SPIRITUALITÉ « Etre Libre » N° 52-53 (Mars-Avril 1949)

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    I 3"' anne. Mars- Avril 1949. N 52- 53.

    SPIRITUALITRevue mondiale de culture humaine fonde en 1936,sous le titre Etre LibreAffilie l'Union de la Presse Priodique Belge

    Science, Religion, Philosophie

    Pdagogie, Posie

    Directeur- Fondateur : RA M L1NSSEN

    Rdactrice s Suisse :M. BAN GERT ER M. J A RRY S

    5 I , rue de la Victoire 6, rue BellotBruxelles Genve

    France : Hollande :J eanne M ORL OT Libr. BOU CHER

    Chapareillan Noordeinde 39 A

    (Isre) Den HaaS

    SOMMAIRE

    Le rle du supra- mental dans les recherches R. Linssen.scientifiques ...................................................

    Civilisation et enseignement.............................Maria Fermin.Bonheur et m o r t ..............................................R. Four.P o m e s ...............................................................J ean Merlin.

    Chasca.

    La religion de M ithra........................................Dr. D. Quatannens.Surralisme et spiritualit..................................Henri Mangin.C o m m u nau t ................................................... Claude Bolle.Matriacat .........................................................P. Basiaux- Defrance

    Prix: 20 fr. belges - 100 fr. franais - 2 fr. suisses

    ABONNE MENT S : Belgique : 100 fr. belges - Suisse : 11 fr. suisses

    France : 500 fr. franais

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    REV UE SPIRIT UAL IT E

    Sige : 51, rue de la Victoire - BRUXEL L ES - Tlphone 37.53.58

    Directeur- fondateur : Ram Linssen.

    Rdactrice en chef : Marguerite Bangerter.

    Directrice de la Section Pdagogique: Ghislaine de Lalande, Rgente.

    Directeur de la Section dOrientalisme :J ean Herbert.

    Directeur de la Section T hologique : Docteur D. Quatannens.

    Directeur artistique : Emile Demey, Architecte- urbaniste.

    Directeur de la Section Potique : Marcel Hennart.

    Directeur de la Section des Jeunes : Paul Genton, Et. en droit U.L.B.

    Secrtaire gnrale : Comtesse Aurlie de Limbourg.

    ABONNEMENTS

    BEL GIQU E : 100 fr. par an verser au C. C. P. 62.04 de lInstitutSuprieur de Science et Philosophie, A . S. B. L ., 51, rue de laVictoire, Bruxelles.

    F RANCE : 500 fr. par an verser au :C.C.P. 131.105 (Lyon) de J eanne Morlot, Chapareillan (Isre),ou au C.C.P . 4207.47 des Edit. Adyar, 4, square Rapp, Paris (7e).

    SUISSE : I l fr. suisses verser Madame Jarrys, 6, rue Bellot,Genve.

    Buts de la revue Spiritualit

    1. Rgnrer le monde par la transformation spirituelle de l'individu.

    2. Librer l homme en lui fournissant les lments qui lui permettrontde se surpasser, de prendre conscience des richesses caches desa nature profonde.

    3. Orienter lhumanit vers un nouvel ordre spirituel et matriel, enlibrant lhomme des limitations engendres par lignorance etlgosme.

    4. Raliser l re du triomphe de lesprit sur la matire, de lamoursur la haine, par la synthse de la spiritualit dOrient et de laculture occidentale.

    5. Crer dans cet esprit un courant mondial dchanges de confrences et darticles.

    6. Former un noyau dhommes libres, sans aucune distinction declasse, de nationalit, dont la similitude de pense peut offrir uneopportunit de ralisation commune de cet idal.

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    Le rle du supra-mentaldans les recherches scientifiques

    par Ram LINSSEN

    L tude du fonctionnement de la pense est un des sujets lesplus complexes.

    En effet, la vie intrieure de l'homme se manifeste sur dessecteurs bien plus tendus que ceux de la seule pense.

    11existe une gamme de nuances de trs grande richesse entre lapense concrte normale et les couches les plus profondes du psychisme.

    A u del de la pense concrte, instrument idal dapprciations

    quantitatives, il existe un niveau de pense abstraite dapprciations plutt qualitatives.Les penses concrtes et abstraites ne sont elles- mmes quune

    infime partie du psychisme humain.Elles sont agies , consciemment ou inconsciemment par des

    forces psychiques plus profondes, dont elles ne sont que lexpressionla plus superficielle, le rouage le plus apparent, le plus priphrique.

    11nentre pas dans notre intention de mettre en lumire les processus de la pense, envisags comme unique manifestation del'instinct de conservation du moi voulant durer sur le planpsychique. Le sujet est trop vaste et fera ultrieurement lobjet dune

    tude approfondie.Nous nous bornerons noter que dans les faits qui vont tretudis, le rle de la pense intervient nettement titre secondaire etdriv devant celui dune facult plus profonde et surtout infiniment

    plus lucide.Nous la nommerons titre provisoire la facult supramentale

    pour reprendre le terme dun grand penseur indou, Shri Aurobindo.Nous ne la nommons pas l intuition, car ce terme prte trop dquivoques.

    Le rle du supra- mental serait de coordonner les rsultats delanalyse intellectuelle. La pense serait son instrument de travail le

    plus rudimentaire. Elle pourrait tre considre comijie oprant lespremiers travaux de dblaiement pour prparer le terrain lexercice dun pouvoir et dune facult qui la dpasse infiniment.

    Il est galement indispensable de comprendre que dans tout trevivant, l ensemble des lments participant sa constitution fonctionne en paralllisme dans une interdpendance totale. Cette interaction sapplique aussi bien au secteur des activits physiques que desactivits psychiques.

    Ceci permet denvisager les pseudo problmes que se posent unefoule de chercheurs en se demandant si lintuition est un rsultat del analyse, ou si les il luminations subites des grands savants rsultentdun pur jaillissement surgissant des profondeurs les plus secrtes dela vie psychique.

    11 serait absurde de dire que dans les dcouvertes scientifiques,

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    illustrant cet article, il ny ait que du travail rationnel ou quil ny aitque du supra- mental . *

    L un et lautre sont continuellement agissants, de faon ingalepeut- tre, mais toujours corrlative.

    C est ce quexprime en d autres termes le savant franais J acques

    Hadamard, membre de 1Acadmie des Sciences et mathmaticienillustre, au cours dun trs intressant article paru dans la revue Atomes (mai 1948).

    La vie de travail du chercheur , dit- il. est faite dalternativesdactivits conscientes et dinspirations spontanes.

    Quant moi, j ai trouv une solution longuement cherche au moment prcis dun brusque rveil provoqu par le roulement dune voiture et, prcisment, cette solution mapparaissait dans une direction toute diffrente de celles o javais cherch jus- que- l...

    Ceci confirme en tous points notre faon de voir :

    La pense, les chaffaudages de la raison constituent les premiersdblaiements. Nous pourrions comparer le travail de la rechercherationnelle au labour du mental.

    Dans les expriences relates par J acques Hadamard, la solutionapparaissait dans une direction toute diffrente de celles normalement prpares par le travail mental antrieur.

    Qui a donn la solution ? Est- ce la seule pense ?Evidemment non. C est quau del delle, ou mieux, lintrieur

    delle, en profondeur, rside une facult qui la dpasse infiniment etpossde la capacit de voir la Vrit, de trouver les solutions.

    Poincar rapporte quil lui arriva, maintes reprises, daban

    donner de longues recherches aprs des efforts rests vains et, plustard, de trouver la solution brusquement en un clair, avec une entirecertitude, en un moment de repos au cours dun voyage ou dunepromenade.

    L minent mathmaticien recherchait depuis longtemps uneclasse nouvelle de fonctions mathmatiques transcendantes. Sesefforts demeurant vains, il avait tourn son activit vers dautres travaux. Et ce fut longtemps aprs, quuiie nuit la solution tant dsirelui apparut pendant le sommeil.

    Elle tait lumineuse. L ide qui germait en Poincar tait dunepuissance telle, quelle le rveilla. 11courut sa table et crivit jusqu

    laube : il venait de dcouvrir les fonctions fuchsiennes.Le processus de la dcouverte du vrai, de la solution recherche,

    ne parait donc pas rsulter des seuls efforts intellectuels. Une fois deplus, lexprience de Poincar indique clairement quune trop fortetension intellectuelle asphyxierait la clart de lesprit, et quaucontraire la manifestation de la facult supra- mentale ne seffectueque dans la dtente du mental. *

    Toutes ces choseg nous sont depuis longtemps familires, maisil est du plus haut intrt danalyser dans cet esprit les expriencesde ceux que l'on considre comme les plus puissants athltes de larecherche intellectuelle, mathmatique et scientifique. Et dans la

    mesure o leurs opinions philosophiques semblent scarter des ntres,leur tmoignage revt nos yeux un intrt de toute exceptionnellevaleur.

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    Jacques Hadamard relate une conversation, au cours de laquelleJoliot- Curie lui confiait : J 'ai eu de brusques illuminations, me four- nissant la meilleure manire de produire et dobserver un phno- mne, avec la sensation immdiate que la mthode ainsi suggre

    tait unique et que toute autre serait moins simple. Le clbre bactriologiste Charles Nicolle a, dautre part, crit : Un clair... le problme, obscur jusque- l, et que nulle lampe de lueur timide nauraif rvl, se trouve dun coup inond de lumire. On dirait une cration. A u rebours des acquisitions progressives, un tel acte ne doit rien la logique, la raison.

    Toutes ces expriences dmontrent de faon premptoire que lerle de la pense intervient titre second devant la facult supra-mentale.

    Et lorsque nous parlons du supra- mental, nous ne parlons passeulement du subconscient et de linconscient, mais de niveaux de

    conscience infiniment plus profonds que ces derniers.Le subconscient a, pour la majorit des psychologues actuels, larputation dintervenir de faon slective, doprer une slection entreles diffrentes combinaisons de la vie mentale.

    Certes, le subconscient et linconscient forment ces zones imprcises, obscures et vagues que certains psychologues dsignent galement sous ltiquette de conscience priphrique. Mais nous nousrefusons dadmettre que de telles couches dinconscience relative puissent oprer une slection quelconque elles seules, et moins encorequelles puissent directement ou indirectement provoquer les illuminations quont expriment tant de chercheurs.

    C est pour bien nous convaincre que rellement il existe, au delde la gamme trs nuance des couches de linconscient, une faculttranscendentale occupant un rldindiscutable priorit.

    Comment peut- on accder lexercice de cette facult?Contrairement aux conseils rpts de nombreux yogas tra

    ditionnels, ce nest certes pas au moyen dune intense concentration,ni dune forte tension de lintelligence, fixant un point lexclusion detout autre.

