Spécificités des pancréatites aiguës chez l'enfant : l ... · entérologie pédiatrique, sur...

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Interview 2 Pancréascopie : Quelle est la gravité potentielle de la pancréatite aiguë chez l'enfant? Pr J. Sarles : La gravité de la pancréatite aiguë (PA) chez l'enfant est en général moindre que chez l'adulte. Dans une étude réalisée dans le cadre du groupe francophone de gastro- entérologie pédiatrique, sur 122 cas colligés de pancréatites aiguës de l'en- fant, on avait constaté que plus de 70 % de ces pancréatites avaient une évolution favorable, ne nécessitant pratiquement pas de thérapeutique. Un certain nombre de patients avaient certes des complications, mais les formes très graves telles qu’on peut les rencontrer chez l'adulte étaient exceptionnelles. Sur 30 % de PA com- pliquées, seulement 4 % ont présenté un choc ayant nécessité un transfert en réanimation, la majorité des autres complications étant des kystes ou pseudo-kystes vus au cours ou au décours de la PA (20 %) et des épanchements abdominaux ou pleuraux (13 %). Il est impor- tant de noter que par rapport à ce qui est vu et décrit chez l'adulte, nous n'avons relevé aucun abcès, donc aucune surinfection col- lectée du pancréas. Pancréascopie : Quelles sont les causes communes à l'adulte et à l'enfant et quelles sont les causes spécifiques de PA chez l'enfant ? Pr J. Sarles : Chez l'adulte, la majorité des PA sont d'origine biliaire (1/3) ou alcoolique (1/3), le tiers restant correspondant aux autres causes. Chez l'enfant, la PA d'origine alcoolique n'existe pas, la PA d'origine biliaire ne représentait dans notre série que 1 % des cas. Les causes les plus fréquentes de PA chez l'enfant sont : - les traumatismes (29 %) ; - les affections générales (10,5 %), avec des causes qui ne sont pas spécifiquement pédia- triques comme le lupus érythémateux dis- séminé (LED) et la maladie de Crohn et des causes plus spécifiques comme le purpura rhumatoïde et le syndrome de Kawasaki ; - les infections (9 %) en notant que la princi- pale cause de PA infectieuse de l'enfant reste les oreillons, cause qui était pratiquement absente de notre série puisque ces PA ne sont pas vues par les gastro-entérologues. Mais si l'on colligeait toutes les PA de l'en- fant, ce chapitre infectieux arriverait proba- blement en tête. En dehors des PA our- liennes, il s'agissait essentiellement d'infec- tions à mycoplasma et à coxsackies ; - les causes toxiques (7 %) avec les corticoïdes dont on ne sait pas s'ils sont la cause ou s'ils sont un co-facteur dans la PA avec la mala- die (dans la maladie de Crohn par exemple), la L-Asparaginase (pancréatites qui sont sou- vent vues par les hématologues, qui sont en général bénignes, essentiellement biolo- giques), le valproate de sodium, l'azathio- prine. Depuis peu, on voit apparaître des PA avec les anti-rétroviraux ; - la lithiase, nous l'avons dit, ne représente que 1% des cas ; - restent donc 28 % de causes idiopa- thiques. Cependant, cette série est une série rétros- pective avec des observations assez anciennes. Aujourd'hui, les performances diagnostiques étant meilleures, nous pourrions réaliser des enquêtes infectieuses plus poussées, notam- ment virales (cytomégalovirus, hépatite A, etc..). Nous avons tout lieu de penser que les pancréatites d'origine virale sont probable- ment la première cause de PA chez l'enfant. Pancréascopie : Dans le cadre de ces pancréatites aiguës dites idiopathiques, ne faut-il pas parler de génétique ? Pr J. Sarles : Le principe actuel est de consi- dérer qu'une première poussée de pancréa- tite aiguë d'évolution simple et sans cause évidente ne nécessite pas d'autres investiga- tions. Cependant, devant une pancréatite aiguë récidivante, il est justifié de faire une recherche de mutation du gène CFTR de la mucoviscidose et de mutation du gène du trypsinogène cationique. Il s'agit là d'une enquête de seconde inten- tion dans le cadre d'une PA récidivante et si l'on respecte la classification "Marseille-Rome", une PA est une maladie aiguë qui guérit quand la cause disparaît, les poussées de pancréa- tite chez les patients qui ont des mutations du gène CFTR par exemple ne sont plus d'au- thentiques PA et rentrent dans le cadre noso- logique des pancréatites chroniques. Pour en revenir à notre série, nous avons noté 13 % de récidive. Dans la littérature, il existe une autre série de PA de l'enfant faite par l'équipe de Toronto qui faisait mention de 20 % de récidive. Pour le clinicien,une PA qui récidive doit être considérée jusqu'à preuve du contraire comme une pancréatite chronique débutante dont il faut s’acharner à trouver la cause. Pancréascopie :A-t-on une idée de l'âge d'apparition de la pancréatite aiguë chez l'enfant ? Pr J. Sarles : Il est intéressant de noter deux pics dans notre étude portant, comme nous l'avons dit,sur 122 cas de PA de l'enfant : - un premier pic à l'âge de 5 ans, spécifique- ment pédiatrique où l'on trouve les causes propres à l'enfant (traumatismes abdomi- naux, maladies générales avec en tête le pur- pura rhumatoïde) ; - un deuxième pic à l'âge de 10 ans qui est un faux pic en pédiatrie et qui n'est probable- ment que le début de la courbe ascendante de l'âge adulte. Pancréascopie : Comment conduire le bilan causal des PA chez l'enfant ? Pr J. Sarles : Tous les enfant dont le dia- gnostic de PA est réalisé sur une augmentation de l'amylasémie et/ou de la lipasémie, ont soit une échographie, soit un scanner abdominal, qui va permettre d'éliminer une lithiase à laquelle, N ous avons demandé au Pr Jacques Sarles (Service de Pédiatrie, Hôpital La Timone, Marseille) d'aborder les spécificités de la pancréatite aiguë chez l'enfant. Spécificités des pancréatites aiguës chez l'enfant : l'évolution est le plus souvent bénigne

