Sous la direction de Joël Noret et Pierre Petit · Croire aux ancêtres au Sud-Bénin ... Hommage...

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Sousla direction de Joël Noret et Pierre Petit Corpsr performancê, religion Etudes anthropologiques offertes à Philippe J espers Publibook Noret. Joë1.2007. < En finiravec lescrcryances ? Croire aur ancêtres au Sud-Bénin >. paris^ publibook

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Sous la direction de

Joël Noret et Pierre Petit

Corpsr performancê, religion

Etudes anthropologiques offertes à Philippe J espers

Publibook

Noret . Joë1.2007. < En f in i ravec les crcryances ? Croi re aur ancêtres au Sud-Bénin >. par is^ publ ibook

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En finir avec les croyances ?Croire aux ancêtres au Sud-Bénin

Joël NoretChareé de recherche au FNRS

Mon père qui me nourrit bien et dans de la vaisselle en faience !Je viens rendre hommage avant de me lancer dans une chose mystérieuse.

Hommage au vieux pénis qui a capitulé et qui n'éjacule plus,Hommage au vieux vagin qui a capitulé et dont il ne sort plus de sang.

::i:LiJ$*:i;on sait bien aujourd'hui les problèmes que la notion de croyance a posés

aux sciences sociales dans les demières décennies. Ces diffrcultés ont été dedeux ordres au moins. Tout d'abord, difterents auteurs ont souligné, à lasuite d'E. E. Evans-Pritchard (2001 [1965]), la difficulté épistémologiquequi réside toujours dans le fait d'attribuer un pouvoir d'explication à unphénomène que, stricto sensu, on n'observe pas- D'autres ont souligné lapolysémie des temres << croire > et << croyance ), en monffant la pluralitéd'états mentaux auxquels ils pouvaient renvoyer: la singularité d'un verbecomme celui de << croire > en ferait un outil d'analyse suspect parce qu'ilrenvoie potentiellement à des états mentaux distincts (voir Pouillon 1993,Lenclud 1990): ce n'est pas, bien évidemment, I'ensemble du dossier desproblématisations des notions de croire et de croyance qu'on souhaitereprendre ici (pour une synthèse récente, voir Lenclud 1990)- plusmodestement, on s'attachera plutôt à discuter certains travaux récents quitous partagent le fait d'avoir réinterrogé ces deux notions dans la demièrequinzaine d'années'.

' Je remercie Christine Henry, Françoise Lauwaert et Jacques Noret de leurs commentairessur une première version de ce texte.

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Les croyances aujourd'hui

Depuis une quinzaine d'années au moins, dans la foulée du < retour dusujet >>, on souligne toujours davantage I'importance des compétences desacteurs sociaux et leurs capacités réflexives. Sur le terrain des sciencessociales du religieux, c'est dans le sillage de ce courant de pensée, plus oumoins critique de la sociologie dite < critique ), que la notion de croyances'est, dans les deux demières décennies, trouvée réinterrogée par une séried'auteurs comme E. claverie, A. Piette, P. veyne, ou encore B. Latour.Dans les travaux d'E. Claverie ou d'A. Piette, c'est évidemment à partird'études menées dans i'Europe contemporaine qu'a été soulignée h pàrt dedoute et d'incertitude qui hanterait toujours, en quelque sorte, I'acte decroire. Mais les travaux de P. veyne reposent largement, c'est connu, surl'interprétation de matériaux romains, et ceux de B. Latour font appelnotamment à des ethnographies des cultes afro-brésiliens (Latour 1996).

Par ailleurs, il faut le souligner, les auteurs évoqués ci-dessus nepartagent pas exactement les mêmes points de vue sur la croyance. euand,par exemple, E. Claverie préfère écarter le terme de croyance, considérantqu'il occulte les doutes qui peuvent habiter les croyants, mais conserye, ensuivant L. wittgenstein, le verbe << croire )), qui correspondrait à < unefigure générale de cognitivité sans lien d'affinité particulier avec lereligieux > (claverie 1990 : 64), elle ne soutient évidemment pas le mêmepoint de vue que B. Latour lorsque celui-ci écrit que la croyance << n'est pasun état mental >> mais < un effet du rapport entre les peuples >> où << levisiteur sait, le visité croit >> (Latour T996 : l5). Mais c'est aussi chez E.Claverie et B. Latour qu'on trouve les mises à distance les plus explicites dece qui serait la démarche < dénonciahice > des sciences sociales< critiques >. E. Claverie écrit ainsi, en introduisant son étude de certainspèlerinages mariaux dans I'Europe contemporaine, que << les sciencessociales se sont, pour une large part, constituées autour d'une dénonciationradicale de la religion comme productrice d'illusions, ces mêmes illusionsétant ce que désorrrais le chercheur en sciences sociales dewa débusquercomme agent non manifeste inconnu des acteurs, agent qui les manipule àleur insu ou semi-insu (...) dans tous les secteurs de la pratique sociale>>(claverie 1990 : 63). volontiers ironique et polémique, B. Latour n'a quantà lui pas hésité à écrire, d'une façon qu'il faut bien qualifier de caricaturale,que ( la pensée critique > aurait inévitablement considéré ra croyancecomme << naive > (notamment Latour 1996:30-35). Mais de K. Mam à p.Bourdieu, en passant par E. Durkheim (puisque ces trois noms sontassurément de ceux qui viennent les premiers à I'esprit quand on critique la

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( pensée critique >> ou les sociologies faisant une large place, dans leursinterprétations des < faits sociaux >, à des forces sociales dont les acteursn'auraient pas ou guère conscience), la croyance est-elle si < naive >> guecela ? Et toute identification des conditions sociales dans lesquelles sôntancrées des habitudes de pensée est-elle vraiment une ( dénonciation > ? ya-t-il < dénonciation >> chaque fois que les sciences sociales identifient desdéterminations dont les acteurs n'ont pas ou guère conscience ? c,est là,pour le moins, aller vite en besogne2.

Lorsque K. Marx écrit, dans sa contribution à re critique de Iaphilosophie du droit de Hegel, que la religion est << I'esprit de conditions[sociales] sans esprit )>', le propos est certes voltairien et peu compréhensif(au sens de la sociologie compréhensive), mais s'efforce néanmoins, mêmesi c'est de façon sommaire, de mettre en rapport habitudes de pensée etconditions d'existence. La démarche, fondatrice, d'E. Durkheim, est proche,et peut-être même moins voltairienne, lorsque celui-ci écrit qu'il n'y a pas,<< au fond, de religion qui soit fausse >, et que << toutes sont vraies à leurfaçon )) car < toutes répondent, quoique de manières différentes, à desconditions données de I'existence humaine > (1994 Ugrz]: 3), les systèmesreligieux étant, pour le sociologue des formes élémentaires, des systèmes< d'idées et de pratiques bien fondées dans la réalité >> (idem: 103). Maisn'y a-t-il pas dans la mise en évidence du caractère social de la penséereligieuse quelque chose de consubstantiel à toute démarche de sociologiedes religions (voir aussi Hervieu-Léger 2003 : r45) ? De la même façon que

2 En quoi, pour prendre un exemple récent, une bonne anthropologie du système de penséeankave (Nouvelle Guinée) et de la place qu'y occupent des créatures qu'il faut bien, avecson auteur (P. Lemonnier), nommer < imaginaires > (même si I'existence pour les Ankavede ces êtres imaginaires a évidemment des conséquences très concrètes et matérielles auquotidien), est-il une dénonciation ? Esfil vraiment dénonciateur d'écrire, en évoquant lesystème de pensée ankave : (( comme beaucoup d'êtres fabuleux, c'est dans les rêves deceux qui les imaginent que les ombo' fesprits cannibales imaginaires] revêtent leur forme laplus manifeste, mais il se trouve aussi dans chaque hameau de la Suowi [vallée où viventles Ankave] une ou deux personnes qui affirment en avoir accidentellement renconhé un enchair et en os > (Lemonnier 2006 : 103) ? Est-ce là faire preuve d'un irrespect déplacé pourles capacités critiques des Ankave ? P. Lemonnier, que de teis propos classentinévitablement parmi les < penseurs critiques >> dont s'amuse B. Latour, cherche{-ilwaiment par là à < triompher > de < la nalveté consommée de l'acteur [ankave] ordinaire >(Latour 1996 : 30) ?' K. Mur^ écrit en fait : < Die Religion ist der Seufzer der bedrringten Kreatur, das Gemùteiner herzlosen Ilelt, wie sie der Geist geistloser Zustcinde ,s/ D. Il existe bien sûrdifférentes traductions de cette phrase. C'est consciemment qu'on a opté ici pour unetraduction < sociologisante >>, en. ajoutant, entre crochets, < sociales >, à < conditions >(Zusttinde).

