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Sous-marinier,de moussaillon à frégaton

René Marin

22.79 638459

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 378 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 22.79 ----------------------------------------------------------------------------

Sous-marinier, de moussaillon à frégaton

René Marin

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Du même auteur : Chez TheBookEdition

Contes enfants de 8 à 12 ans

• La Fée des forêts et l’escargot perdu (mars 2014). • Voyage d’un Prince libellule (avril 2014). • La Princesse qui voulait la lune (mai 2014). • Mariage de la princesse des Fées (juin 2014)

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Chapitre 1 L’Ecole des Mousses

Septembre 1964, je m’engage dans la marine nationale. C’est dur de quitter le milieu familial à seize ans. Départ de la gare de Narbonne vers la gare d’Austerlitz où des amis à mes parents m’attendent pour m’accompagner ensuite à la gare Montparnasse direction Brest. Accueil chaleureux en gare de Brest où je suis conduit dans un des cars de la marine nationale qui m’amènera à l’école des mousses, le Groupe Armorique. Deux cent cinquante jeunes animés du plus pur idéal, sont attendus ce lundi matin 6 septembre1964 en vue de l’incorporation à l’école des mousses. Je ne sais encore à quoi m’attendre, à part que je vais apprendre à devenir marin durant dix mois.

A notre arrivée nous sommes rassemblés dans la cour d’honneur pour faire l’appel. Nous apprenons que nous sommes la première Compagnie. Tous les

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quatre mois, une nouvelle compagnie entre à l’école. Par rapport à la deuxième et la troisième nous sommes la bleusaille, gare au bizutage. Après le long discours de bienvenue du commandant de l’Ecole en présence de tout son Etat Major, nous sommes partagés en diverses escouades. J’apprends que je fais partie de la neuvième escouade. Puis réunis dans une grande salle, nos futurs formateurs nous confisquent notre argent de poche et certaines autres choses, une espèce de purification. Une heure de détente nous est accordée, j’en profite pour prendre une douche, elle est vraiment agréable, le voyage a été long et éprouvant. Je me lave la tête en sachant que bientôt j’aurai la boule à zéro. A nouveau rassemblés dans cette cour d’honneur, des officiers mariniers, demandent à chaque escouade de se mettre en carré car on ne se déplace pas comme l’on veut. Nous allons l’apprendre, toujours au pas, et en chantant.

Notre escouade est formée de trente cinq mousses, nous défilerons alignés par quatre sur neuf rangs, un de nous donnera la cadence un, deux, les ordres, garde à vous, en avant-marche, halte, demi tour droite, gauche, ou tout simplement à droite, à gauche, pour le quart de tour et repos.

– En avant marche, un, deux, un deux, tous au pas, le pied gauche sur le un, direction le casernement pour la remise de notre sac de marin, c’est-à-dire nos habits, tricots rayés, vareuses, pantalons, chaussures, guêtres, bonnets au pompon rouge, etc. Le sac en jute,

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avec sa poignée spéciale et un cadenas à combinaison pour le fermer, bien rempli sur l’épaule, nous regagnons notre bâtiment. Notre gradé nous amène à nos chambrées, disposées en carré de douze lits superposés deux par deux. Pour chacun un caisson respectif de deux mètres de haut sur un mètre de large, la moitié faisant penderie, qui devra accueillir tous nos vêtements.

– Messieurs regardez bien le pliage de ce sac modèle que vous devrez apprendre à réaliser. Je vous remets à chacun deux planches en contreplaqué, de vingt cinq centimètres de côté. Tous vos vêtements doivent être pliés à l’aide de ces deux planchettes de façon à pouvoir présenter tous vos habits pliés au carré. Regardez bien encore ce sac modèle, vos habits devront être présentés lors des inspections de sac, à n’importe quel moment, dans le même ordre que celui-ci. Les bonnets en haut, puis vareuses, pantalons, tricots rayés, chemisettes, chaussettes, chaussures, etc. Je vous laisse, dans deux heures votre sac doit être rangé dans le caisson. Plus tard vous recevrez une plaque de marquage avec votre matricule, pour identifier vos vêtements. Le matricule devra être centré et cette plaque toujours astiquée. Ensuite nous irons visiter les installations, salle de repassage, lavoir, séchoir, stade, stand de tir, place d’armes, infirmerie, foyer. Ici, plus de maman pour vous chouchouter, vous devrez aussi faire après l’appel de huit heures et les couleurs, le poste de

