Sommaire Ateliers - Labex...

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Sommaire Ateliers

ATELIER 1 : POLE DE COMPETITIVITE ET STRATEGIES ENTREPRENEURIALES Président : Frank Lasch Salle 310 Damien TALBOT

Les pratiques de proximités : les pays et les pôles de compétitivité.

Bernard DUSSUC et Sébastien GEINDRE

Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances ?

Géraldine AURET

Le groupement d'entreprises, une stratégie entrepreneuriale complémentaire aux outils de gestion : diversité des objectifs et des résultats recherchés par l'entreprise.

ATELIER 2 : ACOMMPAGNEMENT ENTREPRENEURIAL Présidente : Sylvie Sammut Salle 311 Stéphanie MITRANO-MEDA et Lucien VERAN

Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial. Proposition d'un cadre de référence.

Jean REDIS

Entrepreneuriat répété, capital organisationnel et accès au financement par capital-risque.

Ludvig LEVASSEUR

Comment peut-on voir le monde depuis son appartement ? Un cadre d'analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du dirigeant et la Moyenne Entreprise.

ATELIER 3 : ENTREPRENEURIAT ET RESEAUX Présidente : Agnès Paradas Salle 310 Wadid LAMINE, Hela CHEBBI et Alain FAYOLLE

Quel apport de la théorie de l'acteur-réseau pour appréhender la dynamique de construction du réseau entrepreneurial ?

Ekaterina LE PENNEC et Antonin RICARD

Les réseaux d'influence et l'implantation des PME.

Vincent LEFEBVRE

Vers une typologie des réseaux formels d'entrepreneurs : une étude exploratoire.

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ATELIER 4 : ENTREPRENEURIAT ET SOCIETE Président : Léo-Paul Dana Salle 311

Patrick GILORMINI

L'entrepreneuriat social : maximiser les capabilités plutôt que le profit.

Amira LAIFI

La problématique de légitimité d'une jeune entreprise dans un champ émergent.

Salah KOUBAA et Abdelhak SAHIBEDDINE

L'intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc.

ATELIER 5 : REPRESENTATION ENTREPRENEURIALE ET BUSINESS MODEL Président : Karim Messeghem Salle Amphi D 300

Thierry VERSTRAETE & al.

Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment.

Blandine LANOUX CLAVERIE

La représentation de l'Entrepreneur au Cinéma.

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Table des matières des résumés

G. AURET, Le groupement d'entreprises, une stratégie entrepreneuriale complémentaire aux outils de gestion: diversité des objectifs et des résultats recherchés par l'entreprise…………………………………………………………………………………..p.4

B. DUSSUC, S. GEINDRE, Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances au service des PME membres ?.............................................................................................p.17

P. GILORMINI, L'entrepreneuriat social: maximiser les capabilités plutôt que le profit…………………………………………………………………………………….….p.36

S. KOUBAA, A. SAHIBEDDINE, L'intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc: une analyse PLS de la méthode des équations structurelles………………………………..…p.54

A. LAIFI, La problématique de légitimité d'une jeune entreprise dans un champ émergent………………………………………………………………………………...…..p.73

W. LAMINE, H. CHEBBI, A. FAYOLLE, Quel apport de la théorie de l'acteur-réseau pour appréhender la dynamique de construction du réseau entrepreneurial?...........................p.91

B. LANOUX CLAVERIE, La représentation de l'Entrepreneur au Cinéma ………..…p.119

V.LEFEBVRE, Vers une typologie des réseaux formels d'entrepreneurs: une étude exploratoire…………………………………………………………………………......…p.143

E. LE PENNEC, A. RICARD, Les réseaux d'influence et l'implantation des PME……………………………………………………………………………………….p.161

L. LEVASSEUR, Comment peut-on voir le monde depuis son appartement? Un cadre d'analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du dirigeant et la moyenne entreprise…………………………………………………..……p.175

S. MITRANO-MEDA, L. VERAN, Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial Proposition d'un cadre de référence……………………………………………………….p.195

J. REDIS, Entrepreneuriat répété, capital organisationnel et accès au financement par capital-risque………………………………………………………………………………..……..p.211

D. TALBOT, Les pratiques de proximités: les pays & les pôles de compétitivité……………………………………………………………………………….p.234

T. VERSTRAETE et al. , Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment………………………….….p.250

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Le groupement d’entreprises, une stratégie entrepreneuriale complémentaire aux outils traditionnels de gestion : diversité des

objectifs et des résultats recherchés par l’entreprise

Proposition de communication professionnelle (recherche-action ayant conduit à la mise en place d’outils sur le terrain investi)

Géraldine AURET

Consultant - Expert Afnor THALIS Conseil – Le Millénaire – 725 rue Louis Lepine – 34000 Montpellier

Tél. : 06 70 72 12 63 – [email protected]

Résumé : A partir d’une revue de l’expérience du cabinet de Thalis Conseil, spécialisé dans la création, la gestion et l’évaluation de groupement d’entreprises, nous proposons une communication visant à formuler un cadre de présentation du phénomène économique des groupements d’entreprises régionaux, véritable stratégie collective entrepreunariale. Nous mettons en avant que les objectifs et les résultats s’analysent selon les positions complexes du dirigeant au sein du groupement qu’il soit président, membre du bureau ou bien simple adhérent (sur la base d’une enquête effectuée auprès de 48 entreprises membres de groupements, par questionnaires et entrevues). D’autre part, l’analyse tend enfin à démontrer que les objectifs recherchés du dirigeant relèvent plus d’une notion de sociabilisation que d’un souhait de développement commercial direct. Mots clefs : Groupement d’entreprises, Actions collectives, Objectifs et résultats différenciés Valeur sociale, Valeur commerciale Abstract: Based on a review of feedback carried out by Thalis Conseil, specialists in the creation, management and assessment of company groupings, we would like to propose a presentation aimed at formulating a framework for the economic phenomenon of the regional company groupings, a truly joint entrepreneurial strategy. On the basis of a survey of 48 grouping member companies, carried out by means of a questionnaire and by interviews, we would emphasize that objectives and results have to be looked at from the rather complex point-of-view of the Manager, be he/she the Chairman, an office executive or merely a simple member of the grouping. Moreover, analysis tends to show that, in the long run, the objectives aimed for by the Managers would appear to increase the idea of socialisation rather more than the desire for direct commercial development. Key words: Company grouping, Joint action, Differing objectives and results, Social value, Commercial value

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Introduction Les réseaux inter organisationnels (RIO) ou coopération interentreprises sont un phénomène ancien et, pourtant, durant ces quinze dernières années, ils sont devenus des éléments incontournables de la vie économique régionale avec une multiplication des créations de groupements en Languedoc-Roussillon. Le développement de la recherche relative à l’analyse de ce type d’organisation atteste également de l’intérêt de la communauté scientifique pour ce phénomène. Les réseaux inter organisationnels (RIO) sont un phénomène organisationnel appréhendé sous plusieurs aspects, et il n’existe pas une théorie ou une définition faisant consensus, mais bien des concepts d’analyse du phénomène et des définitions précisant le fait « par lequel deux organisations au moins forment au cours du temps des liens plus ou moins puissants et étendus dans le but de réduire les coûts et/ou d’augmenter la valeur reçue et ainsi d’en tirer un bénéfice mutuel » (Andersen et Narus 1991). La littérature et les théories explicatives du phénomène sont donc très nombreuses. Notons, que, parmi les approches conceptuelles les plus citées dans la littérature scientifique, nous trouvons notamment la théorie des coûts de transaction (TCT) (Williamson, 1975). Cette théorie permet d’étudier des procédures de coopération de firmes dans un cadre d’activités complémentaires. Le point de départ de la TCT est de postuler que toute transaction économique engendre des coûts préalables à leur réalisation. Dès lors, les agents économiques peuvent être amenés à rechercher des arrangements institutionnels alternatifs permettant de minimiser ces coûts. Ainsi, entre le marché et l'entreprise, de nombreuses formes "hybrides" peuvent être identifiées dont le réseau inter organisationnel. Néanmoins, cette théorie ne permet pas de comprendre les motifs d’une coopération horizontale, ainsi que les intentions stratégiques de la firme autres que marchandes ou d’optimisation de coûts. Le courant de l’école de la stratégie, développé par Miles et Snow (1986), est engagé dans une démarche d’identification des différentes formes organisationnelles. Pour ce courant, l’alliance stratégique est prioritairement en quête de synergie pour faire face à la concurrence. En sociologie économique, la notion d'encastrement (Granovetter, 1985) permet de concevoir les transactions économiques dans les relations sociales. Deux sortes d’encastrement se distinguent : l'encastrement relationnel (les relations personnelles qui influencent l'action), et l'encastrement structural (qui renvoie plus largement aux réseaux auxquels l'acteur prend part). Ce sont ces deux formes d'encastrement qui assurent la continuité des relations entre les individus, en leur permettant d'acquérir un socle social commun à travers un réseau inter organisationnel et, à partir de là, engendrer des relations économiques. Ces théories définissent des concepts d’analyse différents en ne se basant que sur la notion de firme et n’étudient que partiellement les objectifs de l’individu au sein du groupe. Aussi, notre approche préconise de sortir du déterminisme des courants dits classiques en analysant le RIO à travers les objectifs et les résultats recherchés par l’agent économique participant au groupe, à savoir, l’entrepreneur. Nous appuierons le cadre de notre proposition sur une approche opérationnelle basée sur une expérience avérée de dix ans dans la conception et la mise en œuvre de RIO. Nous proposons d’adosser à notre analyse les résultats d’une enquête effectuée en 2009, auprès de 48 chefs d’entreprises appartenant à un ou plusieurs réseaux inter organisationnels. Cette enquête a été

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réalisée par questionnaire auto-administré et en face à face dans le cadre de la rédaction du Guide « Création, gestion et évaluation des groupements d’entreprises » G.Auret et F.Bensallem pour le compte de l’Agence Française de Normalisation.

1. Périmètre du champ d’investigation « terrain » Avant de déterminer les objectifs et les résultats recherchés par l’entrepreneur au sein d’un réseau inter organisationnel, nous devons, dans un premier temps, définir le concept spécifique expérimenté sur le territoire régional. En effet, les réseaux inter organisationnels régionaux sont empreints de dénominateurs communs récurrents et précis. Tout d’abord, la profusion des définitions, voire la confusion dans l’usage des termes, nous amène à utiliser le terme le plus usité sur le territoire régional, à savoir : « groupement d’entreprises »(GE).

1.1. Définition et caractéristiques d’un groupement d’entreprises en Languedoc-Roussillon

Les groupements d’entreprises du Languedoc-Roussillon se caractérisent principalement par :

- le territoire : Le territoire, dont sont issues les entreprises et sur lequel s’exercent les actions du

groupement, est dans la majorité des cas régional.

- le secteur d’activité des entreprises du groupement et/ou interprofessionnel : Traditionnellement, les entreprises des groupements sont issues d’un même secteur d’activité voire d’une même filière (exemple : NOVAE LR, groupement d’entreprises des technologies de l’information et de la communication). Toutefois, certains groupements sont interprofessionnels et regroupent des entreprises de secteurs d’activité différents, le plus souvent autour d’une thématique commune. (exemple : SOECO, groupement d’entreprises dédié à la thématique du développement durable). Ils ont, pour la plupart, été initiés soit par les pouvoirs publics, soit par les entreprises sur la base d’une construction volontaire.

- la structure juridique du groupement :

La plupart des groupements d’entreprises sont constitués sous la forme associative (association Loi 1901). Ce choix a des incidences sur le mode de gouvernance, la conduite des actions, et sur la fiscalité et les ressources du groupement.

- le mode de pilotage et de coordination du groupement : Puisque la majorité des groupements sont constitués sous forme d’associations loi 1901, on retrouve généralement dans les organes de gouvernance un Président, un Bureau et/ou un Conseil d’Administration, qui travaillent souvent en collaboration avec un Animateur / Coordinateur. La coordination est assurée, soit en interne par un ou plusieurs salariés, soit par des consultants extérieurs spécialisés, en fonction des choix du groupement.

- le budget dont le groupement dispose : Ces financements sont basés sur des programmes d’actions annuels ou pluriannuels et proviennent : de ressources privées (cotisations des membres, participation financière des membres aux actions, sponsoring…) ainsi que de ressources publiques (subventions provenant de collectivités locales, de l’Etat ou de structures attachées, de l’Europe).

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- le type d’actions menées par le groupement :

Exemples d’actions collectives en matière de développement commercial (réalisation d’outils commerciaux en commun, participation collective à des salons professionnels…) ; en matière de développement des ressources humaines et des compétences (recrutement d’un cadre RH à coût et temps partagés, CV thèque, bourse aux stages,…) ; amélioration des pratiques de l’entreprise, benchmark (organisation de rencontres thématiques, technologiques, stratégiques, organisation de visites d’entreprises, analyse comparative des pratiques au sein du groupement…).

- le type et la nature des entreprises composant le groupement (Cf. ci-après) 1.2. L’entreprise adhérente

Pour un entrepreneur comme pour son entreprise, sous-entendu son personnel également, le groupement n’a pas vocation à se substituer aux moyens et aux ressources internes, mais bien à compléter dans une logique additionnelle ou complémentaire, les outils à leur disposition pour le développement de l’entreprise dans son ensemble. Il devient aujourd’hui une véritable composante de la stratégie globale de l’entreprise au même titre qu’un partenaire traditionnel. Il est entré dans le paysage du chef d’entreprise moderne et de ses salariés. Du reste, en région, il n’est pas rare de croiser des chefs d’entreprises membres de plusieurs groupements. L’enquête « terrain », menée en 2009, auprès de 48 entreprises adhérentes à différents groupements, toutes activités et tailles confondues, nous a permis d’établir la « Fiche d’identité de l’entreprise adhérente à un groupement ». Tableau 1 - Carte d’identité de l’entreprise régionale adhérente à un groupement d’entreprises Maturité - 67% des entreprises ont plus de 5 ans d’existence Structures - 59% sont constituées en Sarl ou SA/SAS - 45% sont dites « familiales » - 66% ont un effectif < 20 salariés Organisation commerciale - 80% ont une clientèle « entreprises » - 54% évoluent sur un marché géographiquement étendu au niveau national - 37% ont un marché à l’export - 70% ont un chiffre d’affaires en stagnation ou en croissance Extrait de l’étude réalisée entre mai et juillet 2009 auprès de 48 entreprises de la région Languedoc-Roussillon adhérentes à au moins un groupement d’entreprises, tout secteur d’activité confondu Même si ces résultats reflètent la composition du tissu régional, nous avons pu relever que les éléments majeurs communs à l’ensemble des entreprises sont les suivants :

- Les entreprises adhérentes à des groupements sont des entreprises ayant dépassé le stade de la création, ce sont des entreprises dites « matures ».

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- Peu d’entreprises artisanales sont représentées. La plupart des structures sont essentiellement des entreprises industrielles et de services à l’industrie. La financiarisation de l’économie et les contraintes du marché, à travers notamment les donneurs d’ordre, poussent au regroupement.

- La majorité des entreprises sont indépendantes et n’appartiennent pas à un groupe. - Ce sont des TPE et PME avec une faible structure d’encadrement. - Si la croissance de l’entreprise n’est pas remise en cause (chiffre d’affaires en

croissance selon déclaration du chef d’entreprise), il semblerait que le groupement devienne l’opportunité d’un nouveau mode de développement de l’entreprise additionné aux deux modes traditionnels que sont la croissance organique et la croissance externe.

2. Des objectifs et des résultats différenciés selon le positionnement de l’entrepreneur au sein du groupement d’entreprises

2.1. Différents positionnements possibles de l’entrepreneur au sein du groupement

d’entreprises Une grande diversité d’acteurs et de modes d’intervention entrent en jeu dans le fonctionnement, la gouvernance et le pilotage d’un groupement. Ces modes divergent aussi d’un groupement à l’autre. La grande constante est que les Hommes jouent un rôle essentiel ! Plusieurs acteurs interviennent en interne et en externe et leurs rôles sont différents à chaque stade de la vie du groupement. Les interventions dans un mode collectif supposent un état d’esprit différent de celui du management d’entreprise individuel, une grande capacité d’écoute et d’adaptation. Il ne s’agit plus d’une gouvernance d’un chef d’entreprise au sein de son entreprise mais d’une gouvernance qui devient dès lors collégiale. Notons également que la notion de temps est une donne fondamentale dans le fonctionnement d’un groupement. Les temps de réaction, de validation, d’action sont généralement plus longs que dans une entreprise, la posture managériale est modifiée.

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Figure 1 – Acteurs internes et externes au groupement d’entreprises

Le schéma, ci-dessus présenté, positionne les « acteurs-entrepreneurs-entreprises » internes et externes au groupement. Ceci nous amène à constater que les objectifs et les résultats attendus seront différents, quel que soit le territoire, le secteur d’activité, la taille, le budget, le type d’actions, selon le positionnement de l’entreprise et, donc, de l’entrepreneur qui la représente au sein même du groupement. La participation à un groupement d’entreprises engendre donc une participation interne au groupement différenciée selon que l’entrepreneur participe à la gouvernance ou bien qu’il soit simple participant aux actions, voire seulement adhérent non participant.

2.1.1. Les entrepreneurs membres du Bureau et du Conseil d’Administration Ainsi, les entrepreneurs membres du Bureau (Président, Trésorier, Secrétaire) auront des objectifs complémentaires, voire extérieurs à leur propre entreprise, qui s’attacheront plus au fonctionnement et à l’atteinte des objectifs du plan d’actions du groupement : taux de réalisation du plan d’actions, taux de participation aux actions, respect des délais, bilan sur les ressources utilisées et à disposition, nombre d’adhérents et reconduction des financements publics. En outre, la notion d’image du groupement est également un objectif et un résultat à mesurer : « visibilité » et notoriété du groupement (nombre d’articles de presse, taux de fréquentation des sites internet…). Cette notion immatérielle et difficilement quantifiable a un impact direct dans la reconnaissance de l’entrepreneur au sein du groupe et en externe vis-à-vis des parties prenantes. Verbatim « Etre président c’est relever un challenge, en faisant adhérer à une cause à laquelle on est profondément attaché, des partenaires qui ne sont pas des salariés. C’est générer avec d’autres de la richesse et des réflexions. C’est avoir la conviction profonde que l’on est bien plus forts à plusieurs et que cette force est source d’énergie et de créativité. C’est enfin juste

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avoir envie de donner et de partager. Un conseil : être à l’écoute et n’agir que dans l’intérêt du groupement. » « Dans un groupement on entretient avec tout le monde des relations humaines sans liens de hiérarchie tout en étant dans un contexte professionnel. C’est une formidable aventure humaine ! » Nous noterons qu’à aucun moment un Président ne parle de développement de sa propre activité ni de son entreprise. Il est à remarquer que les membres du Bureau, eu égard notamment au temps qu’ils peuvent consacrer, à titre bénévole, au fonctionnement du groupement d’entreprises, ont souvent un sentiment de citoyenneté et de défense des intérêts du groupe supérieurs à leurs propres intérêts. Du reste, les résultats induits directement et indirectement dans leur entreprise ne sont pas proportionnels, voire quasi nuls au regard du temps passé. Le Bureau rend compte et fait valider les décisions majeures et stratégiques du groupement au Conseil d’Administration. Le Conseil d’Administration représente l’ensemble des entreprises adhérentes au groupement. Les entrepreneurs, membres du conseil, sont impliqués quant à eux de façon plus opérationnelle dans la mise en œuvre du plan d’actions (les pilotes sont généralement des administrateurs). Ainsi, leurs objectifs et leur mesure des résultats seront plus liés à la réalisation de l’action et à ses résultats directs auprès des entreprises qui y participent, tels que, pour des actions de « développement des ressources humaines et des compétences » : nombre de conventions avec l’enseignement supérieur, nombre de stagiaires recrutés, participation à des salons emploi, nombre de CV recensés et diffusés, nombre de recrutements effectués,… En outre, même si, de par leur positionnement au sein du groupe, les notions de notoriété et d’image sont importantes, l’impact direct et indirect pour leur entreprise est souvent négligeable proportionnellement à leur implication. Les entrepreneurs membres du Bureau ou du Conseil d’administration ont un sentiment, non quantifiable mais expérimenté sur le terrain, d’appartenance et de défense du groupe très fort. Leur intérêt individuel, sous entendu quant à des retours pour leur entreprise, est moins stratégique que l’intérêt collectif.

2.1.2. Entrepreneur adhérent L’entrepreneur ne faisant pas partie des instances de gouvernance ou du pilotage du groupement d’entreprises souhaite généralement participer à une ou plusieurs actions. Dès lors, les objectifs et les résultats recherchés sont de :

- bénéficier d’économies d’échelle grâce aux effets de volume dus au nombre d’entreprises participantes,

- accéder à des moyens matériels et immatériels pour lesquels les entreprises ont souvent des difficultés d’accès à titre individuel, faute de moyens suffisants,

- être connues, reconnues, visibles vis-à-vis des parties prenantes économiques, - et de manière générale pour « être plus fortes à plusieurs ».

L’appartenance au groupe est beaucoup moins prégnante, l’entrepreneur ne s’implique pas dans le fonctionnement et la stratégie du groupe, il accède et participe à l’action sans la mener.

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2.2. Principales raisons et objectifs d’adhésion à un groupement d’entreprises pour l’entrepreneur

Qu’ils soient simples membres ou participant à la gouvernance, nous avons interrogé 48 entrepreneurs pour savoir quelles étaient les principales raisons et les objectifs de leur adhésion à un groupement d’entreprises. Le traitement des données a permis l’analyse suivante : Figure 2 – Principales raisons et objectifs d’adhésion à un groupement d’entreprises pour l’entrepreneur

Extrait de l’étude réalisée entre mai et juillet 2009 auprès de 48 entreprises de la région Languedoc-Roussillon adhérentes à au moins un groupement d’entreprises, tout secteur d’activité confondu Même si l’objectif d’un groupement est de permettre à des entreprises de réaliser des projets en commun, l’analyse de ces résultats démontre qu’il est tout autre pour l’entrepreneur lui-même. L’objectif d’une entreprise, et a fortiori de l’entrepreneur, est différent des objectifs définis pour un groupement. Même si les motivations pour adhérer à un groupement peuvent être différentes d’une entreprise à l’autre selon son contexte et ses enjeux propres, on retrouve des tendances communes :

- La notion de « développement du chiffre d’affaires » n’arrive qu’en cinquième position des motivations citées pour le panel interrogé.

- Les intentions premières d’un entrepreneur restent de rencontrer d’autres chefs d’entreprises : ils souhaitent pouvoir échanger et partager sur leurs expériences, leurs bonnes pratiques et leurs difficultés, ouvrir leur regard, découvrir leurs pairs…

Nous retrouvons cet objectif quel que soit l’acteur-entreprise dans le groupement, qu’il soit membre du Bureau ou du Conseil d’Administration, ou seulement adhérent participant.

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Verbatim « Participer à un groupement d’entreprises m’a permis de rencontrer des chefs d’entreprises ou des cadres dirigeants confrontés à des problématiques identiques aux miennes, qui m’ont aidé ou que j’ai pu aider. Les rencontres régulières permettent de confirmer ou d’infirmer certains jugements que l’on peut se forger seul dans son entreprise. » « Adhérer à un groupe, un réseau, c’est pouvoir échanger avec d’autres sur des problématiques ou des aspirations communes, et se donner des outils de comparaison désintéressés et sincères. » « L’appartenance au même réseau crée la solidarité entre les membres, nous avons une zone d’échange possible. C’est une relation de proximité dont nous tirons avantage, mais également une relation de diversité et d’ouverture. Au sein du réseau tout le monde joue le jeu, l’appartenance au réseau ouvre la possibilité de l’échange et du benchmarking.

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2.3. Elargir le terrain de la recherche aux objectifs et aux résultats attendus par l’entrepreneur

RESULTATS ATTENDUS Résultats du groupement Résultats par action

Résultats externes induits par le groupement sur l'entreprise

ACTEURS INTERNES AU

GE

Entrepreneurs membres du Bureau ou du Conseil d'administration

-Atteinte des objectifs du plan d’actions du groupement -Taux de réalisation du plan d’actions -Taux de participation aux actions -Respect des délais -Bilan sur les ressources utilisées et à disposition -Nombre d’adhérents -Reconduction des financements publics

-Taux de participation aux actions -Respect des délais -Respect des procédures -Respect des budgets -Taux de satisfaction des membres

-Atteinte des objectifs « finaux » du groupement : développement du chiffre d’affaires des membres, maintien et création d’emplois, développement des compétences et de l’employabilité des salariés, développement de la représentativité du secteur d’activité,… -Image, notoriété et reconnaissance du groupement d’entreprise et de la profession ou de la thématique qu’il porte vis-à-vis des parties prenantes économiques sur le territoire

Entrepreneurs adhérents

-Vaincre l’isolement -Partage d’expérience -Participer à des actions extérieures à l’entreprise -Image de la profession

-Résultats selon le type d’action : actions RH, Innovation, Benschmark, Développement commercial… -Développement de la

-Développement des compétences et des savoirs grâce aux actions mais internes à l’entreprise (dirigeant et personnel de

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-Image grâce à la visibilité sur les supports de communication du groupement -Sentiment d’appartenance à un groupe

compétitivité et de la performance -Bénéficier d’économies d’échelle grâce aux effets de volume dus au nombre d’entreprises participantes, -Accéder à des actions, moyens difficilement accessibles à titre individuel

l’entreprise) -Développement du chiffre d’affaires grâce aux actions mais extérieur au groupement -Avantage concurrentiel -Visibilité et image

Objectifs et résultats attendus de la participation à un groupement d’entreprises quel que soit le positionnement de l’entrepreneur au sein du groupement d’entreprises 1- Groupement d’entreprises : recherche du lien social, image, notoriété et visibilité 2- Actions- objectifs et résultats directs et internes à l’entreprise : optimisation financière grâce à l’effet volume et outil d’accès à un moyen matériel ou immatériel difficilement accessible à titre individuel

3- Groupement et actions - objectifs et résultats indirects et externes à l’entreprise : développement du chiffre d’affaires.

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Quel que soit le positionnement de l’acteur-entreprise au sein du groupement d’entreprises, nous constatons que :

- Les actions permettent aux entreprises de retrouver les objectifs initiaux que propose un groupement. Elles sont la promesse de résultats intrinsèques à l’action, opérationnels, définis au départ à moindre coût et accessibles car collectifs.

- La majorité des actions produiront des effets, des résultats au sein de l’entreprise mais rarement entre les entreprises du groupement. La somme des résultats individuels forme un résultat collectif mais, la plupart du temps, les actions ne produisent pas de résultats additionnels interentreprises.

- Une action collective peut également avoir un effet multiplicateur d’une action possible à titre individuel, elle augmente dès lors la rentabilité d’une action individuelle et réduit souvent le temps d’une mise en œuvre individuelle.

- La somme des résultats des actions collectives forment l’efficacité du processus collaboratif global, c'est-à-dire ceux du groupement.

- Le développement du chiffre d’affaires n’est qu’une conséquence induite du résultat des actions, mais il est incertain au départ et à la conclusion de l’action. L’action permet de mettre en place les éléments pour favoriser une possibilité d’accroissement du chiffre d’affaires à moindre coût, mais ne le garantit pas. Dans la majorité des cas, le groupement d’entreprises ne permet pas d’accroître son chiffre d’affaires et ne favorise pas le chiffre d’affaires interentreprises. Ce sont les actions qui pourront favoriser son émergence, mais de façon externe aux acteurs du groupement.

Néanmoins, l’analyse doit également tenir compte du positionnement de l’entrepreneur au sein du groupement d’entreprises :

- Les chefs d’entreprises membres du bureau et du conseil d’administration : notoriété et image, reconnaissance auprès des institutionnels, résultats globaux du groupement d’entreprises et accomplissement du programme d’actions…

- Ensemble des chefs d’entreprises adhérents : vaincre l’isolement, échanger avec d’autres et avoir accès à une information stratégique, accéder à des moyens à moindre coûts grâce aux économies d’échelle et aux effets volume.

Notre étude souhaite démontrer que les approches conceptuelles les plus citées dans la littérature scientifique telle que la théorie des coûts de transaction, l’école de la stratégie ou la théorie de l’encastrement ne prennent que partiellement en compte la notion d’individu au sein du groupe. Elles ne s’attachent qu’à la notion de résultats pour la firme que l’entrepreneur représente. Même si les résultats de notre investigation terrain tendent à abonder dans le sens de ces théories, il n’en reste pas moins que nous souhaitons apporter un recentrage sur l’entrepreneur lui-même et sur les résultats qu’il recherche en tant qu’individu comme première raison d’appartenance à un groupement d’entreprises. Le groupement d’entreprises apporte un résultat d’ordre social, voire de sociabilisation. La recherche sur l’entrepreneur appartenant à un groupement d’entreprises, pour être complète, doit tenir compte du prisme des sciences humaines et sociales.

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Conclusion Dans un contexte de crise économique et financière, le groupement d’entreprises est un formidable accélérateur de compétitivité et de performance dans lequel le dirigeant additionne à sa stratégie individuelle, une stratégie additionnelle et complémentaire. Loin d’une coopération interentreprises classique de type association, fusion, acquisition…pour accroître les positionnements sur certains marchés notamment, le processus collaboratif du phénomène économique des groupements d’entreprises est original dans ses composantes, ses objectifs et ses résultats constatés. A travers cette communication, nous avons souhaité démontrer d’une part que les objectifs et les résultats de l’entrepreneur sont différents selon qu’il appartient à la gouvernance ou qu’il soit simple participant. D’autre part, que les objectifs et les résultats premiers du chef d’entreprise ne sont pas marchands mais appartiennent à la science humaine. La vocation du groupement d’entreprises n’est donc pas d’être un éco-système d’affaires mais uniquement un moyen de le favoriser. Références bibliographiques AFNOR – BENSALLEM F., AURET G. (2010), Guide méthodologique pour la création et la gestion de groupements d’entreprises en Languedoc-Roussillon. HASROURI L. (2007), « Une synthèse des travaux sur le contrôle des réseaux inter organisationnels en France », Association francophone de comptabilité. HEITZ M. 3 (2000), « Les coopérations interentreprises : une grille de lecture », Finance Contrôle Stratégie – volume 3, n°4. ITTURA M., PINOTEAU C., GUIEU G. (2003), « Les réseaux interentreprises : une comparaison bibliométrique franco-américaine », Facef Pesquisa, n°3. LEYRONAS C., LOUP S. (2008), « Les Stratégies collectives entrepreneuriales en TPE sont elles stratégiques et entrepreneuriales ? », Journée de Recherche « Entrepreneuriat et Stratégie ». LE ROY F., YAMI S. (2009), Management stratégique de la concurrence, Paris Dunod. SANFELIEU V. (2004), Créer et animer des clubs d’entreprises – Guide méthodologique à l’usage des CCI, CCI de Nîmes Entreprises. VOUILLOT E., BROCARD JC. (2009), Ingénierie des groupements entre PME-PMI, DRIRE Franche Comté.

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Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances ?

Bernard DUSSUC

Maître de conférences IAE Lyon

Magellan, Université Lyon 3 [email protected]

Sébastien GEINDRE Maître de conférences

IAE Grenoble, CERAG, Université de Grenoble

[email protected]

Résumé : Les pôles de compétitivité, structures constituées majoritairement de PME, visent à améliorer la performance de leurs membres, en particulier en ce qui concerne le développement de l’innovation. Notre étude porte sur cette mission première dévolue aux pôles. Pour aborder cette question essentielle pour les PME, nous utilisons les travaux relatifs au courtage en connaissances développés par Hargadon (1998). Cet auteur définit le courtier en connaissances (« knowledege broker ») et le présente comme un acteur pertinent à même de faciliter le développement de l’innovation, pour le plus grand bénéfice du réseau qui bénéficie de ses services. Dès lors, nous nous interrogeons sur le rôle tenu par les pôles de compétitivité : ceux-ci peuvent-ils être considérés comme de véritables courtiers en connaissances, au sens où Hargadon les définit ? Notre questionnement mobilisera une étude de cas, portant sur le pôle Plastipolis (unique pôle de compétitivité français dévolu à la filière plasturgiste). L’enquête qualitative présentée nous permettra d’appréhender les pratiques mises en œuvre par ce pôle au service de ses adhérents et l’éventuelle activité de courtier en connaissances développée par celui-ci afin de faciliter l’innovation. Mots clés : Courtier en connaissances, pôle de compétitivité, PME, innovation, Plastipolis Abstract: Clusters are a useful tool for firms which compose them. These firms are mainly SMEs. Clusters aim to enhance innovation development and therefore firms performance. In this communication, we question how a cluster manages this mission, since enhancing innovation is a crucial matter for SMEs. In order to improve our understanding, first we introduce the concept of knowledge broker developed by Hargadon (1998). Then, we question whether a cluster’s governance structure may be analysed as a knowledge broker for firms. We analyze Plastipolis, a French cluster whose main industry is plastics processing activities. We use qualitative data from interviews to analyze how a cluster’s governance structure works and then, we show that it partly acts as a knowledge broker. Key words: Knowledge broker, cluster, SME, innovation, Plastipolis

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Remerciements : Nous tenons à remercier l’évaluateur de cette communication pour ses remarques critiques ainsi que les membres de l’équipe de recherche qui ont contribué à l’étude sur le terrain, à savoir Y. Chappoz et C. Poivret (Magellan, Lyon 3) et O. Brette (INSA Lyon).

Introduction

Les pôles de compétitivité constituent un outil aux services des entreprises qui les composent, à savoir essentiellement des PME (Bocquet et Mothe, 2009)1. Une des tâches essentielles qui incombe à ces pôles est de favoriser le développement de l’innovation afin d’améliorer la performance des organisations membres (Messeghem et Paradas, 2009 ; Bocquet et al., 2009). Nous n’aborderons pas ici (en reprenant partiellement les thèmes évoqués par Atamer et al, 2005 : 16) l’analyse de la performance de l’innovation (« produire un résultat observable ») ni la dynamique concurrentielle introduite par l’innovation, mais nous nous attacherons à envisager comment un pôle de compétitivité peut aborder cette mission première portant sur l’innovation en façonnant des conditions « pour permettre la réplication du processus » (Ibid.). Il s’agit donc de la prise en compte d’aspects organisationnels liés au processus d’innovation, entendue comme « l’exploitation de nouvelles idées pour élaborer de nouveaux produits, processus, services ou pratiques commerciales » (Pitaway et al., 2004).

Pour traiter de cette problématique de l’innovation, essentielle pour les PME, nous reprendrons les travaux relatifs au courtage en connaissances. En effet, le recours à un courtier en connaissances (« knowledge broker2 »), défini par Hargadon (1998) et Hargadon et Sutton (2000), est proposé comme une voie possible pour le développement de l’innovation (Batterink et al., 2010 ; Ramirez et Dickenson, 2011) en considérant la variable essentielle qu’est la connaissance. En effet, le processus complexe de création de la connaissance (Nonaka et Toyama, 2005) est présenté par ces auteurs comme un élément favorisant l’innovation au sein des organisations.

Ce rôle de courtier, sur lequel nous reviendrons dans une première partie, est « sous-étudié » pour Batterink et al. (2010). Des travaux ont déjà mis en exergue la place tenue par un pôle de compétitivité, structure à même d’insuffler une dynamique propice à l’innovation (par exemple, Messeghem et Paradas, 2009). Mais un pôle de compétitivité peut-il pour autant être considéré comme un véritable courtier en connaissances au profit des entreprises qui le composent, à savoir essentiellement des PME (DATAR, 2012) ?

Nous nous appuierons sur une étude réalisée pour le compte du pôle de compétitivité de la plasturgie, à savoir Plastipolis, en prenant en considération le caractère spécifique de la recherche en PME et les conséquences qui en découlent (Schmitt et Saint-Pierre, 2011) sur lesquelles nous reviendrons. Cette réflexion répond à une interrogation légitime - d’ailleurs émise par le pôle lui-même - portant sur les pratiques mises en œuvre par les entreprises, notamment en termes d’innovation. L’enquête qualitative présentée permettra d’appréhender la place que tient Plastipolis : ce pôle peut-il être considéré comme un courtier en connaissances au sens défini par Hargadon (1998) ?

1 Pour ces auteurs, 85 % des membres des pôles sont des PME (définies comme des entreprises de moins de 250 salariés, « l’effectif étant le seul critère utilisé, sans que l’appartenance à un groupe ne soit prise en compte », p. 102). 2 La notion de « broker », qui va de pair avec celle de «réseau », de façon plus large, fait l’objet de nombreux travaux qui ne sont pas repris ici. Ces travaux présentent le réseau comme une forme (inter-)organisationnelle à même de répondre aux évolutions de l’environnement économique (Miles et Snow, 1986 ; Miles et al., 1992 ; Gulati et al., 2000).

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1. Le courtier en connaissances

Le courtier en connaissances est présenté comme un acteur favorisant le développement de l’innovation (Hargadon, 1998 ; Hargadon et Sutton, 2000) en particulier en PME (Batterink et al., 2010). En effet, ces dernières organisations (Schmitt et Saint-Pierre, 2011) éprouvent, en ce qui concerne l’innovation, différentes « insuffisances » (Batterink et al., 2010) comme :

- une capacité d’absorption réduite ;

- un faible potentiel innovateur ;

- un manque d’expertise fonctionnelle ;

- un management trop « court termiste » (…).

Le courtier a l’ambition de réduire, voire d’éliminer les freins à la coopération et à l’innovation par une stimulation et une facilitation du processus3. Il peut ainsi aider les PME en identifiant leurs besoins (en termes d’innovation), en articulant leurs demandes respectives de savoir, en mettant en place des partenariats adaptés et en manageant les processus de coopération inter-organisationnelle (Ibid.).

1.1. Les missions dévolues au courtier en connaissance

Pour la définition des missions imparties au courtier en connaissances, nous utiliserons les travaux fondateurs proposés par Hargadon (1998) et Hargadon et Sutton (2000). Cette activité revient pour ces auteurs à conjuguer plusieurs tâches essentielles, à savoir :

1) Capturer les « vieilles » idées. Il s’agit pour cela de rester dans une attitude d’ouverture, que ce soit au sein et en dehors de l’organisation, en reliant divers marchés, industries, lieux géographiques, domaines d’activités stratégiques, etc.. Cet assemblage de connaissances issues de contextes disparates devra permettre de créer des « collections massives d’idées » (certaines d’entre elles aboutissant à des innovations, d’autres non) ;

2) Conserver les idées en vie. Souvent la difficulté est de ne pas avoir accès à l’information (en temps, etc.). Il faut parvenir à maintenir la mémoire, d’où l’intérêt de matérialiser les connaissances, de pouvoir « toucher » les idées (avec des dessins, des maquettes, par exemple). En effet, il sera extrêmement difficile de pérenniser des idées si elles ne sont pas incarnées par des objets tangibles. Par ailleurs, il faut faire face à divers obstacles freinant, voire empêchant, la diffusion des idées (distance physique, aspects politiques, compétition interne, etc.) ;

3) Imaginer de nouveaux usages à de « vieilles » idées. Il sera lors nécessaire de raisonner par analogie, de multiplier les échanges (à la fois formels et informels) et également de faire « tomber les murs » entre les personnes, les services, les organisations ;

4) Tester les concepts en devenir potentiel. Une idée doit pouvoir se transformer en produit, en service, en process, en « business model ». Cette innovation potentielle doit avoir une concrétisation suffisamment précoce pour faire l’objet d’un test le plus rapidement possible durant le processus afin d’être, si nécessaire, corrigée, amélioré.

3 Ce rôle dévolu au courtier (« broker ») n’est pas spécifique au courtier en connaissances (voir, par exemple, Miles et Snow, 1986 ; Miles et al., 1992).

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Selon ces mêmes auteurs, le courtier en connaissances doit rester dans une attitude empreinte d’empathie et d’humilité ; il ne s’agira pas, par exemple, de rejeter les idées extérieures, sous prétexte qu’elles ne sont pas « inventées ici ». Le courtier insufflera des façons de raisonner et d’agir qui permettent de dépasser les domaines de savoir, de poursuivre l’apprentissage de nouvelles connaissances, d’utiliser des idées dans de nouvelles situations. L’innovation n’est pas, dans la majeure partie des cas, une percée fondamentale, mais plutôt une combinaison adroite et jusqu’alors ignorée de l’existant. Elle n’apparaît pas davantage comme la réussite d’un inventeur, génial et solitaire, mais plutôt comme un processus collectif.

Pour illustrer nos propos, nous pouvons reprendre une des nombreuses illustrations fournies par Hargadon (1998 : 213). Le laboratoire Edison & Co’s, à la fin du XIXème siècle a développé de nombreux produits pour l’industrie. Par exemple, le phonographe originel est une innovation qui résulte de la combinaison de connaissances en provenance du télégraphe, du téléphone et d’autres appareils électriques.

Innover requiert donc une organisation qui donne à la fois l’opportunité et la reconnaissance à tous les acteurs impliqués dans la démarche entreprise, le courtier en connaissances devant, grâce à la prise en charge de différentes activités « types », œuvrer dans ce projet essentiel, en particulier pour les PME.

1.2. Les activités « types » développées par le courtier en connaissances

Pour mener à bien les missions qui lui sont dévolues, le courtier doit assumer différentes activités auprès des organisations dont il a la charge. Il devra faciliter les transferts d’une entreprise et/ou d’une industrie à l’autre, en se reposant sur une large palette de compétences lui permettant de contribuer à la résolution de problèmes relatifs à différents contextes sectoriels.

Une idée centrale est d’augmenter la « variété requise » (Nonaka, 1994, 2007) des entreprises en apportant un regard neuf. Hargadon (1998), rejoignant les approches cognitivistes, souligne à ce niveau les limites des procédures et routines organisationnelles qui s’avèrent contre-productives ; celles-ci s’appuient en effet sur des façons de procéder déjà en vigueur et donc renoncent de fait à l’innovation qui pourtant se devrait d’être permanente.

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Les activités à développer par le courtier en connaissances (d’après Hargadon, 1998)

Activité Contenu

Ouverture (« access »)

- Exposition à d’autres industries et aux connaissances valorisables que ces dernières offrent

- Exposition à des situations d’échange

Apprentissage (« learning »)

- Apport de connaissances (issues de problèmes et/ou de solutions déjà considérés) en vue d’un usage futur

- Inventaire des potentialités valorisables avec amélioration de la « variété requise » au sein des organisations considérées

Réseautage (« linking »)

- Création d’équipes de développement et mise en relation d’acteurs complémentaires (avec le souci de respecter la « variété requise » afin de réaliser des transferts d’une industrie à l’autre)

- Combinaison d’idées (à la fois propres à l’industrie et importées d’autres industries)

Mise en œuvre (« implementation »)

- Transformation de concepts innovants en une réalité (de produit ou de processus)

- Initiation à une logique d’apprentissage permettant la construction du savoir organisationnel destiné à un usage futur

Pour résumer, le courtier en connaissances évalue et facilite les transferts à potentiel d’un contexte à l’autre, en vue de développer l’innovation dans une acception non radicale.

2. Méthodologie de l’étude

L’étude est de type qualitatif et prend comme support la forme de l’étude de cas (Hlady-Rispal, 2000, 2002). Le raisonnement est inductif non radical dans la mesure où nous tentons d’appréhender des pratiques d’innovation des PME d’un pôle de compétitivité, à l’aune de la grille de lecture du courtage en connaissances (Hargadon, 1998). Nous ne prétendons donc pas ériger de lois et/ou faire table rase des recherches précédemment développées.

Nous retenons les recommandations émises par Schmitt et Saint-Pierre (2011) rappelant la spécificité des PME, organisations au caractère souvent « fermé » et au comportement complexe et particulier. L’étude proposée peut être définie comme « interactionniste4 » (principe du tiers, c’est-à-dire l’équipe de recherche, non pas exclus mais inclus). Cette équipe de recherche peut en effet être amenée à un rôle de « traduction » (lors des entretiens menés, des comptes rendus intermédiaires, etc.). La mise en place du protocole de recherche s’appuiera sur trois piliers (Ibid.), à savoir :

4 Pour Schmitt et Saint-Pierre (2011), il s’agit pour les chercheurs d’être « en interaction avec leur objet de recherche tout en conservant leur rôle de producteurs et de diffuseurs de connaissances ».

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- la confiance5 (en interne entre les membres de l’équipe de recherche mais également avec Plastipolis - le donneur d’ordres - et les acteurs interrogés, l’intérêt porté au travail entrepris étant réciproque) ;

- la temporalité6 ;

- la pluridisciplinarité (permise par la diversité de profils de l’équipe mobilisée pour cette étude, en termes de formation, d’âge, d’origine géographique et de niveau d’expérience dans la pratique de la recherche).

Les données recueillies sont qualitatives. Leur nature nous semble en adéquation et en réponse au projet de recherche, compte tenu du cadre conceptuel et des questions retenues initialement (Marshall et Rossman, 1995)

La mise en œuvre d’une étude de cas nous paraît adaptée. Ce type de travail présente un double intérêt, à la fois théorique et méthodologique (Hlady-Rispal, 2000 ; 2002). En effet, l’étude de cas autorise des recherches en phase avec les préoccupations des praticiens (Paturel et Savall, 2002). Dans la situation présente, le travail correspond à une mission confiée par Plastipolis sous la forme d’un contrat de recherche, ce qui implique bien évidemment un intérêt de la part des « donneurs d’ordres ». D’autre part, la démarche du cas est davantage indiquée (Yin, 1989) lorsque les interrogations portent sur le « pourquoi » et le « comment », lorsque les chercheurs ont peu de maîtrise sur les faits observés et que le phénomène étudié est contemporain et relatif à des situations vécues. Nous sommes dans ces situations. En effet, nous interrogeons les pratiques des PME du pôle Plastipolis et du pôle lui-même (pourquoi ? comment ?).

Face aux faiblesses affichées de prime abord par cette méthode du cas (Yin, 1989 : 21), différents outils peuvent être développés, à même de renforcer la robustesse de l’étude entreprise. Nous suivons ces recommandations à trois niveaux :

- l’accès au terrain est justifié et négocié, les acteurs (Plastipolis et les entreprises retenues) étant associés à la démarche (Avenier, 1989) initiée par le pôle lui-même ;

- les sources de données sont multipliées afin de permettre leur triangulation, sachant que les retours intermédiaires effectués avec les membres du pôle vont dans ce sens (Jick, 1979) ;

- les analyses débutent durant la phase de collecte des données (Huberman et Miles, 1991 ; Marshall et Rossman, 1995), dans un souci d’enrichissement et d’interactivité avec les acteurs concernés (au sein de l’équipe de recherche, mais aussi avec le donneur d’ordres, cf. point précédent).

5 Cette confiance a été renforcée de différentes façons. Par exemple, l’un des membres de l’équipe a donné par ailleurs des cours de formation continue sur le site, a assuré des suivis de cadres apprenants dans plusieurs structures de l’échantillon. Un autre enseignant-chercheur de l’équipe a précédemment exercé une activité professionnelle sur le terrain investigué, bénéficiant ainsi d’un « encastrement » local. 6 Il s’agit de concilier le temps de l’entreprise (bref) et l’horizon souvent beaucoup plus long de l’équipe de recherche. La remise de rapports intermédiaires au donneur d’ordres, et plus largement le respect du cahier des charges co-établi ont contribué au respect de cette contrainte inhérente au temps.

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Les sources des données recueillies

Origine des données Temps Données recueillies

Entretiens auprès de responsable de 17 entreprises (1 ou 2 personnes par firme) réalisés sur site (généralement avec visite de l’entreprise, des ateliers, etc.)

33h30

Entretiens enregistrés (avec accord préalable) puis retranscrits en intégralité.

Entretiens auprès des responsables de Plastipolis 9h00

Entretiens « hors échantillon Plastipolis » (entreprises non adhérentes, acteurs institutionnels, etc.)

10h00

L’échantillon d’entreprises retenu est constitué de membres de Plastipolis, mais aussi d’organisations non adhérentes. Il pourra se justifier selon les critères de représentativité (Yin, 1989 ; Hlady-Rispal, 2000) et de potentiel d’apprentissage. Sur ce point, il faut noter que le terrain choisi a fait l’objet de différentes recherches depuis de nombreuses années (Saglio, 1991 ; Dussuc, 2002 ; Poivret, 2010). Ceci nous a permis de « suivre » dans le temps les pratiques développées par les entreprises interrogées et ayant fait l’objet des travaux précédents. Bien évidemment, la mission confiée par Plastipolis a favorisé notre démarche de recherche, dans la mesure où la totalité de l’échantillon pressenti a pu être interrogée.

3. Présentation du terrain investi : le pôle de compétitivité Plastipolis et les entreprises de la filière plasturgiste

Les pôles de compétitivité sont initiés comme une réponse aux défis posés à l’économie française, suite à deux rapports publiés en 2004 (Retour, 2009 : 93) :

- celui de C. Blanc consacré aux écosystèmes de croissance

- celui de la DATAR « centré sur la définition d’une nouvelle politique industrielle par les territoires »).

Parmi ces pôles présents sur le territoire français, l’un d’entre eux, à savoir Plastipolis, a retenu notre attention.

3.1. Les pôles de compétitivité : quelques rappels

Un pôle de compétitivité « est une combinaison sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques et privées qui s’engagent à travailler ensemble au sein d’une même structure, afin de dégager des synergies autour de projets communs à caractère innovant disposant d’une masse critique nécessaire pour une visibilité internationale » (Retour, 2009 : 93). Il s’agit de développer les collaborations pour permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan7.

Les pôles de compétitivité constituent un outil de soutien pour les PME bénéficiant de ce type de structure, en particulier en ce qui concerne le développement de l’innovation (Bocquet et al., 2009 ; Messeghem et Paradas, 2009 ; DATAR, 2012). La possibilité est offerte à ces

7 Voir competitivite.gouv.fr/politique-des-poles-471.html.

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organisations de mener à bien des partenariats collaboratifs avec des entreprises de toutes tailles et de dépasser la logique de sous-traitance qu’elles peuvent subir. Nous relevons, selon ce même rapport (DATAR, 2012), en 2009, que 17 % des membres des pôles étaient des jeunes sociétés de moins de cinq ans. D’ailleurs, la part attribuée aux PME dans les projets soutenus par le FUI (Fonds Unique Interministériel) avoisine les 40 % (cf. infra).

Graphique 1 : Répartition des dépenses de financement

sur les projets soutenus par le FUI (DATAR, 2012)

Soixante et onze pôles sont répartis sur le territoire, certains étant labellisés comme « mondiaux » (ou « à vocation mondiale »), d’autres ne bénéficiant pas de cette reconnaissance.

Les entreprises membres des pôles sont en grande majorité des PME (83 % selon la DATAR, 2012). Cette proportion varie d’un pôle à l’autre. Certains pôles sont « gouvernés » (Bocquet et al., 2009) par une (voire plusieurs firmes) leader(s). D’autres, à l’instar de Plastipolis, (cf. infra) sont constitués essentiellement de PME, avec une gouvernance plutôt « collégiale ».

Pour cette recherche, le pôle de compétitivité sera certes un objet conceptuel, mais surtout constituera un terrain de recherche négocié, la structure d’animation du pôle Plastipolis attendant de notre part des réponses à ses interrogations principalement quant aux pratiques d’innovation mises en œuvre.

3.2. Le pôle Plastipolis

Le pôle Plastipolis regroupe depuis 2005, date de l’attribution de son label, les acteurs de la filière plasturgiste8, avec une forte concentration sur la région Rhône-Alpes (surtout le

8 Il s’agit du seul pôle dédié à la plasturgie en France, le projet de création d’un second pôle en Normandie ayant été rejeté par le CIADT.

35% 37% 39% 39%

51% 48% 46% 45%

14% 15% 15% 15%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

2007 2008 2009 2010

Laboratoires

Grandes entreprises

PME

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département de l’Ain et particulièrement la Plastics Vallée, centrée sur Oyonnax9) et la Franche-Comté (essentiellement le Jura).

Cette filière se caractérise par une multiplicité de métiers : fournisseurs de matières premières, fournisseurs de composites (« compounds »), fabricants de biens d’équipements (comme les presses à injecter par exemple), fabricants d’outillages (moules essentiellement), transformateurs de matières (selon différentes techniques telles l’injection, le soufflage, l’extrusion, le roto-moulage, etc.).

Ces acteurs, à de rares exceptions près, ne commercent pas avec le consommateur final. Leurs donneurs d’ordres relèvent d’une grande diversité d’industries : automobile, agro-alimentaire, cosmétique et parfumerie, médical, électronique, horlogerie, etc. La position à tenir dans la filière est donc difficile10, les entreprises plasturgistes étant prises « en tenaille » (Poivret, 2010) :

- en amont se trouvent les grands groupes chimiques, fournisseurs de matières premières avec des chiffres d’affaires pouvant dépasser 50 milliards de dollars (Arkema, DuPont de Nemours, Dow, etc.) ;

- en aval se situent les donneurs d’ordres, eux aussi de grands groupes (des équipementiers de premier rang, voire des constructeurs, comme par exemple dans l’industrie automobile).

La grande majorité de ces entreprises plasturgistes subit une concurrence exacerbée, souvent en provenance de pays à bas coûts de main d’œuvre. Pour les mécaniciens moulistes par exemple, cette menace est très prégnante. Entre 2000 et 2009, la réalisation locale de moules et de modèles a diminué de 40 %, en particulier du fait d’une délocalisation importante de la production sous la pression des grands donneurs d’ordres (Poivret, 2010).

Les entreprises impliquées dans le pôle Plastipolis (source : rapport Plastipolis)

2009 2010 Nombres d'entreprises membres 162 179 dont PME 125 141 dont ETI (entreprises de taille intermédiaire) 30 31 dont grandes entreprises 7 7

La part relative des PME au sein de Plastipolis est certes importante (près de quatre entreprises sur cinq sont des PME). Il n’en demeure pas moins que ces PME semblent être moins présentes sur les projets labellisés par le pôle (cf. infra, tableau 4). La question reste posée de savoir si ce dernier constat brut va dans le sens des conclusions avancées par plusieurs auteurs selon lesquels la petite taille serait un lourd handicap lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des processus d’innovation (Batterink et al., 2010) ou si d’autres explications atténuent ce constat, l’indicateur du dépôt de brevet, par exemple, n’étant pas significatif de la dynamique insufflée par le pôle de compétitivité (Bocquet et al., 2009).

9 Voir Saglio, 1991. 10 Poivret (2010, p. 244) cite le président de Plastipolis lors d’une table ronde organisée avec le président N. Sarkosy : « les relations qui existent entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants notamment de l’automobile sont exécrables. On est plus dans des relations de maître à esclave que dans du partenariat ».

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Outre les entreprises, d’autres acteurs sont impliqués au sein de Plastipolis (Poivret, 2010), à savoir : des laboratoires11 (le Pôle Européen de Plasturgie, le CEA, etc.), des centres de formation (le lycée technologique Arbez Carme, l’INSA, etc.), des « institutionnels » (CCI, syndicats professionnels), des collectivités locales. Mais Plastipolis reste un pôle d’industriels (par opposition à un pôle qui serait géré par des chercheurs ou des personnalités « académiques »), en précisant de plus que les universitaires impliqués privilégient la recherche « appliquée ».

Les PME et les projets labellisés par Plastipolis en 2010 (source : rapport Plastipolis)

Nombre de projets labellisés par Plastipolis en 2010 37 - dont le porteur de projet est une PME 8 - dont impliquant au moins une PME 28

Pour finir cette présentation du terrain, il nous semble important de rappeler avec Poivret (2010) que la structure d’animation du pôle n’est absolument pas sous la dépendance d’une ou plusieurs firmes. La majorité des adhérents (cf. supra) étant des organisations de petite taille, le pôle est donc « à forte dominante PME » selon les termes de Bocquet et Mothe (2009). Il s’ensuit, selon ces auteurs, que la structure d’animation de ce pôle12 assume un rôle essentiel pour ce qui touche les pratiques mises en œuvre. Elle doit contribuer « à la création d’une dynamique collective entre des acteurs hétérogènes et déficitaires en ressources et en capacité d’interaction » (Ibid. : 108). Mais est-il pour autant possible de considérer le pôle Plastipolis comme un véritable courtier en connaissances au sens défini par Hargadon (1998)?

4. Le pôle Plastipolis : un courtier en connaissances ?

La littérature met en évidence le fait que les PME manquent le plus souvent de ressources et de compétences (Julien et Marchesnay, 1989) qui leur permettraient de pratiquer l’innovation en utilisant exclusivement les moyens internes dont elles disposent (Narula, 2004 ; Bocquet et al., 2009 ; Batterink et al., 2010).

Nous verrons dans un premier point que la stratégie de développement de l’innovation menée par Plastipolis a évolué vers une acception élargie (correspondant à la vision d’Hargadon, 1998). Ceci nous permettra de répondre par la suite à la question de savoir si ce pôle de compétitivité peut véritablement être considéré comme un courtier en connaissances.

4.1. De l’innovation technologique à l’innovation globale

Plastipolis, à ses débuts, a privilégié une acception technologique de l’innovation, notamment car l’environnement institutionnel « pousse » dans cette direction13. En 2008, suite à l’intervention d’un cabinet de consultants, les thèmes sont revus, le pôle souhaitant retenir un approche plus « large ». Mais, différentes entreprises, souffrant de compétences internes limitées ne peuvent pas s’inscrire dans cette dynamique de l’innovation. Dès lors, sous l’impulsion d’un nouveau président qui succède au président fondateur, la notion d’innovation 11 Certains sont publics, d’autres privés. La liste énoncée n’est pas exhaustive. 12 Ces auteurs travaillent plus particulièrement sur la notion de gouvernance des pôles de compétitivité. 13 Les projets partenariaux retenus par Plastipolis portent alors sur six thèmes principaux : maîtrise des matériaux, maîtrise des procédés de fabrication, composites, micro- et nano-structuration des polymères, emballages agro-alimentaires biodégradables et propriétés sensorielles.

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globale est retenue (intégrant les ressources humaines, le développement commercial, marketing et international des entreprises, etc.).

La stratégie suivi par le pôle est donc à la fois :

- large, le pôle regroupant des entreprises très différentes (au niveau des marchés servis, des technologies usitées, etc.). Pour fédérer cette diversité, une stratégie ouverte est requise14 ;

- contrainte, car fortement inspirée des « roadmaps » européennes relatives à la plasturgie. La plasturgie est une industrie mature où les « grandes » innovations (matériaux, outils) ont eu lieu et où les innovations à venir seront sans doute plus incrémentales que radicales15.

Il apparaît donc - notre étude ayant confirmé ce point - que la gouvernance et la stratégie retenus (Bocquet et al., 2009) sont en adéquation avec le « profil » des adhérents, à savoir des PME, éparpillées sur la filière plasturgiste et desservant des marchés très différents. Le pôle peut-il alors être considéré comme un courtier en connaissances ?

4.2. Les tâches de courtage en connaissances assumées par le pôle Le pôle s’inscrit par différents points tout à fait dans la logique décrite par Hargadon (1998). En effet, ses responsables mettent en œuvre des actions qui correspondent aux missions attribuées à un courtier en connaissances, que ce soit directement au sein du pôle (3.2.1) ou en tentant d’insuffler des nouvelles pratiques auprès de leurs membres (3.2.2).

La totalité des PME interrogées insiste sur le fait que la structure d’animation du pôle leur permet de pallier certaines lacunes, souvent inhérentes à leur taille réduite.

4.2.1. Plastipolis : différentes missions de courtage mises en œuvre en « interne » Le pôle est présenté comme un plus en termes de connections, de contacts. Grâce à lui, des relations sont nouées qui permettent d’acquérir de nouvelles connaissances et d’ouvrir l’entreprise à des problématiques et à des nouvelles perspectives qui lui étaient étrangères.

Par exemple, ce responsable innovation évoque sa participation au conseil scientifique de Plastipolis :

« Ce qui est important, c’est pas tant la session du comité scientifique, c’est ce qui se passe en inter session en fait, c’est des discussions qu’on a entre experts, sur une zone neutre…ou une zone humide, comme on appelle aussi de temps en temps, c'est-à-dire qu’on sort chacun de son contexte d’activité, et on est à même d’échanger autour de problématiques qui sont des problématiques de fond du métier, et qui permettent de déboucher sur des associations pour créer nous-mêmes un projet avec un groupe de personnes derrière, donc quelque part c’est un peu de la veille techno…. »

Des synergies, des coopérations voient le jour grâce à l’action d’animation et le réseautage développés par Plastipolis. Il s’agit bien entendu :

- du montage de projets « 100 % Plastipolis » avec des adhérents aux compétences très diverses compte tenu de leurs profils respectifs. Les acteurs reconnaissent aux

14 Par exemple, dans le dossier de labellisation, l’amélioration des matériaux peut porter sur : la tenue thermomécanique, l’allégement, la durabilité, la stabilité des propriétés dimensionnelles, la tenue au feu, la résistance aux agents extérieurs, la « recyclabilité », l’aspect, le toucher, la transparence, la souplesse, la dureté, etc. 15 Rapport Ernst &Young, (1998), La plasturgie française à l’horizon 2005, 21 p.

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animateurs du pôle la capacité à identifier par mi les adhérents les compétences requises et les acteurs idoines à même de développer un projet sur de bonnes bases ;

- mais également de nombreux projets « inter-pôles » qui assurent une véritable ouverture vers l’extérieur, c’est-à-dire en dehors de la filière de la plasturgie et de ses métiers16, et donc au-delà des membres de Plastipolis.

Le pôle met en place des groupes d’échange, propose des formations, des ateliers de recherche portant sur des thématiques très larges, des voyages d’études pour découvrir d’autres pratiques et d’autres acteurs économiques, notamment à l’étranger.

Une meilleure structuration des projets est également rendue possible par le pôle. Il peut s’agir d’un apport méthodologique (formation et suivi dispensés) et/ou d’un apport en compétences17.

Donc, au regard des activités incombant à un courtier18 en connaissances (cf. tableau 1, p.3) , il apparaît que les activités d’ « ouverture », d’ « apprentissage » et de « réseautage » sont bien prises en charge.

Par contre, Plastipolis n’intègre pas la phase aval, c’est-à-dire la mise en œuvre de l’innovation (la transformation du concept en une réalité tangible). Pour cette raison, même si nombre d’activités développées par Plastipolis renvoient à celles assumées par un courtier en connaissances, le pôle ne peut pas être assimilé à ce type d’acteur (cf. infra, tableau 5).

4.2.2. Plastipolis : un « facilitateur » pour les adhérents Le pôle cherche par ailleurs, au-delà des missions accomplies, à insuffler un état d’esprit et à modifier les pratiques de ses adhérents, qui se placent souvent dans une logique de coûts et à court terme, avec peu d’ouvertures vers d’autres horizons en termes de marchés, de produits. Le pôle agit dans le sens des préconisations avancées par Hargadon (1998) : recrutement de personnel qualifié, offre de formation interne, investissements, changement de « business model », structuration des processus notamment pour ce qui concerne l’innovation, développement de l’intelligence économique, etc.

Il distille la confiance autour de lui en étant un tiers, intéressé de façon différente19 à la réussite de la relation mise en œuvre. Il s’agit de favoriser le renoncement à une culture de l’autonomie et le passage à une logique plus collective permettant l’apprentissage réciproque.

4.3. Pourquoi Plastipolis n’est pas un courtier en connaissances Cependant, force est de constater que Plastipolis et sa structure d’animation ne peuvent pas véritablement assumer la fonction de courtier en connaissances comme pourraient le faire des structures spécifiques dédiées à cette activité (telles les « usines à invention » décrites par

16 Par exemple, le pôle Plastipolis est coordinateur technique du projet Wiintech qui vise à promouvoir les technologies propres des PME européennes, « pour les rapprocher des marchés ». Huit pôles de compétitivité ou « clusters » européens relevant notamment des industries de la chimie et des matériaux visent ainsi à développer leurs complémentarité et envisagent des partenariats de R&D ainsi que des relations commerciales. Ce projet se déroulera sur deux ans et a été lancé en février 2012. Il est un moyen de mener une veille « hors filière » et de bénéficier de phénomènes d’apprentissage pour le pôle et pour ses membres. 17 Pour de nombreuses organisations, les moyens humains restent très limités, en particulier pour ce qui concerne les PME. 18 Nous retrouvons sur le terrain les trois facettes du « broker » selon Miles et al. (1992), à savoir : l’architecte, le coordinateur et le facilitateur. 19 Nous ne pouvons pas dire que Plastipolis est « désintéressé » par les projets mis en œuvre !

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Hargadon, 1998 ou Hargadon et Sutton, 2000), ou encore des entreprises dont la taille conséquente, voire le métier20, rendent cette activité pleinement réalisable.

4.3.1. Des moyens limités et d’autres tâches à assumer Le test d’idées ne peut être la principale tâche dévolue aux animateurs de Plastipolis qui doivent se consacrer à bien d’autres activités que nous évoquons ci-après. Cet éventail élargi de taches à assumer réduit de fait les actions entreprises relevant du courtage de connaissances. L’équipe est restreinte en nombre, et donc la diversité en interne forcément limitée de fait.

Les enjeux du pôle dépassent par bien des aspects ceux assignés à un courtier en connaissances puisqu’il s’agit21 non seulement de trouver de « nouvelles applications grâce à l’innovation technologique » et d’acquérir des « avantages compétitifs (…) pour l’ensemble de la filière française » mais également de promouvoir une image dynamique de la plasturgie française, de favoriser la pénétration de nouveaux marchés et d’assurer le rayonnement du pôle de compétitivité, etc. Outre la promotion de l’innovation, qui va de pair avec le souci affiché de la formation, de la gestion des compétences et le développement des coopérations (Hargadon, 1998), la priorité de Plastipolis porte également sur la communication. Le champ d’activités pris en charge est donc plus large que celui revenant à un courtier en connaissances.

Plastipolis n’est donc pas au sens premier du terme un véritable courtier en connaissances22, même si nombre d’actions entreprises correspondent à ce type d’activités. D’ailleurs, le pôle n’est pas « attendu » sur cette seule dimension par ses membres et c’est ainsi que les adhérents apprécient largement son apport.

4.3.2. Des attentes autres de la part des adhérents L’adhésion (au moins initialement) peut ne pas être motivée par un soutien à l’innovation au sens strict. Plus largement, des attentes très différentes peuvent s’exprimer, ne correspondant pas aux activités reconnues comme étant celles d’un courtier en connaissances. Il pourra s’agir de différents points appréciés positivement par les adhérents de la structure comme :

- l’augmentation de la notoriété et de la reconnaissance permises par Plastipolis ;

- la diminution des coûts (« mutualisation ») et des risques ;

- l’accompagnement administratif (aide au montage de dossiers concernant notamment la perception de fonds publics, soutien au niveau de la protection industrielle) ;

- l’ouverture vers de nouveaux débouchés commerciaux (l’entreprise cherche à valoriser les innovations dont elle dispose, à se diversifier) ;

- la promotion de la plasturgie, de ses métiers, voire des actions de lobbying (…).

Par les différentes missions qui lui sont confiées, le pôle de compétitivité est donc un soutien précieux pour les bénéficiaires de ses services, qui vont au-delà du seul courtage en connaissances.

20 Nous pensons à des cabinets de conseil. 21 www.plastipolis.fr 22 Pour Hargadon (1998 : 210) évoquant les courtiers en connaissance : « leur seul apport consiste en de nouvelles solutions qui prennent la forme de nouveaux produits ou designs de production ».

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4.3.3. Plastipolis et le courtage en connaissances : synthèse

Compte tenu des éléments recensés relatifs aux pratiques mises en œuvre par Plastipolis, il apparaît que la structure étudiée n’est pas (et ne doit pas) se comporter comme un courtier en connaissances :

- d’une part, un pôle ne peut assumer toutes les missions imparties à un courtier (cf. infra);

Les activités de courtage développées par Plastipolis

Activité Contenu

Ouverture

- ouverture interne par la mise en relation des adhérents issus de différents métiers, desservant différents marchés […] (pour des projets à finalité affirmée ou à diverses occasions23)

- ouverture externe (lors de la mise en place de projets multi-pôles, lors de voyages d’études, etc.)

Apprentissage

- animation du réseau, mise à disposition de compétences diverses par les salariés animateurs de Plastipolis

- organisations d’ateliers thématiques et de programmes de formation

- travail de recensement et d’agencement des connaissances détenues au niveau du pôle et de ses adhérents

- recensement auprès des adhérents des savoir faire valorisables et quête de nouvelles voies de développement (notamment par le biais des projets inter-pôles)

Réseautage

- Création d’équipes de projets et de recherche Plastipolis en fonction des compétences (re-)connues des adhérents et de différents critères (complémentarité, limitation des risques concurrentiels, etc.)

- Création d’équipes de projets et de recherche inter-pôles selon le même schéma

Mise en œuvre Activité non prise en charge par le pôle

- d’autre part, les missions confiées au pôle ne se limitent pas, loin s’en faut, au courtage en connaissances. Comme évoqué précédemment, les adhérents, en majorité des PME, n’attendent pas seulement un soutien pour développer leurs pratiques d’innovation, mais un accompagnement beaucoup plus large.

23 Par exemple : séances d’information, de formation, voyages d’études, conseil scientifique, etc.

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4.3.4. Des conduites déviantes ? Par ailleurs, nous relevons que certaines entreprises adoptent des conduites paradoxales, au moins a priori en ne rejoignant pas la structure… tout en adoptant une stratégie basée sur l’innovation.

A cet égard, nous pouvons citer par exemple le cas d’une PME située au cœur de la Plastics Vallée qui a privilégié une démarche que nous pouvons qualifier de pro-active. Cette société était connue depuis des dizaines d’années pour être le spécialiste local de la « mallette », c’est-à-dire un produit à relativement faible valeur ajoutée. Ses clients (donneurs d’ordres) peuvent être par exemple des fabricants d’outillage de bricolage. La société qui ne travaille que la matière plastique n’a pourtant pas rejoint le pôle Plastipolis mais a préféré intégrer le cluster Lumière centré sur la région lyonnaise. Un responsable nous confie :

« Rejoindre Plastipolis, je ne vois pas trop. Nous les connaissons tous bien. Nous savons où sont les entreprises si nous avons besoin. Ce n’est pas comme le cluster Lumière ; là c’est radicalement différent ».

Ce type de comportement va dans le sens de l’augmentation de la variété requise (Nonaka, 1997 ; 2004) et peut nous renvoyer aux réflexions de Burt (1992 ; 1995) relatives aux opportunités offertes par ce type de réseautage, lorsqu’un acteur cherche à s’insérer dans un réseau « autre », devenant ainsi un lien stratégique entre deux structures réticulaires. En effet, la société «évoquée, déjà bien encastrée (Granovetter, 1973 ; 1985) sur le territoire plasturgiste et bénéficiant donc de fait d’un accès aux ressources « locales », recherche de nouvelles opportunités en prenant position dans un réseau « tiers ». Ce faisant, non seulement de nouvelles opportunités lui sont offertes, mais elle acquiert ainsi une position privilégiée en comblant un vide structural (Burt, 1992 ; 1995).

Cette stratégie s’accompagne de différentes actions qui transforment radicalement le « business model » (Demil et Lecocq, 2008) de la société. L’entreprise embauche un spécialiste de l’optique, investit dans des machines très spécifiques (usinage au diamant permettant une très grande précision, par exemple). Elle peut désormais proposer une expertise à forte valeur ajoutée et assure des co-développements, par exemple pour des collimateurs pour lampes LED haute puissance, en traitant directement avec des entreprises leaders sur leurs marchés comme OSRAM ou Philips.

Ce comportement compréhensible n’est est pas moins - par certains aspects - préjudiciable pour le pôle et pour ses adhérents (en termes d’ouverture sur d’autres industries qui ne profite pas forcément à Plastipolis et à ses membres, en termes de technicité de la firme considérée, etc. ) et il nous semble que les responsables de Plastipolis doivent s’alerter de cet état de fait et chercher s’il est possible d’y remédier. La grande difficulté sera de concilier deux missions, a priori contradictoires, mais en réalité complémentaires, à savoir :

- être le pôle de la plasturgie au service des entreprises de la filière et de ses spécificités (dimension interne) ;

- assumer l’ouverture et l’échange vers d’autres industries, d’autres territoires, d’autres pôles(…), d’autres horizons et ainsi ouvrir de nouvelles perspectives.

Bien évidemment, il ne faut dès lors pas considérer l’adhésion d’une entreprise de la filière à un autre pôle comme un échec, dans la mesure où la mission confiée à Plastipolis est assumée. Il semble tout à fait légitime qu’une entreprise recherche d’autres compétences, à l’instar de ce responsable d’une entreprise fortement impliquée dans le pôle et spécialisée dans la réalisation de pontons combinant l’aluminium et le plastique.

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« On peut imaginer plusieurs pôles demain. Pourquoi ? En fonction des compétences. Si on évoque le Pôle Plastipolis, il a une vraie expertise dans le domaine des plastiques, dans le domaine des polymères (…) dans les vraies compétences de la plasturgie, toutes les technologies. Dans l’innovation qu’on a à développer, on aura besoin de ces compétences. On aura besoin de créer des partenariats avec différentes entités. On peut imaginer : demain on souhaite élargir la gamme de passerelles en utilisant du composite, on ira très probablement chercher … il y a un pôle composites…on peut aller chercher EMC2. On va travailler sur les mouvements de la houle… en termes d’énergie, on va travailler avec le pôle mer. S’il y a un co-développement avec de la plasturgie, ce sera aussi avec Plastipolis… Plastipolis/Viameca ou Plastipolis/pôle mer. Mais les compétences de chaque pôle étant différentes, je pense qu’il y a un vrai intérêt à travailler avec différents pôles. »

Cette exigence d’une double orientation à combiner dans les actions menées par le pôle entre le « dedans » et le « dehors » nous semble pouvoir être mise en relation avec les propos de Ferrary (2008) et de Messaghem et Paradas (2009).

Même si les terrains investis sont très différents24, dans leurs études respectives, les auteurs évoquent la nécessaire ambidextrie de la structure d’accompagnement. Celle-ci se doit de susciter des projets variés qui valorisent :

- d’une part, des logiques d’exploitation25 ;

- d’autre part des logiques d’exploration.

La structure d’accompagnement, en l’occurrence le pôle dans le cas de Plastipolis, se doit de faire coexister les deux activités - exploration et exploitation - mais aussi d’assurer « le transfert des innovations radicales générées par les activités d’exploration vers des activités d’exploitation (Ferrary, 2008 : 110). En effet, dans les structures de taille importante, l’ambidextrie s’entend au niveau intra-organisationnel ; mais elle peut également s’envisager dans une dimension inter-organisationnelle26. Compte tenu du profil des adhérents de Plastipolis, c’est cette dernière configuration qui est envisageable.

Nous ne prétendons évidemment pas ramener les logiques d’exploitation aux seuls projets « internes » à Plastipolis ou croire, par exemple, que les projets d’exploration concerneraient seulement les projets orientés vers le dehors, c’est-à-dire « inter-pôles ».

Pour conclure, en fonction du profil des entreprises dont il a la charge et de la filière dans laquelle ces dernières évoluent - pour Plastipolis, majoritairement des PME aux profils très variés et une industrie mature - le pôle de compétitivité doit décliner sa stratégie et les actions mises en œuvre : poids des projets « internes » et/ou externes au pôle, niveau d’ambidextrie privilégié. Ces choix seront des variables clés en vue de l’atteinte des objectifs de « redynamisation » du territoire assignés aux pôles de compétitivité.

24 Respectivement des multinationales du secteur des hautes-technologies et le Pôle Européen d’Innovation Fruits et légumes. 25 Il s’agit de la majorité des innovations développées par les adhérents de Plastipolis, compte-tenu du degré de maturité de la plasturgie. Ces projets sont ceux que doit prendre en charge le courtier en connaissances. 26 « L’ambidextrie est la caractéristique de réseaux informels d’organisations géographiquement localisées et non pas d’une entreprise en particulier » (Ferrary, 2008 : 120).

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Conclusion – Discussion

Ayant retenu l’étude de cas unique, nous sommes conscients que le pôle choisi, à savoir Plastipolis, de par ses caractéristiques (spécificités de la filière de la plasturgie et de ses métiers, avec une grande hétérogénéité interne - en termes de métiers, marchés desservis, technologies mises en œuvre -) est sans doute plus en situation de se positionner dans une approche du type « courtage en connaissances » (par rapport à des pôles qui seraient plus « monolithiques » en termes de métiers, de marchés desservis ou dont la gouvernance serait plus autocratique).

Par ailleurs, compte tenu de l’historique attribué au territoire de ce pôle, centré sur la Plastics Vallée, c’est à dire un système productif local clairement identifié au même titre que la vallée de l’Arve, nous pourrions également nous interroger : la structure Plastipolis n’a-t-elle pas pris le relais, dans une forme institutionnelle, de réseaux d’entraide jadis plus sociaux et qui participaient fortement à l’innovation et à la performance économique de la vallée ?

La démarche de courtage en connaissances ne semble pas pouvoir être considérée comme étant le (seul) rôle de la structure d’animation d’un pôle de compétitivité pour les différentes raisons évoquées (activités de courtage en connaissances non assumées sur la phase « aval », i.e celles portant sur la concrétisation de l’innovation, moyens limités du pôle, multitude des tâches à remplir par ailleurs).

Néanmoins, il apparaît que les réflexions et les préconisations émises par les travaux portant sur le courtage en connaissances méritent une attention particulière ; ils présentent un potentiel d’apprentissage et nous semblent pouvoir être adaptés, en partie au moins, aux missions dévolues aux pôles de compétitivité. Notre interrogation initiale portant sur le comment du développement de l’innovation à l’aune de cette grille de lecture particulière devra se faire à deux niveaux, à savoir celui de la structure d’animation elle-même et celui des entreprises adhérentes qui devront elles aussi adopter des pratiques adaptées.

Enfin, nous ne pouvons pas passer sous silence le fait que cette logique de courtage en connaissances ne traite pas de l’innovation radicale, qui certes n’est sans doute pas la plus fréquente, mais qui ne doit pas pour autant être négligée. Un pôle de compétitivité ne peut pas ignorer cette dimension. Les réflexions relatives à la nécessaire prise en compte de l’ambidextrie requise à un niveau inter-organisationnel vont dans ce sens et mériteraient d’être approfondies. Il pourrait être intéressant notamment d’interroger les pratiques relatives aux différents projets pris en charge par le pôle en relation (composition des équipes, processus mis en œuvre, etc.) avec les types d’innovations développées (radicales vs incrémentales par exemple).

Bien évidemment, le développement de l’innovation passe également par d’autres variables comme le capital social du ou des principaux dirigeants, en particulier lorsqu’il s’agit de PME. Ce point, non abordé ici, mérite sans doute une attention particulière ; il ne s’agit pas de s’interroger sur ce capital social en tant que variable déterminante (de la capacité à entreprendre, du type de stratégie suivie, etc.). Il convient plutôt de se demander s’il est possible de mieux manager cette dimension « capital social », afin de contribuer au développement de pratiques d’innovation adaptées. Et un pôle de compétitivité est sans doute en situation de se poser cette question, voire d’y contribuer en pratique !

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L’entrepreneuriat social : maximiser les capabilités plutôt que le profit

Patrick GILORMINI Enseignant-chercheur

ESDES- Université Catholique de Lyon 23, place Carnot

F-69286 Lyon cedex 02 Telephone: 04 72 30 50 48 [email protected]

Résumé : Cet article a pour objet de caractériser ce que l’expression d’ « entrepreneuriat social » recouvre comme significations afin de cerner l’horizon éthique dans lequel elle s’inscrit. L’attribution du qualificatif de social à un entrepreneur comprend l’identification et l’exploitation d’opportunités de création de valeur sociale auquel ni le marché ni les pouvoirs publics ne peuvent répondre et qui appellent des combinaisons innovantes de ressources en rupture avec les pratiques sociales existantes. L’entrepreneuriat social ne peut être circonscrit ni dans les stratégies argumentatives de la responsabilité sociale de l’entreprise, ni dans la question des statuts et des formes de gouvernance de l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui le concept d’entrepreneuriat social s’institutionnalise par des pratiques entrepreneuriales singulières d’intérêt général reconnues par les pouvoirs publics et les financeurs privés. Les entrepreneurs sociaux français s’organisent en un mouvement qui affirme la singularité de leurs projets. Une revue de la littérature académique et des critères mobilisés par les institutions, montre que l’entrepreneuriat social s’articule à une éthique économique libérale qui prend en compte le bien-être visé par la personne mais également sa qualité d’agent capable de poser librement des choix. Face aux injustices, l’entrepreneuriat social vise non pas à maximiser le profit mais à concevoir et mettre en œuvre de nouveaux équilibres socio-économiques. Ceux-ci doivent permettre de développer les capacités des personnes les plus vulnérables à faire des choix de fonctionnement répondant à leur idée de la vie bonne. L’idée de justice qui sous-tend l’action de l’entrepreneur social s’exprime non pas en termes de distribution des biens mais en termes d’accès à des possibilités d’accomplissement d’un ensemble de fonctionnements humains.

Mots clés : entrepreneuriat, opportunités, RSE, économie sociale et solidaire, justice, capabilités.

Abstract: This paper analyses the various meanings of “social entrepreneurship” as a concept useful in management research. It aims at defining the ethical horizon in which it is used. It hinges on a survey of scholarly definitions and criteria used by governmental or financial institutions to differentiate social entrepreneurship from commercial entrepreneurship. It takes stock of the emerging movement of French social entrepreneurs and of the development of private foundations promoting them. Social entrepreneurship is neither corporate social responsibility (CSR) nor third sector or solidarity economy. Using a

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stakeholders’ approach, CSR is too often focused on discussing social armistices between business and society. Third sector organizations, although they are a hybrid of market, non-market, and non-monetary forms of economy, with democratic governance based on voluntary association, are not necessary grounded on any entrepreneurial project. Social entrepreneurship is a concept rooted in entrepreneurship as the pursuit of opportunity beyond tangible resources that are currently controlled. Its objectives are not to maximize profits but to create social value by combining human and capital resources. It is a process of socio-economic transformation looking for a new equilibrium in term of justice in order to bring solution to social issues linked to inequality in functioning and capabilities. The capability approach seems to provide an interesting framework to analyze its ethical drivers in terms of social justice.

Key words: entrepreneurship, opportunities, corporate social responsibility, third sector, justice, capabilities

Introduction

En France, les concepts d’entrepreneur social, d’entrepreneuriat social, de « social business », et d’entreprise sociale sont de plus en plus utilisés dans la communication d’entreprise et repris dans les média. Une sélection des articles de la presse périodique francophone faisant référence à ces concepts donne un rapide aperçu de ce phénomène :

Nombre d’occurrences des expressions :

Sur 2ans Sur 1an Sur 6mois

Entreprise sociale 413 282 177 Entrepreneur social 341 197 83 Entrepreneuriat social

298 173 91

Social business 192 97 42 Comptage effectué sur la base Factiva et portant sur la période du 31/01/2010 au 31/01/2012

Les entrepreneurs s’associent en chœur pour faire valoir leurs empreintes sociales (Carli, et al., 2011) en faisant du ‘développement durable un catalyseur de la performance’ en ‘réinvestissant dans les vraies valeurs’ en affirmant leur désir de ’développer l’entrepreneuriat social’ pour ‘un emploi responsable’. Dans un champ où de nombreux professionnels s’enthousiasment pour la responsabilité sociale de l’entreprise et rivalisent d’arguments pour faire valoir leurs ambitions et leurs réalisations vis-à-vis de la société civile cette floraison relève-t-elle d’une besoin de justification des chefs d’entreprise face à la critique sociale (Boltanski, 2009) ou traduit-elle l’avènement d’une nouveau type d’entrepreneurs ?

Joindre l’épithète de social au nom d’entrepreneur est un procédé qui s’applique à des organisations du secteur public, du secteur privé ou de l’économie sociale et solidaire. Dans la mesure où cette qualification fréquente dans le discours commun est relativement récente, sa signification reste floue et varie en fonction des acteurs qui la mobilisent. Toutefois, son usage actuel vise à distinguer l’entrepreneur social de l’industriel paternaliste, philanthrope ou intéressé, dont l’objectif était de moraliser les ouvriers dans un but de les fixer dans

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l’entreprise, de les détourner du syndicalisme et du socialisme à travers un réseau d’institutions sociales assurant un minimum de bien être. L’entrepreneuriat social n’a pas pour modèle une famille étendue dont le manager serait le père et les salariés les enfants. Cette expression se distingue également de la notion d’entreprise citoyenne en vogue à la fin du XXème siècle, qui n’est qu’une forme de paternalisme démembré via l’Etat providence (Ballet & De Bry, 2001, p. 132). La mondialisation et les crises de la dette ont fait de ce dernier une institution tout aussi contestée que la famille. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire de faire un premier état des définitions théoriques de l’entrepreneuriat social et des concepts qui lui sont attachés dans la littérature académique (1), avant d’examiner en quoi l’institutionnalisation du concept par les pouvoirs publics, le mouvement des entrepreneurs sociaux, et les fondations recoupe l’approche académique (2).Ce travail permet de poser l’hypothèse que l’entrepreneuriat social est une pratique qui s’inscrit une théorie de la justice s’attachant aux capacités de la personne et à sa liberté de réaliser diverses combinaisons de fonctionnements(3).

1. Fondements théoriques du concept d’entrepreneuriat social Nous nous attachons ici à situer le concept d’entrepreneur social par rapport aux définitions de l’entrepreneur (a) , de la responsabilité sociale de l’entreprise (b), de l’économie sociale et solidaire (c) qui le recouvrent en partie puis de faire état des définitions qui en sont actuellement proposées dans la littérature académique (d)

1.1. Un entrepreneuriat qui ne maximise pas le profit et poursuit des opportunités

Selon l’économiste Joseph Schumpeter (1935) , la dynamique économique du capitalisme a pour principe l’entrepreneur. Celui-ci exprime la volonté de réaliser un profit. Ce profit est impossible à créer dans le circuit stationnaire de périodes en périodes de la théorie de l’équilibre général de Léon Walras. Ce n’est que grâce à la modification volontaire par l’entrepreneur des conditions technologiques de la production et de la distribution que se dégage un surplus qu’est le profit. L'entreprise est l'acte de réaliser, l'entrepreneur l'agent qui réalise des combinaisons nouvelles de facteurs de la production. Cette transformation consiste en l’innovation qui est une des composantes essentielles du capitalisme au même titre que l’entrepreneur, l’investisseur et le profit. Pour mettre en œuvre des innovations radicales ou incrémentales l'entrepreneur doit vaincre une série de résistances. Son rôle spécifique est de s’émanciper des solutions clé en main et de la tyrannie du « tout fait ». François Perroux (1960, pp. 15-16) précise cette analyse en distinguant :

• l’entrepreneur statique qui applique des recettes accoutumées qui lui sont fournies par son expérience ou les habitudes professionnelles. Il forme des combinaisons routinières et prend des risques « courants » qui sont largement prévus et en conséquent réduits. C’est un rentier qui mentant à sa fonction est le serf des comptabilités passées. Il calcule en réduisant autant que possible la part du pari.

• l’entrepreneur dynamique qui est un ami de l’innovation éprouvant l’appel du large. Il élabore des combinaisons nouvelles qui comportent des risques économiques. Ceux-ci provoquent l’écroulement s’ils sont invaincus et suscitent les ascensions vertigineuses s’ils sont dominés. Cet entrepreneur est tout entier embarqué dans son entreprise et

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accepte les grandes pertes dans sa course ardente au profit exceptionnel. Ses calculs économiques sont l’instrument de ses paris.

Dans cette perspective l'entrepreneuriat social est une fonction qui ne se caractérise ni par le statut juridique ni par le statut social d’un individu ou d’une organisation. De même, on n'est pas entrepreneur social d'une façon continue, comme l'on exerce un métier ou une profession.

