la veille, ou de l'année dernière. La
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distinction passe par une quasi stylisation individuelle de la
transgression et ces récits combinent la mise en scene de l'indivision
sociale et les traits distinctifs individuels que revêt la participation
de chacun. Ses traits peuvent porter sur la marque de pastis que l'on
boit, la grandeur du verre dans lequel on le consomme, sa maniere de
jouer l'ivresse (sur le mode de la virilité ou sur celui de la
seduction...). Le plaisir de l'évocation renforce le groupe de ceux pour
qui elle refere au souvenir d'un événement semblable. En ce sens
l'apéritif constitue un rituel de bizuthage pour les étrangers que nous
évoquions dans les chapitres precedents. Il est un moment où l'on peut
integrer la memoire collective, tout en étant reconnu, distingué. On
rentre dans le clan des initiés, celui qui peut participer au travail
d'évocation sans cesse realimenté. Saouler le nouveau venu, lui en faire
"tenir une bonne", s'intègre dans une stratégie de reproduction de la
tradition festive et exprime une integration à l'univers collectif.
C'est en apprendre un des systèmes de valeurs et devenir à même de le
partager. C'est devenir à terme un des agents de sa reproduction.
Pendant ce temps,sur la place, séparée par l'église de l'arène,
a lieu la fête foraine dont les stands sont tenus par des gitans. Vente
de "chichis" (beignets), merguez, frites, stands de tir, jeux d'adresse,
c'est un lieu de promenade et de ravitaillement entre deux
courses.C'est aussi le lieu où les enfants jouent pendant que les
adultes font l'apéritif.
Vers les 14h les groupes se défont, an va manger un morceau chez
soi, rapidement, et on fait la sieste.
Vers 15 h a lieu chaque jour un concours de boules qui se situe
sur le boulodrome récemment construit par la mairie à la limite du
village; ces concours sont le plus souvent réservés aux sociétaires et
semblent, de par l'ambiance, l'emplacement, l'horaire ( l'heure de la
sieste) être à l'écart de la fête.
16h30: c'est l'heure de la course libre, course de taureaux,
course camarguaise.
Les arènes commencent à se remplir au son d'une fanfare enregistrée sur
cassette diffusée par des hauts parleurs qui crépitent. Les spectateurs
s'installent sur les gradins, les adolescents et parfois les enfants ont
les pieds ballants dans la contre-piste prêts à effleurer le taureau
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qui va y passer. Les aficionados chevronnés se trouvent dans la contre-
piste (espace intermédiaire entre la barrière qui borde l'arène et le
théâtre ) et attendent, accoudés à la barrière, que le taureau veuille
bien se manifester. A l'ombre, accolés à l'église, les places sont
réservées par la mairie aux personnes du Club du 3ème âge. Sur leur
gauche se trouve le toril, où les six taureaux de la course patientent;
au dessus du toril est établie une tribune d'honneur où sont installés
le maire, les membres du conseil municipal faisant partie du Comité des
fêtes, et l'annonceur qui manipule le cassetophone.
Chaque course a sa spécificité, par le type des taureaux (les
taureaux Jeunes, donc fougueux et enclins à sauter la' barriere, les
cocardiers, plus expérimentés qui imposent un caractère plus technique à
la course), par les organisateurs, par les manades "invitées",...les
courses de la semaine sont généralement secondaires par rapport à celles
des deux week-end, où il s'agit d'attirer du monde et de démontrer la
qualité de la fête à l'extérieur.
Puis a lieu la présentation des razetteurs; les plus connus
sont nommés. Enfin la course commence telle que nous l'avons décrite
dans les paragraphes precedents.Ici c'est le public qui juge, qui réagit
favorablement ou défavorablement aux commentaires de l'annonceur, qui
décidera si le taureau s'avère "noble", "bon combattant", "intelligent",
et de lui décerner la distinction suprême: jouer, à sa sortie, le
grand air de" Carmen". Chacun produit son commentaire et tente de le
faire approuver par un homme d'expérience.
A 19 h, la course terminée, a lieu le bandido, c'est à dire le
même spectacle que l'abrivado mais en sens inverse: des arènes au champ.
Puis de nouveau, l'apéritif. Le scenario à quelque variante près est
similaire à celui de l'apéritif de midi. Face au porche de l'église un
orchestre joue les airs à la mode, formant un fond sonore à travers
lequel la modernité irrupte. Seuls quelques enfants et adolescents
dansent. Le bal ne fait pas vraiment partie de la fête. Il s'agit plutôt
d'une forme moderne de fanfare, de pena, forme hybride que l'on consomme
comme musique d'ambiance, sans participer vraiment. L'on evoque les bals
d'antan, où sur la place du village les garçons et les filles faisaient
connaissance sous le regard collectif, où se nouaient et se dénouaient
des projets d'alliance. Aujourd'hui il ne reste rien de cet espace de
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sociabilité, et l'on demande plutôt aux musiciens de baisser le son que
d'entraîner la jeunesse à danser. Il faut dire que le boite de nuit
locale, tenue par un manadier celebre, et dans laquelle on va terminer
la nuit exerce une forte conccurence.
Souvent l'apéritif occupe le temps entre la bandido et la course
de nuit ou la course burlesque.celles ci sont récentes et n'ont pas lieu
régulièrement. Nous décrirons ici la plus connue d'entre elles: le
taureau piscine.
Au centre de l'arène, quelques ballots de paille forment un carré
recouvert d'une grosse bâche en plastique, la piscine ainsi formée est
remplie d'eau. Quelques jeunes gens, le plus souvent bénévoles ou
faisant partie des spectateurs, ont alors pour tâche de faire pénétrer
le taureau (jeune ayant moins de trois ans et quelque fois emboulé)
dans l'eau. Pour ce faire, deux techniques sont efficaces : soit
effectuer un razet et le taureau suit le jeune homme et traverse l'eau;
soit appeler la bête dans la piscine, l'attirer en s'agitant à la façon
du tourneur, plonger sous l'eau au moment où la vache y pénètre et
rester le plus longtemps immobile jusqu'à ce qu'elle s'en aille. Il
arrive alors que l'animal prenne goût à cette fraîcheur et reste en
compagnie de l'homme au grand effroi des spectateurs; si, en effet, la
vache se rendait compte que la proie est juste sous elle, elle n'aurait
qu'un coup de corne à donner invalidant toute chance de fuite.
Ce taureau piscine, souvent suivi de jeux burlesques ( on demande par
exemple à deux spectateurs de remplir un seau d'eau de la piscine avec
l'aide d'un balai..) permet aux jeunes gens de se familiariser avec
l'animal, avec l'arène, et avec l'animal dans l'arène.
Reprenant les mêmes themes et gags des jeux televises ces
courses ne sont suivis, en majorité, que par les jeunes adolescents et
les femmes d'un certain age. Elles sont par ailleurs vivement critiquées
par les aficionados reconnus qui y voit une perte de la tradition et une
recuperation mercantile du rituel.
"Si on a organisé des courses de ce genre que certains critiquent c'est parce que ça attire une certaine catégorie de la population qui trouve ça drôle, surtout les femmes. Et puis ça ne fait de nal à personne. De plus ça revient moins cher qu'une course avec des cocardiers et comme c'est payant , on ramasse un peu d'argent. C'est sur que le vrai amateur de
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taureau, vous ne le trouverez pas aux arenes ce soir là. C'est un peu "couillon" ces histoires. Xais il en faut pour tout le monde. "( Le Maire)
Un aficionado perdrait sa reputation si il participait à une
telle manifestation, seule l'ivresse pourrait l'excuser à la condition
qu'il tourne sa presence à la derision, en faisant le pitre. La presse
taurine se fait largement l'echo des condamnations de ces déviances.
Ainsi cet extrait d'article dans le Camarigo de Mars 78:
"Voyez vous, Amis Afeclounados, les exemples que nous avons de Pays de traditions qui sont tombés dans le show busisness nous incitent à la plus extreme vigilance. En effet, nos bons amis basques avaient eux aussi leurs traditionnelles courses de vachettes landaises. Xais après que la television s'en fut emparée, qu'elle les eut placées au pinacle de la célébrité grace à Guy LUX et Leon ZITRONE, il s'ensuivit une telle publicité que la tradition tomba d'un coup dans le jeu des attrape- nigauds, restant entendu que les pauvres nigauds étaient ceux qui avalent attaché leurs vies aux traditions de leurs pères. A present, les micros de leurs arenes déversent les boniments en anglais, en allemand, en italien, et de la tradition, il ne reste même plus la vache qui n'a de landaise que le nom. "
L'existence d'un événement dont les regles du jeu échappent à la
tradition organisée (la bouvine) apparait comme une menace de fracture
de l'identité locale: "il ne faut pas nous prendre pour des cow boys ou
des clowns".
Enfin à la fin de la course, des groupes s'organisent. Les
jeunes se donnent rendez vous à la "Churrascaya" ("la chu"). Les moins
jeunes s'invitent à manger l'un chez l'autre, à tour de role. Le repas
s'organise souvent de façon collective. Les femmes se regroupent et
préparent le repas en commun à l'heure de la sieste où pendant
l'apéritif. Les jeunes quant à eux payent au forfait une femme du
village qui leur prepare pendant toute la semaine les repas du midi et
du soir. Chaque bande a ainsi sa cuisinière, souvent une femme âgée,
parente d'un des jeunes. Cette organisation de type collectif ou chacun
a un role assigné à l'avance participe à la manifestation de l'idée de
communauté, dans son rapport à l'histoire:
"Ca va faire vingt ans que je prepare les repas aux jeunes du village. Je l'ai fait pour mon fils et les jeunes qui étaient
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avec lui, puis maintenent pour le petit fils. Ici, c'est comme ça. Je ne suis pas sure que ma fille le fera, mais pour mol, je mourrai comme ça!" Femme d'agriculteur retraité,
La "chu" tient son statut de lieu étrange en ce qu'elle marie la
"tradition", à travers l'image de son propriétaire, et la "modernité".
J. LAFONT, manadier celebre sur la region, est certainement le
personnage de la bouvine actuellement qui se détache le plus par son
look moderniste. La "chu" est une ancienne grange qui, suite à un
incendie, s'est transformée en boite de nuit d'agencement plus
classique. L'"originalité" du lieu tient moins à la musique que l'on y
passe -les tubs à la modes- qu'aux representations que les habitants de
St Laurent produisent sur. lui. La boite de nuit a une reputation
scandaleuse. On parle à son endroit de trafics illicites divers qui s'y
seraient déroulés, d'orgies sexuelles,... des spectacles de travestis
s'y succèdent et les homosexuels locaux en auraient fait leur lieu de
rencontre. Si ces images suscitent quelques reprobations plus ou moins
vives, celles-ci ne sont pas sans ambiguïté. D'abord le lieu est
fréquenté par des gens celebres (présentateurs de television, hommes
politiques connus,...), ensuite il est tenu par un manadier et il est
devenu un lieu de rencontre des gens de la bouvine; on y rencontre
certains gardians et certains manadiers, enfin si les bonnes moeurs "n'y
sont pas toujours bien traitées", l'image de lieu sauvage, donc de
sauvages , est redondante avec les representations de ce pays par une
bonne part de ses habitants. En ce sens la "chu" apparaît comme un
interface entre la société locale et la société englobante, sorte de
compromis entre la tradition et l'inévitable evolution des moeurs. Cette
confrontation se Joue sur le mode de la transgression que la "chu" vient
institutionnaliser. Sorte de parade, somme toute, à la recuperation en
la socialisant, l'enfermant sur un territoire symbolique hors des murs.
"Vous allez à la chu ? - Oui, de temps en temps! Quand on va à une fête dans le coin et qu'on rentre tard, on s'arrête y faire un tour. -On parle souvent de scandales quand on evoque la "chu". Vous êtes au courant? - Bien sur! tout le monde est au courant! Fut une époque quand on arrivait au chemin de terre qui y mené il y avait un car de police. N'empêche que Lafont est un type qui a marqué la region. C'est un grand Monsieur. D'abord c'est un homme de
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taureau et il sait entretenir sa manade. Il n'y a qu'à voir ses taureaux en ce moment. Mais vous savez ce que l'on raconte sur son compte, c'est en bonne partie parce qu'il a changé des choses sur la region. - Quoi par exemple? - Il venait d'ailleurs et quand il a acheté la manade, ça a fait un peu scandale. Hais comme il connaissait du beau monde les gens ont supporté. Et puis il a démontré qu'il était un grand manadier. En même temps il s'occupait de corridas, il nous a ouvert un peu des horizons. Quand il a ouvert sa boite, on l'a regardé avec méfiance, mais il a su s'y prendre. Il participait aux fêtes, il buvait l'apéritif avec tout le monde et puis il invitait les Jeunes dans sa boite. A la fin c'était presque devenu un lieu de famille. Les personnalités qui fréquentaient la boite, Mourousi, etc, ils ont sympathisé avec les gens de la region. Alors il y a peut être eu des abus, parce qu'ici quand il s'agit de deconner on sait y faire. Et puis c'était un des rares lieux où la jeunesse pouvait se défouler. Il a fait que des gens ont pu se rencontrer, alors qu'ils n'auraient jamais dû le faire, c'est ça l'important."
Dans ce shema la "chu" est à la fois:
- un espace de rencontre des jeunes, transversal à celui du bourg, où
l'on se reconnaît à la fois comme classe d'âge spécifique, à la fois
comme appartenant à la Camargue. En d'autres termes "la chu" allie le
modernisme à la tradition, elle appartient au système social local tout
en étant un lieu où l'on pense le sens de ce système.
- une scene où se joue la transgression aux regles de la tradition, mais
une scene repérée où se ritualise cette transgression. La presence de
vedettes, de "notables" de la tradition limite le desordre que
l'existence de cet espace engendre. Elle contribue d'une certaine
maniere à la mise à distance de cette transgression et à sa
rentabilisation en termes identitaires. Si les personnalités viennent
c'est que cet endroit est spécifique, et cette spécificité c'est la
notre. A l'image de ce jeune qui nous disait:
"Depuis que Kourousi connaît la Chu, on le voit sans arret. A croire qu'il va venir s'installer ici."
