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  • Oiseaux de passage :rimes fantastiques,

    rimes d'bne /Stanislas de Guaita

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Guaita, Stanislas de (1861-1897). Oiseaux de passage : rimes fantastiques, rimes d'bne / Stanislas de Guaita. 1881.

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  • STANISLAS Dl CiUAlTA

    f*) RIMES FANTASTIQUES

  • OISEAUX DE PASSAGE

  • STANISLAS l)K GUAITA

    ^% de A(~y RI M US l'JXTJSTIQUES

    RIMES D'EBES'E

    PARIS

    BKRGIR-LKVRAULT ET Cic, DITEURS5, RLE DES EEAL'X-ARTS, S

    M MU M Al SOS A S ASC Y

    I 88 I

  • Oiseaux de Passage

  • MHS l'ERS

    Ce sont des oiseaux de passageQui jettent au vent leur chanson :Sans s'attarder sur le buisson,

    Qu'ils passent donc comme un nuage !

    On verrait trop bien leurs deTauts,S'ils ne volaient pas assez vite ;On dirait : c Leur aile est petite, Et l'or de leur plumage est faux.

    UISFAl'X DE PASS. I

  • Oiseaux de passage.

    Si quelque oisillon de la bande, Me suis-je dit souvenu-lois, -

    Pourtant, s'garait dans le bois....

    La foret des Muscs est grande !

    Sage et tranquille dans son coin,Il laisserait fondre la glace,Puis il chercherait une placePour y btir son nid de foin.

    Dans le vert taillis qui frissonne

    Peut-tre il s'acclimaterait ;Kt qui donc l'en empcherait ? Allons ! allons ! je draisonne !

    Ces espoirs que je couve en sotGrandissent dans la cassolette

    O je les ai serrs. P^rrctte.Cette cassolette est ton pot !

  • L'IDEAL HT LA FORME

    HUIT AIN

    Tu n'obtiendras jamais, artiste,Un songe au reflet irisScell dans l'troite amthyste :

    Un Idal cristallis.Tu pourrais mourir la peine ;Ton rude travail serait vairi :

    Ah ! c'est que la forme est humaineHt l'Idal divin !

  • CE QUE DISENT LES POTES PAUVRES

    Pour aller cl .relier hors Paris1,'c.ui murm'ir.intc

    Qui court dans les gazons naissants,Il nous faillirait bien qiu'rc cents

    /icus Je rente.

    Tu. PE BANVILLE.

    Critique, tu nous dis : -- " Malheureux rinuilleurs,'< Vous parlez de nature ; or, de votre mansarde" Que voyez-vous ? -- Des toits, puis le soleil qui darde Ses rayons sur les murs livides. C'est ailleurs

  • Oiseaux de passage.

    c Qu'il faudrait s'inspirer 1 La ville est monotone ; Cherchez loin de Paris le Printemps rput, L'panouissement des splendeurs de l'iit, lit les sanglots amers de la vois de l'Automne !

    Le pote rpond a cela : Pouvons-nous Comme toi voyager, opulent journaliste ? A tes comptes, rentier ! Htalcs-cn la liste !... Mais tous nos biens tiendraient entre nos deux genoux.

    Il faudrait des cus pour suivre ton exemple, Pour courir la campagne et les vallons dors, Au milieu des pis, ou des bois, ou des prs, Pour tablir la Muse et lui dresser un temple !

    Mais nous chantons sans cet attirail : a travers" Nos persiennes sourit quelque fleur irise ;' Un pot d'hliotrope orne notre croise.... Ht... ce jardin suflit a parfumer nos vers!

  • I.K BASSIN DES MUSES

    A mon cher Antoine RncnJ.

    Autour d'un grand bassin ride par le zphyr,Les Muses sont debout : celle de Lamartine,Voilant son front o brille une chaste glantine,Tient l'urne d'o jaillit un lleuve de saphir ;

    Ici Banvilia, folle et pourtant sublime,

    grne son collier de perles ; et, plus loin,

  • Oiseaux de passage.

    Sondant des profondeurs que l'oeil ne connat point,La Muse de Victor interroge l'abme.

    Ht celle de Musset, dont un torrent de pleursInonde le visage et les divines boucles,Kst blesse au-dessus du sein : des escarbouclcs

    En sortent sous le coup du poignard des douleurs.

    Mais la-bas, tout 1A-bas, A l'ombre d'une pierrenorme, une beaut trs-mre vient s'asseoir,Ht sous son oeil fard perle un diamant noir....

    Salut, Hvstrica, Musc de laudclaire !

  • L'ALCHIMISTE

    N'cit-cc p.is cette race de

    rcvcuis, de fous, d'enthousiastes

    adeptes de l'Id.il, que l'on doit les

    plus Imite* dcouvertes de l'iiitclli-

    gCIKC? OoKVAl'LT.

    .7 moi ami Aitdr Tttlpaiir.

    Aux sources du Danube, en pleine Fort Noire,S'ouvrait une caverne ;\ la lugubre histoire,

    Suspendue aux lianes verts du mont, prs d'un vieux pin,Kntre la roche a pic et le profond ravin.

  • Oiseaux e passage.

    Tout bruit donnait autour de cet autre sauvageEt fumeux. Un sorcier (comme on.dit au village),Alchimiste au front blanc, formidable colier

    D'Herms, dans cette grotte avait son atelier.Plus loin, dans un jardin perch sur la colline,Des simples vnneux vgtaient : la sabineY roulait en buissons un feuillage noirci ;La svelte digitale y fleurissait aussi ;L'aconit bleu de cuivre, et la grande cigu,lit l'if, s'y mariaient avec l'ortie aigu.Une paisse fume au loin se rpandaitlin noirtres flocons, puis dans l'air se perdait

    Aprs avoir roussi les fleurs sur son passage ;Ht les petits oiseaux redoutaient ce nuageQui recelait pour eux la mort.

    Mais toi, vieillard,Dans ton laboratoire o rgne un jour blafard,Que fais-tu donc, savant A chevelure blanche ?

    Que prpares-tu donc en retroussant ta manche ?lit que sortira-t-il de ton sombre alambic ?

    Un dragon vert ? de l'or ? des vapeurs d'arsenic ?

    Dans ta grotte de pierre o se meurt la p 'rvenche,

    Lorsque sur ton fourneau ton front rveir: se penche,

  • L'Alchimiste.

    Quand ton oeil est fix sur les mtaux fondus,Ht cherche a distinguer dans le sein du mlangeSi le filon grossier en lingot d'or se change,

    Tes labeurs sont-ils donc perdus ?

    Raliseras-tu ton Idal ? Le mondeSera renouvel par ton oeuvre fconde :Paracelsc l'a dit ; cela suffit : tu crois !Tu suis aveuglment les pas de ce prophte ;Tu marches hardiment a l'ombre de sa tte,Comme un chrtien fidle ;\ l'ombre de la croix !

    Non ! la pierre philosophaleN'ornera jamais ton rduit !L'or, le diamant et l'opale

    De tes travaux obscurs ne seront pas le fruit ;Mais ta main, si dbile encore,Ouvre les portes de l'auroreA l'astre grandissant qui doreLe front du monde tnbreux I

    Mais, fruit de ton exprience,Fruit de ta longue patience,Celle qu'on nomme lu ScienceA perc la vote des cieux !

  • Oiseaux de passage.

    Ta main a dchir le voile

    Qui recouvre la vrit !Sur ton front a brill l'toile

    Qui brille sur le front de la Postrit !Oh ! vieux rveur du moyen ge ('),Vieux sorcier au blme visage,Sois fier, sois fier de ton ouvrage !Sois content, vieil hallucin ITes dcouvertes sont clbresSoulve tes voiles funbres !Du sicle maudit des tnbres,Le sicle de lumire est n !

    (l) A strictement parler, cet alchimiste, lve du gran J Paracclsc, ap-partient a l'poque Je la Renaissance; mais pour la science, hlas!cette poque n'tait-clle pas toujours le moyen ge? S. de G.

  • /./ l'II-ILLARD

    Au foiul d'un parc immense o l'Art et la NatureOnt uni leurs trsors : marbres de prix, sculpture,Feuillage dentel qui Hotte au gr du vent,On aperoit au bout d'une humide avenue

    Longue, large, lugubre et mal entretenue.Un banc o le vieillard se repose souvent.

    Ce sige a pour dossier un chne sculaire

  • 14 Oiseaux de passage.

    D'o s'pand alentour la paix crpusculaire.Sur la pierre moussue il est 1A, le vieillard :11 est assis, le corps ploy, courbant la tte.Les pensers d'autrefois, en proie A la tempte,Roulent, tumultueux, sous son crne blafard.

    Soudain, un regard vif brille c ans la caverneDe son oeil, comme on voit sur un vieux miroir terne

    Resplendir tout A coup un rayon de soleil ;

    Il parle A ses enfants qu'il croit voir apparatre ;11 se redresse; il a la dignit du prtre,Ht le surplis de lin A son front est pareil :

    " O mes fils, quand je viens m'asseoir sous cette

  • Le Vieillard. is

    c Se sont toujours assis sur le vieux banc de pierre O l'ombre protgeait leur timide paupire Contre les rayons d'or et les froids aquilons !

    A vous mon parc avec ses splendeurs d'meraude !" A vous tout mon chteau ! Ma grande serre chaude O rgne et resplendit un ternel printemps 1 Mais respectez ce banc ! Mais respectez ce chC'iie I Respectez cette place antique, et toute pleine De mes chers souvenirs et de mes soixante ans !

  • LE COUCOU

    L'enfant a souvent des sensations trangesA cet ge o du ciel les lgions d'archangesVolent autour de son petit corps potel ;lit, comme si quelqu'un avait en lui parl,Il tressaille parfois d'instinct, lorsqu'une choseLe frappe ; ainsi qu'on voit frissonner une rose

    Quand le papillon d'or, s'abattint sur son coeurHt frmissant de l'aile, en pompe la liqueur.

    OIS. DE IA5S. 2

  • Oiseaux de passage.

