Star, passion et vie privée

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STAR, PASSION ET VIE PRIVÉE

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DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

Le Deuxième Voyage La Revanche

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Sandrine DE MONTMORT

STAR, PASSION ET VIE PRIVÉE

Édi t ions L E S B O N S A M I S 6, rue Lincoln - 75008 Paris

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

© Éditions Les Bons Amis, Paris, 1999 ISBN: 2-9508931-7-1

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À Philippe mon mari.

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L'homme jouit d'un bonheur qu'il ressent, et la femme de celui qu 'elle procure.

CHODERLOS DE LACLOS

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C H A P I T R E 1

À la fenêtre de la plus belle suite de l'hôtel Excelsior, une silhouette dans la pénombre scrute un ciel de nuit éclairé d'étoiles qui refusent de s'éteindre. Les rideaux derrière les- quels elle se cache drapent son corps à moitié nu. Une longue crinière dorée entoure un visage radieux. La jeune femme sourit. « Comment peut-on changer de vie à ce point ? », s'interroge-t-elle.

Elle ne parvient pas à trouver le sommeil. Les images de ces dernières semaines se bousculent dans son esprit. Une rencontre, un coup de foudre ont suffi à bouleverser la ligne droite de son existence. Elle n'a pas hésité à bifurquer. Per- sonne n'a pu la convaincre de la folie de ses actes, personne n'a pu lui faire entendre raison. Folle, inconsciente, ridicule, envoûtée, tous les adjectifs étaient bons pour tenter de la ramener dans ce que tout son entourage croyait être le bon chemin. Elle ne se reconnaissait dans aucun de ces qualifica- tifs. Et si elle était seulement amoureuse ?

A petits pas, elle entrouvre la porte de sa chambre. La vue de cet homme endormi la surprend encore. Il y a à peine quelques heures, des milliers de fans hurlaient son nom au rythme de ses chansons, et maintenant, il est seul avec elle, il est à elle. Sa main reste accrochée à la poignée de la porte, elle la serre de toutes ses forces, comme pour mieux se prouver qu'elle n'est pas en train de rêver. Bientôt le jour se lèvera et

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tout recommencera, la réalité refera surface, brutale et incon- tournable, il faudra le partager avec son staff, les journalistes, ses groupies et le reste du monde. Alors, elle se recouche et se colle à ce corps dont elle est encore tout imprégnée pour mieux profiter de chaque instant de cette aventure amoureuse, unique et merveilleuse.

Le bras de Martin l'enlace d'instinct. Elle pose son visage dans le creux de son cou et attend, immobile, son réveil. Du dehors lui parvient la rumeur de la foule qui s'entasse devant l'hôtel et s'impatiente de voir son idole. Le bruit sourd enfle peu à peu et Lætitia supplie intérieurement : « Laissez-le-moi encore un tout petit peu, il a tellement besoin de dormir. » Mais personne n'entend ses prières et tandis que les premiers rayons du soleil transpercent les rideaux, les murmures se changent en cris. C'est alors que Juan Martin Stevens, chan- teur à succès et grand séducteur devant l'Éternel, émerge de son sommeil. Son premier réflexe est d'attraper Lætitia contre lui et de respirer son parfum.

- Tu sens bon, mi amor. Reste là, ne bouge pas. À peine le temps d'une étreinte et, déjà, le téléphone sonne.

C'est Sally, son attachée de presse, qui, comme tous les matins à la même heure, annonce à Martin le programme de la journée. Aujourd'hui, interview à la radio en direct : elle connaît déjà les questions, il n'aura plus qu'à préparer ses réponses ; enregistrement d'une émission de télévision, dont elle a visionné quelques cassettes afin de s'imprégner de l'ambiance des plateaux ; enfin, intervention en direct au journal télévisé le plus regardé en Italie, pour lequel elle a préparé un résumé de l'actualité du pays. Tout est organisé, balisé, peaufiné. Même ses tenues sont choisies avec soin pour chaque circonstance. Avec une star comme Martin, dont les disques se vendent à des millions d'exemplaires dans le monde, rien n'est jamais laissé au hasard.