- la forte mise en scene de l'homosexualité, renvoie là aussi à une
inversion des valeurs et à un processus identificatoire. Le Marquis
n'était il pas un "enfant de sa mere", et la reprise du stigmate, sa
socialisation participe de la reproduction de l'identité locale.
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La fête votive apparaît comme un acte de celebration de l'unité
de la société locale, du village. Si les différents groupes qui la
composent tentent, à l'image des bandes de jeunes avec leurs voitures
bariolées et leurs différents emblèmes, de se distinguer, cette
stratégie s'intègre dans cette communion par laquelle se reproduit et
s'extériorise l'appartenance à un territoire, à une sociabilité propre.
La fête comme temps fort de la vie collective exprime et renforce
l'unité du village en occultant ses divisions sociales, ses clivages
économiques.
La ritualisation de la transgression, son organisation
minutieuse, le plaisir de l'unité contre la société englobante , l'usage
reglé et rythmé des lieux et des espaces, la production/reproduction
d'un sens qui n'a d'usage qu'interne au groupe qui le produit, autant
d'éléments qui structurent la fête votive comme stratégie de production
et de reproduction des identités, comme point focal de toute stratégie
d'affirmation ou de transformation de la sociabilité à St Laurent.
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I I 1-3 : L e g aut.rgg f&t.gg-
Nous avons focalisé ce chapitre sur les fêtes de la bouvine.
C'est à dire les formes d'animation de la vie sociale de St Laurent qui
sont en articulation plus ou moins forte avec les systèmes organisés de
ce monde du taureau traditionnaliste. N'y a-t-il pas d'autres fêtes à St
Laurent que celles de la bouvine? Hé correspondent-elles pas .elles
aussi à des enjeux identitaires? Quels rapports entretiennent-elles
avec les fêtes taurines?
En fait le nombre de ces fêtes est restreint:
- Le carnaval des enfants organisé par l'école
- la fête paroissiale qui s'est transformée depuis peu en
ferrade
- le 14 Juillet
Les autres dispositifs ou manifestations ludiques mobilisateurs
sont les lotos et les tombolas
L'importance que nous avons accordée à la bouvine n'est pas le
seul résultat de notre position méthodologique de depart, elle n'est que
le reflet du quasi monopole de ce système organisé dans le champ de
l'animation sociale et culturelle sur St Laurent comme sur nombre de
villages en Petite Camargue. La fête se trouve constituée comme un champ
dont la bouvine, ses formes organisées presentes localement, détiennent
les positions legitimes.
Rous nous interesserrons ici plus particulièrement à la fête des
écoles (appelée Carnaval), à la fête paroissiale et aux lotos.
III-3-1: Le. Carnaval
Le carnaval est en fait la fête de l'école primaire de St
Laurent. La preparation de ce défilé carnavalesque des enfants des
écoles dans les rues du village est largement aussi importante que la
manifestation elle même.
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L'association de certaines mères de familles à la confection de
costumes constitue un point de rencontre entre la population et les
instituteurs.qui trouvent à cette occasion un moyen de faire reconnaître
à l'extérieur ce qu'ils font à l'école:
"Pour nous c'est impartant de valoriser ce que l'on fait avec les enfants, de renouer avec la tradition du carnaval. En plus c'est un bon moyen de mieux connaître les parents, de rentrer en contact avec eux. Ils, ou plutôt elles, c'est les mères qui viennent, ne sont pas tous là, loin s'en faut. C'est comme pour le reste on voit toujours un peu les mêmes, ceux qui s'occupent de la scolarité. Pour les enfants c'est créatif et puis faire la parade ça les interesse toujours. Dans le village cette année ça a bien pris, les gens étaient dehors et ils étaient contents. On peut penser que ça les encouragera à venir plus nombreux. Je nesais pas" (institutrice)
Le carnaval est il vraiment un événement festif traditionnel?
"On ne fêtait que très rarement le Carnaval.. A St Laurent pratiquement jamais. Parfois le Mardi Gras il y avait un bal masqué, surtout après la guerre. Mais je n'ai pas souvenir que cela ait été tres frequent. Cette année par contre, les écoles sont allées défiler dans l'arène. A notre époque ça ne se faisait pas, mais pourquoi pas après tout, et puis ça fait plaisir aux enfants" (President du club du troisième age)
En fait il apparaît que la logique centrale à l'initiative des
instituteurs et du directeur de l'école est de montrer à la Mairie son
dynamisme, sa conscience professionnelle. D'autant que la Mairie
communiste est fortement laïque et qu'elle est sensible à ce que l'Ecole
Publique tienne sa place. La reference à une tradition carnavalesque,
qui parait pour le moins hypothétique, est interessante car elle permet
d'occuper un créneau vacant. Expression combinée d'une institution qui
se donne à voir et d'une profession qui trouve ici un créneau possible
pour accroître sa reconnaissance sociale dans le village, et aussi par
la hiérarchie. Ceci est d'autant plus interessant que l'école est peu
associée, nous a-t-il semblé, aux representations de ce qu'il faut faire
pour "réussir" dans la vie. L'école n'est pas surinvestie par les
groupes ouvriers et les salariés agricoles comme un vecteur d'ascension
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sociale. Ceci ne signifie pas qu'ils ne la considèrent pas comme
impartante pour le devenir de leurs enfants, mais ils restent d'une
grande méfiance à son égard.
II1-3-2: La. £Ê±fi. paroissiale:
Le cercle catholique semble avoir tenu une place impartante dans
la vie St Laurentaise. Le curé actuel en donne les contours d'alors:
"Les catholiques avaient leur cercle où on buvait le Pastis et où l'on jouait aux cartes, où l'on gardait les enfants. Ce cercle était mixte mais on y voyait surtout les hommes. Il était implanté dans le presbytère et sa cour en porte encore le nom. St Laurent est la Paroisse qui a tenu le plus longtemps son cercle dans le coin, avec peut être Marsillargues. Le cercle s'est arrêté il y a environ quinze ans. Petit à petit ça s'est vidé et ça a glissé, avec les changements dans la vie. La kermesse en est un avatar. Chaque année on organise une kermesse dans la salle du presbytère, et puis on fait venir un chanteur. Tout ça vers le mois de juin. Quand c'est possible, les gens organisent une course camarguaise en même temps. Parce qu'ici, si on veut du monde il faut qu'il y ait le Biou"
L'Eglise a perdu son influence sur la region. Propriétaire en
grande partie exclusif du foncier au 17e siècle, elle était une
institution centrale dans les sociabilités locales. N'organisait-elle
pas les courses de taureaux au Koyen Age sur ses propriétés avant que de
les combattre après la revolution. Aujourd'hui le curé de St Laurent ne
vient qu'une ou deux fois par semaine et il est complètement absent sur
la scene de l'animation locale. Domicilié à Aiguës Mortes où se trouve
sa cure il ne fait que constater la desaffection des lieux du culte et
sa perte d'audience.
La reconversion de la fête paroissiale en kermesse dont le clou
est une course de taureaux, l'organisation d'une ferrade inter
paroissiale sous la pression des anciens membres du Cercle participe
d'une stratégie de maintien minima qui passe par une acculturation à la
bouvine qui, par certains aspects, peut paraitre caricaturale.
"Le curé de St Laurent: l'idée d'une ferrade est venue des anciens du Cercle qui regrettaient sa fermeture et qui
- 103 -
voulaient maintenir une activité, un lieu de rencontre. Je me suis Mis d'accord avec la paroisse du Cailar et alternativement on organise une ferrade, une année là bas, une année ici. Vous savez ici, le taureau est partout, pour les catholiques comme pour les protestants, et si vous voulez ramasser quelques sous il n'y a qu'une solution pour avoir du monde, c'est ce que nous avons fait avec la course de la kermesse. "
La fête paroissiale a perdu pour une large part sa spécificité.
La course attire de fait du monde, d'autant qu'elle est placée
astucieusement en debut d'automne, à un moment où les votes se
terminent. La dernière course de l'année en quelque sorte. L' affluence
est assurée. Ceci permet de donner le change et de creer l'illusion
d'une mobilisation, donc d'une position sur la scene de l'animation du
village. Cette position se legitime en comparaison aux autres fêtes de
la bouvine du village.
La ferrade emprunte, en symétrique de l'événement de la manade,
le caractère familial de la "cérémonie". A la difference près,
cependant, que les taureaux marqués ne sont pas la propriété de
l'institution religieuse, et que la demonstration de sa foi passe par
celle de sa fé.
Il 1-3-3:Lea lotos.
Il ne s'agit pas à proprement parler d' événements festifs,
mais les lotos rythment la vie sociale en hiver, pendant la période
calme des festivités taurines.
Organisés dans les cafés, ils permettent aux diverses
associations de récolter des fonds et d'assurer ainsi financièrement
leur fonctionnement. L'importance des lots, les sommes mobilisées, le
nombre de participants, autant de facteurs qui marquent l'importance de
telle ou telle association dans la vie sociale du village, qui la
distinguent.
Au centre de ce dispositif deux associations: le club taurin et
le club de football. Ce sont eux qui le plus souvent, par l'attrait des
lots et leur capacité mobilisatrice, regroupent le plus de personnes.
- 104 -
Le loto est, comme toute activité lucrative, largement
réglementé et sa realisation demande toute une serie d'autorisations
préalables. Autorisation préfectorale, d'abord, mais également fiscale
...etc.. La premiere caractéristique de St Laurent est d'enfreindre ce
cadre réglementaire, jugé trop rigide. Ainsi la période legale demarre
théoriquement aux alentours de Février, alors que les lotos commencent à
St Laurent dés fin décembre et se poursuivent jusqu'en fin Mars. La
municipalité ferme les yeux. Un conseiller municipal nous explique:
"L'hiver il ne se passe pas grand chose au village, alors les lotos occupent une bonne partie du temps. Et puis c'est une bonne occasion de se retrouver et de faire un peu d'argent. Les lotos rapportent, c'est vrai, et si ils n'étaient pas là beaucoup d'associations ne pourraient pas faire ce qu'elles font, les grosses comme les petites. Si il nous fallait attendre les autorisations on n'aurait jamais le temps d'organiser tous les lotos qui se passent à St Laurent. Alors on fait le mort, on les fait et on ne prévient personne. La Prefecture nous a bien avertis, mais ça n'a jamais été plus loin. Et puis, il faudrait qu'ils viennent constater qu'on les organise sans leur accord, Vous en connaissez beaucoup des fonctionnaires qui travaillent le samedi et dimanche? Voyez vous ici, on n'est pas plus braves que les autres, mais on est pas très à cheval sur les règlements quand ça ne fait de tort à personne bien entendu!" (Conseiller municipal de S.L. Agriculteur)
Ceci illustre bien les rapports de la municipalité avec les
administrations, on defend les intérêts de la communauté en espérant que
l'impuissance d'une administration lointaine et peu au fait des us et
coutumes locaux ne viendra en modifier les donnes. La municipalité
apparait à la fois comme le responsable collectif de la communauté et de
ses intérêts, à la fois comme un rempart. L'autorité de l'équipe au
pouvoir depend de sa capacité à réaliser cette equation complexe. Le
"laxisme" municipal à St Laurent, dénoncé par certaines administrations
est un mode de gouvernement.
CHAPITRE QUATRIEME:
VIE ASSOCIATIVE
VIE MUHICIPALE
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Les espaces où se manifeste la sociabilité à St Laurent sont
multiples: cafés, place du village,... et se trouvent plus ou moins
structurés. Si les associations constituent une forme organisée de la
vie sociale locale, des espaces plus ou moins articulés avec cette
sociabilité, elles constituent un ensemble extrêmement diversifié dont
la prise sur la vie de la collectivité varie considérablement quand l'on
passe de l'une à l'autre.
La vie associative à St Laurent n'est pas un phénomène nouveau,
l'existence en ce debut de siècle de cercles divers structurait déjà la
vie sociale. Expression de l'appartenance politique extrêmement liée à
celle d' un des groupes sociaux locaux (ouvriers agricoles, petits
propriétaires,. . . ) ces cercles se composaient et se décomposaient au
rythme du changement social. Ce qui caractérise sa physionomie actuelle
c'est la coexistence de ces formes anciennes qui ont évolué avec
l'histoire , avec des formes modernistes de la mouvance associative
apparues récemment sur la scene locale, notammant dans le cadre de
l'organisation des activités sportives et des loisirs.
. Support de reconnaissance au sein de la société locale, les
associations sont intégrées aux strategies des différents groupes
sociaux ou professionnels pour exister et avoir accès aux spheres du
pouvoir local, pour le renforcer,ou s'y opposer, ou encore le gagner et
l'investir. Qu'elles renforcent le système social local au qu'elles
tentent d'apparaitre comme des laboratoires de solutions alternatives,
qu'elles soient l'expression de l'existant ou celle des possibles,
qu'elles affirment leurs couleurs politiques ou qu'elles les maquillent
ou s'en autonomisent, les associations de toutes sortes entretiennent
toujours des rapports plus ou moins tenus et plus ou moins fonctionnels
avec le politique, car le mythe qui leur confère la representation de la
société civile reste vivace, nécessaire qu'il est au bon fonctionnement
des institutions politiques et administratives.
- 107 -
Qu'en est-il à St Laurent?
Les associations à St Laurent sont relativement nombreuses
<9 Associations recensées) mais elles se trouvent largement en
concurrence avec d'autres formes organisées de la vie sociale. De plus
elles ne trouvent sens qu'en se moulant plus ou moins fortement dans les
systèmes de sociabilité traditionnels. Elles n'ont pas le monopole de
l'animation socio culturelle se trouvant confrontées à celui de la
bouvine (constituée comme ensemble organisé: associations,
federations,. .. mais aussi influence des manades et de leur role de
reproduction des relations d'interdépendance héritées de la société
traditionnelle opposée à la société industrielle moderne) et plus
globalement aux différentes formes d'organisation sociale traditionnelle
basée sur l'interdépendance et un système de don et contre don.