Le concept d’entrepreneuriat social a été popularisé en France lorsqu’en 2005 Mohammad Yunus s’est associé à Danone pour créer Grameen Danone Foods au Bangladesh et financer le projet en lançant la SICAV Danone Communities comme incubateur de social business. Dans ce projet imaginé par Franck Riboud et le futur prix Nobel de la paix, les actionnaires ne recevraient aucun dividende et devraient se contenter de récupérer leur capital (Marchant, 2012). Pour M Yunus (2007), le social business se distingue des entreprises de maximisation du profit (profit-maximising business) dans la mesure où il est intégralement dédié à la résolution de problèmes sociaux et environnementaux. Le social business correspond à une entreprise qui est orientée sur une cause et non sur le profit. Ce n’est toutefois pas une œuvre de charité dans la mesure où, l’entreprise doit couvrir l’intégralité de ses coûts pour atteindre son objectif social. Pour cela, il lui faut facturer un prix de vente, des commissions ou des honoraires sur les produits et services qu’elle crée. C’est une entreprise qui non seulement ne doit pas réaliser de pertes, mais également ne distribue pas de dividendes (no loss, no-dividend) dans la mesure où les excédents qu’elle génère doivent être réinvestis pour poursuivre son expansion auprès des plus démunis. Deux types de social business sont distingués par M. Yunus (2007). Le premier orienté sur la consommation sert les pauvres par la nature des biens et services qu’il propose (produits de qualité à très bas coût), le deuxième orienté sur le travail est une entreprise qui indépendamment des biens et services qu’elle commercialise, est gérée par les plus pauvres et devient une de leur source de revenus.

En sciences de gestion, l’entrepreneuriat est devenu est un champ de recherche académique important. Pour Shane & Venkataraman (2000) l’entrepreneuriat est un domaine de recherche analysant la façon dont sont découvertes, créées et exploitées les opportunités de mettre sur le marché de nouveaux biens et services, par qui avec quelles conséquences. L’entrepreneuriat est appréhendé par Stevenson (1985) comme la poursuite d’une opportunité au-delà de la prise en compte des ressources tangibles actuellement contrôlées. Cette définition met l’accent sur la façon dont se fait l’identification d’une opportunité , sur le processus d’engagement vis-à-vis de cette opportunité, sur la façon dont on cherche à mobiliser des ressources afin de la concrétiser , sur le management d’un réseau de partenaires fournisseurs de ressources appartenant à différentes structures hiérarchiques , et enfin sur la façon dont les acteurs sont évalués et rémunérés. Stevenson et Jarillo (1990, p. 23) définissent l’opportunité comme une situation future jugée désirable et réalisable. La découverte de l’opportunité est un processus cognitif subjectif fondé sur une évaluation personnelle qui rend la situation plus ou moins favorable selon les valeurs et l’expérience de l’entrepreneur. Stevenson (1990) distingue le management administratif du management entrepreneurial. Le premier est un système de planification et de contrôle formalisé qui conduit à accorder la primauté au management des ressources. Ce management administratif peut constituer un frein à l’adoption d’un comportement entrepreneurial dans la mesure où il favorise l’exploitation d’une situation au détriment de l’exploration. Le management entrepreneurial au contraire correspond à l’engagement de personnes sur un projet qui se fait sans tenir compte des ressources détenues. Le manager entrepreneur doit être en capacité de s’engager vite sur un mode expérimental sans attendre qu’il ait toutes les ressources nécessaires à sa

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disposition. Son engagement se fera étapes par étapes, limitant celui-ci à ce qui est nécessaire pour obtenir plus d’information et des premiers succès, avant d’aller rechercher des ressources supplémentaires.

L’entrepreneuriat social s’inscrit dans ce champ théorique où la recherche d’opportunités est stimulée par l’échec du marché et des pouvoirs publics à satisfaire efficacement des besoins humains de base des populations. Il induit la création ou l’identification de nouvelles relations entre moyens et fins économiques et sociales précédemment non détectées ou non utilisées par les acteurs de la sphère marchande, de la sphère publique ou de la société civile. Il combine la riche tradition entrepreneuriale avec une mission de transformation sociale. Dans ses projets, l’entrepreneuriat social met en œuvre de nouveaux business models, invente de nouvelles approches, crée des solutions qui dans différentes régions du monde encouragent les organisations publiques et privées à mieux prendre en compte les besoins des plus pauvres (Seelos & Mair, 2005). Il convient maintenant de préciser ce qui distingue cette approche des stratégies de responsabilité sociale de l’entreprise.

1.2. Un entrepreneuriat qui n’est pas soluble dans une RSE instrumentale

La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est l’ensemble des obligations, légales ou volontaires, qu’une entreprise doit assumer afin de passer pour un modèle imitable de bonne citoyenneté dans un milieu donné (Pasquero, 2005). Dans une approche institutionnaliste, c’est un concept managérial des relations entre l’entreprise et la société mais également politique et éthique. L’approche dominante de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) s’appuie sur le concept de parties prenantes et tend à considérer que l’entreprise doit satisfaire les demandes éthiques et sociales de celles qui comptent réellement dans l’espoir que ceci lui sera profitable et lui permettra de poursuivre durablement ses activités (Mitchell, Agle, & Wood, 1997; Agle, 1999). Un business case a fini par se développer pour la RSE dans lequel l’engagement volontaire des entreprises dans les domaines sociaux et environnementaux est considéré comme un investissement au même titre que tout autre attribut d’une offre, comme la qualité, le service, ou le degré d’innovation (Vogel, 2005). Au nom de la RSE les entreprises ont développé des démarches proactives ou réactives qui répondent à des attentes de moralité ou de bonté exprimées par des individus ou groupes d’individus qui peuvent influencer ou être influencés par la réalisation de leurs objectifs (Freeman, 1984). Pour les entreprises qui ont un fort niveau d’intégration de la RSE dans leur stratégie et le management de leurs activités ces réponses passent notamment par le développement de partenariats avec des acteurs de la société civile (ONG, associations…) qui sont engagés dans la promotion de causes sociétales (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004). Sous cet angle, la RSE est un dialogue continu avec des parties prenantes visant à légitimer l’entreprise en l’inscrivant dans un isomorphisme coercitif, normatif ou mimétique (DiMaggio & Powell, 1983). La RSE apparait comme un processus dialogique par lequel les managers d’une organisation conçoivent et discutent des relations avec les parties prenantes, de leurs rôles vis-à-vis du bien commun mais aussi des comportements permettant de tenir ces rôles et de s’engager dans une relation pérenne avec les parties prenantes (Basu & Palazzo, 2008). La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) peut être considérée comme un discours au sens plein du terme, c’est-à-dire venant créer les « éléments de réalité » allant dans le sens de celui-ci, mais aussi comme une « prison » des directions des grandes entreprises, enfermées par ce discours dans une forme de circularité « contenu du discours – éléments de réalité produits par le discours ». (Pesqueux, 2011) . S’élabore alors en continu une stratégie sociale d’entreprise (Husted & Allen, 2011) qui conçoit et met en place des projets répondant

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à une demande sociale. Elle doit être récompensée par un accroissement de la fidélité des clients, de l’engagement des salariés, une amélioration de l’acceptabilité sociale sécurisant les profits futurs. Très souvent l’orientation des stratégies de responsabilité sociale n’est pas entrepreneuriale mais administrative (Stevenson H. , 2000) dans la mesure où elle est dirigée par le développement ou la préservation des actifs immatériels actuellement contrôlés par l’entreprise et non par la poursuite d’opportunités répondant aux besoins de développement durable des communautés. Le management des parties prenantes laisse peu de place à l’émergence de l’entrepreneur conçu comme un individu d’exception capable de faire du nouveau et d’affronter la désapprobation de la communauté sociale (Schumpeter, 1935) .

1.3. L’économie sociale et solidaire n’a pas le monopole de l’entrepreneuriat social

L’économie sociale et solidaire (ESS) rassemble historiquement des sociétés de

personnes a-capitaliste (associations, coopératives et mutuelles) qui n’ont pas pour finalité la création de valeur pour des actionnaires et qui partagent trois principes : une autonomie de gestion notamment vis-à-vis des pouvoirs publics ; une gouvernance démocratique répondant au principe une personne-une voix ; une lucrativité limitée, leurs excédents étant mis en réserve à des fins de réinvestissement. Même si elles représentent en France 10 % du PIB, comptent pour environ 12 % de l’emploi salarié pour 210.000 établissements employeurs, ces entreprises qui dans une vision régulatrice de l’économie s’imposent entre l’Etat et le Capital ont du mal à s’affirmer, à peser dans le débat public et à influer les décideurs. (Sibille & Ghezalli, 2010). L’émergence du concept d’ « entreprises sociales » comme modèle distinct d’organisation issue de la société civile a été observée comme une évolution importante en Europe depuis les années 1990. Cette qualification reste toutefois attribuée principalement à des entreprises d’insertion par l’activité économique comme les associations intermédiaires, les ateliers et chantiers d’insertion, les groupes économiques solidaires… (Defourny & Nyssens, 2010). La crise de la fin des années 2000 est marquée par un regain d’intérêt pour l’économie sociale et solidaire. Il s’enracine dans deux tendances fortes qui impactent les rapports entre les sphères du marché, de la société civile et de l’Etat depuis une vingtaine d’années. La première est la marchandisation et la privatisation d’un certain nombre de responsabilités incombant jusqu’aux années 80 à l’Etat providence. La seconde est l’expérimentation de nouvelles formes de solidarité, d’action sociale et collective par des organisations issues de la société civile. L’ESS apparait dans ce contexte soit comme une forme de substitution au service public soit comme un nouveau terrain d’action pour la société civile. Dans le premier cas, il prend acte du changement profond des politiques sociales publiques. Dans le second cas, l’ESS crée un nouvel espace pour les mouvements solidaires ou collectifs leur permettant d’influencer sur l’évolution des politiques sociales publiques.

L’entrepreneuriat social conduit à un management de projet privilégiant la constitution de réseaux réactifs et flexibles (Stevenson H. , 2000). Il procède par combinaison et hybridation de formes organisationnelles issues de l’ESS et de l’entreprise capitaliste. Sa remise en question des formes hiérarchiques basées sur la détention des ressources le conduit à entretenir une proximité avec le mouvement coopératif. Toutefois comme le soulignent Defourny et Nyssens (2006) , alors que les coopératives s’attachent en premier aux intérêts de leurs membres, les entrepreneurs sociaux ont un ensemble plus large d’objectifs sociaux et d’obligations vis-à-vis des communautés où ils émergent. Distinction reprise par Michel Adam (2009) entre l’entreprise capitaliste créée « pour soi », la coopérative créée « pour nous » et l’entreprise sociale créée « pour les autres ». En tant que phénomène nouveau l’entrepreneuriat social suscite de nombreux débats parmi les acteurs de l’économie sociale et solidaire dans la mesure où il s’inscrit pleinement dans cette tradition européenne, mais s’en distingue également en s’appuyant sur des outils économiques et des cadres juridiques élargis.

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L’enjeu de l’économie sociale et solidaire ne réside pas dans liberté d’entreprendre mais dans la modification des cadres dans lequel elle s’exerce (Frémeaux, 2011). L’ESS ne vise pas un dépassement du capitalisme mais l’extension de la démocratie à tous les niveaux dans une société libre et ouverte. Il ne s’agit pas pour elle de détecter, saisir et exploiter des opportunités de création de valeur économique et sociale mais de rendre la gouvernance des entreprises plus démocratique dans une perspective réformiste et régulationiste qui souligne que l’entreprise capitaliste n’est pas la seule option possible.

1.4. Un entrepreneuriat osant la création de valeur économique et sociale

Dacin P., Dacin T. & Matear T. (2010) ont recensé 37 définitions de l’entrepreneuriat social dans la littérature académique. Elles se distinguent selon qu’elles s’attachent aux caractéristiques de la personne de l’entrepreneur social , au secteur dans lequel s’exerce l’activité , aux processus et aux ressources mobilisées par l’entrepreneur social ou bien à la mission principale et aux objectifs assignés à l’entreprise. L’entrepreneuriat social fournit une occasion unique de revisiter et de penser à nouveaux frais non seulement le concept d’entrepreneuriat, mais également la signification du mot social appliqué à l’entreprise (Mair & Marti, 2006).

Dees (1998) met en évidence une typologie qui distingue les entreprises sociales à partir de leur genèse et de leur fondation. D’un côté se trouvent les organisations qui ont été créées pour une mission sociale ou environnementale et qui sont financées et largement gérées par des dons volontaires (mécénat et bénévolat), de l’autre se trouvent les entreprises qui sont créées et gérées au sein d’entreprises commerciales privées. Entre ces deux extrémités se trouve un éventail d’entreprises à but lucratif ou non-lucratif dont les ressources financières combinent des dons privés, des subventions publiques, du capital-investissement et des revenus commerciaux. J. Gregory Dees (1998) propose une définition classique de l’entrepreneur social qui les considère comme des agents de changement dans le domaine social dans la mesure où :

• Ils se donnent pour mission de créer et de développer de la valeur sociale et pas seulement de la valeur privée,

• Ils sont sans cesse à la recherche de nouvelles opportunités leur permettant de remplir cette mission,

• Ils s’engagent dans un processus continu d’innovation d’adaptation et d’apprentissage, • Ils agissent avec témérité sans être limités par les ressources qui sont actuellement à

leur disposition, • Ils témoignent d’un sens élevé de leurs responsabilités en rendant compte aux parties

prenantes qu’ils servent des moyens et des résultats obtenus.

La définition proposée par Haugh (2006) met l’accent sur l’importance des solutions à finalité sociale et par extension environnementale, élaborées suivant les principes de gestion d’entreprises. ‘Entreprise sociale’ fait référence dans cette acception à toute une gamme d’organisations qui pratiquent l’échange marchand dans un but social. Elles adoptent différents statuts juridiques mais ont en commun des pratiques de gestion qui prévalent dans le monde des affaires, des finalités sociales, des profits qui sont réinvestis au bénéfice d’une communauté. Leur ambition est focalisée sur la recherche de l’utilité sociale, des objectifs non-financiers et leurs résultats se mesurent par des indicateurs non financiers relatifs à l’offre et à la demande des services qu’elles procurent. Cette définition met l’accent sur le fait que les entreprises sociales doivent être profitables pour conduire un projet ambitieux et pérenne mais que ceci ne constitue pas leur finalité première qui est la recherche de l’utilité sociale. Cela

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signifie que l’identification et la recherche de besoins sociaux non satisfaits est tout à fait décisive dans la caractérisation de ce type d’entreprise.

La question de l’adaptation des ressources face à l’ampleur des besoins sociaux est posée dans la définition de Mair et Marti (2006) pour qui en tant que pratique et champ de recherche académique, l’entrepreneuriat social est un processus de création de valeurs par une combinaison innovante de ressources. Ce processus explore et exploite des opportunités de création de valeur sociale en stimulant le changement social et en répondant aux besoins sociaux. Il implique non seulement l’offre de nouveaux produits ou services mais également la création de nouvelles formes organisationnelles. L’entrepreneuriat social vu comme processus dynamique est une forme différente d’entrepreneuriat qui peut apparaitre non seulement dans la création de nouvelles entreprises mais également dans des entreprises déjà bien établies.

La finalité est un critère clé permettant de distinguer l’entrepreneur social de l’entrepreneur d’affaire. Pour Bornstein et Davis (2010), l’entreprise sociale cherche à maximiser son impact social généralement en satisfaisant un besoin urgent qui a été négligé, mal traité , ou ignoré par d’autres formes d’institutions. Alors que pour l’entrepreneur d’affaire, l’objectif est de maximiser les profits ou la valeur actionnariale en constituant une organisation pérenne et respectable qui apportera de la valeur à des clients et des emplois attractifs à ses salariés, le défi auquel est confronté l’entrepreneur social est de traiter des problèmes que ni les institutions gouvernementales ni les mécanismes de marché ne sont parvenus seuls à résoudre. Bornstein et Davis distinguent également l’entrepreneuriat social de l’action gouvernementale dans la mesure où, contrairement à celle-ci, il ne peut faire appel à la contrainte publique et doit s’inscrire dans une démarche inductive qui mobilise d’abord les énergies du terrain. Il procède de l’observation et de l’expérimentation vers l’institutionnalisation et l’adoption autonome de ses solutions. Enfin l’entrepreneuriat social se distingue de l’activisme dans la mesure où il ne cherche pas avant tout à influencer le processus de décision des grandes institutions ou à faire changer l’opinion publique mais poursuit un éventail d’options plus large comprenant en particulier la création d’institutions qui mettront elles-mêmes directement en œuvre des solutions opérationnelles aux problèmes sociaux.

Austin, Stevenson, Wei-Skillern et Leonard (2007) définissent également l’entrepreneuriat social comme une activité innovante de création de valeur sociale, qui peut se manifester au sein des secteurs publics, commerciaux et non-lucratifs mais également entre eux sous la forme de structures hybrides combinant des activités lucratives et non-lucratives. Ils insistent en particulier sur la finalité de création de valeur sociale et le non enrichissement de l’entrepreneur ou de ses actionnaires. Le modèle qu’ils proposent se présente sous la forme d’un diagramme de Venn où l’opportunité occupe une place prééminente dans la mesure où elle est le point de départ de toute la démarche entrepreneuriale. Les deux variables contributives que sont les capitaux et les personnes se superposent avec la première dans une relation d’interdépendance. L’ensemble est intégré autour de la proposition de création de valeur sociale. Ces trois cercles se trouvent eux-mêmes insérés dans un contexte politique, socioculturel, démographique, fiscal et réglementaire qui constituent des facteurs de contingence requérant l’attention vigilante de l’entrepreneur social.

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Pour l’entrepreneur commercial comme pour l’entrepreneur social, l’opportunité est définie comme un état futur désirable différent de la situation présente dont il croit possible la réalisation. Le premier s’attache au retour sur investissement économique, alors que le second s’attache au retour sur investissement social. La principale différence entre un entrepreneur commercial et un entrepreneur social s’avère être que le premier s’attache aux percées qu’il peut réaliser sur de nouveaux marchés notamment en stimulant de nouveaux besoins alors que l’entrepreneur social s’attache à satisfaire plus efficacement des besoins de base courants par des initiatives innovantes. Pour l’entrepreneur social le problème n’est pas l’existence d’une demande mais la capacité à attirer des ressources par l’innovation sociale afin de satisfaire cette demande. Le champ des opportunités est relativement large pour les entrepreneurs sociaux dans la mesure où ils sont capables de combiner des projets financièrement autosuffisants ou profitables et d’autres déficitaires nécessitant de recourir à des dons ou à des subventions. Toutefois face à une pléthore d’opportunités, l’énergie qu’ils doivent dépenser pour mobiliser des personnes et des capitaux requiert une autolimitation de leur champ d’action en regard des ressources qu’ils sont en capacité de mobiliser. Souvent la croissance devancera les plans de développement de l’entrepreneur social. Pour diffuser son innovation et optimiser son impact en évitant de distraire ses ressources de son objectif premier, il devra multiplier les partenariats et les alliances avec des acteurs publics et privés.

Zahra & alii (2009) définissent l’entrepreneuriat social comme l’ensemble « des activités et processus entrepris pour découvrir, définir et exploiter des opportunités afin d’augmenter la richesse sociale en créant de nouvelles entreprises ou en manageant des organisations existantes de façon innovante ». A partir de quoi ils proposent une typologie des entrepreneurs sociaux (bricoleurs, constructeurs ou ingénieurs sociaux) qui non seulement conduit à les différencier dans leur découverte et leur approche des opportunités mais également souligne les enjeux éthiques propres à chaque type. Les bricoleurs sociaux s’attachent à répondre à des besoins sociaux locaux non satisfaits. Les constructeurs exploitent des failles de marchés en s’attachant à des clientèles négligées afin d’introduire des innovations dans le système social. Les ingénieurs sociaux s’emparent de problèmes systémiques dans les structures sociales existantes en introduisant des changements révolutionnaires. Les enjeux éthiques de ces trois types d’entrepreneurs sociaux portent sur leurs motivations, les ressources mobilisées et les modes de gouvernance et de contrôle de leurs activités. Ils varient en fonction de l’échelle géographique de l’entreprise, de la complexité de leur business modèle et du niveau d’ambition dans le changement social visé.

Proposition de valeur

sociale

Environnement contingent

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Le champ de l’entrepreneuriat social s’étend sur diverses dimensions chacune d’entre elles appartenant à des catégories conceptuelles différentes. Cinq dimensions semblent pouvoir constituer l’armature autour de laquelle ce concept s’est construit (Praszkier & Nowak, 2012) :

• Une mission sociale qui réponde à des besoins sociaux mal satisfaits. L’entreprise sociale se construit en réponse à un enjeu social traduit par un entrepreneur sous la forme d’une opportunité pour laquelle il conçoit de nouvelles approches.

• Une innovation sociale qui soit une invention fonctionnant lorsqu’elle est mise en œuvre par les activités des personnes, leurs interactions et produisant des résultats opérationnels.

• Un changement social qui puisse être éprouvé dans le long terme et qui ait des conséquences multiples et de longue portée. Si l’innovation constitue l’étincelle qui initie le changement, celui-ci doit s’incarner dans les pratiques quotidiennes et essaimer dans d’autres domaines que celui qui l’a vue naître.

• Un esprit entrepreneurial qui anime complètement le porteur de projet qui n’a de cesse de rechercher de nouvelles opportunités permettant au changement social de devenir une réalité tangible. Un engagement total dans le processus de déconstruction des modèles anciens et de création de nouveaux modes d’interaction sociale est pour cela nécessaire.

• Une personnalité créative à la fois en termes de vision anticipatrice mais également de développement d’un capital social. Cette créativité entrepreneuriale permet, en particulier dans les situations d’adversité et de risques, de nouer des relations inédites tissant de nouvelles formes de coopération dans la confiance,

2. Les définitions institutionnelles de l’entrepreneuriat social

La structuration du champ de l’entrepreneuriat social s’effectue également par le jeu des acteurs. Dans une perspective institutionnaliste, il convient de s’intéresser au processus de légitimation de l’entrepreneuriat social en France. Ce processus est entendu comme une construction sociale issue d’une évaluation d’ensemble, percevant ou supposant que les actions d’un entrepreneur social sont désirables, justes, et appropriées dans le cadre d’un système de normes, de valeurs , de croyances et de définitions (Suchman, 1995).

Parmi les manifestations récentes de reconnaissance de l’entrepreneuriat social en France, nous proposons de distinguer celles qui relèvent des pouvoirs publics (a), celles qui relèvent des entrepreneurs sociaux eux-mêmes (b), et enfin celles qui relèvent des fondations finançant leurs initiatives (c).

2.1. Les pouvoirs publics définissent l’entrepreneuriat social

La France comptant parmi les 34 pays membres de l’OCDE partage avec elle une définition de l’entrepreneuriat social comme toute forme d’activité privée conduite dans l’intérêt public et organisée selon une stratégie entrepreneuriale dont l’objectif n’est pas la maximisation du profit , mais l’atteinte de certains objectifs économiques et sociaux. Cette définition s’inscrit dans un contexte de retrait de l’état providence au profit d’une économie mixte dans laquelle les entrepreneurs sociaux délivrent des services sociaux et contribuent à l’inclusion sociale. Au-delà des différences nationales entre les pays de l’OCDE, les entreprises sociales répondent à des critères :

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• économiques : une contribution directe à la production et à la commercialisation de biens et de services ; un degré élevé d’autonomie financière ; la prise d’un niveau significatif de risques économiques ; un nombre minimum de salariés ;

• sociaux : être issue de l’initiative de citoyens ; un pouvoir de décision qui n’est pas basé sur la détention du capital ; une gouvernance participative ; une distribution limitée des profits ; une volonté explicite d’apporter des bénéfices à une communauté [OECD-Local Economic and Employment Development Programme]27.

Le 25 octobre 2011 La Commission Européenne publiait une communication visant à soutenir l’entrepreneuriat social en Europe. Elle entend par entreprises sociales « des entreprises

• pour lesquelles l'objectif social ou sociétal d'intérêt commun est la raison d'être de l'action commerciale, qui se traduit souvent par un haut niveau d'innovation sociale,

• dont les bénéfices sont principalement réinvestis dans la réalisation de cet objet social, • et dont le mode d'organisation ou le système de propriété reflète la mission,

s’appuyant sur des principes démocratiques ou participatifs, ou visant à la justice sociale. »

La Commission Européenne précise qu’il peut s’agir d’entreprises fournissant des services sociaux , ou des biens et services destinés à un public vulnérable, et d’entreprises dont le mode de production des biens et des services poursuit un objectif d’ordre social mais dont l’activité peut couvrir des biens ou services autres que sociaux. Elle distingue par ailleurs clairement cette initiative de celle qu’elle a prise la même année en matière de responsabilité sociale des entreprises Cette dernière ne concerne pas les entreprises dont « la finalité première est explicitement sociale et/ou environnementale, qui réinvestissent leurs bénéfices à cet effet, et dont l’organisation interne prend en compte les objectifs sociétaux » (Commission Européenne, 2011) En avril 2010 le Député du Nord Francis Vercamer remettait au Premier Ministre un rapport visant à doter la France d’une politique ambitieuse pour développer l’économie sociale et l’entrepreneuriat social. Ce rapport prend acte de la pluralité des définitions tout en soulignant que l’appellation entreprise sociale se focalisera plus sur « la dimension entrepreneuriale de l’action, l’importance des pratiques réelles mises en œuvre et de leur évaluation, au regard des principes et des valeurs qui sous-tendent le projet de ses promoteurs. » [Vercamer 2010, p 23]. F.Vercamer émet dans sa proposition N°5 la recommandation d’engager une démarche de création de labels dépassant la seule approche statutaire pour mieux reconnaître l’appartenance à l’économie sociale. Il préconise la constitution d’un label pour l’entrepreneuriat social et d’un label d’entreprise à finalité sociale et solidaire. La question de la définition de ce qu’est une entreprise sociale s’avère constituer un véritable enjeux pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire comme en témoigne le courrier adressé le 8 mars 2010 par la CPCA, le CJDES, le CNCRES,le GNC et l’USGERES au député Vercamer . Cette lettre qualifie le projet de label des entreprises sociales de prématuré dans la mesure où les valeurs et principes inscrits dans les fondements juridiques des sociétés de personnes existent déjà et permettent de les distinguer des entreprises de capitaux qui développent des démarches de RSE. Elles soulignent notamment leur réserve envers des critères qui n’intégreraient pas la détention collective du capital et la non appropriation individuelle des résultats.

27 http://www.oecd.org/department/0,3355,en_2649_34417_1_1_1_1_1,00.html

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2.2. Les entrepreneurs sociaux français se constituent en mouvement

Le 2 février 2010 était lancé le premier mouvement des entrepreneurs sociaux de France (Mouves) à la suite des travaux du CODES (Collectif pour développer l’entrepreneuriat social). Ce mouvement a pour objectif d’améliorer la visibilité de l’entrepreneuriat social et de favoriser la reconnaissance des entreprises à finalité sociale. Présidé par Mr Jean-Marc Borello, délégué général du Groupe SOS, le Mouves se définit comme un mouvement de personnes rassemblant des entrepreneurs sociaux désireux de concilier efficacité économique et utilité sociale, réussite individuelle et intérêt collectif28. Le Mouves exprime très clairement son projet à travers les quatre axes clés suivants :

• Elaboration d’un ensemble de critères permettant de fonder un label « Entreprise sociale »,

• Conception et diffusion d’un ensemble d’indicateurs démontrant l’efficacité des entreprises sociales,

• Constitution et développement de structures d’accompagnement à l’innovation sociale,

• Développement de l’enseignement et de la recherche sur l’entrepreneuriat social.

La question de la définition et de la caractérisation de l’entreprise sociale est tout à fait centrale dans ce mouvement qui part de la définition suivante : « Les entreprises sociales sont des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance ».

Le Mouves définit deux critères d’objectifs : « Finalité sociale, sociétale ou environnementale ou territoriale inscrite dans l’objet social de l’entreprise et dans le pacte d’actionnaire (s’il existe) » et « Création d’emplois » auquel il ajoute six critères de moyens indispensables : « Initiative privée ;Production de biens et/ou de services ; Recherche d’implication d’une ou plusieurs parties prenantes dans la gouvernance ;Rémunération limitée des apports en fonds propres ;Excédents majoritairement réinvestis dans le projet ;Encadrement de l’échelle des salaires (facteur 3 à facteur 10 en fonction du nombre de salariés »

Le Mouves travaille actuellement à une proposition de label qui s’inscrit dans la lignée des travaux de la CSESS et qui vise une démarche simple, accessible, appropriable dans et hors l’économie sociale et solidaire. Dans cette perspective il propose actuellement de retenir quatre critères :

• Un projet économique et entrepreneurial qui doit être une initiative privée, créatrice d’emplois, produisant des biens et des services suivant un modèle économique viable.

• Une finalité sociale ou sociétale d’intérêt général et de réponse à des besoins sociaux peu ou mal satisfaits.

• Une lucrativité nulle ou limitée avec notamment l’encadrement de l’échelle des salaires.

• Une gouvernance démocratique ou participative. Les travaux du Mouves en matière de labellisation affirment vouloir rendre compte de la diversité des entreprises sociales et s’inscrire à partir d’un socle commun, dans une démarche d’amélioration continue.

L’affirmation des spécificités de l’entrepreneur social se manifeste également dans les « 60 propositions pour changer de cap » émises en novembre 2010 par le Labo de l’ESS, think

28 http://www.mouves.org/

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tank présidé par Claude Alphandéry29. Celles-ci manifestent en effet la volonté de faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux et solidaires en faisant mieux connaître le métier d’entrepreneur social. La construction d’un référentiel métier de l’entrepreneur social et solidaire permettrait notamment de mieux préciser les spécificités de l’entrepreneur dans sa relation aux administrateurs, aux salariés et aux autres parties prenantes , dans sa pratique particulière du leadership et des fonctions managériales et commerciales, et dans sa gestion financière originale liée à l’hybridation des ressources [Proposition N°39].

Ces essais de définition institutionnelle de l’entrepreneuriat social posent la question de savoir comment les entrepreneurs sociaux résistent aux pressions iso morphiques des normes qui ont pour effet de les enfermer dans un cadre qui s’il facilite leur reconnaissance, n’en reste pas moins contraire l’esprit de transformation sociale qui les anime. Néanmoins si la légitimité pragmatique de l’entrepreneuriat social reste à prouver, sa légitimité morale semble assurée dans la mesure où il répond pleinement aux valeurs de l’idéologie libérale qui privilégient des solutions sociales fondées sur l’initiative individuelle et la logique du marché (Dart, 2004).

2.3. Les fondations imposent des critères de soutien aux entrepreneurs sociaux

L’examen des critères retenus par les organismes qui apportent leur soutien financier aux entrepreneurs sociaux permet également de caractériser l’entrepreneuriat social tel qu’il est promu aujourd’hui. Nous retiendrons ici ceux adoptés par la fondation Schwab, Ashoka et la fondation Skoll toutes trois actives en France où elles comptent des lauréats depuis quelques années.

Créée en 1998 en étroite liaison avec le Forum Economique Mondial de Davos, la Fondation Schwab soutient des entrepreneurs qui travaillent dans différents secteurs comme la santé, l’environnement, l’éducation, la micro finance ou l’aide aux entreprises. Dans la mesure où leur action doit être équilibrée et durable ils interviennent simultanément dans plusieurs domaines. En France, la Fondation Schwab qui depuis 2007 décerne avec le Boston Consulting Group le prix de l’entrepreneur social de l’année, retient les trois principaux critères suivants :

• L’innovation définie comme la capacité à induire du changement social en transformant des pratiques traditionnelles. L’entrepreneur social doit démontrer une capacité à introduire des idées en rupture avec les cadres de références habituels et à les mettre en œuvre.

• La durabilité conçue comme la capacité de l’entrepreneur à pérenniser son action dans la durée et à s’y consacrer pleinement en s’attachant à développer son autonomie financière.

• L’impact social direct en associant directement les bénéficiaires de l’action à sa mise en place et en étant capable d’en démontrer les effets par des comptes rendus et des témoignages de parties prenantes de l’entreprise notamment des personnes les plus pauvres et les plus désavantagées.

Deux autres critères sont également pris en compte à savoir, la portée et l’extension de l’entreprise au-delà de son contexte d’origine et la possibilité de la répliquer dans d’autres régions du monde pour résoudre le même type de problèmes.30

Créé en Inde en 1980, l’organisation Ashoka est présente en France depuis 2006 où elle vise à faire de chacun un agent de changement. Son premier critère pour soutenir un 29 http://www.lelabo-ess.org/ 30 http://www.schwabfound.org/sf/SocialEntrepreneurs/SearchandSelectionProcess/Criteria/index.htm

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entrepreneur social est la nouveauté de l’idée qu’il porte. Indépendamment de son domaine d’application que ce soit les droits humains ou l’environnement, il importe de démontrer qu’il s’agit d’une réelle innovation comprenant un potentiel réel de changement. Les quatre autres critères de sélection d’Ashoka sont les suivants :

• La créativité : l’entrepreneur a-t-il une vision de comment peut-on mieux répondre à des besoins humains que cela n’a été fait jusqu’alors ? Est-il en capacité de résoudre des problèmes en concevant des solutions opérationnelles ?

• Les qualités d’un vrai entrepreneur à savoir, être en mesure d’identifier des opportunités de changement et d’innovation et de se consacrer entièrement à leur mise en œuvre. La capacité de s’investir pleinement dans son projet sur une durée de 10 à 15 ans apparaît comme une condition indispensable pour faire de l’idée une réalité.

• L’impact social de l’idée indépendamment de l’entrepreneur qui la porte. Il est important que le changement induit puisse changer significativement les façons de faire et inspirer d’autres initiatives de réformes en profondeur ailleurs dans le monde.

• La fibre éthique de l’entrepreneur, sa capacité agir en combinant émotion et raison, sa capacité à inspirer confiance.31

La mission de la fondation Skoll est d’induire des changements d’ampleur en investissant des fonds dans les projets d’ entrepreneurs sociaux, en les mettant en relation et en valorisant leurs actions. Elle porte l’ambition de les aider à résoudre les problèmes mondiaux les plus urgents. Cette fondation créée par Jeff Skoll, président et fondateur d’eBay propose la définition suivante de l’entrepreneur social : « De même qu’un entrepreneur change la face du monde des affaires, une entrepreneur social est un agent de changement de la société. » Afin de transformer la société et de l’améliorer, il saisit des opportunités inexploitées en améliorant des systèmes, en inventant de nouvelles approches, et en créant des solutions durables pour transformer la société. Les entrepreneurs sociaux sont sans cesse à la recherche de nouvelles façons de résoudre les problèmes qui rongent la société. Cette fondation créée en 1999 apporte son soutien financier en fonction des quatre axes suivants qui forment sa grille d’analyse:

• La nature de l’enjeu : la fondation s’attache à soutenir les initiatives visant l’équité économique et sociale du plus grand nombre, favorisant l’accès de tous aux soins de base, prenant en compte la durabilité environnementale du développement économique, permettant aux institutions de mieux exercer leurs responsabilités sociale, favorisant la paix, l’harmonie sociale , la tolérance et les droits de l’homme .

• Le point d’inflexion : la fondation apprécie si le porteur de projet agit en choisissant le moment opportun où un écosystème est prêt à basculer avec le maximum d’impact.

• L’innovation : elle évalue si par la création d’un modèle innovant l’entrepreneur peut déclencher des changements à grande échelle

• L’Impact potentiel : elle privilégie les initiatives ayant l’impact le plus profond et le plus large possible32

Pour ces fondations l’entrepreneuriat social est bien avant tout une démarche entrepreneuriale comprise comme la combinaison, d’un contexte dans lequel se situe une opportunité, d’un ensemble de caractéristiques personnelles requises pour identifier et poursuivre cette opportunité, et d’un nouvel équilibre plus satisfaisant pour l’ensemble des participants que les équilibres antérieurs. Ce qui distingue l’entrepreneuriat social de

31 http://www.ashoka.org/support/criteria 32 http://skollworldforum.org/about/what-is-social-entrepreneurship/

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l’entrepreneuriat maximisant le profit, ce ne sont pas les motifs personnels mais le fait que l’entrepreneur social ne peut, en regard des caractéristiques des marchés auquel il s’adresse, ni anticiper ni compter sur la création d’un profit substantiel lui permettant de rémunérer ses investisseurs (philanthropes ou fonds publics). Dans l’esprit des organisations qui le financent, l’entrepreneuriat social présente les trois caractéristiques : (1) l’identification d’un équilibre stable mais profondément injuste qui cause de la souffrance, de l’exclusion et marginalise une partie de l’humanité qui n’a ni les moyens financiers ni les appuis politiques pour changer sa condition sociale, (2) l’identification, au sein de cette équilibre injuste, d’une opportunité de développement d’une proposition de valeur sociale qui suscite la mobilisation, l’engagement, la créativité, et le courage de défier cette situation de domination, (3) la mise en place d’un nouvel équilibre stable plus juste qui libère les énergies et allège les souffrances de la communauté visée. (Martin & Osberg, 2007)

Dans cet esprit Holger Patzel et Dean Shepard (2011) ont développé un modèle qui suggère que la formation des opportunités d’entrepreneuriat social s’enracine dans la perception des menaces qui pèsent sur l’environnement naturel et communautaire d’un territoire et sur la motivation altruiste d’améliorer les conditions d’existence des autres à partir de sentiments personnels d’empathie et de sympathie. L’identification d’opportunités de changement en vue d’un équilibre social plus juste s’avère plus complexe que l’identification d’opportunités de profit motivée par les seuls gains égoïstes. Elle met en jeu une éthique impliquant à la fois la perception de la vulnérabilité et des risques sociaux, mais aussi des raisons d’agir relevant un esprit altruiste, de solidarité et d’économie inclusive au service d’une communauté.

Conclusion

Le processus entrepreneurial de découverte, d’évaluation et d’exploitation d’opportunités ne suffit pas à appréhender la spécificité de l’entrepreneuriat social qui réside dans l’arraisonnement de moyens économiques à une finalité sociale. Face à l’injustice l’entrepreneur social opère un dépassement de l’indignation et de la révolte. Le bien-être cesse d’être une finalité interne à l’individu ou une harmonie de l’entre soi, mais procède au contraire d’un décentrement vers l’intérêt général. Pour comprendre cette dynamique, il nous semble important de sortir d’une conception de la rationalité économique qui soit fondée sur l’intérêt personnel et d’intégrer une vision éthique33 de l’entrepreneur. Le fait d’accomplir ce qu’on aimerait réaliser peut être une composante de la rationalité, et cela peut inclure la promotion d’objectifs désintéressés auxquels on accorde de la valeur et que l’on souhaite atteindre (Sen A. , 1987, p. 18).

Nous devons nous interroger sur l’horizon éthique dans lequel s’inscrit l’entrepreneuriat social et plus particulièrement sa finalité sociale d’intérêt général. A partir des éléments de caractérisation que nous avons rassemblés ci-dessus, nous formulons l’hypothèse que ni une approche utilitariste dans la lignée de J.S. Mill, ni une approche égalitariste libérale contractualiste dans la lignée de J.Rawls, ni une approche libertarienne des droits de propriété dans la lignée de R. Nozick ne permettent de rendre compte de façon satisfaisante de l’idée de justice qui anime les entrepreneurs sociaux. Ceux-ci ne visent pas une société juste mais se concentrent sur les avancées de la justice sociale. Ils ne s’intéressent pas tant aux institutions et aux règles sociales mais aux réalisations concrètes. Leur raisonnement est plus comparatif

33 Au sens de Paul Ricœur : L’éthique, c’est le désir d’une vie accomplie, avec et pour les autres ; dans des institutions justes.

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que transcendantal. Plutôt qu’une égalité de ressources ou d’utilités, ce qui est visé dans leurs projets est l’articulation de deux notions : les capacités de la personne et les libertés de les mettre en œuvre. L’entrepreneur social s’attache à la possibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de fonctionnement en fonction de son environnement.

Dans son désir de vie, la question que se pose l’entrepreneur social se distingue de celle que se pose l’entrepreneur maximisant le profit. Il se demande « que peuvent-ils faire et que peuvent-ils être ? » alors que le second se demande « combien ont-ils ? ». Libéral dans son essence, l’entrepreneur social donne aux plus démunis les outils dont ils ont besoin pour choisir. Son projet met les citoyens souffrant d’inégalités de pouvoir comme d’inégalités de revenus en capacité de choisir librement la vie à laquelle ils aspirent. Ils sont considérés, non comme des récepteurs passifs de biens sociaux, mais comme des êtres dignes et libres de créer des espaces de discussion communs et de cheminer hors de l’asservissement et des privations. Pour reprendre les catégories proposées par Amartya Sen (1987), l’entrepreneur social vise à maximiser quatre dimensions d’une personne: son bien-être en termes d’accomplissement, son bien-être en termes de liberté, sa qualité d’agent en termes d’accomplissement, et sa qualité d’agent en termes de liberté. Il accorde la priorité au bien-être entendu comme de fonctionnement et s’oppose à l’idée que la richesse pourrait être considérée comme une fin en soi. Selon lui les premiers biens visés sont ce que les individus rationnels désirent comme pré requis pour mener leur projet de vie. Il se concentre sur les vies humaines et pas seulement sur les ressources dont disposent les gens, ou sur les « objets de confort » qu’ils peuvent posséder ou utiliser (Sen A. , 2010). Les richesses ne valent ici que par rapport aux activités qu’elles rendent possibles. L’entrepreneuriat social s’attache à rendre possible l’exercice des capabilités des individus et à apporter aux exclus la liberté d’exprimer des préférences selon leurs conceptions du juste, leurs priorités du moment et leurs facultés singulières. Nous proposons l’hypothèse que l’entrepreneur social procède d’une évaluation comparative de la qualité de vie en s’intéressant aux enjeux de justice sociale. Il s’attache notamment à l’exercice pratique des droits humains fondamentaux en vue du respect de la dignité humaine et témoigne en actes que cette pratique n’est pas seulement du ressort des pouvoirs publics (Nussbaum, 2006) ou des acteurs de la société civile mais également des acteurs du marché.

L’entrepreneur social part d’une évaluation des « capabilités » dont jouissent effectivement les plus vulnérables. Dans le projet auquel il les associe, il identifie des opportunités en envisageant leurs vulnérabilités comme supposées dans un environnement donné et en proposant de nouveaux agencements au service de l’intérêt général alliant économie de dépenses publiques par des dispositifs de prévention et augmentation des richesses partagées par une modèle économique centré sur l’homme.

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L’intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc

Salah KOUBAA Abdelhak SAHIBEDDINE Enseignant Chercheur Enseignant chercheur

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Université

Hassan2 –Casablanca (MAROC)

Ecole Nationale de Commerce et de Gestion, LERSEM, Université Chouaib Doukkali – El Jadida

(MAROC) [email protected] [email protected]

Résumé : L’entrepreneuriat est un des leviers stratégique pour la création des emplois et des richesses d’une nation. L’entrepreneur, figure emblématique de la théorie Schumpétérienne, est un individu innovateur et moteur de la croissance économique. Partant de là, plusieurs pays voient dans l’encouragement à la création des PME une voie stratégique prometteuse pour doper de manière permanente le tissu entrepreneurial. Le Maroc n’en est pas en reste. Des politiques d’accompagnement et d’appui à la création d’entreprises ont été mises en place pour encourager diplômés de l’enseignement supérieurs, de la formation professionnelle et les bacheliers. Il semble donc important d’œuvrer pour rendre le dispositif universitaire plus performant en termes de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des jeunes porteurs d’idées de projets. L’accent doit être mis essentiellement sur les attitudes à l’égard de la création d’entreprise, les aptitudes entrepreneuriales et l’intention des étudiants à rendre leur comportement plus performant. Théoriquement, l’article s’appuie sur la théorie de la psychologie sociale notamment la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) et le modèle de la formation de l’événement entrepreneurial (Sokol et Shapero 1982). Empiriquement, nous avons fait le choix de la méthode des équations structurelles qui permettent d’analyser les différentes relations causales du modèle conceptuel. L’approche Partial Least Square (PLS) est mise en place au lieu de l’approche Covariance Based Structural Equation Modeling (CBSEM). Les résultats montrent que le modèle de l’intention est validé dans le contexte estudiantin marocain avec une variance de 45% et des relations hypothétiques significatives entre les différentes variables du modèle. Mots clefs : Intention entrepreneuriale - Théorie du comportement planifié - Attitude à l’égard de l’entrepreneuriat - Approche PLS Abstract: Entrepreneurship is one of the strategic levers for creating jobs and wealth of a nation. The contractor, an emblematic figure of the Schumpeterian theory, is an individual

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and innovative engine of economic growth. From this, several countries are in encouraging the creation of a strategic path promising SMEs to permanently boost the entrepreneurial fabric. The Morocco is no exception. Accompanying policies and support for entrepreneurship have been implemented to encourage graduates of higher education, vocational training and graduates. It is therefore important to work to make the university system more efficient in terms of awareness, training and support for young people with project ideas. The focus should be primarily on attitudes towards business creation, and entrepreneurial skills for students to make their behavior more efficient. Theoretically, the paper uses the theory of social psychology including the theory of planned behavior of Ajzen (1991) and model of the formation of the entrepreneurial event (Shapero and Sokol 1982). Empirically, we have chosen the method of structural equations for analyzing the different causal relationships of the conceptual model. The Partial Least Squares approach (PLS) is implemented instead of the approach Covariance Based Structural Equation Modeling (CBSEM). The results show that the model is validated for the context in Moroccan student with a variance of 45% and significant hypothesized relationships between different variables in the model. Key words: Entrepreneurial intention - Theory of planned behavior - attitudes towards entrepreneurship - PLS approach

Introduction

L’entrepreneuriat est considéré comme étant l’un des leviers stratégique pour la création des emplois et des richesses au niveau d’une nation. L’entrepreneur, figure emblématique de la théorie Schumpétérienne, est un individu innovateur et moteur de la croissance économique. Partant de là, plusieurs pays voient dans l’encouragement à la création des petites et moyennes entreprises une voie stratégique prometteuse pour doper de manière permanente le tissu entrepreneurial. Le Maroc n’en est pas en reste. Des politiques d’accompagnement et d’appui à la création de PME et de TPE ont été mises en place durant la première décennie des années 200034. Les diplômés de l’enseignement supérieurs, de la formation professionnelle et les bacheliers sont la principale cible. Le début de cette première décennie marque aussi un changement radical dans l’enseignement supérieur et plus particulièrement dans l’enseignement de l’entrepreneuriat et l’intégration des modules de création d’entreprises dans pratiquement tous les enseignements universitaires alors qu’ils se limitaient aux écoles de commerce et de gestion avant la mise en place de la réforme35. De même la recherche sur l’entrepreneuriat et les méthodes pédagogiques de son enseignement sont en phase de gestation. Il semble donc important d’œuvrer pour rendre le dispositif universitaire plus performant en termes de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des jeunes porteurs d’idées de projets. L’accent doit être mis essentiellement sur les attitudes à l’égard de la création d’entreprise, les aptitudes entrepreneuriales et l’intention des étudiants à rendre leur comportement plus performant.

34 Il s’agit notamment du programme MOUKAWALATI qui a pour objectifs la création effective d’entreprises viables et la pérennisation des entreprises créées. Le programme a envisagé La création de 30.000 TPE et 90.000 emplois entre 2006 et 2008. 35 La charte nationale d’éducation et de formation et la loi 01-00 portant organisation de l’enseignement supérieur au Maroc, B.O.F N° 4800 du 1/06/2000, PAGE : 393

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Toutefois et contrairement à d’autres pays, rares sont les recherches ou études qui ont permis, à notre connaissance, d’examiner l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au Maroc (Boussetta 2003). L’Observatoire Internationale de l’Intention Entrepreneuriale des Etudiants36 ne fait référence à aucune recherche sur le cas du Maroc contrairement à ses voisins arabes (Tunisie, Algérie et Mauritanie). De même le rapport de Global Entrepreneurship Monitor37 ne fait pas référence à l’entrepreneuriat et les activités entrepreneuriales au Maroc. La présente communication consiste à présenter les résultats d’une recherche menée auprès de 302 étudiants de licence, de master (Bac+4 et Bac+5) ainsi que les étudiants ingénieurs appartenant aux établissements universitaires marocains. Théoriquement, cette communication s’appuie sur la théorie de la psychologie sociale notamment la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) et le modèle de la formation de l’événement entrepreneurial (Sokol et Shapero 1982). Empiriquement, nous avons fait le choix de la méthode des équations structurelles qui permettent d’analyser les différentes relations causales du modèle conceptuel. Avant de présenter les résultats de cette analyse, il sera question du cadre théorique et méthodologique du présent travail.

1. Cadre théorique

Plusieurs recherches se sont consacrées à la modélisation de l’intention pour prédire le comportement de l’individu. Il s’agit notamment des travaux de la psychologie sociale (Ajzen 1991, Bundura1977). Ces modèles ont été mobilisés et développés par d’autres auteurs (Krueger, Reily et Crasrud2000, Tounès, Boissin, Chollet et Emin2009) pour analyser l’intention entrepreneuriale comme étant une variable prédictive du comportement de création d’une nouvelle organisation. Nous présentons dans un premier temps les modèles de l’intention entrepreneuriale, ensuite le modèle et les hypothèses de recherche

1.1. Le modèle de l’événement entrepreneurial

Le modèle de l’événement entrepreneurial de Shapero (1982) est considéré comme étant un modèle pionnier dans le champ de l’entrepreneuriat. Depuis, d’autres auteurs ont développé et vérifié ce modèle (Krueger 1993, Krueger et al 2000) pour analyser et observer empiriquement l’intention entrepreneuriale notamment dans le milieu estudiantin38. Ce modèle accorde une place cruciale au système social et aux valeurs culturelles dans la formation de l’événement entrepreneurial39. Selon Shapero et Sokol, l’événement entrepreneurial résulte de quatre catégories de facteurs. D’abord, un contexte explicatif de l’acte entrepreneurial faisant référence aux déplacements négatifs, situations intermédiaires et aux déplacements positifs. Ensuite, les facteurs de perceptions de désirabilité et de faisabilité de l’acte entrepreneuriale. Enfin, la formation de l’intention à entreprendre. Les déplacements négatifs font allusion, à titre d’exemple, au licenciement, divorce ou insatisfaction au travail ou encore un échec dans les études qui vont pousser l’individu à passer à l’acte d’entreprendre. L’événement entrepreneurial peut alors être expliqué par un

36 http://cerag-oie.org/fr/index.php 37 http://www.gemconsortium.org 38 Les travaux de Jean-Pierre Boissin, Barthélémy Chollet et Sandrine Emin ont conduit à la constitution de l’observatoire international des intentions entrepreneuriales des étudiants (http://aims2009.cerag.org/fr/ ) 39 ‘[t]he social and cultural factors that enter into the formation of entrepreneurial events are most felt through the formation of individual value systems. More speciWcally, in a social system that places a high value on the formation of new ventures, more individuals will choose that path . . . . More diVusely, a social system that places a high value on innovation, risk-taking, and independence is more likely to produce entrepreneurial events than a system with contrasting values.’ Shapero and Sokol (1982: 83)

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changement forcé de contexte. D’un autre côté, l’obtention d’un héritage, un gain à la loterie, etc.. sont considérés comme étant des facteurs favorables ou encore des stimulus positifs. Les situations intermédiaires (between things) sont les événements qui entrainent des modifications dans les parcours de vie des individus. Elles sont à la base du déclenchement de l'événement entrepreneurial, par exemple, chez les étudiants qui obtiennent leur diplôme une école de commerce ou d’ingénieur (Tounès 2003).

Figure 1. Modèle de formation de l’événement entrepreneurial

La désirabilité perçue elle se forme par le système de valeurs des acteurs. Ce système se forge par l’influence des variables sociales et culturelles, notamment celles de la famille et des parents. Les expériences antérieures, les échecs ou encore les réussites dans des aventures sont des facteurs qui renforcent les perceptions de désirabilité. Quand à la faisabilité perçue, elle se forme sur la base des perceptions des facteurs d’appui et de soutien disponibles. Il s’agit notamment de la disponibilité des ressources financières et informationnelles et en termes de compétences notamment les enseignements dispensés dans les établissements universitaires

1.2. La théorie du comportement planifié

La notion d’intention est considérée comme le meilleur prédicateur des comportements planifiés notamment dans le cas des comportements rares et difficilement observables (Krueger, Reilly et Carsrud, 2000). La théorie comportementale peut nous permettre de comprendre le processus d’influences des variables individuelles et contextuelles sur l’intention entrepreneuriale.

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Figure 2 : Modèle du comportement planifié (Ajzen 1991,p.182)

La théorie du comportement planifié (theory of planned behavior) d’Ajzen (1991) est une théorie prédictive des comportements individuels. L’intention est au centre du raisonnement et explique le comportement Trois variables déterminantes de l’intention : les attitudes, les normes subjectives et la perception du contrôle comportementale. Les attitudes à l’égard du comportement (attitude toward the behavior) se réfèrent au degré d’évaluation favorable ou défavorable que fait l’individu du comportement souhaité. Ces attitudes dépendent fortement des résultats attendus du comportement en question (Azjen 1991). Les normes subjectives (subjective norm) résultent des perceptions que fait l’individu de son contexte social et des pressions des personnes qui lui sont proches. Il s’agit notamment de ce que ces personnes (famille et amis) pensent de l’intention de l’individu. Enfin, la perception du contrôle comportementale (perceived behavioral control) met en exergue l’importance des contraintes et des difficultés pour traduire l’intention en acte comportemental. Elle implique la perception de la disponibilité des ressources, des opportunités, des freins anticipés et des compétences nécessaires

1.3. Hypothèses de recherche

Les modèles de l’événement entrepreneurial (Shapero et Sokol, 1982) et du comportement panifié (Azjen 1991) tentent de prédire l’intention des acteurs et par conséquent leur comportement. Le premier est proposé mais rarement testé dans le domaine de l’entrepreneuriat. Le second est développé et largement validé dans le domaine de la psychologie sociale et la recherche marketing (Krueger et al2000). Nous partons de ces deux modèles que nous considérons comme étant complémentaires pour proposer, sans prétendre créer, un modèle de recherche qui fait apparaître les antécédents de l’intention entrepreneuriale: l’attitude entrepreneuriale, la faisabilité entrepreneuriale perçue et la désirabilité entrepreneuriale perçue.

Attitude à l’égard du comportement

Perceptions du contrôle comportemental

Normes subjectives

INTENTION Comportement

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H1 H4

Figure 3 : Modèle de recherche proposé (version adaptée du modèle de comportement planifié)

Le concept d’attitude très utilisé dans la recherche en psychologie sociale est largement utilisé dans les disciplines des sciences de gestion et plus particulièrement en marketing pour appréhender le comportement du consommateur et en théorie des organisations et gestion des ressources humaines pour comprendre les comportements individuels et collectifs dans les entreprises. Il fait référence à l’ensemble des sentiments, croyances et tendances relativement durables et axés vers des gens, des groupes, des idées, des problèmes ou encore des objets précis (Petty, Wengener et Fabrigar, 1997). Les différentes définitions du concept convergent vers l’idée de prédisposition à répondre envers un objet social et que cette prédisposition pourrait s’apprendre (Oullet 1978). Cette définition explicite la composante comportementale de l’attitude comme étant une prédisposition à partir d’une évaluation favorable ou défavorable de quelque chose. La deuxième composante affective souligne l’importance des sentiments, humeurs et émotions à propos d’une personne, d’une idée, d’un événement ou d’un objet. Enfin, la composante cognitive met l’accent sur les pensées, les opinions, les connaissances ou les informations de la personne. L’attitude prédit le comportement a adopter dans une situation donnée et résulte de l’interaction entre l’affectif, le cognitif et le comportemental L’attitude entrepreneuriale est définit comme étant l’attitude de l’individu à l’égard de la création d’entreprise. Elle représente le degré d’évaluation, favorable ou défavorable, qu’un étudiant a de cette création. Cette évaluation se fait sur la base des résultats attendus, de la recherche ou non de l’autonomie par le créateur et de la réalisation de soi, ainsi que la connaissance des opportunités d’affaires et la mise en œuvre de sa créativité et de sa passion à l’innovation. Elle dépend des personnes qui comptent dans l’existence de l’individu, parents, amis et membres du réseau social Les chercheurs en entrepreneuriat insistent sur d’autres facteurs qui influencent l’intention entrepreneuriale (Boissin, Emin et Chollet 2009). Il s’agit notamment de la désirabilité perçue qui fait référence à ce que l’entourage du créateur (famille, amis et ceux dont l’opinion compte pour l’individu) pense de l’acte de création (Shapero et Sokol 1982). La faisabilité perçue consiste à l’évaluation que fait le créateur de ses capacités entrepreneuriales pour pouvoir concrétiser et traduire en réalité son intention. Il s’agit de la perception du contrôle comportemental (Azjen 1991).

Faisabilité entrepreneuriale

Désirabilité entrepreneurial

Attitude entrepreneuriale

Intention entrepreneurial

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2. Méthodologie

2.1. Echantillon et méthode d’analyse

Notre recherche porte sur l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au Maroc. Nous avons interrogé environ 2000 personnes et nous avons récupéré 302 réponses, soit un taux de réponse d’environ 15%. Nous avons envoyé notre questionnaire par émail à une série de listes de contacts et nous avons utilisé le formulaire Google Documents. L’utilisation de cette méthode d’administration de notre questionnaire est justifiée par l’absence d’une base de données des étudiants universitaires au Maroc. En fin de compte, notre échantillon est un échantillon de convenance. Notre étude porte sur un échantillon d’étudiants bac+3, bac+4 et bac+5 répartis entre les établissements universitaires au Maroc : les facultés des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES), les écoles nationales de commerce et de gestion (ENCG), les écoles nationales des sciences appliquées (ENSA) et les facultés des sciences (FS). Le total des réponses collectées s’élève à 302 (Tableau 1). Cette répartition par établissement donne une idée sur la formation des étudiants interrogés. Ainsi, les sciences économiques, de gestion et le droit (FSJES et ENCG) représentent 80% de l’échantillon. Le reste est représenté par les sciences exactes et de l’ingénieur (FS et ENSA). En ce qui concerne la répartition homme/femme, 66% des répondants sont des étudiantes (femmes) et 34% sont des étudiants (hommes). Quant à la répartition des tranches d’âge. Plus de 80% des étudiants interrogés se situent dans la tranche d’âge [20-25 [ans et 13 % des étudiants se situent dans la tranche [25-30[ (Tableau 2). Nous avons choisi l’approche Partial Least Square (PLS) au lieu de l’approche Covariance Based Structural Equation Modeling (CBSEM). Cette dernière utilise l’estimation par le maximum de vraisemblance (maximum likelihood) pour minimiser la covariance de l’échantillon et celle prédite par le modèle théorique (Urbach et Ahlemann 2010). Pour analyser les réponses collectées, nous avons utilisé la méthode des équations structurelles qui se veut une méthode confirmatoire permettant la validation ou le rejet des hypothèses déduites de la littérature. Le logiciel Smart PLS est utilisé pour tester les hypothèses de recherche, le modèle de mesure et la validation du modèle structurel. L’analyse de la fiabilité et de la validité des construits est faite à l’aide du logiciel SPSS qui a permis le calcul d’alpha de Cronbagh et l’analyse en composante principale

2.2. Opérationnalisation des variables

La théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) suppose l’existence de trois variables explicatives de l’intention qui est un préalable au comportement : l’attitude à l’égard d’un comportement, le contrôle du comportement envisagé et la norme sociale. En se basant sur la littérature existante, nous proposons une adaptation des construits à notre champ d’analyse, en l’occurrence, l’intention entrepreneuriale chez les étudiants de l’université marocaine. Notre adaptation, rappelons-le porte aussi sur les hypothèses entre les différents construits. Dans ce cadre, notre modèle s’appuie largement sur celui d’Ajzen (1991) et nous supposons que l’intention des étudiants de devenir des créateurs d’entreprises s’explique par leurs attitudes à l’égard de la création d’entreprise, leur capacité à mener à bien un projet entrepreneurial et la désirabilité entrepreneuriale perçue. L’attitude à l’égard de la création d’entreprise s’explique par les croyances qu’une personne a sur le monde de l’entrepreneuriat et les perceptions des revenus qui résulteront du

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comportement adopté. Elle représente le degré d’évaluation, favorable ou défavorable, qu’une personne a du comportement concerné (Ajzen 1991). Boissin et al (2009) parlent dans la littérature francophone de l’attrait pour la création d’entreprise. Pour opérationnaliser ce construit, nous partons de la littérature existante et nous retenons 7 items (voir annexe2) avec une forte cohérence interne. Après avoir analysé l’échelle et les dimensions de l’échelle, l’analyse en composantes principales fait apparaître l’existence de trois composantes du construit de l’attitude : les motivations en termes de carrière et de situation professionnelle que l’étudiant souhaite avoir, les besoins en termes d’autonomie, de liberté dans la prise de décision et de pouvoir et enfin, la créativité et l’innovation. La faisabilité perçue évalue les perceptions individuelles en ce qui concerne la capacité de l’étudiant à créer et démarrer son entreprise. Il définit la capacité perçue par l’individu pour mettre en œuvre l’acte de création d’entreprise. Les auteurs utilisent la notion de contrôle comportementale perçu (Ajzen 1991, Krueger et al 2000) ou encore d’efficacité personnelle perçue (Bandura 1977, 1982, 1994). Le construit est mesuré à l’aide d’un seul item (Boissin et al, 2009) : « si vous le deviez, pensez-vous être capable de créer votre entreprise ? » sur une échelle allant de « pas du tout capable » à « tout à fait capable ». La capacité entrepreneuriale perçue est mesurée par 6items faisant référence aux difficultés liées à la création, au niveau de maitrise des étapes du processus et la détermination de l’individu à mettre en œuvre l’acte entrepreneurial. La désirabilité perçue est le troisième construit prédictif du comportement en question (Shapero et Sokol 1982). Certains auteurs (Ajzen 1991, Krueger et al 2000, Boissin 2009) utilisent le concept de norme sociale. Celui-ci se réfère à l’entourage social de l’individu (famille, amis,..) et l’opinion que chaque groupe aurait concernant son engagement dans la création d’entreprise (Boissin et al 2009). Trois items sont utilisés : (1) les membres de la famille qui me sont proches pensent que je serais un entrepreneur, (2) mes amis les plus proches pensent que je serais entrepreneur et (3) les gens qui sont important pour moi pensent que je serais un entrepreneur. Pour évaluer l’intention entrepreneuriale des étudiants, une première question fermée est posée : Avez-vous une idée de création d'entreprise? (oui/non). Il faut préciser que le fait de répondre « Non » ne signifie pas forcément l’absence de l’intention. La question porte sur l’idée et permet de constater que 74,6% des étudiants ont une idée de création d’entreprise. Une deuxième question est portée sur la probabilité de création d’entreprise par l’individu durant les années prochaines (au cours de l’année prochaine, 5 prochaines années et dans cinq ans et plus). Les répondant considèrent que la probabilité de créer leur entreprise durant l’année prochaine est très faible (76,6%) et forte dans cinq ans et plus (66,4%). Les autres indicateurs sont utilisés pour mesurer la force de l’intention et le degré de séduction et de sérieux dont l’acte entrepreneurial est pris en compte (voir items dans l’annexe 2). Précisons que Kolvereid (1996) propose de mesurer l’intention en tenant compte de l’alternative professionnelle : salariat/entrepreneuriat. Nous avons retenu cette logique pour voir dans quelle mesure les étudiants interrogés sont attirés par la création d’entreprise40. 50,3% des interrogés considèrent que la création d’entreprise comme étant une option professionnelle très attractive, 16,2% voient dans cette option comme étant plutôt attractive et 18,8% comme étant attractive.

40 Parmi les options professionnelles suivantes, laquelle qui vous attire le plus? (échelle de 1 à 5, pas du tout attractive à tout à fait attractive)

- Un emploi dans une entreprise privée - Un emploi dans une administration publique/ fonction publique - Création de votre propre entreprise

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3. Modèle et test d’hypothèses

Pour tester le modèle et les hypothèses de recherche, nous suivons la méthodologie habituellement utilisée dans les recherches et les études mobilisant l’approche PLS. Nous faisons référence essentiellement aux recommandations de Haenlein et Kaplan (2004) et Bruhn, Georgi et Hadwitch (2008) : (1) examiner les caractéristiques générales des variables du modèle et plus particulièrement le niveau des corrélations et leur significativité, (2) s’assurer de la validité du modèle de mesure et (3) tester le modèle structurel par la mise à l’épreuve des hypothèses formulées.

3.1. Validation du modèle de mesure Appelé aussi modèle externe (outer model), le modèle de mesure représente les relations linéaires supposées entre les variables latentes et les variables manifestes (Annexe 1). Le modèle de mesure résulte de l’analyse factorielle confirmatoire (AFC) et permet d’observer que chaque variable latente est reliée par un lien qui indique la contribution factorielle estimée par l’AFC (Tableau 4). Les contributions factorielles des items sont fortement liés au construit qu’elles mesurent. Ces indicateurs représentent les items du questionnaire qui ont fait l’objet de développements théorique et empirique. La validation du modèle de mesure nécessite l’examen des critères de la fiabilité et la validité des échelles utilisées. La fiabilité est habituellement analysée par le recours au coefficient de consistance interne α de Cronbach, (Cronbagh, 1951) qui se calcule sur la base des corrélations entre les indicateurs de mesure. Elle définit la qualité d’un instrument de mesure qui, appliqué plusieurs fois à un même phénomène, doit donner les mêmes résultats » (Evrard, Pras et Roux 1993, p. 586). Les méthodes d’équations structurelles proposent un autre indicateur, le rhô de Joreskog, comme étant une autre alternative intéressante parce qu’il est moins sensible au nombre d’items analysés (Didellon et Valette Florence 1996, cité par Gurviez et Corchia 2002, p.11). Le coefficient ρc de Composite Reliability (CR) prend en compte les différentes contributions factorielles des indicateurs de mesure (Henseler, Ringle et Sinkovics, 2009). Les deux coefficients sont interprétés de la même manière. L’examen des coefficients de fiabilité interne, α de Cronbagh et Composite reliability (ρc), des échelles de mesure montrent que le seuil de 0,8 ou 0,9 exigé par les spécialistes en méthodologie de recherche est atteint41. De même, la fiabilité de chaque item doit être mesurée par la part de variance qu’explique la variable latente pour chaque indicateur. Cette part doit être supérieure à 50%. Le rapport de SmartPLS (Cross Loading ou Outer Loadings) montre que la part de la variance expliquée par les variables latentes pour chacun des items est supérieure à 0,5 (Tableau 4), les relations entre chaque variable latente et les variables manifestes la mesurant sont significatives au seuil de 5% (T-value>1,96). En ce qui concerne la validité, elle indique le degré selon lequel un instrument de mesure parvient à mesurer le construit auquel il renvoie (Baggozi 1981). Quatre formes de validité sont souvent distinguées par les spécialistes en méthodologie de recherche : (1) la validité de contenu, (2) la validité de trait (la validité convergente et la validité discriminante), (3) la

41 The composite reliability takes into account that indicators have different loadings, and can be interpreted in the same way as Cronbach’s alpha. No matter which particular reliability coefficient is used, an internal consistency reliability value above 0.7 in early stages of research and values above 0.8 or 0.9 in more advanced stages of research are regarded as satisfactory (Nunnally&Bernstein,1994), whereas a value below 0.6 indicates a lack of reliability ((Henseler, Ringle et Sinkovics, 2009, p.299)

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validité prédictive et (4) la validité nomologique. Le choix de l’approche PLS nous permet de nous limiter la validité convergente et la validité discriminante (Urbach et Ahlemann 2010). La validité convergente vérifie si les items qui sont censés mesurer la même variable sont corrélés (Evrard et al, 1993). Elle mesure la quantité de variance qu’une variable latente capture de ses indicateurs par rapport aux erreurs de mesure. Pour évaluer la validité convergente, Fornell et Larcker (1981) proposent deux critères : les contributions factorielles de chaque indicateur doit être significatif et supérieur à 0,5 (Tableau 4) et la variance de la variable doit être davantage expliquée par les indicateurs qui la mesurent que par l’erreur. Cette dernière condition est vérifiée par l’AVE qui doit être supérieur à 0,5 (Tableau 4). L’AVE est la moyenne au carrée des contributions factorielles d’un bloc d’indicateurs pris séparément. Il mesure le montant de la variance capturée par le construit de ses indicateurs par rapport aux erreurs de mesure. Les résultats montrent que les contributions de tous les items sont fortement corrélés avec les construits qu’ils mesurent (supérieures à 0,5) et le seuil de l’AVE est aussi respecté (Tableau 4). La validité convergente est donc vérifiée. L’AVE est aussi conçu pour être utilisé comme un outil d’évaluation de la validité discriminante. La validité discriminante signifie que les variables qui sont différentes théoriquement sont aussi différentes empiriquement La racine carrée de l’AVE doit être supérieur aux corrélations du construit avec les autres (Barclay, Higgins et Thompson 1995). Cette situation indique que la variance partagée entre les items et le construit qu’ils mesurent est supérieure à celle partagée avec les autres construits. Les contributions factorielles (cross loading) des items censés mesuré un construit doivent être supérieures à celles des autres construis (Chin 1998, Urbach et Ahlemann 2010). Le tableau 5 présente les valeurs AVE dans la diagonale de la matrice des coefficients de corrélation. La validité discriminante est alors vérifiée et les construits sont différents les uns des autres dans le modèle de mesure. Globalement, les résultats issus de PLS algorithm permettent de conclure que les critères de validation du modèle de mesure sont vérifiés. En effet, les coefficients de composite reliability pour évaluer la consistance interne des échelles de mesure sont tous supérieurs à 0,80. Les validités convergente et discriminante respectent largement les seuils retenus par les chercheurs : AVE supérieur à 0,5, racine carrée de l’ave est supérieure aux corrélations entre variables latentes et les contributions factorielles des items dépassent 0,50.

3.2. Modèle structurel et test d’hypothèses Appelé aussi modèle interne (inner model), le modèle structurel représente les relations entre les variables latentes explicatives et les variables latentes expliquées. La validation du modèle structurel examine les coefficients de détermination R2, la significativité des coefficients de régression en utilisant les T-Student. Le coefficient de détermination permet d’avoir une idée générale de l’ajustement du modèle. Il mesure la part de la variance de la variable latente endogène expliquée par la régression. Pour avoir un pouvoir explicatif suffisant, les valeurs R2 doivent être suffisamment élevées. Les valeurs proches de 0,670 sont substantielles. Elles sont moyennes lorsque R2 = 0,333 et faibles lorsqu’elles sont inférieures à 0,19 (Chin 1998). Le modèle structurel montre que la part de la variance de l’intention entrepreneuriale expliquée par la régression est de 45,5%. Les coefficients de régression entre les variables latentes mesurent l’importance de la relation causale. Certains auteurs (dont Huber et al 2007, cité par Urbach et Ahlemann 2010, p21) proposent que le coefficient de régression soit supérieur à 0,1. La signification d’une relation causale est testée à l’aide des valeurs T.

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Figure 4 : Modèle structurel de l’intention entrepreneuriale des étudiants

Les valeurs T-student permettent de tester la signification de ces relations causale. Dans l’approche PLS, elles sont calculées suivant une procédure de re-échantillonage (resampling) appelée Bootstrap. L’examen des résultats obtenus permet de conclure que toutes les regressions sont significatives au seuil de 5% par ce que les valeurs de T-statistic dépassent 1,96. Le tableau suivant récapitule les coefficients de régression entre les variables latentes sur la base de l’échantillon original, les coefficients de régression en utilisant la technique de bootstrap et les valeurs de T. ce qui permet de conclure que les régressions sont significatives et donc les hypothèses sont retenues. 3.3 Discussion Les résultats de cette recherche permettent de valider le modèle explicatif de l’intention entrepreneuriale au travers l’attitude des étudiants à l’égard de la création d’entreprises, leurs capacité à mettre en œuvre des idées de projets et l’influence du contexte. Il est intéressant de souligner le caractère exploratoire de cette recherche dans la mesure où il n’existe pas à notre connaissance des travaux sur l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au Maroc. Des recherches similaires ont été faites en Tunisie (Aliouat et Ben Cheikh 2009), en France (Boissin, Branchet, Benredjem et Schaaper 2009 ; Boissin, Cholle, Emin 2009 ; Tounès 2006), et dans d’autres pays. A l’instar de ces recherches nous nous basons aussi sur les modèles de l’intention développés dans la psychologie sociale. Certains résultats semblent très importants à discuter. Nous commençons d’abord par les statistiques descriptives de la variable intention qui montrent que 93% considèrent que la création d’entreprise est au moins une idée séduisante. Environ 68% des répondants pensent sérieusement à l’idée. 70% supposent que la probabilité de création durant l’année prochaine est très faible alors qu’elle est forte voir très forte dans les cinq prochaines années. Ce qui peut être expliqué par le besoin d’une expérience professionnelle dans le domaine de l’entreprise avant de se lancer dans l’affaire. L’entrepreneuriat est aussi considéré comme un choix professionnel. 35% sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord sur la création d’entreprise comme un objectif professionnel. Finalement, on peut considérer que les étudiants universitaires au Maroc constituent un vivier d’entrepreneurs potentiel. La part des étudiants qui ont une idée de création d’entreprise est de 74,6%.

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Cette intention s’explique essentiellement par la capacité de l’étudiant à entreprendre. En effet, le poids de cette variable dans l’explication de l’intention est remarquable avec un γ = 0, 445 (Tableau 6). Rappelons que la capacité entrepreneuriale fait référence à la faisabilité perçue développée par Shapero et Sokol (1982) et Krueger et al (2000). Ce résultat est similaire à celui obtenu par Krueger et al (2000) et, Aliouat et (Ben Cheikh 2009) dans le contexte tunisien. Dans toutes ces recherches, la faisabilité apparaît comme le déterminant principal de l’intention. Cette capacité a un effet positif sur l’opinion de l’environnement social (famille, amis,..). Cette opinion est favorable à la création d’entreprise dans 70% des cas. Autrement dit, plus la capacité entrepreneuriale de l’étudiant est forte, plus l’opinion de son entourage social est favorable à l’idée de création. La faisabilité a donc un effet positif sur la désirabilité γ= 451 (Tableau 6). Cette opinion du contexte social à un poids positif dans l’explication de l’intention avec γ=0,242 et T=2,63. La relation entre la désirabilité perçue et l’intention est donc significative. La capacité entrepreneuriale des étudiants influencent aussi leur attitude à l’égard de la création d’entreprise γ=0,279. Les statistiques descriptives montrent, globalement, l’existence d’une attitude favorable. Celle-ci dépend de la capacité d’entreprendre et s’explique par la recherche de l’autonomie, du pouvoir et la réalisation de ses objectifs et son potentiel de créativité. Toutefois, la régression de l’intention sur l’attitude présente un coefficient faible ((γ= 0,148) malgré la signification de cette relation (T=2,68). Au total, le modèle structurel montre que l’intention de créer une entreprise est fortement corrélée à l’attitude à l’égard de la création, la capacité entrepreneuriale et la désirabilité. 45 % de la variance de l’intention sont expliqués par le modèle. Toutes les relations hypothétiques du modèle sont significatives au seuil de 5% (T-statistics du tableau 6). Les poids de la faisabilité perçue et de la désirabilité sont plus forts que celui de l’attitude. Un des apports les plus importants est l’exploration de l’entrepreneuriat des étudiants dans le contexte marocain. Certes, l’approche est confirmatoire des modèles testés des comportements planifiés et de l’événement entrepreneurial. Il n’en reste pas moins que certaines relations mises en exergue dans cette recherche et rarement prises en comptes dans les travaux antérieurs. Il s’agit notamment de l’influence positive de la capacité entrepreneuriale sur l’attitude et la désirabilité. Ce résultat peut avoir des implications fortes sur la politique universitaire en matière d’entrepreneuriat. Il s’agit notamment de la mise en place des enseignements permettant le renforcement de la capacité entrepreneuriale des étudiants pour influencer positivement42. Comme le souligne Boissin et al (2009, p.4), « il paraît nécessaire d’imaginer des enseignements susceptibles d’agir directement sur l’attrait de la création d’entreprise. En d’autres termes, les enseignements doivent certes fournir des compétences, mais ils doivent également être en mesure de faire de la création d’entreprise, de l’entrepreneuriat un choix de carrière attractif, désirable, pour l’étudiant ».

42 Dans le but de renforcer les compétences entrepreneuriales de ses étudiants, l’université Hassan II de Casablanca met en place un module entrepreneuriat pour toutes les formations universitaires

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Conclusion En guise de conclusion de cette communication, le modèle de l’intention entrepreneuriale est validé dans le contexte estudiantin marocain. Comme les autres les recherches dans le domaine, la question qui se pose à présent est de savoir combien d’étudiants qui passe à l’action c'est-à-dire ceux qui transforment leur intention en comportement effectif. D’autres questions qui méritent aussi d’être analysé, il s’agit notamment du rôle modérateur de certaines variables contextuelles tels que l’environnement juridique et économique du créateur, son acception au risque etc.. Les résultats de cette recherche ne doivent pas passer sous silence certaines limites de notre travail. Il s’agit en premier lieu de la méthode d’échantillonnage. En effet, en l’absence de base de données des étudiants universitaires, le choix d’un échantillon de convenance est utilisé. La représentativité de l’échantillon est une autre limite. Certaines universités malgré leur poids dans la carte géographique nationale ne sont pas prises en compte43. La deuxième limite est relative à l’intention entrepreneuriale qui ne doit pas être confondue avec l’acte entrepreneurial. L’intention ne signifie pas forcément la création d’entreprise qui ne doit pas être, à son tour, confondu avec l’entrepreneuriat. Bibliographie AJZEN I. (1991), “The theory of planned behavior”, Organizational and Human Decision Processes n°50, p.179-211. ARLOTTO J., BOISSIN J-P., MAURIN S. (2007), « L’intention entrepreneuriale des étudiants Grandes Ecoles / Universités : un faux débat ? », 5ème Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat Sherbrooke, 3-5 octobre 2007. BANDURA A. (1977), « Self-efficacy : toward a unifying theory of behavioural change”, Psychological reviw, vol 84, n°2, p.191-215. BOISSIN J-P., BRANCHET B., BENREDJEM R., SCHAAPER J. (2009), « Comparaison des intentions entrepreneuriales des étudiants : France – Pays arabes », Centre d’Etudes et de Recherches d’Appliquées à la Gestion, Cahier de recherche, n°2009-30 E4 . BOISSIN J-P., CHOLLET B., EMIN S. (2009), « Les déterminants de l’intention de créer une entreprise chez les étudiants : un test empirique », M@n@gement, vol 12 n°1, p.28-51. BOUSSETTA M. (2003), « Formation à la culture entrepreneuriale : l’expérience de l’Ecole Doctorale de Gestion de l’ Université de Rabat –Agdal au Maroc », disponible en ligne : http://web.hec.ca/airepme/images/File/agadir/Boussetta%20D.pdf ALIOUAT B, BEN CHEIKH A. (2009), « Les déterminants environnementaux de l’intention de créer une start-up en TIC : cas des ingénieurs tunisiens », 6ème Congrès de l'Académie de l'Entrepreneuriat, 19-20 et 21 novembre 2009 - Sophia Antipolis. CHIN W., (1998), “The partial Least Square approach to structural equation modelling”, In Modern Methods for Business Research, Marcoulides,G.A (ed.), Lawrence Erlbaum Associates, Mahwah, NJ, p.1295-1336. GUDERGAN S., RINGLE C., WENDE S., WILL A. (2008), “Confirmatory tetrad analysis in PLS path modelling”, Journal of Business Research, doi:10.1016/j.jbusres.2008.01.012. HAENLEIN M., KAPLAN A. (2004), « A Beginner’s Guide to Partial Least Squares Analysis”, Understanding Statistics, vol3 n°4, p.283–297. 43 L’université Caddi Ayyad de Marrakech et l’université Sidi Mohammed Ibn Abdillah de Fès

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HENSELER J., RINGLE C-M., SINKOVICS R-R. (2009), “The Use of Partial Least Squares Path Modeling in International Marketing”, In Sinkovics, R. R., Ghauri, P. N. (Eds.), Advances inInternational Marketing. Bingley: Emerald, p. 277-320. KOLVERIED I. (1996), “Prediction of employment status choice intention”, Entrepreneurship Theory and Practice, p.47-56. KRUEGER N-F., REILY M-D., CRASRUD A-L (2000), “Competing models of entrepreneurial intentions”, Journal of Business Venturing, vol. 15, p. 411-432. KRUEGER F., Crasrud A-L. (1993), “Entrepreneurial intentions: Applying the theory of planned behaviour”, Entrepreneurship and Regional Development, vol. 5, p. 315-330. OUELLET A. (1978), «Analyse du concept attitude : du concept théorique au concept opératoire», Revue des sciences de l'éducation, vol 4, n°3, p. 365-374. SHAPERO A., SOKOL L. (1982), “The social dimensions of entrepreneurship». In Kent, C., Sexton, D., Vesper, K. (eds.) The Encyclopedia of Entrepreneurship, Englewood Cliffs, NJ. Prentice-Hall, p.72 – 90. TOUNES A. (2006), « L’intention entrepreneuriale des étudiants : le cas français ». La Revue des Sciences de Gestion, vol3 n°219, p. 57-65.

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Appendix

Tableau 1 : Répartition de l’échantillon selon l’établissement

Etablissement FSJES ENCG ENSA FS Autres Total

Effectif (N) 94 149 48 10 1 302

Pourcentage (%) 31,13 49,34 15,89 3,31 0,33 100

Tableau 2: L’âge des répondants

Age [15-20[ [20-25[ [25-30[ 30 et plus TOTAL

Effectif (N) 94 149 48 10 1

Pourcentage (%) 31,13 49,34 15,89 3,31 0,33

Tableau 3 : Répartition géographique de l’échantillon

Ville Oujda El Jadida Casablanca Tanger Agadir Rabat Settat Autres Total

Effectif 108 80 45 25 16 12 10 6 302

En % 35,76 26,49 14,90 8,28 5,30 3,97 3,31 1,99 100

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Tableau 4: Contributions factorielles des indicateurs de mesure, validité et fiabilité des échelles

Attitude

Capacité

Désirabilité

Intention

Fiabilité (ρ

c )

Fiabilité (α)

AV

E

ATENTR48 0,789 0,198 0,178 0,337

ATENTR49 0,690 0,163 0,112 0,249

ATENTR50 0,680 0,172 0,072 0,208

ATENTR51 0,735 0,186 0,116 0,193 0,89 0,86 0,51

ATENTR52 0,742 0,245 0,189 0,279

ATENTR54 0,728 0,209 0,169 0,239

ATENTR55 0,662 0,180 0,186 0,201

ATENTR79 0,655 0,210 0,281 0,315

CAPEN311 0,118 0,675 0,299 0,315

CAPEN312 0,305 0,802 0,414 0,610

CAPEN313 0,164 0,799 0,320 0,447 0,84 0,77 0,52

CAPEN314 0,030 0,613 0,197 0,236

CAPEN316 0,260 0,683 0,320 0,419

DESEN231 0,235 0,385 0,816 0,416

DESEN232 0,158 0,406 0,870 0,421 0,88 0,79 0,70

DESEN233 0,206 0,337 0,827 0,384

INTEN521 0,331 0,384 0,308 0,700

INTEN531 0,311 0,502 0,429 0,812

INTEN552 0,307 0,480 0,452 0,840

INTEN553 0,234 0,445 0,406 0,813 0,93 0,92 0,67

INTEN554 0,355 0,590 0,412 0,873

INTEN555 0,246 0,505 0,415 0,842

INTEN556 0,301 0,531 0,349 0,831

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Tableau 5 : Corrélations entre les construits et évaluation de la validité discriminante

Attitude Capacité Désirabilité Intention

Attitude 0,711960

Capacité 0,278447 0,718734

Désirabilité 0,237850 0,450959 0,838476

Intention 0,365238 0,605092 0,486581 08179352

Tableau 6 : Les relations hypothétiques

Original Sample

Sample Mean

Standard Deviation

Standard Error

T Statistics

Attitude -> Intention 0,183790 0,201502 0,076503 0,076503 2,402376

Capacité -> Attitude 0,278447 0,321158 0,113549 0,113549 2,452215

Capacité -> Désirabilité 0,450959 0,464277 0,078145 0,078145 5,770789

Capacité -> Intention 0,444622 0,434389 0,084000 0,084000 5,293117

Désirabilité -> Intention 0,242360 0,245068 0,092134 0,092134 2,630517

Annexe 1 : Modèle de mesure

Annexe 2: Les items du modèle

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Capacité entrepreneuriale

Dans quelle mesure êtes-vous d'accord avec les énoncés suivants au sujet de votre capacité de créer votre entreprise? (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)

CAPEN311: Démarrer une entreprise serait facile pour moi

CAPEN312: J'ai une forte détermination pour démarrer mon entreprise

CAPEN313: Je peux contrôler le processus et les étapes de création d'une nouvelle entreprise

CAPEN314: Je maitrise tous les détails pratiques nécessaires pour démarrer une entreprise

CAPEN316: Si je vais démarrer une entreprise, c'est que je sais que j'aurais une très forte probabilité de réussir

Désirabilité entrepreneuriale

Indiquez votre degré d'accord ou de désaccord avec les énoncés suivants: *

(1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)

DESEN231 : Les membres de la famille me sont proches et pensent que je serais un entrepreneur

DESEN232 : Mes amis les plus proches pensent que je serais entrepreneur

DESEN233 : Les gens qui sont important pour moi pensent que je serais un entrepreneur

Attitude entrepreneuriale

Indiquer votre degré d'accord ou de désaccord sur l'importance des facteurs suivants dans la décision de créer votre propre entreprise (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)

ATENTR48 : être votre propre chef

ATENTR49 : être libre

ATENTR50 : être autonome dans le travail

ATENTR51 : être en mesure de choisir vos propres tâches

ATENTR52 : avoir le pouvoir de prendre les décisions

ATENTR54 : réaliser ses rêves

ATENTR55 : créer quelque chose de nouveau

ATENTR79 : mettre en œuvre votre créativité

Intention entrepreneuriale

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INTEN521 : Selon vous, la création d'entreprise est une idée (de 1 à 5) (1: Pas du tout séduisante, 2: Plutôt pas séduisante, 3: Séduisante, 4: Plutôt séduisante, 5: Tout à fait séduisante)

En prenant en compte votre situation actuelle, indiquez votre degré d'accord ou de désaccord avec les énoncés suivants (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)

INTEN551: Je suis prêt à faire n'importe quoi pour être entrepreneur

INTEN552: Mon objectif professionnel est de devenir entrepreneur

INTEN553: Je vais tout faire pour créer et gérer ma propre entreprise

INTEN554 : J'ai une forte détermination de créer une entreprise dans le futur

INTEN555: J'ai très sérieusement pensé à démarrer une entreprise

INTEN556: J'ai la ferme intention de démarrer une entreprise un jour

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La problématique de légitimité d’une jeune entreprise dans un champ émergent

Amira LAIFI Professeur de Stratégie Ecole de Management

Normandie

[email protected] Résumé : L’objectif de cette communication est de caractériser le processus par lequel une jeune entreprise opérant dans un champ émergent acquiert une légitimité. Cette recherche s’appuie sur l’étude du cas Cyberlibris, un jeune acteur du champ du livre électronique, un champ naissant susceptible introduire une rupture au sein du champ du livre. A travers le cas Cyberlibris nous tentons de restituer le processus de légitimation d’une nouvelle entreprise. Ce cas permet en effet, de mettre en avant des arbitrages que les managers des jeunes entreprises innovantes font entre management symbolique et management substantif de la légitimité. Il met également en exergue la manière dont les dimensions symboliques et substantives de la légitimité s’articulent à travers le temps. Mots clés : légitimité, symbolique, substantive, jeune entreprise, champ émergent, Abstract: The objective of this communication is to explain the process in which a young company in an emerging field acquires legitimacy. This research focuses on Cyberlibris a young actor in the electronic book field which is a current threat of the book/publishing sector. Through the case of Cyberlibris we attempt to explain the legitimization process of a new company and underscore the choices made by managers between symbolic and/or substantive management of legitimacy. The manner in which symbolic and substantive dimensions of legitimacy interact over time is also addressed. Keywords: legitimacy, symbolic, substantive, young company, emerging field

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Introduction

Le milieu des années 1990 a connu un renouveau des travaux sur la légitimité, largement porté par l’institutionnalisme et le néo-institutionnalisme. Jusqu'alors abordée selon une vision de conformité, d’adéquation et de stabilité, la légitimité a cette fois-ci été approchée sous un autre angle : celui du changement planifié, de la perturbation et de la non-conformité (DiMaggio et Powell, 1991 ; Oliver, 1991 ; Fligstein, 1997 ; Lawrence et al. 2002 ; Greenwood et Suddaby, 2006). Dans la même veine, certains travaux portant sur la conduite du changement et sa légitimation par les jeunes entreprises se sont développés (Starr et McMillan, 1990 ; Aldrich et Fiol, 1994 ; Hunt et Aldrich, 1996 ; Zimmerman et Zeitz, 2002 ; Dobrev et Gotsopoulos, 2010 ; Navis et Glynn, 2010). Une des conclusions des premiers travaux consiste à dire que les entreprises enracinées dans un champ acquièrent une légitimité au moins en raison de leur profitabilité soutenue. Qu’en est-il des jeunes entreprises ? Les jeunes entreprises souffrent d’un accès difficile aux ressources. Les adeptes de l’approche institutionnelle postulent que la capacité d’une organisation à fédérer des acteurs et mobiliser des ressources dépend de son ‘‘capital légitimité’’. La légitimité est un facteur motivant et incitant les acteurs à soutenir une entreprise et à lui apporter des ressources nécessaires à son développement et à sa survie. La nouveauté est un handicap à la légitimité (Hunt et Aldrich, 1996) et paradoxalement, elle est un remède à la nouveauté (Starr et McMillan, 1990). La légitimité est une ressource qui fait défaut à une nouvelle entreprise (Navis et Glynn, 2010 ; Dobrev et Gotsopoulos, 2010), mais que cette dernière doit acquérir pour réussir à obtenir l’approbation de parties externes. Une nouvelle organisation est une entreprise indépendante qui n’a pas d’histoire ni dans le champ dans lequel elle évolue ni au sein d’autres champs. Un autre élément la définissant est le caractère nouveau de son activité (Aldrich et Fiol, 1994).

