Sommaire -...

PUBLICATIONS ETUDIANTS 2018/2019

Sommaire HERAULT .................................................................................................................................................. 2

CASTELNAU-LE-LEZ .............................................................................................................................. 2

Doriane Mée, Mon double moi in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. ...... 2

Emma Griveau, Mes seules forces in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. . 3

Ilyas Aliane, BOUM !inSecrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. ......................... 4

Inès Beniattou, Une vie rêvée in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot ......... 5

Léa Casadessus, Être ou ne pas être in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot.

......................................................................................................................................................... 6

Loubna Rouifes, La confiance in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. ...... 7

NasrineBensot, Précieuse in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. .............. 8

Nina Brunin et Élia Galtier, Miroir in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. . 9

N’Sama Sylla, Lettre à mon papa in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot. . 10

Thing Lao, Un singe parmi les tigres in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot.

....................................................................................................................................................... 11

MONTPELLIER .................................................................................................................................... 12

Florian Boulland, Le Mythe de Nicholas Cray, Master Etudes culturelles, Université Paul Valéry 12

Florian Boulland, Planer, Master Etudes culturelles, Université Paul Valéry ................................ 32

Manon Vallier, Université Paul-Valéry. Mention spéciale « université » du concours de poésie

2019 Matiah Eckhard..................................................................................................................... 42

Clara Pozo, Un arcobaleno di emozioni. Université Paul-Valéry ................................................... 42

Julia Duthilleul-Pallares, Licence d’Italien, Université Paul Valéry ................................................ 43

Manon Raynier, Lettre à ma fille. Licence 1 psychologie, Université Paul-Valéry. Mention

spéciale « université » du concours de poésie 2019 Matiah Eckhard........................................... 43

NÎMES ................................................................................................................................................ 45

Joséphine Ponsard, Le temps des 18 ans. Institut d’Alzon. Mention spéciale « université » du

concours de poésie 2019 Matiah Eckhard.................................................................................... 45

ILE DE FRANCE ....................................................................................................................................... 46

PARIS – LYCEE HENRI IV ..................................................................................................................... 46

Bastien Nora Roger Vasselin, Mille et une nuits , étudiant en Khâgne à Henri-IV. 1er prix CPGE

du concours de nouvelles des lycées parisiens Henri IV, Fénelon et Louis-Le- Grand. ................. 47

Enora Le Gall, Jamais assez toujours trop, BCPST à Henri-IV. 2ème prix CPGE du concours de

nouvelles des lycées parisiens Henri IV, Fénelon et Louis-Le- Grand. .......................................... 50

ILLE ET VILAINE ...................................................................................................................................... 55

RENNES .............................................................................................................................................. 55


Paola Hoang, Transmission, étudiante en Histoire à l’université de Rennes 2 ............................. 55

PYRENEES ATLANTIQUES ....................................................................................................................... 57

HENDAYE ........................................................................................................................................... 57

Texte collectif, 3ème prix du concours Florilège/FIPF. Le royaume de Nunc. Centre social

Denentzat, Groupe COSTA/FLE. Enseignante : Marie-Eve Costa .................................................. 57

SOMME .................................................................................................................................................. 59

FONTAINE-SUR-SOMME .................................................................................................................... 59

Margaux Gambier, Le Poète qui pleure. Mention spéciale « université » du concours de poésie

2019 Matiah Eckhard..................................................................................................................... 59

HERAULT

CASTELNAU-LE-LEZ

Doriane Mée, Mon double moi in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

Je suis imparfaite.

Mon corps ne correspond pas aux codes de la société.

Ma démarche n’est pas conventionnelle.

Mon pas est lent et fragile.

J’ai trois compagnons sur lesquels je peux me reposer.

Mon enveloppe corporelle m’emprisonne et ne me laisse

aucun repos.

Je peux m’écrouler à tout moment.

Je suis seule, incomprise.

Je suis un volcan prêt à exploser de colère pour montrer aux yeux du monde mon mal-être

profond.

Je suis ces larmes rouges et chaudes comme la braise qui recouvrent la Terre entière afin de


tout détruire.

Je suis l’horloge qui arrêtera le temps, qui ralentira sa vitesse, qui freinera ma rencontre

avec l’inconnu.

Mais je suis aussi la joie de vivre.

Je suis curieuse.

J’aime m’évader à travers les mots des auteurs.

Je suis un être imparfait, mais c’est grâce à cette imperfection que je suis devenue celle que

je suis.

Je mène un combat acharné pour trouver ma place dans cette société et montrer la beauté

de mon imperfection.

Je suis handicapée.

Comme le dit Grand Corps Malade : « Rappelle-toi juste que ce n’est pas une insulte, on

avance tous sur le même chemin, et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est

d’abord un être humain. »

Emma Griveau, Mes seules forces in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

Maman avait seize ans lorsqu’elle a appris qu’elle m’attendait. 16 ans, l’âge de la jeunesse, l’âge où l’on veut en profiter,à peine rentrée au lycée, pas encore de baccalauréat en poche. Mais… impossible pour elle de me laisser partir. Seule contre tous, face au monde, elle a dû prendre la décision de mettre un enfant au monde. Le 17 février 2000, le jour de mon arrivée, elle avait 17 ans… La vie a failli nous séparer. Des anomalies cardiaques et sanguines sont apparues dès ma naissance, mais je pense que l’amour de ma mère m’a permis de vivre. Lors de mon enfance sans père, elle était la seule force dont j’avais besoin, j’étais très heureuse et ne manquait de rien. Aujourd’hui, ma mère me pousse à faire des études afin que je puisse un peu rattraper ce qu’elle n’a pu faire. Elle a même décidé de repasser son bac l’année dernière, en même temps que moi, et l’a obtenu ! J’ai choisi de commencer mon histoire en parlant de ma mère car elle est ma raison de vivre : moi, sans elle, je n’existe pas.


Je vais maintenant parler un peu plus de moi : grande brunette avec un léger blond sur les pointes afin d’adoucir mon visage, taches de rousseur, yeux foncés. Je n’entretiens pas mon physique, je suis du genre « je mange tout ce que je veux mais je ne grossis pas », ne soyez pas envieux ! J’ai mon caractère. Prompte à m’énerver pour un rien, si quelque chose ne me convient pas, je le dis haut et fort. Excessive parfois, je n’aime pas recevoir d’ordre et j’aime commander. Je suis expressive (un peu trop), toujours à vouloir me faire remarquer, à rire fort, à crier, j’ai la volonté d’amuser la galerie… Je suis aimante, ceux que j’aime, je leur donne tout. Créative, à ma façon, fan de tatouages et de piercings, je rêve d’en avoir partout, partant du principe que l’on a quasiment tous le même corps et qu’il faut le décorer. Les tatouages sont l’une des seules choses que l’on emportera dans notre tombe. Dernière chose : ma devise est qui ne tente rien n’a rien, il m’arrive donc d’avoir des remords, mais comme on dit « mieux vaut des remords que des regrets ». Ah ! d’ailleurs, j’ai failli oublier de vous parler de la merveille de ma vie, ma sœur, Léna, neuf ans, mon autre pilier également. Elle me regarde avec admiration, et son désir de me ressembler me donne envie de bien réussir ma vie.

Ilyas Aliane, BOUM !inSecrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot.

Je suis une bombe à retardement,

Mon cœur peut s’arrêter à tout moment.

Chaque minute qui passe est une bénédiction.

Je vis au jour le jour dans l’action.

Tic-tac

Tic-tac

Le temps passe, mon passé s’efface.

Mon futur est incertain, pour le moment je suis encore dans le train.

Bien que je sois un survivant, je suis quelqu’un de souriant.

Une personne attachante, à la personnalité dépendante.

Un rusé qui se permet de manipuler et qui obtient tout ce qu’il veut.

Je suis prêt à tout pour défendre mes arguments.

J’ai besoin d’être joyeux pour être heureux.


Mon modèle est Superman, fort, beau, protecteur et parfait.

Les personnes égoïstes et matérialistes me sont insupportables et me rendent malade.

Dans cinq ans, je m’imagine indépendant dans un petit appartement.

Je serai une personne importante avec des responsabilités.

J’aurai une BMW dans une grande ville et serai comédien.

Youtubeur à mes heures perdues.

J’irai aux USA, à L.A.

Ma vie sera remplie d’activités, je ferai du jet ski à Miami, du Mario Kart au Japon, je

traverserai le pont de Westminster, je visiterai Big Ben et Disneyland.

Et boum ! Éclater de bonheur !

Allo

Inès Beniattou, Une vie rêvée in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot.

Elle était jeune, avait toute la vie devant elle, et comptait bien en profiter. Elle aimait se

sentir vivante, grâce à certaines passions telles que la danse. Dès qu’elle entendait une

musique, elle dansait, se dépensait… Son niveau n’était pas exceptionnel, mais elle

souhaitait sans cesse s’améliorer, apprendre de nouveaux styles, s’évader quelques minutes

pour se sentir mieux ensuite. Elle pouvait partager ces moments avec d’autres personnes,

passer du bon temps avec des êtres qui lui ressemblaient.

La musique aussi était indispensable dans sa vie. Depuis toujours, elle écoutait et découvrait

de nombreux styles, sa culture musicale n’arrêtait pas de s’élargir. Elle désirait apprendre à

jouer de certains instruments, seulement elle manquait de temps. Elle adorait la mode, elle

suivait les dernières influences, elle souhaitait un jour assister à un défilé lors d’une fashion-

week (à Paris ou Milan, par exemple). Elle était gourmande et trouvait important de ne pas

trop se priver et de se faire plaisir.

Cette jeune fille était assez sociable, ses expériences au niveau de la danse, du spectacle, ses

interactions avec de « grandes personnes » lui avaient permis d’acquérir une certaine

aisance à l’oral. Cependant, il restait de nombreuses choses à revoir, elle devait encore

mûrir. L’autocritique était très présente chez elle, elle tentait constamment d’améliorer

certains traits de son caractère, c’était de vrais défis.

Elle sortait beaucoup, elle n’aimait pas rester chez elle, elle s’ennuyait vite. Elle était née


dans une grande famille, avec trois frères et une sœur, et leurs relations étaient très

compliquées. C’était difficile avec son père également. Heureusement, elle avait la chance

d’avoir une mère attentionnée et toujours là pour elle. Elle était souvent en ville, elle faisait

du shopping, allait au cinéma, en soirées, anniversaires, concerts… Plus elle sortait, plus elle

faisait des rencontres. Elle avait plusieurs groupes d’amis, assez différents, pourtant elle

était proche de chacun d’eux. Son réseau relationnel grandissait avec le temps et elle se

rendait compte à quel point le monde est petit. Il lui paraissait impossible d’imaginer sa vie

dans la même ville, à voir les mêmes lieux, les mêmes personnes… Elle se lasserait. Elle avait

besoin de bouger pour se sentir bien, profiter au maximum des opportunités que le monde

offre. Elle aimait le changement, évoluer. C’était primordial pour elle de vivre de nouvelles

choses, rencontrer de nouvelles personnes, créer de nouveaux souvenirs.

Sa personnalité et son caractère s'étaient forgés grâce à l'ensemble de ses expériences,

comme à six ans, par exemple. Elle avait eu un accident chez elle. Elle se pressait pour aller à

un anniversaire, elle était tombée sur le carrelage et elle avait eu un traumatisme crânien.

Elle avait perdu connaissance, elle ne reconnaissait rien ni personne, même pas sa mère. Elle

était restée à l’hôpital deux, trois jours. Elle ne se souvenait de rien, certains souvenirs

étaient revenus avec le temps. Malgré son jeune âge, cette expérience l’avait marquée. Elle

avait pris conscience qu’on pouvait se blesser ou encore perdre la vie à n’importe quel

instant.

De nature assez calme, elle savait quand il était nécessaire de s’indigner face à une situation

ou une personne qui l’avait mise en colère. Elle essayait de prendre du recul, pour régler

certains problèmes sans violence. Elle ne se vexait pas facilement, acceptait la critique, elle

était loin d’être parfaite et elle le savait. Elle essayait donc de transformer le négatif en

positif, ses faiblesses en forces. Tout cela parce que sa famille, depuis son enfance, était

exigeante avec elle, la remplissait de doutes, d’incertitudes. Elle avait dû prendre sur elle, ce

qui lui avait permis de s’affirmer encore plus en grandissant.

Elle était très honnête, souvent naïve, elle faisait confiance aux mauvaises personnes.

Cependant, elle comprenait de plus en plus qu’il fallait être bon envers ceux qui le méritent.

Elle était impatiente, très souvent en retard, et procrastineuse ; toutes les choses qui la

stressaient ou qui lui semblaient futiles, elle les repoussait au lendemain, le plus tard

possible, en pensant qu’elle aurait moins de mal à les faire. Décidément, elle n’était pas

organisée.

Pour elle, tout était possible, elle rêvait beaucoup, ça la motivait pour réaliser certains

projets et ne jamais baisser les bras.

Léa Casadessus, Être ou ne pas être in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

Je suis une renarde, mais pour autant pas discrète, j’ai juste besoin de solitude

Je ne suis pas une louve, je n’ai pas besoin d’une meute


Je suis le Japon rempli de couleurs et de politesse

Je ne suis pas l’univers immense et infini

Je suis un cerisier, j’ai sa délicatesse, ses beaux pétales inoffensifs

Je ne suis pas un sapin, je ne pique pas

Je suis un violon, à traiter avec délicatesse, sinon je risque de me désaccorder

Je ne suis pas un xylophone, il ne faut pas me taper pour me faire sonner

Je suis le livre The PromisedNeverland, je voudrais m’échapper des endroits cloisonnés

Je ne suis pas le livre Platinium End, je ne suis pas un ange

Je suis comme Naruto, toujours prête à risquer ma vie pour mes amis

Je ne suis pas comme Sasuke, je ne me laisse pas dominer par la haine et la soif de

vengeance

Je suis un plat de nouilles jaunes appétissantes, mais pas faciles à manger

Je ne suis pas un rouleau de printemps, je suis née en automne.

Loubna Rouifes, La confiance in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

La confiance, la patience,

Deux mots, deux traits de ma personnalité qui m’ont amenée à donner sans compter.

Certains en ont profité,

D’autres ont su reconnaître la valeur de ces simples mots

Qui sont pour moi deux principes importants.

La confiance se donne avec le temps.

Le temps, c’est aussi de la patience.

A trop vouloir patienter

On finit par craquer

Et la vision devient tout d’un coup négative.

Perdre ma confiance était facile,

Vouloir la récupérer est difficile.

Avec le temps, j’ai su patienter et prendre sur moi.

À ce jour, je craque plus tôt que prévu,

J’ai l’impression de perdre

Ces deux principes qui étaient pour moi les plus importants.

À vouloir trop donner, je finis par tomber.



Deux mots, deux convictions,

Que je n’arrive plus à partager.

La famille, les amours, les amitiés,

Je suis passée par tout cela

Et j’ai remarqué que dans tous les cas ces valeurs

Ne sont pas réellement prises en compte.

C’est avec vous que je partage cela,

J’aimerais vous faire part de certains conseils.

La confiance, donnez-la à ceux qui la méritent.

Pour savoir qui la mérite,

Prenez le temps d’observer.

Analysez,

Regardez l’autre avec curiosité,

Mais ne faites surtout pas l’erreur

De donner votre confiance

Du jour au lendemain.

La confiance est liée à la patience.

Pour pouvoir observer, analyser,

Il faut du temps.

Essayez de ne pas oublier

Ces principes

Importants pour la suite d’une belle vie.

Si vous les négligez,

Vous serez perdus.


Ces deux moteurs

Vont vous rendre heureux

Si vous savez comment

Les utiliser.

NasrineBensot, Précieuse in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne Pigot.

Elle a de grands yeux marron semblables au guépard qui guette sa proie, tous deux ont un

pelage doux et soyeux leur tombant tout le long du dos.

Montrer ce qu’elle ressent ? Hors de question ! Elle ne baisse jamais la garde et se protège,

elle a déjà été déçue par le passé, certaines personnes se sont jouées d’elle, lui ont promis

de belles choses, mais au final, aucune n’a respecté ses promesses. Quelquefois naïve, elle

ne voyait pas le mal que certaines personnes voulaient lui faire, mais à présent cette fille


n’oublie pas qu’un monde sans méchants n’existe pas. C’est donc pour cela qu’elle a décidé

de ne plus se laisser piéger, elle a besoin d’attention et a du mal à faire confiance.

Sociable et « rigolante », elle aime mettre tout le monde de bonne humeur et faire ressentir

aux personnes qui l’entourent une sensation de bien-être. Le cœur pur, elle donne

beaucoup, quitte à faire passer les autres avant elle. Soucieuse des autres, elle est quelqu’un

sur qui on peut compter.

Et si elle était une fleur ? La rose serait la fleur qui lui correspondrait le plus car elle est

douce et belle, comme ses pétales presque parfaits, mais peut piquer là où ça fait mal

lorsqu’elle se sent offensée.

Cette fille se sent précieuse, à l’égal d’un diamant dur et pur. Tout le monde aimerait se

procurer cette merveilleuse pierre, mais seuls quelques chanceux auront la joie de la garder

et de la contempler.

En fait, elle enfouit au fond d’elle un profond mal-être. Elle a un lourd passé, quelques

regrets, et des périodes de sa vie qu’elle n’oubliera jamais, mais elle a déjà connu le

bonheur, cette sensation intense et indescriptible dont elle a besoin pour avancer.