La famille est bien sûr au centre de cette solidarité
traditionnelle mais elle apparaît comme une institution dont le sens est
extrêmement lié à l'ensemble du système social. Il n'existe pas à St
Laurent une tradition de reproduction familiale du patrimoine foncier.
Nous l'avons vu (Voir CHAP.l). Bien de comparable en cela avec la
Lozère. Si les grandes propriétés changent de propriétaire c'est en
dehors du village, dans un ailleurs mal défini. Si les agriculteurs
donnent la succession à leurs enfants et participent de ce fait à une
idéologie patrimoniale de la famille ils ne constituent pas le groupe
dominant sur la scene sociale. La famille, à l'image de celle des
ouvriers agricoles, trouve sa légitimité dans des ensembles sociaux plus
vastes et plus particulièrement la société locale comme communauté. Au
système d'interdépendance propriétaire/ouvrier agricole repondait celui
interne à la communauté, fait d'entraide et de solidarité villageoise où
la reconnaissance passait par l'absence d'identité singulière.
Les autres cercles d'appartenance que nous avons déjà évoqués
sont constitués, là aussi sur le mode traditionnel, par ces cercles
d'initiés que produisent et reproduisent les manadiers. Systeme
d'interdépendance si il en est basé sur des échanges matériels mais
surtout symbolique, fait de consideration reciproque en dehors de toute
logique contractuelle. Les contraintes sont ici reciproques, on se lie à
une manade et on rend service pour marquer ce lien, en échange le
manadier se doit de marquer sa consideration et de se plier à la
- 108 -
tradition, d'organiser le rituel et de s'en tenir aux regles etablies de
son agencement.
Nombre d'organisations plus ou moins informelles viennent
structurer la population des aficionados. Amicales d'anciens razetteurs,
amis de telle ou telle manade, ...autant de groupes dont l'influence est
plus ou moins locale ou transverse, dans des systèmes d'appartenance
croisés, où se forgent les identités collectives autour du taureau.
Les organisations informelles en classe d'age subsistent à St
Laurent et se marquent par la fréquentation de tel ou tel café, des
espaces de rencontre sur la place: les vieux dans les arenes, les jeunes
derrière l'église,.. .Autant de groupes sociaux qui reproduisent la
stratificattion sociale et qui dans les rapports qu'ils entretiennent
entre eux reproduisent la communauté.
Les cafés sont des espaces de sociabilité impartants. On s'y
regroupe le soir, hommes et femmes, on y boit l'apéritif pendant que les
enfants font leurs devoirs dans l'arriére salle, seul endroit où
quelques tables sont disposées. La fréquentation d'un des trois cafés
est héritée. On fréquente un café de père en fils, sans que soit
discernables pour l'observateur les autres raisons de choix. Pas de
clivages politiques, pas de clivages religieux qui rationnaliseraient
ces appartenances. Son café, c'est l'endroit où on a ses habitudes, où
celles ci sont connues et reconnues: sa marque de pastis, ses habitudes
de consommation, ses heures d'arrivée et de depart: " à cette heure là
vous le trouverez au Glacier", où l'an se retrouve entre amis ...Rien de
bien different du "café du commerce" mais à l'échelon d'un village et
transformé en espace familial.
Les associations apparaissent dans ce cadre general, soit comme
des formes organisées de la tradition et ont à ce titre une légitimité
forte, soit comme des organisations parmi tant d'autres et par
consequent à légitimité faible.
Leur degré de légitimité determine, à l'évidence, le type de
rapport qu'elles entretiennent avec le politique. La representation
dominante de l'élu à St Laurent est celle de garant des intérêts et de
la coherence de la société locale. Leur autorité depend, non de leur
charisme, non de leur capacité à nouer du reseau dans le système
administratif et de jouer au médiateur, mais essentiellement à leur
- 109 -
inscription locale dans les reseaux d'interdépendance et à leur capacité
à les reproduire. Les relations avec les associations varient selon leur
légitimité: concurrentielles avec celles qui représentent la tradition,
plus fonctionnelles avec les modernistes sauf si celles ci tentent
l'introduction de nouveaux modes de sociabilité, auquel cas les
relations se jouent de maniere plus conflictuelle.
Les associations modernistes ne sont pas intégrées dans les
scenarios d'avenir sur St Laurent. Le role d'impulsion, d'agents de
transformation leur est dénié. Les projets dominants sont des projets de
reproduction et c'est à travers celle du rite que la société locale se
pense elle même.
- 110 -
TV-1îla v i ^ a s s o c i a t i v e !
IV-1-1: Typologie d£S. associations:
Neuf associations existent dans le village:
I - "La GRASILHÛ"- Association du troisième age
II - "LOU BAHDOT"- Club Taurin
III - "LA BOULE JOYEUSE" Club de boulistes.
IV - "OLYMPIQUE SAIHT LAUREHTAIS" Club de Football
V - "TEHHIS CLUB"
VI - Club de musculation
VII - Club de Hand-ball
VIII - Club de Gymnastique
IX - Société de chasse
Le classement le plus evident est celui par activité.
Apparaissent trois pales d'activités: le social avec le club du
troisième age, le sport et loisirs avec les sept dernières, enfin le
Club taurin a la fois association culturelle et gestionnaire d'activités
sportives.
Si ce premier classement est evident il est aussi inopérant si
l'on veut comprendre la nature du mouvement associatif à St Laurent, ses
légitimités, les processus identitaires dont il est le porteur.
- Ill -
Dans cet ensemble un des premiers classement que l'on peut
opérer est de distinguer les associations anciennes (II, IV,IX) montées
avant guerre ,des associations recentes <I,III,IV,VI,VII,VIII). Dans la
premiere catégorie on retrouve deux associations clés de la société
rurale traditionnelle , se référant à deux types d'activités qui se
relaient dans le temps saisonnier à St Laurent: La chasse l'hiver, les
courses de taureaux l'été. Elles ont ceci en commun également de gérer
chacune à leur maniere l'espace naturel et plus particulièrement celui
des marais et des pâturages à taureaux. En ce sens leur zone
d'intervention dépasse largement le seul territoire du village. Le Foot
est également une activité traditionnelle dans le champ de l'animation
sportive.
La deuxième catégorie rassemble des associations plus disparates
quant à leurs objectifs et aux populations qu'elles mobilisent. La
premiere sous- catégorie concerne les activités sportives d' implantation
recente dans le paysage rural, importées de l'urbain (V,VI,VII,VIII).
Ces associations regroupent plutôt les groupes sociaux importés et les
jeunes. Le club des boules correspond à un type d'activité
traditionnelle mais sa structuration sous la forme associative renvoie â
la nécessité de s'organiser pour négocier la gestion de l'espace avec la
municipalité: construction d'un boulodrome, éclairage, gestion des
subventions,...elle est le fruit des contraintes juridiques et
administratives. Elle regroupe â la fois des autochtones, généralement
des personnes d'un certain age, à la fois des non natifs plus jeunes. La
controverse entre les^ joueurs de petanque (les non natifs) et les
joueurs de la Provençale (Les natifs) anime "la boule joyeuse" et
s'achemine vers un schisme, les vieux jouant a la provençale. ..dans les
arenes depuis deux ans. "Le Grasilho" a été créé en 1972 et correspond,
quant à sa période de creation, aux politiques sociales déployées à
l'époque en faveur des personnes âgées .Association importante
comprenant 120 membres, le club du troisième age regroupe une bonne
partie de St Laurentais non natifs mais d'implantation ancienne: anciens
artisans, petits commerçants, anciens fonctionnaires, peu
d'agriculteurs, quelques ouvriers agricoles..,Si une partie de ses
activités ressemblent à n'importe quel autre club: voyages organisés,...
- 112 -
la teinte traditionnaliste est extrêmement marquée. L'objet de ces
voyages se thématise essentiellement autour de la tauromachie et plus
particulièrement la course camarguaise ou la tradition : Stes Maries de
la Mer, Arles, pour le déroulement des courses importantes. Les membres
du club ont leurs places attitrées dans les arenes et les places sont
gratuites. Enfin ils organisent un repas aux prés pendant la fête votive
auquel ils se rendent en car.
De ce premier classement il ressort que la population autochtone
est regroupée essentiellement dans quatre associations (II, III,IV,IX)
dont le point focal est le Club Taurin. Ces associations, aux modes de
recrutement différenciés, ont ceci en commun d'être dans une position
clé dans le champ de production des representations collectives de St
Laurent tant à usage interne qu'à l'intention de l'extérieur. Village de
provence, où l'on joue aux boules, où l'on chasse l'hiver, où la
jeunesse joue au foot. Les autres associations sont animées par des non
natifs.
La plupart de ces associations entretiennent des rapports avec
des ensembles associatifs plus larges. Pour les associations sportives
elles se trouvent intégrées dans le système federatif . Pour La société
de chasse il en est de même. Il s'agit la plupart du temps d'organismes
federatifs départementaux dans lesquels il s'agit de singulariser son
club ou son association, de faire valoir les particularités de la
situation locale. Pour le Club Taurin le tissu associatif dans lequel il
s'insère est beaucoup plus transversal, il dépasse largement les limites
du Gard et il est multiforme, espèce de reseaux qui englobe les autres
clubs de Camargue, les manades, la presse taurine et tauromachique, les
organisations plus ou moins formelles d'aficionados,...
IV-1-2¡Les. associations si IÊUXS. ideologies:
Certaines associations apparaissent comme marginales par rapport
à la vie sociale du village. Les ideologies qu'elles véhiculent sont
fortement articulées à l'activité qu'elles animent et leur
positionnement dans le débat social au sein du village est labile et
marginal. Il s'agit essentiellement de certaines associations sportives
comme le handball, la gymnastique, la musculation. D'autres participent
- 113 -
à l'animation du village sans toutefois y tenir une place preponderante.
Elles servent de force d'appoint à l'action des associations plus
actives: les boulistes, le troisième age. D'autres, en 1'occurence la
société de chasse, n'anime pas à proprement parler la vie sociale de la
commune même si elle est porteuse d'un débat sur l'utilisation de
l'espace naturel et constitue une institution matrice d'identité pour
les groupes dominants pour la communauté.
Trois associations apparaissent comme polarisant l'animation du
village et comme support d'un débat sur les modes de sociabilité et leur
avenir à St Laurent: le Club Taurin, le Tennis Club, le Football Club.
Quelle est l'histoire de ces associations?
Quels groupes sociaux représentent-elles?
De quelles identité(s> sont elles porteuses?
Quelle est leur positionnement dans la vie sociale locale?
De quels enjeux sont elles le véhicule?
ITous nous proposons de reprendre cet ensemble de question pour chacune
de ces trois associations.
LOU BANDOT:
Les clubs taurins tiennent une place particulière dans les
villages de Petite Camargue:
"Dans ces pays de Bouvine, un village sans club taurin est un ersatz de village. En fait des clubs taurins on en trouve partout et plusieurs, deux ou trois dans la même localité. Celui dit de "droite", celui dit de "gauche", celui patronné par telle marque de pastis, celui des jeunes... La proliferation des clubs taurins, on peut la situer à l'entre deux guerres. Sans doute, avant, des associations semblables ont exité, mais la mode du club taurin, elle naît à peu prés vers 1920" "Au clu, on parlait de tout et de rien. Ca remplaçait la television où l'on parle aussi de tout et de rien. Quant au club taurin il monte un loto, l'hiver pour ramasser de l'argent. Il reçoit une subvention de la municipalité. Il organise des courses ou non si il est dynamique ou pas, mais surtout il met sur pied la sortie annuelle et le repas des membres. Devoirs sacrés." (1)
(1) DURAND <J> Op. cité p 97-98
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Lou Baudot correspond parfaitement à cette description. Créé en
1930 par trois jeunes du village en alternative au cercle tauramachique
"Lou Provençal" dont le dynamisme laissait, dit on, à désirer et qui
disparut rapidement. Ce sont des jeunes agriculteurs soutenus par des
commerçants par la suite qui impulsèrent ses premieres activités. Il
s'agissait essentiellement de l'organisation de muselades, de ferrades,
de courses à la corde et de courses camarguaises, avec évidemment le
repas annuel reservé jusqu'il y a peu de temps aux seuls hommes comme
pour le recrutement des membres d'ailleurs.
Celui ci se fait sur le mode de l'interconnaissance et du
parrainage. Tout prétendant doit être presenté par deux membres du Club
et son integration doit être votée à l'unanimité. Jusqu'en 1950 c'est la
même equipe qui dirigera cette association 1901 qui fonctionne
exclusivement sur le mode du bénévolat.
Les ressources du club proviennent du loto organisé l'hiver, une
loterie organisée en juin, de don émanant des petits commerçants, de
l'aide d'entreprise accordée en échange de prestations publicitaires.
A partir de 1950, le club multiplie ses activités sous
l'impulsion de son president actuel. Accroissement des manifestaions
existantes mais aussi promotion d'autres activités tauromachiques comme
la corrida et des voyages en espagne à l'occasion de corridas ou
d'événements taurins: fête de Pamplune, par exemple.
Cette acceleration correspond à l'entrée dans le club d'ouvriers
bi-actifs et au développement de leur presence dans la vie sociale du
village. Le theme de la tradition et de son maintien est le corrolaire
de ce processus. Car si les activités se multiplient cela correspond à
un redimensionnement du temps et de son usage dans la vie sociale du
village.
Alors que le rythme dominant du était jusqu'alors saisonnier,
la representation du temps va être largement modifiée par l'emploi du
temps de ces nouveaux salariés. Les temps de loisirs, les deux huit pour
certains, les vacances annuelles, ... autant d'éléments qui permettent à
ces bi-actifs d'avoir le temps d'investir en continu la vie associative.