    Si lon sen rfre aux dclarations du mathmaticien J acquesHadamard, lorientation prendre pour rsoudre le problme estclaire :

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    souplesse des instruments destins lexprimer. L a grande tensionintellectuelle cre rellement une rsistance psychologique. Seule ladtente, la non- prfiguration, la cessation du processus rationnel,denchanement de causes effets, permet au supra- mental de se mani

    fester tel un jaillissement spontan, pour autant bien entendu que leterrain ait t pralablement prpar par le mental.

    Nous touchons l un des points essentiels du problme, celui ose manifeste en nous, de faon exprimentale, lune des trois antinomies dfinies sommairement dans Le Destin du X X eSicle .

    D une part, un mental analytique strictement enferm dans unprocessus de causes effets, vivant sous l'empire du temps, delespace, de la causalit.

    Dautre part, la manifestation vidente dune ralit plus profonde, sexprimant par un processus non seulement diffrent maisparfois oppos. Pourrait- on mieux dfinir ce processus quen le com

    parant un jaillissement spontan, dont les rythmes chapperaient la stricte causalit traditionnelle.Pour dfinir en dautres termes les caractristiques de l'antinomie

    qui nous proccupe, disons avec Bergson que notre logique, ne dansles solides, est avant tout une logique des solides, et, partant, strictement limite aux proprits fort limites des solides. Elle semble enporter de faon incurable les dformations spcifiques.

    Mais en opposition cette solidit symbolique de la logique,le supra- mental est fluide.

    Notre intention nest pas ici de minimiser le rle de lintelligenceconcrte, de la raison, des dmarches de la pense. Nous voudrions

    surtout insister sur le caractre prliminaire de celle- ci, sur son rleprparatoire au travail dune facult transcendantale, depuis longtemps tudie par les grands penseurs de lOrient, mais systmatiquement mise lombre par la grande majorit des penseurs occidentaux.

    Dans limmense confusion du monde, il est plus que jamaisncessaire que soprent des synthses. Elles ne pourront tre ralisesque si une attitude desprit diffrente prside aux recherches deshommes.

    Rappelons la pense du Dr. Carrel : lintellect analyse, l'intuitionsynthtise. L intellect morcle. L intuition coordonne et unifie.

    L tude des calculateurs prodiges montre galement quelpoint les fonctions intellectuelles sont complexes pour le seul exercice

    du calcul. J entends ma voix qui calcule , a souvent expliqu Inaudi.Et cette voix nempche pas le calculateur prodige de pour

    suivre une conversation, dexcuter des calculs plus faciles ou mmede jouer de la flte, tandis que fonctionne un mcanisme mystrieuxet plus profond, qui lui fournira en un temps record le rsultat d uncalcul extraordinairement compliqu.

    Le Calaisien Maurice Dagbert, mule d lnaudi, ffectua diverses

    oprations en prsence des savants de lAcadmie des Sciences. Il luia fallu 14 secondes pour extraire une racine cinquime (rsultat 243);15 secondes pour extraire une racine septime (rsultat 125); 55 secondes pour calculer le cube de 827.

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    Et pendant que seffectue sur le plan mental profond lintenseet prodigieux travail, Maurice Dagbert agrmente son numro decalcul dun solo de violon.

    Les lecteurs occidentaux des traits de yoga indous, des uvresde Shri Aurobindo et de J . Krishnamurti ,ont dans les faits prcdemment voqus, damples matriaux pour mditer sur la complexit desniveaux de conscience intrieure. Qu ils ne s tonnent plus, comme lefont certains, de la multiplicit des couches profondes, des niveauxinclus dans le seul secteur de lactivit mentale, et quils soient plusque jamais convaincus de lexistence dune hirarchie dans cesniveaux et dune ordonnance parfaite.

    .

    Toutes les misres humaines, tous les dsquilibres proviennentdu fait que nous avons dvelopp de faon unilatrale certaines fonc

    tions de notre vie psychique.L homme est un tout indivisible. Et lexercice isol ou exagrde telle ou telle partie aboutit au dsquilibre.

    Nous venons de le voir dans le secteur de la recherche scientifique : une trop forte tension intellectuelle semble vouer les plusgrands chercheurs lchec. L illumination subite seffectue dans ladtente.

    Mais pourquoi seffectue- t- elle dans la dtente ? Est- ce seulement parce que la dtente donne la vie psychique un aspect plusfluide ? Est- ce seulement parce que le repos mental offre moins dersistance la manifestation de la fluidit supra- mentale ?

    Avec les grands penseurs de l'Inde et du T hibet, nous pensonsquaux ultimes profondeurs de la vie psychique, au del du mentalconcret, au del du mental abstrait, au del du supra- mental mme,la raison et lamour ne font quun. T out diviss et opposs quilsapparaissent notre chelle, ils ne sont que les aspects complmentaires dune mme ralit psychique, laquelle nous empruntonstoutes nos facults daimer, de penser.

    Lorsque Poincar abandonnait ses recherches, lorsque le PrinceLouis de Broglie se promenait paisiblement en abandonnant momentanment sa tension mentale, un quilibre psychique s'tablissait eneux. A leur insu, une richesse nouvelle s.infiltrait insidieusement en

    leur propre vie intrieure. Elle manait plus du cur que de lespritanalytique. Elle tait semblable lune de ces ractions dquilibreou dauto dfense, dont la V ie dans la Nature nous offre de nombreuxexemples. Mais elle se manifestait cette fois dans le secteur psychiqueplutt que dans le secteur physique.

    Ce que lon nomme gnralement intuition, ou plus particulirement supra- mental, parvient se manifester dans la mesure olesprit analytique et le sentiment se dveloppent en parfaite harmonie.

    L activit exagre de lun ou de lautre aboutit des dsastres.Le sentiment livr lui seul conduirait lincohrence. L a penseseule conduit la scheresse et finalement aux impasses prc

    demment voques.Krishnamurti nous dit que le rayonnement du cur constitue le

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    lubrifiant de lintelligence. L tude du dveloppement de la vie intrieure chez de nombreux mystiques, nous en fournit des exemplesmultiples.

    Les mathmatiques, qui constituent certes la branche la plus

    implacablement logique de toutes nos sciences, se sont enrichiesseulement dans la mesure o les mathmaticiens de gnie ont vibr la beaut mathmatique, une forme subtile desthtique ne pouvant tre perue que par une sensibilit profonde.

    Se posant la question du pourquoi et du comment dansla slection de combinaisons mentales qui sopre indiscutablementdans les grandes dcouvertes, Jacques Hadamard dclare souscrire ce que dit ce sujet Poincar.

    ... Quelle est la cause qui fait que, parmi les mille produits- de notre activit inconsciente, il y en a qui sont appels franchir le seuil, tandis que dautres restent en de? Est- ce un simple

    hasard ? Evidemment non. Les phnomnes inconscients privil- gis, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui directement ou indirectement affectent plus profondment notre sensibilit.

    On peut stonner- de voir invoquer la sensibilit propos de dmonstrations mathmatiques qui, smble- t- il, ne peuvent int-- resser que l intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beaut mathmatique, de lharmonie des nombres et des formes, de l l- gance gomtrique. Cest un vrai sentiment esthtique que tous les vrais mathmaticiens connaissent.

    En un mot, les combinaisons utiles sont prcisment les plus

    belles. Une fois de plus, le vrai est lexpression du beau. Et rciproque

    ment, la beaut nest-elle pas toujours l expression dune vrit ?Dans la mesure o lon tend vers les cmes de la pense, il

    s avre vident que la sauvegarde de la justesse de la pense nedpend plus de la pense elle- mme, mais dune ralit qui la dpasse.

    Cette ralit sexprimente plus sous la forme dune sensibilittranscendantale au Beau et au Vrai, que sous les formes rationnelles.

    Quelle est la signification du Vrai dans la mesure o lon tendvers l essence des choses ? Cest lUnit.

    Unit de profondeur sous jacente aux apparences de surface.

    Unit de lesprit et de la matire. Unit de lintelligence et ducur, qui se fcondent mutuellement. Unit de tous les opposs quiles epglobe, mais les domine et permet leurs actions rciproques.Unit de lnergie o s'alimentent toutes nos penses, toutes nosaffections, toute notre vie matrielle.

    Ce principe dUnit qui est Harmonie, Beaut et Vrit, est lorigine de toutes les inspirations, de toutes les illuminations soudaines prouves par la plupart des savants illustres.

    L illumination mathmatique sopre pour autant que le mathmaticien consente enrichir son activit purement intellectuelle dunesensibilit esthtique transcendantale.

    Cette dernire constitue non seulement le catalyseur de la rvlation mais est, en plus du rle passif des catalyseurs, une sourceactive de rvlation, un apport de certitudes plus profondes et nettement supra- rationnelles.

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    Par quels moyens se ralise cette symbiose psychologique de1intelligence et des formes suprieures de la sensibilit ?

    T oujours drivant de la loi d'Unit.Nous pensons que le Rel profond, base des mondes physiques

    et psychiques, est constitu par une nergie une et homogne, contenant ltat latent une forme apothotique et synthtique de ce queles hommes appellent leur chelle dobservation l intelligence et

    Le processus oprationnel des illuminations soudaines en matire de recherches scientifiques, pourrait tre mis en lumire, parlhypothse prcdente.

    Toutes les fois quun homme parachve une grande tensiondintelligence suprieure par lapport conscient ou inconscient dunesensibilit transcendantale, cet homme ralise son insu les conditions psychologiques favorables lclosion du Vrai, parce quilralise une condition d'Unit.

    Que cette notion dunit soit celle de lessence des choses elles-

    mmes, ou qu elle offre un simple paralllisme avec une unit plusprofonde, ceci est dimportance secondaire.

    L important est de raliser un quilibre la mesure du niveauo I on opre.

    Plus troublantes encore sont les expriences de mystiquesdbutant avec une intelligence primaire, pour devenir de vritablesathltes de lesprit en souvrant plus cependant aux richessesdu cur qu celles de lesprit. Cest le cas dun swami Ramdas, dunMaharishi aux Indes. J e terminerai ces considrations par une exprience personnelle, dans le seul but de parler dexpriences et nondans le dsir de procder des comparaisons dplaces par rapport des Sages, devant lesquels je ne suis rien.

    J usqu lge de 17 ans, j apprenais trs difficilement, j taismauvais lve, sans mmoire, distrait, incapable de soutenir un raisonnement, trs lent desprit. Quand au contact dune lecture trssimple, mais inspire dune grande ferveur mystique, il me fut donndprouver intensment lmotion de lunit. Cette extase spirituellefut le dpart d'une vritable renaissance, se transposant jusquau planpurement intellectuel. J e ne puis trouver de comparaison plus adquate mon exprience, que celle de sentir mon me (mes facultsintellectuelles et affectives) semblable une plante prcdemment

    dssche, qui soudainement se sent envahie dune sve nouvelle,imptueuse, mettant en tous sens de nouvelles ramifications. A telpoint, quen toute conscience, je sais que dans toute transformationfavorable, postrieure cette exprience, je ne suis pour rien en tantqugo limit, le devant essentiellement la place que jai faite lnergie mystrieuse qui uvrait en moi, et que tout ce que j aifait de mal (1), rsulte uniquement des rsistances opposes par mongo CE que j savais foncirement tre le vrai.