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les psychologies du fait religieux rapportent ce qu'elles cherchent àexpliquer de celui-ci au psychisme humain, les sciences sociales dureligieux ne proposent-elles pas inévitablement des interprétations qui enmontrent le caractère social ?

Historiquement, les interprétations sociologiques et anthropologiques dufait religieux n'ont évidemment pu se constituer que contre un discoursreligieux alors dominant. Cela n'en fait pas automatiquement desdénonciations. N'y a-t-il pas d'ailleurs plus de nostalgie que de dénonciationchez E. Durkheim lorsqu'il regrette (1994 U9l2l: 610-611) que <lesanciens dieux vieillissent ou meurent )), et que d'aufres ne soient pas nés ?Et la < pensée critique D, pour reprendre la catégorie latourienne, est-ellevéritablement homogène ? Faut-il rappeler ici que P. Bourdieu s'est biendéfendu d'opérer des < dénonciations >> ? Une entreprise cherchant àcomprendre << la raison d'être > des conduites humaines les plus diverses, ouà montrer les conditions sociales de formation de telle ou telle habitude depensée n'est en effet, écrivait-il, qu'abusivement < dénoncée cornmedénonciation > (Bourdieu 1997 : 10-15). Et il n'est peut-être pas superflu derappeler que le même auteur écrivait aussi : <<l'obscurantisme des Lumièrespeut prendre la forme d'un fétichisme de la raison et d'un fanatisme deI'universel qui restent fermés à toutes les manifestations traditionnelles decroyance et qui, comme I'atteste par exemple la violence réflexe decertaines dénonciations de I'intégrisme religieux, ne sont pas moins obscursà eux-mêmes que ce qu'ils dénoncent > (1997 :94).

En frn de compte, c'est implicitement contre I'identification de tout< principe de non-conscience > (voir Lahire 2002: 10-16) et de toutedisposition intériorisée et mise en æuvre comme << allant de soi ) queprennent position certaines formulationso. E. Claverie souligne les limitesdes entreprises sociologiques s'efforçant de < débusquer > les forcessociales < manipulant >> les acteurs, mais elle nous en dit bien peu sur les

" B. Latour écrit ainsi que < le pensetu critique triomphe deuxfois de la naiveté consomméede l'acteur ordinaire : il voit le travail invisible que l'acteur projette sur les divinités qui lemanipulent mais il voit aussi les forces invisibles qui agitent I'acteur lorsqu'il croitmanipuler librement ! (le penseur critique, fils des Lumières, ne cesse, on le voit, demanipuler lui aussi des invisibles; le grand désaliénateur multiplie les aliens.) >> (Latour1996 : 30). On le voit, B. Latour, en s'appuyant ici sur la catégorie commode d'<< aliens >>ou d'<< invisibles >>, suggère tranquillement que le sociologue considère ses conceptscomme I'acteur religierx sa divinité : c'est là êhe pour le moins inattentif aux écarts entreles deux sortes ( d'invisibles > et, pour tout dire, une sorte de mauvais tour de passe-passe.J'ai rarement été visité en rêve par un habitus ouvn etltos comme un Ankave peut l'être parvn ombo '(voir Lemonnier 2006) ou un catholique fervent par la Vierge.

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parcours de socialisation et les trajectoires sociales des pèlerins françaisqu'elle a suivis sur certains lieux d'apparition de la Vierge. On estcependant en droit de penser que s'interroger sur la socialisation religieusedes pèlerins et la formation des habitudes de pensée qui les mènent, dans lecontexte spécifique des pèlerinages, à croire coûrme ils croient, n'est pas unquestionnement sociologique si < réducteur >>, dans la mesure précisémentoù il vise plutôt à comprendre les actions sociales de façon plussystématique et plus informée que ne peuvent le faire les acteurs eux-mêmes. Si les acteurs sont bien < dotés eux-mêmes et eux aussi de capacitéscritiques >, faut-il les << suivre ) pour autant, comme le suggère E. Claverie ?Et jusqu'où d'ailleurs faut-il les < suiwe > ? Montrer, comme le fait E.Claverie, le statut problématique d'une construction sociale comme < laVierge >> dans le monde des pèlerinages européens contemporains fait-ilvraiment de la Vierge un (( acteur à part entière > (Claverie 1990) ? Autanten effet le questionnement des usages paresseux de la notion de croyance etla mise en évidence des doutes et des capacités critiques des pèlerins (qui necroient effectivement pas en perrnanence ni << naiïement >) peuvent êtresuggestifs, autant est pertinent le projet de montrer la complexité de cequ'est << croire >>, autant il ne semble pas y avoir autre chose qu'un artificerhétorique dans la reconnaissance du statut ( d'acteur à part entière > à laVierge.

En outre, une certaine ambiguïté se dégage d'un texte comme celui d'E.Claverie (1990), qui évoque d'abord ce qu'est croire d'une manièregénérale, semble alors considérer la fragilité de la croyance religieusecomme un phénomène constitutif de cette croyance même (1990 : 63-65),avant de reconnaître ensuite la spécificité du contexte historique dans lequelévoluent les pèlerins qu'elle a suivis (l'article est d'ailleurs sous-titré < Lesapparitions de la Vierge à l'âge de la science >). En effet, ceux-ci doivent enparticulier se défendre, une fois leur pèlerinage achevé, d'être crédules etd'avoir été abusés. Or, dans le Bénin méridional contemporain, croire enDieu ou à I'activité des sorciers ou des défunts est une façon de penserquotidien:re qui n'a pas à se défendre perpétuellement contre d'autresinterprétations du monde (et qui, souvent même, n'est pas confrontéerégulièrement à d'autres compréhensions < pratiques >> du monde). Certes,on sait bien au Sud-Bénin que les esprits ne peuvent être appréhendésempiriquement comme peuvent l'être les animaux ou les autres hommes,mais l'évidence de leur existence est (re)produite au jour le jour par des

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interprétations largement partagéess. on trouve ainsi au quotidien desaffestations de leur existence et de leur action dans les décès inopinés, dansles maladies auxquelles la biomédecine des centres de santé ordinaires nepermet pas de trouver une solution satisfaisante, ou au contraire dans lesguérisons inattendues, dans les heureux hasards qui font qu'on échappe< miraculeusement >> à un accident, ou qu'on obtient un travail parmi unefoule de postulants, etc.

Mais de façon très ordinaire, on dit aussi, typiquement, dans la mêmerégion, que ( personne n'est jamais allé là-bas [dans I'au-delà] pour reveniret dire comment c'était > (celui qui parle avec trop d'assurance de I'au-delàpeut toujours se voir répondre << tu as été au ciel ? >). Ou encore que < ici,on est dans I'obscurité ) : on veut dire par 1à qu'il y a des choses qu'on necomprend pas, dans lesquelles on sent bien I'action des esprits, mais sanscomprendre précisément comment les choses se passent. Et s'il fallaitrésumer une telle attitude en une formule rapide, plutôt que <je sais bienmais quand même > (pour reprendre ici les termes de Mannoni 1964- citépar Pouillon 1993 : 22, 160), je dirais que, au Sud-Bénin, bien despratiquants des cultes < traditionnels >>, lorsqu'on sollicite leurs réflexionssur I'objet de leur croire, disent en substance < je ne sais pas mais c'est ça >r,reconnaissant d'abord les limites de leur savoir pour soutenir ensuite que tel,tel et tel phénomènes montrent bien cependant que I'action des esprits dansle monde est indéniable.