Le maintien de la tradition correspond également pour eux à un enjeu
identitaire fort. La profession n'est pas un referent identitaire, il
s'agit d'ouvriers peu qualifiés pour qui l'activité à l'usine ne repond
- 115 -
pas à l'image du metier. C'est à partir de l'identité territoriale que
l'identité collective à l'usine se constitue, nan pas sur le mode de la
distinction individuelle mais par l'identification au groupe, dont la
coherence est fondée sur l'appartenance au territoire.
La defense de ce territoire et de la tradition devient un theme
central dans les quelques publications et compte rendu d'activité de
l'association, en même temps qu'il se développe également dans les
revues de la bouvine et, semble-t-il, dans l'ensemble de ses
organisations.
C'est ainsi que Lou Bandot se retrouve comme organisation active
dans le mouvement de protestation contre l'aménagement du canal du Rhone
à Sete. M. Clauzel, son president, nous explique:
"En commun avec les clubs taurins de Le Cailar, Aiguës Mortes Vauvert, avec le syndicat des znanadiers, lou Bandot s'est d'abord indigné, puis a lancé une pétition qui a receuilli un maximum de signatures, puis nous avons eu recours non seulement au Préfet, mais aussi au Ministère. Il était hors de question que la route du canal passe sur celle du taureau. Le role du club taurin c'est de perpétuer les courses, mais c'est aussi de défendre la Camargue et les traditions camarguaises. "
On le retrouve également au premier rang des protestaires contre
l'installation d'une reserve de gaz naturel sur le territoire du Cailar
alors que les municipalités reagissaient mollement. Le club taurin gagne
ainsi une place centrale d* interlocuteur et de partenaire dans les
différents projets économiques ou sociaux impulsés par "l'extérieur",
non comme acteur ou force de proposition mais comme element de
resistance potentielle, comme acteur collectif.
Cette capacité mobilisatrice lui donne sa légitimité externe au
village. Son inscription dans le rituel lui donne sa légitimité interne
dans la communauté.
Kais cette légitimité a un prix: Le maintien de l'unanimité
interne. Toutes les decisions importante doivent être prises à
l'unanimité. Si les 60 membres du Club taurin sont pour l'écrasante
majorité des natifs, facteur d'homogénéité, leur positionnement sur la
scene politique et leurs groupes sociaux d'appartenance
(professionnels,.. . ) ne sont pas identiques. Ainsi le President de
- 116 -
l'association est il le candidat de la liste droite aux elections. Issu
d'une famille de petits propriétaires, il est aujourd'hui contremaître
dans une entreprise locale. Un certain nombre de conseillers municipaux
communistes sont membres du Club et font partie également du Comité des
Fêtes dont les activités principales sont concurentes de celles du club.
La légitimité actuelle de ce dernier implique sa relative neutralité,
son "apolitisme". Garant de l'identité, collective sa participation au
débat social se doit d'être generale, en aucun cas apparaître comme
partisane. Il est une organisation par laquelle transite tout projet ou
toute ambition nécessitant une reconnaissance sociale forte (politique,
culturel,...) mais il ne peut pas en être le tremplin.
Si le Club est reconnu comme institution garante de l'identité
collective par la communauté, celle ci en retour exerce un controle fort
sur lui. Elle joue comme contrainte et toute introduction de changement
est problématique.
L'encadrement réglementaire des courses joue et pese dans ce
sens sur l'activité. L'introduction de rationnalités de gestion
économique (l'association paye aujourd'hui la TVA, l'antenne médicale,
une assurance,...pour chaque course ou manifestation) dans la vie de
l'association constitue un risque de fracture en faisant apparaître des
clivages jusqu'alors soigneusement gommés. L'insertion dans un tissu
associatif plus large (Federation Française des Courses Camarguaises,
Comité du Trident d'Or, Federation Française de la Corrida,...) permet
une gestion "démultipliée" des conflits, le niveau federal jouant un
role de régulateur et d'arbitre.
L'OLYMPIQUE ST LAURENTAIS: se presente au niveau structurel comme un
club banal de petit village. Animé sur le mode du bénévolat il est
surtout fréquenté par les jeunes du village et des bourgs environnants.
"Le club de foot a toujours eu son importance à St Laurent. C'était un moyen de rencontre pour les jeunes, une façon d'être ensemble, même si a coté il y avait une equipe de moins jeunes qui trouvaient là un moyen de rester Jeune malgré les années. Ce qu' il y a c'est que le sport lui même passait largement derrière la fête. Les Jeunes qui venaient au club c'était plus pour faire les "couillons" que pour gagner des coupes. St Laurent s'était fait le reputation de bon dernier, d'une equipe de rigolos. Les arbitres nous voyaient arriver
- 117 -
avec un regard de travers. La plupart du temps on se faisait virer du terrain. C'est pas qu'on était bagarreur, non! mais on faisait les "paillasses" pour se faire valoir auprès des filles et pendant ce temps on encaissait les buts!" (Agriculteur-ancien membre de l'Olympique)
Le club, dans ce shema, était en prise direct avec la
sociabilité locale, il en constituait un segment. Les jeunes amenaient
St Laurent à l'extérieur, ils le montraient et le démontraient. Le sport
n'était pas considéré comme une activité "autonome" dont le système de
reference serait externe à celui de la communauté et dont les
"héros"appartiendraient au gotha de la performance sportive.
Nous avons déjà evoqué dans le deuxième chapitre les
transformations du système de valeurs qui structurait la vie sociale du
club. La diffusion d'une nouvelle representation du sport comme ensemble
de normes s'est effectuée par la television d'une part, par le nouvel
entraineur d'autre part.(Voir Chapitre II-2-4). La confrontation avec
d'autres clubs sur le plan départemental, avec une nette evolution du
système normatif marquée par une identification aux sportifs comme
vedettes et comme professionnels et la mise en avant de la performance
individuelle,...autant d'éléments qui ont permis cette transformation.
"Ce qui prime maintenant dans le club c'est la réussite. Tant pis pour ceux qui venaient pour s'amuser. Il y a d'autres lieux pour ça! Alors on a favorisé l'esprit d'équipe en apprenant à chacun ce qu'il devait faire. Avant tout le monde faisait tout, c'est tout juste si le goal n'allait pas marquer des buts! Les reproches qui me sont fait c'est d'avoir été chercher des joueurs dans les villages autour. Ici c'est encore l'esprit de clocher, si tu es d'Ai margues tu es presque un ennemi! Aujourd'hui le capitaine est d'Aimargues et c'est un peu grace à lui que le club marche bien, mais il y a encore des gens qui ne veulent pas l'admettre." (Entraîneur-Contremaître)
L'opposition dans le discours de 1*entraineur entre le groupe
indivis et l'équipe renvoie à deux systèmes de valeurs et de
representations, différents. Les gens qui lui adressent des reproches ne
sont Jamais nommés. Sa confrontation • en tant qu'individu à un groupe
fantasmatique prend ici des allures de métaphore, voire de caricature.
Lui, sportif performant, contre le village, la société locale qui
resiste par sa marginalisation. "On" reconnaît ses résultats, "on" se
- 118 -
felicite des victoires du club comme autant de victoires collectives,
mais "on" ne le reconnaît pas "lui". Son système de valeurs reste
étranger à celui de la société locale, ses modes de classement referent
à ceux de la société globale, à la modernité. L'équipe s'oppose à
l'indivision et à l'horizontalité de l'ancienne equipe, l'esprit de
sérieux et la performance avec la rigolade et la mise en scene de la
derision. Il reste également étranger à la vie locale de l'association
qui gère le club. Les lotos, organisés au printemps avec le club taurin,
se font "au dessus de lui". Faute de participer à la vie des cafés, à la
mise en scene rituelle de la vie sociale, l'équipe de foot apparaît
comme quasiment étrangère au village alors que l'association continue à
en constituer un segment.
LE TEMIS CLUB: comprend une soixantaine de membres assidus. Il a
été créé il y a moins de dix ans et est présidé par la pharmacienne,
dont le mari est un manadier reconnu. La particularité de ce club tient
là aussi, non pas tant à l'activité, mais à sa sociabilité interne. Le
groupe dominant de l'association est constitué par les classes moyennes
de St Laurent. On y trouve l'avocat et un certain nombre de
"fonctionnels"(Chap. II). Autour de l'activité elle même s'est construit
tout un reseau de relations qui se manifeste à travers des repas entre
membres.
"On est un groupe d'amis qui se connaissent bien et le tennis est une bonne occasion de se retrouver. On s'invite les uns les autres, on organise des sorties, nos enfants sympathisent. " "On se sent en dehors du village. C'est vrai que c'est un trait d'union entre nous. Il y a des gens du village au club, des jeunes surtout, mais le club c'est un peu nous qui l'incarnons. La Presidente est du village d'ailleurs, enfin son mari. Hais on a pas vraiment les mêmes poles d'intérêts que les autochtones. Vous savez ici, c'est encore très rural et les occupations se font rares."(Fonctionnaire à St L.)
Ce langage feutré euphemise des oppositions plus franches entre
ce groupe du "tennis club" et la population locale, autochtone, sans que
cette dernière ne soit bien définie. Elle se manifeste par la rumeur.
"Je sais qu'on dit dans le village que nous sommes des gens de droite, et qu'il se passe des choses étranges au club. Vous
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savez ici ça marche un peu comme ça. Dés qu'on est different il faut s'attendre à ce genre de reflexions. Ici, si vous ne vous montrez pas sur la place publique, on vous soupçonne de je ne sais quoi! Mais peu importe, la solution est de laisser dire et de faire ce que l'on a à faire. "(Idem)
Les representations que la population propose des membres du
Tennis Club les donnent à voir comme des "donneurs de leçon", des gens
qui "s'en croient" et dont le projet implicite est "de forcer tout le
monde à vivre comme eux".
"Pourquoi avez vous 1'impression qu'ils veulent vous forcer à vivre comme eux? -C'est pas seulement une impression. Ces gens là ce qu'ils veulent c'est prendre le pouvoir. Ils nous prennent pour des arriérés. Vous ne les voyez jamais au village et ils voudraient prendre la mairie, enfin certain. C'est des gens qui nous regardent de haut, en fait ils vivent comme à la ville. Pour eux on est des paysans." (ouvrier spécialisé)
Ce qui caractérise le groupe du tennis club c'est l'idéologie
"intimiste" qui s'oppose à l'idéologie du personnage public tel que la
définit R. SENNETT <1>. Ce sont des notables mais ils ne jouent pas le
role fédérateur qui devrait traditionellement être le leur. Ils sont du
"coté" de la société globale et le mépris dont "on" les accuse fait
fonction de preuve de leur "parti pris". Ils n'émargent pas au système
d'échange de don et contre don qui fonde la solidarité au sein de la
société locale. Leur "repli" sur l'univers familial et le caractère
électif de leur système relationnel est alors perçu comme une marque de
desintérêt, de snobisme. L'ambition politique de certains d'entre eux
est vécue comme une tentative de putch.acte de violence symbolique.
L'isolement de ce groupe est fart. Leurs rapports avec les
autres associations sont quasi inexistants et leur participation à
l'animation du village est nulle. Leur identification à la liste de
droite renforce cet isolement et legitime les strategies de mise à
distance qu'une partie de la population locale déploie à leur égard.
Fous reviendrons dans le paragraphe suivant su& les rapports de
ces associations avec la municipalité."
- 120 -
IV-2: V i e politiqiJp •=• t. V Í P m u n i r i n a l e .
A l'analyse de l'ensemble des représentations produites sur
elle, la vie politique locale apparaît, historiquement, comme extrement
clivée. Shematiquement, il y a les blancs d'un coté, les rouges de
l'autre; les riches contre les gens modestes, la droite conservatrice
contre les communistes et au debut de ce siècle, les anarchistes. Ces
clivages recouperaient plus ou moins nettement dans le temps et dans la
vie sociale les divisions religieuses: catholiques (conservateurs)/
protestants(progressistes), les divisions sociales,... dans un système
de correspondance plus ou moins net et défini.
Ces clivages hérités de la société traditionnelle perdurent et
se reproduisent encore aujourd'hui, au niveau des representations
sociales, môme si le contexte a fortement évolué. Le partage des terres
entre les agriculteurs de la zone au debut de ce siècle, la regression
du salariat autochtone agricole par un salariat ouvrier, le
développement de ce dernier enrayant dans les années 60 une crise
économique de la société locale qui aurait pu déboucher sur une crise
sociale grave, autant de transformations dont on pouvait attendre
qu'elles viennent modifier la nature des representations dominantes du
système politique local. En fait les representations de la société
locale que reproduisent et qui structurent les discours politiques
semblent avoir peu évoluées. Elles se sont transférées par exemple sur
l'entreprise dont les ouvriers décrivent, en partie, l'univers comme ils
décriraient les rapports qui se nouaient traditionnellement entre
propriétaires terriens et ouvriers agricoles.
Mais si les divisions politiques apparaissent dans les discours
qui partent sur elles comme tranchées , force est de constater qu' elles
ne viennent pas pour autant fracturer l'unité de la communauté. Ce
manichéisme apparent occIte le fondement même du fonctionnement du
système social. L'interdépendance basée sur le don et la dette et la
consideration reciproque entre le "gros" et le "petit" était le canevas
sur lequel se tissait l'ensemble des relations sociales entre
"dominants" /"dominés" et servait de fondement au système de normes et
- 121 -
de valeurs de la société traditionnelle. A l'image des couleurs de
Baroncelli qui associait le blanc (il était royaliste) avec le rouge
(celle des aficionados locaux), les rapports de pouvoir au sein de la
société locale sont extrêmement paternalistes.
L'opposition Nord/Sud se retrouve dans la plupart des discours
politiques au debut du siècle, renvoyant à une resistance à la
deterritorialisation engendrée par le développement de l'Etat et
persiste comme principe organisateur des representations mobilisées par
le discours politique local aujourd'hui, à droite comme à gauche.