    Tout le secret du bonheur rside dans cette attitude minemment simple : ne pas rsister aux lois ternelles de la Vie. Et quest- ce

    (1) V is.-vis du Rel, il n y a ni bien ni mal, ceci est une commoditde langage.

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    qui rsiste aux lois de la V ie ? Quoi ? Sinon lgosme. L gosmersultant du grand uvre de la vie nest pas un rsultat dfinitif, unefin en soi. IL doit tre dpass. Ce qui fut une aide, devient uneentrave.

    L gosme doit tre dpass sur le plan spirituel, comme la seuleintelligence doit tre dpasse sur le plan de la recherche scientifique.

    Et de mme que lintelligence est illumine, enrichie par lapportdune sensibilit transcendantale dans le domaine de la recherchescientifique, lhomme dlivr des limites gostes de son moi ,accde sans le vouloir aux plus irremplaables trsors de lexistence.

    SECTION PDAGOGIQUEDirectrice : Ghislaine de L A L A NDE

    Civilisation et EnseignementConfrence faite au Congrs des Femme Universitaires

    Bruxelles 1948

    par Maria H. J. FERMIN Professeur au Lyce dAmsterdam

    Dans une de ses dernires uvres, La Crise de la Conscience

    Europenne (1680- 1715), Paul Hazard nous dit dans lintroduction qui prcde cette uvre magistrale : Ces annes rudes etdenses, toutes remplies de querelles et dalarmes, et lourdes de pense, nen ont pas moins leur beaut propre. A suivre ces vastesmouvements, voir les masses dides se dsagrger pour se reformerensuite suivant dautres modes et dautres lois, considrer nosfrres humains chercher courageusement leur route vers leurs destinsinconnus, sans jamais se laisser dcourager ni abattre, on prouve jene sais quelle motion rtrospective. 11 y a de la grandeur dans leurobstination, dans leur acharnement; et si le propre de lEurope estde ne se contenter jamais, de recommencer toujours sa recherche de

    la vrit et du bonheur, il y a dans cet effort une beaut douloureuse. En tudiant la naissance des ides, ou du moins leurs mtamorphoses; en les suivant le long de leur route dans leurs faibles commencements, dans la faon quelles ont de saffirmer et de senhardir,dans leur progrs, dans leurs victoires successives et dans leur triomphe final, on en arrive cette conviction profonde que ce sont lesforces intellectuelles et morales, non les forces matrielles, qui dirigent et qui commandent la vie.

    Bien que ces paroles fussent crites pour une priode qui prparait de loin la Rvolution franaise, nous pouvons y discerner tantde valeurs actuelles, quelles nous paraissent parfaitement applicables

    notre situation nous. Nous vivons au milieu de querelles etdalarmes, notre poque est lourde de pense, nous sentons autourde nous des masses d'ides qui se dsagrgent et cherchent de nouvelles voies pour se reformer selon dautres lois et si nous cherchons

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    courageusement notre route vers nos destins inconnus, nous ne pouvons manquer dprouver une motion, qui concerne non le passmais lavenir.

    Les grands vnements historiques produisent invitablementdes rpercussions dans tous les domaines sociaux et intellectuels. Les

    ondes dides nouvelles, qui priodiquement viennent battre laporte de la conscience humaine ne sarrtent pas au seuil du mondescolaire. Au contraire, au lieu daccompagner simplement les transformations des structures historiques, les pdagogues comme lespotes ont t parfois des prcurseurs. Dans lhistoire de chaque payson trouve les matres qui ont rpondu lappel de lhistoire ou qui ontmme formul le prlude cet appel. Si la France compte parmi sesrnovateurs un Rousseau, l'Allemagne a son Frbel, la Suisse sonPestalozzi, la Hollande son J an Ligthart, la Belgique son Decroly,les pays Anglo- Saxons leur Dewey et une Helen Parkhurst et lItalieune Montessori. Quest- ce que ces ducateurs reprsentent un

    moment donn de l'histoire ? Ils sont tous lexpression dune de cescrises que lhumanit traverse dans un interminable processus decroissance. Que veut dire au fond ce mot crise , ce mot dont onabuse si souvent ? Si nous le dpouillons du contenu dangoisse, quele hasard de lvolution tymologique lui a confr, si nous remontons son origine, nous trouvons le verbe grec krinein , qui veut diretout simplement : trier, discerner, choisir. Aux moments critiques delhistoire, nous devons avoir le courage de choisir, sinon nous couronsle danger dtre choisis et dtre entrans par les courants du moment, au lieu de les diriger. Si lhomme dans les moments de crise nerpond pas lappel de lhistoire, la force immanente qui se meut

    dans tout processus de croissance, crera le contraire de ce qu elletend crer t nous pourrons reconnatre dans une affreuse caricaturenotre vocation manque. Les pays ici prsents ont tous travers laterrible preuve de loccupation allemande. Durant cinq annes, nousavons pu contempler la caricature, le renversement du type humainque notre poque aurait d produire. Quest- ce qui frappait dans lesfigures des soldats qui, sous les ordres dun Fhrer, dvastaient nospatries ? Le trait dominant ctait labsence dindividualit, une certaine inexpressivit, le masque mortuaire de lhomme collectivis, delhomme machine. Au lieu de prsenter une communaut dindividusresponsables, lAllemagne nous offrait comme dans un miroir fati

    dique, une collection dtres dshumaniss. Dans ces soldats s taitralise, de la faon la plus complte, la parole que Frdric III dePrusse a prononc lors du bombardement de Paris en 1870 : Bismarck nous a rendus grands et puissants, mais il nous a fait perdrenos amis, la sympathie du monde et notre conscience morale .L individu, la conscience morale taient morts dans ce groupe compact et les meilleurs dentre eux portaient sur leurs visages lempreintedune douleur dsespre. Si nous restons trop longtemps aveuglesaux signes annonciateurs dun temps nouveau, l histoire use de grandsremdes contre les grands maux. L Allemagne nous a offert danstoute sa monstruosit l'image de lhomme article en srie, la cration duquel toute notre poque a contribu. Si lAllemagne a produitdabord ce type dhomme dsindividualis, cest que son climat spirituel tait plus favorable lachvement total dun pareil type. Mais

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    si nous voulons tre sincres, nous devons reconnatre que la tendancegalisatrice sest fait sentir aussi bien dans les pays soi- disant dmocratiques que dans les Etats totalitaires. L a radio, les films, les slogans,, ls progrs dune technique vide de tout contenu spirituel, ontfini par standardiser lhomme sur toute ltendue de la terre.

    La dcadence, la dgradation sont toujours des indices certainsquune vrit, contraire la situation actuelle, demande se raliser.La perte vidente de la personnalit, de la conscience individuellenous avertit de la ncessit de la rintgration de toute la personnalithumaine. L avnement dune telle vrit ne sannonce pas seulementpar des signes ngatifs. Longtemps avant la guerre, grand nombredducateurs staient rendu compte des lacunes, de la carence denotre enseignement. Ils nont pas eu besoin dattendre le momentdcisif o la dformation hideuse de lhomme dpersonnalis ferait sonentre dans lhistoire. Par une sensibilit, qui gale la susceptibilitprmonitoire des artistes, ils ont reconnu que nos coles visaient trop

    unilatralement lenseignement et trop peu la civilisation des lves.Or, quel a t le but de lenseignement ? Le mot nous le dit lui- mme.11 remonte signum. signe. Nous avons eu une tendance trop forte combler nos lves de signes, surtout des signes qui pourraient luiservir dans la vie dans un but principalement utilitaire. Par ce bourrage, la valeur reprsentative, la valeur symbolique du signe sestvanouie. Le signe a t dgrad jusqu l'instrument inanim, dontle maniement habile assure une belle carrire. Chez les lve? cetenseignement a trop souvent dclench une chasse aux diplmes sansles pntrer de la dignit, de la responsabilit que comporte touteinstruction. L insuffisance spirituelle que nous croyons dcouvrir la

    gense du mot, on la comprendra encore mieux en rappelant le beaunom de gymnase : gymnasion, qui veut dire exercice. Chez les Grecsun gymnasion tait un lieu public destin aux exercices du corps,mais en mme temps on recevait dans ses portiques les philosophesqui prenaient cur lexercice de lesprit. On pensait donc en premier lieu lactivit, l'exercice soit physique, soit spirituel. Danslenseignement traditionnel lactivit personnelle des lves fait encoretrop souvent dfaut. La passivit, la rceptivit lemporte sur lactioncratrice. Or, procurer la possibilit, T occasion de donner libre coursaux facults cratrices de lhomme est de la plus haute importancedans le moment prsent. Un des aspects les plus dconcertants de la

    guerre a t la dcouverte du fonds inou dagressivit que touthomme porte en soi. Quest-ce que Cette agressivit ? Cest l exaspration de l'instinct de conservation, cest un instinct perverti. Le pouvoir, la volont de crer sest transform dans son contraire. T outdestructeur est un crateur fourvoy. Cette volont pervertie, ce dsirde tuer, ce got de la mort peut sexercer de deux faons : sur leprochain ou sur soi- mme. Nous avons tous pu observer pendant laguerre comment les plus timides ont montr un courage qui allaitparfois jusqu une agressivit prilleuse et superflue. Un timidetourne contre lui- mme ce dsir, cet apptit du tourment. Mais dsquune occasion imprative se prsente, toute cette agressivit accu

    mule et invertie se dverse au dehors. Sous ce rapport lhistoire dunpetit garon, qui ma t conte par la Directrice du Bureau mdico-pdagogique dAmsterdam, est excessivement rvlatrice. Peu avant

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    linvasion allemande, une mre tait venue au bureau pour une consultation sur un de ses enfants, qui seul restait triste, taciturne etrserv au milieu de la gaiet gnrale dune famille heureuse. Commela guerre avait interrompu toute communication, la mre navait paspu amener cet enfant au bureau, mais quelques semaines aprs la

    directrice reut une lettre, lui disant que lenfant avait compltementchang. 11tait devenu gai, courageux, entreprenant mme, tel pointque ses parents nosaient pas le laisser seul dans les rues, tellement ilinjuriait les soldats allemands qui passaient. Qutait- il arriv ? Cefonds dagressivit, quil avait toujours tourn contre lui- mme, avaittrouv un dbouch, un dbouch librement consenti par la consciencepublique. Ce qui lavait empch jusque l de se faire valoir, ctaitsa conscience personnelle et son manque de confiance dans sespropres forces. Sans le savoir, il avait prfr lauto- tourment cause dune conscience dlicate qui ne voulait pas attaquer lesautres. Dlivr de ce souci, soutenu par la force concentre de

    toute une socit qui, dun commun accord, se tournait en massecontre lennemi, il avait trouv tout coup un objet hors de lui,contre lequel il pouvait exercer en toute justice son instinct combattit. Il ne faut pas croire que cet enfant reprsente un cas maladifet exceptionnel. Il souffrait seulement un degr suprieur dunetimidit, cause dune part par une sensibilit plus nuance, plusriche et par consquent plus vulnrable, et dautre part dun sentiment dinfriorit, qui si souvent accompagne la timidit au point dese confondre avec elle. Or, ce sentiment dinfriorit est une maladie tellement rpandue, que sous une forme quelconqu' nous ensouffrons tous plus ou moins. Le remde contre cet auto- tourment,

    contre cette agressivit, invertie chez les timides et extraverse chezles moins scrupuleux, se trouve dans lexercice des facults cratrices. Nous devons enseigner moins et donner lenfant loccasiondtre un artiste, un crateur. Crer cest faire sortir du grouillement informe dun chaos, la lucidit, la clart des formes organises. Le premier chapitre de la Bible nous raconte que Dieuen crant lunivers, spara le ciel davec la terre, quil fit jaillir lalumire de lobscurit et dsigna aux eaux leur place. Le premieracte crateur a donc t un acte de discernement, de discipline,exerc sur un chaos fermentant. J e crois que le besoin dactivitchez lenfant repose sur ce besoin de coordination, de discipline

    dorigine divine et si nous ne lui procurons pas le climat spirituel,dans lequel il pourra librement exercer et essayer lorganisation duchaos, que tout tre venant au monde porte en lui, il sera un crateur manqu, cest-- dire un destructeur.

