SOMMAIRE 1 THEMATIQUE TEXTES ET LANGUES … · et L. Renou rappelait que « la pensée indienne a...

124
1 SOMMAIRE 1 THEMATIQUE "TEXTES ET LANGUES TECHNIQUES" p. 3 Gerdi GERSCHHEIMER " Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs, histoire des textes et nouvelles technologie au service de la philologie" p. 4-11 Hélène BELLOSTA "Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes" p. 12-15 Nicole BERIOU / Marjorie BURGHART "Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âge" p. 16-20 2 THEMATIQUE "AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN-AGE LATIN" p. 21 Sabine ROMMEVAUX "Formes d'articulation enre mathématiques et philosophie naturelle (XIV° - XVI° siècles) p. 22-26 Nicolas WEILL-PAROT "Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'un savoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux (Occident, XII°-XV° siècles) p. 27-33 Paul BENOIT "Les savoirs du fer" p. 34 Marie-Pierre RUAS "Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen-Age : regards croisés sur les techniques de culture et les corpus fruitier méridional (V° - XV° siècles) p. 35-43 3 THEMATIQUE "SAVOIRS DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU" p. 44 Régine PLAS "De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et les pratiques mis en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles p. 45-50 Claude DEBRU "Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945- 1975 p. 51-56 4 THEMATIQUE "SAVOIRS DE LA SOCIETE" p. 57 Marc RENNEVILLE " Corpus criminologique. Sciences de l'homme, tradition judiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle p. 58-62 Jochen HOOCK "Ars Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirs commerciaux (1700-1820) p. 63-65

Transcript of SOMMAIRE 1 THEMATIQUE TEXTES ET LANGUES … · et L. Renou rappelait que « la pensée indienne a...

1

SOMMAIRE

1 THEMATIQUE "TEXTES ET LANGUES TECHNIQUES" p. 3

Gerdi GERSCHHEIMER " Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire

des savoirs, histoire des textes et nouvelles technologie au service de la philologie"p. 4-11

Hélène BELLOSTA "Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes" p. 12-15

Nicole BERIOU / Marjorie BURGHART "Ecrits pragmatiques et communication au

Moyen Âge"p. 16-20

2 THEMATIQUE "AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN-AGE LATIN" p. 21

Sabine ROMMEVAUX "Formes d'articulation enre mathématiques et philosophie

naturelle (XIV° - XVI° siècles)p. 22-26

Nicolas WEILL-PAROT "Structure de la matière animée face au monde inanimé :

histoire d'un savoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)

p. 27-33

Paul BENOIT "Les savoirs du fer" p. 34

Marie-Pierre RUAS "Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au

Moyen-Age : regards croisés sur les techniques de culture et les corpus fruitier

méridional (V° - XV° siècles)

p. 35-43

3 THEMATIQUE "SAVOIRS DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU" p. 44

Régine PLAS "De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et les

pratiques mis en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la psychiatrie et de

la psychanalyse, XIX° - XX° siècles

p. 45-50

Claude DEBRU "Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-

1975p. 51-56

4 THEMATIQUE "SAVOIRS DE LA SOCIETE" p. 57

Marc RENNEVILLE " Corpus criminologique. Sciences de l'homme, tradition

judiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° sièclep. 58-62

Jochen HOOCK "Ars Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirs commerciaux

(1700-1820)p. 63-65

2

SOMMAIRE

Julien VINCENT - Christophe CHARLE "Savoirs et sociétés civiles entre

nationalisation et internationalisation en France et en Grande-Bretagne,

1700-1950"

p. 66-75

5 THEMATIQUE "APPROCHES PHILOSOPHIQUES DES SAVOIRS" p. 76

Pascal ENGEL "Connaissance, révision et changement scientifique p. 77-86

Gilles CAMPAGNOLO "L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale p. 87-94

6 THEMATIQUE "SAVOIRS SITUES SUR LES SOCIETES AUTRES" p. 95

Pierre-Antoine FABRE "Savoirs missionnaires dans le monde ibérique (XVI° - XVII°

siècles)p. 96-98

Alain LERNOULD "L'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude

interdisciplinaire sur les processus de différenciationp. 100-104

7 THEMATIQUE "SAVOIRS SITUES DE L'EUROPE MODERNE ET CONTEMPORAINE" p. 105

Annie BRUTER "Le cours magistral : modalité et usages (XVI° - XX° siècles) p. 106-109

Hugues CHABOT "D'Alembert et l'Académie des sciences : objets, formes et enjeux

des savoirs scientifiques à l'époque des Lumièresp. 110-112

David AUBIN "Savoirs et techniques de l'observatoire, fin XVIII° - début XX°

sièclesp. 113-117

Dominique TOURNES "Les instruments du calcul savant" p. 118-124

3

TEXTES & LANGUES TECHNIQUES

9H15 - 9H50 Gerdi GERSCHHEIMERGrammaire et mathématiques dans le monde indien : histoiredes savoirs, histoire des textes et nouvelles technologie auservice de la philologie

9H50 - 10H25 Hélène BELLOSTA Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes

10h25 - 11h00 Nicole BERIOUMarjorie BURGHART Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âge

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

4

TEXTES & LANGUES TECHNIQUES

Gerdi GERSCHHEIMERGrammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

1. Rappel du projet et de ses objectifs

ContexteLe présent projet se veut une contribution à l’avancée des recherches dans ledomaine de l’histoire des rationalités dans le monde indien. Explorant certainsaspects encore méconnus des savoirs d’expression sanskrite et de leurtransmission, il se greffe sur le programme “Savoirs, sciences, disciplines dansle monde indien classique” de l’équipe « Le monde indien : textes, sociétés,représentations » (EPHE 5e section, EA 512). Le point commun des recherchesfédérées par ce programme est l’attention portée aux usages de la raisonprivilégiés dans les savoirs (vidyâ), sciences ou disciplines (çâstra) de l’Indeclassique, aux procédures rationnelles et argumentatives qui y sont mises enœuvre. Elles concernent, directement ou indirectement, une part importantedes domaines auxquels la tradition indienne accorde le statut de« disciplines », qu’il s’agisse des quatorze « sièges du savoir (relatif audharma) » – vidyâ-sthâna : les 4 Vedas, les 6 disciplines auxiliaires des Vedas(phonétique, rituel, grammaire, étymologie, métrique, astronomie), la logique oula spéculation (nyâya ou tarka), l’exégèse (mîmâmsâ), le Traité de la Loi(dharmaçâstra) et les Récits d’antan (purâna) – ou des « points de vue »(darçana), c.-à-d. des systèmes philosophico-religieux de l’Inde classique. Unemême orientation philologique, au sens où la philologie est un « art de donner àlire des textes », anime toutes ces recherches : elles convoquent, tour à tour,l’herméneutique du texte (dont la traduction est une étape essentielle), lacritique textuelle, l’édition critique.Un volet essentiel de cette recherche concerne deux disciplines dont le statutcontrasté doit permettre d’illustrer le déplacement de la notion de scienceentre l’Occident et le monde indien. La première, la grammaire, est l’un desprincipaux « membres auxiliaires des Veda » (vedânga), c’est-à-dire des sixbranches du savoir nécessaires à l’intelligence des Veda ; paradigme de lascience indienne, elle constitue l’une des disciplines de base du lettré sanskrit,et L. Renou rappelait que « la pensée indienne a pour substructure desraisonnements d’ordre grammatical ». La seconde, les mathématiques, trouveégalement son origine, au moins partielle, dans deux membres auxiliaires desVeda : l’astronomie (nécessaire à la détermination des moments des sacrifices)et le rituel (kalpa), dans ses composantes décrivant la manière de mesurerl’emplacement du sacrifice et les foyers, et qui constituent l’un des plusanciens documents sur la géométrie indienne.

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

5

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.Le projet « Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire dessavoirs, histoire des textes et nouvelles technologies au service de laphilologie »Les statuts contrastés de ces deux « sciences » que sont la grammaire et lesmathématiques en Inde et en Occident, mais aussi les problèmes philologiquescommuns aux textes de ces deux traditions – et à bien d’autres en Inde –, nousont incités à les regrouper dans le projet susnommé présenté dans le cadre del’appel à proposition 2003 de l’Action concertée incitative (ACI) « Terrains,techniques, théories – Travail interdisciplinaire en SHS – Histoire dessavoirs ». Le projet vise à fournir des textes sanskrits fiables, mais aussi destraductions commentées rendant ces savoirs accessibles aux historiens dessciences et, plus généralement, de la pensée. Les conditions particulières de larecherche philologique en sanskrit nous ont amenés à proposer égalementl’élaboration d’outils informatiques nouveaux destinés à constituer des éditionscritiques et l’adaptation des techniques d’analyse textuelle automatique etstatistique à ce type d’édition. Le projet, réalisé par une équipepluridisciplinaire, fédère des chercheurs indiens et occidentaux associés àquatre institutions : EPHE, École française d’Extrême-Orient (EFEO), Institutnational de recherches en informatique et automatique (INRIA) et Écolenationale supérieure des télécommunications (ENST) de Brest. Ses finalitéspeuvent se détailler ainsi :- fournir des textes sanskrits fiables permettant d’étayer des recherchesfutures ;- donner des traductions (partielles ou intégrales) de certaines œuvres pourmettre à la disposition de tous ceux que l’histoire des sciences, et plusgénéralement de la pensée, intéressent, des bases de réflexion dans cesdomaines ; ces traductions seront publiées sous la forme traditionnelle delivres ou d’articles ;- rendre accessibles ces savoirs en apportant les explications nécessaires à lacompréhension des textes traduits (présupposés de lecture, métalangage,etc.), qui seront annexées aux traductions ou feront l’objet de publicationsséparées ;- construire des logiciels permettant la réalisation matérielle d’éditionscritiques ;- construire un logiciel permettant des analyses de données sur les textes àpartir des informations récoltées pour les éditions critiques, et en particulierla construction d’arbres phylogéniques (stemma codicum) ;rassembler dans une base de données les informations concernant l’histoiredes textes, de leurs auteurs, des manuscrits et les contextes non-conceptuelsoù s’inscrivent ces savoirs ;- mettre en ligne sur un site Internet les données qui peuvent intéresser unpublic plus large (érudition indienne, formation du lettré traditionnel,systèmes d’écriture du monde indien, etc.).Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

6

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

2. Textes et méthodologieNos connaissances des textes et de l’histoire de leur transmission dans lemonde indien sont, pour des raisons historiques, géographiques et culturelles,bien différentes de celles des sources européennes. La pensée indiennes’élabore à partir d’un corpus de textes fondamentaux transmis oralement,dont la composition remonte à l’Antiquité (environ 1500 ans avant n. è. pour lesparties les plus anciennes du Veda) et se poursuit jusqu’au milieu du premiermillénaire après J.-C. environ. S’inscrire dans la continuité de l’enseignementdes textes fondateurs est l’une des principales caractéristiques de la traditionindienne. C’est ce qui explique que l’essentiel de la production intellectuelleprenne, très tôt, la forme de commentaires. La majorité d’entre eux n’a pasdonné lieu à des éditions critiques – qui seules permettent d’assurer une baserelativement fiable à l’étude des sources –, ni fait l’objet de traductions dansune langue occidentale.Les textes sélectionnés au départ sont, pour la grammaire, un commentaire du7e siècle largement répandu dans l’ensemble du sous-continent indien, la« Glose de Bénarès ». Ce texte représente un véritable pivot dans l’histoiredes idées linguistiques indiennes, dans la mesure où il s’agit du plus anciencommentaire complet qui nous soit parvenu du « Traité en huit leçons »(Ashtâdhyâyî) de Pânini, composé au plus tôt au 5e s. av. n. è. Lesmathématiques sont représentées par des traités « pratiques » deconstruction de formes géométriques pour la réalisation d’autels (Çulbasûtra)et par des ouvrages plus « théoriques » à visée astronomique tels descommentaires sur les œuvres de Brahmagupta (6e s.) et de Bhâskara (12e s.).Les éditions envisagées, pour être « critiques » au sens strict du terme, sedoivent de prendre en compte toutes les sources disponibles sur une aire aussivaste que le sous-continent indien. Une part essentielle du projet consiste àautomatiser le traitement des données, non seulement pour l’élaboration del’édition finale, mais aussi pour l’analyse textuelle et statistique des donnéesselon divers points de vues (cluster, arbres phylogéniques, etc.). Les outilsinformatiques élaborés à cette occasion, inexistants à ce jour, seront deslogiciels « libres » (open sources), c.-à-d. dont le code source sera librementaccessible à tout le monde, et gratuits ; destinés à faire progresser les pourdes textes notés dans des écritures dérivées du système indien (tibétain,khmer, etc.).Nous avons choisi comme base d’expérimentation principale des outilsinformatiques la « Glose de Bénarès », pour laquelle plus d’une centaine demanuscrits a été inventoriée (en Inde et en Europe), ce qui rend lareconstitution de son histoire particulièrement ardue et complique les choixéditoriaux.

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

7

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

Des discussions entre indianistes et spécialistes des nouvelles technologieslors d’une des sessions de travail en Inde (voir ci-dessous, § 3) ont permis demieux évaluer les besoins tout comme les contraintes des deux pôles duprojet. Les tâches se répartissent comme suit :EFEO et EPHE :collecte de reproductions de manuscrits de la « Glose de Bénarès » et detextes mathématiques en sanskrit ;comparaison des différentes versions (collation des manuscrits et analyse desvariantes) ;détermination de l’apparat critique ;test des logiciels.INRIA :réalisation du logiciel de génération d’édition critique à partir des étudeseffectuées par les membre des équipes indianistes ;analyse des données.ENST - Bretagne :analyse des données, en particulier sur la phylogénie des manuscrits.

3. Travaux en cours

La notification de la décision d’aide nous étant parvenue le 8 décembre 2003et les perspectives de financement ne couvrant pas, pour l’instant, la totalitédes besoins, le projet en est encore à sa phase initiale (1er semestre) et unepartie des énergies a été consacrée à la recherche de financementscomplémentaires : ces derniers sont en effet indispensables pour la confectiondes outils informatiques projetés. Par ailleurs, la partie du projet concernantles « mathématiques pratiques » a dû être ajournée pour le moment, le post-doctorant pressenti pour ce volet n’ayant pas obtenu à ce jour le financementqui devrait lui permettre d’effectuer sa recherche. Relevons que les fondsn’ayant pas été utilisés en 2003 ont pu être reportés sur l’exercice 2004.Pour autant, deux sessions de travail réunissant les collaborateurs indiens etune partie des participants européens ont déjà eu lieu en septembre et endécembre 2003. La première n’aurait pu se tenir sans le soutien financier del’EFEO, qui a attribué une mission à Pascale Haag-Bernède pour lui permettrese rendre en Inde. La seconde a eu lieu à Poona (Maharashtra, Inde, 10-20déc. 2003). La présence de MM. Marc Csernel (INRIA) et François Patte(EFEO) a permis un premier échange entre spécialistes des nouvellestechnologies et indianistes. Des séances de travail collectif sur plusieursanuscrits ont abouti à la mise au point d’un système d’encodage pour la notationde variantes (caractères barrés, notes marginales ou inter-linéaires, etc.).

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

8

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

Collecte de reproductions de manuscritsMM. J. Bronkhorst et Y. Ramseier (université de Lausanne) avaient posé, il y aune dizaine d’années, les premiers jalons en vue de la publication d’une éditioncritique de la « Glose de Bénarès » ; n’étant plus en mesure de mener à biencette entreprise, ils ont généreusement accepté de mettre à notre dispositionun lot important de photocopies et de microfilms.La collecte des reproductions de manuscrits manquant encore (et celle desmanuscrits dont les photocopies existantes sont illisibles) se poursuit, dans lamesure du possible, sous forme de photographies numériques, plus faciles àclasser et à diffuser aux différents participants. Elle se répartit entre lesindianistes des équipes de l’EFEO et de l’EPHE. Nous disposons de jeux dephotocopies de 102 manuscrits, mais nous avons constaté que la collectionétait loin d’être complète. Une mission à Lausanne, où se trouve l’ensemble descopies collectées autrefois, sera nécessaire. Une partie des photocopies demanuscrits sur feuilles de palmiers étant inutilisable (notamment ceux deMysore, Tanjore, Madras et Trivandrum), il sera nécessaire, après avoircollationné ce qui peut l’être, de contacter les différentes bibliothèques etd’organiser de nouvelles missions, soit pour obtenir des microfilms /photographies des manuscrits, soit pour en effectuer la collation sur place.Une première mission de ce type a déjà été réalisée en décembre 2003 auKerala (Trivandrum, Calicut, Tripunithura) par Pascale Haag-Bernède, grâce àune mission du Centre d’étude de l’Inde et de l’Asie de Sud (EHESS-CNRSUMR 8564).

Collation des manuscritsDans un premier temps, les équipes indianistes se partagent la collation desmanuscrits de deux chapitres de la « Glose de Bénarès ». Deux chercheurssupplémentaires ont été invités à compléter l’équipe basée à Pune et chargéedu premier chapitre. En outre, M. François Patte, sanskritiste et membre del’EFEO actuellement en poste à l’antenne de Pune, prend une part active auprojet dans le domaine des nouvelles technologies en plus de son travail sur lesmathématiques.L’équipe de participants de l’EFEO se consacre au troisième chapitre. Deséchanges entre chercheurs des équipes de Pune et de Pondichéry sontenvisagés pour les écritures mal connues de certains des participants (c’estainsi que la collation des manuscrits en écriture telugu se fera intégralement àPondichéry et celle des manuscrits en écriture bengalie à Pune), de même quela possibilité de faire appel à des éléments extérieurs (par exemple, pour uneécriture telle que l’oriya).

