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Le Matin Dimanche 25 mars 2018 Décryptage Les équipes nationales de football comptent toujours plus pour des prunes 37 Témoignages Ils sont devenus millionnaires à 20 ans et ont eu du mal à l’assumer 42-43 Sport pour tous Dans un mois, vous courrez 10 kilomètres sans difficulté et avec plaisir 45 Qui est là? C’est Roger! I l faut supporter ses humeurs, sauf que les siennes sont conçues pour atteindre des variations de températures extrêmes: ardeur, fraîcheur, sang-froid. Sommet, traversée du désert… Le show et l’effroi; tout le temps. Il faut abandonner son échelle de va- leurs, peut-être renoncer à une certaine hauteur de vue: considérer qu’une faute de carre est une incartade, qu’un tacle assassin est un délit, qu’un mauvais service est une honte, qu’une erreur d’arbitrage est une injustice. Sortir avec un sportif: ne pas oublier qu’il est le seul à comprendre. Et encore, à cet effet, est-il secondé par les meilleurs professionnels de l’empathie, psys, coaches, kinés, alors que le conjoint débarque sans diplôme ni trompette, avec ses axiomes et ses phrases toutes faites. Sortir avec un sportif: dorloter et éperonner avec semblable vigueur, dans le juste timing. Soutenir, ne jamais laisser tomber car, il ne faut jamais l’oublier, le plus vulnérable des deux est le costaud, l’expert ès bravades, celui qui passe son temps à forger des muscles d’acier et un mental inoxydable. Ce n’est pas sa faute, il est conçu comme ça: il ne pense qu’à sa carrière. On l’initie depuis tout petit à l’ambition et à l’optimisa- tion des aptitudes, on lui apprend à n’écouter que son corps, jusqu’au moindre frémissement, à tout garder pour lui et à rester dans sa bulle (en bon français: rester focus), à développer une forme de surexcitation appropriée et contenue, à des fins personnelles. Tout le monde le regarde, le veut, il est au centre de ce monde qui gravite autour de lui et donne le tournis à quiconque un peu stable, un peu pieds sur terre, voudrait s’y installer. Il faut accepter cette vie, ce travail qui mêle tout à la fois les travers de l’homme d’affaires et les par- cours du combattant. Il s’en va en guerre, on ne sait pas quand il rentre. Il part en séminaire, on ne sait pas qui il fréquente. Roger Federer disait en 2009 qu’auprès d’une femme acariâtre, s’il avait dû se faire gronder pour cinq sets interminables ou quel- ques traînasseries futiles en salle de soins, s’il avait dû craindre les œillades appuyées sur sa droiture inflexible, il n’aurait jamais pu exercer ses talents, sinon son métier. Comprendre et se comprendre: envie d’en parler à son cheval. «S’entendre dire qu’on ne peut pas comprendre», renchérit une femme de hockeyeur. Voilà pourquoi Lara Gut, personnalité étanche et sans autre forme d’extravagance, présente davan- tage de points communs avec Valon Behrami, foot- balleur percé et tatoué comme un pont d’autoroute, qu’elle n’en aurait jamais eu avec le facteur ou le banquier. Voilà pourquoi tant de sportifs s’aiman- tent un jour devant la machine à café, plus que tout autres, au premier signe de rapprochement. Sortir avec un sportif: ce n’est pas donné à tout le monde. Et d’abord, est-ce un cadeau? [email protected] Replay Christian Despont Rédacteur en chef des sports Sortir avec un sportif «Ne pas oublier qu’il est le seul à comprendre. Et encore, à cet effet, est-il secondé par les meilleurs profession- nels de l’empathie, psy, coach» Roger qui? Ou quand le plus grand tennisman de tous les temps décide de rendre visite à une famille suisse. À LIRE EN PAGES 34-35 TOC TOC TOC Helmut Wachter/13photo

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Le Matin Dimanche 25 mars 2018

Décryptage Les équipes nationales de football comptent toujours plus pour des prunes 37Témoignages Ils sont devenus millionnairesà 20 ans et ont eu du mal à l’assumer 42-43Sport pour tous Dans un mois, vous courrez 10 kilomètres sans difficulté et avec plaisir 45

Qui est là? C’est Roger!

Il faut supporter ses humeurs, sauf que les siennes sont conçues pour atteindredes variations de températures extrêmes:ardeur, fraîcheur, sang-froid. Sommet,traversée du désert… Le show et l’effroi;tout le temps.

Il faut abandonner son échelle de va-leurs, peut-être renoncer à une certaine hauteur de vue: considérer qu’une faute de carre est une incartade, qu’un tacle assassin est un délit, qu’un mauvais service est une honte, qu’une erreur d’arbitrage est une injustice.