    Individualit, activit, exercice de lesprit crateur sont intimement lis. Si lactivit se produit sans le'concours librement consenti de lindividualit consciente, on ne doit plus parler dactivitmais de mcanisme. Tous ceux qui ont eu loccasion dobserver dansles usines les malheureux qui travaillent la chane, ont pu constater quil existe une activit morte, o ltre pensant sest vanoui.Cette activit morte est une des plaies de la socit actuelle. Bien

    que dans nos coles, mme dans les coles traditionnelles, leslves ne travaillent pas la chane, on y dcouvre encore tropsouvent une activit mcanique qui ne correspond pas au centre

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    dactivit, do manent les forces cratrices. J e crois que par larecherche subtile de lquilibre entre lactivit du professeur, cest-- dire l enseignement et celle des lves, on pourrait rduire cemcanisme.

    Dans ce domaine, les confidences spontanes des lves sontparfois trs instructives. Rcemment nous avons pu faire dans notrelyce une exprience assez curieuse. Les lves devaient prparerune petite pice de thtre pour la fte annuelle de lcole. L a rgis-seuse avait eu la bonne ide de les faire jouer selon les rgles dela Commedia dell Arte, cest-- dire une partie des rles tait criteet le reste devait tre invent par les jeunes actrices. On leur avaitexpliqu comment crer une certaine situation, comment provoquerdans un cadre donn la raction de leurs compagnes et improviserun petit dialogue. La rgisseuse avait pens noter les meilleuresimprovisations, mais les actrices ne lui en ont pas laiss la possibilit, ni le temps, parce qu chaque rptition dautres improvisations jaillissaient spontanment de leur fantaisie. Quelques joursavant la reprsentation dfinitive, une des petites actrices, qui enclasse reprsente plutt un lment mort, vint lui dire avec unsoupir de satisfaction profonde : Mademoiselle, vous savez cequi ma tellement plu dans la prparation de notre pice, cest quenous avons pu jouer selon notre fantaisie, ce ntail plus du thtre,ctait la vie , et aprs quelques moments de silence, elle ajouta et puis, nous tions une vritable classe, nous tions si bienensemble. Dans cette confidence si spontane et si chaleureuse,il y a trois mots qui frappent : La fantaisie; ctait la vie; noustions si bien ensemble. V oil trois lments auxquels la jeunesseaspire, des lments qui devraient trouver une place beaucoup pluslarge dans notre enseignement. Sans le savoir, cette petite a exprim sa faon une pense analogue celle que nous pouvons lire dansle testament spirituel d'Antoine de Saiqt- Exupry : La maladiedu monde nest point dabsence de talents particuliers, mais del interdiction qui lui est faite de sappuyer, sans paratre pompire,sur les grands mythes rafrachissants. L enfant comme l humanittoute entire aspire retourner la source vivifiante de la fantaisie.Nous pensons trop lexercice de lintelligence, au technicien ettrop peu lartiste, contre le travail unilatralement intellectuel,quon peut constater dans les coles. Ce nest pas un phnomne

    qui se restreint aux pays qui ont souffert de la guerre. L on pourraitattribuer le manque de concentration, cette lassitude un peu ennuye, la sous- alimentation, une carence de vitamines, maisdans un pays comme la Suisse, o les enfants nont pas t nervspar les bombardements, o lon na pas souffert de la faim, onentend les mmes plaintes. 11 y a pour ainsi dire un hiatus entrelenseignement que nous voulons donner nos lves et leur tatdme. Cet tat dme ne provient pas seulement de conditionsphysiques, mais trouve sa source dans une condition historique. Letechnicien a limin le pote. Comme le dit encore si bien Saint-Exupry : L homme chtr de tout son pouvoir crateur et qui

    ne sait mme plus, du fond de son village, crer une danse ni unechanson. L homme que lon alimente en culture de confection, enculture standard, comme on alimente les boeufs en foin.

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    Nous ne nous trouvons pas seulement la veille dun changement radical de la structure sociale, mais nous nous trouvons galement un tournant dcisif de lvolution spirituelle de lhomme.Le renouvellement de la structure sociale demande des individusconscients qui veuillent et sachent se subordonner aux besoins dune

    communaut vivante. De toutes parts nous sentons la menace dunecollectivit morte o lindividu disparat asphyxi dans une massed'esclaves. Si nous voulons dtourner cette menace, nous ne devonspas prparer la bombe atomique, mais nous devons opposer uneforce spirituelle la force dune technique diabolique. Nous devonsencourager les faibles commencements, qui annoncent une re nouvelle o lindividu et la communaut tcheront de raliser une synthse fconde. L volution spirituelle de l'homme demande quonfasse une place beaucoup plus large l'imagination, laction personnelle, laction cratrice. Ainsi nous pourrons conjurer les dangers qui naissent de l'volution dune technique vide de toute

    valeur spirituelle, ainsi nous pourrons retrouver toute notre substance humaine.

    De quelle faon pourrions- nous prparer dans nos coles cetype dhomme post- moderne ? Nous devons renoncer en partie lenseignement exclusivement simultan, rpondre davantage auxexigences individuelles des lves et favoriser le travail en quipe.Il va sans dire que les coles nouvelles offrent ce point d vue descirconstances plus favorables, plus aptes la ralisation de tellesexigences. Mais mme dans les coles traditionnelles, on pourraitsubvenir ces tendances. Souvent ce sont les lves eux- mmes qui.nous indiquent la voie suivre. L anne passe jeus loccasion

    dinterviewer quelques anciennes lves. J e leur avais demandentre autres : Quel est le meilleur souvenir que vous gardez devos annes de lyce ? On ma rpondu : Le service de ravitaillement pendant la dernire anne de la guerre, pendant lhiver dela famine, parce que nous avons pu servir au profit de tous . Ilfaut savoir que pour tenir tte la famine on avait install unecuisine dans la cave du lyce. Les jeunes filles des classes suprieures organisaient tour de rle le ravitaillement et la distributiondes repas. L lment social comptait parmi leurs meilleurs souvenirs.Le travail fait en quipe au profit du bien public avait t leurtravail prfr. Une de ces jeunes interpelles ma interpelle montour et ma demand : Pourquoi ne transposez- vous pas cettemthode de travail en classe ? Pourquoi ne faites- vous pas, parexemple, prparer un chant dHomre en confiant des groupesde trois ou quatre lves un certain nombre de vers, de sorte quela version de ce chant soit le travail de nous tous ? Pourquoi nenous faites- vous pas parler davantage en classe sur des sujets quinous intressent ? Nous avons un tel besoin dachever un seul sujetau lieu de nous disperser sur des sujets multiples. Je crois quemme dans le cadre de nos coles dites traditionnelles, nous pourrions rpondre cet appel et que certaines matires, par exemplelhistoire et la gographie, se prteraient cette mthode, qui seraiten mme temps individuelle et collective. Dans 1enseignement

    strictement simultan les lves restent trop isols, bien qu ils soienttoujours ensemble. Cet isolement cre une rivalit qui nuit Iindi

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    vidu et au tout. L a rivalit augmente, stimule l agressit au Heu dela dtourner vers un but essentiellement crateur.

    Nous devons donc tcher de transformer l eftiseignement dansle sens individuel et dans le sens collectif. L enfant doit avoir l occasion dapprendre se connatre et connatre les autres. Si letravail vient trop du dehors et trop peu du dedans, l enfant nepourra pas exercer toutes les facults qui demandent fructifier.Il faudrait donc une certaine libert dans le choix individuel dutravail et dans la formation des quipes. Pourtant lducation neserait pas complte si nous nous arrtions sur ce plan individuel etsur ce plan dquipes librement constitues. A u moment o unervolution tche de se raliser, on a la tendance abjurer tout cequi est fait avant elle. A lenseignement individuel a succd lenseignement simultan, prsent on risque de renoncer trop radicalement ce dernier pour concentrer tout sur la valeur du travail individuel ou sur le travail dans un petit groupe, n dune prdilection

    instinctive et naturelle. Pour devenir un citoyen parfait, il fautsavoir obir aussi un moment o linclination personnelle nouspousserait faire tout autre chose. Si la structure sociale demande prsent une synthse du Moyen- ge et de la Renaissance, cest--dire une synthse entre l esprit de communaut et les valeurs individuelle^ enseignement demande une synthse des deux courantscontraires: dun ct nous trouvons lindividu, lquipe qui pourainsi dire nest quune individualit agrandie, mais agrandie selonun certain principe de libert et de lautre ct nous trouvons laclasse, le groupe impos, un tout plus ou moins artificiel, factice.

    J e crois que ce dernier lment est indispensable pour apprendre

    lindividu se soumettre un moment donn une disciplineimpose du dehors. 11 faut que l enfant sente la ncessit de fairetaire ses propres dsirs, afin dobir une autorit suprme, maisce nest pas un effort quon peut demander de 8 h. 30 du matin

    jusqu 4 heures du soir. Les deux courants, les deux coles, lanouvelle et l ancienne doivent se pntrer mutuellement et nousdevrions organiser nos coles de telle faon que les trois valeurs :individualit, esprit de corps, et abngation, la promptitude servir,concourent la formation du futur citoyen. L enfant doit apprendre servir une communaut qui ne comprend pas seulement ses amis,mais une communaut qui reprsente le prototype de la socit o

    il sera appel plus tard servir des milliers d'individus qui resteront jamais des inconnus.