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

9

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.Note technique sur la collationChaque manuscrit est collationné dans un fichier en utilisant un texteélectronique, déjà saisi, établi sur la base d’une édition indienne (RatnaPublications, Varanasi, 1985). Cette dernière est apparemment basée sur unesource unique, dont l’origine n’est pas précisée par l’éditeur. Elle ne rend doncpas compte des différentes versions du texte que présentent les manuscrits.Pour noter tous les accidents que peuvent comporter les différentes sources(variantes par rapport à l’édition de base, corrections, omissions, ajouts, etc.)ainsi que les métadonnées relatives à leur histoire, un système de codificationa été établi lors de notre session de travail en décembre dernier. Ce système,inspiré des commandes LaTeX, présente le triple avantage d'être facile àmettre en oeuvre, d'être facilement identifiable pour un programmeinformatique chargé de traiter le texte et de pouvoir servir à la mise en pagedu texte imprimé. En outre, les procédures de création d'un texte html àpartir d'un texte codé en LaTeX étant déjà mises au point (par des logicielslibres et donc adaptables), la fabrication de l'édition électronique s'entrouvera facilitée.Ces textes sont, dans un premier temps saisis selon le mode detranslittération Velthuis du sanskrit. Chaque fichier constitue ainsi unereproduction électronique du texte d’un manuscrit donné.

Génération assistée par ordinateur d’un apparat critique

Cette tâche sera assurée par l’INRIA sur la base des fichiers de collationsréalisés par les indianistes. Pour comparer les textes des différentsmanuscrits, il a été retenu d'élaborer un texte « pivot »; celui-ci contient uneversion du texte décomposé en éléments simples que nous appelerons « mots ».Chaque mot est séparé d'un mot voisin par un caractère spécifique (blanc, +,...).Le texte est également découpé en paragraphes numérotés ; le texte dechaque manuscrit suit le découpage en paragraphe suivant la mêmenumérotation : ceci permet au logiciel de se « caler » sur des paragraphescensés être identiques pour effectuer les comparaisons plutôt que de fairedes recherches globales à travers tout le texte, ce qui ferait appel àénormément de mémoire machine et consommerait beaucoup de temps. Lacomparaison, s'effectuant ainsi paragraphe par paragraphe, ce procédédiffère des programmes de comparaison classiques, qui comparent les fichiersligne à ligne.Au moment de la comparaison entre deux ou plusieurs textes de manuscrits, leprogramme consulte le texte pivot pour avoir la liste des mots du paragraphequ'il examine et effectue la comparaison sur cette base, notant les ajouts, lesabsences, les différences orthogaphiques, la lisibilité ou non, etc. Le textepivot pourra être modifié au fur et à mesure en fonction des manuscritsexaminés de façon à élaborer la meilleure version possible, celle qui figurera

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

10

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

dans l’édition comme le texte adopté, tandis que l’apparat critique (variantes,lacunes, ajouts, etc.) sera généré par le logiciel pour figurer en bas de page. Enfin d'édition, l'éditeur aura donc à sa disposition un texte éditable, doublé desa version « pivot » grâce à laquelle il sera possible de faire des recherchesautomatiques dans le texte définitif, par exemple, à fin d'indexation. L’un desbuts du projet est de permettre de voir à quel point tout ceci peut êtreautomatisé en produisant (voir tableau, p. suivante) :un texte en LaTeX correspondant à la version papier de « l’édition critique » ;le même texte en version XML permettant de générer une version « écran »interactive ;un ensemble d’informations susceptibles d’être utilisées pour une analyse dedonnées (voir paragraphe suivant) ;un ensemble de méta-données susceptibles d’être réunies dans une base dedonnées « multimédia ».

Analyse des données

Les données nécessaires aux différentes classifications seront en partiefournies par le programme de génération d’édition critique. L’analyse desdonnées effectuée sur les manuscrits se situe à 2 niveaux.Le premier niveau, du ressort de l’INRIA, consistera à effectuer une partitiondes manuscrits en différentes classes. Il sera possible pour l’utilisateur :de sélectionner les données relatives à chaque manuscrit servant à établir lesdistances entre eux ;de choisir un type de distance pour effectuer les comparaisons ;de choisir le nombre de classes de la partition.Le deuxième niveau sera du ressort de l’ENST, il consistera – dans la mesurepossible – en la création de l’arbre phylogénique des manuscrits. L’utilisateurpourra choisir les manuscrits qu’il désire voir intervenir dans la constructionde l’arbre, ainsi que le type de métrique. A la date d'aujourd'hui, les premierstests de comparaison devraient pouvoir commencer, les fichiers déjà saisis parles équipe de Pondicherry et de Pune servant à l'expérimentation.

Grammaire et mathématiques dans le monde indien : histoire des savoirs,

11

histoire des textes et nouvelles technologies au service de la philologie.

Laboratoire porteur : Équipe « Le monde indien : textes, sociétés, représentations »(EA 512) : École pratique des hautes études (EPHE)Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Gerdi GERSCHHEIMER

TEXTES & LANGUES TECHNIQUES

Manuscrit 1 Manuscrit nManuscrit 2

Texte pivot

programme degénérationd’apparatcritique

versionélectronique

‘papier’(LaTeX)

versionélectronique

‘écran’(XML)

Données pourl’analyse de

données

Méta-données pourla génération d’une

base de données

12

Hélène BELLOSTADictionnaire historique des sciences mathématiques arabes.

A partir du IXe siècle, dans une partie du monde qui s’étend del’Andalousie aux confins de la Chine et de l’Inde, l’arabe est la languedes mathématiques, des sciences et de la philosophie. Au Xe siècle enparticulier, lorsqu’éclate l’unité politique du califat abbasside, que lerôle de protecteur des savants, jadis dévolu au calife passe à despotentats locaux, parfois iranophones ou turcophones, et que l’onassiste, à l’est — en même temps qu’à la multiplication et la dispersiondes centres de la vie intellectuelle — à une renaissance de la languepersane comme langue littéraire, l’arabe reste, pour l’ensemble de cemonde, la langue des mathématiques, des sciences et de la philosophie.L’arabe n’est plus dans ce contexte la langue d’un peuple, mais celle deplusieurs, ce n’est plus la langue d’une seule culture, mais celle de tousles savoirs. Dans la science du monde musulman se réalise unepotentialité de la science grecque à dépasser les frontières d’unerégion, à briser les bornes d’une culture et de ses traditions, pourrevêtir les dimensions d’un monde, foyer d’échange de toutes lescivilisations ; internationale, la science d’expression arabe l’est autantpar ses sources (hellénistiques certes, mais aussi syriaques, sanscriteset persanes), que par ses développements et ses prolongements(hébraïques et latins).

L’importance pour la constitution des savoirs (latin, hébreu etitalien), des éditions de textes et des traductions a été fort justementsoulignée par les promoteurs du projet sur l’histoire des savoirs. Or àl’heure actuelle l’éditeur d’un texte scientifique arabe n’a à sadisposition que des dictionnaires linguistiques, unilingues ou bilingues,qui ignorent le plus souvent le sens technique des termes, ou n’y fontqu’une brève allusion, parfois incorrecte ; il se voit ainsi forcé d’établirlui même sa propre terminologie en s’aidant, lorsqu’il en existe, desindex terminologiques ou des lexiques que comportent certains textesdéjà édités. La terminologie scientifique arabe, à l’époque classique,dont nous venons d’évoquer le rôle central tant pour la formation etl’histoire des concepts mathématiques, scientifiques et philosophiques,que pour l’étude de la circulation des connaissances dans le mondeméditerranéen et la formation du vocabulaire scientifique latin,hébreux ou italien, n’a fait à ce jour l’objet d’aucune étudesystématique. C’est cette lacune que ce projet a l’ambition de combler.

13

Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes.

L’intense activité d’édition de textes scientifiques arabes quenous constatons depuis quelques années, notamment en France, rendaujourd’hui possible ce projet. S’inspirant de la tradition d’érudition etde rigueur des philologues spécialistes de l’antiquité gréco-hellénistique, les éditeurs de textes scientifiques en arabe,essentiellement d’ailleurs des chercheurs de l’équipe UMR 7062, ont eneffet, depuis quelques dizaines d’années, entrepris de définir et demettre en œuvre des normes exigeantes d’édition critique. Les éditionscritiques qu’ils ont ainsi produites ont, ces dernières années, renouveléet bouleversé notre connaissance de la science arabe. Les lexiques etindex établis dans ces éditions incontestables sont à l’heure actuelle lesseuls outils dont dispose l’éditeur et le traducteur de textes, ilsconstitueront le point de départ de nos travaux.

L’objectif de ce travail est triple :

1. Tout d’abord, fournir à l’éditeur de textes scientifiques arabes unoutil — basé sur des recherches linguistiques et philologiquesrigoureuses et des éditions de textes incontestables ou desmanuscrits — qui à l’heure actuelle lui fait cruellement défaut, luipermettant ainsi d’établir la tradition textuelle par disciplinemathématique ; pour atteindre cet objectif l’ouvrage est conçucomme un dictionnaire historique multilangue dans lequel les motsseront classés dans l’ordre alphabétique des racines arabes.

2. Permettre ensuite à l’historien et au philosophe des sciences, mêmenon arabisant, de cerner l’émergence et l’évolution des conceptsconstitutifs de la science classique (XVIIe siècle) ou leur mutation desens, de repérer les moments de l’invention des termes tout ensituant le contexte de cette invention et d’étudier la dynamique deleurs changements de sens ; pour ce faire l’ouvrage comporteraégalement un index des termes français, avec de nombreux renvoisd’un terme à un autre, afin d’en rendre la lecture possible aux nonarabisants ; les différents articles seront émaillés de citations — avec leur traduction française — qui permettront de préciser lesens dans son contexte.

3. Étudier enfin les processus de transmission de ces termes et leuracculturation (passage d’une aire culturelle à l’autre : Antiquitégréco-hellénistique, mondes arabe, latin, hébreu et italien). Ledictionnaire comportera donc également l’origine des mots(traduction du grec, du syriaque, du persan ou du sanscrit si c’est lecas, ou au contraire création propre), et leurs traductionssuccessives tant en latin qu’en hébreu et en italien .

14

Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes.4. Le groupe “ dictionnaire ” a commencé ses travaux le 20 mars 2003 et

six réunions de travail se sont tenues depuis cette date. Les grandes

lignes du projet ont été définies : la période concernée (VIIIe-XVIe

siècles), le mode de présentation (par ordre alphabétique des racinesarabes), les normes de rédaction d’un article, les index (index des motspar langue — arabe, français, hébreu, grec, latin et italien — et indexpar thème).

Il a été décidé de commencer à dépouiller les textes et à rédiger les articlespar sous-disciplines ; des sous groupes de travail ont ainsi été formés :

- optique, responsable R. Rashed, avec la collaboration de H. Masoumi(Université Sharif, Téhéran), P. Pietquin (Faculté Universitaire de Namur),M Smith,

- statique, responsable B. Elmabsout, avec la collaboration de F. Bancel et M.Rozhanskaya (académie des sciences, Moscou),

- dynamique, responsable A. Hasnaoui, avec la collaboration de M. Rashed,ainsi que de G. Freudenthal pour la partie hébraïque,

- astronomie, responsable R. Morelon, avec la collaboration de B. Elmabsout,- géométrie, responsable P. Crozet, avec la collaboration de H. Bellosta et R.

Rashed, ainsi que B. Vahabzadeh pour tout ce qui concerne les grandeurs etla théorie des proportions, M. El-Houjayri (CNRS Liban) pour la géométriesphérique, A. Moussa (doctorant) pour la trigonométrie sphérique et M.Hammad pour ceux des termes de géométrie usités en architecture,

- arithmétique, responsable P. Crozet, avec la collaboration de R. Rashed,ainsi que M. Ben Miled (Université de Tunis) pour les développements dulivre X des Éléments, A. Allard (Faculté Universitaire de Namur) et J.-P.Sutto pour la partie latine, et T. Lévy pour la partie hébraïque,

- algèbre, responsable H. Bellosta, avec la collaboration de R. Rashed et B.Vahabzadeh, ainsi que J.-P. Sutto pour la partie latine et T. Lévy pour lapartie hébraïque,

- philosophie des mathématiques, responsable A. Hasnaoui, ainsi que de G.Freudenthal pour la partie hébraïque.

Des listes, non exhaustives, de termes ont été définies pour l’algèbre, lastatique, la dynamique, la géométrie, l’optique, l’astronomie et la philosophiedes mathématiques. A ce jour une cinquantaine d’articles(environ centcinquante pages) ont déjà été rédigés sous une forme quasi-définitive :- 18 articles en algèbre,- 4 articles en géométrie,- 18 articles en statique,- 11 articles en optique,- 1 article en dynamique,- 1 article en philosophie des mathématiques.

15

Dictionnaire historique des sciences mathématiques arabes.

Le traitement informatique des textes, leur mise en formedéfinitive, la gestion des index et de la bibliographie, sont du ressortd’A. Auger et de M. Rouabah. J. P. Sutto assure le suivi informatique duprojet ainsi que la formation d’A. Auger et de M. Rouabah à l’usage dulogiciel LATEx, seul logiciel capable de gérer un projet aussi complexe :une première séance de formation de deux jours a eu lieu à ladélégation Ile de France Est du CNRS.

Deux ordinateurs Mackintosh sont en cours d’achat : unordinateur portable et un ordinateur central (système 10). Les ouvragesindispensables, dictionnaires et textes ont été achetés ou sont en coursd’achat.

Laboratoire porteur : Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes etmédiévales, CNRS/EPHE, UMR 7062.

Projet de recherche d’une durée de 3 ans

Coordination : Hélène Bellosta.

En partenariat avec : Al-Furqan Islamic Heritage Foundation, la Faculté Universitaire deNamur, département de langues et lettres classiques, et le département demathématiques de l’Université du Caire.

16

TEXTES & LANGUES TECHNIQUES

Nicole BERIOU - Marjorie BURGHARTEcrits pragmatiques et communication au Moyen Âge

1) Axes du projet

L’objectif principal de ce projet est de produire, en travaillant sur deuxcorpus différents de textes relatifs à des domaines précis de l’histoire dessavoirs, et grâce aux ressources du traitement informatique, des outilsd’analyse allant de la constitution à l’exploitation scientifique de sériesdocumentaires en XML, et autorisant, par leur souplesse, le transfert decompétence technique et méthodologique au profit d’autres entreprises derecherche.

Ces deux corpus sont respectivement- des recueils de sermons, destinés à l’apprentissage de leur métier de

communication par les prédicateurs,- et des séries de comptes de châtellenie, permettant au prince deconnaître et, à partir de là, de contrôler les populations et lesterritoires sous sa domination.Les uns et les autres ont été produits à partir du XIIIe siècle comme

des instruments de travail fonctionnels, destinés à faciliter l’accès aux savoirsqu’ils mettent en ordre, au profit d’utilisateurs qui les consultent plus souventqu’ils ne les lisent.

Entre ces deux catégories d’écrits “ pragmatiques ”, l’écart des sujetsabordés est grand. Leur rapprochement, audacieux, est cependant fondé, àplusieurs titres :

a) les champs de l’analyse : notre propos est de mettre en évidence lescaractères originaux

communs de la production d’écrits fonctionnels,- d’un point de vue matériel = supports, écriture, mise en page ces

documents se présentent comme des objets archéologiques, qui peuvent êtremontrés à l’écran grâce aux techniques de numérisation

- d’un point de vue conceptuel = structures du discours, ou toute miseen forme des données construite en fonction de l’utilisateur : ces documentspermettent de mettre en évidence les régularités, les constantes desprocessus de production

17

Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âgeb) les instruments de l’analyse : notre propos est de produire des outilsinformatiques destinés à faciliter le travail des chercheurs en scienceshumaines, à deux niveaux :- un environnement de travail pour la préparation de bases de données XMLpar annotation et enrichissement des fonds documentaires, de sorte queplusieurs chercheurs puissent travailler ensemble sur les mêmes documents endes lieux distants les uns des autres, selon les besoins et les usages dessciences historiques.

- une proposition d’interface de diffusion et d’exploitation des corpusainsi constitués

Ces outils, pour être utilisés sans réserve, doivent être fiables etdurables, simples, souples, et performants, et ils doivent répondre à lademande croissante, de la part des chercheurs, de modes de consultationlibre, incluant la gratuité (ce que permet le recours à des outils Open Source)et l’universalité (ce que permet le recours au réseau Internet)

c) les moyens matériels et humains :- ces corpus massifs, accessibles en archives, sont, de plus en plus,

numérisés- les membres de notre équipe sont des historiens spécialistes,

rompus à l’étude de ces genres documentaires, relevant de deuxgroupes de travail constitués respectivement à Lyon et à Chambéry,et ouverts à la collaboration européenne ; et des informaticiensprêts à jouer le jeu de la mise au point de l’application informatiqueajustée aux besoins des historiens

2) Etat d’avancement

= la base documentaire :

* Trois corpus de sermons du XIIIe siècle sont numérisés à partird’éditions anciennes imprimées, saisies en mode texte:

- Philippe le Chancelier, sur les Psaumes (313 500 mots, 2065 Ko)- Guillaume Peyraut, pour les dimanches et fêtes (492 000 mots,

3 285 Ko)- Jacques de Voragine, pour le temps, les saints, et le carême

(850 000 mots, 5300 Ko)* Grâce à la collaboration des Archives départementales de Savoie,

tous les comptes de châtellenie du XIIIe siècle conservés dans ce dépôtsont numérisés. Et depuis la mise en route du programme, une trentaine decomptes ont été transcrits, soit le quart du total.

A la faveur des relectures des textes, des critères uniformes de choixdes graphies ont été proposés, sur la base des comparaisons permises par

18

Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âge

Les concordances (sermons et comptes) ; et un glossaire des termestechniques (comptes) est en cours de réalisation.

= le développement de la plate-forme :

L’essentiel de l’effort scientifique a porté sur le développement de laplate forme en vue de faciliter le travail collaboratif.