Sortir avec un sportif: ne pas oublier qu’il est le seul à comprendre. Et encore, à cet effet, est-il secondé par les meilleurs professionnels de l’empathie, psys, coaches, kinés, alors que le conjoint débarque sans diplôme ni trompette, avec ses axiomes et ses phrases toutes faites.

Sortir avec un sportif: dorloter et éperonner avecsemblable vigueur, dans le juste timing. Soutenir, ne jamais laisser tomber car, il ne faut jamais l’oublier, le plus vulnérable des deux est le costaud, l’expert ès bravades, celui qui passe son temps à forger des muscles d’acier et un mental inoxydable.

Ce n’est pas sa faute, il estconçu comme ça: il ne pense qu’à sa carrière.On l’initie depuis tout petità l’ambition et à l’optimisa-tion des aptitudes, on luiapprend à n’écouter que soncorps, jusqu’au moindrefrémissement, à tout garderpour lui et à rester dans sa bulle (en bon français:rester focus), à développer une forme de surexcitationappropriée et contenue, à des fins personnelles.

Tout le monde le regarde,le veut, il est au centre de ce monde qui gravite autourde lui et donne le tournis à quiconque un peu stable,un peu pieds sur terre, voudrait s’y installer.

Il faut accepter cette vie,ce travail qui mêle tout à la

fois les travers de l’homme d’affaires et les par-cours du combattant. Il s’en va en guerre, on ne sait pas quand il rentre. Il part en séminaire, on ne sait pas qui il fréquente. Roger Federer disait en 2009 qu’auprès d’une femme acariâtre, s’il avait dû se faire gronder pour cinq sets interminables ou quel-ques traînasseries futiles en salle de soins, s’il avait dû craindre les œillades appuyées sur sa droiture inflexible, il n’aurait jamais pu exercer ses talents, sinon son métier.

Comprendre et se comprendre: envie d’en parlerà son cheval. «S’entendre dire qu’on ne peut pas comprendre», renchérit une femme de hockeyeur. Voilà pourquoi Lara Gut, personnalité étanche et sans autre forme d’extravagance, présente davan-tage de points communs avec Valon Behrami, foot-balleur percé et tatoué comme un pont d’autoroute, qu’elle n’en aurait jamais eu avec le facteur ou le banquier. Voilà pourquoi tant de sportifs s’aiman-tent un jour devant la machine à café, plus que tout autres, au premier signe de rapprochement.

Sortir avec un sportif: ce n’est pas donné à tout le monde. Et d’abord, est-ce un cadeau?

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Replay

ChristianDespontRédacteur en chef des sports

Sortir avecun sportif

«Ne pas oublier qu’il est le seul à comprendre. Et encore, à cet effet, est-ilsecondé par les meilleurs profession-nels de l’empathie, psy, coach»

Roger qui? Ou quand le plus grand tennisman de tous les temps décide de rendre visite à une famille suisse.

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Le Matin Dimanche25 mars 201834 Tennis

Il franchit le seuil de la porte, pile à l’heure.Et lâche, fidèle à sa décontraction désor-mais légendaire: «Dans le sport, tout lemonde se tutoie.» C’est l’histoire de la ren-contre entre Sonja, Philipp, Patrick, Chris-tian et un certain Roger.

Une semaine avant le jour J, Sonja se faitdéjà un sang d’encre. Elle est attablée danssa cuisine et les questions fusent dans latête de la mère de famille. Est-ce qu’ellepeut lui offrir à boire dans un verre? Préve-nante, elle décide d’acheter une douzainede boissons en bouteille. Doit-elle déplacerle joli fauteuil Ikea qui fait la fierté du sa-lon? Ne serait-il pas mieux que les enfants –Philipp, l’aîné, Patrick, celui du milieu, etChristian, le benjamin – portent la tenue deleur club de sport pour la photo? Ce seraitun joli symbole pour remercier la Fonda-tion de Roger, non? Pour elle qui a si sou-vent pu compter sur du soutien – la famille,la fédération, les amis, la communauté pa-roissiale, même le garagiste –, ce serait unbon moyen de renvoyer l’ascenseur. Parceque Sonja s’estime chanceuse d’avoir euautant de gens pour l’aider. Bien sûr, ellen’a pas fait que recevoir, elle a aussi donné.Mais ça… – attention, elle va commencer àpleurer, les émotions menacent – qu’a-t-elle fait pour mériter ça?