La légitimité est primordiale et vitale. La théorie institutionnelle, suppose que la rationalité limitée et l’incertitude sont des invariants des sociétés et du monde des affaires. Les acteurs sont souvent dans l’incertitude quant à l’aboutissement d’une action : s’agit-il de la meilleure alternative pour atteindre les objectifs fixés ? Est-ce la seule façon de procéder ? L’objectif ciblé est-il le meilleur ? Pour faire face à une telle incertitude, les acteurs sociaux se réfèrent aux règles, normes, valeurs et modèles développés et renforcés par des systèmes sociaux et perçus comme légitimes. Qu’en est-il lorsque le cadre institutionnel est fragile voire inexistant ou lorsque des entités émergent et sont non conformes à un ordre existant, le mettent en danger et/ou menacent sa légitimité ?

L’objectif de cette communication est d’analyser et comprendre la manière dont une jeune entreprise évoluant dans un champ naissant construit son capital légitimité. Pour ce faire nous nous sommes appuyés sur une étude qualitative menée entre 2005 et 2009. Cette étude a porté sur un cas unique : celui de Cyberlibris, une jeune entreprise opérant dans le champ du livre électronique, un champ émergent au sein de l'industrie du livre.

Dans une première partie théorique, la nouveauté comme handicap à la légitimité et les dimensions de légitimité sont mises en avant. Dans une deuxième partie la méthodologie et le terrain d’étude sont présenté. Ensuite dans une dernière partie le processus de légitimation est restitué.

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1. De la nouveauté à la question de la légitimité : une approche théorique

Il est désormais admis que les nouvelles entreprises ont un taux de mortalité plus élevé que les entreprises établies. D’ailleurs, pour un ensemble de ces entreprises le moment d’entrée aggrave le handicap de la nouveauté. En effet, les entreprises qui entrent très tôt dans un marché émergent, souffrent du désavantage du « first mover » (Robinson et Min, 2002 ; Liberman et Montgomery, 1998). Ainsi, l’échec de ces organisations semble intimement lié au défaut de légitimité inhérent à la jeunesse de l’organisation et au caractère émergent du champ dans lequel elles opèrent.

La légitimité est l’expression d’‘‘une acceptation normative de la droiture [d’une organisation], une reconnaissance qu’[elle] est raisonnable et impartiale, une perception qu’[elle] est désirable, convenable et appropriée’’ (Brown, 1998 : 38). Une organisation est considérée légitime si ses fins et moyens sont conformes aux normes, valeurs et attentes sociales (Dowling et Pfeffer, 1975). L’efficacité et les performances économiques ne sont de ce fait pas suffisantes pour conférer une légitimité à une organisation. La légitimité est accordée par une audience externe (Boyd, 2000) qui se fonde sur des dimensions pragmatiques et/ou socioculturelles (Suchman, 1995). C’est une ressource qui permet l’attraction d’autres ressources (Zimmerman et Zeitz, 2002).

1.1. La nouveauté d’une organisation : une entrave à la légitimité Les jeunes entreprises ont besoin de ressources auprès de leurs environnements. Les ressources mobilisées affectent le design des jeunes entreprises et peuvent conduire au développement d’une structure organisationnelle inappropriée pour soutenir la croissance future (Dobrev et Gotsopoulos, 2010). Zimmerman et Zeitz (2002) considèrent qu’au final, le facteur motivant et incitant des acteurs externes à soutenir une jeune entreprise44 et à lui apporter des ressources consiste en leur croyance (belief) : un sentiment leur prédisant si l’entreprise est compétente, efficace, efficiente, digne de confiance, appropriée et indispensable. Une entreprise récemment créée doit ainsi se montrer légitime (Starr et McMillan, 1990), notamment auprès de ces acteurs en mesure de lui apporter les ressources qui lui sont nécessaires. Ses performances économiques et ses objectifs sont fortement corrélés au crédit dont elle bénéficie auprès de ces parties. La légitimité permet de faire face à l’handicap de la nouveauté qui est un important facteur d’échec des jeunes entreprises (Hunt et Aldrich, 1996).

Le passé de l’organisation figure parmi les facteurs qui contraignent son accès à la légitimité. D’après Stinchcombe (1965), une organisation récemment créée pâtit d’un déficit de légitimité. L’absence d’un passé qui pourrait témoigner de la performance d’une jeune entreprise est l’un des facteurs susceptibles d’entrainer un manque de confiance chez les clients, les fournisseurs, les distributeurs, les investisseurs, les autorités … qui douteraient de la survie même de l’organisation et qui par voie de conséquence ne seraient pas motivés à travailler avec. Sur un plan économique et social, une jeune entreprise est désavantagée par rapport à celles en place. D’après Zimmerman et Zeitz (2002), les performances passées des organisations enracinées peuvent souvent leur offrir une légitimité. La société juge une organisation appropriée en partie parce qu’elle a réalisé de bonnes performances dans le

44 Nous désignons par jeune entreprise, une entreprise indépendante, non abritées par une organisation puissante. Ces jeunes entreprises ne peuvent pas compter sur des organisations existantes pour les parrainer et leur procurer une légitimité externe (Aldrich et Fiol, 1994).

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passé. Toutefois, les traces des performances économiques et sociales d’une entreprise récemment créée sont limitées ou inexistantes. De même, les ressources relationnelles d’une jeune entreprise sont souvent médiocres, au mieux modestes. Or, c’est cet aspect relationnel qui, entre autres, va permettre à l’entreprise de prendre conscience et de s’approprier valeurs, normes, croyances et systèmes symboliques en tant que supports de la légitimité morale et cognitive.

1.2. La nouveauté du champ : une entrave à la légitimité Créer une nouvelle entreprise est une initiative risquée, le risque est particulièrement élevé lorsque l’activité de l’organisation n’a pas d’antécédents (Dobrev et Gotsopoulos, 2010). En plus des difficultés auxquelles une entreprise récemment créée doit faire face, les fondateurs d’un nouveau champ doivent soulever des capitaux auprès de parties sceptiques, recruter du personnel novice, non formé etc. Les pionniers d’un champ émergent, pendant les premières années de leur existence, sont confrontés à un ensemble de défis différents de ceux des jeunes entreprises évoluant dans des secteurs établis. Du point de vue de la théorie institutionnelle, les entrepreneurs d’un champ en phase de formation évoluent, au mieux dans un vide institutionnel favorisant une magnanimité et une indifférence de l’audience, au pire dans un environnement hostile imprévisible quant aux actions individuelles (Aldrich et Fiol, 1994). La légitimité d’une nouvelle organisation est affectée par la récence de son âge mais également par le caractère nouveau du champ dans lequel elle évolue et par la légitimité de ce champ (Navis et Glynn, 2010). Le développement et l’affirmation d’une industrie sont largement conditionnés par le facteur légitimité, même s’il ne s’agit pas du seul facteur déterminant la stabilité et la croissance d’un champ. Plusieurs variables peuvent expliquer le succès d’une industrie, reste que la légitimité n’est pas évaluée à sa juste valeur, le rôle qu’elle joue dans le développement d’un champ et de ses acteurs est resté sous-estimé (Aldrich et Fiol, 1994).

Les années de formation d’un nouveau champ, secteur, marché, ou d’une nouvelle technologie sont caractérisées par un vide de légitimité qui réduit les chances de survie des organisations dans l’industrie. Une nouvelle entreprise créée dans un espace social institutionnellement méconnu, se retrouve dépassée par un « désavantage composé » constitué de sa jeunesse et de la nouveauté de son champ. Etre à la fois jeune et différent accentue l’incertitude à laquelle les décideurs sont confrontés. Dans un contexte de vide de légitimité, l’accès aux ressources est donc limité même si elles ne sont pas rares (Dobrev et Gotsopoulos, 2010). Dobrev et Gotsopoulos soulignent que les chances qu’une jeune entreprise déploie et utilise les ressources de manière cohérente ne peuvent être qu’aléatoires ceci détermine la capacité de l’organisation à les mobiliser. L’organisation doit respecter les attentes des acteurs externes non seulement en se conformant à leurs intérêts et objectifs mais aussi en se conformant à la manière dont les ressources seront déployées afin d’atteindre ces objectifs et satisfaire les attentes des acteurs externes. L’accord social que les entreprises naissantes doivent obtenir afin de sécuriser les ressources, se fonde sur la crédibilité des revendications et des déclarations de ces entreprises. Or, ces entreprises ont du mal à justifier leurs demandes et allocations de ressources car les acteurs externes ne disposent pas de références qui peuvent leur servir de bases d’évaluation de ces demandes de ressources et de leur déploiement par les nouvelles entreprises (Lomi et Larsen, 1998). En effet, les entreprises fondées dans un contexte de vide de légitimité sont désavantagées parce qu’elles sont exposées à la faiblesse de l’environnement institutionnel caractérisant les champs naissants. Elles ont besoin de temps pour ‘‘routiniser’’ les activités, instaurer de la confiance entre les membres du champ,

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bâtir des relations avec les acteurs externes, apprendre comment coordonner les tâches, surveiller et motiver et mobiliser les acteurs du champ.

La légitimité n’est pas seulement l’expression de la manière dont ces ressources devraient être déployées, elle est également la traduction de ce à quoi l’entreprise et ses projets doivent ressembler afin d’obtenir les ressources. Elle est déterminée par le degré de conformité de l’organisation aux règles et normes en vigueur (DiMaggio et Powell, 1983, 1991 ; Meyer et Scott, 1983 ; Zucker, 1983), ce qui est loin d’être le cas d’une organisation opérant dans un nouveau champ. Les investissements réalisés par une jeune entreprise opérant dans un champ naissant peuvent paraitre inappropriés en se référant à un ensemble de manières de faire cohérentes et partagées. L’audience externe peut voir dans ces investissements une violation et une transgression de ces normes. La déficience de légitimité découle dans ce cas découle de l’activité jugée déviante du nouveau champ par rapport à un existant. Les acteurs perturbateurs et les innovations menacent la légitimité des acteurs préexistants. Ces derniers ne restent pas indifférents aux projets décalés, d’où le caractère doublement problématique des jeunes entreprises des champs naissants. En effet, les projets proactifs, attirent en général l’attention des tiers qui le plus souvent adoptent des positions hostiles en réponse à ces projets proactifs. Les acteurs en place craignent une délégitimation de la totalité de leur champ en la présence de menaces de secousses institutionnelles ou de projets subversifs.

2. Manager sa légitimité : légitimité substantive vs légitimité symbolique

La légitimité est souvent problématique. Ce qui explique que les organisations cherchent à acquérir une légitimité à travers des pratiques symboliques et substantives (Ashforth et Gibbs, 1990). Mais, quelques soient les méthodes de légitimation, l’intention est la même : renforcer la croyance des acteurs sociaux que les activités et les objectifs de l’organisation sont en harmonie avec les attentes, valeurs et normes des acteurs sociaux.

2.1. La légitimité substantive

Elle reflète une conformité des performances aux attentes des acteurs sociaux dont l’organisation dépend pour l’obtention de ressources critiques. Elle repose sur la satisfaction des intérêts des parties d’échange. Cet aspect de la légitimité est très proche de la légitimité rationnelle de Weber (1995), et de la légitimité pragmatique de Suchman (1995) et recèle une présence minime de légitimité économique. Cette légitimité, qu’on appellera également légitimité d’échange, est déclinée de la théorie de l’échange selon laquelle les acteurs échangent leur soutien, plus précisément leurs ressources, contre les performances réelles de l’entreprise tels les retours sur investissements pour les actionnaires, les prix raisonnables pour les consommateurs, les salaires justes pour les employés, etc (Ashforth et Gibbs, 1990). Ces performances sont déterminées par le marché, la législation, les forces politiques, les pratiques en vigueur, etc. Leurs conformités aux attentes des acteurs sociaux sont cruciales pour la survie de la plupart des organisations.

2.2. La légitimité symbolique

Elle est fondée sur la construction de sens. C’est essentiellement une légitimité cognitive explicative qui repose sur l’intelligibilité des actions et des comportements (Berger et

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Luckmann, 1967). Le management symbolique donne du sens aux actes de l’organisation ou transforment le sens des actes. Selon cette approche symbolique, la légitimation est largement un processus rétrospectif selon lequel l’organisation interprète ses actions passées en fonction des valeurs sociales en cours. Les managers sont en mesure d’affecter la manière dont la réalité sociale est construite et fournir de nouvelles justifications lorsque les valeurs changent (Pfeffer et Salancik, 1978). Les leaders de l’organisation sont des personnages typiques de production de sens. Ils font partie d’un processus interactif et souvent itératif de la construction sociale et de la négociation qui caractérisent le processus de légitimation.

Plus un champ est institutionnalisé, et les liens entre les acteurs sociaux le constituant organisés et institutionnalisés, plus ces acteurs adoptent un management symbolique. Les liens forts et la connaissance intime des acteurs permettent de fonder ses jugements et évaluations sur des impressions (Ashforth et Gibbs, 1990).

Vraisemblablement, les acteurs sociaux ont tendance à scruter l’organisation et ses actions lorsque l’organisation n’a pas des standards d’outputs clairs et tangibles, n’a pas de connaissance complète concernant les liens de cause à effet ou la technologie, ses fins/moyens sont contestés, souffre de l’handicap de la nouveauté, son activité comporte des risques élevés et/ou les acteurs sociaux anticipent des liens à long terme avec l’organisation (Meyer et Scott, 1983). Dans ce cas, souvent les managers préfèrent le management des symboles plutôt que l’action substantive car la première approche préserve la flexibilité et les ressources (Ashforth et Gibbs, 1990). Cependant, les acteurs sociaux préfèrent généralement l’inverse. Ce qui engendre des tensions palpables. Selon la théorie de la dépendance aux ressources, plus les attentes des acteurs sont cohérentes avec celles des acteurs clés et en accord avec l’agenda de management de l’organisation, plus l’entreprise offre des réponses substantives plutôt que symboliques (Pfeffer et Salancik, 1978).

Généralement les managers tendent à défendre l’état existant à travers la dénégation, les contre-demandes, etc. au lieu de s’engager dans un processus de résolution de problèmes et de changement substantif. Lorsque l’audience demande des réponses substantives, les réponses symboliques ne peuvent qu’aggraver la menace. Plus l’audience stigmatise l’organisation et sa crédibilité, plus les « supporters » de l’organisation restreignent leur soutien, ce qui à son tour réduit la capacité de l’organisation à fournir des réponses substantives (Ashforth et Gibbs, 1990).

Ce papier a pour objectif d’étudier et analyser la manière dont une jeune organisation d’un champ émergent tente de construire son capital légitimité.

Dès lors, quel arbitrage faire entre légitimité symbolique et légitimité substantive d’une jeune entreprise dans un champ émergent ?

Comment les différents aspects de légitimité peuvent-ils affecter ses performances ?

Pourquoi des manœuvres et actions de légitimation d’échec ou de succès?

3. Terrain et méthodologie d’étude

Afin d’apporter des éléments de réponses à ces questionnements, nous nous sommes intéressés à un champ qui connait des bouleversements et dont les modes de fonctionnement sont menacés par l’avènement de « nouvelles » technologies : le secteur de l’édition du livre en France. Ces révolutions technologiques ont tracé les contours d’un champ émergent au sein

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du champ du livre : le livre numérique. Au sein de ce champ naissant, entre 2005 et 2006, période du début de l’étude, évoluaient trois agrégateurs concurrents : Net library, Numilog, et Cyberlibris. Net library étant un agrégateur, leader mondial et un leader aux Etats Unis d’Amérique, nous l’avons écarté de notre étude empirique. Restaient Cyberlibris et Numilog. Nous avons alors commencé à travailler sur les deux entreprises jusqu’à ce que Numilog soit racheté, en 2007/2008, par Hachette. Au final, nous nous sommes focalisés sur Cyberlibris. C’est le cas pivot de notre étude : une nouvelle organisation, d’un champ émergent, qui développe un projet perturbateur au sein d’un champ fortement institutionnalisé. Ainsi nous étudions un cas critique (Yin, 1994), appelé également cas intrinsèque ou singulier (Stake, 1995). Cyberlibris est une bibliothèque numérique créée en 2003 qui offre des packages de livres numériques aux bibliothèques des grandes écoles de commerce. Elle donne un accès en ligne, illimité dans le temps et dans l’espace. Cyberlibris représente une rupture stratégique avec un ordre préexistant au sein du champ de l’édition du livre. Ronez (2006) souligne que la transformation la plus radicale qu’a connu le champ du livre provient vraisemblablement de la numérisation associée à Internet, c’est un ‘‘système d’organisation de l’information qui représente une réelle innovation, ergonomique, sémantique, structurelle et dans le rapport à l’information’’ (p.8). Cyberlibris s’inscrit dans une approche disruptive, elle est propulsée par la propre volonté déviante de ses dirigeants45. Le caractère perturbateur de Cyberlibris n’a pas suscité l’enthousiasme des acteurs du livre. Au sein de ce champ hautement institutionnalisé plusieurs parties prenantes potentielles comme les éditeurs, les bibliothèques universitaires, les décideurs dans les écoles de commerce, les professeurs, des membres du Syndicat national de l’édition, accordent peu de crédit à Cyberlibris, et mettent en cause le champ du livre numérique de manière générale. Cyberlibris souffre d’un défaut de légitimité qui a entravé son lancement et son développement.

Nous avons donc mené une recherche qualitative de nature processuelle, qui met l’accent sur le temps et les processus et étudie en profondeur un contexte social (Silverman, 1993). Cette recherche qualitative est une analyse contextuelle s’inscrivant dans le temps (Lee, 1991). Nous avons commencé l’étude empirique par une collecte de données secondaires, en 2005. Cette étape a permis de dessiner ‘‘provisoirement’’ les contours du champ de l’édition. Elle nous a également aidé à replacer l’industrie du livre dans son contexte économique et à repérer les interviewés potentiels. La collecte des données secondaires s’est ensuite poursuivie tout au long du processus de la recherche, l’objectif étant d’effectuer un recoupement permanent avec les données issues des entretiens (Yin, 1994). Aussi, nous avons effectué 50 entretiens conduits auprès des acteurs impliqués, influencés et/ou influençant le processus de légitimation, sur des périodes différentes s’étalant de 2006 à 2009, pour parvenir à repérer l’évolution des comportements et des relations entre l’organisation pivot et ses différents interlocuteurs. Ainsi des acteurs du champ du livre électronique, des éditeurs leaders et de la frange de l’édition, des distributeurs, des libraires, des imprimeurs, des bibliothécaires, des auteurs, des juristes, des représentants d’associations professionnelles et des représentants de syndicats présents ont été interviewés. Le principe de la saturation a été difficile à respecter car le phénomène étudié est contemporain et le cas investi est en cours. Cyberlibris est en évolution constante, le champ du livre numérique de manière générale est en perpétuelle transformation. Les avis des acteurs changent, leurs positions également. De nouveaux éléments apparaissent continuellement. Nous avons toutefois veillé à confirmer ou infirmer les informations fournies lors des entretiens suivants. Dans la mesure du possible nous avons essayé d’obtenir des rendez-vous avec au moins un représentant de chaque profession de l’industrie du livre et un représentant de chacun des corps associatifs et syndicaux. Ces entretiens ont fourni des données qualitatives riches et caractérisées par une forte capacité 45 Ce sont les propos des éditeurs interviewés jusqu’à fin 2007.

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explicative des processus (Miles et Huberman, 2003). Les données recueillies sont sélectionnées et catégorisées. L’unité d’analyse retenue pour coder les entretiens est le paragraphe (Miles et Huberman, 2003). Les principaux maître-codes qui ont été utilisés sont les suivants : ACT (acteurs du champ), LEG (légitimité), MAN (manœuvres), CAR (caractère innovant), EVE (évènement clé). Le codage a été effectué en recourant au logiciel d’analyse des données qualitatives NVIVO, et manuellement, ce qui nous a permis de nous approprier les données. Le traitement et l’analyse des données ont permis de mettre en lumière la nouveauté de Cyberlibris et le caractère problématique de sa légitimité.

4. Résultats

4.1. Pourquoi Cyberlibris souffre d’un défaut de légitimité ?

Entre 2003 et 2007, Cyberlibris a souffert d’un défaut de légitimité à la fois substantive, et symbolique.

Du coté de la demande, en 2003, 4 écoles de commerce étaient abonnées à Cyberlibris. En dehors d’Euromed Marseille, les 3 autres écoles avaient besoin de Cyberlibris. Ce sont des écoles qui comme ESC La Rochelle ou ESC Montpellier, ne disposaient pas d’un grand centre de documentation et/ou qui avait besoin d’une littérature anglo-saxonne pour répondre à une politique d’ouverture internationale.

‘‘Au départ les écoles qui ont pris Cyberlibris n’ont pas de centre de documentation comme Montpellier ou la Rochelle. Euromed a mordu l’hameçon, ils se sont bien accommodés’’ (documentaliste anonyme 1).

On est parti avec la responsable médiathèque d’HEC qui préside l’ACIEGE avec deux autres collègues, à Paris pour se réunir avec Eric Briys pour qu’il nous présente le produit. L’avis était négatif, et HEC n’a d’ailleurs toujours (2007) pas Cyberlibris’’ (documentaliste anonyme 2).

L’accès simultané de toute une promotion à la même référence, l’accès à distance (en dehors des locaux de l’école) - devenu nécessaire avec la multiplication des formations à distance et des stages à l’étranger -, l’accès non limité dans le temps, etc. sont des facteurs qui ont conféré une certaine légitimité substantive à Cyberlibris.

Du coté des éditeurs, des petites structures ont rejoint le système d’offre de Cyberlibris pour des raisons instrumentales liées à une production éditoriale abondante et à un système de diffusion/distribution physique sélectif donnant très peu de visibilité à ces acteurs. Cyberlibris a séduit notamment les petits éditeurs ayant peu de visibilité, dont la prise en charge par des structures de diffusion/distribution reste limitée. C’est le cas de beaucoup d’éditeurs dans les domaines spécialisés ciblant une population précise, mais dispersée géographiquement. En effet, en France, la plupart des structures performantes de distribution/diffusion, sont plutôt adaptées aux maisons d’édition de grandes tailles.

‘‘Un éditeur qui vient qui veut être publié et distribué, un libraire va lui demander 40 %, moi je vais lui demander 25 %, je lui paye 35%, il va me dire vous êtes fou ça va pas me permettre de vire, c’est la réalité économique qui veut ça comme ça et on rentre dedans ou pas, les prix du pétrole qui augmentent et les camions qui roulent voilà c’est ça’’ (P. Gadesaude, DILISCO)

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Aussi, une légitimité symbolique liée aux dirigeants de Cyberlibris et aux ressources relationnelles dont ces derniers disposent, ont joué sur l’acceptabilité de la bibliothèque numérique. Un aspect symbolique attaché aux dirigeants et à une confiance en leurs capacités et compétences explique une certaine acceptabilité de Cyberlibris. Du coté des éditeurs comme des écoles de commerce, ce volet de la légitimité a été largement souligné. Cette légitimité symbolique dont a bénéficié Cyberlibris lors de son démarrage, a agi comme un vecteur de création de la bibliothèque numérique. Les compétences, notamment d’Eric Briys, ses qualités de pédagogue, la connaissance profonde qu’il a du métier de l’enseignement et du monde de l’édition, ont permis de conférer une crédibilité bibliothèque numérique.

4.1.1. Un défaut de légitimité symbolique et substantive de l’offre de Cyberlibris

Une bibliothèque numérique est un espace qui met davantage en avant les mérites d’une page que d’un livre dans son ensemble. La linéarité d’un livre, une valeur chère aux éditeurs et aux auteurs, n’est plus respectée dans cet index élargi que représente la bibliothèque numérique. Avec ce mouvement de ‘‘User generated content’’, les acteurs d’un secteur traditionnel culturel voient se profiler la disparition de toute une culture autour du livre au profit d’un commerce mettant en cause leur existence. Malgré un changement des habitudes des lecteurs et une dématérialisation croissante du savoir, il y a toute une population qui continue à utiliser la version papier et révèle une dimension affective liée à l’œuvre de Gutenberg.

La plus forte opposition à la bibliothèque numérique est décelée auprès des enseignants qui n’accordent pas de légitimité cognitive à Cyberlibris. Ils ne sont pas séduits et convaincus par l’univers symbolique que les dirigeants essayent de tisser autour de Cyberlibris. Les enseignants rejettent Cyberlibris en tant qu’outil pédagogique, il ne s’agit pas de l’outil idéal pour assurer au mieux l’activité pédagogique. D’autant plus que tous les enseignants ne sont pas familiarisés aux Technologies de l’Information et de la Communication et nombre d’entre eux sont habitués à préparer les cours selon des méthodes qui leur sont propres en s’appuyant sur des références qu’ils ont l’habitude d’utiliser.

‘‘Les gens n’ont pas forcément envie de changer leur méthodes et leurs références, ce n’est pas forcément rassurant pour les profs’’ (B. Berthou, enseignant chercheur spécialiste du numérique).

Aussi l’offre de Cyberlibris a un défaut de légitimité substantive. Son contenu s’avère incomplet et impertinent, car il ne contient pas des manuels et des références bien précis utilisés comme support de cours. Il y a également des problèmes techniques et de connexion.

4.1.2. Un défaut de légitimité symbolique du système d’offre

Cyberlibris implique des variations dans la chaine de valeur générique du champ de l’édition. Plusieurs éditeurs et des membres du Syndicat National de l’Edition ont exprimé leurs craintes quand au rôle que peut jouer un éditeur voir même un auteur dans un futur qui n’est pas très lointain. Les éditeurs redoutent une situation semblable à celle des éditeurs anglo-saxons.

‘‘Ce sont des acteurs qui veulent s’approprier les fonds des éditeurs’’ (A. Gallimard, Editions Gallimard).

Si auteurs et éditeurs jouent toujours leurs rôles conventionnels, en évolution, dans la chaîne du livre, les libraires et les bibliothécaires se voient évincés du système d’offre du livre électronique. Or, ce sont eux qui, traditionnellement, assurent la promotion d’un ouvrage et sa mise en avant sur le marché, qui conditionnent le succès ou l’échec d’un livre, d’un auteur, et de manière générale d’un éditeur. Dans le numérique tout est mis à la même hauteur, sans aucune discrimination entre les œuvres ce qui déplait à plusieurs éditeurs et auteurs. Certains

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éditeurs ne voient pas l’utilité de Cyberlibris et des acteurs du livre numérique en général, puisque les libraires existent. S’ajoute à ça, une manière de procéder qui s’est ancrée dans le champ du livre du coté des éditeurs et des liens commerciaux forts entre éditeurs et libraires qui se sont installés et renforcés, qui, selon les éditeurs, sont difficiles à éliminer. Le livre numérique se heurte aux habitudes.

‘‘N’importe quel libraire, n’importe quel grossiste est tout à fait prêt, est tout à fait en mesure de proposer tous les bouquins de tous les éditeurs, de manière plus simple que les abonnements d’ailleurs à des revues’’ (R. Lefebvre, Editions Dalloz).

Le champ du livre numérique reconfigure également le paysage du secteur de l’édition traditionnel en faisant appel à des acteurs nouveaux pour constituer leur système d’offre. C’est un domaine à forte intensité capitalistique qui requiert des compétences techniques et technologiques développées.

Les caractéristiques structurelles du champ des bibliothèques numériques situent Cyberlibris ainsi que les autres acteurs du numérique au sein d’une population qui est loin d’être intégrée au sein du secteur de l’édition du livre. L’identité du champ, dans laquelle les acteurs du livre, explique la réticence voir l’hostilité de ces derniers. Les acteurs du champ émergent se heurtent alors à des logiques identitaires ou institutionnelles, et à des réticences fortes de la part des acteurs attachés au fonctionnement antérieur. Certains acteurs établis considèrent certaines figures et façons de faire comme de véritables identités : pour eux, ‘‘changer d’identité c’est changer complètement de repères socioprofessionnels’’ (Hatchuel et Weil, 1992: 104). Selon Hatchuel et Weil, dans les processus de changement les enjeux sont plus profonds qu’une perte de pouvoir ou une limitation des capacités d’intervention. Ils considèrent radical un changement mettant en cause les ‘‘identités professionnelles’’.

4.1.3. Un défaut de légitimité substantive et symbolique du modèle de revenu

Comme pour les autres produits culturels dématérialisés, le problème de la juste rémunération se pose, parce que sans cette logique de juste rémunération, la création est mise en danger. Editeurs et auteurs ont exprimé leur réticence à adhérer à des modèles de revenu qui n’ont pas encore fait leurs preuves au moment où le modèle papier résiste encore. Les éditeurs considèrent risquée l’adoption de modèles de substitution, notamment pour les livres aux ventes fortes et régulières. Ils soulignent le fait que le numérique risque de cannibaliser les ventes physiques sans pour autant compenser le manque à gagner sur le papier.

‘‘Il y a un problème qui est celui de la rentabilité des ouvrages aujourd’hui, non pas parce que la distribution coûte très cher mais parce que la chaîne nécessite un certain nombre d’intermédiaires et que c’est extrêmement tentant d’avoir du numérique, vous éliminez effectivement l’imprimeur et le distributeur, vous éliminez énormément de coûts, vous n’avez plus que le coût de la matière grise, de l’auteur, de l’éditeur et du metteur en page, effectivement ça revient beaucoup moins cher, le problème c’est que personne n’achète ce produit aujourd’hui, très peu de gens, la part du numérique pèse trois fois rien dans le chiffre d’affaire globale de l’édition du livre. Le problème c’est qu’aujourd’hui on n’a pas de client même dans le domaine technique scientifique’’ (P. Pernet, Editions Pearson).

Par ailleurs, les méfiances des ayants droits sont aussi très élevées en l’absence d’une législation dédiée à la cession des droits numériques. Les éditeurs se demandent s’ils ne feront pas le jeu des acteurs puissants du champ du numérique et des technologies de l’information dont l’enrichissement serait bâti sur l’exploitation de leurs fonds sans qu’ils en tirent eux même profit. La question de la juste rémunération est également évoquée par le syndicat national de l’édition et la société des gens de lettre. Les modèles de revenus de la société de l’information doivent compenser la juste rémunération des auteurs, une rémunération proportionnelle à l’usage de leurs œuvres (Livres hebdo, n°631, p.66). Ceci est sans doute

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l’une des raisons pour lesquelles le modèle de revenu de Cyberlibris a souffert d’un défaut de légitimité cognitive. Le vide institutionnel, et plus précisément, l’absence d’un modèle de revenu de référence dans le champ du numérique a pu contribuer à la déficience de légitimité cognitive de la politique tarifaire de Cyberlibris. De même, celle-ci est en décalage total avec le modèle de revenu du livre papier. Le modèle de revenu de Cyberlibris est un modèle locataire, dont les abonnements des écoles de commerce sont la principale source de revenus. Ces abonnements vont de 20.000 à 60.000 euros par an environ. Cyberlibris signe des contrats avec des bibliothèques ou des institutions sur la base d’un prix par individu ou par étudiant. Ce prix est fixe quel que soit le nombre de consultations. Ce qui fait que la recette aval est verrouillée par la structure de l’établissement client. Les recettes sont données à l’avance. Par exemple : si un abonnement coute à une école 20.000 euros. 10.000 euros reviennent à Cyberlibris et 10.000 euros sont répartis entre les éditeurs. Chaque éditeur reçoit 10.000 euros multipliés par le taux de consultation de son catalogue dans le total des consultations de l’école en question. C’est une politique tarifaire qui ne s’intègre pas dans les schémas existants, les logiques qui sous-tendent les deux modèles tarifaires sont différentes.

‘‘Moi je pense que pour faire venir les éditeurs il faut qu’il y ait une forme de proportionnalité entre le volume de consultation des ouvrages et la recette obtenu par l’éditeur, et la difficulté avec ce modèle c’est que la proportionnalité ne fonctionne qu’en répartition des recettes et elle ne fonctionne pas en termes absolus. C'est-à-dire que concrètement si la consultation de mon ouvrage double et que parallèlement celles de tous les autres éditeurs doublent mes recettes ne bougent pas. Donc la proportionnalité ne fonctionne pas. On est sur un système de répartition mais à enveloppe constante et ce n’est pas du tout incitatif. Et donc par le fait que ça ne soit pas incitatif je pense que ça fait sans doute obstacle à ce que les éditeurs mettent en jeu dans le périmètre de Cyberlibris des œuvres qui présentent des enjeux économiques importants’’ (R. Lefebvre, Editions Dalloz).

‘‘La remarque m’a été faite maintes et maintes fois. Et ceci pour une raison simple. Les éditeurs aimeraient garantir un floor, je voudrais être sûr que j’aurais tant par page, ce qui est issue directement du modèle physique, puisque dans le modèle physique, ils raisonnent au chiffre d’affaires par page, ils connaissent le prix distributeur, le prix Lang, ils le divisent par la pagination, c’est comme ça qu’ils raisonnent et c’est pour ça qu’il y a des livres plus chers que d’autres. Et c’est pour ça aussi qu’ils voulaient avoir plus de sous par clic parce que leur ouvrage est meilleur que celui du voisin. Je leur ai dit non’’ (E. Briys, Cofondateur).

Aussi, le modèle de revenu de Cyberlibris a souffert, jusqu’à 2008, d’une déficience en légitimité substantive s’expliquant par le faible niveau des revenus du coté des éditeurs et par une politique tarifaire excessive du coté des écoles de commerce.

4.2. Une tentative de management symbolique de la légitimité

Face à cette déficience en légitimité, aux réactions négatives des acteurs du champ du livre et à une entreprise qui peine à se développer voire à survivre, les dirigeants de Cyberlibris ont tenté de se reposer sur leur capacité de communication et de persuasion afin de donner un sens à leur bibliothèque numérique et de construire un univers de symboles. Ils ont donc présenté, Cyberlibris comme un outil de diffusion de la connaissance et de démocratisation de l’accès aux livres, une ‘‘ressource rare et coûteuse’’. Eric Briys se considère comme ‘‘missionnaire’’, qui a pour objectif de ‘‘simplifier la tâche pour le lecteur’’, de lui ‘‘permettre un accès non limité dans le temps, dans l’espace et en quantité voulue aux ouvrages’’. Cyberlibris est présenté comme un nouvel outil pédagogique mis à la disposition des écoles de commerce, pour produire de l’intelligence collective tout en permettant au lecteur de découvrir des ouvrages sans contrainte budgétaire ni logistique. C’est également un outil permettant aux auteurs et éditeurs d’être plus visibles sur le marché. Reste que, majoritairement, les acteurs du champ du livre n’ont pas été séduits par ce discours. Certains acteurs comme les professeurs ou les éditeurs l’ont trouvé peu, voir pas crédible.

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4.3. Gérer la sphère réelle pour gagner en légitimité

A partir de 2006/2007, les dirigeants de Cyberlibris ont fait appel à des concours externes afin d’être en phase avec les exigences des clients et s’adapter à leurs besoins. L’interface de Cyberlibris a évolué grâce, entre autres, aux contributions des documentalistes.

‘‘Mme Brisset de l’ESC Lille … a beaucoup orienté les produits Cyberlibris, et plutôt dans le bon sens. Elle a quelque part influencé nos amis à l’ACIEGE. Parce qu’au fond on a des besoins assez communs entre écoles de commerce’’ (M. Breuil, Documentaliste).

Le design et les fonctionnalités de la plateforme ont évolué et des applications web 2.0 ont été développées. D’un point de vue purement technique, l’offre a évolué grâce aux interventions de scientifiques et acteurs technologiques spécialisés qui ont apporté des connaissances spécifiques et approfondies. A la fin de 2007, Cyberlibris a été marqué par une adaptation de l’offre et un changement de géométrie de la composante académique de son offre. La composition de la clientèle a également évolué.

‘‘Au troisième trimestre de 2007, nous avons été contactés par des petites écoles. Ils sont venus nous voir en nous demandant si on ne pouvait pas faire quelque chose d’adapté aux petites structures’’ (E. Briys, Cofondateur).

En 2007/2008, le compartiment académique de Cyberlibris s’est élargi par la conception de Cyberlibris Access, une bibliothèque numérique dédiée aux petites écoles de commerce.

‘‘Maintenant on segmente … Comme c’est des entités bac+2, bac+3, évidemment la littérature dont ils ont besoin ce n’est pas du tout la littérature qu’ils utilisent dans les business school. Les gens sont ravis parce que là où les étudiants n’avaient rien, dorénavant ils ont quelque chose et on n’attend pas des profs qu’ils nous recommandent parce qu’ils sont souvent des vacataires, ils n’ont pas le temps ils s’en foutent’’ (E. Briys, Cofondateur).

En 2008/2009, Cyberlibris a touché une nouvelle cible, les universités. Les fondateurs ont mis en place e-Biblio Couperin. Les tarifs de ces offres sont nettement moins élevés que ceux de l’offre de départ, Infinite. En 2009, Cyberlibris Select, une offre ciblant les masters spécialisés en finance, les salles de marché et les bureaux de consulting, a également été mise en place. Ces formules, ont bénéficié d’une légitimité substantive, ont attirés beaucoup de petites et grandes écoles de commerce, certaines universités ont également contracté des abonnements Cyberlibris.

A partir de 2008, les interviewés ont mis en avant une amélioration de la qualité de l’offre. En effet, le contenu de Cyberlibris n’arrête pas de croître, certains interviewés parlent même d’inflation du contenu de Cyberlibris. L’amélioration du contenu est quantitative et qualitative. Les clients de Cyberlibris ont manifesté une satisfaction de la prestation technique de la bibliothèque numérique. Le nombre de clients est passé de 50, en 2008, à 80 en 2009 (dont une trentaine de grandes écoles, une trentaine de petites écoles de commerce et le reste des institutions d’enseignement supérieur à l’étranger). La figure ci-dessous illustre l’évolution du nombre de clients de Cyberlibris entre 2003 et 2009.

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Figure 1 :

Plusieurs éditeurs prestigieux anglo-saxons ont intégré le système d’offre de Cyberlibris. De même, plusieurs éditeurs français ont rejoint la liste des fournisseurs de contenu de la bibliothèque numérique. L’augmentation du nombre de clients et l’accroissement du chiffre d’affaires de Cyberlibris crédibilise davantage l’entreprise auprès des éditeurs. Ces derniers ont accordé une certaine légitimité substantive à Cyberlibris. La figure ci-dessous illustre l’évolution du chiffre d’affaires de Cyberlibris entre 2003 et 2009.

Figure 2 :

La légitimité substantive de Cyberlibris a permis d’attirer des acteurs réputés au système d’offre de la bibliothèque numérique ce qui a pour conséquence l’amélioration de la légitimité symbolique de Cyberlibris. L’acceptabilité et la fiabilité dont Cyberlibris bénéficie renvoie alors aux acteurs externes.

Evolution du nombre de clients

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

2003 2004 2005 2007 2008 2009

Années

Nom

bre

de c

lient

s

Evolution du chiffre d'affaires

0

500

1000

1500

2000

2500

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Années

CA (K

eur

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Conclusion et discussion

En mobilisant l’approche néo-institutionnelle, nous avons apporté un éclairage sur la manière dont les dirigeants d’une nouvelle organisation opérant dans un champ émergent assoient une légitimité vitale pour la survie et le développement de leur entreprise. Les performances passées de Cyberlibris sont dérisoires et son jeune âge ne permet pas de témoigner de sa robustesse économique et/ou sociale. Ainsi elle ne peut revendiquer une légitimité tel que pourrait le faire une entreprise établie, autrement dit en se fiant à ses performances passées. En même temps, elle doit paraître crédible auprès des acteurs du champ pour survivre et se développer.

A l’issue de cette recherche, un principal résultat se dégage : le rôle des dirigeants dans la crédibilisation d’un projet déviant. Ce rôle est d’autant plus important lorsque l’organisation n’a pas de passé. Les adhérents potentiels au système d’offre de Cyberlibris, n’ont pas pu juger l’acceptabilité de la nouvelle organisation en se référant à son histoire, ses performances passées, sa réputation, sa capacité à réaliser certaines activités, etc. Ainsi, la réputation du personnel clé de Cyberlibris, qui a fait ses preuves dans d’autres milieux, d’autres secteurs d’activité, mais aussi et surtout dans l’édition et l’enseignement supérieur, le charisme et la capacité de communication des dirigeants ont constitué des critères de jugement sur lesquels se sont appuyés les parties externes pour formuler leurs jugements. La légitimité des dirigeants qui est une légitimité symbolique ou encore représentative ‘‘ ‘‘representational legitimacy’’ dérivée de la conception Weberienne de la légitimité…qui repose sur les croyances des autres’’ (Wiewel et Hunter, 1985 : 490), a accompagné le démarrage de Cyberlibris.

Cette recherche permet également de restituer et de caractériser le processus de légitimation d’une jeune entreprise opérant dans un champ émergent. Il ressort de la restitution du processus de légitimation de Cyberlibris qu’une jeune entreprise opérant dans un champ émergent n’a pas intérêt à s’engager pendant la phase d’émergence, dans une stratégie légitimation symbolique qui reposerait sur la construction d’un univers de sens autour de l’innovation. Le cas étudié met en avant la difficulté pour une jeune entreprise innovante de recruter un environnement externe influent. C’est cet environnement social qui permettra d’acter ses objectifs, sa vision, ses interprétations, ses valeurs, etc.

Nous soulignons également que la légitimité symbolique et la mobilisation collective se travaillent dans la durée. Cela nécessite notamment de s’engager dans un processus de négociation avec les acteurs influents en amont du lancement d’un projet. Ceci implique par ailleurs de construire au préalable une légitimité substantive. Ce type de légitimité s’appuie moins sur la mobilisation d’acteurs extérieurs et s’inscrit moins dans la durée que les dimensions symboliques de la légitimité. Aussi la légitimité substantive constitue un levier afin de stimuler la légitimité symbolique.

Pendant la phase d’émergence, autrement dit jusqu’à environ 2007, les dirigeants de Cyberlibris ont tenté de faire gagner leur entreprise en légitimité en se reposant essentiellement sur des aspects symboliques. Ils ont tenté d’assoir une légitimité symbolique car la légitimité substantive n’était pas au rendez-vous. Les dirigeants de Cyberlibris ont essayé de construire un univers de sens autour de la bibliothèque numérique. Les travaux postulent ainsi, qu’une raison importante d’échec de plusieurs projets entrepreneuriaux réside dans un manque de compréhension de la part de l’audience (Navis et Glynn, 2010). A travers plusieurs actions de communication, les porteurs du projet se sont investis dans un travail d’explication et de clarification de leur mission et de la raison d’être de Cyberlibris. La

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communication permet d’instaurer une cohérence des interprétations et des compréhensions, c’est un moyen efficace pour favoriser le partage de système de compréhension (Brown, 1998). Toutefois, les managers de Cyberlibris n’ont pas réussi cet exercice de communication et de clarification et ne sont pas arrivés à construire un univers symbolique de sens autour de la bibliothèque numérique. Au moins, deux éléments semblent expliquer cet échec à acquérir une légitimité symbolique : la surabondance de communication et l’absence d’une mobilisation collective.

Les managers tendent à exagérer grossièrement leurs déclarations et, face à un défaut de légitimité, Martin (1982) souligne que les formes implicites de communication tendent à être plus crédibles que les formes explicites de communication. Il semble que la légitimité s’acquiert plus aisément lorsque les revendications sont indirectes et subtiles. Toutefois, les organisations souffrant d’une faible légitimité, n’ont pas nécessairement ni la capacité ni le temps pour construire de manière délicate leur légitimité.

En l’absence d’une reconnaissance positive, la simple mise en avant de ses qualités n’est pas suffisante. Il est nécessaire de les promouvoir et de considérer le processus de légitimation comme une construction collective de sens (Ashforth et Gibbs, 1990). Les entreprises opérant dans des champs émergents, qui s’écartent nettement des pratiques établies jusque-là dominantes, doivent intervenir de manière préventive dans leur environnement culturel afin de développer des soutiens adaptés à leurs besoins décalés (Aldrich et Fiol, 1994). Les managers doivent promouvoir activement de nouvelles explications de la réalité sociale (Oliver, 1991). Pour ce faire, ils ont besoin de fédérer des acteurs influents autour de leur projet (DiMaggio, 1988 ; Lawrence et al., 2002). La réussite de la construction d’un univers symbolique autour de Cyberlibris est déterminée par la capacité de l’organisation à se projeter au-delà de ses propres frontières, à diffuser ses valeurs et sa vision, et à agir de manière concertée. Pour rendre leur version et leur perception des choses plausibles, les dirigeants de Cyberlibris avait besoin de l’aide de tierces parties et de créer un environnement qui promeut leurs objectifs et valeurs, reste qu’ils n’ont pas réussi à mobiliser et recruter des acteurs de cet environnement externe qui soient favorables à leur projet.

Aussi, le cas Cyberlibris met en avant les difficultés que peut rencontrer un jeune acteur innovant dans la légitimation de son projet quand il se focalise sur des acteurs « mineurs » au sein du champ et ne s’engage pas dès les phases amont du projet dans un travail de négociation avec les organisations majeures du champ organisationnel. La qualité et la réputation des partenaires représentent un élément de jugement susceptible de conférer une crédibilité à une organisation (Dacin et al. 2007). Le soutien d’un certain nombre d’acteurs ou d’un réseau de partenaires est un moyen important d’acquérir une légitimité symbolique (Oliver, 1990 ; Wiewel et Hunter, 1985). Or jusqu’à environ, 2008, Cyberlibris n’a pas pu s’associer à des organisations reconnues ou compter sur la composition de son système d’offre pour prouver que c’est un acteur convenable. Les partenariats et collaborations mis en place entre l’organisation et des acteurs externes permettent de montrer ou améliorent la réputation, l’image, le prestige et la congruence de l’organisation, de ses activités et de ses objectifs avec les normes de l’environnement institutionnel dans lequel elle opère. L’utilisation opportuniste des réseaux de partenaires, des liens et coalitions institutionnels permet de montrer à des partenaires potentiels l’acceptabilité de l’organisation (DiMaggio, 1988). La qualité des liens et des relations entre l’organisation et des acteurs de son environnement motivent d’autres acteurs à collaborer et à s’associer aux projets de l’organisation focale (Oliver, 1990).

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La difficulté d’agir sur la sphère symbolique a amené les dirigeants de Cyberlibris à d’abord agir dans la « sphère réelle » avec un management des résultats tangibles comme les ventes, les profits et les budgets. Cela lui a permis d’acquérir une légitimité substantive et par la suite une légitimité symbolique.

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Quel apport de la théorie de l’acteur-réseau pour appréhender la

dynamique de construction du réseau entrepreneurial ?

Wadid LAMINE

Enseignant-chercheur, Groupe ESC Troyes

[email protected]

Hela CHEBBI Enseignant-chercheur, EDC

Paris [email protected]

Alain FAYOLLE Professeur et directeur du

centre de recherche en Entrepreneuriat,

EM Lyon Business School [email protected]

Résumé : Les travaux de recherche sur le réseau social de l’entrepreneur ne cessent de croitre. Cependant les connaissances produites sur les dynamiques de construction de ce réseau restent limitées. Peu de travaux de recherche apportent une base empirique sur l’évolution du réseau de l’entrepreneur en fonction du temps. Ce constat est encore plus marqué pour tous ceux qui s’intéressent à l’étude de la phase ante création du processus entrepreneurial innovant. En prenant comme fondement théorique la conception de la création de la valeur nouvelle de Bruyat (1993), les auteurs ont suivi pendant deux ans la formation progressive du réseau d’un porteur de projet de création d’entreprise innovante. La contribution majeure de ce travail réside dans l’emploi de la théorie de l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 1988, 2006) pour étudier cette dynamique de formation du réseau dans une situation de création d’entreprise innovante. Mots clefs : Processus entrepreneurial, Spécificités de la phase de survie-développement, Traduction, Réseau Social, Incubation Abstract: The bulk of research on social networks in entrepreneurship focuses on the nature and characteristics of social ties at a given moment in time or on the contribution of the network as a whole as opposed to its development dynamics. Despite the fact that a number of researchers have sought to explore the role of social networks, only a handful of them actually focused on the development of social networks over time (Jack, 2010). In this study, we propose to use the Actor Network-Theory (Akrich, Callon & Latour, 1988, 2006), that we believe will lead to fill this gap in the literature. By following the trajectory of an innovative entrepreneurial project over a period of two years, we observed the evolution of the entrepreneurial network configurations. The study provides new insights into the dynamic process of network formation, in the specific context of the innovative new venture launch. Key words: Entrepreneurial process, New Technology Based Firm Specificities’, Actor Network-Theory, Social Network, Business Incubation

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Introduction

Sans nier le rôle et l’importance des grandes entreprises, l’impact de la création d’entreprise innovante sur l’économie (Acs & Audretsch, 2003 ; Baumol, 2006) a convaincu les pays de la nécessité d’orienter leurs politiques d’innovation et de soutien aux entreprises technologiques vers ce type d’organisation (Mustar & Larédo, 2002). En France, cela s’est traduit notamment par la mise en place d’incubateurs publics qui jouent un rôle clé dans l’accompagnement des projets de création d’entreprise innovante (Chabaud & Gonard, 2008). La réussite, survie dans un premier temps, puis développement des projets et des jeunes entreprises innovantes est un enjeu essentiel. Il dépend, certes, des structures et des mesures d’accompagnement, mais cet enjeu relève aussi de la manière dont le porteur de projet interagit avec son environnement, en particulier pour exploiter les ressources des réseaux sociaux qui s’y trouvent (Fayolle, 2007). Bien que l’on parle systématiquement de mondialisation et de marché économique global, y compris pour ce type d’entreprise, les innovations et les connaissances sont souvent produites localement par des réseaux d’acteurs établis sur un territoire (Heraud & Levy, 2005). Les créations d’entreprises innovantes, en France comme ailleurs, s’appuient donc sur au moins deux types de capital : social et humain (Akrich, Callon & Latour 1988 ; Bernasconi et al. 2006 ; Wright et al. 2007). En dépit du fait que de nombreux travaux ont cherché à mieux situer le rôle et l’importance des réseaux sociaux dans le champ de la création d’entreprise (Aldrich & Zimmer, 1986; Burt, 1992 ; Hoang & Antoncic, 2003; Witt, 2004 ; Hite, 2005 ; Messeghem & Sammut, 2007 ; Jack, 2010), nous pensons que les connaissances disponibles sont encore insuffisantes pour éclairer toute la complexité du phénomène (Gartner, 1985 ; Bruyat, 1993 ; Bruyat & Julien, 2001). En particulier, peu de recherches visent à prendre en compte les spécificités des projets de création d’entreprise innovante ou à s’inscrire dans une perspective dynamique pour mieux comprendre le processus de formation des réseaux (Jack, 2010).

Ainsi, comprendre les dynamiques de formation du réseau social (RS) de l’entrepreneur pendant la phase ante création du processus, permet de compléter nos connaissances et de disposer de leviers pour mieux accompagner les porteurs des projets innovant notamment par les incubateurs.

Le travail que nous présentons ici a pour objectif de combler, partiellement, ces deux lacunes en essayant de répondre à la question suivante : Dans un contexte de création d’entreprise innovante, comment la configuration du réseau social de l’entrepreneur naissant évolue-t-elle en fonction de l’avancement dans le processus entrepreneurial?

Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons d’utiliser la théorie de l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 1988, 2006), en prenant en compte les spécificités principales des projets de création d’entreprise innovante. Dans ce cadre, nous considérons que grâce à l’outil méthodologique de la chaîne de la traduction qu’elle propose, elle permet de restituer, d’une manière satisfaisante, la dynamique de formation du RS, au service des projets. Elle nous permet aussi d’identifier les registres de partenaires privilégiés ainsi que les le type de ressources qui en donnent accès à chaque étape dans le processus de développement du RS.

Nous étudions, en conséquence, la survie et le développement initial des projets de création d’entreprise innovante, en considérant qu’ils sont liés à la manière dont les porteurs de projet parviennent à construire les RS et les alliances qui leur sont nécessaires. Cette conception nous conduit à adopter la définition de Bruyat et Julien (2001), qui considère l’entrepreneuriat comme une dialogique individu – création de valeur nouvelle, dans une double dynamique de changement, pour l’individu et pour l’environnement concerné.

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Dans la suite de cet article, nous présenterons l’importance du RS pendant la phase de survie-développement des projets de création d’entreprise innovante (section I). Puis, nous introduirons la théorie de l’acteur-réseau en précisant son application au processus de création d’entreprise innovante (section II). Dans une troisième et dernière section, nous exposerons notre étude empirique, la méthodologie suivie et les résultats obtenus. Cette étude est de nature exploratoire. Elle a porté sur un cas de création d’entreprise innovante incubée dans un incubateur public Rhône-Alpin. Nous terminerons cet article par une partie, discussion et conclusion, qui revient sur les apports de la recherche, ses limites et les voies nouvelles qu’elle suggère.

1. L’importance du réseau dans la phase de survie-développement des projets de création d’entreprise innovante La survie et le développement des jeunes organisations sont des thèmes qui renvoient vers une littérature abondante et riche sur la réussite, le succès, l’échec et enfin la croissance46 (Chrisman et al. 1998; Delmar & Shane, 2002 ; Lasch et al. 2005 ; Gelderen et al. 2006 ; Moreau, 2008). L’impact du réseau social de l’entrepreneur sur cette réussite a été largement étudié dans le champ (voir Chabaud et Ngijol, 2005).

En effet, l’étude du RS de l’entrepreneur permet d’enrichir nos connaissances sur le phénomène entrepreneurial en mettant en avant le rôle de l’action collective dans la création de la valeur nouvelle (Faylle, 2007) et la mobilisation des ressources nécessaires (Hite, 2005). Ainsi, par l'intermédiaire des entités qui le composent, le réseau de l’entrepreneur contribue à l'identification, à l'évaluation et à l'accès à des opportunités d'affaires (Nicolaou & Birley, 2003; Schutjens & Stam, 2003). Le réseau, et notamment les contacts familiaux et les amis, influencent également par leurs conseils, la décision du passage à l'acte entrepreneurial ou non (Cooper, 2002). Il expose le couple individu-projet de création d’entreprise à des nouvelles idées, à des nouvelles visions du monde, où il lui offre un cadre de références à la fois protecteur et propice à la survie et au développement de la nouvelle entreprise (Davidson & Honing, 2003).

Le réseau social de l’entrepreneur contribue également significativement au processus de stimulation et de développement de l'apprentissage entrepreneurial et technologique. En effet, l'interaction entre l'entrepreneur et les différents membres de son réseau permet d'échanger les connaissances et les compétences et ainsi de faire émerger de nouvelles capacités entrepreneuriales, (Davidson & Honing, 2003). Cependant, la majorité des travaux sur le RS en entrepreneuriat, qui s’est pour l’essentiel consacrée à souligner la complexité du processus de création d’entreprises en général, peut souffrir d’une inadaptation relative aux spécificités de la création d’entreprise innovante. Bruyat (1993) et Shane (2003), entre autres, considèrent que les spécificités principales des processus de création d’entreprises innovantes sont : l’incertitude, l’asymétrie d’information, le manque de légitimité et la nominalité requise indispensable pour la continuité de l’activité entrepreneuriale.

46 Pour disposer de revues de littérature récentes, se référer aux thèses récemment soutenues d’Olivier Witmeur (2008) et Philippe Silberzahn (2009).

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1.1 L’incertitude Selon Knight (1921), l’incertitude correspond à un futur dont la distribution des états est non seulement inconnue, mais impossible à connaître. Elle est toujours (plus ou moins) présente au cours d’un processus de création d’entreprise, car elle est associée à l’innovation, au changement et à la création. Lors de la mise au point de son projet, l’entrepreneur naissant doit faire face à deux types de facteurs d’incertitude : ceux associés à l’environnement et ceux liés au couple individu-projet lui-même. Ce sont ces derniers qui nous intéressent particulièrement, car les premiers, malgré leur importance, demeurent d’ordre général et non spécifiques au projet. En effet, un projet innovant, en raison de sa nature et de ses caractéristiques, supporte nécessairement une part d’incertitude non réductible, difficilement évaluable par les partenaires potentiels de l’entrepreneur. Le premier facteur, lié au projet, concerne la valeur qu’accorderont les partenaires au produit ou service. Certains projets n’expriment leur valeur que lorsque le produit ou le service est véritablement mis en marché (Shane & Stuart, 2002). Le second facteur d’incertitude est technique liée à la fabrication du produit ou du prototype. Ce type d’incertitude concerne la recherche – développement, la mise au point et l’industrialisation (Low & Srivatsan, 1994). Lorsque le projet est innovant et complexe, cette incertitude est omniprésente. Le projet peut alors achopper sur ce qui paraissait un point de détail (Bruyat, 1993).

1.2 L’asymétrie d’information Pendant la phase ante création du processus, le créateur d’entreprise s’efforce d’acquérir les ressources nécessaires au développement de son projet afin d’assurer la continuité de ses activités (Shane, 2003). Il doit communiquer et transformer des informations et des situations vécues (Fayolle, 2007) afin d’intéresser des parties prenantes qui détiennent les ressources indispensables à la survie de son projet. Cependant, il existe très souvent des décalages de représentation et de perception entre l’entrepreneur et ses parties prenantes (Barry, 1994 ; Gompers, 1995). Ces décalages sont dûs au caractère idiosyncratique de l’information et des croyances qui, dans certaines circonstances, sont nécessaires à l’existence du profit entrepreneurial. Selon Shane (2000), des acteurs qui ne partagent pas la même perception de la situation avec l’entrepreneur, vont soit sous évaluer l’opportunité détectée ou créée par lui, soit ne pas la percevoir tout simplement. Par ailleurs, certains chercheurs en entrepreneuriat ont mis l’accent sur le rôle des liens sociaux dans la résolution des problèmes engendrés par l’asymétrie d’information (Shane & Cable, 2002). En se basant sur le concept d’encastrement de Granovetter (1973), Shane et Cable (2002) pensent que les obligations sociales entre des acteurs connectés et le transfert de l'information par des relations sociales, influencent la décision d’apporter ou non des ressources pour assurer la survie de la nouvelle organisation.

1.3 Le manque de légitimité Le manque de crédibilité de la future entreprise est une difficulté souvent soulignée par les entrepreneurs et les chercheurs. La confiance (Low & Srivatsan, 1994) et la légitimité (Tornikoski & Newbert, 2007; Messeghem & Sammut, 2007) sont au cœur des relations qui lient l’entrepreneur aux autres acteurs qui considèrent la nouvelle entreprise le plus souvent comme un client peu important et à risque (d’impayé). Le rôle de l’entrepreneur est dans ces conditions de communiquer sur son projet, de négocier avec les partenaires indispensables, de les convaincre que quelque chose n’existe pas, existe ou va exister, pour les faire adhérer au projet. La personnalité et les capacités dynamiques du créateur (Zahra et al. 2006), porte-

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parole de son projet et de son équipe, constituent des facteurs essentiels dans cette quête de légitimité et d’établissement d’un pacte de confiance.

1.4 La nominalité requise Nous avons vu précédemment que dans un contexte d’incertitude irréductible, il est quasiment impossible de prévoir les réalisations futures, qui sont par définition imprévisibles (Saravathy, 2001). Cependant, la création d’une entreprise innovante, sa survie et son développement dépendent très souvent de la capacité de l’entrepreneur et de son équipe à atteindre des performances minimales sur un certain nombre de fonctions ou d’opérations et à développer rapidement un ou plusieurs avantages concurrentiels (Eisenhardt & Schoonhoven, 1995 ; Hannan et al., 1996; Littunen, 2000). Bruyat (1993), considère qu’un projet est à « nominalité requise » lorsque son lancement et sa réussite dépendent de ses performances minimales dans un ordre et dans des horizons de temps précis. Si chacune des opérations requises n’atteint pas, en un temps déterminé, un niveau de performance minimum, le lancement de l’entreprise sera irrémédiablement compromis. Ceci est dû à la perte de confiance, au désintéressement des partenaires indispensables et/ou surcoûts insupportables et des manques à gagner engendrés par l’allongement du processus de création. 2. La théorie de la traduction et la création d’entreprise innovante

Ces quatre caractéristiques montrent que dans un contexte de création d’entreprise innovante, le porteur de projet se trouve dans une situation entrepreneuriale (Fayolle, 2007) complexe et problématique. Afin de rendre compte d’une description différente et plus complète du processus entrepreneurial, la théorie de l’acteur réseau (Akrich, Callon & Latour, 2006) peut s’avérer intéressante. Elle semble être une alternative intéressante parce qu'elle met à disposition un mode de réflexion qui permet de réaliser une description dynamique et plus complète d'une situation entrepreneuriale complexe (Korsgaard, 2011) et changeante. Dans la mesure où le chercheur, qui étudie les évolutions du projet de création, traduit le processus entrepreneurial en une trajectoire narrative, en étudiant en profondeur un ensemble de documents, de récits, de discours et des artefacts techniques, tout en mettant l'accent sur les mouvements d'associations-dissociations des acteurs (humains et non humains). Ainsi, la théorie de l’acteur réseau nous permet de rompre avec le monde dualiste où l'objet et le sujet sont déconnectés en situant le processus entrepreneurial dans le monde vécu et dans l'expérience, ce qui va donner du sens à la trajectoire entrepreneuriale et à son devenir (Steyaert, 2007). D'où la proximité et la cohérence avec la conception contingente et systémique de l'entrepreneuriat que nous avons adoptée dans ce travail, qui place le couple individu (sujet) - projet (objet) au cœur d'un système dynamique et ouvert sur son environnement.

La théorie de la traduction, appelée aussi théorie de l’acteur réseau (Actor Network Theory : ANT) a été développée dans le cadre des recherches portant sur les processus d’innovation et s’ancre dans une approche sociotechnique des organisations. Les fondateurs de ce courant, Akrich, Callon et Latour (1988, 2006) ont montré que le succès des innovations dépend de la réussite d’une association inédite entre des acteurs multiples et différents. De cette association, de la mobilisation et de la coopération de tous les acteurs va émerger un réseau sociotechnique et une dynamique de production qui ont pour corollaires l’efficience du processus et sa réussite.

Afin d’atteindre un stade de construction d’un réseau « irréversiblisé », ces chercheurs ont défini une démarche, inspirée de l’ethnométhodologie de Garfinkel (1967), qui prend appui

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sur une séquence d’étapes appelée chaîne de la traduction. Traduire, c'est « exprimer dans son propre langage ce que les autres disent et veulent, c'est s'ériger en porte parole» (Callon, 1986 : 204). Mais traduire c’est aussi, négocier, effectuer une série de déplacements de tous genres et ce à chaque séquence du processus, qui peut être défini en quatre grandes étapes :

- La problématisation : Il s'agit d'un système d'associations entre des entités dont il définit l'identité ainsi que les problèmes qui s'interposent entre elles et ce qu'elles veulent. Ainsi se construit un réseau de problèmes et d'entités au sein duquel un acteur se rend indispensable. La problématisation consiste à formuler les problèmes et proposer des solutions (Harrisson & Laberge, 2002). Cette mise en mouvement s'opère autour d'un projet provisoire et minimum, englobant les intérêts de chacune des entités.

- L’intéressement : Il s’agit de l'ensemble des actions par lesquelles une entité s'efforce à imposer et à stabiliser d'autres acteurs qu'elle a définis par sa problématisation. Un intéressement réussi confirme la validité de la problématisation, qui dans le cas contraire se trouve réfutée.

- L’enrôlement : c’est le mécanisme par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui l'accepte, c'est un intéressement réussi.

- La mobilisation : c’est la convocation progressive d'acteurs qui s'allient et font masse pour rendre crédibles et indiscutables une proposition, un projet ou une innovation. Selon Law (1985), cette mobilisation, au-delà du système d'alliances qu'elle constitue, a une réalité physique. Elle se matérialise par toute une série de déplacements.

L’application de l’ANT à l’étude du processus de création d’entreprise innovante nous semble particulièrement pertinente. Elle met à notre disposition un outil méthodologique qui nous permet d’étudier le système entrepreneurial, dans sa dimension dynamique en accordant le même degré d’importance aux deux dimensions qui forment le système : la dimension technique représentée par le projet et la dimension sociale représentée par l’individu. En effet, selon le principe de la symétrie généralisée de l’ANT, toute distinction entre faits de nature et faits de société doit être supprimée. Des liens étroits entre l’humain et le non humain, ainsi que l’individu et son projet doivent être considérés en les traitant avec les mêmes termes et au même degré d’importance. Par ailleurs, appliquer la sociologie de la traduction à l’étude de ce type de processus entrepreneurial, revient à étudier les dynamiques de déplacement dans la trajectoire de la situation entrepreneuriale qui caractérise la dialogique individu/projet, pendant lesquelles le couple se trouve porté par un mouvement de mobilisation du réseau qui se cristallise au fur et à mesure de l’avancement du processus.

En outre, L’ANT permet de concevoir le processus de création d’entreprise innovante comme un processus tourbillonnaire Akrich, Callon et Latour (1988, 2006), qui prend en compte la rétroaction, pendant la période de réalisation, de tout ce qui touche à la définition technique ou organisationnelle du projet. Lors de ce processus, les différentes composantes d’un projet (technique, légale, financière, marketing, sociale, culturelle, etc.) ne coexistent pas à toutes les étapes de développement du projet. Elles ne peuvent apparaître que sous forme d’ « hypothèses » ou d’ « ébauches », plus ou moins nombreuses, contradictoires, hétérogènes, à chaque itération de projet. L’entrepreneur doit pouvoir « proposer à chacune des itérations l’ensemble des candidats ou des ébauches de problèmes qui pourraient se trouver plus tard sur le chemin critique » (Duret et al., 1997). Cette obligation de définition d’ébauches se rapproche de la notion de nominalité requise exposée plus haut, c'est-à-dire que l’entrepreneur doit définir en amont le niveau de nominalité requise à atteindre pour chaque aspect du projet ainsi que les problèmes éventuels qui peuvent l’en empêcher.

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Par ailleurs, compte tenu des spécificités du projet de création d’entreprise innovante, des anti-programmes47 (Martin, 2003) pourraient naitre de quatre manières : soit suite au manque de crédibilité du porteur de projet, soit à cause de l’asymétrie d’information entre deux ou plusieurs entités, soit en raison de l’incertitude, ou qui pourraient surgir tout simplement à cause d’un intérêt divergeant (économique, culturel, personnel, etc.). De ces anti-programmes vont naitre des controverses, que l’ANT propose d’utiliser comme épreuves productrices de savoirs pertinents susceptibles de favoriser l’apprentissage autour du projet. Ces controverses suivent les mouvements de (dé) réalisation progressive du projet de création. L’étude des controverses devrait conduire à renforcer la robustesse des projets entrepreneuriaux innovants en gestation et pouvoir ainsi intéresser les parties prenantes, possesseurs de ressources, dont le projet a ou aura besoin. Ce qui signe à terme, la naissance d’un accord entre les différents acteurs sous forme d’un réseau qui alimente le projet en énergie et qui contribue à la stabilisation de la situation entrepreneuriale.

Donc l’ANT met à notre disposition un mode de réflexion et un outil méthodologique (la chaîne de la traduction) qui nous permettent de suivre l’évolution du système entrepreneurial (Bruyat & Julien, 2001), en tenant compte des caractéristiques du projet innovant. Au sein de ce système, l’individu n’est qu’un entrepreneur en gestation et le projet n’est qu’un objet en conception (Fayolle, 2007) qui pourrait devenir une entreprise stable et équilibrée, comme il pourrait s’arrêter à tout moment du processus. Ce qui pourrait entraîner la disparition de la situation entrepreneuriale. Dans ce qui suit, nous mobilisons la théorie de l’acteur réseau pour étudier la dynamique de formation d’un réseau social d’un projet de création d’entreprise innovante dans le domaine de la nanotechnologie de l’espace. 3. Etude empirique : Le cas SuperNova

Nous rappelons que ce travail vise à approfondir notre compréhension du développement du processus entrepreneurial et notamment des dynamiques de formation du RS dans un contexte de création d’entreprises innovantes. Pour ce faire, l’étude longitudinale du cas Supernova nous permettra de comprendre les modes et les conditions de constitution d’un RS et sa cristallisation autour d’un entrepreneur naissant. De notre point de vue, cela doit pouvoir contribuer à une meilleure appréhension des dynamiques entrepreneuriales pendant cette phase cruciale du processus.

3.1 Contexte et méthodologie de recherche Un large consensus semble se dégager chez les chercheurs en sciences de gestion autour de l’importance d’une approche exploratoire qualitative dès lors que l’on s’intéresse à l’étude d’un phénomène complexe, dans une perspective processuelle (Hill et al., 1999 ; Brush & Listenstein, 2001, etc.). En outre, la littérature plaide pour une approche qualitative parce qu’elle permet de fournir des théories plus riches et plus dynamiques (Hoang & Antoncic, 2003). C’est particulièrement le cas de l’étude des dynamiques de réseau de l’entrepreneur (O’Donnell et al., 2001 ; Lechner & Dowling, 2003, Jack, 2010, Slotte-Kcock & Coviello, 2010), un phénomène peu connu (Miles & Huberman, 2003).

Par ailleurs, le nombre relativement faible des travaux empiriques qui étudient l’entrepreneur naissant et la réussite entrepreneuriale dans sa dimension dynamique (Moreau, 2008) peut 47 L'ANT considère un anti-programme comme une entité humaine ou non-humaine susceptible de perturber le projet mais qui peut aussi s'avérer indifférente ou positive si le projet parvient à modifier son opposition en ralliement.

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justifier, à notre sens, l’approche longitudinale (Pettigrew, 1992) privilégiée dans cette recherche. En effet, afin d’accroitre nos connaissances relatives aux dynamiques du système entrepreneurial nous avons opté, à l’instar de La Ville (de) (2001) et comme le suggère Jack (2010) pour l’étude d’un cas unique (Eisenhardt, 1989 ; Eisenhardt & Graebner, 2007). Ce dernier pourrait être un exemple puissant (Siggelkow, 2007), riche en informations grâce à l’immersion du chercheur dans la réalité du phénomène étudié.

En substance, nous avons suivi pendant deux ans, le processus de construction du réseau d’actants d’un projet de création d’entreprise innovante dans le domaine de la nanotechnologie de l’espace : SuperNova. Ce projet est incubé au sein de ‘Créalys’, un incubateur public de la région Rhône Alpes. Le projet a été identifié et retenu le 15/01/2008, lors d'une réunion avec l'ensemble des chargés d'affaires de l'incubateur. Les critères que nous avons retenus pour choisir ce projet sont les suivants :

Il s’agit d’un premier projet de création d’entreprise pour l’entrepreneur La date de la création de l'entreprise est prévue au plus tard le 01/avril/2009 ; L'acteur principal dans le processus est le porteur du projet, l'incubateur ne joue

qu'un rôle secondaire ; L'existence d'un leader dans le cas d'une création par une petite équipe

entrepreneuriale ; La signature de la convention d'incubation ou à défaut le passage des deux comités

d'engagement et de sélection avec succès (signature prévue très prochainement).

Dans le cadre de cette recherche, nous avons opté pour une triangulation dans la collecte des données (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1989) à partir des observations participantes (Journé, 2005) (depuis mars 2008), des analyses documentaires complémentaires et des entretiens semi-directifs. Ces derniers ont été menés avec des intervalles de temps de quatre mois. La périodicité de ces rencontres a été définie avec le porteur du projet en prenant en considération nos attentes, nos objectifs, les disponibilités du créateur et le rythme estimé d’avancement de ses activités.

Le premier entretien s’est déroulé le 14 mars 2008 au sein de l’incubateur. Les autres rencontres ont eu lieu les 06 octobre 2008, 19 janvier 2009, 15 mai 2009, 28 septembre 2009 dans les locaux du laboratoire de recherche de l’entrepreneur à l’INSA de Lyon. La dernière entrevue a été réalisée le 31 janvier 2010 dans les locaux de la nouvelle entreprise. Cette entreprise, créée le 05 octobre 2009, s’est installée dans une pépinière de la région lyonnaise, réservée aux activités technologiques.

Au total huit entretiens semi-directifs ont été réalisés. Les deux premiers, auprès du chargé d’affaires qui accompagne l’entrepreneur, ont permis de nous initier au domaine de compétences de l’entrepreneur (sciences de l’ingénieur). Les six interviews réalisées avec l’entrepreneur, ont été riches en informations à propos de l’historique du projet et de son évolution. Un accent particulier a été mis sur la construction de son réseau. Dans ce cadre, il convient de souligner qu’une convention de confidentialité a été signée avec une obligation de faire relire les retranscriptions des entretiens enregistrés, par l’entrepreneur. Cette démarche peut être justifiée par l’objectif de protéger son innovation.

A côté des entretiens, nous avons choisi de participer à des réunions et des visites des laboratoires de recherches, afin de saisir une logique de situation des différents contextes au sein desquels émerge le projet. En effet, nous avons participé à certains comités de suivi du projet chez l'incubateur, où l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le processus

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d'incubation étaient présents. Nous en citons les principaux : INPI, Lyon Sciences Transfert, Cellule de transfert au sein de l’université, La Chambre de Commerce de Lyon, INSA Valor, chargé d'affaires, CNRS, etc.

En outre, nous nous sommes déplacés sur les lieux de développement techniques du projet. Ainsi nous avons assisté à des expérimentations des prototypes tout en réalisant des simulations avec les technologies développées.

Parallèlement, nous avons pris contact avec d'autres acteurs qui font partie du réseau de l'entrepreneur. Notre présence au sein du laboratoire de recherche, nous a offert la possibilité d'observer et de manipuler des artefacts physiques, d'examiner les différentes versions des prototypes, de visualiser des enregistrements de toutes les expérimentations, d'analyser avec le porteur du projet des dessins et des plans etc. Ces artefacts ont fait l'objet d'une analyse continue dans le temps (figure. 1).

Des informations complémentaires, notamment des vidéos, des images, des plans d’affaires et des dossiers de candidatures au concours national Oseo, ont été échangées par courriers électroniques. Les données collectées ont fait l’objet des conversations téléphoniques soit pour contrôler leur véracité, soit pour suivre l’état d’avancement de certains éléments liés au projet tels que les rencontres avec des acteurs clés du réseau, les résultats des concours ou des tests de faisabilité des prototypes. Ces échanges ont été réalisés d’une manière continue dans le temps, soit à l’initiative du chercheur, soit à celle de l’entrepreneur.

Figure 1. Exemple d’artefacts étudiés : Le déployeur ‘Flymat’

Par ailleurs, trois entretiens de groupe ont été réalisés. Le premier avec les principaux acteurs du réseau de l’entrepreneur. Il a eu lieu au sein de l’incubateur en présence du porteur du projet et de son chargé d’affaires. Le second avec l’entrepreneur et ces deux associés et le dernier avec les mêmes personnes en plus de la présence d’une quatrième personne chargée du développement informatique du projet. Ces entretiens de groupe nous ont permis d’avoir des regards et des avis externes sur le projet et son porteur.

Toutes les informations collectées ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu guidée par la méthodologie de l’ANT (Bardin, 2001). En utilisant le logiciel Nvivo8, une grille

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d’analyse a été élaborée selon le processus de codage suivant : A partir du cadre théorique mobilisé et de la démarche de l’ANT, 19 nœuds libres ont été identifiés en ignorant tout lien qui pouvait exister entre eux. Suite à cette pré-structuration, nous avons fait appel à une tierce personne indépendante qui a une formation en stratégie des entreprises innovantes et qui n’a aucune connaissance du cas étudié. Un double codage de l’ensemble des entretiens a été effectué sans concertation afin d’éviter toute influence sur la procédure de codage. Au terme de cette opération, la fiabilité du codage a été jugée très bonne avec un indice de Kappa de Cohen obtenu, estimé à 95% et avec un taux d’accord au niveau du nombre des codes qui s’est élevé à 97%48.

Avant d’exposer les résultats de cette recherche, il convient de souligner que ce choix méthodologique est à la fois risqué et original. D’une part, il est risqué dans la mesure où nous ne disposions d’aucune garantie quant à l’aboutissement de ce projet. D’autre part, son originalité est liée à l’alliance qui existait entre le chercheur et le cas étudié. Cette dernière pouvait tourner en « trahison » (Callon, 1986) en cas d’échec. Le tableau suivant résume les principaux éléments de l’approche méthodologique suivie dans le cadre de ce travail.

Tableau 1 : Synthèse de la démarche méthodologique suivie Méthodologie de la recherche

Approche suivie Longitudinale & exploratoire (intervalle de quatre mois en moyenne entre les entrevues)

Contexte de la recherche

Le projet SuperNova : un projet de création d’entreprise innovante dans le domaine de la nanotechnologie de l’espace issu de la valorisation de recherche de l’entrepreneur étudiant. Le projet est incubé dans un incubateur public de la région Rhône Alpes Créalys.

Collecte des données

Date

Durée

2 Entretiens auprès du chargé d’affaires accompagnateur de

l’entrepreneur

15/01/2008 et 18/02/2008

3h

6 entretiens auprès de l’entrepreneur

14/03/08 – 06/10/08 19/01/09- 15/05/09 28/09/09 – 31/01/10

18h

Observation participante (depuis mars

2008)

Des documents complémentaires

Nature de l’information

collectée

Initiation au domaine de compétences de

l’entrepreneur (sciences de l’ingénieur).

Première présentation du couple individu-

projet.

Historique du projet

Evolution du projet

Construction du réseau

Controverses

Visite au laboratoire de

recherche.

Participation à des réunions

d’évaluation au sein de

l’incubateur.

Plan d’affaires

Dossier de candidature au concours Oseo

Des videos d’expérimentation

Différentes versions des prototypes.

Analyse des informations

Analyse thématique de contenu basée sur le logiciel Nvivo8 19 nœuds libres identifiés au préalable Un double codage fiable à 95% selon l’indice de Kappa de Cohen 254 codes obtenus au total

48 Pour plus d’informations sur les guides d’entretien et le codage des entretiens voir annexe 1.

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3.2 La traduction du projet ‘Supernova’

L’analyse de contenu que nous avons effectuée nous a permis de disposer d’une masse de données bien structurée ainsi que d’une grande richesse informative que nous avons mobilisée pour la description du projet. Cette description a été élaborée en suivant la démarche de la chaine de la traduction telle que préconisée par la théorie (Akrich, Callon & Latour, 1988 et 2006). Elle reprend l’historique du projet, son évolution en fonction du temps, la dynamique de construction du réseau d’actants et l’état actuel de la situation entrepreneuriale. La figure 1, ci-après reprend les différentes phases de développement du réseau49. Le tableau 2 qui suit permet de situer dans le temps ces différentes phases dans le processus de construction du réseau de l’entrepreneur et de fournir des informations sur leur durée.

Tableau 2 : Synthèse des différentes phases de la construction du réseau entrepreneurial Phase 1 2 3 4 5 6 7 8

Nombre d’acteurs :

Humains

Non Humains

1 2 3 7 17 17 23 44

1 2 3 7 17 17 21 37

0 0 0 0 0 0 2 7

Date L’intention de travailler dans le domaine de l’espace est née à l’âge de 18 ans.

30/06/07 14/03/08 06/10/08 19/01/09 15/05/09 28/09/09 31/01/10

Durée 5 ans 12 mois environ

2 à 3 mois

4 mois 4 mois 4 mois 4 mois Fin de suivi de l’évolution du réseau

Dans ce qui suit, nous détaillerons les principales caractéristiques de cette dynamique. 3.2.1. Vers une problématisation de la situation entrepreneuriale initiale SB (A) est un jeune entrepreneur de 23 ans, élève ingénieur de l’INSA de Lyon, en fin d’études dans la filière génie mécanique. Il a eu l’idée de créer une entreprise en valorisant les résultats de ses recherches universitaires (phase 1), dont l’objet est de proposer à des entreprises un service de validation des composants électroniques d’un vol spatial simulé dans les conditions extrêmes de l’espace. Ce service de validation pourrait être réalisé grâce à la vente de deux produits développés par le porteur de projet : un ‘déployeur’ et un nano- 49 Les actants qui forment le réseau sont identifiés par des lettres. Par exemple : (A) est le porteur du projet, (B), son premier associé, etc. L’ordre de ralliement au réseau est respecté en suivant l’ordre alphabétique.

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satellite qui seraient intégrés dans une fusée et proposés à la clientèle. Cependant, la réalisation de cette idée nécessite la présence d’un certain nombre d’acteurs, qui ont été identifiés par ce jeune porteur de projet: un associé en informatique, un associé en électronique, un incubateur, un laboratoire de recherche, un tourneur fraiseur, le Centre National des Etudes Spatiales (CNES) une structure de valorisation (INSAVALOR) et un lanceur de fusée, etc.

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103

Figure 1. Evolution de la construction du réseau au cours du temps

Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 4

Phase 5 Phase 6 Phase 7

A

A B

A B

C

A B

D

E

F

C

A B D

E

I

J

F

O

Q H G

P

C

R

N

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A

B D

E

I

J

F

O

Q

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H

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C

R

A

B U D

E

V

I

J

S

F

O

Q

T

Y

W

Z

H

G

AA

X

P

C R

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Figure 1. Evolution de la construction du réseau au cours du temps (Suite)

Phase 8

A

B U D

E

A

V

I J L S

F

O

A

Q

T

AA

A

A

A

A

A

Y

W

Z

A

A

A

A

A

A

B

A

A

A

A

A

B

H

G

AA

X

A

AZ A

A

AE K

P

C Q

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Mais la plupart de ces entités ont refusé de coopérer avec le créateur d’entreprise en raison de plusieurs problèmes qui sont liés soit au projet, soit au porteur lui-même (phase 3). Parmi ces difficultés, nous pouvons citer : les problèmes techniques des nano-satellites qui ne sont pas encore prêts à être commercialisés, l’ambition du projet qui est trop importante pour un jeune entrepreneur naissant de 23 ans, la perception que le domaine de l’espace reste l’affaire des grandes entreprises, la politique du pays qui n’est pas favorable, l’inexpérience de l’étudiant qui accentue l’incertitude quant à la réussite du projet, le manque de ressources financières et matérielles, l’inégalité de pouvoir entre le jeune créateur et les grandes institutions, les problèmes d’exportation des produits à double usage, l’absence de statut juridique pour le créateur d’entreprise, etc.

(E1) Le domaine de l’espace est perçu par les gens comme inatteignable… Quand il y a quelqu'un comme nous qui veut se lancer dans le domaine avec les compétences et les moyens qu'on dispose, on est pris de haut et pas très au sérieux. Dans notre société, le domaine de l'espace est souvent vu comme un secteur réservé aux grandes entreprises (NASA, ESA, EADS, etc.) … et, c'est ce préjugé qui nous pose un vrai problème aujourd'hui par rapport à nos interlocuteurs incontournables. Ces barrières nous obligent à dépenser énormément de temps et d'énergie pour convaincre les gens que ce qu'on fait est basé sur des vraies opportunités technologiques et d’affaires… ...Après, il y a tous les problèmes des jeunes qui veulent se lancer dans une activité ambitieuse, qui n'ont pas d'expérience et de légitimité …

(E2) Une autre raison qui pourrait nous être reprochée, c'est le risque élevé dans notre activité dû à l'incertitude de notre projet qui démarre dans un domaine encore inexploité. Les personnes que nous avons contactées nous disent : Mais on encourt un risque énorme avec votre projet ! et encore, on va toucher à des domaines et à des interlocuteurs qu'on n'a pas prévus initialement...

3.2.2. L’émergence du réseau entrepreneurial : entre intéressement, enrôlement et mobilisation

L’intéressement des ‘actants’ Afin de faire face à toutes ces difficultés et pour pouvoir intéresser les personnes dont il a besoin pour créer son entreprise, SB a modifié trois fois l’objet de son projet. Par exemple, pour faire face aux problèmes techniques qui empêchent certains acteurs de s’associer au projet, il est passé de l’activité de développement des nano-satellites à celle de développement de pico-satellites (passage de la phase 4 à la phase 5).

(E3) Au début, nous avons prévu de travailler sur les femto satellites qui pèsent moins de cent grammes. Ce qui me semblait être conceptuellement quelque chose de faisable et d’innovant et que nous cherchons à développer. Mais à mon avis, cette offre doit attendre encore au moins cinq ans, le marché n’est pas encore prêt pour la commercialiser. En plus, au niveau de la maîtrise de la technologie, ça serait difficile d'avoir une puissance très élevée dans un produit aussi petit. Par ailleurs, notre innovation doit porter sur les pico satellites au début, c'est-à-dire, on va essayer de travailler notre système de plate-forme pour avoir plus d'espace disponible pour les charges utiles de clients,...

Ensuite, pour intéresser des clients qui restent perturbés par la complexité de l’offre, le projet est passé de la vente du satellite et du ‘déployeur’ à la proposition d’une offre plus globale de certification spatiale, qui simplifie au maximum la procédure pour le client en limitant le nombre d’interfaces client à une personne (passage de la phase 7 à la phase 8). Il a fait de même pour les personnes qui trouvent que le projet est trop risqué avec un niveau d’incertitude trop élevé. Pendant la phase 7, SB a réalisé avec l’aide de deux artisans en

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métallurgie un prototype (AA) qui vole, qui résiste au choc et à la chaleur et qui fonctionne en orbite. De la même façon, pour contourner l’absence d’un statut juridique qui lui permettrait d’exporter, SB a créé, pendant la phase 8, une association (AE) avec deux autres personnes, ce qui lui a permis d’avoir un numéro d’immatriculation d’entreprise. Enfin, pour intéresser les lanceurs de fusées qui refusaient de collaborer au début du projet, il a fait jouer la concurrence pendant la phase 6 en négociant avec trois stations internationales de lancement simultanément. Cette stratégie de négociation a porté ses fruits et s’est conclue par la signature d’un accord de partenariat avec une station spatiale indienne (V). Ce partenariat a permis entre autres au créateur d’entreprise de décrocher l’une de ses premières commandes avec un centre de recherche indien, l’actant (Z). Cette stratégie de négociation a permis également d’intéresser d’autres acteurs nationaux et européens, parmi lesquels figure le ministère de la recherche (AJ), le ministère de la défense (AK), le conseil de la région Rhône Alpes (W), le réseau EBN50 (AL), etc. L’incubateur (D) a joué ici un rôle de catalyseur dans le rapprochement et la construction des liens avec ces institutions.