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Pancréascopie : Quelle est la gravitépotentielle de la pancréatite aiguë chezl'enfant?Pr J. Sarles : La gravité de la pancréatiteaiguë (PA) chez l'enfant est en général moindreque chez l'adulte.

Dans une étude réalisée dans le cadredu groupe francophone de gastro-entérologie pédiatrique, sur 122 cascolligés de pancréatites aiguës de l'en-fant, on avait constaté que plus de70 % de ces pancréatites avaient uneévolution favorable, ne nécessitantpratiquement pas de thérapeutique.

Un certain nombre de patients avaient certesdes complications,mais les formes très gravestelles qu’on peut les rencontrer chez l'adulteétaient exceptionnelles. Sur 30 % de PA com-pliquées, seulement 4 % ont présenté un chocayant nécessité un transfert en réanimation,la majorité des autres complications étant deskystes ou pseudo-kystes vus au cours ou audécours de la PA (20 %) et des épanchementsabdominaux ou pleuraux (13 %). Il est impor-tant de noter que par rapport à ce qui est vuet décrit chez l'adulte, nous n'avons relevéaucun abcès, donc aucune surinfection col-lectée du pancréas.

Pancréascopie : Quelles sont les causescommunes à l'adulte et à l'enfant etquelles sont les causes spécifiques dePA chez l'enfant ?Pr J.Sarles : Chez l'adulte, la majorité des PAsont d'origine biliaire (1/3) ou alcoolique (1/3),le tiers restant correspondant aux autrescauses.Chez l'enfant, la PA d'origine alcoolique n'existepas, la PA d'origine biliaire ne représentaitdans notre série que 1 % des cas.Les causes les plus fréquentes de PA chezl'enfant sont :- les traumatismes (29 %) ;- les affections générales (10,5 %), avec des

causes qui ne sont pas spécifiquement pédia-

triques comme le lupus érythémateux dis-séminé (LED) et la maladie de Crohn et descauses plus spécifiques comme le purpurarhumatoïde et le syndrome de Kawasaki ;

- les infections (9 %) en notant que la princi-pale cause de PA infectieuse de l'enfant resteles oreillons, cause qui était pratiquementabsente de notre série puisque ces PA nesont pas vues par les gastro-entérologues.Mais si l'on colligeait toutes les PA de l'en-fant, ce chapitre infectieux arriverait proba-blement en tête. En dehors des PA our-liennes, il s'agissait essentiellement d'infec-tions à mycoplasma et à coxsackies ;

- les causes toxiques (7 %) avec les corticoïdesdont on ne sait pas s'ils sont la cause ou s'ilssont un co-facteur dans la PA avec la mala-die (dans la maladie de Crohn par exemple),la L-Asparaginase (pancréatites qui sont sou-vent vues par les hématologues, qui sont engénéral bénignes, essentiellement biolo-giques), le valproate de sodium, l'azathio-prine.Depuis peu,on voit apparaître des PAavec les anti-rétroviraux ;

- la lithiase, nous l'avons dit, ne représenteque 1% des cas ;

- restent donc 28 % de causes idiopa-thiques.