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Tandis que Lætitia, résignée et apparemment indifférente, dévore des croissants en zappant entre des images de guerre au Guatemala sur CNN et des vidéo-clips sur MTV, Martin se force à avaler un petit déjeuner préparé avec soin par le meilleur nutritionniste de Californie. Toute l'équipe est main- tenant dans leur suite et observe à la dérobée la jeune femme comme s'ils la découvraient pour la première fois, la « petite nouvelle » qui, à leur grande surprise, n'est ni un mannequin ni une actrice célèbre ! C'est tout ce qu'ils savent à son sujet. Martin a choisi de garder le silence sur son idylle. Au début, Lætitia n'a pas su comment prendre cette attitude. N'en valait- elle pas la peine ? N'était-elle pas assez connue ni assez gla- mour pour Martin ? Sally a tenté de lui expliquer que, pour ses fans, il se devait de rester libre et accessible. Martin, lui, a invoqué d'autres excuses : « Veux-tu que l'on aille impor- tuner ta famille, qu'on la harcèle de questions, qu'on te pour- suive ? »

Bien que n'étant pas une midinette en quête de gloire, une arriviste décidée à faire carrière, Lætitia a bien du mal à se faire à l'idée de jouer à la secrétaire ou à l'assistante pour faire diversion. Elle aime Martin et entend être aimée au grand jour.

À la sortie de l'hôtel, les jeunes filles s'accrochent à la limousine et, sans l'aide des gardes du corps, la voiture ne pourrait pas passer. Lætitia cache mal son angoisse mais, habitué à ce genre de manifestations, Martin salue et envoie des baisers. Alors qu'une jeune fille s'évanouit sur son pas- sage, l'attachée de presse imperturbable garde le nez dans ses notes. Rien ne saurait la distraire.

- Alors, Martin, je vais te poser la question que se pose la majorité de tes fans en Italie : Es-tu libre ? Ton cœur est-il à prendre ?

C'est ainsi que la journaliste italienne au décolleté pigeon-

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nant commence son interview. Martin éclate de rire. On lui pose cette question au moins vingt fois par jour.

- Je n'ai jamais été aussi libre de ma vie, j'attends le grand amour.

Personne ne remarque que, derrière la vitre du studio d'enregistrement, une jeune femme ravale une larme. Tandis que les standardistes remontent discrètement leur jupe pour amener les questions des auditeurs, la journaliste aux anges déborde d'enthousiasme.

- Et les Italiennes, tu les trouves à ton goût ? Pour éviter d'entendre la réponse, Lætitia s'éclipse mais la

voix de Martin résonne : - J'adore les Italiennes, je les trouve tellement sexy ! Ce deuxième coup de poignard la déchire. « Mais qu'est-ce

que j'espérais ? s'interroge-t-elle. Un mariage, des enfants, une conférence de presse ? » Martin ne lui a jamais rien promis, il a déjà été marié deux fois, a deux enfants et col- lectionne les femmes comme des trophées de chasse. Tout le monde sait que c'est un coureur invétéré, un séducteur insa- tiable, Lætitia comme les autres. C'est en parfaite connais- sance de cause qu'elle a quitté sa famille, son travail et même son fiancé.

« Ressaisis-toi, s'encourage-t-elle en voyant son visage crispé dans le miroir des toilettes où elle a trouvé refuge. Tu n'as pas tout abandonné pour renoncer à la première difficulté. Il t'aime, sinon il ne t'aurait jamais demandé de le suivre. »

Sally entre et sourit à Lætitia : - L'interview se passe à merveille, tu pourras le féliciter !

Profite de la pause publicitaire, va le voir.

À l'hôtel où ils viennent enfin se poser quelques minutes, des corbeilles de fruits, des bouquets de fleurs et autres cadeaux de fans remplissent leur suite. Lætitia ouvre l'un des paquets et découvre une petite culotte avec la photographie d'une fille nue accompagnée d'un numéro de téléphone.

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- Je t'interdis d'ouvrir ces paquets-là, Sally s'en charge. - Mais c'est hallucinant de recevoir des trucs pareils !

Comment peuvent-elles croire que tu vas leur répondre. Blême, Martin s'enferme dans le silence et s'assoit dans le

canapé XVIII pour consulter les notes de Sally. Tout l'après-midi, Lætitia le suit dans sa course contre la

montre. Elle observe cette faune qu'elle ne connaît pas, assiste à son premier plateau de télévision et se cache pour ne pas gêner. Les maquilleurs bavardent, les preneurs de son accro- chent les micros et les éclairagistes font leurs derniers essais. Plantée au milieu des spectateurs qui reçoivent des consignes pour applaudir et rire, Lætitia passe totalement inaperçue. Seul un cameraman, frappé par sa beauté, fait quelques gros plans sur son visage. Dans les gradins, deux copines surexcitées applaudissent à chaque intervention de Martin.