L’enrôlement et la mobilisation des ‘actants’ Après avoir identifié un nombre élevé d’acteurs et réussi à les intéresser, SB est parvenu à en enrôler un nombre relativement important. En effet, les entités qui ont été intéressées par le projet et qui ont accepté d’y contribuer sont passées de 2 acteurs, (A) et (B) dans la phase 2, à environ 50 au moment du lancement de l’activité, 18 mois plus tard, dont un nouvel associé (U). Sur la trajectoire de développement du projet, nous constatons un déplacement dans le rythme et l’intensité de ralliement de nouveaux actants (Voir le passage de la phase 7 à la phase 8). Ceci est dû à la preuve de faisabilité technique du projet suite à la réussite dans l’épreuve du test en vol du prototype de ‘déployeur’(AA). Cet intéressement « réussi » a été obtenu grâce à de nombreux arrangements, négociations, ajustements et adaptations. Par exemple, entre les phases 7 et 8, SB a réussi à négocier avec des enseignants pour la mise à disposition d’une classe entière d’étudiants en fin d’études du cycle ingénieur. L’objectif était de travailler sur le développement des différentes composantes du satellite en gardant une certaine avance technologique sur le marché. Il a pu mobiliser trois groupes composé de trois étudiants, chacun pour l’étude et la mise en œuvre de différents aspects du projet.

(E4) Plusieurs projets de fin d’études travaillent et sur le prototype et sur les satellites. Nous avons embauché quatre stagiaires que nous ne payons pas, c’est un arrangement que nous avons fait avec les enseignants. Nous ne les payons pas mais ils nous aident. Pourquoi ? Parce que le sujet est passionnant et les professeurs s’intéressent à ce genre de projets qui motivent les étudiants. Ce sont des étudiants en fin de cycle ingénieur général … quatre travaillent sur le plan d’affaires et sur notre futur troisième produit, les stations en sol. Puis, nous aurons un 9

ème stagiaire qui vient se joindre à nous sur

l’intelligence artificielle que nous allons intégrer dans le satellite et enfin il y a un 10ème

stagiaire qui est en IUT, qui travaille sur le déployeur avec moi… Aussi, il y a un groupe d’étudiants, c’est une classe entière qui travaille sur la faisabilité d’un déployeur de nano-satellites. Cette étude est comme un sondage pour anticiper le marché des nano-satellites qui s’ouvrira un jour. Comme ça nous aurons une avance sur le marché qui répondra à la demande future. Ces stagiaires sont suivis par trois professeurs et nous mêmes.

Ces acteurs universitaires ont contribué au développement technique du projet. Ils ont réussi, sous la direction de l’entrepreneur, à mettre en œuvre un prototype fonctionnel avec une garantie de répétabilité des résultats. Ce qui a permis à l’entrepreneur d’obtenir un brevet sur

50 EBN : European Business Network

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le déployeur et gagner conséquemment en légitimé et crédibilité vis-à-vis des principaux acteurs institutionnels.

(E5) Ce qu'il y a en fait et ce que nous avons remarqué ces deux derniers mois, quand nous avons sorti le 'déployeur', qui fonctionne déjà et qui est dans un stade très avancé avec un brevet déposé, les gens nous voient différemment. Donc nous voyons un changement d'attitude à tous les niveaux. C'est surprenant ! Il n'y a pas de changement au niveau du projet, mais juste une petite vidéo qui montre un mécanisme qui marche, ils te regardent différemment ! !.

Par ailleurs, le rôle des acteurs techniques était central dans ces dynamiques d’intéressement et d’enrôlement. En effet, à côté du brevet et du prototype, l’entrepreneur a mobilisé d’autres objets techniques pour convaincre ces acteurs de la faisabilité et la validité du projet. A titre d’exemple, l’entrepreneur a mis en œuvre un démonstrateur technologique sous la forme d’une vidéo qui a joué le rôle de porte-parole vis-à-vis de l’Agence Spatiale Européenne. Cette démarche a réussi à intéresser un responsable au sein de cette agence qui s’est impliqué dans le projet par son expertise et par la mobilisation de son réseau professionnel51.

(E6)… En outre, nous avons développé une vidéo démo qui sert comme démonstrateur technologique pour intéresser l'agence spatiale européenne et la faire adhérer au projet sous forme d'un partenariat de lancement des produits développés par 'SuperNova'. Cette vidéo a été réalisée suite à la demande d'un responsable au sein de cette agence afin de donner plus de poids et de crédibilité aux jeunes ingénieurs en quête de légitimité et augmenter leur chance pour être sélectionnés par cette institution…

Cette expérience illustre le rôle d’intermédiation que peut jouer l’artefact technique quand il s'érige en un porte-parole du couple individu-projet et de l'ensemble du collectif d'acteurs qui s'est mobilisé pour le construire. Il joue, en outre, un double rôle de représentation, en amont et en aval dans le processus de sa mobilisation. En amont, quand il reflète, d'une part, les intentions, les aspirations, les habitudes, les interactions, les compromis et les objectifs de l'entrepreneur, et d'autre part, les moyens, les compétences et les ressources enrôlées pour réaliser le projet entrepreneurial. En ce sens, il indique, à l'acteur que l'entrepreneur veut l'intéresser, quelque chose sur le couple-individu projet et sur les conditions sociotechniques de sa (non) réalisation. En aval, quand il se charge de faire une projection sur l'avenir du processus entrepreneurial, parce que l'artefact technique est généralement un objet éphémère, une ébauche ou une promesse d'un avenir souhaité. Ici la vidéo envoyée transmet au lecteur les capacités sociotechniques de l'entrepreneur, le script de déploiement souhaité et l'état et la vitesse d'avancement du projet.

En assumant ce rôle de représentation, l'artefact technique devient ainsi un vecteur d'information et de communication qui va réduire le décalage de représentations perçues et l'asymétrie d'information qui pourraient exister entre l'entrepreneur et ses interlocuteurs. De même, grâce à cet artefact technique, la légitimité de l'entrepreneur va augmenter en visualisant ces vidéos, ces textes, ces rapports, ces études, ces tests, ces expérimentations, etc. Cependant, l'artefact pourrait, suite à une mauvaise représentation involontaire et non contrôlée, trahir l'entrepreneur.

Par ailleurs et afin d’améliorer le développement technique de son projet, l’entrepreneur naissant a fait appel à deux artisans expérimentés « fraiseurs-tourneurs », (E) et (G), avec qui il a réussi à négocier des prix très avantageux et des facilités de paiement. Afin d’assurer une veille technologique, il a voyagé dans plusieurs pays pour participer à des conférences

51 Quand on a arrêté notre étude, un partenariat entre l’ESA et le porteur de projet était en cours de finalisation.

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spécialisées. Il a aussi fait appel à la compétence d’un expert international dans les technologies de l’espace (O).

(E7) L’expert allemand qui nous a donné des conseils d’ordre général sur le domaine, le modèle économique, technique, politique, c’est un ingénieur qui travaille dans le domaine depuis des années, il est spécialiste dans les mini satellites. Ce type de satellites appartient à un marché voisinant le notre et qui utilise les mêmes techniques. Même si cet expert est de plus en plus occupé. Il reste toujours avec nous pour nous donner des conseils. A vrai dire aujourd’hui nous sommes passés à un stade où nous n’avons plus vraiment besoin de lui… Mais au démarrage quand c’était plus de la passion, nous ne savions pas trop ce que nous allons faire, c’est lui qui nous a encadré et dirigé vers la forme actuelle du projet. Les entretiens téléphoniques que nous avons eus avec lui, nous ont étaient d’une utilité inestimable.

Il faut signaler aussi que l’entrepreneur a réussi à exploiter certaines contingences (Sarasvathy, 2001) qui l’ont conduit à établir de nouveaux liens avec des gens rencontrés par hasard dans le cadre de ses activités entrepreneuriales. Ces contacts ont été intéressés par son idée initiale et mobilisés dans le processus de construction de son projet. A titre illustratif, à un moment donné du développement du projet, SB a été bloqué suite à un problème thermique au niveau du ‘déployeur’. En discutant avec son associé de ce problème dans un train, un passager attiré par le sujet s’est associé à la conversation et a apporté la solution au problème thermique. En effet, cette personne (BA) est l’un des spécialistes français du domaine avec qui SB garde toujours de bonnes relations et auquel il fait régulièrement appel quand il a besoin de son expertise. Néanmoins, certaines actions d’intéressement n’ont pas connu la même réussite. Par exemple, le créateur a échoué dans l’enrôlement d’un ingénieur en électronique, spécialiste dans le domaine du spatial (AB), parce qu’il n’a pas réussi à le désintéresser d’un autre projet concurrent, consistant à aller travailler chez EADS où le risque perçu est beaucoup moins élevé.

3.3. La dynamique de construction du réseau entrepreneurial A partir des développements précédents, nous pouvons constater que l’ingénieur SB a réussi à cristalliser autour de son projet tout un réseau d’actants dont le noyau est constitué de trois associés (A, B, et U). Une série de déplacements, d’ajustement et de négociations a été entreprise dans ce cadre. Ce résultat confirme l’observation de Fayolle (2007) qui considère le projet entrepreneurial comme un objet en conception évolutive. Afin de mieux comprendre la dynamique de construction de ce réseau, il est possible de regrouper les huit phases du projet Supernova en trois principales configurations, chacune caractérisée par des problèmes, des registres et des acteurs différents. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur : les spécificités du projet Supernova, les quatre caractéristiques de tout processus entrepreneurial innovant (nominalité requise, équivocité, asymétrie d’information et incertitude) et la chaîne de la traduction (voir figure 2 ci-dessous). La première configuration concerne les quatre premières phases de la construction du réseau. Ces dernières se caractérisent particulièrement par l’opposition d’adhésion de plusieurs acteurs au projet Supernova, et ce parce qu’il est basé uniquement sur les résultats

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Figure 2 : La lecture de la trajectoire entrepreneuriale du projet SuperNova au travers de l’ANT

Intéressement (I)

-Registre 2 = Registre 1 + Support, + commercial

-Mécanismes : Preuve technique, intermédiation,

Problématisation P1

- Asymétrie d’information

- Inégalité de pouvoir

Intéressement (I)

-Registre 1 : Technologique, universitaire, personnel

- Mécanismes : Né i i

Enrôlement (E)

-Professeur

-Expert

1 2’ si I <

2 si I >

3’ si E< 0

Problématisation P2

- P1

- Incertitude technique

- Manque de visibilité

Enrôlement (E)

-Incubateur

-Laboratoire

Intéressement (I)

-Registre 3= Registre 2 + registre financier + affaires

- Mécanismes : Preuve technique &

Problématisation P3

- P2

- Retard technique

- Statut étudiant

Enrôlement (E)

-Oseo

-La Région

-Business

3 si

4

5 si I >

5’ si I <

6’ si E< 0

6 si

7

8’ si I <

8 si I >

9’ si

9 si

Mobilisation Mobilisation Mobilisation

T

Configuration Réseau 1

Configuration Réseau 3

Configuration Réseau 2

Etc.

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universitaires de SB. Ceci montre que les premiers types de problèmes rencontrés par le créateur sont essentiellement liés au manque de légitimité. Ce qui rejoint l’argumentation de Messeghem et Sammut (2007). En effet, le manque de légitimité a accentué le différentiel de perception entre les acteurs, d’où l’asymétrie d’information. Selon Barry (1994), ce décalage des perceptions, qui caractérise tout projet entrepreneurial innovant, peut conduire à une sous-évaluation de l’opportunité détectée. En plus de ces problèmes, se sont ajoutés également l’inégalité de pouvoir (entre lanceurs de fusées et SB par exemple) et la politique publique peu favorable pour lancer ce type de projet. Afin de dépasser ces controverses, le créateur SB a tenté d’intéresser plusieurs acteurs à son projet. Pour ce faire, trois registres sont indispensables : la technologie, l’université, et les connaissances personnelles du créateur. Pour le cas de Supernova, SB a modifié les caractéristiques techniques de son produit (développement des pico satellite au lieu des nano satellite) pour attirer le plus de personnes pouvant lui apporter une valeur ajoutée dans la réalisation de son projet. Il a négocié les prix (avec les artisans par exemple) tout en profitant de sa présence dans les conférences internationales afin de communiquer davantage sur son projet. Tous ces éléments permettent de dépasser les préjugés stipulant que ce secteur est exclusivement réservé aux grandes entreprises. Certains experts, professeurs et amis se sont finalement joints au projet. D’où l’enrôlement et la mobilisation selon la chaîne de la traduction (Akrich, Callon & Latour, 2006). Malgré les efforts déployés par l’entrepreneur au cours de cette première étape, certains acteurs, nécessaires au projet, continuaient à refuser toute collaboration. D’où la deuxième configuration du RS. Dans le cadre de la deuxième étape (phases 4 et 5), nous pouvons constater que la nature des problèmes rencontrés par SB a changé, ce qui a nécessité l’utilisation de nouveaux arguments pour convaincre de nouveaux acteurs, et exploiter ainsi leurs ressources. En effet, en plus des difficultés citées précédemment, l’incertitude et le manque de visibilité ont fortement influencé le comportement des partenaires potentiels. En reprenant la réflexion de Bruyat (1993), nous pouvons considérer que les facteurs liés au couple individu-projet sont la vraie source d’incertitude comparée à l’environnement externe du projet. Plus particulièrement, il s’agit des aspects techniques liés à la fabrication du prototype de l’offre. D’où l’importance de la R&D dans ce type de projet (Low & Srivatsan, 1994). Dans ce cadre, les négociations commerciales peuvent s’avérer indispensables pour convaincre. Des preuves techniques peuvent être également utilisées pour conclure des partenariats (avec des laboratoires indiens pour le cas de Supernova). Cet intéressement, basé sur plusieurs actants, peut conduire à la mobilisation de nouveaux acteurs tels que les entreprises locales et les incubateurs. Ces derniers peuvent jouer un rôle important dans le développement des services de validation des composants électroniques d’un vol spatial. Leur mobilisation a permis au créateur de Supernova de développer son réseau et surtout de profiter de certaines ressources financières et des expertises dans le domaine. Malgré l’évolution du réseau de l’ingénieur SB, nous avons constaté que quelques acteurs clés manquaient encore au bon développement du projet. C’est le cas des business angels, des scientifiques, etc. Selon la chaîne de la traduction, ces derniers n’ont pas pu être enrôlés malgré la diversité des registres utilisés. D’où la formation à la troisième confioguration qui regroupe les phases 7 et 8. Dans ce cadre, d’autres problèmes ont émergé. C’est le cas de la complexité et du retard technique de l’offre, du manque des ressources financières et du statut d’étudiant du créateur du projet Supernova. Tous ces facteurs ont rendu difficile la commercialisation du service de validation. Ceci peut être interprété à la lumière de la nominalité requise. En effet, il est possible de considérer que le projet innovant Supernova n’a pas pu atteindre, en quelques mois, des performances minimales sur les caractéristiques de

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l’offre (déployeur), ce qui a entraîné un retard au niveau de l’avantage concurrentiel (Hannan & al, 1996). Dans ce type de situation, les registres précédemment cités dans les étapes précédentes mériteraient d’être complétés par des aspects financiers. Des négociations et des preuves techniques et économiques, comme des nouvelles versions de prototypes ou du plan d’affaires, sont nécessaires pour intéresser de nouvelles personnes et les convaincre de rejoindre le projet. Une fois qu’un rôle leur est attribué, elles alimenteront le réseau moyennant une mobilisation ponctuelle. Au final, une nouvelle version du réseau sociotechnique est développée. Le tableau (3) de synthèse ci-dessous décrit les différentes phases d’évolutions du réseau entrepreneurial, le nombre d’acteurs, les techniques de constrcution et d’activation des liens sociaux, l’intenisté de ses liens et en fin les ressources que chaque configuration du réseau permet de mobiliser et/ou d’en faciliter l’accès.

Discussion A partir de ces interprétations, la création d’une entreprise innovante apparaît comme un processus tourbillonnaire basé sur la mobilisation progressive et évolutive de plusieurs acteurs. Ces derniers, en permettant à tout entrepreneur d’acquérir des ressources nécessaires à son projet (Shane, 2003), constituent un véritable capital social et humain (Wright et al. 2007). Pour tout entrepreneur naissant, le véritable enjeu consiste à identifier les acteurs nécessaires et les difficultés potentielles (la problématisation) en se basant sur les quatre caractéristiques de tout projet innovant. L’objectif étant de définir les registres (Personnel : famille-amis, Technologique : experts-techniciens-chercheurs, Financier : business angel-investisseurs, Affaires : clients-fournisseurs et Support : Incubateur-Réseau Entreprendre) adéquats pour intéresser, enrôler et mobiliser ces acteurs (Law, 1985). Certes l’importance des registres n’est plus à démontrer mais l’ordre de leur utilisation peut être amené à changer en fonction des caractéristiques du projet et de ses besoins en termes de ressources. Dans ce cadre, une certaine redondance au niveau des liens peut être constatée (Burt, 1992) étant donné que les composantes du projet ne coexistent pas à toutes les étapes. Néanmoins, le réseau de l’entrepreneur naissant reste très riche en trous structuraux donnant accès à des ressources de nature diverse au niveau régional (Lechner & Leyronas, 2007), comme au niveau national, voire international. En outre, en étudiant la trajectoire de l’émergence de cette nouvelle entreprise, nous avons constaté une forte mobilisation des liens faibles (Granovetter, 1973), et une mobilisation quasi nulle des liens forts. Ainsi, nous confirmons les résultats des travaux de Liao et Welsch (2003), Julien et al. (2004) et Zhang et al. (2010), qui insistent sur l'importance des liens faibles dans le processus entrepreneurial (Dubini & Aldrich 1991 ; Chell & Baines 2000). La prépondérance des liens faibles, pendant la phase ante création du processus entrepreneurial, peut être expliquée par l’absence de l’exigence d’une réciprocité entre les contacts, comme le confirment Martinez & Aldrich (2011). Elle peut être due aussi à la nature innovante du projet qui contraint l’entrepreneur à créer des liens ex-nihilo, ce qui n’est pas forcément le cas dans un projet entrepreneurial peu innovant. D’autre part, cette question d’utilisation des liens forts/faibles et leur importance peut varier en fonction du temps et des étapes dans le processus entrepreneurial.

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Tableau (3) : Synthèse de l’évolution du RS de l’entrepreneur naissant

Étapes Nombre d’acteurs

Registre d’acteurs Bénéfices/Ressources Mobilisées Natures de lien

Techniques de construction/activation de lien

Phase 1 1 Phase 2 2 Universitaire/Technologique (1) Association Fort Narration Phase 3 3 Universitaire/Technologique (2) Conseil scientifique

Référence sur le marché Accès aux ressources de l’Université

Fort Narration

Phase 4 6 Universitaire/Technologique (4) Support (2)

Conseil scientifique Référence sur le marché Networking

Faible Plan d’affaires Présentation devant des comités de sélection

Phase 5 16 Universitaire/Technologique (5) Support (8) Affaires (3)

Conseil scientifique Référence sur le marché Networking Moyens de production Soutien moral et financier

Faible

Phase 6 15 Universitaire/Technologique (5) Support (8) Affaires (2)

Conseil scientifique Référence sur le marché Networking Moyens de production Soutien moral et financier

Faible

Phase 7 23 Universitaire/Technologique (7) Support (11) Affaires (4)

Conseil scientifique Référence sur le marché Networking Moyens de production Soutien moral et financier Veille technologique

Faible Participation à des manifestations scientifiques spécialisées

Phase 8 52 Universitaire/Technologique (12) Support (12) Affaires (20) Financement (8)

Crédibilité - Pouvoir Réduction d’incertitude Confiance en soi Réduction d’asymétrie d’information Ressources matériels et humaines

Faible Preuve de faisabilité Mobilisation des démonstrations technologiques Réputation du projet

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Néanmoins, et malgré la faiblesse des liens, nous avons remarqué l’existence d’une cohésion assez forte (Martinez & Aldrich, 2011) et évolutive au sein du réseau entrepreneurial qui s’est « stabilisé », après avoir suivi une série de configurations, sous la forme d’un réseau irréversibilisé (Callon, 1992) supportant le projet entrepreneurial.

Par ailleurs, la théorie de l’acteur réseau nous a permis une lecture dynamique différente et complémentaire à celles des théories du capital social appliquées au domaine de l’entrepreneuriat. En effet, en suivant les différentes phases du processus de construction de réseau, nous confirmons les propos de Lechner et Dowling (2003), qui pensent que le réseau social passe par plusieurs tailles en fonction des phases dans le processus et que ses tailles reflètent le niveau de la performance entrepreneuriale (Lechner & Leyronas, 2007). Une performance qui dépend de la capacité dynamique de l’entrepreneur (Zahra et al., 2006) à fédérer (intéresser, enrôler, mobiliser) autour de lui un collectif d’acteurs, détenteurs de ressources indispensables à la survie-développement de son projet.

En outre, la construction du réseau entrepreneurial se réalise aussi dans le cadre d’un jeu de pouvoir entre l’entrepreneur et les acteurs clés (notamment les acteurs institutionnels : l’Université, La cellule de valorisation, Le centre national des études spaciales, etc.) qui donneront accès à des ressources stratégiques pour le projet. Comme le confirment Lopolito et al. (2011), ce jeu de pouvoir a pour objectif principal l’occupation d’une place centrale dans le réseau afin de tirer un maximum de profit de la situation entrepreneuriale.

En plus, l’émergence de la nouvelle entreprise, se fait sur un fond de controverses (Callon, 1986) alimentées par un niveau d’incertitude élevé et un manque de légitimité important (Elfring & Hulsink, 2003). Ce qui explique le mode de réflexion ‘éffectual’ (Sarsvathy, 2001) adopté par l’entrepreneur. Ici, nous corroborons les résultats de (Chandler et al., 2011), qui affirment l’existence d’une association positive entre l’incertitude et l’expérimentation dans l’approche effectuale. En effet, à défaut de prédire le futur qui par définition est imprévisible, notamment dans un contexte d’innovation, l’entrepreneur modifie et ajuste ses objectifs (Due et al. 2009). En adoptant cette approche, l’entrepreneur « Effectuator » (Chandler et al., 2011) conçoit le futur comme le résultat d’une co-création par un réseau d’acteurs « Stitched together » (Dew et al., 2009). D’où la proximité avec l’approche de la théorie de l’acteur-réseau qui conçoit l’innovation comme le résultat d’un processus tourbillonnaire, co-construite par un réseau irréversibilisé d’acteurs. Cependant, cette logique effectuale est modérée dans le processus de création d’entreprise par ce que les chercheurs du centre de sociologie de l’innovation appellent le script futur souhaité (Martin, 2003). Il s’agit d’un scénario que l’entrepreneur devrait réaliser en l’ajustant, chemin faisant, en fonction des ressources qui sont à sa disposition et qui sont mobilisées grâce à son réseau. Ce script futur souhaité, exige de la part de l’entrepreneur un rendement minimal qui garantirait la poursuite du processus entrepreneurial (Bruyat, 1993).

En outre, nos résultats montrent aussi l’importance de la notion de la preuve dans le processus de formation du RS de l’entrepreneur et dans la démarche entrepreneuriale d’une manière générale (voir les extraits P.21). En effet, le doute sur la capacité de l’entrepreneur à concrétiser son idée n’est levé (ou diminué) qu’une fois le porteur de projet a démontré la faisabilité technique et/ou commerciale de la future entreprise. Cette preuve (ou vérité) vient clôturer les controverses autour du couple individu-projet pour laisser la place à la confiance et à la légitimité. Cette preuve vient alors soit débloquer une situation pour faciliter la création d’un nouveau lien, soit renforcer l’intensité d’un lien existant.

Enfin, nous avons observé que l’entrepreneur naissant a construit et mobilisé des compétences interactionnelles lui permettant de développer et de combiner les différents types

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d’interactions, techniques et sociales (La Ville (de), 2001). Ces compétences ont contribué à la construction, la mobilisation et l’exploitation d’un capital social. Ainsi nous renforçons par notre travail les résultats obtenus par Baron et Markman (2003), qui témoignent de l'existence d'une relation significative entre la performance entrepreneuriale (financière) et le niveau des compétences sociales.

Conclusion Tous ces aspects, illustrés par le schéma ci-dessus (fig. 2), montrent l’utilité d’un cadre théorique original, tel que celui de la théorie de l’acteur réseau, dans la compréhension de la dynamique de formation d’un réseau d’acteurs qui apportent des ressources nécessaires à la survie/développement de tout projet entrepreneurial innovant. Généralement utilisée pour étudier des projets d’innovation dans des organisations, elle constitue dans ce travail, focalisé sur la phase ante création du processus entrepreneurial, un cadre conceptuel novateur. La mobilisation de la théorie de l’acteur-réseau nous a permis d’étudier le RS de l’entrepreneur naissant différemment. Elle nous a renseignés principalement sur les dynamiques de la formation des liens, sur les problèmes rencontrés, les registres mobilisés et les ressources dont ils facilitent l’accès. Cette recherche a mis en avant aussi l’importance du rôle des compétences sociales de l’entrepreneur et de la preuve dans la démarche entrepreneuriale.

Sur le plan méthodologique, Cette recherche fait partie des rares travaux à s’être intéressés à l’étude de la dynamique de construction du réseau social de l’entrepreneur naissant, d’une manière longitudinale et en temps réel. Elle propose un protocole méthodologique qui associe les composantes de la chaîne de la traduction (problématisation, intéressement, enrôlement et mobilisation) aux spécificités de la création d’entreprise innovante, en particulier pendant la phase ante création. Par cette étude qualitative, nous confirmons aussi la pertinence de l’étude d’un cas unique comme le suggèrent Eisenhardt et Graebner, (2007), et notamment pour étudier la dynamique de construction du réseau de l’entrepreneur (Jack, 2010).

Sur le plan managérial, la conception proposée pourrait aider l’entrepreneur naissant à mieux conduire son processus de création en optimisant la construction de son réseau. Pour les incubateurs, ce travail pourrait améliorer l’efficacité et l’efficience de leurs modes d’accompagnement. En ce sens, les responsables et les chargés d’affaires doivent promouvoir et diversifier les activités de réseautage. Malgré ces apports, il convient de souligner l’incapacité de généraliser les résultats obtenus à partir d’un cas unique. Un travail complémentaire, que nous avons engagé sur d’autres projets de création d’entreprise innovante, devrait nous permettre d’élaborer plus d’implications. A côté de cette perspective de recherche, nous avons identifié trois nouvelles pistes intéressantes. La première concerne l’étude du rôle de l’artefact technique dans la dynamique de construction du réseau. La deuxième pourrait porter sur les compétences sociales de l’entrepreneur. Enfin, l’étude de l’évolution de l’intensité des liens entre les acteurs au cours de la construction du réseau pourrait également s’avérer prometteuse en s’appuyant sur les travaux de Granovetter (1973).

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La représentation de l’Entrepreneur au cinéma

Blandine LANOUX CLAVERIE Enseignant-Chercheur de l’Université Catholique de Lyon

Laboratoire ESDES Recherche [email protected]

Résumé : Cet article a pour objet d’explorer les représentations de l’entrepreneur véhiculées par un média particulièrement puissant : le Cinéma. Pour comprendre les dissemblances du soutien social réservé aux entrepreneurs selon les pays en vue adapter l’accompagnement du processus de création au contexte culturel, une étude est réalisée sur 141 films. Le cadre d’analyse reprend les deux grands courants de pensée en entrepreneuriat : l’approche "par les traits" et l’approche "par les faits". Un volet supplémentaire original vient compléter ce cadre : celui des genres cinématographiques adoptés par les réalisateurs. La comparaison culturelle porte sur des films français, américains et d’autres produits dans le reste du monde. 17 items permettent d’analyser les motivations et le tempérament des créateurs d’entreprises ou repreneurs. Les agissements et considérations sociales sont examinés à partir de 12 items, du secteur d’activité, du sexe de l’entrepreneur, et du nombre de protagonistes du projet. Pour finir, l’étude du genre cinématographique est menée via la catégorisation des films en 5 grandes familles. Mots clés : Entrepreneur, cinéma, représentation sociale, médias, accompagnement Abstract: The purpose of this article is to question the social representations of the Entrepreneur in films. Because Cinema is a particularly powerful media, it can help us to understand the differences in social support to entrepreneurships in different countries, and to adapt the institutional support to the creation process inside each cultural context. A study is conducted on 141 films. The analytical framework is based on two major schools of thought in entrepreneurship: the “Who” approach and the “What” approach. An additional dimension completes the framework : the Genre adopted by the directors. The cultural comparison concerns French films, Americans and other products in the world. 17 items are used to analyze the motivations and temperament of business creators. The actions and social considerations are examined through 12 items, the business sector, the sex of the Entrepreneur, and the number of project stakeholders. Finally, the study of the adopted genre is conducted via the categorization of movies into 5 families. Key-words: Entrepreneur, film, social représentation, média, social support

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Introduction

Depuis 1997, les études annuelles réalisées dans le cadre du programme international GEM (Global Entrepreneurship Monitor) tentent de faire ressortir les orientations et les disparités de l’activité entrepreneuriale par pays. Parmi les indicateurs de suivi, le soutien culturel et social à l’entrepreneuriat est mesuré sur la base d’entretiens avec des experts. Son examen a poussé les auteurs du rapport 2003-2004 pour la France à énoncer le constat suivant : la culture est le premier facteur limitatif de l’esprit d’entreprise (Torrès, Eminet , 2004). Ce « je t’aime moi non plus » n’est pas une spécificité hexagonale. Il est partagé par l’Allemagne, le Portugal et la Slovénie dans le sous-groupe de 22 pays « Economies basées sur l’innovation ». Mais il suscite des interrogations. Une investigation plus poussée dans le champ scientifique de l’entrepreneuriat nous apprend que les facteurs influençant la décision de création d’entreprise varient selon les pays (Hayton and al., 2002). Dans le courant du management interculturel impulsé par Hofstede (1980), on retrouve les travaux de Shane (1992, 1993), MacGrath et al. (1992), Mueller & Thomas (2000). En 1997, Kostova introduit le concept de profil institutionnel national pour expliquer comment les lois dictées par les états (dimension régalienne), les connaissances socialement partagées (dimension cognitive) et les systèmes de valeurs (dimension normative) impactent l’activité économique domestique. Repris par Busenitz et al. (2000), ce concept est appliqué à l’entrepreneuriat52 pour permettre l’étude comparée de six pays. Il en ressort que dans les pays où les entrepreneurs sont "admirés", la probabilité que les actifs essayent de créer ou de gérer une jeune entreprise est plus forte qu’ailleurs. Mais ce sont les environnements fortement cognitifs et régaliens qui procurent compétences et soutien nécessaires aux firmes pour rencontrer le succès et accéder ainsi aux investisseurs externes et au marché public. Notons au passage que les auteurs octroient la palme du meilleur profil institutionnel aux Etats-Unis et que l’Allemagne se retrouve dernier du groupe (la France n’ayant pas été évaluée). En 2002, Mitchell et al. présentent une étude exploratoire réalisée dans 11 pays et ayant permis de rassembler 990 réponses. Les questions posées au départ par les chercheurs sont au nombre de trois : (1) Les entrepreneurs ont-ils un mode de fonctionnement intellectuel différent des autres acteurs de l’entreprise ? (2) Dans quelle mesure le mode de pensée entrepreneurial est-il universel ? (3) Et quelle est l’ampleur des disparités selon les cultures nationales ? Ce n'est pas tant l'ampleur des disparités qui nous importent ici que le pourquoi. Aborder la problématique du soutien culturel et social à l’entrepreneuriat requiert, selon nous, une approche dans la lignée des cultural studies. Notre assomption est que la production cinématographique, appréhendée comme un ensemble de discours, peut nous aider à mieux saisir les représentations de l’entrepreneur dans nos sociétés. Pour comprendre les dissemblances du soutien réservé aux entrepreneurs selon les pays, nous sommes les premiers à réaliser une étude quantitative sur 141 films selon un cadre d’analyse qui reprend les deux grands courants de pensée en entrepreneuriat : l’approche "par les traits" et l’approche "par les faits". Un volet supplémentaire original vient compléter ce cadre: celui des genres cinématographiques adoptés par les réalisateurs. La comparaison culturelle porte essentiellement sur les films français et américains, les productions des autres pays étant trop faibles pour permettre de faire ressortir des résultats valides. Cet article s’articule de la manière suivante : Dans une première partie, sera exposé le design de la recherche. Dans la deuxième partie, seront présentés les résultats obtenus. La troisième partie servira à approfondir l'interprétation des deux outputs majeurs de ce travail.

52 …et recoupé avec une enquête de l’IMD (International Institute for Management Development) (1994) ainsi qu’avec des données de l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) (1995)

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1. Design de la recherche

Puisque nous cherchons à dessiner les contours des représentations sociales de l'entrepreneur au cinéma selon le pays de production, il faut nous interroger sur le sens de la construction de ces représentations. Les stéréotypes filmiques reflètent-ils l'imaginaire collectif d'une société ou bien résultent-ils des intentions de ceux qui fabriquent ces produits culturels ? La réponse à cette question va influer sur notre approche méthodologique, en particulier sur la façon dont nous avons procédé à la sélection des films. Ensuite sera échafaudé notre cadre d’analyse sur la base des travaux de recherche en entrepreneuriat et dans l’optique de pouvoir identifier des caractéristiques culturelles.

1.1.Représentations sociales au cinéma : figures imposées par l’industrie ou reflets de valeurs partagées ?

Nombreux sont les théoriciens et les professionnels du cinéma convaincus qu’on peut imposer un sens aux spectateurs. A l’appui de cette croyance, la question-programme de Lasswell (1948) sous-jacente à la majorité des études portant sur l’influence d’un média : « Qui dit quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? ». Elle rappelle immanquablement la théorie de l’information, invitant à concentrer l’attention sur trois éléments : l’intervention extérieure au contenu de ce qu’on veut dire, qui est susceptible d’en modifier le sens (bruit sémantique) ; ensuite les répétitions nécessaires pour qu’un message soit correctement transmis (redondance sémantique) ; et enfin la capacité du canal de transmission, évaluée à la fois qualitativement et quantitativement. Cette approche suggère que l’émetteur constitue le seul élément agissant et que le récepteur, c’est-à-dire le public, demeure passif. Certes, au cinéma, l’obscurité, le silence, le corps au repos, l’attention attirée, l’identification à l’œil de la caméra, placent le spectateur dans un état psychique voisin du rêve (Metz, 2002). Et selon Lendrevie et de Baynast (2004), le puissant impact de ce média le situe au premier rang des cinq canaux publicitaires. Dans ce cadre, deux courants d’inspiration différente ont fustigé les industries culturelles au long des années 80 : d’un côté les chercheurs européens ou américains, plus ou moins proches du marxisme, appuyant la revendication des pays non alignés pour l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information ; de l’autre, des philosophes et des sociologues accusant les médias d’être les artisans de la défaite de la pensée, et de conspirer en même temps contre la culture et la démocratie (Balle, 2009 : 651). Germann (2008), fonde justement sa recherche sur l’idée qu’il existe un impérialisme culturel, fruit de la domination des marchés par l’oligopole des majors. La stratégie des « blockbusters » contribuerait à uniformiser les biens et services culturels et à nuire ainsi à la diversité culturelle. Le lecteur est en droit de s'interroger sur les moyens qui permettent de communiquer une idée ou un sentiment au spectateur. Il existe des codes filmiques. Selon la classification de Metz (1971), fondateur de la sémiologie du cinéma, ces codes peuvent être cinématographiques ou non. Les réalisateurs se servent de ces codes, de consignes, de références, explicites ou implicites, pour inciter le spectateur à un mode de lecture. Eisenstein, le réalisateur soviétique, était d’ailleurs persuadé qu’il pouvait forcer le spectateur à penser dans une certaine direction. Dans cette optique, le montage avait quatre fonctions : une fonction narrative, esthétique mais aussi de pathétisation (émouvoir par l’amplification des événements) et d’argumentation dans le but d’exprimer des idées, des valeurs idéologiques.

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Prenant le contre-pied du modèle de la « piqûre hypodermique » lasswellienne53 comme représentation de l’action des médias, Jacques Ellul (1962) énonce, dans Propagandes, la thèse suivante : le « propagandé » existe avant le propagandiste. Il en est le complice, voire la cause, et non la victime. L’auteur renvoie sociologues et psychologues des médias dos à dos puisque, selon lui, l’attention doit être portée sur les conditions d’apparition de la propagande, et non sur ses recettes et techniques plus ou moins grossières. Ainsi la dissolution de groupes « organiques » tels que la famille ou le milieu de travail exposerait les individus désarmés à l’action des médias. La sur-information nourrirait leur goût pour les idéologies et accroitrait leur crédulité. Sans verser dans cette radicalité, force est de constater que depuis les travaux de Roger Odin (1982) et la sémio-pragmatique (Watzlawick, 1983), il est admis que le film ne possède pas de sens en soi, la production de sens procédant à la fois de l’espace de la réalisation et de l’espace de la lecture spectatorielle. Bordwell, Thompson (2000) et Chirouze (2006) montrent que les tentatives de manipulation sont peu efficaces. Le spectateur perturbe la lecture, agit sur le texte en quelque sorte, en construisant son histoire. Il faut donc convenir qu’il y a co-construction du sens. La prise en compte de ce phénomène est importante dans notre étude. Si la signification véritable d’un film suppose la relation au public, si « le sens émerge de rapports motivés entre des signes et des acteurs sociaux » (Esquenazi, 2000), alors notre panel ne doit pas seulement reposer sur la définition du thème traité mais également sur le fait que les films ont été vus par le plus grand nombre et qu’ils ont rencontré un écho spécial auprès des spectateurs et des cinéphiles. Ils sont inscrits dans les mémoires collectives parce que les individus ont accepté, voire choisi, qu'ils s'y inscrivent, et cela, à leur manière, c’est-à-dire selon leur propre interprétation de ces discours.

1.2.Impact sur la sélection des films étudiés Pour sélectionner les films de notre échantillon, nous avons choisi de rassembler des fictions ayant rencontré un certain succès en termes d’entrées, de reconnaissance des pairs (récompenses) et des critiques. Nous en avons recensé 141, sortis entre 1926 et 2012. Dans le tableau 1, ci-dessous, ils sont classés par pays de production, la classe "Reste du monde" comprenant 6 co-productions (USA-Jamaïque ou France-Italie par exemple).

Tableau 1 : Les films de la sélection par zone de production

Zone Production USA France Reste du monde Total Sélection 47 (33%) 56 (40%) 38 (27%) 141 (100%) Ces films ont été sélectionnés [annexe 1], de manière exhaustive, sur la base d’une lecture scrupuleuse de 12000 synopsis et critiques édités dans le Larousse des films54, réalisée par un seul chercheur. La rareté des œuvres est liée à notre délimitation stricte du thème abordé : Il s’agit soit :

- de la création ou de la reprise d’une activité économique –légale ou tolérée par les autorités- par un ou plusieurs individus ;

- du parcours d’un entrepreneur (il doit créer ou avoir créé sa propre entreprise), qu’il soit de courte durée ou qu’il retrace une large partie de sa vie.

53 Dans le modèle de la "piqûre hypodermique ", les informations sont diffusées (ou inoculées) sans qu’on ne perçoive la propagande qu’elles véhiculent, sans qu’on ne questionne leur véracité, et sans qu’on s'interroge sur leur origine. 54 Ce dictionnaire a été élaboré sous la Direction de Jean-Claude Lamy appuyé par 60 collaborateurs journalistes, critiques, chercheurs, scénaristes et producteurs. La collaboration d’un cinéphile ayant créé sa propre base de données de plus de 47 780 items54 a également permis d’enrichir cette sélection (site cinefiches.com).

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L’activité créée ou reprise doit procurer des moyens de subsistance à d’autres individus que l’entrepreneur lui-même en cas de réalisation du projet. Ont donc été écartés les films dont les héros sont mafieux, montent délibérément une escroquerie, exercent une profession libérale, sont salariés, propriétaires terriens ou auto-entrepreneurs. C’est ainsi que Lord of War (2005) a été exclus, le héros, trafiquant d'armes commissionné, étant pourtant un homme d'affaires d'exception. Un autre exemple de rejet est celui de A la recherche du bonheur (2007). L'histoire vraie narrée dans ce film porte sur le destin d'un noir américain mu par l'esprit d'entreprise et la volonté de sortir de la précarité. Mais il ne crée pas non plus d'entreprise et ne procure pas de source de subsistance à d'autres. Pour chaque pays de production des films de notre échantillon, nous avons repris les productions annuelles depuis 197555. Cela nous a permis d’acter que l’échantillon ne reflète pas les productions par pays, mais les parts de marché des œuvres cinématographiques projetées en France. En 2010, elles se partageaient en 34% de films nationaux, 49% de films étatsuniens et 2% d'autres d'après le CNC56. Ainsi les productions indiennes, chinoises ou japonaises sont quasi absentes de notre ensemble alors qu’aujourd'hui, elles représentent respectivement 22%, 9% et 7% de la production mondiale. La période étudiée est assez large, autorisant ainsi l’observation de spécificités culturelles constantes dans le temps, résistantes aux « modes managériales », aux essors industriels ou technologies, ou aux politiques économiques (D’Iribarne, 1989). Pour autant, dans la phase d'interprétation de notre recherche, nous ne nous interdirons pas d’exploiter les résultats d'analyses de films réalisées dans une perspective "historique". Nous entendons par là des analyses qui mettent en relation les stéréotypes filmiques avec des représentations sociales supposément caractéristiques d'un certain pays à une certaine époque. Nous pensons par exemple aux travaux de Lamendour (2008) qui a visionné 46 films français pour la période 1914-1947 afin de réaliser un historique de la représentation du cadre (Lamendour, 2008). Pour ce faire, elle avait au préalable recensé 330 films à partir de catalogues génériques et des catalogues de Pathé, Gaumont et Eclair sur une période allant de 1895 à 2005. Après avoir décrit de quelle manière les films ont été sélectionnés et pourquoi ils reflètent les parts de marchés et non la production, examinons à présent comment notre cadre d'analyse permet d'explorer les objets complexes que sont les œuvres cinématographiques.

1.3.Cadre d'analyse et méthodologie Afin de faciliter les croisements avec la littérature en entrepreneuriat, nous avons choisi d'analyser les représentations de l'entrepreneur au cinéma selon deux angles : l'approche "par les traits" et l'approche "par les faits". Le courant de l'approche "par les traits" cherche à savoir ce qui différencie l'entrepreneur du non-entrepreneur. Selon Fayolle (2004), en résultent quelques 50 caractéristiques psychologiques identifiées par les chercheurs. Il est illusoire de penser qu'un seul et même individu puisse être porteur de tous ces traits de personnalité. De son côté, Verstraete (1999) prévient du danger de croire qu'il existerait un profil type, une grille dans laquelle tout entrepreneur doit pouvoir "entrer" : « Imaginons l’agent banquier en possession d’une telle grille, en laquelle il croit, le "meilleur des mondes" d’Huxley ne serait pas loin. ». Dans le contexte spécifique de notre étude, disposer d’une telle abondance de caractéristiques à observer est sans aucun doute un avantage. Toutefois il n'est pas possible d'interroger un discours comme on interroge un sujet (une personne). La validité

55 La délimitation des zones géographiques provient de l’analyse de Screendigest, entreprise d’intelligence économique spécialisée dans les industries cinématographiques, de la vidéo et du jeu (http://www.screendigest.com/ World Film Production / distribution June 2006) et de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel (http://www.obs.coe.int)). 56 CNC : Centre National du Cinéma et de l'image animée, http://www.cnc.fr/

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de nos résultats dépend de la possibilité de construire une chaine logique d'indices. Prenons le cas du trait « internalité ». L'internalité est le sentiment de contrôler directement le cours des choses. Dans la réalité, les réponses d'un entrepreneur aux questions du chercheur permettent de valider la présence de ce trait chez le sujet. Mais le test de présence de l'item pratiqué sur une dizaine de films de notre sélection révèle que les conditions de recueil de preuves multiples et variées sont insatisfaisantes : nous ne parvenons pas à trouver des indices irréfutables. En conséquence, nous écartons l'item « internalité ». Prenons à présent le cas du trait « persévérance ». Cette fois, des indices sans équivoque peuvent être rassemblés. Par exemple, dans Un éclair de génie (2009), Bob Kearns, inventeur de l'essuie-glace à balayage intermittent, lutte pour la reconnaissance de la paternité de son invention par les géants de l’automobile américains. Sa ténacité est explicite. Elle s'exprime au travers de ses décisions contraires aux conseils des avocats, de la durée de la procédure, du rejet des tentatives tardives de négociation des adversaires ou bien encore de l'éclatement de la sphère familiale face à l'épreuve. D’autre part elle apparaît dans les synopsis et les critiques du film. C’est donc qu’elle a été reconnue par d’autres que le chercheur. Cet effort d'objectivité amène à ne retenir que 20 items pour décrire la personnalité de l’entrepreneur représenté au cinéma, parmi lesquels 14 sont destinés à répondre à la question : « Quelles sont ses motivations? »57. Trois concernent son tempérament et peuvent s'exprimer en dehors de la création ou de la reprise d'entreprise, trois portent sur son état psychique. Le second angle de l’analyse est celui correspondant au courant de pensée "par les faits". La première interrogation est la suivante : « Quelles thématiques reliées aux agissements de l'initiateur sont abordées dans les films ? ». Huit items, retenus selon les modalités précédemment exposées, servent à y répondre. La seconde question est reliée à la fonction de l’entrepreneur dans la société. Trois éléments s’inscrivant dans une perspective sociétale sont ainsi scrutés. Nous avons également interrogé le sexe de l’entrepreneur représenté au cinéma, et le fait qu’il entreprenne seul ou avec des partenaires. Un test du khi2 a été pratiqué entre les lignes (USA, France, reste du monde) et les colonnes (ensemble des items autorisant un marquage « thème présent »)

Tableau 2 : Test d'indépendance entre les lignes et les colonnes Khi² (Valeur observée) 106,873

Khi² (Valeur critique) 81,381

DDL 62

p-value 0,000

Alpha 0,05

Interprétation du test : H0 : Les lignes et les colonnes du tableau sont indépendantes.

Ha : Il existe un lien entre les lignes et les colonnes du tableau. Etant donné que la p-value calculée est inférieure au niveau de signification alpha=0,05, on doit rejeter l'hypothèse nulle H0, et retenir l'hypothèse alternative Ha.

Le risque de rejeter l'hypothèse nulle H0 alors qu'elle est vraie est inférieur à 0,03%. Pour finir, notre cadre d'analyse comprend un volet original, celui des approches par genres cinématographique. A l’heure actuelle, il n’existe pas de statistiques par genres sur les données rassemblées et rendues publiques par les organismes tels l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel ou le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée). Les publications théoriques consacrées à la notion de genre au cinéma sont également rares, les études analytiques privilégiant les découpages par auteurs, mouvements et styles. La justification de cette lacune réside dans le manque de consensus sur cette catégorisation et sur le fait que 57 Voir le résultat de notre démarche en Annexe 2

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l’accession du cinéma au statut d’art se fait plutôt contre le genre. En effet, le genre peut être considéré comme une manifestation de la mécanisation et de la diffusion massive des produits culturels. Il permet aux studios de produire suivant une dialectique de standardisation/différenciation et facilite la communication avec les exploitants et les publics. Nous avons donc réalisé nous-mêmes une catégorisation des films de notre sélection en 5 genres majeurs à partir des classements des bases de données sur internet, telles cinéfiches ou allociné. Notre cadre d'analyse est représenté dans le schéma ci-dessous.

Figure 1 : Cadre d'analyse de la recherche

Comparaison USA

FranceReste du monde

Approche del’entrepreneur

"par les traits"- Motivations-Tempérament,état psychique

Approche del’entrepreneur"par les faits"

- Secteurs d’activité- Agissements

- Perspective sociétale- sexe

- partenaires

Approche cinématographiqueGenres

2. Résultats de l'étude La présentation des résultats de l'étude adopte la même structure que le cadre d'analyse, en trois parties : les "traits", les "faits", le genre.

2.1.Approche par les traits Les raisons explicites motivant la création, ou la reprise d’une entreprise, dans les films de notre échantillon, sont répertoriées dans le tableau 3 ci-dessous : L’item qui revient le plus fréquemment dans les discours cinématographiques est la reconnaissance sociale, loin devant l’enrichissement et la saisie d’une opportunité. A titre d'exemples d'indices ayant permis d'identifier cet item, une scène révélatrice est décrite ici. Il s'agit d'une altercation extraite de La Grande Nuit (1997). Elle oppose deux restaurateurs, italiens immigrés aux USA. Un mensonge du plus expérimenté des deux, Pascal, dont l'affaire est florissante, va mettre en faillite l'entreprise du plus jeune, Secundo, et de son frère Primo. Ce mensonge visant à récupérer leurs compétences, vient d'être révélé : Pascal : « Ce que tu considères comme une trahison, saches que je l'ai fait par respect. Ton frère est un formidable investissement… toi aussi, cela va de soi. » Secundo : « Mon frère n'est pas à votre portée. Tous les deux, vous ne vivez pas dans le même monde. Ce qu'il fait exister, ce qu'il a en lui, est une chose rare. Comparé à Primo, vous n'êtes rien. »

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Pascal : Je suis un homme d'affaires. Je suis où il faut être au moment où il faut. Et toi, tu peux me dire ce que tu es exactement ? Secundo : (Silence). Mais nous aurions aussi pu illustrer la révélation d'une motivation double (Reconnaissance sociale et conquête amoureuse) par la scène de la rencontre entre Alfred Eaton (Paul Newman) et les parents de Mary Saint-John dont il s'est épris dans Du haut de la terrasse (1960).

Tableau 3 : Les motivations de la figure de l’entrepreneur au cinéma

Pays de production

Motivations

USA (% sur 47)

France (% sur 56)

Reste du monde

(% sur 38)

Total général

Marquage (% sur 141)

1- Reconnaissance sociale 60% 52% 42% 52%

2- S'enrichir / accumuler du capital 43% 27% 24% 31%

3- Saisie d'une opportunité 30% 25% 32% 28%

4- Etre libre 32% 29% 21% 28%

5- Pérenniser l'entreprise, conserver le capital et/ou des valeurs culturelles

17% 32% 24% 25%

6- Pour les autres 9% 30% 24% 21%

7- Par esprit de compétition 28% 13% 13% 18%

8- Accéder au pouvoir 15% 25% 11% 18%

9- Survivre, sortir de la misère 9% 9% 32% 15%

10- Retrouver une dignité 9% 11% 21% 13%

11- Conquête amoureuse 15% 9% 11% 11%

12- Sous la contrainte familiale ou sociale 0% 14% 16% 10%

13- En rébellion 15% 7% 8% 10%

14- Par revanche, vengeance 9% 5% 8% 7%

L'importance prise par l'enrichissement comme motivation dans les films américains nous remémore ce que Tocqueville écrivait déjà il y a plus d'un siècle et demi : « Souvent, les américains appellent une louable industrie ce que nous nommons l’amour du gain, et ils voient une certaine lâcheté de cœur dans ce que nous considérons comme la modération des désirs » (1840). Reprenant ces propos, D’Iribarne (1989) prévient contre les préjugés français qui empêchent de concevoir que la société américaine puisse être fondée sur un idéal marchand où la logique de l’échange honnête et équitable prend une place centrale. Remarquons également dans ce tableau, une préoccupation plus importante en France (et plus largement en Europe), pour la pérennité de l’entreprise, tandis que la figure entrepreneuriale américaine est davantage animée par l’esprit de compétition. Ainsi Zinos, allemand d'origine turque, patron du restaurant Soul Kitchen (2010), et Yvan, dirigeant d’une menuiserie (Ma petite entreprise, 1999) sont-ils prêts à recourir à des moyens illégaux pour éviter la faillite.

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Dans Vassa (1982), c’est le milieu décadent de la bourgeoisie tsariste qui est décrit, et la tragédie d’une femme amenée à prendre en charge le destin de sa famille. La pérennité et la disparition de la tradition sont aussi des thèmes centraux de Shower (1999), un film chinois mettant en scène le retour du fils qui a réussi dans les affaires et qui n’est pas prêt à reprendre l’établissement de bains publics de son père. L’esprit de compétition américain est prégnant dans Géant (1956) sur fond de champs pétrolifères du Texas, avec un entrepreneur rebelle interprété par James Dean. Il s’exprime aussi nettement dans Jerry Maguire (1996). Parmi les motivations explicatives des créations d’entreprises, il en est une sous-représentée dans les films US, c’est celle de la survie (assouvissement des besoins élémentaires). Les éléments explicatifs de ce constat peuvent être très divers : il y a le fait que la création d’entreprise nécessite une mise de départ minimale. Mais le niveau de vie en Amérique du Nord et l'attractivité commerciale du thème sont probablement plus "impactants". Les films asiatiques et orientaux brisent les tabous de l'extrême pauvreté et de l'enfance au travail. Les tortues volent aussi (2005) de Bahman Ghobadi conte la vie dans un camp du Kurdistan irakien à la veille de l’entrée en guerre des américains. Les mines sont ramassées par des enfants contre l'argent de l'ONU. Privé de bras, Hingaw travaille avec sa bouche, les autres clopinent et galopent sur leurs béquilles, débordant de vitalité malgré leur infirmité... « Tu ne m'envoies que des gosses sans mains » proteste un adulte venu demander quelques enfants démineurs à Kek Satellite, le petit chef entrepreneur. « Justement, ceux-là n'ont plus peur des mines ! » réplique le garçon. Dans le tableau 4 figurent les autres items de notre analyse "par les traits". La persévérance est le trait de caractère de l’entrepreneur le plus prégnant dans les films américains.

Tableau 4 : Tempérament et état psychique

Pays de production Tempérament et état Psychique

USA (% sur

47)

France (% sur

56)

Reste du monde

(% sur 38)

Total général Marquage

(% sur 141)

1- Persévérance 43% 25% 34% 33%

2- Résilience 17% 20% 24% 20%

3- Autoritarisme 15% 11% 24% 16%

4- Troubles psychiatriques ou psychosomatiques

15% 21% 11% 16%

5- Crise identitaire 6% 25% 11% 15%

6- Suicide 6% 11% 3% 7%

A cet égard, plusieurs œuvres de notre sélection interrogent le modèle David contre Goliath, et l’idée qu’un petit peut gagner contre un grand s’il fait preuve d’ingéniosité et de persévérance. Tucker (1988) narre l’histoire de Preston Tucker, constructeur automobile génial et visionnaire, qui tenta de révolutionner l'industrie automobile par des innovations spectaculaires. Il sera tout de même vite abattu par les trois grands du marché qu'étaient Ford, General Motors et Chrysler. Un éléphant (Coca-Cola) et une souris (l’entreprise australienne MacDowell fabricant de sodas) entament une valse dangereuse dans The Coca-Cola Kid (1985). Quant au documentaire Mondovino (2004), il cherche à démontrer la fragilité des petits viticulteurs attachés aux traditions face à l’uniformisation des goûts à l’échelle mondiale, correspondant en tous points à l’offre des propriétaires californiens. Selon Barry (1980), les objectifs propres de l’entrepreneur, inadaptés à ceux d’une organisation, rendraient difficile la construction d’une carrière. Dans L’envie (2004) de Barry Levinson, Nick, heureux inventeur du « Vapoorizer » qui le rendra millionnaire, se plaint, auprès de son ami et

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collègue Tim, des mauvaises évaluations de ses supérieurs, notamment en termes d’attention au travail. Barry (1980) ajoute que l’entrepreneur aurait tendance à agir par impulsion et entretiendrait des relations plutôt autocratiques avec ses subordonnés. Ce type de relation entre un patron et un jeune manager manipulé, déstabilisé, inspire particulièrement les cinéastes français. On le retrouve dans Une étrange affaire (1981) où Michel Piccoli campe un dirigeant mystérieux et imposant qui va exercer une emprise redoutable sur Louis Colin (interprété par Gérard Lanvin). Les français pointent davantage que les américains les crises existentielles des entrepreneurs et la recherche du sens, dans leurs fictions. Souffrance et névrose (paranoïa, masochisme, hystérie…), présentées par Kets de Vries (1991) comme la genèse des différentes formes de leadership, est illustrée dans Un type comme moi ne devrait jamais mourir (1976) mettant en scène l’installation de Léopold de sa voiture, après qu’il ait délaissé son usine et sa femme. Dans A l’origine (2009), de Xavier Giannoli, Philippe Miller est un mythomane qui va ré-ouvrir et diriger le chantier de construction d’une autoroute. Mais on retrouve aussi le thème de la névrose/psychose dans Aviator (2005), de Martin Scorcese. Howard Hughes est ainsi présenté comme un être hypocondriaque souffrant de paranoïa à la fin de sa vie.

2.2.Approche par les faits Dans l’approche "par les faits", l'entrepreneur est un acteur avant d'être une personnalité. Nous allons donc nous intéresser à ses agissements au cinéma. Tout d'abord au travers des secteurs d'activité économique dans lesquels il choisit de créer ou de reprendre une entreprise ; ensuite via les talents et compétences qu'il doit savoir exploiter pour arriver à ses fins. Pour finir, nous nous placerons davantage d'un point de vue sociétal pour examiner le rôle qui lui est incombé, et si une femme peut remplir ce rôle dans les représentations sociales.

2.2.1. Secteurs d’activité privilégiés des scénaristes Le tableau 5 répertorie les secteurs d’activités des entreprises créées ou reprises au cinéma. Une tendance est de porter à l’écran la création ou le pilotage d’entreprise dans le secteur de l’hôtellerie restauration. Cela peut provenir du fait que cette activité parle au plus grand nombre de spectateurs (L’autre moitié du ciel, 1986 ; La graine et le mulet, 2007). C’est une activité dans laquelle la gestion des hommes et du stress est centrale, ce qui ouvre des perspectives artistiques dans la description de personnages hauts en couleurs (Le grand restaurant, 1966 ; La grande nuit, 1997).

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Tableau 5 : Secteurs d’activités des entreprises créées ou reprises au cinéma

Pays Secteurs d'activités

USA (% sur 47)

France (% sur 56)

Reste du monde (%sur

38 )

Total général (% sur 141)

1- Industrie 36% 32% 16% 29%

2- Hébergement et restauration 9% 9% 16% 11%

3- Arts, spectacles et activités créatives 15% 4% 11% 9%

4- Services en direction des personnes 6% 5% 13% 8% 5- Pêche, élevage, agriculture 9% 5% 5% 6% 6- Information et communication 6% 7% 5% 6%

7- Non explicite / non pertinent 4% 7% 3% 5% 8- Activités financières 4% 5% 3% 4% 9- Commerce de détail 4% 5% 3% 4%

10- Activités de soutien aux entreprises 0% 4% 8% 4% 11- Très diversifié 2% 7% 0% 4% 12- Construction 2% 4% 5% 4% 13- Commerce de bouche 0% 2% 5% 2% 14- Commerce de gros 0% 2% 5% 2% 15- Transports 2% 2% 0% 1%

16- Activités scientifiques et techniques 0% 0% 3% 1% Total général 100% 100% 100% 100%

Si l’on s’intéresse plus précisément aux différences par pays, on note que certains réalisateurs américains ne reculent pas devant la difficulté de filmer des industries capitalistiques : l’exploitation des puits de pétrole, le secteur de l’automobile, en raison peut-être de moyens financiers plus importants autorisant le grandiose, le spectaculaire. King Vidor, lorsqu’il réalisa Une romance américaine dans les années 40, pensait que le moment était choisi pour valoriser le savoir-faire américain dans la production de l’acier. Exaltant un système où un immigré arrivant sans le sou peut devenir un grand magnat industriel, la fiction expose tout le cycle de production de l’acier depuis l'extraction du minerai jusqu’aux usines automobiles et aéronautiques. A l’exception de ces quelques cas, l’usine et les chaînes de fabrication n’apparaissent qu’en filigrane dans les films de notre échantillon. Les technologies de production ne sont pas filmées au plus près, les gestes précis des ouvriers et le vocabulaire technique des ingénieurs sont abordés de manière très superficielle. Au cinéma, paysages industriels, images d’usines, de hauts fourneaux ou d’habitations ouvrières, constituent le ferment identitaire des ouvriers ou des syndicats, pas celui des entrepreneurs (Roekens et Tixhon, 2011). Le dernier commentaire que nous pouvons faire sur les activités économiques de notre échantillon porte sur leur caractère traditionnel, si l’on écarte The Social Network (2010) et August (2008). Alors même que l’entrepreneur est supposé développer une vision, on ne trouve aucun film de science fiction. Le futur imaginé par les cinéastes ressemble-t-il à celui décrit par Drucker ? En 1993, le gourou du management américain répond à Schumpeter qui redoutait la disparition de la fonction d’entrepreneur (1947 : 89). Associée à la saturation des opportunités d’investissement, elle entraînerait la chute du capitalisme, au profit d’une administration routinière des entreprises. « L’énergie humaine s’écarterait des affaires. Des actes extra-économiques attireraient les meilleurs esprits et fourniraient les occasions d’aventure » (1947). Pour Drucker, la prophétie ne s’est pas réalisée. Le capitalisme ne disparaît pas. Au contraire, il devient la forme d’organisation économique dominante, mais il n’a plus besoin des entrepreneurs : les nouveaux capitalistes sont des salariés anonymes et

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sans visage, des financiers et des gérants de portefeuilles, animés par le gain. Les grands classiques de la science fiction semblent donner raison à Drucker. Que ce soit dans Soleil Vert (1974), Total Recall (1990) ou I Robot (2004), l’avenir dépeint est hostile à la prise d’initiative. On ne retrouve pas la figure de l’entrepreneur. Il est remplacé par le scientifique-chercheur soumis au dictat d’hommes de pouvoir, ou bien par l’homme d’affaires-administrateur essentiellement motivé par la conservation de privilèges et l’hégémonie d’un trust.

2.2.2. Analyse des thématiques associées Dans le tableau 6 ont été listées des thématiques associées à l’entrepreneuriat dans les films de notre sélection et reliées au courant de pensée de l'entrepreneur "par les faits". Tableau 6 : Thématiques reliées au courant "par les faits" selon la zone géographique de

production

Les agissements

USA (% sur 47)

France (% sur 56)

Reste du monde (%

sur 38)

Total Marquage (% sur 141)

1- Famille 32% 55% 45% 45% 2- Invention, innovation, créativité, solutions nouvelles 53% 34% 29% 39% 3- Développement d'une stratégie ou d'une tactique 43% 27% 18% 30% 4- Endettement, ruine, risque sur le patrimoine 23% 20% 34% 25% 5- Leadership / charisme 30% 25% 16% 24% 6- Technicité managériale 19% 20% 13% 18% 7- Gestion d'équipe 13% 21% 13% 16% 8- Réseau, relationnel 21% 13% 16% 16%

Les préoccupations sociales USA (% sur 47)

France (% sur 56)

Reste du monde (%

sur 38)

Total Marquage (% sur 141)

1- Appartenance à une classe sociale défavorisée 28% 18% 45% 28%

2- Morale / éthique / considérations humanistes, religieuses ou idéologiques 21% 18% 34% 23%

3- Contexte économique hostile /crise / difficulté de subsistance 2% 5% 34% 12%

4- Rejet social 9% 5% 5% 6%

Pour comprendre le comportement du dirigeant de PME, le sociologue français Bauer (1993) le représente comme une bête à trois têtes: celles de l'Homo Economicus, du Pater Familias et de l'Homo Politicus. Au cinéma, ces trois forces centrifuges se traduisent, dans les représentations françaises, mais plus généralement dans les représentations européennes et asiatiques, par la fréquence des thématiques de l’endettement, de la subsistance de la famille et des dérives autoritaires (pour les films français). La relation de l’entrepreneur à sa famille revêt des formes stéréotypées : La question du lien, conflictuel ou non, entre un père et son fils, le fils étant supposé succéder au patriarche, est présent dans au moins 11 fictions par

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exemple. Notons encore une sensibilité particulière au problème du surendettement chez les Italiens et les Chinois : quatre films italiens et trois films chinois et taïwanais l’abordent de front. Dans Il Boom (1963), un entrepreneur en proie à des difficultés financières entrevoit la fin de ses problèmes dans le don d'un œil à un autre entrepreneur qui offrirait une somme colossale pour la "transaction". Dans Les vers à soie du printemps (1933), une famille de petits producteurs de soie se sacrifie et s'endette pour obtenir les plus beaux cocons, en vain. Nous terminerons l’analyse des thématiques associées en évoquant la créativité car elle revient dans près de 40% des films de notre échantillon. Pour Mintzberg (1990), l’entrepreneur est celui qui est capable de trouver des solutions audacieuses à des problèmes a priori difficilement surmontables. Ce que la plupart des managers perçoivent comme un dilemme, l’entrepreneur est capable de le retourner en une opportunité. De manière générale, les réalisateurs parviennent plutôt bien à décrire comment émergent ces idées nouvelles, par comparaison avec la littérature. Probablement parce que le cinéma permet de rendre compte de l’engagement dans le réel du héros, relié à une sélection des éléments sur lesquels son attention va être focalisée et qu’il va interpréter. Cependant l’innovation technologique à proprement parler est marginalement représentée. Dans les œuvres américaines, la diffusion des innovations se font dans les secteurs de l’électricité (La vie de Thomas Edison, 1940) ou de l’automobile (Aïe mes aïeux, 1926, Tucker 1988, Un éclair de génie 2009). Par comparaison, en Europe, on trouve un film britannique –L’homme au complet blanc, 1951- narrant les tribulations d’un chimiste, Sidney Stratton, qui invente un tissu inusable et insalissable. Cinq films français complètent le tableau : Le graphique de Boscop (1976) qui raconte l’histoire d’un éboueur ayant construit un ordinateur produisant des chansons à succès ; Le petit baigneur (1968) dans le secteur des chantiers navals ; Clémentine Chérie (1963) dans celui du textile ; Itinéraire d’un enfant gâté (1988), où Sam Lion met au point des nettoyeuses. Dans J’invente rien (2006), Paul créée la "poignette", idée simple mais géniale qui doit lui permettre de devenir millionnaire et de récupérer Mathilde. Paul est un inadapté social, incapable de vendre quoi que ce soit à qui que ce soit. Il peut passer des heures à compter des cacahuètes pour savoir si chaque paquet contient la même quantité. Mais il présente une curiosité pour la technique. Observateur des comportements humains, il finit par se passionner pour son produit. Cela l’amène à rencontrer des industriels, comprendre les contraintes de production, déposer un brevet à l’INPI, s’associer avec son beau-père qui accepte d’investir dans sa société. Les fictions portant sur l’entrepreneuriat immigré soulignent quant-à-elles le problème de l’inaccessibilité des ressources financières. Pour cette population, le désarroi est grand face aux procédures administratives. Il est illustré par la scène de demande d’aide à la région dans La graine et le Mulet (2007) et celle de la signature d’un acte donnant tout pouvoir au frère de l’entrepreneur dans Soul Kitchen (2010).

2.2.3. Gender study

Dans le tableau 7, apparaît le sexe des héros, ainsi que le nombre d'individus impliqués dans la création ou la reprise. Nous opérons un premier constat : universellement, l’entrepreneur est plutôt représenté au cinéma comme un homme.

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Tableau 7 : Nombre et sexe des héros

USA (% sur 47)

France (% sur 56)

Reste du monde (%

sur 38)

Total général (% sur 141)

Homme seul 79% 79% 71% 77%

Femme seule 15% 13% 16% 14%

Duo d'hommes 6% 2% 8% 5%

Groupe d'hommes >2 5% 2%

Duo Homme/Femme 2% 3% 1%

Non pertinent (série de portraits) 3% 1%

Total général 100% 100% 100% 100% On voit que 84% des principaux protagonistes des récits cinématographiques sont des hommes. Ce chiffre est à rapprocher de la part des films réalisés par des hommes : 94% des 141 films sélectionnés. Un focus sur les 20 fictions dans lesquelles l’entrepreneur est de sexe féminin, permet de mettre en exergue la part équivalente entre réalisateurs français et américains. La différence réside dans la période de production des films : plutôt l’après-guerre et les années 60 pour les USA, et plutôt les années 80 en France. En 2010, les statistiques du GEM sur la situation réelle de l'entrepreneuriat féminin place la France à la quatrième place derrière l’Australie, les Etats-Unis et l’Islande, dans le groupe des pays dont l’économie est basée sur l’innovation. Dans l’échantillon de l’étude de Mitchell et al. (2002), portant sur 11 pays, la France est la nation dans laquelle la proportion de femmes créatrices d’entreprises est la plus importante (30%), avec le Chili, tandis que les répondants Chinois et Japonais étaient tous des hommes. Pour en revenir à nos observations, les réalisateurs des films où l’entrepreneur est une femme sont généralement engagés politiquement quand ils ne sont pas clairement féministes comme André Téchiné, François Ozon ou Gleb Panfilov. Dans It’s a free world (2007), Ken Loach, dont le réalisme social et les revendications de gauche constituent la signature, dénonce un système dans lequel les victimes économiques, peuvent se retrouver de l’autre côté du miroir. Son héroïne, Angie, devient de la sorte un exploiteur sans scrupules, presque inconsciemment, en cherchant simplement à sortir elle-même de la précarité. En ce qui concerne les interprètes : Parmi les actrices ayant incarné les femmes entrepreneurs, il y a celles capables de jouer des personnalités ambigües, fortes -voire dures- et rusées. Par exemple : Simone Signoret dans Judith Therpauve (1978) ; Faye Dunaway dans L’Or noir de l’Oklahoma (1973) ; Jeanne Moreau dans Souvenirs d’en France (1975). Et puis, il y a des choix à contre-emploi comme celui d’Audrey Tautou dans Coco avant Chanel (2009) d’Anne Fontaine, le seul film réalisé par une femme et relatant l’histoire d’une femme entrepreneur de notre échantillon.

2.3.Enseignements apportés par le genre cinématographique Après avoir exposé les résultats de notre étude portant sur la figure de l'entrepreneur au cinéma sous l'angle des "traits" et des "faits", nous abordons à présent une approche originale, celle de l'étude des genres. Conscients que la notion de genre se trouve au confluent de logiques économique, idéologique et stylistique (Moine, 2009), nous avons séparé notre échantillon en cinq groupes : films dramatiques, comédies, films d’aventure, biopics58 et documentaires pour tenter d'en faire ressortir des enseignements. Le tableau 8 reprend ce classement.

58 Un biopic, abréviation de bibliographical picture, est un long-métrage bibliographique retraçant avec plus ou moins de fidélité la vie d’un personnage célèbre (Moine, 2009).

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Tableau 8 : Catégorisation des films par genres

Genres USA

(% sur 47)

France (% sur

56)

Reste du monde

(% sur 38)

Total (% sur 141)

Famille dramatique 53% 41% 68% 52%

Famille comédie 26% 48% 26% 35%

Biopic 17% 7% 3% 9%

Aventure 4% 2% 0% 2%

Documentaire 2% 3% 1% Le tableau révèle la grande part des comédies françaises dans l'échantillon. De quoi les français rient-ils plus précisément dans les films de notre échantillon ? Comme les nord-américains, ils s’amusent des extravagances des nouveaux riches (Coco, 2009 ; La vérité si je mens, 1997). Mais il y a aussi des différences : Dans les années 70, les français rient de l’absence de considération du patron pour le prolétariat. Dans cette optique, les entrepreneurs qui se ridiculisent, emploient des termes militaires : « C’est un ordre, exécution ! », ou comptent les ouvriers à la place des moutons pour s’endormir. La mauvaise évaluation de la juste rétribution pour le travail fourni est aussi un sujet comique. Ainsi la taille du chéquier utilisé pour verser le salaire sera fonction du montant à payer, lui-même proportionnel à la taille du salarié. Pour finir, on note aussi un comique de situation typiquement français : celui de la rencontre entre deux milieux sociaux qui ne sont pas censés se côtoyer. Dans Le petit baigneur (1968), Louis-Philippe Fourchaume, Directeur des Chantiers Fourchaume, et son épouse profitent d’un dimanche pour retrouver André Castagnier, l’inventeur-concepteur de ses bateaux, dont le licenciement s’est avéré une erreur de taille. Assis dans leur Jaguar type E, ils interpellent un agriculteur d’un « mon brave » aristocratique, avant de suivre son cheval de trait odorant sur les chemins de terre. Aborder l’entrepreneuriat sur le ton de la comédie revient aux USA à narrer des « dump-lucky stories ». Il s’agit d’histoires de personnages naïfs qui réussissent sans le faire exprès. Le film Soyez sympas, rembobinez (2008) met en scène un jeune homme en charge de gérer une boutique de cassettes vidéo en l’absence de son patron. Suite à un incident magnétique, les cassettes sont effacées. Pour ne pas décevoir la clientèle, le héros et son acolyte responsable de l’incident, re-filment eux-mêmes les classiques du cinéma avec une caméra VHS, et du matériel de récupération (boîtes de conserve, fils téléphoniques…). Contre toute attente, les clients en redemandent. Un grand succès se profile alors, entraînant de véritables enjeux managériaux : des revendications salariales, des moyens de production à gérer, des délais à réduire, des produits à promouvoir… etc.

3. Interprétation des résultats Comme exposé dans la section 1.1., savoir quel acteur, entre l’émetteur du message porté dans les films, et le spectateur, construit les représentations sociales de l’entrepreneur n’est pas déterminant dans cette étude. Ce qui nous préoccupe est de savoir comment mythes et héros portés à l’écran font échos aux perceptions que les gens ont du processus de création ou de reprise d’entreprise (Drakopoulou Dodd, Anderson, 2007). En effet la qualité du soutien social à l’entrepreneur est reliée à ces représentations sociales (Swedberg, 2000). Cette connaissance s’avère utile pour améliorer l’accompagnement de l’entrepreneuriat. A l’instar de Facchini (2008) qui a porté son attention sur les pays en voie de développement, nous pensons que chaque société a intérêt à « caler son processus de développement sur sa trajectoire culturelle propre ».

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3.1.L’entrepreneur par les traits Si les entrepreneurs potentiels se projettent et s’auto-évaluent différemment en France ou aux Etats-Unis, il est pertinent d’identifier les facteurs de blocage ou de stimulation, les croyances qui soutiennent l’engagement dans le processus et celles qui le découragent. La partie de notre analyse basée sur les traits a donc un intérêt pour gérer la première phase de l’éducation à l’entrepreneuriat appelée sensibilisation. Elle fait apparaître que, dans l’imaginaire collectif Français, s’engager dans un parcours entrepreneurial répond moins à un besoin de se mesurer aux autres et de s’enrichir qu’à celui de prendre en charge un groupe et conserver un patrimoine, par comparaison avec les Etats-Unis. Les discours véhiculés par la presse Française reflètent-ils les mêmes tendances dans la légitimation du parcours entrepreneurial ? Radu et Redien-Collot (2008) ont étudié 962 articles entre 2001 et 2005 afin de saisir la manière dont les croyances de désirabilité et de faisabilité de l’entrepreneuriat y étaient exprimées. Il en ressort que la perception par les politiciens de la responsabilité sociale de l’entrepreneur est très visible dans les articles de presse. Un tiers des papiers traite du soutien institutionnel à la création. En revanche, l’expression de la perception par les entrepreneurs de la société, de l’environnement et de la communauté qui les entourent est quasi inexistante. Les enquêtes sur l’attractivité du parcours d’entrepreneur existent mais les explications plus détaillées sur ce qui attire et ce qui fait de l’entrepreneuriat un modèle positif ne sont pas mentionnées. L’analyse de Tadu et Redien-Collot (2008) rejoint la nôtre sur la forme prise par la récompense des efforts déployés par les entrepreneurs. En effet, la presse Française met en avant les modes intrinsèques de la récompense : autonomie, liberté de choix et accomplissement de soi, tandis que l’ambition de gagner, l’enrichissement et la quête du pouvoir ne sont pas reconnus ouvertement comme des motivations primordiales. L’apport de notre analyse de films, par rapport à la littérature par les traits (Gasse, 2011), est d’avoir intégré des motivations à contenu négatif. Il s’agit d’échapper à des situations redoutées comme « ne pas se retrouver au chômage », dont l’évocation devient permise par le biais de la fiction. De même, les items rassemblés dans le groupe « Tempérament et états psychiques » décrits permettent également d’aborder des sujets souvent éludés dans la littérature sur l’entrepreneur : la dépression et les affections psychosomatiques par exemple.

3.2.L’entrepreneur par les faits: un héros viril et isolé L’analyse du tableau 7 montre que Français, Américains et les autres pays producteurs des films analysés partagent la même représentation de l’entrepreneur, viril et solitaire. Elle constitue même le thème central de Sauvez le tigre (1972) et Itinéraire d’un enfant gâté (1988). Lorsqu’elle n’est pas omniprésente, elle correspond aux phases de lancement du projet –dans lequel peu de gens croient- mais aussi aux phases de réussite définitivement établie. La première situation est illustrée dans Jerry Maguire (1996). Humilié par un licenciement expéditif, l’agent sportif annonce publiquement sa volonté de monter sa propre agence et appelle ses collaborateurs à le suivre. Seul un grand silence gêné règne alors dans l’open space. La seconde situation entraînant la solitude mérite une attention particulière. A la fin de sa vie, Charles Foster Kane (Citizen Kane, 1941) se retrouve isolé dans son immense villa silencieuse, au bout d’une table interminable ; même chose pour Howard Hughes (Aviator, 2005) qui ne se laisse plus approcher que par quelques « fidèles ». A l’enterrement de Jay Gatsby (Gatsby le magnifique, 1974), deux personnes suivent le corbillard, un ami (le narrateur) et son père. Le Papet dans Jean de Florette (1986) vit reclus après le suicide d’Ugolin. Derrière ces destins tragiques, deux causes : soit des sacrifices concédés par les entrepreneurs à leur rêve, à leur projet, moralement condamnables ; soit une absurde

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obstination, face cachée de la persévérance, une des qualités universellement reconnues pour mener à bien un projet de création d’entreprise. L’image de l’entrepreneur masculin et individualiste dans l’imaginaire collectif pose plusieurs problèmes. Le premier touche à la désirabilité : comment se projeter, quand on est une femme, ou quand on est sensible au bien-être collectif ? Le second est lié aux compétences à acquérir en termes de réseautage et de management d’équipes. Selon Mustar (1994), la dynamique de l'innovation est intimement reliée au réseau, à savoir l'ensemble des relations entre des acteurs diversifiés : des laboratoires académiques, des entreprises, des pouvoirs publics, des programmes technologiques, des clients. En conséquence, écrit-il, « nous sommes loin de la dynamique schumpétérienne de l'entrepreneur héroïque et isolé. Seuls, les chercheurs-entrepreneurs ne peuvent rien : Pour réussir, ils ont besoin d’être enchâssés dans ces réseaux. Nos statistiques en ont donné la preuve : ceux qui ne construisent pas ces réseaux disparaissent rapidement ou végètent ». Sur les 141 de notre échantillon, seuls 3 films français dont 2 sont sortis en 1936 (La belle équipe de Julien Duvivier et le crime de M. Lange de Jean Renoir) évoquent la possibilité de créer à plusieurs. Ils questionnent la viabilité d’une entité créée collectivement et l’opportunité fournie par la subite disparition d’un dirigeant despotique. Si l’on se réfère aux travaux de Gand et Segrestin (2009), les tentatives de création d’entreprises "démocratiques" et le soutien de ces initiatives par les intellectuels et les chercheurs correspondent à deux périodes de notre histoire : le tout début du vingtième siècle et les années 1960-1970. On trouve donc ici un décalage dans le temps assez important entre l’émergence d’une pensée économique, ses tentatives de mise en œuvre au travers d’innovations organisationnelles, et sa représentation au cinéma, interprétable comme une forme d’acceptation sociale. A côté de cette spécificité française, où l’on envisage la création d’entreprise à plus de deux fondateurs, il s’en dessine une autre : celle de la place de la famille. Le fait qu’elle soit aussi prégnante doit immanquablement impacter les pratiques en termes d’accompagnement à la création d’entreprise et de conseil aux entreprises en France. A l’heure actuelle, les travaux de recherche portant sur les entreprises familiales ne permettent pas de statuer définitivement sur les avantages et les inconvénients de l’influence d’une famille sur la propriété et le management (Arrègle, Mari, 2010). On peut toutefois présumer que ce type d’entreprise jouit d’un capital patient lui permettant de faire face mieux que d’autres à un contexte économique turbulent et de développer une forme de résilience organisationnelle. Le fait d’avoir comparé les représentations de l’entrepreneur dans les films nous a également permis de mettre en exergue l’importance accordée par les américains à trois types de comportements : l’innovation ou la recherche de solutions nouvelles, le leadership et l’élaboration d’une stratégie ou d’un tactique. Ces résultats entrent en résonance avec l’observation de la performance des USA en termes de brevets déposés, montants investis en Recherche et Développement, nombre de prix nobels…etc. Mais également avec les travaux de Shane (1993). Ce dernier, s’appuyant sur une étude comparative de grande envergure, a montré que la tolérance à l’incertitude facilite l’émergence d’innovations. Les sociétés les moins anxieuses sont celles qui acceptent le mieux le rôle des leaders ou des champions et qui présentent les inerties au changement les moins fortes. C’est probablement pour cette raison que l'approche nord-américaine de l’entrepreneur nous apparaît dépassionnée et iconoclaste. Lamendour (2009) la qualifie quant à elle d’intrigante. Elle ajoute que « Les portraits des dirigeants en majesté (…) parviennent à critiquer ceux qu’ils portent aux nues ». There will be blood (2007), description clinique de l’aventure d’un chercheur d’or noir en Californie en 1889, en est un exemple, au même titre que Citizen Kane (1941), Géant (1956) ou Aviator (2005). Plus étonnant encore, les « loosers » susceptibles d’entraver le retour à l’ordre post reaganien trouvent leur place dans notre échantillon US. Ed Wood (1995) était considéré comme le plus mauvais réalisateur de tous les temps de son

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vivant. Le pornographe Larry Flint (1996) n’est pas un personnage qui suscite la sympathie unanime dans son pays d’origine.

3.3.Résultat apporté par l’analyse du genre : faire face au rire des français En France, la place prise par la comédie dans le traitement du sujet de l’entrepreneuriat est plus grande qu’aux Etats-Unis (c.f. tableau 8). Cette constatation constitue un résultat central de notre étude. Le comique naît quand des hommes réunis en groupe, dirigent leur attention sur l’un d’entre eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant leur seule intelligence. Selon Bergson (1940), celui vers lequel l’attention est portée est celui dont la raideur du caractère devient suspecte à la société parce qu’elle est le signe d’une activité qui tend à s’écarter du centre commun autour duquel elle gravite. Le rire est là pour corriger sa distraction et pour le tirer de son rêve. Pour le philosophe moraliste, la société est « en présence de quelque chose qui l’inquiète, mais à titre de symptôme seulement –à peine une menace, tout au plus un geste. C’est donc par un simple geste qu’elle y répondra. Le rire doit être quelque chose de ce genre, une espèce de geste sociale ». Cette idée apporte un éclairage nouveau dans notre analyse. Si les français rient davantage de l’entrepreneur, c’est parce qu’il leur pose un problème moral plus grand qu’aux américains. L’observation des biopics concourt à valider l’idée selon laquelle, poursuivre un but égocentrique dévalorise le projet de création en France, quels que soient les outputs sociaux positifs en découlent (créations d’emplois, essaimage, rentrées fiscales… etc.) (Radu et Redien-Collot, 2008). L’analyse des biopics montre que les « héros français » de notre panel sont : l’abbé Pierre dans Hiver 54 (1989) de Denis Amar, Coluche, l’histoire d’un mec (2008) d’Antoine De Caunes -des entrepreneurs sociaux par excellence- et enfin Coco avant Chanel (2009), c’est-à-dire Coco avant qu’elle ne s’enrichisse. Conclusion

Cet article avait pour objet l’exploration de la représentation de l’entrepreneur au cinéma. Nous souhaitions comprendre les raisons pour lesquelles le soutien sociétal à cet acteur économique est inégal selon les pays. Pour réaliser cette investigation, une base de données de 141 films a été rassemblée, un cadre d’analyse a été élaboré, basé sur deux des trois courants de recherche en entrepreneuriat (l’entrepreneur par les traits et l’entrepreneur par les faits) et sur une approche plus originale au travers du genre cinématographique. Il ressort de notre analyse qu’on observe des points communs dans les productions cinématographiques Française, Américaine et celles du reste du monde, mais aussi des dissemblances. A partir des 17 items conservés pour observer les motivations et le tempérament, nous avons pu observer que, dans l’imaginaire collectif Français, s’engager dans un parcours entrepreneurial répond moins à un besoin de se mesurer aux autres et de s’enrichir qu’à celui de prendre en charge un groupe et conserver un patrimoine, par comparaison avec les Etats-Unis. Les français pointent davantage que les américains les crises existentielles des entrepreneurs et la recherche du sens, dans leurs fictions. Les agissements et préoccupations sociales ont été étudiés à partir de 12 items, 16 secteurs d’activités, du sexe du personnage qui créé ou reprend une entreprise, et du nombre de protagonistes du projet. Français, Américains et les autres pays producteurs des films analysés partagent la même représentation de l’entrepreneur, viril et solitaire. Cette représentation sociale pose plusieurs problèmes. Le premier touche à la désirabilité : comment se projeter, quand on est une femme, ou quand on est sensible au bien-être collectif ? Le second est lié aux compétences à acquérir en termes de réseautage et de management d’équipes. Le cinéma ne répond ni à la question de la disparition de l’entrepreneur ni à la transformation de son rôle économique dans nos sociétés car les cinéastes sont plus à l’aise

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dans le récit d’histoires inspirées du passé. Lorsque des alternatives sont imaginées (par des réalisateurs français, dans les années 30), comme la création d’entreprises "démocratiques", elles se terminent mal. Pour finir, l’étude du genre cinématographique révèle qu’en France, la place prise par la comédie dans le traitement du sujet de l’entrepreneuriat est plus grande qu’aux Etats-Unis. Si les français rient davantage de l’entrepreneur, serait-ce parce qu’il leur pose un problème moral plus grand qu’aux américains ? Bibliographie

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Annexe 1 – Liste des films

N° Titre Français Année

de sortie

N° Titre Français Année

de sortie

N° Titre Français Année

de sortie

1 A l'origine 2009 26 Gatsby le Magnifique [The Great Gatsby] 1974 51 La Vérité si je mens ! 1997

2 Adua et ses compagnes 1960 27 Géant [Giant] 1956 52

La vie de Thomas Edison [Edison the Man] 1940

3 Aïe mes aïeux [So' s your old man] 1926 28 Good Morning Babilonia 1987 53 La Zizanie 1978

4 Arizona 1941 29 Good Morning England 2009 54 L'affaire 1994 5 August 2008 30 Hamlet goes business 1987 55 L'affaire Mattei 1972 6 Aviator 2005 31 Hiver 54, l'abbé Pierre 1989 56 L'amateur 1979

7 Bugsy 1991 32 Il Boom 1963 57 L'apprentissage de Duddy Kravitz 1974

8 Casino 1995 33 It'a a free world 2007 58 Largo Winch 2008

9 C'est dur pour tout le monde 1975 34 Itinéraire Bis 1983 59

Larry Flynt [The People Vs Larry Flynt] 1996

10 C'est encore loin l'amérique ? 1980 35 Itinéraire d'un enfant gâté 1988 60 L'associé 1979

11 C'est quoi la Vie ? 1999 36 Jean de Florette 1986 61 L'autre moitié du ciel 1986 12 Citizen Kane 1941 37 Jeanne la Française 1973 62 Le Caïman 2006 13 Clémentine Chérie 1963 38 Jerry Maguire 1996 63 Le crime de M. Lange 1936

14 Coca-cola Kid [The Coca-Cola Kid] 1985 39 J'invente rien 2006 64 Le goût des autres 1999

15 Coco 2009 40 Judith Therpauve 1978 65 Le Grand Restaurant 1966

16 Coco avant Chanel 2009 41 Korczak 1989 66 Le Grand Ziegfeld [The Great Ziegfeld] 1936

17 Coluche, l'histoire d'un mec 2008 42 La Belle Equipe 1936 67 Le Graphique de Boscop 1976

18 Damages 2007 43 La Boutique de la famille Lin [Linjia Puzi] 1959 68

Le Maître des îles [The Hawaiians] 1970

19 Deuxième vie 2000 44 La Graine et le Mulet 2007 69 Le petit baigneur 1968

20 Du haut de la terrasse [From the Terrace] 1960 45

La grande nuit [Big Night] 1997 70 Le Petit Marcel 1976

21 Ed Wood 1995 46 La Liste de Schindler [Schindler's List] 1994 71

Le Roi de la Bière [What ! No Beer ?] 1933

22 Edouard mon fils [Edward my son] 1949 47

La Maîtresse de fer [The Iron Mistress] 1952 72

Le Roi du tabac [Bright Leaf] 1950

23 Esclaves de New York [Slaves of New York] 1988 48 La mer à boire 2012 73 Le téléphone rose 1975

24 Father of invention 2009 49

La terre tremble (épisode de la mer) [La terra trema (episodio del mare)] 1948 74

L'envie [Envy] 2004

25 France Boutique 2003 50 La truite 1982 75 Les ambitieux 1964

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Annexe 1 – Liste des films (suite)

N° Titre Français Année de

sortie N° Titre Français

Année de

sortie N° Titre Français

Année de

sortie

76 Les bouchers verts [De gronne slagtere] 2005 101

Que les gros salaires lèvent le doigt !!! 1982 126

Travail au noir [Moonlighting] 1982

77 Les Ensorcelés [The Bad and the Beautiful] 1952 102

Raining Stones [Raining Stones] 1993 127 Trois enfants dans le désordre 1966

78 Les grandes familles 1958 103 Rendez-vous, Champs-Elysées 1937 128

Tucker [Tucker : The Man and his Dream] 1988

79 Les grandes gueules 1965 104 Rockers 1978 129 Un certain jour [Un certo Giorno] 1969

80 Les P'tites Têtes 1982 105 Romance américaine [An american Romance] 1944 130

Un éclair de génie [Flash of genius] 2009

81 Les toilettes du pape [El Bano del Papa] 2008 106 Romuald et Juliette 1989 131 Un linceul n'a pas de poches 1975

82 Les tortues volent aussi 2005 107 Sauvez le tigre ! [Save the Tiger !] 1972 132

Un nouveau russe [Platon Makovski] 2001

83 Les vers à soie du printemps [Chun Can] 1933 108

Schmock [Fire Sale] 1975 133 Un si joli village 1978

84 L'Etat de grâce 1986 109 Sex-Shop 1972 134 Un type comme moi ne devrait jamais mourir 1976

85 L'héritier 1972 110 Shampoo 1975 135 Une étrange affaire 1981

86 L'homme au complet blanc [The Man in the White suit] 1951 111

Shower [Xizao] 1999 136

Une femme d'affaires [Rollover] 1981

87 L'or maudit [Sutter's Gold] 1936 112 Soul Kitchen 2010 137

Une femme extraordinaire [Lucy Gallant] 1955

88 L'Or noir de l'Oklahoma [Oklahoma Crude] 1972 113 Souvenirs d'en France 1975 138

Une riche affaire [It's a gift] 1934

89 Ma petite entreprise 1999 114

Soyez sympas, rembobinez [Be kind rewind] 2008 139 Une vie meilleure 2012

90 Moi y'en a vouloir des sous 1972 115 Studio 54 1999 140 Vassa [Vas'ja Zeleznova] 1982

91 Mon pote 2010 116 Tampopo 1986 141 Yi Yi [One and a two] 2000

92 Mondovino 2004 117 The Betsy 1978

93 Monsieur Batignole 2002 118

The Full Monty, le grand jeu [The Full Monty] 1997

94 Montparnasse Pondichery 1993 119

The King of Marvin Gardens 1971

95

My beautiful Laundrette [My beautiful Laundrette] 1985 120 The Social Network 2010

96

Nickelodeon [Nickelodeon] 1976 121

The van [The Van] 1996

97

Panique à Hollywood [What just happened ?] 2008 122 There will be blood 2007

98 Petit à petit 1971 123

Thomas Gordeïev [Foma Gordeev] 1959

99 Potiche 2010 124 Tout feu tout flamme 1981

100 Protection rapprochée [Livvakterna] 2001 125

Train, amour et crustacés [It happened to Jane] 1959

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Annexe 2 – Illustration de la sélection des items “Motivation” Thèmes issus de la littérature Items conservés Commentaires Se fixer ses propres objectifs √ Etre libre Source Gasse

(2001) Avoir ses propres critères d’excellence √ Aimer être indépendant des personnes, des contraintes et des restrictions. √ Ecarter les contraintes et les directives pré-établies. √ S’ouvrir de nouvelles possibilités de carrière √ Faire ce qui plait et en éprouver du plaisir √ Relever les défis √ Par esprit de

compétition Voir l’occasion de se mesurer aux autres comme un stimulant à la performance √ Aimer se mesurer à des adversaires à sa taille √ Aimer évaluer et déjouer la concurrence en affaires √ Chercher à améliorer constamment sa performance √ Devenir leader régional, mondial √ Aimer faire des choses difficiles et se confronter à des projets exigeants √ Etre axé sur l’efficacité et sur les résultats … Rejeté Vouloir exploiter tout son potentiel et progresser … Rejeté Rechercher le contrôle des ressources liées à la réalisation des projets … Rejeté Réalisation de soi … Rejeté Internalité : donner la prédilection à des causes internes dans sa recherche d'explication des évènements auxquels le sujet fait face

… Rejeté

Tendre à la propriété des résultats √ Reconnaissance sociale Chercher à se distinguer et à occuper l’avant scène √

Vouloir accéder à un statut et assoir sa réputation √ Vouloir être le patron et ne pas suivre les directives des autres √ Accéder au

pouvoir Aimer diriger et influencer les personnes pour les amener à faire selon ses plans. √ Vouloir décider seul et agir à sa guise √ Tenir à mobiliser les ressources et les gens au service de ses propres objectifs √ Aimer travailler avec des experts … Rejeté Prendre charge des responsabilités et des personnes √ Pour les autres Développer des activités au pays et des emplois √ Mettre un bien ou un service à disposition de la communauté √ Impliquer des collègues dans un projet √ Rechercher les situations qui laissent une grande marge de manœuvre et qui permettent d’exercer sa pleine initiative et toute sa créativité

√ Invention, innovation, créativité, solutions nouvelles

Initier, créer quelque chose √ Prouver qu’un concept vaut la peine d’être exploité √ Chercher constamment de nouvelles façons de faire les choses √ Ne pas accepter la conformité √ En rébellion S’enrichir, faire de l’argent, connaître la réussite financière √ S’enrichir,

accumuler du capital

√ Pérenniser l’entreprise, conserver le capital et/ou des valeurs culturelles

S’est imposé via l’échantillon

Tenir à être libre de choisir ses dépendances en fonction des besoins et du prix à payer.