Indécise, elle se pose des questions, cogite sans cesse par peur de mal faire, même si une

décision devra être prise, il faudra choisir entre un bonheur certain ou incertain.

Elle prie pour ne pas passer à côté de l’histoire de sa vie.

Nina Brunin et Élia Galtier, Miroir in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

L’une embrase comme la foudre, L’autre ressemble au calme avant la tempête. L’une est avenante comme un tournesol, L’autre est réservée comme un bernard-l’ermite. L’une est rancunière comme un mur, L’autre est susceptible comme un escargot. L’une est exigeante comme un Code pénal, L’autre est froide comme un glaçon. L’une est mature comme un grand chêne, L’autre est impatiente comme un explosif. Toutes deux sont honnêtes comme un miroir.


Elles sont complémentaires comme le yin et le yang.

N’Sama Sylla, Lettre à mon papa in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

Ta mort a été mon plus gros traumatisme.

Tu es parti trop tôt,

Trop vite,

Sans un mot.

Je n’ai même pas eu le temps de te dire au revoir.

Pour moi, j’avais toute la vie,

Pour moi, tu revenais mercredi.

Je n’ai pas pu te dire que je t’aimais, je pensais que tu le savais.

Et plus le temps passe, plus je me rends compte que ces deux mots pouvaient égayer une

vie,

Décrocher un sourire,

Réchauffer un cœur.

Ces deux mots qui font toujours plaisir.

Chaque jour je te les murmure en pensant que tu les entendras.

Ce texte que j’écris larmes aux yeux me libère.

Je n’ai jamais su exprimer ce que je ressens depuis que tu es parti.

Dans la vie, c’est assez difficile de s’accepter,

Difficile de faire confiance.

Papa absent physiquement, présent spirituellement.

C’est drôle, non, tout ce que je ressens actuellement ?


Je n’ai jamais réussi à le sortir auparavant, avec les autres… pas même avec maman.

J’aime m’exprimer de cette manière, comme ça tu comprendras réellement ce que j’endure

depuis ton départ.

Quatre ans déjà, mais pour moi tout ça n’est qu’illusion.

Pour moi, tu reviendras, tu franchiras le seuil de la porte en criant « C’est moi ! »

En fait, ce qu’on dit, c’est vrai, on comprend l’importance d’une personne quand elle nous

quitte.

J’espère qu’aujourd’hui, tu es heureux là où tu es.

La mort ne prévient pas.

Hier, c’était lui,

Aujourd’hui, c’est toi,

Demain… ce pourrait… être moi.

Thing Lao, Un singe parmi les tigres in Secrets de Sam, BTS SAM1. Enseignante : Fabienne

Pigot.

Jeune, indépendant, on le connait sans véritable histoire, pourtant ses secrets sont

captivants. Malgré une certaine solitude, on le contemple dans son authenticité, l’aspect

d’un loup, majestueux, ingénieux. Le type de personne qui préfère en tout la légèreté à la

pesanteur.

Chaleureux comme une flamme, l’étoile bleue et le phénix le qualifient parfaitement.

Cependant, l’air serait approprié pour le décrire telle une douce brise d’été. Les différentes

notes de pluie continuent à tomber tandis que son parfum et sa mélodie demeurent. Il est

aperçu vêtu de gris mais les couleurs lui vont à ravir.

Son manque de confiance le trahit peut-être, il ne sait pas se dévoiler et il a le sentiment que

seul le néant le comprend. Témoins de sa gentillesse infinie, ses amis et sa famille

connaissent sa générosité et aussi son humour.


Tel un oranger proche de son lac où le sable s’invite, il est original mais reste très doux. De

temps à autre, il préfère la musique douce, et sa maîtrise de beaucoup d’instruments

démontre son habileté et la force de son âme.

Quand vient l’heure du calme, son regard devient un magnifique tableau où l’on peut

ressentir la joie et son sens du partage. Le surgissement clair de ses rires rythme sa poésie.

Souvent accompagné, il ne s’attache pas pour autant et demeure indépendant.

Rien ne reste plus incroyable que la façon dont chacun peut écrire son histoire. De ce fait, il

est remarquable d’avoir cette possibilité de suivre une voie et, en même temps, de pouvoir

changer le cours de nos destins. « Il n’y a pas de fin », tout reste à faire et sur ce point, je suis

d’accord

MONTPELLIER

Florian Boulland, Le Mythe de Nicholas Cray, Master Etudes culturelles, Université Paul

Valéry

1. PARTIR

« UN PÈRE ASSASSINE SA FEMME ET SES ENFANTS »

« HARCELÉ À TRAVERS LES RÉSEAUX SOCIAUX »

« AGRESSÉ À CAUSE DE SA COULEUR DE PEAU »

« ELLE SE SUICIDE PAR AMOUR »

« TRAITÉ DIFFÉREMMENT CAR IL EST GAY »

« DEUX CENT PERSONNES MORTES SUITE À UNE EXPLOSION »

« LES INÉGALITÉS ENTRE HOMMES ET FEMMES PERSISTENT »

« UN HOMME TUE UN MINEUR ENTRÉ CHEZ LUI PAR EFFRACTION »


Ce sont toutes les conneries que mon père lisait chaque jour dans les journaux durant mon enfance.

C'était aussi diffusé à la télé et sur internet.

J'ai toujours tenté d'être distant par rapport à cela, de me dire que ça ne m'arriverait jamais, mais

quand un massacre a eu lieu à deux rues de chez moi, je n'ai pas pu garder les yeux fermés.

Le point commun entre toutes ces choses ? L'être humain. L'être humain est lié à la mort, la

souffrance et la haine.

Pour ceux qui disent que c'était mieux avant, regardez notre Histoire. La seule chose que je vois sont

des guerres et des décès.

Pour ceux qui disent que c'est mieux de nos jours, vous avez raison, nous avons une société moins

barbare, mais au lieu des épées nous avons des pistolets. La technologie a parfaitement évolué vers

le pire.

Comment puis-je garder espoir quand ce sont les amis qui tuent, la famille qui blesse, quand

n'importe quelle personne que je croise dans la rue peut frapper ?

Les humains ne peuvent pas être changés, ils sont foncièrement mauvais. Il y a une part d'animalité

en nous qui peut être relâchée n'importe quand, n'importe où. Nous avons avancé vers la civilité

mais la bête ne sera jamais domptée. Elle sera toujours une part de nous.

Je devais m'en aller. Je ne pouvais pas rester avec eux, je ne pouvais plus leur faire confiance. J'étais

effrayé. Le simple fait de voir quelqu'un me paralysait. Je ne me sentais pas bien en présence d'amis

ou de famille. Ce n'était plus mon élément. L'énergie qui me liait avec ces groupes de personnes

s'était dissipée. La peur ne me quitterait plus. Il n'y avait qu'une solution pour moi : partir.

Mais je ne pouvais pas simplement m’enfuir, notre société devient de plus en plus grande. Comment

pouvais-je y échapper ? Comment pouvais-je fuir quelque chose qui finirait par me rattraper ? Les

humains veulent voir ce qu'ils n'ont jamais vu, toucher ce qu’ils n’ont jamais touché, goûter à ce

qu'ils n'ont jamais goûté. Ils cherchent à étendre leur connaissance pour prouver leurs croyances. Ils

m'atteindront peu importe où je vais, mentalement et physiquement.

Le seul moyen était de revenir au début de notre humanité. Je devais me rendre à l'endroit où tout

avait commencé. Je devais retourner à la source. C'était le seul lieu où je pouvais leur échapper. Je

devais vivre comme ceux qui ont vécu avant toute société, si jamais cela a été le cas. Il fallait que je

fasse l'expérience d'une vie que plus personne n'expérimente aujourd'hui. Ma solution était de me

tourner vers la nature.

Je devais apprendre comment subsister dans la nature, loin des êtres humains.

J'ai passé cinq ans de mon existence à emmagasiner les compétences nécessaires pour subvenir à

mes besoins seul à l'état sauvage et enfin pouvoir fuir l'humanité.

Pendant cinq ans j'ai eu peur de chaque geste fait par les êtres humains.

Maintenant je suis prêt, je peux quitter mon anxiété.

Certains diront de moi que je suis lâche, d'autres comprendront ma décision.


*

Je n'ai besoin que d'un abri pour l’instant.

J'ai acheté assez de nourriture et d'eau pour les deux mois à venir si j'ai bien calculé. Une fois que

j'aurai consommé toutes ces provisions, il faudra que je chasse et que je trouve de l'eau potable.

C'est pour cela que j'ai choisi mon abri à côté d'un lac. Il est petit et les alentours semblent avoir été

désertés il y a un moment. C'est mieux pour éviter les humains. Malheureusement, je n'ai pas vu

beaucoup d'animaux par ici... Je devrai probablement devoir bouger dans deux mois mais pour le

moment je peux apprécier une vue d'ensemble sur cette incroyable forêt. Sa profondeur est

impossible à définir. C'est comme si elle ne finissait jamais.

J'imagine pendant un instant que je suis englouti par cette profondeur. La forêt me garderait pour

toujours, sans vraiment m'avoir remarqué. Je ne partirais plus. La fin de mes jours arriverait près d'un

arbre, entouré par d'autres arbres, trop vieux et majestueux pour se soucier de mon destin.

Certains auraient trouvé ça effrayant, pour moi c'était un pacte silencieux pour être caché de ce que

je trouvais effrayant.

À part les animaux, si la nature me blesse, je serai le seul coupable. La nature ne se soucie pas de

moi. C'est pourquoi elle est différente des êtres humains. Les humains tiennent aux autres humains.

Ils aiment passionnément, ils haïssent passionnément. Les sentiments sont un problème. Ils peuvent

êtres falsifiés et manipulés. Ils peuvent être trop forts ou trop faibles. Ils peuvent nous aveugler.

L'humanité ne sera pas en paix tant que les sentiments de chacun ne seront pas contrôlés.

Malheureusement ceci conduirait à la dystopie.

L'humanité est une impasse. Elle a atteint sa parfaite imperfection. Elle ne peut pas faire mieux. Elle

ne peut pas rattraper ce qu'elle a déjà commencé. Le processus d'autodestruction que prédisent de

nombreuses personnes est bien réel. Nous avons tout tenté comme user de stratagèmes : l'ordre qui

a mené à la tyrannie, la liberté qui a mené à l'anarchie. Certains me parleront de démocratie.

Pourquoi ce qui est conçu comme le système parfait par la plupart est tant décrié ? Les humains

n'ont pas l'intellect pour se gouverner eux-mêmes. Ils se sont améliorés mais ne toucheront jamais

l'idéal qui les fait tant rêver. Il n'y a pas de personnes assez supérieures aux autres pour gouverner.

Tant que nous partagerons les mêmes intentions, nous ne pourrons pas avancer. Nous recherchons

tous le bonheur par exemple, mais le bonheur de l'un empêche parfois le bonheur des autres. Nous

sommes opposés car nous voulons les mêmes choses.

Tout cela m’amène à me demander s'il y avait quelque chose avant la société, si des gens ont déjà

vécu la vie solitaire que je suis en train de vivre : sans se connaître, sans partager d'intentions, sans

être opposés aux autres ? Je ne suis pas sûr de cela, c'est une sorte d'idéal qui je pense n'a jamais eu

lieu. La seule loi de la nature est la loi du plus fort. Pour battre le plus fort il faut de l'intelligence et

non pas de la force, c'est celle-ci qui permet ma survie dans ce lieu sauvage, certains animaux me

dévoreraient si je n'étais pas plus malin qu'eux, mais il faut aussi des alliés. Un allié signifie une


intention partagée. Une intention partagée signifie un accord. Cet accord entraîne une société. Parmi

les humains je n'avais plus d'allié, le plus fort aurait pu faire ce qu'il voulait de moi. C'est pour cela

que la nature était mon seul choix, c'était le seul endroit où je pouvais être considéré comme le plus

fort.

*

Trois mois plus tard.

Je ne trouve pas de bon endroit où demeurer. Il y a toujours quelque chose qui manque : nourriture,

eau, chaleur... Je suis constamment en train de bouger d'un lieu à un autre. Je dois trouver un

endroit stable ou cette vie ne va pas être possible longtemps. Je n'arrive pas à faire de stocks de

nourriture, ce qui est assez ennuyeux. Les lacs ne contiennent aucuns poissons à cause de la

pollution. La viande est vite pourrie ou volée par des animaux. Mais ce que je redoute le plus est de

tomber sur un chasseur. Il attaquerait ma nourriture et me forcerait à confronter les humains à

nouveau. C'est aussi une des causes de mon constant mouvement, à chaque fois que j'entends un

son qui me semble être produit par un humain, je m’enfuis. Je ne peux plus leur faire face. Partir a

apaisé mon esprit car je leur ai échappé mais l'anxiété peut revenir très vite. Mais je ne peux pas

tomber dans la paranoïa, ça m'empêcherait de vivre, mes peines auraient été vécues pour rien.

Au contraire, les efforts que je fais pour survivre commencent à être récompensés. Chaque action

nécessaire à ma survie est similaire à un rituel qui m'emmène un pas de plus vers ma nouvelle vie et

m'éloigne de l'ancienne. Lentement, je deviens une part de ce monde qui n'a pas conscience de ma

présence et je sens que moi aussi je n’ai plus conscience des choses autour de moi. Elles deviennent

une part de moi. Je commence à être moins bruyant, moins nécessiteux, moins avide. Toutes les

intentions que je partage avec les autres êtres humains sont réduites. Je peux contrôler mes

sentiments, ils ne sont plus au-dessus de moi. C'est la première fois en cinq ans que je me sens

apaisé.

Il a fallu un moment pour que je me sente comme ça... Je pense à eux vous savez. Je pense aux gens

que j'ai laissés derrière moi : comment ils se sentent, comment ils vont. Certes, mon action de quitter

notre société peut sembler égoïste mais je savais que même mes amis les plus proches pouvaient me

blesser. Si tu donnes une part de toi-même à quelqu'un, cette personne peut te détruire. Aimer c'est

donner du pouvoir. C'est comme ça que ça marche. Ceux qui pensent que je suis égoïste vivent dans

un rêve. Je connais le sentiment chaleureux d'être accepté, d'être aimé. Vous pensez que ça ne m'a

pas fait mal de tout laisser derrière moi ? Vous pensez que je n'ai pas pleuré quand j'ai lu les

messages que m'a famille a envoyé sur mon portable ? « OU ES-TU ? », « EST-CE QUE TU VAS BIEN

? », « POURQUOI NE RÉPONDS-TU PAS ? », « S'IL TE PLAÎT, RÉPONDS... ». Vous pensez que je n'ai rien

ressenti quand je ne leur ai pas répondu ? Je devais faire ce sacrifice. Si je ne voulais plus souffrir, il

fallait qu’ils le fassent pour moi, au moins pour quelques temps. J'ai fait ce que je devais faire pour

éviter d'avoir à être tourmenté constamment. J'ai eu le courage de faire ce que tout le monde a peur

de faire. Il a fallu que je donne une partie de mon âme, de mon corps et de mon cœur pour cela mais

j'ai atteint ce que je voulais. Ma peur de l'humanité m'a quitté. Mes sentiments pour ceux que j'ai


laissés seront toujours en moi, mais le temps les anesthésie. Ce sera pareil pour eux. Ils continueront

à penser à la personne qu'ils ont connu, mais ces pensées diminueront au fur et à mesure.

*

Il faut chasser. Je suis habitué à cela maintenant. Ça devient plutôt facile. Je sais où le gibier se cache.

Je suis presque sûr d'être capable de reconnaître certaines empreintes. Je suis similaire à un animal

solitaire, un animal qui n'a pas besoin d'une tribu pour avancer, un animal qui ne partage pas. Seul,

on ne blesse pas sans but car seul, le nombre de nos buts diminue. Je cherche de la nourriture car

mon corps en a besoin, simplement. Je suis différent de ce que j'étais. J'ai évolué, j'ai franchis une

ligne et je ne peux pas revenir en arrière.

Je cours pieds-nus. Je sens la mousse sous mes pieds. Je connais cette sensation et cette odeur. Mes

sens deviennent de plus en plus aiguisés car je suis capable de mieux me concentrer. Dans notre

société, il est impossible de se concentrer. Quelque chose ou quelqu'un est toujours en train d'attirer

et captiver notre attention. Des informations parviennent sans cesse, il y en a tellement qu'il est

impossible de définir laquelle et cruciale et laquelle ne l'est pas. J'ai très peu de nécessités ici et je

sais que ce lapin en est l'une d'elles.

Je le traque seulement pendant un court moment avant de trouver son terrier. Une fois qu'il sera à

l'intérieur, il me suffira de poser un piège devant et l'animal sera mien. Je ne me sens pas mal de le

tuer, c'est une partie du cycle naturel. Il est nécessaire à ma nouvelle vie, il n'y a pas d'autre moyen.

Après trois heures, le lapin sort finalement de son terrier. Il pose sa patte sur le piège et est capturé.

Au même moment, j'entends une détonation, un coup de feu. Ça me frappe pleinement, je ne suis

pas le seul à traquer le lapin. Un chasseur est là. La balle s'est logée dans mon torse. Je n'ai jamais

ressenti ce genre de chose. Ça semble irréel, unique.