- Il est encore bien, hein ? Même à son âge, je ne dirais pas non.

- Oh, moi non plus ! Il paraît que c'est un amant incroyable, j'ai même lu dans un magazine qu'il était un peu pervers.

- Ça ne m'étonne pas, ça doit être le genre sado-maso, films pornos et tout le reste.

Lætitia soupire mais se garde bien d'intervenir et de ruiner les fantasmes de ses deux voisines. Après l'Italie ce sera l'Espagne, et enfin quelques jours de vacances que Martin a prévu et promis et qu'elle attend chaque jour avec un peu plus d'impatience. Sa grande tournée « Forever yours » est déjà passée par l'Angleterre, l'Allemagne et la France. Partout, les médias unanimes rendent hommage au grand Stevens, à l'apogée de sa carrière et tous les professionnels s'accordent à reconnaître son phénoménal succès. Seul Martin n'a pas l'air surpris par l'enthousiasme général et ces nombreux témoi- gnages d'affection et d'admiration : sa réussite, il estime l'avoir bien méritée.

Né à Puerto- Rico dans une famille d'artistes, Martin a

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toujours baigné dans la musique. Son père chantait dans les foires ou les mariages et sa mère l'accompagnait à la guitare. Aussi à l'aise dans le répertoire folklorique que dans le rock, doué d'une voix modulable qui parvenait à imiter n'importe quel chanteur, travailleur acharné, Diego s'est peu à peu fait connaître à l'échelon national et a même enregistré des dis- ques. Très vite, Diego et Maria ont détecté certains dons pour le chant chez leur fils Juan Martin et l'ont poussé à s'entraîner. Enfant de la balle habitué à voir ses parents se produire en public, le petit garçon n'avait aucune gêne à les imiter quand son père le lui demandait. Ce n'est qu'à l'adolescence qu'il s'est rebellé, accusant ses parents de le priver de tout loisir pour ce satané chant. Portée par son amour maternel et lucide quant aux réelles qualités de son fils, Maria n'a jamais voulu lâcher prise. « Tu as le talent et l'étoffe d'une star, disait-elle. Cela demande des sacrifices et des efforts mais tu dois per- sévérer. »

- Comment comptes-tu t'habiller pour la soirée donnée en l'honneur de Martin, après le concert de ce soir ? interroge Sally entre deux conversations sur son portable.

- J'ai bien quelques robes, mais rien d'extraordinaire ! - Bon, je m'occupe de tout. Martin veux que tu sois élé-

gante... Versace ça te plaît ? À peine le temps de réaliser ce qui lui arrive, et Lætitia se

retrouve dans une somptueuse boutique. Les vendeuses s'empressent autour d'elle, trop heureuses de servir l'entou- rage de Martin Stevens, un conseiller en image vient l'aider à trouver une tenue appropriée en fonction de la couleur de sa peau et de ses cheveux et de ses accessoires. Émerveillée par la beauté des vêtements et flattée de l'attention qu'on lui porte soudain, Lætitia se laisse mesurer la taille, remonter les seins, habiller, déshabiller, sans broncher. Après une heure d'essayage, Sally choisit pour elle une robe noire très près du

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corps avec de fines bretelles qui se terminent en un décolleté plongeant.

- Tu l'as achetée, Sally ? - Mais non, tu es folle ! On nous la prête. C'est comme ça

partout. Tu as ta tenue pour ce soir, eux la photo de leur robe demain dans le journal. Tout le monde est content !

- Ce n'est pas déplaisant comme échange de bons pro- cédés. Vive le star-system !

Sauf que les stars, elles, la plupart du temps, gardent les affaires.

Pendant ce temps, comme toujours avant de monter sur scène, Martin se repose et médite. Seul le kiné a le droit de le déranger pour le masser afin de le détendre et de décon- tracter tous ses muscles. Puis, cérémonial immuable, Martin avale un jus d'orange et une assiette de pâtes à la tomate et au basilic afin de faire le plein d'énergie. Aussitôt après, maquilleurs et coiffeurs gesticulent autour de l'artiste pour le préparer aux néons de la scène. Voir l'homme de sa vie cou- vert de fond de teint et de poudre est un peu déconcertant pour Lætitia mais elle observe tous les gestes des profession- nels dans l'espoir de pouvoir les imiter un jour et se passer ainsi de leurs services.