Cependant, cette série est une série rétros-pective avec des observations assez anciennes.Aujourd'hui, les performances diagnostiquesétant meilleures, nous pourrions réaliser desenquêtes infectieuses plus poussées, notam-ment virales (cytomégalovirus, hépatite A,etc..).Nous avons tout lieu de penser que lespancréatites d'origine virale sont probable-ment la première cause de PA chez l'enfant.

Pancréascopie : Dans le cadre de cespancréatites aiguës dites idiopathiques,ne faut-il pas parler de génétique ?Pr J. Sarles : Le principe actuel est de consi-dérer qu'une première poussée de pancréa-tite aiguë d'évolution simple et sans causeévidente ne nécessite pas d'autres investiga-tions.

Cependant, devant une pancréatiteaiguë récidivante, il est justifié de faireune recherche de mutation du gèneCFTR de la mucoviscidose et demutation du gène du trypsinogènecationique.

Il s'agit là d'une enquête de seconde inten-tion dans le cadre d'une PA récidivante et sil'on respecte la classification "Marseille-Rome",une PA est une maladie aiguë qui guérit quandla cause disparaît, les poussées de pancréa-tite chez les patients qui ont des mutations dugène CFTR par exemple ne sont plus d'au-thentiques PA et rentrent dans le cadre noso-logique des pancréatites chroniques. Pour enrevenir à notre série, nous avons noté 13 %de récidive.Dans la littérature, il existe une autre série dePA de l'enfant faite par l'équipe de Toronto quifaisait mention de 20 % de récidive.

Pour le clinicien, une PA qui récidivedoit être considérée jusqu'à preuve ducontraire comme une pancréatitechronique débutante dont il fauts’acharner à trouver la cause.

Pancréascopie :A-t-on une idée de l'âged'apparition de la pancréatite aiguë chezl'enfant ? Pr J.Sarles : Il est intéressant de noter deuxpics dans notre étude portant, comme nousl'avons dit, sur 122 cas de PA de l'enfant :- un premier pic à l'âge de 5 ans, spécifique-

ment pédiatrique où l'on trouve les causespropres à l'enfant (traumatismes abdomi-naux,maladies générales avec en tête le pur-pura rhumatoïde) ;

- un deuxième pic à l'âge de 10 ans qui est unfaux pic en pédiatrie et qui n'est probable-ment que le début de la courbe ascendantede l'âge adulte.

Pancréascopie : Comment conduire lebilan causal des PA chez l'enfant ? Pr J. Sarles : Tous les enfant dont le dia-

gnostic de PA est réalisé sur une augmentationde l'amylasémie et/ou de la lipasémie,ont soitune échographie,soit un scanner abdominal,quiva permettre d'éliminer une lithiase à laquelle,

Nous avons demandé au Pr Jacques Sarles (Service dePédiatrie, Hôpital La Timone, Marseille) d'aborder les spécificités de la pancréatite aiguë chez l'enfant.

Spécificités des pancréatites aiguës chez l'enfant :l'évolution est le plus souvent bénigne

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même si elle est rare, il faut toujours penser.Ensuite, soit l'interrogatoire trouve une causeévidente de type traumatique dans les joursprécédents et l'on peut s'en tenir là, soit iln'y a pas de cause évidente en ayant éliminébien évidemment une cause toxique, et il faut

entreprendre un bilan infectieux détaillé :enquête virologique poussée sans oublier lescoxsackies, enquête bactériologique sansoublier les mycoplasma. Pour ce qui est desmaladies de système, le diagnostic est en géné-ral déjà connu au moment de la PA.Le diagnostic est effectivement simple à faire.Pour ce qui est du bilan des lésions, l'écho-graphie est contributive, mais l'examen cléreste le scanner. Le matériel d'échoendosco-pie n'est pas adapté à l'anatomie de l'enfant.L'IRM n'apporte rien de plus que le scanneren pratique courante.