A partir de données fournies par les historiens spécialistes des textesde sermons, les informaticiens ont achevé la mise au point des spécifications,et une campagne de développement est en cours sur cette base pourconstruire le produit technique le plus souple et le plus performant possible. Ladiversité des contextes de recherches, et la diversité attendue desdéfinitions de types de documents (DTD) impliquent en effet de viser à laproduction d’une plate-forme générique et modulaire, dont la premièreversion publique devrait être disponible en Open Source à l’automne 2004.

Les principales avancées concernent :- l’aménagement de l’interface par angles d’étude- l’adaptation multilingue- le travail sur les chaînes d’habilitation

= le traitement des corpus :

Les premières applications sont hébergées sur un serveur de l’Institutdes Sciences de l’Homme de Lyon, à fin de tests, avec un accès encorerestreint aux membres du groupe, en vue de permettre le travail collaboratifau sein de l’équipe européenne concernée.

Une rencontre sous forme de journées d’étude a eu lieu à Lyon les 19 et20 mars 2004, en vue de permettre les échanges entre informaticiens ethistoriens, et de tester le prototype en l’état actuel de son développement,pour le balisage des textes. Cette expérience est fondatrice, et il est prévude la reproduire avec le corpus des comptes de châtellenie dès que lanumérisation, la saisie et la conception de la grille d’analyse des textescorrespondants seront suffisamment avancées.

La rencontre de mars a aussi permis d’envisager les possibilités detransfert technologique sur d’autres corpus de sermons dont l’édition a étéentreprise par d’autres chercheurs invités à participer à la réunion : corpus deNicolas de Biard (Université de Genève) ; corpus de Pelbart de Temesvar(Université de Budapest) ; corpus de Nicolas de Hacqueville (Universitéd’Uppsala).

19

Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âge3) Perspectives

* Développer l’outil de questionnement des corpus :

- questionnement élaboré (pour cela, recours à des technologies liées)- présentation personnalisable du document selon l’angle d’étude retenu- possibilité de cumuler/croiser, au gré de chaque utilisateur, les angles

d’études, et d’obtenir les affichages sur écran correspondants à cesrequêtes

Une première tranche du corpus, constituée des sermons de Carême deJacques de Voragine, devrait être mise en ligne, en accès libre, en juillet2004 * Développer le transfert technologique d’un genre documentaire à l’autre :

Les mises au point techniques devraient permettre d’adapter la plate-

forme, modulaire par définition, à l’autre domaine d’études représenté par lecorpus des comptes de châtellenie.

Après la phase préliminaire de saisie cette année, le prochain objectifsera de tester la souplesse de l’outil en concentrant l’effort sur le balisagedes comptes, pour permettre une évaluation critique du travail, moyennant unecollaboration entre chercheurs de France, d’Italie et de Suisse d’une part, etarchivistes d’autre part, dans le courant de l’année 2005 . * Préserver un espace pour les éditions de texte :

Le toilettage du texte imprimé des sermons de carême de Jacques deVoragine a donné l’occasion de préparer une édition sur la base d’une sélectionréfléchie de manuscrits, qui est actuellement sous presse à Florence(S.I.S.M.E.L.). Et la nouvelle collection Corpus, lancée par le centre derecherches de Chambéry, sera inaugurée par les comptes de construction duchâteau de Bonneville (1385), qui font partie du corpus des comptes dechâtellenie.

Il convient en effet de différencier de manière stricte : * l’outil de travail qui introduit aux structures du texte,

• et l’édition critique de celui-ci, qui garde toute sa place pour lecontrôle scientifique, notamment dans le domaine lexical.

L’enrichissement du corpus, par le jeu des comparaisons qu’il autorise, donneles moyens d’une évaluation plus fine de l’intérêt relatif des documents traités.De la sorte, la constitution de la base de données permet de procéder plussûrement à des sélections d’échantillons documentaires sur lesquels ilconviendra de faire porter prioritairement l’effort d’édition critique : parexemple, dans l’ensemble très abondant des plus anciennes séries de comptesde châtellenie (XIIIe siècle), actuellement en cours de saisie.

20

Ecrits pragmatiques et communication au Moyen Âge * Ouvrir les échanges avec d’autres chercheurs

L’expérience, inaugurée en mars, d’inviter d’autres chercheurs à testeret à évaluer l’outil de travail en fonction de leurs expériences et de leursrequêtes, doit être poursuivie et élargie, en tirant parti du dynamisme de larecherche européenne sur les types de documents mis en œuvre dans leprogramme de recherche : entre autres

- à Turin pour un manuscrit d’homélies associées à d’autres textesliturgiques du haut Moyen Âge, le Vercelli Book, avec une attentionparticulière au manuscrit comme objet

en Italie et en Suisse, pour l’ensemble des comptes de châtellenie produitsdans la principauté de Savoie, et longtemps conservés en rouleaux.

Laboratoire porteur : Université Lyon 2, UMR 5648 du CNRS

Projet de recherche d’une durée de 3 ans

Coordination : Nicole BERIOU.

En partenariat avec : Christian Guilleré (Université de Savoie)Marjorie Burghart (Université Lyon 2)

21

AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN ÂGE LATIN

11h15 - 11h50 Sabine ROMMEVAUX Formes d'articulation entre mathématiqueset philosophie naturelles (XIV° - XVI° siècle)

11h50 - 12h25 Nicolas WEILL-PAROTStructure de la matière animée face au monde inanimé :

histoire d'un savoir scientifique et de ses enjeuxintellectuels et sociaux (Occident, XII°-XV+ siècle)

12h25 - 13h00 Paul BENOIT Les savoirs du fer

13h00 - 13h35 Marie-Pierre RUASSavoirs en pratique de l'arboriculture fruitière auMoyen Âge : regards croisés sur les techniques de

culture et le corpus fruitier méridional (V°-XV° siècles)

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

22

AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN ÂGE LATIN

Sabine ROMMEVAUXFormes d'articulation entre mathématiques et philosophie

naturelle (XIV°-XVI° siècles)Ce programme de travail se propose d’étudier les relations entre certainsdomaines des mathématiques au Moyen Age et à la Renaissance, notamment lathéorie des proportions, et certains aspects de la connaissance de la nature,comme les théories du continu, les théories du mouvement et la mécanique. Lapériode couverte va du début du XIVe siècle jusqu’à la fin du XVIe siècle. Ils’agit de voir comment se nouent des formes originales de mathématisation dephénomènes physiques, qui ne sont réductibles ni à la théorie aristotéliciennede l’abstraction, ni à la vision de la nature « écrite en langage mathématique ».Ce programme s’articule autour de trois axes : le calcul du mouvement, lamécanique et la question du continu. Il s’était donné comme objectif lapublication de plusieurs ouvrages : recueils d’études, éditions et traductionsde textes fondamentaux.

Le calcul du mouvement

Recueil d’études

Nous avons abordé la question du calcul du mouvement à partir de plusieurstextes : le Traité des rapports de Thomas Bradwardine, le Traité des rapportsde rapport de Nicole Oresme, les Questions sur le traité des rapports deBlaise de Parme, le Livre des calculs de Richard Swinishead.Une journée d’étude, organisée par Joël Biard en mai 2003, avait permis dedéterminer les enjeux de cette question : quel est le statut de la célèbre« loi » du mouvement de Bradwardine, comment fut-elle reçue, quel est lestatut de cette théorie (constitue-t-elle un chapitre des mathématiques ou unchapitre de la philosophie naturelle), et plus généralement quel est le statutdes énoncés mathématiques dans la philosophie naturelle du Moyen Age et dela Renaissance ? Les exposés de cette journée et d’autres travauxcomplémentaires seront rassemblés dans un ouvrage collectif, dont lesommaire a été, en grande partie, arrêté. Seront abordés les thèmes suivants :• Par Jean Celeyrette : doit-on parler de « règle » ou de « loi »

mouvement ? Y a-t-il un changement de statut de l’énoncé deBradwardine dans les différents textes sur le mouvement ?

Par Sabine Rommevaux : une présentation des outils mathématiques à l’œuvredans le Traité des rapports de Bradwardine et une étude de la théorie desrapports de rapports d’Oresme. Il s’agira, en contrepoint aux interprétationsmodernisantes, de replacer ces outils et cette théorie dans le cadre desmathématiques médiévales, en particulier dans :

23

Formes d'articulation entre mathématiques et philosophienaturelle (XIV°-XVI° siècles)

• celui de la théorie des proportions euclidiennes, telle qu’elle a pu êtreappréhendée par les médiévaux.

• Par Sabinne ROMMEVAUX : une étude des arguments mathématiques etphysiques qu’avance Blaise de Parme pour refuser la loi de Bradwardine etune présentation de sa propre loi du mouvement.

• Par Joël Biard et Jean Celeyrette : une présentation de traités de GiovanniMarliani, Benedetto Vittorio Faventino et Alessandro Achillini, quiprolongent dans la pensée italienne des XVe et XVIe siècles les réflexionscritiques de Blaise de Parme.

• Par Joël Biard et Sabine ROMMEVAUX : une présentation de la question 11du texte de Blaise de Parme dans laquelle il se demande de quoi dépend lavitesse dans le mouvement local, le mouvement d’altération, le mouvementd’augmentation et le mouvement de raréfaction.

• Par Jean Celeyrette : une présentation du manuscrit 16621 de la BN,appartenant à Etienne Gaudet, maître en théologie de l’université de Paris.Ce manuscrit contient un certain nombre de textes sur le mouvement, etpermet de poser la question de la réception des traités anglais à Paris.

• Par Edmond Mazet et Edith Sylla (université de Caroline du Nord, USA) :deux articles sur le Livre des calculs de Richard Swineshead, qui exploresystématiquement les conséquences de la « loi » de Bradwardine, avec unegrande maîtrise mathématique et logique.

• Par Elzbieta Jung-Palczewska (université de Lodz, Pologne, et Boston,USA) : une présentation des travaux de Kilvington sur le mouvement.

• Par Fabien Chareix ? : les travaux du jeune Galilée sur le mouvement.• Par Pascal et Jean-Jacques Brioist : présentation du traitement du

mouvement dans les manuscrits sur la balistique de Thomas Harriot, enparticulier de la construction géométrique des trajectoires parcomposition du mouvement de tir et du mouvement de chute.

En annexe de cet ouvrage, nous présenterons des extraits, en traductionfrançaise, des textes qui y sont étudiés. Il devrait paraître en 2005 chez Vrin.

Traduction française des traités de Bradwardine et Oresme

Par ailleurs, Sabine Rommevaux prépare une traduction françaisecommentée du Traité des rapports de Thomas Bradwardine, et du Traité desrapports de rapports de Nicole Oresme. Ces deux textes ont été édités ettraduits en anglais, le premier par H. L. Crosby en 1955 et le second par E.Grant en 1966. Il nous a semblé qu’il serait utile de donner une nouvelletraduction de ces textes, qui ne soit pas influencée par une lecturemodernisante. Cet ouvrage devrait être prêt au début de 2005, mais pour desquestions budgétaires, ne pourra être publié qu’à la fin 2005.

24

Formes d'articulation entre mathématiques et philosophie naturelle(XIV°-XVI° siècles)

8 La mécanique

Trois corpus de textes sont étudiés dans cet axe : les Mécaniques de Galilée,les manuscrits de Thomas Harriot sur la balistique et deux traités demécanique de Tartaglia.

9 Les Mécaniques de Galilée

En ce qui concerne les Mécaniques de Galilée, le travail d’édition et detraduction par Sophie Roux et Egidio Festa est terminé. Rappelons qu’il existedeux versions de ce texte : une version brève et une version longue. Lapremière n’était pas connue de Favaro, l’éditeur des Œuvres de Galilée au XIXe

siècle et était restée inédite. La seconde a été éditée par Favaro à partir dedix manuscrits. Quatre autres ont été trouvés depuis. Sophie Roux et EgidioFesta ont montré que l’un de ces manuscrits était proche de l’un de ceuxutilisé par Favaro pour son édition et que les trois autres sont antérieurs à lapremière édition imprimée du texte de Galilée par Manolessi en 1655-1656.Sophie Roux et Egidio Festa présentent donc une édition de la version longuefondée sur l’édition de Favaro avec les variantes de ces trois manuscrits.Le texte d’introduction reste à rédiger. Il aura pour objectif de donner leséléments nécessaires pour clarifier les concepts mis en œuvre par Galilée. Pource faire, les auteurs proposeront :I) l’examen d’un certain nombre de textes du XVIe siècle. L’objectif n’est pasdonner une présentation générale et synthétique de la mécanique à cetteépoque, mais plutôt d’effectuer, sur des points précis, une comparaison entreles concepts mis en œuvre par Galilée et la tradition mécanique du XVIe siècle.Ce travail se fondera sur les travaux classiques de Clavelin et Galluzzi, maisaussi sur les éditions et les analyses de textes de Maurolico (par Napolitani),de Guidobaldo (par Micheli), de Moletti (par Laird), de Varron (par Camerota-Helbing) et de Gatto (par Stigliola).II) l’analyse de la reprise de certains concepts dans les œuvres ultérieures deGalilée. Certains passages des Mécaniques sont repris tels quels dans lesDialogues ou les Discours (par exemple le principe du levier).La publication de cette édition-traduction des Mécaniques est prévue pour lafin 2004 ou le début de 2005, aux Belles Lettres.

Les manuscrits de Thomas Harriot sur la balistique

En ce qui concerne les manuscrits de Thomas Harriot sur la balistique, letravail d’édition de Pascal et Jean-Jacques Brioist est déjà bien avancé.L’édition de ces manuscrits présente deux difficultés. Première difficulté : ils’agit de brouillons qui présentent des diagrammes cinématiques, des relevésde mesure et des tables statistiques, ainsi que des considérations plusthéoriques.

25

Formes d'articulation entre mathématiques et philosophie naturelle(XIV°-XVI° siècles)

Harriot n’envisageait pas de les publier. Pascal et Jean-Jacques Brioist ontchoisi de présenter en vis-à-vis le texte d’Harriot tel qu’il se présente dans lemanuscrit (notamment en tenant compte de la mise en page, de la placerespective des figures et du texte ou des calculs), et une explication linéaire,qui, pour certain passage, est une véritable reconstruction. Deuxièmedifficulté : les papiers de Harriot ont été mélangés avant d’être regroupésdans deux volumes. Avant d’envisager le travail d’édition, il s’est donc agit pourles auteurs de remettre en ordre les papiers. L’inventaire qui été fait parTorporley, l’exécuteur testamentaire de Harriot, leur a donné des indications.Pascal et Jean-Jacques Brioist présentent donc un texte reconstruit dans lasuccession des feuillets.Dans l’introduction de cette édition, qui reste à rédiger, les auteursprésenteront les arguments et les hypothèses qui les ont conduit à adopterl’ordre des feuillets qu’il présente. Cette introduction sera, par ailleurs,l’occasion de présenter les travaux sur la balistique à l’époque d’Harriot. Dansune seconde partie de cet ouvrage, les auteurs proposeront de reproduirel’édition du traité sur la balistique de W. Bourne de 1587, qui est le textefondamental de cette époque à ce sujet.Cette édition doit paraître en 2005, chez Brepols.

10 Traités de Tartaglia

Le travail sur les traités de Tartaglia, par Pascal Brioist et Franck Labrascan’a pas encore été engagé. Il sera mis en place fin 2004, lorsque le travaild’édition des manuscrits d’Harriot sera achevé. Il s’agit de rendre accessibleen langue française deux textes, la Nova scientia et les Quesiti quiconstituent un chaînon de première importance dans le développement de lamécanique pré-classique, en mettant en place une relation originale desmathématiques, de la théorie des machines, et de la théorie du mouvement. Ilscontiennent par ailleurs une étude du mouvement des projectiles, qui avait prisune importance nouvelle avec la balistique. Ces traductions devraient êtreprêtes pour le début 2006.

11 La question du continu

Nous n’avons abordé la question du continu cette année, mais nous ouhaitonsmettre en place cette partie de notre programme à la rentrée 2004. Unepremière journée d’étude avait été organisée en avril 2003, qui nous avaitpermis de faire le point sur les questions qui se posaient. Il nous était apparu,en particulier, qu’il serait souhaitable de revoir les textes de Gautier Chatton(Oxford, début XIVe siècle), qui sont intéressants pour la question qui nousoccupe dans ce projet puisque ce dernier affirme, de manière réitérée, la nonPertinence de l’intervention des mathématiques dans la problématique ducontinu, et plus généralement pour traiter des choses réelles.

26

Formes d'articulation entre mathématiques et philosophie naturelle(XIV°-XVI° siècles)

La question sur le continu de son Commentaire des sentences n’a été qu’enpartie éditée.Nous souhaitons par ailleurs examiner les écrits de maîtres anglais qui ne sontpas directement intervenus dans le débat qui a eu lieu à Oxford au XIVe sièclemais qui ont traité de la question du continu. Nous souhaitons aussi aborder lecontexte universitaire parisien dans lequel le débat a été également vif,quelques années après Oxford.Les formes de ce programme reste encore à délimiter. Nous envisageonsl’édition de certains textes et la publication d’un recueil d’études sous ladirection de Jean Celeyrette. La publication d’une traduction française parSabine Rommevaux du De continuo de Thomas Bradwardine est toujoursenvisagée. Ce projet a pris un peu de retard : John Murdch souhaite revoirl’édition qu’il avait proposée dans sa thèse de 1957. Nous espérons que cettetraduction pourra être prête pour le début 2006.Parallèlement à ces travaux, Sabine Rommevaux et Joël Biard ont proposéd’éditer les petits traités mathématiques de Blaise de Parme. Cet ouvragepourrait paraître fin 2005.