Le dimanche d’avant, dans un rituel im-muable, la télévision résonne à plein tubedans le salon. La finale de l’Open d’Austra-lie accapare toutes les attentions. Commeun chat noir, Sonja se rend compte qu’àchaque fois qu’elle regarde un point déci-sif, le favori de la maison le vendange.Voilà qui n’est pas du goût de son aîné:«Maman, tu ne voudrais pas aller faire untour dehors?», lui ordonne Philipp. Aprèsla balle de match, ses joues se transfor-ment en torrent de bonheur. Elle est telle-ment heureuse que ses enfants aient enfinpu assister à ça – ils étaient trop jeunes ladernière fois.

«Vous lui feriez du café?»Deux jours plus tard, le téléphone sonne.Peu avant midi, alors que Sonja allait semettre aux fourneaux pour le déjeuner. Lenuméro commence par 044, d’habitudec’est de la pub, mais Sonja sent qu’elle doitrépondre. C’est une dame du Secours d’hi-ver au bout du fil. Elles papotent un mo-ment, jusqu’à ce que ça fasse «tilt». Sonjadoit s’asseoir. «Vous seriez d’accord defaire du café s’il apporte le dessert?», de-mande la dame.

«Il», c’est Roger Federer, le meilleurjoueur de tennis de tous les temps, un desplus grands sportifs de l’histoire, le plusconnu des Suisses avec Guillaume Tell. Etparce qu’il n’est pas – comme tous ceux quiont eu l’occasion d’échanger quelquesmots avec lui ont pu le constater – unesuperstar déconnectée des réalités ducommun des mortels, Roger Federer a crééen 2003 une fondation éponyme. Le Bâloissoutient des initiatives humanitaires enAfrique dans le domaine de la scolarité et,par ricochet, «des projets pour la promo-tion parascolaire des enfants affectés par lapauvreté en Suisse».

Cette phrase est en exergue sur le siteInternet de l’homme aux vingt titres duGrand Chelem, et elle dit tout du profes-sionnalisme de la structure mise en place.Car Roger Federer est plus qu’un joyeuxgénie du tennis. C’est un formidable tou-che-à-tout, qui redouble de sérieux, d’as-

siduité et d’engagement dans tout ce qu’ilentreprend. Là, il est passé maître dansl’art d’utiliser son agenda à bon escient:collecter de l’argent, donner de sontemps, promouvoir sa bonne cause avecla force de son nom en étendard. Restequ’il ne va pas jusqu’à vérifier commentest utilisé chaque centime, c’est là le tra-vail de personnes de confiance. C’est ainsiqu’est née l’aventure avec le Secours d’hi-ver, au travers du projet commun appelé«Empowerment», qui soutient actuelle-ment 718 enfants de familles à faible re-venu sur plusieurs années en Suisse. Sil’on prend pour référence les lignes direc-trices de la Conférence suisse sur l’aidesociale (SKOS), 76 000 enfants viventdans la pauvreté en Suisse. Au total,570 000 personnes, soit un peu moins de7% de la population résidente perma-nente.

Faire du sport coûte que coûteLes enfants de Sonja ont toujours faitbeaucoup de sport. Elle a toujours mis unpoint d’honneur à ce que sa progéniturereste active, surtout de nos jours, où la plu-part des gamins ne savent même plus fairele poirier. Sonja elle-même a longtempsété une grande sportive – gymnastique, skialpin, et même du handball en troisième li-gue. Lorsque Christian, le benjamin, a étésélectionné par l’Association cantonalegrisonne de football pour faire partie deson équipe, le bonheur a vite laissé placeau désarroi: trois entraînements par se-maine, trois fois avec le train jusqu’à Coireou Domat/Ems, et retour. Dans ce genre decas, un AG est meilleur marché qu’unabonnement de parcours. Mais, dans lesdeux cas, l’argent manque.

Sonja a 47 ans – formation employée decommerce. Après son divorce, elle s’est re-trouvée seule avec trois enfants en bas âge.Sans revenu, sa carte bancaire bloquée etune hypothèque sur le dos. Après dix an-nées passées à l’écart du monde profes-sionnel, elle s’est vite retrouvée à faire laqueue avec des réfugiés lors de distribu-tions de nourriture. Aujourd’hui, elle a dé-niché un emploi à 40% auprès de la pa-roisse et fait quelques ménages, si bienque, l’un dans l’autre, elle peut se dégagerun salaire à la limite du minimum vital.Bref, les temps sont durs.

