STÉPHANE MARTELLY CHRISTINE JEANNEY folie passée à la …… · 2013-11-18 · reste comme un...

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STÉPHANE MARTELLY CHRISTINE JEANNEY folie passée à la chaux vive publie.net

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STÉPHANE MARTELLYCHRISTINE JEANNEY

folie passée à la chaux vive

publie.net

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Une série de toiles d’une très grande force, qui arrive dans votre vie sans prévenir et y reste comme un caillou définitif  : Stéphane Martelly peint, mais elle est aussi écrivain, en-seigne la littérature créative à l’Université de Montréal et participe à plusieurs groupes de recherche sur la littérature haïtienne. Et si, dans cette conjonction qui désormais nous rejoint tous, de se saisir d’un outil ou d’un autre pour affronter ce qui, à chacun, nous est essentiel, on était à la fois dépossédé de ce travail, et en paix pour accepter com-ment il rebondit pour un autre ? Dans ces toiles s’écrit une autre coupure  : Haïti, l’île, sa langue, remplacée par Montréal, la ville, et la langue liée à l’histoire d’Haïti, mais dans un autre écart. Et peut-être que la magie de notre liberté nu-mérique commence ici : un dialogue s’amorce sur ces toiles entre Christine Jeanney, écrivain et peintre aussi, depuis la Franche-Comté. Les textes qu’elle va écrire sont des incursions presque monologuées dans chacune des dix toiles proposées. D’une part, son dialogue avec Stéphane Martelly va résonner dans ses textes et les orienter, d’autre part, son écriture va provoquer chez Stéphane une démarche d’explicitation inédite, comme en amont de la poésie ou du récit, depuis sa démarche de peintre. Les textes de Christine Jeanney sont en sur-impression de détails des toiles. Les notes de Stéphane Martelly accompagnent la toile et son titre. Elles resteront dans cette distance  :

ainsi (et j’y reconnais des indices de son ap-proche de l’écriture créative avec les étudiants que nous avions en partage), on y reconnaîtra un mouvement passant par ce qu’elle nomme «  douleur/émotion  », puis «  texture/généti-que », une note sur le « contexte » qui ne re-cule ni devant le politique, ni l’autobiographi-que, enfin une note sur la « musique ». Ces notes au départ n’étaient pas destinées à cet objet numérique que nous publions, et pourtant cela nous est apparu à nous trois comme une évidence  : c’est le mouvement par quoi ces deux écritures se sont produites ensemble, l’une par l’autre provoquées, qui nous permet de regarder autrement les toiles, et – symétriquement – que s’écrive ici ce noyau que nous avons tous en partage, moins la « folie  » et celles et ceux, des plus humbles, des plus proches, ou ce qu’on y reconnaît dans un autoportrait, que là où elle bouscule le fait littéraire, et où nous avons telle dette à Antonin Artaud. Qu’on me permette d’ajouter, outre ce lien en-tre notre travail de transmission et d’explora-tion à tâtons de la création littéraire, que nous nommons en France «  l’atelier d’écriture », et le dialogue que j’ai entretenu avec Stéphane Martelly dans ce compagnonnage de Mont-réal, que je suis fier, par cet ensemble exclusi-vement et nativement numérique, d’ouvrir publie.net à la spécificité haïtienne, ce qui s’y joue d’histoire et de langue nôtres. François Bon

ISBN 978-2-8145-03557toiles de Stéphane Martelly

textes de Stéphane Martelly & Christine Jeanney© les auteurs & publie.net

première mise en ligne le 21 août 2010

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folle passée à la chaux vive2005. Je suis à Montréal. Haïti bascule dans une violence inédite qui plonge tout le monde dans la stupéfaction. Des gens sont kid-nappés et torturés pour rançon. La violence contre les femmes sys-tématiquement violées et/ou mutilées est insoutenable. C’est une violence gênante dont peu de gens veulent parler. Beaucoup de jeunes femmes meurent ou sont tuées cette année là. Mort de Raymonde, à 80 ans.Mal partout, aux os, au dos. Nausées. Grattage infini de toile. La toile a été peinte sur plusieurs mois. Elle a été dure à sortir et elle est le fruit d’un travail de longue haleine qui est rare pour moi. J’ai travaillé en couches superposées au dessin réalisé sur la toile. Le personnage central, surtout que je ne voulais pas perdre. J’avais peur d’effacer mon dessin initial. Cet excès de contrôle est très in-habituel pour moi. Je ne sais pas ce que j’essayais de contrôler ainsi. Je pense que j’aurais pu aller beaucoup plus loin si j’avais fait plus confiance à mon élan et à mon intention. Mais finalement, ce personnage est inséré dans des formes qui le retiennent et le cap-turent. C’est peut-être cela que je voulais dire.En attendant, nous vivons encore en appartement. Cette toile po-sée sur mon chevalet occupe tout notre salon. Elle est invivable, comme toutes mes toiles. Alors, je peins seulement quand je suis seule et je la cache sous un drap quand j’ai fini.Une rumeur voudrait depuis longtemps que coucher avec une folle porterait chance. Depuis longtemps, les folles à la dérive dans les rues se font agresser pour cette raison.Pas de musique. J’entends des cris, parfois, le soir.