12 Organisation du travail

Nous avons mis en place des séances de travail qui rassemblent tous lesmembres du projet autour des différents axes, pour échanger nos points devue, discuter des difficultés que nous rencontrons.Mathieu Husson nous a présenté les traités d’optique de Thierry de Freiberg,nous permettant d’aborder la question de l’interaction entre mathématiques etphilosophie naturelle dans un domaine qui n’est pas au centre de notre projet,mais qui d’une part est depuis Aristote considéré comme une scienceintermédiaire entre mathématique et physique, d’autre part prend uneimportance nouvelle en Occident à partir du milieu du XIIIe siècle. Sophie Rouxet Egidio Festa nous ont présenté leur travail d’édition des Mécaniques deGalilée, et ont proposé une analyse du plan incliné, qui suppose une mise aupoint de la notion de « moment ». Il est apparu à l’issu de cette séance qu’ilserait souhaitable d’envisager une séance de travail sur les notions de « vitesse », de « moment » et de « gravité » qui ne recouvrent pas les mêmesréalités pour Galilée et les médiévaux. Jean-Jacques et Pascal Brioist nous ontprésenté leur projet d’édition des manuscrits d’Harriot. Cela leur a permis depréciser la forme qu’elle devait prendre et les difficultés qu’elle soulève. Unejournée de travail autour de Galilée est prévue en mai 2004 avec laparticipation de Mohammed Abattouy et Fabien Chareix.

27

Formes d'articulation entre mathématiques et philosophie naturelle(XIV°-XVI° siècles)

Ces séances de travail se poursuivront en 2004-2005 et peuvent êtrel’occasion de faire venir des intervenants extérieurs au projet.

Enfin, je voudrais signaler que Mme Marie-Madeleine Fontaine (universitéde Lille III) qui avait initialement donné son accord pour participer auprojet n’a pu prendre part aux travaux et ne fait plus partie du groupe.

Laboratoire porteur : GDR 2522 (philosophie de la connaissance et philosophie de lanature au Moyen Age et à la Renaissance)

Projet de recherche d’une durée deCoordination : Sabine ROMMEVAUX

28

AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN ÂGE LATIN

Nicolas WEILL-PAROTStructure de la matière animée face au monde inanimé :

histoire d'un savoir scientifique et de ses enjeux intellectuelset sociaux (Occident, XII°-XV° siècles)

Principaux axes du projet

Expliquer de manière rationnelle et scientifique la matière vivante constitueun problème majeur pour l’histoire des sciences au Moyen Âge, dans la mesureoù le sujet a suscité l’intérêt et le questionnement non seulement dephilosophes de la nature, mais aussi de médecins ou encore d’alchimistes.Devant le mystère qu’elle a représenté, ces hommes de savoirs ont dû mettreen œuvre leur propre régime épistémologique, tenant compte des limitesqu’imposaient les normes intellectuelles, théologiques mais aussi sociales dutemps. C’est ce régime épistémologique constitué en Occident entre les XIIe etXVe siècles et son devenir intellectuel et social que le programme présenté parles équipes EA 2720 et EA 3560 se propose d’étudier : il a pour finalité demettre en évidence les critères scientifiques choisis, les démarches dedémonstration suivies, les modalités de légitimation retenues, mais aussi lesconditions d’élaboration et de diffusion des résultats obtenus, dans et horsdes communautés scientifiques médiévales.

À partir d’un travail de recensement des manuscrits disponibles dans lesdomaines médical notamment, qui constituera les bases du corpus d’étude, leprojet s’articulera autour de deux grands thèmes. Le premier dévolu àl’élaboration d’un discours scientifique sur la matière animée doit mettre enévidence, à travers l’étude de la physique des éléments et de la médecine, ceque fut le tournant épistémologique du XIIe siècle et son devenir jusqu’auxderniers siècles du Moyen Âge. Le second, consacré à sa diffusion et à saréception, mettra notamment l’accent sur l’élaboration de nouveaux discours(le thermalisme), sur la complémentarité des disciplines scientifiques (alchimieet médecine) et sur l’usage des langues vernaculaires.

Le projet d’étude qui réunit des chercheurs de différentes disciplines(historiens, littéraires, philologues et philosophes notamment) donnera lieu àune série d’éditions de textes, de colloque et table rondes, et à la mise enligne de catalogues et inventaires de manuscrits.

En dépit d’un retard dans le financement (nous devrions pouvoir disposer dela somme au mois d’avril), nous avons fait porter nos efforts toutparticulièrement, en cette première année, sur les points suivants :

29

Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'unsavoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)- 1 -

Le recensement des manuscrits et lexicographie

- Il s’agit de réaliser un inventaire précis et détaillé des manuscritsmédicaux latins de la Bibliothèque nationale de France, qui fait complètementdéfaut à l’heure actuelle. Cet inventaire doit aboutir à un catalogueélectronique (en ligne). La première étape consiste en la révision et lacorrection de la saisie sur informatique du fichier commencé par M. Mc Vaughet J. Payen (dans les années 1960) et poursuivi par l’EA 2720. Les démarchespour trouver un vacataire capable d’entrer rapidement toutes lesmodifications utiles devraient aboutir avant la fin du mois d’avril.

Une journée d’étude se tiendra en octobre 2004 à l’Ecole Pratique desHautes Etudes ; elle sera consacrée aux manuscrits médicaux latins au MoyenÂge, et sera coordonnée par Marilyn Nicoud. Elle comprendra deux parties :une partie technique réunissant les participants au projet, un informaticien, unconservateur du département des manuscrits, qui feront le point sur lesproblèmes et les enjeux de la réalisation d’un inventaire électronique de cetype ; et une partie scientifique où des spécialistes, participants au projet etinvités extérieurs, feront part de leur expérience de l’utilisation desmanuscrits médicaux médiévaux et de leur réflexion sur ce sujet. Cettedeuxième partie de la journée d’étude prendra la forme d’une table rondeouverte au public.

Une première étape devrait intervenir assez tôt (fin 2004 ou début 2005) :la publication d’un index des manuscrits médicaux latin disponibles à la B.n.F.

- Les démarches pour trouver un vacataire concernent aussi directement letravail de lexicographie sur le français scientifique au Moyen Âge, entreprisdepuis plusieurs années par l’équipe EA 3560 sous la direction de ClaudeThomasset. Récemment de nouveaux champs viennent d’être couverts : lelexique de l’agriculture et celui de Mahieu le Vilain viennent d’être achevés. Larecherche continue pour la pharmacopée et d’autres domaines liés à la théorieet la pratique de la matière.

− 2 −

Colloques, journées d’étude

- Sur les grands thèmes qui structurent le projet, plusieurs colloques etjournées d’étude qui se tiendront en 2005 sont préparés activement : 10-11 mars (Paris) : Colloque : “ Aux origines de la géologie. De l’Antiquité à

la fin du XVIIe siècle ”, sous la direction de Claude Thomasset et J. Ducos :participants : P. Benoit, Chambon, C. Connochie, I. Draelants, M. Fruyt, M.Huchon, J.L. Gaulin, D. Marcotte, R. Martin, L. Moulinier.

30

Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'unsavoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)

8 avril (Bordeaux) : Journée d’étude : “ La réception au Moyen Âge du Degeneratione et corruptione d’Aristote ”, organisé par Joëlle Ducos encollaboration avec le Centre de Recherches de Philosophie de la Nature(CREPHINAT) de l’Université Bordeaux III : participants : E. Berriot-Salvadore ; L. Bianchi, J. Biard, S. Bokdam, J. Ceard, I. Draelants, L. Giard, P.Hoffmann, P. de Leemans, I. Pantin, A. Pouey-Mounou.

mai-juin : Colloque “ Les savoirs sur l’eau, les savoirs de l’eau : les vertusdes eaux thérapeutiques au Moyen Âge ”, sous la direction de Didier Boisseuil,Laurence Moulinier et Marilyn Nicoud. Ce colloque, réunissant historiens,historiens de la médecine et de la philosophie aura pour objet de saisir lamanière dont s’élabore en Occident à partir du XIVe siècle un nouveau savoirsur les eaux minérales et chaudes, et d’en appréhender les enjeux à la foisintellectuels et sociaux. Résultat d’enquêtes et d’observations individuelles,menées conjointement souvent par médecins et alchimistes, cetteappréhension de phénomènes naturels considérés jusqu’alors comme desmirabilia de la nature inexpliqués a également suscité l’intérêt des autoritéspubliques italiennes notamment, souvent à l’origine d’un certain nombre de cesenquêtes. Soucieuses à la fois de faire fructifier leurs ressources naturelleset de répondre à des questions de santé publique, elles ont utilisées lesrésultats obtenus pour mettre en valeur d’un point de vue technique etéconomique les sources thermales. Ce sont ces différentes dimensions mêlanthistoire intellectuelle, technique et sociale qui seront appréhendées pour saisirl’essor d’un savoir et de pratiques thermales médicalisées aux derniers sièclesdu Moyen Âge.

projets de colloque en 2006 :

- Campanus de Novare et l’astrologie

- Médecine et philosophie naturelle au XIIe siècle

− 3 −

Travaux (études, éditions de textes)

Les participants au projet mènent aussi parallèlement des travaux quipermettent de construire peu à peu les axes retenus. On signalera, enparticulier, les suivants qui sont bien avancés, mais la liste n’est évidemmentpas exhaustive :

31

Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'unsavoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)I- Constitution d’un discours scientifique sur la matière inanimée et vivante

1. Le tournant épistémologique du XIIe siècle : physique des

éléments et médecine

- Plusieurs études visent à éclairer ce tournant fondamental dans lessavoirs de la matière que constitue le XIIe siècle (“ école de Chartres ”, écolede Salerne, traductions gréco/arabo-latines etc.). L’étude d’Irene Caiazzo“ Les quatre éléments chez Alain de Lille et Radulphe de Longo Campo ”,présentée au Colloque “ Alain de Lille, le docteur universel ” (Paris, octobre,2003) est en cours de publication. En vue d’un colloque international sur“ L’école médicale de Salerne ”, qui se tiendra à Salerne en novembre 2004, I.Caiazzo envisage une étude sur la tradition manuscrite des commentairesmédiévaux à l’Isagoge Iohannitii, version abrégée par Constantin l’Africain desQuestions sur la médecine de Hunain ibn Ishâq.

- Les recherches menées par Mireille Ausécache sur le médecin Gilles deCorbeil envisagent de placer l’étude de son oeuvre dans le cadre d’uneréflexion globale sur les méthodes scientifiques des médecins du XIIe siècle ettout particulièrement de ceux qui sont formés selon les doctrines de “ l’écolede Salerne ” où commencent à être connus les Libri naturales d’Aristote. Deuxoeuvres sont en cours de publications : De virtutibus et laudibus compositorummedicaminum, où apparaît nettement le besoin d’expliquer l’action desmédicaments à partir notamment de la réflexion sur les mélanges, de laphysique des éléments ; et un poème inédit sur les Prognostica d’Hippocrate,qu’il apparaît vraisemblable d’attribuer à Gilles de Corbeil (travauxd’authentification en cours).

2. Structures du discours sur la matière et méthodes d’appréhensiondu monde matériel.- Science des urines, l’uroscopie, portée par les traductions du grec et del’arabe en latin, est abondamment traitée par les maîtres de Salerne aux XIe etXIIe siècles. La sémiologie qu’elle impliquait devint ainsi partie intégrante de lascience médicale. Un travail de rassemblement des textes De urinis émanantde les médecins salernitains (Maurus, Ursus...) puis d’autres médecins parfoisobscurs a été entrepris par Laurence Moulinier, ce qui devrait conduire àmettre en évidence le rôle crucial de l’uroscopie dans l’élaboration d’unesémiologie et la constitution du De urinis comme genre littéraire à partentière. Le De urina non visa composé à Marseille par Guillaume l’Anglais (1219)porte à son point extrême le lien entre uroscopie et astrologie. Ce curieuxtraité a eu un étonnant succès. Les recherches de L. Moulinier ont déjàapporté de nouveaux manuscrits à ceux qu’avaient relevés des spécialistes

32

Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'unsavoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)

comme L. Thorndike et E. Poulle. Dans une prochaine étape, l’inventaire desmanuscrits connus se doublera d’une brève histoire de ces manuscrits, sur ladiffusion de ce texte ; et débouchera sur une édition critique. Le Desynthomatibus urinarum de Maurus (v. 1130-1214) est aussi en cours d’édition ;ce travail sera présenté lors du colloque l’Ecole de Salerne (novembre 2004).Enfin, la question de la vulgarisation de l’uroscopie, qui est un exempleparticulièrement riche de la portée d’un pan de la pensée médicale sur le restede la culture, fait l’objet d’une recherche dont L. Moulinier présentera lespremiers résultats sous le titre “ Les traductions vernaculaires de traitésd’uroscopie dans l’Occident médiéval : quelques exemples ” au colloque “ Lascience en traduction ” qui se tiendra à Louvain du 26 au 28 mai 2004.

- Les recherches de Nicolas Weill-Parot portent sur un autre aspect dudiscours sur la matière : l’étude de la matrice de l’exhaustivité à l’oeuvre dansl’explication scientifique médiévale à travers deux angles aveugles de cettedernière—l’occulte et le vide—. Cette recherche donnera lieu prochainement àune intervention intitulée “ Physics, Magic and the Blind Spots of Nature(12th-15th Centuries) ” à l’International Medieval Congress de Leeds (12-15juillet 2004). Cette intervention sera un premier jalon pour une étudesystématique de la question.

II- Le devenir intellectuel et social des savoirs sur la matière

1 Naissance d’un thermalisme médical

Didier Boisseuil et de Marilyn Nicoud ont participé à la table ronde quis’est tenue à Rome (22-23 mars 2004), auprès de l’Ecole française de Rome,sur le thème : “ Bains curatifs et bains hygiéniques en Italie de l’Antiquité auMoyen Âge ”, organisée par M. Guérin-Beauvois et J.-M. Martin. Mettant enlumière les distinctions opérées à la fois par les savants et par les usagersentre eaux minérales et eaux que les médecins médiévaux qualifient parfois de“ douces ”, le colloque avait pour but de saisir les continuités possibles et lesformes de ruptures dans les connaissances et les utilisations des eaux entre lapériode romaine et la fin du Moyen Âge. D. Boisseuil a écrit un article consacréà “ La douche thermale : une technique thérapeutique nouvelle dans la Toscanedu Quattrocento ? ”, à paraître à Aix-en-Provence dans les Mélanges GeorgesComet.

33

Structure de la matière animée face au monde inanimé : histoire d'unsavoir scientifique et de ses enjeux intellectuels et sociaux

(Occident, XII°-XV° siècles)

association de ces approches dans la question du calcul rénal (pierre organiqueengendrée dans un corps vivant) fait l’objet de trois travaux en cours. DanielleJacquart et Nicolas Weill-Parot ont commencé l’étude de la question enpartant d’un Regimen contre le calcul rénal d’Angelo de Aquila conservé dans unmanuscrit B.n.F. (édition du texte, interprétation, étude de la question entrele XIIe et le XVe siècle). La question des relations éventuelles entre l’alchimieet le sceau astrologique du Lion contre les douleurs rénales mentionné par lemédecin catalan Arnaud de Villeneuve fera l’objet d’une communication(“ Arnaud de Villeneuve, le sceau du Lion et l’alchimie ”) à la deuxième“ Trobada internacional d’Estudis sobre Arnau de Vilanova ” (Barcelone, 30septembe-3 octobre 2004). L’édition de l’Opus praeclarum de imaginibusastrologicis du médecin valencien Jérôme Torrella (1496), consacrée à laquestion des talismans astrologiques, et à celle du sceau du Lion en particulier,est sur le point d’être achevée.

II.C. Milieu intellectuel, savoirs et pratiques médicales

Il faut aussi saisir de manière concrète la portée d’un savoir théoriqueconcernant la matière vivante sur une société historiquement déterminée. Ledomaine milanais, en particulier, rend possible cette recherche. En étudiantnotamment les cours princières et ecclésiastiques, connues pour avoir accueillid’importantes personnalités scientifiques au Moyen Âge. Plusieurs études enpréparation visent à modéliser le lien entre le niveau de connaissancesmédicales et les conditions pratiques de l’exercice de cette profession. Ainsi,Marilyn Nicoud a présenté une communication sur “ Les médecins et l’Officede santé : Milan face à la peste au XVe siècle ”, dans la journée d’études“ Médecine et Société de l’Antiquité à nos jours ” qui s’est tenue à l’Universitéde Rouen, organisée par le GHRIS le 31 mars 2004. Danielle Jacquart etMarilyn Nicoud présenteront des communications au colloque international“ Les savoirs à la cour ”, organisé par A. Paravicini Bagliani à l’Université deLausanne (17-20 novembre 2004).

Laboratoire porteur : EA 2720 “Transmission et mutations des savoirs antiques”(TRAMSA) (Ecole Pratiques des Hautes Etudes, IVe section),dirigée par Mme DanielleJACQUART, directeur d’études à l’EPHE-IVe section.Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Nicolas WEILL-PAROTPartenaires : EA 3560 “ Lexicographie et linguistique romane ”, dirigée par M.Claude THOMASSET , professeur à l’Université de Paris IV. (Université de ParisIV, UFR de Langue Française).

34

AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN ÂGE LATIN

Paul BENOITLes Savoirs du Fer

Les Savoirs du Fer

Les Savoirs du Fer

Les Savoirs du Fer

Les Savoirs du Fer

Les Savoirs du Fer

35

AUTOUR DU SAVOIR DU MOYEN ÂGE LATIN

Marie-Pierre RUASSavoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge :

regards croisés sur les techniques de culture et le corpusfruitier méridional (V°-XV° siècles)

13 LE PROJET

13.1 I. Définition et problématique

Dans l’histoire des plantes cultivées en France, après la céréaliculture et lescultures compagnes annuelles de l’Ancien Monde, la fructiculture constitueraitle deuxième temps de la domestication et des diversifications culturales.Pérenne, l’arbre fruitier cristallise à travers la sélection des plants, lestechniques de plantation, de taille, de greffes, de bouturages etc., des savoirshérités, transmis, innovants. Il est le sujet et l’objet de discours,d’enseignements savants, d’expérimentations inventives et l’enjeu d’uneappropriation de savoir-faire. Pourtant le fruitier en tant qu’élément d’unsystème de techniques culturales, en tant qu’espèce d’un patrimoine botaniqueen évolution a moins retenu l’attention de la recherche ruraliste. En dehors del’aspect littéraire ou symbolique, peu d’études, en effet, posent l’arbre aucœur d’une recherche sur les savoirs qui éclairerait aussi l’histoire destechniques et les pratiques.