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propreté de 8h10 à 8h50, puis de 9h jusqu’à midi des cours. Ensuite repas et de nouveau cours de 14h à 17h. Etude obligatoire de 17h15 à 19h puis repas. Parfois vous aurez des temps libres, mettez les à profit pour laver votre linge, à l’aide de la brosse et du savon de Marseille qui vous a été fourni, utilisez le séchoir et pensez à le récupérer. Puis utilisez les salles de repassage en n’oubliant pas de plier votre linge au carré. Faites aussi du sport, le stade vous attend. Vous avez un foyer pour vous détendre, avec des boissons fraîches, un babyfoot, des flippers, mais ce ne sera pas le meilleur endroit pour apprendre votre métier.

Il est 21 heures, c’est le couvre feu. Allongé dans mon lit, je repense à cette longue journée. L’incroyable c’est que rapidement le mousse arrivait à être à l’aise dans le maniement du fer à repasser, le plus difficile était de ne pas “griller” le blanc du col bleu, et à l’aide d’un mouchoir mouillé de faire de beaux plis sur les pantalons. Pour l’instant, pas le choix, nous devons dormir. Nous verrons demain à quelle sauce nous allons être mangés, car ici ça ne rigole pas avec la discipline. J’ai vu un mousse faire des tours de stade avec un sac à dos bien rempli et les grosses chaussures aux pieds, un autre faire des pompes avec un fusil entre les mains le tout sur un sol caillouteux. J’en avais mal pour eux, qu’ont-ils fait ?

– Branle-bas, branle-bas, le réseau de diffusion par hauts parleurs nous annonce le réveil au son du clairon.

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Chaque moment important a sa sonnerie de clairon comme la cérémonie des couleurs, c’est-à-dire le hissage du pavillon au moment de l’appel, puis le soir pour le couvre feu. Parmi les mousses certains seront formés pour être clairons, coiffeurs, tambours pour la fanfare de l’école. Il est 6h15. Nous sommes invités dans cinq minutes à rallier la place d’armes en tenue de sport.

– Messieurs, en petite foulée, séance de décrassage de trente minutes, vous ferez votre toilette au retour puis irez déjeuner à sept heures. Ensuite n’oubliez pas de faire votre lit, rendez vous à huit heures pour l’appel.

Cette première séance de décrassage se passe sur le stade de l’école. Dans ce cadre nous allons nous épanouir, mais pas en toute liberté. Les séances sont à heures fixes, et le retard y est difficilement toléré. Mais ceux qui aiment l’effort vont être comblés au delà de toute espérance. Quand à ceux qui jugent ces séances insuffisantes pour leur plastique, ils peuvent avoir recours à des séances supplémentaires sans que le prix du forfait soit le moins du monde altéré. Après quelques mois les résultats des élèves sont spectaculaires, chronos à l’appui. Mais d’autres décrassages se feront en pleine nature, au pas cadencé, ou en petite foulée, dans des broussailles abondantes, des chemins marécageux, des plages aux rochers assiégés par la marée montante et les algues glissantes, tout ceci en short été comme hiver. Il nous faut

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devenir résistants, car plus tard aura lieu un challenge sportif où dix sept concurrents par équipe se mesurent dans des sauts, des sprints, des relais, des courses de fond, des montées à la corde, etc. J’apprendrai plus tard que toutes les unités de la marine participent à ce challenge annuel qui a lieu vers le mois de juin.

Nous avons des professeurs détachés de l’éducation nationale qui nous enseignent les matières de base, français, mathématiques, géographie, histoire et pour la formation de marin des officiers mariniers anciens. Le recrutement se fait dans la France entière. Pour postuler, il fallait posséder le BEPC ou au moins le niveau d’une classe de seconde. Les dossiers ont été examinés par une commission. Avant d’être reconnus aptes nous allons subir des examens médicaux, psychologiques et scolaires. En fonction de la moyenne obtenue nous changerons éventuellement d’escouade. Les meilleurs sont dans les premières escouades, les moins bons dans les dernières. Etant dans la 9è, j’étais conscient du travail à accomplir, plus question de bader. Si tout va bien nous contracterons un engagement de cinq ans dans la marine à compter de la sortie de l’école le premier juillet. La moitié du temps est consacrée à l’instruction militaire, maritime et sportive, complétée par des sorties en mer sur les bâtiments de la marine nationale, les goélettes Belle-Poule et Etoile, le voilier Mutin, l’autre moitié du temps est consacrée aux études. Cette première