Mais de la <<logique de I'à-peu-près et duflou > (Bourdieu 1980 :146)caractéristique du sens pratique, et de la multiplicité des interprétations oudes caractérisations de I'objet du croire selon les contextes, qui sontprésentes à des degrés divers dans toute tradition religieuse, on ne peutpasser sans difficulté à I'hésitation permanente des acteurs entre croire et l

t Dans un long chapitre de critique systématique (et souvent bien argumentée) deI'anthropologie cognitive (Lahire 2005 :261-307), B. Lahke a bien montré récemment, enréinterprétant de façon convaincante les matériaux d'un articie de P. L. Harris, et contre leshypothèses cognitivistes de celui-ci, que la genèse de croyances en Dieu ou les ancêheschez les enfants pouvait très bien se passer de postulats innéistes << sur les 'infiritions

naturelles' ou les 'propriétés de I'esprit humain' > (Lahire 2005 : 301). En fait, p. L. HarrismoDtre que < les croyances enfantines sont variables selon le degré de religiosité desadultes, selon que la religion est omniprésente et enveloppante ou qu'elle n'est qu'unsystème de croyances parmi d'autres > (làrd.). Mais it n'est nullement besoin de recourir àdes hypothèses naturalistes pour rendre compte de ce genre de phénomène, qui plaide plutôtpour I'existence de degrés de naturalisation différents des schèmes de pensée religieuxselon les sociétés et les mondes sociaux (voir aussi Noret 2006b).

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non-croire (A. Piette)u, ou u,, caractère absolument insaisissable des objetsde pensée religieux, lesquels impliqueraient des déplacements continuels deproblématiqxe sur fond de prétention à la fidélité à des énoncés fondateurs(8. Latour)'. Car s'il ne s'agit que d'affirmer que les messages religieuxsont inévitablement réinterprétés à partir des contextes sociaux dans lesquelsils sont reçus (voir Bourdieu 1971), et même des circonstances spécifiquesde leur énonciation, c'est là devenu un propos sans grande originalitésociologique. Mais s'il s'agit d'affrrmer que les acteurs, en matièrereligieuse, hésitent en pennanence, et ne savent au fond jamais ce qu'ilspensent, c'est là plus problématiqueu. En effet, si les systèmes religieux

o Portant peu d'attention à la régularité constatable des moments de croyance, A. Pietteanalyse d'abord le croire corrrme un < état ponctualisé >>, et selon un < principe dubasculement >>, selon lequel il faut porter son attention sur les mornents où les acteursbasculent de la croyance à la non-croyance (et inversement), la croyance étantperpétuellement rattrapée par < la distraction ordinaire, les pensées vagabondes, voire lescepticisme et I'ironie > (Piette 2003 : 68-69) : I'inscription des < moments de croyance >dans des trajectoires sociales et la présence de schèmes de pensée à partir desquelssurgissent, en contexte, Ies états de croyance, ne préoccupent pas I'auteur, qui peut ainsifaire de la croyance, pour ainsi dire, uue question de focalisation de I'attention.7 B. Latour écrit ainsi : < la vérité religieuse a ceci de particulier qu'elle ne peut jamais

apparaître comme une nouveauté et qu'elle est pourtjant mensongère si I'on n'a p€IsI'impression de I'entendre pour la première fois > (Latour i990 : 89). Mais il se préoccupepeu d'une véritable validation empirique de cette assertion fort générale.o A. Piette écrit ainsi que ce qu'il découwe sur la façon dont les catholiques français parlentaujourd'hui de l'objet de leur croire, c'est <( un mouvement de renvois et d'hésitationsperpétuelles entre diverses conceptions de ce qu'est Dieu : la communauté, non, Çe n'estpas la communauté, c'est le prêtre ; non, ce n'est pas le prêtre, c'est I'amour ; non, c'est lerituel, non, c'est la communauté; et arnsi de suite. Selon un mouvement qui affrrme, quinie, qui s'interroge de la pertilence d'un point de vue ou d'un autre, ou qui les réunit dansleur complémentarité... Et qui semble, en même temps, toujours se mettre à l'épreuveStimuléè Èar un problème à résoudrè >r (Piette 2OO5 : 93-94). Mais n'est-ce pas justement

dans les < problèmes à résoudre > que sont ancrées les réinterprétations contextuelles dumessage ? N'est-ce pas dans les conditions d'énonciation que se houve le principe du(( mouvement >> des < hésitations >> ? N'est-ce pas de ces conditions qu'il faut partir pourcomprendre les multiples réinterprétations situationnelles du message ? Et est-ce rrraimentune spécificité des contenus religieux que de se prêter à des utilisations contextuelles etd'être seulement partiellement cohérents ? Ne dit-on pas dans la même société que << pierrequi roule n'amasse pas mousse >> et qu'<< il n'y a que les imbéciles qui ne changent pasd'avis >>, selon qu'on souhaite, situationnellement, louer la stabilité ou le changement ? Ouencore que << I'argent n'a pas d'odeur> et que << bien mal acquis ne profite point >>, selonl'importance que, situationnellement, on entend conférer à I'origine d'une (petite ougrande) fortune ? Qu'un corpus d'énoncés religieux se prête à ce genre dejeu, c'est évident.

Que ce soit une spécificité des systèmes religieux que d'être seulement partiellementcohérents (ou de comprendre différents points de \ue sru un même phénomène) et de

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laissent bel et bien de la place au flou et à I'indétermination, et si lescroyances religieuses peuvent en ce sens être qualifiées de < semi-propositionnelles > (Sperber, 1982),les schèmes de pensée religieux sontaussi bien souvent de grands pourvoyeurs d'explications, de codes de sens,et par là de grands producteurs de << sécurité ontologique > (Giddens 2005).Dans bien des systèmes religieux, il existe non seulement des interprétationsminimales partagées, mais aussi des chansons, des formules à réciter quiconstituent des < points de repère > et offrent, toujours en situation et, celava de soi, dans des contextes d'énonciation spécifiques, des caractérisationsminimales des objets de pensée religieux. Et en outre, en matière religieusecomme en d'autres domaines, les acteurs ne passent pas leur temps à sedemander ce qu'ils pensent, et en cette matière coûrme en d'autres on peutrepérer dans tous les mondes sociaux des schèmes de pensée plus ou moinspartagés qui assurent un certain accord entre les << stocks de connaissance ))des acteurs, pour reprendre ici I'expression schûtzienne.

La reconnaissance du flou ou des hésitations et des approximations decertaines constructions religieuses ne doit pas mener à occulter < I'attitudenaturelle > qui est celle des acteurs dans le cours de leur vie quotidienne, nià taire les habitudes de pensée peu problématisées à partir desquelles sontappréhendées les réalités de la vie religieuse ordinaire. Le caractère << semi-propositionnel > (Sperber 1982) de leurs croyances ne fait pas des acteursreligieux des agents sociaux sans sens pratique- Qu'elle conceme des<< objets de pensée > religieux ou non, la < pensée courante >> considère bienSouvent ceux-ci comme < allant de soi )), pour reprendre ici I'un des grandsthèmes de la sociologie phénoménologique (voir Berger et Luckmann 1986

[1966] : 35-37). Ce qui n'exclut évidemment pas que les systèmes depensée, produits d'une < logique pratique >>, ne présentent à I'observateurextérieur qu'une cohérence partielle, ou que la caractérisation des êtrespeuplant un système religieux puisse rester minimale. On ne peut que suivreA. Piette lorsqu'il invite à < ne pas plénifier la conscience >> des acteursreligieux (Piette 2003 10-11), mais son insistance permanente sw leshésitations auxquelles ceux-ci seraient continuellement en proie finit par

occulter le caractère routinier et << allant de soi > de bien des expériencesreligieuses du monde.