Cette opposition est largement redondante avec celle Centre/
Peripherie reactivée par les rapports que la société locale entretient
avec les administrations territoriales. Elle se retrouve dans ceux
qu'entretiennent les partis politiques presents à St Laurent avec leurs
appareils centraux. A droite comme à gauche on est d'abord St Laurentais
avant que d'etre au RPR ou au PC.
L'identification aux partis politique est sensible.Ceux-ci
constituent des matrices identitaires fortes , mais ce système de
contrainte s'articule avec les identités traditionnelles
territorialisées, le degré d'autonomie des unes par rapport aux autres
est extrêmement faible. Si la region est rouge, ceux qu'elle designe
comme ses grands hommes, Baroncelli, Mistral, d'Arbaud étaient tous des
conservateurs royalistes. L'attachement au territoire est un
dénominateur commun qui transversalise les divisions politiques, il est
une reference incontournable. Les divisions politiques renvoient a la
structuration des rapports sociaux internes à la communauté et expriment
l'appartenance à un des différents groupes qui la composent, mais les
brutalités en sont gommées dans la vie sociale, voire tout simplement
niées. Les divisions politiques loin de la briser renforcent d'une
certaine maniere l'indivision sociale. L'adversaire politique, s' il est
fustigé est tout de suite accrédité de la qualification de "brave type"
et l'on evoque les bons moments passés avec lui. Toute représentativité
est d'abord locale. La vie politique est enracinée localement, elle
apparaît comme un bien communautaire, insérée dans la tradition et non
comme une rupture des identités de reference de la communauté.
/»-*»
- 122 -
IV-2-1: Histoire de. là. vie municipals.;.
Le pouvoir municipal à St Laurent est detenu depuis prés de
trente ans par le Parti communiste. Le maire élu à l'époque resta en
place Jusqu'aux dernières elections municipales. Il fut alors remplacé ,
après une lutte interne au sein du conseil municipal et du Parti, par un
maire communiste "dissident". Celui ci entraina une partie du Conseil
pour constituer sa liste sur laquelle figuraient également des militants
ou sympathisants du PS. Cette liste emportait une large majorité, malgré
au deuxième tourun repart des voix des sympathisants de l'ancien maire
sur le candidat de droite.
Les années cinquante sont marquées par des bouleversements
multiples et des renversements d'alliance dans cette partie du Gard qui
vont aboutir sur la scene politique à un changement du parti dominant.
Traditionnellement de droite, l'équipe municipale de St Laurent était
composée d'agriculteurs propriétaires qui employaient de nombreux
salariés agricoles. ITDUS avons précédemment evoqué le caractère
paternaliste des rapports sociaux qu'entretenaient ces deux groupes. Les
grands propriétaires étant absents de la scene locale, laissant à des
régisseurs importés la gestion quotidienne de leurs terres, la logique
patrimoniale qui anime l'équipe municipale d'alors rencontre
l'assentiment des petits propriétaires et des fermiers. Cet ordre
politique était représentatif des rapports hiérarchiques existants dans
la société "civile". Les salariés agricoles sont alors absents de cet
ordre, le développement de l'anarchisme dans la premiere moitié de ce
siècle manifeste cette position marginale.
"Ce qui est sur c'est qu'au debut du siècle l'anarchie faisait partie du paysage dans cette plaine gardoise où travaillaient beaucoup d'ouvriers agricoles. A St Gilles, Vauvert, Aimargues, St Laurent d'Aigouze, Algues Nortes surtout, l'anarcho-syndicalisme était bien implanté. Des conférenciers se déplaçaient. On pretend que Kakhno serait venu à Aimargues, et Mazet, un apotre, un orateur, faisait bouillir la marmite avec sa feuille rouge et noire qui s'intitulait tout simplement "La Guerre Sociale". Tout un programme. Apres la guerre de quatorze le mouvement s'est un peu evaporé, sauf à Aimargues où une bonne bande a survecue (. . . )Ces libertaires ils se disaient petroleurs. Je ne sais pas si ils faisaient peter beaucoup de machines infernales, mais c'était de braves types, des originaux, un peu marginaux. " (1)
- 123 -
Les transformations essentielles de la période d'après la
seconde guerre sont de plusieurs ordres:
- Les transiornâtions de l'agriculture, sa modernisation et sa
soumission à des logiques industrielles,fragilisent considérablement la
situation de petits viticulteurs qui ne peuvent pas faire face aux
nouvelles donnes du "progrés agricole" et se trouvent en position de se
prolétariser.
- L'appel croissant à une main d'oeuvre étrangère pour effectuer
les travaux saisonniers réduit d'autant le salariat agricole autochtone.
- L'implantation d'industries sur la "micro-region" repond en
partie à cette crise. Mais la prolétarisation va changer les enjeux
culturels et idéologiques au sein de la société locale. L'émergence d'un
proletariat, peu qualifié, pour qui la profession n'est pas une matrice
identitaire stable, va largement influencer la vie politique locale.
- Enfin, l'absence de reseaux notabiliaires forts, aux reseaux
multiples, susceptibles de médiatiser les rapports de la société locale
avec cette "modernité", de servir d'interface avec l'appareil d'Etat, va
accélérer la crise de représentativité de cette droite rurale, qui
n'apparait plus comme garante de la reproduction sociale de la
communauté.
Autant de facteurs qui vont accélérer la
décomposition/recomposition des alliances et aboutir à l'accession au
pouvoir de groupes sociaux en partie nouveaux sur la scene sociale. Le
PC va servir de support à l'alliance des petits viticulteurs que la
crise radicalisent, des ouvriers des nouvelles entreprises installées
dans la region et d'une partie des salariés agricoles qui trouvent ainsi
une possibilité d'inscription dans la vie politique locale. La
prolétarisation de cette population rurale inscrit les rationnalites de
la société globale dans la vie sociale du village
"Vous savez le social on l'a découvert avec Perrier et les Salins. Ici la sécurité sociale, les mutuelles, les revendications salariales on ne connaissaient pas. -Les syndicats encore moins. Du coup les salariés agricoles se sont moins laisses faire, enfin certains. Il y en a bien qui se laissaient encore berner. En ce sens les entreprises sur le coin ça a eu des effets bénéfiques. Et puis ça permet à des
• ~ \
- 124 -
jeunes de rester ici. Parce que sans ça, c'est la misère. Je crois que le village n'existerait plus."(Maire de St Laurent)
ïïous l'avons vu les ouvriers à St Laurent sont pour la plupart
des bi-actifs. En ce sens ils restent des ruraux, attachés à la terre,
proches des deux autres groupes sociaux avec qui ils vont partager le
pouvoir. La reprise par le PC local et l'équipe municipale des themes de
la tradition, dont la bouvine condense l'essentiel des representations
legitimes, rentre dans cette stratégie d'apparaître comme les défenseurs
de la société locale contre les atteintes du Centre porté responsable de
la crise. En s'inscrivant dans le champ de la tradition en tant que son
garant le PC apparaît à la fois comme rempart aux rationnantes
technocratiques et comme support à l'expression des groupes dominés, en
même temps qu'il territorialise, pourrait- on dire, une certaine forme
de modernité. L'emprunt de la tradition n'est pas sans effet sur celle
ci. Le PC va contribuer à l'ériger en droit, au moins dans l'univers des
representations sociales. Se faisant les militants ancrent leur position
dans la vie locale et élargissent leur représentativité.
La "crise" interne de 82 au sein de l'équipe municipale est
interessante à analyser de ce point de vue. Le Maire d'alors suit les
consignes de l'échelon départemental et refuse de faire alliance au
premier tour avec les socialistes. Les risques de fractures du consensus
social sont impartants et le conflit politique porte essentiellement sur
deux points:
- l'inadaptation des consignes de l'échelon central du Parti avec la
situation locale. Le sectarisme apparait a une bonne partie de l'équipe
municipale comme une "politisation" dangereuse du débat politique. La
légitimité de médiateur qu'a conquise la municipalité, sa
représentativité garante d'un large consensus social, risquent de se
le2arder, d'autant que le PS a une audience de plus en plus large dans
une bonne partie de la population viticole.
- le personnalisme du Maire dont la longévité dans la position lui a
donné "la grosse tête". N'a-t-il pas fait distribuer un tract dans
lequel il se vantait du soutien que lui accordait l'appareil au niveau
départemental? On lui reproche ses prises de decision solitaires sans
consulter le conseil municipal!
- 125 -
"Il ne faut pas rester au pouvoir trop longtemps. A la fin le conseil municipal ne servait plus à rien. Il n'en faisait qu'à sa tête. Vous savez comment on l'appelait à la fin: Staline. Je crois très sincèrement qu'il se prenait pour quelqu'un de très impartant. Staline je vous dis!!(Eclats de rire)" (Conseiller-Adjoint de SL)
En apparaissant en ordre dispersé sur la scene é lec tora le le PC
r i squa i t de perdre ce t te image de garant de l ' u n i t é de la communauté e t
d ' ê t r e designé comme un diviseur. De plus, le personnalisme du Maire
vient rompre le processus d ' indi f férencia t ion, de déni des h ierarchies ,
déni qui permet leur reproduction "indolore" par le r i t u e l .
Le schisme renvoie à des logiques locales et ne peut pas ê t r e
assimilé à l 'echo de ceux qui t raversent l ' appa re i l cent ra l .
"Vous savez ce qui s'est passé ici, ça n'a rien à voir avec ce qui se passe à Paris. Moi je suis au PC par tradition. Vous savez ici le Parti c'est un peu comme l'Eglise avant. Les renovateurs je ne suis ni pour, ni contre. Je ne suis même pas sur de bien comprendre ce qu'ils veulent."
"Nous ce qu'on reproche à la federation départementale, c'est de vouloir imposer leur decision. Nous on est ici et on connaît mieux la situation qu'eux tout de même!"
"La preuve on a gagné contre le parti. Avant les elections ils ont distribué des tracts contre nous et l'ancien Maire a appelle à voter à droite pour faire barrage aux traîtres. Les traîtres c'était nous. Quand ils ont vu qu'on avait gagné haut la main, il n'était plus question d'exclusion. Des gars de la Fédé nous ont même felicites.
"On n'est pas à Paris ni à Nîmes. Ce qu'il faut ici c'est s'entendre. Si on se divise on n'arrivera à rien. Et puis vous savez avec les moyens qu'on a il ne faut pas espérer faire des miracles. Moi je dis, l'important, c'est d'éviter les divisions à St Laurent. Voyez, M. X, celui qui serait devenu Maire si la droite l'avait emporté, c'est un type extraordinaire. Ce qu'il fait, même si on est pas d'accord politiquement, c'est pour St Laurent. Le soir des elections, apres le dépouillement, j'ai é té le voir et je lui ai dit:" tu sais il n'y a qu'une chose que je regrette ce soir, c'est d'avoir gagné contre toi!" Il m'a repondu: "la seule chose qui me console c'est que ce soit toi qui aies gagné". Et on a été boire l'apéritif ensemble. Je ne l'aurai pas fait avec certains types de sa liste, mais lui c'est un St Laurentaîs qui travaille pour St Laurent. Il est sincere" (Extraits d'interviews du Maire de St Laurent)
- 126 -
L'ordre de reference dans lequel s'inscrit l'appartenance
politique est symbolique. La municipalité a peu de moyens et si elle a
investi ces dernières années dans un complexe sportif, ses marges de
manoeuvre sont extrêmement restreintes. Une des depenses centrales est
constituée par la subvention à la fête votive. Ici on a peu augmenté les
impots locaux, par contre les arenes sont payantes pour certaines
courses importantes pendant la fête depuis l'année passée. L'organisme
le plus apparent et le plus dynamique de la municipalité est le comité
des fêtes, qui fait concurrence au Club Taurin. Ses activités tiennent
une place de choix , mais non exclusive, dans le bulletin municipal:
"Le Comité des fêtes dont -la vocation est d'assurer les spectacles et traditions regionales, pense avoir aidé la population locale par ses encierros , à passer les longs dimanches d'hiver. Devant la réussite de ces spectacles, et avec l'approbation d'un bon nombre d'amateurs de taureaux, nous pensons renouveler l'expérience pour la prochaine saison hivernale. "(Bulletin Municipal N'2, 1984)
La tradition et la politique s'interpénétrent et la
comprehension de la vie politique locale, des diverses strategies
déployées dans ce champ, passe par l'analyse de ces rapports.
IV-2-2: lue. politique ei tradition
A regarder la composition des listes electorales aux dernières
municipales on peut avoir quelque comprehension des représentativités
reciproques des deux listes droite/ gauche et de leurs rapports
différenciés aux systèmes de representation:
Gauche Droite
4 Ouvriers dont trois bi actifs 4 Agents hospitaliers 3 Employés de bureau 3 exploitants agricoles 2 artisans sans salarié 2 ouvriers agricoles 1 divers (invalide. . )
5 exploitants agricoles 4 agents de maîtrise 3 cadres fonctionnaires 2 employés de bureau 2 artisans avec salariés 2 professions liberales 1 vendeuse
(Source mairie St L.)
- 127 -
Les differences, si elles n'apparaissent pas nettement sur ce
tableau, sont cependant sensibles quand on analyse la position de chacun
des membres de chaque equipe. Les agriculteurs de la liste de droite ne
sont pas des bi-actifs et possèdent des propriétés moyennes (15-20 ha)
alors que sur la liste municipale les exploitants sont plus âgés (un est
à la retraite) et il s'agit de petits propriétaires (5-10 ha). La
presence de deux ouvriers agricoles sur cette dernière liste clôt la
représentativité d'une partie du monde agricole de St Laurent.