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semaine est réservée à la visite médicale, aux tests d’entrée pour juger notre niveau scolaire, et nos aptitudes physiques. Nous passerons également par le coiffeur, coupe unique, cheveux très courts. Vendredi nous recevrons le fameux TABDT, un vaccin de cheval, qui parait-il nous mettra KO avec de la fièvre, des tremblements pour certains. C’est un cocktail contre paratyphoïde A et B, typhoïde, diphtérie, tétanos. Ce jour là nous n’aurons droit de boire que du lait chaud, pas de repas. Nous aurons tout le week end pour nous en remettre.

Le régime de croisière est pris, les semaines défilent, et aujourd’hui nous sortons en mer, divisés en deux groupes, sur les deux goélettes, La Belle Poule, l’autre étant l’Etoile. Un autre jour ce sera formation sur les canots, apprendre à godiller, à ramer, tout cela pour faire des courses entre escouades. Parfois nous ferons des sorties sur des remorqueurs pour apprendre à tenir la barre, un cap, utiliser des aussières, lancer des lance amarres, faire des nœuds. Ces sorties nous permettent aussi de faire connaissance avec l’océan. Il nous faudra apprendre les grades de la marine, les divers métiers appelés spécialités, car à la fin de nos études il faudra en choisir une en fonction du classement. Etant assez bon en sport, je souhaite choisir Fusilier marin pour devenir plus tard peut être commando marine. Nous voici sur le pont en bois de la Belle Poule.

– Matelots, bienvenue à bord de ce voilier appelé

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aussi goélette paimpolaise. Je suis le commandant. C’est un voilier à hunier construit en 1932 à Fécamp en seine maritime, une réplique de goélette morutière de Paimpol. Sachez que le déplacement est de 215 tonnes, la longueur de 37,50 mètres. Le tirant d’eau de 3,50 mètres, le tirant d’air de 30 mètres. La surface de voilure est de 425 mètres carrés. La coque est construite en chêne et à double coque, le chevillage est en cuivre ainsi que le doublage qui recouvre les œuvres vives. Le pont et la mâture sont en pin d’Oregon. Ces goélettes ont été commandées pour les élèves officiers de l’Ecole Navale. Les aménagements sont spartiates et conçus pour trente élèves, cinq officiers mariniers, douze quartiers maîtres et marins et trois officiers, commandant compris. Le moteur permet de réaliser en charge normale une vitesse de six nœuds avec une seule hélice en bronze à deux pales. Profitez de cette belle journée, nous appareillons au moteur, mais dès que possible vous allez devoir hisser les voiles, puis nettoyer le pont avec les balais brosses et le savon que le patron Bosco vous apportera.

– Un bosco ? J’apprendrai plus tard que ce sont les membres d’équipage qui s’occupent de tout ce qui touche à l’amarrage, aux accostages, à la coque, aux amarres, aussières, lance amarres. Nous franchissons l’entrée du port de Brest, nous n’allons pas tarder à hisser les voiles. Le patron bosco répartit les tâches, forme des équipes chargées chacune d’une voile et nous explique le gréement.

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– Mousses, regardez ces deux grands mâts, le grand mât et celui de misaine un peu plus sur l’avant. Ils mesurent chacun 21 mètres. Il y a 12 voiles. Le clin foc, le grand foc, le petit foc, trois voiles placées à la proue, avant du navire, sur le mât de Beaupré. Ensuite, la trinquette, la misaine, le hunier, la voile d’étai, la grand voile, la flèche, auxquelles s’ajoutent fortune (0), voile de cape et foc ballon. Toutes voiles dehors par grand vent la vitesse maximale est de 15 nœuds. Je vous laisse entre les mains du patron du pont.

– Moussaillons, préparez vous à hisser la misaine et la grand voile. Allez, oh hisse, oh hisse, oh hisse. C’est dur malgré les palans qui démultiplient les

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forces. Nous sommes pourtant six à tirer sur la drisse. Un dernier effort pour hisser simultanément la grand-voile et la misaine, voiles auriques de forme trapézoïdale. Pour aider l’équipage une petite bourrasque vient lentement gonfler les imposantes toiles blanches. L’étrave fend la surface de l’eau, la mer est belle, l’équipe à l’avant hisse deux focs, puis la misaine et le hunier.