    Un jour, j'avais huit ans, je suivais la trancheD'un bois. C'tait en mai ; la verdure pencheRefermant sur mon front son dme murmurant,Modulait un concert harmonieux et grand,Quand un chant singulier soudain me troubla l'me :

    D'horreur et de gait c'tait un amalgameBizarre ; et le Printemps qui sifflait sa chanson

    Se tut ; le rossignol trembla sur le buisson ;Et j'eus peur ; car c'tait solennel et terrible :La Nature n'est pas, comme on croit, insensible ;La fort, comme nous, s'meut et s'attendrit

    A l'aspect d'un malheur.... Or, la crainte me prit. Qu'tait-ce que ce chant? qu'avait-il donc d'atroce ?Ce n'tait pourtant pas une bte froce

    Qui hurlait dans le bois ; mais un petit oiseauSans doute, qui jisait comme fait un roseauCaress par le vent. Qu'tait-ce ?

    Un jour monDevant moi, par hasard, dvoila le mystre ; [preCar j'imitais le chant qui m'avait effray : Coucou ! Mon cher enfant, l'oiseau qui t'a cri Coucou, me dit mon pre, est un oiseau de proie Sur le nid dvast poussant son cri de joie ; 11 fracasse les ceufs du merle, et s'en nourrit,

  • Le Coucou. 19

    Puis pourchasse la mre.

    Alors mon coeur compritPourquoi j'avais frmi jusqu'au fond de mon me :Car j'ai toujours ha le mchant et l'infme.

    Ce jour l, par instinct, je m'tais rvoltContre un cri d'gosme et de mchancet.

  • LE DISCOURS DU BLUET

    A ceux qui vont cueillant des fleurs.

    J'empche les enfants de maltraiter les roses.

    .V. HUGO.

    Botanistes fameux qui savez ergoter,Sentez-vous battre un coeur, sentez-vous palpiter

    Une me'au sein'de chaque feuille ?

  • Oiseaux le passait.

    Non ! non ! lorsque je dis : L'arbuste qui fleuritSent, vit, pense peut-tre.... alors le savant rit,

    Mais le pote se recueille !

    Oli ! si, dans la campagne o vous vous garez,Foulant l'herbe, brisant les boutons azurs,

    Coupant les plus fraches corolles,Un jour une fleur bleue, au souffle du zphyrOuvrait soudainement des lvres de saphir,

    Et laissait tomber ces paroles :

    Bourreaux inconscients, vous qui nous arrachez, Qui dchirez nos flancs, vous qui nous tranchez,

    Petites fleurs peine closes, Si nous pouvions crier bien fort, si nos sanglots Parvenaient jusqu' vous : plainte des mlilots,

    Plainte des bbets et des roses,

    pouvants, hagards devant votre forfait, Vous vous diriez: MalheurI malheur ! qu'ai-je fait!

    J'ai tortur des fleurs vivantes ! J'ai fait souffrir, hlas! que de fois! que de fois I

    Les tres inconnus dont rsonne la voix Au sommet des tiges tremblantes !

  • Le Discours du Ulutt.

    Si notre sve encor se transformait en sang, Inondant

    Mais non ! nonj vgtaux, nous sommes ainsi faits : Nous devons incliner, pliant sous vos mfaits,

    ' Silencieusement nos ttes ! Nous devons, sans mot dire, exhaler nos'parfums ; Nous devons embaumer de nos souffles dfunts,

    Cruels, la splendeur de vos ftes !

    .... Que rpondriez-vous cela ? Vous allez

    Ravageant la campagne et les jardins peuplsDe ces petites cratures

    Qui ne peuvent, hlas ! vous conter leurs douleurs:Vous qui n'entendez pas le langage des fleurs,

    Vous ne saurez pas leurs tortures !

  • PETIT COIN DE PAYSAGE

    Le pont de bois jet sur le petit museauS'empourpre des rayons du soleil qui se couche ;Pour humer la fracheur et pour gober la mouche,

    Une hirondelle rase l'eau.

    Sous un saule inclin cette eau bleue et limpideFait mollement vibrer l'orgue des joncs tremblantsOn croit voir onduler sous la nappe liquideLe sable d'or ; mais c'est le cristal qui se ride,Et sous les Ilots d'azur brillent des cailloux blancs.

  • A VICTOR HUGO

    De toux ceux qui chantaient, toi seul dans la tempteAs survcu, pareil au chne des forts :D'autres arbres ont pu se prosterner ; sa tteDemeure inbranlable au-dessus des gurets.

    L'ouragan qui voudrait le courber jusqu' terreGmit dans ses cheveux laits d'emeraude et d'or ; Tous ayant disparu, tel, gant solitaire,

    Tu rsistes encor !

  • 28 Oisdiux le passage.

    Que m'importe si c'est l'aile rose des angesOu l'.iilc noire du dmon

    Qui t'entrane travers ces rgions trangesO les objets changent de nom ?

    Au fond du prcipice et sur les liantes cimesTu voles indiffremment ;

    Tu trempes ton pinceau dans le sang des victimesHt dans l'azur du firmament.

    Immortel est ce sicle o ta voix vigoureuseS'exhala soit en chants, soit en lugubres cris !Car il brille par toi d'une clart fameuse ,

    Tu l'as sem de tes crits !

    I.a semence a germ : des potes se lvent,Ht fixent leurs regards sur le soleil couchant :Ils viennent saluer celui dont ils relever.: :

    Ils lui chantent leur premier chant

    Nous te verrons toujours resplendir dans ta gloire Avec ta voix d'airain qui dans l'exil parla ; Sur les potes saints planera ta mmoire ; Et, s'il n'en reste qu'un, lu seras celui-l!

  • APRS LE BAL

    A mon ami Maurice Barrs.

    Du bal retentissant la voil revenue.La lumire frmit sur son paule nue,Et son lit entr'ouvert l'attend. Les songes d'or

    Vont passer devant elle et repasser encor ;

    Et, les gais chrubins s'inclinant sur sa couche,Elle leur sourira !

    Que charmante est la boucheD'une vierge qui rit en rvant 1 Le soleil

    Lverait pour la voir son disque de vermeil,

  • 30 Oiseaux Je passage.

    lit de tous ses rayons ferait une aurole,Pour baigner de clart ses cheveux de crole.

    Kllc entre au lit, rieuse, et s'endort. Elle rit,Pareille au lys d'argent qui dans un coin fleurit.La pendule est vivante, et marque la mesure :

    Jeanne peut dire encor : Mais c'est le bal qui dure ;Car elle voit passer dans ses rves charmantsDes fantmes de fleurs et des spectres d'amants.

  • S O U V 11 .V / K

    A vieil ami Lco;i Sorg.

    Tu t'en souviens, ami, car c'tait l'autre soir.Tu me suivis chez moi. La Gat vint s'asseoirEntre nous deux ; mais non cette Gat classiqueAu sourire pdant, la mine phthisiqueQui sous un flot d'ennui se noie; une GatAmante de l'esprit convenu, frelat ;Ce n'tait point non plus cette plate commre

    Qui se tord sans savoir pourquoi ; qui, pensant plaire,

  • 32 Oiseaux Je passage.

    Dit des normits dont le sens est nant,En faisant de sa bouche un vrai tonneau bant.Mais notre joie tait immense et fantastique :Nous lisions Albertus, pome sans rplique,

    Bijou que cisela l'impeccable Gautier,Cet artiste pur sang qui savait son mtier.

    Ah ! comme il faisait bon, l-haut, chez Latourctte ITu lisais ; quant A moi, dtestant la dite,Prs du flacon de rhum aussitt dcoiff.

    Je plaais chaque tasse, y versais du caf,Tandis que, ballotts par une eau qui clapote,Les lares familiers chantaient dans la bouillotte.

  • UN ACQUITTEMENT

    I

    Un long frisson parcourt la salle d'audience.

    Les jurs ont vot : dans un pieux silenceIls rentrent deux a deux, et regagnent leur banc.Les juges leur tour s'asseyent, drobantLeur motion ; car malgr tout un coeur bougeUt bondit, inquiet, dans leur poitrine rouge.Tremblant, hagard, hl par le vent du malheur,L'oeil teint, et le front inond de pleur,

    Stigmatis du sceau de la prison hideuse,Rentre le prvenu. - - La foule curieuse'

    015. DR PASS. i

  • 34 Oiseaux de passage.

    S'agite : elle veut voir la face de celui

    Qui sent l'affreuse Mort palpiter prs de lui,Ht dont un magistrat a rclam la tte.Comme un arbre chtif qu'agite la tempte,Le malheureux se tord, empoign par l'effroi :Car il est accus d'un meurtre; et c'est pourquoiL'avocat gnral a dit : l'as de faiblesse ! Le sclrat, messieurs, nie avec hardiesse. Frappez cet assassin ! frappez cet endurci !

    Les juges font silence, et l'auditoire aussi ;Puis un jur se lve et parle de la sorte :c Sur cette question (dit-il d'une voix forte), Est-il coupable ? Non, a la majorit !

    L'accus se redresse, et regarde, hbt,La cour, le jury, puis le grand crucifix ple :Christ parait souriant dans sa blancheur d'opale ;Il tend les deux bras vers le pauvre acquittSur qui plane dj l'ange de Libert !

    II

    Mai" plongez vos regards au sein de cette fouleDont le flot bigarr par les portes s'coule :

  • Un acquittement. 35

    Un groupe d'hommes vils murmure, menaant ;Car aucun ne pourra se repatre de sang,Ni, dans un spasme plein de langueur infinie,Avaler a longs traits une longue agonie.

  • LES PAPILLONS DIVINS

    Lgende catholique.

    Le tocsin sonne A coups prcipites.L'glise, en proie A l'incendie,

    Jette de lugubres clarts ;Et, sinistre tendard aux reflets argents,La flamme dans les airs se plie et se dplie.

    Comme un pont suspendu sur une mer de feu,Le portique sculpt de la maison de DieuSe dresse, norme et gris, sur le brasier rougeAtrelt le mtal, pench sur le grand lac ardent,

  • 38 Oiseaux de passage.

    Ptille en se tordantComme un bois vert au fond de l'tre.

    O Colombe du ciel sur l'autel te penchant,Anges aux ailes d'or qui planez sur les dmes,Saints robe de pourpre, et vous, sacrs fantmesDes vitraux clairs par le soleil couchant,Agneau de Dieu qui dors au pied du tabernacle,

    Aptres du cnacle,Chrubins qui portez l'orgue au cleste chant,

    N'avez-vous pas brav les ges ?Tomberez-vous avec les piliers et les murs ?Oui ! oui ! vous tomberez, prissables images,Comme on voit sous la faux tomber les pis mrs !