[Jn moment de mise à distance des habitudes ordinaires de pensée peuttoujours surgir en effet, et un doute sur le mode d'action des esprits (bien

davantage que sur leur existence) est incontestablement présent, de temps en

pouvoir faire I'objetévident.

de réinterprétations situationnelles ou contextuelles, c'est moins

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temps, chez bien des pratiquants des cultes < traditionnels > du Béninméridional contemporain. Mais le caractère passager de ces moments dedoute, et leur occultation rapide par les habitudes de pensée ordinaires, sontdes faits tout aussi structurels et, manifestement, des façons d'être tout aussihabituelles. Je ne suis, dès lors, pas véritablement satisfait par lesformulations qui insistent, à bon droit, sur la place << structurelle > du doutedans les habitudes de pensée religieuses (voir aussi Hojbjerg 2002, Severi2002), mais ne considèrent pas vraiment la place tout aussi< structurellement >> secondaire ou marginale que peuvent occuper lesmoments de doute dans I'activité religieuse, dans certaines configurationshistoriques au moins.

Sans vouloir me lancer ici dans une entreprise de cumul rhétorique desperspectives théoriques, la reconnaissance de la pertinence de< I'observation des détails > (Piette 1996) ne doit pas occulter les < logiquespratiques > et les schèmes de pensée intériorisés dans lesquels est ancréeI'appréhension ordinaire du monde. A. Piette devient d'ailleurs étrangementplus attentif aux dispositions et aux habitudes de pensée intériorisées quedans la plupart de ses écrits théoriques lorsqu'il évoque en anthropologue sapropre expérience du deuil, soulignant, au moment d'évoquer ses croyancesreligieuses, qu'elles sont pour lui < une habitude passive > intériorisée. Etencore (on voudra bien m'excuser pour la longueur de la citation) :

<< Ces croyances, qui atteignent rarement la conscience, restent là, avecune certaine ténacité. Elles sont comme protégées par la profondeur deleur enfouissement et par la perception de la force de I'autorité qui les ainstallées il y a vingt ou hente ans: mes parents, les prêtres, ... C'estI'intensité de ma douleur et mon refus d'accepter I'absence de mon pèrequi créent une telle émotion qu'il me semble aller de soi de réactiver cesreprésentations enfouies pour trouver une solution. Il y a, sans aucundoute, une confiance implicite en l'autorité de I'Eglise, en tout cas en sacompétence sur les choses de I'au-delà. Je ne pourrais pas prendre pouracquis ce que je découvrirais, par exemple, dans la religion juive ou dansla religion musulmane. cette forme de confiance, d'autant plus évidentequ'autour de moi, elle est partagée, constitue sans doute une expériencede croire, même si l'accomplissement de tel geste ou la lecture de telleprière ne supposent pas toujours un état mental spécifique et qu'ilspeuvent être effectués et récités dans une certaine automaticité > (Piette2005 :22-23).

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En changeant d'échelle d'analyse et en prenant une certaine distanceavec la seule << observation des détails >> pour rendre compte d'un processusplus long, A. Piette renoue ici avec une sociologie plus attentive auxdispositions intériorisées. Mais pourquoi cette < présence du passé auprésent > (Bourdieu1997 :25I) occupe-t-elle alors si peu de place dans sesélaborations théoriques ? En effet, du primat épistémologique accordé à lasituation (voir Piette 2003 : 7), choix tout à fait respectable, on y passesouvent à une sociologie pragmatique du croire totalement inattentive à lasocialisation religieuse des acteurs, et considérant dès lors implicitementcelle-ci comme non pertinente pour comprendre ce qu'est < croire en actes >>(Piette 2003 : 67-73). Or, s'il va de soi que schèmes ou habitudes de penséene s'activent qu'en contexte, négliger le passé incorporé avec lequel lesagents sociaux s'engagent dans les situations religieuses, c'est finalementocculter les dispositions d'esprit intériorisées qui sous-tendent la régularitéconstatable des moments de croyance.

Egan, << les revenants >>

Mon intérêt pour les cultes initiatiques africains et leurs < fétiches > doitcertainement quelque chose à I'enseignement de Philippe Jespers (voir aussiJespers 1995,2001), qui savait, avec passion, rendre leur complexité à cesproductions religieuses qu'un certain sens commun continue, quoi qu'on endise, à qualifier de peu ou prou primitives ou arriérées. Et Philippe Jespersne s'engageait pas dans la voie d'une critique d'un << grand partage >(Occident des Lumières/reste du monde) à la façon paternaliste des< anthropologues dogonneux >> ou des < métaphysiciens belges >qu'évoquait Aimé Césaire, mais avec un intérêt particulier pour lesprocessus mentaux universels (inferences, abductions, etc-) qui prennent ';

place dans un phénomène comme celui de la croyance, religieuse ou non.Celle-ci n'est pâs, soutenait-il en substance avec vigueur, dans lesproductions religieuses africaines de type initiatique, la foi du charbonnier.

Que la croyance aux ancêfes n'a, dans bien des cas, rien de << naïf >> auSud-Bénin, et qu'elle y est socialement << bien fondée )>, pour reprendreI'expression fondatrice d'E. Durkheim (T994 [1912] : 103), est ulre::évidence. Que cependant il s'agit bien là d'un phénomène qu'on peutqualifier de croyance n'est pas moins évident. Et on prend ici croyance au i

sens classique de confiance accordée à certaines propositions, confiance

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menant à f intériorisation de schèmes de pensée potentiellement fortnaturalisés, et susceptible, cela va de soi, d'induire non seulement des étatsd'esprit mais aussi des états de corps. Ce sont d'une part les raisonnementsque les acteurs eux-mêmes tiennent sur ceffe croyance, et d'autre part leschoses auxquelles ils adhèrent < pratiquement >>, les tenant pour acquises,qu'on voudrait à présent illusher en présentant quelques chants et récits de< littérature orale )) de la société initiatique egun) à travers laquelle plusieur^s

lignages yoruba de la ville de Ouidah rendent un culte à leurs ancêtres'.Cétte societé initiatique est présente depuis le début du 20" siècle au moinssiir le territoire de I'ancien royaume fon du Denhômè (q':i occt:pait aumoment de la conquête coloniale toute la partie centrale de I'actuel Sud-Bénin, du port de Ouidah jusqu'au Nord de sa capitale Abomey). AOuidahlo, c'est aux débuts de la colonisation française que cette sociétéinitiatique a coûtmencé à se manifester véritablement, lorsque les esclavesyoruba de la région trouvèrent, avec la chute du pouvoir de leurs maîtresfon, davantage d'espace pour organiser les cultes de leurs propres ancêtres(voir Noret 2006a : 461-489).

Aujourd'hui, dans la grande majorité des lignages yoruba de Ouidah, le

culte des ancêtres est dominé par une société initiatique masculinel' , egunou ôrô selon les cas. Dans les lignages elegun (<adeptes d'egun >), les

ancêtres reviennent sous des masques (les < revenants >) faits d'étoffes et detissus lourds, partiellement rigides. Ces masques peuvent être de différentsmodèles (qui adoptent des comportements plus ou moins turbulents) et

n Le terme egun désigne à la fois les ancêtres cornme entités spirituelles et les masques sous

lesquels ils reviennent (que I'on peut aussi appeler egungun, même si I'usage de ce terme

est plutôt rare à Ouidah). Par extension, le terme désigrre aussi cette forme de culte aux

ancêtres dans son ensemble.r0 La ville de Ouidah a été depuis le milieu du 18" siècle le port par lequel les esclaves

razziés par les Fon du Danhômè étaient envoyés de l'autre côté de I'Atlantique. Le

coûlmerce des esclaves, toutefois, n'alimentait pas seulement, dans cette région d'Afrique,

la traite hansatlantique, mais aussi un esclavage local, si bien qu'on trouve aujourd'hui à

Ouidah (et dans sa région) beaucoup de familles yoruba (mais aussi d'autres ethnies

voisines des Fon), un ethnonyme sur l'histoire duquel on consultera avec profit le travail

remarquable de J. Peel (2000).1r celle-ci est évidemment un espace privilégié de sociabilité 1n35çgline' et d'une sociabilité

très arrosée. Comme me le confiait un ami il y a environ deux ans à Abomey' en me

montrant, un matin de cérémonie, un homme déjà saoul, < c'est un soûlard, mais sans eux

on ne peut pas faire egun >>. Ce qui me rappela alors imrnédiatement un cours de Philippe

Jespers où, évoquant la société initiatique minyanka du komo, il raconta comment, un jour

qu'il demandait à un chef de culte, légèrement saoul de grand matin un jour de cérémonie,

comment celle-ci pourrait avoir lieu si lui, le responsable, continuait à boire, il se vit

répondre : < mais est-ce que le komo peut fonctionner sens bière ? >

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sortent des espaces réservés aux initiés (les < couvents ,>) au cours descérémonies organisées en I'honneur des ancêtres, ou faisant appel à ceux_cipour I'une ou I'autre raison. Lors de leurs sorties, certainr'n..u.nuntrl,parlent à leurs descendants et à l'assistancel2, d'autres donnent la chasse auxjeunes avec lesquels ils rentrent dans une relation de prouocationréciproque. La plupart esquissent aussi au moins, à un moment ou à uneautre (quand ce n'est_pas leur rôle principal), quelques pas o" aanse 1"t tabeauté de la danse des egun est iouvent commentée au cours de leurssorties, et n'est certainement pas étrangère au succès contemporain duculte).