– Matelots, s’écrie le patron du pont, nous naviguons bâbord amure, en fait le vent arrive sur notre arrière gauche par rapport à l’axe du bateau. Choquez (donnez un peu de mou) la grand voile et la misaine pour les laisser se gonfler, surtout tenez bon, ne les laissez pas filer, ensuite nous allons tirer plusieurs bords pour traverser la rade en direction de l’île ronde, soyez prêts pour le prochain virement de bord.

Pendant que certains d’entre nous s’occupent des voiles, d’autres astiquent le pont en bois au balai brosse et savon noir. Cela fait partie de la formation du marin, comme astiquer les cuivres, lover les aussières, faire des nœuds, et bien d’autres choses.

– Attention, nous allons virer de bord, dès que le barreur fera changer le cap de la goélette, donnez du mou dans les voiles pour remonter au vent au plus près serré, environ à 45 degrés.

Nous allons moins vite mais l’île ronde se rapproche. Toute cette journée sera une succession de virements de bord.

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Après cette première journée en mer très éprouvante, nous voici à la salle de restauration de l’école. Tous les jours une escouade est de corvée pour assurer diverses tâches, notamment dans cette salle et en cuisine. Nous avons le privilège d’être servis, mais certains de nos camarades sont de corvée d’épluchure des patates, de plonge pour récurer les gamelles, les plats, nettoyer le sol. D’autres nous servent à l’aide de chariots. Ici tout est en inox et ça brille. Les gars à la plonge n’ont pas intérêt à se louper, tout doit ressortir comme neuf, sinon gare à l’engueulade du chef cuistot. Au menu salade variée de betterave rouge, céleri, et carotte, andouillette, haricots verts. Comme boisson de l’eau ou du vin, du gros rouge, appelé le cambusard, traité au bromure pour diminuer nos ardeurs au cas où ! Ici pas question de manger de la queue de langouste, mais plutôt Corned Beef, steaks hachés ou de cœur, foie de porc, boudin noir, raie aux câpres, accompagnés de pâtes, de purée de petits pois, de petits pois carottes, parfois des frites. Souvent quand il y a de la purée, nous faisons le test qui consiste à soulever le plat et le mettre à l’envers, et miracle la purée ne tombe pas, c’est de la colle bien épaisse. En général les repas sont consommés rapidement, mais nous repartons avec notre assiette et notre quart (le verre) en aluminium, nos couverts en inox, pour les laver ; ils font partie de notre sac. Justement demain, c’est samedi, inspection de sac. Je me rappelle de ce petit poème :

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Adjudant, allons voir si nos mousses Ont toujours de belles frimousses.

Allons voir si leurs chaussures Qui brillaient d’un éclat si pur N’ont pas perdu cette clarté. Allons voir si leurs jugulaires

Symbolisent la pureté. Apprenons-leur les bonnes manières Le bonnet droit, les cheveux coupés

Leur propreté fait notre fierté.

La jugulaire est cette sorte de ficelle blanche qui suit le diamètre du bonnet de droite à gauche, attachée par un bouton de chaque côté, et que l’on place sous le menton par grand vent pour éviter qu’il ne s’envole.

Il me faudra présenter un sac impeccable, sinon gare à la punition. Ce coup-ci nous sommes prévenus, mais nous aurons des inspections surprises, en attendant je vais me reposer en fredonnant cet autre poème :

La paupière demie close, A l’ombre du grand rideau,

Comme un oiseau qui se pose, Le mousse dort dans son berceau.

Le bon gradé qui le veille, Le berce pour l’apaiser,

Et, tout en bas à son oreille, Lui chante dans un baiser :

« Tu vas fermer ta gueule ouéé ».