Représentativité d'une petite agriculture, économiquement peu
productive, ne repondant plus aux rationnantes et contraintes
économiques modernes, mais encore largement presente sur la scene
locale. Les artisans de cette liste sont de petits artisans dont la
clientele est essentiellement locale et dont la survie depend totalement
de l'économie locale. A doite les agriculteurs presents sont des
agriculteurs moyens, implantés dans les organisations agricoles et dont
les exploitations sont gérées en fonction des contraintes de l'économie
globale, encore que la viticulture soit un domaine où parler de
contraintes économiques appelle à quelque prudence vu le role
preponderant de l'intervention de l'Etat. Les artisans quant à eux sont
des artisans de petites entreprises avec salariés dont le marché est
largement extérieur à la société locale.
La representation de la bi-activité est forte à gauche, quasi
inexistante à droite. Les 8 ouvriers et agents hospitaliers de la liste
gauche ont tous un bout de terrain qu'ils exploitent hors des horaires
salariés. Les ouvriers à droite sont pour certains bi-actifs mais ils
sont la plupart du temps agents de maitrise.
Les professions liberales sont représentées a droite par un
jeune avocat, alors qu'elles sont traditionnellement absentes à gauche.
Si la liste de gauche est composée exclusivement de natifs, il
n'en est pas de même à doite où une part importante d'importés constitue
la liste.
Les employés de bureau sont des femmes à droite alors qu'il
s'agit d'hommes à gauche.
Cette analyse succincte des deux listes par professions des
prétendants au pouvoir amené à quelques reflexions complémentaires.
- 128 -
- La liste de droite est composée de personnes dont la vie
économique est largement transversale au local. Leur inscription dans
des organisations dont la représentativité est plus large en témoigne.
Organisations agricoles, fonctionnariat de haut niveau font de ces
personnalités des "extra locaux". Le fait que cette liste avance son
maire "potentiel", personnalité locale et president du club taurin est à
ce niveau stratégique: une espèce de relocalisation.
- La presence de non natifs sur cette liste et de non terriens
accroit cette idée qu'il s'agit d'une liste non locale.
"Un des handicaps de notre liste c'est la presence de gens comme moi qui ne sont pas du village. Ici, l'ostracisme est fort et je ne crois pas qu'il sera facile de changer les mentalités. Notre chance c'est le candidat maire. C'est une personnalité qui peut faire basculer une bonne partie des gens du pays vers nous."(Avocat- candidat liste droite)
On comprend mieux "les piques" lancées contre le RPR dans le
bulletin municipal par le Maire:
"Je voudrais en quelques mots souligner 1'importance que j'attache à St Laurent, ainsi que le conseil municipal que j'ai l'honneur de diriger. Certains élus que la section du RPR semble vouloir designer en sont à leur quatrième mandat, d'autres à leur troisième, ce sont des St laurentais, et on ne peut pas dire qu'ils habitent dans le village depuis un an et les classer d'arrivistes serait exageré. Il n'en est pas de même pour tout le monde au RPR. Ce qui ne veut pas dire que nous rejetons les personnes qui nous font l'honneur de s'installer chez nous, bien au contraire, nous les accueillons et partons notre contribution afin qu'ils sachent qu'à St Laurent il y a de la place pour tous." Bulletin municipal N'2, An. 84, p 10.
L'extra territorialité est un handicap politique fort. La liste
de droite se trouve fortement confrontée à l'accusation d'importer des
logiques externes à la société locale, de menacer son intégrité.
Entretenir l'illusion du maintien de la tradition, theme incontournable
à toute pretention politique, devient, dans ses conditions, difficile.
D'autant que les campagnes municipales ne se font pas sur la
mise en scene des ideologies, mais sur les problèmes de circulation,
d'horloge arrêtée, sur le mauvais fonctionnement de la sono municipale.
- 129 -
Bref, l'inscription dans les reseaux d'interconnaissance est
indispensable. Les derniers résultats le démontrent: gauche 60%, droite
40%.
Quelles sont les representations du Pays, du village, que
développent les uns et les autres?
De l'avis de chacun les differences entre la droite et la
gauche, outre la reference plus ou mains forte aux programmes des
appareils nationaux respectifs, tiennent plus à "l'état d'esprit" qu'à
de véritables differences au niveau des programmes concernant la gestion
municipale.
Pour une partie de la liste Droite, le pays se meurt de sa fermeture
à l'extérieur. Pour y obvier, il est nécessaire d'entretenir des
rapports plus fonctionnels avec les administrations territoriales, de
s'ouvrir au tourisme et de favoriser les groupes économiquement
rentables, à savoir les agriculteurs qui font l'effort de la modernité.
La fonction de l'élu est ici faite de mediation entre une société locale
hiérarchisée et l'Etat, modele du notable type. Si le maintien des
traditions est avancé, les rituels sont autonomisés de leur fonction de
reproduction sociale. Ce dernier point est loin de faire l'unanimité et
des contradictions internes se font jour à ce sujet au sein de la
section locale.
Pour l'équipe municipale, la tâche est plus facile, la légitimité
étant avec eux. Elle n'a jamais affirmé faire des miracles et sa gestion
est fortement contrainte par l'extérieur. Qui pourrait faire mieux? De
plus on enferme les adversaires dans la position de force de
proposition. Tout avis est bon à prendre et la municipalité n'a-t-elle
pas fait reparer tel tronçon routier, reparation demandée par la droite,
n'a-t-elle pas installé un feu rouge,...Si le pays est en crise c'est a
imputer à celle de la Crise, avec un grand "C", celle de la société
globale qui meurt faute d'avoir su garder une maitrise de son destin. La
tradition propre a assurer la cohesion de la société locale, de la
reproduire. C'est grace à elle que l'on reste uni pour faire face à un
événement dont n'an est pas responsable. Dans ce cadre l'élu assure la
coherence du tissu social, il neutralise les effets de la politique
centrale qu'il se doit d'adapter, d'acculturer au local. Le
développement économique si il est souhaitable ne peut pas être
- 130 -
endogene, il vient forcement d'ailleurs, un ailleurs qu'il faut
éventuellement séduire, attirer, mais qu'il faut maintenir à distance.
L'élu est un element d'une société idéalement indivise et peu
hiérarchisée tentant de maintenir ses propres logiques contre les
rationnalités globalisantes, ses rituels contre l'anomie.
L'extériorité de la bouvine du champ politique proprement
dit,est à l'image de cette société même si elle évolue et se trouve
confrontée aux contradictions sociales qui traversent cette société.
Cette dernière se reconnait en elle. Dés lors le politique est obligé de
composer avec cette relation entre pratique rituelle et projet de
cohesion sociale. Sa légitimité en depend. Si le PC local est une
matrice identitaire forte c'est qu'il apparait comme partageant ce
projet, c'est qu'il contribue à reproduire les rapports sociaux
traditionnels , alors que la droite, malgré ses gages de
traditionnalisme, par les groupes qu'elle represente apparait pour les
groupes dominants à St Laurent comme une menace disruptive. Le fait que
les hommes importants de la liste exercent leur activité pour une large
part à l'extérieur (l'avocat a son cabinet à Lunel) ne leur permet pas
de reproduire le système de relations classiques d'interdépendance et de
services rendus qui subsiste comme mode dominant dans le village.
Un exemple vient illustrer cette contradiction: Nimes dont la
municipalité était communiste depuis prés de vingt ans est passée aux
mains d'un maire élu sur une liste RPR-UDF. Celui ci confia la gestion
artistique des arenes à deux personnes dont un manadier celebre. La
politique touristique ambitieuse de la nouvelle municipalité passe par
la rentabilisation de ces arenes notamment par le biais des spectacles
taurins qui "marchent". Alors que ce manadier, J. LAFONT est considéré
par tous comme un homme d'expérience le fait qu'il soumette le rituel
aux contraintes économiques a provoqué des reactions nettement hostiles,
dont la presse taurine c'est fait l'echo:
"A la tête de la nouvelle regie municipale, qui désormais a charge de la gestion des arenes, la nomination d'un manadier: M. J. Lafont au coté de M. S. Casas, ne semble pas arranger les choses en faveur de la course camarguaise. Pourtant, celui- ci ne dirige-t-il pas une manade de taureaux camarguais? Ne devrait il pas favoriser sa propre culture? Ne devrait il pas tenter, comme nous le souhaitons depuis longtemps, d'implanter à Nimes une course aussi prestigieuse
- 131 -
que la Cocarde d'Or? Est il lui aussi uniquement tourné vers la civilisation Ibérique?
Nous sommes désolés de constater que notre bonne ville est purement espagnole. Loin de revendiquer toute supériorité des festivités camarguaises, nous demandons tout simplement une presence plus importante pour le seul respect des aficionados camarguais nimois, et d'une culture non importée, ELLE !!!" (Camariguo N) 126, Juin 83, Editorial)
Certes il s'agit de Nines! Et du même coup le débat perd un peu
de sa virulence dans.les petits villages de Petite Camargue. C'est une
grande ville, et elle était "perdue" depuis longtemps. Mais le fait que
J. Lafont apparaisse non plus comme un garant, mais comme l'introducteur
de logiques économiques dans un champ où elles étaient niées, rejaillit
dans le débat politique local. La droite menace les traditions, elle les
exhibe pour de l'argent, elle est complice de l'extérieur! A droite on
accuse la gauche d'immobilisme et de conservatisme. Alors que la droite
ancienne s'était établie sur la reproduction du système
d'interdépendance, celle d'aujourd'hui est résolument "moderniste". Son
discours apparait aux groupes traditionnalistes comme une volonté de
fracture d'un système de relations dont il semble bien qu'une bonne
partie de la population se reconnaisse encore en lui. A ce sujet le
débat autour du tourisme à St Laurent est un bon analyseur.
L'opposition municipale n'est pas pour une ouverture "tout
azimuth" au tourisme, prudence oblige! Kais elle propose une politique
modérée qui pourrait permettre à St Laurent de bénéficier à minima des
retombées économiques de la proximité des stations balnéaires proches,
comme le Grau du Roi ou la Grande Motte. Ouvertures de certaines
festivités aux touristes par le biais de la publicité, agencement d'un
camping qui puisse recevoir les familles à moins de dix kilometres de la
mer, amelioration des prestations des commerces locaux...Si ces
propositions sont explicites dans le discours des militants elles
n'apparaissent que de façon feutrée dans le débat public. La conscience
de 1'illigitimité de telles representations du développement du village
dans les representations collectives est nette et intériorisée.
La municipalité ironise sur de telles propositions tout en
mettant en avant le camping municipal qu'elle entretient. St Laurent
doit rester aux St Laurentais et le role de la municipalité n'est pas de
- 132 -
se substituer aux administrations et aux agents économiques. Le tourisme
à St Laurent ça serait la mort du petit commerce, mais aussi le retour à
une gestion anarchique du foncier, une desappropriation de la
collectivité.
"Je crois que ces gens là ils rêvent. C'est pas la municipalité qui peut faire du tourisme d'abord. Et puis leurs fameuses retombées il n'est pas sûr que tout le monde en beneficie. Regarder le Grau, ceux qui en profite c'est les types d'ailleurs, qui ont acheté un petit commerce qui en profitent. Ces gens là ils sont là pendant la période estivale et puis ils vont dépenser leur argent ailleurs! Les gens du Pays ils n'en voient pas beaucoup la couleur des retombées, par contre ils en subissent pas mal les emmerdements! Du coup ils sont obligés de partir pendant l'été tellement c'est infernal! Les jeunes ne peuvent pas rester tellement les maisons sont devenus chères! Tout ça c'est les promoteurs qui en profitent! Non ce qu'il faudrait pour St Laurent c'est une ou deux entreprises qui s'installent pas loin et qui donnent du travail aux jeunes. Puisqu'ils sont si bien placés, ils pourraient dire à leurs amis d'installer du travail ici. Les touristes on est pas contre, mais c'est pas de là que viendra la solution à nos problèmes. "(Conseiller Municipal- Adjoint au Maire se St.L.)
La reference au territoire, à son intégrité, au maintien des
traditions qui actualisent l'identité collective du village est un
passage obligé de la thématique politique. La municipalité ne trouve pas
sa légitimité comme médiateur avec le champ économique, comme agent de
l'introduction des changements économiques dans la société locale. Le
développement économique ne peut être que le fait de volonté exogene,
celles de personnages lointains à l'image des grands propriétaires du
siècle drenier.
"A St Laurent je ne pense pas que l'on tienne à arriver à une situation comme St Gilles. Maintenant, là bas, ils n'arrivent plus à conduire leur ville comme ils le désirent. Ca a été beaucoup trop vite. Les immigrés ont pris une bonne part des travaux que ne voulaient plus les gens du pays. Ca pose des problèmes enormes. Vous avez lu les journaux. Le progrés est nécessaire, et il serait stupide de croire que l'on peut toujours vivre comme luon a vécu. Les Jeunes ne l'accepteraient pas. Mais quand les choses changent il faut s'assurer que c'est dans la bonne direction et que les avantages resteront pour les habitants du pays. Mous, à la municipalité, on ne peut pas intervenir pour que telle ou telle entreprise vienne s'installer. Ca se decide
- 133 -
ailleurs, par les banques ou par les industriels eux mêmes. Ici vous savez ils ne trouvent pas beaucoup d'avantages. Notre role à nous les élus municipaux c'est que la vie à St Laurent reste agréable et que nous ne perdions pas notre façon de vivre." (Maire de St L. )
C'est comme animateur de la vie locale, comme expression
institutionnalisée de la communauté que la municipalité gagne sa
légitimité.
IV-2-3:Lss_ relations municipalité/associations
Le mouvement associatif à St Laurent ne peut pas être assimilé à
un appareillage social tel qu'il apparaît dans beaucoup de sociétés
locales aujourd'hui. Expression des strategies d'imposition de nouveaux
modes de vies ou de systèmes normatifs qui se posent comme alternatives
face à la decomposition de la culture traditionnelle. Si il exite un
mouvement associatif "moderniste" à St Laurent nous avons vu que son
champ d'intervention reste circonscrit (le sport) et ses marges de
manoeuvre, actuellement, restreintes. Il n'est pas venu combler un vide
que le reflux de la sociabilité villageoise antérieure aurait laissé
béant. Il n'est qu'un embryon dans un ensemble plus vaste qui gère
"l'héritage" social.