    Dans tous les pays, on peut entendre aujourdhui la plainte quela jeunesse est dune telle pret, qu elle ne sait plus respecter lesplus simples valeurs spirituelles. Dans nos universits surpeuples,il y a une chasse au diplme, la carrire qui fait oublier le respectquon doit la science. Je ne crois pas que cet tat de choses provienne uniquement de ce que la vie est infiniment plus difficile etplus complique quautrefois, mais que cela tient dun ct lhypertrophie du moi, laccentuation maladive de la propre personnalit et de lautre ct la dpersonnalisation, la dshumanisa

    tion qui abaisse lhomme jusquau niveau de la bte et de la machine. Pour tre un bon citoyen, il faut savoir saffirmer et en mmetemps savoir se sacrifier. Les tout jeunes parmi les rsistants, qui

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    sont morts assez tt pour ne pas avoir vu la profanation du paradisde leurs rves, ont eu le pressentiment de lhomme nouveau. Dansle journal de lun deux, on peut lire la mditation suivante : dece chaos sortira lhomme postmoderne, possdant trois simples valeurs, humilit, promptitude au sacrifice et un amour illimit de la

    vie . L humilit va toujours de pair avec la vritable personnalit;la promptitude au sacrifice est synonyme de sens social, de senscivique et cet amour illimit de la vie que le jeune pote a prouvau moment de recevoir la mort, nest pas cette frnsie de vivre quibrle les tapes afin dassouvir linstinct vital, mais cest l'expression du sens sacr de la vie. L 'amour perd ses limites ds qu'ontouche la source mystrieuse do jaillit toute vie et alors seulement on est capable de donner toute sa personnalit l'anonymatde la socit humaine qui dpasse celle de la socit nationale, alorsseulement on peut tre vraiment homme, citoyen du. monde.

    Dans son livre Ends and Means , A ldous Huxley a dmon

    tr que lesprit scientifique ne reprsente quune facette de lEspritmultiforme qui anime le monde. Nous avons surestim l intelligence,la technique; nous avons fait de lhomme un hydrocphale en quiles facults destines prendre cofttact avec lEsprit universel sesont atrophies. Nous devons les ranimer pour conjurer la barbarieintellectuelle. Mais ce nest pas en msestimant lintelligence, enmsestimant la discipline de la pense, lessor de la technique quenous pourrons mettre fin cette barbarie, mais en rtablissantlquilibre entre la main, le cur et la tte. Nous devons enseignermoins et donner une part beaucoup plus large l'exercice desfacults qui sont indispensables dans une civilisation digne de ce

    nom. Malgr toutes les apparences, l'humanit aspire tre rintgredans lEsprit universel. 11y a une tendance synthtiser les spcialisations scientifiques, quune analyse trop pousse a cres. Dans lavie des peuples, le mme phnomne se fait jour. Malgr tous leschecs, malgr toutes les dfaites, les peuples tendent se retrouverdans un gouvernement mondial. Tous ces aspects, tous ces ttonnements doivent trouver leur rpercussion dans lcole o lon prparele futur citoyen, lhomme post- moderne. Cette prparation demandequon nourrisse mesure gale le technicien et le pote, 1artisan etle penseur, la personnalit et lesprit de communaut.

    La dsagrgation actuelle est le signe dun monde en fermen

    tation. Qui dit fermentation, dit : vie, cration, rsurrection. Nousavons tout lieu dtre des pessimistes optimistes. Mme en admettant la ruine prochaine de notre vieille Europe, il faut se dire qu'onpeut prir de deux faons. On peut prir en prissant totalement,cest- - dire sans laisser de traces comme l ancienne Lacdmone -eton peut prir comme la Grce en laissant en hritage des germes,do un monde nouveau ressuscitera. Le fait que nous sommes iciensemble chercher des voies nouvelles pour lducation del homme post- moderne, prouve dj que ces germes ne sont pasillusoires. Nous sommes conscients quil ne sagit plus de la jeunessede notre propre patrie, mais de celle du monde entier. A lheure

    quil est, - nous sommes en train de raliser dans une mesure infiniment petite, cette aspiration vers luniversalit. Au Moyen- ge, nous

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    pouvons reconnatre le mme rve. 11 est impossible de retourneren arrire, de vouloir introduire dans notre monde actuel les structures sociales, philosophiques, scientifiques et religieuses du pass.Mais nous pouvons encore souscrire la pense de Dante Alighieri,qui pour la premire fois exprima pour lOccident la ncessit de

    la civil isation humaine. Dans son Convivio , il dit : La basela plus profonde de la monarchie mondiale se trouve en vrit dans '*la ncessit de la civilt humaine, qui est ordonne une seulefin, cest- - dire une vie heureuse . Par civilt il entendait laqualit de citoyen, ce qui tait identique sociabilit, courtoisie,bont. L a civilisation qui mne une vie heureuse, pourra seulement se raliser, si nous tchons de prparer dans nos coleslhomme nouveau, un tre qui est appel remplir la plus hautemission que l'histoire ait jamais propose l humanit, cest-- direla mission de raliser la synthse entre la main, le cur et lesprit,la synthse entre laffirmation du moi et le sacrifice du moi, entre

    lindividu et la communaut", entre la nation et les nations, entre levieux et le nouveau monde. Nous assistons aux faibles commencements de cette re nouvelle. L Europe recommence encore une foissa recherche de la vrit et du bonheur et, dans cet effort, il y avraiment une beaut douloureuse. Si j ai dit tout lheure que nousavons tout lieu dtre des pessimistes optimistes, ctait pour direque nous ne devons pas nous dissimuler les horreurs qui accompagnent les mtamorphoses du monde, mais nous ne devons nonplus fermer les yeux sur la beaut fascinante qui perce traversces horreurs. L humanit cherche de nouveau sa route vers desdestins inconnus. J e crois que l'accs cette route nous sera pleine

    ment consenti, si nous autres, nous les adultes, sommes prts tenterune synthse suprme entre le ralisme et lidalisme, entre la discipline et la libert. Alors seulement nous pourrons contribuer autriomphe final des nouvelles ides, au triomphe des forces moraleset spirituelles qui dirigent et qui commandent la vie.

    Maria H. J. FERM1N.

    Bonheur et Mort

    Distinction entre plaisir et bonheurpar R. FOUERE

    On ne peut pas envisager la mort, sen proccuper, lorsquonest parfaitement heureux. Si, en effet, on sen proccupait, uneangoisse surgirait au cur mme de notre bonheur et en ruineraitinstantanment la perfection. 11 faut naturellement excepter les caso la mort est attendue comme une extase, mais ces cas contredisent lhypothse dun bonheur parfait actuel. Une extase prsente

    et suprme ne saurait inclure lattente dune extase venir. Cetteattente mme attesterait limperfection de lextase prsente. Quelquechose manquerait encore la plnitude de notre bonheur.

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    Redouterait- on la mort parce que, se trouvant heureux, onvoudrait que ce bonheur neut pas de terme, que chaque jour rament indfiniment le mme cortge de joies parfaites ? Nous pensonsque ce nest pas possible et que, dans lhypothse dun bonheurparfait, le dsir de continuer pour continuer, et non pas en vue de

    raliser une fin, est inconcevable.Le dsir de voir se perptuer un bonheur prsent implique,

    en effet, que ce bonheur nest pas complet en soi, dans linstant. Il abesoin de quelque chose qui est au del de lui- mme et qui Testeenvelopp dans les ombres du futur. En dfinitive, un tel bonheurest attente dun bonheur plus vaste qui apparat lui- mme commeune accumulation de bonheurs lmentaires et qui grandit aveccette accumulation, cest-- dire avec le sentiment de sa propre dure.Ainsi le bonheur prsent apparat comme quelque chose quoi doittoujours sajouter quelque chose dautre, cest-- dire quil nest aucun moment complet. 11 nest que lamorce dune totalisation tou

    jours inacheve, dont la mort marque la limite et larrt. Cette mortnest pas ici franchement dvisage, distinctement voque, maiscest elle qui, dissimule dans les coulisses de linconscient, inspirele dsir de voir se prolonger le bonheur prsent.

    Le fait mme que le bonheur prsent a le dsir de durer,prouve quil se sent menac par la dure. Un tre qui ne se sauraitpas mortel, demanderait- il que son bonheur, suppos dpendant delui seul et parfait, se poursuive ? Evidemment non, puisquil ignorerait quil peut sarrter. La proccupation de savoir si quelquechose va durer est le fait dun tre qui sait que les choses peuventavoir une fin. Si donc nous dsirons que notre bonheur dure, cest

    parce que nous avons sourdement conscience quil est menac parle devenir du monde et limit par la mort. U n tel bonheur, qui connat, au moins obscurment, sa dpendance lgard du temps, nesaurait tre parfait. Il inclut en lui- mme une angoisse subtile, laconscience attnue mais persistante dun pril. C est un bonheurinsidieusement inquiet et, par l, incomplet.

    On voit, en consquence, quun bonheur qui aspire se poursuivre nest pas plein, ni authentique. Pour se sentir complet aujourdhui, il a besoin dtre sr dexister demain, et, comme il ne peut

    jamais obtenir cette assurance de faon absolue, inconditionnelle, ilreste indfiniment incomplet.

    Il sen suit quun bonheur parfait ne peut tre quun bonheurhors du temps. C est ce caractre qui dfinit le bonheur vritable;quand il est prsent, le temps sarrte, ainsi que la bien dit Krishna-murti. J e veux dire ; la conscience du temps sarrte, car ni l univers,ni le sujet auquel advient ce bonheur ne se trouvent pour autantfigs.

    Quant au bonheur qui a besoin de toujours se survivre, qui veuttre assur de se ressaisir demain, il nest pas vraiment bonheur,mais satisfaction ou plaisir. Ainsi donc, lessence du plaisir et de lasatisfaction, cest quils impliquent le sens du temps, la proccupation du temps.

    Ds lors, nous voyons clairement ce qui spare du bonheur lasatisfaction et le plaisir. Il nest de bonheur quternel et ce nestpas l une affirmation mystique. Cest la conclusion, purement

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    rationnelle qui simpose, quand on analyse, de la manire la plusprofane, les conditions psychologiques dun bonheur total.

    On notera que la distinction entre le plaisir et le bonheur nestpas de celles qui peuvent faire lobjet dune description concrte,

    littraire. Cest pourquoi cette distinction nest pas, en gnral, nettement apprhende. On essaie souvent de distinguer par des caractres purement qualitatifs, descriptifs, par des nuances affectives,ces deux notions dont lune appartient lordre de la temporalit,tandis que lautre lexclut. Marsal, cit par Lalande, a vu que lanotion de dure nest pas essentielle au bonheur (on parle, dit- il,dun bonheur bref), mais il aurait d voir bien plus encore, savoirque la disjonction lgard de la dure est le caractre mme, lecaractre essentiel du bonheur. En ce qui concerne Kant, il a cherch exprimer, paradoxalement, lindpendance du bonheur lgardde la dure en le faisant durer toujours. Cest le mme genre derreurqui a conduit dautres penseurs faire de l'ternit une dure infiniment prolonge, ce qui implique une mconnaissance complte descaractres psychologiques respectifs de la dure et de lternit.L observation, si simple en apparence, de Krishnamurti, surclassedemble toutes ces tentatives de dfinition qui nen sont que lepressentiment.