    Mais silence ! Dieu se rveille !Le tabernacle du saint lieuKntr'ouvre sa porte vermeilleAu sein des tourbillons du feu ;lit comme on voit dans la prairieSe lever sur l'herbe fleurieUn vol de papillons joyeux,Ainsi, planant sur l'incendie,Ocan de feu, chaque hostiePrend son essor, et monte aux cieux!

  • A LA FONTAINE DE BANDUSIII

    (HORACE)

    O miroir le cristal, ruisseau le Bandusie,

    Digue d'tre arros le divine ambroisie,D'ctre jonch de fleurs,

    Je t'offre un des chevreaux dont les cornes naissantes

    Pour les combats d'amour se dressent, menaantes.Sur des fronts querelleurs.

    Il ne bondira plus, lascif, dans la prairie :Car son sang coulera sur ta rive fleurie.

  • 40 Oiseaux de passage.

    Rougira tes roseaux !...

    Source, tu ne crains pas la chaleur dvorante ;Du btail altr la fracheur de tes eaux

    teint la soif brlante.O ruisseau, sois clbre entre tous ; car ma voixDira que du soleil tu braves les approches,Chantera le vieux chne inclin sur tes roches,Et ton eau qui se perd en jasant dans les bois !

  • Rimes fantastiques

  • VOCATION

    A Antoine Rcnioiul.

    C'est l'cnf.tnt la lyre, aux clestes amours.

    Que depuis j'.ii suivie, et que je suis toujoursDans sou chemin ariJc.

    Tlt. DE HASVILIE.

    Comme un spectre drap dans un long voile humide,Le Crpuscule encor planait sur le vallon;Les ombres voltigeaient sous la lune timide

    Qui blanchissait le sol de son premier rayon.

  • 44 Rimes fantastiques.

    C'tait dans la fort, A la voix argentineDes cloches qui tintaient la prire du soir ;La brise, en se jouant, balanait l'glantine

    Comme un vgtal encensoir.

    Un jeune homme tait 1A, pench sous la charmille,VA tout enseveli dans sa rllexion :Car il tait A l'Age o, loin de sa famille,Chacun suit le sentier d'une vocation.

    Le front dans ses deux mains, analysant la vie,Il songeait au bonheur que nul n'a pu fixer,

    Quand, devant lui, soudain, dans sa vague insomnie,II vit une Ombre se dresser :

    LA VISION.

    Toi qui viens parcourir ces bois o je suis reine, Et demander conseil aux souffles printaniers," Suis ma trace, jeune homme A la face sereine !" Suis-moi dans la fort o croissent les lauriers !

    " Le Zphir caressant recueille mon haleine,'i L'emporte sur son aile A travers les buissons,

  • Vocation. 45

    Et, la faisant vibrer dans les feuilles du chne, lin tire de sublimes sons !

    Enfant, viens avec moi! fais couler de ta bouchec De doux chants : qu'a nia voix s'unisse aussi ta voix ! Nous charmerons le tigre et le lion farouche ; Tu me dfendras contre un vieux satyre louche

    Qui me poursuit au fond des bois ;

    Puis, nous couterons le vent des nuits.Les gnomes" Danseront nos yeux dans un rayon changeant ; Nous verrons s'veiller les antiques fantmes Qui dorment dans le tronc ou sous les vastes dmes

  • Kiwcs fantastiques

    Tu seras mon amant, et moi ta bien-aimc ; Et, la nuit, sous ce chne ;\ la sombre rame,' Ma main tenant ta main, nous viendrons nous asseoir !

    ' Aimons-nous :prs de moi viens pleurer ou sourire,

    Epancher tes soucis ou bercer ton bonheur, Et je te donnerai tout ce que j'ai : ma lyre,

    Un baiser, et mon coeur | >

    La Muse disparait, et la fort discrteSur l'enfant aux yeux bleus s'incline doucement...En une nuit, la Musc en a fait son amant ;

    La Muse en a fait un pote !

  • LA VIERGE DES DOIS

    Existez-vous rellement, 011

    n'ites-vous que des spectres?SlIAKSPEARE.

    Un soir, prs du ruisseau qi serpentait au bois,Un jeune homme dormait. Soudain il crut entendreComme une voix de femme au son timide et tendre,

    Faible et vibrant tout la fois ;Il crut voir une vierge a chevelure blonde

    Qui, nue, abandonnait aux caresses de l'ondeSon corps rose, ainsi que la nymphe d'autrefois.

  • 48 Rimes fantastiques.

    Elle plongeait, la belle; et, relevant la tte,Murmurait voix basse un vieux chant d'amourette ;

    L'eau ruisselait le ses cheveux ;Elle plongeait encore, et des vagues courantes

    Regardait cumer les crtes blanchissantesAutour de ses membres nerveux.

    't Salut, Enfant des bois ! l'onde qui te reflte Chante aux roseaux du bord le refrain des amours !" Que ta lvre de pourpre, entr'ouverte toujours,

    A sourire soit toujours prte ! Que joyeux soient teschants, que toncoeursoit heureux, Toi qui fais palpiter le toeur de l'amoureux,

  • La Vierge des Bois. 49

    La nuit tombait des monts :) Debout, les pieds dans l'eau,Il crin, dchirant l'atmosphre d'bne :

    Jeune vierge l'oeil noir, A la gorge d'opale,

  • DESTINEE

    closcA l'ombre d'un? croix, l'glantinc est plus rose

    Kt le gazon plus vert.Tu. GAUTIKR.

    N'avcz-vous jamais vu, le soir, au cimetire,Des formes lentement s'lever de la terre

    Et monter au ciel toile ;Ou jamais entendu dans les sombres feuillagesUne voix... comme si, cach sous des branchages,

    Quelqu'un dans l'ombre avait parl ?

  • Rimes fantastiques.

    Oh ! n'avez-vous jamais, quand la lune timideVerse des flots d'argent sur un spulcre, humide

    De frache rose et de pleurs,

    Distingu, dans le creux d'une fosse, er. automne,Un murmure pareil au soupir monotone

    Du vent dans la bruyre en fleurs ?

    Une nuit, j'coutais ces voix mystrieusesQui vibrent dans le ciel profond, et des yeuses

    Font trembler le feuillage v?rt :

    La bise qui soufflait sur la tombe jaunieProlongeait par moments son raie d'agonie ;Et le hibou chantait sur un marbre entr'ouvert.

    Tout coup un Esprit passa devant ma face,Comme un brouillard lger qui s'lve, et qui passe,

    Entran par le vent du soir ;Un fantme rid fendit la pierre froide,Dans l'air qui palpitait se dressa, morne et roide,

    Et prs de moi se vint asseoir.

    Je frmis, et restai muet de peur. Mais l'Ombre,Tandis qu' l'horizon de grands clairs sans nombre

    S'entre-croisaient, silencieux,

  • Destine. 5}

    L'Ombre, tournant vers moi son visage livide,Parla : son oeil roulait lians l'immensit videD'o la lune panchait un jour mystrieux :

    Ma famille ! elle croit que c'est une prire Qui fait, tous les ts, fleurir au cimetire Ces rosiers que planta prs de ma tombe, un soir,

    La main du dsespoir : Mais ces rosiers en fleurs, ces pales glantines A mes ctes d'ivoire enlacent leurs racines, Et dans ma pourriture ils puisent la vigueur : Leur teinte en est plus riche et leur odeur plus douce ; Pour se nourrir, ils ont les pleurs que boit la mousse, La moelle de mes os, et le sang de mon coeur !

    Le spectre disparut ; la nuit devint plus sombre ;La lune se drapa dans un nuage gris ;Et seule, dans !e ciel plein de terreur et d'ombre,

    La tempte poussa des cris.

    Rien ne se perd dans la Nature;Et le corps humain qui pourrit,

  • 54 Riints fantastiques.

    Le corps devient la nourritureDu vgtal qui l'a nourri ;

    Dans la fosse l'homme qui tombeDevient l'engrais de l'univers...Et c'est pour cela que la tombeSe couronne de rameaux verts !

  • LES I-AUTOMES DU CAVE

    Tout prs Je l'ombre d'un roclierJ'aperus l'ombre d'un cocher,Qui, tenant l'ombre d'une brosse,Xcttoyjit l'ombre d'un carrosse.

    Un ami de SCRKON.

    Au clair de lune, l'autre soir,

    J'tais assis sous les rames.De ma tasse de caf noirMontaient des vapeurs embaumes ;

    lu les petits oiseaux joyeuxAccourus en nombreuse troupe.

  • 56 Rimes fantastiques.

    Autour des rieurs de ma soucoupe

    Voltigeaient, et jasaient entre eux.

    Un frisson courant dans les branches

    Faisait remuer la clart

    Sur le frais tapis de pervenchesQui s'talait mon ct.

    Tout coup d'tranges pensesPrirent ma cervelle d'assaut ;De vagues lueurs nuances

    Parurent s'pandre d'en haut ;

    Puis enfin je vis apparatreDans les vapeurs de mon moka, O prodige ! une forme d'tre!..Ma raison d'abord s'en moqua ;

    Mais quoi ! c'tait bien une femme,Une ngresse au sein dor I

    Elle ondulait comme une flamme

    Parmi le brouillard azur.

    Dans sa main une branche verte

    Se balanait nonchalamment,

  • Les fautmes du caf. 57

    Ht je fus stupfait, oui certc,

    Lorsque, majestueusement,

    Klle secoua sur ma tasse

    La touffe, et que je crus ourSa vois,comme un souffle qui passe...Oh ! je faillis m'vanouir !

    LA. VISION.

    Ingrats Europens ! quand l'mail de la Chine Se dore de caf, chez vous, courbant l'chin,

    Vous fumez le tabac divin, Sans penser, mauvais coeurs 1 moi, la jeune fille, Qui rcoltai le fruit dont l'essence scintille

    Dans la tasse, aprs le festin !

    Oh ! la pauvre ngresse, elle est pourtant plaindre ! Oh I plier sous le fouet ! Oh 1 des le matin, ceindre,

    Sous l'ceil du ciel au bleu poitrail, Une courroie o pend un sac ; et, sans reldche, Se courber en sueur sous le poids de la tche !...