L’évolution, depuis une vingtaine d’années, tant des méthodes de l’archéologie(bioarchéologie, pédoarchéologie et archéologie du champ) que celle deslectures des sources textuelles et iconographiques, notamment sur lespratiques culturales, les espaces de culture, les outils et les gestes de lapratique, a favorisé l’émergence d’un potentiel d’informations sur les pratiquesde l’arboriculture fruitière et les savoirs qui les maintiennent et lestransmettent. Si tenter de conjuguer ces sources d’étude très différentesdans leur résolution apparaît nécessaire, l’exercice se heurte à la variété desangles de perceptions et de conceptions de ces savoirs décrits, de cestechniques prescrites et des vestiges matériels témoins des pratiques.

Les images en relation avec l'arboriculture proprement dite sont intégréesà de nombreux ouvrages tout au long du Moyen Âge. On les retrouve bienévidemment dans des recueils scientifiques et d'abord dans les œuvres desagronomes antiques abondamment traduites durant le Moyen Âge. Elles sontégalement présentes dans les herbiers et les encyclopédies populaires,notamment dans le Tacuinum sanitatis. A partir du XIIIe, mais surtout auxXIVe et XVe siècles, plusieurs livres profanes accordent une place parfois

36

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles)

Importante à l'arboriculture et contiennent des enluminures comme l'Épîtred'Othéa de Christine de Pizan où est relatée l'invention de la greffe par Isis.Ces différentes images permettent de saisir les outils en action, dedéterminer des aires géographiques de cultures arbustives, mais aussi detechniques propres à certaines régions. Elles devront être comparées auxautres sources documentaires, tout particulièrement archéologiques(attestations archéobotaniques des espèces, indices de conditions et deconduite culturales).Les autres espèces fruitières, ligneuses ou non, participent à l’organisation del’espace cultural, s’inscrivent dans la pratique d’une horticulture savante(expérimentations de greffes, d’hybridations, d’acclimatation) ou domestique,voire de rapport (maraîchage). Elles sont l’objet de techniques issues desavoir-faire et de savoirs édictés dans des ouvrages destinés à l’élite socialeet fournissent des denrées dont le statut économique et culturel est loind’être homogène.

Formé dans le cadre d’un précédent programme collectif (APN du CNRS resp.A. Durand, 2001-2003), et enrichi de nouveaux membres, le groupe derecherche s’efforce de rassembler, synthétiser et confronter les résultats deces approches à focales variables. Le programme couvre le millénaire médiévalentre le Ve et le XVe siècle et s’élabore dans le cadre de la Franceméridionale, en Roussillon, Languedoc et Provence, terrain où les corpusétudiés (textes, images, témoins archéobotaniques : bois et semences) sont lesmieux représentés en l’état actuel de la recherche.

Il se décline en trois axes ordonnés selon la marche de progression desrecherches :

- méthodologie et référentiels actuels- le patrimoine fruitier méridional du Moyen Âge- des savoirs en pratique : espaces et façons culturales autourdes fruitiers

Au terme des trois ans d’étude, le présent programme tentera de mieuxcerner la mise en œuvre des savoirs botaniques, agronomiques émanant d’uneculture scientifique d’élite ou d’érudits mais aussi la distance avec les savoirs« populaires » que permettent d’observer, dans la pratique, les vestigesmatériels de fruitiers, de fruits et de plantations.

37

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles)

13.2 II. Actions réalisées et en cours

13.2.1 1. Méthodologie et référentiels

*le terrain archéobotaniqueLa recherche sur les cultivars médiévaux, en particulier de l’olivier et de lavigne, suppose un regard en amont de l’origine génétique et de la mise enœuvre de leur culture. Un des points forts de l’innovation dans le domaine del’archéobotanique a été la création, l’expérimentation et l’application deprotocoles d’études d’une part, sur les variations de formes par lamorphométrie géométrique des pépins et des noyaux et, d’autre part, sur lesmodifications de densité et de taille des cernes de croissance et desvaisseaux du bois par la lecture éco-anatomique. Ces protocoles sont encoreperfectibles et demandent à être adaptés à un autre groupe taxinomique, legenre Prunus (pruniers, prunelliers, cerisiers, pêchers), dont les noyauxarchéologiques au cours des périodes historiques manifestent des variationsde formes significatives des hybridations et des diversifications variétales deces fruits.L’application de ces nouvelles techniques d’analyses et de lecture des indicesde culture, voire de domestication et de parenté phylogénétique, sur les boiset les semences (pépins et noyaux) archéologiques requiert la collecte dematériel actuel de référence en zone méditerranéenne. Y sont recherchés lesindividus sauvages (oléastre, lambrusque), les individus ensauvagés et lesformes cultivées (irriguées/non irriguées). Les principales stations botaniquesde collecte se situent dans le bassin méditerranéen en France, en Espagne, enItalie et en Tunisie. Des pépins de vigne moderne sont aussi issus duconservatoire mondial de l’INRA à Marseillan.

Les approches « classiques » carpologique et anthracologique des vestigesd’espèces fruitières nécessitent aussi un long investissement en tempsd’analyses du matériel, subordonné aux temps des fouilles archéologiques. Lesétapes de l’identification taxinomique avec les critères classiques d’analyse(biométrie, anatomie comparée) et de la quantification restent fondamentalesdans l’élaboration du corpus et l’interprétation du statut écologique etéconomique des espèces. Il s’agit pour l’heure des référentielsarchéobotaniques les plus conséquents de notre corpus.L’interprétation de la nature des dépôts où se mêlent les déchets de diversesactivités et diverses plantes utilitaires suppose, de même, une analyse fine desassemblages et des éléments enregistrés. Les effets de la carbonisation sur laconservation différentielle des éléments anatomiques et la déformation desnoyaux ou des graines participent aussi à la difficulté de cette lecture (rejetsalimentaires ? déchets d’opérations culinaires ou de stockage ?) et partant, de

38

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles) l’interprétation du statut du fruit attesté dans un contexte archéologique.Une série d’expérimentations a été réalisée sur les glands, fruits secs dont lerôle alimentaire au Moyen Âge est davantage connu à travers images et textescomme fourrage d’hiver ou denrée de disette. Mais les découvertesarchéobotaniques en contexte de stockage ou de préparation montreraient uneutilisation plus courante pour l’alimentation humaine.

* archéologie des espaces de culture et des systèmes d’irrigationL’essor de l’archéologie préventive durant la dernière décennie a donnénaissance à une nouvelle branche de l’archéologie, celle du champ ou de l’espacecultivé. Si les traces de vignobles ou d’olivettes sont principalement datées del’Antiquité gallo-romaine, quelques découvertes médiévales ont été repérées enRoussillon et dans l’Aude.Les pratiques entraînent aussi la construction de terrasses et la mise en placeéventuelle de systèmes d’irrigation prônés dans les traités arabo-andalous. Leprogramme de l’ACI profitera ainsi des premiers travaux de rechercheaccomplis sur des zones méditerranéennes orientales (Grèce cycladique etmontagnes libanaises) qui serviront, de fait, de référentiels méthodologiqueset de base de réflexions sur la transmission des savoir-faire et des techniquesen Méditerranée occidentale. La recherche de tels systèmes s’effectueranotamment en Roussillon, en Languedoc et en Corse.

* Sources écrites et imagéesLes espaces et les techniques culturales des fruitiers mis en scène dans lesdifférentes rubriques relatives à l'arboriculture des Tacuinum sanitatis doitaboutir à l’établissement d'une banque de données informatique etphotographique.L’outillage, peu appréhendé par l’archéologie dans ce projet, est étudié àtravers l’inventaire des termes désignant les outils relatifs à l’arboriculturedans les traités des auteurs antiques (Pline l’Ancien, Columelle, Palladius) etdes agronomes médiévaux (le traité « De agricultura de Tanaglia », Pietro deCrescenzi « Opus ruralium commodorum », Paganino Bonafede « Thesaurusrusticorum » et Corniolo della Cornia « La Divina Villa »).

13.2.2 2. Le patrimoine fruitier méridional du Moyen Âge

Concernant le corpus fruitier, les identifications précises des espèces à partirdes témoins carpologiques complétées par celles des charbons de bois(anthracologie) laissent appréhender le patrimoine botanique, cultural etalimentaire du millénaire médiéval, son héritage antique et l’acclimatationd’espèces exotiques et leur diffusion dans la société médiévale.Les résultats carpologiques obtenus sur un ensemble de 69 sites

39

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles) archéologiques ont permis d’établir un premier tableau de la fréquence desespèces dans les déchets des activités humaines. Le corpus compte 38 espècescultivées et 23 espèces sauvages.Sa mise en ordre est fondée à la fois sur la nomenclature linnéenne et lescritères d'une classification anthropologique qui rejoint la démarche desclassements naturalistes populaires. Dans la mesure où, d'une part l'usaged'une plante est souvent multiple et variable d'une époque et d'une région àl'autre et où, d'autre part, ce dernier est le sujet même de notre réflexion, onpeut regretter le caractère trop subjectif et peu rigoureux d'un tel choix. Ceclassement est adopté sur la base des connaissances archéobotaniques,phytogéographiques, historiques, ethnographiques, etc., actuellementdisponibles pour chaque espèce. Une espèce est classée comme planteutilitaire si le contexte de découverte, le nombre et l’état de ses vestigessuggèrent son emploi.Dans un premier temps, on distingue les fruitiers issus d'une culture et lesfruitiers spontanés, indigènes, qui font l’objet de cueillettes mais dont laculture n’est pas avérée ou pose question. Cette catégorie s’appuie sur descritères parfois purement contextuels tandis qu’une plante domestiquée dontaucune forme spontanée n’existe dans la végétation locale sera de toute façonrangée parmi les plantes cultivées. L’interprétation devra s’attacher àdéterminer son statut économique. Les nouveaux outils méthodologiquesappliqués aux bois et aux semences d’olivier et de vigne permettent d’affinerla diagnose en ce sens.L’étude archéobotanique de ce patrimoine fruitier est aussi confrontée auxinventaires encyclopédiques et aux images didactiques des traités. Lesdiscours sur la nature sauvage ou cultivée des espèces décrites sont aussiexaminés.

13.2.3 3. Des savoirs en pratiques : espaces et façons culturalesautour des fruitiers

* les vignobles du RoussillonDans le domaine de l’archéologie du champ, les recherches en Roussillondonnent à voir l’organisation et les visages du vignoble médiéval. Le mode deplantation, la densité du vignoble et son mode de reproduction ont laissé dessignatures encore visibles. La profondeur des fosses souvent arasées est peuaccessible et constitue une limite à la comparaison avec les détails des textes,en l’occurrence arabo-andalous. En revanche, la géométrie des plantationsrépond aux prescriptions des agronomes : elles sont soigneusement alignées etse distinguent des plantations antiques. Les diamètres montrent qu’un seul cepoccupe la fosse. Force est de constater l’absence de structure d’irrigationdans ces vignobles fossiles. Le taux d’encépagement (densité de ceps par ha)

40

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles) est inférieur du tiers ou de la moitié de celui enregistré pour les vigneslanguedociennes de l’Antiquité.La pratique de reproduction des plants se signale par l’existence de longuesfosses à provignage dont l’orientation est différente de celle adoptées par lesgénérations de l’Antiquité. D’autres plus courtes semblent avoir servi auxgreffes ou bien aux opérations de déchaussement.Ici la lecture archéologique est parfois éclairée par celle de la pratiquedétaillée dans le texte.

* traces de complantLes espaces de plantations et l’agencement de leurs fosses, tout comme lecomblement de ces dernières, signalent la pratique du complant d’olivier et devigne à la fin du XIII e siècle en Roussillon, telle qu’elle est mentionnée dansles textes méridionaux du XIIe et du XIIIe siècle.

* on irrigue bien les oliviers….La relecture conjointe et critique des sources arabo-andalouses et du traitéd’agriculture de P. de Crescenzi pour l’oléiculture et l’application de l’éco-anatomie aux charbons de bois d’olivier provenant de sites d’habitat espagnols,languedocien et corse mettent en évidence une pratique réelle de l’irrigationdes olivettes. Elle est ainsi attestée dès le IXe-Xe en plaine languedocienne.Résultat qui converge aussi avec les prescriptions agronomiques du mondemédiéval arabo-andalou ; la pratique n’étant relevée dans aucun traitéd’agronomie antique consultés (hormis une allusion chez Columelle au momentdu déchaussage). L’irrigation n’est pas expressément recommandée dans lestraités des agronomes médiévaux italiens. Le résultat archéobotaniqueconteste l’image devenue presque exclusive des olivettes érigées en culturesèche sur les piémonts. Il dessine celle d’une oléiculture plus intensive enterroir irrigué de plaine.

* tailler les oliviersDans toute la littérature savante, andalouse ou occidentale, la taille de l’olivierest présentée comme un geste usuel pour entretenir, revigorer et restaurerl’arbre. Les charbons de bois attestent la mise en œuvre des opérationscomme la taille de fructification et la taille de rajeunissement. Le témoignaged’élagage des arbres fruitiers ou non est enregistré en France par les étudessur les bois brûlés ou non brûlé. Geste répandu, c’est la première fois quel’approche éco-anatomique réalisée sur les charbons de bois de sitesméridionaux permet d’en attester la fonction et la probable régularité dès lesIXe-Xe siècle de l’Espagne à la Corse.

41

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regardscroisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional

(V°-XV° siècles)

13.3 III. Perspectives

13.3.1 1. Méthodologie et référentiels

La mise en évidence de filiations génétiques, la distinction entre cultivar etespèce sauvage ou formes ensauvagées constituent des points méthodologiquesnovateurs. Les protocoles doivent encore être soumis à de nombreusesanalyses et s’enrichir des référentiels morphométriques sur Vitis vinifera etOlea europaea (L. Bouby, JF Terral).L’interprétation des indices sur les conditions de culture et les opérations detaille exige d’autres comparaisons et vérifications des premières lectures. Lareprésentativité des résultats d’éco-anatomie quantitative des bois carbonisésd’olivier suppose l’application de la technique à un ensemble plus conséquentd’échantillons actuels et fossiles. (J. F. Terral, A. Durand). La méthode seraaussi appliquée aux bois de vigne brûlés ou non (J.-F. Terral, L. Bouby).De nouvelles analyses carpologiques seront entreprises à partir de sitesarchéologiques en cours de fouilles. Les quantités de matériel nécessitant untemps de tris et d’identification important (L. Bouby, B. Pradat, M.-P. Ruas).Les expérimentations commencés sur la carbonisation des glands entrerontdans l’étape de la mise en forme et de l’analyse des données (L. Bouby, M.-P.Ruas)

13.3.2 2. Le patrimoine fruitier méridional du Moyen Âge

- poursuite de l’inventaire du corpus des espèces fruitières enregistrées par lacarpologie et l’anthracologie et l’examen des types de vestiges selon lescontextes de découverte (nouveaux sites en cours d’étude) ((L. Bouby, B.Pradat, M.-P. Ruas).- étude de la forme d’utilisation des fruits et leur statut économique d’aprèsles tarifs de leudes (Roussillon) (C. Puig), les traités de santé (Tacuins) (P.Mane, G. Comet), les contextes archéologiques (milieux sociaux, types dedéchets etc.) (M.-P. Ruas, B. Pradat),- étude des fruits dans l’alimentation et le commerce (M.-P. Ruas, B. Pradat, L.Bouby, C. Puig, P. Mane)- analyse multivariée sur les restes carpologiques et anthracologiques et leurcontexte chrono-géographique (statut économique des espèces cultivées, desespèces sauvages cueillies, forme d’utilisation) (collectif).

13.3.3 3. Savoirs en pratiques : espaces et façons culturales autourdes fruitiers

Outre les travaux de terrain archéologique qui s’engageront en 2004 et 2005sur les prospections orientées sur la recherche de terrasses aménagées et desystèmes d’irrigations (R. Harfouche, P. Poupet), l’enquête iconographique

42

s’attachera à relever les outils en action (mise en scène didactique du travailSavoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge : regards

croisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier méridional(V°-XV° siècles).

autour des fruitiers) (P. Mane). Un travail pédologique minutieux (P. Poupet) etla prise en compte des mobiliers présents dans les fosses de plantationspermettra de mieux caractériser ces espaces souvent difficiles à dater. Lestraces d’amendement et de fumures seront aussi recherchées (P. Poupet, C.Puig).Parallèlement, seront inventoriés les termes techniques, botaniques et lesdescriptions de pratiques, des outils à partir des éditions originales de l’OpusRuralium Commodorum, du Ménagier de Paris, de la Divina Villa, et du traitéd'arboriculture de Gottfried von Franken (recherches en archives). Lesimages et les techniques de la greffe et de la taille font l’objet d’unerecherche particulière (P. Mane, G. Comet). L’analyse des cartulaires catalanscomplètera les informations techniques extraites des traités arabo-andalous(C. Puig, A. Durand).

La collecte et la mise en forme des données est une étape importante eninvestissement de terrain et de laboratoire. A travers les exemples derésultats embryonnaires pour certains, se profile la question de l’héritageantique et des transmissions de savoir-faire concernant les pratiques deplantation, de reproduction et d’entretien des plants adoptées au Haut MoyenÂge puis aux siècles suivants.