Mais Sonja est toujours restée positive.Elle n’a jamais eu honte de solliciter del’aide, comme lorsqu’elle a fait la demandede payer ses frais de chauffage par tran-ches. Pareil face à ses enfants, elle n’a ja-mais fait de secrets: une famille ouverte,simple, qui explique peut-être aussi pour-quoi les enfants sont si bien intégrés dansle quartier, au club de sport ou à l’école, etqu’ils ne doivent pas endurer les moque-ries parce qu’ils n’ont pas des habits demarque.

La pauvreté appelle la pauvretéDe fil en aiguille, Sonja a trouvé les bonssoins du Secours d’hiver, qui a pris encharge les cotisations d’adhésion au clubde football de ses deux aînés, Philipp et Pa-trick. Elle s’occupe encore des crampons –les pieds des garçons grandissent si viteque les chaussures doivent être changéespresque tous les trois mois. Et, au traversdu Secours d’hiver, la Fondation Roger Fe-derer soutient donc Christian, le plusjeune. Par «pauvreté», la vox populi ima-gine souvent les toits de tôle des bidonvil-les et des carences nutritionnelles, maisplus rarement le manque de moyens pourpratiquer une activité sportive. Reste que

c’est une réalité: il y a la pauvreté qui me-nace l’intégrité physique, mais il y a aussicelle qui met en péril la vie sociale.

Celui qui vit dans un pays riche commela Suisse et qui ne peut se payer un traite-ment dentaire ou des vacances faute demoyens, ou qui doit renoncer à des activi-tés communautaires qui paraissent évi-dentes pour ses semblables, se retrouvevite isolé, marginalisé, et finit par perdreconfiance en l’avenir. Celui qui vit une tellesituation n’a pas les ressources, le tempsou encore le réseau pour sortir la tête del’eau; et encore moins les capacités pouraider ses propres enfants à s’en sortir. Lapauvreté appelle la pauvreté.

Après sa stupéfiante conversation télé-phonique avec le Secours d’hiver, Sonja dé-cide d’attendre le retour de tous ses enfantspour leur annoncer la formidable nouvelle. Mais, jusqu’à ce que le dernier rentre de l’entraînement, l’horloge indiquera déjà 20 h 30. Alors c’est directement après le re-pas de midi qu’elle convoque ses petits bouts d’hommes sur le canapé, lieu ordi-naire des discussions importantes. «Ça vous dirait que Roger Federer vienne nous rendre visite à la maison?» L’étonnement fait vite place à l’euphorie. Patrick pourrait jouer un morceau sur sa guitare, Philipp doit au plus vite savoir s’il peut reporter l’admission à son camp d’entraînement pour une journée, histoire de ne surtout pasmanquer l’événement, et Christian s’ima-gine déjà en train de jongler dans le salon

avec son ballon (il est suffisamment habile pour ne pas faire de dégâts). Et qui sait, peut-être qu’on dégagera même assez de temps pour une petite partie de ping-pong?

Sonja ne tergiverse pas au moment deparler ouvertement de sa situation pré-caire. Elle fait tout, vraiment tout, pourque ses enfants aient une enfance heu-reuse. Et elle n’a besoin d’avoir honte derien – même si, après son divorce d’avecson mari, la pensée insidieuse de l’échec,celui de n’avoir pas réussi à garder sa fa-mille unie, est souvent venue la tourmen-ter. Mais non, aucune raison de se cacherpar peur du regard de l’autre: si seulementelle pouvait donner le courage aux person-nes qui sont dans la même situation qu’ellede relever la tête.

Des anecdotes à la pelleLes jours avant la visite tant attendue cou-lent tranquillement. De temps à autre,Sonja a des coups de «flip». Est-ce que l’ap-partement est assez propre? Une femme deménage qui n’arrive pas à tenir ses propresmurs, elle aurait l’air bête. Est-ce qu’ilsvont s’asseoir directement dans le salon? Ilrisque de débarquer avec tout son entou-rage, la cuisine serait trop petite.

Dimanche, enfin le grand jour. Les ga-mins sont en poste derrière le rideau de lafenêtre. Un SUV blanc descend tranquille-ment l’allée. Roger Federer en descend. Ilest seul. Le cœur de Sonja s’emballe. Ellereplace une assiette de biscuits sur la table

C’est Federer qui a pporte le dessert● Pourquoi Roger Federer a-t-il choisi de rendre visiteà une mère célibataire, qui élève seule trois garçons? Récit d’un moment hors du temps, mais ancré en plein dans la réalité.