- Bon, maintenant, tout le monde sort, je veux être seul avec Lætitia.

Sally le regarde d'un mauvais œil : - Pas avant. Sois raisonnable.

- Dehors, crie-t-il de nouveau pendant que la maquilleuse récupère à grande vitesse ses pinceaux. Il s'approche de Lætitia et glisse sa main sous sa robe puis l'embrasse dans le cou.

- Tu me rends fou, j'ai envie de toi maintenant. Lætitia éclate de rire. - Sally t'a pourtant bien recommandé d'être raisonnable !

De quoi se mêle-t-elle, celle-là ?

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- Je reste presque deux heures on the stage, alors avant il vaut mieux que je préserve mon énergie. Je parle en connais- sance de cause.

- Ça ne te suffit pas qu'on te dise quand et quoi manger, comment t'habiller, comment bouger, il faut en plus qu'on décide pour toi quand faire l'amour, ce que tu dois dire et à qui ?

- Comment tu me trouves ? - Bien, pourquoi ? - J'approche des cinquante ans, je suis sûrement une des

personnalités du show-biz les plus riches et je suis en pleine forme physique. Cela vaut bien quelques sacrifices, non ?

Le ton de Martin la laissa sans voix. Quelle suffisance ! Quelle arrogance ! Sans un mot, elle s'engouffra après lui dans la limousine en direction du concert. Sur leur passage, les flashes crépitent, les barricades manquent d'être renver- sées par les fans qui hurlent. Devant la foule qui piétine pour rentrer dans la salle, la voiture s'engage à grande vitesse dans un couloir interdit au public qui les conduit à l'intérieur du bâtiment. Une loge transformée en salon pour l'occasion est mise à la disposition de la star. Champagne et caviar y sont servis pour les quelques invités prestigieux qui viennent saluer Martin. C'est tout juste si Lætitia remarque tout cela : elle n'entend que le bruit de la foule qui n'en finit pas de résonner dans sa tête, presque comme une menace.

Ils chantent, ils crient, ils applaudissent, ils tapent du pied. D'une lucarne, Martin observe la salle se remplir, cela fait partie de ses exigences. Il aime voir et sentir le public se réchauffer et se chauffer. Entendre des milliers de fans crier son nom, lui donne une énergie précieuse, presque surnatu- relle ; il irradie, l'amour de ces gens le met dans une sorte de transe étrange. Assaillie par ces images si fortes, Lætitia se sent un peu perdue et pourtant si heureuse. Mais Paul, le manager, commence à s'impatienter, fumant cigarette sur cigarette.

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- Ça va être à toi, Martin ! Le cœur de Lætitia bat de plus en plus vite, elle a chaud et

froid tout à la fois, elle transpire et frissonne, ses jambes vacil- lent, ses mains tremblent, les grondements de la foule reten- tissent dans son crâne.

- On ne me fait pas un petit baiser pour m'encourager ? Mais tu trembles !

Tous les regards se braquent sur elle. - Heureusement que ce n'est pas toi qui chantes à ma place

sinon ce serait un désastre. Viens contre moi, mon bébé, c'est nouveau tout ça pour toi mais tu verras, tu t'y habitueras.

Une ovation salue l'entrée en scène de Martin. Les projec- teurs se braquent sur lui tandis qu'il s'adresse en italien à la foule, la remerciant d'être venue si nombreuse. Le récital peut enfin commencer. Jeux de lumière, danseuses aux tenues agui- chantes, changements de décor, nappes de fumée... Martin supervise tout et ne laisse rien au hasard. Ce perfectionniste ne déteste rien tant que l'improvisation. Sally l'a appris à ses dépends le soir où, pour fêter l'anniversaire de son « patron » elle avait pris seule l'initiative de faire venir Diana Ross, pour un duo surprise. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour comprendre que le sourire faussement enjoué et les poings serrés de Martin ne présageaient rien de bon. Et malgré le triomphe des deux vedettes, elle avait dû affronter l'une des plus violentes crises de nerfs de son existence dont, des années après, elle se souvenait encore. Jamais elle n'aurait supporté que Martin la licencie. Elle ne vit que pour et à travers lui. Sa vie se déroule dans les avions et les hôtels, sans famille, sans amis, sans amant. Dévouée, attentive, compé- tente et omniprésente, elle a su se rendre indispensable et personne n'approche le chanteur sans passer par ce petit bout de femme au caractère bien trempé et prête à tout pour défendre sa star de patron. Elle connaît ses numéros de comptes en banque, convoque ses médecins sans le prévenir, converse avec le personnel de ses différentes maisons de dis-