Ce qui me frappe c'est que l’humanité m'a rattrapé. Je lui ai échappé pour être protégé mais elle m'a

suivi. L'être humain était présent avec moi dans cette forêt où je pensais être seul. Cet humain était

en train faire la même chose que moi, chasser, dans ce que je pensais être ma demeure. Je

partageais la même intention que cette personne alors que je pensais être spécial. Cet homme était

prêt à tirer alors que j'étais prêt à piéger. Le lapin n'était pas le seul à être piégé, je l'étais aussi.

J'imagine des griffes se refermant sur moi. Je sens le trou dans mon torse. Je sens le métal à

l'intérieur. Le liquide rouge ruisselle en dehors de moi, comme s'il cherchait à s'échapper. Que se

passe-t-il ?

Je peux à peine voir l'homme courant vers moi. Je peux deviner l'expression sur son visage. Il se sent

mal, non, affreusement mal. En exerçant sa passion, il m'a détruit. Il m'a presque tué. Chaque

humain possède ce pouvoir de destruction. Il ne se pardonnera probablement jamais. Il est victime

de lui-même. Les humains sont dangereux, peu importe leur état d'esprit. L'âge, la forme physique, la

mentalité ne veulent rien dire. Souvent nous avons peur de certaines personnes en particulier mais

chaque humain est similaire dans sa capacité à faire mal.


Un autre liquide se mélange à celui présent sur mon corps. C'est chaud et pique mon torse. Je devine

que ce sont des larmes provenant des yeux de l'homme. Je peux sentir sa douleur mais je ne peux

pas la partager.

*

Quand j'ouvre mes yeux, je vois l'homme agenouillé. Il a pleuré, beaucoup, je peux le voir à son

visage. Il n'a pas pleuré pour moi mais car sa conscience ne le laisserait jamais tranquille. Nous

pensons toujours à nous-mêmes avant de penser aux autres, même sans le vouloir. C'est pourquoi

les humains sont opposés.

Le fusil utilisé pour me tirer dessus est posé sur le sol. Je peux sentir l’odeur de la poudre, je ne sais

pas si ça provient du fusil ou de ma peau.

L'homme a aussi essayé de nettoyer ma plaie. C'est étrange d'être maintenu en vie par ce qui m'a

presque tué. Je remarque du rouge sous mes bandages. Je vois mon sang sur ses mains. C'est plutôt

drôle.

L'homme remarque que je suis réveillé.

— J'ai nettoyé votre blessure aussi bien que j'ai pu. Vous devriez boire un peu.

Je lui dis que je n'ai pas soif.

— Je n'ai trouvé aucune carte d'identité ou papier sur vous.

Je n'ai pas envie de répondre.

— Je suis vraiment désolé de ce qu'il s'est passé. Je n'ai jamais voulu...

Je le coupe, lui disant machinalement que ce n'est pas de sa faute. Je sais que ça ne le fera pas se

sentir mieux.

— Mais je...


Je lui explique que c'est le propre des êtres humains, se faire mal entre eux.

— Et vous ne pensez pas aux gens qui vous font vous sentir bien quand vous vous sentez mal ? Ceux

qui vous soignent quand vous êtes blessé ? Ceux qui vous aiment quand personne d'autre ne le fait ?

J'aurais beau tenter de lui expliquer que l'amour déchire les êtres, que l'amour offre un pouvoir sur

les autres, que peu importe la bonté d'un humain il a l’habilité de provoquer de la souffrance, il ne

comprendrait pas. Cela ne sert à rien de s'étendre sur un sujet que personne ne semble comprendre,

que personne ne semble chercher à comprendre, mais surtout que les gens semblent éviter. Je lui dis

simplement de partir.

— Je ne vous laisserai pas là ! J'ai appelé une ambulance. Ils seront là très bientôt.

Je le sens pour la première fois depuis un moment. Quelque chose que j'ai décidé d'oublier cinq ans

auparavant. Cette connexion que j'ai avec l'humanité, ce lien qui m'empêche de partir. C'est comme

un fil qui me tirerait vers la société quand je tente d'y échapper. C'est similaire au magnétisme. Je

voulais m'en aller mais je serai toujours rattrapé. Je pensais avoir réussi mais dans quelques minutes,

des êtres humains arriveraient et me ramèneraient à ce que j'ai délibérément fui. Je devrai affronter

tout ce qui m'effraie comme si ce que j'avais fait était inutile. Je devrai faire face à ceux que j'ai

laissé, endurer leur incompréhension et leur déception. Je me sens attaché à cette humanité, même

si tout mon être désire le contraire. Je ne peux pas m'échapper. Le désir de possession, le désir de

contrôle, les désirs imprévisibles de l'humanité en font quelque chose d'impossible à fuir. Je serai

toujours entouré d'êtres humains.

La nature n'est pas une solution. Je pensais que si j'allais assez profond, cela marcherait mais elle est

conquise et aliénée par l'humanité. L'humain a réussi à en prendre le contrôle pour la réduire à un

rôle d'outil nous offrant des ressources.

La panique et l'anxiété ne s'arrêteront donc pas. Je suis condamné à vivre avec cela. Je suis

condamné à chuter continuellement face à l’humanité comme dans un puits sans fond. Je ne peux

pas. Je ne peux tout simplement pas vivre comme ça. Je ne peux pas revenir à ce qui est un échec

reconnu. J'ai commencé quelque chose que tout le monde a peur de faire. J'ai compris ce que

personne ne peut comprendre entièrement. C'est le moment de passer le cap et de prouver que je

ne suis pas comme tout le monde et que je peux trouver la réponse finale. Les êtres humains ne

s'amélioreront pas. Même loin d'eux ils peuvent te faire mal. Nous partageons intentions et

sentiments, nous sommes liés. C'est une impasse.

Il n'y a qu'un seul chemin pour s'en aller et je viens de le trouver. J'entends la sirène de l'ambulance.

L'humanité se rapproche. Je rampe jusqu'au fusil. Je l’attrape. L'homme essaie de m'arrêter mais je

suis trop rapide. Maintenant que je connais la solution, que j'ai compris comment atteindre mon but,

je ne peux pas être stoppé. C'est apaisant de caresser la gâchette du fusil. Mes derniers mouvements


sont calmes car je suis satisfait. Je vais réussir. Je mets le canon de l'arme dans ma bouche. Je presse

la détente pour enfin leur échapper.

2. NICHOLAS CRAY

I.

— Bonjour M. Cray, comment allez-vous ?

— Mieux que vous ne le pensez.

— Vous êtes donc le fameux auteur de la nouvelle « Partir ».

— Et vous êtes la journaliste qui m’interviewe, j'ai compris.

— Bien, nous allons rappeler à nos lecteurs pourquoi nous sommes en votre compagnie aujourd'hui.

— Allez-y je vous en prie.

— Vous avez donc écrit cette nouvelle intitulée « Partir » et dans votre petite histoire vous expliquez

clairement que…

— L'Humain est une grosse merde.

— Je ne l'aurais pas dit de cette façon mais c'est ça. Vous prônez donc le suicide pour échapper à

l'humanité car elle finit toujours par vous rattraper.

— Je ne prône rien du tout, cela ne s'applique qu'au personnage.

— Certes, néanmoins votre nouvelle a fait scandale…

— Ce qui fait qu'elle a très bien marché…

— Et puisque votre nouvelle a été traduite en trente-six langues depuis son explosion de popularité

sur Internet, il semble que le monde entier vous en veuille.

— C'est assez intéressant, je ne m'étais jamais mis autant de personnes à dos en même temps. C'est

une sensation plutôt agréable.

— Vous êtes donc avec nous ce soir pour tenter de rétablir votre image et d'expliquer un peu plus en

détail cette histoire que les gens ont mal compris.

— Il est vrai que la population mondiale est pas mal constituée d'ignares, il faut leur mâcher le travail

pour faciliter leur compréhension.

— Vous vous êtes aussi mis à dos les philosophes et critiques littéraires.


— C'est vrai, les philosophes considèrent mes idées comme à chier, les critiques littéraires

considèrent mon écriture comme merdique. Pourtant ma nouvelle a fait son effet. Je pense que

même le plus con d'entre nous peut écrire. Peu importe la technique tant que les lecteurs

comprennent le message.

— Commençons par la critique des littéraires. Ils disent que votre style est très simple et vide.

— Et ils ont raison. Je parle du fait qu'il est impossible de s'échapper de notre société, qu'elle nous

rattrape quoi qu'il arrive. Je compare cette impossibilité d'échappatoire à un fil qui nous relierait à

l'humanité. Ah c'est vrai que c'est inconcevable de s'échapper d'un fil qui nous retient. Ça me fait

peur rien que d'y penser… C'est clairement ridicule. Et j'utilise aussi des métaphores surutilisées par

les écrivains comme « J'imagine des griffes se refermer sur moi. » C'est pourri, mais efficace, le

message a fait son effet comme je l'ai dit et c'est ce qui compte.

— Vous assumez votre mauvaise écriture ?

— Totalement, les seules choses un peu intéressantes que j'ai utilisées sont les rythmes ternaires et

les anaphores car c'est tout ce dont je me souvenais de mes cours de littérature au lycée.

— Pour ce qui est philosophique on vous reproche une approche trop globale de trop de sujets avec

un seul point de vue qui va parfois à tomber dans le moralisme.

— Y'a trop de termes compliqués pour moi dans votre phrase.

— La base de la philosophie est de présenter tous les points de vue afin d’avoir une vue d'ensemble

sur un problème et émettre des hypothèses pour le résoudre...

— Peut-être mais qui a dit que j'ai voulu être philosophique ? Je n'ai pas feuilleté des bouquins de

philo avant d'écrire. J'ai voulu exposer le point de vue d'un personnage qui trouve que la société c'est

de la merde, je l'ai fait.

— Les philosophes considèrent les idées de votre personnage comme simplistes…

— Je n'ai pas cherché à les compliquer, j'ai voulu avoir le point de vue d'une personne simple qui

prend peur face aux problèmes actuels de notre société. C'est normal que les idées soient simples, je

voulais que les gens puissent s'identifier à ses idées en se disant qu'eux aussi, cela leur a traversé

l'esprit. Mon personnage va juste plus loin que les autres en quittant la société et en retournant à la

nature. Si j'avais trop complexifié les idées, les lecteurs n'auraient pas pu s'identifier au personnage.

— Le voyage initiatique vers la nature et critiquer la société ont déjà été fait de nombreuses fois,

comment expliquez-vous le succès de votre œuvre ?

— Techniquement ce n'est pas un voyage initiatique car le personnage sort normalement changé

d'un voyage initiatique, le mien n'est que conforté dans ses idées. Pour en venir à votre question,

j'expliquerai le succès par deux choses, le fait que je n'écrive pas ces conneries de romans policiers

commerciaux, j'ai de l'imagination moi au moins, et surtout, le suicide final. C'est certes très cliché et

ressemble à un film d'auteur minable mais cela a choqué les lecteurs car ils ont dû souffrir d'avoir

comme réponse au problème posé par la nouvelle le suicide. Voir que le seul moyen d'échapper aux

autres est de mourir n'est pas très agréable. Mais comme je le disais tout à l'heure, ce n'est pas une


ode au suicide. Cela ne marche que dans le cas du personnage qui a une peur panique des humains.

Personnellement les autres humains, je n'en ai rien à foutre. Je me fous de ce qu'ils pensent, de ce

qu'ils font. Apparemment, nous avons besoin d'autres personnes pour vivre sinon nous devenons

fous, regardez Robinson Crusoé. C'est pourquoi mon personnage était très intéressant pour moi car

le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou est de faire ce qui nous rendrait fou. Bref, le cas du

personnage est unique. Il est paranoïaque. La dernière action de cette paranoïa fut le suicide. Faut

pas flipper les gars, vous n'êtes pas obligé de vous suicider.

— Ce qui a énervé…

— Le bas peuple…

— …est que vous affirmiez que l'Homme…

— Est une merde. Oui, c'est vrai. Par contre arrêtez de dire l'Homme. Dites l'Humain. Il n'y a pas que

des hommes dans notre humanité, il y a des femmes.

— Oh, vous êtes pour l'égalité des sexes ?

— Tout à fait, je me déclare féministe. Pour moi les deux sexes sont égaux. L'homme est mauvais, la

femme l'est également. Avec ce que l'homme a fait à la femme il est peut-être possible d'en placer

un au-dessus de l'autre, je n'en sais rien... Chaque humain peut faire souffrir les autres. Peu importe

si vous êtes considéré comme gentil où méchant, vous pouvez faire souffrir sans le vouloir. Les

propos de mon personnage sont réels. Si tout le monde m'en veut, c'est parce que la plupart des

gens ont peur d'accepter la vérité. Ils préfèrent se voiler la face et vivre dans un bonheur illusoire

plutôt que d'affronter ce qui saute aux yeux. Je comprends que ce soit plus facile de vivre dans le

mensonge que dans la peur des autres.

— Nous allons nous arrêter là, merci pour vos réponses, Monsieur Cray.

— C'était un plaisir, j'espère que j'ai pu vous éclairer un peu sur mes intentions avec cette nouvelle.

Propos recueillis par Helena Jordan.

II.

Quarante-deux ans après la parution de la nouvelle « Partir », l'écrivain Nicholas Cray habitait Berlin.

Il s'était retiré de la vie d'auteur depuis quelques mois maintenant. Il avait stoppé toute apparition

télévisée ou interview avec la presse après l'annonce de l'arrêt de ses écrits.

« Partir » avait révolutionné la période adolescente de ma mère. Les universités et lycées l'avaient

analysée de long en large pour en expliquer ses particularités. Ma mère l'avait adorée et me l'avait

conseillée vers mes dix-sept ans. J'ai été captivé par cette nouvelle. Non pas par son message qu'il est


facile de comprendre seul, mais par le paradoxe qui régnait autour d'elle. Comment une nouvelle si

basique avait-elle pu connaître un succès si grand ?

Alors qu'une quarantaine d'années auparavant elle était considérée comme scandaleuse, elle est

maintenant élevée au rang de chef-d’œuvre. Les interviews données par M. Cray avaient sûrement

aidé à sa popularisation. Ne cherchant jamais à cacher son opinion, il avait toujours eu réponse aux

critiques faites à sa nouvelle. Il a bien sûr écrit de nombreuses autres œuvres mais aucune n'a été

aussi populaire que « Partir ».

Cherchant maintenant à être tranquille après une vie agitée, il fut plutôt difficile à trouver.

Travaillant pour une radio allemande, j'ai eu besoin de l'aide de beaucoup de mes confrères pour

entrer en contact avec lui. Je cherche à l'interviewer une dernière fois pour l'aider à sortir par la

grande porte, que ce soit pour ma mère ou pour la drôle d'admiration que je porte à « Partir ».

M. Cray me reçoit dans sa villa située en bordure de la capitale allemande. Nous prenons place sur

deux fauteuils dans ce qui semble être le salon. Je fais les branchements nécessaires pour que

l'interview soit diffusée en direct à la radio. M. Cray me prie de commencer.

— Bonjour, Monsieur Cray. C'est un honneur.

— C'est très flatteur de votre part.

— Je vais donc vous poser quelques questions autour de votre vie en tant qu'écrivain et autour de ce

qui vous a poussé à arrêter.

— Allez-y...

— Commençons par ce qui vous a poussé à arrêter. Pouvez-vous nous expliquer cette soudaine

coupure avec l'écriture ?

— C'est à cause de votre présence ici, ma nouvelle la plus célèbre : « Partir ». C'est elle qui a gâché

ma vie d'écrivain. Vous savez, je n'en ai jamais été très fier. C'est une des œuvres qui me satisfait le

moins. Chaque écrivain est plus ou moins toujours déçu par ce qu'il fait. Il trouve que tel ou tel détail

est mauvais dans les choix qu'il a fait pour composer son œuvre. Au moins je n'ai pas eu la honte

d'avoir écrit un de ces romans policiers commerciaux mais c'est ce qui m'est arrivé avec « Partir », je

ne suis jamais arrivé à être satisfait. J'ai cependant tenté de la publier malgré tout car je ne voyais

pas ce que je pouvais faire de plus. Le succès scandaleux de la nouvelle m'a impressionné, je ne vous

cache pas que j'en étais ravi. Mais au fil des années, chaque œuvre que je publiais était comparée à

« Partir » et quel que soit l’œuvre, elle n'arrivait jamais à dépasser « Partir » dans le cœur des gens.

Plus j'avançais dans ma vie d'écrivain, plus cela me dérangeait. Comment une œuvre dont je n'étais

pas fier pouvait plaire plus au public que celles dont j'étais content. Avant de publier certains de mes

écrits, je me disais : C'est le meilleur de tous, je me suis surpassé. Mais rien ne surpassait « Partir »

pour les gens. Je dois avouer que ça me faisait chier.

— Je comprends, mais quels sont les défauts que vous trouvez à « Partir » ? À chaque fois que

quelqu'un pointait l’un d’entre eux, vous arriviez à le justifier. Cette nouvelle marche justement grâce

à sa simplicité.


— Je crois que quarante-deux ans après, je peux maintenant vous le dire. Je n'ai fait que jouer de

mon orgueil. J'ai prouvé que l'on pouvait tout faire dire à une œuvre. Certaines ne sont bien sûr pas

ouvertes à l'interprétation comme les œuvres de propagandes, mais la mienne l'était. Quand vous

êtes en face de quelqu'un qui pointe l'un de vos défauts, il est toujours difficile de l'accepter. C'est

pareil quand quelqu'un pointe les défauts de votre nouvelle. J'ai donc cherché à expliquer pourquoi

ce qui semblait être un défaut était en fait un effet de style. Je crois que pour « Partir », l'oral a été

aussi important que l'écrit car cela m'a permis de rendre l’œuvre malléable et de parer toute

critique.