L’organisation d’un séminaire de recherche de deux jours en décembre 2004 àla Maison de la recherche de Toulouse avec la collaboration des équipes UTAHet FRAMESPA permettra la présentation et la discussion des méthodes etrésultats du groupe de l’ACI ainsi qu’une ouverture des questionnements versun autre espace que les méthodes archéologiques commencent à appréhender,le jardin, où sont mises en pratique des cultures savantes ou paysannes. Leséminaire s’intitulera «La culture fruitière médiévale : du savoir à la pratiqueet l’archéologie des jardins ». Il sera l’occasion d’un premier examen destravaux en cours sur les inventaires concernant les outils, les gestes, lamatière travaillée, le sens des mots, la mise en scène du savoir. Ils permettraégalement de mesurer la limite des confrontations des sources.La publication de ces rencontres est d’ores et déjà proposée à la revuenationale Archéologie du Midi Médiéval et prévue en 2005.

43

Savoirs en pratique de l'arboriculture fruitière au Moyen Âge :regards croisés sur les techniques de culture et le corpus fruitier

méridional (V°-XV° siècles).

Ce séminaire transversal sera un acte préparatoire au colloqueinterdisciplinaire qui se tiendra à Toulouse en 2006 « Pour une histoire de lafructiculture (en France) : nouvelles méthodologies, origine et histoire,patrimoine fruitier, espaces, pratiques et savoirs… »

Laboratoire porteur : UMR 5608, Unité Toulousaine d’Archéologie et d’Histoire(UTAH),Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Marie-Pierre RUASPartenaires :- UMR 5059, Centre de Bio-archéologie et d’Ecologie (CBAE), CNRS-EPHE - Universitédes Sciences et Techniques du Languedoc (Montpellier II), Institut de Botanique, 163Rue Auguste Broussonet 34090 MONTPELLIER- UMR 5136, France Méridionale et Espagne (FRAMESPA), CNRS-Université, Maisondes Sciences de Homme et de la Société (MSHS-Toulouse), Maison de la Recherche,Université Toulouse Le Mirail 5allées A. Machado 31058 Toulouse cedex 9- UMR 6130, Centre d'études de la Préhistoire, de l'Antiquité et du Moyen Age(CEPAM), CNRS, Sophia Antipolis 250 Rue Albert Einstein, 06560 VALBONNE- UMR 6570, Temps, espaces, langages Europe méridionale méditerranée (TELEMME),CNRS-Université, Maison Méditerranéenne des Sciences Humaines (MMSH-Aix), 5 Ruedu château de l'Horloge, BP 647 13094 AIX-EN-PROVENCE CEDEX 2.- UMR 6572, Laboratoire d'archéologie médiévale méditerranéenne (LAMM), CNRS-Université, Maison Méditerranéenne des Sciences Humaines (MMSH), 5 Rue du châteaude l'Horloge, BP 647 13094 AIX-EN-PROVENCE CEDEX 2.- UMR 8558, Centre de recherches historiques (CRH), CNRS-EHESS, Maison desSciences de l’Homme, 54 bd Raspail75270 PARIS CEDEX 06.

44

SAVOIRS DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU

15H00-15H35 Régine PLAS

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis enpratiques et les pratiques mises en concepts. Histoire

croisée de la psychologie, de la psychiatrie et lapsychanalyse, XIX°-XX°siècles.

15h35-16h10 Claude DEBRU Les neurosciences en France dans le contexteinternational, 1945-1975

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

45

SAVOIRS DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU

Régine PLASDe l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques

et les pratiques mises en concepts. Histoire croisée de lapsychologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse,

XIX° - XX° siècles Principaux axes du projet

Le champ des études portant sur les savoirs sur le psychisme humain(psychiatrie, psychologie, psychanalyse) est relativement éclaté en France etce n’est que récemment que la prédominance des histoires strictementdisciplinaires de ces savoirs « psy » a été remise en question à partir del’hypothèse qu’ils se sont élaborés au sein d’une histoire commune.

C’est dans cette perspective que se situe notre projet. Il s’agit d’unepart d’apporter une contribution originale à une histoire de ce que l’on adécliné en France au 19e siècle et au 20e siècle sous les termes de relation duphysique et du moral, de l’âme et du corps, du corps et de l’esprit à partird’une histoire croisée de la psychologie, de la psychiatrie puis de lapsychanalyse. Nous partons d’autre part de l’hypothèse qu’il n’y a pas dediscontinuité radicale, même s’il y a des différences importantes, entre lessavoirs « psy » qui se sont revendiqués et se revendiquent comme plus ou moinsscientifiques, pas plus qu’entre ceux-ci et leurs marges désignées sur lemoment ou ultérieurement comme non scientifiques. Faire le pari d’une histoirecroisée, c’est donc opter pour une histoire dialectique qui fera émerger lacomplexité de ces « disciplines », dans leur genèse et leur évolution.Ce projet comporte deux axes de recherches que nous avons résumées dansles deux formules suivantes : le corps et l’esprit ; traiter l’esprit, traiter lecorps. Dans le premier axe s’inscrivent les recherches de Jean-FrançoisBraunstein qui explore l’émergence, au début du 19e siècle, d’une psychologieau carrefour de la philosophie, des sciences médicales, et aussi de lamathématisation comme modèle central au 19e siècle ; celles de JacquelineCarroy qui se propose de montrer que le sommeil et les rêves sont devenus,depuis Cabanis, l’illustration privilégiée d’une science des rapports du physiqueet du moral qui suscite des controverses mais aussi des pratiquesexpérimentales ; celles de Régine Plas, enfin, dont le projet est decaractériser les relations que la psychologie scientifique (puis la psychologiecognitive) entretient avec la physiologie nerveuse (puis les neurosciences) enprenant en compte les rapports de force que ce domaine de la psychologieétablit avec d’autres orientations de la discipline ainsi qu’avec des disciplinesconnexes.

46

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et lespratiques mises en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la

psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles

Le second axe concerne principalement les aspects thérapeutiques dessavoirs sur le psychisme. Il s’agit de s’intéresser aux traitements magnétiques(Nicole Edelman), à la naissance des psychothérapies et à leur transformationsous l’effet de la psychanalyse dans des contextes nationaux différents(Annick Ohayon pour la France et Catherine Fussinger pour la Suisse). Il s’agitd’autre part de s’intéresser aux traitements psychiatriques à travers lescontroverses sur l’asile (Aude Fauvel) et à travers le programme depsychopathologie générale du psychiatre Henri Ey, qui domina la psychiatriefrançaise jusqu’aux années 1960 (Jean-Christophe Coffin et Emmanuel Delille).

Notre projet se présente également comme une entreprised’exploitation, de classement et/ou de mise en valeur de plusieurs fondsd’archives : archives Henri Ey (Perpignan), archives de Charles Baudouin(Genève), archives de la psychologie expérimentale (Institut de psychologie,Paris).

Etat d’avancement du projet

1 – Le sommeil et les rêves entre corps et esprit au 19e siècle

D’ores et déjà, deux journées d’études et de travail ont été organiséespar des membres de l’équipe ou le seront de façon imminente. La premièrejournée, coordonnée par Jacqueline Carroy et intitulée « Autour del’émergence des sciences de l’homme au milieu du 19e siècle : Alfred Maury,érudit et rêveur » s’est tenue le 26 mars au Centre Alexandre Koyré. Au coursde celle-ci, on a tenté d’examiner l’œuvre et la figure, importantes dansl’histoire de l’émergence des sciences de l’homme en France, au milieu du 19e

siècle, d’Alfred Maury (1817-1892). Ce personnage académiquement reconnu,qui occupa notamment la chaire de Michelet au Collège de France, s’illustracomme érudit, historien, archéologue, amateur de géographie, d’anthropologieet de psychiatrie et il apparut comme le fondateur d’une physiologie et d’unepsychologie du sommeil et des rêves s’appuyant sur la notation et l’analyse deses propres rêves. A partir de cette étude de cas, les intervenants ontexaminé « les modalités de la coexistence dans un individu de différents corpsde connaissances dont la réconciliation pose problème » comme il était proposédans l’appel à propositions. On en a conclu que les différentes activitésscientifiques de Maury pouvaient s’être ordonnées autour de la questioncentrale des rapports du moral et du physique, ce dernier étant entendu en unsens large, incluant le corps, le climat et les conditions matérielles d’existence.

47

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et lespratiques mises en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la

psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles

2- La psychiatrieLa seconde journée, organisée par Jean-Christophe Coffin, intitulée

« Peut-on faire l’histoire de la psychiatrie ? » se tiendra le 28 mai 2004 àParis. Cette question provocante vise à interroger l’épistémologie etl’historiographie de la psychiatrie en s’intéressant prioritairement à unepsychiatrie en action et en mettant l’accent sur le 20e siècle. Pour traiter deces différents aspects, plusieurs points seront abordés : les témoignagesd’aliénés, la psychiatrie associative dans les années 1950, l’expériencethérapeutique du 13e arrondissement de Paris, la mise en place de lapsychothérapie institutionnelle dans un hôpital angevin, l’organisation dessavoirs ‘psys’ en Suisse, l’élaboration du Traité de psychiatrie deL’Encyclopédie médico-chirurgicale, autour de Henri Ey.

3 - Les psychothérapies aux 19e et au 20e siècles

L’édition commentée du journal de la cure de Lady Lincoln, par le DrKoreff, (1837), qui peut être considérée comme une psychothérapie avant lalettre, est en cours de réalisation par un groupe de travail, réunissantJacqueline Carroy, Nicole Edelman, membres de l’équipe ainsi que Jean-PierrePeter, Directeur d’Etudes à L’EHESS.

Un « Workshop » international sur « L’histoire de la psychothérapiedans la seconde moitié du 20e siècle : modalités d’implantation et redéfinitionsdes frontières », organisé par Catherine Fussinger, auquel participeront cinqautres membres de l’équipe (Jacqueline Carroy, Jean-Christophe Coffin,Nicole Edelman, Annick Ohayon, Régine Plas), aura lieu les 11 et 12 juin 2004 àl’Institut Romand d’Histoire de la Médecine, à Lausanne. Le dispositif mis enplace prévoit de faire parler trois membres de l’équipe sur l’histoirecontemporaine des psychothérapies en France et en Suisse et de demander àtrois participants de jouer le rôle de discutants en donnant une « profondeurhistorique » aux approches contemporaines, par la confrontation entre lespratiques psychothérapeutiques du 19e siècle et du 20e siècle.4 – La psychologie cognitive

Régine Plas présentera notre projet, lors d’un symposium organisé aucours du 23e congrès annuel de l’European Society for the History of HumanSciences (Salzburg, 20-24 juillet 2004). Elle l’illustrera à l’aide d’un exempleemprunté à ses recherches en cours sur les origines de la psychologiecognitive française, qui ont déjà donné lieu à une publication (à paraître dansLa Revue pour l’histoire du CNRS, 2004, 10, 24-33).

48

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et lespratiques mises en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la

psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles 4 – Classement et mise en valeur de fonds d’archives

Notre projet comporte un volet relatif au classement et à la mise envaleur d’archives, qui est en cours de réalisation. La saisie informatique ducontenu des 240 volumes de tirés à part reçus tout au long de sa carrière parle psychologue Henri Piéron et légués par lui à la bibliothèque qui porte sonnom à l’Université René Descartes est dorénavant en partie accessible sur lesite des bibliothèques de l’Université.

Par ailleurs, une importante correspondance adressée à ce psychologue,récemment redécouverte, est en cours de classement. Elle complète le fondsd’archives Henri Piéron, également légué à la bibliothèque, actuellementdéposé aux Archives Nationales. Elle comporte des milliers de lettres depersonnalités scientifiques et littéraires (D’Arsonval, Bachelard, Decroly,Couturat, Pierre et Marie Curie, Langevin, Wallon, Ribot, Janet, Valéry,Politzer, Le Bon, Paul Fort, Fessard, Lucien Febvre, Henri Ey, Halbwachs, Levi-Strauss, Levy-Bruhl, etc). Lorsque nous avons proposé notre projet, il necomportait pas de référence à ce fonds dont nous ne soupçonnions pas larichesse. Le classement de ces archives se fait sous la responsabilité deMadame Claudette Buzon, conservateur, et de Monsieur Jérôme Kalfon,conservateur en chef du Service commun de la documentation de l’UniversitéRené Descartes. Il sera complété par le classement des archives duLaboratoire de psychologie expérimentale et de l’Institut de psychologie quiont été confiées à Régine Plas.

En accord avec Madame Buzon et Monsieur Kalfon, nous envisageonsd’organiser d’ici deux ans un colloque sur les fonds d’archives de labibliothèque Henri Piéron, la plus riche bibliothèque de France en ouvragesanciens de psychologie. Ce colloque, qui doit associer des psychologues et deshistoriens des sciences, permettra de mieux cerner la place de la psychologiedans les sciences et dans la culture du 20e siècle.Perspectives d’avenir

Des journées d’études internationales, intitulées « Que faire des fous ?Les “alternatives” aux asiles, 1838-1939 », organisées par Aude Fauvel,doctorante et membre de l’équipe, auront lieu les 15 et 16 octobre 2004 àParis. Il s’agira de voir quelles alternatives aux asiles existaient avant laSeconde Guerre Mondiale, quelle incidence ces expériences ont pu avoir surl’évolution de la discipline psychiatrique, des asiles et plus largement sur laperception des fous. Il s’agira également, dans une perspective de comparaisoninternationale, d’étudier quelles résonances certaines tentatives ont eu d’unpays à un autre. On peut penser à la « colonie familiale » de Gheel en Belgique,au « cottage system » en Ecosse, expériences qui n’ont cessé de susciterfantasmes et polémiques dans le monde occidental. Les colonies agricoles, les

49

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et lespratiques mises en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la

psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles expériences d’asiles ouverts mais aussi la subsistance de pèlerinages de fousvers des lieux de culte censés les débarrasser de leur mal, ou encore lapratique du mesmérisme et de l’hypnose, seront également examinées.Deux journées d’études, à l’invitation de la Maison Française d’Oxford, sontprévues les 22 et 23 octobre 2004. Elles regrouperont la plupart des membresde l’équipe ainsi que des chercheurs britanniques sur le thème « Psychologie,psychiatrie, psychanalyse, et médecine : jalons pour une histoire (19e-20e

siècles) ». Au sein de notre projet de recherche, la question de la relation dessavoirs et des pratiques touchant au psychisme avec la médecine s’avèrecentrale. C’est dans ce contexte, en effet, que s’élabore la question desrapports du corps et de l’esprit. Pour prendre seulement l’exemple de laFrance, l’aliénisme se constitue au début du 19e siècle comme une médecinedite « spéciale » entretenant des rapports complexes avec la médecineordinaire. Une psychologie à visées scientifiques se fonde au tournant de cemême siècle, qui entretient des relations non moins complexes avec laphysiologie, la psychiatrie et la neurologie. A partir du début du 20e siècle,l'émergence et l'essor de la psychanalyse brouillent les frontières d'unterritoire incertain.

Ces journées d’étude permettront d’engager des contacts avec descollègues étrangers, de développer une perspective comparative et depréparer ainsi le futur séminaire mensuel qui est prévu sur le thème « Del’âme-corps au corps-esprit » à partir de novembre 2004 et qui doit déboucheren 2006 sur l’organisation d’un colloque international associant des chercheursvenus d’horizons divers, historiens et historiens des sciences d’une part,chercheurs et praticiens des savoirs psychologiques contemporains d’autrepart. Ce séminaire, rappelons-le, aura pour but d’élaborer collectivement desrécits et des analyses qui pourront nous permettre, nous l’espérons, ledépassement de l’opposition traditionnelle entre concepts et pratiques,dépassement qui constitue l’un de nos objectifs intellectuels.

Enfin, après les archives d’Henri Piéron, nous procéderons, comme il aété dit ci-dessus, au classement des archives du Laboratoire de psychologieexpérimentale, de l’Institut de psychologie et de la revue L’Annéepsychologique. Ces archives comportent une importante correspondance dePaul Fraisse (directeur du laboratoire et de la revue pendant près d’un quartde siècle) avec de nombreux psychologues et savants de la seconde moitié du20e siècle, ainsi que nombre de documents sur l’insertion et l’évolution de larecherche en psychologie au CNRS, sur les réformes successives des cursusuniversitaires, sur l’organisation des congrès internationaux, sur lesassociations de psychologie scientifique, etc. La mise en valeur de ces fondsd’archives implique que le plus grand nombre possible de ces documents soitnumérisé et mis à la disposition des chercheurs sur un site à définir, qui

50

De l'âme corps au corps esprit. Les concepts mis en pratiques et lespratiques mises en concepts. Histoire croisée de la psychologie, de la

psychiatrie et de la psychanalyse, XIX° - XX° siècles

pourrait être celui du Service commun de la documentation de l’UniversitéRené Descartes, en établissant des liens avec d’autres sites, toutparticulièrement avec le Portail pour l’histoire des sciences et des techniquesen Europe, dont le directeur scientifique est Pietro Corsi.