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ques et de production, choisit ses costumes, arrondit les angles avec ses enfants, prépare ses interviews et le conseille dans toutes les décisions de sa carrière. Elle le connaît mieux que personne, le comprend, le devine et est sans doute la seule à oser lui tenir tête. La relation qui l'unit à Martin a énervé plus d'une fois les gens du métier et suscité la jalousie de la famille et des petites amies du chanteur. On la craint et on l'envie tout à la fois. Mais qui voudrait prendre la place de Sally malgré son salaire de P.-D.G ? Charmeur et séducteur en public, Martin se conduit parfois en privé comme un insup- portable enfant gâté et elle est aussi la première à essuyer ses colères, ses caprices, ses injustices. Elle encaisse, parfois se rebelle mais toujours l'excuse. Les stars constituent une race à part que nul ne peut connaître sans partager leur vie de près. Adulé, collectionneur de disques d'or et de femmes, Martin comme les autres a fini par se couper de la réalité du commun des mortels. Comme le répète souvent sa mère : « Martin vit sur une autre planète et dans une autre dimension, cela doit faire des années qu'il ne s'est pas promené seul dans les rues d'une grande ville pour le plaisir. Il s'est enfermé dans une bulle et c'est Sally qui a la clef. »

Pendant tout le concert, Lætitia observe chacun de ses mou- vements avec émerveillement. Comment a-t-elle pu, elle, Lætitia Marchand réussir à se faire aimer de Juan Martin Ste- vens ? Plus elle le regarde, plus elle est éblouie. Elle aimerait crier à cette foule en délire qu'elle est sa petite amie, qu'il n'appartient qu'à elle ! Portée par la voix chaude et les mélo- dies qu'elle connaît par cœur et fredonne à voix basse, elle plane et délire. Elle se voit galopant dans les sentiers d'une montagne fleurie, les cheveux au vent, poursuivie par Martin. Puis se retrouve sur une plage de sable blanc main dans la main avec lui. Ces clichés la font sourire. À vingt-huit ans, Lætitia a passé l'âge d'être une midinette fleur bleue et pour- tant elle se sent submergée par une envie de romanesque. Elle a le sentiment étrange qu'avec Martin tous les rêves sont

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permis. Entraînée par le tourbillon de cette vie survoltée, elle perd pied peu à peu, consentante et amoureuse. Ce soir encore, Martin sera à elle et à elle seule.

Après plusieurs rappels, Martin retourne à sa loge, titubant de fatigue et s'écroule sur le sofa. Chacun s'empresse de le féliciter mais, pâle sous le fond de teint, les traits tirés, les cheveux trempés, les yeux dans le vague, il ne répond rien, buvant de l'eau au goulot, à grandes gorgées. Il refuse de se l'avouer mais il n'a plus vingt ans.

Lætitia interroge Sally : - Il ne peut pas sortir dans cet état, il est à bout ! - Je sais, mais ce soir on n'a pas le choix. Martin s'est finalement allongé et a demandé à rester tran-

quille quelques instants. Peu habituée à l'après-show, Lætitia tourne en rond sans savoir comment se rendre utile.

- Je le trouve exténué, on va le doper aux vitamines et annuler tous ses rendez-vous de demain. Il faut absolument qu'il tienne jusqu'à la fin de la tournée.

- Il a pris un sacré coup de vieux, tu devrais lui conseiller de se faire tirer les paupières.

- Dis-lui toi-même, Paul, je suis sûre que ça lui fera très plaisir !

- Écoute, on fait du business oui, pas des sentiments ! Martin est un ami mais c'est avant tout mon gagne-pain. Dans ce milieu, tout le monde s'est déjà fait lifter à quarante ans.

Lætitia écoute, se demandant exaspérée si c'est bien de l'homme de sa vie dont on parle ou d'un vulgaire paquet de lessive. Pourtant, elle comprend les motivations de Paul. Une vraie terreur, impitoyable, mais probablement l'un des meil- leurs managers du moment, réputé pour sa façon intraitable de négocier les contrats avec les maisons de disques et les publicitaires. Commissionné au pourcentage et âpre au gain, il n'entend pas se laisser enquiquiner pour une vulgaire opé- ration de chirurgie esthétique. Entre sa maison de Palm-Beach,

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son appartement de Fischer Island, sa femme, sa maîtresse et ses deux enfants en âge d'aller à l'université, il ne peut pas se permettre le moindre faux pas.