— Avez-vous des exemples de critiques sur lesquelles vous avez agis de façon orgueilleuse ?

— Plus d'une... Je vous disais que je n'ai jamais été fier de « Partir ». Je n'ai jamais été fier de son

style que j'aurais voulu plus littéraire par exemple. On m'a reproché le style simpliste. Il m'a donc

suffi d'en faire un atout en disant que oui le style était à chier. C'est souvent quand l'on s'enfonce

nous-mêmes que les gens ne considèrent plus ce pourquoi on se critique comme un défaut. Vous me

dîtes que je suis un connard, je vous réponds que je le sais et que ça me fait plaisir, vous n'allez pas y

revenir dessus car vous savez que j'en ai conscience, vous ne considérez alors plus cela comme un

défaut mais comme une part de ma personnalité, c'est un peu comme cela que j'ai protégé « Partir ».

Un autre exemple est que les idées philosophiques étaient aussi recherchées, je m'étais battu pour

avoir un semblant de profondeur. Raté, les philosophes ont trouvé ça nul à chier. Je n'y avais pas

pensé plus tôt mais cela collait à la nouvelle. J'ai donc expliqué que les idées se devaient d'être

basiques pour une plus ample identification au personnage. Quand on y pense, j'aurais pu y réfléchir

comme cela. Mais ce que je voyais quand je lisais « Partir » n'étaient que des idées philosophiques

non approfondies que je n'arrivais pas à développer. Je n'ai fait que jouer sur les mots. Le scandale a

fait le reste. De cela est partie la popularité de « Partir ».

— J'ai toujours eu une admiration pour vous mais elle est encore agrandie car par les mots, vous avez

créé un mythe. Ce qui est considéré dans toutes les analyses littéraires comme le fondement de

« Partir » : sa simplicité, n'était pas prévue. Vous avez transformé une déception en force.

— Comme je l'ai dit, nous pouvons faire dire ce que l'on veut à une œuvre d'art quand elle est

ouverte.

— Votre personnalité qui ne mâche pas ses mots a permis une réputation de nouvelle parfaite à

quelque chose que vous voyez comme imparfait, c'est incroyable.

— Certes, mais cela a gâché le reste de mon parcours d'écrivain…

— Vous avez parfaitement mythifié cette nouvelle, il était donc impossible de faire pareil avec une

autre. Je me suis toujours demandé comment cette nouvelle si basique, avec des propos simples

avait pu connaître un si grand succès. C'est de là qu'est partie mon admiration pour vous. Je trouvais

incroyable le fait qu'un auteur avec un style si vu et revu soit si populaire.

— Comment faites-vous pour encore apprécier la nouvelle après que je vous ai révélé mon

mensonge ?

— Simplement car c'est incroyable ce que vous avez fait. En plus vous avez eu le courage de révéler

le fin mot de l'histoire pour ceux qui ont eu à analyser votre nouvelle au cours des années.


— Si vous analysez une poésie par exemple, vous ne pouvez obtenir qu'une ébauche du sens que

cherchait à donner l'auteur. Ce n'est que s'il vous le révèle que vous le comprendrez réellement. Cela

prouve qu'aucun analyste littéraire ne peut vraiment décrypter une œuvre sans l'auteur. Il ne peut

que s'aventurer à des suppositions et déductions mais il ne peut pas deviner ce à quoi pensait

l'auteur.

— Vous avez sans doute raison… Une autre question que tout le monde se pose : pourquoi avez-vous

arrêté toute relation avec la presse à l'annonce de votre retraite ?

— C'est très simple, j'en ai eu marre. Ce sont eux qui ramenaient tout à « Partir », qui comparaient

tout ce que je faisais à « Partir ». C'était plutôt gonflant. Du coup, je n'avais pas envie qu'ils viennent

me voir pour me faire chier avec le fait que rien n'avait aussi bien marché que « Partir » pour moi… À

cause d'eux, j'en suis arrivé à un point dans ma carrière où je ne cherchais plus à faire une belle

œuvre pour mes lecteurs, je cherchais seulement à faire mieux que « Partir ». C'en est devenu

cauchemardesque. Je ne pensais qu'à « Partir » en écrivant. C'est après cela que j'ai craqué et que j'ai

compris que le seul moyen de stopper cette rivalité que j'avais avec ma première nouvelle était

d'arrêter l'écriture. C'est majoritairement à cause de l'influence des médias, que j'ai arrêté ma

carrière...

— Alors pourquoi avoir accepté mon interview ?

— Parce que je me faisais harceler tous les jours par des demandes ! Ça... comment dire... me les

brisait ! Je me suis dit que si j'acceptais enfin de répondre à quelqu'un, les autres me laisseraient

tranquille ! J'ai essayé d'être sympa, mais je ne peux pas supporter de vous voir là, vous êtes

typiquement ce qui a détruit ma carrière.

— Eh bien merci de m'avoir accepté, sur ce, je vais vous laisser pour ne pas vous embêter plus

longtemps…

— Oh, maintenant que t'as commencé…

— Voilà, l'interview se termine, légèrement moins bien que ce que j'espérais mais passons... Merci

encore, Monsieur Cray, et profitez bien de votre retraite, en espérant que « Partir » ne vous laisse

pas d'amers regrets.

*

Voilà le problème, il avait raison. « Partir » me laisserait à jamais des regrets. Je n'avais pas réussi à

battre ma nouvelle. Elle restait supérieure à toutes mes œuvres. Elle restait la pièce maîtresse de ma

bibliographie. J'ai eu beau mettre tout ce que j'avais dans mes écrits, les uns après les autres, pour

qu'enfin l'un d'eux soit considéré comme ma meilleure œuvre mais cela n'a jamais fonctionné. J'ai eu

beau expliquer que c'était mon orgueil qui avait rendu « Partir » parfaite, cela l'a encore plus rendue

admirable aux yeux du public. Je serai à jamais hanté par cette sensation que je ne peux pas me

surpasser, que je suis battu par moi-même. J'en viens à détester ma propre œuvre. Qui aurait pu

deviner que l’œuvre qui m'a permis de bouffer pendant des années grâce à ses ventes en viendrait à


être quelque chose que je hais. J'ai adoré ce que j'avais réussi à faire de cette œuvre par la parole.

Comme a dit le gars de la radio, je l'ai mythifié. Sans elle, je n'aurais sûrement jamais été un auteur

reconnu mais putain, aujourd'hui, ce n'est plus comme ça que je le ressens…

Je dois réussir à frapper un coup plus fort. Je ne peux pas simplement prendre ma retraite et

abandonner… Il faut que j'écrive quelque chose qui surpasse « Partir ». C'est vrai, je n'ai plus de

passion pour l'écriture, mon seul besoin est de ne plus entendre parler de ma première nouvelle. Je

ne veux plus croiser de personnes dans la rue me posant sans cesse des questions sur « Partir », en

me disant que c'est mon chef-d’œuvre.

Pourquoi ma nouvelle avait-elle si bien marché ? Nous l'avons dit durant l'interview : simplicité et

oralité. L'oralité n'est plus une option, « Partir » est considérée comme sans défauts apparents. Si

jamais je mythifiais une autre œuvre, elle serait peut-être considérée sans défauts aussi mais cela en

viendrait à la mettre au même rang que « Partir ». Je veux que « Partir » soit surpassée.

Mais nous n'avons pas beaucoup parlé d'une dimension qui a permis à « Partir » de me payer le loyer

pendant un bon moment : le succès à scandale. Le suicide du personnage à la fin avait choqué le

public. Non pas que les gens ne soient pas habitués à un suicide à la fin d'une histoire, ce qui les avait

terrifiés est le fait que je décrive ce suicide comme le seul moyen de sortie de notre société. Les gens

partageant les peurs du personnage principal se sont retrouvés cons face à la solution.

Bien sûr c'était seulement dans le cadre de mon personnage principal qui avait développé une peur

panique des autres. Il était rongé par la paranoïa. Certes certains vont sentir de temps en temps

cette angoisse mais mon personnage était enfoncé beaucoup plus profondément en elle, c'est pour

ça qu'il cherchait à échapper aux humains. Mais je me retrouve dans une situation similaire à la

sienne… Je me retrouve à avoir peur de la presse, peur de mon public. J'ai peur des gens. J'ai peur de

la comparaison à une partie de ma vie bien meilleure que celle où je me trouve maintenant.

Je n'arrive pas à croire que je fais écho au personnage principal…

Ça y est... J'ai la solution. Je sais comment battre « Partir ». Il me suffit de m'en servir pour rebondir

dessus. Il faut que ce soit moi qui force la comparaison. Je dois faire entièrement écho à mon

personnage principal…

Le scandale doit être grand… Mon dernier texte doit être à la fois simple et poignant.

J'ai la solution. Cela va être cher payé mais au moins je ne vivrai pas dans le regret.

Scandale plus grand donc scandale qui touche encore plus mon public. C'est à moi de sortir de notre

société…

Je dois tout abandonner...

Je ne vais pas me suicider. Le suicide n'est jamais la bonne solution, c'est trop simpliste, en plus cela

ne me permettrait pas de profiter de ma victoire. Mais le monde va croire le contraire. Il faut que

j'abandonne ma vie, mes biens, mes liens affectifs. Il faut que le scandale soit frappant et qu'il entre

dans l'histoire de la littérature.


Ma fin sera une apothéose. Le poème qui l'accompagnera sera scandé partout autour du globe

comme une hymne en mon nom. Je serai considéré comme l'un des plus grands auteurs ayant vu le

jour. Une fin tragique pour un destin hors norme. Celui qui a transcendé son œuvre en se surpassant.

Celui qui à lui seul a créé un mythe.

« Partir » ne sera jamais oublié mais cela permettra l'émergence de mon dernier texte, cela

renforcera sa grandeur, sa réputation. « Partir » ne sera plus que le commencement de mon œuvre,

un simple élément qui a permis la construction du chef-d’œuvre final. Ça y est, j'ai la solution.

III.

J'ai lu « Partir », comme la plupart des gens aujourd'hui. Je n'ai jamais été d'accord avec le suicide

final. Non pas que ce soit un mauvais choix dans le cadre de l’œuvre mais je n'aurais jamais fait ça.

Mon métier est la preuve même que nous sommes confrontés à la mort souvent beaucoup plus tôt

que nous le devrions. Le monde ne nous laisse en général pas assez de temps pour faire ce que l'on

voudrait faire. La mort peut frapper n'importe quand et mettre un terme à tous nos projets, je ne

vois pas pourquoi nous choisirions nous-mêmes de nous empêcher de réaliser ce dont nous avons

toujours rêvé. Enfin, ce n'est peut-être qu'une déformation professionnelle, cela n'a peut-être pas

forcément un lien étroit avec l’œuvre. Je comprends aussi que parfois la vie ne soit pas facile mais

nous devons combattre…

Je suis l'inspecteur de police Hector Hummel, chargé d'enquêter sur la disparition de Nicholas Cray.

C'est à moi que l'on a confié son poème final « Combattre » après que les pompiers soient intervenus

pour stopper l'incendie qui a ravagé sa maison. Les médias ont de suite conclu à un suicide, ce qui

paraît évident d'après les preuves que nous avons, mais surtout, d'après l’œuvre de l'auteur.

Néanmoins, n'ayant pas pu identifier le corps se trouvant là, nous ne pouvons pas encore affirmer

qu'il s'agit bien de M. Cray. Une bouteille d'alcool a été retrouvée très proche du corps et il porte des

marques de coupures au niveau des poignets comme s'il s'était ouvert les veines.

Ce qui est étrange, c'est que le poème de M. Cray est intact. Je veux bien croire qu'il ait cherché à le

protéger pour en faire un texte testament, mais s'il est bien mort en s'ouvrant les veines, le feu n'a

dû prendre que plus tard, il n'en serait donc pas la cause. Le seul moyen pour lui de savoir où placer

le texte pour le protéger avant l'arrivée des pompiers aurait été d'être à l'origine du feu. Notre

médecin légiste a daté la mort de l'homme à une journée plus tôt que le début de l'incendie. Nous

n'avons pas la possibilité de conclure à un suicide si vite.

En interrogeant famille et amis nous avons appris qu'aucun d'eux n'étaient au courant de ce qui se

préparait. La famille n'a apparemment pas eu de contact avec M. Cray depuis deux semaines pour un

dernier repas familial. Les amis nous ont relatés qu'il était resté distant depuis l'annonce de sa

retraite. Il avait l'air de s'en vouloir, comme s'il avait raté quelque chose.

Ce n'est qu'en écoutant les interviews de M. Cray sur le web que j'ai enfin compris de quoi il

s'agissait. Je suis tombé sur sa dernière interview, faite quelques mois après sa retraite pour une

radio allemande. C'est là qu'il expliquait s'en vouloir de ne jamais avoir réussi à surpasser « Partir ». Il


se blâmait lui-même mais il blâmait surtout les médias et son public pour toujours tout ramener à sa

première nouvelle. Chaque œuvre qui lui semblait beaucoup plus travaillée que « Partir » ne

possédait jamais grande réputation, sa première nouvelle les écrasant à chaque fois. C'était donc ça

son ultime regret.

J'ai donc cherché à retrouver l'animateur radio qui l'avait interviewé ce jour-là. Je me suis rendu dans

les locaux de la radio pour laquelle il travaillait au moment de l'interview. Il a apparemment

démissionné quelques semaines auparavant. J'ai pu néanmoins récupérer son adresse.

Dès le lendemain, je me trouve devant chez lui. Il m'ouvre tremblant. Je comprends vite pourquoi. De

nombreuses bouteilles de vodka sont vides sur la table de son salon. L'homme passe son temps à

boire.

— Bonjour, Monsieur l'agent, me dit-il en marmonnant.

— Bonjour, vous savez pourquoi je suis là ? répondis-je froidement

Il craque tout de suite, explosant en pleurs.

— C'est de ma faute, c'est moi qui l'ait poussé au suicide ! Je ne voulais pas mais il avait été si peu

agréable durant l'interview. C'est moi qui lui ai mis en tête qu'il avait raté sa carrière en ne

réussissant pas à surpasser sa première œuvre. Pourquoi suis-je allé lui dire que j'espérais que

« Partir » ne lui laisse pas d’amers regrets ?

Je ne ressens aucune pitié pour cet homme, combattre une douleur par l'alcool n'est jamais la bonne

solution. Je comprends sa souffrance mais je ne la partage pas. Je ne l'aurais pas ressentie à sa place.

Il n'a fait que répondre à une remarque déplacée de l'auteur. Il s'en veut pour quelque chose qui est

plus grand que lui, qui le surpasse. Nous ne pouvons pas atteindre la conscience d'une autre

personne, c'est ce qui prouve que les autres sont sujets et non pas objets. Il était donc impossible

pour cet animateur radio de deviner comment M. Cray allait réagir à sa remarque. Ce n'est peut-être

même pas à cause de lui, mais pour d'autres raisons que l'auteur a choisi la voie du suicide. J'ai

toujours trouvé que s'en vouloir pour quelque chose dont nous ne sommes pas responsables est une

marque de faiblesse. Je comprends cependant pourquoi il s'en veut, l'humain passe son temps à s'en

vouloir pour des choses dont il n'est pas responsable.

Dans cet état, ce pauvre animateur radio ne m'est pas très utile. J'ai pourtant une dernière question

à lui poser.

— Comment avez-vous trouvé M. Cray après votre remarque sur les amers regrets ?


— En… énervé, balbutie-t-il.

— C'est bien ce que je pensais. Merci pour vos réponses.

— C'est tout ?

— Oui, dans votre état pitoyable vous ne m'êtes d'aucune autre utilité, ce que vous m'avez dit est

suffisant, maintenant réveillez-vous ! Arrêtez d'être si minable et réveillez-vous ! Je peux vous

assurer que l'enquête nous prouve que vous n'y êtes pour rien. Maintenant prenez votre vie en

main !

Même si cet homme ne m'inspire aucune sympathie, cela fait partie de mon métier de l'aider à se

sentir mieux, surtout s'il n'est pas coupable.

Il a confirmé ce que je pensais. M. Cray semblait énervé à la fin de leur interview. L'énervement n'est

pas une caractéristique de quelqu'un qui va bientôt se suicider, au contraire, l'énervement pousse

quelqu'un à continuer. Si M. Cray avait montré des signes de fatigue, de dépression, de tristesse

peut-être au cours de l'interview, nous aurions pu être conforté dans l'hypothèse du suicide.

Il est mort quelques jours à peine après avoir discuté avec l'animateur radio, ce qui ne lui a pas laissé

le temps pour passer du calme en début d'interview, à l'énervement à la fin et à la totale dépression

plusieurs jours après. Je pense que cet éclatement de rage en fin d'interview a été un déclic, cela l'a

poussé à aller tellement loin pour battre sa nouvelle qu'il en aurait organisé un faux suicide pour

appuyer l'impact de l'arrivée de son nouveau texte, et si j'ai raison, c'est que notre grand écrivain est

un grand malade et je pourrais m'en servir.

Il faut maintenant que je trouve non pas comment il a fait car cela serait une perte de temps pour

mes projets, mais plutôt où il est. Je suis peut-être loin de la vérité mais je crois fortement en mon

idée. Il a forcément eu besoin d'aide si j'ai raison. C'est impossible d'organiser un faux suicide seul.