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Nous devrons en baver, comme nos anciens. Nos treillis neufs deviendront délavés, signe du travail accompli, en attendant d’être embarqués et vivre la grande évasion. L’inspection s’est bien passée. Aujourd’hui samedi, après le déjeuner nous avons quartier libre, nous pouvons sortir dans Brest, mais retour obligatoire pour 18h30. De toute façon nous ne disposons pas d’argent, nous gagnons cinquante francs par trimestre et ne pouvons recevoir que peu d’argent de la famille. Difficile même de se payer une place de cinéma, alors nous déambulons en petit groupe, en uniforme, et découvrons le Pont levant de Recouvrance, la tour Tanguy, le château fort qui abrite la préfecture maritime, la fameuse rue de Siam, le port de commerce. Certains fument, nous avons droit à une cartouche de quinze paquets de troupes sans filtre chaque mois, pour l’instant je résiste, mais jusqu’à quand ? Tout le monde fume, ce n’est pas mon cas, je vends ma cartouche pour une modique somme. Les week end sont longs et je ne pourrai revoir ma famille que pour Noël. Nous avons les vacances scolaires normales. Les voyages en train aller retour sont pris en charge à 75% par la marine, mais tout compte fait le reste à ma charge représente cinquante francs, c’est beaucoup. Le seul lien avec mes parents est le courrier, parfois des petits colis avec des choses autorisées, ils sont fouillés, et tout ce qui est interdit est confisqué. En plus de mon petit pécule je reçois dix timbres FM (Franchise Militaire).

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Pas de téléphone non plus et le portable n’existe pas. Demain dimanche, une excursion est organisée par l’Ecole, en bus avec repas froid. Au programme, la pointe Saint Mathieu avec visite du phare et du sémaphore, le bout de l’Europe, le Finistère. Je m’y suis inscrit, au moins je passerai agréablement le dimanche. Sinon pour passer le temps, il existe des activités, les clubs maquette, photo, bibliothèque, qui se trouvent dans un ancien bunker, héritage de la seconde guerre mondiale, placé juste à côté du lavoir. C’était aussi le lieu de certains règlements de compte et des séances de bizutage. L’activité photo m’a permis d’apprendre à développer des photos en noir et blanc, chambre noire, lumière jaune, révélateur, fixateur, agrandisseuse, tirage sur papier en noir et blanc. Maintenant le numérique domine, tout ceci est de l’histoire ancienne mis à part quelques passionnés qui perpétuent cette pratique.

Une nouvelle semaine commence. Dans le planning nous avons une séance de tir au stand de l’école, et une sortie sur les gros canots pour apprendre à godiller et à ramer en cadence comme au temps des galères, car vers le mois de mai il faudra essayer de gagner la course de canots entre les escouades des deux compagnies présentes. Aujourd’hui mardi direction l’armurerie. Nous recevons des fusils Mas 36, des caisses de cartouches calibre 7,5 mm, du coton en guise de protection anti bruit, des casques pour la tête, et des cibles. Les différentes armes nous ont été présentées lors d’un cours théorique,

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démontage, remontage, sécurités, entretien, maniement. Avant de tirer nous recevons un petit rappel sur le maniement du fusil, l’approvisionnement des chargeurs, les commandements de tir. L’ambiance est très sérieuse, ça ne rigole pas. Nous mettons les cibles en place, des soldats grandeur nature, et gagnons les postes de tir.

– Taisez-vous, crie un type, aussi large qu’une armoire bretonne, avec une casquette à deux galons.

C’est l’officier de tir, l’OE Rio, qui arbore sur sa poitrine une batterie de médailles. Il a dû participer à quelques guerres. C’est un Officier des Equipages sorti du rang, qui a peut être commencé comme nous, mousse.

– Bouchez vous les oreilles avec du coton et mettez un casque. Vous avez un fusil MAS 36, un chargeur et cinq cartouches, approvisionnez.

– Cible une prête, cible deux prête, ……… cible six prête.

– Bien tout le monde est prêt ! Chargez. Commencez le tir.

– J’aligne la ligne de mire avec la cible et tire mes cinq cartouches, j’en ai plein les oreilles malgré le coton.

– Posez le fusil, enlevez le chargeur, vérifiez le canon, au résultat.

C’est mon premier carton, mis à part les fêtes foraines je n’ai jamais tiré avec une arme pareille. Notre responsable note les points, neuf, neuf, huit, sept, et cinq, soit 38 points sur 50, à 100 mètres.

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– Vous devrez mieux faire sur les prochains tirs. – Oui Chef. Finalement ma note de fin de séance

est correcte, la prochaine fois nous tirerons avec le pistolet Mac 50 calibre 9 mm, et le dernier tir avec la mitraillette Mat 49. Je sais qu’il existe une mitrailleuse AA 52, mais ce sera pour plus tard, si nécessaire. Nous faisons plus de l’initiation que des entrainements, car sur les bateaux les armes seront très différentes.