    Mais Blancs, le ngre, vil btail,

  • Rimes fantastiques

    Vousne le plaignez pas ! Cependant, pour vous plaire, Il souffre... Europens, donnez-lui son salaire :

    Une ombre de votre amiti !

    Dites de lui : C'est un malheureux qu'on marchande !

    Il sera consol, le ngre ! 11 ne demande Qu'un peu de pain et de piti !

    Hlle dit ; de sa forme brune

    D'abord s'efface le contour ;

    Puis, sous les rayons de la lune

    S'anantissent tour tour

    Mon sucrier, mes tasses roses

    Ht ma bouteille de liqueur,Et ma soucoupe aux fleurs closcs

    Sous les doigts de l'enlumineur.

    Oh ! la bulle de savon crve !

    Dans un nuage de ptunTout s'vanouit comme un rve...

    Or, mes amis, c'en tait un !

    Depuis, pour parler sans mensonge,Le souvenir m'en est rest ;

  • Lesfantmes du caf. 59

    Ht toutes les fois que j'y songe,Loin de moi la ralit !

    Toutes les fois que je dgusteL'essence du moka vieilli,

    Je crois voir surgir l'ombre augusteDes pauvresses qui l'ont cueilli.

    Je me dis : Quelle rcompense Leur dcerner, en vrit > Ne nous mettons pas en dpense,Amis, buvons A leur sant !

  • TENTATION

    Dors serein sur ton dur grabat, moine austre !

    Que dans tes rives bleus se reflte le ciel !Ton esprit, dtach des choses de la terre,Voit scintiller au loin, dans la sainte atmosphre,

    Le rayon providentiel !

    Dors, le front couronn de ces splendeurs, qu'un angeRpand autour des saints qui sommeillent, le soirl...Mais quelle est, rponds-moi, cette lueur trange,

  • 62 Rimes fantastiques.

    Et ce parfum, pareil celui du mlange

    Qui s'embrase dans l'encensoir ?

    Est-ce une vision ? Vois ces formes magiquesQui, flottant prs de toi, viennent te caresser !

    Moine, repousse au loin ces Etres impudiques:Entre leurs bras de rose ils voudraient t'enlacer !

    Esprits succubes, ns dans la nuit vaporeuse,Fils charmants de l'Impuret,

    pargnez une me pieuse...Mais non I le sort en est jet !Esprits, vous rgnez sur le monde ;Vous faites surgir l'Etre immonde

    Au sein de l'homme humili ;Nul ne pourra fuir vos atteintes :

    A votre voix, sous vos treintes,Le plus indomptable a pli!...

    La lumire a dissip l'ombre,Et nous ne croyons plus aux spectres inous ;

    Souriants, nous comptons le nombre

    Des fantmes vanouis.

    Ali I vous l'avez compris, docteurs du moyen ge :

  • Tentation. 63

    C'et t trop humiliant

    Que l'homme ft parfois en deuil de son courage...Aussi c'est un Esprit, c'est un tre vivant, D'aprs vous, qui l'emplit de passions farouches :Il verse sur nos corps des flots de volupt ;Ses lvres de corail se collent nos bouches ;Ht ... c'est tre dmon que d'avoir rsist !

  • NOUVELUi DAMH BLANCHE

    Prenez bien garde ; car la plaineDes vapeurs de la nuit est pleine.

    Craignez, passant, sous les roseaux

    Que l'ondinc ne vous entrane :Son palais d'outremer est bti sur l'arne

    Qui tapisse le fond des eaux !

    Quand l'ange du soir glisse, chapp de son aire, Comme un sinistre oiseau qui s'abat lentement,

    oilEiux H F rtss. ;

  • 66 Ritnes faiilastiqucs.

    Seule, que fais-tu la, sous le brun firmament, Dans la vapeur crpusculaire ?

    Prendsgarde; il fait bien sombre, et le lletivc est profond.

  • Wonwlle dame blanche. 67

    Prenez bien garde ; car la plaineDes vapeurs de la nuit est pleine.Craignez, passant, sous les roseaux

    Que l'ondine ne vous entraine :Son palais d'outiemer est bti sur l'arne

    Qui tapisse le fond des eaux.

  • Rli V UN A \'TS

    Sur le clocher su dcoupait eu noirL'ombre des vieux sapins du cimetire.Un bon cur, non loin du presbytre,Aprs souper se promenait un soir.Il cheminait, disant son brviaire.L't durant, fait-il pas bon s'asseoir,L'estomac plein, a la brume tombante,Sur un vieux tronc, prs d'un lac d'eau dormante 'tAinsi fit-il : adonc, auprs des eaux,Il dgoisait oraisons nasillardes;Ht sa voix s'unissait dans les roseaux

  • Rimes fantastiques.

    Au dur concert les grenouilles criardes.

    Or, ce soir-la, l'air tait orageux,Tide et pesant. Le cur solitaire

    Se vt distrait du soin religieuxPar un soupir qui sortait de la terre.

    Bravoure et lui ne se connaissaient pas :

    Croyant toucher a l'heure du trpas,Le bon abb fit un bond en arrire :

    Un jet de feu s'lanait de la pierrePrs de laquelle il tait en prire. Jsus Maria ! (dit-il), un revenant ! Mon saint patron, quelle flamme carlate !

    Comme un damn le feu se dmenant

    Siffle, et soudain avec fracas clate

    Sous le menton du cur plissant,

    Qui croit sentir se figer tout son sang.

    - - w Pour effrayer un dvot et saint moine, Qui donc es-tu, dmon malicieux ? Ks-tu celui qui tenta saint Antoine?...

    Le pauvre abb ne peut expliquer mieux

    Le phnomne. Il rentre au presbytre,

  • Revenants,

    Rend grce Dieu d'avoir pu s'esquiver,Puis rflchit ;\ ce profond mystre : Par saint Crpin ! (dit-il), je veux trouver ! 11 cherche dans un bouquin vieux et sale

    Quel est ce feu qui l'effraya si fort,lit trouve enfui, juste Dieu ! -- qu'il s'exhaleDes ossements et des ttes de mort !

    Aussi, depuis ce jour, chaque fois qu'il enterre,Aprs avoir pri Dieu pour le malheureux,Au malheureux lui-mme il dit une prire : Ami, reste couch paisible dans ta bire!'Ne sors pas du tombeau, fantme phosphoreux,

    o Pour venir effraver la terre !

  • K /: /' /;

    Je ctoyais un bois borde par une hae.Ht la voix du Matin chantait dans la futaie.Sous les grands arbres verts, sous le bleu firmament,l.a branche d'glantier se berait doucement.

    Je marchais... quand soudain parut un spectre ple :Il nageait au milieu d'une splendeur d'opale.lin secouant les plis de son long vtement

    Spectre, qui donc es-tu ? Dans le tronc creux des clients

    Je vis, et de l'corce o je suis enferm,

  • 71 Rimes fantastiques.

    Sur les terres, les mers, les montagnes, les plaines, Je roule tout moment mon regard enflamm. Quand vient la nuit, je sors pour chanter sur les cimes Des grands sapins, ce que j'ai vu pendant le jour : Aux chos des forts je conte tour tour Les bonnes actions des hommes, et leurs crimes. Voici l'aube : Il est temps que je rentre.

    Peur moi,

    Je restai stupfait et palpitant d'moi.

    Je le vis entr'ouvrir l'corce d'un vieux chne :

    11 rentra. Par degrs la lumire p.Uit :Tout tait devenu plus sombre que l'bne,

    Lorsque je m'aperus que j'tais dans mon lit.

    Cette apparition, quoi ! c'tait donc un songe !

    Ce qui m'avait sembl si rel, un mensonge !

    Je me pris penser sur mon rve dtruit,lit je ne dormis plus le reste de la nuit.

    lixiste-t-il, Seigneur, un tmoin qui regarde,(lch dans le tronc creux d'un \ieil arbre des bois ?Quand la lune rpand sa lumire blafarde, .Planant sur les rochers, lvc-t-il la voix ?

    Dit-il ce qui se fait d'humble sur la terre ?

  • Rv

    Dit-il ce qui se fait Je bien ? C'est un mystre :Nul ne sait s'il existe, et si le bruit du vent

    Qui fait plier la branche et fait frissonner l'onde,N'est pas sa voix d'airain, fantastique et profonde,Qui traverse le ciel du couchant au levant.

  • SOMMA l'YWAGOKl-A

    A Home sommeillait le souille potique.Quand Lucrce parut : Aigle mlancoliqueDchirant le sa vois le ciel brumeux et noir,11leva bien haut son cri de dsespoir ;lit tandis que Catulle, aimable et lin pote,Tirait de son luth d'or une note discrte,L'ii, sondant d'un coup d'reil le destin des humains,

    Mprisa leur faiblesse et mourut de ses mains.

    Minos, n'osant damner sa grande me morose,l'crmit en sa laveur une intempsychose,

  • 78 Riwcs fantastiques.

    Ajourna son arrt, pour qu'il put expier,Redescendre sur terre et s'y purifier.

    L'.\me du grand Lucrce et le corps le VirgileS'unirent pour former un tout harmonieux,Ht la Muse sublime, A Jupiter docile.Hlcva dsormais la tte vers les cieux.

    Le pote divin teiujit les deux .nies.Ht, pour glorifier Celui qui fut lment,Montant plus haut encor que les cris infidlesDe l'athe, il chanta, planant au firmament,

    La juste Providence, et Cyblc, la mreDes humains ; il chanta la majest des dieux ;l'uis l'mule charmant d'Hsiode et d'Homre.

    Ayant tout expi, s'teignit radieux.

    O Virgile, dis-nous, toi couronn de loses,Si dans tes premiers chants tu ne t'criais pas : Heureux qui put ond.i- la nature des choses,

    Lt, foulant toute crainte, affronter le trpas ;

    Si ouwUt, dvor d'une douhur sans iause-.Tu ne maudissais pas le destin d'ici-ha- >

  • Sownia pylbagorea. 79

    C'est que Lucrce en toi reprenait son empire;De ses motions il inondait ton coeur !C'est qu'en toi renaissait, pote au doux sourire,

    Le pote de la douleur !