BRUNO ZIAUDDIN/DAS MAGAZINADAPTATION: FLORIAN MÜLLER

«Je ne veux pas que l’écart en Suisse se creuse trop entre les classes. Il y a assez de pays où c’est le cas et où l’ascenseur social ne fonctionne plus»

Roger mange le gâteau avec Patrick (à gauche) et Christian. Helmut Wachter/13photo

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Le Matin Dimanche25 mars 2018 Tennis 35

basse, ôte une poussière sur le pull du re-porter, et se presse à la porte.

La prochaine heure et quart (vingt minu-tes de plus qu’initialement prévu) n’estque conversation décousue, autour d’uncafé informel en famille. Pendant queSonja sert attentivement le gâteau aucrumble apporté par Federer, ce dernier ri-valise d’anecdotes savoureuses. Commentses enfants, la nuit précédant la finale deWimbledon, se sont immiscés au milieu dela nuit dans son lit, ce qui ne lui a pas offertla plage de récupération idéale (il a quandmême gagné). Ou comment Ottmar Hitz-feld, après une défaite cinglante del’équipe de Suisse, lui a demandé de venirremonter le moral des troupes, mais que,s’étant trompé d’horaire, il avait trouvétous les footballeurs qui faisaient le pied degrue. Ou encore comment Diego Maradonalui a directement claqué une bise, dès leurpremière rencontre, comme s’ils étaientdes amis de longue date.

L’ambition suprême de rester relaxRoger écoute attentivement lorsque Sonjalui raconte son parcours de vie, discuteavec les enfants de leurs rêves de carrièredans le football et répond à toutes les ques-tions («Es-tu un bon skieur? Il n’y a pas debon skieur qui vienne de Bâle»). Et le motpour rire, toujours, au détour de chaquephrase, comme lorsque Federer fait remar-quer, avec l’œil du connaisseur, que la ma-chine à café est une Jura – un bon point.

Quelques heures plus tard, en ce di-manche particulier, le Bâlois reprendra laroute au volant de sa voiture directionl’aéroport d’Altenrhein près de Saint-Gall,où un avion l’attend pour Rotterdam. Là-bas, il s’arrogera quelques jours plus tardla place du numéro un mondial. Dans lesalon de Sonja, il prétend à d’autres cou-ronnes, comme celle du sportif suisse leplus décontracté, ou encore celle de lastar mondiale la moins prétentieuse,juste après le pape François.

Mais, bien sûr, tout ce petit monde n’estpas réuni juste pour prendre un café et pas-ser du bon temps. Quand Federer parle desa fondation, par exemple des discussionsqui animent le conseil d’administration«avec Mirka, Tony et ma mère», il devientclair qu’il est bien plus que le prête-nomd’un organisme de bienfaisance. Il y consa-cre pas mal de son temps, et l’implicationde sa fondation en Suisse est cruciale à sesyeux. Après tout, il se dit volontiers «Suissede bout en bout», veut vivre et voir ses en-fants grandir ici. Il dit: «Bien sûr, beaucoupde gens dans notre pays vivent conforta-blement, mais pas tous. Je ne veux pas quel’écart en Suisse se creuse trop entre lesclasses. Il y a assez de pays où c’est le cas etoù l’ascenseur social ne fonctionne plus.»

Un Biberli et du FreixenetPour se développer, complète-t-il encore,un enfant a besoin d’amour et d’atten-tion, «mais aussi d’opportunités». Quandces opportunités manquent, alors sa fon-dation peut donner un coup de pouce.«C’est pour ça que nous faisons ça.» Dansun geste englobant de la main, et de ma-nière désinvolte, Federer intègre la ma-man: ce «nous», ce n’est pas seulementFederer et son staff, c’est aussi Sonja.

À cet instant précis, les émotions sub-mergent la mère de famille («Il faut lais-ser parler les émotions», dit Roger), maiselle se reprend dans la foulée. Non, elle apromis à ses enfants qu’elle ne pleureraitpas. Pas aujourd’hui.

Ils ont tellement causé qu’il ne resteplus de temps pour les représentationsprévues par les enfants – ce qui ne semblepas les déranger. On passe alors directe-ment à la séance autographe et selfies. Aumoment de se dire au revoir, Sonja tendencore un Biberli et une bouteille deFreixenet à son invité. Avec tout ça, la ma-man a même oublié de se prendre enphoto avec son invité d’honneur. Heureu-sement, Federer a tout sous contrôle.Alors qu’il s’apprête à franchir le pas deporte, le champion se ravise et lance: «En-core une photo avec maman!»

«Es-tu un bon skieur?Il n’y a pas de bon skieur qui vienne de Bâle»

C’est Federer qui a pporte le dessert

Sonja en avait presque oublié la photo souvenir. Helmut Wachter/13photo