Des egun en route vers le lieu d'une cérémonie à ouidah, en juillet 2006.

- Tous les lignages yoruba ne sont toutefois pas eregun (< adeptesd'egun >>), on I'a dit, et dans res lignages ôrôrô (<<adeptei d,àrô>), lesancêtres reviennent sous la forme d'esprits plutôt oo"tuà"r, invisibles. et

" Le culte egun mobilise potentiellement une littérature orale importante. S,exprimantd'une forte voix gutturale, les (( revenants >> saluent, au cours ie leurs sorties, lespenonnalités marquantes de I'assistance, récitent des bénédictions et 6s5 lsrrangesclaniques, et se vantent de leur propre puissance et de leur éloquence, tout cela dans ungenre poétique connu en yoruba corrlme lwl. Tous ]es << revenants > ne parlent pas beaucoup(la plupart d'entre eux parlent même peu), mais certains sont "rp'ubt", de réciter despoèmes relativement longs. c'est h là forme la plus savante du curte, et lorsqu,un<< revenant > s'avère être capable de réciter un long extrait de louange clanique o,, ,ro"bénédiction inhabituellement longue, il ne manque pas de recevoir de I'argent de ceux qu,ila ainsi loués ou bénis.

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qui font entendre une voix inarticulée tantôt stridente, tantôt ronflante,depuis les espaces réservés aux initiés. Il ne sera question ici que du culteegun", connu dans le français local comme celui des << revenants >>.

Un egun se lance dans une figure de danse spectaculaire,dans une rue de Ouidah en juillet 2006.

Pour dire les choses rapidement, lors de I'initiation, un nouvel initiéaccède officiellement à un savoir qu'il possède déjà mais dont seuls lesinitiés ont, en principe, le droit de parler entre eux : sans les initiés, lesdéfunts ne pourraient pas revenir (ce que n'ignorent évidemment pas lesfemmes adultes, mais qu'elles doivent taire, car comme le dit une chansondu culte, < la société initiatique n'est pas de I'amusement >)la. Mais cela ne

13 Les sociétés initiatiques egun et ôrd se sont aujourd'hui diffusées dans bien d'autreslipages de Ouidah que les lignages yoruba qui en étaient les détenteurs originels. Certainslignages fon ou xweda de la ville ont acquis ces cultes, tantôt par mariage(s) avec desfemmes yoruba, tantôt par des anciens esclaves yoruba qu'ils ont partiellement intégés.Ainsi, le culte egun concerne aujourd'hui une nette majorité des < collectivités > (pourreprendre la catégorie du français local) de la ville.la Les femmes d'un certain âge au moins peuvent même évoquer le zujet entre amiesproches, en commentant par exemple telle ou telle sortie de masques. Certains hommesparlent aussi discrètement de la société initiatique à leur femme, ou à des femmes de leurfamille dont ils sont proches (sæur, nièce, fille), mais cela ne se fait que dnns la plus grandediscrétion et toujours enhe intimes. Les secrets de la société initiatique rîrd, plus secrète etplus exigeante, sont moins ébruités. Pour m'expliquer les différences de sévérité enkesociétés iaitiatiques, un ami m'a un jour cité un proverbe yoruba, qui dit en substance : < lesecret de gèlèdè [nom de masques dont I'identité des porteurs est connue], les femmes le

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signifie évidemment pas que les ancêtres n'existent pas. Car si les initiésaident bien ceux-ci à revenir au cours des cérémonies, ce qui est censéimpressionner les femmes et démonher les pouvoirs que possèdent leshommes, I'existence des ancêtres comme entités spirituelles n'est jamaisremise en cause par les initiés.

Tous croient en particulier que c'est leur volonté qui se donne à voir dansla façon dont retombent les quarLiers de noix de cola jetés aux momentsidoines des cérémonies. Et lorsque, pour tester I'ancrage d'une telleconception, j'ai parfois essayé, avec de proches informateurs du milieu,d'introduire un regard probabiliste sur la façon dont les quartiers de colaretombent (en suggérant par exemple, au détour d'une conversatioD, (( àforce de lancer et de relancer les colas, elles vont bien finir par retomberdans une position favorable, c'est normal >>, ou en demandant << est-ce que tune penses pas que si ça refuse [les colas retombent dans une positiondéfavorable], et qu'on continue à lancer sans poser d'autre question, ça vafinir par accepter ? >>), mes interlocuteurs ne voyaient pas les choses de lamême façon : < si les ancêfres ne veulent pas, personne ne peut forcer lescolas à bien retomber ), me dit un jour l'un de mes proches informateurs.un autre suggéra que si on lance les colas ( sans intention >>, << tous lessignes peuvent sortir >>, mais que < si tu mets une intention dedans, ça vadire quelque chose >. Bien sûr, il est fréquent, au cours des cérémonies, queles colas retombent d'abord dans une position défavorable, et qu'on lesrelance alors une deuxième et même une troisième fois, voire davantage,sans (se) demander la raison de la position défavorable initiale. Mais c'est làune démarche qui a ses limites. En effet, il est légitime de relancer les colasaprès un, voire deux refus des anqêtres, pour voir si ceux-ci <( sont fermeslà-dessus >. Mais continuer à solliciter une position favorable des colasaprès une série de refus relève de I'entêtement. Comme me le direntdifferents informateurs, c'est alors en quelque sorte chercher à forcer lamain des ancêtres (ou du vôdun consulté quel qu'il soit), qui vont finir parignorer la question et donner une réponse favorable en apparcnce, pour

connaissent; le secret d'egun, les femmes y participent; si une femme rencontre ôrô, ôrô '-

va l'emporter >. Et ce proverbe me rappelle souvent I'embarras de Philippe Jespers le jour ioù, lors d'un cours d'<< anthropologie religieuse >, une étudiante lui demanda ce qui arrivait 'aux femmes qui transgressaient les interdits de la société initiatique masculine du komo, en ,uipays minyanka: Philippe Jespers était embanassé parce qu'il ne savait pas comment ,.iintroduire la fin toujours potentiellement fagique de ce genre d'incident, et la menace de .jmort qui plane sur ces femmes. Quelle que soit I'empathie qu'on puisse éprouver pour les . jsociétés initiatiques africaines en effet, la violence dont elles sont chargées (indéniablement .::jplus dhecte que dans d'autres systèmes sociaux) ne saurait être éludée. l!

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punir ceux qui consultent avec tant d'insistance sans chercher à connaître lesraisons de leur insatisfaction et de leur refus initial. Et pour reprendre lestermes d'un ami vôdunnon [prêtre d'un vôdunl à Abomey (qui s'exprimaiten langue fon) : < si tu ne cherches pas [à comprendre les raisons d'un refusrépété] et que tu demandes 'tu acceptes ? tu acceptes ? tu acceptes ?', tu I'asforcé à accepter >>. Or, < si tu insistes, que ça accepte et que la personne [aunom de laquelle le spécialiste rituel lance les colas] ne voit pas de bonneschoses [dans sa vie], tu n'as pas fait un bon travail >.