  • VIEILLE GAULE

    Lgended'Irma

    I

    Dolmen I rocher gaulois, tmoin du temps pass,O dernier monument d'un culte renvers,Combien les eaux du ciel, sur ton vieux front de pierre,Ont effac de sang et lav de poussire ILa druidesse, jadis, au milieu de ces boisHabitait dans le creux ds arbres. Chaque fois

    oimvx nt m.

  • S2 Riiiu's fantastiques.

    Qu'un voyngcur errant cheminait par la plaine,Sortant de son rduit, retenant son haleineComme un lion au guet retient son hurlement,La prtresse avanait pas sourds, lentement,Saisissait, entranait la victime attache :

    Alors, comme une fleur que la serpe a fauche,Le malheureux tombait sous le couteau sacr.Sur le dolmen jad's plus d'un fut massacr ;Mais le temps a pass sur le front de la pierre ;Mais la pluie a lav le sang et la poussire !

    II

    Le ciel s'est assombri ; l'horizon s'est ferm,Ht la grande fort pleure comme une veuve.Ici mourut Irma : son beau corps parfum

    Roula, souple, dans l'eau du fleuve, Car, druidesse, elle avait aim !

    . C'tait un beau soir de septembre :La rose, avant que de mourir,Exhalait des armes d'ambre

    Dans le bois qui la vit fleurir ;

  • Vieille Gaule. 85

    Ht dcjA la feuille plus paleFrissonnait sur l'arbre chenu.Plus d'meraude ; mais l'opaleSur le branchage presque nu

    Ltalait ses splendeurs. L'haleineDu vent par moments s'arrtait,Dormait sur la cime du chne,Et comme par bonds remontait.

    Tandis que le bois roux pliait sous la caresseDu zphyr bleu, tendre et muet

    Qui meurt en le baisant, au cceur de la prtresseQuelque chose aussi remuait.

    Tout d'abord, c'est comme un frisson dans sa poitrine ;C'est un frmissement, un murmure lger,Pareil au vent du soir dans l'arbre qui s'incline,A l'essor palpitant de l'oiseau passager.

    Irma lve les yeux : elle voit dans l'espaceVaste et mystrieux,

    L'clair, paie coursier qui s'lance et qui passe,Illuminant les cieux !

  • 8.\ Rimes fantastiques.

    LA-haut, comme en son sein, djA gronde uir orageLointain ; et la couleur plit sur son visage,Comme aussi la clart plit au front du jour;llle pressent dj, morne, baissant la tte,

    Dans le ciel la tempte,Ht dans son cceur l'amour !

    Pauvre fille ! l'amour!... Ht qui donc attend-elle?Hlle n'a point d'amant !

    Son poux est celui dont l'oeil rouge tincelleAu fond du firmament.

    Tenttes de l-haut contemple sa prunelleSilencieusement.

    Non ! ce n'est pas l'amour qui torture ton meHt qui te fait pmer !

    Non ! ce n'est pas l'amour, Irma ! Ce qui t'enflamme,C'est le besoin d'aimer!

    Le vent se lve ; et comme une pierre de fronde,Le nuage plomb passe et repasse encor.Le ciel est sombre au loin : il voile aux yeux du monde

  • Vieille (jutile. 85

    L'astre resplendissant a la ligure d'or ;Ht l'on entend des voix dans la fort profonde !

    Sur le gui la corneille a chant quatre fois ;Des pas sur le sentier ont fait craquer la branche.

    O vierge, l'tranger qui passe ici, tu dois

    L'immoler a ton Dieu dont rsonne la voix,Tenttes la barbe blanche !

    Dans le ciel palissant

    Rugissent les temptes :C'est que Dieu veut des ttes IC'est que Dieu veut du sang I

    Deux corps sur l'herbe se tordentDans un suprme combat :

    Regarde/.: les bouches mordent...

    Le passant vaincu s'abat.

    OIi ! c'en est fait de sa vie !

    Rien ne saurait apaiser,Irma, ta sanglante envie !... Si I Bacchante inassouvie,Tu luttes pour un baiser !

  • tf6 Rimes fantastiques.

    Tu tiens, avide prtresse,. Le voyageur dans tes bras ;

    Mais tu veux son bonheur, et non pas son trpas,Et ce n'est qu'une caresse

    Que tu cherches, n'est-ce pas tOh ! c'est la : dans ta poitrine !Tu sens l'amour te ronger I

    Qu'importe la loi divine ?Elle te dit d'gorgerSans piti tout tranger...Qu'importe I dans ta poitrineTu sens l'amour te ronger !...

    L'clair, brillant soudain a travers la rame,

    Frappe Irma qui s'affaisse, et roule, inanime,Dans le fleuve grossi tumultueusement ;Irma de Tcutats tait la bien-aime ;Le Dieu n'a pas voulu qu'elle piit un amant,Ni qu'un baiser humain souillt son cou charmant ;Mais il porte son deuil : sur la terre embrumeOn voit tomber du ciel des pleurs de diamant I

  • FEUX FOLLETS

    (RVE D'UN MYSTIQUE DU. MOYEN. AG&)

    // mon ami Joui DeJnuis.

    i, Q_ , es-tu, flamme lgre, Toi qui, voltigeant doucement, T'ensevelis dans la fougre, Puis remontes au firmament ? Tantt, quand la brise t'agite, Tu fuis en tremblotant, si vite Qu'on dirait voir un papillon ;

  • 88 Riiiis fantastiques.

    ' Ht tantt, flamme, tu t'arrtes,i' lit tu viens planer sur nos tOtesc Comme l'oiseau sur un sillon.

    D'o sors-tu ? Nais-tu Je l'cume De la rive o je viens m'asseoir? Es-tu quelque Esprit de la brume, Quelque fantme, enfant eu soir ? Je souffre, plaintive victime,t lt je viens expier mon crime Au lieu mme o je l'ai commis :'

  • l-'mxfM-ts. 89

    Puis, il love les yeux : Prodige !Il voit un ange blouissant

    Qui dans l'air lumineux voltige,Ht l'embrasse, reconnaissant : Ami ! mon inie est dlivre ! Ami I dans !a plaine azure Je puis m'cnvoler radieux !

    Ayant prononc ces mots, l'ange,Vtu d'une splendeur trange,Lui sourit, et remonte aux cieux.

  • LA LUMIRE LECTRIQUE

    I

    Le soleil est couch. L'urne crpusculaireVerse l'ombre douteuse grands Ilots sur la terre.La ville, se noyant dans le brouillard du soir,Prend de flottants contours. Seule, au firmament noirLa ple lune veille, et pareille la lampeD'un autel, verse un jour mystrieux qui rampe,Un jour vague aux reflets comme elle somnolents.Puis, la nuit s'paissit. Les difices blancs

  • 9-1 lihiis j'iiiitiiitiqiii's.

    Sont A peine baigns d'une lueur qui tremble ;lit la cit se tait, paresseuse; elle semble,Se livrant tout entire au sommeil souhait,Attendre pour revivre un rayon de clart.

    Mais soudain, l'air s'enflamme; il pleut de la lumireSur les palais de marbre et les maisons de pierreSems de points d'argent A des astres pareils :C'est une explosion subite de soleils;C'est un fourmillement clatant et vivace ;C'est une splendeur blanche envahissant l'espace,Plus limpide et plus claire en ses rayonnementsQue celle du cristal et des purs diamants.-Cette trange clart semble immatrielle,Comme si le Divin tincelait en elle ;Tandis qu'elle est X l'homme et ne vit que par lui :Car l'homme l'a cre, et l'homme la conduit I

    11

    O Benjamin Franklin, honneur du Nouveau-Monde,Qui, le premier, scrutas l'immensit profonde,Et revins, triomphant, la foudre dans ta main;Salut I Nous acclamons, moderne Promthe,

  • /.(i Lumire lectrique. 93

    La gloire, lumineuse aurole, jeteSur ton front surhumain !

    Ht toi, Volta, i]ui sus faire natre sur terreCette puissance errant, terrible et solitaire,A travers l'paisseur du nuage noirci;Toi qui sus la lancer dans un fil mtalliqueSous forme d'un courant invisible et magique,

    Nous t'acclamons aussi !

    Le fruit de ton labeur, nous l'avons en partage!Tu lguas en mourant, ainsi qu'un hritage,Aux hommes bahis le fluide dompt,Ht d'autres, poursuivant ton entreprise norme,

    Dirigent a leur gr le monstre multiformeDe l'Electricit !

    Ce n'tait pas assez que, bravant l'Atlantique,L'Europe en un instant lant en AmriqueDes dpches glissant le long d'un fil de fer;Ce n'tait pas assez qu'en un quart de seconde,Une force portt l'autre bout du monde

    Une pense-clair!

    O Volta ! l'homme a dit au gnie lectrique : Sois clart ! resplendis sur la place publique!

  • 9-t Rimes faufil

    L*claire-nous, puisque le soleil n'est plus l! Puisque Dieu ne veut pas nous laisser sa lumire, Nous nous en passerons ! Dressant sa tte altire,

    Oui, l'homme a dit cela !

    Le feu du ciel, soumis aux volonts de l'homme,Trs-docile vassal, le considrant comme

    Son tcut-puissant vainqueur et matre suzerain,A drob l'clat, la forme et l'apparenceD'un astre, et s'est fix, dans son obissance,

    Sur un pilier d'airain !

    Les foyers de clart, victorieux de l'ombre,Se sont multiplis : ils ruissellent sans nombre,Versant dans l'air un jour tout artificiel ;Mais un jour radieux illuminant l'espace,Comme si le soleil, qu'un lac d'azur enchsse,

    Rayonnait dans le ciel !

  • Rimes d'bne

  • NOFF.MttKl:

    La feuille morte au vent tourbillonne sans cesse,Ht couvre le sentier.

    Ciel jaune ! Le manoir est morne, et sa tristesseM'envahit tout entier!

    Novembre, dchanant sa fureur acharne,

    Pulmonique automnal,Vient pousser sous mon toit et dans ma chemine

    Comme un rle final.

    Sous ma porte disjointe une voix inconnueS'lve tristement,

    OISKAUX Dt J>*SS.

  • 98 Rimes d'i'Niw

    Glapit, gronde, se tait, rugit, puis s'attnue :C'est un gmissaient!