Les premières personnes vers lesquelles on se tourne dans ces cas-là sont la famille et les amis car ce

sont ceux à qui l'on fait généralement le plus confiance. Il faut que je retourne les voir.

Après le père, la mère et les deux meilleurs amis, c'est au tour du frère de monsieur Cray. Il m'ouvre

nonchalamment, apparemment pas si heureux que je sois à nouveau chez lui.

— Bonjour, Monsieur Cray, je suppose que vous savez pourquoi je suis là ?

— Non, pas du tout, j'ai déjà répondu à toutes vos questions.

— Ne jouez pas au plus malin avec moi, Monsieur Cray. Vous êtes en état d'arrestation pour être

complice de la mise en scène du suicide de votre frère. Vous l'avez aidé, nous en avons les preuves.

— Mais…


— Non, Monsieur Cray. Vous allez maintenant avoir un choix qui s'offre à vous, vous pouvez me

suivre au commissariat où vous finirez derrière les barreaux pour être complice de fraude ou vous

m'expliquez où se trouve votre frère.

Mon interlocuteur est livide.

— Je ne veux pas me retrouver en prison ! dit-il paniqué.

— Et bien, il suffit de me dire où est votre frère.

— Je…

— Très bien, fais-je en sortant des menottes, vous avez fait votre choix.

— Non, pitié ! Je vais vous dire où il est, mais comment savez-vous que c'est moi qui l'ai aidé ?

— Un de nos informateurs a surpris une conversation entre vous et votre frère, vous comprendrez

que je ne divulgue pas son nom. Maintenant allez-y, il faut que justice soit rétablie et que je trouve

votre frère.

— Je connais des gens qui ont pu lui…

— Franchement, je n'en ai rien à foutre de savoir comment vous avez fait. Je veux juste savoir où il

est. Vous me faites perdre mon temps...

— Au Laos, avoue-t-il finalement. C'est un des rares pays où son œuvre reste inconnue, c'était un

bon moyen pour lui de se faire oublier.

— Bien, maintenant plus que la ville et son adresse et je vous laisse tranquille.

— Il se trouve à Vientiane. Voici son adresse, me répond-il en me tendant un bout de papier posé sur

une des tables de son salon.

Je savais que lui mettre un coup de pression marcherait. Cela fonctionne souvent sur les gens simples

comme lui. Ils sont faibles et prennent peur dès que je les menace d'être coupable. S'ils ont quelque

chose à se reprocher, ils me le diront tout de suite. Je dois avouer qu'il m'est normalement interdit

de mentir sur les preuves que je possède contre un suspect mais, ne me trouvant pas avec un

supérieur hiérarchique et ayant quelques idées pour le sort futur de Nicholas Cray, c'était un gain de

temps considérable que d'utiliser ce coup de bluff.

Maintenant que je suis sûr d'avoir bien raison, il ne me reste plus qu'à taxer pour un billet en

direction du Laos et j'aurai réussi.

*


Cela fait quelques années que je n'ai pas pris l'avion. Cela m'a fait bizarre au moment du décollage.

Je n'ai pas pensé que l'engin qui nous emmènerait au Laos serait aussi imposant.

Les petites turbulences ne sont en rien inquiétantes.

Je savoure d'avance ma victoire sur M. Cray. Je le détiens en ma possession. Il est comme un objet

m'appartenant, que je peux casser à tout moment. J'ai le pouvoir de le briser. Il est étrange d'avoir

tant de pouvoir sur un homme. Un seul coup de fil et je détruis tout ce qu'il a construit au cours de sa

vie. Je peux le ramener à la réalité, lui faire mal, lui prouver que tout ce qu'il a fait n'était qu'inutile.

Je peux le faire souffrir. Les ventes de son poème pourraient s'arrêter à cause de moi. Plus personne

ne lirait ce qu'il a écrit car j'aurais choisi de divulguer le fait que M. Cray n'est qu'un escroc. Il a

simplement créé un coup de pub pour son œuvre. Cela est tout bonnement du très bon marketing.

Mon choix peut tout changer.

Nous avons encore la preuve que ce que les gens considèrent comme une légende n'est qu'humain

après tout. L'histoire de M. Cray n'est pas réelle, elle n'est qu'un mythe qu'il suffit de désacraliser

avec une simple preuve. Chacun peut se créer un monde dans lequel il se croit supérieur mais cela ne

veut pas dire que ce monde est réel. La réalité finit toujours par vous rattraper. Nicholas Cray croit

avoir échappé à son destin, je suis celui qui prouve que ses croyances sont fausses.

Quand l'avion atterrit sur le sol laotien, je fais partie des derniers à descendre. Maintenant, je n'ai

plus qu'à me rendre chez ce soi-disant écrivain de légende.

Je prends un taxi, qui, en une bonne demi-heure me dépose pile à l'adresse de M. Cray.

Après une flopée de marches, je toque à la porte, l'écrivain m'ouvre, semblant assez fatigué.

— Votre frère ne vous a pas prévenu de mon arrivée ?

— Si, si, Monsieur l'agent, rétorque l'écrivain.

— Vous savez donc que je connais votre secret.

— Oui.

— Vous allez devoir vous discréditer.

— Vous savez très bien que je ne peux pas. Avez-vous vu ce que les gens disent de moi ? Avez-vous

vu la popularité de mon dernier poème en à peine quelques mois ?

— Traduction en trente-huit langues, c'est mieux que « Partir » si je ne me trompe pas.

— Exactement, je l'ai enfin battue…

— Grâce à une arnaque, le coupai-je. Ne vous sentez vous pas un peu honteux ?


— Non. J'ai réussi, c'est tout ce qui importe et puis l'arnaque n'aurait pas aussi bien fonctionnée si le

poème n'était pas de qualité. Je n'ai plus de regrets.

— Et bien, vous allez en avoir quand les gens apprendront ce que vous avez fait.

— Sachez, Monsieur…

— Hummel.

— ...Hummel que je suis maintenant Laotien, votre juridiction ne s'applique pas à moi car elle ne

s'applique pas sur ce territoire. Vous ne pouvez pas me forcer à faire quoi que ce soit et vous le savez

très bien. N'essayez pas de me faire peur c'est inutile. Maintenant je voudrais connaître la vraie

raison de votre présence ici ? fait l'écrivain presque blasé.

— Vous êtes plus intelligent que votre frère. Et bien, je viens pour un simple chantage. Je crois avoir

entendu que vous avez légué les droits de vos œuvres à votre famille, je voudrais que l'on retrouve

un autre testament daté plus récemment qui lègue 20 % des recettes de vos œuvres à cette femme

NitaDerrine avec qui, vous l'aurez compris, je suis très proche, sinon, je vais malheureusement avoir

à révéler votre histoire au grand public.

— Qui l'eut cru ? Je me suis battu toute ma vie pour ne pas ressembler aux autres écrivains et me

voilà coincé dans une de ces trames policières minables contenant un flic véreux. Vous savez que

vous feriez un succès commercial certain si vous racontiez votre histoire ?

— C'est me rabaisser si bas… Alors qu'en dites-vous ?

— Je vais bien gentiment décliner votre offre et vous demander d'aller vous faire voir. Vous

comprenez sûrement qu'après tout ce que j'ai fait pour en arriver là, je ne vais pas m'abaisser à vos

demandes.

— Mais ce serait un très bon moyen pour que vous restiez où vous en êtes justement.

— J'ai dû sacrifier mes relations familiales, les blessant en leur faisant croire que j'étais mort, je ne

vais pas leur enlever la dernière chose que je peux faire pour eux.

— C'est tout à votre honneur, mais c'est une erreur. Si je révèle votre secret, les ventes de vos livres

vont s'arrêter. Votre poème ne sera plus lu. Les gens ne retiendront que de vous l'arnaque, la

tromperie. Votre famille et vos amis seront déçus par vous et ne recevront donc plus rien, alors que

dans mon marché, ils continuent à toucher 80% des bénéfices.

— Ils en touchent 100% et continueront à le faire, même s'ils sont déçus par ce que j'ai fait. Ce n'est

pas la tromperie que les gens retiendront. Ils retiendront la personne. Ils retiendront l'histoire de

l'écrivain dévoré par sa première œuvre, prêt à tout pour faire mieux, quitte à organiser un faux

suicide. Ils retiendront l'écrivain qui a dupé le monde entier en se faisant passer pour mort. Les gens

veulent toujours connaître ce qui sort de l'ordinaire. Les lecteurs chercheront forcément à savoir ce

que contient un poème qui fait partie de l'organisation d'un faux suicide, qui fait partie d'un plan

pour battre une œuvre qui reste dans les mémoires de chacun. Les écrivains s'identifieront à mon

histoire, Nicholas Cray, auteur qui n'a jamais été satisfait par son travail que pourtant tout le monde

acclamait, allant plus loin que tous pour réussir à surpasser sa propre œuvre. Vous serez retenu ne


vous inquiétez pas, vous serez celui qui a compris ce que personne n'a réussi à voir mais vous serez

vite oublié. Retenez-vous plus la grandeur de Jules César ou son fils qui l'a tué ?

— Non, je ne crois pas en votre mythe, je crois en ma réalité et c'est ce que les gens retiendront j'en

suis sûr.

— Peut-être… Mais les gens ont besoin de mythes. Ils ont besoin de légendes. Ils ont besoin

d'histoires incroyables à raconter pour échapper au quotidien. C'est ce qui les empêche de voir que

notre société est misérable. C'est un moyen de se protéger et c'est cela que je vais leur donner par

ma légende. Allez-y : divulguez la vérité.

— Je n'y crois pas, répondis-je calmement. Vous avez raison à propos du besoin de rêve de notre

population mais comme dans votre première nouvelle « Partir », quand les gens se retrouvent en

face de la réalité, qu'ils se trouvent condamné à voir que tout ce qui se passe dans ce monde est

négatif, ils réagissent durement, ils ne vont peut-être pas jusqu'à quitter notre société mais ils

perdent leur foi en elle. Les gens ont foi en vous, vous êtes un modèle artistique, mais quand ce

modèle se brisera, il ne restera que le négatif, et les gens ne verront pas en vous un modèle, ils

verront en vous le négatif de ce monde qui comme tout le reste a cherché à les duper et cette foi,

cette confiance qu'ils ont en vous, disparaîtra. Vous serez certes crédité comme vous l'imaginez, mais

vous n'aurez pas la réaction que vous attendez. C'était un plaisir, Monsieur Cray. Ce fut

particulièrement intéressant de voir votre vision du monde mais elle est faussée car vous vous

obstinez à rêver et à croire en un mythe. Les gens offrent leur foi facilement mais ils ne la redonnent

pas quand ils ont été trompés. Pensez-vous vraiment que le monde va continuer à croire en quelque

chose qui lui a été prouvé comme faux ?

— Je continuerai comme le monde continue à croire en la politique alors que la plupart des

politiciens sont reconnus corrompus, comme les gens continuent à croire en des idéaux

inatteignables. Le monde n'arrête jamais de croire. Ce n'est pas parce que je ne crois pas en notre

société qu'elle ne continuera pas à croire en moi.

— Si vous le dites… Je vous conseille de lire les journaux dans les jours à venir, j'espère que votre

monde ne s'écroulera pas et que la réalité ne viendra pas vous réveiller.

Florian Boulland, Planer, Master Etudes culturelles, Université Paul Valéry

Note au lecteur : Ce journal est un témoignage de la souffrance qu'endurent les personnes intelligentes. Ce sera aussi un moyen pour moi de me souvenir.


Arthur Andrews

Jour 1 : Ma décision est prise. Je vais prendre de la drogue pour la première fois. Pourquoi? La réponse est simple: je suis bien au dessus des êtres humains. Pour être tout à fait honnête avec vous, c'est un fardeau. Quand je parle, les gens ne me comprennent pas. La drogue m'aidera à perdre assez de neurones pour atteindre l'intelligence moyenne de l'être humain. Si mes calculs sont bons, je vais devoir fumer trois joints chaque semaine durant les cinq prochain mois et mon esprit saura enfin ce que c'est d'être normal. J'ai hâte.

Jour 2 : Aujourd'hui, c'était le moment d'acheter la drogue. Ce fut assez compliqué étant donné qu'utiliser de la marijuana à des fins récréatives est interdit en France et que je ne connais personne qui pourrait me fournir ce dont j'ai besoin. La seule solution était d'aller dans le quartier que j'évite toujours dans ma ville natale. J'ai mis ma veste la plus décontractée: la seule qui n'est pas faite de tweed. J'ai atteint ma destination au cours de l'après-midi. Un homme avec une casquette et un survêtement passait par là. Il avait l'air douteux. J'étais sur qu'il allait pouvoir me donner ce que je voulais.

Transcription de notre dialogue :

MOI : Ouaich cousin. (bien sûr, je connais le vocabulaire de la cité, j'ai fait des recherches)

DEALER : Bonjour. Ça va?

MOI : Ouais. Je voudrais votre meilleure came.

DEALER : Qu'est-ce que vous voulez dire ?

ME : Tu sais ce que je veux dire cousin.

DEALER : Pas du tout...

MOI : Allez frérot, je veux de la dope.

DEALER : Mais ça va pas putain, je suis pas un dealer !

MOI : Vraiment?

PAS DEALER : Ouais, maintenant laissez-moi tranquille !


Bon, on ne peut pas avoir toujours raison, n'est-ce pas ? J'ai erré dans le quartier un bon moment. Après une demi-heure, un charmant jeune homme est venu me voir, pour me demander si je ne voulais pas du hachisch. Comme j'avais toute la viande dont j'avais besoin à la maison, j'ai refusé poliment. Je suis retourné chez moi en fin de journée, bredouille.

Jour 3 : Je ne savais pas quoi faire. J'ai pensé à retourner dans le même quartier, mais imaginez que ce soit inutile une nouvelle fois ! J'ai fini par chercher sur Internet: « Comment obtenir de la marijuana ? ». J'ai trouvé : « www.drugsprime.com ». Ce site web proposait de livrer la quantité de drogue dont vous aviez besoin dans la planque de votre choix. Il fallait s'y rendre un jour avant la livraison pour laisser l'argent. Je me suis inscrit à leur newsletter pour des offres spéciales car qui sait si j'allais avoir besoin de plus de cannabis.

Jour 4 : Tom est venu me voir aujourd'hui. C'est surtout pour lui que je veux prendre de la drogue. C'est mon petit ami, mais pour être franc (même si je ne suis pas de la famille de Clovis ! Vous voyez toutes ces jeux de mots que les gens ordinaires ne comprendraient pas !), je suis beaucoup plus intelligent. C'est le premier petit ami que j'ai jamais eu, et nous sommes très différents. Nous sommes ensemble depuis huit mois maintenant. Il parle toujours de sport. Ça ne m'intéresse pas. Je parle toujours d'Histoire ou de maths. Ça ne l'intéresse pas. Il y a quelque chose qui manque à notre relation. Je sens que si je veux pouvoir le garder dans ma vie, nous devons être sur la même longueur d'onde. Il est arrivé avec un DVD en souriant.

Transcription de notre discussion :

TOM : Je pensais qu'on pourrait regarder ça ensemble.

MOI : C'est quoi ?

TOM : « À Nous La Victoire » avec Sylvester Stallone. C'est sur un match de foot à Paris entre les Nazis et les prisonniers Alliés. La résistance française s'en mêle et je suis sûr que ça va être super intéressant. Y'a du sport, y'a de l'Histoire, ça pourrait être un bon compromis.

MOI : C'est adorable Tom, mais tu n'a plus besoin de trouver des compromis maintenant. J'ai la solution qui va me permettre d'aimer ce que tu aimes.

TOM : C'est très sympa car je vais pas soudainement me mette à aimer les maths, désolé. C'est quoi l'idée ?

MOI : Rien de révolutionnaire, mais je promets que je vais apprécier de voir des gens qui courent après un ballon pendant une heure et demi.


TOM : Tu verras, c'est génial ! Une fois que tu comprends la partie tactique, tu ne pourras plus t'arrêter de regarder la Ligue des Champions.

MOI : Bien sûr Tom...

Nous avons fini par regarder le film. C'était rasoir, comme la plupart des films que Tom choisit. Je ne le lui dis pas car il fait un réel effort pour me faire plaisir.

Jour 5 : J'ai laissé 400 euros dans un immeuble abandonné en dehors de la ville.

Jour 6 : Deux kilos d'herbe m'attendaient, ainsi qu'un nombre conséquent de petites feuilles. Je les ai mis dans le coffre de ma voiture. Je ne me sentais pas vraiment comme un gangster, plutôt comme un rappeur classe (mais en beaucoup plus intelligent). Je suis retourné chez moi, prêt pour ma première expérience. J'ai posé les deux paquets d'un kilo sur la table du salon. Je suis allé chercher un couteau pour en ouvrir un. La solution était là. J'allais enfin m'intégrer à la société après toutes ces années à détester le football et les films Hollywoodiens. J'étais heureux quand j'ai pris une feuille et un peu d'herbe dans ma main. J'étais moins heureux quand un courant d'air a fait s'envoler tout ça. C'était au moins 7 euros d'herbe de perdu ! J'en ai ressorti un peu du paquet et ai récupéré à l'aide d'un balai la petite feuille. J'ai roulé, léché et allumé.