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retirée au fond retrait en retrait ils te serrent dans l’étau ils te serrent ils t’ont serrée tes yeux tournés à l’intérieur tes jambes pliées réveillée recouverte du si-lence en plaies mangée du silence liquide de plaques liquide de plaques vides la nuque aveugle plus près l’insaisissable lourde masse aveugle plus près ce que tu planques der-rière toi huées derrière ton dos cachés tes poings et toi dedans ta peau longiligne s’évade ce qui se passe quand sa tête !xe serre serrée serrés tes poings quand tu ca-ches dans le dos cet autre toi que tu planques ce qui ce passe quand tu les caches ce qui se passe quand tu les craches tu les craches huées les doigts noirs s’approchent et ils chantent tu leur porteras chance ils chantent ils te déchirent et c’est leur chance ils chantent ils te piétinent et c’est leur chance ils chantent te briser leur chance ils chantent leur chance déchirante et toi réveillée recouverte du silence en plaies retirée au fond au retrait au secret laminée

sœur, nous sommes sœurs

qui pour le montrer, qui pour le dire

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bégaiementSouffle.Long processus de recherche pour cette toile. Je l’ai sou-mise à un expo pour l’Asso des jeunes bègues du Québec. Elle a gagné le prix attribué par les enfants eux-mêmes. Je me suis beaucoup documentée sur la physiologie du bégaiement. Cette question du souffle interrompu m’atteint beaucoup. Je m’aperçois que je bégaye beaucoup depuis que je me suis établie à l’étranger. Ma parole est difficile. J’écris un texte plus tard là-dessus (C’est le premier texte du blogue que je ne publierai pas – jamais ?).Je trouve une photographie d’un acteur qui s’élance et qui est entravé, je travaille à partir de là. Je fais de nombreux

croquis avant de commencer et puis je m’élance directe-ment sur la toile. J’écris beaucoup aussi dans mes carnets d’atelier. Je découvre un nouveau médium qui comporte des fibres de papier et des grains de sable. Je travaille beaucoup les couleurs avec ce médium.Un contexte de parole difficile pour moi. Retrouvé en miroir dans la souffrance des jeunes bègues. Pour moi, c’est ce désir immense de parole surtout qui me fascine. Alors même que cette parole est entravée. Le désir immense qui les fait recommencer au lieu de se taire.Le hoquet du bégaiement.

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Elle a dit des paroles blanches Elle a dit elle a dit des paroles blanches

Elle a dit de la soie qui s’enroule en se déchirant Elle a dit immense

Elle a dit immense barrière Elle a dit mon torse tu vois mon torse comme il vrille

Elle a dit l’élan Elle a dit l’élan et dans l’élan elle l’a dit dans l’élan ses épaules cassées

Elle a dit fracassées Elle a dit fondues ses épaules

Elle a dit l’arrière elle a dit l’arrière à l’arrière et la peur poreuse Elle a dit fondre

Elle a dit elle a dit fondre tu n’entends pas qu’elle a dit fondre ? Elle a dit dévastée et la mâ-choire Elle a dit talochée elle a dit rouge Elle a dit vite

Elle a dit pourquoi elle a dit où elle a renoncé aux questions elle a dit néant et !ssure en même temps Elle a dit l’envie elle n’a pas dit l’envie elle l’a redit elle l’a avalé elle a vacillé debout elle a dit ployer non Elle a dit crever dedans

Elle a dit fuir Elle a dit qu’elle a répété répété fuir dedans mourir

Elle a dit crever fuir et crever simplement

crever dans le blanc elle a dit