La façon dont retombent les quartiers de cola au cours des cérémoniesn'est manifestement pas problématisée ici en termes de probabilitésstatistiques. Elle est bien plutôt comprise d'emblée, ( pratiquement )),comme un signe à interpréter, dans un système où le hasard n'a pas sa place.Chacun peut d'ailleurs raconter un cas où les colas ont obstinément refuséde retomber dans une position favorable jusqu'à ce que, en posant par leurintermédiaire de nouvelles questions aux ancêtres, on identifie le problèmeque ceux-ci voulaient voir résolu.

Même si on est davantage susceptible d'en douter dans d'autres mondessociaux, les ancêtres existent donc bel et bien. Mais on ne les voit pas, on nesait pas très bien comment ils agissent, on ne sait pas très bien pourquoi ilsn'agissent pas toujours quand on a besoin d'eux, et on n'est pas tout à faitsûr qug la façon dont on interagit avec eux au cours des rituels est labonnels. c'est là du moins ce que différents chants et énoncés rituelslaissent entendre. Le culte des egun possède évidemment, dans une régioncomme celle de Ouidah, plusieurs dizaines de chansons plus ou moinspopulaires, et qui abordent des thèmes fort divers. Je n'en ai retenu ici quequelques-unes qui illustrent relativement bien mon propos, et en particulier

It Dans le bel ouwage qu'il a récemment consacré aux Ankave-Anga, P. Lemonnier reièvela très forte naturalisation de la croyance aux esprits (et aux esprits crnnibales ombo' enparticulier) dans cette population, mais aussi les doutes qu'ont les acteurs sur le moded'existence de ceux-ci (bien davantage que sur leur existence même : voir supra). Il écritainsi, en évoquant diverses catégories d'esprits distinguées par les Ankave: < les doutesqu'inspirent ces êtres invisibles ne se limitent pas à leur essence, mais concernent aussi leurauitude générale envers les Ankave, qui les perçoivent globalement de manièreambivalente. > Et plus loin : < I'imprécision des diapostics des chamans est un corollairede I'incertitude qui caractérise la natue des divers êtres de I'ombre et leurs interactionsavec les Ankave r> (Lemonnier 2006:283-284). Toutefois, si I'on en croit P. Lemonnier,les doutes portant sur le mode de vie et les caractéristiques des esprits ne vont à aucunmoment, dans cette population anga" jusqu'à la remise en question de leur existence : laprise en compte de l'action dans le monde de diverses catégories d'esprits est au cceur de< I'attitude naturelle > des Ankave, ou, pour le dire autremenl de leur compréhensionpratique du monde.

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le fait que, si la croyance aux ancêtres est bien réelle dans les milieux quipratiquent leur culte, et reproduite au quotidien par des habitudes de penséenon réfléchies comme telles qui placent I'action des défunts au cæur de lavie courante, elle n'est pas << naiïe ) pour autant. Les acteurs savent fortbien qu'on << ne voit pas les oricha >>, c'est-à-dire les divinités, comme le ditune chanson du culte egun. Et les initiés connaissent évidemment mieux quequiconque les ressorts du retour des défunts sous la forme de masques. Uneautre chanson populaire du culte egun ditainsil6 :

Après bien des cérémonies. c'est le pagne que nous connaissons [bis]Celui qui est mort est parti pour de bonC'est le pagne que nous connaissonsNous ne savons pas ce que sont les egun

C'est en effet << après bien des cérémonies > qu'un nouveau ( pagne )(façon de désigner les masques, lesquels sont, je I'ai dit, essentiellementfaits de dif[erentes couches de tissus épais et souvent coûteux) est cousuporir un défunt, qui est alors pleinement ancestralisé. Une autre chanson,régulièrement chantée par les << revenants >> eux-mêmes autour des cercueils(dans les lignages elegun, ce sont les revenants en personne qui prennent encharge une partie des cérémonies funéraires précédant I'inhumation, et cesont eux qui conduisent les chants chantés autour du cercueil) :

C'est maintenant dans l'éternité qu'on se rencontrera sur le cheminC'est maintenant dans les rêves qu'on se rencontera sur le chemin

On le chante donc ouvertement, même si les femmes ne peuvent pasdévelopper ce sujet en public et si les initiés répètent à qui veut I'entendreque les défunts sont présents sous les pagnes : on ne revoit pas les morts.Dans la mesure évidemment où le culte des egun est enfre les mains d'unesociété initiatique masculine, de telles chansons sont aussi des moments de<< sécrétion >>, c'est-à-dire d'exhibition de < fragments du secret > initiatique,que les initiés laissent échapper devant les non-initiés (Zempléni 1996 :24),dans une logique de défi proche de celle du Zarathoustra de F. Nietzsche,

tu Tous les chants et extraits de < littérature orale > yoruba évoqués dans ce texte ont ététaduits avec l'aide indispensable d'un connaisseur reconnu des cultes egun et ôrô àOuidah, yorubophone au quotidien, qui a tenu à rester anonyrne.

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citant les Evangiles : <( que celui qui a des oreilles, entende ! > Mais se taise.Et haite les << revenants >> avec le respect dû aux ancêtresl7.

ce n'est pas seulement, toutefois, de sécrétion qu'il s'agit dans de telleschansons, mais aussi des choses que, dans ce monde social, on sait de lamort, des ancêtres, et des divinités en général (appelées oricha en yoruba,les ancêtres étant un type particulier d'oricha) : lls ne peuvent êtreappréhendées empiriquement de la même façon que les hommes. Enfin, onsait aussi, bien évidemment, que si le pouvoir des ancêtres est incontestable,aucune divinité ni aucun ancêtre ne protège indéfiniment de la mort. onchante encore, toujours dans le culte egun, et en désignant ici les ancêtrescoûlme oricha;

'' La << sécrétion > peut aller assez loin dans le culte egun. Mais la discrétion d'une note debas de page convient parfaitement aux < parenthèses r> qu'on entend toujours conserverautour de ces dévoilements fi:rtifs de morceaux du secret initiatique. On l'a dit, les femmes,qui connaissent bien souvent le rôle que les initiés jouent dans la sortie des << revenants >r,ne peuvent pas faire état de ce savoir. Je connais toutefois une famille, à Porto-Novo, où lesfemmes elles-mêmes peuvent se réapproprier furtivement le secret initiatique et I'exhiberelles aussi pendant uD moment, le temFs d'une chanson : << c'est Adegboro [nom duprincipal << revenant > du lignage] qui est notre père ! C'est Adegboro qui est notre père !Vraiment, cela me désole que nous ne soyons pas des hommes ! Sinon je rentrerais dans lamaison [des initiés] pour prendre un pagne de revenant et le porter ! > Un tel cas est trniqueà ma connaissance, et les femmes ne peuvent de toute façon en aucun cas pénétrer les lieuxréservés aux initiés (à I'exception des rares femmes ménopausées initiées). Enfin, on l'a dit,les < revenants D eux-mêmes parlent lors de leurs sorties, d'une voix rauque et dans gnelangue souvent poétique. La << sécrétion D peut alors venir de leur propre chef. Je nedonnerai ici qu'un exemple d'un tel phénomène, relativement rare par ailleurs au Sud-Bénin : < Il y a trois choses différentes datt5 1s domaine des choses relatives à l,initiation, eton ne doit pas âmener une femme à les connaître. Il y a une rivière tranquille dans ledomaine des choses relatives à I'initiation, et on ne doit jamais amener une feuune à laconnaître. C'est I'endroit où les enfants des egungun lavent les pagnes. Il y a une montap.eélevée dans le domaine des choses relatives à l'initiation, et on ne doit jamais amener qnefernme à la connaître. C'est I'endroit où les enfants des egungun font sécher les pagnes. Il ya une petite pièce dans le domaine des choses relatives à I'initiation, et on ne doit iamaisarnener une femme à la connaître. C'est l'endroit où les enfants des egungun s'habilient. Ily a une place publique dans le domaine des choses relativcs à l'initiation. Amenez lesfemmes à la connaître ! C'est I'endroit où les enfants des egunguLr crient 'initiés, eh !'[slogan conventionnel masculin qui accompagne les cérémonies du culte egmf >r.