Je n'ai rien senti pendant quelques minutes, à part une soif terrible. Mais ensuite, mon cœur s'est mis à accélérer. Ça ne signifiait pas que j'étais agité, au contraire, je bougeais plutôt lentement. J'ai passé une demi-heure à regarder ma main et toutes ses lignes. Je ne pensais pas qu'il y avait tant de lignes sur une seule main (tant de lignes je vous dis ! C'est incroyable ! Vous devriez regarder la vôtre). En fait, pour une première expérience, c'était un peu ennuyeux et ça m'a donné très faim. J'ai mangé toute la viande que j'avais. Il va falloir que je mette ça sur ma liste de course. Peut-être pourrais-je contacter le charmant jeune homme d'il y a quelques jours pour acheter du hachis.

Je suis allé me coucher, épuisé, mais je me sentais déjà un peu plus humain.

Jour 8 : J'ai fumé mon second joint aujourd'hui. Il ne s'est pas passé grand chose. Je me suis senti relaxé, le temps s'étendait étrangement. Mais j'ai une fois encore eu faim et soif...

Jour 11 : Troisième pétard. C'était un peu mieux, mais pas encore top. Je sais pas pourquoi les gens trouvent ça si incroyable. C'est déjà une chose assez douloureuse de devoir réduire son intellect, ce serait bien si je pouvais au moins apprécier le processus...


Jour 14 : J'aime Tom. Je sens qu'après 33 ans sans avoir eu de relation amoureuse, je ne serai plus capable de trouver quelqu'un d'autre si je le perdais. Il est magnifique. Au début, notre relation était principalement physique, mais ensuite j'ai vu qu'il essayait de trouver des compromis pour faire marcher notre couple. Ça m'a fait l'aimer encore plus, mais je sais que ça durera pas si je change pas. Je ne crois pas aux couples avec un des deux bien plus intelligent que l'autre. Le membre stupide va forcément se sentir inférieur à un moment et ne restera pas avec quelqu'un d'aussi supérieur. C'est pour ça que j'ai prévu de parler d'Histoire à Tom pendant toute la journée. Je voulais l'éduquer. Il en avait vraiment besoin, croyez-moi. C'était un moyen de balancer les choses : l'élever alors que je m'affaiblissais. Cette journée était une sorte d'adieu à mon ancienne vie, pour m'aider à digérer la transition. Je suis allé voir Tom. Je lui ai dit de se préparer et lui ai promis que ce serait la dernière fois que je l'ennuierai avec l'Histoire.

Malheureusement le journée ne m'a permis que de couvrir les bases de ce qu'il s'était passé durant la seconde Guerre Mondiale. C'était le moins que je puisse faire. J'étais choqué, Tom m'a vraiment écouté sans se plaindre.

Jour 22 : Oh mon Dieu ! Celui-là était bon ! Celui-là était bon ! C'était le... Je sais plus... mais celui-là était bon ! J'en ai tellement profité ! C'était une vraie expérience ! J'ai toujours entendu que la musique était dix fois mieux avec un peu d'herbe. Vous savez quoi ? C'est vrai ! J'ai vraiment senti les notes me traverser le corps. J'ai écouté PurpleRain de Prince et j'ai atteint une nouvelle dimension. PurpleRain, PuuuuurrpleRaiiiin ! Le truc, c'est que j'étais tellement affamé qu'il a fallu que j'aille acheter de la nourriture. Il y a un McDonald’s dans mon quartier. C'était aussi une chance d'essayer de m'intégrer à la populasse.

Je suis arrivé, prêt à commander. J'ai regardé la serveuse. C'était une jeune femme d'environ vingt ans. Elle avait l'air normale. Je n'avais jamais vu un regard aussi normal sur un visage de ma vie.

Transcription de notre dialogue :

SERVEUSE : Bonjour, puis-je prendre votre commande ?

MOI : Euh... Je... voudrais... Euh... Je peux avoir... un Big Mac ?

SERVEUSE : C'est tout ?

MOI : Hum... Je peux avoir de la coca... Euh... du Coca ?

SERVEUSE : Bien sûr...


(Il fallait que je crée un lien avec cet être normal.)

MOI : Z'allez bien ?

SERVEUSE : C'est minuit et je travaille donc c'est pas terrible...

MOI : HA HAHA ! C'est tellement drôle ! HA HA ! (j'ai rigolé à une blague d'humain moyen ! J'en revenais pas ! Enfin ! Je commençais à être normal!)

SERVEUSE : Je pensais pas que ça vous ferait tant rire...

MOI : HA HAHA !

SERVEUSE : Attendez... Vous êtes pété ?

ME : Ah non... j'oserai pas... c'est sale...

SERVEUSE : OK, je vois... Voilà votre Big Mac, ça vous fera du bien. Passez une bonne soirée.

MOI : Merci... Employé moyen de McDonald’s...

Cette nuit était une vraie réussite ! J'avais compris une personne normale ! Ça signifiait que j'étais de plus en plus proche d'être normal. Ça signifiait que j'étais de plus en plus proche de Tom !

Jour 24 : Je n'ai pas vraiment envie d'écrire à propos de cette journée... Rien ne s'est passé comme prévu... J'ai invité Tom pour qu'il vienne voir un match de foot à la maison : Paris contre Montpellier. Après avoir enfin senti quelque chose d'intense en fumant de la marijuana, j'ai pensé que c'était le moment parfait pour me tester et voir si mon plan marchait. Il est arrivé vers 20 heures. Le match commençait à 20 heures 30.

Transcription de notre dialogue pré-match :

TOM : Tu es sûr que tu veux le faire ? Tu n'est pas obligé tu sais...

MOI : Je t'assure que je suis prêt. J'y ai réfléchi et c'est le bon moment.

TOM : OK mais si tu te sens mal à l'aise, n'hésite pas à me le dire.

MOI : Merci Tom.


Le match a commencé. Tom m'a appris de nombreuses choses durant les premières minutes. Il m'a expliqué que le football était bien plus que de marquer des buts. L'esprit d'équipe est crucial. Les supporters jouent un rôle capital. Les joueurs étudient leurs adversaires sur des vidéos avant le match pour connaître leurs tactiques. Il dit que les meilleurs joueurs ne sont pas seulement doués parce qu'ils sont talentueux, ils savent aussi gérer leur image pour sembler impressionnant sur le terrain. Vous savez quoi ? Quand l'arbitre a annoncé la mi-temps, j'ai su que ces 45 premières minutes avaient fait partie des plus ennuyeuses que j'ai jamais passé sur Terre. Je suis vite allé dans la salle de bain pendant la pause pour appliquer mon plan de « joint d'urgence ». J'ai fermé la porte, ouvert la fenêtre, prit un pétard, allumé le pétard et fumé le pétard. La mi-temps n'était pas assez longue pour que je le finisse, mais avec un peu de chance, ça allait suffire pour m'aider à apprécier le reste de la partie. Quand je suis retourné dans le salon, Tom était collé à son portable à regarder les résultats des autres matchs de la journée. Sans détacher ses yeux de l'écran, il m'a demandé comment j'avais trouvé la première période.

Transcription de notre discussion de la mi-temps :

TOM : Alors, c'était comment ?

MOI : Intéressant...

TOM : Eh bien, c'est un pas en avant. Tu me diras quelle est ta technique !

Oui, j'ai menti à mon petit ami, encore. Mais qui ne le fait pas ?

La seconde période ét ait bien mieux, mais je ne pense pas avoir vraiment regardé le match. Le son de la télé était fascinant, bien qu'il fût un peu fort. Le foule en délire était incroyable. Je sentais leur chaleur, leur joie. C'était impressionnant. Les couleurs de la télé était fabuleuses ! Tom commentait ce qu'il se passait sur le terrain, mais je ne pouvais pas écouter. J'étais en train de penser que mon salon serait bien plus agréable si je bougeais la table qui était en plein milieu. Je voulais le faire dès que j'en ai eu l'idée. C'était un combat de ne pas bouger. Je ne pouvais pas moins m'intéresser au match. L'herbe ne m'aidait pas à apprécier la partie, elle m'aidait à apprécier la vie.

Tom a finalement remarqué que quelque chose n'allait pas quand le match s'est fini.


Transcription de notre conversation post-match :

TOM : Ça va ?

MOI : Ouais...

TOM : T'as l'air bizarre.

MOI : Non... T'inquiète pas.

TOM : T'as aimé le match ?

MOI : Non Tom... J'ai... aimé la vie !

TOM : Euh, c'est bien...

MOI : Oui... C'est bien !

TOM : Oh, je sais ce qui ne va pas. Tu veux parler d'Histoire ou un truc du genre pour compenser pour le match. Vas-y. Je sais que tu as promis de ne plus le faire, mais ça ne me dérange pas. Je te le promets. Dis-moi tout à propos de la seconde Guerre Mondiale.

MOI : Je... Je ne veux pas parler d'histoire... Je m'en fous...

TOM : Qu'est ce qui ne va pas ? Tu ne parles pas comme d'habitude... Tu ne te comportes pas comme d'habitude...

Tom était magnifique. Ses yeux ! Oh mon Dieu ! La couleur de ses yeux ! Je ne pouvais pas résister. J'ai avancé et l'ai embrassé impulsivement. Enfin, c'était plus n'importe comment... Je n'ai pas pensé aux conséquences.

Transcription de notre dialogue post-baiser :

TOM : Mais putain Arthur ! Pourquoi est-ce que t'as le goût de marijuana ?

MOI : Je... ne...


Tom m'a embrassé avec hésitation une nouvelle fois, pour confirmer ce qu'il pensait. Même si je savais que les événements qui allait suivre ne seraient pas plaisants, c'était très agréable.

TOM : Tu as le goût de marijuana ! C'est ça ta solution pour aimer ce que j'aime ?

MOI : Je...

TOM : Tu penses que je suis con à ce point ? Que seul la drogue peut t'aider à apprécier ce que j'aime ?

MOI : Allez... Tom...

TOM : Tu penses que tu es au dessus de tout le monde, c'est ça ?

MOI : Laisse-moi m'expliquer...

TOM : T'es défoncé, tu ne vas rien expliquer du tout ! Putain Arthur, j'y crois pas ! Je pensais que tu m'aimais ! Je pensais... Je pensais que tu étais juste prêt à faire un effort...

MOI : Mais Tom... J'ai fait ça parce que je t'aime... Parce que je ne veux pas te perdre...

TOM : Mais tu t'écoutes parler Arthur ? Tu sais ce que j'aime chez toi ? Le fait qu'on soit si différent mais que tu m'acceptes quand même comme je suis !

MOI : Ne dis pas ça s'il te plaît...

TOM : Et où est-ce que t'as trouvé la drogue ? Tu sais que pourrais être arrêté !

MOI : Eh bien je...

TOM : Où est-ce que tu l'as trouvée ?

MOI : Sur Internet...

TOM : Et c'est moi l'idiot dans notre couple ? T'es pas bien Arthur ! Où est-ce que tu l'as planquée ?

MOI : Dans la salle de bain...

Je ne veux pas retranscrire le reste du dialogue. J'ai tout foiré... 33 ans... Tom m'a quitté... Il a dit que c'était la preuve qu'on n'avait rien en commun, que ça marcherait pas. Il m'a dit de revenir vers lui quand j'aurais changé. Mais comment ? J'ai fait tout ça pour changer !


Qu'est-ce qu'il veut dire ? Je commence à me dire que je ne peux pas changer. Je suis juste comme je suis.

Suis-je destiné à être supérieur aux autres êtres humains ? Je ne serais probablement jamais capable de les comprendre... Je passerai sûrement le reste de ma vie seul... Qu'est-ce que je dois faire ?

Jour 25 : J'ai la solution. Moins de 24 heures pour la trouver, preuve supplémentaire de mon indéniable supériorité... Pour être tout à fait honnête, j'ai pleuré presque toute la nuit. Je savais que j'avais touché le fond et creusé plus profond encore : c'était pire que 33 ans sans relations, pire qu'être rejeté par les gens, pire que la douleur elle-même. J'ai perdu Tom. Mais c'est fini maintenant. Je ne vais plus avoir à me soucier de lui. Comment, vous vous demandez ? Eh bien, c'est simple. J'étais si mal aujourd'hui que j'ai allumé un joint, espérant que ça me ferait oublier Tom pendant un instant. C'est comme ça que j'ai résolu tout mes problèmes. Ça ne m'a pas fait oublier Tom complètement, mais durant un moment, je me sentais un peu mieux. Je pensais à lui mais il était loin, presque inatteignable. La marijuana réduit la concentration. Une fois encore, je suis devenu obsédé par mon salon qui a définitivement besoin d'un réaménagement. J'ai aussi écouté de la musique.

C'est pour ça que j'ai besoin de drogue. Si la marijuana me permet de repousser mes problèmes pour un moment, quelque chose comme l'ecstasy ou le LSD les ferait disparaître.

Jour 26 : Je me suis rendu sur « www.drugsprime.com ». C'était bien vu de ma part de m'abonner à leur newsletter car il y avait 30% de réduction sur le LSD. C'était une offre limitée donc j'ai décidé d'en acheter autant que possible pour être sûr de ne pas en manquer. Grâce à ça : plus de Tom, plus de questions sur le fait d'être humain. Je pourrai juste profiter de trips dingues ! J'ai aussi acheté quelques cachets d'ecstasy. Il y avait 10% de réduction, ça aurait été dommage de ne pas essayer. Comme ça, je pourrai décider lequel des deux correspond le mieux à mes besoins.

Jour 28 : Je suis allé à la planque, la même que la dernière fois, comme un habitué. J'y ai laissé une grosse somme d'argent : 800 euros. Ça en vaut la peine. Quand je suis sorti de l'immeuble pour retourner à la voiture, je me suis senti observé, comme dans les films comme Tom adore. J'étais encore en train de penser à lui... J'ai hâte d'avoir la drogue !

Jour 29 : Ma commande m'attendait. J'ai tout ramené à la maison, prêt à oublier. À nouveau, je me sentais comme dans les films préférés de Tom, j'avais l'impression d'être suivi. Tom, Tom, Tom ! J'ai la drogue, maintenant, il va disparaître ! Je vais en prendre de suite. J'écrirai comment c'était ce soir et... Quelqu'un frappe à la porte. Faites que ce ne soit pas Tom ! Je


ne veux pas aller ouvrir... Je ne peux pas gérer ça dans mon état ! Attendez... Tout va bien, un homme vient juste de crier que c'est la police.

Manon Vallier, Université Paul-Valéry. Mention spéciale « université » du concours de

poésie 2019 Matiah Eckhard

Laboratoire "Danse et poésie italienne", mars 2019 dans le cadre de IDEFI (Initiatives

d'excellence en formations innovantes, licence d'italien) Mme Angela Biancofiore

Ecco il mio oggetto,

ecco il mio libro,

una parte importante di me,

un libro che mi fa sognare,

viaggiare,

piangere,

ridere,

una storia che fa parte di me.

Voici mon objet,

voici mon livre,

une part importante de moi;

un livre qui me fait rêver,

voyager,

pleurer,

rire,

une histoire qui fait partie de moi.

Clara Pozo, Un arcobaleno di emozioni. Université Paul-Valéry


d'excellence en formations innovantes, licence d'italien) Mme Angela Biancofiore

La fusione dei nostri corpi è un viaggio astrale che ci riporta alla semplicità dell'essere. La tranquillità è la pace che si crea E' proprio un arcobaleno di emozion


Julia Duthilleul-Pallares, Licence d’Italien, Université Paul Valéry


d'excellence en formations innovantes, licence d'italien)

Essere disabile è

essere più forte.

Être inapte

c'est être plus fort.

Vi do qualcosa

rientro in me

mi spengo.

Je vous donne quelque chose,

je rentre en moi

je m'éteins

Il mio cammino è lungo

il mio corpo

attaccato alla terra

mi fa sentire umana

Mon chemin est long

Mon corps attaché à ma terre

me fait sentir humaine.

Manon Raynier, Lettre à ma fille. Licence 1 psychologie, Université Paul-Valéry. Mention

spéciale « université » du concours de poésie 2019 Matiah Eckhard

Il fut un temps, lorsque j'étais encore vivant, Quand ma vie avait encore un sens, Et que je ne connaissais pas encore le néant. Tu étais ma perle, ma merveille, Celle que je ne voulais pas perdre. Tu voulais être ce petit papillon bleu, Pour m'accompagner en tout lieu. C’était notre symbole, Celui de notre complicité. On jouait, on riait et tu m'aimais Mais tout ça c'est du passé. Un jour tout a basculé, Et la lumière a laissé place à l'obscurité.