Laboratoire porteur : CESAMES, Centre de Recherche Psychotropes, Santémentale, Société. Université René Descartes ParisProjet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Régine PLAS

51

SAVOIRS DE L'ESPRIT ET DU CERVEAU

Claude DEBRULes neurosciences en France dans le contexte international, 1945-1975

Liste des personnalités contactées et/ou rencontrées :Yves Laporte, Jacques Glowinski, Jean-Pierre Changeux, Pierre Buser, ArletteRougeul-Buser, Vincent Bloch, Michel Jouvet, Pierre Karli, Roger Guillemin(Prix Nobel), Robert Naquet, Philippe Ascher, Henri Korn, Marc Jeannerod,Michel Imbert, Jean Massion, Michel Meulders, Florence Decamps (histoireorale), Suzanne Tyc-Dumont, Henning Schmidgen (Berlin), Wolfgang Eckart (àl’occasion d’un passage à Heidelberg).Personnalités à interviewer très prochainement :M. Talairach (avec Pierre Buser), M. Gerschenfeld, Ivan Assenmacher,Christian Bange et Pierre Clarac (sur Mme Arvanitaki), Jacques Paillard, CesiraBatini, Annette Roger, Georges Lantéri-Laura, Michel Poncet, Alain Berthoz,Yves Galifret, Jean Scherrer, Michel Dussardier, Jean-Marie Besson, Jean-Noël Missa, Jean-Didier Vincent.Des exposés des chercheurs du groupe sur des thèmes plus particuliers ont eulieu : Jean-Claude Dupont (la transition Lapicque-Fessard), Jérôme Sackur (lespotentiels évoqués, Fessard et Durup), Denis Forest (neuropsychologie etmotricité).Une réunion de travail aura lieu à la Fondation de Lourmarin près de Marseilleles 13 et 14 mai 2004 (avec en particulier des chercheurs marseillais) en vuede préparer la présentation au CNRS. Le programme sera organisé en quatresessions : 1/ revue du travail déjà effectué ; 2/ les Ecoles de Marseille ; 3/ ladifférenciation et l’interaction des champs à l’intérieur du domaine ; 4/ lapolitique nationale et les relations internationales ; un bilan sera effectué àl’issue de la réunion.Le groupe a fonctionné (et continuera de fonctionner) à partir de l’interview(selon les règles admises de l’histoire orale rappelées par Florence Decamps)de personnalités scientifiques. Outre les interviews, les sources sontprincipalement des sources imprimées (articles, mémoires, thèses, volumes detitres et travaux). L’accès à des correspondances ou autres documents privésn’est pas exclu. Le travail fait par John MacKenzie, physiologiste australien,sur l’Institut Marey peut fournir des éléments de départ, à compléter par lefait que de nombreux chercheurs interviewés ont séjourné à l’Institut Mareyet travaillé avec Mme Denise Albe-Fessard et le Professeur Alfred Fessard.Le groupe s’oriente vers la production d’une anthologie de textes originaux(articles, mémoires, précédés d’une notice explicative) confectionnée à partirdes contributions des personnalités déjà interviewées, et d’un colloque (sipossible à participation internationale) portant plus particulièrement :sur l’évolution, la différenciation ou le rapprochement de domaines dans le

52

Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-19751- champ de la neurobiologie au sens large entre 1945 et 1975 ;2- sur les relations internationales (séjours croisés) des laboratoires français

à cette époque, et sur l’activité des chercheurs français dans lesinstitutions internationales ;

3- sur les divers groupes actifs et leur évolution à Paris et en Province ; à cetégard, la perception de l’activité remarquable dans certains centresprovinciaux comme Marseille par exemple, a été une découverte pour laplupart des participants du groupe. La politique nationale des instancesdirigeantes de la recherche doit également être prise en compte si l’onveut comprendre les développements.

Les principaux résultats de l’enquête initiale sont les suivants :

1-L’essor de la neurophysiologie, puis des neurosciences diversifiées, dansnotre pays est dû principalement à l’action fondatrice du Professeur AlfredFessard, directeur de l’Institut Marey jusqu’à la fermeture de cet Institut audébut des années 70. Alfred Fessard a sorti la neurophysiologie de l’impassedans laquelle elle se trouvait en France en raison du long règne de LouisLapicque, l’homme de la rhéobase et de la chronaxie. Fessard a libéré laneurophysiologie de l’emprise des dogmes de Lapicque. L’Institut Marey a étéun lieu unique de création et de rencontre, fréquenté par l’élite internationaleet formateur de l’élite nationale dans la discipline. D’importantes découvertesy ont été faites (sur le cortex associatif par exemple), des modèlesexpérimentaux animaux y ont été mis en œuvre et ont pu être exploités avecgrand fruit par des chercheurs étrangers (Eric Kandel s’est familiarisé avecl’Aplysie à l’Institut Marey, ses travaux ultérieurs sur la mémoire qui lui ontvalu le Prix Nobel découlent de cette expérience). A côté d’Alfred Fessard, ilfaut citer le nom d’Henri Piéron, physiologiste et psychologue, qui a lui aussi(bien qu’appartenant à une génération antérieure) joué un rôle extrêmementpositif dans la reconstitution des sciences du cerveau en France.

2-Si certains chercheurs américains ont trouvé en France des conditionsfavorables pour leur recherche et leur développement ultérieurs, la plupartdes principaux acteurs scientifiques français de l’époque ont séjourné auxEtats-Unis comme jeunes chercheurs, sont allés y apprendre des techniques etdes savoirs inconnus en France. Un véritable transfert de technologies a donceu lieu entre les Etats-Unis et la France à l’époque. Certains chercheurs sontrestés plusieurs années aux USA avant de revenir en France (Henri Korn qui acollaboré avec John Eccles à Chicago puis Buffalo). De grands laboratoiresfrançais, celui de Michel Jouvet entre autres, ont reçu des financementsimportants d’origine américaine, de l’US Air Force par exemple. Unphysiologiste français, Roger Guillemin, installé aux USA puis revenu en Francependant quelques années, est revenu aux USA où il a obtenu le prix Nobel pourses travaux de neuro-endocrinologie. D’autres pays ont été également des

53

Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-1975 lieux d‘accueil, comme l’Angleterre (Philippe Ascher a séjourné chez ArnoldBurgen, pharmacologue à Cambridge). L’Italie, essentiellement par lapersonnalité de Giuseppe Moruzzi à Pise, a joué également un rôle important.

3-L’époque a été une époque d’accélération forte de l’innovation technique enneurophysiologie : électroencéphalographie, techniques de recueil despotentiels évoqués, de moyennage des signaux eeg, micro-électrodes,enregistrements intracellulaires, microscopie électronique, histofluorescenceont apporté progressivement en vingt années (jusqu’en 65 environ) despossibilités insoupçonnées d’exploration du système nerveux central. Mais cestechniques ont été inventées ailleurs, et introduites secondairement enFrance. L’innovation technologique française a été résiduelle. Les laboratoiresfrançais ont appliqué, souvent avec succès et d’une manière innovante, destechniques venues d’ailleurs.

4-L’époque a vu l’installation volontariste, dans le cadre de la politiquescientifique et de décentralisation des gouvernements successifs, de centresde recherche et de chaires d’enseignement dans le domaine en province (enparticulier à Marseille, où plusieurs instituts du CNRS et de l’INSERM ont étéinstallés, Strasbourg où a été créé le Centre de neurochimie du CNRS dirigépar Paul Mandel, Montpellier, où a été installé ultérieurement le ProfesseurIvan Assenmacher et le Professeur Robert Marty, neuro-anatomisteaujourd’hui décédé). L’installation de ces centres a été un réel succès, à enjuger par l’audience internationale de leur activité mesurée par le nombre dechercheurs étrangers visiteurs.

5-L’époque voit le développement de disciplines préexistantes (la neuro-endocrinologie en est un bon exemple, le terme a été créé par le français RémyCollin dans les années 1930, le développement du domaine a dû beaucoup àGustave Roussy – les découvertes les plus importantes ont été faites dans cedomaine par Roger Guillemin, cf. supra)1 Longtemps tributaire des techniquesde coloration et d’imprégnation, la neuro-anatomie se rapproche de laneurochimie, discipline également existante, grâce à la technique del’histofluorescence, découverte en Suède, qui permet d’identifier les neuronesà monoamines dans le système nerveux central. A la fin de la période,l’immunohistochimie apporte des raffinements supplémentaires, montranttoute la diversité des neurotransmetteurs. A la fin des années 60, Jean-PierreChangeux, venu de la biologie moléculaire, découvre le premier récepteur deneurotransmetteur, le récepteur de l’acétylcholine. L’époque voit aussi ledéveloppement de disciplines d’interface comme la psychophysiologie depuislongtemps existante (des chaires importantes ont été créées dans ce domainedans les années 60-70, cf. l’expérience de Vincent Bloch à Lille puis à Orsay,

1 Cf ; le chapitre sur la neuro-endocrinologie de l’ouvrage de C. Debru, Philosophie de l’inconnu, le vivant et la recherche, Paris PUF 1998.

54

Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-1975 celle de Pierre Karli à Strasbourg), la neuropsychopharmacologie (cf. lestravaux de Jean Delay, M. Deniker, et les pharmacologues).

6-La neurologie, traditionnellement développée dans les Facultés de Médecine,tout en apportant encore quelques contributions significatives (comme cellesde François Lhermitte), a vu son prestige diminuer au profit des disciplinesd’expérimentation animale, développées soit dans les Facultés de Médecine(Lyon, laboratoire de Michel Jouvet, Paul Dell à Sainte Anne puis à Marseille,qui était resté très médecin, physiologiste intégratif, en raison de saformation strasbourgeoise, Pierre Karli, à la Faculté de Médecine deStrasbourg), soit dans les Facultés des sciences. Le rat, le chat et le singe ontété des modèles animaux de choix pour des expérimentations souvent lourdes,et de plus en plus en «chronique» (l’expérimentation aiguë livrant des résultatsdiscutables parce que difficilement mis en relation avec le comportement),chez l’animal souvent vigile non anesthésié (les résultats obtenus sur l’animalanesthésié au chloralose ayant été fort discutés). Dans certains domaines,comme l’épilepsie très étudiée en France, ou le sommeil également très étudié,les travaux cliniques et les travaux de recherche expérimentale chez l’animalsont étroitement coordonnés.

7-Le clivage entre Facultés de Médecine, Facultés de Sciences, et Collège deFrance est assez net au cours de la période, à Paris. L’Institut Marey,dépendant du Collège de France, n’héberge pas de médecins, ou très peu. MmeFessard, qui joue un rôle déterminant dans la recherche à l’Institut, estingénieur en électronique. A la Faculté des Sciences de Paris, jusqu’au débutdes années 60, la neurophysiologie reste enseignée principalement parMonnier, qui en reste à Lapicque. En 1961, Pierre Buser et son équipe s’installeà la nouvelle Faculté des sciences à Jussieu. Il y impulze un enseignement etune recherche de qualité. Une des grandes faiblesses de la situation françaisedans le domaine est une certaine incapacité à surmonter les divisions. Pourautant, la créativité des chercheurs français a été remarquable, ils ont tenu leplus souvent un rang important dans la recherche internationale.

8-Parmi les principaux travaux et découvertes effectués, on peut citer (d’unemanière encore non exhaustive) : les travaux sur le cortex associatif parDenise Albe-Fessard et Pierre Buser, les études sur le métabolisme desmonoamines cérébrales par Jacques Glowinski, la découverte du sommeilparadoxal par Michel Jouvet, l’isolement et l’identification du récepteur del’acétylcholine par Jean-Pierre Changeux, la découverte du rythme à 40 Hz liéà l’attention par Arlette Rougeul-Buser et M. Bouyer. Des domainesd’investigation comme la neuro-a,atomie (René Couteaux), la physiologie dusystème neuromusculaire (Yves Laporte),le système visuel (Michel Imbert), lesmécanismes oculomoteurs de l’éveil et du sommeil (Marc Jeannerod), lesystème végétatif (Paul Dell), l’organisation de la motricité (Jacques Paillard,

55

Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-1975

Jean Massion), l’apprentissage (Vincent Bloch), l’épilepsie (Henri Gastaut,Robert Naquet qui en a découvert les aspects génétiques), les mécanismes del’agressivité (Pierre Karli), l’électrophysiologie, et particulièrement celle de lacellule de Mauthner (Henri Korn), la neuropharmacologie (Philippe Ascher) etc.L’époque qui nous occupe, de 1945 à 1975 environ, voit la progression, surtoutvers la fin de la période, des approches cellulaires et moléculaires et ladifficulté pour la physiologie intégrative de maintenir son approche propre.Pourtant, une des spécificités intéressantes de la neurophysiologie dans cepays est une tendance persistante à poser les problèmes en termesfonctionnels globaux, et à intégrer des vues de biologie générale, enparticulier d’ontogenèse et de phylogenèse, dans la compréhension desfonctions du système nerveux. Un autre aspect spéculatif, est une certainetendance théorique développée en particulier par Alfred Fessard. Unévénement d’une réelle portée philosophique a été l’organisation du symposiumCerebral correlates of conscious experience à l’abbaye de Sénanque en 1978par Paul Dell et Suzanne Tyc-Dumont, symposium édité par Pierre et ArletteBuser en raison du décès de Dell. Le terme de neurosciences apparaît vers lafin de la période (les Principles of Neural Science de Kandel et Schwartzdatent de 1981). Le label de neuroscience cognitive est beaucoup plus récent(il est consacré par le titre du traité de Gazzaniga en 1995). Pour autant lamodélisation proprement dite a été moins développée en France qu’aux Etats-Unis dans le sillage de la cybernétique. L’intérêt porté aux neurosciences pardes chercheurs ayant une formation d’ingénieur ne s’est toutefois pas démenti,comme le montre la carrière d’Alain Berthoz.

9-Une des révélations de l’étude a été le rôle moteur joué par des chercheursfrançais, au premier rang desquels Henri Gastaut, dans la création d’instancesinternationales comme l’International Brain Research Organization (IBRO),organisme lié à l’UNESCO et dans lequel les français ont joué des rôlespolitiques importants (Robert Naquet, Pierre Buser, Michel Imbert entreautres).

56

Les neurosciences en France dans le contexte international, 1945-1975 La transcription des interviews a été entreprise. Un volume d’articles princepsdes acteurs de l’époque, munis d’introductions historiques, est en cours deconfection en ce qui concerne les personnes déjà interviewées ou contactées.Un séminaire, consacré pour une partie significative à l’Ecole de Marseille, alieu à la Fondation de Lourmarin en mai 2004. Un colloque national (àparticipation internationale si possible) devrait être organisé en 2005 etdonner lieu à une publication. Le travail engagé s’est avéré nettement pluscomplexe que prévu, et la complexité du paysage perçu n’a fait que croître aucours du progrès de l’enquête. Reste à poursuivre les interviews, désormaisenregistrés selon les vœux de Florence Decamps, à recueillir des donnéesvéritables sur les séjours de chercheurs étrangers dans les laboratoires(tâche fastidieuse mais très souhaitable). Deux années sont donc encorenécessaires au groupe pour aboutir dans le travail entrepris.

Laboratoire porteur :Projet de recherche d’une durée deCoordination : Claude DEBRUPartenaires :Claude Debru (responsable), Jean-Gaël Barbara (CNRS, Paris 6), Céline Cherici(doctorante, Paris 7), Jean-Claude Dupont (maître de conférences, université d’Amiens),Michel Imbert (EHESS) ;Ont également participé : Denis Forest (maître de conférences, Lyon 3), David Romand(doctorant, Paris 7, en séjour de recherche en Italie), Jérôme Sackur (maître deconférences, Paris 10), Guy-Cédric Werlings (agrégé de philosophie, ENS).

57

SAVOIRS DE LA SOCIETE

16h25-17h00 Marc RENNEVILLE Corpus criminologique. Sciences de l'homme, traditionsjudiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

17h00-17h35 Jochen HOOCK Ars Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirscommerciaux (1700-1820)

17h35-18h10 Julien VINCENTChristophe CHARLE

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation etinternationalisation en France et en Grande-Bretagne,

1700-1950

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

58

SAVOIRS DE LA SOCIETE

Marc RENNEVILLECorpus criminologique, Science de l'homme, traditions

judiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

Le projet « Corpus criminologique » est la première étape de la création d’unsite portail francophone sur l’histoire des crimes et des peines. Il initie unerecherche collective jusqu’ici inexistante en mettant simultanément en œuvreune politique de publications de sources et d’outils de recherche accessiblespar internet. Ce site constituera un service pour la communauté scientifique etpour les praticiens du champ criminologique. Au-delà de ces publics, il viseégalement à susciter l’intérêt des non-spécialistes. Il sera composé :- d’une base de données bibliographique portant sur l’histoire de la justice ausens large.- d’une source disponible dans son intégralité : les Archives d’anthropologiecriminelle (1886-1914).Quelques ouvrages sources relevant du champ criminologique de la fin du XIXesiècle sont bien dans Gallica ou sur d’autres sites web mais aucun site deréférence n’a encore été créé dans l’objectif explicite de devenir à terme unportail francophone sur l’histoire des crimes et des peines. Bien que lalittérature grise sur support papier (articles, thèses, ouvrages collectifs)s’étoffe sur le sujet, elle reste partielle et il n’existe pas d’ouvrage visant àrendre compte de manière synthétique et large de l’histoire du savoircriminologique dans ses interactions avec les politiques pénales et lesinstitutions qui les mettent en œuvre (policière, judiciaire, pénitentiaire). Leprojet ainsi défini ne se réduit pas à une publication en ligne. Notre démarchecollective vise à organiser et à promouvoir la recherche dans ces domainestout en initiant une réflexion sur les modes de restitution de nos travaux(colloque, publication, exposition, site web…). Enfin, l’équipe a intégré dès sapremière réunion un nouveau membre : Louise Salmon. Cette étudiante detroisième cycle effectue le classement du fonds manuscrit Tarde pour lesArchives contemporaines du CHEVS (Sciences Po Paris) et prépare un DEAd’histoire contemporaine sur Gabriel Tarde (Université de Paris X Nanterre).L. Salmon participe à toutes les activités de l’équipe et renseignera notammentl’importante base de données sur les AAC (rubriques et mots-clefs).