Le mouvement associatif est un segment dominant de la
reproduction de la sociabilité traditionnelle et l'unanimisme est une
condition premiere de cette reproduction.
Dans ce cadre, la municipalité apparait ni comme un coordinateur
du mouvement associatif, ni comme un promoteur plus ou moins visible de
la nébuleuse des associations. D'un coté elle saupoudre quelques
subventions aux associations pour leur assurer un minimum de
fonctionnement et gère essentiellement les équipements sportifs dont
elle est le promoteur, de l'autre elle se pose comme concurrente aux
associations quand elle organise la fête votive et se place au centre du
dispositif rituel.
La fête est un bon analyseur de ces rapports entre la
municipalité et les associations traditionnalistes comme le Club Taurin.
Le partage des courses à organiser entre le Club et le Comité des fêtes
- 134 -
est un enjeu majeur. Si l'expression de conflits est illegitime, il n'en
reste pas moins vrai que la concurrence est forte et le prestige de l'un
ou de l'autre des organisateur depend de l'investissement dans le
rituel, dans l'éclat de la course que chacun organise.
"Chaque année on tente de s'entendre avec la Municipalité pour que les diferentes initiatives ne se chevauchent pas et que ce soit les habitants qui en soient bénéficiaires. Ce n'est pas toujours simple, parce que le Comité des Fêtes n'entend pas toujours lâcher du lest. Nous on estime que ce serait plutôt à nous d'organiser les activités taurines et à la municipalité de s'occuper du reste, de la culture par exemple, ou encore des sports. Mais ils ne l'entendent pas comme ça. C'est une maniere pour eux de montrer qu'ils font quelque chose et avec le taureau ils jouent sur du velours. Avant la Municipalité ne s'occupait pas de la fête et du Taureau. C'était la population et le Club qui se chargeait de l'organisation. Mais depuis vingt ans la Municipalité a pris les choses en main." (Membre du Club Taurin)
La place dans la ritualisation du social, dans la defense des
traditions est à l'évidence stratégique et la Municipalité defend un des
supports de sa représentativité. Nous parlions précédemment de la
tradition comme droit. Voici comment le Maire explique la place du
Comité des fêtes dans la fête:
"Il est normal que la Mairie ait pris le relai des bonnes volontés. La construction des arenes à la place des theatres individuels qui étaient devenus trop dangereux c'est la municipalité qui seule pouvait en assurer les frais. Vous savez la Municipalité donne beaucoup d'argent pour cette fête.
L'organisation des fêtes et des' courses est devenue extrêmement compliquée. Avant il suffisait de s'entendre entre gens du village et ça roulait tout seul. Aujourd'hui il faut les autorisations des uns et des autres et il est normal que la municipalité offre aux gens ce qui les interesse.
Une Municipalité de gauche doit donner à la population les activités qu'elle reclame et nous avons montré que nous en étions capables. Je sais que certains voudraient en faire une activité pour certains en en excluant d'autres. Nous, nous sommes contre. La course c'est un événement populaire! (Maire de St Laurent)
- 135 -
C'est en tant que garant du statut collectif, communautaire, que
la Municipalité Justifie et legitime sa place dans le champ de
l'animation sociale. Elle s'institue ainsi comme officiant des rituels
collectifs et verrouille ce champ à son profit.
C O N C L U S I OIT
- 137 -
"On entre dans ce pays comme on rentre en religion et il faut un long noviciat pour le comprendre, Il en est de /neme qui ne sont jamais touchés par la grâce"
J, d'ARBMD "Trois de Camargue" hat, Varille, Lyon, 1354,
Le projet initial de cette recherche prenait pour objet les
strategies identitaires dans des contextes ritualisés, où des systèmes
sociaux fortement integratifs et dotés de support organisationnels
semblaient dominer. Nous avons pris le parti de focaliser l'analyse sur
ces systèmes organisationnels et de leur mode d'articulation avec la
société locale. A cela deux raisons:
- Il nous était apparu, lors de la phase préliminaire que la bouvine
comme système symbolique et système organisé Jouait comme contrainte
forte sur les strategies identitaires "concevables" au point que les
strategies "alternatives" se trouvaient marginalisées et que leur
existence venaient renforcer d'une certaine maniere l'ordre symbolique
dominant. Il devenait indispensable, à partir de ce constat, de mieux
cerner qu'elles étaient les fonctions sociales de ce système, de
comprendre ses fondements et ses légitimités. Pourquoi ici? et pas
ailleurs? Comment?
- L'inflation des rituels dans ce bourg, mais également dans
l'ensemble de la Petite Camargue, posait le problème de la spécificité
du mode de production des representations collectives qui structurent le
système social local et se trouvent en retour structurées par lui.
Quelles étaient les institutions qui légitimaient ces "'representations?
Quel était le poids de l'histoire, de l'héritage social, dans ces
rituels? Pourquoi étaient elles perçues comme incontournables pour
l'élaboration de tout projet social?
- 138 -
ïïous n'avons pas la pretention d'avoir repondu à l'ensemble de ces
questions mais un certains nombre de determinants nous apparaissent
aujourd'hui plus clairement:
le mode développement de la Petite Camargue comme zone
d'agriculture extensive, l'industrialisation tardive qui s'est
structurée de maniere territorialisée et n'a pas été un facteur de
decomposition de la société locale ont largement joué comme condition à
la preservation de la société traditionnelle. Nous n'entendons pas ici
dire que cette société n' a pas été touchée par les logiques propres à
la société globale, mais que cette penetration s'est faite sur un mode
particulier et non sur la simple acculturation à "la modernité".
- Le caractère horizontal, peu hiérarchisé, de la société locale
que l'industrialisation a d'une certaine maniere renforcé, est une
condition objective au maintien d'un social ritualisé qui gomme d'autant
plus facilementles inégalités et légitiment les representations
collectives de la communauté comme indivise et coherente.
- L'absence, historique, de reseaux notabiliaires forts sur la
scene politique locale et corrolairement le développement spécifique de
la vie politique à St Laurent a favorisé la relative autonomie du
pouvoir symbolique, à la fois du pouvoir politique local, à la fois du
pouvoir technocratique externe. La mediation avec la société externe est
restée faible et les rapports avec l'appareil d'Etat se nouent à partir
des logiques internes à la société locale.
- Ce dernier element explique la survivance des relations
d'interdépendance qui structurent le social à St Laurent. Pas
d'appareillage social externe, technocratique ou militant qui tenterait
de gérer la dégénérescence d'une société traumatisée par
l'industrialisation, mais une gestion pour une large part endogene des
rapports sociaux dont la reproduction est en partie assurée par celle
des rituels et d'une tradition agencée sur mesure.
- 139 -
La relative indifference de la société locale pour les système
de distinction sociale importée, qu'il s'agisse du scolaire, du statut
individuel,.., peut, nous semble-t-il être largement interpreté comme le
signe de la force de système de valeurs endogenes qui sont tout autant
l'expression d'une resistance que celle d'un mode particulier
d'adaptation. L'existence de cet "ordre" symbolique endogene permet à la
société locale de penser ses rapports avec la société englobante,
d'ajuster ses strategies â son égards, de preserver, d'une certaine
maniere et jusqu'à maintenant un projet social spécifique. La reference
au territoire structure les representations collectives de cette
spécificité et constitue le support central à la plupart des
identifications.
Les rapports avec l'extérieur du même coup sont largement
médiatisés par "la bauvine" comme ensemble structuré des symboles et des
pratiques rituelles. Traversées par les contradictions entre la
modernité et la tradition, les logiques internes et les logiques
externes, c'est elle qui assure la territorialisation de ces
contradictions, leur appropriation par la société globale sur un mode
spécifique.
Les trois analyseurs choisis pour mener notre recherche nous ont
permis un premier balayage pour mieux cerner les contours de cette
spécificité. D'autres étaient possibles et auraient été tout aussi
féconds. L'articulation de la culture traditionnaliste et de la culture
"ouvrière" des bi-actifs sur St Laurent aurait pu permettre d'analyser
les différentes strategies de resistance à l'acculturation de cette
population St Laurentaise mais aussi de mieux saisir les modes de
transformation et d'adaptation feutrée de cette culture aux conditions
objectives qui Jouent sur elle comme contrainte.
Cette société traditionnelle, si elle se donne à voir aux autres
et pour elle même comme indivise, n'est pas sans fractures. La
commercialisation apparente des rituels est vécu, nous l'avons vu, comme
un danger. Ces notables, "apolitiques", que sont les manadiers
- 140 -
pourraient bien en être les artisans. De plus, la Camargue, territoire
mythique de reference, se transforme et son insularité se trouve peu à
peu réduite par toutes les interventions de protection et d'aménagement
dont elle est l'objet. Les manades sont aujourd'hui menacées de
disparition par ces interventions et les conditions économiques de leur
survie passe par une folklorisation des rituels. La Petite Camargue est
moins touchée que le reste de la Camargue par ces interventions mais sa
dépendance symbolique et materielle à l'égard de cet ensemble menacé est
grande.
La multiplication des appels à l'unanimisme à travers la presse
taurine, l'émergence d'un mouvement radical de defense des traditions
aux relents nationalistes sont les signes d'une conscience collective de
ces menaces.
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE - * - - * - - * - - * •
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DUVIGMUD (sous la direction de)
ELIADE
LEFEBVRE H.
PARAIS C.
Les structures anthropologiques de l'imaginaire, 1973, Paris, PUF.
L'imagination symbolique,, 1968, Paris, PUF.
Les imaginaires 1976/79, 2 vol. Paris 10/18.
Images et symboles 1982, Paris, Gallimard.
La présence et l'absence . Contribution h la théorie des représentations. 1980, Tournai, Casternan.
"Un nouveau mythe : la pensée traditionnelle". In La Pensée H*23t Mars-avril 49.
6. ARCHIVES DEPARTEMESTALES
6.1. ÂRCHIVES- DEPARTEMENTALES DE L 'HERAULT
6.1.2. AIXARGUES
VIDAL J.
•AFFLATET
Monographie de la ville d'Aimargues Q/2/68.
Evocations pastorales Q2/64. 1949.limes.
6.1.3. MARSILLARGUES
THOMAS L.
DAUMAS J.M.
Un village de Languedoc au XIV ème siècle Extrait de la soc.archéo. de Montpellier TIX, 2ème fase. Mel 37.
Les protestants de Marsillargues en Languedoc des origines à 1953. Thèse de 3ème cycle, Aix-Marseille 1984. 2 T. Th 235-236.
- 14 -
6.1.4. VÂUVEET
FALGAIROLLE P.
6.1.5. LUNEL
BARONIE DE LUNEL
BOÏTDURAÏÏD E.
CARTULAIRE
IMBERT ET BAILLE
OTIS LEAH
ROUET (Abbé A.)
Histoire civile, religieuse et hospitalière de la ville de Vauvert dy Xème siècle à l'année 1790. 1918, Hirnes, Teissier Nourry. Q2/34.
Marais : fossés entrepris par Canouge au préjudice des bestiaux 1747/49. I 174.
Les coutumes de Lunel Texte de 1387. Paris, Clavel, 0107.
1886.
Commencé en 1273 par Guilhem Carnier, notaire : "Déplaisance dans les palus, bestiaux, charrettes, chasse ..." AA1, tome II, fol 12c à 21, H*1613 à 1653.
Lunel et son passé 1975, Lunel, Planchón.
Une contribution à l'étude du blasphème au bas Moyen Age. 1979. 0108.
Notice sur la ville de Lunel au Moyen Age et vie de Saint Gérard-seigneur de cette ville au XlIIème. 1878, Montpellier. 0106.
6.2. ARCHIVES DEPARTEMENTALES DU GARD
Discours historial de l'antique cité de Nimes, par Jean Poldo d'Albenas.
"Chroniques du Languedoc" Revue, 1874, (Per 40)
"Minutes" de Pierre Auzières (2E55-27)
Description du "conflit de taureaux que nous appelons ferrade"
Plainte adressée par les Capucins de Beaucaire au Parlement de Toulouse au sujet de "courses et agitations de taureaux", 1656. Echange de bétail 1611.
- 15 -
"Tableaux des animaux et bestiaux de toute espèce existant dans la commune d'Aigués-Hortes" (1974) (L 1212)
"Observations sur les boeufs sauvages qui habitent les contrées d'Aiguës-Mortes" (1608) (12 M 10).
"Arrêté du préfet du Gard ordonnant d'interner à la citadelle de Nîmes des individus qui avaient troublé l'ordre public lors de la course de taureaux donnée dans la ville le 27 juin 1813" (3K 31)
"Procès-verbal dressé par le maire de Saint Gilles à la suite d'une course organisée dans la ville" 1801 (6M 101)
"Arrêté du préfet du Gard portant défense de faire courir des taureaux, des boeufs ou des génisses dans toute l'étendue du département"(16 juillet 1804) (6M 101)
"Délibération du Conseil Municipal de Beaucaire autorisant les fermiers des échoppes et des baraques du champ de foire à faire construire une arène "en bonne maçonnerie" pour y donner des courses "tant pendant la foire que pendant l'année" (23.9.1818) (8T 12).
Lettre du Préfet du Gard au Maire de Nîmes 1814. (9K 30)
Observations sur les courses de taureaux, dans "Statistiques du département du Gard" tome 1, p.346, 1842 (C. 5/28).
"Etat des communes du Gard où l'on avait l'habitude de faire la course de taureaux avant l'arrêté de Mr le Préfet du 19 Janvier 1841" dressé par la gendarmerie 22.8.1842. (6M 263).
"Arrêté du Préfet du Gard relatif à la prohibition des courses de taureaux" 17.5.1851. (6M356).