J'ai échoué, je suis désolé, Désolé, de ne pas t'avoir donné la vie que tu méritais, Si tu savais ce que j'aurais voulu pouvoir tout recommencer, T'offrir le père parfait. Oh toi ma beauté qui étais réalité, Tu étais devenue celle dont je rêvais, Chaque jour et chaque nuit, Tu étais dans mes pensées. Lorsque tu seras en train de lire cette lettre, Plus rien ne sera pareil. Je ne peux pas te mentir, Je dois tout te dire, Pour que de mes expériences, Tu puisses correctement fleurir. Mes forces m'abandonnent, Je n'ai plus le courage, Affronter tous ces regards et cette haine autour de moi. J'aurais honte si tu me voyais comme ça. Pouvant à peine tenir debout à cause de mon corps amaigri, Tu ne me reconnaîtrais pas. La nuit on te tabasse et le jour on t'oublie. On me dévisage et on m'évite, On m'écrase comme une vulgaire mite. J'en suis réduit à fouiller dans les poubelles, Comme ces mouches à merde. La rue c'est comme la jungle, Soit tu vis soit tu crèves. Ici, la solitude est maître. Seul dans le froid je fais mes prières. Je prie pour toi et ta mère, Que vous restiez dans la lumière. Si tu savais à quel point vous me manquez, Mon Dieu, je ne cesse de pleurer, Mon Dieu, je ne cesse de crier, Mon Dieu par pitié, Rendez-moi ce qui m'a été arraché. Mon cœur ne fait que saigner, Mais personne ne souhaite m'aider. Je reste là comme un objet, Je ne fais pas parti de leurs intérêts. Après tout, je n'ai plus rien à donner, Si ce n'est que de pouvoir aimer. Mais personne ne veut d'un déchet, Quoi que je fasse et où que je sois, Je suis renié.


Les hommes sont mauvais, Ils sont sans pitié, Tout cela m’effraie, Et je voudrais pouvoir te protéger. Aujourd'hui le temps a passé, Tu grandis et seras confrontée, Confrontée à une dure réalité. Ne te laisse pas piéger : Ils sont mauvais, Et n'hésiteront pas à te faire couler. Cette société ne pense qu'à manger, A posséder. Moi je te dis d'aimer. Aimer celui qui pourra t'apporter, Ce que moi je n'ai pas pu te donner. Il est temps pour moi de m'en aller, Laisser place à de plus grands projets. Ne t'en fais pas je t'accompagnerai, Je serai ce petit papillon bleu, Pour te suivre en tout lieu.

NÎMES

Joséphine Ponsard, Le temps des 18 ans. Institut d’Alzon. Mention spéciale « université »

du concours de poésie 2019 Matiah Eckhard

Cela fait maintenant longtemps,

Longtemps que je n’ai pas écrit.

Pourquoi cela ? Moi-même je ne le sais pas.

L’écriture semblait banale, elle, pourtant si vitale.

Mais c’est sans doute que je n’ai pas pris le temps,

Qu’il a été emporté par le vent.

Cette année j’ai dû apprendre à me redécouvrir,

Cette année j’ai dû apprendre à souffrir.

Tout autour de moi m’a semblé inanimé,

Tout autour de moi m’a semblé sans intérêt.

Aussi violente qu’une tempête,

La peur s’est installée dans ma tête.

J’ai tenté d’ignorer ce qui me dévorait,

Cette douleur qui ne voulait pas s’apaiser…

Je pensais que la peine finirait par disparaitre,


Alors j’ai attendu cachée derrière un masque de paraitre.

A vouloir absolument me surpasser, j’y ai laissé ma santé.

A toujours me questionner, j’ai fini par ne plus savoir qui j’étais.

La torture que je m’imposais ne s’est pas atténuée,

Comment savoir quel chemin emprunter ?

Pourtant à 18ans on veut que vous sachiez,

On attend de vous que vous grandissiez.

On vous dira qu’à 18ans vous avez le temps,

Le temps de rêver, d’espérer, de vous projeter…

Mais on vous dira aussi qu’il ne faut pas tarder,

On vous dira qu’il vous faut vous décider.

On vous dira de prendre les bonnes décisions,

D’éviter toutes les mauvaises actions.

On vous dira qu’il faut vous trouver,

On vous dira qu’il ne faut pas vous tromper.

Mais vous risquez d’en oublier de rêver…

La route du bonheur n’est pas la plus aisée à emprunter,

Avant de la trouver vous allez douter, hésiter,

Vous allez même sûrement vous tromper.

Ce n’est pas ici un cri de désespoir,

C’est un désir de sortir du noir.

Nous avons le droit de prendre notre temps,

Nous avons le droit de douter et de nous tromper.

Nous devons apprendre à accepter, à nous accepter.

Nous devons apprendre à nous écouter.

Mais pour cela nous devons prendre le temps,

Et ne pas le laisser être emporté par le vent.

ILE DE FRANCE

PARIS – LYCEE HENRI IV


Bastien Nora Roger Vasselin, Mille et une nuits , étudiant en Khâgne à Henri-IV. 1er prix

CPGE du concours de nouvelles des lycées parisiens Henri IV, Fénelon et Louis-Le- Grand.

« Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut que quelqu’un soit là. »

KAFKA, La Nuit, 1920

Alma redescend le chemin. Une larme roule sur sa joue. Mais il n’est pas temps de

pleurer : il faut préparer la fête de ce soir.

Elle essuie bien vite sa joue, et la perle d’eau salée vient s’écraser sur la paume de sa

main sale, comme pour la purifier. Tous ses membres sont excédés, enthousiastes, écœurés.

Le vent vient caresser ses jupons entrouverts. Le soleil embrasse de ses premiers rayons le

front de la mère, la bénit, avant qu’elle n’arrive à la porte.

Lorsqu’elle entre, Isy lui saute dans les bras.

– Maman ! Maman ! Où il est, Goyle ?

La question lui transperce le cœur. Alma repose sa fille.

– Ton frère… ton frère est parti, mon amour. Il est parti avec les autres. Mais il t’aime, il

t’aimera toujours.

Isy regarde sa poupée et s’éloigne en sautillant. Elle semble s’être satisfaite du

mensonge maternel. On entend dans le salon le vieux Feyek qui mâchouille quelque

morceau de pain de la veille au soir. Alma vient poser sa main sur l’épaule de son beau-père

attablé, qui dialogue avec sa fourchette.

– Bonjour, Feyek. Vous avez fini de manger ? Zara n’est pas avec vous ?

Le vieillard tourne la tête.

– Hoho ! On n’a pas le choix, il faut continuer ! De toutes façons, hier, tout reviendra pareil !

Alma monte les escaliers et entre dans la chambre de ses beaux-parents. Elle trouve

Zara endormie.

– Zara ? Zara, j’aurais besoin de votre aide. Il faut préparer la fête de ce soir, vous savez ?

La vielle femme se réveille. Elle sourit paisiblement et semble surprise, pendant

quelques secondes, de trouver Alma, là, face à elle.

– Vous êtes là ? Ça s’est bien fini, hier ? Où est mon mari ?


– Il est en bas, il mange. Je crois qu’il a besoin de repos.

– Ah, mon enfant ! À notre âge, je ne connais guère qu’un seul repos qui vaille. Mais c’est

vous qui devriez vous reposer ! On dirait que vous n’avez pas dormi depuis des mois !

– Oh, bien plus que cela ! répond Alma en riant. Préparez-vous tranquillement, je vous

attendrai dans la cuisine.

Arrivée dans sa chambre, Alma remet contre le mur le cadre photo, qui est tombé.

Son mari la regarde. Ses moustaches soignées lui donnent un air malicieux et sa bouche

rieuse a quelque chose d’enfantin. C’était un homme qui disait oui, pense Alma en posant un

baiser sur le cadre. Après sa douche, elle enfile sa belle robe rouge. Elle se regarde dans le

miroir. Une nouvelle femme ! Son mari l’aurait trouvée magnifique. Ce sera une belle fête.

Ce sera une belle fête.

Lorsqu’elle redescend, elle trouve ses aînés Anouk et Karl dans la cuisine. Zara les

rejoint rapidement.

– Bonjour, les petits anges ! lance la grand-mère. Je sens qu’on va bien s’amuser ce soir !

Les enfants rient. Chacun est bientôt au travail. Karl finit de débarrasser la grande

table et va la nettoyer dehors. Feyek, lésé de son royaume, déambule dans le salon, à la

recherche d’une nouvelle forme de souveraineté. Zara le pousse dans un fauteuil où il

s’endort, serrant sa fourchette dans sa poche. Alma se dépêche de ranger la cuisine. Karl

répare les carreaux du salon, tandis que Zara change les ampoules cassées. On sonne. C’est

le voisin Yuri, comme prévu, chargé de deux grands plats. Salade de calamars et terrine de

bœuf en gelée. Karl raffole du calamar. À l’étage, Isy range sa chambre et passe la balayette

dans les salles de bain qu’Anouk a fini de nettoyer. Les vêtements sont rangés dans les

armoires ; les lits, refaits ; des pans de papier peint, recollés.

On se retrouve alors en cuisine. Anouk et Karl font bouillir les algues. Isy et sa grand-

mère découpent carottes et navets. Alma prépare le bouillon du bortsch. Yuri fait rôtir les

viandes. La journée se consume aux fourneaux. À la fenêtre, Alma fait sécher des racines.

Elle regarde à l’horizon. Le soleil va bientôt se coucher, elle n’a pas vu le temps passer. Les

invités vont arriver. Elle a bien fait de se changer dès le matin ! Les enfants montent se

préparer. Zara réveille son mari, qu’elle installe à table. Celui-ci regarde tous les plats,

émerveillé. Lorsque les enfants redescendent, Alma finit de faire chauffer le Grzaniec. On

sonne. C’est Kaman et Vinia.

– Vous arrivez pile à l’heure ! dit Alma en les embrassant. Qui veut de la bière bien chaude ?

Les enfants, embrassez votre oncle et votre tante !

L’énorme oncle Kaman retire son manteau et soulève la petite Izy jusqu’au plafond. Il

a encore grossi. Il s’assoit rapidement dans le salon et s’éponge le front de son mouchoir.


– Ah ! V’là d’nouveau le phénix ! s’écrie Feyek, ravi d’avoir un partenaire à table.

Toute la famille prend place. Le dîner est superbe. Les couleurs se répondent. Les

odeurs se mêlent. Les rires se libèrent. Tante Vinia raconte l’histoire de son grand voyage

pour la millième fois. Mais on la réécoute avec plaisir, comme pour la première fois, et Feyek

lui-même semble comprendre de quoi il s’agit. Alma rapporte à la cuisine le plat de terrine.

Soudain, elle pousse un cri en revenant dans le salon : elle vient d’apercevoir un visage qui

les observe à la fenêtre. On s’arrête de parler. Seul Feyek lance :

– Faut pas pouponner pour ça, mon éponge ! C’est toujours la même histoire ! Hier, ce sera

pareil !

La porte s’ouvre. Karl, qu’Alma n’a pas vu se lever, accueille le nouveau venu.

– Bonsoir ! lance la tablée au parfait inconnu.

– Vous m’avez fait peur ! dit Alma en l’embrassant et en lui amenant une chaise.

– Haha, excusez-moi ! J’ai vu de la lumière !

Le nouveau visage se sert de poulet en quantité et donne le plat vide à Alma, sans

même la regarder. Elle le rapporte à la cuisine. Lorsqu’elle revient, elle trouve deux

inconnues à côté de l’oncle Kaman, qui leur raconte des blagues, la bouche pleine. Karl n’est

plus là. Il est allé accueillir des gens à la porte. Un homme en smoking fait irruption dans le

salon.

– Les toilettes, s’il vous plaît ?

Anouk lui indique la direction.

– Maman, on peut prendre du fromage ? demande Isy.

Alma va dans la cuisine. Elle tente de se frayer un chemin entre six inconnus jouant

aux cartes sur le plan de travail. Elle saisit le plateau de fromages et revient dans le salon,

mais Isy n’est plus là. Feyek pique de sa fourchette victorieuse une pièce de gigot et la mord

à pleines dents. La sauce goutte de ses lèvres pendantes. Zara, qui ne boit jamais, remplit les

verres. Des femmes en petite tenue montent à l’étage, guidées par le voisin Yuri. Le salon

retentit de rires et de chants. A peine arrivé, un groupe de dix personnes déchire les rideaux

et s’enveloppe dedans, pour chanter en chœur de la tragédie : « Nous l’adorons ! Ha ! Voyez

se disjoindre ces frises de marbre ! Bromios sous ce toit va pousser son cri triomphant ! » On

applaudit gaiment.

Du fond de leur contrée et de leur époque respectives, des milliers de personnes

affluent dans la nuit vers la maison. On dégonde finalement la porte d’entrée. Un orchestre

de trente musiciens s’installe en piquant quelques amuse-bouches. Le gâteau brûle dans le

four. L’homme en smoking invite Alma à danser. Il n’y a plus beaucoup de place, mais


l’homme est excellent danseur, et la valse est exquise. À l’étage, le voisin Yuri a attaché deux

jeunes femmes nues, en pleurs, sur le lit des enfants et il commence à se déshabiller. Anouk

ordonne en file les cinquante filles suivantes et examine leurs dents. Tante Vinia raconte

l’histoire de son grand voyage pour la millième fois. Personne ne l’entend. Feyek rit aux

éclats en éclaboussant ses voisins de sauce. Des hommes ont grimpé sur le toit et

commencent à le démonter. Oncle Kaman a trop mangé, il est en train de vomir dans l’évier

de la cuisine. Les joueurs de cartes en viennent aux mains. L’un d’eux saisit une bouteille et

la brise sur le crâne de l’oncle, qui s’écroule de tout son poids sur l’évier, le cassant presque

immédiatement. L’eau jaillit et commence à gagner le salon. Elle éteint au passage l’incendie

qui a pris le four. De l’eau ! De l’eau par terre ! crie une femme en robe verte. De l’eau ! De

l’eau ! reprennent avec joie les danseurs, qui claquent le sol du pied avec plus de force, pour

asperger les autres convives hilares. Des hurlements de douleur résonnent à l’étage. Feyek

s’est endormi dans son assiette. Tante Vinia raconte l’histoire de son grand voyage pour la

millième fois. Alma arrête de danser, comblée, et va aider quelques hommes à décrocher les

peintures et à rassembler les plus belles nappes de la maison, pour les emporter. Elle leur

descend aussi de précieux cadres venant des chambres, sauf celui de son mari, sur lequel

elle pose un baiser en passant. Dehors, des centaines de personnes montées les unes sur les

autres tentent de toucher la maison. Les plus chanceux parviennent à en arracher un

morceau. Alma se rend dans la cuisine. Karl lui sourit, il essuie consciencieusement le sang

s’écoulant de l’oncle Kaman, qu’on a fini par égorger. Zara fait revenir des bouts de viande

dans une grande casserole et en fait goûter à quelques convives.

– Vous en voulez un peu, Alma ? demande-t-elle. C’est Isy. Elle est excellente !

– Non merci, répondit la mère.

Elle revient dans le salon. Les danses ont cessé. Les corps nus enchevêtrés emplissent

la pièce à ciel ouvert. Les soupirs et les râles de plaisir forment une nouvelle musique, douce,

exquise, enivrante. Des sourires déshabillent Alma avec une grande lenteur, avant qu’elle ne

soit mêlée à ce magma de chair. La nuit s’essouffle en jouissances. Le monde finit par

s’endormir. Alma, seule, veille l’univers. À l’aube, le monde semble reparti. Alma se lève,

enjambe ruines et cadavres, et se met en marche vers la petite colline. Parvenue au sommet,

elle enterre les ossements d’Isy, ainsi que les morceaux de chair qu’elle a pu récupérer dans

la casserole. Elle s’agenouille un instant devant ce nouveau tas de terre proche de celui de

Goyle, et de tous les autres, et le couvre de ses mains maternelles.

Alma redescend le chemin. Une larme roule sur sa joue. Mais il n’est pas temps de

pleurer : il faut préparer la fête de ce soir.

Enora Le Gall, Jamais assez toujours trop, BCPST à Henri-IV. 2ème prix CPGE du concours

de nouvelles des lycées parisiens Henri IV, Fénelon et Louis-Le- Grand.


C'est révélateur, une fête. Oui. C'est cela. Révélateur. Amplificateur du réel.

D'abord il faut se préparer. Trop se préparer, toujours. J'ai appris à ne plus craindre le

regard des autres, mais à jouer avec. A le désirer. S'emparer de ce regard, m'en envelopper,

l'assembler comme je le souhaite – voilà ma tenue de soirée : ton regard sur ma peau.

Sur mon téléphone portatif, j'ai écrit ton nom... Si tu veux mon avis, Serge, je pense

qu'au cours du vingt-et-unième siècle une esthétique s'est perdue quelque part. Lorsqu'on

passe des touches de la machine à écrire au clavier numérique. Je crois que c'est pour ça que

ce soir je veux rechercher un regard. Me perdre dans une esthétique. Peut-être que cela, au

moins, je peux l'avoir ? Espoir.

Alors en attendant ce regard extérieur, je me plonge dans mon propre reflet. Peu

importe l'image globale, le visage, le corps, je ne vois que le détail, le grain de la peau, les

ombres. C'est-à-dire rien. Si je ferme les yeux, est-ce que mon reflet sera toujours là, à

m'attendre ? Est-ce qu'il en profitera pour m'observer à son tour ? Est-ce qu'il en profitera

pour s'enfuir ? Je ne veux pas savoir, c'est son affaire, je le regarde une dernière fois, histoire

de, je ferme les yeux, puis la porte de la salle de bain. Coincé, le reflet ! Coincé dans son

miroir ! J'ai enfin la paix, pour un instant, pour ce soir.

Sans transition, j'arrive à destination. La destination. C'est facile, c'est la seule porte

de l'immeuble par laquelle des notes de musique tentent de s'échapper. J'en attrape

quelques-unes au passage : c'est mon billet d'entrée. Cette porte trop grande, trop blanche,

serait infranchissable sinon. Mais voilà, avec mes notes à la main, je peux me faufiler, atterrir

sans prévenir au milieu d'un magma humain en mouvement pulsatile. Ma volonté propre

n'est soudainement plus ; je ne peux que suivre les ondulations imposées par les êtres qui


m'entourent. Synchronisation, je trouve rapidement le rythme. Rapidement ? Je ne sais déjà

plus depuis combien de temps je suis là. Je me rends compte que je n'ai plus mon manteau,

mon sac. Sûrement posés dans une chambre à mon arrivée. Il y a combien de temps, déjà ?