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C'est la mort que nous allons adorer,Et nous allons abandonner les oricha.C'est la mort que nous allons adorer,Et nous allons abandonner les oricha.Quand la mort tue quelqu'un, que regarde l'oricha 2Quand la mort tue quelqu'un, que regarde l'oricha ?

On sait donc bien que le pouvoir des oricha est limité, et qu'il est deschoses auxquelles I'homme n'échappe pas. ( Tout ce qui est né rnourra >>,dit un proverbe fon. Tandis que certains disent aussi, toujours en fon, dansle milieu des pratiquants des cultes < traditionnels >> au moins, que ( c'est lamort qui est Dieu >>, c'est-à-dire la chose dont on fait I'inévitable expérience(et dont on ne peut dès lors nier I'existence) sans jamais la voir: ( commeDieu, on n'a pas \1r la mort ), me dit un jour un informateur régulier encommentant cette expression. Ainsi, ce n'est pas parce qu'on ne voit pasquelque chose, ou qu'on n'en fait qu'une expérience indirecte, qu'ellen'existe pas. Et en chantant qu'on va abandonner le culte des oricha (enI'occurrence, celui des ancêtres), on ne fait en définitive que rappeler ceux-ci à leur devoir de bienveillance envers ceux qui les honorent régulièrement.Car si les hommes se doivent d'honorer les dieux, ceux-ci leur doiventassistance. Une certaine réciprocité est nécessaire à la poursuite de larelation entre hommes et dieux, car on reconnaît également que les dieuxaussi, dans une certaine mesure, < dépendent > des hommes : sans adeptespour les louer et pour prendre en charge leur culte, les divinités ne seraientpas respectables.

C'est dans cette logique qu'on dit au Sud-Bénin que ( sans hommes, iln'y a pas de vôdun >> (vôdun étant l'équivalent strict en;fon de ce qu'orichaest en yoruba). Mais cette dépendance mutuelle des hommes et des dieux ases limites : vn vôdun ou un oricha négligé est toujours susceptible de serappeler à ceux qui ont en principe la charge de son culte (voir aussi Barber1981 : 732): dans une logique abductive hès présente dans ce monde social,les difficultés que ceux qui négligent un culte rencontreront dans le cours deleur existence, seront imputées à leur négligence. Dans un article déjà unpeu ancien, K. Barber, spécialiste reconnue du monde yoruba, écrit ainsique ( la conviction yoruba que les oricha ont besoin de I'attention deshommes n'est en aucune façon une mise en question de l'existence d'êtrespirituels en tant que catégorie >> d'existants (1981 :74I). Au Sud-Bénin, oncompare aussi régulièrement vn vôdun à une voiture : si personne ne conduitla voiture, elle ne s'ébranle pas. Cela ne signifie pas que la voiture n'existepas.

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En fait, la reconnaissance de la dépendance des dieux envers les hommes,si elle est indubitablement présente chez bien des pratiquants des cultes< traditionnels >>, est aussi un raisonnement dont les conséquences ne sontjamais tirées jusqu'au bout (c'est là la raison pour laquelle on peut parler de< logique pratique >), pour mettre en cause par exemple I'existence mêmedes oricha (ou des vôdun), car cette façon de penser est toujours dialectiséepar une reconnaissance, ( pratique > elle aussi, de I'hétéronomie deshommes, du fait qu'on ne maîtrise pas véritablement le cours de la vie:chac,:n sait dans ce monde social op'il y a des choses qui le dépassent. quece soit parce qu'elles font partie de ce qu'il est <( venu voir >> en naissant(c'est-à-dire qu'elles existaient avant sa naissance), ou parce que, comme lamort ou les phénomènes attribués à l'action des esprits, il n'a pas vraimentde prise dessus.

.*i::ii';Ë ::iT:i:::'"," J:i;: "De la même façon qu'on ne sait pas bien comment les esprits, ancestraux

ou autres, se manifestent (ce qui n'empêche pas leur action d'être au cceurd'habitudes de pensée fort naturalisées, et de la compréhension ordinaireque la majorité de la population du Sud-Bénin a du monde), on n'est pastoujours sûr que la façon dont on s'adresse aux ancêtres et dont on leshonore est la bonne. Il est dès lors, dans les prières, certaines formules quipermettent de s'excuser d'emblée de son ignorance auprès des ancêtres, et

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de prévenir ainsi leur courroux potentiel envers une cérémonie malexécutée, envers un script rituel mal respecté. On peut ainsi dire, en yoruba,au moment de clôturer la prière adressée aux ancêtres avant un sacrifice :<< si nous savons [comment] faire, acceptez [notre prière] ; si nous ne savonspas [comment] faire, acceptez- C'est de n'importe quelle manière que lesenfants adorent leurs tas de sable [faits pour jouer à imiter les fétiches desadultes] >tt. Et I'informateur régulier auquel je demandais si cela pouvaitvouloir dire qu'on ne savait finalement pas si les ancêtres existaientm'opposa un franc ( non, ce n'est pas ça >, m'expliquant que c'était parcequ'on doutait de sa connaissance des procédures rituelles quoonpouvait direça, car en fait la phrase en question n'est pas systématiquernent intercalée àla fin des prières. Mais c'est en tout cas au niveau des procédures rituellesque le doute est, potentiellement, institutionnellement présent dans larelation que les pratiquants des cultes < traditionnels >> entretiennent avecleurs ancêtres, et avec les esprits en général. Le doute qui peut s'exprimersur le mode d'existence de ceux-ci ne s'exprime que hors contexte rituel, etde façon toujours passagère.

Croire aux ancêtres

P. Veyne écrivait, il y a une dizaine d'années, qu'<< envers une croyancecommune, il n'y a jamais d'attitude ou de réaction qui serait commune àtoute une collectivité ou classe ; habitus ou pas, toute société, tout groupe,est hétérogène à cet égard. Dans la description sociologique, la saisie des'degrés d'habituation' précède la typologie des habitus > (1996 :257). Enrappelant qu'un individu n'est pas I'autre, que deux parcours desocialisation ne sont jamais identiques, P. Veyne fait certainement preuved'une prudence interprétative louable. La réificabion des collectifs a étélongtemps un travers des sciences sociales. Jusqu'où peut-on, toutefois,poursuiwe de tels raisonnements ? Et faut-il vider les ( croyancescommunes >, religieuses ou autres, de toute efficacité sociale, au motifqu'elles seraient inégalement distribuées ? Si de tels commentairesrappellent utilement qu'il existe toujours des formes d'hétérogénéité dansI'intériorisation des façons de penser ou des nonnes dans un groupe ou unmonde social, ne faut-il pas reconnaître d'emblée également qu'on ne

r8 Une formule à peu près équivalente existe en langue fon : < si la chose du vôdun est malfaite, cela ne tue pas I'adepte du vôdun. Si nous savons prier, vous allez accepter ; si nousne savons pas prier, vous allez accepter. [Mais] nous saurons toujours bien prier ! >

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mesure que difficilement l'homogénéité et I'hétérogénéité, et que celles-cisont nécessairement affaire de point de vue ou d'échelle ? Pour prendre unexemple classique, on peut souligner, selon les perspectives, la considérablediversité des langues humaines ou I'indéniable unité du fait langagier.Derrière les attitudes hétérogènes envers les croyances partagées dans unmonde social, on trouve fatalement des schèmes ou des habitudes de penséesemblables, certes inégalement intériorisés, mais dont on peut aussi rendrecompte de la diversité des modalités d'intériorisation par une sociologie finedes trajectoires individuelles, et des modes de cohabitation des diversesinstances socialisatrices touiours présentes dans une société.

P. veyne ne nie d'ailleurs probablement rien de cela. Mais la < docilité >et le souci de la norme qu'il considère comme les véritables moteurs deI'adhésion religieuse chez le plus grand nombre (veyne 1996) n'excluentpas I'intériorisation de schèmes de pensée et le partage de croyances- Ladocilité ne signifie pas I'indifférence, et se conjugue très ordinairement avecI'intériorisation d'habitudes de pensée que les acteurs religieux les moinsproches de l'élite, ou des << virtuoses > évoqués par M.