    Partout l'air satur de bizarres armes

    Sous le toit familier

    Se meut ; car la maison est pleine de fantmeslu de voix sans gosier!

    Epouvante ! on croit voir dans les corridors sombresDes revenants frmir ;

    Ht ce sont les aeux qu'on entend dans les ombresDu spulcre gmir!

    Ciel jaune! Le manoir est morne ; et sa tristesseM'envahit tout entier...

    Et les feuilles tombant, tombant, tombant sans cesse,Ont couvert le sentier !

  • LA MORT DE MARS

    Dans ces temps cruels et funbresO du globe on fait un enfer;Tandis qu'a travers les tnbresBrille encor le glaive de fer;

    Tandis que la Guerre une reine

    Une reine que l'on n'a pointDtrne, est debout, sereine,Le casque au front, l'pe au poing ;

  • Rimes d'ibciw.

    Verrons-nous toujours, Gnie,L'Art taler ses floraisonsSur notre terre rajeunie?....Au milieu des exhalaisons

    Du sang humain et de la poudre,Une fleur peut-elle s'ouvrir?

    Au fracas brutal de la foudre.

    Hlle se ferme pour mourir!

    Hlas! que dis-je? Elle se ferme....Plt au ciel qu'il en fut ainsi!

    Mais non ! L'Art verdoyant renferme

    Trop de force et de sve; aussi

    Parmi les horreurs criminelles, Fumier trs-gras, quoique malsain

    Il rpand ses fleurs temelles;Mais il se corrompt : un essaim

    Butine aux corolles vermeilles

    O jadis il a butin Prenez garde, pauvres abeilles I

    Votre miel est empoisonn!

  • La tuorl de Mars.

    Le tertre o s'talent, Gnie,Ces vgtaux au suc puissant,Est fait de chair et de sanie,D'ossements pourris et de sang !

    Ce tertre, c'est le Ralisme,Dtritus des sicles guerriers!

    L'Idal a bris son prismeEt sa couronne de lauriers.

    Les terres reoivent sur elles

    Un engrais toujours renaissant :Le tribut des morts naturelles

    N'cst-il pas assez nourrissant?

    Oh ! quand viendra le jour de gloireO l'Esprit, calme et radieux,Aura remport la victoire

    Sur le plus atroce des Dieux ;

    Quand de l'Olympe, o trne encoreSa Fureur, Mars prcipit,Broy sous l'armure sonore,Verra tomber sa royaut ;

  • 102 Rimes d'ibne.

    Le monde pourra, d'ge en dge,Plein de Sve et baign d'azur,Bien qu'alors sevr de carnage,

    S'panouir comme un lys pur;

    Et l'Art, conforme la Nature,Fleurira, plus blouissant,Sur un sol dont la nourritureEst autre chose que du sang!

  • CE QUE DISAIT LE VOL D'AMOUR

    Que ton amer ddain flit niai, ma chre Vie!Avale donc plutt, hurlante, inassouvie,

    Mon cerveau, ma chair et mon sang!Ma chair deviendra tienne, et mon sang qui s'coule

    Hattra, lascif et fier, tigresse qui roucoule,

    Dans ton civur froce et puissant !

    Que nia pense alors se mlange a la tienne !De ton festin barbare afin qu'il te souvienne,Renaissant dans ton sein, parfois je rugirai:

  • 104 Rimes d'bhie.

    Et parfois, quand le Bal te sacrera sa reine,

    Je mettrai le frisson sur ta lvre sereine,Et, lugubre, j'y sourirai !

    Tu restes insensible a ma sombre prire !Tu dis : Vous vous moquez! O desse de pierre,

    Je te contemple avec effroi !

    Je ne me moque pas! non! non! tu peux me croire!Plutt mourir perc des dents de ta mchoire

    Que des flches de ton oeil froid !

    Tu veux m'assassincr lentement, a ta guise.Ta main sur ma poitrine et sur mon coeur aiguiseL'invitable fer dont ils seront blesss.O grce ! ton regard glacial me dvore !Ne me regarde plus!... tu regardes encore !....

    Piti donc ! piti ! c'est assez !

    O Femme 1... litre marqu d'un infernal stigmate,Tu n'es que le stupide et charmant automate

    Dont le propre est de dchirerLe coeur saignant de ceux que hante avec mystreL'amour du Fminin; et l'Homme, sur la terre,

    N'est qu'une machine pleurer !

  • /./: SUICIDE DU L'AMOUR

    (LGIU D'UN DLDAUCIII'. )

    OIi! je nie lamente et je pleure!Vainement, j'voque toute heureLe fantme le nies amours !Une voix qui nuit et jour veilleGlapit sans cesse a mon oreille : Ils sont engloutis pour toujours!

    Le Cantique de l'espranceS'est envol ; l'acre Souffrance

    M'assige, et mon civur est ferm.

  • io6 Rimes d'bhie.

    Pour le marasme j'ai d natre IJe ne puis plus me reconnatre:Malheur! malheur! j'ai trop aim !

    Aprs la volupt qui griseSurvient l'pouvantable crise,Et la nuit brune aprs le jour.Le sourire creuse une ride...

    Mon spleen est n d'un suicide,Et l'amour a tu l'amour !

    Oi retrouver mon coeur? Mystre!Cherchez dans le val solitaireLes feuilles mortes que le ventRoule en ses tourbillons sans nombre !

    Allez chercher dans la nuit sombre

    Les splendeurs du soleil levant!

    Accoudons-nous a la fentre:

    Le printemps radieux va natre;Les oiseaux d'hiver sont partis ;Les neiges d'antan sont fondues...

    Et mes illusions? l'erducs!

    Et mes amours? Anantis!

  • Le Suicide de FAmour. 107

    Le Cantique de l'espranceS'est envol ; l'acre Souffrance

    M'assige, et mon coeur est ferm.Pour le marasme j'ai d natre tJe ne puis plus me reconnatre :

    Malheur I malheur 1 j'ai trop aim

  • DOULEUR Munrrn

    A Monsieur l'ony VUy.

    C'est un enterrement. L'oeil fix sur la bire,S'avance un grand vieillard silencieux, tout seul.

    Son vtement est noir comme un drap mortuaire,.Fit son front est si blanc qu'on dirait un linceul.

    Mais il ne pleure pas : sur sa lvre fronce

    Un trs-lger sourire amer s'panouit.lin le voyant marcher serein, tte dresse,Le peuple ricaneur jase et se rjouit:

  • Rimes d'bhic.

    Oh! voyez-le : comme il aimait peu son pouse! Il sourit, voyez donc ! nous pouvons rire aussi !

    Promenant son regard sur les passants en blouse,Le malheureux leur dit : Vous me raillez ? merci !

    Soyez donc sans respect pour ma douleur muette Ht pour mon implacable impassibilit! Insultez aux malheurs s'abattant sur ma tte, A mon chagrin trnant dans sa srnit I

    Allez ! le Dsespoir qui frappe sur l'enclume De mon coeur, n'est pas tel que vous le supposez ! Ma peine... en avez-voussavour l'amertume? Riez donc I profanez son sanctuaire ! osez!

    Je ne pleurerai pas : car, a quoi bon des larmes ? Rcmplirai-jc le puits de l'abme gant?

  • KPITAPHK D'UX POKTK

    Il tait, ce trsor d'esprances berces,

    Hsprit assez puissant pour nourrir deux penses,Ht coeur assez profond pour couver deux amours !

    Cliri de l'univers, il chrissait deux choses :

    Celle dont le carmin teint les lvres dcloses,La femme; et toi, public, qui l'coutais toujours!

    S'il chantait, tu voyais sur sa face anxieuse

    Passer comme un frisson d'une livre amoureuse:

    Ainsi qu'une matresse il savait t'adorcr,Toi qui l'applaudissais!... Hlas! c'tait son me

    Qui s'exhalait pour toi de sa lvre de ilammeHt son sang qu'il versait pour te dsaltrer!

  • PROBLEME

    Que devient l'homme mort? Mystre!Il descend au tombeau bant.II livre son corps la terre.Livrc-t-il son me au nant ?

    Oh! quand le cadavre blanc tombeDans le vaste spulcre froid ;

    Lorsque les cyprs sur la tombeSemblent tordre leurs bras d'elroi ;Quand la bise du ciel d'automne,Au bruit de la foudre qui tonne,OIS. DE PAS!.

  • 114 Rmes d'ibne.

    Gmit ;\ travers les roseaux ;Et quand l'clair morne qui passeAu sein des deux laisse sa trace,Comme la barque au sein des eaux :

    Que fait-il, le mort, dans sa fosse ? lntcnd-il rugir l'aquilon ?Hntend-il les cris du molosse'

    Qui veille au seuil de sa maison ? Un engourdissement de pierreS'est-il assis sur sa paupire,Ht cela pour l'ternit?...Les uns disent : le mort sommeille.

    Les autres affirment qu'il veille ;Mais nul ne sait la vrit !

    O Mort ! quand pourrons-nous, insondable mystre,Dchirer ton voile, et plongerNos regards au sein de la terre?...

    l:ii ixee d'un tombeau que devons-nous? - Nous taire,Courber notre tte, et songer I

  • LU NANT

    ( Rl'l'LKXIONS D'UN' MSC1PI.U 1)K BERKI.KV)

    Grand Berklev! ta doctrine a ravage la terre:I.a Matire a sombr dans l'abme bant;Comme un aigle affam sur l'agneau solitaire,Sur l'Ktre corporel s'est ru le Nant !

    O Nant! NantI l'archange de la vie

    Hxpire, touff dans tes bras ITu planes, 6 Nant, sur le monde qui plieSous ton souffle puissant qui ne pardonne pas.

  • il6 Rinws J'bie.

    O plaines o l'insecte rde ;Grands lacs aux reflets de saphir;Forets aux feuilles d'meraude ;Prs que de fleurs le printemps brode,Et que caresse le zphyr !

    Glaciers, glaciers des Alpes blanches.Faits de cristal et teints d'azur;Monts qui roulez des avalanches ;Ht vous, tristes pins, dont les branchesSe dessinent sur un ciel pur !

    Oh! n'tes-vous donc que chimre,Vous qu'on nomme Ralits ?

    Splendeurs du ciel et de la terre,Qui me dit que vous existez ?