    R. FOUERE.

    L uvre des jours(,)

    Insatisfaits du monde et des plaisirs caducs.Ne trouvant nulle part la nature idale,Par del les flches dores des cathdrales,Nous rigeons, depuis vingt sicles, un aqueduc.

    Chaque pense d'amour y scelle un nouveau bloc.Chaque abngation y construit une arche.La solidarit acclre la marche

    De luvre des humains, tel le ciment du roc.

    L ouvre sbauche enfin; elle devient relle.Dsormais, laqueduc progresse avec des ailes,Et lquipe se loue du travail assum.

    Rien ne subsiste, autour, des temples consums.La parole difie ses monuments de sableEn prtendant btir des tours imprissables.

    (I ) Extrait de La Rcration Divine , de Jean Merlin.

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    L amour universel(l)

    Ni les illets sertis de larmes demeraude,Ni la cascade claire o lalouette boit,Ni les pleurs des enfants, ni les joyaux des rois,Ni les midis flambant dans la pinde chaude.

    Ne valent la splendeur et la riche lumireQue donne tous les curs mon seul rayonnement.Ma victoire, demain, sera l'avnementDu soleil ranimant tout objet de misre.

    Les toiles craintives, vanouies dans laube,Mouilleront de rose le tissu de ma robeMouvant et floconneux, comme un nuage blanc.

    Par les chemins humides o la rose splore,Le ciel embrasera mon glaive flamboyant.Menaant le znith, dans la tardive aurore.

    J ean MERL IN

    Pome

    Sources des sommets clairs, moraines, infinitudes...Pics de marbre, torrents, cols o fraye lizard.

    I Bnis soient tes gouffres, hants de solitude,O L UN se dvoila, O pic de lEtendard F

    Dans la rose ferie de laube vanescente,

    i Surgie des profondeurs dun silence total;j Terrible en ton ardeur, ta force incandescente,

    O V IE tu mintgras au glacier virginal.;

    Face toi, pur gardien de lpre libert,Tout, mon tre vibra dans le jour triomphant.Montant vers le Soleil, en un grand cri jet,Offrande consacre aux jeux du Dieu Vivant !

    CHASCA.

    (1) Extrait de La Rcration Divine , de Jean Merlin.

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    SECTION THEOLOGIQUEDirecteur : Dr D. Quatannens

    La Thologie occidentalepar le Docteur D. QUA T ANN ENS

    (suite)

    I II . L A RE L IGION DE M IT HRA

    La religion de Mithra a t le moyen par lequel lOrient, etsurtout lIran, ont contribu la formation de ce courant idologique

    norme, connu depuis vingt sicles sous le nom de Christianisme .Son enseignement et son rituel sont assez suggestifs. Ils nous

    montrent le culte dun Dieu qui est la fois lEpoux et le Fils d unemre Vierge et Immacule, une adoration des bergers dans unegrotte, un mdiateur, des sacrements; un baptme, une confirmation,une communion o le pain, le vin et leau constituent lobjet essentielde la messe mithriaciste et destin procurer liniti le salut parla Vie divine et ternelle.

    Voici ce que dit le grand explorateur en matire mithriaciste,M. Cumont, dans son livre T extes et Monuments, tome II,page 304, propos de la naissance de Mithra, sortant dune pierre ;

    L a lgende rapportait, crit- il, que la Pierre gnratrice, donton adorait dans les temples une image, lui avait donn le jour surles bords d'un fleuve, lombre dun arbre sacr, et seuls les pasteurs,cachs dans la montagne voisine, avaient' observ le miracle de savenue au monde. Ils lavaient vu se dgager de la masse rocheuse,la tte coiffe dun bonnet phrygien.... Alors, adorant lenfant divin,les bergers taient venus lui offrir les prmices de leurs rcoltes...

    On le voit bien ici, nous ne sommes pas trs loin de Bethlem.Pourtant on sait que la religion mithriaque a ses linaments traversla religion de Zoroastre, dans lInde ds lpoque chalcolithique,cest- - dire vers 2.600 ans avant Jsus- Christ.

    Deux significations peuvent tre donnes ce symbole :1 Nous basant sur un mot indo- iranien acman , qui est un

    des termes dsignant le firmament et signifie plus proprement ; ledur qui aiguisera . On peut par consquent, vu cette double signification, lemployer pour dsigner le firmament et la pierre. Selon cetteinterprtation, Mithra serait un fils du firmament, fils du ciel. Interprtation dailleurs lgitime, vu que Mithra est tout de mme le Dieu-Soleil, reprsent par un jeune homme sortant d'une pierre;

    2 L autre interprtation le fait natre de la pierre gnratrice,la Terre- Mre, le sein de la Grande Mre do vient toute crature.Ainsi Mithra devient le fils de la Vierge, mais aussi lpoux, vu que

    cest par sa propre activit quil nat et pas par l'intervention duntroisime principe, comme cest le cas dans le Christianisme. Commele Christ l'est en essence, on voit dj ici Mithra, tant aussi le prin

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    cipe masculin ou positif de la ralit, une, indivise et indivisible,quil nest que pour autant qu'il est relation au principe ngatif. Act du symbolisme de la pierre, nous avons l'immolation du T aureau par Mithra, qui met ici laccent sur sa fonction cosmique, cra

    teur, rnovateur et destructeur qui nous fait penser iva des Indes.Un symbolisme qui nous rapproche dj plus du Christianisme, cestla clbration avec du pain, du vin (boisson dimmortalit, dnommh nosh , qui lui- mme vient de an- aosha , qui veut dire immortel)et de leau.

    Les pains taient marqus du grand signe cosmique et divin la croix . La conscration du pain ne pouvait pas se faire sanscelle du vin, dont F. CUMONT ( 1) dit quil ne donnait pas seulement la vigueur du corps et la prosprit matrielle, mais la sagessede lesprit; il communiquait au nophyte la force de combattre lesesprits malfaisants; bien plus, il lui confrait, comme son dieu, une

    immortalit glorieuse.Ceci ne doit daucune manire nous tonner, puisque vers 3.000avant le Christ, nous trouvons dj le gesh- tin en Sumrie. Le ge h- tin tant le vin, boisson de vie ternelle et divine.

    Comme dailleurs dans la religion Mditerrane prhellenique,lassociation rituelle du pain et du- vin symbolise le couple ternel dela Desse- Mre, incarnation de la Terre- Mre et du Dieu souverain,principe imprissable de lnergtique universelle.

    Or, cest l, nous le savons, lessence essentielle du iva praryen, dieu du lingam, dieu de la dame, dieu du vin et du tambourin,comme le grand dieu asiano- gypto- crtois lui- mme (2).

    Ceci nous met en rapport direct avec la religion des Indes,laquelle comme on voit inspirera le Christianisme travers la hauteet svre religion de Mithra.

    On ny trouve pas seulement les Indes, mais aussi la survivancedu vieux mythe sumro- babylonien, isralite et prhellnique du dluge et de lhomme saint averti par Dieu, qui se sauve dans une archeavec sa famille et son btail.

    Comme disait dailleurs F. Cumont, Mithra est, pour parler lelangage philosophique du temps, le logos man de Dieu et participant sa toute puissance, qui, aprs avoir form le monde commedmiurge, continue veiller sur lui (3). Et en tant que principecrateur , il nous mne aussi la dlivrance et la rdemption, aprs

    quil a quitt la terre pour le ciel, o il veille sur ses fidles et d'o ilreviendra un jour pour juger ceux qui sont sortis victorieux de lenjeudu perptuel combat entre le mal ici- bas et qui ont acquis une puretparfaite (c.fr. plus tard les successeurs manichistes- nomanichistes-kathares, etc.)

    En ce qui concerne linitiation, on sait qu elle tait appele sacrement (sacramentum) et on sait aussi quil y avait sept sacrements, dans lesquels on retrouve dune faon indniable : l eucharistie; le baptme, la confirmation, lordination.

    (1) Op. ci t., pages 320-321.

    (2) Ch. AUTRAN : M ithra, Zoroastre, page 125.

    (3) Op. cit., page 307.

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    Il y avait sept ordinations, dont la septime tait la prtrise.Le grand- prtre se nommait Surveillant , ce qui veut dire en

    grec episcopos , do notre vque . L vque portait mitre etserpent en forme de crosse avec lanneau comme signes distinctifsde sa dignit.

    Il y avait beaucoup de degrs dans la liturgie. Depuis la simplemesse, qu on retrouve dans la messe catholique, jusquaux oprationshirophanthiques et sotriques, qui survivent encore aujourdhuidans les socits secrtes, tels que les ordres Franc- maonniques,

    Templiers et autres.En tout cas, le monde peut tre assur que la religion de Mithra

    vit encore, que ses secrets si admirables ne sont pas perdus.En union avec le rituel ternel et universel, le rituel de la tho

    logie Mithraste se prolonge au del des 6.000 5.000 ans avant leChrist dans le berceau de toute civilisation et religion quest lIndedravidienne jet lOrient lointain.

    Ses crmonies sotriques continuent, assimiles et transformesdans la religion occidentale, dont elle est la base.

    Les crmonies sotriques ont atteint avec dautres un degrde haute et pure perfection dans un rituel moderne de la plus hauteimportance.

    Vers 2.600 ans avant le Christ, le Mithrasme se rforme etprend, sous limpulsion et linfluence de facteurs conomiques et sociaux incomparables, une grande et nouvelle expansion vers la Mditerrane genne. Masqu quelques temps par les religions nationale*dAssyrie, de la Sumro- Babylonie, de lEgypte, de la Grce et delIran arsacide et zoroastrien, il disparat extrieurement de la surface.

    Mais renouvel et enrichi pendant une vingtaine de sicles lhistoireincomparable, il gagnera partir du premier sicle avant Jsus- Christ,une foule de nouveaux fidles et conquerra la plus grande partie del Occident, o ses monuments s^bsistent en grand nombre.

    Plus tard, il sunira avec le manichisme et le no- manichismedu Moyen- ge, tant'de la mme source, il formera le Christianismeexotrique, il sera le fondement de lordre des Templiers du Moyen-ge et dautres ordres semblables. Il influencera la vie spirituelle etintellectuelle du Moyen- ge, mais continuera jusqu nos jours sonuvre initiatique.

    (A suivre.)Dr. D. QUA T AN NEN S.