'Weber (1996),

finissent également par mettre en æuvre malgré eux, sans y penser. Or,lorsqu'on considère a priori qu'une amulette ne fait jarnais que rassurer<<un peu >> son porteur (Veyne 1996:261), quel que soit le contextehistorique et social, ne sous-estime-t-on pas la force de certainessocialisations religieuses ? Est-il légitime de décréter que les hommes, aufond" ont rarement pris leurs croyances religieuses au sérieux ? Ne risque-t-on pas alors de manquer les différences d'intensité, pourtant évidentes, quepeuvent avoir les socialisations religieuses selon les époques et les sociétés ?Ne faut-il pas plutôt étudier empiriquement les différentes modalitésd'adhésion envisageables aux objets de pensée religieux ? Est-ce parce queles pèlerins du culte marial ont aujourd'hui le souci de ne pas passer pourdes fous, voire de présenter des arguments empruntant au registrescientifique (claverie 1990) que la vierge a de tout temps été uneconstruction sociale au statut ontologique identiquement problématique ?Ne faut-il pas plutôt envisager qu'il existe différents degrés de naturalisationdes systèmes religieux et des habitudes de pensée qui sont (re)produites auquotidien dans les mondes sociaux qui portent ces systèmes ?

Dans les dernières nnnées, j'ai assisté à plusieurs interactions au seindesquelles les ancêtres n'étaient pas qu'<< un peu >> présents, maisimmédiatement disponibles comme ressorts explicatifs. Pour ne prendre icique quelques exemples, on m'a raconté comment I'enfant d'un ami avaitchanceusement échappé à un accident de car et comment la première chose

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qu'on avait faite ensuite, c'était remercier par un sacrifice l'ancêtre de lacollectivité lignagère avec lequel I'enfant entretenait une relationparticulière; on m'a rendu compte de la fin de cycles rituels en me disantavant tout autre commentaire que le défunt avait < bien pris > lescérémonies qui lui avaient été adressées (chose dont on avait pu se rendrecompte grâce à la position frès favorable dans laquelle étaient retombés lesquartiers de noix de cola au moment idoine des rites); on m'a racontécomment il fallait absolument qu'on organise une messe d'anniversaire dedécès pour un mort qui apparaissait en rêve, sans quoi on << n'aurait pas lapaix >>, etc.

De tels cas de figure ne font évidemment pas des auteurs de tels récits, nides acteurs engagés dans ces entreprises, des hommes et des femmes à toutmoment pénétrés de choses religieuses. Le sens pratique (comme le sensthéorique d'ailleurs) n'existe qu'en situation (Bourdieu 1980), et lesmoments religieux de ces hommes et de ces femmes ne sont pas non plustous intenses, loin de là. Les rites pour les ancêtres, lorsqu'ils n'ont pas lieudans un contexte de crise familiale, se déroulent souvent dans une ambiancedétendue, voire rigolarde. Mais si les moments de croyance sont passagers,ils sont bien ancrés dans des schèmes de pensée intériorisés qui, ensituation, rendent possible leur surgissement périodique (et dont la régularitépeut être établie par I'observation) : I'analyse du croire en situation ne doitpas négliger les dispositions d'esprit ou les < aptitudes d'arrière-plan ), pourreprendre une notion searlienne (Searle 1998: 167-192), qui rendentpossibles les < états ponctualisés >> de croyance et les < connexions mentalespositives )) avec des objets de pensée religieux (Piette 2003 : 68-69).

La problématisation accrue des notions de < croire > et de <( croyance )par les travaux récents que j'ai évoqués a eu le mérite difficilementcontestable d'attirer I'attention sur les usages communs peu réfléchis, voireparesseux, du terme. La sociologie de P. Bourdieu offre ainsi un bonexemple de sociologie ayant peu problématisé la notion de croyanc e" . Lucroyance est en effet bien souvent, cbezP. Bourdieu, cette reconnaissancepratique, non réfléchie, littéralement incorporée (voir notamment Bourdieu

le E. Diantei[, da.ns un article érudit et suggestif, a bien monhé que, si la sociologie de P.Bourdieu comporte peu de travaux de sociologie des religiots stricto sezsa, differentsconcepts importants de l'auteur ont toutefois été élaborés sur le terrain de la sociologie desreligions, mais aussi que d'autres notions auxquelles P. Bourdieu accorde une placecentrale proviennent plus ou moins directement des sciences sociales du fait religieux(croyance, magie sociale, etc.), si bien que la sociologie bourdieusienne peut presque êtreconsidérée comme une < sociologie des religions généralisée > (Dianteill Z00Z)-

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1997 : 169,203), des grands principes de division du monde social, surlesquels repose la reproduction de celui-ci. Mais en procédant ainsi, enfaisant bien souvent comme si la socialisation produisait une adhésion stableet non problématique à I'ensemble des injonctions sociales, on occulte laquestion des degrés divers de naturalisation que possèdent les différentescomposantes de < I'ordre social >>, et donc la diversité des effets de croyanceproduits par tel ou tel monde social. L'ironie ou I'auto-dérision, si présentesdans nombre de sociétés, reçoivent peu d'attention dans les travaux de P.Bourdieu (une exception notable cependant : I'analyse consacrée au << riredes évêques >>, qui évoque précisérnent << la lucidité >> et la réflexi.rité desagents sociaux-voir Bourdieu 1994 200-211). Il en va de même desmanifestations d'incertitude. Ou des déchirements intérieurs (même si ceux-ci ont reçu davantage d'attention dans la sociologie bourdieusienne,notamment lorsque le sociologue de La misère du monde évoque les< injonctions contradictoires > présentes dans certaines socialisations - voirBourdieu 1993 : 1091-1103) De tels phénornènes offrent pourtantindéniablement une voie d'accès pour étudier les engagements partiels, lescroyances à demi-mot, les ambiguités, les hésitations ou les doutes qui sontprésents dans tant d'investissements sociaux, religieux ou autres. Mais onrejoint en fait ici, en partie, une critique plus largement adressée à lasociologie bourdieusienne, laquelle sous-estime visiblement la connaissanceque les acteurs sociaux développent des mondes sociaux dans lesquels ilsévoluent (pour une formulation claire et succincte de cette critiquefréquente, voir Corcuff 2000 : 38-39).

Sans faire en effet de I'homme un être indécis en pennanence, il fautpouvoir reconnaître les doutes passagers dont sont émaillées ies habitudesde pensée que nous mettons le plus souvent en ceuwe de façon << naturelle >,et la réflexivité dont peuvent faire preuve les agents sociaux. Au Sud-Bénincomme dans I'Europe occidentale d'aujourd'hui, les acteurs religieux sontbien conscients qu'on ne fait pas I'expérience de I'action des ancêtres ou dela Vierge comme celle de la pluie ou de la chute des corps. Il n'est pasmoins vrai cependant que la reconnaissance de l'action d'esprits invisiblesdans la vie des hommes est inégalement naturalisée (au sens d'inégalementconcrurencée par d'autres modes d'explication des phénomènes de la viequotidienne) dans le Sud-Bénin contemporain et dans I'Europed'aujourd'hui, et que I'existence des ancêtres n'est pas aussi problématiqueau Bénin qu'en Europe I'action de la Vierge (Claverie 1990) ou la surviedans un au-delà et << la confiance en Dieu > (voir Piette 2005 :75-99). On afait remarquer que la notion de croyance était saturée par les connotationsdisqualifiantes et les ambiguiTés théoriques (voir Lenclud 1990), et elle est

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certainement loin d'être la seule notion de I'anthropologie dans ce cas. Maison ne pourrait plus, dans un tel contexte, raisonnablement croire à lacroyance (Lenclud 1990: Pouillon 1993). Nul ne décide vraiment,cependant, de la postérité des concepts, et mon souci ci-dessus était surtout(on I'aura compris je I'espère) de rappeler qu'on ne saurait jeter trop vite lebébé des logiques pratiques ou des dispositions intériorisées avec le bain descrovances.

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