    Qui me dit que chaque merveilleN'est pas un fantme trompeur :Le chant qui ravit mon oreille,La beaut qui touche mon coeur?...

    Grand Bcrkley ! ta doctrine a ravag la terre :La Matire a sombr dans l'abme bant;Comme un aigle affam sur l'agneau solitaire,Sur l'tre corporel s'est ru le Nant!

  • LE POETE

    Quand le ciel, s'afaissant sous le poids de l'orage,Trane au-dessus de nous ses grands lambeaux noircis ;

    Lorsque l'clair, serpent ne du sein d'un nuage,Droule ses replis dans les airs obscurcis :

    L'homme a les reins briss; su' son me muettePse lugubrement le spectre de l'horreur,Qui semble palpiter, et, comme une chouette,

    Battre de l'aile avec fureur.

  • 11S A'/V.vi d'bine.

    Courbez-vous sous le ciel qui tome !l'rosternez-vous devant l'clair!Penchez votre corps qui frissonne,Comme le saule, au vent d'automne,Incline son panache vert !

    Mais le pote, lui, se plat dans la tempte;11voit, sans frissonner, l'horizon se ternir,

    lit, plein de joie, il sent s'amasser sur sa tteLes nuages du ciel et ceux de l'avenir:

    11 aime le bruit de l'orage,La lueur blanche de l'clair,Les cris de douleur et de rage,Les longs hurlements du carnage,Les boulets qui sifflent dans l'air !

    11 trouve l'ouragan une morne harmonie;La bataille est pour lui le concert dlirantD'un peuple triomphant, d'im peuple l'agonie ;Au feu des grands combats s'enllamme son gnie.

    La tempte et la guerre ont un bruit enivrant!

  • LEQUEL VAUT MIEUX, SEIGNEUR?

    Au R. P. Le Gcnissel.

    Vrais libertins du ciel, dvots Sardanapales,Vous, vieux moin:s chenus, et vous, novices ples.Foyers couverts de cendre, encensoirs ignors.Quel don Juan a jamais, sous ses lambris dors,Senti des volupts comparables aux vtres?

    TH, GAUTIER, Tkt'bjiJe.

    Des clestes Beauts amants mystrieux,O moines, pleins d'ardeur, l'extase dans les yeux,Vous buvez longs traits, heureux sous le cilicc,La science en un livre, et Dieu dans un calice !

  • Rimes li'bne.

    Quant A nous, nous errons, sombres et soucieux,Des saintes cruauts ignorant le dlice ;Nous errons a travers le crime et la malice ;Notre cceur dgot reste silencieux.

    Le vtre chante et rit ; et vos joyeux cantiquesDe leur son palpitant font trembler vos portiques;Le ciel parait s'ouvrir ;\ vos yeux blouis,

    Noirs sraphins! De Dieu vous chantez la louange.... Nous, les membres fltris et vautrs dans la fange,Nous pleurons nos plaisirs si vite vanouis.

  • F TOI LE S FILANTES

    11faisait nuit ; c'tait en t. Sur la dune

    Assis, je contemplais le calme firmament.Parfois, comme un atome man de la lune,Une toile filait silencieusement.

    Je pensais: au milieu de l'immensit brune Toi qui, naissant soudain, ne brilles qu'un moment, Tu tombe; comme nous, jouet de la fortune, toile au long filet d'or et de diamant !

    Bientt l'horreur me prit : l'cho, dans les tnbres,

    Retentit, et le ciel s'emplit de voix funbres ;

    L'astre, en tombant, rendit un lamentable accord ;

  • 122 Rimes i'ibim.

    Un clair tout A coup travers nu pense : Cette toile est des deux une me repoussc, Qui s'engloutit au puits de l'ternelle mort I

  • /./: VIRUX MUR

    O vieux mur ruin, pourquoi sur tes dcombresVoit-on crotre cigu, ellbore, aconit?

    Quel suc, pour les nourrir, clans tes entrailles sombres

    Croupit, scrt par les glandes du granit?

    Pourquoi, granium sauvage, herbe puante,Dans le creux des moellons plongeant tes filaments.Fais-tu surgir le long du mur ta fleur sanglanteComme le coeur rong de malheureux amants?...

    C'est que, sur les objets uss, hommes ou choses,Le poison de l'horreur croit, s'tale et mrit :Mur croul jamais ne se couvre de roses...Seul, sur un coeur bris, le Dsespoir fleurit.

  • PERSECUTIONS

    1

    PERSECUTION' PAENNE

    Sublimes confesseurs, non, jamais le supplice,Ni les pinces de feu, ni les carcans de fer,Ni tous les instruments qu'inventa la MalicePour briser votre foi par des tourments d'enfer,Ne vous virent plier sous le faix des souffrances :Prtres saints, vous portiez trop haut vos esprances!Tandis que le paen tenaillait votre chair,

  • 126 Rimes d'ine.

    Vous leviez vos coeurs vers Celui qui dlivre,Kt, sent.mt dans vos flancs meurtris vos mes vivre,Vous buviez jusqu'au fond votre calice amer!Christ vous avait appris a souffrir la torture :Le front haut, l'oeil ouvert, sans cris et sans murmure,Chantant l'hymne sacr, bnissant vos bourreaux,De votre foi, martyrs, vous plantiez les drapeaux !

    Les sicles ont pass sur votre oeuvre immortelle:Le monde, illumin par l'aurore nouvelleDont l'clat empourprait le ciel a l'orient,Enivr par la grce et la douceur suprmeDe Celui qui disait: Amis, je veux qu'on s'aime,

    A prostern son front croyant.

    Les cantiques alors retentissaient sur terre!

    Comme un encens qui monte au sjour radieux,De toutes les cits s'levait la prire

    A Jsus mort sur le Calvaire,A Jsus vivant dans les deux!

    II

    INQUISITEURS

    Oh ! qu'est-il devenu, ce temps d'ardeur premireO l'occident semblait inond de lumire,

  • Perscutions. 127

    O chacun s'lanait sur les pas du Sauveur;O l'ennemi disait a l'ennemi : Mon frre, Rconcilions-nous; car ton Pre est mon Pre,

    " Ton Matre est mon Seigneur?!

    Jsus a dit : Chrtien, ne fais jamais a d'autres Que ce que tu voudrais qu'A toi-mme l'on fit. !

    Inquisiteurs, bourreaux, sataniques aptres,Rpondez : l'a-t-il dit ?

    Il l'a dit ! Il l'a dit ! Votre perte est certaine,Flons, si vous croyez en lui, Jsus ! Mais non!

    Non, vous n'y croyez pas, bien qu'en vos cris de haineVous prononciez son nom,

    Ce doux nom de Jsus que souille votre haleine !

    III

    CHRTIENS & PSEUDO-CHRTIENS

    Que diraient-ils de vous, ces martyrs gnreuxQui, candides hros, sentant planer sur eux

    Les chrubins l'aile rose,Mouraient en entonnant le cantique divin?

  • Rimes d'l'ue.

    Ils s'criraient : Seigneur! Seigneur! c'est donc en" Que nous expirons pour ta cuise ! [vain

    Ta doctrine, Seigneur, doit donc s'vanouir! Notre suprme chant, notre dernier soupir. Se perdre dans les airs, inutile semence; Puisque tout ce qu'ont fait nos bourreaux, les paens,>

  • FODALIT

    Des captifs, que ces tours couvrent de leurs murailles,Gmissent, oublis au fond de ses entrailles.

    Casimir DUIVIGXE.

    I

    CRIME

    Dj la nuit planait dans le ciel. Sur la terre,Au sommet du vieux mont, colosse solitaire,

    Brillait le fodal manoir.Au bruit intrieur des chants et de la danse,Des cris dsesprsse mlaient en cadence,

    Qui s'exhalaient du cachot noir.OISEiUX DE >ASS.

  • 130 Rimes d'bne.

    Car, sous la forteresse aux murailles gantes,Hurlaient des prisonniers dans des fosses bantes

    Condamns a mourir de faim ;Tandis que les seigneurs, hagards, suint l'orgie,Puisaient de joyeux chants dans la coupe rougie

    De vin vieux et de sang humain.

    La voix sortant des oubliettes.Tombeaux de cadavres vivants,La voix sortant des oubliettesTourbillonnait avec les vents :

    Tu tomberas, vil repaire De barons, de comtes bandits ! Tu tomberas, et sur la terre S'crouleront tes murs maudits! Tes vieux donjons, tes tours massives, Comme on voit des branches chtives Se briser au souille des vents, --

    (S'affaisseront dans la poussire, Aux cris plaintifs, A la prire Des victimes et des mourants!

    Comme pour confirmer cette voix prophtique,L'clair brillait A l'orient;

  • Fodal H. i}i

    Tandis que des chansons dans la salle gothiqueRsonnaient en hymne bruyant !

    II

    CHATIMENT

    O sont-ils aujourd'hui, tes vieux murs ? Tes ruines,O castel si grand autrefois,

    Jonchent le sol fltri, pareilles aux racines

    D'un chne arrach dans nos hois!

    O sont-elles, manoir, tes monstrueuses pierresQui paraissaient de loin des gants de granit ? Le temps a dvor leurs dbris centenaires;Les oiseaux ont cherch, pour y btir leur nid,

    Les trous rongs des meurtrires!

    Les crneaux n'ornent plus le haut de tes donjons!Tes restes sont sems de bruyre et de joncs ILe vent siffle et gmit a travers tes dcombres :Car le Temps a pass sur tes murailles sombres;Le Temps, excuteur des vengeances de Dieu,A fait crier sur toi son formidable essieu !

  • BAINS DE SANG

    A mon ami Maurice Barris.

    1

    Ohl dgradation de l'empire romain! (Dclame le pdant, son Ptrone la main.) On vt des empereurs, esclaves de leur vice, L'pe au poing, tout nus, descendre dans la lice, Ht s'offrir en spectacle au peuple, avide et plat, Sans que, pour les fltrir, une voix s'levt t

  • 154 Rimes d'bhie.

    On vit des empereurs tombs en pourriture, Baigner leur corps maigri dans un ruisseau le lait, Dans uncuveau de sang retremper leur luxure... Touslesachant,grand Dieu 1 personnelle parlait !