Les deux jours suivants cours de formation maritime, nous commençons à voir le balisage en mer de jour, de nuit, l’étude des cartes marines, la navigation côtière. Pour terminer la semaine, nous avons rendez vous avec les fameux canots en bois. Huit bancs permettent de mettre 16 rameurs. Nous sommes 34, deux canots seront nécessaires car un de nous à tour de rôle donnera la cadence sous la surveillance de l’instructeur. Pour un canot huit prendront place de chaque côté, celui chargé de la cadence à l’arrière tiendra le gouvernail. Nous prenons chacun un aviron, les rames c’est pour les biffins. Le manche placé dans une dame, la jugulaire du bâchis (bonnet de marin) au menton pour éviter de le voir s’envoler à la « baille » (à l’eau), nous sommes prêts à souquer, très bon pour les muscles. Nous partons, deux, deux, deux, c’est la cadence chantée par le barreur. Nous devons être synchrone, souquer sur l’aviron, le remonter, le replonger, tirer, cela devient rapidement dur pour les bras, les mains chauffent, les ampoules nous guettent, et nous devrons le faire de plus en plus vite en vue de la

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course sur environ un kilomètre. Les semaines passent. Nous apprenons beaucoup de choses, mais pas question de se laisser aller, les contrôles réguliers sont là pour vérifier que nous travaillons. D’ailleurs la devise de l’école des mousses que nous ne pouvons méconnaitre est « Mousse soit toujours vaillant, loyal ».

La semaine prochaine notre escouade va faire une sortie en mer sur un chasseur, sorte de petit dragueur de mines. Nous allons goûter à la pleine mer, enfin. La seule fois où je suis monté sur un bateau, j’avais quatorze ans, c’était sur une barque d’un pêcheur en Méditerranée à Carry le Rouet. En vacances dans un camping avec ma famille, mon père avait noué contact avec un pêcheur. Il avait accepté de me prendre, le matin nous allions poser des filets et des casiers et en soirée nous allions les relever, parfois la pêche était belle. La plupart du temps la mer était d’huile, et je pense que mon père voyant que je travaillais moyennement à l’école avait déjà cette idée de me faire engager dans la marine nationale.

Nous voici sur le chasseur, pour cette sortie nous sommes équipés d’une parka, d’un bonnet de mer, et de bottes. Nous montons par la coupée, saluons le pavillon à la proue et ne pouvons manquer la devise de la marine nationale, de la Royale, inscrite sur tous ses bâtiments, sur quatre plaques en cuivre disposées aux quatre coins extérieurs de la passerelle, « Honneur, Patrie, Valeur, Discipline ».

Nous remontons le goulet de Brest qui de la rade

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permet d’accéder à la haute mer au niveau de la pointe Saint Mathieu. La mer est agitée, il y a de la houle, le bateau tangue, roule, et je sens que mon corps n’apprécie pas ce genre de mouvements. Je commence à avoir chaud, ma gorge se noue, le mal de mer est en train de me gagner. J’ai beau essayer de lutter, rien n’y fait, et soudain je vomis par-dessus bord, c’est désagréable, j’ai mal à l’estomac. Toute la sortie, je serai malade, à n’en pas manger, et à vomir jusqu’à la bile. Je suis dégoûté et découragé. Dans ma tête, ça gamberge. Que faire ? Arrêter l’école, mon père n’acceptera pas, je suis mineur, il est le seul à pouvoir demander avant Noël la résiliation de mon dossier. Je lui en parlerai dans mon prochain courrier mais je me doute déjà de la réponse.

Le premier trimestre s’achève, entre temps j’ai eu la réponse de mon père, tu y es, tu y restes, fiston accroche toi. Pour Noël nous allons tous partir en vacances dans nos familles, la mienne habite près de Narbonne dans le midi dans le petit village d’Ouveillan. Ce coup ci je vais devoir me débrouiller seul dans le train, mais surtout à Paris avec le métro pour changer de gare.

Me voici de nouveau à la gare Montparnasse. J’ai une heure et demie pour rallier la gare d’Austerlitz et attraper le train qui m’amènera à Toulouse. Je m’engouffre dans le métro sans trop savoir comment il fonctionne, qu’il y a des lignes et des changements à effectuer. Grosse erreur car je vois bien que je suis