Starobinski - la mélancolie au miroir

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Née de l’affaiblissement du sacré, de la distance qui croît entre la conscience et le divin, et réfractée et reflétée par les situations et les œuvres les plus diverses, elle est l’écharde dans la chair de cette modernité qui depuis les Grecs ne cesse de naître mais sans jamais en finir de se dégager de ses nostalgies, de ses regrets, de ses rêves. Dans les Fleurs du Mal, le poème liminaire « Au lecteur » dresse en majesté la grotesque et repoussante figure de l’Ennui. Splên, la rate, siègle de la bile noire, donc de la mélancolie. Les métaphores la disent en d’autres mots, en d’autres images : ils l’allégorisent – et il est difficile de décider si l’allégorie est le corps ou l’ombre de la mélancolie baudelairienne. Dans d’innombrables textes antérieurs, le pas lent est l’un des grands signes de l’habitus mélancolique. Nulle analogie, chez Baudelaire, avec l’ange de la vie contemplative, qu’invoque le Penseroso de Milton. La coquetterie, au miroir de la vérité, devant l’évidence de la précarité, du manque de profondeur, et de la vanité sans recours, est futilité, reflet périssable.

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Née de l’affaiblissement du sacré, de la distance qui croît entre la conscience et le divin, et réfractée et reflétée par les situations et les œuvres les plus diverses, elle est l’écharde dans la chair de cette modernité qui depuis les Grecs ne cesse de naître mais sans jamais en finir de se dégager de ses nostalgies, de ses regrets, de ses rêves.

Dans les Fleurs du Mal, le poème liminaire « Au lecteur » dresse en majesté la grotesque et repoussante figure de l’Ennui.

Splên, la rate, siègle de la bile noire, donc de la mélancolie.

Les métaphores la disent en d’autres mots, en d’autres images : ils l’allégorisent – et il est difficile de décider si l’allégorie est le corps ou l’ombre de la mélancolie baudelairienne.

Dans d’innombrables textes antérieurs, le pas lent est l’un des grands signes de l’habitus mélancolique.

Nulle analogie, chez Baudelaire, avec l’ange de la vie contemplative, qu’invoque le Penseroso de Milton.

La coquetterie, au miroir de la vérité, devant l’évidence de la précarité, du manque de profondeur, et de la vanité sans recours, est futilité, reflet périssable.