"Rapports au Préfet du Gard sur les incidents survenus lors des courses en mai 1851. (6M 263).
7. REVUES
CAMARIGUQ Revue de la Camargue et des courses camarguaises, organe officiel de la Fédération française de la course camarguaise. Nature * Traditions * Folklore.
LA BQUVINQ Le vrai mensuel de la course camarguaise, à lire ou à voir. 3 rue P. Sémard, ARLES.
A N N E X E S
I
A3ST2STEXE 1
JEM POLDO D'ALBEHAS : HISTORIAL DE L'AFTIQUE ET ILLUSTRE CITE DE HIKES 1560.
i
; : . . : „ • r r, n:--..-, * »; nbuovent pafsé G auant,& ;e nés gens Z^^rr^/n^teC^o-kinfeTtea ioue Die leurs o^up-noiM» j pr0chaines feiles de
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. - . . e ^ - e n r f u r p e rànoftre iNiu.«tar-s qu leuraeroge, e- .~n» ' , r' -„-^ffes oputes aenoz tiu5--•oouseft deu.^£"Du» »&*"•—• j ¿ _ „ ^ . ;esfiennes.Or íancés,ianscc,^— «-.<- -_ c,railie,c:i n¡2ÍnagicrE.ct..-
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V 07
m D E N ï S M E S. 07
rnam,en lieu de Iance,vn long bois ferréjainfi. que le trident de Neptune>fors que le fer du milieu eft plus couroque les autres deux. Ainfi à force,& fur tout le tröpeau on choifit les ieunes taureaux,ho encor marqués,que à courfè de cheuaux, & coups du trident Ion chaiïè iufques auprès du feu,ou ya gens à pié>qui les y attendent, & fer liant le taureau fur Thorn medefurfaut,ayant iaefté haràisé,& piqué par cescheuau-cheurs à tout leurs', tridens, l'homme qui l'attenta iè deftour-nantâcofté,lelaifit parles cornes5& à la mode delà luirte, luy baille croc en iambe,& le pouflèà terre auec Telpaule: dont lkyant ain(iabj)^tü par terre,il eft ailèment enferré du fer chault,& rouge, & ainfi marqué. Pay autresfoisenplu-fieurs compagnies afsiftë à tels paflètemps, & moy mefme à pié eh ay attendu vrbmais auec le trident en main,& me fou-uint pour lorSiVoyant ces courfes,dVn femblable paflètemps, qu'on lit auoir efté exhibé au peuple Romain, parles grans &u cirque 5 fait contre les taureaux.par les hommes,& cheuaux TheiTaliques.Suetonius TranquiiLen la vie de Claud. Gefar.
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C H A P . X V .
w'"S?S9! E veuk: irr confute:: I'opfnian. d'aucun;." ; cui ont
nieZíoit le remple ¿? l'Eglife cathédrale nofire Dame:mais premièrement il faut mettre íes paroîîes5& anchorite de Ae« L'us Spartianus;qu£ cit-en la vie ¿e Kaériarjqa'iifapres auoir pacifié certains tumultes en Angieterrejpailâ en. la Gaule,& en 5lionnear de Píocina conibuific à Ni/mes vne Ra{îiiauer
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¿Tî'îfme AutheurrparDion(w>aísius Nicar¿s Hiítorieri Grec, & autres,qui ont eferit de Traían,& Hadrian Empereurs, ríV r̂fprrtr-nec?? T^î'n.n.^n^rf^n mover. 0?.ric crovnne
IV
ANNEXE 2
"HTKBE DU CLUB TAURIH "LOU BAUDOT" COKPOSE PAR LE PRESIDEHT LEOH JEZOIS EH 1930 CHAHTE SUR L'AIR DE LA COUPO SAÏTCT.
"SAIHT LAUREHT D'AIGOUZE"
"SAHGLIER "
V
HTKSE DU CLUB TAURIN "LOU BA1D0T" COMPOSE PAS LB PRESIDENT LEON JEZOIN EM 1930
CHANTE SUE L'AIR DE LA COÜPO SANTO
sans. smntES DE. BACK
Traduction
Dans notre petit village Pour les Taureaux sommes passionnés Et dans tout le voisinage Cornue nous il n'y en a point
Nous sommes de race Nous sommes de race Et nous maintiendrons Nos beaux amusements Et nos traditions Car nous sommes St Laurentais. Nous ne passons pas une fête Sans faire courir des Taureaux Certains peuvent trouver bête A nous c'est ce qu'il nous faut.
Nous adorons les muselades Des ferrades (nous) sommes fervents Et des folles abri vados Sommes les défenseurs ardents.
Notre foi à la bouvine Chaque jour va grandissant Tous à pleine poitrine Chantons à Saint Laurent
(Nous) sommes les fiers mainteneurs D'un art qui est noble, qui est beau (Nous) voulons (que) sur tout le territoire Flotte notre drapeau.
V I
SAINT LAUSEST D'AIGOUZE
CHASSOS CHASTES PAR XARIUS RASCE SB ES 1904
Ce sont tous les gars du pays Sais oui, ici on nous envie Nous sommes les rois de la Tauromachie Nos abrivados, courses de nuit, Nos rodéos, et ce qui suit, A Saint Laurent Sous sommes les princes de ce midi. Saint Laurent je t'aime, je t'aime, Plus que Paris Et dans mon pré, pas loin d'ici La Saladelle, et nos taureaux Sos chevaux blancs Ah ! que c'est beau ! Des étrangers qui viennent ici En sont tous éblouis. Saint Laurent je t'aime, je t'aime Plus que Paris. De ces bouquets si merveilleux Au fons tout blanc, dessus tout bleu, C'est le pays de Kagali Et de Mireille notre amie, De la Provence c'est l'espérance Du Languedoc on forme un bloc Et tous deux réunis Sous sommes les rois de ce midi St Laurent je t'aime, je t'aime Plus que Paris.
V I I
SAWGLIER
0 Taureau Dieu maître de la plaine et roi du cirque, Repase en paix dans le silence éternel De la terre qui t'a engendré et qui t'a nourri Les hommes t'ont redonné à elle Sans mutiler ton corps magnifique. Ils n'ont rien voulu garder de toi Si ce n'est dans leur coeur Le plus vivant souvenir de ta puissance Et de ta royauté. Messager de Kythra Dieu de la force et du courage Ta mission merveilleuse est accomplie 0 toi, qui au lendemain des combats fratricides Est venu ramener l'homme sur les chemins de la beauté De 1'art et de 1'amour Dors ton dernier sommeil, récompense d'un labeur méritoire Sanglier 0 fier cocardier Prince des manades Le plus beau parmi les plus beaux, ô fils d'Apis Ecoute monter vers toi l'hommage d'un peuple enthousiaste Et reconnaissant. Et écoute dans cette langue harmonieuse du terroir Ce concert toujours croissant de nos louanges Et de notre admiration. Il s'élève vers toi, des quatre points de l'horizon Sur l'aile de nos vents les plus doux Comme les plus violents Ecoute l'hymne vibrant et sincère de notre race fidèle Repose en paix, sanglier. 0 toi qu'anima toute une vie le souffle conquérant de Kythra Tu as raffermi en nous les croyances des aïeux Tu as sauvé notre fierté gardianne Et lui as donné un élan nouveau. Tu as droit à l'immortalité. Mais si un jour, hélas, le destin capricieux Tentait de souffler la flamme pétillane du flambeau de notre foi Et de nos traditions Si nos fils désertaient le temple de nos arènes Et fuyaient les frères de ton espèce et leurs sombres manades S'ils dédaignaient nos jeux séculaires Pour de vains plaisirs Alors, libère-toi de ta prison de terre Bondis hors de ton tombeau Et les cornes pointant vers le ciel Pousse encore une fois ton cri de guerre et de ralliement Afin de ramener sur le chemin qu'illumine l'étoile Ceux qui seraient tentés de renier leurs pères Leur terre, leur langue et leur fol.
V I I I
AUJSTEXE 3
AECHIYES DEPARTEMENTALES DE L'HERAULT
C 6814
I X
ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE L'HERAULT
C 6814
"De terns Immemorial les courses de taureaux ont été en usage au lieu
de Saint Laurent d'Aigouze, l'on assure même qu'on n'y tue aucuns boeuf
ou vache qu'on ne les aye fait courir.
Ces courses ont lieu depuis le mois de Septembre jusques à la fin
d'Octobre.
Les gardiens à cheval conduisent des Palus le taureau, boeuf ou
vache au lieu qui leur a été indiqué. Des hommes accoutumés à ces bètes
les attendent à l'entrée du lieu, les tombent, et les mènent ensuite
dans une place dont on a soin de fermer après toutes les avenues. Là
chacun est maître d'aller attirer l'animal avec son chapeau, ou de
l'attendre avec le trident : on laisse quelques fois courir les vaches
par le lieu.
Cet usage n'est point particulier à St Laurens. Il se pratique' dans
toutes les communautés voisines, comme Lunel, le Cayla, Aygues-Vives,
Galargues, Vauvert, Karsi 11 argues. M. le Karquis de Calviron donna cet
amusement à feu M. le Karéchal de Kirepoix.
Ces divertissements ne se prennent point pendant les offices divins,
on est attentif de ne commencer ces courses qu'après qu'ils ont fini, il
y a même des curés comme celui d'Aymargues qui ont la complaisance
d'avancer l'heure de la messe les jours de ces courses.
2')Quand il y a ces sortes de courses dans un endroit les personnes
de tout age, et de tout sexe des lieux circonvoisins s'y rendent pour
assister à ces amusements, on y a jamais vu arriver d'émeute ni de
redition ni même de ce qu'on appelle Bagarre ou Altercation.
liais il arrive quelquefois que des particuliers qui s'exposent mal à
propos, qui manquent d'ádrese, qui présument trop de leurs forces, en
attendant ou en provoquant les Taureaux avec le trident ont été
renversés par terre sans autre mal, d'autrefois ils ont été blessés.
L'année dernière même il y a eu des hommes imprudens à St Laurens qui
furent considérablement blessés par un Taureau. Il y a 3 ans il en
X
arriva de même à un particulier de Lunel, a Aymargues qui attendît au
mains vingt fois un Taureau qu'on faisait courir, et qui a la fin se
laissait surprendre. Voilà tous les cas dont on se rappelle, on observe
mène que ceux auxquels ils sont arrivés ou qui ont été le jouet des
autres sont les premiers à y retourner; Il arrive encore que les
personnes en fuyant se laissent tomber les uns sur les autres,mais sans
danger d'aucun accident fâcheux. Il y en a même qui pour quelque argent
qu'on leur a donné un par un Bravoure mal entendue qui ne peut passer
que pour une puérilité se sont fait blesser.
3')Le jour de la fête locale de St Laurens de cette année le Sieur
Boularic curé voulait s'opposer À la course d'un boeuf : Le Sr Poucet
maire au contraire fut bien aise de le permettre, et le boeuf courut.
Le 16 de ce mois les fermiers de l'équivalens et autres particuliers
qui en avaient achetés un et qu'ils avaient résolu de faire courir, le
firent conduire grand matin à St Laurens et l'enfermère dans une écurie.
Le Sr Poucet qu'on n'avait peut-être pas consulté, en ayant été instruit
fut en qualitéi de maire requérir prier l'officier qui commande de lui
donner un soldat pour mettre à la porte, et empêcher qu'on ne put sortir
1'animal.
Le Sr Boularic curé, d'accord avec lui fit de son côté retarder
l'heure des vêpres afin qu'on n'eut pas ensuite le tems de le faire
courir.
Sur les cinq heures du soir plusieurs personnes de Jiarsillargues et
d'Aymargues que la curiosité avait conduit à St Laurens furent priées le
Sr Poucet de permettre la course du Taureau, et de faire retirer la
sentinelle.
Le Sr Poucet accéda à leur prière, et engagea 1'officier à ôter le
soldat, mais les propriétaires du Taureau piqués du procédé de Sr Poucet
dirent qu'il était trop tard et le firent évader, dès lors les étrangers
qui étaient en très grand nombre se retirèrent.
XI
4') Sur les neuf heures du sois du Dimanche quelques jeunes gens de
St Laurens passèrent dans la rue du Sr Poucet en contrefaisant le
miaulement du chat, le Sr Poucet envoya sur cela chercher un
détachement, et tout fut à l'instant dispersé voilà tout ce qui s'est
passé.
5') On a raparte la démarche de Sr Poucet a faire mettre une
sentinelle a la porte de l'écurie ou était le Taureau, et a eu empêcher
la course, au désir de se faire prier. Il était vraisemblablement piqué
de ce qu'on ne lui en avait pas demandé la permission. Il est à croire
que son opposition n'a eu d'autre motif qu'un esprit de contrariété et
d'humeur. On assure qu'il se plait lui-même beaucoup a ces sortes de
courses, qu'il a toujours été le premier à s'y trouver, et qu'il y
assista même lors de la fête dernière du lieu.
On prétend et on (.... critique du Sieur Poucet, de son "esprit de
tracasserie" et de ses "airs de hauteurs").
Les habitants de ces contrées sont fort attachés à ces sortes de
courses, elles amusent et enhardissent les jeunes gens de sorte que
malgré l'Inconvénient qu'on a éprouvé quelques fois de voir des
personnes imprudentes blessées il parait qu'on pourrait continuer à les
permettre si elles eussent été nuisibles au Public ou rien serait
désabusé et au lieu de les tolérer on les aurait défendu avec soin. Les
changements dans les coutumes qui n'ont rien de contraire aux règlement
et aux bonnes moeurs sont toujours sensibles, et peuvent jetter dans
l'abbatement un peuple qui a besoin d'être encouragé et auquel il est
nécessaire de permettre quelque amusement.
Rapport de Aliron au Xaréchal de Thomond, Chevalier des Ordres du Roy,
au Commandant en Chef du Languedoc, Hirnes, Le 29 septembre 1759.
(Il manque une page)