√ Retrouver une dignité

Rare dans la littérature. S’est imposé via l’échantillon

Ne pas être dépendant du soutien affectif ou social des autres √ Refuser d’être réduit à un objet, un moyen et être respecté, indépendamment de son âge, de son sexe, de son état de santé physique ou mentale, de sa condition sociale, de sa religion ou de son origine ethnique.

√ Conquête amoureuse

Barry (1980)

Existence de facteurs déclencheurs : trop-plein d’énergie ou d’expérience à exploiter, avoir du temps ou de l’argent à faire fructifier, découvrir une opportunité, rupture dans le parcours de la vie personnelle (décès d’un parent e.g.) ou professionnelle (licenciement e.g.)

√ Saisie d’une opportunité

Structurer rapidement sa réflexion stratégique pour passer vivement à l’action √ Echapper à une situation matérielle précaire. √ Survivre, sortir de

la misère Rare dans la littérature. S’est imposé via l’échantillon

Echapper au chômage √

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Vers une typologie des réseaux formels d’entrepreneurs : une étude exploratoire

Vincent LEFEBVRE Enseignant-Chercheur

Co-responsable du pôle Entrepreneur ISC Paris

[email protected] Résumé : Le réseau de l’entrepreneur, formel ou informel, d’affaires ou personnel, de socialisation ou économique, opérationnel ou tactique, est souvent mis en avant comme un facteur clé de la réussite entrepreneuriale. Cependant, peu de recherches sont consacrées au fonctionnement effectif des réseaux formels d’entrepreneurs. Cet article répond à ce manque dans la littérature entrepreneuriale et présente une première proposition de typologie permettant de distinguer les réseaux formels d’entrepreneurs selon les actions concrètement déployées sur le terrain. Notre recherche qualitative exploratoire conduite sur la base de questionnaires administrés en face à face et à distance à un échantillon de 9 animateurs de réseaux formels d’entrepreneurs permet d’identifier trois grands types de réseaux formels : la communauté de pratique, la communauté de liens faibles, et, respectivement, la communauté de mimétisme inter-organisationnel. Mots clefs : Réseaux formels d’entrepreneurs, accompagnement entrepreneurial, communauté de pratique, communauté de liens faibles, mimétisme inter-organisationnel Abstract: Formal or informal, operational or tactical, for business or personal, entrepreneurial networks are often highlighted as a key factor of entrepreneurial success. Yet, we know little about the functioning of formal networks of entrepreneurs. The present article addresses this gap in the literature and presents an original typology that distinguishes among formal networks of entrepreneurs according to the kind of actions these networks implement for their members. Our exploratory qualitative field research conducted on the basis of questionnaires to a sample of nine leaders of formal networks of entrepreneurs highlights three main types of formal networks of entrepreneurs: the community of practice, the community of weak ties, and, respectively, the community of inter-organizational imitation. Key words: formal networks of entrepreneurs, entrepreneurial support, community of practice, community of weak ties, inter-organizational imitation

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Introduction

La littérature entrepreneuriale a montré que les relations de l’entrepreneurs favorisent le développement des compétences des participants et à la performance des entreprises (Grossetti et Barthe, 2008). Plus spécifiquement, la mise en relation d’entrepreneurs et l’échange de bonnes pratiques sont présentés, aussi bien par les dirigeants d’entreprise que par les chercheurs, comme des vecteurs importants de la pérennité et de la croissance des jeunes entreprises (Szarka, 1990 ; Wiklund, Patzelt, Shepherd, 2009).

Parmi la multitude de réseaux et de clubs d’entrepreneurs existant en France, les réseaux formels d’entrepreneurs sont des regroupements d’entrepreneurs organisés autour d’un accompagnateur professionnel ou bénévole, qui joue le rôle d’animateur permanent du réseau. Selon Le Brasseur et Rochibaud (1999), les réseaux formels sont des réseaux horizontaux et tactiques, à visée de socialisation et/ou économique. S’inscrivant dans un contexte d’accompagnement de dirigeants, les réseaux formels d’entrepreneurs déploient un ensemble plus ou moins hétérogène de pratiques et de discours à des fins de mise en relation d’affaires, d’échange d’expérience et d’apport de connaissances. En entrepreneuriat, il y a peu de recherches empiriques consacrées au fonctionnement des réseaux formels d’entrepreneurs du point de vue des objectifs visés et des actions mises en place pour les atteindre. Notre question de recherche concerne les actions planifiées, initiées par les réseaux formels d’entrepreneurs de manière récurrente afin de consolider les compétences entrepreneuriales des participants et soutenir le développement des entreprises membres. Quelles sont les catégories d’actions déployées par les réseaux formels d’entrepreneurs afin d’accompagner les entrepreneurs et leurs entreprises ? Ce questionnement a pour finalité de permettre l’élaboration d’une première typologie des réseaux formels d’entrepreneurs selon les catégories d’actions les plus fréquemment mises en œuvre. Ceci est susceptible d’intéresser les accompagnateurs, les entrepreneurs et la communauté académique, car l’identification fine des actions des réseaux formels d’entrepreneurs permettrait de mieux appréhender le paysage français de l’accompagnement et de mieux évaluer, par la suite, la contribution effective des réseaux formels d’entrepreneurs au niveau des individus et de leurs entreprises.

Notre objectif est de présenter une première typologie des réseaux formels d’entrepreneurs français, selon les catégories d’actions proposées le plus fréquemment aux participants. Cette typologie a été élaborée de manière abductive, sur la base de notre expérience professionnelle d’accompagnateur59 et à partir d’une série de critères de différenciation repérés dans la littérature entrepreneuriale et en sciences de gestion. Afin de tester la pertinence de nos critères de différenciation et le caractère discriminant de notre typologie, nous avons effectué une enquête qualitative exploratoire auprès de 9 animateurs de réseaux formels d’entrepreneurs. Après une revue de littérature consacrée aux réseaux formels d’entrepreneurs, nous présentons notre typologie et notre enquête exploratoire, dont nous discutons les résultats. Nous allons conclure avec quelques propositions opérationnelles à l’intention des professionnels de l’accompagnement.

59 10 ans d’expérience dans l’accompagnement entrepreneurial : conseil en création, pilotage de dispositif d’appuis régionaux, création et animation de réseaux d’entrepreneurs, membre fondateur d’une fédération de club d’entrepreneurs.

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1. Revue de littérature

La littérature entrepreneuriale présente les réseaux d’entrepreneurs comme des environnements favorables à la détection et la validation collective d’opportunités d’affaires et de ressources (Tremblay et Carrier, 2006). La littérature dédiée à l’accompagnement entrepreneurial analyse les réseaux d’entrepreneurs en tant que vecteurs institutionnels et relationnels au service du développement territorial (Schieb-Bienfait et Clergeau, 2005). Dans un contexte de l’accompagnement, le concept de « communauté de pratique » est mobilisé afin de souligner la mission d’apprentissage et d’échange de bonnes pratiques assignée aux réseaux par leurs organisations tutélaires, consulaires ou associatives (Levy-Tadjine, 2010). Tout en s’inscrivant dans la lignée des travaux sur les réseaux sociaux (Bares, Bourgne et Froehlicher, 2008), notre recherche examine les réseaux formels d’entrepreneurs en s’appuyant sur des apports théoriques complémentaires en entrepreneuriat et sciences de gestion afin d’étudier comment ces réseaux agissent au service de l’entrepreneur et de son entreprise.

Pour examiner le fonctionnement des réseaux formels d’entrepreneurs, nous prenons en compte les actions déployées par les réseaux au niveau de l’entrepreneur, de son entreprise et de son marché.

Les réseaux permettent de tester des idées, acquérir des informations et des connaissances sur les meilleurs pratiques en vigueur, et mobiliser les ressources nécessaires à la croissance de l’entreprise. Les réseaux formels d’entrepreneurs déploient des activités au service de l’entrepreneur et de son entreprise, visant à renforcer les compétences de l’entrepreneur (Aouni et Surlemont, 2007 ; Bayad, Boughattas et Schmitt, 2006), à l’aider à développer son entreprise par l’identification et la mobilisation de nouvelles ressources (Pansy Hon, 2004) et à accroitre sa connaissance du marché et de son secteur économique (Shane, 2000). A chacun de ces niveaux correspondent les enjeux ci-dessous : Niveau de l’entrepreneur : développement des compétences entrepreneuriales,

managériales, techniques, de gestion et sectorielles, conceptualisées en tant que connaissances (savoirs), attitudes (savoir-être) et habiletés (savoir-faire),

Niveau de l’entreprise : acquisition de nouvelles ressources, détection d’opportunités et élaboration du modèle organisationnel,

Niveau du marché : exploitation des opportunités, renforcement des connaissances relatives au marché et des meilleurs moyens pour satisfaire la demande. Notre prémisse de départ serait que tous les réseaux formels d’entrepreneurs articulent

ces trois niveaux d’intervention dans le cadre de leur travail d’accompagnement. Afin de comprendre ce que sont et font les réseaux formels d’entrepreneurs, et être en mesure de les différencier, la littérature entrepreneuriale et en sciences de gestion proposent trois notions fondamentales : la « communauté de pratiques », la « communauté de liens faibles » et le « mimétisme inter-organisationnel ». A partir de notre expérience de 10 ans du métier d’accompagnateur et d’une revue de littérature, notre prémisse serait que les réseaux mettent en œuvre des démarches d'apprentissage du métier d'entrepreneur par la constitution de communautés de pratiques qui facilitent l'accès aux savoirs, savoir-faire et habiletés des entrepreneurs membres. D’autre part, ces réseaux peuvent également être analysés comme des communautés de liens faibles qui favorisent la mise en relation d’affaires entre les entrepreneurs. Enfin, ces réseaux donnent accès aux participants à une meilleure connaissance de leur marché et de leur secteur économique, ainsi que des moyens les plus adaptés pour satisfaire la demande, par le biais de processus de mimétisme inter-organisationnel.

Au niveau de l'entrepreneur et de ses compétences, nous retenons la notion de communauté de pratique, dont l’objectif est la montée en compétences d'un groupe professionnel. Au niveau de l'entreprise avec son organisation et ses ressources, la théorie des

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réseaux sociaux a retenu notre attention car elle étudie l'optimisation de l'organisation et l'accès à des ressources rares. Enfin, au niveau de la connaissance du marché et des moyens de le satisfaire, c'est l'isomorphisme des entreprises, et en particulier la notion d'imitation telle que définie par les néo-institutionnalistes qui nous permet d’analyser les actions des réseaux formels d’entrepreneurs.

1.1. Les réseaux formels d’entrepreneurs en tant que communautés de pratique

Apparue comme un outil de management intra-entreprise, la notion de « communauté

de pratique » fait référence à un groupe d’individus qui partagent un engagement et l'identification à une expertise commune, dont les membres se choisissent mutuellement, et qui vise le développement des compétences de ses membres, la construction et l'échange de connaissances (Lave et Wenger, 1990). Selon Cohendet, Créplet et Dupouët (2003), l’objectif de ces communautés est la montée en compétences par rapport à une pratique donnée, dans le cadre d’un groupe avec des participants homogènes partageant une passion commune, qui accumulent de la connaissance sur cette pratique en faisant circuler les meilleurs pratiques, se sélectionnent mutuellement, et produisent de la connaissance au travers d’un mode d’apprentissage involontaire. Les communautés de pratiques conduisent à la résolution rapide des problèmes, l’identification facilitée des interlocuteurs susceptibles d'apporter des réponses, une meilleure circulation des bonnes pratiques dans l'entreprise, le développement des compétences professionnelles, et l'amélioration du turn-over des salariés (Wenger et Snyder, 2000). Les auteurs ont mis en évidence le fait que « les apprentis apprennent autant de leurs compagnons ou d'apprentis plus expérimentés qu'ils ne le font des maîtres artisans » (ibid. : 141). Dans le cas des réseaux formels d’entrepreneurs, la notion de communauté de pratique permet d’éclairer aussi bien l'organisation du réseau que ses résultats. En effet, cette notion répond aux enjeux de montée en compétences de l'entrepreneur et à la construction de ses savoir-faire et savoir-être afin d’optimiser le rapport entre le temps nécessaire pour rechercher une expertise et du soutien et le temps nécessaire pour accéder à une information de qualité.

L’étude de la morphogenèse des communautés de pratique réalisée par Dupouët, Yildizoglu et Cohendet (2003) a mis en évidence l’existence d’une démarche de coordination de la communauté aboutissant à la constitution d'un « répertoire de ressources cognitives » communes. Dans le cadre des réseaux formels d’entrepreneurs, la coordination est entre les mains de l'animateur du réseau. L’animateur et les contributeurs externes apparaissent comme des « Participations Périphériques Légitimes » (Lave et Wenger, ibid.) qui contribuent à renforcer les mécanismes d'apprentissage des membres dans le cadre de la communauté de pratique. Leur présence entrainerait un changement progressif de la perception collective de la pratique partagée par les membres.

Nous pensons que les réseaux formels d’entrepreneurs peuvent s'apparenter à une communauté de pratique de par leur modèle organisationnel et les objectifs poursuivis. Ceci nous conduit à formuler la proposition suivante : Proposition 1 : Les réseaux d'entrepreneurs agissent comme des communautés de pratique à condition de poursuivre un objectif commun de montée en compétence par le partage de pratiques, et d’avoir une démarche de sélection de candidats homogènes partageant une même passion d'entreprendre et souhaitant participer ensemble aux échanges.

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1.2. Les réseaux formels d’entrepreneurs en tant que communautés de liens faibles

Selon Grannoveter (1973), « la force d'un lien est une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l'intensité émotionnelle, de l'intimité (la confiance mutuelle) et des services réciproques qui caractérisent ce lien » (ibid. : 1361). S'inscrivant en opposition avec les liens forts constitués par la famille et les amis qui, eux, sont mobilisés sous forme de soutien, les liens faibles facilitent l’accès à des ressources au service du développement de l’entreprise (Chell et Baine, 2000). Les réseaux formels d’entrepreneurs sont une source de liens faible. L'entrée dans un réseau formel d’entrepreneurs favorise la mise en relation du créateur / repreneur / dirigeant avec des pairs inconnus initialement Chollet (2002). A partir du moment fondateur de l’entrée dans le réseau, celui-ci offrirait à l’entrepreneur membre de multiples liens interpersonnels potentiels, rendus possibles par l'appartenance au même réseau, ce qui nous conduit à envisager les réseaux formels d’entrepreneurs comme des « communautés de liens faibles ».

Selon la théorie des trous structuraux, la taille et la centralité d’un réseau limiteraient la quantité de ressources accessibles à un individu (Burt, 1997). Afin de dépasser cette limite, les entrepreneurs s’appuieraient sur l’identification et l’utilisation des « trous structuraux » présents dans le réseau afin de maximiser leur accès à des ressources variées (Hoang et Antoncic, 2003). Les trous structuraux sont définis comme étant l’absence de liens entre deux contacts non redondants dans un réseau (Burt, ibid.). Plus un réseau est riche en trous structuraux, plus il serait source d'opportunités. Les réseaux riches en trous structuraux seraient une source privilégiée de gains d’information et de contrôle (Burt, 1995). D’une part, l’entrepreneur accèderait plus rapidement à une information de bonne qualité et non redondante et, d’autre part, il en contrôlerait la diffusion.

Ceci nous conduit à formuler une nouvelle proposition : Proposition 2 : Les réseaux formels d’entrepreneurs peuvent prendre la forme de communautés de liens faibles, favorisant plus ou moins un recrutement hétérogène de leurs membres, et conduisant ainsi à une apparition plus ou moins importante de trous structuraux. 1.3 Les réseaux formels d’entrepreneurs, environnements favorisant le mimétisme inter-

organisationnel

Les actions mises en place par les réseaux formels d’entrepreneurs favorisent parfois l’apparition du mimétisme inter-organisationnel : l’échange de bonnes pratiques, les témoignages d’entrepreneurs qui ont réussi, dans le même secteur ou dans des secteurs différents sont susceptible de conduire les participants à imiter les stratégies et les modèles organisationnels qu’ils perçoivent comme dominants ou gagnants. L’imitation serait fondée sur deux enjeux : l’information et la rivalité. L'imitation fondée sur l'information se produirait lorsque les entrepreneurs ne concourent pas sur le même marché ou la même niche, lorsqu’ils ont des entreprises de tailles différentes, lorsqu’ils n'utilisent pas de ressources similaires ou lorsqu’ils évoluent dans des environnements très incertains. L'imitation fondée sur la rivalité et sur les risques se produirait lorsque les entrepreneurs concourent sur le même marché ou la même niche, ont des tailles d’entreprise identiques, font appel aux mêmes ressources ou évoluent dans des environnements pas ou peu incertains (Lieberman et Asaba, 2006). Le mimétisme apparaît comme un moyen pour l'entrepreneur et son entreprise d'apparaître plus légitimes sur le marché et de se conforter dans la prise de risque. Que l'imitation porte sur les pratiques ou sur la stratégie, la dimension sectorielle revient quasi-systématiquement. Ainsi, si

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l'entrepreneur peut accroître sa connaissance du marché à travers l'analyse des acteurs, il peut également augmenter sa connaissance des moyens pour satisfaire ce marché par l'action d'imitation des pratiques en vigueur.

La littérature identifie trois mécanismes générateurs d'isomorphisme : le mécanisme coercitif, qui est impulsé par un problème de légitimité et une nécessité

politique : l'entreprise subit des pressions directes ou indirectes en provenance d'organisations dont elle dépend, ce qui entraîne une modification organisationnelle,

le mécanisme de mimétisme, qui résulte d'une réponse empruntée à d'autres acteurs afin de répondre à des incertitudes,

le mécanisme normatif, qui vise à unifier les acteurs d'un secteur en validant leur professionnalisme et en assurant leur légitimité (Dimaggio et Powell, 1983).

Les réseaux formels d’entrepreneurs réunissent ou non des entreprises agissant dans le même secteur économique. Lorsque les membres interviennent sur le même marché, les enjeux mimétiques sont assez aisément identifiables au regard des éléments énoncés ci-dessus. Lorsque les membres n’interviennent pas sur le même marché, les réseaux formels d’entrepreneurs mobilisent toutefois, par le biais de témoignages, des entrepreneurs de renom et des entreprises de succès afin de rassurer les jeunes entreprises membres sur la prise de risque et de présenter des modèles de croissance, contribuant ainsi à la mise en place de démarches mimétiques. Ceci nous conduit à formuler notre dernière proposition: Proposition 3 : Les actions des réseaux formels d’entrepreneurs sont propices au mimétisme entre adhérents ou avec des entreprises extérieures, ce mimétisme se mettant en place dans le cadre de la connaissance du marché et des meilleurs moyens de répondre à la demande.

2. Critères de différenciation des réseaux formels d’entrepreneurs Nous pensons que les actions des réseaux formels d’entrepreneurs se déploient à trois

niveaux : l’entrepreneur, l’entreprise et le marché. Trois types de leviers ont été identifiés permettant d’étudier les actions mises en œuvre par les réseaux à l’intention des membres : La communauté de pratique : envisagée sous l’angle de la passion commune

d’entreprendre, elle constitue un levier qui peut être mobilisé afin de conduire l’entrepreneur à renforcer ses connaissances et ses compétences,

La communauté de liens faibles : un levier qui peut être mobilisé afin de renforcer la capacité de l’entreprise à identifier des opportunités, accéder à de nouvelles ressources et des modèles organisationnels performants,

Le mimétisme inter-organisationnel : un levier qui peut être mobilisé afin d’améliorer l’exploitation de l’opportunité et de faciliter l’accès aux connaissances relatives au marché et aux meilleures manières de le satisfaire, par le biais de l’observation et de l’imitation des stratégies et des pratiques en vigueur.

Les réseaux formels d’entrepreneurs articulent ces niveaux et ces leviers de différentes façons, afin de répondre aux besoins des membres. Les réseaux formels d’entrepreneurs se positionnent chacun de manière spécifique par rapport aux 6 critères de différenciation proposés et peuvent s’apparenter à plusieurs « types » des 3 identifiés – réseau formel fonctionnant comme une communauté de pratique, réseau formel fonctionnant comme une communauté de liens faibles, réseau formel promouvant le mimétisme inter-organisationnel (cf. Figure 1). Dans le Tableau 1, nous reprenons ces critères de différenciation en précisant les sources bibliographiques qui ont contribué à son émergence.

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Figure 1. Typologie des réseaux formels d’entrepreneurs *RFE = réseau formel d’entrepreneurs

Compétences Savoirs

Savoir-être

RFE* fonctionnant comme une Communauté de Pratique

RFE* promouvant le Mimétisme Inter-organisationnel

RFE* fonctionnant comme une

Communauté de Liens Faibles

Besoins liés à l’Entrepreneur

Besoins liés à l’Entreprise

Besoins liés aux Marchés Légitimité

Connaissance du marché Connaissance des moyens de satisfaire la demande

Ressources Nouvelles opportunités

Organisation

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Niveau Focus des Actions du réseau Littérature Type de réseau Littérature

Entrepreneur

Les compétences : • entrepreneuriales • managériales • techniques de gestion et

sectoriel Les connaissances (savoirs), les attitudes (savoir-être) et les habiletés (savoir-faire)

Filion (1998) Aouni et Surlemont (2007) Bayad, Boughattas, e Schmitt (2006) Tjosvold et Weicker (1993) Witmeur (2007) Papadaki et Chami (2002) Guyot, Janssen et Lohest (2006) Janssen (2002) Nixdorff (2001)

Basé sur les communautés de pratique et sur les participations périphériques légitimes Critères : - monter en compétences, - construction des savoir-faire et

des savoir-être, - optimiser le rapport entre temps et

recherche d'expertise et de soutien,

- accès à de l'information experte

Wenger et Snyder (2000) Dupouët, Yildizoglu et Partick Cohendet (2003) Cohendet, Créplet et Dupouët (2003). Lave (1991) Kimble et Hildreth (2005) Lave et Wenger (1990)

Entreprise

Les ressources L’opportunité (détection) L’organisation

Gartner (1988) Gartner (1990) Leibenstein (1968) Coase (1937) Edith Penrose (1959) Witmeur (2007). Alvarez et Busenitz (2001) Yvon Pesqueux (2011) Verstraete et Fayolle (2005)

Basé sur la communauté de liens faibles Critères

- Taille - Densité - Diversité - Liens faibles - Trous structuraux

Szarka (1990) Le Brasseur et Rochibaud (1999) Proulx (1998) Grannoveter (1973) Chell et Baine (2000) Jenssen et Koenig (2002) Pansy Hon (2004) Hoang et Antoncic (2003) Burt (1995) Burt (1997) Barthélemy Chollet (2002)

Marché

L’opportunité (exploitation) La gestion de l’information Les connaissances relatives au marché Les connaissances pour satisfaire la demande

Casson (2005) Shane et Venkataraman (2000) Verstraete et Fayolle (2005) Drucker (1985) Kirzner (1997) Chabaud et Ngijol (2004) Baron et Shane (2007) Ardichvili, Cardozo et Ray (2003) Alvarez et Barney (2004)

Basé sur le mimétisme inter-organisationnel Critères : - Présence de modèles - Uniformité sectorielle - Réglementation - Enjeux de légitimité - Prise de risque mesurée

Julien (2007) Dimaggio et Powell (1983) Lieberman et Asaba (2006) Fernhaber et Li (2010)

Tableau 1. Critères de différenciation des réseaux formels d’entrepreneurs

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3. Méthodologie

Une étude qualitative exploratoire a été réalisée pendant l’été 2011 auprès de 9 responsables de réseaux formels d’entrepreneurs français par le biais d’un questionnaire écrit de 83 questions, administré en face à face et à distance grâce à Sphinxonline. La proposition de participation a été adressée aux responsables de réseaux formels d’entrepreneurs de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et auprès de ceux de la Fédération des Clubs d’Entrepreneurs, France Entrepreneurs. Deux animateurs ont été rencontrés en entretien et quatre ont répondu sur la plate-forme Internet. Les trois autres participants ont été identifiés en dehors de ces réseaux et interrogés en face à face (deux d’entre eux) et à distance (un participant).

3.1. Les participants

Dans le Tableau 2, nous indiquons les noms des participants et rappelons les

caractéristiques de leurs réseaux en termes de taille, ancienneté, type et nombre d’adhérents.

* seul ce réseau a déclaré avoir un numérus clausus 120. Tableau 2. Les participants à l’enquête

3.2. Le questionnaire

La conception du questionnaire (Cf. Annexe) a été réalisée en fonction de la revue de littérature. Notre objectif a été d’opérationnaliser nos concepts (la communauté de pratique, la communauté de liens faible et le mimétisme inter-organisationnel) et de les transposer en questions permettant de repérer les actions mises en place par les réseaux avec comme ligne de mire l’entrepreneur, l’entreprise et le marché.

Interviewé Réseau Fonction Prise de fonction Création Taille Type d'adhérents

Stéphane Meunier

CCIP - passer le relais - Club repreneur CCIP75

Conseiller reprise transmission 2008 2009 150

Repreneurs personnes physiques et dirigeants en croissance externe

Virginie Sanfelieu

Club des entrepreneurs du Pays Uzège-Pont du Gard

Chargée d'animation réseaux d'entreprises à la CCI de Nîmes

2000 2006 75 Chefs d'entreprises, Réseau multisectoriel

Joël Porcher PDG 93 Animateur 2008 2008 73 PME et PMI de toutes activités de tailles similaires

Dominique Steve

Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises Association des Ingénieurs ESME Sudria

Vice Président 2011 2008 100 Ingénieurs diplômés de l'ESME Sudria

Christine Sadrin Le réseau de l’image Animatrice 2007 2008 40 Entreprises du secteur de

l’image Jean-François Massiat Business Club SARL Gérant 2002 2002 90 Toute entreprise

Thierry Bégaud Comité Bougainville Président

association 2008 2008 100

100 membres de l’écosystème du tourisme. 1200 entrepreneurs référents externes

Carole Ryckewaert

Club des Entrepreneurs CCIP Paris – ADVANCIA* Responsable 2009 2005 50 Entrepreneurs dirigeant à

Paris et petite couronne

Julien Jérémie Génération Medef Administrateur et parrain du Medef 2008 2008 300 Membres du Medef moins

de 40 ans et extérieurs

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Le questionnaire interrogeait sur trois grandes familles d’actions des réseaux : celles relevant des communautés de pratique et visant la montée en compétences des

entrepreneurs membres afin de tester notre première proposition, celles relevant des communautés de liens faibles et visant à favoriser l’accès des

entreprises membres à des ressources et des informations sur la détection d’opportunités afin de tester notre deuxième proposition,

celles relevant du mimétisme et visant à favoriser l’accès de l’entreprise à de l’information sur le marché, ainsi que la connaissance du marché et des meilleurs manières pour satisfaire la demande afin de tester notre troisième proposition.

Concrètement, les actions identifiées par le questionnaire étaient les suivantes : les critères de recrutement des entrepreneurs et de sélection des entreprises membres, les critères liés au marché sur lesquels les entrepreneurs et leurs entreprises interviennent, les critères de constitution des groupes de travail, la nature des informations disponibles dans l’annuaire du réseau, dans la lettre du réseau, communiquées lors des réunions et des ateliers, les objectifs des ateliers, l’objectif général ou la finalité du réseau. Chacune de ces actions a fait l’objet d’une notation allant de 1 (jamais utilisé) à 9 (utilisé systématiquement). Nous avons regroupé l’ensemble de ces questions afin d’obtenir la note moyenne obtenue par chacun des réseaux en fonction des trois types d’actions mentionnées ci-dessus.

4. Les résultats

Nos propositions ont été confirmées au sens où l’ensemble des réseaux interrogés se concentrent sur les trois niveaux de l’entrepreneur, de l’entreprise et du marché à travers un travail sur l’opportunité d’affaire, les ressources et le modèle organisationnel. En même temps, l’ensemble des réseaux interrogés met en œuvre des actions d’accompagnement qui relèvent des communautés de pratique, des communautés de liens faible et du mimétisme inter-organisationnel (cf. Tableau 3). En moyenne, les réseaux formels d’entrepreneurs interrogés mettent notamment en œuvre des actions caractéristiques aux communautés de pratiques et de liens faibles, et légèrement moins d’actions relevant du mimétisme inter-organisationnel. Les actions faisant appel au mimétisme ont été moins citées que celles relatives aux communautés de pratique et aux communautés de liens faibles. Les réseaux qui semblent mobiliser le plus souvent des actions spécifiques aux communautés de pratique sont ceux dont l’animateur est un professionnel ou quasi-professionnel de l’animation de réseau (par opposition à ceux qui animent bénévolement). Les réseaux pour lesquels les actions liées au mimétisme et donc aux enjeux de connaissance du marché semblent néanmoins jouer un rôle central sont : le Comité Bougainville (Tourisme) et le Réseau de l’image, les deux étant ancrés dans un

secteur d’activité donné, Génération Medef, un réseau qui fonde ses actions sur la mise en avant de modèles

d’entrepreneurs de succès, les réseaux qui s’adressent à des repreneurs afin de renforcer leurs connaissances relatives

au marché, critère déterminant dans le choix d’un repreneur par un cédant (CCIP – passer le relais – Club repreneur CCIP75).

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Communauté de

pratique Communauté de

liens faibles Mimétisme inter-organisationnel

CCIP - passer le relais - Club repreneur CCIP75 5,06 6,23 5,2 Club des entrepreneurs du Pays Uzège-Pont du Gard 5,4 6,19 4,96 PDG 93 3,24 3,78 2,13 Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises ESME Sudria 3,39 4,38 3,5 LE RESEAU DE L'IMAGE 5,34 6,59 5,78 Business Club SARL 1,55 2,36 1,68 Comité Bougainville 6,28 5,94 5,94 Club de Entrepreneurs CCIP Paris - ADVANCIA 5,45 5,68 2,73 Génération Medef 3 2,89 4,11 Moyenne 4,94 4,89 4 Médiane 5,06 5,68 4,11

Tableau 3. Résultats de l’enquête Pour faciliter la lecture du tableau ci-dessus, une représentation de type radar nous

permet de visualiser les différents réseaux en fonction des pratiques mises en avant. On peut s’apercevoir que chacun des réseaux interrogés élabore au travers de ses pratiques un « profil » particulier, en fonction de la fréquence d’apparition des actions d’accompagnement relevant des trois dimensions testées dans l’enquête (voir Figure 2).

Figure 2. Les profils des réseaux formels d’entrepreneurs, selon leurs actions

d’accompagnement

Les résultats indiquent une prépondérance des actions relevant de la communauté de liens faibles pour l’ensemble des répondants. Dans les réseaux interrogés, par rapport au nombre total des membres, très peu d’entre eux se connaissaient avant d’intégrer le groupe (cf. Tableau 4). Ceci confirme la constitution de communautés de liens faibles, avec des trous structuraux favorisant la détection mutuelle d’opportunités d’affaires.

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Membres déjà connus avant intégration

CCIP - passer le relais - Club repreneur CCIP75 plus de 6 Club des entrepreneurs du Pays Uzège-Pont du Gard 0 PDG 93 5 à 6 Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises (Association des Ingénieurs ESME Sudria) 3 à 4 LE RESEAU DE L'IMAGE 1 à 2 Business Club SARL 1 à 2 Comité Bougainville 1 à 2 Club des Entrepreneurs CCIP Paris – ADVANCIA 1 à 2 Génération Medef 1 à 2 Tableau 4. Nombre d’entrepreneurs membres se connaissant entre eux avant l’entrée dans

le réseau Lors de l’enquête, une dimension supplémentaire a été identifiée : la centralité de

l’animateur, qui joue un rôle essentiel dans la mise en relation entre les membres du réseau. Son intervention change selon les modalités de recrutement, qui peuvent varier de l’inscription libre à l’entretien d’adhésion. Cependant, même dans le cadre d’une inscription libre, l’animateur est considéré (sauf pour le Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises - Association des Ingénieurs ESME Sudria) comme une « personne ressource » ou comme « le principal référent » du réseau. La part des entrepreneurs connus par l’animateur est pour la majorité des animateurs interrogés supérieure à 80%. 8 animateurs sur les 9 interrogés reconnaissent jouer un rôle important dans la mise en relation des entrepreneurs, et ceci quelles que soient les thématiques concernées - affaires, entraide ou collaboration. La centralité est donc apparue comme un élément déterminant du rôle de l’animateur, ce qui semble d’ailleurs représenter une récompense symbolique pour les animateurs bénévoles qui consacrent du temps et des efforts à leurs réseaux, sans contrepartie financière.

Au-delà de la non-représentativité des résultats due aux dimensions réduites et à la constitution de notre échantillon, d’autres limites sont apparues. D’une part, le rôle de l’animateur et sa place centrale dans la mise en œuvre des actions et le fonctionnement du réseau et, d’autre part, la dimension tacite des communautés de liens faibles. En effet, les animateurs ont eu des difficultés à pointer les apports effectifs des liens faibles au fonctionnement de leur réseau. Par ailleurs, l’auto-évaluation d’un dispositif créé et animé par les participants peut avoir biaisé les réponses, avec des effets de sur- ou sous-évaluation des actions véritablement déployées sur le terrain. Il est alors nécessaire de confronter discours et pratiques afin de pouvoir repérer les écarts. Nous avons croisé pour chacun des réseaux interrogés les réponses au questionnaire avec l’offre d’accompagnement du réseau, à partir de documents écrits fournis par les participants à l’enquête. Il n’y a que pour le réseau PDG93 que nous avons relevé un écart important entre l’offre, les objectifs et les réponses au questionnaire.

5. Discussion

Selon Prashantham et Young (2009), le capital social de l’entrepreneur devrait comporter des liens faibles et forts, homogènes et hétérogènes, pour lui permettre d’acquérir, assimiler, transformer et exploiter les ressources qui y sont attachées. Ring, Peredo et Chrisman (2009) suggèrent que les réseaux d’affaires sont un moyen privilégié permettant de mobiliser ces différents types de liens. Cependant, ils rappellent l’importance d’adapter les actions du réseau aux besoins des membres au travers d’objectifs d’accompagnement clairement énoncés. Nous pensons que notre travail pourrait contribuer à cette démarche de

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mise en adéquation et permettre aux réseaux formels d’entrepreneurs de mieux articuler objectifs et actions d’accompagnement.

Les réseaux formels d’entrepreneurs interrogés fonctionnent comme des communautés de pratique, des communautés de liens faibles et des communautés de mimétisme inter-organisationnel. Ces trois leviers de l’action répondent à des objectifs d’accompagnement de l’entrepreneur dans sa montée en compétences, de l’entreprise dans son identification d’opportunités, sa mobilisation de ressources et son organisation, et enfin, de l’entrepreneur et de son entreprise dans leur capacité à répondre à la demande tout en améliorant leur connaissance du marché. La typologie proposée n’offre pas des types exclusifs, les réseaux interrogés mettant en avant des actions variées afin de répondre à l’ensemble des problématiques de l’entrepreneur, de son entreprise et de son marché. Même si les appellations des réseaux formels d’entrepreneurs (clusters, SPL, grappes d’entreprises, etc.) évoquent des différences d’appartenance et de fonctionnement, dans la pratique, il semblerait que les actions déployées renvoient davantage à un « patchwork d’approches » qu’à des catégories étanches les unes par rapport aux autres.

Conclusion

Nous avons identifié dans la littérature trois critères de différenciation majeurs permettant de catégoriser les réseaux formes d’entrepreneurs selon les actions mises en œuvre de manière récurrente par l’animateur: la communauté de pratique, la communauté de liens faibles et le mimétisme inter-organisationnel. Ces trois leviers contribuent à trois niveaux différents aux attentes et besoins des entrepreneurs et de leurs entreprises. Tout d’abord, au niveau de l’individu, ils conduisent à l’acquisition et au renforcement des compétences. Ensuite, au niveau de l’entreprise, ils soutiennent l’identification d’opportunités et l’acquisition de nouvelles ressources. Enfin, au niveau de l’entreprise vis-à-vis de son marché, ils consolident l’exploitation d’opportunités, l’information et la connaissance du marché, ainsi que la connaissance relative à la satisfaction de la demande. Cette mise en perspective des actions, du fonctionnement et des objectifs des réseaux aboutit à l’élaboration d’une grille d’analyse qui permet de classer les réseaux formels d’entrepreneurs non seulement au travers de leurs caractéristiques internes mais aussi à partir de leurs actions orientées vers l’extérieur. Cette démarche facilite, selon nous, une approche globale des réseaux formels d’entrepreneurs.

Les animateurs des réseaux formels d’entrepreneurs pourraient utiliser le modèle proposé - entrepreneur/communauté de pratique, entreprise/communauté de liens faibles et marché/mimétisme inter-organisationnel - afin de clarifier leurs objectifs et de mieux répondre aux besoins des entrepreneurs adhérents. Les entrepreneurs de jeunes entreprises pourraient s’appuyer sur ce travail afin d’orienter le choix d’un ou de plusieurs réseau(x) répondant à des besoins spécifiques. Plus concrètement, pour un entrepreneur intéressé principalement par le développement de ses propres compétences, un réseau fonctionnant comme une communauté de pratique serait le plus adapté ; pour un entrepreneur intéressé en premier lieu par le développement des ressources de son entreprise, un réseau fonctionnant comme une communauté de liens faible serait à envisager ; enfin, pour un entrepreneur intéressé notamment par la connaissance du marché et de son secteur économique, un réseau facilitant le mimétisme inter-organisationnel serait le plus pertinent. En effet, comme le soulignent Chabaud et Ngijol (2004 : 16), « si une démarche générale de cartographie des réseaux utilisés par l’entrepreneur est porteuse d’enseignements, l’interrogation sur un recours différencié aux réseaux (…) permettra d’améliorer notre compréhension du comportement entrepreneurial et, plus largement, nous permettra de cerner le potentiel explicatif de la théorie des réseaux sociaux ».

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ANNEXE : le questionnaire

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Les réseaux d’influence et l’implantation des PME

Ekaterina LE PENNEC60 Antonin RICARD Doctoral student Doctoral student

GREDEG, CNRS, UMR 6227, France CERGAM, France IAE, Université de Nice, France IAE, Université d’Aix Marseille, France

Résumé : Cet article a pour objectif d’introduire le concept de « réseau d’influence » dans le contexte de l’implantation d’une entreprise à l’étranger. Ainsi, cette recherche commence par une présentation des différentes approches théoriques sur l’internationalisation des PME. Ensuite, nous introduisons et développons le concept de « réseau d’influence », sur la base des cadres théoriques existants. Enfin, une étude empirique a été réalisée auprès de trois entreprises implantées à l’international. Celle-ci nous permet de détailler les acteurs, les étapes et les éléments clés de la mise en œuvre de ce type de réseaux, dans le cadre spécifique de l’implantation d’une PME à l’étranger. Ces données permettront à terme de développer des outils afin d’aider les PME à s’implanter à l’international. Mots clefs : PME, internationalisation, réseaux d’influence, réseaux sociaux, étude de cas Abstract: The aim of this article is to introduce the concept of “network of influence” in the specific context of establishing a business abroad. Thus, this research begins with an overview of various theoretical approaches of the internationalization of SMEs. Next, we introduce and develop the concept of "network of influence" on the basis of existing theoretical frameworks. Finally, an empirical study was conducted among three firms located abroad. This allows us to detail the actors, the steps and key elements of the implementation of such networks, in the specific context of the establishment of an SME abroad. These data will eventually conduct to develop tools to assist SMEs to develop internationally. Key words: SME, internationalization, social networks, influence networking, cases studies

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Introduction

L'internationalisation croissante des firmes, couplée aux progrès techniques en matière de moyens de communication et à l'agrandissement de l'Union européenne ouvrent de vastes possibilités de développement aux petites et moyennes entreprises (PME). Ainsi, les PME occupent une place primordiale dans le paysage économique international. Selon un sondage effectué en 2007 par l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et de l’Industrie (ACFCI) auprès des dirigeants des PME françaises, 27% de ces dernières importent des produits, 22% exportent des produits, 10% sont implantées à l’étranger. En outre, les PME françaises, pour un tiers, regardent déjà vers l’international (CSA ACFCI, 2007). Ces chiffres appuient la légitimité des recherches sur l’internationalisation des PME, également soutenue la communauté académique depuis de nombreuses années (Penrose, 1959 ; Buckley et Casson, 1995 ; Coviello, 2006 ; Thorelli, 1986). La majorité des travaux constate que l’internationalisation, dans le monde des petites et moyennes entreprises, se caractérise par une très grande diversité et qu’aucune PME, quelle que soit son origine géographique, ne ressemble totalement à une autre (Torrès, 1998). Par conséquent, les chercheurs ont dressé diverses descriptions et analyses du comportement d’internationalisation des PME. Dans notre travail de recherche, nous nous focaliserons sur l’approche par les réseaux, développée, entre autres, par Gemser, Brand et Sorge (2004). En effet, nous pensons que cette thématique n’est pas encore assez développée comme en témoignent les différentes actions menées par les entreprises auprès de cabinets de conseil, lorsqu’elles cherchent à se développer dans un pays étranger. En effet, les cabinets de conseil accompagnent les sociétés dans le diagnostic de leurs forces et de leurs faiblesses, afin de les aider à mettre en place leur stratégie de développement à l'international. Ils proposent ainsi à leurs clients des études de marché, des informations sur la concurrence locale, l’organisation de visites et la participation à des salons professionnels, des missions de prospective, du marketing direct… Certaines vont plus loin en proposant l’hébergement à l’étranger, le recrutement de personnel, un service de traduction et des conseils fiscaux à l’implantation. Toutefois, aucune aide n’est apportée au développement structurel de l’entreprise lorsqu’elle est implantée, aucune aide ne lui est fournie quant à son insertion dans le milieu local et les réseaux d’affaires du pays d’accueil or il nous semble que ce point est essentiel. Cette article a pour objectif de proposer des pistes de recherche pour répondre à la question suivante : comment les réseaux d’influence interviennent-ils dans l’implantation d’une PME à l’étranger? Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord effectuer un état des lieux des différentes approches théoriques de l’internationalisation des PME. Ensuite, nous introduirons le concept de « réseau d’influence », qui ne possède pas de cadre ni de domaine théorique existant. Enfin, nous espérons mettre en évidence l’existence et le rôle de ce type de réseaux sur l’implantation d’une PME à l’étranger en effectuant une étude de cas multiples.

1. Cadre théorique

1.1. Les approches théoriques de l’internationalisation Différentes approches théoriques (économiques et managériales) ont été développées par les chercheurs ces dernières années pour expliquer l’internationalisation des PME (Johanson et Vahlne, 1977 ; Amis et Schoemaker, 1993, Gemser et al, 2004). Trois courants de pensée dominent les recherches sur l’internationalisation : la théorie « behavioriste », l’approche par les ressources et les compétences et l’approche par les réseaux. Cette partie nous permettra de positionner notre nouvelle approche par rapport à ces trois courants et de mettre en évidence les différences.

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1.1.1. L’approche « behavioriste » Ce courant de pensée s’inspire de deux modèles très connus : le modèle d’Uppsala ou « U-model » (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975 ; Johanson et Vahlne, 1977) et le modèle d’Innovation ou « I-model » (Bilkey et Tesar, 1977 ; Gankema et al, 2000). Ces deux modèles décrivent et analysent l’internationalisation comme un processus linéaire. L’« U-model » a été développé par l’Ecole suédoise d’Uppsala. Au cœur de ce courant de pensée se trouve une étude empirique de Johanson et Widersheim-Paul (1975) effectuée auprès de quatre entreprises. Elle décrit l’internationalisation comme un processus lent, graduel qui dépend de l’expérience acquise par une entreprise sur un marché international. Johanson et Vahlne (1977) développent quatre étapes successives d’internationalisation : 1) l’entreprise part du marché domestique, mais son activité d’exportation est irrégulière ; 2) l’entreprise commence à exporter par l’intermédiaire d’un agent indépendant ; 3) quelque temps après, l’entreprise crée une unité commerciale ; 4) enfin, l’entreprise installe son unité de production. En développant ses activités, l’entreprise accumulera de l’expérience et des connaissances sur le marché international, ce qui lui permettra de réduire sa distance psychologique, définie comme l’ensemble des différences culturelles qui influence la circulation de l'information entre une société et ses marchés (Johanson et Vahlne, 1977). Pour expliquer la nature incrémentale du processus d’internationalisation, Johanson et Vahlne (1977) ont formulé un modèle dynamique, dans lequel le résultat d'un cycle d'événements est vu comme l'établissement de la contribution pour le cycle. La structure fondamentale du modèle est fournie par la distinction entre les aspects statiques (state aspect sets, décisions d’exécuter des ressources et de s’engager dans les activités étrangères) et les aspects dynamiques (change aspect sets, décisions d'engagement) de l'internationalisation. Ce modèle, se composant de deux facteurs qui sont la quantité de ressources acquises et le degré d'engagement, insiste sur l'action continue réciproque entre d’une part le développement de connaissances des marchés, et d’autre part l’engagement important de ressources sur les marchés internationaux. L’« I-model », élaboré par Rogers (1962), présente la décision d’internationalisation comme processus d'apprentissage associé à l'adoption d'une innovation ou d'une nouvelle idée. Parmi plusieurs modèles connus d’innovation, il faut souligner ceux de Bilkey et Tesar (1977) qui représentent l’internationalisation comme un processus graduel, composé de plusieurs stades, de l’ignorance de l’export vers l’exportation dans les pays psychologiquement plus distants, chaque stade représentant un nouveau processus d’innovation. En effet, l’I-model est fondé sur les deux concepts de base de l’U-model : il représente l’internationalisation comme le processus linéaire et souligne l’importance de la distance psychologique (Bilkey et Tesar, 1977). Ces approches sont dominantes dans les théories portant sur l’internationalisation des PME. Elles ont souvent été critiquées pour leur nature mécanique (car elles décrivent tout simplement les processus sans aller plus loin) et parce qu’elles ne permettent pas d’expliquer les comportements de plusieurs PME, ce que font les deux autres courants de pensée, tels que nous le verrons ci-après.

1.1.2. L’approche par les ressources et compétences Ce courant de pensée définit l’entreprise comme un ensemble de ressources productives et compétences de l’équipe (Penrose, 1959). L’avantage concurrentiel pour une entreprise est la capacité de mobiliser et de coordonner ses ressources, ses compétences clés : stratégiques, opérationnelles et techniques (Amit et Schoemaker, 1993, Prahalad et Hamel, 1990). Ainsi, pour pouvoir employer ses ressources peu utilisées, l’entreprise se développe hors de ses frontières (Penrose, 1959). Mais comment organiser le transfert des ressources à travers le monde ? D'abord, la transmissibilité des ressources dépend de leurs caractéristiques. Les ressources tangibles, comme les systèmes de distribution, ne sont pas faciles à échanger à travers les pays parce qu'elles sont physiquement reliées à un endroit (Rugman, 1982). Les ressources impalpables, comme la

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connaissance, sont toujours difficiles à transférer à travers différents endroits parce qu'elles sont géographiquement spécifiques (Hu, 1995). Dans tous les cas, les PME recherchent leurs propres moyens de transférer leurs ressources selon leurs propres capacités. Les autres facteurs importants pour décrire l’internationalisation sont la disponibilité des ressources et l'intérêt pour le développement de capacités (Tallman et Fladmoe-Lindquist, 2002). Les entreprises aux ressources limitées et aux faibles capacités d’apprentissage auront des difficultés à se développer même sur le marché local et elles ne pourront pas aller à l’étranger. A l’opposé, les firmes aux fortes capacités d’apprentissage et aux ressources plus ou moins limitées vont réussir à l’international. Les auteurs soulignent également la nécessité des regroupements des entreprises en réseaux, car ces structures facilitent l’intégration au marché international, augmentant ainsi les capacités d’apprentissage et créant des ressources supplémentaires.

1.1.3. L’approche par les réseaux Fondée sur le modèle d'Uppsala, de Johanson et Vahlne (1990), l’approche par les réseaux définit l'internationalisation comme l'extension, l’infiltration et l'intégration dans des réseaux de relations d'affaires à l’étranger (Johanson et Mattsson 1988). L'extension fait allusion aux investissements dans les réseaux encore inconnus pour l’entreprise, alors que l’infiltration signifie augmenter ses engagements de ressources dans les réseaux où l’entreprise est déjà présente. L'intégration peut être comprise comme la coordination de différents réseaux nationaux. Johanson et Mattsson (1988), dans leur modèle, mettent l’accent sur l'apprentissage graduel et le développement de connaissances du marché par l'action réciproque win-win dans les réseaux. La position d'une entreprise dans le réseau peut être -micro- d’une firme à l’autre ou firm-to-firm (contient les relations entre les membres d’un réseau) ou -macro- de la firme au réseau ou firm-to-network (développement des relations avec d’autres réseaux existants). En combinant ces micro et macro perspectives, concernant les réseaux, Johanson et Mattsson (1988) ont identifié quatre stades d'internationalisation : premier entrant ou the early starter, dernier entrant ou the late starter, l'international solitaire ou the lonely international et l'international parmi d'autres ou the international among others. La force de ce modèle réside dans le fait d'expliquer le processus plutôt que l'existence des entreprises internationales. Concernant le « premier entrant », les dépenses de l’entreprise sont importantes car les connaissances des marchés étrangers sont limitées. L’objectif des entreprises à ce stade est d’accumuler de l’expérience. Les entreprises peuvent rencontrer des difficultés liées à une capacité de production insuffisante pour répondre à la demande du nouveau marché. Pour « l'international solitaire », l'entreprise est présente à l’international et grâce à ses connaissances du marché, elle peut entrer dans n’importe quel réseau. Le « dernier entrant » a des problèmes différents de ceux relevés dans les deux précédents points : Les organisations ont déjà établi leurs structures en réseaux. Elles peuvent bénéficier des avantages de ces dernières, mais le rôle des clients ou des fournisseurs est plus important dans l’action d'ordonner le processus. La PME, exposée à cette structure de marché, est hautement spécialisée et réglée aux spécificités de l'industrie. L’étape « l'international parmi d'autres » opère dans un réseau compétitif et développé des différentes nationalités. Par conséquent, pour les PME, l'internationalisation par les ressources externes est la meilleure option stratégique (Johanson & Mattsson 1988). Un autre courant de pensée, développé par Aldrich et Zimmer (1986), décrit l’importance des réseaux informels de contacts. Ces réseaux, développant l’échange de contacts et de pratiques, pourront être un appuie important pour une jeune PME. Dans la lignée de ces travaux, Gibb (1988, 1997) introduit la layers theory et propose de hiérarchiser des acteurs d’un réseau d’appui rencontré par une PME. McDougall et al (1994) affirment qu’ils pourraient être utilisés pour

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identifier de nouvelles opportunités, obtenir des conseils d'affaires et l'assistance d’un expert aux négociations étrangères, donc être à la source d’une implantation à l’étranger. Les recherches sur les réseaux de contacts, appelés également par d’autres auteurs « réseaux relationnels » (Surply, en 2000), « réseaux sociaux » (Granovetter, 1985) ou « réseau d’appui » (Gibb, 1988) analysent des données relationnelles – les relations, leurs régularités, leurs implications parmi des entités sociales. Surply, en 2000, définit ces réseaux comme « l’ensemble des relations interpersonnelles qu’un individu entretient avec des personnes significatives de son entourage social ; les acteurs sont des amis, des connaissances, des collègues ». Voisin (2004) les décrit comme « un ensemble de liens concrets, informels, personnalisés entre un ensemble fini d’acteurs constituant un instrument analytique donnant une représentation simplifiée d’un système social complexe, en mettant à jour des régularités dans la composition, l’agencement des relations et la frontière du réseau ». Différents chercheurs (Etemad, 2005 ; Coviello et Munro, 1997) insistent sur l’importance des réseaux relationnels, formels et/ou informels, dans le processus d’internationalisation. Parmi eux, Gemser et al. (2004) soulignent que l’internationalisation émerge suite à des comportements influencés par une multitude de relations formelles et informelles. Gemser et al. (2004) décrivent que pour chaque entreprise, il y a deux formes d’internationalisation : en « cavalier seul » ou en « coopération ». L’approche par les réseaux procure une nouvelle perspective d’interprétation du processus d’internationalisation de la firme. Comme les relations sont définies par des liens entre les unités (Granovetter 1985), les réseaux relationnels ont deux éléments principaux : l’ensemble des acteurs (aussi appelés sommets ou nœuds) et les liens parmi eux (ou arcs). Un ensemble d’acteurs peut être une organisation ou un groupe d’organisations. Les liens connectent des paires d’acteurs. Ils peuvent être orientés potentiellement dans une direction (lorsqu’on donne des conseils à quelqu’un par exemple), dichotomiques (présents / absents, ou amitié / non amitié) ou ayant des valeurs (mesurées sur une échelle, comme la force de la relation d’amitié) (Masquefa B., 2005). Les relations avec cet ensemble d’acteurs peuvent être la collaboration, le conseil, le contrôle et bien sûr l’influence. Chaque relation définit un réseau différent. Nous choisissons d’appeler réseaux d’influence, les réseaux dont la finalité est d’influencer sur les processus d’internationalisation. Après avoir montré que l’appartenance d’une entreprise à un réseau est un des déterminants de l’implantation à l’étranger, et introduit la notion de réseau d’influence, les questions qui se posent sont les suivantes : comment définir les réseaux d’influence, quel est leur rôle ? Quels en sont les acteurs ? Comment fonctionnent-ils et comment pouvons-nous maximiser les avantages de ces derniers ?

1.2. Internationalisation des PME et Réseaux d’influence

1.2.1. Définition des réseaux d’influence Développée depuis plus de 50 ans, grâce aux travaux pionniers de French et Raven (1959, 1965), le concept d’influence a été employé dans beaucoup de domaines : psychologie (processus par lequel une personne fait adopter un point de vue par une autre) ; géopolitique (zone d'influence, politique d'influence opposée à la politique de puissance) ; politique (désigne des phénomènes de pouvoir qui ne reposent pas sur la détention d'une autorité légale - l’influence des intellectuels, des médias ou des autorités morales, par exemple) ; sociologique (les groupes d'influence sont des organisations qui exercent une certaine emprise sur les décisions des autorités et les réorientent dans un sens favorable à leurs intérêts) ; en intelligence économique, notamment à propos du lobbying. D’une manière générale, nous pouvons considérer l’influence comme une situation sociale impliquant des relations entre des individus pouvant appartenir aux mêmes réseaux sociaux ou pas. L’influence est le processus de construction ou de modification des modes de pensées, d’une opinion ou d’un comportement d’un individu par un autre individu. Ainsi,

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l’influence est le résultat d’une stratégie directe ou indirecte. Pour résumer, l’influence décrit des relations individuelles ou collectives, visibles ou invisibles, positives ou négatives, conscientes ou inconscientes entre la source d’influence (émetteur ou l’influent) et la cible (récepteur ou l’influencé) (Huyghe, 2003). Depuis de nombreuses années, le terme de « réseaux » est « cristallisateur de réflexions » tant dans le monde académique que professionnel (Le Boterf, 2004). Le « réseau d’entreprises » recouvre des types d’entreprises et des situations économiques très diverses chaque fois qu’il y a décentralisation d’une entreprise vers des entreprises partenaires (Le Boterf, 2004). Nous pouvons voir le réseau comme un nouveau paradigme technologique et une nouvelle logique organisationnelle (Castells, 1998), ou comme « des relations que l’organisation entretient avec son environnement » (Voisin et al, 2004). Gemser et al (2004) avancent que l’internationalisation est née à la suite de comportements d’influence par une multitude de relations formelles et informelles. De même, dans la lignée des travaux de Mathews et Zander (2007) et d’Ojala (2009), une société peut tirer un avantage compétitif en construisant des réseaux internationaux pour accéder aux nouvelles connaissances, ressources et compétences. En effet, ces réseaux relationnels peuvent être étudiés sous le prisme de la notion d’influence (French et al., 1959 ; Aissaoui et al., 2004 ; Tenzer, 2003 ; Gannon, 1995 ; Huyghe, 2003). Nous définissons donc les réseaux d’influence comme des structures dans lesquels les acteurs ont des rôles différenciés, mais qui sont liés les uns aux autres par une volonté de coopération (formelle ou informelle) au sein d’une même communauté, afin de se soutenir mutuellement. Pour être performant61, un réseau développe des fonctions et des objectifs précis : regrouper des entreprises d’un même secteur, permettre à des entrepreneurs de rencontrer des investisseurs ou encore mutualiser les ressources de petites structures. Ses membres ont une « culture réseau » : ne pas hésiter à rendre service, être à l’écoute des autres, donner pour recevoir. La réciprocité fait, en effet, partie des règles non écrites de ces clubs qui fonctionnent sur le principe du gagnant-gagnant (win-win). En outre, l’influence au sein des réseaux obéit à deux principes : la précision et la coordination. « L’efficacité de l’influence naît d’abord du sens du lieu et du temps, de la façon d’évaluer les potentialités ou les résistances, puis d’appliquer le minimum de pression pour obtenir le plus grand effet. Elle joue, dans le cadre des relations interpersonnelles, avec l’efficacité d’un mot, d’un conseil, le poids d’une solidarité ou d’une demi-promesse, sur une quasi-complicité » (Huyghe, 2003). Lorsqu’on étudie la stratégie internationale menée par une entreprise, l’influence est certainement au premier plan.

1.2.2. Les acteurs des réseaux et leur fonctionnement Les acteurs des réseaux d’influence internationaux sont multiples, ils ne peuvent pas être déterminés définitivement, car ils dépendent de la culture du pays que l’entreprise essaye d’intégrer. Nous pouvons en citer quelques-uns : élite politique, élite économique, associations et organismes non gouvernementaux du monde des affaires, CCI (Chambre de Commerce et d'Industrie), entreprises multinationales. Au sein de chacun de ces groupes se trouvent des acteurs spécifiques comme par exemple, au sein de l’élite politique et l’élite économique, des responsables d’entreprises, des députés, des « think tanks », des « lobbies », des institutions étatiques s’organisant dans les réseaux informels. Les associations et les ONG (organismes non Authors appear in alphabetic order ormance nous nous appuyons sur les travaux de Seppänen et al. (2005) et Gueye B. (2009) qui adoptent la notion de performance à la confiance. Plus précisemment, Gueye B. (2009) considère que la performance est une conséquence d’une confiance.

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gouvernementaux) du monde des affaires en font également partie puisqu’elles réunissent des entreprises afin qu’elles puissent partager leurs expériences. Ces groupes facilitent les relations et l’insertion dans la communauté des affaires. On peut citer, par exemple, l’OPORA (Organisation Non Gouvernementale des Petites et Moyennes Entreprises en Russie) ou Club France. Le Club France organise différents événements pour réunir les membres et des membres potentiels. Par exemple, l’Assemblée Générale du Club France a, cette année, réuni, au cours d’une même soirée, plus de 650 participants. Les missions de cette organisation sont de promouvoir l’investissement français à l’étranger et de créer un terrain d’échanges favorables pour les sociétés françaises présentes ou cherchant à aborder ce marché. Elle a également pour vocation de faciliter les contacts personnels et le partage d'expériences professionnelles au sein de la Communauté d'Affaires Francophone. A l'écoute de ses adhérents, le Club France propose une structure souple et une approche pragmatique pour trouver ensemble une solution à leurs préoccupations professionnelles. Mais bien sûr leur principal objectif est de devenir une force d’influence. Les CCI locales (Chambres de Commerce et d'Industrie) ont aussi comme mission de promouvoir l’investissement et de créer un terrain d’échanges favorable pour les sociétés présentes à l’étranger. Elles divisent leurs membres en « membres d’honneur », « membres entreprises » ou « membres individuels ». Il est important de s’interroger sur le degré d’influence des différents acteurs, de manière à orienter le choix des acteurs vers les acteurs ayant le plus d’influence. Par exemple, pour une entreprise A cherchant à s’implanter à l’étranger, les entreprises multinationales, déjà présentes sur ce marché, de même origine que l’entreprise A, pourront dans certains cas être un soutien plus efficace qu’une firme locale. Grâce à ces appuis, les PME pourront avoir accès aux ressources de ce marché. Les acteurs des réseaux d’influence établissent des stratégies relationnelles afin d’assurer leur développement. Les recherches existantes ont permis d’identifier plusieurs classifications des stratégies d’influence. La plus connue, celle de Knippenberg (2003), distingue deux stratégies d’influence, la soft ou douce et la hard ou dure (Knippenberg, 2003). La tactique douce est une stratégie d’intégration rationnelle, où l’influencé peut accepter ou rejeter la pression de l’influence. La tactique dure est assez agressive, son objectif étant d’aller jusqu’au but recherché. Après avoir présenté la notion de réseaux d’influence, il est important de la confronter à la réalité du terrain. Nous allons observer comment les entreprises déterminent les réseaux d’influences, ses acteurs, quelles sont les étapes d’intégration dans ces réseaux et enfin, quelle est l’influence de ces derniers sur l’implantation d’une PME.

2. Méthodologie L’étude de cas se présente comme la méthode la plus appropriée pour analyser le rôle et le fonctionnement des réseaux d’influence dans l’implantation des PME à l’étranger. En effet, l’étude de cas permet d’examiner un phénomène actuel et son contexte même si les frontières entre ces derniers ne sont pas évidentes (Yin, 1994). Cette méthodologie permet de répondre à l’objectif de notre article qui consiste à analyser l’ensemble des processus dans leur contexte (Wacheux, 1996).

2.1. Le choix des études de cas Dans le cadre de notre projet, nous avons décidé d’effectuer une démarche qualitative fondée sur l’étude de cas multiples. Chaque cas a été sélectionné de manière à ce qu’il présente des caractéristiques similaires, comme le conseille Yin (2003). Ainsi, trois PME russe ont été choisies en prenant soin de respecter une certaine homogénéité entre elles. Premièrement, elles viennent toutes du même secteur d’activité : ces entreprises se spécialisent depuis longtemps sur la production de différents systèmes de purification de l’eau. Deuxièmement, ces entreprises d’origine russes ont été créées au début des années 1990. Enfin, ces trois entreprises sont

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implantées dans trois pays identiques (Allemagne, France, Etats-Unis). Quant à l’instrument de recherche, nous avons premièrement privilégié les entretiens semi-structurés qui ne sont ni entièrement ouverts, ni canalisés par un grand nombre de questions précises (Quivy et Van Campenhoudt, 2006) afin de satisfaire l’objectif exploratoire de cet article. Les entretiens ont été réalisés au cours de l’année 2011.

2.2. Recueil des données Dans les trois études de cas, trois outils de recueil d’informations ont été utilisés : les entretiens, l’observation directe et l’analyse de documents (Yin, 1989). En premier lieu, nous avons interrogé les PDG, les directeurs des filiales, le directeur adjoint, les directeurs du marketing, les responsables d’export et les responsables de projet (17 personnes au total dans chaque société soit 51 entretiens au total). Ces entretiens ont duré en moyenne une heure et demie et ont eu lieu en face à face pour les personnes présentes en France et en Russie, par téléphone ou par visioconférence pour les cadres présents aux Etats-Unis. Enfin, nous avons également effectué une analyse de données secondaires : business plans des projets internationaux, mails échangés entre les partenaires, études de marchés, notes internes sur l’avancement des projets, etc. Pour le recueil de documents, nous avons collecté le maximum d’informations à la fois sur nos trois entreprises, sur leurs partenaires et sur le développement des sociétés sur les marchés étrangers.

Tableau 1. Présentation des entreprises étudiées

Entreprise Implantation dans les Pays Nombre d'employé

A Allemagne 2009 France 2004 Etats-Unis 1998

150

B Allemagne 2006 France 2011 Etats-Unis 2008

60

C Allemagne 2002 France 2006 Etats-Unis 2001

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Le guide d’entretien a été construit autour de thèmes formulés pour répondre aux questions de recherche. Lors des entretiens, nous avons commencé par présenter notre définition du réseau d’influence, puis nous avons abordé successivement les thèmes qui suivent : Thème 1 : Quels sont les acteurs de réseaux d’influence ? Ce premier thème avait pour objectif de déterminer les acteurs du réseau. Nous avons commencé par la question ouverte : quels sont les acteurs publics ou privés que vous connaissez qui accompagnent les entreprises dans leur démarche d’internationalisation ? La liste des acteurs proposée aux interrogés représentait les membres suivants : l’élite politique, l’élite économique, les associations et ONG (organismes non gouvernementaux), les CCI locales (Chambres de Commerce et d'Industrie), les entreprises multinationales, les collectivités territoriales, les cabinets de conseil. Thème 2 : Comment et par quelles étapes les entreprises intègrent-elles les réseaux d’influence ? Ce deuxième thème a contribué à analyser la stratégie des premières démarches de l’entreprise pour rejoindre un réseau. Nous avons posé, par exemple, les questions suivantes : « Comment établir les premiers contacts ? » ou « Quelles sont les stratégies les plus efficaces ? ». Enfin nous avons demandé de formuler quelques recommandations à ce sujet.

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A la suite de ces 51 entretiens, une analyse de contenu a été effectuée (Grenier et Josserand, 2003) grâce aux techniques de codage ouvert et axial (Strauss et Corbin, 1990).

3. Résultats et discussions L’articulation des résultats est organisée en trois parties répondant aux thèmes de l’entretien semi-directif: la description des acteurs des réseaux, l’intégration des réseaux via ces acteurs et le rôle de la confiance dans l’établissement des réseaux d’influence locaux.

3.1. Les acteurs des réseaux d’influence Dans le processus d’implantation, les entreprises entrent en relation avec différents acteurs. L’objectif de cette recherche était de déterminer lesquels, parmi eux, peuvent être considérés comme les acteurs de réseaux d’influence et lesquels ont un impact sur l’implantation de PME à l’étranger. Tout d’abord, les premiers partenaires des entreprises sont les CCI locales (Chambre de Commerce et d'Industrie) et les agences chargées du développement économique de la région : « Notre premier partenaire en France est une CCI locale » (l’entreprise C, répondant R 2). Ces dernières permettent aux entreprises de rencontrer les cadres des entreprises multinationales d’origine russe qui s’implantent sur le même territoire avant les multinationales d’origines locales ou étrangères (dans tous les cas, les entreprises considèrent ces trois types de multinationales comme les différents types d’acteurs d’un réseau d’influence) : « en Allemagne nous avons beaucoup travaillé avec une entreprise multinationale d’origine locale dont le PDG nous avons rencontré pendant le petit déjeuner organisé par une CCI, son dirigent nous a accueilli bras ouvert se qui n’était pas le cas de l’entreprise russe s’implanter sur le même territoire, magret l’effet qu’on ne travaille pas sur les mêmes produits » (l’entreprise A, répondant R 3). Le rôle le plus important a été accordé aux élites politiques et économiques locales comme par exemple les députés, les personnes d’influence, les « think tanks », les « lobbies ». Par exemple, une des entreprises a constaté qu’elle avait réussi son implantation aux Etats-Unis grâce à son intégration dans un club informel via un député connu : «Dans notre implantation a Californie nous avons rencontré Monsieur X, dans un soirée organisé par la mairie. Cette personne nous a permis d’intégrer dans le club des dirigeants locaux, qui organise ses réunion informels tout les mois dans le club du golf » (l’entreprise C, répondant R4). On note également le rôle important des cabinets de conseil locaux. Ce résultat peut s’expliquer par l’activité croissante des cabinets ces dernières années et par la diversification de leurs services proposés : « Pour s’implanté en Allemagne nous avons embouché le cabinet du conseille, dons le dirigent nous avons rencontré dans un salon spécialisé » (l’entreprise A, répondant R1) ». De plus, les cabinets possèdent aujourd’hui leurs propres réseaux d’influence. Ainsi, la collaboration avec ces derniers, d’ordinaire très coûteuse pour une entreprise, donne un accès direct à des contacts importants. Cependant cette voie peut s’avérer risquée et conduire à une perte de temps et / ou d’argent à cause de mauvais partenaires. Par exemple, on rencontre des cabinets qui se présentent comme membres actifs d’un réseau important, mais qui en réalité ne jouissent d’aucune relation ou bonne réputation sur le marché local. Par exemple, une des société a, selon son directeur général, vécu une mauvaise expérience en France : en 2006, l’entreprise a contacté un cabinet avec un projet d’implantation dans la région PACA. Pendant deux ans, l’entreprise finançait le projet. Mais au final, cette collaboration n’a pas du tout répondu aux attentes de l’entreprise : « L’expérience française nous a couté chère nous avons perdu de l’argent et du temps. Le cabinet du conseille avec lequel nous nous somme engagé en effet n’était pas bien réputé en France » (l’entreprise C, répondant R2). Cette anecdote renforce l’importance cruciale du choix du bon réseau d’influence.

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3.2. Les étapes d’intégration des réseaux d’influence

En ce qui concerne l’intégration dans un réseau, les interrogés relèvent que, très souvent, les premiers contacts avec les membres des réseaux intéressants avaient été élaborés au cours des événements tels que salons, conférences, foires, petits déjeuners d’affaires organisés par les CCI ou les associations. Plusieurs contacts ont également été élaborés grâce aux connaissances, recommandations d’anciens partenaires ou membres des réseaux déjà connus. Les lieux cités comme les plus efficaces et les moins coûteux pour faire des rencontres d’affaires sont les salons professionnels internationaux : « Quand nous avons décidé de s’implanter en Allemagne les membres de notre équipes sont parti pour participer au salon afin de rencontrer les acteurs économiques locaux » (l’entreprise A, répondant R2). Les salons permettent à la fois de lancer et de fidéliser ses partenaires habituels en faisant de la promotion d'image de marque de la société, d'enrichir ses connaissances du marché, d’observer l'état de la concurrence et bien évidemment de constituer ou de développer son réseau. Les sociétés confirment qu’il ne faut pas attacher trop d'importance à la vitesse de réalisation de l’internationalisation, mais qu’il faut plutôt classer les tâches de ce développement suivant leur degré d'importance. Le directeur général de la PME « A » conseille tout simplement d’« aller vers les autres » et de ne pas oublier le principe général des réseaux winwin ou gagnant-gagnant. On peut, par exemple, essayer d’organiser des rencontres et des échanges d’expériences entre les acteurs connus, si le budget d’entreprise le permet. L’accès le plus court vers le développement des relations reste la construction du développement de la confiance interpersonnelle. Pour rejoindre un réseau d’influence à l’étranger, une entreprise passe par trois étapes : 1) les premiers contacts, 2) le développement des relations, 3) la création de la confiance. 1) Les premiers contacts : coopérer avec des membres de réseaux identifiés offre une vision des possibilités, voire des compétences, des connaissances et des ressources disponibles dans le pays d’accueil. Comme l’avait présenté Huyghe (2003), nous avons noté que « l’efficacité de l’influence naît d’abord du sens du lieu et du temps et de la façon d’évaluer les potentialités ou les résistances ». Le plus difficile pour les entreprises, nous semble-t-il, est à la fois de se développer tout en maintenant simultanément une activité relationnelle avec plusieurs réseaux. Un développement comme l’activité relationnelle mobilise beaucoup d’investissement et d’énergie tout en n’offrant aucune garantie de résultats. La procédure la plus courante consiste à commencer par contacter les organisations non gouvernementales qui réunissent les personnalités du monde des affaires. Ces organismes organisent régulièrement des rencontres, des réunions, des conférences pour leurs membres et les futurs membres potentiels. 2) Le développement des relations : il débute après avoir établi les premiers contacts avec les réseaux potentiels. Cette étape conduit à mobiliser des futurs partenaires potentiels répondant aux objectifs de l’entreprise, en essayant d’appliquer le minimum de pression pour obtenir le plus grand effet (Huyghe, 2003). 3) La confiance: Dans ce cas, la confiance est la notion clé des réseaux d’influence.

3.3. La confiance comme catalyseur des réseaux d'influence Les entreprises considèrent la confiance comme le dernier stade d’intégration à un réseau d’influence. Selon Surply (2006), la confiance peut être comme : « un état de vulnérabilité face à une situation d’incertitude créée par le comportement stratégique du partenaire ou de possibles manifestations d’opportunisme… un méso concept intégrant les processus psychologiques

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individuels, la dynamique de groupe et les arrangements institutionnels » ou comme « un ensemble de mécanismes qui permet à deux ou plusieurs individus ou organisations de mener à bien une tâche qui nécessite la participation de tous à des degrés divers ». La confiance, c’est une capacité à dépasser la peur entre les acteurs de réseaux qui ont des relations durables pour s'engager dans la construction risquée. Ce facteur est donc un élément clé à maîtriser pour la construction des réseaux d’influence. Zucker (1986) distingue trois formes de confiance en fonction de leur mode de production : • la confiance intuitu personae (characteristic based trust), • la confiance relationnelle (process based trust) • la confiance institutionnelle (institutional based trust). La confiance intuitu personae (characteristic based trust) est attachée à une personne en fonction de caractéristiques propres (par exemple, l’appartenance à une famille, une ethnie ou à un même corps). La base de cette forme de confiance est dans les caractéristiques particulières des personnes. C’est l’étape où l’organisation commence à faire connaissance, à échanger, à établir des contacts avec des partenaires potentiels. On peut supposer que cette étape ouvrira la porte d’un possible nouveau réseau. La confiance relationnelle (process based trust) est fondée sur les échanges des expériences vécues et des contacts établis. – Dans ce cas, la confiance est attachée à une structure formelle qui garantit les attributs spécifiques d’un individu ou d’une organisation. La confiance institutionnelle (institutional based trust) est liée avec une structure formelle qui affirme les attributs spécifiques (Zucker, 1986). C’est l’étape au cours de laquelle les relations sont créées : les acteurs partagent une culture commune, une vision similaire du monde. Comme la confiance est créée à partir de valeurs communes entre les acteurs, ces derniers les traduiront en objectifs communs (Ouchi, 1980). Des relations fondées sur la confiance entre des entreprises, qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs et qui ne partagent pas forcément la même culture, sont une possibilité d’engagement dans une relation d’interdépendance, non contractuelle (Van Wijk, 2000). En tant que stratégie internationale menée par une entreprise, un réseau d’influence permet ainsi de faire circuler des éléments matériels ou immatériels entre chacun de ses acteurs selon des règles bien définies. Pour rejoindre un réseau d’influence à l’étranger, une entreprise passe par trois étapes : 1) les premiers contacts, 2) le développement des relations, 3) la création de la confiance. La création de la confiance est la première étape de l’accession à un réseau. L’entreprise, après être devenue un membre du réseau d’influence, partage ses relations, ses intérêts et ses valeurs. Nous pouvons considérer que l’élite politique, l’élite économique, les collectivités territoriales, les associations et les ONG (organismes non gouvernementaux) du monde des affaires, les CCI locales (Chambres de Commerce et d'Industrie), les cabinets de conseils font partie des acteurs des réseaux d’influence à l’étranger. Ce sont des outils parfaits pour les entreprises voulant réussir à l’international, mais il faut bien savoir les utiliser. Les réseaux d’influence sont une construction risquée. Ils peuvent être utilisés « pour » ou « contre » l’entreprise cherchant à s’implanter à l’étranger. Les sociétés ont toujours le risque d’entrer en relation avec un réseau ne possédant pas une bonne réputation sur le marché local. Les entreprises multinationales, de mêmes origines que les PME et déjà présentes sur le marché à l’étranger, sont des appuis très efficaces pour les entreprises qui s’y implantent. Les études de cas effectuées ont satisfait nos premières attentes. L’analyse qualitative confirme l’importance des réseaux d’influence ainsi que leur impact sur l’implantation des PME à l’étranger et sur l’image des entreprises. Comme les réseaux d’influences ne possèdent pas de cadre théorique bien déterminé, nous voudrions développer nos propositions avec une approche comparative qui permettra d’analyser des situations identiques dans des réalités différentes : par

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exemple, l’implantation de petites et moyennes entreprises dans différents pays. Il est important d’étudier ce phénomène en s’intéressant au cadre de plusieurs projets, de plusieurs études de cas. Conclusion

Dans cet article nous avons effectué une articulation des différentes approches théoriques de l’internationalisation des PME avec les fondements des approches par les réseaux. Le réseau d’influence ne possède pas de cadre ni de domaine théorique spécifique. Ce concept découle différentes approches : sociologiques, historiques, organisationnelles ou stratégiques. La notion de réseaux d’influence est complexe. Rejoindre un réseau d’influence surtout à l’étranger est un acte d’engagement. Il faut y consacrer du temps et faire les rencontres décisives pour l’activité. L’étude qui vient d’être réalisée est intéressante à plusieurs titres. Sur le plan théorique, elle permet d’introduire et d’analyser la notion de réseau d’influence. Pour le monde des affaires des petites et moyennes entreprises prêtes à développer leurs activités à l’international, elle présente les acteurs pour accéder aux réseaux. Sur le plan empirique, cette étude permet de comprendre les réalités opérant dans un environnement particulier et risqué, celui de l’internationalisation des PME. En outre, l’analyse des acteurs de ce réseau permet également de cerner les enjeux et les étapes de leur intégration.

Il paraît à présent nécessaire de mettre en lumière l’ensemble des relations interpersonnelles de nature formelles ou informelles, qui relient les acteurs d’un territoire (Granovetter, 1985). En outre, un prochain développement pourrait être d’étudier la structure de ces réseaux, via l’utilisation de cartographies. Bibliographie

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Comment peut-on voir le monde depuis son appartement ? Un cadre d’analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du dirigeant et de la

Moyenne Entreprise

Ludvig LEVASSEUR, Doctoral Research Assistant - PhD Student,

Groupe Sup de Co Montpellier Business School, Montpellier Research in Management, [email protected]

Résumé :Une démarche abductive et des données qualitatives ont d’abord permis de créer un cadre d’analyse intégrant structure de propriété, comportements stratégiques et orientations temporelles (du dirigeant et de la Moyenne Entreprise) puis de mettre en évidence le conflit entre les différentes orientations temporelles du dirigeant. Plusieurs recherches montrent les dimensions du cadre comme l’indépendance formelle de la propriété actuelle ou la considération insuffisante apportée par l’analyse stratégique aux implications individuelles et collectives du temps. Or, le niveau moyen de développement de la ME peut ici permettre de combler ce vide théorique. Il convient donc de savoir comment la structure de propriété influence les comportements stratégiques et les orientations temporelles du dirigeant et de la ME. Cette question renvoie alors le dirigeant au conflit entre un futur de court terme ou proxémique (l’appartement) et un futur de long terme ou lointain (le monde). Les résultats des quatre études de cas montrent le rôle de certaines variables (Conseil d’Administration, synergies, paramètres familiaux et personnels lors de la transmission, incertitude, importance du rapport à l’investissement et aux personnes) sur l’anticipation, l’innovation, la formalisation, l’orientation temporelle du dirigeant, l’orientation temporelle stratégique de l’organisation, la finance et la gestion des ressources humaines. Ils montrent également que, étant forcé de se projeter dans l’avenir et de faire face à un quotidien incertain, le dirigeant se résigne face à la vie, ce qui rend difficile toute stratégie de long terme. Enfin, des conseils ont été prodigués et des pistes de recherches futures ont été évoquées. Mots-clés: PME ; entreprises familiales ; propriété ; stratégie ; temps Abstract :An abductive approach and qualitative data were first of all used to create an analytical framework encompassing the ownership structure, strategic behaviour and time perspectives of the CEO and the medium-sized enterprise. Conflicts between the CEO's different time perspectives were then identified. Several previous studies have emphasised aspects of this framework, such as the formal independence of current ownership structure as well as the failure of strategic analysis to fully take into account the impact of time on individuals and groups. The medium-sized enterprise's low level of development was deemed ideal in order to seek to bridge this theoretical gap. It was therefore necessary to find out how ownership structure influences the strategic behaviour and time perspectives of the CEO and

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the medium-sized enterprise. This research question hinges on the conflict between the CEO's time perspectives: the short-term or proxemic future (the apartment) versus the long-term or distant future (the world). Findings from four case studies showed the influence of certain variables (i.e. the board of directors, synergy, family and personal factors during the transfer period, uncertainty, the importance of investment and people) on forecasting, innovation, reporting, the CEO's time perspective, the company's strategic time perspective, finances and human resource management. The results also showed that since CEOs are forced to be future-oriented while experiencing uncertainty on a day-to-day basis, they become resigned towards life, which makes it difficult to develop any long-term strategy. Finally, some recommendations to CEOs and possible avenues for future research were suggested. Keywords: SMEs, family businesses, ownership, strategy, time

Introduction : présentation et justifications de la question, de l’intérêt, des objectifs et du plan de recherche Aujourd’hui, ‘un actif sur deux employés dans une PME travaille en réalité pour un groupe, si bien que l’indépendance […] est de plus en plus formelle et de moins en moins économique’ (Filion, 2007 : 50). Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi ‘la structure de propriété devient […] une variable déterminante pour différencier l’univers des ME [ou Moyennes Entreprises]’ (Le Vigoureux, 1997 : 78). Or, la structure de propriété influence le comportement stratégique de la ME puisque ce dernier diffère selon la structure du capital de ce type d’entreprise. Ainsi, lorsque la propriété, la direction et le contrôle sont concentrés, l’entreprise (plutôt ‘indépendante’ ici) adopte un comportement stratégique ‘Conservateur’ (caractérisé par moins de prise de risque, d’innovation et de proactivité). À l’inverse, lorsque la propriété, la direction et le contrôle sont dispersés, l’entreprise (plutôt ‘adossée’ ici) adopte un comportement stratégique ‘Entrepreneurial’ (caractérisé par plus de prise de risque, d’innovation et de proactivité) (Le Vigoureux, 1997 : 84). Cependant, si le lien entre structure de propriété et comportement stratégique est désormais plus clair, ‘l’analyse stratégique [bien qu’ayant été] récemment nourrie de […] reconnaissance, […] n’a […] pas encore pris la mesure des implications d’un temps multiple, subjectif, créateur mais aussi destructeur, individuel (psychologique) ou collectif (organisationnel, culturel). Les implications de l’orientation temporelle des dirigeants sur leurs comportements stratégiques et leur vision de l’avenir, la coexistence de temps multiples dans l’organisation et leurs impacts sur les processus d’apprentissage ou la formation de la stratégie n’apparaissent souvent qu’en filigrane dans la littérature’. On se propose de combler ce vide théorique à travers l’étude de la Moyenne Entreprise (ou ME). En effet, cette dernière ‘peut […] constituer sur maints sujets un terrain propice aux constructions intellectuelles futures tant elle se situe à un stade de développement intermédiaire offrant un bon équilibre entre le nombre de variables à explorer et une lisibilité de leurs enchaînements’ (Aurégan, Joffre et Le Vigoureux (1997 : 2057-2058 pour les deux citations)). Ainsi, le problème qui se pose est de déterminer comment la structure de propriété influence les comportements stratégiques et les orientations temporelles du dirigeant et de la ME. On verra que cette question renvoie alors le dirigeant au conflit d’orientations temporelles entre un futur que l’on peut qualifier de court terme ou de proxémique (l’appartement) et un futur lointain ou de long terme (le

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monde)62. L’intérêt de cette recherche est double. Cette recherche devrait permettre, d’un point de vue théorique, de lier différents champs appartenant aux sciences de gestion et à la psychologie sociale, ouvrant ainsi la voie à des recherches et des collaborations futures. Elle devrait également permettre, d’un point de vue managérial, de conseiller les dirigeants63 sur ces thématiques et ce, quel que soit le degré d’ouverture du capital de leur entreprise. Nos deux objectifs sont donc de construire des propositions qui aideront à la création d’un cadre d’analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du dirigeant et de la Moyenne Entreprise mais également de mettre au jour l’existence d’un conflit entre des orientations temporelles différentes. En vue d’atteindre ces buts, nous présenterons successivement notre cadre théorique, notre cadre méthodologique, nos résultats ainsi que leur discussion et leurs limites avant de conclure. Il nous faut maintenant délimiter le champ d’étude et définir les concepts.