    Ainsi hurle, gonfl d'orgueil et d'assurance,Le pdant bahi de sa propre loquence. Pauvre sot! n'est-il pas des hommes aujourd'huiNs d'Hliogabale, et plus souills que lui,Qui ne s'lancent pas il est vrai dans l'arne,Mais qui, la face calme, impassible et sereine,Sans que l'Apre Remords vienne au ca-ur les ronger,Contemplent les humains sous leurs yeux s'gorger.Ht, faisant de l'Europe une nouvelle lice,Nous tranent au combat, ou plutt au supplice?On les appelle encor hros et conqurants...Et pas un d'entre vous qui ne dise: i Ils sont grands!

    Vous entendez, pdants! Parmi vous, nul ne bouge!

    N'insultez plu> celui qui trouvait, impuissant,Un reste de vigueur dans sa baignoire rouge :En ce sicb, plus d'un, jusqu' lui s'abaissant,Connue Hliogabale, a pris des bains de sang!

  • Bains de sang. 135

    II

    Maudits soyez-vous dans l'histoire,Maudits par la postrit,Vous qui cherchiez, les uns la gloire,Ht les autres la volupt,Dans le sang de votre baignoire,

    Qu'importe!... ou dans le sang de l'Univers dompt !

    Maudits soyez-vous ! Que le monde,

    Conqurants et voluptueux,D'un Ilot d'anathmes inondeTous vos attentats monstrueux :

    Toi, Nron, ton plaisir immonde,Ht toi, N'apolo.i, tes exploits odieux!

  • AU COLLEGE

    I

    C'est l'heure du sommeil des enfants. Il fait noir;Un pion vient de souiller la lampe du dortoir,lit dans l'obscurit les objets se dforment.Parmi les collgiens souriants qui s'endorment,Il en est un qui pleure et qui gmit tout bas,h'tendu dans un lit troit, glac, la-bas.Il pleure doucement, pour n'veiller personne :On rirait tant de lui I... Son petit corps frissonne.Il dit: Oli! qu'ai-jc fait pour quitter la maison, Et pourquoi, malheureux, m'a-t-on mis en prison?

  • 138 Rimes d'bne.

    Si ma mre tait la, je dormirais prs d'elle Dans un lit bien bord. Ma bonne sccur Adle, Ouvrant soudainement mes grands rideaux de lin, Viendrait nie taquiner avec son air malin ; Mais maman n'est plus la ; papa veut qu'on travaille; Il prtend que, chez soi, l'on reste un rien qui vaille ; Que, pour devenir homme, il faut, en pension, Goter le fruit amer de la drision. Et j'ai bien tudi ; mais pas assez, sans doute, Puisque notre censeur, qu'un pion mme redoute, A dit que je serais priv de voir papa... Et c'est une injustice... et moi, je ne veux pas!

    Puis l'enfant se remet a sangloter. Il pleureLamentablement, comme il faisait tout a l'heure:

    Dans son ame bondit le morne Dsespoir.Il a pens d'abord quitter le dortoir,A retourner chez lui, nu, frissonnant... qu'importe!Mais le matre sinistre a verrouill la porte.-Le petit fouille alors ses habits : un gros sou

    Heurte sa main.' Saisi d'un long dlire fou,Il le met dans sa bouche, et se crispe, et le mche : Le censeur 1 m'empcher de voir papa! le lche!

    Dit-il; puis il avale, et sans peur, et sans cris,

  • Au collge. 9

    Le gros sou corrod tout bleu de vert-de-gris.Enfant, si l'on savait! Est-ce donc ton geQue l'on peut tout quitter sans changer de visage?...L'ombre s'est paissie, et minuit a sonn :

    Le petit collgien est mort empoisonn.

    il

    Demain, lorsque ta voix, o cloche des lves,

    S'lancant, va briser les plus splendides rves,

    J'en sais un des plus purs -- que tu respecteras!C'est celui d'un enfant pale comme ses draps,Qui dort, calme ; mais dont la bouche semble dire : Vous qui rie-! de tout, ma foi ! vous pouvez rire !

  • ai un;

    Oli ! n'insultez jamais une femme qui tombe!

    Vi:tor lU'GO.

    Toi qui marches hagarde et'blme,Sans ton poux, n'ayant plus mmeTon (ils : il serait un soutien,S'il ne dormait au cimetire,Prs d'une croix, sous une pierre,

    Je plains un sort comme le tien !

    Ange de la dsesprance,Tes traits, fltris par la souffrance,

  • 1^2' Rimes d'luhte.

    Sont fins et gracieux encor;Ht, sur ta gorge immacule, Reste d'une aisance cm-ole,

    Rayonne une chanette d'or.

    Flairant la Faim dont les tenailles

    Dchirent tes maigres entrailles,Voici venir un grand flneur:Le rire la lvre, il t'affronte;lit t'offre, sans rougir de honte,Avec le pain, le Dshonneur.

    Te roidissant contre l'injure,O femme, tu peux rester pure.Ht lutter avec l'pre sort !Tu peux reculer, chaste et fire;Tu peux dire cet homme: Arrire!...

    Ht n'as-tu pas ta chane d'or?

    Mais ce joyau, -- pense amre! Pauvre malheureuse, ta mreTe l'offrit d'un air triomphant,Le jour o, debout auprs d'elle,Tu sentis dans ton sein fidle

    Tressaillir ton premier enfant!

  • Chute. '43

    Oui, deux substances combines

    Dans ce bijou sont enchanes :De l'Or avec un Souvenir !...

    Le joaillier dirait: Mlange ! Fi de cet alliage trange! Il ne saurait me convenir!

    La Dbauche frappe ta porte.Oh ! c'en est fait: ta faim l'emporte ;lu sole d'avoir tant pleur,Tu livres, vaincue, A l'infme

    Ta poitrine ijue gonfle, femme,Un grand souille dsespr!

  • CRUAUT

    I

    Sur un trclinium de pourpre orientale

    L'empereur des Romains indolemment s'haie,Absorb tout entier dans son mortel ennui :Plus rien ne lui sourit : ni la toute-puissance ;Ni l'norme parfum du monde qui l'encense

    Et se prosterne devant lui ;

    Ni les splendeurs ni les flamboiments de l'orgie ;Ni les chants dlirants, ni la coupe rougiePar les vins savoureux qui ruissellent dans l'or;Ni l'enfant ignorant qu' plaisir il dprave ;

    OISEAUX DE PASJ. 10

  • i.}6 Rii
  • Cruaut. 147

    On prtend que tu sais, juge du noir Tartare, Lorsqu'un grand criminel chez les ombres descend,'v L'affliger d'un tourment pouvantable et rare ;

    '< Moi je m'exercerai sur un tre innocent !

  • I.i8 Rimes tl'biie.

    '< Moi, je rirai beaucoup ; ma chair voluptueuse Tressaillera de joie a cet aspect; mon cceur Frmira, comme au veut du nord frmit l'yeuse!

    Alors on comprendra ma force et ma grandeur, Ht le peuple, flattant ma cruaut joyeuse, S'crira : Vive Romeet vive l'Empereur !

    III

    Ainsi rve, absorb dans sa fureur auguste.L'imperator romain, trs-puissant et trs-juste.

  • TABLE DES MATIERES.

    OISEAUX DE PASSAGE.

    Mes vers i

    L'Idal et la Forme }Ce que disent les potes pauvres 5Le bassin des Muses 7L'Alchimiste 9Le Vieillard 1}Le Coucou 17Le Discours du bluet 21

    Petit coin de paysage 25A Victor Hugo 27

    Aprs le bal 29

  • IJO Table des vuilires.

    Souvenir 31

    Un acquittement 33

    Us papillons divins 37

    A la fontaine Je Bandusie 3;

    RIMES FANTASTIQUES.

    Vocation 43

    La Vierge des bois 47

    Destine 51

    Les fantmes du caf 55

    Tentation . . .' 6t

    Nouvelle dame blanche 63

    Revenants 69

    Rve 73

    Somma pythagorca 77

    Vieille Gaule 81

    Feux follets 87

    LaLumire lectrique 91

    RIMES D'BNE.

    Novembre 97

    La Mort de Mars 99

    Ce que disait le fol d'amour 103

    Le Suicide de l'amour 10$Douleur muette 109

    Epitaphc d'un pote m

    Problme 113

  • Table des tnatires. I>!

    Le Niant it$Le Pote 117

    Lequel vaut mieux, Seigneur? 119

    toiles filantes uiLe vieux mur < . . . . il)Perscutions HJ

    Fodalit l>9

    Bains de sang 133

    Au collge 137

    Chute ..-...- 141

    Cruaut y^--\\< '!' . -\ '&

    Nancy. Irop. Berger-Levrault tt C*.

  • OISEAUX DE PASSAGE.Mes versL'idal et la FormeCe que disent les potes pauvresLe bassin des MusesL'AlchimisteLe VieillardLe CoucouLe Discours du bluetPetit coin de paysageA Victor HugoAprs le balSouvenirUn acquittementLes papillons divinsA la fontaine de Bandusie

    RIMES FANTASTIQUES.VocationLa Vierge des boisDestineLes fantmes du cafTentationNouvelle dame blancheRevenantsRveSomnia pythagoreaVieille GauleFeux folletsLa Lumire lectrique

    RIMES D'EBENE.NovembreLa Mort de MarsCe que disait le fol d'amourLe Suicide de l'amourDouleur muetteEpitaphe d'un poteProblmeLe NantLe PoteLequel vaut mieux, Seigneur?Etoiles filantesLe vieux murPerscutionsFodalitBains de sangAu collgeChuteCruaut

    Mes versL'idal et la FormeCe que disent les potes pauvresLe bassin des MusesL'AlchimisteLe VieillardLe CoucouLe Discours du bluetPetit coin de paysageA Victor HugoAprs le balSouvenirUn acquittementLes papillons divinsA la fontaine de BandusieVocationLa Vierge des boisDestineLes fantmes du cafTentationNouvelle dame blancheRevenantsRveSomnia pythagoreaVieille GauleFeux folletsLa Lumire lectriqueNovembreLa Mort de MarsCe que disait le fol d'amourLe Suicide de l'amourDouleur muetteEpitaphe d'un poteProblmeLe NantLe PoteLequel vaut mieux, Seigneur?Etoiles filantesLe vieux murPerscutionsFodalitBains de sangAu collgeChuteCruaut