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    y"

    Surralisme et Spiritualitpar Henri MANGIN

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    Les surralistes se sont donns bien du mal en cherchant bouleverser les ides admises et aboutir la rsolution des con-ii tradictions, au sein dune surralit qui comprend et dpasse le conscient, lhomme et le monde, le naturel et le surnaturel (1).

    . Pour cela il faut leur tre reconnaissant dun trs grandnombre de leurs activits ils se sont appliqus raliser, en sabandonnant lautomatisme, la dicte pure et simple de linconscient (2) des oeuvres dart qui, heurtant la logique, font hurler lebourgeois, irritent le bon sens, provoquent une impression de stupeuret dirrationnel. Ils se sont adonns des expriences - trs proches

    des phnomnes tudis par les mtapsychistes - surtout lpoquedes sommeils, ont abord le problme des concidences, ont tudiles rves et fait exploser la lumire libre toute la nitescente phosphorescence, les translucides, sombres ou troubles splendeurs de lasubconscience. Ils ont aussi souhait la transformation sociale par ladestruction des conformismes, alors que le paranormal en soi,' aussibien que les donnes acquises par la science contemporaine dontils se sont dailleurs beaucoup inspirs (3) sont riches dune substance telle que la pense classique sen trouve profondment mue,que toutes les conceptions considres comme vrits fondamentales,mais non pas anciennes, sont ravages, remises en question, manifes

    tement incapables datteindre la prhension de lUnivers dans saralit intime ou ternelle, si je puis mieux dire.11 y a l une rvolution autrement grande et combien plus belle,

    combien plus fconde et riche de possible, que les agitations populaires si sincres ou lgitimes soient- elles.

    Maintes fois, suscites par des tyrannies et des gosmes, quelquefois aussi par des ambitions nullement dsintresses, elles sontgnralement justes dans leur essence mais, malheureusement, souvent nfastes dans certaines de leurs consquences parce que tropfrquemment exploites, leur tour, par dautres gosmes.

    Ainsi, elles aboutissent de nouvelles cristallisations, dautresconformismes, de telle sorte quil faut toujours, tant lespce humainemanque de sagesse, recommencer. A chaque fois, de la chair souffre,des sensibilits sont mises vif, des injustices sont commises. Et plusles jours coulent, plus ces crises deviennent pres, dures, douloureuses et en quelque sorte inhumaines.

    L humanit ne saurait- elle en faire lconomie ? 11 faudrait pourcela beaucoup de patience et agir dans le sens de la nature, ce quoiles hommes consentent le moins !... Puis il y a, en ces effervescencespriodiques, cycliques, quelque chose de cosmique qui dpasse F humain et doit tenir limprialisme et au dterminisme des groupes.

    (1) M aurice NADEAU : Histoire t Surralisme, page 258.(2) Idem, page 33.

    (3) Idem, page 29 et suivantes.

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    J ai essay dj de traiter superficiellement de cette question dans i nde mes ouvrages (1).

    J ajouterai ici quelques rflexions qui se relient certains aspects 'scientifiques. 11sagit l, en effet, d'un dterminisme purement statistique qui englobe les dterminismes particuliers, dans leur relativit,

    et les dpasse. Chaque individu est donc soumis son destin propre,lequel est dtermin par divers facteurs, dont nest pas limine laProvidence, sans exclure la soumission un dterminisme global, plusou moins complexe, constitu de trs diffrents enchanements, telsceux de la religion, de la classe sociale, de la nation, du peuple, dela race, du continent, et si lon veut aller plus loin encore, de lhumanit.

    De ce dterminisme rsulte une moyenne valable pour lensemble, moyenne laquelle chappent les cas particuliers. J e suisconvaincu que les spcialistes, astrologues (2) ou autres, qui voudrontbien s en donner la peine, feront aisment jouer l, avec toute sa

    valeur mathmatique, la loi des grands nombres.A u surplus, il est certain que dans le destin des hommes, pris

    individuellement aussi bien que collectivement, il y a, pour reprendreune phrase de C. G. J ung, beaucoup de choses qui agissent sansquon les comprenne (3).

    Pour en revenir aux surralistes, ce qui semble trange cestquaprs avoir ouvert les vannes toutes grandes au flot du rve (4)et avoir cru la primaut de l esprit sur la matire (5), ils se soientrallis aux doctrines matrialistes les plus orthodoxes, quils aientabouti, du moins thoriquement un matrialisme de rvolutiondans les choses mmes (6).

    T outefois : La pense quont les hommes deux- mmes est unechose, et ce quils font, autre chose (7) et il nest que de suivrel'volution des plus notoires dentre eux pour comprendre combien lesdiffrences de nature et de temprament devaient, en dfinitive, lesconduire par des chemins fort divers.

    Bien quil y ait, ainsi que le remarquait, il n'y a pas encore silongtemps, M. Andr Rousseaux : au dpart du surralisme, une rupture absolue avec tout conformisme, une volont de retrouver la ralit authentique au del et au dessus de la ralit prtendue, dont l armature pse sur la vie habitue (8), quelques- uns de ces insurgs absolus du rve et de lesprit, osons mme dire de

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    (1) In. La Main, portrait de l'homme, 2 partie, chapitre 2 : L ibre

    arbrtre et dterminisme .

    (2) A propos dastrologie et de considrations statistiques, je ne *saurais trop signaler lintrt qui se dgage dun travail tel

    que celui de L on LASSON : Ceux qui nous guident. Editeur

    Ren Debresse, P aris, 1946.(3) De la Nature des Rves. Revue Ciba , n 46, septembre 1945,

    page 1611. (Ble, Socit Ciba, ditrice.)

    (4) M aurice NADEAU, ouvrage cit, page 19.(5) Ibidem.

    (6) M aurice NA DEA U : Histoire du Surralisme, page 34.(7) Idem, pages 110 et 111.

    (8) In. Le L ittraire , n 24, 31 aot 1946 : Les Livres.

    s

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    lme ( 1), se sont infods des dogmatismes nouveaux, alors qued'autres, parmi les meilleurs, demeuraient trs indpendants. D aucuns se ont embourgeoiss, plusieurs se sont montrs des hros (2).

    J en connais qui, par les voies du surralisme, sont devenus defervents et sincres catholiques.

    T ous ces destins, curieux plus dun titre, dans ltranget deleurs processus, manifestent que lEsprit souffle toujours o il veut etquon ne saurait jamais devoir jurer ou prjuger de rien. Ne serait- cepoint, l encore, loccasion de quelques mditations philosophiquessur un relatif qui ne saurait manquer de rejoindre la relativit scientifique ?

    Henri MANG1N.

    C o m m u n a u t MES CHERS AM IS,

    V OICI NOS INT ENT IONS V OICI NOS BUTSV OICI NOS PROJ ET S V OICI NOS IDEA U X

    Nous voulons construire, nous les jeunes, un nouveau monde,une nouvelle socit, nous voulons raliser le rve dune vraie dmocratie, o chacun trouverait loccasion dexprimer sa vritable individualit.

    Que dambitions, nest- ce pas !Sans doute, songez- vous que nous ne sommes pas les premiers

    tenter pareille entreprise. Aussi, ne croyez pas que nous noussommes aventurs dans cette voie, uniquement pour crer quelquechose de nouveau.

    Non. L humanit souffre plus que jamais, en ce moment. Nousdevons aider les hommes mieux se comprendre les uns les autreset mieux se connatre, pour tablir un jour, sur la terre, une paixvritable, base non sur des conventions, non sur des traits, ipais surdes mes bienveillantes, une civilisation nouvelle, dont les lois, lesorganismes administratifs, policiers, gouvernementaux, seraient remplacs par les liens indestructibles dan cur et dune conscience.

    CHER AMI. CHERE AMIE,

    Ralises- tu vraiment, sincrement, le tragique de lpoque que

    nous vivons ?Sais- tu quil existe des millions dtres humains qui souffrent et

    qui nont plus de logis. Ignores- tu que la guerre que nous venons depasser a cot la vie plus de 75 millions dmes; 75 millions dhommes en cinq ans !

    Cela signifie que pendant cinq annes, un homme, mari, preou fils, une maman, une pouse ou une innocente petite fille, un vieil-

    (1) Ibidem.(2) Cf. F euillets d'Hypnos, de Ren CHARL. Gallimard, diteur,Paris, 1946.

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    f

    lard, priv de foutes dfenses, mourait inexorablement toutes les deuxsecondes.

    T oi qui es jeune, qui as toute la vie devant toi, rflchis profondment, intelligemment, et si franchement tu parviens sentir com

    bien, toi- mme, comme nous autres tous, pauvres hommes, pouvonssouffrir, simplement cause de notre gosme de notre orgueil, denotre ambition, de notre avidit surtout, alors, sans aucun doute,chercheras- tu faire quelque chose de vraiment bien pour tes frres.

    Nous te donnons, ici, dans notre communaut de jeunes, loccasion de dployer tes possibilits de dvouements et de sacrifices, etcela sans contraintes, sans obligations, mais par ta propre exprience.

    As- tu compris ? Que chaque conscience doit saffirmer, que tonrle social, en dfinitive, se concentre en toi, par la culture du beau,du bien, et du dsintressement, en ton cur; que la socit attend deta part la dcouverte de tes propres dfauts, de tes habitudes ou de

    tes prjugs qui, en vrit, te billonnent dangereusement.Connais- toi, toi- mme, et tu comprendras mieux autrui.Mais comment me comprendre ?En vivant, en groupe, parmi nous, ensemble, dans lpreuve

    commune, sous le choc ininterrompu de. nos gosmes et de nos petiteshabitudes bornes, nous augmenterons les chances de dtruire nosdfauts, nos prjugs, nos querelles.

    Connais- tu la vie en communaut? As- tu des frres et des surs?Si oui, tu sais aussi bien que nous que la petite vie de tous les

    jours nest pas facile, quand on la partage avec les siens, avec destres qui, pourtant, nous sont chers.

    Nest- ce pas, sans eux, la solitude te surprend, teffraie, maisdans la monotonie de ta vie actuelle, peut- tre, ne ralises- tu pas trsbien toute la porte de l amour rciproque qui te lie ta famille;tu ne cherches sans doute pas non plus le savoir parce que lexistence ne ty a pas encore contraint ?

    Eh bien cette existence de tous les jours est la plus riche et laplus passionnante qui soit. Nous te proposons de mditer longuementsur ceci :

    Si tu comprends cette remarque, si tu mesures profondment lesens de ces quelques lignes, ta jeunesse ne connatra plus de termes.Mais pour bien dcouvrir la signification de lexistence banale de tousles jours, ne fuis pas systmatiquement ces nombreux instants qui'te

    lassent, nvite pas ta famille et tes frres et surs, si tu en as,naspire pas non plus voir tout le monde pouser tes propres ides;la vie, sois sans crainte, ne te le permettra jamais, et nhsitera pas te dmontrer le contraire.