1.1. Cadre théorique

1.1. Définitions des concepts La structure de propriété est définie par Le Vigoureux (1997 : 79) bien qu’on ne distingue pas (comme lui le fait) les entreprises indépendantes, adossées et contrôlées64. On préfère ainsi conjuguer les deux derniers types sous l’appellation d’entreprise adossée. L’entreprise est indépendante lorsqu’elle est détenue ‘à plus de 95 % par une ou plusieurs personnes physiques’. L’entreprise est alors adossée lorsqu’elle est détenue ‘à moins de 95 %’ et que le ‘pourcentage de droits de vote le plus important’ est détenu par une personne morale65. Le comportement stratégique est défini par Covin et Slevin (1989 : 77). Ils précisent que la posture stratégique conservatrice ou entrepreneuriale de la firme est contenue dans la volonté de l’équipe de direction à prendre des risques, à innover et à être en concurrence agressive avec les autres firmes66. Hellström et al. (2003 : 264) définissent, quant à eux, les orientations temporelles comme la prédominance relative du passé, du présent et du futur dans

62 Selon Moles et Rohmer (1978) ; cité dans Torrès (2003). Le lecteur pourra aller consulter la référence suivante : MOLES A., ROHMER E. (1978), Psychologie de l’espace, Casterman.

63 On précise que l’INSEE dans les tableaux de l’économie française édité en 2011 (2011 : 147) a comptabilisé 3 101 900 PME en 2009 (d’après le nombre de salariés, soit de 0 à 249 salariés).

64 Ici, le débat sur la gouvernance et le rapport entre dirigeants et actionnaires surgit. Charreaux précise (1997 : 421-422) que ‘le gouvernement des entreprises recouvre l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui « gouvernent » leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire’.

65 Le Vigoureux (1997 : 84) montre également que les entreprises adossées possèdent en leur sein un grand nombre de capital-risqueurs, d’administrateurs et de pôles d’actionnaires. Ceci s’oppose aux entreprises indépendantes dont le capital et les fonctions de direction sont détenues par les fondateurs, les dirigeants et par leur famille.

66 La citation originale est : ‘A firm’s entrepreneurial-conservation orientation is indicative of its strategic posture. The entrepreneurial-conservation orientation of a firm is demonstrated by the extent to which the top managers are inclined to take business-related risks, to favor change and innovation in order to obtain a competitive advantage for their firm, and to compete aggressively with other firms […]’.

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la pensée personnelle67. Enfin la ME est définie par l’observatoire européen des PME (Savajol, 2003 : 19) qui précise qu’elles ‘emploient 50 à 249 salariés’. Par ailleurs, Filion (2007 : 487) définit l’entreprise familiale comme ‘une organisation dans laquelle les propriétaires, les gestionnaires et ceux qui ont le contrôle sont les membres d’une même famille ; ils prennent des décisions stratégiques et peuvent appartenir à différentes générations. Ils ont l’intention de garder l’entreprise dans la famille […]’.

1.2. Des définitions aux thèmes de la revue de littérature Tout d’abord, la notion de comportement stratégique (Covin et Slevin, 1989) comprend la proactivité. On choisit ici de lier l’anticipation et la formalisation à la proactivité. Mais, si l’idée de prendre les concurrents de vitesse en menant des actions en avance (anticipation) se lie facilement à la proactivité, la liaison entre formalisation et proactivité est moins aisée. Il faut alors considérer l’idée que c’est plutôt une action (rapide et souple) et non une réflexion formalisée (longue et rigide) qui permet a minima l’adaptation et a maxima la proactivité. Forte anticipation et faible formalisation confèrent donc rapidité, avance et souplesse qui peuvent finalement permettre à l’organisation d’être proactive. Par ailleurs, on prendra en considération, tout comme Covin et Slevin, l’innovation. On doit également considérer la transmission car elle est un élément clé de la définition ainsi qu’un élément distinctif des entreprises familiales (lorsqu’elles sont comparées aux entreprises non familiales). On ne doit cependant pas oublier que le dirigeant, vu comme un individu dont la mise au jour des causes d’une orientation temporelle dominante sont difficilement connaissables a priori, prend des décisions qui impactent également l’organisation. L’étude indispensable de l’organisation peut alors porter sur deux ressources essentielles : les ressources financières (la rentabilité est d’ailleurs liée à la prise de risque, troisième élément de la notion de comportement stratégique selon Covin et Slevin) et les ressources humaines. La revue de littérature ci-dessous comprendra donc une présentation de tous ces thèmes.

1.3. Revue de littérature liée aux propositions

1.3.1. Anticipation et formalisation

Bien que nous entendions par anticipation, le fait pour une entreprise d’être proactive (au sens de Covin et Slevin, 1989), on peut dresser la matrice suivante qui combine anticipation et formalisation (Tableau 1) :

67 La version originale est : ‘Temporal orientation designates the relative dominance of past, present and future in a person’s thought […]’.

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Tableau 1 : matrice couplant formalisation, anticipation, et profil du dirigeant (adapté de Calori et al., 1997 : 12 ; Mintzberg, 1973)

Deg

ré d

’ant

icip

atio

n

Fort

Entrepreneurial : grande vision stratégique, rentabilité forte et à long

terme, goût de l’action, évaluation intuitive des sources informelles d’information, spectre équilibré,

degré de polychronicité68 et orientation « Futur » élevés,

orientations secondaires équilibrées et méthodes peu formelles (expérience et intuition).

Planificateur à Long Terme : grande vision stratégique, rentabilité

forte et à long terme, goût pour la réflexion et méthodes formelles,

orientation « Futur » très forte mais orientation secondaires faibles ainsi que méthodes formelles employées.

Faible

Adaptatif : pas de grande vision stratégique, rentabilité faible et à court terme, goût pour l’action, évaluation intuitive des sources

informelles d’information, spectre pauvre, degré de polychronicité et

orientation « Futur » faibles, orientations secondaires équilibrées

et méthodes peu formelles employées.

Faible Fort Degré de formalisation

Ajoutons que, concernant la formalisation dans les PME, Kraus et al. (2005) précisent

que ces dernières n’utilisent pas forcément la planification stratégique à cause de leur petite taille et qu’elles ont plutôt tendance à s’attacher à l’intuition et à l’expérience. Leur planification stratégique est donc encore balbutiante69.

1.3.2. Innovation

Filion (2007 : 121) la définit comme ‘le fait qu’une entreprise ou une organisation adopte un changement dans le but d’augmenter sa productivité globale, de répondre à de nouveaux besoins du marché ou de s’attaquer à de nouveaux marchés […]’. Il ajoute, concernant les PME, que c’est ‘l’innovation globale [qui] est la plus importante. […] [E]lle est constituée d’une foule de petites améliorations, apportées à de multiples endroits sur la chaîne de valeur, qui finissent par rendre la stratégie de l’entreprise difficile à imiter par ses concurrents’.

68 D’après Hall (1984), la polychronicité est le fait d’effectuer plusieurs travaux en même temps dans le cadre d’horaires plus souples.

69 La citation originale est : ‘present research on strategic planning in SMEs is still in its infancy’ (Kraus et al., 2005 : 3).

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1.3.3. Transmission de l’entreprise familiale

James (1999) présente un modèle dont le but est de montrer comment les liens familiaux, renforcés par l’horizon temporel familial et intergénérationnel, améliorent les décisions d’investissement des managers propriétaires familiaux comparativement aux managers propriétaires non familiaux (James, 1999 : 44)70. L’auteur montre ainsi que la fonction d’utilité du manager propriétaire familial est similaire à celle du manager propriétaire non familial, à ceci près que, dans le premier cas, elle comprend l’utilité de l’enfant (ou des enfants) concernant les rentabilités futures (James, 1999 : 46)71. Donc, dans ce cas, si le propriétaire dirige une firme familiale qu’il souhaite transmettre à son (ses) enfant(s) en deuxième période, et s’il est concerné par la richesse de son (ses) enfant(s), l’investissement qu’il fera dans sa firme sera plus important que dans le cas du manager propriétaire non familial. Par conséquent, le désir de transmettre l’affaire familiale à la génération suivante agit comme une incitation pour le propriétaire dirigeant familial à considérer les implications (sur le long terme) des décisions de consommation et d’investissement sur la richesse familiale (James, 1999 : 46-47)72.

1.3.4. Orientation « Futur » du dirigeant, loi proxémique, effet de microcosme et typologie des coquilles

Dans un but d’identification des liens entre perception temporelle et réflexion stratégique du dirigeant, Aurégan (1998 : 40) présente, à partir d’une étude réalisée auprès de 50 dirigeants du cartonnage, une caractérisation de la typologie appelée « perception temporelle ». Les résultats sont illustrés dans le tableau suivant (Tableau 2) :

Tableau 2 : typologie de la « perception temporelle » (d’après Aurégan, 1998 : 40) Moyenne globale

(note sur 5) F ratio F proba

Orientation « Futur »

4,90 11,73 0,0001

Orientation « Passé »

2,91 10,18 0,0002

Orientation « Cycle »

2,88 15,01 0,000

Orientation « Présent »

2,09 9,43 0,0004

Bien qu’ayant introduit l’orientation « Cycle » ou l’idée d’une régularité dans la reproduction des événements, ces orientations sont à rapprocher de la notion de perspective 70 La citation orginale est : ‘[…] the model’s purpose is to show how family ties that increase of the horizons of family managers across generations improve investment decisions relative to non-family managers’.

71 La version originale est : ‘The function is similar to the one described in the simple owner as manager case, except this time the utility the proprietor’s child receives for any given return of the company is also included in the proprietor’s utility function’.

72 La citation d’origine est : ‘Thus, the desire to transfer the family business to the next generation of family managers acts as an incentive for proprietors to consider the long-run implications of their consumption and investment decisions on their family’s welfare’.

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temporelle développée par Zimbardo et Boyd (1999 : 1274-1275). On précise que ces derniers ont mis au jour cinq dimensions ou registres temporels. Il y a tout d’abord le Passé Négatif (caractérisé par une vision négative et répugnante du passé). Puis, il y a le Passé Positif (lié à une attitude sentimentale et chaude concernant le passé). Il y a aussi le Présent Fataliste (résumant une attitude fataliste, sans espoir et sans défense envers le futur et la vie) ainsi que le Présent Hédoniste (qui est lié à la jouissance du moment présent et à la non-prévision des conséquences futures). Enfin, il y a le Futur qui se caractérise par la bataille pour les buts et les récompenses futures73. De plus, si Torrès (2003) montre le bien-fondé de l’application de la loi proxémique développée par Moles et Rohmer, c'est-à-dire ‘un principe d’ordonnancement qui hiérarchise le degré d’importance des actions et des réflexions de l’individu’ (Torrès, 2003 : 121), comme cadre d’étude pour les Petites Entreprises (ou PE) et les Très Petites Entreprises (ou TPE), on peut dire que ce cadre s’applique aussi aux ME, notamment le grossissement de l’effet de microcosme. Ce dernier est vu comme l’attention exclusive portée par le dirigeant au court terme au détriment du long terme plutôt caractérisé par des degrés de décentrage et de réflexion plus élevés. D’après Mahé de Boislandelle (1996), c’est la résultante d’une charge croissante de travail assumée par le dirigeant. Celle-ci se caractérise autant par une intensité professionnelle que relationnelle, autrement dit interne qu'externe. Il faut également noter qu'elle se traduit par une intensité des impératifs. Enfin, le grossissement de cet effet est visible au travers de l’étendue souvent très petite du marché, de la diversité des produits et du capital détenu ainsi que de la planification et des normes, ces dernières étant carrément absentes ici. Enfin, pour terminer sur les orientations temporelles et toujours en lien avec notre titre, on peut présenter la typologie des coquilles de Moles et Rohmer et préciser que l’entreprise se situe au niveau de l’appartement dans le tableau suivant (Tableau 3) : 73 Le lecteur pourra voir Apostolidis et Fieulaine (2004) pour une validation française de l’échelle originale. Lorsque nous écrivons « Futur », nous entendons cette perspective temporelle.

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Tableau 3 : typologie des coquilles de Moles et Rohmer (adapté de Torrès, 2003 : 129) Type de coquilles Attributs Le corps propre. Frontière de l’être. Définition de la frontière

entre le moi et le monde. Le geste immédiat. Sphère d’extension du geste autonome.

Ordonnancement du « tout » à portée de main.

La pièce d’appartement (le domaine visuel). Territoire optiquement fermé et couvert par le champ visuel. L’espace est sous l’emprise

du regard. L’appartement (l’idée d’emprise et de

privatisation). Lieu où est exercée l’emprise de maître et de

possesseur. La domination s’exerce à l’intérieur mais s’arrête à l’extérieur.

Le quartier (le lieu charismatique de la rencontre, le regard social).

Domaine familier dont on n’est pas maître. Personnalisation de l’impersonnel.

La ville et son centre (la coquille d’anonymat).

Lieu des services rares. Lieu de la variété et de l’anonymat.

La région (l’agenda). Domaine où l’homme dépend de son agenda donc de l’organisation du budget-temps.

Ensemble des lieux où l’on peut rapidement se rendre.

Le vaste monde (l’espace de projets). Zone de voyage et d’exploration. Réservoir du nouveau. Transgression des frontières

régionales.

1.3.5. Orientation « Futur » organisationnelle stratégique

Le vigoureux et Aurégan (2010) montrent que la ME familiale adossée (à des entités minoritaires comme un capital-investisseur, un groupe ou un acteur institutionnel) arrive à innover, à se tourner vers de nouvelles idées, à chercher de nouveaux réseaux et à éviter toute inertie organisationnelle. La présence de l’actionnaire minoritaire et extérieur constitue donc un moteur pour le développement de ces entreprises.

1.3.6. Rentabilité

Marchesnay (1994) a présenté, concernant les dirigeants, les typologies PIC et CAP. Elles peuvent être résumées dans le tableau suivant (Tableau 4) :

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Tableau 4 : typologies PIC et CAP (adapté de Marchesnay, 1994 : 148-150) Le dirigeant Pérennité-Indépendance-

Croissance Le dirigeant Croissance-Autonomie-

Pérennité Pérenniser son affaire ;

rester dans le même secteur d’activité ; favoriser l’innovation sur les procédés ;

régler les problèmes de reprise et de succession ;

faire grandir son patrimoine (notamment par l’investissement

immobilier) ; conserver un champ de vision long mais

étroit ; disposer d’un capital social ;

ne pas souscrire à l’endettement ; s’attacher à l’exploitation plutôt qu’à

l’exploration (March, 1991).

Valoriser rapidement les capitaux engagés ; s’installer dans un (ou des) secteur(s)

d’activité(s) à forte(s) marge(s) future(s) ; conserver son autonomie de décision plutôt

qu’accroître son patrimoine ; s’endetter (même en faisant entrer des

capitaux extérieurs) ; se lancer dans les investissements

immatériels ; « faire faire » (c'est-à-dire externaliser)

certaines activités ; conserver un champ de vision plus court

mais aussi plus large.

La notion de rentabilité est surtout présente dans le profil CAP, bien qu’il y ait une réciprocité entre l’un et l’autre. Ainsi, ‘le CAP peut être amené à évoluer: il accumule du patrimoine, il fonde une famille, il dispose d’une clientèle stable, d’un savoir-faire qui lui confère une compétence distinctive, etc. Bref, le CAP peut devenir PIC (l’inverse est moins probable, car le dégagement impliquerait des coûts irrécupérables dissuasifs, il faut alors imaginer des cas d’absorption ou de cessation de l’affaire, et de redémarrage dans des activités nouvelles)’ (Marchesnay, 1994 : 150).

1.3.7. Ressources Humaines

D’après Fabi et al. (2004), il y une corrélation positive et croissante entre l’intensité des pratiques de GRH dans les PME et le nombre d’employés. Ainsi les ‘moyennes entreprises (101-400 employés) […] se caractérisent par un recours significativement plus important aux pratiques de diffusion d’information stratégique, diffusion d’information opérationnelle et participation aux profits’ (Fabi et al., 2004 : 9)74.

74 À partir d’un échantillon de 200 PME manufacturières québécoises, ce résultat préalablement descriptif est confirmé par sept variables (ici pratiques de GRH) sur les onze sélectionnées : la description des tâches, l’évaluation du rendement, la formation, l’information stratégique, l’information économique, l’information opérationnelle ainsi que les primes et bonis.

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2. Méthodologie de recherche

2.1. Echantillon et méthode

Pour répondre à cette problématique, nous avons déployé une méthodologie qualitative à travers quatre75 études de cas, la logique similitudes/différences, l’entretien76 semi-directif et l’analyse de contenu. Les quatre cas, sélectionnés selon le critère de ‘représentativité théorique’ (Hlady Rispal, 2002 : 82), constituaient une ‘[…] pré-recherche’ qui allait permettre de ‘découvrir les variables à prendre en compte dans une étude ultérieure plus classique par questionnaire […]’ (Giroux, 2003 : 43-44). Il fallait choisir des cas qui, par leurs spécificités, allaient permettre de comprendre en profondeur le phénomène. De plus, dans ce contexte, une épistémologie alternative (ou non-positiviste) semblait adaptée. On a choisi la posture épistémologique interprétativiste car on reconnaît qu’il y a dépendance entre le sujet et l’objet, que la connaissance est subjective et contextuelle et que l’idiographie et l’empathie sont des critères valides pour comprendre et interpréter les motivations des acteurs (Perret et Séville, 2003 : 14-15). Par ailleurs, on démarrait du terrain pour établir des propositions qui seraient testées ultérieurement de manière quantitative. Dans ce contexte, la démarche abductive faisait sens. Comme le précise Koenig (1993 : 7), ‘l’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter’. On peut ajouter que les onze matrices ont été construites selon l’article d’Eisenhardt (1989)77 et l’ouvrage de Yin (1994). Des catégories et un codage ont également été construits à partir des synthèses similitudes/différences intra et inter-cas. En effet, les matrices ont été construites à partir de l’étude des similitudes et des différences entre les quatre cas ainsi constitués de données primaires (quatre entretiens semi-directifs) et de données secondaires (documents internes et sites internet pour chaque cas). Les matrices regroupant des paires, des triangles et un carré d’entreprises ainsi que l’analyse des données qualitatives ont mené à des catégories émergentes et à un codage émergent comme l’illustre le tableau suivant (Tableau 5)

Tableau 5 : grille de codage78

75 Eisenhardt (1989) précise qu’un nombre de cas compris entre quatre et dix fonctionne bien. La citation originale est la suivante : ‘while there is no ideal number of cases, a number between 4 and 10 cases usually works well’ (Eisenhardt, 1989 : 545).

76 La grille d’entretien et les transcriptions des entretiens sont disponibles sur simple demande adressée à l’auteur.

77 Les 11 matrices des similitudes et des différences se répartissaient de la façon suivante : les paires étaient les suivantes : DP et SF ; SF et ETE ; ETE et C ; C et DP ; C et SF ; DP et ETE. Les triangles étaient les suivants : DP, C et SF ; SF, C et ETE ; DP, C et ETE ; DP, SF et ETE. Le carré était le suivant : DP, SF, C et ETE.

78 Adossées et Indépendantes sont ici écrits avec des majuscules car il s’agit du codage.

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Items Catégories

Codes

Caractérisation de la Moyenne

Entreprise Adossée

Incohérence Caractéris_MEA_I_Incohérent Spéculation Caractéris_MEA_I_Spécul

Dynamisme et Partage

Caractéris_MEA_A_Dyna&Partag

Caractérisation de la Moyenne

Entreprise Indépendante

Liberté Caractéris_MEI_I_Libr Famille Caractéris_MEI_I_Fami Ancrage Caractéris_MEI_I_Ancrag

Ancienneté et Risques

Caractéris_MEI_A_RisqAncien

Décalage par rapport à

l’Actualité

Caractéris_MEI_A_Décalactu

Anticipation

Nouveauté Anticip_I_Nouveau Contraintes Anticip_I_Contraint

Dénaturation de la Moyenne

Entreprise Indépendante

Anticip_I_DénaturMEI

Précision Anticip_A_Précis Dynamisme Anticip_A_Dyna

Innovation

Rapidité décisionnelle

Innov_I_Rapidécision

Basique Innov_I_Basiq Etre à la page Innov_I_Actuel Logique Projet Innov_A_Projet

Logique de Compétences

Innov_A_Compétences

Forte Formalisation de la Moyenne

Entreprise Adossée

Abondance Documentaire

FortFormalisa_MEA_AbondDocu

Abondance du Reporting

FortFormalisa_MEA_AbondReport

Orientation « Futur » du

Dirigeant, Gestion de la

Succession et de la Transmission de la Moyenne

Entreprise

Difficulté de la situation

OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_I_Difficile

Famille OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_I_Famil Ouverture

Successorale OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEA_A_OuvertSuc

Cadeau non voulu

OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_A_Veupa

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Orientation « Futur » de

l’Organisation et Stratégie

Incertitude OrientaFutur_Orga_Strat_Incertain Stratégie de

Surface OrientaFutur_Orga_Strat_StratSurface

Stratégie de Profondeur

OrientaFutur_Orga_Strat_StratProfonde

Orientation « Futur » de

l’Organisation et Finance

Retour sur investissement

OrientaFutur_Orga_Fi_R.O.I

Complexité OrientaFutur_Orga_Fi_Complex

Orientation « Futur » de

l’Organisation et Ressources

Humaines

Facteur Humain

Crucial et Indispensable

OrientaFutur_Orga_RH_HomCrucial&Indisp

Evolution OrientaFutur_Orga_RH_Evolu Ces synthèses ont toutes été validées par chaque personne interrogée. Par ailleurs, il faut noter que des catégories sont ‘des rubriques ou classes qui rassemblent un groupe d’éléments, tel que les unités d’enregistrement dans le cas de l’analyse de contenu, sous un titre générique, rassemblement effectué en raison des caractères communs de ces éléments’ (Bardin, 1977 : 150). Enfin, il faut préciser que l’on a eu la chance de mener quatre études de cas (dont les caractéristiques répondaient à l’exigence de représentativité théorique) qui se trouvaient être des entreprises partenaires de notre institution d’enseignement et de recherche. On reconnaît ici que l’accès au terrain se trouvait alors grandement facilité. On peut désormais présenter les quatre entreprises DP, SF, C et ETE et un tableau comparatif.

2.2. Présentation des cas et tableau comparatif de l’échantillon

2.2.1. Moyenne Entreprise indépendante DP

Créée en 1986, la Société par Actions Simplifiées DP, comptant aujourd’hui 110 salariés, est spécialisée dans la fabrication et la pose de gaines de ventilation. Concernant la structure de propriété, son Président Directeur Général, M. O., détient 99,9% du capital et sa fille, Mélanie, les 0,01% restants. Les aspects les plus notables de cette ME familiale sont les valeurs de famille, de liberté, de simplicité et de compétitivité. Ces valeurs sont d’autant plus fortes dans le contexte actuel d’incertitude dont les conséquences se font sentir (le dernier Résultat Net publié était de 85000 euros alors que son Chiffre d’Affaires avoisinait les 6,3 millions d’euros).

2.2.2. Moyenne Entreprise indépendante SF

M. E. occupe le poste de Directeur Général dans l’entreprise SF depuis 22 ans. Cette Société par Actions Simplifiées (SAS) familiale existe (sous cette forme juridique) depuis 1946. Elle a pour activité l’import et le négoce de bois ainsi que ses dérivés. Cette Moyenne Entreprise, dont les deux principaux actionnaires sont le PDG (descendant de la famille fondatrice avec 80 % des parts), et, M. E. (seule personne extérieure avec 20 % des parts), compte tout de même 125 salariés et totalise un Chiffre d’Affaires de 33 millions d’euros. Les valeurs de cette entreprise sont le métier, le patrimoine, le terroir, le bon sens, les relations et les ressources humaines.

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2.2.3. Moyenne Entreprise adossée C La Société Anonyme C, dont l’année de création remonte à 1950, est présente dans le secteur du bâtiment, du gros œuvre et de l’entreprise générale. Cette Moyenne Entreprise a cependant une particularité : elle est détenue à 70 % par ses 170 salariés regroupés en personne morale. Elle a publié un Chiffre d’Affaires (récent) de 45 millions d’euros. Le Directeur Général et Président du Conseil d’Administration, M. G., a vivement accepté de participer et nous a précisé les valeurs de l’entreprise : Conseil d’Administration, pérennité, ouverture et importance du collectif.

2.2.4. Moyenne Entreprise adossée ETE M. D. travaille depuis 39 ans chez ETE, une filiale d’un grand groupe de Bâtiment-Travaux Publics79 coté en bourse. Il occupe les postes de Directeur Technique et de Chargé d’Affaires. Cette filiale a réalisé l’an dernier un Chiffre d’Affaires de 32 millions et un résultat de - 1 million d’euros. Elle prévoit donc, pour 2011, d’éponger cette perte. Malgré son statut de filiale de groupe, l’entreprise ETE est ouverte aux 245 salariés à hauteur de 20 %. Ses valeurs sont l’esprit d’entreprise, l’avancement, l’innovation, les équipes, la rentabilité, les documents et la quasi-invisibilité. On peut désormais dresser le tableau comparatif de l’échantillon (Tableau 6) : 79 Ce groupe couvre les métiers du bâtiment, de la construction métallique, de l’électricité, du génie climatique et des voies ferrées.

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Tableau 6 : tableau comparatif des quatre cas

Entreprise DP Entreprise SF Entreprise C Entreprise ETE

Entité familiale Oui Oui Non Non

Structure de l’actionnariat

Entreprise indépendante

détenue à 99,9% par le PDG et 0,01% par sa

fille.

Entreprise indépendante

détenue à 80% par le PDG

(descendant de la famille

fondatrice) et à 20% par le DG (seule personne

extérieure).

Entreprise adossée car entreprise

indépendante mais détenue à

70% par ses salariés80.

Entreprise adossée (filiale

d’un grand groupe de Bâtiment Travaux

Publics) détenue à hauteur de 20% par ses

salariés. Nombre de

salariés 110 125 170 245

Activité

Fabrication et pose de gaines de ventilation.

Import et négoce de bois et dérivés.

Bâtiment, gros œuvre et entreprise générale.

BTP.

Type d’entreprise

(Savajol, 2003)

Moyenne Entreprise

Moyenne Entreprise

Moyenne Entreprise

Moyenne Entreprise

3. Résultats et propositions En premier lieu, les points de vue divergent concernant la ME adossée. Ils peuvent être négatifs pour les dirigeants des entreprises familiales et indépendantes, la liant à une « bêtise » (DP) et à un « coup, un one shot » (SF) ou positifs pour les dirigeants d’entreprises adossées, la liant à « une stratégie, une vision partagées » (C) et à une « motivation » (ETE). Ensuite, la ME indépendante est liée à « la liberté d’action, de pouvoir de décision et de gestion » (DP) ainsi qu’au « patrimoine » susceptible de faire l’objet d’une « transmission à ses enfants » (SF). Elle est aussi liée et à un ancrage dans la mesure où « le patron connaît tout le monde par son prénom » (SF). La ME indépendante est par contre liée, pour les dirigeants d’entreprise adossée, à l’ancienneté et au décalage par rapport à l’actualité (ouvertures, progressions et alliances d’entreprises). En fait, elle est perçue comme un ensemble de « schémas désuets » (ETE).

3.1. Anticipation et Moyenne Entreprise adossée

Concernant l’anticipation et la ME adossée, on remarque que le poids des contraintes est partagé : les dirigeants d’entreprise indépendante, même s’ils reconnaissent « un apport d’idées extérieures » (DP), voient aussi un grand nombre de contraintes qui peuvent dénaturer l’entreprise. L’entreprise devient alors « le produit qu’on a acheté ou qu’on a vendu » (SF). Les autres dirigeants voient une contrainte dans le poids décisionnel et la pression qu’exerce 80 Cette SCOP est considérée comme adossée car les salariés détiennent 70% du capital. On considère que leur regroupement constitue une personne morale. Elle est également détenue à moins de 95% par une ou plusieurs personnes physiques.

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le Conseil d’Administration qui est « un point d’arrêt obligé pour le dirigeant » (C). Ils voient aussi un dynamisme et une possibilité « d’avancer et d’innover dans des domaines de la recherche et des études » (ETE). Par conséquent : Proposition 1 : Il existe une corrélation positive entre l’anticipation81 et l’entreprise adossée.

3.2. Innovation et Moyenne Entreprise adossée

L’innovation est vue par les dirigeants de la ME indépendante comme un handicap. Cependant, ils tentent d’être à la page en essayant de dépasser l’innovation basique avec la mise en place de « synergies » (SF). Il ne fait cependant aucun doute pour les dirigeants de la ME adossée que l’innovation est « extrêmement favorisée » (C) chez eux tant au niveau d’une logique de projet (collaboratif) que d’une logique de développement de compétences, par le biais de conventions, de stages et de programmes de formation ciblés sur ce thème. Ainsi : Proposition 2 : Il existe une corrélation positive entre l’innovation et l’entreprise adossée.

3.3. Forte formalisation et Moyenne Entreprise adossée

La forte formalisation est une caractéristique de la ME adossée. Tous les participants en sont (sans exception) convaincus. Cette idée est synthétisée sous la catégorie de l’abondance documentaire et de l’abondance du reporting. Il y a donc, selon eux, « beaucoup plus de documents à traiter, […] de comptes rendus à sortir, à imprimer et à lire…» (ETE). Donc : Proposition 3 : Il existe une corrélation positive entre la forte formalisation (abondance des documents et des reportings) et l’entreprise adossée.

3.4. Transmission et Moyenne Entreprise adossée

La gestion de la transmission de l’entreprise est une question qui semble se poser uniquement pour le cas de la ME indépendante. Leurs dirigeants perçoivent la situation comme difficile en raison d’une multitude de paramètres, notamment familiaux et personnels. À ce sujet, un dirigeant a dit : « ça dépend de ta santé, de ta vie de famille […] » (DP). Les autres dirigeants, même s’ils rejoignent l’idée d’un cadeau non voulu dans certains cas, disent qu’il y a une ouverture successorale les concernant, dans la mesure où ils ne sont que des actionnaires partiels. Ainsi, pour eux, « en matière de succession, c’est beaucoup plus ouvert » (C). Ainsi : Proposition 4 : Il existe une corrélation négative entre la gestion de la succession, de la transmission de la Moyenne Entreprise et l’entreprise adossée.

81 On entend par anticipation le fait de développer une stratégie à long terme, de garder le cap et d’influencer l’environnement. Nous regroupons l’ensemble sous le terme de proactivité (au sens de Covin et Slevin, 1989). Le point clé ici est l’idée selon laquelle la présence d’un Conseil d’Administration oblige le dirigeant à avoir un plan stratégique extrêmement clair et à clarifier ses positions. Il adopte donc une stratégie de long terme l’aidant ainsi à garder le cap et susceptible d’influencer l’environnement (par les répercussions de ses actions).

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3.5. Stratégie et Moyenne Entreprise

3.5.1. Stratégie de surface et Moyenne Entreprise

En lien avec l’orientation « Futur » du dirigeant, tous les dirigeants disent que c’est l’incertitude qui domine et qui les conduit, quelle que soit la structure de propriété, à adopter une stratégie de surface, c'est-à-dire l’affinage de l’existant. Par exemple, un dirigeant a dit : « mon horizon de travail, moi, il est inférieur à un an » (ETE). Par conséquent : Proposition 5.1 : Les dirigeants sont tous conduits, en raison de l’incertitude, à adopter une stratégie de surface (c'est-à-dire affiner l’existant) dans leur travail au quotidien.

3.5.2. Stratégie de profondeur difficile et Moyenne Entreprise adossée

Cette réalité du terrain s’oppose alors à la difficulté, en particulier pour les entreprises adossées, de mettre en place un véritable plan stratégique, sur cinq ans, et une véritable stratégie de profondeur. En effet, selon un dirigeant : « comme l’horizon de travail est inférieur à un an, on ne peut pas projeter des choses plus loin […] » (ETE). Alors : Proposition 5.2 : Il existe une corrélation positive entre la difficulté de mettre en place en stratégie en profondeur et la moyenne entreprise adossée.

3.6. Rentabilité et Moyenne Entreprise

Concernant les questions financières, la plupart des dirigeants reconnaissent un retour sur investissement indispensable même s’il peut subsister une complexité liée au rapport du dirigeant à l’investissement. Un dirigeant nous a donc dit : « ça serait pareil, j’aurais le même objectif de rentabilité quand même » (DP). Donc : Proposition 6 : Bien que le rapport à l’investissement soit complexe, l’objectif de rentabilité est indispensable tant pour les dirigeants de Moyennes Entreprises indépendantes que pour les dirigeants de Moyennes Entreprises adossées.

3.7. Ressources Humaines et Moyenne Entreprise

Enfin, les réponses concernant les ressources humaines sont semblables. Le facteur humain est ainsi vu comme crucial et indispensable. Il est aussi lié, quelle que soit la structure de propriété, à une logique d’évolution des compétences du personnel. En conséquence, les ressources humaines « sont fondamentales » (SF). Ainsi : Proposition 7 : La gestion des ressources humaines et la logique d’évolution du personnel sont cruciales tant pour les dirigeants de Moyennes Entreprises indépendantes que pour les dirigeants de Moyennes Entreprises adossées.

3.8. Synthèse des résultats validée par les acteurs du terrain

Après s’être entretenu avec les décideurs des sociétés DP, SF, C et ETE, on présente ici la synthèse des résultats obtenus. Tout d’abord, on note qu’il existe une hétérogénéité des points de vue concernant la moyenne entreprise adossée. Ces points de vue peuvent être négatifs pour les dirigeants des entreprises familiales indépendantes (la liant ici à une incohérence et à une spéculation possible) et positifs pour les dirigeants de sociétés adossées (la liant dans ce cas à un dynamisme et à un partage). Ensuite, la moyenne entreprise indépendante est liée à la liberté, à la famille et à un ancrage (plutôt local) pour leurs dirigeants. La moyenne entreprise indépendante est par contre liée, pour les dirigeants d’entreprises adossées, à

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l’ancienneté et au décalage par rapport à l’actualité (ouvertures, progressions et alliances d’entreprises). Concernant l’anticipation et la moyenne entreprise adossée, on remarque que le poids des contraintes est partagé : les dirigeants d’entreprises indépendantes, même s’ils reconnaissent une possible nouveauté, voient un grand nombre de contraintes qui peuvent dénaturer l’entreprise indépendante. Les autres dirigeants (ceux des entreprises adossées) voient une contrainte dans le poids décisionnel et la précision qu’exerce le Conseil d’Administration mais également un dynamisme et une possibilité d’avancement. L’innovation est vue par les dirigeants de la moyenne entreprise indépendante comme un possible handicap. Cependant, ces derniers tentent d’être à la page en essayant de dépasser l’innovation basique (notamment, par la mise en place de synergies). Il ne fait cependant aucun doute pour les dirigeants de la moyenne entreprise adossée que l’innovation est plus favorisée (chez eux) tant au niveau d’une logique de projet (collaboratif) que d’une logique de développement de compétences (conventions, stages et programmes de formation ciblés sur ce thème). La forte formalisation est une caractéristique de la moyenne entreprise adossée. Tous les participants en sont (sans exception) convaincus. Cette similitude d’opinions est synthétisée sous le thème de l’abondance documentaire et de l’abondance du reporting. Ensuite, il faut noter que la gestion de la succession et de la transmission de l’entreprise est une question qui semble se poser qu’en cas de la moyenne entreprise indépendante. En effet, les dirigeants de ces structures voient ici la situation comme difficile en raison d’une multitude de paramètres (familiaux et personnels). Les dirigeants de la moyenne entreprise adossée, quant à eux, voient, même s’ils rejoignent l’idée d’un cadeau non voulu dans certains cas, une ouverture successorale les concernant (dans la mesure où ils ne sont que des actionnaires partiels). Toujours en lien avec l’orientation « Futur » du dirigeant, tous les dirigeants notent que c’est l’incertitude qui domine, les conduisant, quelle que soit la structure du capital, à adopter, dans ce contexte d’imprévisibilité, une stratégie de surface (c'est-à-dire, l’affinage de l’existant). Cette réalité du terrain se confronte ainsi à la difficulté pour les sociétés adossées (notamment) de mettre en place un véritable plan stratégique (de cinq ans) et une véritable stratégie de profondeur. Concernant les questions financières, même si la plupart des dirigeants reconnaissent un retour sur investissement indispensable, il peut subsister une complexité liée au(x) rapport(s) de la (des) personne(s) à l’ (aux) investissement(s). Enfin, une similitude est aussi apparue dans les réponses concernant l’orientation « Futur » de l’organisation et les ressources humaines. Tous les acteurs reconnaissent ici que le facteur humain est crucial et indispensable. Il est aussi lié (quelle que soit la structure) à une logique d’évolution des compétences du personnel.

3.9. Résultats et lien entre théorie et pratique

Tout d’abord, cette synthèse a été validée par les acteurs du terrain. Elle est donc non seulement le produit de résultats mais aussi d’interactions. De plus, un effort de communication a été consenti pour rendre cette réalité complexe plus claire, plus intelligible et plus explicite pour les acteurs du terrain. Cette synthèse est aussi vue comme une narration, c'est-à-dire comme une présentation enactée des résultats. Cette synthèse rassemble donc les deux critères d’un savoir actionnable, c'est-à-dire, la traduction et la mise en scène (d’après Avenier et Schmitt, 2007) qui lient alors loi proxémique, effet de microcosme et typologies des coquilles, d’une part, et conflits d’orientations temporelles vécus par les acteurs du terrain, d’autre part. Enfin, ces regards croisés (dirigeants de ME indépendantes et ME

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adossées) permettent d’éclairer les pratiques de chaque catégorie, première étape d’une réflexion engagée en vue d’apporter des améliorations aux situations actuelles. Discussion et conclusion Bien que les objectifs de création d’un cadre d’analyse intégrateur mais également de mise en évidence d’un conflit entre des orientations temporelles différentes soient désormais atteints avec la prise en compte de la proactivité, du Conseil d’Administration, des synergies, des documents et reportings, de la situation personnelle et familiale du dirigeant, de la rentabilité et des ressources humaines, la valeur ajoutée est surtout située dans le second objectif, notamment dans les items « Orientation « Futur » du Dirigeant et Horizon de Travail » et « Orientation « Futur » de l’Organisation et Stratégie » (résultats contenus dans le point 3.5). En effet, le résultat innovant mais/et qui va contre l’intuition82 est que les dirigeants ne sont pas orientés « Futur » mais « Présent Fataliste »83. Ce résultat traduit une incertitude mais également, et au-delà, une perte de contrôle de la situation et une dépendance plus forte des dirigeants envers le sort. Ceci tend d’ailleurs à rejaillir sur l’orientation temporelle organisationnelle stratégique. Ainsi, concernant les entreprises adossées, le dirigeant de l’entreprise C nous a dit : « la stratégie, c’est cinq ans pour nous, un plan stratégique » alors que, dans le même temps, le dirigeant de l’entreprise ETE nous a confirmé : « Mon horizon de travail, moi, il est inférieur à un an ». Les entreprises indépendantes et familiales suivent et renforcent même cette tendance puisque le dirigeant de l’entreprise DP nous a dit, concernant l’orientation temporelle stratégique de son organisation : « Aujourd’hui, c’est inférieur à un an parce que, je te dis, à la fin de l’année, on sera peut-être fermé, alors… ». Il nous a également dit, concernant son orientation temporelle : « Ça ferme de partout. Tout le monde dépose le bilan ». En fait, il semblerait qu’on demande aux dirigeants de se projeter dans l’après-demain alors qu’ils ne tiennent pas pour sûr ce qu’aujourd’hui doit leur apporter. Ils adoptent donc, du fait des forces environnementales, une attitude résignée face à la vie qui rend difficile toute stratégie organisationnelle basée sur le long terme. Dès lors, il est difficile pour le dirigeant, qui se situe, d’après la typologie de Moles et Rohmer, au niveau de l’appartement, c’est-à-dire qu’il domine la situation à l’intérieur de l’entreprise, de voir le monde, c'est-à-dire d’explorer des futurs possibles en transgressant les frontières. En tout état de cause, les ponts entre sciences de gestion, psychologie, sociologie et psychosociologie sont maintenant jetés. Par ailleurs, on a tout de même pu conseiller84 aux dirigeants de ME indépendantes de prendre davantage en compte la formalisation et les remarques de l’extérieur. Ensuite, on a conseillé aux dirigeants de ME adossées de prendre plus en compte leurs consœurs indépendantes, l’humain, la collaboration et l’optique de long terme. Il est clair que la réticence ressentie lors des entretiens concernant l’opposition entre ces deux « univers » doit maintenant cesser pour laisser place à une plus grande collaboration. Cette réticence est cependant bien le reflet d’une

82 Selon Whetten (1989 : 494) et sa question ‘What’s new ?’. On peut ajouter qu’un article intéressant est un article qui étudie un nouveau sujet, qui utilise une nouvelle méthode ou qui offre une nouvelle façon de voir les choses. La citation originale est : ‘Every paper would take on a new topic, devise a new method, or offer a new way of seeing things’ (Barley, 2006 : 19-20).

83 ‘[L]a dimension « Futur » regroupe des items […] indiquant une position tournée vers l’avenir et vers des buts’ alors que ‘la dimension « Présent Fataliste » regroupe les items […] caractérisant une attitude fataliste et résignée face à la vie’ (Apostolidis et Fieulaine, 2004 : 209).

84 Selon Whetten (1989 : 494) et sa question ‘So what ?’.

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certaine dénaturation85 (Torrès et Julien, 2005 : 368). Enfin, bien qu’ayant tenu compte de la validité du construit (en triangulant les données primaires comme les entretiens et les données secondaires comme les sites internet et les documents internes), de la validité interne et de la validité externe (en faisant valider toutes les synthèses intra-cas et inter-cas par les acteurs interrogés), cette étude n’est cependant pas sans limites et les pistes de recherche futures sont nombreuses. Il faudrait notamment diversifier l’échantillon en incluant des très petites entreprises et des petites entreprises appartenant par exemple aux secteurs des services, de la construction et du commerce. Ceci nous permettrait d’affiner encore davantage nos propositions (voire d’en créer de nouvelles) et d’accroître le potentiel de généralisation. Il faudrait aussi envisager une étude confirmatoire quantitative (par l’envoi d’un questionnaire aux entreprises sélectionnées), c'est-à-dire qu’on rejetterait certaines hypothèses établies et qu’on n’en rejetterait pas d’autres. Bibliographie APOSTOLIDIS T., FIEULAINE N. (2004), « Mesurer le temps dans les applications psychosociales: validation française de l’échelle de temporalité ZTPI », Revue européenne de psychologie appliquée, Vol.54, n°4, p.207-217. AURÉGAN P. (1998), « Perception du temps et réflexion stratégique: le cas des dirigeants d’entreprise moyenne », Finance, Contrôle, Stratégie, Vol.1, n°1, p.27-48. AURÉGAN P., JOFFRE P., LE VIGOUREUX F. (1997), « Modèles d’analyse stratégique: contributions récentes », In SIMON Y., JOFFRE P. (dir.) Encyclopédie de gestion, Economica, p.2041-2060. AVENIER M-J., SCHMITT C. (2007), « Elaborer des savoirs actionnables et les communiquer à des managers », Revue Française de Gestion, Vol.33, n°174, mai, p.25-42. BARDIN L. (1977), L’analyse de contenu, PUF. BARLEY S.R. (2006), « When I write my masterpiece: thoughts on what makes a paper interesting », Academy of Management Journal, Vol.49, n°1, p.16-20. CALORI R., VÉRY P., ARRÈGLE J.L. (1997), « Les PMI face à la planification stratégique », Revue Française de Gestion, n°112, janvier-février, p.11-23. CHARREAUX G. (1997), « Vers une théorie du gouvernement des entreprises », In CHARREAUX G. (dir.) Le gouvernement des entreprises - Corporate Governance - théories et faits, Economica, p.421-469. COVIN J.G., SLEVIN D.P. (1989), « Strategic management of small firms in hostile and benign environments », Strategic Management Journal, Vol.10, n°1, p.75-87. EISENHARDT K.M. (1989), « Building theories from case study research », Academy of Management Review, Vol.14, n°4, p.532-550. FABI B., RAYMOND L., LACOURSIÈRE R., ARCAND M. (2004), « Les PME les plus performantes se distinguent-elles par leurs pratiques de GRH ? », VIIème Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME, Montpellier, 27-29 octobre. FILION L.J. (2007), Management des PME: de la création à la croissance, Pearson Education. 85 La notion de dénaturation signifie ici que le système managérial spécifique à la PME peut disparaître pour produire d’autres modèles de management probablement plus proches du modèle utilisé par la grande entreprise. La citation originale est : ‘Networking behavior or risk capital use are other examples showing that the specific management system for some small businesses can disappear to produce other management models probably closer to the big business model. These practices are denaturing: they aim to reduce informality, strengthen explicit behaviors, relieve personalization and enhance procedures’.

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Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial. Proposition d’un cadre de référence.

Stéphanie MITRANO-MEDA Doctorante au Centre d’Etudes et de

Recherche en Sciences de Gestion Aix-Marseille (CERGAM), Consultante

associée chez MERKAPT. [email protected]

Lucien VÉRAN Professeur Agrégé, Docteur et HDR en

Sciences de Gestion, CERGAM et Euromed Management.

[email protected]

Résumé : La pratique du mentorat entrepreneurial se développe rapidement en France depuis le début des années 2000 mais la recherche sur le sujet en est encore à ses débuts. Un corolaire de cette situation est le manque d’outils fiables, de modèles pertinents et d’un cadre de référence unifié qui pourraient aider les praticiens à construire un programme ou à en faire le diagnostic. Notre recherche vise à donner des pistes pour une consolidation du cadre de référence en s’appuyant sur les principaux modèles de la littérature. Au-delà l’objectif est de pouvoir proposer aux praticiens un outil de diagnostic simple et structuré, leur permettant une auto-évaluation de leur propre programme de mentorat entrepreneurial. Nous proposons en synthèse un modèle tripartite (mentor, mentoré et organisation tierce) du processus de mentorat entrepreneurial décomposé en quatre étapes. Cette décomposition permet de faire émerger plus facilement les huit fonctions de l’organisation tierce généralement repérées par la littérature : attraction, sélection et formation des participants, mise en relation du binôme de mentorat, mise en place d’un cadre, suivi de la relation, reconnaissance des mentors et évaluation du programme. C’est sur ces huit fonctions que nous proposons de baser notre outil de diagnostic. Pour chacune d’entre elle nous identifions un ou plusieurs indicateurs de performance permettant aux praticiens de faire une première auto-évaluation de leur programme. Pour finir nous établissons et discutons les indicateurs pour deux programmes réels présentés de façon stylisée. Mots clés : Mentorat, diagnostic, accompagnement, processus, entrepreneuriat Abstract: Mentoring for entrepreneurs has been rapidly developing in France since 2000, however research on this subject is only just beginning. Consequently, reliable tools, pertinent models and unified framework of reference that could help practitioners to design or diagnose a mentoring programme, are lacking. Our research aims to give some leads in the consolidation of the framework by relying on the principal models in the literature. Beyond this, the objective is to propose to practitioners a simple and structured diagnostic tool, enabling them to evaluate their own entrepreneurial mentoring programme. We propose a summary of a tripartite model (mentor, mentee and third party organisation) of the entrepreneurial mentoring process which is decomposed in four stages. This stage approach

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allows the emergence of the eight functions of the third party organisation generally spotted in the literature: attracting, selecting and training participants, matching the dyad, setting the framework, monitoring the relationship, recognizing the mentors and evaluating the programme. We propose to use these eight functions as the basis for our diagnostic tool. For each one of them we will identify one or several performance indicators allowing practitioners a first auto-evaluation of their programme. To finish we will establish and discuss these indicators for two real programmes. Keywords : Mentoring, diagnostic, process, entrepreneurship

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Introduction La pratique du mentorat entrepreneurial se développe rapidement en France depuis le début des années 200086 mais la recherche sur le sujet en est encore à ses débuts. Un corolaire de cette situation est le manque d’outils fiables, de modèles pertinents et d’un cadre de référence unifié qui pourraient aider les praticiens à construire un programme ou à en faire le diagnostic. Notre recherche vise à donner des pistes pour une consolidation du cadre de référence en s’appuyant sur les principaux modèles de la littérature (Mitrano-Méda et Véran, 2012). Au-delà l’objectif est de pouvoir proposer aux praticiens un outil de diagnostic simple et structuré, leur permettant une auto-évaluation de leur propre programme de mentorat entrepreneurial. Nous définissons et positionnons dans notre première partie le mentorat entrepreneurial dans la pratique et au sein de la recherche académique. Nous présentons ensuite de manière détaillée le modèle tripartite du processus de mentorat entrepreneurial sur lequel nous proposons de baser notre outil de diagnostic. En troisième partie nous proposons sur la base du modèle tripartite des indicateurs de performance permettant le diagnostic d’un tel programme et les appliquons à deux programmes réels présentés de façon stylisée. 1. Le mentorat entrepreneurial. Définition et positionnement. Le mentorat est une des nombreuses pratiques d’accompagnement répertoriées et classifiées par Paul (2004). La cartographie (figure 1) élaborée par celle-ci présente de façon synthétique les pratiques d’accompagnement et les ordonnent sur deux axes : l’axe « sens – technicité » et l’axe « réflexion – action ». Le mentorat doit figurer selon Paul dans le quadrant action et sens. Paul décrit ainsi la pratique du mentorat comme ayant à la fois une orientation projet et une composante individuelle qui favorise l’actualisation de soi (de l’entrepreneur) et le transfert d’expérience du mentor (transmission et filiation).

«La relation mentorale se définit donc, sur une base de réciprocité et de solidarité intergénérationnelle, comme une relation d’aide et d’apprentissage, entre une personne d’expérience qui partage connaissance, expérience, idées et compréhension d’une organisation avec une personne moins expérimentée, disposée à tirer profit de ce partage» (Paul, 2004 : p43)

En synthèse des définitions proposées dans la littérature (Clutterbuck et Meggison, 1999 ; Fletcher et Ragins, 2007 ; Paul, 2004 ; Ragins et Kram, 2007), nous retiendrons pour notre part que le mentorat est une relation d’accompagnement bénévole sans lien hiérarchique, dans un contexte professionnel, pensée pour produire un enrichissement mutuel et pour favoriser la mise en œuvre de transitions significatives par le mentoré. Dans un contexte de mentorat entrepreneurial la relation bénévole d’accompagnement s’établit sur la base du projet d’un entrepreneur novice et est conduite par un entrepreneur plus expérimenté.

86 Des liens vers des programmes français de mentorat sont donnés en annexe.

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Figure 1 : Une cartographie des pratiques d’accompagnement de l’entrepreneur (d’après Paul, 2004)

La pratique du mentorat se développe à l’initiative d’organismes publics, semi-publics ou privés visant à développer l’entrepreneuriat et la création d’entreprise localement ou nationalement. Citons quelques uns des programmes de mentorat entrepreneurial français :

- Le Réseau Entreprendre (association de chefs d’entreprise) ; - L’Institut du Mentorat Entrepreneurial (créé par la Chambre de Commerce et

d’Industrie de Paris) ; - France Initiative (accompagnement d’entrepreneurs créant leur emploi) ; - Créatorat (programme de mentorat pour les entreprises hébergées dans la pépinière

Créativa d’Avignon) ; - Moovjee (accompagnement mentoral de jeunes entrepreneurs et étudiants

entrepreneurs) ; - Le réseau EPWN (mentorat des femmes professionnelles dont des femmes

entrepreneurs) ; - Le Camping (accélérateur de start-ups à Paris).

Concentrée à sa naissance au Québec, la recherche sur le mentorat entrepreneurial a commencé par s’intéresser aux facteurs de succès de la relation (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Cull, 2006 ; Gravells, 2006), aux fonctions et compétences du mentor (McGregor et Tweed, 2002 ; St Jean, 2009 ; St Jean et Audet, 2010), à la structure de soutien (Couteret, St Jean et Audet, 2006) et aux résultats du mentorat (Bisk, 2002 ; Carsrud, Gaglio et Olm, 1987 ; Deakins, 1998 ; Simard et Fortin, 2008 ; St Jean, 2009). Depuis 2010, les recherches se sont intensifiées avec les travaux de St-Jean (2009) basés sur le programme de mentorat entrepreneurial de la Fondation pour l’Entrepreneurship (Québec). Cependant aucune recherche n’a proposé à ce jour de vision globale du processus de mentorat. Nous proposons

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en conséquence en deuxième partie un modèle tripartite couvrant l’ensemble du processus de mentorat et pouvant servir de cadre de référence pour la construction d’outils de design et de diagnostic à l’usage des praticiens. 2. Un modèle tripartite du processus de mentorat entrepreneurial. Nous avons élaboré un modèle tripartite de processus de mentorat entrepreneurial (figure 2), après avoir analysé plusieurs modèles dyadiques et tripartites de mentorat dans le contexte organisationnel et entrepreneurial (Allen, 2007 ; Baugh et Fagenson, 2007 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Fletcher et Ragins, 2007 ; St Jean, 2009 ; Young et Perrewé, 2007), et après avoir conduit une première étude qualitative longitudinale auprès de binômes de mentorat entrepreneurial. Figure 2 : Processus et principales fonctions du mentorat entrepreneurial

Ce modèle met en exergue les fonctions de l’organisation tierce (que nous détaillons ci-dessous) à chaque étape du processus de mentorat entrepreneurial. 2.1 Première étape : les participants.

Dans le cadre d’un mentorat entrepreneurial les participants appartiennent à des entreprises distinctes. Les coordinateurs des programmes n’ont donc pas accès à un pool interne de mentors et mentorés potentiels. L’organisation tierce a pour première mission d’attirer (Fonction n°1 : Attraction) des mentors de qualité répondant à un profil supposé être bien défini. Il semble plus facile d’attirer des mentorés potentiels qui sont supposés comprendre les bénéfices qu’ils pourront tirer d’un accompagnement. Il semble toutefois, d’après une étude

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qualitative menée par nos soins87 que la réputation de l’organisation tierce joue un rôle important dans l’attraction des participants. De plus la mission et les valeurs de l’organisation tierce doivent résonner avec les motivations altruistes des mentors. Au niveau de la sélection (Fonction n° 2) des participants (mentors et mentorés), quatre conditions semblent devoir déterminer une bonne initialisation de la relation de mentorat :

- Le mentor doit être crédible aux yeux du mentoré, il doit posséder expérience et réseau (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Cull, 2006).

- Le mentor doit posséder des compétences relationnelles, être à l’écoute, avoir de l’empathie, encourager la réflexion, et respecter son rôle (Cull, 2006 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Gravells, 2006 ; Simard et Fortin, 2008).

- Le mentoré doit également posséder des compétences relationnelles : il doit être ouvert et à l’écoute, doit avoir la capacité à se dévoiler et être en demande d’aide (Cranwell-Ward, 2004 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Fletcher et Ragins, 2007 ; Klasen, 2002 ; Lee, 2000).

- Le mentoré doit être en demande d’aide et ressentir le besoin d’être accompagné (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Gravells, 2006).

- Le mentor et le mentoré doivent être motivés et s’engager volontairement dans cette relation (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Cull, 2006 ; Gravells, 2006 ; Simard et Fortin, 2008).

L’organisation tierce peut choisir de former les participants (Fonction n° 3) afin de les préparer à la relation, de leur transmettre un cadre éthique, de leur faire comprendre leurs rôles et responsabilités et de les aider à développer les compétences relationnelles nécessaires. Des recherches ont montré que plus les mentors étaient formés plus ils étaient efficaces dans la relation et plus les mentorés pouvaient tirer un véritable enseignement de la mise en relation (St-Jean et Mitrano-Méda, 2012). 2.2 Deuxième étape : l’appariement du binôme.

L’organisation tierce est responsable de l’appariement du binôme mentor-mentoré (Fonction n° 4 : mise en relation). Elle doit trouver des moyens de les faire se rencontrer afin de favoriser l’échange humain comme suggéré par la formule des « blinds dates » de Blake-Beard, O’Neill et McGowan (2007). Celles-ci sont des rencontres sans engagement qui permettent aux participants de faire connaissance et à l’organisation tierce d’informer des conséquences de leur choix les mentors et les mentorés. Les chercheurs s’accordent pour écrire que le processus d’appariement doit être le plus transparent possible et impliquer au mieux les participants dans le choix de leur binôme (Clutterbuck et Megginson, 1999 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Hattingh, Coetzee et Schreuder, 2005 ; Houde, 1996). De plus, l’organisation tierce doit identifier et comprendre les différents critères d’appariement importants pour les entrepreneurs. Des critères d’appariement parfois paradoxaux (similarité versus complémentarité) sont relevés par plusieurs auteurs. La similarité perçue entre acteurs (en termes de secteur d’activité, de métier ou de personnalité) favorise ainsi la relation de confiance (St Jean, 2009). A l’opposé la complémentarité perçue entre les membres de binôme (différentiel d’expérience et de compétences) favorise le sentiment d’utilité de la relation. La proximité géographique peut favoriser les rencontres physiques et la disponibilité des membres du binôme peut assurer que

87 Résultats communiqués lors d’une conférence en 2012

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la relation puisse être entretenue (Cranwell-Ward, Bossons et Gover, 2004 ; Klasen et Clutterbuck, 2002 ; Klauss, 1981). Le facteur appariement est souvent mentionné sous la forme d’un sentiment ou d’un ressenti positif (feeling), d’alchimie personnelle («personal chemistry», Gravells, 2006) ou même de compatibilité personnelle (fit). Cette relation doit être basée sur la confiance (Couteret St Jean et Audet, 2006 ; Cranwell-Ward, 2004 ; Houde, 1996 ; St Jean, 2009 ; Wang et al, 2010 ; Wilson, 1990) et la confidentialité pour favoriser des échanges authentiques et efficaces. 2.3 Troisième étape : la relation de mentorat. Le suivi de la relation impose la prise de conscience au niveau de l’organisation tierce de la nécessité d’assumer certaines fonctions dans un cadre formel lisible. Le cadrage formel (Fonction n° 5) de la relation impose que soient définis les objectifs de la relation, le rôle et les attentes de chacun (Cranwell-Ward, 2004 ; Gerstein, 1985 ; Hattingh, 2005 ; Houde, 1996 ; Klauss, 1981) mais aussi la durée prévue de la relation et la fréquence des rencontres. Une fois le binôme créé, l’organisation tierce joue un rôle de suivi (Fonction n° 6), mesurant épisodiquement les résultats de la relation et la satisfaction du binôme. Elle peut ainsi éviter les dysfonctionnements potentiels et l’essoufflement de la relation (Feldmann, 1999). En cas de problème elle doit pouvoir aider à sa résolution voire entamer une procédure de séparation amiable afin d’en limiter les conséquences négatives. Elle doit s’assurer également que le cadre fixé lors de la formation des participants est bien respecté. Elle est le garant du fonctionnement éthique de la relation (ISPME, 2006). Elle peut accompagner le développement des mentors en organisant des groupes de discussion visant l’échange de meilleures pratiques (Cranwell-Ward, Bossons et Gover, 2004 ; Hattingh, Coetzee et Schreuder, 2005). 2.4 Quatrième étape : les résultats de la relation. A l’échéance de la relation l’organisation tierce a pour mission de mesurer ses résultats (Fonction n° 8). L’objectif est ici de continuellement évaluer l’efficacité de ses actions et d’améliorer son programme. Afin de garder, stimuler et attirer des mentors dans ce type de processus elle doit aussi trouver des moyens pour les reconnaître (Allen, 2007) et les mettre en valeur (Fonction n° 7). Il est possible de distinguer deux types de résultats produits par la relation de mentorat : les retombées88 dites proximales (immédiates) et les retombées distales ou les conséquences à plus long terme. Les retombées proximales pour les membres du binôme peuvent être mesurées par la satisfaction et la perception de la qualité de la relation ainsi que par le développement ou apprentissage acquis grâce à la relation. Bien qu’il soit plus difficile de mesurer les retombées distales pour les membres du binôme et les parties prenantes (l’entreprise du mentoré, le mentoré, le mentor et l’organisation tierce) il serait intéressant de pouvoir grâce à une étude longitudinale les évaluer. Pour mesurer les retombées pour l’entreprise du mentoré il faudra prendre soin de considérer de nombreuses variables de contrôle telles que l’industrie, le financement, le pays, l’expérience du mentoré dans son secteur et toutes autres variables pouvant impacter le succès d’une start-up. Cette modélisation holistique du processus de mentorat entrepreneurial va nous servir de cadre de référence pour la construction d’un outil de design et de diagnostic destiné aux praticiens du mentorat entrepreneurial.

88 Nous avons conservé le vocabulaire de St Jean (2009)

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3. Proposition d’un outil de diagnostic à l’intention des praticiens du

mentorat entrepreneurial. Un diagnostic est un processus de production de mesures (Rummle et Brache, 2005) ayant pour but d’analyser le niveau de performance atteint par certaines variables d’un système ou d’une organisation à des fins d’amélioration. Les praticiens ont recours à un processus de diagnostic lorsqu’il s’agit d’identifier les points d’excellence et les faiblesses de leurs structures ou de leurs processus d’action. Tout diagnostic a pour vocation, en référence à un état ou une norme considéré comme souhaitable, d’orienter les praticiens vers l’activation de mesures correctives dans une optique d’amélioration continue de la performance du système ou de l’organisation évaluée. Dans le cas du mentorat entrepreneurial, nous proposons d’utiliser notre recherche comme cadre pour la construction d’un tel outil de diagnostic. Le modèle présenté ci-dessus (figure 2) permet d’analyser le processus de mentorat entrepreneurial et ses principales fonctions de manière à la fois globale et détaillée. A chaque étape du processus il permet de poser des questions clefs et de fixer les bases de l’évaluation de la performance du programme analysé. Ce diagnostic va au delà de la simple évaluation de la satisfaction des participants qui a été jusque là la méthode dominante d’évaluation des programmes de mentorat. 3.1. Evaluation des fonctions de l’organisation tierce. Indicateurs et questionnements.

L’outil doit permettre en tout premier lieu d’évaluer les 8 fonctions principales (figure 2) de l’organisation tierce dans le processus de mentorat entrepreneurial :

1. Attraction des participants. 2. Sélection des participants. 3. Formation des participants au mentorat. 4. Mise en relation du binôme de mentorat. 5. Cadre donné à la relation. 6. Suivi de la relation. 7. Reconnaissance des mentors. 8. Évaluation des résultats de la relation.

L’ensemble de ces fonctions et le processus sur lequel elles sont ordonnées, constituent la base de notre grille de diagnostic. La mise en œuvre effective des fonctions est la première phase du diagnostic proposé ici. Une fois vérifiée cette mise en œuvre une phase d’évaluation est proposée. Pour chacune des fonctions nous soumettons aux responsables du programme des indicateurs d’évaluation de la performance du programme étudié. Nous avons suivi la démarche proposée par Rummler et Brache (1995) en commençant par l’identification des résultats attendus par fonction (tableau 1) et en analysant ensuite les éléments les plus critiques qui conditionnent leur performance. Pour chacun de ces éléments critiques nous proposons un indicateur simple, facilement mesurable par l’organisation tierce à des fins d’autodiagnostic. Nous proposons également de standardiser le jugement relatif au niveau atteint par ces indicateurs tout en ayant conscience d’un nécessaire affinement au cas par cas de cette tentative de normalisation.

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Tableau 1 : Indicateurs de performance des fonctions de l’organisation tierce dans le processus de mentorat Fonctions de l’organisation tierce

Résultats attendus Indicateurs

Attraction Chaque mentoré est accompagné par un mentor.

Ratio mentors/mentorés.

Sélection Chaque participant a le profil requis (voir le paragraphe 2.1).

Ratio : mentors actifs/mentors potentiels. Ratio : mentorés accompagnés/mentorés sélectionnés.

Formation Les participants comprennent la relation et y sont préparés.

Nombre d’heures de formation.

Mise en relation Les binômes sont bien accordés, la relation est satisfaisante.

Indicateur de ‘fit’ : ratio entre le nombre de relations qui ont fonctionné (arrivée à terme avec retombées proximales positives) par rapport au nombre de relation créées.

Cadre Les participants comprennent et respectent le cadre fixé.

Fréquence et qualité de communication et d’explication du cadre.

Suivi Les coordinateurs soutiennent la relation et aident à éviter les dysfonctionnements.

Fréquence des contacts entre coordinateur et participants.

Reconnaissance Les mentors se sentent reconnus et renouvellent leur participation.

Indicateur de fidélisation : mentors expérimentés / mentors.

Evaluation Les résultats sont mesurés et aident à l’amélioration du programme.

Effectivité de l’évaluation : nombre de types de résultats mesurés. Taux d’amélioration : pourcentage d’amélioration des résultats des relations mentorales d’une année sur l’autre.

3.1.1 Indicateurs d’attraction des participants. Pour mesurer la fonction d’attraction de l’organisation tierce nous avons choisi de calculer le ratio mentors/mentorés soit le nombre de mentors potentiellement disponibles par mentoré sélectionné. Un ratio supérieur ou égal à 1 indiquerait que l’organisation attire suffisamment de mentors pour accompagner les mentorés potentiels. Un ratio inférieur à 1 dénoterait un pouvoir d’attraction faible et pourrait poser problème si les mentors sont en activité professionnelle et ne disposent pas de suffisamment de temps pour accompagner plus d’un mentoré. Cet indicateur est pensé pour aider l’organisation tierce à se poser des questions sur sa stratégie de communication et de prospection de mentors. L’organisation devra en effet examiner sa réputation, sa mission, ses valeurs et la congruence entre celles-ci et les motivations des participants. Ceci lui permettra d’identifier un gap éventuel entre sa communication, sa mission et ses valeurs. L’interrogation pourra aussi porter sur la clarté de la communication de l’organisation tierce. Attire-t-elle des mentors qui souhaitent s’engager sincèrement dans cette démarche de bénévolat ?

3.1.2 Indicateurs de sélection des participants.

Les indicateurs proposés pour la fonction de sélection des participants sont : le ratio mentors utilisés / mentors potentiels et le ratio mentorés accompagnés / mentorés sélectionnés. Si ces indicateurs sont proches de 1 cela démontre que la sélection toutes choses étant égales par ailleurs a été efficace c’est à dire qu’elle a produit l’effet attendu, la plupart des mentors sélectionnés sont utilisables et la plupart des mentorés sélectionnés sont « accompagnables ». Un mentoré sélectionné mais non accompagné est le signe soit du fait que l’organisation

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tierce ne trouve pas de mentor adapté soit que le mentoré n’est pas « mentorable ». Dans les deux cas, il existe un problème de sélection soit du mentoré soit des mentors potentiels. Symétriquement deux cas de figures sont possibles si un mentor est identifié comme tel mais n’est jamais ou rarement utilisé. Soit il n’est jamais ou rarement disponible et est donc peu engagé, soit il n’est jamais ou rarement retenu par un mentoré lors de la mise en relation. Ce dernier cas témoigne d’un manque de crédibilité du mentor concerné ou de l’absence chez lui de compétence relationnelle qui lui permettrait de s’entendre avec les mentorés. Dans les deux cas un problème de sélection existe très probablement. Si le ratio « mentors utilisés / mentors potentiels » ou celui « mentorés accompagnés / mentorés sélectionnés » ne s’approche pas de 1, l’organisation tierce peut alors examiner les profils des mentors et mentorés sélectionnés et s’interroger sur ses critères de sélection. Comment l’organisation tierce identifie-t-elle les profils des potentiels participants (compétences, expériences, motivations, besoins) ? De quelles informations l’organisation tierce dispose-t-elle au sujet des participants potentiels ? Les critères de sélection sont-ils adaptés pour ce programme de mentorat ?

3.1.3 Indicateurs de préparation des participants.

Le nombre d’heures de formation à la relation d’accompagnement est un indicateur du degré de préparation des participants au mentorat. Si ce nombre d’heure est nul, il est à douter que les participants puissent bien comprendre le cadre et les objectifs de la relation ainsi que leurs rôles et responsabilités à venir. Plus le nombre d’heures sera important, plus l’organisation tierce sera assurée du fait que les participants comprennent le cadre fixé pour le programme et la relation de mentorat, les rôles et responsabilités de chacun. Plus les participants sont formés plus ils ont eu l’opportunité d’aller en profondeur sur le contenu d’une discussion mentorale et de développer les compétences nécessaires pour la mener à bien (St-Jean et Mitrano-Méda, 2012). Au delà du nombre d’heures de formation, l’organisation devra bien sûr s’interroger sur le contenu de celle-ci. Permet-elle une bonne compréhension du cadre, des objectifs et des rôles ? Donne-t-elle l’opportunité aux participants de développer les compétences nécessaires, de partager les expériences et les bonnes pratiques ?

3.1.4 Indicateurs de la qualité de la mise en relation. Pour mesurer la qualité de la mise en relation du duo mentor-mentoré nous pouvons utiliser un indicateur de « fit » (concordance entre le profil du mentor et celui du mentoré). Celui-ci peut être approché par un ratio rapportant le nombre de relations qui ont fonctionné (arrivées à terme avec des retombées proximales positives – voir partie 2.4) par rapport au nombre de relation créées. Un ratio très proche de 1 indiquera que la mise en relation est efficace, c’est à dire qu’elle a produit l’effet attendu : la création de binômes performants pour lesquels la relation de mentorat a été satisfaisante, a permis un apprentissage et a permis l’atteinte d’objectifs. Plus le ratio s’éloigne de 1, plus l’organisation devra s’interroger sur sa façon d’aborder la mise en relation du binôme. Qui crée les binômes ? Sur quels critères se base-t-on pour les apparier ? Y a-t-il adéquation entre les besoins du mentoré et les compétences du mentor ? Les participants sont-ils impliqués dans le choix du binôme ? Peuvent-ils se rencontrer sans engagement préalable ?

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3.1.5 Indicateurs de bonne mise en place du cadre de la relation.

Afin d’évaluer l’activation de la fonction de cadrage (organisation de la relation) de l’organisation tierce, nous proposons de mesurer la fréquence de communication du cadre. Il s’agit d’évaluer le nombre de fois (par quelque medium que ce soit : document formel, réunion d’information, réunion individuelle, internet) pendant la durée du programme où l’organisation tierce a communiqué sur les rôles et responsabilités des mentors et mentorés, les objectifs du programme, le cadre éthique de la relation et les règles de conduite à respecter (confidentialité, absence de lien d’intérêt par exemple). Si cette fréquence est nulle ou très proche de 0, nous pourrons considérer que le cadre même s’il existe formellement n’est pas communiqué et donc n’est pas connu des participants. Plus la fréquence sera importante plus les participants auront l’opportunité de s’en imprégner et donc de le respecter. Si cet indicateur est à un faible niveau, l’organisation tierce pourra se poser les questions suivantes : le cadre définit-il bien l’aspect éthique, les rôles et responsabilités de chacun, les objectifs, la fréquence et la durée de la relation ? Le cadre a-t-il été clairement communiqué aux participants ? Ce cadre est-il compris et partagé par tous ? Les participants ont-ils l’opportunité de s’engager formellement à suivre ce cadre et les règles de conduite qu’il impose ?

3.1.6 Indicateurs de suivi de la relation. Pour mesurer la performance de l’organisation tierce dans sa fonction de suivi, nous pouvons tenter de mesurer la fréquence des contacts entre le ou les coordinateurs du programme de mentorat (représentants l’organisation tierce) et les membres des binômes mentor-mentoré. Plus la fréquence sera élevée et l’organisation tierce aura des chances de détecter de potentiels dysfonctionnements. Si la fréquence des contacts est faible, l’organisation tierce pourra s’interroger sur l’adéquation entre le besoin de suivi et les ressources attribuées à ce suivi : y a-t-il un nombre suffisant de coordinateurs par rapport au nombre de binômes en cours d’accompagnement ? Les rôles et les responsabilités du coordinateur ont-ils été clairement définis et sont-ils réalistes par rapport à sa charge de travail ? Le coordinateur dispose-t-il d’outils de suivi ?

3.1.7 Indicateurs de reconnaissance des mentors. Afin de mesurer si l’organisation tierce reconnaît suffisamment ses mentors (dans l’optique de leur procurer un retour sur leur investissement de temps et d’énergie et de les fidéliser) nous proposons de mesurer le ratio de mentors expérimentés (c’est à dire ayant renouvelé leur mandat de mentor) par rapport au nombre total de mentors. Un mentor qui se sent reconnu et valorisé aura plus de chance de vouloir renouveler l’expérience. La reconnaissance est en effet un des bénéfices perçus par le mentor et un des facteurs impactant la volonté de mentorer (Allen, 2007). Si le ratio « mentors expérimentés / mentors » est faible ou n’augmente pas d’une année sur l’autre, l’organisation tierce pourra s’interroger sur sa façon de mettre en valeur les contributions des mentors ? Sont-ils remerciés à la fin de chaque programme ? Appréhendent-ils bien le résultat de leur contribution ? L’organisation tierce fait-elle le lien entre la réussite des mentorés et la contribution des mentors ?

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3.1.8 Indicateur d’évaluation de la performance globale du programme. Il est essentiel de mesurer ou plus généralement d’évaluer la performance d’un système ou d’un processus afin de pouvoir mieux le piloter et d’en améliorer la performance (Rummler et Brache, 1995). Une des fonctions de l’organisation tierce est donc de mettre en place un système d’évaluation du programme de mentorat afin de pouvoir améliorer le processus global et de tenter de maximiser les résultats pour les mentorés (retombées proximales et distales dans la figure 2). Deux indicateurs nous semblent possibles pour l’évaluation de cette fonction :

- Effectivité de l’évaluation : le nombre et la variété des résultats mesurés. Concernant les retombées proximales par exemple : satisfaction des participants, apprentissage constaté par les mentorés, atteinte des objectifs de la relation.

- Taux d’amélioration : le pourcentage d’amélioration des résultats mesurés, d’une

année sur l’autre suite aux améliorations entreprises sur le processus (concernant par exemple la façon de mettre les binômes en relation).

Un faible niveau constaté sur ces deux séries d’indicateurs témoignera d’une défaillance du système de contrôle du processus global de mentorat. Absence de mesure pour la première série, mesures non suivies d’effet pour la deuxième série. 3.2. Deux applications. Nous nous proposons à titre d’illustration d’appliquer notre grille d’indicateurs à deux programmes réels de mentorat entrepreneurial (tableau 2). Le diagnostic de ces deux cas très différents met en avant la diversité des pratiques dans le domaine et permet d’identifier les points d’excellence ainsi que les points d’amélioration de chaque programme sur des fonctions spécifiques de l’organisation tierce. Tableau 2 : Diagnostic de deux programmes de mentorat entrepreneurial

Fonctions Indicateurs Programme A Programme B Attraction Ratio mentors/mentorés 5/1 1/2 Sélection Ratio mentors

actifs/mentors potentiels 4/5 1/1

Ratio mentorés accompagnés/mentorés sélectionnés

1/1 3/5

Formation Nombre d’heures de formation

0 12 pour les mentors 2 pour les mentorés

Mise en relation

Indicateur de ‘fit’ 1 0,8

Cadre Fréquence de communication du cadre

Une fois par programme Six fois par programme pour les mentors

Une fois par programme pour les mentorés

Suivi Fréquence des contacts coordinateur/participants

Une fois par semaine 0

Reconnaissance Indicateur de fidélisation 0,5 0,8 Evaluation Effectivité de la

l’évaluation 1

(satisfaction des mentorés) 0

Taux d’amélioration 12% (satisfaction des mentorés)

5%

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3.2.1 Diagnostic du Programme A. Le mentoré d’abord. Le programme A est un programme d’accompagnement, sur une durée de six mois, de porteurs de projets entrepreneuriaux dans le domaine des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Les points d’excellence du programme A sont : l’attraction des mentors, un bon fit dans la mise en relation et une bonne fréquence du suivi par le tiers organisateur du programme. Ses faiblesses (points d’amélioration) résident dans une faible explicitation du cadre et une absence notoire de formation des acteurs. Le programme A se focalise sur les mentorés, en attirant un maximum de mentors offrant ainsi aux mentorés un choix large de mentors potentiels et permettant un bon « fit ». Cependant malgré le choix d’une stratégie de multiplication des mentors potentiels par mentoré tous les mentors ne sont pas utilisés. Ceci reflèterait-il un problème de sélection ? Les mentors attirés ont-ils le profil requis pour un mentorat efficace ? Nous pourrions aussi nous interroger sur les motivations des mentors vu le fort pouvoir attractif de l’organisation A. Une faiblesse est visible au niveau de la communication du cadre aux acteurs qui ne sont ainsi pas bien préparés à la relation d’accompagnement. L’organisation A semble compenser ce manque de cadre en mettant en place un suivi très dense. Le programme est jeune (2ème promotion) et les mentors de la première vague semblent fidèles (50% des mentors actuels sont des anciens). Cependant cet indicateur étant couplé à un fort indicateur d’attraction, nous pouvons penser que la reconnaissance est effective et crée un certain degré de fidélité. L’évaluation du programme est très partielle (1 seule mesure) et seule la satisfaction des mentorés est mesurée. Se basant sur l’évaluation et les commentaires des mentorés de la première promotion, l’organisation de ce programme a mis en place un suivi plus strict pour la deuxième vague. Cette démarche a impacté positivement le résultat (taux de satisfaction) de 12%. Bien que peu développée, la fonction d’évaluation du programme A est effective mais pourrait bénéficier d’une mesure élargie des résultats (apprentissage et atteinte des objectifs) afin de mieux évaluer l’efficacité globale du programme. 3.2.2. Diagnostic du programme B. Le mentor moteur du programme. Le programme B est un programme d’accompagnement sur deux ans proposé aux entrepreneurs réunis au sein d’une pépinière d’entreprises de l’agro-alimentaire en région PACA. Les points d’excellence du programme B sont : la préparation à la relation d’accompagnement et la fréquente communication du cadre pour les mentors ainsi qu’une forte fidélité des mentors indiquant une bonne reconnaissance par le programme de leurs contributions. Ses points d’amélioration possibles résident dans la préparation et la sélection des mentorés, ainsi que dans le suivi des relations et l’évaluation du programme. Le programme B se focalise sur les mentors grâce aux clubs des mentors qui permettent une très bonne préparation de ceux-ci à la relation d’accompagnement et à la compréhension du cadre fixé. L’indicateur de fidélisation étant lui aussi élevé, il semble évident que les mentors sont satisfaits de participer à ce programme. Il apparait ici que ce sont les mentors qui font fonctionner le programme, l’organisation B ne mettant pas à la disposition du programme suffisamment de ressources pour un suivi fréquent et une évaluation correcte des relations. Ce sont les mentors qui apportent des améliorations au processus de mentorat de par leurs échanges sur les meilleures pratiques. Le programme B repose sur la bonne volonté de mentors peu nombreux qui suivent plusieurs mentorés par programme. Le faible nombre de mentors par rapport au nombre de mentorés

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ajouté à un ratio « mentorés accompagnés/mentorés sélectionnés » de 3/5 nous indique que la diversité des mentors n’est peut-être pas suffisante pour permettre d’accompagner tous les mentorés sélectionnés. L’organisation B devrait donc renforcer son pouvoir d’attraction et revoir son processus de sélection en fonction des profils pour espérer pouvoir accroître le « fit » mentor/mentoré. Conclusion Les pratiques de mentorat se développant sans réel cadre théorique robuste, nous avons voulu proposer au travers de cette communication un outil de diagnostic et un ensemble d’indicateurs pouvant aider les praticiens à évaluer la performance de leur programme de mentorat en en identifiant les fonctions critiques. Les indicateurs proposés sont simples et doivent être améliorés à l’épreuve du terrain. Ils peuvent cependant dans une première approche aider à identifier les points sur lesquels l’organisation devrait se focaliser. En dehors du pur diagnostic, le cadre de référence utilisé ici peut également être utilisé lors de la conception d’un programme de mentorat entrepreneurial. Nombre de variables doivent être prises en compte et l’organisation tierce doit prendre des décisions quant aux différentes activités à mettre en place : qui sera mentor / mentoré ? Pourquoi un programme d’accompagnement ? Pour quels résultats ? Quels sont les éléments d’affinités majeures à considérer pour une relation de mentorat entrepreneurial réussie ? Quel cadre donnons-nous à cette relation ? Qui va pouvoir faire le suivi ? Quels sont les critères d’évaluation à suggérer aux mentors et mentorés pour évaluer leur progression ? La recherche en cours peut également fournir un guide aux praticiens souhaitant concevoir un programme d’accompagnement d’entrepreneur par le mentorat. Le modèle tripartite proposé permet en effet d’envisager le processus dans sa globalité et de planifier les différentes activités de l’organisation tierce. Il permet également d’organiser les ressources nécessaires telles que le nombre de coordinateurs et de définir leur mission afin de recruter et de former les bonnes personnes. Les indicateurs proposés, s’ils sont à ce stade de l’ordre de l’expérimentation, peuvent être utiles pour la formulation des objectifs d’un programme. A terme ils ont vocation à devenir les composantes d’un tableau de bord de pilotage pour un bon management des programmes de mentorat. Annexe. Quelques liens vers des programmes de mentorat entrepreneurial en France.

Le Réseau Entreprendre : http://www.reseau-entreprendre.org L’Institut du Mentorat Entrepreneurial : www.institut-mentorat.ccip.fr France Iniative : www.france-initiative.fr Créatorat : http://www.creativa.agroparc.com Moovjee : http://www.moovjee.fr/ Le réseau EPWN : http://www.europeanpwn.net/ Le Camping : http://www.lecamping.org/

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Entrepreneuriat répété, capital organisationnel et accès au financement par capital-risque

Jean RÉDIS

ESIEE Management

Cité Descartes - BP 99 - 2 bd Blaise Pascal - 93162 Noisy-le-Grand Cedex IRGO – Equipe Entrepreneuriat & Stratégie

[email protected]

Résumé : Cet article porte sur l’existence d’éventuelles différences dans l’accès au capital-risque entre les entrepreneurs répétés (qui ont fondé plusieurs sociétés, successivement ou en parallèle) et les entrepreneurs novices (qui créent une entreprise pour la première fois). Bien que les résultats empiriques soient partagés quant à l’existence d’une surperformance des entrepreneurs répétés par rapport aux entrepreneurs novices, de nombreux exemples semblent suggérer que les entrepreneurs répétés semblent jouir d’une plus grande facilité d’accès au capital-risque. Ce paradoxe peut s’expliquer en mobilisant la théorie du capital organisationnel. L’octroi d’un financement par capital-risque se caractérise par une asymétrie d’information entre le financeur et l’entrepreneur. Pour y remédier, les solutions peuvent soit prendre une forme contractuelle, soit reposer sur la confiance entre les parties. Dans cette seconde perspective, l’expérience entrepreneuriale, en tant qu’élément de l’apprentissage entrepreneurial, constitue un atout pour l’entrepreneur répété, dans la mesure où il dispose d’avantages à la fois en termes de capital humain (expérience) et de capital social (réseau) que l’entrepreneur novice. Ce sont ces atouts qui seraient susceptibles de lui permettre d’avoir un accès privilégié au capital-risque. La revue des études empiriques tend à montrer que les entrepreneurs répétés sont privilégiés dans l’accès au financement par capital-risque. Ils bénéficient de financements plus rapides et reçoivent davantage de fonds que les entrepreneurs novices. En revanche, les résultats sont partagés quant à savoir si leurs entreprises bénéficient de meilleures valorisations que celles des entrepreneurs novices de la part des investisseurs en capital.

Mots-clés : finance entrepreneuriale ; capital-risque ; start-up ; apprentissage entrepreneurial ; capital organisationnel ; capital humain ; capital social ; entrepreneuriat répété. Abstract: This article is about the existence of potential differences in access to venture capital between serial entrepreneurs (who have founded several businesses, either one after the other or simultaneously) and new entrepreneurs (who create a business for the first time). Even though the empirical results differ regarding the serial entrepreneurs’ outperformance compared to new entrepreneurs, numerous examples seem to suggest that serial entrepreneurs have an easier access to venture capital. This paradox can be explained through organisational theory. The distribution of venture capital is characterized by an information asymmetry between the investor and the entrepreneur. This problem can either be solved through contracts or rely on a mutual confidence. If we look at the second solution, the entrepreneurial

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experience, because considered as entrepreneurial training, is an advantage for the serial entrepreneur, because he or she has both more human capital (experience) and social capital (network) than a new entrepreneur. These are advantages that can give the entrepreneur easier access to venture capital. A review of empirical studies points towards an easier access to venture capital for serial entrepreneurs. They access funds more quickly, and receive bigger sums than new entrepreneurs. But the studies are less conclusive if we look for a higher valuation of the serial entrepreneurs’ businesses compared to those of the new entrepreneurs. Key words: entrepreneurial finance ; venture capital ; start-up ; organizational capital ; human capital ; social capital ; serial entrepreneurship.

Introduction

Pour les créateurs de nouvelles entreprises, en particulier celles basées sur l’immatériel et la propriété intellectuelle, le capital-risque est une source importante de financement de l'entreprise (Hsu, 2007). Au-delà de l’apport des fonds, il est généralement admis que le fait d’être financée par le capital-risque apporte à la jeune société une certification, une professionnalisation et un suivi attentif : le capital-risque joue ainsi un rôle d’accélérateur de croissance (Denis, 2004).

Cependant, les chiffres montrent que le taux de réussite dans l’accès au financement par capital-risque est très faible (de l’ordre de 3 à 5%).89 Or, dans ce contexte de rationnement du capital, certains créateurs d’entreprises semblent avoir plus de facilités pour financer leur société : les entrepreneurs répétés, c’est-à-dire ceux qui ont créé préalablement une ou plusieurs entreprises. Par exemple, des entrepreneurs comme l’américain Jim Clark90, le duo composé du danois Janus Friis et du suédois Niklas Zennström91 ou le français Marc Simoncini92 ont multiplié les créations d’entreprises et ont à chaque fois réussi à lever des fonds auprès du capital-risque.

Ces constats interrogent, d’autant que l’éventuelle surperformance des entrepreneurs répétés par rapports aux autres n’a pas été clairement établie empiriquement : les résultats des quelques études réalisées sur ce thème sont partagés (par exemple Chambers et al., 1988 ; Kolvereid et Bullvag, 1993 ; Gompers et al., 2006).

Ceci amène à une double interrogation. Sans l’existence de preuves empiriques attestant formellement d’une meilleure performance, quelles sont les raisons qui pourraient expliquer que les entrepreneurs répétés puissent jouir d’un accès privilégié au financement par capital-risque ? Et au-delà des exemples anecdotiques précités, cet éventuel accès privilégié au financement par capital-risque est-il ou non confirmé par les études empiriques sur des échantillons statistiquement significatifs ?