Lætitia s'éclipse pour retrouver Martin. Son visage paraît plus détendu et les yeux fermés, il dort, comme un enfant, presque fragile tout à coup. Sans faire le moindre bruit, Lætitia l'observe, scrute ses traits, caresse des yeux son visage. Ses mains rêvent de le toucher, ses bras de l'enlacer et ses lèvres de l'embrasser mais elle se retient de peur de troubler cet instant de paix suspendu. Les lumières tamisées, les bougies, les bouquets de fleurs et surtout ce silence donnent à la pièce une atmosphère particulière. Des coupes de champagne vides s'entassent, les petits fours ont refroidi et un foulard a été oublié sur un fauteuil. Ce calme après l'euphorie a quelque chose de déroutant. Martin ne bouge pas et à le voir immobile, serein, un immense désir la parcourt. Elle a envie de lui, de ses baisers, de ses caresses qui l'affolent, de ses mots interdits qui l'excitent. Son estomac se noue. Jamais elle n'a ressenti pareille attirance pour un homme. Pourtant, Martin ne res- semble en rien à ce qu'elle croyait être son idéal masculin. On lui aurait dit il y a encore quelques mois qu'elle tomberait amoureuse d'un monsieur de cinquante ans avec du ventre, des rides et même quelques cheveux blancs soigneusement teints, elle ne l'aurait jamais cru. Elle qui ne se retournait que sur des jeunes, sveltes et élancés ! Ses amies trouvent Martin vieux et démodé mais elle s'en moque, il n'a pas besoin de leur aval pour lui plaire. Elle le trouve intelligent, brillant, talentueux, passionnant, drôle, séduisant. Beau ? Elle n'y a jamais songé. Depuis qu'elle le connaît, elle en a croisé des hommes beaux, présentateurs de télévision, chanteurs et acteurs. Mais ni leur bronzage, ni leur brushing apprêté, ni leur corps musclé, ni leur jeunesse ne l'avaient jamais détourné de Martin. Ils étaient comme ces paysages qui défi- lent derrière la vitre d'un train. Beaux mais plats, lisses et

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toujours semblables, profondément ennuyeux. Pour aimer et s'attacher, il fallait des couleurs, des parfums, des imperfec- tions et surtout des mystères.

- Je t'ai sentie entrer dans la pièce. Tu as mis ce parfum au musc que j'adore... Tu as aimé le concert ?

- Oui, mais je suis inquiète. Tout à l'heure, tu avais vrai- ment l'air épuisé, on aurait dit un revenant.

- Des concerts qui s'enchaînent les uns à la suite des autres c'est toujours éprouvant et toute cette pression médiatico- financière est un peu usante à la longue. Demande à n'importe quel artiste, il te dira la même chose.

- J'ai hâte que tu prennes enfin des vacances, qu'on soit loin tous les deux.

- Est-ce que je ne te l'ai pas promis ? - Si, mais c'est si long. - Je tiens toujours mes promesses ! Et je te réserve une

petite surprise. Tu ne regretteras pas d'avoir tant attendu.

La soirée donnée en l'honneur de Martin se déroule dans la boîte de nuit la plus sélecte et la plus chic de Rome, le Sotovento. Les stars italiennes se mélangent aux riches indus- triels pour avaler des pâtes au caviar. Lorsque Martin, accom- pagné de son équipe, envahit les lieux, les trois cents convives se lèvent d'un bond pour l'applaudir. Entre la lumière des flashs, les équipes de télévision et les bousculades autour de la star, Lætitia se trouve propulsée de l'autre côté de la salle. Les photographes mitraillent. À leur menu ce soir : Martin serre la main aux joueurs de foot de l'AS Roma, Martin embrasse la très belle Monica, Martin blague avec Berlusconi. Demain ces nombreux clichés seront dans toutes les agences de presse internationales. Martin est un produit qui se vend bien.

À l'écart dans son coin, Lætitia préférerait qu'il ne soit qu'un homme comme les autres. Pour se donner une conte-

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nance, elle attrape machinalement une cigarette. Un Italien au costume sombre et à la cravate fleurie s'approche d'elle, la trentaine brune et conquérante, avec une assurance qui laisse deviner un compte en banque conséquent.