    Regarde ! Quelle magnifique dcouverte !La vie est un perptuel renouveau, un jaillissement dune fra

    cheur inoue ! La douceur dun sourire, la subtilit et la profondeurdun regard, le miracle de la graine qui devient plante, arbre, feuille,fruit, et graine...; le coucher de soleil qui change; les vagues blanchesqui stalent dlicieusement sur le sable fin depuis des milliers d annes; et le mystre, pur, sans formes, le mystre transparent de 1at

    tente, de chaque seconde; ces joies sont gratuites et je souhaite quetu les aies dj gotes.

    Ces richesses- l imprgnent constamment la vulgaire petite vie

    98

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    de chaque jour I T che de comprendre quil y a un bonheur inestimable dans chaque dcouverte, et il y a une dcouverte raliserdans chaque instant.

    Nest- ce pas une manire bien simple et bien merveilleuse detransmuer un vilain caractre, un air maussade et renfrogn en un

    lumineux rayon de soleil ? Autrement, tu souffrirais toute ta vie,et ton mauvais caractre (ah, ce caractre, que de complications parfois tragiques, mme, nengendre- t- il pas !) rendra intolrable taprsence auprs dautrui.

    T u deviendras, ainsi, le responsable du malheur lancinant etinexorable de plusieurs autres qui, ton contact, sexaspreront, saigriront mme, et pourraient former par la suite, leur tour, J emauvais ducateurs.

    T u agiras ainsi, comme un cancer, au sein dun organisme, oucomme une pieuvre monstrueuse au milieu de l'ocan...

    Rflchis bien ! La communaut toffre une exprience et te

    dmontrera, peut- tre, que trop souvent nous sommes autant de cancers, autant de pieuvres, qui gchons notre propre bonheur, ainsi quecelui des tres que nous chrissons cependant.

    Pourquoi donc vivre ainsi, dune faon aussi paradoxale ?Pourquoi persister dans son gosme, avide de satisfactions,

    avide de possder, de conserver, de suivre machinalement, sansjamais rflchir ?

    Est-ce parce quil est plus facile de faire tout ce que lon aenvie de faire ?

    Dans la vie en commun, il y a une dcouverte, ralise magnifiquement, dans ce brassage incessant de toutes les ides, de toutes

    les conceptions, de tous les caractres, pour briser plus facilement lacoquille dune noix, tu en presse dans ta main trois ou quatre ensemble.

    La coquille de ton gosme ne se brisera jamais, si tu vis endehors du monde, de la socit, des hommes...

    Qui a cr cette communaut ?Personne; cest- - dire tous. Cest toi, cest nous tous ensemble

    qui construirons cette nouvelle socit. Nous naccepterons dautreschefs que nous tous.

    Ensemble nous y laborerons nos lois, notre morale, nos idaux;ensemble nous soumettrons nos conceptions personnelles lpreuve

    de la vie commune; ensemble nous chercherons nous retrouvercomme de vritables frres, travers les brumes paisses de nosprjugs, de nos petites habitudes et de nos ides mesquines; ensemblenous arrondirons les angles de nos caractres, nous apprendrons reconnatre nos torts, couter les reproches dautrui.

    Ensemble nous dcouvrirons toute la vie, non pas de cette faonvulgaire qui consiste vouloir toucher tout, connatre, voyagerpartout.

    T out ceci, nous nous empressons de le souligner, la communautnaura pas linterdire, ni mme le condamner. Nous voulons simplement dire par l que la vie vraiment vcue ne rside jamais ct

    du besoin d accumuler, de possder, de conserver.Nous ne pouvons rpondre clairement o est la vie, mais en

    semble, si nous partons chacun avec lide que nous avons droit

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    penser et agir librement, nous dcouvrirons toute la porte de cetteide.

    Cest dans la recherche du beau, du bien et de lobjectivitprofonde et sincre, que rside le ct passionnant, palpitant de lexis

    tence, cest l que sveille la vritable jeunesse.Viens, nous tattendons avec joie pour construire ce nouveaumonde

    Tes objections ! Nous avons song tes objections. Sans doutetes activits journalires, tes tudes ou ton travail ne te permettront- ilspas de te consacrer suffisamment nos runions, nos ralisations.

    Cependant noublie pas que tu es entirement libre de venirparmi nous, sans toutefois rester li par un engagement quelconque.11 nexiste, chez nous, dautres rgles que celles de la conscience. Parconsquent, nous ne connaissons pas les serments et les accords, carni les serments, ni les accords napporteront de changements rels

    profonds notre conscience.Ensuite, le serment est une contrainte. Et nous ne voulons justement pas de contrainte. Si, malheureusement, il existe au fond deton cur la plus grande hypocrisie et labsence la plus compltedhonntet et de scrupule, sera- ce donc un serment qui tarrtera ?

    Quelles seront nos activits ?L ensemble de la communaut dcidera des activits futures.

    Cependant il est fort probable que nous nous mettrons tous daccordpour organiser un camp en t pendant les grandes vacances. Desrunions auraient alors lieu, tout le long de lanne, pour maintenirles contacts entre les membres.

    T on rle, parmi nous, peut agir puissamment. Une simple dci

    sion de ta part peut bouleverser, de fond en comble, les buts etprojets de toute la communaut.

    Ta prsence au camp viendra grossir les rangs des hommes debonne volont qui dsirent rellement se comprendre et progresser.

    Dis- toi que cette communaut est ta cration, aussi bien que lantre. Ayons confiance les uns dans les autres, et ainsi tu comprendras ce que signifie la vritable discipline, librement labore etaccepte.

    Connatre et aimer forment les deux plus grands rles de la vie.Cest en partageant le rsultat de ton travail avec ton voisin,

    cest en ctoyant des caractres et des conceptions diffrentes, que

    tu dcouvriras, travers l cran de tes ides personnelles, la grandepense fraternelle qui relie, envers et contre toutes les obstinationsde lignorance, la totalit des hommes.

    Cest en abandonnant, chaque jour, un peu de ton gosme quese rvleront, un peu plus clairement encore, les vritables joies dela vie; cest alors que tu dsireras sincrement te comprendre et aussicomprendre ton frre; peut- tre sauras- tu que lhomme est venu, ici-bas, pour connatre et pour aimer.

    Noublie pas ! T u viens ici en toute libert; nous ne dsironsnullement tennuyer, car cest sous lgide de la joie, de la libertque tu viens parmi nous.

    Nanmoins toute vie en commun entrane invitablement desaccrochages.

    Noublie pas ! Le caractre, un brouille- tout, un vilain coco,

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    quun peu de comprhension, de bienveillance et d objectivit suffit dsintgrer. Car la dsintgration atomique de la matire physiqueappelle, tout naturellement, la dsintgration de la matire psycholo

    gique : notre gosme.Le contact social de chaque jour tapprendra ouvrir ton cur,

    clairer ta pense, universaliser ton caractre.Rflchis bien tout ceci.Pour tous renseignements, tu peux tadresser Claude Bolle,

    32, avenue de Belle- Vue, Waterloo.

    101

    Mat r ia r ca tLa formule qui consisterait donner aux enfants le nom de

    famille de la mre, rsoudrait bien des problmes pineux. Plus de

    filles- mres , denfants naturels , de batards!Cest la mre qui aurait, lautorit sur la niche ce qui ne l em

    pcherait pas de prendre les conseils du pre de ses enfants. La scurit pour le foyer viendrait du fait que les allocations de lEtat reviendraient uniquemept la mre et, quelques exceptions prs, ceserait beaucoup mieux ainsi.

    Car il est certain que linstinct maternel est d'une essence plussre que celle du dvouement paternel.

    L autorit du mari tait en fait la glorification du plus fort; cestencore un hritage de lancien testament et nous devrions tre unpeu honteux de mettre tant de temps voluer vers des solutions un

    peu plus humaines.Et le mariage? Rien ne serait chang ce sujet; ceux qui ont

    la ferme intention de fonder un foyer, continueraient convoleren justes noces , mais pour les autres, la solution serait plus claire,donc plus propre.

    Au point de vue natalit, il y aurait progrs galement, carbeaucoup de femrhes pourraient ainsi devenir mres hpnorable-ment , mme si un accident passager ne retenait pas auprsdelle le pre de lenfant.

    Le danger de la libert conduisant aux excs et au dsordresocial? Laissez- moi rire! Il vaut beaucoup mieux adopter la libert

    en pleine lumire que dans lombre. 11 existe un seul scandale cestcelui de lattrait du fruit dfendu .

    Voyez les animaux; en connaissez- vous qui soient dver- gonds ?A part peut- tre le singe et encore pour lui ce nest souvent que paresprit dimitation, ce qui nest pas en notre honneur.

    Le rle du pre dans la procration est infiniment futigif; cestcelui du pollen qui se pose sur la fleur mais cest la fleur qui donnele fruit. La fcondation humaine artificielle est du reste dj lamode dans certains pays ce qui prouve que beaucoup de femmesdsirent souvent plus tre mres qupouses.

    Bien entendu tout ceci fera crier les moralistes, mais ceux- ci

    sont le plus souvent des tres striles ou mal informs des ralits dece monde et qui nont de ce fait pas voix au chapitre.

    Si lon veut une natalit normale et saine, il faut sortir des en-

  • 7/29/2019 SPIRITUALIT Etre Libre N 52-53 (Mars-Avril 1949)

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    bches de lhypocrisie, des rglements et des honteux contrats. Lanature se moque des lois humaines, mais quand on la contrarie, ellese venge.

    L Etat joue et devra jouer de plus en plus le rle de protecteurde 1enfance, ce qui rpartira plus quitablement les charges sociales

    entre tous et la femme, pour fonder un foyer heureux, ne sera plusabsolument contrainte de subir la loi du plus fort.

    A u stade de notre volution, il ny a pas dautre solution quecelle du matriarcat.

    P. BASIAUX- DEFRANCE.

    LES REVUES

    L a V ie Claire . Voici la plus utile et la plus excellenterevue franaise de rgnration physique et spirituelle. Sous la direction de son directeur- fondateur, H. Ch. Geffroy, la V ie Claire mne une campagne trs active pour une hygine alimentaire plussaine, pour la suppression des engrais chimiques, entranant la dgnrescence des aliments vgtaux et de ceux qui les consomment,pour un rgime vgtalien et fruitarien constituant la forme idalede l'alimentation humaine.

    Cette revue possde la collaboration active de docteurs et dcrivains minents. Elle constitue lorgane dexpression dun groupementdont la porte sociale et spirituelle est immense.

    Pour ceux qui, comme nous, insistons sur lquilibre des secteursphysiques et spirituels, cette revue est une source dinformationsindispensables.

    Des foyers de la V ie Claire se constituent dans la plupartdes grandes villes franaises. Nous souhaitons quun jour il sen cre Bruxelles et, dans cette hypothse, nous tenons assurer les dirigeants de la V ie Claire de notre entire collaboration..

    Rdaction : Htel des Socits Savantes, 28, rue Serpente,Paris