89 Les études réalisées, notamment dans le contexte français, évaluent le taux de sélection (soit le pourcentage d’entreprises ou de projets d’entreprises financées par le capital-risque parmi l’ensemble des candidats) entre 1% et 10% ; notamment, Lachman (1999) l’estime entre 5% et 10% et Paolin-Gagin et Delalande (2000) entre 1% et 3%. 90 Jim Clark a fondé cinq sociétés : Silicon Graphics (fondée en 1981), Netscape Communications (1994), Healtheon (1996), myCFO (1999) et Shutterfly (1999), les trois prmeières d’entre elles ayant été introduites en Bourse. 91 Janus Friis et Niklas Zennström ont fondé, entre autres, Kazaa, un système de partage de musique, et Skype, un système de téléphonie mondial gratuit sur internet. 92 Marc Simoncini a créé notamment i-France, un portail internet, et Meetic, un site de rencontre en ligne, avec l’aide du capital-risque.

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Ainsi, cette communication a pour but de contribuer à répondre à la double question de recherche suivante. D’abord, existe-t-il dans la théorie entrepreneuriale des éléments qui permettraient d’expliquer d’éventuels atouts des entrepreneurs en série dans l’accès au financement en capital ? Ensuite, cet avantage supposé se confirme-t-il dans la pratique entrepreneuriale ?

Ce questionnement présente un intérêt pluriel, à la fois sur un plan théorique et du côté des pratiques. Au niveau théorique, la mise en perspective de la question de l’accès au financement des entrepreneurs répétés nécessite à la fois de se pencher sur le processus de sélection des dossiers par les investisseurs, mais également sur l’analyse des caractéristiques de l’entrepreneur et sur leurs conséquences en termes d’accès au financement. Du côté des investisseurs, depuis les premières schématisations du processus de sélection des dossiers (Tiejbee et Bruno, 1984), l’analyse a été enrichie, intégrant les risques de conflits d’agence entre capitaux-risqueurs et créateurs, et évaluant à cette aune les outils mis en place, grâce notamment à la théorie des signaux (Gompers et Lerner, 2000 ; Denis, 2004 ; Rédis, 2009). Du côté de l’entrepreneur, Starr et Bygrave (1991) avaient suggéré que le fait d’être entrepreneur répété apportait des atouts, mais aussi des désavantages. Depuis, la réflexion a été approfondie, grâce à la mobilisation de nouveaux champs théoriques, telles que la théorie de l’apprentissage entrepreneurial (Politis, 2005 ; Aouni et Surlémont, 2007), et la théorie du capital organisationnel, qui intègre le capital humain et le capital social de l’entrepreneur.

Sur un plan pratique, la question d’un accès au capital-risque éventuellement facilité pour les entrepreneurs répétés renvoie à des enjeux majeurs, dans la mesure où les jeunes sociétés faisant appel à ce type de financement se situent principalement dans des secteurs dans lesquels la vitesse de développement est un atout essentiel. Comme Zhang (2007) l’a montré, un accès plus rapide au capital-risque est en corrélation avec une plus forte probabilité d’accéder à la profitabilité et d’aller jusqu’à une introduction en Bourse, ainsi qu’avec une plus grande croissance de l’effectif. Par conséquent, un accès plus rapide au capital-risque pour les entrepreneurs en série peut avoir un effet substantiel sur la performance de leurs entreprises ultérieures. Par ailleurs, des différences éventuelles entre les entrepreneurs répétés et les autres quant au niveau de valorisation93 de leur société lors de l’arrivée des investisseurs sont de nature à influer sur la répartition initiale du capital et donc sur la répartition du pouvoir dans l’entreprise, ce dès l’entrée des investisseurs, et par la suite lors d’éventuels tours de table ultérieurs (Saint-Pierre, 2010).

Cette communication se présentera de la manière suivante. Dans un premier temps, partant du constat que l’entrepreneuriat répété ne constitue pas une catégorie homogène, il conviendra d’abord de définir avec précision ce concept et ses subdivisions, tels que l’entrepreneur « novice », l’entrepreneur « en série » et l’entrepreneur « en parallèle ». On cherchera aussi à évaluer l’importance de l’entrepreneuriat répété relativement à la population entrepreneuriale totale, à partir des données empiriques disponibles. Puis, les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés seront présentées, tant en termes de profils, de motivations que de performances.

On s’intéressera ensuite aux raisons théoriques susceptibles d’expliquer un accès au capital-risque plus facile pour les entrepreneurs répétés. La sélection des projets par les capitaux-risqueurs s’inscrit dans un contexte d’asymétrie d’information. Pour y remédier, des solutions d’ordre contractuelles peuvent être mises en oeuvre, mais le contexte de confiance entre l’investisseur et l’entrepreneur est également susceptible de jouer un rôle. Dans cette perspective, l’expérience entrepreneuriale, en tant qu’élément de l’apprentissage 93 La valorisation de l’entreprise correspond à sa valeur retenue suite à la négociation entre les investisseurs et l’entrepreneur. Les investisseurs utilisent plusieurs méthodes pour évaluer une société, les plus usitées étant la méthode des comparables et la méthode des cash-flows actualisés. Pour plus de développements, voir Rédis, 2008.

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entrepreneurial, permet d’accroître à la fois le capital humain et le capital social du créateur, fournissant à l’entrepreneur répété des atouts pour la levée de fonds.

Enfin, il conviendra d’examiner les résultats des études empiriques réalisées afin de constater si les entrepreneurs répétés jouissent ou non d’un accès privilégié au capital-risque. On envisagera successivement d’éventuelles différences de traitement, selon que l’entreprise ait été créée par un entrepreneur répété ou non, sur la vitesse de levée de fonds, sur les montants levés et sur les niveaux de valorisation obtenus. 1. Définitions et principales caractéristiques des entrepreneurs répétés

Dans un premier temps, il s’agira de définir le concept d’entrepreneuriat répété, qui

peut renvoyer à différentes situations entrepreneuriales, puis d’évaluer son importance relative dans la population entrepreneuriale totale. On présentera ensuite les principales caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés, puis les résultats des études empiriques consacrées à l’analyse de leur performance relative. 1.1. Définition et estimation de l’importance de l’entrepreneuriat répété

Il convient dans un premier temps de définir les notions d’entrepreneurs répétés,

multiples, en série ou en parallèle. Il n'existe pas de définition généralement acceptée (Starr et Bygrave, 1991) et une variété de définitions ont été présentées (Donckels, Dupont et Michel, 1987: Kolvereid et Bullvag, 1993; Birley et Westhead, I993; Scott et Rose, 1996: Carter, 1997: Westhead et Wright, 1998: Schaper et al., 2005).

Donckels et al. (1987, p. 48) ont proposé la définition suivante : « les entrepreneurs répétés sont des entrepreneurs qui, après avoir lancé une première entreprise, créent ou participent à la mise en place d'un (e) autre entreprise (s) ». Kolvereid et Bullvag (1993) ont adopté une définition des « créateurs d'entreprise expérimentés » : les entrepreneurs expérimentés ont créé plus d'une entreprise et sont toujours propriétaires de l'entreprise la plus récemment créée en plus de la nouvelle entreprise actuelle. Birley et Westhead (1993b, p. 40) ont donné une définition plus large des créateurs « habituels » : « ... les créateurs habituels ont créé au moins une autre entreprise avant le lancement de l’entreprise actuelle ». Hall (1995) a séparé conceptuellement les entrepreneurs habituels en deux catégories : les entrepreneurs « en série » (« serial entrepreneurs ») et les entrepreneurs « en parallèle » (« portfolio entrepreneurs »). La caractéristique qui différencie l’entrepreneur en série de l’entrepreneur en parallèle est la temporalité de la propriété des entreprises, à savoir si deux entreprises (ou plus) sont gérées en même temps. L’entrepreneur en série lance toujours une affaire après l’autre, tandis que l’entrepreneur en parallèle possède plusieurs affaires en même temps. S'appuyant sur la définition de Hall (1995), Westhead et Wright (1998) ont suggéré qu’un entrepreneur « habituel » est un individu qui a lancé, hérité ou acheté plus d'une entreprise, tandis que l’entrepreneur en série est une personne qui a vendu ou fermé son entreprise d'origine, mais qui à une date ultérieure a hérité, créé ou acquis une autre entreprise. Les entrepreneurs en parallèle ont été définis comme les individus qui possèdent deux entreprises ou plus en même temps. Schaper et al. (2005) notent cependant que, dans les différents travaux de recherche ayant porté sur l’entrepreneuriat répété, ces deux catégories se chevauchent fréquemment.

Les entrepreneurs répétés sont souvent opposés aux entrepreneurs « novices ». Cette catégorie, qui constitue la plus grande partie des entrepreneurs, comprend les créateurs d’entreprise qui n’ont pas d’expérience antérieure de création ou de gestion d’une entreprise (Westhead et al., 2003).

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Schéma n°1 Typologie des entrepreneurs

L’entrepreneur… A créé une seule entreprise

A créé plusieurs entreprises

Ne possède qu’une entreprise à la fois

Entrepreneur novice (Novice entrepreneur)

Entrepreneur en série (Serial entrepreneur)

Possède plusieurs entreprises simultanément

Entrepreneur en parallèle (Portfolio entrepreneur)

Entrepreneurs répétés

(ou habituels) Source : auteur (Habitual entrepreneurs)

On peut donc proposer le schéma suivant (Schéma n°1). Les entrepreneurs novices

n’ont jamais créé d’entreprise avant l’entreprise actuelle, contrairement aux entrepreneurs habituels ou répétés, qui disposent déjà de l’expérience du lancement d’une ou de plusieurs sociétés. Les entrepreneurs répétés se partagent entre les entrepreneurs en série (qui ne possèdent jamais plusieurs entreprises en même temps) et les entrepreneurs en parallèle (qui possèdent en même temps deux entreprises ou plus).

En raison du développement encore insuffisant de la connaissance en démographie entrepreneuriale, les estimations de la proportion d’entrepreneurs habituels parmi l’ensemble de la population entrepreneuriale sont parcellaires. Birley et Westhead (1993b), qui ont examiné les études ayant porté sur les créateurs d’entreprises au Royaume-Uni94, ont noté que la proportion de nouvelles entreprises fondées par des entrepreneurs habituels variait de 12% à 36%. Des études portant sur les Etats-Unis ont également suggéré que le phénomène de l’entrepreneuriat répété est répandu. Dans une étude menée dans le sud de la Californie, Schollhammer (1991) a trouvé que 51% des entrepreneurs interrogés avaient contribué à l'ouverture de deux entreprises ou plus. Gompers et al. (2006) ont estimé la proportion de sociétés créées par des entrepreneurs en série dans le total des entreprises financées par le capital-risque aux Etats-Unis de 1975 à 2000. Les entrepreneurs en série représentent une fraction significative de l'échantillon, passant d'environ 7% en 1986 à un pic de 13-14% en 1994, puis diminuant ensuite après 1994, probablement en raison de l'afflux d’entrepreneurs novices dans le cadre du boom de l'Internet. En Australie, Schaper et al. (2005), dans une étude portant sur un échantillon de 199 micro-entreprises de Nouvelles-Galles du Sud, ont trouvé une proportion d’entrepreneurs habituels de 26%. D’après ces différentes études, l’entrepreneuriat habituel apparait comme un phénomène significativement répandu. Il convient maintenant d’examiner les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés. 1.2. Les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés

A partir de données portant sur la Grande-Bretagne, Westhead et Wright et leur équipe

ont comparé les créateurs novices et les entrepreneurs habituels sur de nombreuses dimensions telles que les caractéristiques démographiques, les antécédents et les motivations, les compétences et les connaissances, les attitudes face à l'entrepreneuriat, les capacités organisationnelles, le secteur industriel d’origine et la performance des entreprises (Birley et

94 Selon les travaux, les études ont porté sur l’ensemble du pays ou sur certaines régions seulement.

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Westhead, 1994; Westhead et Wright, 1998; Westhead et al, 2005; Wright et al, 1997). Carland et al. (2000) ont travaillé sur les entrepreneurs des États-Unis pour étudier les différences démographiques et psychologiques entre entrepreneurs novices et habituels. Schaper et al. (2005) ont examiné les différences portant sur les caractéristiques personnelles et les entreprises entre créateurs débutants et expérimentés en utilisant les données australiennes. Kolvereid et Bullvag (1993) ont travaillé sur un échantillon de 250 entrepreneurs norvégiens mêlant novices et expérimentés. Ces différents travaux ont permis d’en apprendre davantage sur les caractéristiques des entrepreneurs habituels.

Il ressort de ces différents travaux que la plupart des entrepreneurs habituels sont des hommes, qu’ils tendent à avoir un niveau d’éducation plus élevé que les entrepreneurs novices et sont susceptibles de lancer leur première entreprise à un âge plus précoce que les créateurs novices (Kolvereid et Bullvag, 1993 ; Westhead et Wright, 1998). Les résultats de l’étude de Schaper et al. (2005) ont confirmé ces éléments et ont de plus montré que les entrepreneurs en série ont tendance, assez logiquement, à être légèrement plus âgés que la moyenne des entrepreneurs.

Cependant, beaucoup des caractéristiques des entrepreneurs répétés semblent très hétérogènes et assez variables dans le temps. Il apparaît qu’ils n’ont pas toujours tendance à créer leurs différentes entreprises dans le même secteur industriel (Wright, Robbie et Ennew, 1997) et que leurs motivations, le type d’entreprise qu’ils lancent et leur façon de gérer peuvent dans les faits varier significativement entre leur première création d’entreprise et les suivantes (Wright, Westhead et Sohl, 1998). Les considérations d’environnement et le cadre contextuel, tels que la localisation géographique et le stade de développement de l’entreprise, sont des éléments qui semblent avoir un impact sur l’entrepreneuriat répété (Wright, Westhead et Sohl, 1998).

Pour ce qui est des motivations, celles qui mènent à l’entrepreneuriat répété peuvent être très diverses et inclure le désir d’indépendance, la volonté d’accéder à la sécurité financière, un certain « sentiment d’excitation » (Westhead et Wright, 1998), le sens du devoir et le désir d’apporter une contribution à une communauté locale (Rosa, 1998). Les motivations citées par les entrepreneurs habituels pour créer des entreprises ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agisse d’une première création ou d’une création ultérieure. La motivation du gain financier, en particulier, semble être moins importante pour les entrepreneurs habituels lors du lancement d’une seconde entreprise. En outre, les créateurs d’une seconde entreprise souhaitent généralement qu’elle soit moins risquée que la première. Le désir ou le besoin de travailler en autonomie et de construire une organisation plus importante sont, cependant, fréquemment cités par les entrepreneurs répétés (Wright et al, 1997).

Les études empiriques montrent également que les entrepreneurs répétés qui ont réussi et se sont ainsi construit une bonne réputation sont réticents à participer à des projets qui pourraient porter atteinte à leur statut dans la communauté des affaires. En outre, les entrepreneurs habituels sont moins enclins à investir leurs propres ressources dans des entreprises risquées. Prises ensemble, ces observations suggèrent que de nombreux entrepreneurs habituels deviendraient adverses au risque au fil du temps (Wright, Westhead et Sohl, 1998). 1.3 La performance des entrepreneurs répétés : des résultats contrastés

Pour ce qui est de la performance relative des entrepreneurs répétés et novices, les résultats des différentes études empiriques réalisées sont partagés. Chambers et al. (1988) ont examiné la performance de 100 nouvelles entreprises dans le sud du Michigan et ont constaté que l'expérience antérieure de création de l'équipe fondatrice n'aide pas, même si l'expérience

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antérieure de gestion a un effet positif. Kolvereid et Bullvag (1993) ont comparé la performance de 250 entrepreneurs norvégiens mêlant novices et expérimentés. Ils trouvent que les entrepreneurs expérimentés sont plus débrouillards, ont tendance à s'impliquer dans un environnement commercial plus concurrentiel, mais ne montrent aucune différence en termes de performances. De la même manière, la plupart des autres études consacrées au sujet concluent à une absence de lien entre entrepreneuriat répété et performance de l’entreprise (Bruderl et al., 1992 ; Marino et De Noble, 1997 ; Shane et Stuart ; 2002 ; Baptista et al., 2007). En revanche, Gompers et al. (2006), qui ont cherché à mesurer l’influence des compétences entrepreneuriales en examinant la performance des entreprises créées par des entrepreneurs en série et financées par le capital-risque aux Etats-Unis, obtiennent des résultats différents. Leur étude visait à répondre à la question suivante : les entrepreneurs qui ont connu un succès par le passé ont-ils plus de chances de réussir dans leurs entreprises ultérieures que les entrepreneurs novices ou que les créateurs qui ont déjà entrepris et échoué? Leur conclusion est positive. Leurs résultats empiriques indiquent que les entrepreneurs qui ont réussi dans une entreprise précédente (par exemple, ceux qui ont lancé une société qui est allée jusqu’à une introduction en Bourse) ont 30% de chances de réussir dans leur future entreprise, alors que les entrepreneurs novices n’ont que 18% de chances de réussir et les entrepreneurs qui ont échoué précédemment n’en ont que 20%. L’influence positive de l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise a également été mise en évidence par Shepherd et al. (2000).

Tableau n°1

L’influence de l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise : une synthèse des résultats des études empiriques réalisées

Auteurs

Pays

Influence de l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise

Chambers et al. (1988) Bruderl et al. (1992) Kolvereid et Bullvag (1993) Marino et De Noble (1997) Shepherd et al. (2000) Shane et Stuart (2002) Gompers et al. (2006) Baptista et al. (2007)

Etats-Unis Etats-Unis Norvège

Etats-Unis Etats-Unis Etats-Unis Etats-Unis Portugal

Non Non Non Non Oui Non Oui Non

Source : synthèse réalisée par l’auteur.

Cette section a permis de définir l’entrepreneuriat répété, d’évaluer l’importance relative de ce phénomène et d’identifier les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés. Une revue des travaux empiriques relatifs à la comparaison de la performance entre entrepreneurs novices et répétés a été présentée. Or, il apparaît que l’influence de l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise n’est pas établie dans la grande majorité des travaux recensés. Ceci pose donc question : si ce n’est pas en raison de meilleures performances antérieures avérées, pourquoi les entrepreneurs répétés pourraient-il bénéficier d’un meilleur accès aux capitaux ? Nous allons, dans le cadre d’une deuxième section, tenter de répondre à cette interrogation par une mise en perspective théorique, en mobilisant notamment la théorie du capital organisationnel.

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2. Les causes susceptibles d’expliquer un accès au capital-risque plus facile pour les entrepreneurs répétés : l’apport de la théorie du capital organisationnel

Afin de chercher à expliquer le paradoxe précédemment évoqué (un accès au

financement par capital-risque facilité pour les entrepreneurs répétés par rapport aux entrepreneurs novices, sans que cela ne corresponde à des différences de performances en pratique), il convient d’abord de revenir aux fondements du processus de décision des investisseurs. Dans cette perspective, on rappellera d’abord que la sélection des projets par les capitaux-risqueurs s’inscrit dans un contexte d’asymétrie d’information. Pour y remédier, comme nous l’établirons ensuite, les solutions peuvent soit prendre une forme contractuelle (définition du contrat d’investissement, financement graduel…), soit reposer sur la confiance entre investisseurs et entrepreneurs. Or, en s’inscrivant dans cette approche, l’entrepreneur en série peut être favorisé, comme nous l’analyserons enfin. En effet, l’entrepreneuriat répété, qui constitue une des formes de l’apprentissage entrepreneurial, apporte au créateur en série un supplément de capital humain et de capital social, censés lui donner des atouts pour la levée de fonds.

2.1. Le processus de décision d'investissement des capitaux-risqueurs

Afin de mieux comprendre les atouts dont peuvent disposer les entrepreneurs répétés dans l’accès au financement, il convient d’abord de remettre en perspective le processus de la levée de fonds et les enjeux de l’investisseur. A cette fin, nous analyserons dans un premier temps le phénomène d’asymétrie d’information qui existe entre investisseurs et entrepreneurs, avant d’examiner les solutions possibles pour y remédier : celles de nature contractuelle, puis celles qui reposent sur la confiance entre les parties. 2.1.1. Un problème fondamental d’asymétrie d’information

Les contraintes d’accès au capital financier que rencontrent les entrepreneurs sont bien établies (Evans et Leighton, 1989), en particulier pour les jeunes entreprises technologiques dans lesquelles l’actif principal repose sur la propriété intellectuelle, et pour lesquelles des fonds importants sont nécessaires pour financer la mise sur le marché d’un produit ou d’un service (Hsu, 2007). Le processus de sélection des projets utilisé par les capitaux-risqueurs a fait l’objet de nombreuses recherches. Shepherd et Zacharakis (1999) ont fait une revue critique de ces travaux, qui met en évidence l'importance que les investisseurs accordent aux capacités de l'équipe fondatrice, que ce soit leurs compétences en gestion (Tyebjee et Bruno, 1981, 1984), les antécédents des créateurs (Hutt et Thomas, 1985), leur connaissance du marché (MacMillan et al., 1987), ou les traits généraux des entrepreneurs (Hisrich et Jankowitz, 1990). Les investisseurs ont naturellement tendance à financer les entrepreneurs qui semblent avoir le plus de compétences.

Bien que ces recherches aient porté principalement sur l’identification des critères discriminants permettant d’expliquer ce qui différencie les entrepreneurs qui réussissent à obtenir des fonds et ceux qui y échouent, le processus d'investissement du capital-risque ne s’arrête pas là. Ce processus consiste en réalité en une série de décisions. Les capitaux-risqueurs doivent non seulement choisir les entrepreneurs et les projets qu’ils vont financer, mais ils ont également à décider du moment auquel réaliser l'investissement initial, du calendrier des tours de table ultérieurs, et du montant à investir dans chaque tour (Hsu, 2007).

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Au centre de cette série de décisions d'investissement des capitaux-risqueurs se situe un problème d'asymétrie d'information entre l'entrepreneur et les investisseurs (Leland et Pyle, 1977; Amit et al, 1990;. Fried et Hisrich, 1994; Gompers, 1995; Shane et Cable, 2002). Le problème fondamental est le suivant : bien que les capitaux-risqueurs souhaitent fonder leurs décisions sur la qualité de l'entrepreneur, et bien qu’ils utilisent tous les moyens possibles pour recueillir des informations pertinentes au cours du processus de sélection, il n'est jamais possible d'en connaître autant sur l'entrepreneur que ce dernier en sait sur lui-même95. Ce problème d'asymétrie d'information ne va donc pas porter seulement sur le choix des personnes ou des projets que les investisseurs vont financer, mais déterminera également le rythme auquel ils investiront et les montants qu’ils apporteront.

Une première réponse à ce problème d’asymétrie de l’information peut prendre une forme contractuelle.

2.1.2. Une première réponse : l’approche contractuelle

Pour surmonter ce problème d’asymétrie d’information, la littérature en finance entrepreneuriale met l'accent sur plusieurs types de solutions d’ordre contractuel, notamment la définition du contrat de financement, le type de titres utilisés et le financement graduel (Gompers et Lerner, 2000; Kaplan et Stromberg, 2001, 2003 et 2004 ; Shane et Cable, 2002 ; Denis, 2004).

En premier lieu, la définition du contrat de financement a pour but de répondre à cet objectif. Les investisseurs intègrent souvent des clauses spécifiques pour se prémunir d’un éventuel comportement opportuniste du créateur. En particulier, les droits de vote, les droits aux flux financiers et les autres droits sont souvent conditionnés à des mesures de performance (financière et non financière). Les capitaux-risqueurs pourront obtenir le contrôle total de l’entreprise si celle-ci ne réalise pas la performance attendue. Les contrats d'investissement contiennent également des clauses permettant de partager les risques entre entrepreneurs et financeurs96. Kaplan et Strömberg (2003) ont montré empiriquement que les caractéristiques des contrats de financement correspondaient à ce que les théories prédisaient.

Ensuite, le choix des instruments de financement utilisés vise également à répondre au problème d’asymétrie d’information. Ainsi, le financement par actions privilégiées est préférable au financement par dette dans les contextes d’asymétrie d’information : Trester (1998) montre que le financement par actions privilégiées est davantage utilisé lors des premiers stades de développement (au cours desquels l’asymétrie d’information est très élevée) alors que le financement par dette sera utilisé lors des stades de développement plus tardifs (au cours desquels l’asymétrie d’information sera plus faible). Plusieurs recherches ont également cherché à expliquer l’usage du financement convertible. Cornelli et Yosha (2000) ont montré que ce type de financement permettait à l’investisseur de se prémunir contre les comportements éventuellement opportunistes de l’entrepreneur.

Enfin, la pratique généralisée de l'investissement graduel par les capitaux-risqueurs a aussi pour but de répondre au problème d’asymétrie de l’information (Gompers et Lerner, 2000). Les investisseurs prennent presque toujours les décisions d'investissement étape par étape : ils ne fournissent initialement qu’un montant minimal à une société, et conditionnent 95 Par exemple, les investisseurs ne connaissent généralement pas de façon certaine le niveau de compétence de l'entrepreneur en matière de gestion. De plus, il n’est pas sûr qu’ils soient en mesure de comprendre pleinement la technologie sur laquelle l'entrepreneur fonde son projet d’entreprise. En outre, ils n'ont aucun moyen de vérifier l'évaluation que fait l'entrepreneur des opportunités de marché. Enfin ils ne peuvent pas prédire l’intensité de l’effort que produira l'entrepreneur dans la création et le développement de son entreprise. 96 Dans ce contexte, de nombreux travaux ont eu pour objet de déterminer le contrat de financement optimal (Admati et Pfeiderer, 1994 ; Barney et al., 1994 ; Bergemann et Hege, 1998 ; Black et Gilson, 1998 ; Kaplan et Strömberg, 2001 ; Cumming, 2002 ;…).

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leurs décisions d'investissement ultérieures aux performances de cette entreprise, de manière à évaluer la capacité de l'entrepreneur et la viabilité de son plan d’affaires au fil du temps, se réservant également le droit de mettre fin à l'investissement dans le cas où un objectif de rendement ne serait pas atteint.

Néanmoins, à côté des solutions contractuelles, une autre réponse à l’asymétrie de l’information peut résider dans l’approche par la confiance.

2.1.3. Une seconde réponse : l’approche par la confiance

Une autre manière d’atténuer ce problème d'asymétrie de l'information réside dans l’intégration sociale de l’entrepreneur (Shane et Cable, 2002), inspiré par les travaux de Granovetter (1985), développés initialement en sociologie économique. L'idée principale est que les décisions économiques, dont fait partie l'investissement en capital-risque, ne se déroulent pas isolément d’un contexte, mais sont au contraire intégrées dans un environnement social. En particulier, les relations personnelles des entrepreneurs peuvent avoir une influence sur l’obtention des financements, sur la rapidité avec laquelle les créateurs obtiennent des fonds et sur les montants qu’ils peuvent lever. Des liens sociaux communs permettent le transfert d’informations entre les investisseurs et l'entrepreneur. De plus, si l'entrepreneur commet un acte qui pourrait nuire aux intérêts du capital-risqueur, il doit prendre en compte la possibilité de perdre la confiance de nombreuses autres personnes faisant partie du même réseau social. Par conséquent, ces connexions sociales mutuelles sont en mesure de renforcer significativement la confiance des investisseurs en capital-risque envers le chef d'entreprise (Wiklund et Shepherd, 2008).

Afin de mieux comprendre dans cette perspective les atouts supposés des entrepreneurs répétés dans l’accès au capital-risque, il convient d’analyser l’influence du capital organisationnel de l’entrepreneur. 2.2. L’influence du capital organisationnel de l’entrepreneur

L’entrepreneuriat peut être vu soit comme un processus ou soit comme un phénomène (Verstraete et Fayolle, 2004). Dans une vision processuelle, l’entrepreneuriat consiste en la découverte d'opportunités d’affaires et dans leur exploitation (Shane et Venkataraman, 2000). Afin d'exploiter une opportunité une fois qu'elle a été mise en évidence, l’entrepreneur doit assembler les ressources nécessaires pour exploiter cette opportunité et trouver un moyen d'organiser ces ressources, afin d'extraire de la valeur de l'opportunité, ce qui implique à la fois d’avoir accès à ces ressources pour générer des rentes associées à une opportunité de marché, et de le faire d'une manière qui permette à l'acteur économique de s'approprier au moins une partie des rentes qui ont été générées (Alvarez et Barney, 2004 ; Alvarez et Busenitz, 2001). Parmi les ressources dont dispose l’entrepreneur figurent son capital humain et son capital social. Or, la représentation de l’entrepreneuriat en tant que processus s’inscrit dans une approche comportementaliste ou béhavioriste (Gartner, 1988). Dans cette vision, l’entrepreneuriat est perçu comme étant de nature évolutive, excluant la stabilité du comportement de l’entrepreneur dans le temps. Dans cette perspective on peut envisager l’entrepreneuriat comme étant un processus d’apprentissage dynamique au cours duquel les individus acquièrent de manière continue des compétences et des connaissances nécessaires pour réussir dans le processus entrepreneurial (Cope, 2005). On analysera en premier lieu comment l’expérience entrepreneuriale constitue l’un des éléments de l’apprentissage entrepreneurial. On examinera ensuite en quoi l’expérience entrepreneuriale peut accroître d’une part le capital humain et d’autre part le capital social du créateur, lui donnant des atouts supplémentaires pour sa recherche de financement.

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2.2.1. L’entrepreneuriat répété : un élément de l’apprentissage entrepreneurial

Selon Minniti et Bygrave (2001), l’apprentissage entrepreneurial correspond à un processus continu et cumulatif au sens où ce qui est appris à une période vient s’ajouter à ce qui a été appris à une période précédente. Ainsi, chaque individu entre dans le processus entrepreneurial avec un « stock de connaissances » subjectif qui est conditionné par ses connaissances préalables (Aouni et Surlémont, 2007). Harvey et Evens (1995) ont proposé le concept de « degré de préparation entrepreneuriale » qui renvoie aux habiletés et capacités apportées par l’entrepreneur au processus entrepreneurial et qui conditionne la façon avec laquelle il perçoit et expérimente l’apprentissage durant le processus entrepreneurial (Cope, 2005). Les connaissances acquises à partir d’expériences préalables ont de ce fait une capacité d’auto-renforcement qui permet au processus d’apprentissage de se régénérer au fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles connaissances (Aouni et Surlémont, 2007).

Selon Politis (2005), le type d’expérience préalable conditionne le type de compétences entrepreneuriales développées et influence ainsi le niveau de préparation entrepreneuriale des individus. Cet auteur a identifié trois types d’expériences professionnelles pouvant être transformées en connaissances utiles pour l’identification et l’exploitation de l’opportunité : les expériences entrepreneuriales préalables, les expériences managériales et les expériences dans le secteur d’activité concerné. L’expérience managériale permet d’acquérir les capacités entrepreneuriales permettant de faire face aux contraintes relatives à la nouveauté telles que la capacité de négociation, la capacité de prise de décision, de l’organisation, de la communication, etc. Ensuite, l’expérience dans le secteur d’activité permet de réduire les incertitudes reliées au projet, au marché et à la technologie. Enfin, l’expérience entrepreneuriale est reconnue pour permettre l’acquisition de connaissances tacites et pour faciliter la prise de décision dans un contexte d’incertitude et de pression, alors que l’expérience managériale permet de faciliter l’accès à l’information prioritaire pouvant servir pour reconnaitre l’opportunité (Aouni et Surlémont, 2007).

Ainsi, le type d’expérience que l’entrepreneur aura vécu avant de s’engager dans le processus entrepreneurial influencera le type de compétences et d’habiletés qui composent son stock de connaissances. Nous allons examiner en quoi l’expérience entrepreneuriale permet d’accroître le capital humain et le capital social du créateur, et ainsi d’améliorer ses perspectives en matière de levée de fonds.

2.2.2. Une amélioration du capital humain de l’entrepreneur

La théorie du capital humain postule que les individus qui disposent de davantage de capital humain, ou d’un capital humain de meilleure qualité, parviennent à de meilleures performances dans l'exécution de tâches données (Becker 1975). Dans un contexte entrepreneurial, le capital humain fait référence aux connaissances et compétences qui permettent de s'engager avec succès dans de nouvelles créations (Davidsson et Honig, 2003, Snell et Dean, 1992). Le capital humain est composé à la fois de capital humain générique et de capital humain spécifique.

Le capital humain générique consiste en des connaissances, des compétences, et une capacité à régler des problèmes qui sont transférables à des situations différentes. Le capital humain général correspond typiquement à l'éducation (Rauch et Frese, 2000). Dans un contexte entrepreneurial, le capital humain général est précieux parce qu'il facilite l'intégration et l'accumulation de nouvelles connaissances, fournissant aux créateurs une large palette d'opportunités qui les aident à s'adapter à de nouvelles situations (Gimeno, Folta, Cooper et Woo, 1997).

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Alors que le capital humain générique est généralisable indépendamment des contextes, le capital humain spécifique ne l’est pas. Dans un contexte entrepreneurial, le capital humain spécifique fait référence à l'éducation, à la formation et à l'expérience qui seront valables dans des activités entrepreneuriales, mais qui auront peu d'applications en dehors de ce domaine (Becker, 1975; Gimeno et al., 1997). Dans la littérature entrepreneuriale, la composante du capital humain spécifique qui a fait l'objet de plus grand nombre de travaux est l'expérience de création antérieure (Carter, Williams et Reynolds, 1997; Florin, Lubatskin et Schulze, 2003 ; Stuart et Abetti, 1990).

L'expérience dont dispose les entrepreneurs répétés leur apporte une expertise en gestion d'entreprise (Wright, Robbie et Ennew, 1997) et leur donne des références pour juger de la pertinence de l'information (Cooper, Folta et Woo, 1995) qui peuvent leur permettre d’avoir une meilleure compréhension de la valeur réelle des opportunités de nouveaux projets de création d’entreprises, d’accélérer le processus de création d'entreprises et d’améliorer la performance (Davidsson et Honig, 2003).

2.2.3. Un accroissement du capital social de l’entrepreneur

Le comportement économique, tel que l’activité entrepreneuriale, est contingent à des réseaux de relations interpersonnelles, qui forment la base du capital social d'un individu (Coleman, 1988; Granovetter, 1985). Ces réseaux se définissent par un ensemble d'acteurs (individus et organisations) et par un ensemble de liens entre eux (Hoang et Antoncic, 2003). Selon Lin et al. (1981), le capital social peut être considéré comme une ressource liée à un réseau relationnel. Les réseaux sociaux sont présentés par la famille, la communauté et les relations organisationnelles. La théorie du capital social se réfère alors à la capacité des acteurs à extraire des ressources de leurs réseaux sociaux (Lin et al., 1981).

D’un point de vue entrepreneurial, le capital social désigne l’ensemble des relations interpersonnelles et inter-organisationnelles à travers lesquelles les entrepreneurs ont accès à une variété de ressources nécessaires pour la découverte et l’exploitation de l’opportunité d’affaire ainsi que la réussite de l’entreprise (Davidsson et Honig, 2003; Wiklund et Shepherd, 2008). Le capital social est généralement représenté par les relations entre les réseaux, la force des liens, la fréquence des réunions, et les relations familiales et sociales. Le réseau relationnel représente les liens possibles au niveau personnel ou organisationnel. Ces liens peuvent être directs ou indirects et présenter des intensités variables. Dans ce contexte, l’amitié et la confiance sont particulièrement importantes pour faciliter le transfert des informations et des savoirs qui sont coûteux à obtenir par d’autres moyens (Wiklund et Shepherd, 2008). Ils créent des opportunités pour l’échange de biens et services qui sont difficiles à obtenir par l’engagement contractuel. En particulier, les créateurs utilisent leurs contacts pour accéder aux ressources et favoriser le déroulement du processus de création (Wiklund et Shepherd, 2008).

Le rôle du capital social sur l'acquisition de ressources par la jeune entreprise a également été explicitement mis en évidence. Fried et Hisrich (1994) ont montré que, les investisseurs recevant tellement de plans d'affaires de société à financer, les liens sociaux jouent un rôle important dans la détermination de celles qui seront financées. Ces résultats laissent entrevoir un processus par lequel les investisseurs ont tendance à financer les entrepreneurs dont ils entendent parler, soit par les créateurs des autres sociétés qui sont déjà dans leurs portefeuilles, soit par leurs collègues investisseurs, leurs amis proches ou leur famille. A partir d’une étude sur 202 investisseurs de capital-risque en phase d'amorçage, Shane et Cable (2002) ont constaté que les liens, directs et indirects, entre entrepreneurs et investisseurs ont une incidence sur la sélection des projets à financer. En outre, Shane et Stuart (2002) ont constaté que les entrepreneurs munis d’un capital social (consistant en des

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liens directs ou indirects pré-existants avec les investisseurs en capital risque) bénéficient d'une plus forte probabilité de recevoir un financement lors des premiers stades de la vie de l’entreprise.

Ainsi, l’expérience entrepreneuriale est censée accroître à la fois le capital humain et le capital social d’un entrepreneur, dans la perspective de l’apprentissage entrepreneurial. Il convient maintenant de détailler les atouts dont les entrepreneurs répétés sont censés disposés dans l’accès au capital-risque.

2.3. Les atouts présumés des entrepreneurs répétés dans la levée de fonds

En raison de ces caractéristiques du processus d'investissement du capital-risque, il y a des raisons de croire que les créateurs expérimentés ont des avantages par rapport aux créateurs novices. Une expérience de création préalable peut avoir aidé l'entrepreneur à établir des connexions avec des capitaux-risqueurs, ce qui peut à la fois faciliter l’obtention d’un financement et lui permettre d’obtenir une meilleure valorisation.

2.3.1. Les atouts des entrepreneurs répétés dans l’obtention des financements

D’après Hsu (2007), le capital social doit être considéré comme une ressource dont la

quantité peut augmenter ou diminuer en fonction des actions et des décisions des individus. Le capital social, entendu comme un ensemble de relations entre des individus, peut augmenter ou diminuer de manière dynamique. Ainsi, une expérience antérieure de création d’entreprise donne à un entrepreneur l’occasion d’avoir connu un large éventail de personnes, incluant des financeurs (comme des banquiers, des capitaux-risqueurs et des business angels), des professionnels (des comptables, des consultants, des avocats et des spécialistes en ressources humaines), des fournisseurs ou des clients. Les connexions avec ces personnes, établies lors de l'expérience de création précédente, augmentent le « stock » de capital social de l'entrepreneur. Certaines de ces connexions, même si elles ne correspondent qu’à des liens faibles ou indirects, pourront devenir utiles à l'avenir lorsque l'entrepreneur créera une nouvelle entreprise.

En particulier, le fait d’avoir préalablement créé une société financée par le capital-risque renforce les liens mis en place par l’entrepreneur avec le milieu des investisseurs, vu que l’investissement en capital-risque se caractérise généralement par une interaction sociale au sein de zones géographiquement délimitées (Sorenson et Stuart, 2001). Cette interaction sociale, qui englobe aussi les clubs communautaires entrepreneuriaux, les événements et les médias spécialisés, peut servir de moyen par lequel l'information sur l'existence et la qualité des entrepreneurs est communiquée aux investisseurs.

Ainsi, les entrepreneurs qui bénéficient de l'expérience d’une création d’entreprise antérieure devraient avoir tendance à disposer de davantage de capital humain et de capital social. On s’attend donc à ce qu’ils aient un avantage sur les entrepreneurs novices dans le processus d'acquisition de ressources. En outre, l'importance du capital organisationnel des nouvelles entreprises dans l'accès au capital-risque peut être subordonnée à la réussite de l'expérience de création antérieure des fondateurs. Les entrepreneurs qui disposent d’une expérience de création réussie sont susceptibles d'envoyer un signal plus clair de leur qualité entrepreneuriale (Spence, 1974). Ces signaux générés par des créations d’entreprises antérieures à forte valeur peuvent être particulièrement importants pour les entrepreneurs opérant dans les industries émergentes (dans lesquelles les ingrédients nécessaires à la réussite du projet peuvent être moins faciles à déceler par rapport en comparaison avec des industries plus mûres).

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Les entrepreneurs en série sont également censés bénéficier d’avantage en termes de valorisation de l’entreprise.

2.3.2. Les atouts des entrepreneurs répétés pour la valorisation de l’entreprise

Les entrepreneurs répétés sont également supposés bénéficier d’atouts pour ce qui est de la valorisation de leur entreprise.

- Une meilleure position dans la négociation financière Les entrepreneurs ayant une expérience de création antérieure sont censés être dans

une meilleure position de négociation pour ce qui est de la valorisation de l’entreprise, car ils sont susceptibles d'avoir appris davantage de leur expérience préalable. En revanche, les créateurs novices peuvent ne pas être aussi habiles à négocier avec les investisseurs, notamment pour ce qui tient de l'évaluation de l’entreprise, car ils ne sont pas familiers des processus de négociation. Cette asymétrie de pouvoir est exacerbée dans les négociations sur l'évaluation de nouvelles entreprises en raison de l'incertitude concernant la performance probable de l'équipe entrepreneuriale dans l'entreprise actuelle. De plus, l’entrepreneur en série qui a connu la réussite a les moyens d'attendre de se voir proposer des conditions de valorisation plus favorables (Hsu, 2007).

- Un effet de signalisation Par ailleurs, la réussite d’une entreprise préalablement créée joue aussi le rôle de

signal vis-à-vis des capitaux-risqueurs, leur indiquant que le créateur habituel qui a connu le succès est plus susceptible d'avoir une forte capacité entrepreneuriale. Une réussite antérieure signale également que le créateur dispose de contacts utiles dans son réseau social - comme des clients fidèles ou des fournisseurs – qui peuvent favoriser la réussite de la nouvelle entreprise. Les entrepreneurs expérimentés peuvent donc se voir proposer des valorisations plus élevées en raison du risque réduit de défaillance du point de vue des investisseurs, en particulier à partir du moment où les entrepreneurs expérimentés sont plus susceptibles d'être sensibles à la protection de leur réputation entrepreneuriale spécifique.

- Une prime de « courtage inter-organisationnelle » réduite A côté du pur investissement financier, les investisseurs en capital-risque sont

susceptibles de fournir des services de courtage inter-organisationnels. L’activité des capitaux-risqueurs les amène en effet à développer des réseaux d'information et des réseaux sociaux grâce aux sociétés déjà présentes dans leur portefeuille (Sorenson et Stuart, 2001 ; Hochberg et al., 2007). Ces réseaux peuvent être particulièrement bien développés dans les secteurs industriels dans lesquels ils ont une expérience d’investissement importante (Hsu, 2004). Les capitaux-risqueurs peuvent faire bénéficier les entreprises investies de services variés : recrutement de cadres, identification de sources de financement ultérieures, identification de partenaires pour des alliances stratégiques prometteuses… (Bygrave et Timmons, 1992, Gompers et Lerner, 1999 ; Hellmann et Puri, 2002). Ce rôle de courtier en information et en ressources entre des parties peut être rémunéré sous forme de « commissions » (Marsden, 1982), ce qui se traduit en l’occurrence par une décote de valorisation infligée par les investisseurs aux entrepreneurs qui ont le plus besoin de ce type de services.

Les entrepreneurs répétés sont susceptibles d'avoir déjà établi des liens sociaux avec le marché du travail et les marchés de capitaux, ainsi qu’avec des partenaires potentiels pour des alliances stratégiques, ce qui leur permet d'atténuer leur dépendance envers les capitaux-risqueurs pour ce rôle de « courtage ». En revanche, les entrepreneurs novices, qui n’ont pas en moyenne autant de liens sociaux, et qui ont donc besoin des capitaux-risqueurs pour les aider à combler les « trous relationnels » (Burt, 1992) afin d'accéder aux marchés et à des

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partenaires, peuvent faire l'objet de « frais de courtage » sous la forme d'évaluations de leurs entreprises à des niveaux inférieurs. Pour toutes ces raisons, les entreprises créées par des entrepreneurs répétés devraient donc être mieux valorisées que les entreprises créées par des entrepreneurs novices.

Il convient maintenant de s’intéresser aux résultats des études empiriques afin de constater si les entrepreneurs répétés jouissent ou non dans les faits d’un accès privilégié au capital-risque.

3. Les résultats des études empiriques : le constat d’un avantage pour les entrepreneurs répétés

On envisagera successivement les éventuelles différences de traitement, selon que les sociétés aient été créées par un entrepreneur répété ou non, sur la vitesse de levée de fonds, sur les montants levés et sur les valorisations obtenues. 3.1. Un accès au financement en capital-risque plus rapide

L’accès plus ou moins rapide au financement en capital présente des enjeux importants pour les entreprises considérées. En effet, les entreprises financées par capital-risque se concentrent dans les industries de haute technologie, dans lesquelles le rythme d'innovation rapide donne au premier acteur un grand avantage. Les résultats de Gompers et al. (2006) ont montré des différences significatives dans le délai d’accès au financement, selon que les entrepreneurs soient novices ou répétés. En moyenne, les entrepreneurs en série reçoivent un financement de la part du capital-risque à un stade de développement plus précoce de leur entreprise. Gompers et al. (2006) ont examiné, parmi les sociétés financées par le capital-risque à l’occasion d’un premier tour de table, la proportion d’entreprises en stade dit « précoce »97 selon que ces entreprises avaient été créées par des entrepreneurs en série ou novices. Alors que 45% des sociétés fondées par des entrepreneurs novices reçoivent des fonds lors d’un premier tour à un stade dit « précoce », ce taux monte à 60% pour les entreprises créées par des entrepreneurs pour lesquels il s’agit de la deuxième (ou n-ième) entreprise créée. En outre, les entreprises « ultérieures » créées par les entrepreneurs en série reçoivent également des fonds lors premier tour lorsque ces entreprises sont plus jeunes : ces sociétés sont âgées de 21 mois contre 37 mois pour celles lancées par les entrepreneurs novices.

Ces résultats ont été confirmés par Zhang (2011), dans une étude réalisée sur un échantillon de 5972 entreprises. Le délai de réalisation du premier tour de table est plus court en moyenne de 9,5 mois pour les entrepreneurs qui avaient déjà créé une entreprise financée par le capital-risque. En moyenne, les entrepreneurs novices bouclent leur premier tour de table en 19,5 mois, contre 19,2 mois pour les entrepreneurs qui avaient déjà créé une entreprise, mais non financée par le capital-risque, alors que le délai moyen n’est que de neuf mois pour les sociétés fondées par les entrepreneurs qui avaient déjà créé antérieurement une société financée par le capital-risque. 3.2. Des montants plus importants apportés par le capital-risque

Les résultats de Zhang (2011) montrent que les entreprises fondées par des créateurs

qui avaient déjà lancé une entreprise financée par le capital-risque reçoivent en moyenne 4,1

97 Gompers et al. (2006) incluent dans le stade « précoce » les étapes de « démarrage », de « développement du produit », de « beta test », avant que la société en soit à une étape « rentable » ou « de produit commercialisable »).

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M$ de plus à l’occasion du premier tour de table que les sociétés fondées par des entrepreneurs novices. Cette différence est considérable, vu que le montant moyen levé à l’occasion du premier tour de table est en moyenne de l’ordre de 7,47M$. En revanche, les entrepreneurs qui avaient déjà créé une entreprise, mais non financée par le capital-risque, ne reçoivent pas de montants supérieurs à la moyenne. Ces résultats suggèrent que les entrepreneurs ayant une expérience antérieure de création d’entreprise financée par le capital-risque lèvent davantage de capitaux à un stade précoce de financement. Selon Zhang, cet avantage proviendrait des connexions sociales qu’ils ont préalablement établies avec les capitaux-risqueurs plutôt que de compétences entrepreneuriales supérieures. Pris ensemble avec l’accès plus rapide au capital-risque déjà mentionné, Zhang estime que ces résultats suggèrent que les entrepreneurs ayant déjà une expérience de création financée par le capital-risque ont une longueur d'avance dans le processus de levée de fonds auprès des investisseurs. Cependant, les entrepreneurs ayant une expérience de création d’entreprise non-financée par le capital-risque ne présentent pas d'avantage à un stade très précoce de financement.

En examinant l’ensemble des tours de table réalisés, Zhang (2011) montre que les entrepreneurs en série ayant déjà fait appel au capital-risque lèvent en moyenne 3,7M$ de plus par tour de table que les entrepreneurs novices. Cette différence de montant est cependant plus petite que celle observée lors du seul premier tour de table, suggérant que l’avantage des entrepreneurs en série ayant déjà sollicité le capital-risque diminue au fil du temps. Cependant, les créateurs en série n’ayant pas fait appel au capital-risque lors de leur précédente création d’entreprise lèvent malgré tout en moyenne 0,8M$ de plus par tour de table que les entrepreneurs novices. Ceci suggère que, bien que les capitaux-risqueurs ne favorisent pas lors du premier tour de table les serial entrepreneurs n’ayant pas fait appel à eux précédemment, cette catégorie d’entrepreneurs apprend beaucoup lors de cette expérience de création. Ces connaissances et compétences acquises, qui sont ensuite reconnues par les capitaux-risqueurs, aident ces entrepreneurs en série à lever davantage de fonds lors des tours de table ultérieurs.

En prenant en compte la somme totale des fonds octroyés par entreprise, le montant total levé par les entrepreneurs en série ayant déjà fait appel antérieurement au capital-risque est supérieur de 5,7M$ à la moyenne, comparé à un écart de 4,1 M$ lors du seul premier tour. L’écart a donc tendance à s’amenuiser au fil des tours de table ultérieurs. Ceci est cohérent, puisqu’au fil du temps les entrepreneurs, y compris ceux qui n’avaient pas de liens sociaux avec les capitaux-risqueurs, vont progressivement apprendre à se connaître avec ces derniers et ceci permet donc progressivement de surmonter les problèmes d’asymétrie d’information. Ainsi, les entrepreneurs qui n’avaient pas levé de fonds au cours d’une expérience de création antérieure sont de moins en moins désavantagés lors des tours de table ultérieurs.

De manière tout à fait intéressante, les résultats de Zhang semblent ainsi indiquer que l’importance relative des compétences et des connexions établies varie suivant le stade de financement par le capital-risque. A un stade de financement très précoce, ce sont les connexions de l'entrepreneur avec l’univers du capital-risque (le capital social) qui joueraient le plus grand rôle ; dans les tours de table suivants, le renforcement des compétences entrepreneuriales (le capital humain) prend de plus en plus d’importance. 3.3.Une différence de valorisation des entreprises ?

La valorisation de la start-up est un enjeu important tant pour les entrepreneurs que

pour les investisseurs (Hsu, 2007). Cependant, les résultats des études empiriques réalisées sont contrastés. D’après les résultats de Hsu (2007), l'expérience de création antérieure est positivement liée à la valorisation par les capitaux-risqueurs. Ces résultats suggèrent donc que les mesures du capital humain sont liées au développement du capital social (Coleman, 1988)

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et que la valorisation augmente en proportion du capital humain des fondateurs (ce qui est conforme aux résultats de la littérature sur le capital humain et le capital organisationnel). Ce résultat plaide aussi pour une conceptualisation des ressources organisationnelles de l’entreprise nouvelle sous la forme d’un investissement (augmentant au cours du temps) plutôt que d’une dotation (fixée au départ).

Cependant, les travaux de Gompers et al. (2006) aboutissent à des conclusions différentes. Ces auteurs ont étudié l’influence de l'entrepreneuriat en série sur la valorisation des entreprises. Pour analyser cette question, la méthodologie a consisté à utiliser l'évaluation du premier tour « pre-money »98 comme mesure de valorisation. La valorisation « pre-money » est égale au produit du prix payé par action au moment du tour de table et du nombre d’actions en circulation avant le tour de table99. Compte tenu du fait que les entrepreneurs en série qui ont déjà réussi dans le passé présentent des taux de réussite plus élevés dans leurs entreprises actuelles, on s’attendrait à ce que ces entreprises-là bénéficient de plus hautes valorisations. Cependant, les résultats ne montrent pas que les entrepreneurs en série (que leur précédente entreprise ait connu la réussite ou non) sont en mesure de profiter de leur taux de réussite supérieurs par la vente d’actions à des prix plus élevés. Ceci suggère que les sociétés de capital-risque sont en mesure d'acheter ces actions « au rabais ». Cette conclusion paradoxale est néanmoins cohérente avec les résultats de Kaplan et Stromberg (2003), qui ont examiné les termes des contrats de capital-risque et ont trouvé que les entrepreneurs en série, s’ils ont bénéficié de conditions plus favorables que les entrepreneurs novices, notamment quant au nombre de sièges au conseil d’administration, aux droits de liquidation et aux conditions du financement graduel, n’ont pas reçu une meilleure valorisation de leur entreprise (mesurée en termes de répartition du capital). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que leur taux de réussite supérieur rend moins important pour les investisseurs en capital-risque de se protéger par des dispositions de contrôle plus strictes. Gompers et al. (2006) en concluent donc que c’est dans les termes non-financiers de l'investissement que les entrepreneurs en série peuvent extraire une plus grande partie de la valeur face au capital-risque, plutôt que dans la valorisation financière de leur société. Conclusion

Les entrepreneurs répétés (qui se partagent entre les entrepreneurs en série et les entrepreneurs en parallèle) constituent une part significative de la population entrepreneuriale. Ils présentent des caractéristiques particulières et leurs motivations peuvent être spécifiques. De nombreux exemples tendent à suggérer qu’ils bénéficieraient d’un accès privilégié au capital-risque, bien que les résultats empiriques soient partagés quant à leur surperformance en matière de gestion par rapport aux entrepreneurs novices.

L’objet de ce papier était double. Il s’agissait d’une part de comprendre, au plan théorique, pourquoi les entrepreneurs répétés seraient susceptibles de bénéficier d’atouts dans l’accès au financement en capital, et ensuite d’observer si les résultats des études empiriques confirmaient cet état de fait.

La contribution de ce papier se situe donc à deux niveaux. D’abord, au plan théorique, la mobilisation des champs de l’apprentissage entrepreneurial et du capital organisationnel a permis de mieux comprendre pourquoi les entrepreneurs répétés étaient susceptibles d’être

98 La valorisation « pre-money » est perçue comme la valeur actuelle nette de la société, et exclut donc les capitaux supplémentaires levés à l’occasion du tour de table.

99 Les calculs sont issus de Venture Source.

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avantagés dans la levée de fonds.. Face à l’asymétrie d’information inhérente à la relation entrepreneur/investisseur, l’expérience entrepreneuriale constitue une composante de l’apprentissage entrepreneurial et les entrepreneurs répétés sont ainsi censés disposer d’un capital organisationnel (tant en termes de capital humain que de capital social) supérieur à celui des entrepreneurs novices.

Ensuite, le survey réalisé a montré que les atouts présumés des entrepreneurs en série en matière de levée de fonds sont largement confirmés par les études empiriques existantes, que ce soit en termes de rapidité d’accès aux capitaux que de montants levés. En revanche, les résultats relatifs à un avantage en termes de valorisation des entreprises sont plus contrastés.

Les limites de notre contribution tiennent notamment au faible nombre d’études empiriques réalisées sur ce thème, et en particulier à l’absence de travaux réalisés dans le contexte francophone. Il est à espérer que la communauté des chercheurs en finance entrepreneuriale se saisira de cette thématique, afin de permettre d’approfondir notre compréhension à la fois du processus de financement des start-up et du rôle du capital-risque en tant que contributeur à la création de valeur Bibliographie

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Les pratiques de proximités : les pays et les pôles de compétitivité

Damien TALBOT Maître de conférences en

Sciences de Gestion GREThA

(UMR CNRS 5113) Université de Bordeaux

[email protected]

Résumé : Ce travail fait le lien entre les travaux proximistes et la façon dont ils ont été utilisés par des décideurs appartenant à divers types d’organisations publiques, par exemple pour soutenir une démarche entrepreneuriale. Les principaux résultats de l’approche par la proximité sont exposés. La proximité présente deux dimensions, géographique et organisationnelle. Les politiques publiques des pays et des pôles de compétitivité sont interprétées comme une mise en pratique de proximités organisationnelle et géographique articulées. Nous concluons sur l’idée que la démarche proximiste permet d’ouvrir une piste de recherche éclairant les rôles positifs et négatifs des proximités dans la construction des relations nécessaires à l’entrepreneuriat, d’ancrer l’entrepreneur dans l’action collective (proximité organisationnelle) et dans l’espace géographique (proximité géographique). Mots clefs : proximités, entrepreneuriat, pays, pôle de compétitivité. Abstract: This article aims to link proximist results and the way they were used by policy makers, for example to support an entrepreneurship approach. The principal results of the Economy of Proximity are exposed. Proximity has two dimensions, geographical and organisational. The french public policies of the « pays » and the business and research cluster are understood as an articulation of these two kinds of proximities. We conclude that the French School of Proximities enlights positive and negative roles of proximities for building relations, useful for entrepreneurship behaviors. Entrepreneur is now placed in social and geographical spaces. Key words: proximities, entrepreneurship, « pays », business and research cluster.

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Introduction S’est développé en France depuis une vingtaine d’années, à l’initiative d’un groupe de chercheurs100, une approche dit « de la proximité ». Vouloir appréhender la proximité permet de poser des questions du type « qui est proche de qui ? », « qui est proche de quoi ? », « que faut-il partager pour agir ensemble ? », « comment les acteurs incorporent la présence et l’absence101 ? », « comment combinent-ils des relations proches et à distance ? ». Répondre à ces questions permet de souligner le rôle des liens sociaux dans l’action entrepreneuriale, faisant l’hypothèse que le partage de valeurs morales, de croyances, de représentations, d’un lieu, est un ingrédient essentiel pour atteindre un niveau suffisant de coordination d’une part, et affecte les modalités des coordinations d’autre part nouées par l’entrepreneur. Dans cette perspective, la proximité permet de penser l’entrepreneur comme un acteur qui doit interagir pour mener à bien son projet.

La proximité présente plusieurs dimensions. Intuitivement, on pense en premier lieu à la proximité géographique qui réunit des agents partageant un même espace. Il apparaît en second lieu que l’agent est présent à la fois « ici et ailleurs ». Ici car il est localisé dans un espace géographique au sein duquel il entretient des relations de voisinage, ailleurs car l’acteur est évidemment en relation à distance avec d’autres agents. De fait, on peut être « proche » de quelqu’un tout en étant éloigné géographiquement : la proximité présente alors, au côté de la dimension géographique, une dimension non géographique. Elle pose en même temps la question de la localisation et de l’organisation des interactions économiques que noue un entrepreneur.

Plus généralement, la proximité géographique est un élément constitutif de la stratégie des acteurs économiques comme le montre nombre de situations empiriques actuelles : firmes qui développent des stratégies de localisation non réductibles à une simple recherche de faible coût de main d’œuvre ou d’avantages pécuniers, création de clusters (Silicon Valley, City de Londres, Sophia Antipolis) dont on pressent que la proximité géographique est un des ressorts de leur capacité à innover, construction de parcs fournisseurs dans l’industrie automobile (Hambach pour l’assemblage de la Smart) dans l’industrie aéronautique (Toulouse et Hambourg pour l’assemblage des Airbus). Certains praticiens, en particulier les décideurs politiques, se sont emparés des résultats issus des travaux de l’Ecole de la proximité pour orienter leurs politiques de soutien au développement local. En France, les politiques qui ont mis en place les pays ou les pôles de compétitivité visent à faire interagir des acteurs co-localisés très hétérogènes pour qu’ils entrent en interaction en vue de mener à bien des projets entrepreneuriaux collectifs de développement durable et d’innovation.

Ce travail s’attache à faire le lien entre d’une part, les travaux proximistes et, d’autre part, la façon dont ils ont été utilisés par des décideurs appartenant à divers types d’organisations publiques, par exemple pour soutenir une démarche entrepreneuriale. Pour atteindre cet objectif, l’article s’organise de la façon suivante : une première partie présente les principaux

100 Ce groupe informel « Dynamiques de Proximité » rassemble des économistes, mais aussi des sociologues, des géographes et des gestionnaires. Pour une présentation du groupe et des problématiques qui y sont développées, cf. Carrincazeaux, Lung, Vicente (2008). De façon plus approfondie et non exhaustive, le lecteur peut se référer à Gilly et Torre (2000), Pecqueur et Zimmermann (2004), Talbot et Kirat (2005), Torre et Rallet (2005), Bouba-Olga, Carrincazeaux et Coris (2008), Rychen et Zimmermann (2008), Carrincazeaux, Grossetti et Talbot (2008) ou encore Kirat et Torre (2008). 101 Question posée par Giddens (1987).

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résultats de l’approche par la proximité, une seconde expose deux politiques publiques de mises en articulation des proximités organisationnelle et géographique, les pays et les pôles de compétitivité. Ces actions publiques visent, sur la base d’une proximité géographique existante, à impulser la construction d’une proximité organisationnelle pour soutenir les entrepreneurs. A chaque fois, un bilan de ces actions est proposé. Nous revenons en conclusion brièvement sur l’apport de la démarche proximiste à la compréhension du phénomène entrepreneurial.

1. L’approche par la proximité

L’approche par la proximité fait l’hypothèse que la localisation dans l’espace géographique et le positionnement dans un réseau d’interactions conditionnent l’apparition et/ou le renforcement des activités économiques des acteurs, à l’instar des entrepreneurs. Même si le nombre de dimensions distinguées peut varier selon les auteurs, tous admettent une distinction séminale entre dimension géographique et non géographique de la proximité que nous reprenons ici. De façon simple, la proximité présente deux dimensions, géographique et organisationnelle.

1.1. La proximité géographique

On parlera de proximité géographique lorsque les acteurs partagent un même espace. Plus précisément, la proximité est un jugement porté par les acteurs sur une faible distance géographique (Torre, Rallet, 2005). Qualitative, elle devient difficilement mesurable : on s’estime alors être « proche de » ou « loin de », ces deux termes constituant les extrémités d’un même continuum. De ce fait, la proximité géographique est relative et peut concerner des acteurs co-localisés au sein d’une même ville bien sûr, mais aussi au sein d’une même région. Concrètement, les membres du pôle de compétitivité Aerospace Valley qui recouvre deux Régions administratives (Aquitaine et Midi-Pyrénées) peuvent être situés à 200 km l’un de l’autre et pour autant se déclarer proche géographiquement, tant les autres firmes du secteur aéronautique sont très dispersées spatialement (que l’on songe aux 16 sites d’Airbus éclatés dans toute l’Europe). Ce jugement peut être positif ou négatif.

1.1.1. Les effets positifs de la proximité géographique

Une proximité géographique vécue positivement favorise l’émergence et/ou le renforcement d’une relation pour deux raisons. D’une part, une proximité géographique facilite les interactions en face à face et donc les échanges. Ici, les infrastructures de transport et de communication permettent la circulation des informations, des biens physiques, des individus. Dans le cas d’une proximité géographique permanente, le face en face devient possible à organiser dans un délai très bref. Ce type d’interaction limite l’incertitude issue de la dimension tacite inhérente à tous savoirs et les risques d’opportunisme (Boschma, 2005). Il viendra notamment faciliter la diffusion de connaissances hétérogènes et donc l’innovation (Loilier, 2010). La proximité géographique temporaire est une autre solution pour créer des situations de face à face. Tout au long du processus productif par exemple, le besoin de proximité géographique peut varier, être par exemple intense lors des phases communes de

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conception et de développement comme dans le cas des équipes plateaux réunissant pour quelques semaines donneurs et preneurs d’ordres sur un même site pour co-concevoir des composants d’une automobile ou d’un avion. La mobilité des individus est aussi une façon de permettre des interactions de face à face qui restent à certains moments essentiels à toute vie sociale en général, et aux activités productives en particulier. Le besoin de proximité géographique temporaire peut être satisfait dans divers espaces, comme l’entreprise (réunions, équipes plateaux), ou les temporary clusters (foires, conférences) (Torre, 2009).

D’autre part, l’espace géographique ne doit pas uniquement s’entendre comme un contexte purement physique doté d’attributs matériels au sein duquel se déroulent des relations économiques. Il est aussi un référent cognitif : chacun associe des valeurs, des représentations, des coutumes, des modes de vie, une histoire, un nom, des limites physiques et administratives, une mémoire des coordinations précédentes réussies ou échouées, des conflits, etc., à une aire géographique. L’espace joue un rôle dans la démarche de typification, démarche qui consiste à identifier des personnes, des objets, des actions à des « types » généralisables (Lagroye, François, Sawicki, 2006), ici en fonction de leur localisation. L’espace géographique devient alors un lieu particulier qui intervient dans le processus de construction des identités locales dans le sens où il est une composante du rapport aux autres, puisque les acteurs locaux le font exister au regard des autres (Laganier, Villalba, Zuindeau, 2004). Il est en alors à l’origine d’un sentiment d’appartenance. Par exemple, Toulouse a été et est encore associée aux entrepreneurs fondateurs de l’industrie aéronautique française (Morane, Dewoitine, Latécoère) et reste la ville où sont assemblés la majorité des avions de la gamme Airbus et où sont effectués les premiers essais en vol des nouveaux programmes (Caravelle, Concorde, famille Airbus). Certains entrepreneurs développent une stratégie de différenciation basée sur les spécificités du lieu de leur production, en promouvant par exemple des labels d’indications géographiques comme les Appellations d’Origine Contrôlée : ils tirent leur légitimité des valeurs (l’authenticité, la qualité) associées à l’espace géographique. Se réclamer d’un lieu revient donc à se réclamer d’un groupe social, par association, facilitant l’apparition de relations au sein de ce groupe (Giddens, 1987).

1.1.2. Les effets négatifs de la proximité géographique

Si la proximité géographique peut être souhaitée, comme le suggère l’analyse de ses effets positifs, elle peut tout autant être subie et générer des effets cette fois négatifs. La proximité subie renvoie au cas où les acteurs ont une représentation négative de la faible distance géographique qui les sépare, dont ils subissent la réalité du fait brut. Concrètement le propriétaire d’un terrain peut provoquer des nuisances, une usine rejeter des polluants, autant d’actions qu’ils ne pourraient faire autrement. La proximité géographique se transforme dans ce cas en une contrainte pour le voisinage, tant on voit mal les membres d’une association, d’un syndicat professionnel ou encore des élus se délocaliser pour se soustraire à un voisinage indésirable.

Kirat et Torre (2008) notent que les différents usages ou intentions d’usages de l’espace (usages résidentiels, productifs, récréatifs ou de préservation de la nature) sont d’autant moins compatibles qu’ils se déploient sur un même lieu. La superposition des fonctions, que chacun veut attribuer à un même territoire, est source de conflits entre les usagers de l’espace. La mise en œuvre de projets, tout particulièrement ceux susceptibles de créer des nuisances, la rareté des sols disponibles, l’apparition progressive de dispositifs de gestion publique des sols à une échelle territoriale (nouvelles règles d’urbanisme par exemple) sont des facteurs d’expression, voire d’émergence, d’identités territoriales. Et les auteurs de conclure à une

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territorialisation croissante des conflits d’usage, démontrant que la proximité géographique peut être constitutive d’inégalités créant des rapports de force entre les acteurs.

Ce n’est pas pour autant que toutes actions collectives deviennent définitivement impossibles, car les acteurs qui n’ont pas la capacité de se relocaliser ailleurs doivent faire face à cette externalité négative de proximité. Cet état de fait constitue à lui seul une forte incitation au compromis en mobilisant la dimension positive des ressources cognitives communes, c’est-à-dire le lien social identitaire, obligés que sont les acteurs de s’entendre in fine.

Finalement, le fait de se sentir proche ne doit pas être interprété comme l’assurance qu’une relation s’instaure, de la même façon qu’une route n’implique pas systématiquement une interaction. La relation à autrui ainsi posée n’est ici qu’une possibilité de relation entre deux individus ou organisations pour l’instant indépendants. Cela signifie simplement que l’existence d’une forte proximité géographique entre acteurs n’est pas neutre : elle est une mise en disponibilité relationnelle, une ressource encore latente qui sera activée si elle s’articule à une proximité de nature organisationnelle, qu’elle soutient, renforce, compense, voire détruit en s’avérant être une source de conflits.

1.2. La proximité organisationnelle

On parlera de proximité organisationnelle entre des individus et/ou des organisations lorsqu’ils partagent un langage, des représentations co-construites et un projet collectif significatif d’une réflexion stratégique commune et de l’existence d’un entrepreneur pour le porter. Ces ressources cognitives, parce qu’elles sont partagées, permettent d’acquérir, de conserver et de transmettre des connaissances, des savoir-faire, des expériences, bref d’activer une relation. Le partage de ressources cognitives n’est pas la seule condition à l’établissement d’une relation. Lorsque ces ressources prennent la forme de valeurs morales, de normes sociales, de règles ou de routines, elles font aussi office d’outils de régulation de la relation. En effet, il faut aussi donner une cohérence à des intérêts contradictoires, réguler des conflits toujours latents, hiérarchiser les problèmes, imposer des arbitrages, élaborer des compromis. Dit autrement, il faut au côté des ressources cognitives, partager des outils de coordination visant à la régulation pour qu’une relation s’instaure. Le partage souhaité ou imposé d’outils de régulation est donc l’autre condition à l’établissement d’une interaction. Notons que des outils de coordination comme les règles remplissent simultanément les deux fonctions, d’échange et de régulation, finalement distinguables que d’un point de vue analytique.

Concrètement, la proximité organisationnelle se déploie à l’intérieur des organisations ou entre des organisations (Kirat, Lung, 1995 ; Gomez et al., 2011). L’exemple de la forme du groupe illustre cette distinction entre des proximités intra et inter-organisationnelle. Au sein du groupe et sur le plan cognitif, vont se nouer des rapports de production qui ne sont pas uniquement verticaux dans le sens où ils peuvent concerner directement des unités entre elles. Ces rapports résultent des contraintes de la division cognitive du travail au sein du groupe. Ce dernier doit généralement surmonter deux obstacles dans la coordination : gérer différentes unités détentrices de compétences qui ont tendance à se chevaucher ; favoriser la diffusion des règles et des routines entre des sites dispersés dans l’espace. Deux types de réponses complémentaires peuvent être apportés. D’une part, la spécialisation des sites permet d’éviter la duplication des compétences. D’autre part, sont élaborés des mécanismes d’apprentissage ayant pour but la création et l’assimilation de règles et de routines. Ces mécanismes d’apprentissage vont aussi permettre le traitement de l’information ainsi que l’acquisition, la conservation et la transmission de connaissances dans et entre les unités du groupe.

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Sur le plan de la régulation des interactions, le groupe se compose de liens hiérarchiques entre la société mère, constituant le centre de décision, et ses unités (filiales, sociétés contrôlées minoritairement, etc.) le plus souvent spatialement dispersées. Ces structures, qui découlent des propriétés juridiques, sont les vecteurs des relations financières et patrimoniales autorisant plus ou moins d'autonomies financière et stratégique aux unités qui se conforment aux règles édictées par la tête de groupe. Ici la spécialisation des sites accentue le pouvoir d’une maison mère devenant de facto la seule entité du groupe à conserver une approche globale des questions stratégiques. Cette dernière impose ses décisions et cherche à contrôler les relations internes, entre les unités, et externes, entre les unités et son environnement (fournisseurs, clients, financeurs, etc.). Cette régulation et ce contrôle visent à imposer une stratégie. En outre, la société mère a pour fonction de gérer l’allocation des capitaux entre plusieurs activités. Ce rôle d’arbitrage est l’expression du pouvoir de l’équipe dirigeante, elle-même soumise au contrôle des actionnaires qui pèsent sur la stratégie globale du groupe.

Le groupe peut aussi développer une proximité inter-organisationnelle quand ses établissements s’insèrent dans une chaîne de valeur pour réaliser un produit complexe. La proximité organisationnelle au sein de la supply chain aéronautique prend la forme d’un réseau pyramidal avec à son sommet les grands groupes industriels que sont les architectes-intégrateurs (Kechidi, Talbot, 2010). Viennent ensuite les systémiers qui participent à la conception et à la réalisation d'un ensemble technique dont ils ont la responsabilité. Sur le plan cognitif, les systémiers détiennent des compétences techniques spécifiques mobilisables pour la conception et/ou la production d’un ensemble technique majeur et participe en lien avec l’architecte-intégrateur à la co-spécification des systèmes. Ces échanges visent à la production de connaissances communes indispensables au développement d’un sous-ensemble technique.

Une fois le sous-ensemble co-spécifié avec l’architecte-intégrateur, ce dernier attend du systémier qu’il lui fournisse le sous-ensemble en respectant les caractéristiques techniques définies, dans les délais et au prix fixés. A charge pour lui de faire appel, ou non, en fonction de sa stratégie d’externalisation, à des firmes de rangs équivalents ou inférieurs dans la chaîne de sous-traitance. Il s’emploie alors à réguler un réseau de sous-traitants et de firmes partenaires, en lieu et place de l’architecte-intégrateur (Talbot, 2011). Autrement dit, le systémier doit être capable de tenir le rôle d’architecte, non pas comme l’architecte-intégrateur pour l’ensemble d’un avion, mais pour un sous-système. Dans les faits, cette organisation s’avère complexe tant les relations verticales se doublent parfois de relations horizontales, un systémier pouvant à la fois fournir un système complet à l’avionneur et un sous-système à un autre sous-traitant de rang 1 du même avionneur.

Parfois, les établissements des architectes-intégrateurs ou des grands systémiers nouent des relations productives au sein de territoires dans lesquels ils sont ancrés pour développer avec d’autres acteurs locaux (firmes, laboratoires de recherche, collectivités locales, etc.) des ressources spécifiques localisées en tirant bénéfice des avantages de la proximité géographique. A titre d’illustration, la politique des pôles de compétitivité joue sur les effets positifs des proximités pour mettre en relation des établissements de grands groupes, des PME locales et des laboratoires de recherches qui partagent non seulement un même lieu mais aussi un secteur d’activité. Elle illustre, comme nous le verrons dans le paragraphe 2.2, une articulation possible des proximités organisationnelle et géographique.

Finalement, la proximité organisationnelle apparaît comme une condition nécessaire à toute action collective, étant entendu qu'elle peut varier en intensité. L’entrepreneur n’échappe pas à ce besoin de partage de ressources cognitives et d’outils de régulation pour construire ses relations, mobiliser les ressources matérielles et cognitives disponibles et mener à bien son projet. Lorsque le projet est collectif, l’entrepreneur devient l’acteur clé du collectif,

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l’animateur du projet. Il contribue à la formation de relations entre organisations (firmes, laboratoires, universités, collectivités locales, etc.) en matière d’échange de produits, de compétences, en vue de satisfaire son intérêt, ici réussir son projet. Parfois, la proximité géographique ne jouera aucun rôle dans les coordinations mises en place par l’entrepreneur. Parfois, il utilisera les effets positifs de la proximité géographique pour favoriser le déploiement de ses relations.

2. Des proximités construites par l’acteur public On peut constater que le terme « proximité » connaît, au moins en France, un vif succès dans divers domaines : on parle à la fois de police de proximité, de justice de proximité, de démocratie de proximité, de services de proximité, etc. comme si des relations sociales par trop distendues devaient être rapprochées. Implicitement, l’hypothèse est faite que la proximité présenterait des caractéristiques favorisant le maintien, voire le renforcement des relations, quel que soit le domaine d’activité. L’engouement international actuel que connaît la notion de cluster, à la fois chez les décideurs politiques et les chercheurs en sciences sociales, trouve d’ailleurs son fondement dans cette hypothèse implicite. Concrètement, les politiques publiques se sont emparées de cette approche afin de créer des proximités. Au début des années 2000, la création des pays et plus récemment des pôles de compétitivité illustrent cette mise en pratique des proximités.

2.1. Les pays Le pays est institué par la Loi d’Orientation de l’Aménagement et du Développement du Territoire du 4 février 1995 (dite aussi Loi Pasqua), reprise par la Loi d’Orientation sur l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire adoptée le 29 juin 1999 (dite aussi Loi Voynet), et amendée par la Loi « Urbanisme et Habitat » du 2 juillet 2003 qui apporte quelques changements dans la procédure de constitution et dans la gestion des projets de pays. Selon la Loi Pasqua, le pays manifeste la communauté d’intérêts socio-économiques. Il n’est ni une nouvelle circonscription privée de toute vie juridique autonome, ni une nouvelle collectivité agissant en nom propre : sur un plan juridique, il se définit comme un groupement territorial d’aménagement et de développement local possédant sa personnalité sans détenir la gestion de ses propres affaires, le situant entre la circonscription et la collectivité. Le but est de réorganiser les services de l’Etat, en établissant comme règle, la primauté des projets sur la structure et en autorisant les acteurs locaux à s’organiser en dehors des périmètres administratifs et dans un cadre commun cohérent (Gilly, Wallet, 2004). Cet espace de coordination cherche à réunir de façon peu contraignante le territoire institutionnel, celui de l’action publique, avec le territoire économique, celui des acteurs socio-économiques. Une charte de pays peut faire appel à un Agenda 21 local, compris comme l’instrument politique visant à décliner localement les grands principes de l’Agenda 21 établi au Sommet de Rio en 1992. L’Agenda 21 local est en effet un projet de développement durable du territoire misant sur la recherche de convergences entre performances économiques, sociales et environnementales. Ce projet se traduit en programmes d’actions définissant les objectifs et les moyens de mise en œuvre du développement durable du territoire, l’ensemble étant évalué régulièrement selon une grille d’indicateurs et en concertation avec les parties concernées. Il souligne la vocation de l’échelon local à devenir l’un des espaces pertinents du développement durable. La démarche de pays vise aussi à créer des interactions entre villes et espaces ruraux via des porteurs de projets, la Loi Voynet affirmant que le projet de

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développement durable du pays est destiné « à renforcer les solidarités réciproques entre la ville et l'espace rural ». Considérant que les espaces ruraux ne disposent que rarement des ressorts de la croissance interne, cette démarche prend en compte les effets de polarisation et d’agglomération qui caractérisent les centres urbains (Aubert et al., 2004). Les pays résultent donc d’une démarche volontaire des acteurs qui définissent collectivement des projets financés par l’Etat, dans le cadre du volet territorial des contrats de plan Etat-Région. Ils peuvent ainsi venir soutenir une démarche entrepreneuriale.

2.1.1. Le principe : articuler les proximités pour favoriser des projets de développement durable

La démarche des pays vise à articuler à une proximité géographique existante une proximité organisationnelle pour créer un territoire. Les pays ont vocation à rassembler des acteurs hétérogènes et co-localisés au sein de « pays naturels », c’est-à-dire d’une espace géographique porteur de références cognitives partagées par ses habitants. Il s’agit de transformer un espace existant qui doit présenter « une cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale, à l'échelle d'un bassin de vie ou d'emploi ». La politique publique propose par la Loi divers outils de régulation pour organiser diverses coordinations et ainsi favoriser l’émergence de projets entrepreneuriaux de développement durable du territoire.

Pour ce faire, deux principes sont posés. D’une part, le pays doit rassembler des acteurs variés mais concernés par la problématique du développement durable : entreprises, collectivités publiques, associations, syndicats, entrepreneurs, etc. L’une des conséquences attendue est l’accroissement de la cohésion sociale, le renforcement de solidarités locales, par la concertation entre acteurs hétérogènes. Ici l’entrepreneur peut jouer un rôle d’acteur clé dans cet accroissement car il doit mobiliser les ressources et les compétences des autres parties prenantes pour conduire son projet, qu’il soit individuel ou collectif (Brèchet et al., 2009). D’autre part, la démocratie participative doit caractériser le fonctionnement des pays. Cette démocratie (parfois qualifiée de « démocratie de proximité ») est un outil de résolution de problèmes locaux par la création de compromis. Cet outil de régulation est une modalité de gestion de la tension permanente entre intérêts individuels et compromis collectif, en associant les bénéficiaires d’un projet à sa définition. On suppose alors que le programme défini localement sera mieux compris (et donc légitimé) car il est censé mieux répondre aux besoins des bénéficiaires. Ce peut être une façon de renforcer la légitimité dont a besoin tout entrepreneur (Messeghem, Sammut, 2010). L’introduction de cet outil de régulation permet de souligner que la proximité géographique ne peut suffire à elle seule pour impulser une relation, qu’il faut y associer l’intentionnalité des acteurs s’exprimant par exemple dans la réalisation d’un projet commun. Il s’agit de passer de l’existence d’une identité locale, portée par la proximité géographique, à la définition d’un intérêt commun aux acteurs proches, porté par la proximité organisationnelle, à l’origine de projets collectifs.

Finalement, la politique des pays est l’expression d’une nouvelle représentation du développement local qui se fait jour dans la pensée publique française à la fin des années 90. Cette création des pays renvoie à la nécessité de repenser les interventions publiques, cherchant à simplifier les procédures de décisions et les actions. Dorénavant, le développement local se veut le résultat d’un partenariat entre acteurs locaux en associant les aspects économiques, sociaux et culturels et en rompant avec une politique d’aménagement fondée sur une logique purement redistributrice des richesses nationales sous formes d’aides et de primes diverses. Fondamentalement, les richesses ne sont plus allouées par l’Etat, mais

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doivent être créées localement avec le concours de l’Etat. Le territoire ne doit plus être seulement aménagé mais d’abord développé, résultant d’un processus endogène de construction. On le voit, les représentations du développement local ont profondément évolué, notamment sous l’influence des auteurs proximistes.

L’approche a permis en effet l’endogénéisation du rôle de l’espace géographique dans la coordination (Lauriol et al., 2008 ; Gomez et al., 2011). Traditionnellement, l’espace avait été compris comme un cadre neutre et uniforme, sans relief autre que ceux identifiables par des coûts (Bellet, Colletis, Lung, 1993). L’espace était alors appréhendé d’abord par la notion de distance. C’est bien à un dépassement de cette vision restrictive que s’est attachée la démarche proximiste, pour prendre en compte les conséquences de la localisation de chaque acteur sur leurs modes de coordinations dans un espace hétérogène, asymétrique, multiforme, bref à chaque fois singulier et complexe (Gilly, Torre, 2000). Et puisque l’on peut interagir à distance, la proximité s’est vue dotée d’une dimension non spatiale. Cette introduction élargit ainsi considérablement le champ d’analyse puisqu’il devient possible de questionner l’ensemble des modèles de coordination, entre des acteurs proches ou non géographiquement. La conséquence est essentielle : l’analyse ne débute plus obligatoirement par l’étude des modes de coordinations déjà fondés sur une proximité géographique, mais elle peut y aboutir en expliquant les processus d’élaboration. Le territoire par exemple, comme catégorie de recouvrement des proximités géographique et organisationnelle n’est plus postulé, il devient un construit. Ainsi, le rôle de l’espace n’est ni ignoré, ni postulé. Cet apport a ouvert la voie à une nouvelle compréhension du développement territorial, basé sur un processus de développement endogène des territoires résultant par exemple d’une démarche entrepreneuriale.

2.1.2. Un outil progressivement mis en sommeil

Mais la réalité montre, au-delà de toute vision idéalisée et des affirmations volontaristes, que les pays rencontrent dans leur fonctionnement de nombreuses difficultés. La dynamique de constitution des pays a connu un essor rapide, particulièrement marquée sur les années 2004 à 2005. Même si plus de 370 démarches de pays ont été réalisées, depuis une loi de décembre 2010, il n’est plus possible d’en créer de nouveaux. Ils ne couvrent au final qu’une petite partie du territoire français. Plusieurs raisons expliquent ce relatif insuccès.

Le premier écueil renvoie à l’épineuse question de la définition du périmètre du pays qui ne recoupe pas forcement les proximités géographiques existantes. Les pays peuvent, par exemple, renvoyer à une circonscription électorale. Ces découpages ne permettent pas de fonder le pays sur un espace vécu, de mobiliser une identité partagée, un référent cognitif commun. La question d’une délimitation cohérente des pays avec leur histoire, est centrale afin que celle-ci puisse faciliter la coordination. Autrement dit, le pays ne fonctionne que s’il repose sur une proximité géographique forte non réduite à une faible distance spatiale entre les parties prenantes.

Dans d’autres cas, l’outil de régulation que constitue le pays ne vient que soutenir un processus relativement autonome et endogène au territoire. Il peut même dans certaines situations le perturber. Les obligations légales qu’impose la politique de pays peuvent alors entrer en tension avec des démarches entrepreneuriales locales et plus généralement avec les mécanismes locaux de coordination en place et accroître par là même les coûts de coordination (cf. l’exemple du Pays des Coteaux de Bigorre proposé par Gilly et Wallet, 2004).

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Plus fondamentalement, Bertrand et Moquay (2004) notent ici une contradiction à vouloir produire du développement en appliquant une logique homogénéisante face à une diversité territoriale. Il y a un paradoxe à chercher à impulser des dynamiques locales par nature singulières à partir d’un cadre généralisé, même souple. Il faut voir là l’une des limites de certains pays car la construction d’un territoire, nous l’avons dit, ne se décrète pas.

Enfin, l’hétérogénéité des acteurs pose bien entendu des problèmes de fonctionnement. Cet espace de coordination qui regroupe divers acteurs aux logiques différentes (administratives, politiques, économiques) est aussi un enjeu de pouvoir, un révélateur des conflits locaux, des effets négatifs de la proximité géographique conduisant à une situation de lock in. La pratique démontre que c’est lorsque les conflits institutionnels et politiques sont mis entre parenthèses que les pays fonctionnent. Dans le même temps, l’apaisement des conflits ne doit pas conduire à une coordination atone : la réalité montre en effet que certains pays deviennent un lieu consensuel frôlant l’immobilisme, sans dynamique entrepreneuriale.

2.2. Les pôles de compétitivité

La politique publique française des pôles de compétitivité prend racine dans les nombreux travaux qui ont montré que la proximité géographique permanente entre acteurs, lorsqu’elle est souhaitée, est un facteur favorable à la création et à la diffusion des connaissances. En particulier, les analyses insistent sur le besoin d’interactions en face à face pour faciliter le transfert de connaissances tacites nécessaires aux processus d’innovation, interactions en face à face d’autant plus faciles que les acteurs sont proches. Ces résultats sont notamment à mettre au crédit de la tradition marshallienne des districts industriels (Beccatini, 1991), de la Geographic Economy (Krugman, 1991), des théories sur les systèmes régionaux ou nationaux d’innovation (Lundvall, 1992, Braczyk et al., 1998, Doloreux, 2004), sur les milieux innovateurs (Camagni, 2001), sur les clusters (Porter, 1998) et de l’Economie de la Proximité. Mais à l’inverse de ce qu’on a pu observer dans les districts industriels où les acteurs entrent en interaction de leur propre initiative, les relations entre les parties prenantes d’un pôle sont impulsées par les pouvoirs publics. L’autre particularité des pôles consiste à réunir des partenaires hétérogènes. En ce sens, ils se rapprochent des pays et repose eux aussi sur l’idée d’articuler les proximités. Mais la comparaison s’arrête là tant les objectifs sont différents.

2.2.1. Le principe : articuler les proximités pour favoriser des projets de Recherche et Développement (R&D)

Un pôle a pour objectif de favoriser la co-production de connaissances pour augmenter la compétitivité des territoires et des secteurs concernés (Mendel, Barbet, 2008). Cette politique publique propose de nouveaux principes d’organisation de l’innovation : elle soutient ici non pas l’idéal type de l’entrepreneur schumpetérien ou visionnaire (Verstraete, 2001) mais plutôt l’idée que l’innovation, parce qu’elle suppose des recombinaisons de connaissances, est d’abord une affaire collective. Dans cette conception, l’entrepreneur devient un acteur relationnel à la recherche de dispositifs de mises en réseaux pour échanger des savoirs complémentaires dans le cadre de projets collectifs. Cette politique soutient, à travers des mécanismes de labellisation et des aides financières, des plates-formes d’innovation qui consistent à mutualiser des équipements (réalisation de tests et de prototypes par exemple) et surtout des projets de R&D collaboratifs réunissant des grandes firmes, des PME, des organismes de formation et des laboratoires de recherche.

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Comme pour les pays, il s’agit de créer par l’action publique une proximité organisationnelle entre des acteurs issus de champs organisationnels différents, articulée à une proximité géographique existante. Elle cherche à créer progressivement au fil des rencontres une mémoire des coordinations réussies et donc de la confiance pour permettre l’apprentissage collectif et ainsi l’innovation. Souvent, les projets soutenus financièrement réunissent des acteurs hétérogènes aux compétences, au ressources et aux activités complémentaires, par exemple autour d’un produit (systèmes embarqués, véhicule du futur, textiles techniques, etc.), tant leur recombinaison contribue à l’innovation (Boschma, 2005). Cette recombinaison peut passer notamment par un rapprochement fécond entre science et industrie (Saxenian, 2000). Finalement, cette complémentarité permet d’ouvrir le pôle sur une pluralité de trajectoires technico-productives via les projets collaboratifs, en évitant les phénomènes de lock in que rencontrent par exemple les territoires engagés dans des trajectoires de spécialisation.