- Parla italiano ?

- Non, mais français, anglais et espagnol... c'est déjà bien ! - Qu'est-ce qu'une ravissante Française fait à une soirée

donnée pour Martin Stevens à Rome ? Vous habitez l'Italie ? Vous travaillez dans la presse ?

- Ni l'un ni l'autre, je suis là, c'est tout. - Vous dites toujours non ? - Non, répond-elle en éclatant de rire. - Ce week-end si je vous invite dans mon palais à Venise,

vous viendrez ?... Ne refusez pas, vous auriez tort, je suis un amant exceptionnel !

Lætitia rit de nouveau aux avances de cet Italien qui la distrait de sa solitude et de son malaise.

- Vous n'arrêtez pas de regarder en direction de Martin, vous aimeriez le rencontrer, n'est-ce pas ? Vous me faites penser à ma mère et à ma sœur, elles sont dingues de lui.

- Et vous ? - Certaines de ses chansons au rythme de salsa me bran-

chent, sinon c'est un peu lent, je n'aime pas les musiques romantiques, ça m'endort.

- Je ne suis pas d'accord, une musique romantique dans les bras d'un homme qu'on aime, c'est le paradis.

- Vous arriveriez presque à me convaincre... Puisque c'est ainsi, je vous propose un marché : je demande à mon oncle qui est le président d'une grosse chaîne de télévision de nous présenter Martin et vous êtes à moi.

- Vous allez peut-être avoir une mauvaise surprise. - C'est vous qui allez avoir une mauvaise surprise, il est

beaucoup moins bien de près. Elle suivit son chevalier servant improvisé. Cela faisait plus

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de trois quarts d'heure que Martin n'avait pas remarqué son absence, cela méritait bien une petite leçon !

Attablé en compagnie de trois starlettes surexcitées, il essayait tant bien que mal de dîner mais les invités se succé- daient pour le saluer. Professionnel, il se levait, serrait les mains, signait des autographes, avait un mot pour chacun et chacune. Amusée par son cavalier d'un soir qui lui faisait un inventaire détaillé de ses différentes possessions, Lætitia ne remarqua pas que, malgré la foule compacte qui l'entourait, Martin la fixait depuis quelques instants. Il se leva d'un bond, faillit renverser son assiette sur sa voisine et se fraya un pas- sage jusqu'à elle.

- Qu'est-ce que tu fiches avec ce mec ? Je te cherche depuis une heure.

L'Italien devint tout pâle. - Qui cherche qui ? Ne renverse pas les rôles. Cela fait

plus d'une heure que tu dégustes tranquillement tes pâtes en charmante compagnie.

Le jeune play-boy se confondit en excuses mais Martin ne prêtait déjà plus attention à lui, et s'en prenait à Lætitia. La presse avait heureusement quitté les lieux et ne pourrait pas immortaliser cette scène de ménage au sommet, mais les invités ne perdaient pas miette de l'affrontement entre la star et cette jeune inconnue qui répondait du tac au tac, trop contente de voir Martin lui accorder tant d'intérêt devant témoins. Malgré lui, il était en train de donner la preuve qu'elle n'était si sa secrétaire, ni son assistante.

- Je ne t'appartiens pas et j'ai le droit de parler à qui je veux, je suis libre, non ? À défaut de gentillesse, tu aurais au moins pu avoir la politesse de me présenter quelques per- sonnes. La prochaine fois...

- Il n'y aura pas de prochaine fois, tu rentres tout de suite à l'hôtel !

Piquée au vif, Lætitia fila sans ajouter un mot. Elle se moquait bien d'avoir été humiliée ainsi en public ; en

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Composition P.C.A. Rezé 44400

Impression réalisée sur CAMERON par BRODARD ET TAUPIN

La Flèche

pour le compte des Éditions LES BONS AMIS en mai 1999

Relations Presse Christophe MILLANT

Imprimé en France Dépôt légal : mai 1999

N° d'impression : 1429W

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S a n d r i n e d e M o n t m o r t

r o m a n

S a n d r i n e d e M o n t m o r t est titulaire d'une maîtrise d'histoire. Elle vit en Amérique du Sud où ses œuvres connaissent un vif succès. Elle nous livre son troisième roman.

L E S b o N S A M I S

Hachet te Diffusion : 73 0461 1 Photos couverture : Sygma / Thierry Orban

Super Stock Maquette : Faz production