Chez l’enfant, comme chez l’adulte,l’élimination d’une origine lithiasiquedevant une 1ère poussée de pancréa-tite aiguë doit être une obsession

Pancréascopie : Quelle est la prise encharge thérapeutique ?Pr J.Sarles : La prise en charge thérapeutiquene présente aucune particularité par rapportà celle de l'adulte si ce n'est que la relativebénignité de la plupart des PA de l'enfant etl'âge exigent, à mon avis, une attitude encoreplus conservatrice et une prise en chargepurement symptomatique.

Pour ce qui est de l'indication chirurgicalechez l'enfant, soit il existe une lithiase biliairedocumentée par l'imagerie que l'on ne peutpas enlever par la technique endoscopique(du fait de la taille de l'enfant) et il faut l'en-lever chirurgicalement, soit on se trouvedevant une forme gravissime avec nécrosemassive surinfectée qui nécessite une inter-vention du chirurgien avec nécrosectomielavage et drainage usuel.Une question difficile demeure, c'est celle del'antibiothérapie prophylactique,mais il semblebien qu'elle n'ait d'intérêt que dans les formestrès graves pour lesquelles on a documentéune infection, situation exceptionnelle enpédiatrie. Donc il ne faut certainement pasd'antibiothérapie probabiliste chez l'enfant.

Propos recueillis par le Dr A. Nayrac

POUR EN SAVOIR PLUS :

VEIZMAN Z et al. Journal of Pediatrics 1998 ; 113 : 24-9(Pour la meilleure série de PA chez l'enfant = série de Toronto).

QUELLE EST VOTRE ATTITUDE FACE À UN

ENFANT DE 5 ANS QUI ARRIVE AVEC UN DIA-GNOSTIC CLINIQUE DE PANCRÉATITE AIGUË ?

- hospitalisation classique,si possible dans un litde gastro-entérologie pédiatrique si le centreen dispose,au repos,au calme ;

- ne pas poser de sonde naso-gastrique,hormisvomissements incoercibles ;

- traitement par antalgiques, le plus souventdérivés morphiniques ;

- surveillance des courbes vitales ;- dosage amylasémie / lipasémie tous les 2 jours.

Si l'état de l'enfant s'aggrave :- transfert en unité de réanimation pédiatrique ;- traitement symptomatique : lutte contre lechoc,drainage des épanchements ;

- antibiothérapie uniquement en cas d'infectiondocumentée.

L’hémorragie digestive peut contribuer à la mor-talité de PC.Les mécanismes des hémorragies aucours de la PC sont soit :- spécifiques de l'affection pancréatique (ex :rup-ture d’un pseudo-anévrysme ou pseudokystehémorragique) ;

- la conséquence de l’hypertension portale enrapport avec une thrombose des veines splé-nique ou portale, elle-même secondaire à l’in-flammation ou à un phénomène compressif ;

- liée à des maladies associées à la PC (ulcère gas-trique ou duodénal, gastrite sévère, syndrome

de Mallory-Weiss, varices œsophagiennes enrapport avec une cirrhose).

L’hémorragie digestived’origine non pancréatique

Les affections non pancréatiques sont res-ponsables de la plupart des cas d’hémorra-gies digestives au cours des PC. La préva-lence des ulcères duodénaux dans une

cohorte de patients ayant une PC essentiel-lement d’origine éthylique est estimée de 14à 21,5 % (3, 4). Malgré la baisse de la sécré-tion bicarbonatée liée à l’insuffisance pan-créatique exocrine, la fréquence des ulcèresduodénaux ne semble pas augmentée chez lesmalades ayant une PC. La prévalence de l’in-fection par Helicobacter pylori est similairechez des patients avec une PC et dans lapopulation générale (5), mais la gastrite chro-nique active semble être plus prononcée en

Hémorragie digestive au cours des pancréatites chroniques

La prévalence de l’hémorragie digestive au cours des pancréatites chroniques (PC) n’est pasnégligeable avec un taux qui varie entre 10 à 23 % selon que les séries sont médicales ou chi-rurgicales (1, 2). L’ancienneté des séries et l’hétérogénéité des causes d’hémorragie rendent

difficile l’appréciation de la fréquence réelle. Néanmoins, cette complication peut avoir des consé-quences sévères en raison de l’abondance du saignement et des récidives fréquentes. Cette miseau point va tenter de préciser les mécanismes responsables et les options thérapeutiques deshémorragies digestives au cours de cette maladie.

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Gastro-enterologie pédiatrique (Médecine ScienceFlammarion). Ed J. Navarro et J. Smith : Pancréatitesaiguës et chroniques par Jacques Sarles. Pages 582-588.