Les règles de fonctionnement d’un pôle sont très variées et laissées à la discrétion des acteurs. Par exemple, en 2005, est créé en régions Aquitaine et Midi-Pyrénées le pôle AESE (Aéronautique, Espace Systèmes Embarqués), plus communément appelé « pôle Aerospace Valley ». Malgré une spécialisation dans le secteur de la construction aéronautique et spatiale (48% des emplois), le pôle Aerospace Valley renvoie à un large spectre d’activités. Les projets collaboratifs de R&D réalisés dans ce pôle sont en effet regroupés en 9 Domaines d’Activité Stratégique (DAS) représentant les principaux domaines technologiques étudiés, allant des activités aéronautique jusqu’à la conception et à la production de satellites, en passant par les systèmes embarqués. Chaque DAS est animé par des personnes issues généralement des grands groupes. Cette activité d’animation consiste essentiellement à définir les objectifs des projets collaboratifs et à vérifier qu’ils sont en cohérence avec la stratégie commune qui prévaut au sein du DAS. La définition de ces objectifs se réalise lors de réunions régulières102.

Cette proximité organisationnelle s’appuie sur une proximité géographique existante, cette dernière jouant son rôle bénéfique de soutien de trois façons : premièrement, comme facilitateur d’interactions en face à face, la proximité géographique facilite les échanges de connaissances ; deuxièmement, les acteurs très hétérogènes ont toutefois a minima une référence commune, celle du territoire dans lequel ils sont ancrés, susceptible de faire émerger une confiance même minimale ; troisièmement, les relations nouées autour des projets s’encastrent dans des réseaux sociaux par nature très localisés. C’est en effet surtout la nature localisée des réseaux sociaux qui expliquent que les processus d’innovation collective soient, pour certains d’entre eux, localisés. Les coopérations qu’exigent les activités d’innovation en commun ont tendance à d’autant mieux s’établir entre des acteurs appartenant à des organisations différentes qu’ils sont issus de la même université ou Ecole en particulier, qu’ils appartiennent déjà au même réseau social localisé en général (Grossetti, Bes, 2001). Créer et maintenir des relations sociales supposent des diners familiaux ou amicaux, des activités de loisirs réalisées en commun, etc., bref de fréquentes relations relativement routinières qui ne peuvent pas être trop dispersées. Ceci explique qu’une part importante des réseaux sociaux se concentre dans un même espace, par exemple une agglomération urbaine, et qu’en retour les activités d’innovation collective bénéficiant de ces réseaux s’en trouvent elles aussi spatialement concentrées.

102 Ces informations sur les mécanismes d’animation des DAS sont issues d’entretiens réalisés avec la responsable de DAS. Ces derniers ont été réalisés entre 2008 et 2010 dans le cadre d’un contrat de recherche cofinancé par les Régions Aquitaine et Midi-Pyrénées visant à analyser les transformations organisationnelles de la supply chain régionale aérospatiale. Au total, une quarantaine d’entretiens a été réalisée au sein de ce secteur, plus précisément auprès de firmes, de laboratoires de recherche et de collectivités locales soutenant l’innovation.

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Concrètement, et selon la Datar103, 71 pôles sont répartis sur le territoire français depuis 2005, date de la création des premiers pôles. Ils se sont construits autour d’activités de niches (le laser, le parfum), émergentes (écotechnologies) ou matures (automobile, aérospatial). Entre 2005 et 2011, plus de 1000 projets collaboratifs ont été soutenus financièrement par l’Etat et les collectivités territoriales. Certains projets ont débouché sur la commercialisation de produits et services, tandis que d’autres concernent des connaissances communes plus fondamentales. Beaucoup d’entre eux ont conduits à des dépôts de brevets. Adoptant une démarche entrepreneuriale, des créateurs d’entreprises ont aussi créées leurs start up ou leurs PME par essaimage.

2.2.2. Les difficultés

Les pôles, comme les pays, rencontrent un certain nombre de difficultés. Par définition, un pôle est composé d’acteurs autonomes aux intérêts et aux temporalités divergents. Ainsi, les animateurs des pôles ne disposent d’aucune autorité sur les membres, doivent construire des coopérations où chaque participant au projet dispose d’un poids équivalent aux ressources apportées et peuvent faire défection si leurs intérêts ne sont pas satisfaits (Weil, Fen Chong, 2008). D’autant qu’il est difficile d’attribuer les droits de propriété sur les productions collectives d’un pôle (Gomez, 2008). La question de l’exclusivité des droits de propriété devient un enjeu majeur du fonctionnement d’un pôle, chaque partenaire cherchant à satisfaire son intérêt. Or la nature des coopérations au sein d’un pôle suppose une certaine mutualisation des ressources complémentaires, à la fois cognitives et matérielles. A cela s’ajoute le fait qu’il est difficile d’évaluer le gain collectif, à la manière d’une entreprise qui peut en tant que centre de profit calculer un bénéfice net. Quelle est la valeur d’une nouvelle connaissance ? Des relations de confiance éventuellement nouées ? Comment calculer sa propre contribution ? De fait, cette incertitude peut freiner l’investissement dans une relation et un projet dont il est impossible ex ante de calculer le bénéfice. Ainsi des comportements opportunistes sont toujours possibles et redoutés, surtout entre des partenaires hétérogènes.

Ces mêmes acteurs peuvent par ailleurs entretenir des relations asymétriques parce qu’ils participent déjà à d’autres réseaux. Par exemple, les relations crées par les projets collaboratifs portés par le pôle Aerospace Valley sont encastrées dans des réseaux de sous-traitance souvent anciens. A l’inverse des pôles de compétitivité constitués essentiellement de PME (Bocquet, Mothe, 2008), ce pôle est largement dominé par des établissements appartenant à des groupes (203 établissements sur 340) et principalement des groupes français (170 établissements), même s’il regroupe également des PME ainsi que des centres de recherche ou de formation spécialisés. Ces mêmes grands groupes sont les principaux donneurs d’ordres du secteur aérospatial et partagent à ce titre une proximité organisationnelle avec des industriels de différentes tailles (sont ici exclus les laboratoires de recherche) de la supply chain. Dans cette dernière sont exercés par les donneurs d’ordres d’intenses contrôles envers les preneurs d’ordres de rangs inférieurs. Les projets collaboratifs associent donc des entreprises par ailleurs clients ou fournisseurs. Ces projets collaboratifs sont parfois perçus par les donneurs d’ordres comme une nouvelle opportunité d’exercer un contrôle supplémentaire sur les compétences, les savoir-faire et les connaissances de leurs fournisseurs, comme une façon déguisée de réguler la relation d’approvisionnement.

Aerospace Valley est en outre symptomatique de pôles qui s’appuient sur une base relationnelle forte, structurée, issue d’une histoire industrielle déjà ancienne (ici construite au

103 Informations disponibles sur le site http://competitivite.gouv.fr/.

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fil des programmes aéronautiques développés dans le Sud-Ouest comme la Caravelle, le Concorde et les Airbus). Il bénéficie pleinement des effets positifs de la proximité géographique : face à face facilité, espace comme référent cognitif et encastrement des relations dans des réseaux sociaux. La politique publique vient ici conforter des espaces d’interaction denses et ayant déjà produit des connaissances dans le passé. L’idée est alors d’accentuer le processus et de l’ouvrir à de nouveaux acteurs locaux (les laboratoires publics, des PME, des entrepreneurs) pour accroître la recombinaison des connaissances.

A l’inverse certains pôles ont été créés ex nihilo, regroupant des acteurs qui n’avaient encore que peu échangés et/ou disposant de ressources insuffisantes. Ainsi, Mendel et Barbet (2008) ont montré que quelques pôles s’appuient sur un tissu industriel n’offrant que de peu de moyens de R&D, car majoritairement composé de PME. Ici c’est niveau de ressources cognitives et matérielles qui fait défaut. Parfois, c’est la diversité qui est trop importante. Si la complémentarité des ressources cognitives favorise l’innovation, au-delà d’une certaine distance cognitive, l’incompréhension inhibe tout échange. En outre, ces pôles, qui ne peuvent s’appuyer sur une tradition coopérative, ont des difficultés à s’approprier des outils de régulation élaborés au niveau national dans une démarche top down.

Plus généralement, les différences importantes observées dans les capacités des pôles (la distinction opérée entre pôles mondiaux et pôles nationaux illustre cette situation) et les outils de régulation mis en place au sein des pôles (auto-organisés ou régulés, enracinés dans un tissu économique historique ou crée spécifiquement pour favoriser l’émergence d’une technologie) montrent que l’objet n’est pas stabilisé dans la pratique (Gomez, 2008).

Conclusion Au final, nous tirons deux enseignements de ce travail au cours duquel nous avons défini les deux dimensions de la proximité, géographique et organisationnelle, qu’il est possible d’articuler pour générer des relations locales, comme dans le cas des pays et des pôles de compétitivité.

Sur un plan empirique, nous avons analysé deux types de mises en pratique de la proximité impulsées par des politiques publiques. Les diverses difficultés soulignées dans le fonctionnement des pays et des pôles de compétitivité montrent combien il est délicat de décréter les proximités dans une approche top down. C’est bien aux parties prenantes de décider d’utiliser les proximités que l’acteur public tente de construire. Les acteurs conservent donc une large autonomie, ce qui est la fois gage du succès d’une telle politique et aussi une source d’échecs, puisque chacun peut faire défaut quand il le décide. Il s’agit alors « d’impulser une organisation » au sens entrepreneurial du terme (Verstraete, Fayolle, 2005) en créant les conditions favorables à cette impulsion, c’est-à-dire des proximités.

Sur un plan théorique, il est apparu que la proximité n’est pas une théorie à proprement parler. Ainsi, le vocable « proximité » ne constitue pas un objet théorique en soi, comme le sont les conventions pour l’Economie des Conventions, les institutions pour les institutionnalistes, etc. De même, les différentes dimensions de la proximité qui sont proposées font appel à des théories existantes en sciences sociales pour prendre leur sens. Ainsi, pour définir la proximité organisationnelle, il faut reprendre à son compte les apports des théories des organisations ou encore utiliser l’économie régionale pour parler de proximité géographique. Cette polysémie n’est pas forcement appelée à disparaître à partir de l’instant où l’on comprend que l’approche

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par la proximité est plus une heuristique qu’une théorie. En sens, cette démarche intellectuelle n’est ni rattachée, ni issu d’une théorie unique. Elle est donc par nature interdisciplinaire : si elle a été élaborée par des économistes, elle est aujourd’hui utilisée par des géographes, des sociologues, des gestionnaires. Et comme heuristique, elle a aussi vocation à déborder la seule communauté scientifique, ce que nous avons cherché à montrer dans ce travail. Finalement, l’approche par la proximité est par nature appliquée.

En ce sens, elle rejoint l’entrepreneuriat qui vise aussi à lier recherche et pratique. Plus fondamentalement, au regard du phénomène entrepreneurial, la démarche proximiste met en exergue deux points essentiels. D’une part, la mise en lumière du rôle de la proximité organisationnelle souligne que l’entrepreneur, loin d’être une figure isolé, s’insère dans des réseaux parfois soutenus par l’acteur public pour bénéficier d’un apprentissage réciproque. L’entrepreneur est un acteur fondamentalement relationnel (Brèchet et al., 2009), lui permettant de rompre son isolement (Messeghem, Sammut, 2010). Il devient un entrepreneur situé dans l’espace social, puisque « (…) tout projet, même individuel, se développe dans un collectif englobant, dans un contexte d’interactions avec d’autres acteurs sans lesquels il ne pourrait naître et s’actualiser » (Brechet et al., 2009 : 42). D’autre part, si le modèle entrepreneurial développe l’idée que les déterminants de l’innovation réalisée par une firme sont bien entendu fonction de la stratégie poursuivie au sens large (Basso et al., 2009), l’approche par la proximité géographique focalise l’attention du praticien sur la stratégie de localisation comme élément central d’accès à des ressources spécifiques. L’entrepreneur devient alors un acteur situé dans un espace géographique. Plus généralement, l’approche proximiste permet d’ouvrir une piste de recherche visant à éclairer les rôles positifs et négatifs des proximités dans la construction des relations nécessaires à l’entrepreneuriat. D’ancrer l’entrepreneur dans l’action collective et dans l’espace géographique.

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Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business

Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment Thierry VERSTRAETE (dir.), Estèle JOUISON-LAFFITTE, Florence KREMER, Martine HLADY, Jérome BONCLER, Thomas BOUCHER, François BOUSQUET, Jean DONDI, Alain MEIAR, Christophe PAPIN, Fabrice SCIPION

Chaire Entrepreneuriat de l’Université Montesquieu Bordeaux IV Equipe Entrepreneuriat de l’IRGO (institut de recherche en gestion des organisations)

[email protected] Résumé : La notion de Business Model (BM dans la suite du texte) est apparue avec les start-up sur Internet. L’équipe de 11 chercheurs réunie pour ce projet s’est appuyée sur une théorisation du BM dans ce contexte de création d’entreprise. Cette communication apprécie la pertinence de cette théorisation dans le contexte d’entreprises établies. Le travail s’est intéressé à des entreprises présentant a priori un potentiel entrepreneurial, notamment en termes de développement. Le terrain des entreprises du secteur du bâtiment a pu être exploité grâce à la participation de la Fédération Française de Bâtiment de Gironde (FFBG) au financement d’une Chaire. Avec ce partenariat, ce qui intéressait l’équipe de recherche était d’apprécier la possibilité de déployer à la fois sa théorisation du BM et ses déclinaisons en outils avec des entreprises existantes dans un secteur établi et plus exactement sur des activités pouvant être considérées comme traditionnelles. Si, du point de vue des chercheurs, le travail fournissait l’occasion d’élargir le contexte de leur travail antérieur (contexte de création d’entreprise), pour la FFBG il s’agissait de fournir aux jeunes dirigeants l’occasion de poser une réflexion sur le potentiel de leur entreprise. Selon la FFBG, l’un des problèmes réside dans la taille des entreprises, jugées trop petites, qu’il faudrait aider à grandir. L’intérêt des chercheurs et celui des acteurs du bâtiment se retrouvent autour de la question de recherche suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes dirigeants d’entreprise du secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris par eux et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ? Cette question de recherche est la première d’un programme appelant plusieurs phases de travail, appelant elles-mêmes plusieurs étapes. Pour sa première phase, ce programme mobilise une équipe de 11 chercheurs et l’échantillonnage a retenu 5 cas. Alors que de nombreux textes portant sur le BM font l’économie d’une phase empirique, ici une recherche-action est déployée, sur la période juillet 2009 – janvier 2011. Ce texte part d’un rapport de recherche (Verstraete et al. 2011a) et d’une communication, ici enrichie, lors du congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation (Verstraete et al. 2011b) qui est ici remerciée pour l’autorisation donnée à la présentation lors du Workshop.

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Introduction Avec les premières start-up sur Internet, les investisseurs, sentant un potentiel d’affaires à exploiter, avaient besoin de comprendre un système leur paraissant complexe. Cette complexité était le fruit de la conjonction de plusieurs facteurs parmi lesquels la nouveauté, le vocabulaire employé par des initiés inventant sans cesse de nouvelles expressions, ou encore les astuces à trouver pour capter des revenus alors que l’utilisateur n’était pas forcément le payeur. Un effort supplémentaire était alors exigé auprès des porteurs de projet pour rendre intelligible non seulement leur idée puis leur marché, mais également tout un ensemble d’éléments relatifs à la façon de gagner de l’argent, à la chaîne de valeur, aux relations avec les parties prenantes, etc. La notion de Business Model (BM dans la suite du texte) est apparue dans ce contexte104. Certains diraient, hormis l’hermétisme du vocabulaire parfois employé par les acteurs de ce nouveau domaine, « rien de nouveau sous le soleil ». Ce n’est pas faux. Pour tout type de projet, il convient : de montrer le marché potentiel et la capacité à lever des bons de commande ; d’expliquer comment l’offre va être, d’une part, produite à partir des ressources réunies et, d’autre part, délivrée au marché ; d’estimer le volume d’affaires selon les ambitions affichées ; de rassurer sur la qualité des partenaires ; etc. Pourtant, tel un buzzword, l’expression BM s’est diffusée de façon spectaculaire, certes au départ dans le domaine Internet, puis dans ce qui peut être qualifié de « high-tech ». Désormais, on entend parler de BM quelles que soient la nature du projet (économie sociale et solidaire, art, culture, …), l’expression du phénomène entrepreneurial (création d’entreprise, reprise d’entreprise, intrapreneuriat, etc.), la forme institutionnelle (entreprise, association, fondation, …, du domaine privé ou du domaine public). Ce vocabulaire est entré dans le monde des affaires et se retrouve même employé par des grands groupes établis (voir par exemple le rapport d’activité 2010 de L’Oréal). Ce n’est pas sans agacer certains spécialistes en stratégie condamnant les excès de ceux érigeant le BM comme l’indispensable concept à connaître aujourd’hui (ex : Porter, 2001). Lors d’un échange relatif au travail ici présenté, notre interlocuteur, tout en reconnaissant l’intérêt de discuter la notion de BM hors du contexte dans lequel elle a été créée (et plus exactement diffusée), nous disait : « il est tentant de mettre cette idée à la mode à toutes les sauces et comme dans le siècle précédent, on s’est demandé si les dirigeants ne faisaient pas du marketing (du BM) comme Monsieur Jourdain de la prose. ». Nous rejoignons ce propos, c’est pour cette raison que notre équipe mène des travaux dans le cadre de recherches-actions pour apprécier l’utilité du BM dans un contexte précis et opérationnel. En synthèse, ces spécialistes en stratégie font preuve de prudence pour au moins trois raisons. Premièrement, bon nombre d’entreprises (en création ou établies) ont réussi, ou réussissent, sans connaître ce concept et sans utiliser les rares outils en découlant. A ce titre, c’est avec modestie qu’il convient de décliner les concepts auprès de ses utilisateurs potentiels. Deuxièmement, ces outils ne sont pas toujours explicitement mis en œuvre par des théoriciens trop souvent éloignés des réalités du terrain qu’ils décrivent et faisant parfois du BM un concept fourre-tout sur la base d’anecdotes, s’exonérant ainsi de démarches empiriques. En d’autres termes, ils théorisent sans mettre à l’épreuve des faits et de la pratique le fruit de leur

104 Selon Desmarteau et Saives (2008), la première utilisation de l’expression BM daterait de 1957 avec un texte de Bellman et al. (1957). Le BM y correspondait à une modélisation mathématique des sources de revenus dans le cadre d’un jeu d’entreprise.

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cogitation. A cet effet, notre adhésion à une conception praxéologique et ingénierique des sciences de gestion nous conduit à opérationnaliser nos concepts. Troisièmement, le risque de redécouvrir des choses bien connues est présent. Les écrits ou les pratiques mobilisant le BM prennent parfois des raccourcis témoignant d’un manque de connaissance de certains outils. Avec cette nécessaire prudence, nous considérons le BM comme une boîte à outils, ou comme une perspective originale sur la conception des affaires conduisant néanmoins à solliciter les outils éprouvés. Dans tous les cas, le chercheur ne peut ignorer une notion dont le terrain s’empare et a en charge d’éclairer à la fois sur sa nature, ce qu’il peut contenir et, dans un souci de valorisation socio-économique, ce qu’on peut en faire. Cet objectif ne peut pas s’imaginer sans démarche empirique. L’équipe de recherche ayant conduit le travail ici présenté s’intéresse au BM. Elle s’appuie sur des travaux ayant conduit à une théorisation déclinée en outils mis en œuvre sur le terrain de la création d’entreprise (Jouison, Verstraete, 2008 ; Jouison, 2008 ; Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009, 2011). L’un des objectifs poursuivi est de dépasser ce contexte pour interroger l’utilisation du BM dans le cadre d’une entreprise existante. Une opportunité de terrain s’est présentée dans le secteur du bâtiment. Ce terrain a pu être exploité grâce à la participation de la Fédération Française du Bâtiment de Gironde (FFBG) au financement de la Chaire Entrepreneuriat de l’Université Montesquieu Bordeaux IV. Selon le Président de la FFBG, l’un des problèmes des entreprises du bâtiment du département de la Gironde réside dans la taille des entreprises, jugées trop petites, qu’il faudrait aider à grandir. L’intérêt des chercheurs et celui des acteurs du bâtiment se retrouvent autour du BM qui peut être un outil au service des jeunes dirigeants souhaitant exploiter le potentiel entrepreneurial de leur organisation. Les échanges entre les chercheurs de l’équipe et des acteurs du bâtiment ont en effet montré que les deux objectifs pouvaient se rejoindre. Les chercheurs utiliseraient le BM sur le terrain des entreprises du bâtiment pour que leurs dirigeants puissent apprécier l’outil afin d’exploiter le potentiel entrepreneurial de leur organisation. En effet, pour cette première phase du travail, le protocole a plus exactement consisté à apprécier la capacité du dirigeant, d’une part, à comprendre le BM et, d’autre part, à percevoir l’intérêt de le mobiliser. Les deux aspects sont liés. La capacité renvoie à l’effort d’apprentissage que le dirigeant ne déploiera qu’à la condition d’y trouver un intérêt. Ainsi, notre question de recherche a été la suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes dirigeants d’entreprise du secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris d’eux et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ? La réponse à cette question se fait en deux temps. Premièrement, nous revenons au contexte originel (création d’entreprise) du BM et à sa première fonction (quête d’intelligibilité). Nous verrons que la création de sens constitue le cœur de cette notion. Ce sens n’est pas construit uniquement par un créateur mais par un ensemble de partenaires partageant une certaine vision d’un monde collectivement construit. Cette construction conduit à l’émergence d’une convention faisant du BM, en quelque sorte, le medium de l’expression de la vision de ce « monde commun » aux multiples parties prenantes (dirigeants, fournisseurs, clients, salariés, etc.) que devrait constituer l’entreprise (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009, 1011). C’est, deuxièmement, cette conception qui est mobilisée par l’équipe de recherche et le cadre opératoire afférent ainsi que les résultats de la recherche sont présentés. Ce cadre est une recherche-action ayant mobilisé une équipe de 11 chercheurs et 5 dirigeants sur une période allant de juillet 2009 à février 2011. Les résultats reconnaissent l’utilité du BM, lequel est compris par les dirigeants suffisamment intéressés pour demander la poursuite du travail selon

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une perspective en partie déjà discutée. Ce travail comporte également des limites qui sont présentées ainsi que des apports moins directement liés à la réponse à la question. 1. Les soubassements théoriques : le Business Model comme traduction d’une convention créatrice d’un sens pour le collectif impliqué Ici, nous allons tout d’abord rappeler la nécessité de modéliser les objets (situations, faits, projets, etc.) perçus comme complexes par les acteurs, notamment pour que ces derniers saisissent le sens des éléments observés. Ensuite, la théorie de la traduction est évoquée. Ce qui pourrait paraître anecdotique permet plus sérieusement de convoquer un vocabulaire pertinent qui lui est emprunté et d’insister sur la nécessité de communiquer les modèles selon des formes comprises. Cette section montre que le BM est la traduction d’une convention créatrice de sens pour le collectif réuni autour des affaires. Le mot sens est utilisé dans sa polysémie, puisqu’il indique autant l’intelligibilité que la direction à prendre. La perspective systémique et la théorie de la traduction apportent des éléments intéressants d’éclairage et de vocabulaire pour comprendre ce sens. Mais c’est la théorie des conventions qui, depuis plus d’une décennie, guide l’équipe dans ses réflexions sur l’objet BM. Autrement dit, dans cette première partie du texte et pour ce Workshop dont le thème est le lien entre la théorie et la pratique, nous commençons par livrer le contenu théorique de notre conception du BM (saisir le complexe, le traduire et comprendre la dynamique collective le faisant naître) en précisant ensuite, avec une littérature plus circonscrite au BM, les composantes de celui-ci pour en adopter une définition issue d’un modèle (en quelque sorte un modèle du BM) éprouvé sur le plan pratique (utilisation sur le terrain) et reconnu sur le plan académique (publications)105. 1.1. La nécessité de modéliser des affaires pour en offrir une représentation par une traduction de l’organisation globale du système entreprise Les premières affaires imaginées par quelques esprits créatifs sur internet étaient souvent incompréhensibles pour les parties prenantes potentielles, notamment les investisseurs, découvrant un domaine complexe, pour des organisations elles-mêmes complexes (la systémique s’est intéressée à ce titre à l’entreprise comme système complexe). Nous allons traiter la nécessité de modéliser le complexe pour ensuite mobiliser une traduction rendant la représentation à la fois possible et accessible. S’agissant de la complexité, depuis von Bertalanffy (1968), les approches systémiques ont insisté sur la nécessité de modéliser les objets complexes pour les rendre intelligibles (Le Moigne, 1977; Morin, 1977 ; et bien d’autres). Il s’agit de comprendre comment les choses sont organisées au sein d’ensembles plus ou moins vastes. Ces ensembles sont composés d’éléments de différentes natures interagissant pour produire des manifestations difficiles à simplifier sans risquer de perdre dans la compréhension du fonctionnement global. L’une des idées clés de la systémique est d’admettre l’impossibilité de comprendre le fonctionnement d’un tout par une décomposition de ses parties ensuite ré-agencées mécaniquement. L’organisation est plus complexe. Elle structure les éléments en leur affectant une place et une fonction dans un système pouvant lui-même être un élément d’un autre système plus vaste.

105 Le modèle du modèle, pouvant être traduit sous différent langage (oral, écrit, schéma, mathématique, etc.), est ici circonscrit à la compréhension d’une affaire (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009), qui serait une combinaison du modèle-maquette et du modèle économique présentée par Eyquem Renault (2011). Cet auteur parle également du modèle exemple, qu’on trouvera évoqué par Baden-Fuller et Morgan (2010).

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En considérant son entreprise comme un système complexe, tout dirigeant doit en effet considérer l’ouverture de celui-ci sur d’autres systèmes et organiser les choses de façon adéquate, c’est-à-dire en composant à la fois avec des nécessités opérationnelles et des désirs stratégiques. L’organisation, qui est autant une dynamique qu’une entité résultant de celle-ci, correspond à un agencement ou à une mise en ordre certes toujours relative à l’observateur (Atlan, 1979). Organiser, c’est ordonner l’évolution des éléments (tangibles, intangibles, … humains, non humains, …), dans un sens favorable à l’organisateur ; encore faudra-t-il que ce dernier fasse partager son but aux acteurs qu’il souhaite impliquer en leur faisant voir l’ordre qu’il tente d’établir et les inciter à y contribuer. Le dirigeant doit ainsi convaincre les parties prenantes potentielles d’apporter les ressources de toute nature permettant d’organiser les choses de sorte à atteindre le futur désiré. Comprendre une entreprise nécessite de mettre au jour ce qui constitue le cœur des affaires grâce à une modélisation rendant intelligible l’organisation afférente, laquelle ne se restreint pas à un organigramme ou à un processus de fabrication, mais témoigne d’une dynamique de captation de ressources, d’organisation de ces ressources pour fabriquer la valeur proposée (l’offre) et de proposer effectivement la valeur fabriquée (Verstraete et al, 2010, p180). La modélisation atteint son objectif à la condition d’être comprise par ceux à qui elle est destinée par l’utilisation d’un langage approprié. Il convient alors, en quelque sorte, de procéder à une traduction du modèle pour passer d’une représentation générique à une traduction comprise par l’interlocuteur approché. Ainsi, s’agissant de la traduction, quel que soit le système étudié, pour que l’image qui en est donnée (représentation par un texte, un schéma, une formule mathématique, un récit … ou une combinaison de plusieurs formes) soit assimilée par le destinataire de la connaissance apportée, encore faut-il que le langage utilisé soit compris par celui-ci. Pour passer d’une image représentative du système à une représentation cognitive (c’est-à-dire à la génération d’un schéma mental créateur de sens pour celui qui apprend), il convient en effet de transmettre selon un langage accessible. Pour une entreprise, cette transmission concerne un sens relatif, à la fois, à une quête d’intelligibilité et à une direction à prendre pour atteindre un futur désiré. Elle ne concerne pas uniquement le vocabulaire employé. C’est, entre autres, ce qu’on pourrait tirer de la théorie de la traduction, qui ne se réduit pas à des considérations linguistiques. Elle montre l’implication des différentes composantes du système en tant que médiateurs ou intermédiaires pour lier l’ensemble (Callon et Law, 1988 ; Akrich et Callon, 2006). Ces composantes sont humaines (par exemple les parties prenantes) ou non humaines (par exemple Internet). Autrement dit, cette théorie (appelée également théorie de l’acteur réseau) considère tous les objets comme des acteurs potentiels d’un réseau. Au risque de caricaturer, on pourrait dire que ces objets parlent, c’est-à-dire communiquent ou, plus exactement, peuvent être considérés comme des médiateurs faisant tenir l’ensemble. Chacun d’entre eux posent des problèmes, auxquels sont apportés des solutions par un jeu de médiations stabilisant le système. La théorie de la traduction n’est pas au cœur de notre conceptualisation du BM, néanmoins elle propose un vocabulaire signifiant et elle est stimulante pour considérer le BM comme un acteur aidant à la construction et au maintien du système entreprise (la théorie de la traduction parlerait de point de passage obligé). Il s’agirait alors de réunir un groupe de départ, impliquant un nombre réduit d’acteurs enrôlés pour l’occasion, c’est-à-dire que ces acteurs se voient affectés une tâche au sein du système pour agir en tant qu’intermédiaires et, ainsi, lier un réseau se développant en intégrant d’autres acteurs. La mise en relation des acteurs est rendue possible par la traduction, c’est-à-dire par l’établissement d’un lien entre des enjeux a priori hétérogènes. Dans notre cas, les acteurs humains (les fournisseurs, les salariés, les

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entrepreneurs, les acteurs du développement local, etc.) ont des enjeux spécifiques mais participent ensemble à un système se stabilisant, notamment par la voie du porte-parole essentiel qu’est l’entrepreneur. Plus exactement, celui-ci est le traducteur du problème générique et doit se faire accepter dans ce rôle, ce qui est facilité lorsque ce problème intègre les attentes d’un collectif. Ce dernier point nous semble essentiel dans la création d’un sens constituant la genèse du BM, c’est-à-dire la façon dont un ensemble partage la conception des affaires envisagées. Si la théorie de la traduction aide à reconnaître le rôle essentiel de l’entrepreneur (le porte parole) et du BM (point de passage obligé), la théorie des conventions constitue le corpus que nous mobilisons pour expliquer la nature du BM, notamment le partage ci-dessus évoqué. 1.2. La théorie des conventions pour expliquer la nature du Business Model Verstraete et Jouison-Laffitte (2010), en reprenant Desreumaux (1998, s’appuyant sur Barnard, 1938, et Simon, 1947), rappellent que l’équilibre de l’organisation dépend de l’apport d’un ensemble d’acteurs attendant en retour une rétribution (ex : un salaire rétribuant le travail d’un employé, un produit comme un paiement pour les clients, etc.). La relation est durable si chaque partenaire est satisfait selon son propre système d’évaluation. Ce qui veut dire qu’un possesseur de ressources (financeur pour l’argent, bailleur pour un local, salarié pour son travail, …), avant d’apporter celles-ci, fait généralement plus ou moins explicitement part de ses attentes. La solution au problème qui lui est soumis doit intégrer ces dernières. A défaut, il ne s’engage pas. Ainsi vu, le problème générique posé par l’entrepreneur (par exemple l’identification d’une demande non satisfaite), et auquel il voit une solution profitable, nécessite de considérer les enjeux pour les parties prenantes potentielles. Il est posé par un collectif exigeant. Verstraete et Jouison-Laffitte, qui travaillent le BM en contexte de création d’entreprise, parlent de « cristallisation » des parties prenantes (et ils convoquent la théorie afférente ; Freeman et Reed, 1983 ; Clackson, 1995 ; Donaldson et Preston, 1995 ; …). Cette cristallisation autour d’un projet de création d’entreprise est liée à une représentation collective faisant accord sur la façon de concevoir l’affaire en démarrage. Sans cet accord, les chances de cristallisation sont faibles. Pour éclairer cette représentation collective, les auteurs mobilisent la théorie des conventions. Ils partent (voir 2009, 2011) du numéro de mars 1989 de la « Revue Economique » où sont posés les jalons d’un programme de recherche sur la convention. Celle-ci n’est pas réduite à une coordination de nature informative mais à une coordination de relations, pour envisager que l’échange marchand est lié à un cadre commun de référence qui est une convention. Il ressort de leur revue de la littérature que les acteurs d’un espace-temps partagent une base de connaissances communes influençant leur comportement. La récurrence des situations traversées stabilise le système par une coordination des acteurs qui, ce faisant, contribuent à l’émergence d’une représentation collective les aidant à interpréter leurs propres comportements par rapport à un référentiel de comportements communément admis dans l’espace-temps considéré (cf. Orléan, 1994). Outre cet ajustement des comportements intersubjectifs, il y aurait un phénomène de mimétisme (Gomez, 1994). L’idée n’est pas de dire que tout le monde va être conduit au même comportement, mais la convention reste le résultat d’une combinaison entre des actions individuelles, et en cela elle évolue, et un cadre contraignant les sujets (Dupuy et al., 1989). Autrement dit, l’acteur décide aussi par mimétisme puisque ce cadre, permettant de préjuger du comportement des autres, le guide d’autant plus que la situation lui paraît incertaine et qu’il est hésitant. C’est ainsi que cette théorie répond à la gestion de l’incertitude en laissant à l’acteur la possibilité de décider de son comportement par une combinaison de motivations ou de capacités cognitives idiosyncrasiques et une représentation plus collective et régulée, justement, par ces allers et retours entre l’individu et le système dont il est autant le produit

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que la cause. Le cadre commun autorise les accords entre les individus agissant ; il peut se désigner sous différents vocables : convention constitutive, paradigme, sens commun, modèle cognitif, etc. (Eymard-Duvernay, 2006). Il permet de comprendre la coordination des conduites humaines (Eymard-Duvernay et al., 2006). Ainsi, selon Verstraete et Jouison-Laffitte, ce cadre commun autorise l’émergence d’une entreprise autour de la façon dont une affaire est envisagée et, en étant soutenue par un collectif, donne naissance à une convention constituant l’entreprise (action d’entreprendre) pour donner lieu à la création d’une firme (l’entreprise en tant qu’entité). Chargé d’intentions, d’une histoire sociale elle-même porteuse de règles ayant forgé son vécu expérientiel, l’individu apprécie les conventions l’entourant. Cette appréciation suppose de comprendre que les acteurs qu’il rencontre vont adhérer à son projet en fonction des conventions influençant leur propre comportement. Autrement dit, son projet doit donner du sens, lequel prend corps dans la convention qu’il va faire naître avec les acteurs convaincus le rejoignant. Le BM est la traduction de cette convention rendant intelligible le système complexe qu’est l’entreprise (qu’elle soit en création ou établie). 1.3. Faire « voir » le contenu de la convention pour faciliter l’exercice de conviction : un modèle de Business Model Au regard des deux sous-sections précédentes (1.1 et 1.2), nous faisons du BM la traduction d’une convention (cadre commun partagé) créant du sens par, et pour, des parties adhérant aux affaires proposées et participant à la construction de ces affaires par un apport de ressources tangibles ou intangibles. L’entrepreneur, en tant que porte parole, présente la convention en construction aux possesseurs de ressources approchés. En transformant le BM en outil, celui-ci sert alors la mise au point du projet et l’exercice de conviction consistant à faire adhérer les parties prenantes. A cette fin, et pour faciliter la compréhension du destinataire du propos, le BM lui-même nécessite une modélisation pour, en quelque sorte, le « faire voir » aux intéressés (en premier lieu le créateur lui-même). Par faire voir, nous voulons dire une capacité à générer, dans l’esprit de celui qui reçoit le message, un schéma cognitif fournissant l’intelligibilité dont il a besoin pour comprendre l’affaire proposée et s’y projeter. Sans ce sens, il y a peu de chance qu’il participe au projet. L’un des problèmes posé à l’entrepreneur est que l’individu à qui il s’adresse tend à interpréter l’information selon ses schèmes du moment (Cossette, 1994), à partir des situations antérieures qu’il a vécues (Moscovici, 1986), de ses émotions (Damasio, 1995), de son engagement (Weick, 1979), etc. Il faudrait aller puiser dans les théories de la représentation, par exemple des schémas causaux (Kelley, 1967, 1972), de l’attribution (Heider, 1971, 1958), de la dissonance cognitive qui révèle l’homme comme rationnalisant plutôt que rationnel (voir Beauvois et Deschamps, 1990), et bien d’autres. Nous ne ferons pas une revue de la littérature en la matière, mais les connaissances pouvant en être tirées pour notre objet de recherche montreraient que l’entrepreneur est devant la difficulté de vouloir changer les choses alors que les individus à qui il s’adresse ont un fonctionnement cognitif plutôt stable, surtout lorsque des représentations sociales figent un noyau dur particulièrement difficile à atteindre en termes de changement (voir Jodelet 1989 pour un ouvrage générique sur les représentations sociales, Abric, 1994a et b, pour la théorie du noyau central). Il faut donc aider la structure cognitive à intégrer le BM en tant que représentation créant du sens dans le système investi. Le créateur doit parvenir à produire, par une traduction, la génération d’une image mentale représentative du BM. C’est cette image qui est signifiante pour le destinataire du propos. Evidemment, l’entrepreneur procède à l’exercice à partir de ses

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propres représentations cognitives qui ne sont pas l’exact reflet du BM en construction. Le BM est le fruit d’une représentation collective, mais on admettra aisément que l’entrepreneur, en tant que porte parole, est celui qui en a la représentation la plus complète ou au moins la plus congruente. On notera aussi que plus le projet est innovant, plus l’exercice de conviction peut être difficile (faire adhérer). Plus le projet est complexe, plus sa modélisation est utile (quête d’intelligibilité). Si, de plus, on souhaite aider l’entrepreneur pour que la convention émerge, puis se maintienne, il convient de lui fournir les outils aidant à imaginer ce qu’elle peut être. Il faudrait, en quelque sorte, « modéliser le modèle » pour comprendre ce qu’il est (sa nature), et ensuite y mettre du contenu. Après avoir discuté de sa nature (la convention décrite précédemment), Verstraete et Jouison-Laffitte en ont proposé un contenu générique ci-dessous résumé. Ils considèrent, en se basant sur la littérature et en investissant des terrains dans le cadre de la mise au point de projet, que le BM est un artefact social et en propose la définition suivante : « le BM est une convention relative à la génération de la valeur, à la rémunération de celle-ci et au partage de cette rémunération. Notre conception conduit à parler de modèle GRP (génération, rémunération, partage). » (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009, p. 9 ; voir également 2011). Il est possible de considérer plus exactement le BM comme étant soit l’artefact, soit la traduction de cette convention décrite par les auteurs. La génération de la valeur comporte trois catégories de connaissance : la proposition de valeur, la fabrication de celle-ci et le porteur du projet. La « proposition de valeur » est une expression désormais répandue dans la littérature portant sur le BM (Maître et Aladjidi, 1999 ; Osterwalder, 2004). Il s’agit de générer une offre fournissant de la valeur à ceux à qui elle s’adresse, et en premier lieu les clients qui sont sans doute les premières parties à convaincre pour voir les autres parties adhérer au projet (l’objectif d’une étude de marché bien menée est de montrer l’existence d’un marché composé de clients disposés à acheter). Si l’offre n’apporte pas de valeur, il y a peu de chance pour que des consommateurs désirent l’acquérir (les écrits à ce propos sont évidemment nombreux, en stratégie comme en marketing, sachant qu’on pourrait remonter aux thèses de Smith ou de Ricardo). Bref, qui voudrait de quelque chose qui ne vaut rien ? Il s’agit de cerner l’utilité de l’offre pour des segments de marché et des consommateurs identifiés, de clairement savoir pour qui la valeur est créée, ce qui conduit également à apprécier la concurrence (Afuah et Tucci, 2001 ; Magretta, 2002 ; Chesbrough, 2003 ; Morris et al., 2005). Le BM explique alors pourquoi, d’une part, la clientèle ciblée trouve intéressante la proposition de valeur et l’acquiert. Cette acquisition suppose que cette offre soit fabriquée et effectivement proposée par un acteur auquel le système reconnaît une légitimité, notamment dans sa capacité à tenir sa promesse (donc à fabriquer l’offre). On ne réussit jamais seul, il faut échanger une valeur attendue par ceux qui apportent les ressources de toute nature nécessaires ou utiles au projet d’entreprendre (donc qui a une valeur pour celui-ci). Ainsi, à côté de la valeur attendue par les clients, on ne minimisera pas les attentes des fournisseurs, des salariés, des financeurs, etc. La génération de la valeur est rendue possible par la participation d’un réseau apportant ses ressources au projet. Ce réseau est d’ailleurs déjà souvent impliqué dans une construction du secteur, lequel possède déjà son architecture des échanges entre acteurs. Cette vision de l’entreprise n’est pas fondamentalement nouvelle comme nous l’avons précédemment évoqué. Tant que les partenaires sont satisfaits de l’échange, la relation est durable et l’entreprise pérenne. La littérature sur le BM fait référence à un réseau de valeur (Shafer et al., 2005) contribuant à la fabrication de la valeur. Le BM s’amende par les exigences des parties prenantes potentielles rencontrées, évidemment sans croire pouvoir toutes les intégrer. Ce qu’il faut, c’est emporter l’adhésion d’un nombre suffisant de parties prenantes en fonction de

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l’ambition du projet, autant pour le démarrage de celui-ci que pour sa pérennité. Les partenaires idéaux n’adhèrent pas toujours, mais le projet n’est pas forcément mis en péril. Toutefois, la qualité du réseau réuni impacte le BM qui se construit en fonction des ressources captées. Le BM dépend ainsi autant de la considération des attentes des parties prenantes que de la qualité des ressources effectivement obtenues ou promises. L’adhésion des parties prenantes appelle en conséquence une autre dimension du BM car une partie n’apporte la ressource qu’en compensation de ce qu’elle tire de la relation d’échange. Cette dimension du partage appelle un exercice de conviction car il ne faudrait pas croire en une compréhension spontanée du modèle. L’espace investi est composé d’acteurs ayant des attentes de différentes natures et le système s’est construit de sorte à ce que ces attentes soient satisfaites par des échanges de valeur (analogie avec l’architecture de la valeur). Evidemment, l’entreprise doit gagner quelque chose de tout cela, notamment contre la valeur qu’elle apporte au marché. Verstraete et Jouison-Laffitte (2008, 2009, 2010) parlent de rémunération de la valeur (elle correspond à ce que d’autres appelleraient le modèle économique). Il s’agit de comprendre la manière (Maitre et Aladjidi, 1999), ou la logique (Linder et Cantrell, 2001 ; Morris et al. 2005), ou les mécanismes (Chesbrough, 2003) ou le plan (Kumar et al., 2003) permettant de capter des revenus. Bref, comment l’entreprise gagne-t-elle de l’argent (Petrovic et al., 2001 ; Magretta, 2002 ; Morris et al., 2005) ? Comment l’entreprise vend et achète des biens et services et gagne de l’argent (Osterwalder, 2004, p.14) ? Une fois les sources et le volume des revenus identifiées (Timmers, 1998 ; Morris et al. 2005), il s’agit évidemment d’apprécier le potentiel de gain (Dubosson-Torbay et al. , 2002), aujourd’hui et demain (Rappa, 2000 ; Afuah et Tucci, 2001 ; Petrovic et al., 2001). L’appréciation de ces gains nécessite de mettre au jour la structure des coûts et les marges. Cette rémunération de la valeur est le prix payé par des marchés intéressés par ce qui est proposé. Elle comporte a minima les sources de revenus, le volume de ceux-ci et une estimation des profits (et donc évidemment une estimation des coûts). Le modèle GRP peut être résumé par le tableau suivant.

Tableau 1. Les composantes du BM par le modèle GRP Génération Rémunération Partage Le(s) porteur(s) de projet (qui propose l’offre ?) Expérience Motivations Entourage Etc.

Les sources des revenus Les canaux Les payeurs Etc.

Conventions et Conviction Comprendre les conventions du contexte. Exemples : Du monde de la création d’entreprise Du secteur d’activité Des univers des parties prenantes Etc.

La proposition de valeur (l’offre) Idée Marché Ambition, Concurrence Etc.

Le volume des revenus Chiffre d’affaires Part de marché (aujourd’hui et/ou demain) Eléments non financiers (ex : notoriété) Etc.

Le réseau des parties prenantes Identification des parties prenantes potentielles et de leurs éventuelles connexions Optimisation des échanges (gagnant-gagnant) Etc.

La fabrication de la valeur (l’organisation) Identification des ressources Capacité à capter, à agencer les ressources (organisation) Capacité à délivrer l’offre Etc.

Les profits Performance financière (marge, seuil de rentabilité…) Performance non financière (climat social, notoriété, …) Etc.

L’architecture de la valeur Mode de répartition actuel de la valeur Mode envisagé de répartition futur de la valeur Etc.

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Ce tableau a été traduit en grille d’entretien pour investir le terrain des entreprises du bâtiment106. 2. Un cadre opératoire déployé sur le terrain des entreprises du bâtiment pour des résultats montrant l’utilité du Business Model La grille GRP sert la collecte des informations et la représentation du BM des entreprises du bâtiment selon un protocole de recherche-action déployé pour répondre à la question de la compréhension et de l’utilité du concept de BM pour ces entreprises. 2.1. Un cadre opératoire basé sur une recherche action Susman et Evered (1978), dans un texte restant d’actualité, considèrent que les sciences de l’organisation vivent une crise dont l’un des symptômes est une sophistication croissante de méthodes inutilisables par les praticiens. Ces méthodes accumulent une connaissance sans que les acteurs supposés être intéressés ne puissent la mobiliser, notamment parce que la construction du savoir est trop souvent déconnectée des problèmes rencontrés par ces praticiens. Les auteurs montrent qu’il s’agit d’une lacune que d’autres perspectives peuvent combler sous réserve de ne pas verser dans le modèle unique de la science, donc en révisant certains critères de scientificité (par exemple l’idée de « test »). Sans rejeter quelque méthode que ce soit, il n’est pas déraisonnable de considérer qu’en Sciences de Gestion certains problèmes nécessitent une définition commune (entre chercheur et acteurs du terrain étudié) pour que le pilotage de l’organisation puisse utiliser la connaissance apportée par des chercheurs qui, par ce principe, peuvent difficilement rester neutres. Susman et Evered proposent la « recherche-action » (RA dans la suite du texte) comme une alternative permettant à l’activité de recherche de rester en phase avec les problèmes auxquels les praticiens font face. Elle nous semble être un cadre opératoire répondant particulièrement bien au thème du workshop « de la théorie à la pratique ». Notre RA s’appuie donc sur le processus cyclique proposé par Susman et Evered (figure 1).

Figure 1 : Le processus cyclique de la recherche action (Susman, Evered, 1978, p.588)

106 Cette grille fait plusieurs dizaines de pages et peut être envoyée aux lecteurs en formulant la demande aux auteurs.

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La RA est, historiquement, une méthode de recherche qualitative de type participatif où le chercheur s’implique volontairement dans les systèmes sociaux qu’il étudie et apprécie, en conséquence, l’évolution de la situation et/ou des comportements. Cette forme de RA s’inscrit dans la lignée Lewinienne. Jouison-Laffitte (2009) relèvent les points communs des textes légitimant la RA comme méthode scientifique : « la R.A. est un processus ; c’est une méthode de recherche visant à résoudre des problèmes concrets en situation ; elle est mise en œuvre par une collaboration entre les chercheurs et les acteurs de l’entreprise (l’implication de ces derniers dans la recherche pouvant être plus ou moins reconnue selon les auteurs) ; son objectif est de produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées. » (p.4). Elle relève également le caractère cyclique de la RA (cf. tableau 1). Tableau 1 : la recherche action, un processus cyclique (Jouison-Laffitte, 2009)

Références Les étapes du cycle d’une recherche action

Argyris et al. (1985) « Cycles itératifs » : (1) Identification du problème ; (2) Planification ; (3) Action ; (4) Evaluation

Hult et Lennung (1980) « Processus cyclique » : (1) Définition du problème; (2) Planification de l’action ; (3) Mise en œuvre ; (4) Retour des données; (5) Evaluation

Lewin (1946) « Cycle » : (1) Planification; (2) Action; (3) Découverte de faits à propos de l’action

Stringer (1996) « Spirale » : (1) Regarder ; (2) Penser ; (3) Agir

Susman et Evered (1978) « Processus cyclique » : (1) Diagnostiquer ; (2) Planifier l’action ; (3) Réalisation de l’action ; (4) Evaluer ; (5) Spécifier

Notre RA s’appuie sur le processus cyclique proposé par Susman et Evered (figure 1).

Chaque phase du processus est rappelée ci-dessous, en montrant comment elle s’est concrètement exprimée dans notre recherche. → La première phase du cycle concerne la perception du problème, laquelle appelle une négociation entre les parties réunies. Une demande explicite est spontanément formulée ou émerge implicitement de la rencontre et des échanges entre le(s) chercheur(s) et le(s) ou le(s) acteur(s) du terrain. Le problème a émergé lors d’une première réunion par des échanges entre les chercheurs et les représentants de la FFBG. Les deux chercheurs représentant l’équipe lors de cette rencontre ont évoqué que celle-ci était à la recherche de partenaires pour la Chaire entrepreneuriat et d’un terrain pour étendre le champ d’application des connaissances précédemment apportées sur le BM (préalablement circonscrites au contexte de la création d’entreprise). Du point de vue de l’équipe, la question afférente à ce problème serait : le BM, tel que conceptualisé par l’équipe, peut-il dépasser le contexte de la création d’entreprise et devenir un outil d’aide à la décision pour les dirigeants d’organisation (firme, association, etc.) ? Lors de cette rencontre, la FFBG était représentée par le Président départemental, le secrétaire de cette fédération et un jeune dirigeant d’entreprise. Ils ont formulé le souhait de moderniser les pratiques de formation des jeunes dirigeants notamment pour aider les plus ambitieux, c’est-à-dire ceux désirant faire croître leur entreprise. La FFBG est persuadée que la petite taille des entreprises est l’un des problèmes du secteur dans le territoire géographique concerné. La question caractérisant le problème pointé du point de vue de la FFBG serait : quels moyens (ou outils) utiliser pour sensibiliser les jeunes dirigeant à la nécessité de développer leur entreprise, voire les y inciter ?

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Chacune des parties a écouté l’autre pour recevoir ses intuitions. Les échanges entre parties a conduit à la question de recherche suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes dirigeants d’entreprise du secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris par eux et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ? Le souhait de croissance (la FFBG pensant que les petites entreprises du département doivent gagner en taille) n’a pas été intégré à la question pour que celle-ci ne soit pas perçue comme une nécessité. Au regard des échanges, il a aussi été précisé que la recherche concernerait les jeunes dirigeants et pas la FFBG. → La deuxième phase du cycle vise à planifier l’action. Si nous sommes restés dans le cadre d’une RA, la notion de mythe rationnel de la RI (Hatchuel et al. 1986, in David, 1998) nous a conduit à être un peu plus exigeant sur cette phase. Il s’agit d’une vision idéalisée de l’organisation vers laquelle il faudrait tendre. Cette phase implique l’élaboration d’un modèle théorique se matérialisant par un outil de gestion décliné sur le terrain étudié. Le BM mis au jour est, dans une certaine mesure, déjà une vision idéalisée (nous y reviendrons), mais pas celle d’un futur ou de souhaits vers lesquels il faudrait tendre. Nous ne sommes donc pas dans une RI, mais le BM est bien un modèle théorique décliné sur le terrain de la FFBG. Une réunion s’est tenue dans les locaux de l’Université avec 11 chercheurs, 5 dirigeants, 2 observateurs de la FFBG. Elle a permis de recevoir l’agrément des dirigeants sur la question posée et un accord de chacun d’entre eux pour leur participation. L’objet du travail a été présenté. Il a été clairement précisé que celui-ci ne pouvait pas s’assimiler à du consulting et que les chercheurs, bien qu’étant en mesure de s’impliquer, n’étaient pas appelés à répondre à un ordre de mission du donateur de la chaire. Le côté gagnant-gagnant de la relation a été mis en exergue après que la notion de BM ait été présentée. Cette mise au point n’a pas remis en question le souhait d’engagement des dirigeants, celui-ci était le bienvenu car il ne fallait évidemment pas s’attendre à la moindre complaisance de chefs d’entreprise dont l’emploi du temps est particulièrement chargé. Cette réunion a également permis de rappeler quelques soubassements théoriques du modèle GRP, en prenant le soin de vulgariser le propos et ne pas rester attaché à un vocabulaire trop académique. Il s’agissait néanmoins d’affirmer que le travail s’inscrit avant tout dans une perspective scientifique, laquelle a été unanimement acceptée par les jeunes dirigeants. En ce sens, le BM est apparu comme un outil permettant de construire une version idéalisée de l’entreprise et le GRP comme l’outil à décliner, les dirigeants réagissant déjà sur les points d’illustration présentés. S’agissant de la planification de l’action, lors de cette réunion a été décidé qu’un binôme de chercheurs travaillerait en collaboration avec un dirigeant d’entreprise dans le but de mettre au jour le BM de celle-ci. Ce BM, en tant que traduction, peut dans une certaine mesure représenter la vision idéalisée de l’entreprise car les chercheurs se sont basés sur des entretiens essentiellement avec le(s) dirigeant(s), des données secondaires venant compléter les données à traiter. Le BM étant par nature une convention, il faudrait, pour y avoir accès de façon moins idéalisée, rencontrer un nombre significatif de parties prenantes pour, en quelque sorte, dessiner la convention. → La troisième phase du cycle concerne le déroulement de l’action. La RI a également inspiré cette phase puisque qu’elle insiste sur l’utilisation de l’outil (expérimentation). Celle-ci provoque des réactions centrées sur la modélisation théorique de l’organisation sous-jacente. L’intervention inhérente à cette phase engage le chercheur qui renonce alors à sa neutralité pour prendre activement part à l’action (cf. Sardas et Guénette, 2003 ; Savall et al., 2004). Le chercheur assume l’influence qu’il aura inévitablement.

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Les jeunes dirigeants ont participé à la formulation du BM de leur organisation selon le modèle GRP présenté dans la section précédente. Pour ce travail, les chercheurs avaient préalablement travaillé la grille à utiliser pour investir le site à partir de travaux antérieurs menés dans le contexte de la création d’entreprise (Jouison, 2008 ; Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009). Le changement de contexte a conduit à adapter la grille pour renseigner les catégories G, R et P du BM. Cette mise au jour du BM a produit, le cas échéant, des discussions à propos des écarts se dessinant entre le BM idéalisé par l’entrepreneur et le BM perçu par les chercheurs analysant les données collectées et se basant sur des pratiques repérées. Pour chacun des 5 sites, 3 accès de plusieurs heures au terrain ont été nécessaires pour réaliser l’action et faire émerger la représentation que les dirigeants ont du BM. Toutes les rencontres ont été enregistrées, et autant les bandes sonores que les matériaux collectés étaient à la disposition de l’ensemble des chercheurs de l’équipe. → La quatrième phase est une évaluation ayant pris la forme tout d’abord d’un constat. Une rencontre collective entre chercheurs a été organisée au cours de laquelle un premier bilan s’est effectué de la façon suivante. Après un échange collectif sur les conditions du déroulement de la recherche, lequel rapportait de façon positive à la fois la disponibilité des dirigeants et leur implication dans le programme, chaque binôme de chercheurs a présenté aux autres le BM en cours de traduction (grâce à un diaporama). Il est ressorti de cette réunion la nécessité d’aller plus loin sans tomber dans la consultance. A partir du BM mis au jour, il a été décidé d’en identifier les points de vigilance et les points d'appui. A ce titre, la méthode PMI (Plus ou Moins Intéressant) a été retenue pour, dans un tableau, et par composante générique du BM (c’est-à-dire G, R et P) mettre en exergue le ou les points positifs majeurs (P), les principaux points négatifs (M) et ce qu’il serait intéressant de faire (I) pour améliorer la situation107. Cette action supplémentaire a conduit à un nouvel accès terrain servant également en partie la phase suivante du cycle de la recherche. → La cinquième phase est relative à l’apprentissage, chaque binôme suit les recommandations de Verstraete et Jouison-Laffitte (2009) et rédige une première version du BM en une dizaine de pages (premier type de visualisation) et réalise un diaporama (deuxième type de visualisation) à l’aide d’un logiciel dédié. Ces deux formes de représentations du BM sont discutées avec le dirigeant. Les discussions (lors de cette rencontre, puis par mails) engagées autour de l’amendement des premières versions permettent d’apprécier l’apprentissage réalisé par les chercheurs (sur l’entreprise et son secteur) et celui réalisé par les dirigeants apprenant l’outil. La première manifestation de la pertinence du BM, et hormis le protocole déployé. Il en résulte que le BM est un outil pertinent pour comprendre le BM d'une entreprise existante et qu’il est un outil pour prendre du recul et voir son entreprise sous un angle nouveau. Pour mieux spécifier l’apprentissage et identifier les résultats (apports et limites du travail notamment), une réunion générale s’est déroulée dans les locaux de la FFBG en présence du Président départemental et du délégué national aux relations avec l’enseignement supérieur, du secrétaire général de la FFBG, des 11 chercheurs et des 5 dirigeants, d’un observateur de la FFBG, également jeune dirigeant mais n’ayant pas été un lieu d’étude. Lors de cette réunion, l’objectif a été d’exposer, en une quinzaine de minutes, le BM de l’entreprise à l’ensemble des autres participants de la recherche. Cette présentation est faite par le binôme de chercheurs et le dirigeant. Cette démarche implique ce dernier dans l’apprentissage du BM. Dans notre recherche, cette phase s’est combinée à la précédente car les discussions préalables à la présentation ont conduit à 107 Carrier (1997) nous rappelle que la méthode PMI a été mise au point par de Bono. Dans le cadre de cette recherche, elle n’a pas été utilisé pour un travail de créativité, mais pour relever les points forts, les points faibles et les aspects méritant d’être travaillés au regard du « diagnostic » effectué.

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évoquer les possibilités d’agir sur certains leviers d’action identifiés lors de la mise au jour du BM. Autrement dit, si celui-ci a été essentiellement un outil de diagnostic, parce qu’il lie la stratégie aux opérations à conduire, il a provoqué, non pas encore des scenarii possibles, mais des possibilités d’amélioration que le tableau PMI a aidé à mettre en évidence. L’anonymat étant proposé, une enquête (cf. annexe afférente) a été menée auprès des dirigeants pour apprécier leur satisfaction de la démarche et leur sentiment explicite sur leur apprentissage de l’outil. Ainsi, il fut possible de savoir si la réponse à la question de recherche était explicitement positive ou négative. Le protocole avait, en amont, certes permis d’anticiper cette réponse puisque très vite les dirigeants se sont impliqués et ont compris l’intérêt de maîtriser l’outil qu’ils apprenaient chemin faisant. Les éléments de l’analyse (cf. section 2.2) vont également sans ambigüité, dans ce sens. Mais, dans le cadre de la recherche dans une rubrique « de la théorie à la pratique », il a paru utile, pour ne pas dire nécessaire, d’interroger les dirigeants sous cette forme. A l’unanimité, la réponse à la question de recherche a été positive. Mais au-delà d’un strict « oui », elle a été agrémentée de remarques présentées dans la section relative à la discussion (section 2.2). La réunion a été également l’occasion d’une discussion générale, durant laquelle le souhait de prolonger la relation ainsi que des attentes pour la suite ont été explicitement formulés par les différentes parties. Les suites pourraient conduire au processus de changement (transformation réciproque de l’outil et de l’organisation) appelé par la RI. L’accompagnement de la transformation passe notamment par la mise en place d’un suivi et d’une analyse de l’évolution de l’organisation (processus d’apprentissage des membres de l’organisation et du chercheur sur la solution apportée au problème rencontré). Au-delà de la transformation induite par l’intervention, Plane (1997) considère que la recherche doit permettre aux acteurs de développer une capacité d’introspection et de conceptualisation, ce qui est déjà en partie atteint dans notre recherche. → Perception de problèmes pour engager un nouveau cycle. Les cinq phases précédentes constituent une boucle du processus évoqué par Susman et Evered (1978). Une nouvelle boucle s’est, en quelque sorte, amorcée suite à la réunion de débriefing tenue le matin, le début d’après-midi a été le lieu d’une réunion du comité de pilotage de la recherche. Elle a permis de relever le souhait de partir vers une nouvelle recherche. Les chercheurs ont, après ces différentes phases, engagé des discussions sur le retour à la théorie, c’est-à-dire l’apport de la recherche au concept de BM (cf. la discussion).

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Le tableau suivant regroupe les phases de travail de notre recherche.

Tableau 3. Les phases de la recherche-action. Phase Date ou période Résultat 1. Identification et définition du problème

17 juillet 2009 Réunion entre chercheurs et représentants du secteur pour aboutir à la formulation du problème et de la question suivante : le BM est-il compris par les jeunes dirigeants d’entreprise du secteur du bâtiment et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ?

2. Discussion du problème et planification de l’action

22 janvier 2010 Réunion entre chercheurs de l’équipe et dirigeants pour discuter la question de départ et l’objet du travail, pour évoquer le principe de la recherche action et aborder le déploiement de celle-ci. Il a été décidé de constituer des binômes de chercheurs mis en relation avec un dirigeant (10 chercheurs pour 5 dirigeants) pour mettre au jour une représentation du BM.

3. Déroulement de l’action

De janvier à juin 2010

Mis au point du protocole d’accès au terrain, adaptation du GRP. Pour chacun des 5 sites, 3 accès de plusieurs heures au terrain pour mettre au jour la représentation du BM.

4. Evaluation de l’action 13 juillet 2010 Rédaction de la représentation du BM en 9 pages formatées, réalisation d’un diaporama. Mise en exergue des points positifs, des points négatifs et des perspectives.

5. Apprentissage, résultats généraux

30 novembre 2010 18 février 2011

Restitution du travail lors d’une réunion avec les participants à la recherche et quelques représentants FFBG. Remise du rapport de recherche.

Ces phases ont été déployées sur le terrain de cinq entreprises œuvrant dans le secteur du bâtiment (tableau 4).

Tableau 4. Les sites investis par la recherche Nom de l’entreprise AA SBC AS D E Noms des dirigeants C HN et KN UQ NH DC Structure juridique SAS 3 structures

SAS, SARL, SARL SAS SAS SARL

Année de création de l’activité

1981 1972, 1981, 2002 1986, rachat en avril 2007

1919 2005

Métiers de l’entreprise Electricité Courants forts

et faibles

Constructeurs de maisons

individuelles

Second œuvre du bâtiment

(aménagement d'espaces

professionnels - désamiantage)

Fermeture du bâtiment

Peinture intérieure bâtiments collectifs

Dernier CA connu (HT) 1 911 k€ (en 2009)

3 500 K€ (en 2009)

4 284 k€ (en 2009)

2 208 k€ (en 2009)

1 120 k€ (2009)

Effectif moyen annuel équivalent temps plein (hors intérimaires)

15 20 23 19 16 salariés + 4 TNS

Effectif moyen en intérimaires (équivalent temps plein)

3 0 0 2 à 3 (remplacements

ponctuels)

0

2.2. Discussion des résultats sur la compréhension du BM et de son utilité Le déroulement de la recherche a favorisé l’instauration d’une confiance, même si parfois quelques réserves ont été formulées sur la communication des données chiffrées, davantage par humilité que par culte du secret.

Le dirigeant E a été tout d’abord été surpris lorsque nous avons évoqué la rémunération la valeur. Les ratios calculés faisant apparaître la destination des

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investissements et le coût des fournitures. Il nous a affirmé qu’il en parlerait avec son frère chargé de la comptabilité (juillet 2010, entretien non enregistré).

Le dirigeant de PME prend rarement spontanément un temps de recul, la recherche en a fourni l’occasion. L’implication croissante de ces derniers dans la recherche est un témoignage du sens apporté par l’outil. Chemin faisant, le vocabulaire relatif au GRP (génération de la valeur, rémunération de la valeur, partage) ou utilisé par les spécialistes du BM (proposition de valeur, réseau de valeur, …), apporté par chaque binôme de chercheurs, a progressivement été assimilé par les dirigeants et intégré à leur vocabulaire, parfois assez tôt, parfois au terme du travail.

Dirigeant E : « rémunération de la valeur, vous voulez dire quoi ? ». « ce que m’apporte ce fournisseur ? ah ok, c’est en effet important de se poser cette question… » (avril 2010) L’un des dirigeants SBC a utilisé le terme de BM pour la première fois dans sa présentation orale devant ses confrères, en ayant bien saisi sa portée, alors qu’il n’avait jamais employé celui-ci lors des entretiens préparatoires. Le support pour la présentation du 30 novembre 2010 a été validé et finalisé avec l’implication de la dirigeante D. Dans un email expédié le 23 novembre, la dirigeante indique : « Je vous attends comme convenu demain. Je me suis permis de faire des commentaires dans le document que vous m’avez transmis. ». Par ailleurs, lors de la présentation, la dirigeante commente les propos des chercheurs avec pertinence. Le chercheur : « Sur le plan de la génération de la valeur, aujourd’hui, le gros atout de l’entreprise… c’est justement sa capacité à tenir sa promesse. C’est-à-dire que le client perçoit la valeur que D souhaite lui délivrer. On a donc ici une adéquation entre les besoins du marché et l’offre qui lui est apportée. ». Et la dirigeante commente : « la seule petite différence c’est que si quelqu’un vient et nous demande de lui faire un mouton à 5 pattes et bien nous on lui fait. ». Lors de la réunion collégiale du 13 juillet, le binôme a présenté la grille GRP à la dirigeante D (absente lors de la réunion de lancement du protocole de recherche présentant le modèle) qui a immédiatement fait le lien avec l’ensemble des questions posées lors des trois premières rencontres : « Ah, je comprends mieux pourquoi vous m’avez posé toutes ces questions. ». Son implication a été remarquable dans l’effort de représentation de son BM. Lors de la rencontre préparatoire du 24 novembre, la dirigeante avait exprimé le souhait de ne pas prendre la parole le 30 ou le moins possible, « juste pour compléter » alors que, dans les faits, le 30 novembre, elle a très activement participé à la présentation. Au cours des entretiens liés à la partie P, remplir la matrice de parties prenantes a été un exercice particulièrement stimulant et ludique pour une jeune dirigeante (AA) qui s’en est littéralement emparée : « Je vais la remplir moi-même : ça me parle votre tableau ».

Si les interactions lors des accès terrain a permis d’apprécier l’intégration du vocabulaire, il a été remarquable de le constater lors de la présentation finale des BM à l’ensemble des protagonistes de la recherche. Si les dirigeants n’appellent pas tous spontanément ce vocabulaire, les compléments apportés par chacun d’entre eux aux propos des chercheurs ont bien montré la compréhension du concept et de ses composantes, voire de sa nature, c’est-à-dire une convention. C’est la dimension P (partage) du modèle GRP qui semble permettre l’apprentissage de cette nature. Evidemment sensible au réseau d’affaires, le BM accentue l’importance des relations à entretenir par une relation d’échange avec les parties prenantes à apprécier et parfois à améliorer.

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Discussion engagée entre les deux dirigeants de l’entreprise SBC : « Moi je vois plus l’aspect administratif, toi tu vois plus l’aspect technique (…). Là, c’est la photo de tout ce qui se passe. On voit que tout le monde y trouve son compte » (mai 2010). AA : « Le BM va être très pratique pour faire passer des choses à notre comptable … ». Dans le cas concerné, la comptabilité de l’entreprise est assurée par une personne qui, bien que compétente pour assumer ces tâches, les réalise sans aucune procédure explicite. Le BM est utilisé ici comme un outil de communication pour pointer un dysfonctionnement tout en dépersonnalisant l’origine de la remise en cause : l’accord se fait autour de la convention au-delà de la personne du dirigeant.

Le travail sur le BM conduit le dirigeant à se poser des questions qu’il ne se pose jamais ou rarement. Le BM permet par exemple d’envisager d’élargir le cercle des partenaires, c’est-à-dire d’intégrer l’idée que les parties prenantes ne sont pas restreintes aux proches collaborateurs ou à ceux rencontrés fréquemment.

SBC « Ah, oui, avec ce fournisseur, c’est particulier. On n’a pas vraiment un contrat, enfin, c’est plutôt un contrat moral (…) On est partenaires ; par exemple on est affiché sur leur site internet ». Après une heure du premier entretien, le dirigeant de l’entreprise AS évoque l’importance du choix du préleveur (BM de désamiantage) prestataire extérieur qui analyse la qualité de l’air après désamiantage : « on a fait le choix d’un préleveur un peu cher, mais il apporte quoi ? il permet en étant réactif de gagner du temps sur la réalisation du chantier ». Dans un autre entretien au moment où il découvre le réseau de relations il prononce la phrase suivante « il est compliqué ce réseau de relations, et puis ensuite il y a la dynamique entre tous les éléments ». Le binôme a présenté une matrice élargie des parties prenantes à la dirigeante de l’entreprise D qui a suscité un certain intérêt. Elle a notamment pris conscience qu’elle était une entreprise internationale (fournisseurs espagnol et belge). Par ailleurs, alors qu’elle ne parlait que de fournisseurs au début de l’entretien, la dirigeante distingue au fur et à mesure des échanges ceux qu’elle désigne par « partenaires » de ceux qui restent des « fournisseurs ».

Les affaires sont alors à redéfinir selon un cercle plus large, c’est d’ailleurs à cette redéfinition du BM (sa régénération, cf. Benavent et al. 2000), que la suite de la RA pourrait se consacrer, comme l’ont demandé explicitement certains dirigeants.

E : « maintenant, c’est vrai on peut rajouter les sous-traitants… ils pensent comme nous, ils nous ressemblent dans la façon de travailler. Même si on ne fait pas souvent appel à eux, il faut les considérer. Après il y a aussi des entreprises en nettoyage en sous-traitants, ce n’est pas notre travail, ils font partie des parties prenantes. » (avril, 2010).

Si le co-apprentissage est remarquable lors de la présentation finale des BM, il s’est manifesté bien en amont par l’intervention des dirigeants dans la rédaction du BM, puis la réalisation des diapositives, et les discussions qu’occasionnaient ces traductions formelles.

E. « çà, c’est vraiment ce qui nous distingue… une réalisation et un suivi rigoureux des chantiers (…) Ce suivi rigoureux permet à notre entreprise de tenir les délais et d’éviter différents surcoûts et pertes », (dirigeant lors de la relecture du BM, octobre 2010). SBC insiste sur le fait que l’assureur doit être mis dans le schéma de présentation du BM car c’est un partenaire essentiel. Grace à un partenariat très ancien et sans sinistres, SBC économise plusieurs pourcents de chiffre d’affaires en frais d’assurance (juin 2010).

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Les dirigeants ont ainsi vu, chemin faisant, apparaitre leur BM. Ce qui aurait valeur d’anecdote est en fait une donnée marquante : à la lecture de la première version de l’effort de rédaction du BM, l’un des dirigeants (AA) n’a pu contenir l’émotion provoquée une représentation aussi fidèle, bien que synthétique, de l’image qu’il se fait de son entreprise.

« Tout est là, mon entreprise, la vie de mon père, ça tient dans ces pages ». Ce type de réaction est peu évoqué en recherche en Sciences de Gestion ; il est peut-être tout simplement rare. La modélisation permet de voir, et cette visualisation touche le dirigeant trop souvent « le nez dans le guidon » ou « les mains dans le cambouis ».

Au moment de la construction des diapositives sur la présentation finale, le dirigeant AS se montre très intéressé par la diapositive avec les parties prenantes proposée par le binôme de chercheurs. Il trouve cette diapositive très concrète « j’ai tiré de mon père une valeur : la fibre entrepreneuriale, de ma femme le partage, de mes enfants le soutien. Je dois leur apporter épanouissement, ce serait bien, mes enfants c’est sûr, le reste je ne sais pas… ». Toujours au moment de la construction commune des diapositives et autour du diaporama proposé « et après, il y a une autre phase ? l’intérêt du modèle c’est qu’il est construit, une fois qu’il est fait on peut travailler. Mais c’est moi qui suis en avance ». Le dirigeant a perçu l’intérêt du BM, il souhaite poursuivre l’expérience ce qu’il exprimera d’ailleurs à d’autres reprises.

La recherche montre qu’un travail sur le BM constitue un apprentissage de la convention. Ce faisant, ce travail questionne sur les autres niveaux de conventions avec lesquels compose le BM.

Le dirigeant SBC explique que, de plus en plus, pour construire des maisons, il faut pouvoir maîtriser du foncier et donc traiter avec les forestiers : « Ce sont des gens qu’on aborde d’une certaine façon. Ils sont attachés à des valeurs (…). Ce n’est pas le premier venu qui va être accepté » (mai 2010).

Les conventions du secteur d’activité en sont un exemple. Les dirigeants réclament d’ailleurs un travail sur ce niveau. L’équipe est d’ores et déjà à la recherche du vocable le plus approprié pour qualifier ce type de convention, l’expression BM étant réservée au niveau de l’entreprise et non du secteur.

E. « Le problème, c’est ces règles d’action du secteur d’activité. Nous, on veut faire de la qualité (…). Si on se conforme au secteur et à ce que nous demandent nos clients, on pourrait faire bien moins (…) mais non, ça ne nous intéresse pas (..). C’est à la fois une force et une différence qui peut nous nuire, c’est vrai. » (mai 2010). Dès la première rencontre en entreprise, le dirigeant AS, alors qu’il présente son entreprise, prononce la phrase suivante : « il faut définir son modèle, il faut travailler un peu différemment des autres, on ne sous-traite pas son cœur de métier ». Pour ce dirigeant l’intérêt du BM est apparu très tôt.

Le travail sur le tableau PMI a également été éloquent. D’une part, il a d’abord permis la formulation des points forts et des points faibles du BM tel que présenté. D’autre part, il a ouvert des perspectives de recherche puisque la colonne « il serait intéressant » invitait à retravailler certains éléments du BM ou à étudier les actions pouvant être mis en œuvre pour davantage mettre en avant un point positif (exemple : accentuer la communication sur une compétence maîtrisée) ou pour travailler un point négatif afin de minimiser l’impact qu’il pourrait avoir.

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AA : pour ce cas, le travail a été à l’origine d’un changement stratégique – un changement de cible – que le dirigeant pressentait et que l’analyse du BM a confirmé, facilitant la prise de décision. D : La mise au jour du BM et l’utilisation de l’outil PMI ont permis à la dirigeante de formuler et de pondérer les leviers d’action à sa disposition pour faire évoluer positivement son entreprise :

- Accent mis sur la nécessité de relancer le processus de transmission - Responsabilisation possible de son frère et d’autres salariés de l’entreprise

(notamment le chef d’atelier) pour la seconder sur la dimension technique du métier - Amélioration de la communication sur la valeur créée pour les salariés en vue

de réduire le turnover - Mise en œuvre d’une véritable politique de prospection commerciale…

En conséquence, les dirigeants sont très intéressés pour une poursuite du travail, en ouvrant la perspective d’une recherche conduisant à la formulation d’une version idéalisée du BM puis des actions à mener pour passer du BM ici travaillé à cette version idéalisée.

SBC : « Cela peut-être pour nous un outil pour se regarder de l’autre côté du miroir (…). On sait qu’il faut changer en permanence. Rien que quand vous changez de conducteur de travaux, il faut changer les procédures ! » (mai 2010) E : « oui, réfléchir à cet outil pour pouvoir faire mieux », (octobre 2010).

Conformément aux engagements pris auprès de la FFBG, les cinq entrepreneurs ayant participé au projet de recherche ont rempli, à l’issue de la présentation finale du BM de leur entreprise, un questionnaire (anonyme) de satisfaction. Le but de cette enquête est double : il s’agit de recueillir le ressenti des dirigeants concernant le déroulement du projet et d’évaluer ce que l’outil BM leur a apporté, à titre personnel et pour leur entreprise. Le questionnaire a été auto-administré par écrit. L’analyse des réponses montre que les dirigeants sont « plutôt » ou « tout à fait satisfaits » d’avoir participé au projet. Les dirigeants reconnaissent la qualité des réunions en séance plénière qui ont réuni les 5 dirigeants et les représentants de la FFBG et l’équipe des chercheurs au complet. Les relations avec les équipes de chercheurs (capacité d’écoute des chercheurs, capacité à réfléchir ensemble) sont jugées très satisfaisantes par l’ensemble des participants. Ces résultats traduisent l’implication des acteurs face au projet et la bonne compréhension des règles de la RA. Lorsque les chercheurs ont quitté leur position de neutralité, leurs actions ont été acceptées voire encouragées par les entrepreneurs, au titre de la « franchise » et de l’« ouverture d’esprit ». Concernant l’apport du projet, les dirigeants soulignent l’utilité de la RA : ils sont deux à être « tout à fait d’accord » et trois à être « plutôt d’accord » pour affirmer que le projet a été utile pour eux et pour leur entreprise. Le taux d’adhésion s’accroît lorsqu’il s’agit du texte écrit de 9 pages108, jugé « très utile » par 3 des 5 dirigeants et « utile » par les deux autres. Plus précisément, les dirigeants ont apprécié « le fait de se poser et de réfléchir sur les outils de gestion pour voir les améliorations ou mettre le point sur les faiblesses ». La dimension « diagnostic » du BM est ainsi bien comprise. Elle ressort spontanément dans le discours des répondants qui ont apprécié de « voir » leur entreprise grâce au BM. Parmi les apports de l’outil figurent ainsi « la formalisation » et « la retranscription des informations par le binôme » qui renvoient au pouvoir de sens et de visualisation du BM. Loin de rebuter les dirigeants, l’effort de co-rédaction avec les chercheurs et la mise au point des diapositives de présentation ont permis aux dirigeants de construire une version lisible et structurée de leur

108 Les congressistes peuvent s’adresser aux auteurs pour recevoir une copie.

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entreprise. La prise de recul est également citée par tous les participants comme l’un des points les plus positifs du travail mené (« le temps pris a permis de prendre du recul », [j’ai apprécié le fait d’avoir] « une remise en question », « un autre regard »). Le ressenti face au projet, exprimé par les participants, permet ainsi de répondre favorablement à notre question de recherche : de l’avis des utilisateurs, le BM a servi les jeunes dirigeants du bâtiment à au moins trois niveaux. Il les a servis dans leur diagnostic sur les trois dimensions du modèle (génération, rémunération et partage), dans leur propre regard face à leur entreprise (« prise de conscience plus importante »), et enfin dans le fait de faire émerger des préconisations pour le futur (« le projet a permis de mettre à plat un certain nombre de choses, notamment sur les évolutions de l’entreprise », [de dégager des] « axes de travail »). Non seulement l’outil est jugé utile à titre individuel, mais il prend, dans le discours des acteurs, une dimension collective que l’on pourrait qualifier « de branche ». Les répondants recommanderaient unanimement l’outil à leurs confrères du bâtiment, membres de la FFB, d’une part. Ils évoquent une attente « des propositions générales autour de nos entreprises ». L’un des dirigeants, avec prudence, ne se prononce pas sur le contenu de la suite « à déterminer ». Trois d’entre eux appellent à un suivi et un accompagnement dans la mise en action des préconisations dégagées (« actions de transformation », « mettre en place des actions dans le réel », « mettre à exécution mes projets »). Le souhait de poursuivre le projet s’accompagne parfois d’une démarche intellectuelle (aller plus loin « par curiosité », « approfondir la réflexion »), mais également d’une demande de conseil implicite que les chercheurs ne sont pas en mesure de satisfaire (« avoir des entretiens plus courts et plus nombreux »). Deux autres apports de la recherche, moins directement liés à la question de recherche, peuvent être mis en avant : un apport méthodologique, un apport empirique. Le travail réalisé fait apparaître un apport méthodologique qui s’exprime par une RA impliquant 11 chercheurs. Ce n’est pas fréquent. C’est même résolument nouveau s’agissant de l’objet BM pour lequel les essais sont plus courants que les recherches empiriques. S’agissant d’un apport empirique, sans équivoque, le BM peut sortir de son contexte originel, les start-up, pour être utilisé avec des organisations existantes. La modélisation du modèle, à savoir le GRP, s’est avérée pertinente.

Le dirigeant E a apprécié la visualisation co-construite du modèle. Il a posé des questions sur les schémas, les a compris puis corrigés (juillet 2010, entretien non enregistré). Il s’est montré particulièrement satisfait lors de sa présentation finale en novembre, heureux et un peu surpris à la fois de « posséder » désormais le modèle, s’appropriant pleinement l’outil lors de la présentation orale aux autres dirigeants. Les dirigeants de SBC ont pour leur part insisté à plusieurs reprises sur le fait que le BM d’une entreprise doit être revu dans le temps car les attentes des uns et des autres évoluent. Ils rappellent notamment que, lorsqu’ils ont repris l’entreprise, un BM était en place et ils ont été contraints de le modifier : « On avait le personnel qui était là. Mais dans l’entreprise, quand on a commencé à produire des statistiques pour mesurer ce que chacun apporte, on s’est mis tout le monde à dos » (mai 2010). En cinq ans, tout le personnel, pourtant ancien, était parti.

On remarquera que, comme outil de diagnostic, il a été nécessaire de préciser les composantes du modèle. Si le GRP se précise lors de la mise au point du projet de création d’entreprise, il

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compose avec les foisonnants détails d’une entreprise existante. Par exemple pour la dimension R (rémunération), une fois le cadre de la collecte et celui de l’analyse redéfinis, elle a été toutefois plus facile à mettre en œuvre dans ce contexte, un historique (par les documents de synthèse et autres éléments communiqués par les dirigeants) permettant de l’apprécier de façon évidemment moins spéculative. Il en est de même s’agissant par exemple de la fabrication de la valeur (dimension G), des visites de l’entreprise ou de chantiers permettant de voir certaines parties de la chaîne de valeur, le dirigeant prenant un évident plaisir à commenter, c’est-à-dire à expliquer comment tel ou tel partie du processus était mis en œuvre

AA : en outre, le modèle GRP a continué à être fructueux plusieurs semaines après les échanges avec les chercheurs. En effet, un des dirigeants s’est servi du BM rédigé pour alimenter les rubriques de son nouveau site web. Le dirigeant AS envisage de créer un petit groupe (ajouter de nouvelles activités à son entreprise), le travail sur le BM est pour lui le moyen de tester la faisabilité de cette vision stratégique.

Au registre des limites, on relèvera principalement une certaine frustration à ne pas avoir été plus loin dans le travail, par exemple concernant le rôle que pourrait jouer le BM comme outil de réflexion (pour les dirigeants) au delà de l’outil de diagnostic. La visualisation des BM favorise un caractère émancipatoire (à l’instar de la cartographie cognitive, cf. Audet, 1994), c’est-à-dire qu’elle aide à penser à des choses auquel l’acteur ne pense pas en l’absence de cette visualisation. Le BM peut à ce titre faire l’objet d’une utilisation créative, une méthode à concevoir le transformant en outil d’essence heuristique (ce que font Osterwalder et Pigneur, 2010). Le travail sur le tableau PMI a, comme indiqué précédemment, également généré une attente pour un travail sur une version idéalisée ou souhaitée. Une autre limite tient à l’échantillonnage, puisque les dirigeants ont été en quelque sorte recrutés par la FFBG. On peut imaginer que les participants ont ainsi été sélectionnés pour leur capacité à savoir se rendre disponible, ce qui n’est pas évident comme ont pu le constater les chercheurs. Il s’avère que, finalement, tous les dirigeants ont offerts une disponibilité supérieure à ce qui pouvait être attendu, l’intérêt perçu du BM n’étant pas étranger à cet engagement. La dernière limite significative est apparue lors de la présentation « publique » des BM (phase 5). Chaque trinôme (2 chercheurs, 1 dirigeant) , tout en restant sur le modèle GRP, a construit la représentation du BM selon des formats textuels et graphiques singuliers. Il y a en la matière nécessité de systématiser les présentations, ce que les chercheurs ont ressentis et ce que les dirigeants ont explicitement exprimés. Conclusion La réponse à la question de recherche est positive : le BM est compris et l’utilité de le mobiliser certaine. Les apports de la recherche sont principalement confirmés par :

- l’implication des participants, - l’appropriation du vocabulaire (sans croire qu’il est maitrisé dans ses détails), - la compréhension de la nature du BM grâce au travail sur la dimension P du GRP qui,

d’une part, montre que l’entrepreneuriat est partenarial et, d’autre part, invite à travailler le réseau de relations,

- la maîtrise des composantes et, à la fois, de leur articulation et de leur imbrication, - les questions que la lecture par le BM suscite, - le souhait de poursuivre le travail

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Les apports de la recherche se remarquent également par la réunion de 11 chercheurs et 5 dirigeants d’un secteur peu investi par la recherche en Sciences de Gestion. L’apport méthodologique s’exprime par une RA particulièrement bien adaptée pour apprécier le lien entre la théorie et la pratique. Les recherches empiriques sont trop rares sur le BM. Les limites relèvent d’un souhait d’aller plus loin, mais cela augure des suites à la recherche, à l’échantillonnage et la représentation du BM en diapo que les participants auraient aimé plus homogène afin de pouvoir mieux entrer dans une discussion comparative bien que cela ne faisait pas parti du protocole prévu. S’agissant des suites à donner à la présente recherche, il s’agira, vraisemblablement, dans un premier temps et sur la base du BM dessiné, d’en imaginer une nouvelle vision idéalisée, pour le futur cette fois. Les dirigeants étant sensibilisés au modèle GRP, ce dernier servira la formulation du futur désiré, ce qui nécessitera d’imaginer les évolutions du secteur d’activité de l’entreprise au sein duquel le BM devra se transformer (se régénérer). Le BM pourra être utilisé comme outil créatif au service de la formulation stratégique. Nous rejoignons les conceptions heuristiques du BM, à ce titre la grille d’entretien peut être en partie simplifiée, ce qui conduirait à des séances de collecte moins longues mais pouvant être multipliées (rencontres, contact téléphoniques ou internet), comme l’ont suggéré quelques participants. Bibliographie ABRIC J.C. (1994a), « L'organisation interne des représentations sociales : système central et système périphérique », in GUIMELLI C. (dir), Structures et transformations des représentations sociales, Delachaux et Niestlé. ABRIC J.C. (1994b), Pratiques et représentations sociales, Presses Universitaires de France. AFUAH A., C.L. TUCCI (2001), Internet Business Model and Strategies : text and cases, Boston McGrawHill. AKRICH M. , CALLON M. (2006), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines Paris, les Presses Sciences sociales. ATLAN H. (1979), Entre le cristal et la fumée – Essai sur l’organisation du vivant, Editions du Seuil. AUDET M. (1994), « Plasticité, instrumentalité et reflexivité », dans COSSETTE P. (dir), Cartes cognitives et organisations, Presses de l’Université de Laval, Ed Eska. BADEN-FULLER C., MORGAN M.S. (2010), « Business Models as Models », Long Range Planning, p. 43 BARNARD C.I. (1938), The functions of the executive, Cambridge Mass. BEAUVOIS J.L., DESCHAMPS J.C. (1990), « Vers la cognition sociale », dans BENAVENT C., VERSTRAETE T. (2000), Entrepreneuriat et NTIC - construction et régénération du Business-model, dans VERSTRAETE T. (dir.), Histoire d'entreprendre - les réalités de l’entrepreneuriat, Caen Editions Management et Société. CALLON M., LAW J. (1988), « La protohistoire d’un laboratoire », dans CALLON M. (dir), La Science et ses réseaux, Editions La Découverte. CARRIER C. (1997), De la créativité à l’intrapreneuriat, Presses de l’Université du Québec. CHESBROUGH H.W. (2003), Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, Boston : Harvard Business School Press Books. COSSETTE P. (1994), Cartes cognitives et organisations, Les Presses de l’Université de Laval, Ed Eska.

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Annexe : le questionnaire distribué aux dirigeants

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