Je ne sais plus. C'est révélateur, une fête. Révélateur du temps qui passe comme bon lui

semble.

J'ai peut-être bu, j'ai peut-être soif, c'est comme si mes sensations internes avaient

été mises entre parenthèses. Tout ce que je sais c'est le contact par intermittence avec des

peaux chaudes et humides autour de moi, c'est les basses qui résonnent jusque dans ma

cage thoracique et me font vibrer. Qui parle de regard ? J'ai les paupières closes. Pourtant je

pourrais dessiner la scène comme si je la voyais. Peut-être même que je la vois. Je pense que

certaines choses peuvent se voir sans les yeux. Tout comme certaines choses peuvent se dire

sans les mots. On ne peut pas tout expliquer, et on ne peut pas tout partager.

Et puis. La question a remonté progressivement les strates de ma conscience. La voilà

qui émerge, un peu essoufflée de son long trajet, c'est qu'elle a dû se battre pour parvenir à

mon esprit. Et la voilà donc : pourquoi ?

Pourquoi suis-je ici, pourquoi fais-je cela ? Vite, vite, rationnaliser, vite, trouver une

réponse tant bien que mal, vite, pourquoi ? Je m'arrête de bouger, il semble que mon

cerveau n'ait pas la capacité à s'occuper en même temps de ces deux activités que sont

l'effort physique et la recherche de sens à mon existence. Lucidité soudaine, réponse simple

certes mais suffisante et au fond assez juste, au pourquoi, j'oppose, comme une évidence, le

parce que : parce que je suis ! Je danse donc je vis, je vis donc je danse, je vis donc je me

mêle aux autres vivants, je me cogne à eux dans une fusion de fluides corporels. Ce soir je

fête la vie.


Je me rends compte que mon hésitation passagère est restée inaperçue. Un corps

immobile parmi tant d'autres en train de remuer, on aurait pu penser que, on aurait pu

envisager, mais non. Tant d'yeux pour me voir, aucun pour me regarder. C'est révélateur,

une fête : on a beau être entouré de gens, si on n'a personne à qui parler, personne avec qui

danser, c'est comme ça, on est seul.

Bon. Ma conscience aurait mieux fait de rester soigneusement enfouie. Que vais-je

faire avec toutes ces pensées ? Je n'ai pas le choix, non, vraiment pas. Je fais quelques pas,

me voilà sur le balcon, et je laisse la légère brise emporter avec elle tout ce qui encombrait

ma tête. Je me sens mieux à présent. C'est plus léger. C'est apaisant.

Me voilà dans une quelconque pièce de la maison. Quelques silhouettes discutent. Je

m'en approche, je réveille mon ouïe, assourdie par la musique. J'entends enfin ce qu'il se dit,

ou plutôt, j'entends les sons des voix, et désormais des paroles. Je crois même que je

participe, réplique, échange des idées. Le cerveau aéré, j'ai l'impression de mieux

comprendre ce qu'il se passe.

Mais, pourquoi faut-il qu'il y ait toujours un mais, l'une des silhouettes attire peu à

peu à elle le monopole de l'échange qui n'en est plus un, lancée dans sa diatribe de

silhouette qui souhaite ne plus en être une, qui souhaite devenir quelqu'un. Elle parle, ce

qu'elle parle, je n'en arrive même plus à l'écouter, j'entends sa voix mais ne comprends plus

ses mots, enfin, ne vois-tu pas que tu parles pour ne rien dire ? C'est révélateur, une soirée,

révélateur de ceux qui monopolisent l'attention, de ceux qui ne l'ont jamais, de ceux qui la

poursuivent désespérément. Elle... Je trouve que... Je... mais elle n'est plus là. Que...?

Pourquoi ... ? Est-ce du sol sous ma tête ? Je pensais que le mur… Pourtant... J'étais debout

il y a si peu de temps... Ahaha ! Éclat de rire repris autour de moi, ne vous inquiétez pas,


c'est juste une chute, une simple chute !, aha, j'ai juste trébuché, glissé, et le rire m'entoure

et tout le monde s'esclaffe tant c'est drôle, ahaha, une chute ! Je tente un sourire à la

personne qui m'a aidé à me relever, déjà disparue, tout est trop dans une soirée, tout va

trop vite, tourbillonne, pourtant le temps passe si lentement, je n'ose pas regarder l'heure,

les aiguilles semblent avoir arrêté de se faire la course à l'infini, j'ignore comment je tiendrai

jusqu'au bout. Au bout de quoi, je ne sais pas.

Je repense à la personne qui m'a tendu la main. C'est vrai, il y a la solitude. Mais voilà,

il y a les rencontres d'un instant, les contacts éphémères. Magnifiques, sublimes plus que

tout autre, malgré leurs circonstances, ou plutôt du fait de leurs circonstances. Partenaire de

danse le temps d'une chanson, se servir un verre d'une même boisson, voisin de fauteuil,

peu importe au fond, il suffit du sourire, du regard, pour que je chavire. Bonheur au fond

indescriptible mais présent, envahissant, attendrissant.

J'ai peut-être trop bu, ou peut-être pas assez. Tendre ivresse, je suis ivre, oui !, ivre

de bonheur, ivre d'amour, ivre de vie surtout.

Le temps a encore passé, enfin je crois. Je suis à nouveau dehors. Est-ce le soleil qui

se dévoile là-bas ? C'est mignon, il est pudique, il n'ose pas trop sortir d'un coup, il tente un

rayon, puis l'autre. Pour le moment il tâte le terrain, pour voir s'il est temps qu'il vienne. Je

sens, à mes côtés, quelqu'un d'autre qui regarde au loin cette vague lueur. A deux, peut-

être, on pourra convaincre l'astre de venir à nous ? A deux, on pourrait même le cueillir.

Regarde, je saute pour tenter d'attraper le ciel et te l'offrir !

Regarde

Je veux juste voir si je peux m'envoler


Je veux

J'ai l'impression qu'on m'agrippe

Pour me retenir

Dans ma

Chute

Ne vous inquiétez pas, ce n'est qu'une chute !

Une

Simple

Chute

ILLE ET VILAINE

RENNES

Paola Hoang, Transmission, étudiante en Histoire à l’université de Rennes 2

Au fond d'une petite ruelle parisienne se cachait la bibliothèque « Les mots d'antan ». C'était une vieille bibliothèque oubliée, délabrée, protégée du vacarme assourdissant de la grande ville. Les habitants du quartier avaient fini par l'oublier, ou tout simplement pour les plus vieux avaient emporté le secret de son emplacement dans la tombe. Théodore Martin, le bibliothécaire, regardait toute la journée la poussière voler de livre en livre sous une lumière tamisée, silencieuse. Ce lieu paisible, sanctuaire des mots, nourrissait les rêveries du vieillard, il se demandait souvent quel livre il allait relire, quelle aventure il aimerait revivre… Un jour de septembre, une jeune femme entra dans cette tranquille bibliothèque. Théodore par réflexe lui indiqua les toilettes au fond à gauche et se replongea dans une de ses lectures qu'il connaissait déjà presque par cœur. Mais elle s'avança d'un pas presque religieux vers lui, toussa doucement et dit : « Bonjour, pardon de vous déranger mais je viens d'emménager dans le quartier, je suis étudiante, je commence bientôt ma rentrée et votre bibliothèque est plus proche que la médiathèque ». Il leva les yeux pour lui montrer qu'elle avait son attention alors elle continua un peu intimidée : « Voilà … comment dire … je cherche un livre qui me change la vie, un livre qui m'enchante… voilà, un livre qui m'enchante la vie, je ne veux pas finir la lecture de ce livre indemne, je veux être transportée, oublier le temps, m'oublier, dévorer les pages sans relâche ». Théodore, intrigué, se leva péniblement et observa la jeune fille brune de haut en bas. Cela faisait bien


longtemps qu'on ne lui avait pas demandé de service et quel service ! Du jamais vu. Il se sentait revivre, la sève circulait à nouveau dans ses rides et sa respiration s'accélérait. Son corps acceptait ce dernier et ultime défi. Cela faisait bien une heure qu'ils déambulaient de rayon en rayon mais rien n'était assez bien pour la jeune femme. « Déjà lu », « ça ne m'intéresse pas », « vous n'avez pas quelque chose de plus exaltant ? ». Le vieux perdait de plus en plus espoir, il était passé des nouvelles aux romans, des contes aux légendes, de la science-fiction aux bandes dessinées ... Toute sa vie défilait au cours de ses propositions, chaque lecture, chaque personnage, chaque aventure venaient le hanter de nouveau un bref instant. Il commençait à penser que la fille se moquait de lui mais il voyait dans ses yeux la flamme, l'amour de la lecture quand certains ouvrages lui étaient proposés « Déjà lu et quelle merveille, parfois j'aimerais être prise d'amnésie pour retrouver le plaisir de la découverte de ces lignes ». Oh combien il la comprenait. Depuis quand n'avait-il pas ressenti le frisson d'une lecture nouvelle et enivrante ? Il s'approcha du rayon poésie même s'il pensait que c'était une perte de temps. Les jeunes n'aiment pas les poèmes. Ils préfèrent une histoire avec un début et une fin, pas des mots qui expriment l'intemporalité ou l’effervescence, pas des images indéchiffrables. Il tenta sa chance, prit un recueil, l'ouvrit à une page au hasard et fit la lecture à voix haute. D'abord sa voix fut tremblante mais elle prit de l'assurance au fil des métaphores. La jeune fille semblait surprise. Elle se laissa aller aux douces sonorités et aux rythmes inouïs de la poésie. Elle décida de prendre ce recueil. Le vieil homme heureux d'avoir accompli son devoir nota le nom de la jeune fille sur le registre des emprunts. Vanina, quel nom tragique et merveilleux ! Il la regarda s'éloigner de l'embrasure de la porte. Quelle journée surprenante ! Le lendemain, quelle ne fut sa surprise de revoir la jeune Vanina sur le pas de la porte, gênée. « Vous avez déjà fini le recueil ? lui demanda-t-il. -Non monsieur je n'arrive tout simplement pas à le lire. J'ai beau lire à voix basse, à voix haute, lentement ou avec emportement je n'y arrive pas. Les mots de ces poèmes me semblent mornes et sans saveur. Cela m'ennuie énormément. Hier, quand vous m'avez fait la lecture j'avais vraiment ressenti des choses profondes… - Je comprends, laissez-moi vous en relire un autre, peut-être changerez-vous d'avis… Sinon nous reprendrons nos recherches » souffla-t-il. Elle accepta et c'est ainsi qu'ensemble ils passèrent l'après-midi ensemble. Lui lisait, elle l'écoutait dévouée, respectueusement. Les vers semblaient prendre vie sur ses longs cils, les sons parcouraient ses lèvres charnues. Elle vivait chaque mot, son corps était en parfaite osmose avec le reste du monde. Elle revint le lendemain, le surlendemain et toute la semaine qui suivit. Le petit vieil homme lui faisait la lecture inlassablement. Ils se mettaient à l'aise et une intimité se créait entre eux. Elle devenait familière, commentait les poèmes qu'il lui lisait avec passion. Ils partageaient ces délicieux moments dans la simplicité de l'amour des mots. Elle avait le sentiment de mieux le connaître comme si c'était lui qui avait écrit ces merveilleuses rimes. Puis elle laissa passer quelques semaines sans retourner le voir, c'était la période des examens à l'université. Un soir elle retourna dans la petite bibliothèque mais la porte était fermée. Elle ne s'en inquiéta pas beaucoup et retourna à sa vie parisienne telle une femme infidèle qui revient auprès de son mari. Le lendemain quelle ne fut pas sa surprise de voir la ruelle victime de va et vient d'hommes avec les mains pleines de cartons de livres. Elle entra dans la bibliothèque, une femme assez jeune l'accueillit. « Bonjour je suis désolée mais cette bibliothèque ferme définitivement. Ne vous inquiétez pas, il existe une médiathèque non loin d'ici. Vous y serez d'ailleurs plus à l’aise. Nous avons même un espace de relaxation qui vient d'ouvrir ». Devant le silence gêné de la jeune étudiante elle ajouta « Le bibliothécaire avait un accord avec la mairie, maintenant qu'il est mort, cet endroit sera rénové par la mairie de Paris ». « Mort,


dites-vous ? Comment cela peut-il être possible ? » « M Martin n'était plus un jeune homme. C'est regrettable, mais on m'a dit qu'il a eu une vie heureuse… mais attendez… mademoiselle… ne seriez-vous pas Vanina ? » Vanina acquiesça, elle était déjà ailleurs, dans ses souvenirs, dans son chagrin, elle qui aimait tant les mots ne savait plus avec lesquels jongler pour exprimer sa douleur. « Eh bien regardez le livre que vous voyez sur le bureau là-bas, il est dédicacé pour vous de sa part, vous êtes sa petite-fille c'est ça ? » Vanina s'avança précipitamment vers le vieux bureau poussiéreux. Elle reconnut le premier recueil que le vieux lui avait lu. « Voici mon exemplaire personnel, à vous Vanina qui avez la vie devant vous, je souhaite vous le donner afin que vous n'oubliiez jamais la beauté de la poésie. N'oubliez jamais ces instants magiques qui vivent à travers ces vers, n'oubliez jamais de vivre à travers ces mots qui je l'espère ont enchanté votre vie. À notre rencontre inédite. Bien à vous, Théodore Martin ».

PYRENEES ATLANTIQUES

HENDAYE

Texte collectif, 3ème prix du concours Florilège/FIPF. Le royaume de Nunc. Centre social

Denentzat, Groupe COSTA/FLE. Enseignante : Marie-Eve Costa

Aux frontières du temps il existe un pays

où les instants présents se succèdent dans une douce et

implacable révolution.

Il garde les moments heureux de notre vie

dans l'espace infini de sa géographie.

Le passage fugace d'une étoile, le craquement d'une feuille,

le doux regard d'une mère posé sur soi,

empreintes de nos pas, empreintes de nos vies, qui jamais ne s'effacent...

Eternités saisies.


où les astres du ciel dansent et se poursuivent,

où la pluie se transforme en perles d'eau sucrée, glissant sur les rochers,

et nous font des clins d'œil brillants, instantanés,


où le bruissement doux des feuilles qui s'enfuient

nous susurrent les moments des choses fugitives.


où le lever du jour est comme un souffle d'air, magique et mystérieux,

qui nous pousse à tout faire, à toutes les envies,

où les oiseaux qui chantent, l'eau claire des ruisseaux,

la neige caressant l'air frais de ses copeaux,

et la vague couchée, là, contre la falaise,

sont des moments précieux, des instants infinis.


où le présent heureux n'est pas insaisissable,

quand bien même parfois il nous faut affronter le bruit fort du tonnerre,

quand bien même parfois dans nos obscures nuits nos mémoires

se souviennent que le temps passe et fuit.

Un éclat de rire peut être expression de douceur,

un présent qui fugue toujours cesse de l'être.

On sait de la douleur, on sait des courts étés et puis des longs hivers,

de la vie éphémère d'une fleur, d'un papillon, d'un matin,

d'un rayon de soleil, d'un instant,

de la brièveté du temps.

Mais aux frontières du temps il existe un pays

où le souffle du vent est léger, parfumé,

où la pluie en cadence nous invite à danser,

où le bonheur enivre, toujours recommencé,

où la révolution du temps est terminée.

Le présent répété, instant après instant, nous implore

de vivre dans son éternité.

Il a un goût de vent, de mer, de liberté,


mais encore d'insouciance, d'enfance retrouvée,

et des moments de rire.

Il existe un pays où le Présent résonne, où l'Instant est royaume,

le royaume de "Nunc" que nous avons conquis.

"Mementoanbizibehar da (*), oui, c'est ça ! Il faut être l'instant.

Au royaume de "Nunc" les poètes sont rois.

(*) Langue basque : "il faut vivre l'instant présent"

SOMME

FONTAINE-SUR-SOMME

Margaux Gambier, Le Poète qui pleure. Mention spéciale « université » du concours de

poésie 2019 Matiah Eckhard

Il est penché sur son pupitre,

La lune l'éclaire à travers la vitre,

Sa plume gratte le papier,

Qui s'imbibe de ses larmes salées.

À chaque mot qu'il écrit,

Chaque fragment de vie,

C'est sa douleur qu'il offre au monde,

Dispersant ces humeurs vagabondes.

Il cherche dans sa souffrance la plus intime,

L'éclat de lumière le plus infime,

Il le sublime de mille mots flamboyants,

Pour vous en faire présent.

La beauté du sonnet s'inscrit dans vos cœurs,

Vous songez à ce poète, à sa clameur,

Un cri d'espoir dans la douleur,

Sans peut-être imaginer,

Que vous écrire lui a pansé ses plaies.


Ces pleurs se sont taries,

Dans un souffle de vie,

Vos cœurs en diapason,

Guéris par ses vers,

Battent à l'unisson,

Dans un monde de travers.

Le poète a cessé de pleurer,

Il a guéri votre âme et la sienne,

Et rit de contempler,

Ce que l'art peut forger dans la peine.

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