59

Corpus criminologique, Science de l'homme, traditionsjudiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

13.3.4 Etat du projet

1) Les Archives d’anthropologie criminelle Actions réalisées : sélection d’une collection et numérisation complète en 2003de la revue au format image (JPG niveau de gris). La revue est désormaisconsultable en local à la médiathèque G. Tarde de l’ENAP grâce au logiciel« Oldebook » (première application en France). Une numérisationcomplémentaire en binaire a permis d’obtenir des fichiers de travail (formatPDF) qui seront ensuite accessibles, sur le site, en téléchargement (un fichiercorrespondra ainsi à un volume annuel de la revue). Tous les membres del’équipe dispose désormais d’un jeu complet des AAC. Le travail sur la revue aété distribué avec des responsables de rubriques : chronologie politique,sociale, culturelle et scientifique : rédaction collective, à la fin du travail ;Criminologie et politique : Olivier Bosc ; Prisons, droit de punir : MarcRenneville ; Peine de mort : Jean-Claude Farcy ; Anthropométrie, policescientifique : Martine Kaluszynski ; Le corps criminel : Sylvie Courtine ; Lestypes de criminels : Bénédicte Mercier ; Les courants de la criminologie fin-de-siècle : Louise Salmon ; Quand est née la criminologie ? MartineKaluszynski ; Les revues d’anthropologie criminelle en Europe : collectif ; Leshommes des AAC. Portrait de groupe : Louise Salmon et Frédéric Audren ;L’anthropologie criminelle dans le monde : Olivier Bosc ; Les thématiques desAAC. Histoire des rubriques : Sylvie Courtine, Isabelle Guérineau et BénédicteMercier ; Histoire de la revue : Philippe Artières ; Le droit pénal en crise ?Frédéric Audren ; Les grandes affaires des AAC. Marc Renneville ;L’iconographie, la criminologie et l’art. Sylvie Courtine. Ces rubriques seront de courtes synthèses et non des articles de fond.Chacune d’elles renverra à cinq articles de la revue et cinq articles (ou lien)pour la bibliographie. La production du contexte de présentation des AACs’organisera en cercles concentriques avec un noyau (les AAC) autour duquel ontrouvera successivement un premier cercle de notices centrées sur la revue(index des auteurs, biographie, bibliographie, table des matières), un secondcercle rassemblant les rubriques de synthèse et un troisième cercle proposantdes journées d’études et des articles de fond. Ce dernier cercle sera doté d’uncomité de rédaction afin de garantir le caractère scientifique des travauxpubliés. La question de l’indexation de la revue a été longuement discutée :faut-il vraiment indexer l’intégralité de la revue à l’aide de mots-clefs ? Laseule norme de référence Rameau n’est pas vraiment pertinente sur notrethème. Un thésaurus maison serait long à construire. Enfin, ce type d’outil derecherche est peu utilisé par les chercheurs. Nous avons donc retenu uneindexation basée sur la table des matières des AAC. Celles-ci serontaccessibles sur le site en plein texte, ce qui permettra une recherche sur tous

60

Corpus criminologique, Science de l'homme, traditionsjudiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

les mots de ces tables. Chaque intitulé d’article sera directement lié à sapremière page. La base reprendra toutes les rubriques originales des AAC etune base limitée de métadonnées/mots-clefs construites à partir descatégories utiles à l’historiographie. Plusieurs types de recherches serontdonc possibles : auteur, année, mot du titre, rubrique de la revue (mémoiresoriginaux, notes et observation médico-légales, revue critique, bibliographie,police technique), « mots-clefs » retenus par l’équipe (congrès, nécrologie,actualité dans les AAC, chronique étrangère, société savante, compte rendu de livre, compte rendu de journaux, compte rendu de thèses, discours de rentréejudiciaire). Cette base de données est en cours de réalisation. 2) La bibliographie d’histoire de la justiceIci encore, la perspective d’une indexation complète de cette base par mots-clefs a été abandonnée tant il semble difficile de s’accorder sur un thésauruspertinent et compatible avec les tables existantes. Il a donc été décidéd’enrichir l’information existante en conservant les rubriques et en lesaffinant, si nécessaire. En contrepartie, l’option d’une mise à jour limitée auxtravaux historiques a été écartée au profit d’une mise à jour complète aveccréation de nouvelles entrées afin d’inclure dans la base des domaines del’historiographie en plein essor (histoire de la gendarmerie, histoire de lapolice…). Cette bibliographie sera actualisée jusqu’en 2003. Le nombre final denotices estimé passe ainsi de 35 000 à 40 000 (pour mémoire, la base initialeen comprenait 32 000). L’écueil du portage sur le web sera résolu par uneexportation de la base 4D vers les techniques MySQL et DHTML. La questiondes droits est restée en suspens. 3) L’intégration webL’équipe n’ayant pas de compétence propre en ce domaine, nous avonssélectionné deux prestataires de services, pour leurs références, leurdisponibilité et leurs propositions budgétaires. L’un, Arkhenum (Pessac), opèrela prise en charge des ouvrages conservés à la bibliothèque interuniversitairede médecine de Paris, la numérisation des AAC (redressement de courbure,recalibrage de tous les fichiers images pour le site) et la création de la base« table des matières/lien vers les fichiers images ». Cette dernière prestation(type fichier excel) ne comprend pas les rubriques des archives ni les mots-clefs. Cette opération relevant d’un traitement intellectuel, elle sera réaliséepar un membre de l’équipe (Louise Salmon). L’autre entreprise, Libre-Sens(Agen), effectuera l’importation des deux bases de données (AAC etbibliographie) en technologie web, la charte graphique, la structuration du siteet la programmation d’un module d’administration permettant une mise à jourpar des non-informaticiens. Ce point dernier nous est apparu essentiel car nousn’avons acquis aucune certitude quant à la pérennisation du site produit.

61

Corpus criminologique, Science de l'homme, traditionsjudiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

4) La valorisation et la diffusion

Les deux actions prévues ont été engagées.

L’exposition « Le médecin et le criminel » se tient à la bibliothèque municipalede Lyon depuis le 27 janvier jusqu’au 15 mai 2004. Philippe Artières travaillaitsur ce dossier depuis 2001. Plusieurs membres de l’équipe ont contribué àcette manifestation par des écrits (pour la revue Gryphe), par desconférences et des tables rondes. Dans le chemin d’exposition, un poste dedémonstration permet au public de consulter les AAC numérisées dans le cadrede l’ACI.

L’appel à contribution pour la première journée du 34e congrès de criminologiefrançaise a été lancé. Cette journée soutenue par l’AFC et la SFHSH sedéroulera le 8 septembre prochain à l’ENAP. Elle portera sur l’actualité passéeet présente de la criminologie du co-directeur des AAC, le magistratsociologue Gabriel Tarde (1843-1904). La clôture des propositions decommunications est fixée au 1er mai. Les actes seront publiés, soit chez unéditeur classique, soit sur le site. Il faut noter que l’ENAP pilote tous lesévénements liés au centenaire du décès de Gabriel Tarde, inscrit au cataloguedes célébrations nationales en octobre 2003. Cette inscription nous permetd’escompter un co-financement substantiel de ce colloque par la DRACAquitaine (Nous avons déposé une demande de subvention. Réponse définitivecourant mai). Une création théâtrale devrait être réalisée sur fonds DRAC parla compagnie Debauche (« Le cauchemar de M. Tarde ») avec, pour conseilscientifique, Sylvie Courtine.

Notre ACI sera présentée à la 23e conférence annuelle de l’European Societyfor the History of Human Sciences (20-24 juillet, Salzbourg). Nousenvisageons également de proposer une contribution à la prochaine conférencedu CODESRIA (Conseil pour le développement de la recherche en sciencessociales) qui portera sur la publication et la diffusion électronique (1-2septembre. Dakar).

62

Corpus criminologique, Science de l'homme, traditionsjudiciaires et politiques pénales à la fin du XIX° siècle.

Perspectives

Notre dernière année de recherche devra se consacrer aux points suivants :• finalisation des bases de données AAC et bibliographique.• rédaction des rubriques pour les AAC.• définition et sélection des numérisations complémentaires (quelques

pistes : des clichés de l’exposition « Le médecin et le criminel », desmanuscrits de cours rédigés par G. Tarde, des pages illustrées de journauxpopulaires…)

• réalisation du site web (charte graphique, structuration, ergonomie) ethébergement institutionnel.

• définitions d’actions pour assurer la visibilité du site (lors de sonlancement) mais aussi et surtout, sa survie au-delà de l’ACI (mise à jour,politique de numérisation et de publications scientifiques, partenariats).

édition des actes du colloque consacré à la criminologie de Gabriel Tarde.

Laboratoire porteur : Centre A. Koyré. UMR 8560. CNRS/MNHN/EHESS

Projet de recherche d’une durée de 2 ansCoordination : Marc RENNEVILLE

63

SAVOIRS DE LA SOCIETE

Jochen HOOCKArs Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirs commerciaux

(1700-1820)1. Remarques préliminaires

Malgré le décès brutal d’un des principaux porteurs du projet,l’enquête a pu se poursuivre. Aux 4.566 unités bibliographiques recensées pourla période 1470 à 1699 se sont ajoutés 3.161 titres pour la période allant de1700 à 1760, les rééditions jusqu’en 1820 étant incluses. L’enquête couvre doncdésormais près de 8.000 unités bibliographiques à travers tout l’espaceeuropéen.2

A cette fin, 471 fonds ont été mis à contribution. Le fonds le plusimportant consulté sur place est celui de la British Library avec 522 unitéspour la période 1700/1760 suivi par la BNF avec 374 unités. Un traitcaractéristique pour la période en question est la forte dispersion des donnéesqui est un signe et une preuve de la diffusion progressive des savoirscommerciaux. Elle conduit à des déplacements dans divers lieux de recherchelors de la deuxième et dernière tranche de l’enquête au cours de l’année2004/05. L’entrée des données a été une des charges lourdes de l’annéepassée. Elle se poursuit pour l’intégration des fichiers et l’analyse statistiqueet cartographique qui respecte les principes adoptés pour le volume d’analysesd’Ars Mercatoria (Vol. III).

2. Les résultats Les premiers résultats font apparaître un développementexponentiel des publications à caractère commercial au cours de lapremière moitié du 18e siècle, suivi de nombreuses rééditions quis’essoufflent avec la période révolutionnaire pendant laquelle leschangements métrologiques sont un des principaux facteurs derenouvellement. L’éclatement thématique est un trait majeur de la périodeprise en considération. La part des arithmétiques pratiques qui jusque làrestait dominante tombe à un quart de l’ensemble. Elle est suivie par lacomptabilité, le change et la science des marchandises. Mais le traitmarquant est la multiplication des ouvrages à caractère encyclopédique.

2 Chaque entrée depuis 1470 est, s’il y a lieu, suivie jusqu’en 1820. Ce cas se présente pour certaines arithmétiques pratiques.

64

Ars Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirs commerciaux(1700-1820)

L’analyse détaillée permettra, après l’intégration des données des troisvolumes précédents, de mesurer dans quelle mesure ces glissementsthématiques reflètent de réelles innovations. L’analyse des lieux depublications et des professions (ou du statut socio-professionnel) des auteurscomplétera ce tableau. Plusieurs analyses de cas pour l’Allemagne du Nordlaissent, en effet, penser que la scolarisation croissante pèse pour beaucoupdans le recul relatif du nombre des arithmétiques commerciales, tandis que lamultiplication de manuels encyclopédiques tendrait à répondre à lamultiplication des boarding schools avec une branche commerciale comme ellesexistent dès le début du siècle en Angleterre et dans l’Allemagne du Nord.3

L’évolution de la répartition des lieux de publication témoigne d’uneconcentration et e diversification qui s’est déjà annoncée au cours de ladeuxième moitié du 17e siècle. Londres occupe désormais une positionécrasante. Cette situation est en partie dû au régime spécifiquede la librairie britannique qui favorise la place de Londres comme lieud’impression.

Il reste qu’elle trouve son reflet au niveau de la « nationalité des auteurs » oùla dominante anglaise ressort très fortement. Presque la moitié des textesrecensés ont un auteur anglais. Suivent les textes d’origine germanique etfrançaise. Parmi les dernières il faut compter de nombreuses publicationsimprimées aux Provinces-Unies en langue française, dont l’analyse fine reste àfaire. Un domaine important qui s’affirme tout au long du 18e siècle est celui dela « science des marchandises » (Warenkunde) qui contribue à introduire unedimension technologique et industrielle dans la littérature destinée auxmarchands. Elle mérite un intérêt particulier dans la phase préindustrielle,tout comme l’émergence d’une comptabilité des coûts.

3. Plan de travail

Jusqu’ici le partage des tâches s’est fait en fonction de la gestion documentaire du fonds, de lasaisie des données et des recherches à mener sur place et hors de Paris. L’exploitation des données etleur analyse statistique est en partie assurée par l’université Aix-Marseille (Wolfgang Kaiser).L’ensemble des informations ont été régulièrement recueillies au Centre de Recherches Historiques(CRH/EHESS) où ils sont, pour l’instant, gérées par David Bitterling (Paris 7-Denis Diderot). Ellessont accessibles aux chercheurs.

3 Cf. Jochen Hoock, « L’enseignement commercial anglais au 18e siècle », in : Franco Angiolini et Daniel Roche, Cultures et formationsnégociantes dans l’Europe moderne, Paris, Editions de EHESS, 1995, pp. 159-173

65

Ars Mercatoria. Histoire et diffusion des savoirs commerciaux(1700-1820)

Au cours de l’année à venir il s’agit essentiellement de saisir les donnéesbibliographiques pour la tranche 1760/1820 et de procéder aux recherchescomplémentaires nécessaires dans de nombreux fonds européens. Ces tâchescorrespondent à la demande de soutien formulée en 2003. S’y ajouterontquelques missions dans des fonds d’archives (Italie/Flandres/GrandeBretagne) qui ont trait aux pratiques marchandes qu’analyse l’équipe de l’IHMCet de Paris 7 – Denis Diderot (Mathieu Arnoux et Jacques Bottin). Dans la mesure où l’enquête couvrira dès la fin de l’année 2005 toute lapériode préindustrielle il semble essentiel de confronter le discourscommercial aux pratiques marchandes. Ce travail se concentre pour l’instantsur l’espace méditerranéen.

4. Perspectives de l’enquête

L’ensemble des données recueillies correspond à environ 20.000 fichesbibliographiques dont nous n’avons retenu que les deux tiers selon les critèrescommerciaux qui ont guidé l’enquête. Il semble néanmoins intéressant dereprendre certaines de ces informations dans une perspective plus largeenvisageant les développements de la période préindustrielle sous des aspectsmanufacturiers et ruraux. Une telle démarche a été préparée par descoopérations européennes qui ont fait l’objet d’un colloque aux archivesindustrielles de la Rhénanie-Westphalie.4 Cette ouverture de l’enquêtes’accompagnera d’une analyse de l’ensemble des données qui formera la matièredu sixième volume d’Ars Mercatoria et constituera le dernier volume de labibliographie analytique

PublicationsLa publication du volume IV d’Ars Mercatoria est prévue pourl’automne 2004. Il s’agira sans doute de deux tomes vu l’ampleur de ladocumentation. Le cinquième volume devrait paraître l’année suivante, suivid’un volume de synthèse regroupant les analyses pour la période de 1470 à1820. Des résultats partiels ont été présentés à divers colloques et ferontpartie d’une section au congrès national des historiens allemands(Historikertag) à Kiel en septembre 2004.

Laboratoire porteur : Université Paris 7 – Denis Diderot - UFR GHSSProjet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Jochen HOOCK

4 Wilfried Reininghaus et al., Kaufleute in Europa. [Zur Geschichte des Handels im vorindustriellen Europa], Dortmund, WWA, 1997(Publications des archives industrielles de la Westphalie)

66

SAVOIRS DE LA SOCIETE

Julien VINCENT - Christophe CHARLE

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation etinternationsalisation en France et en Grande-Bretagne,

1700-1950.Notre groupe de recherche s’est constitué autour d’un projet d’histoire dessavoirs et de leur appropriation au sein de la « société civile » en France et auRoyaume-Uni entre 1700 et 1950. Il s’agissait d’articuler une histoire dessavoirs économiques et historiques autour de trois axes qui sont aussi troisparti-pris de recherche :A) la question des conditions de l’internationalisation de la vieintellectuelle, un domaine de recherche développé au cours des dernièresannées par plusieurs chercheurs associés a l’Institut d’histoire moderne etcontemporaine. Les recherches menées avaient jusqu’ici privilégié les champslittéraire et artistique français au XIXe siècle. Nous avons entrepris icid’opérer un triple transfert de ces méthodes : vers l’histoire comparée, versle domaine britannique, et vers de nouvelles formes de savoir, commel’économie politique et l'historiographie. L’étude des trajectoires detraducteurs, la délimitation d’un groupe social de « l’importationintellectuelle », et l’exploration des institutions de consécration des savoirsétrangers, des universités et leurs diplômes honorifiques aux revues et auxcomptes-rendus de livres étrangers, pouvaient en effet être transposées àd’autres champs. En outre, on pouvait tenter une étude de la place et du rôledu « langage national », tel qu’il avait été étudié à partir de la littérature, dansla constitution et la diffusion de savoirs comme l’économie politique etl’histoire.B) la question de la société civile. Il s’agissait de comprendre comments’effectuent la diffusion et les appropriations de langages savants au seind’une société civile en constante redéfinition. À partir du XVIIIe siècle, époqueoù elle devient une science autonome du gouvernement en France et enGrande-Bretagne, l’économie politique prend une place de plus en plus centraledans la définition des enjeux du débat national et, plus généralement, de larationalité politique que J. Habermas a voulu identifier à la « sphèrepublique », et que les historiens ont su depuis constituer en objets derecherche5. Plutôt que la seule étude des traités théoriques, c’est l’analyse dela littérature grise des publications éphémères, des brochures et des pétitionsqui permet de comprendre les phénomènes d’appropriation. En parallèlel’histoire est mobilisée pour penser les ruptures et les changements à la

5 Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1992; Daniel Roche, Le Peuple de Paris.

Essai sur la culture populaire au 18ème siècle, Paris, Aubier, 1981, rééd. Paris, Fayard, 1999.

67

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation en Franceet en Grande-Bretagne, 1700-1950.

charnière des deux siècles et leurs origines ou au contraire les contester aunom d’un autre récit national. L’objectif est de délimiter et de retracer laformation d’un espace de débats et de confrontations autour de l’usage dessavoirs économiques et historiques. Cet espace peut se décrire comme unesection de la sphère publique. Mais celle-ci obéit à des règles spécifiques, où larationalité politique n’est pas seulement celle du bien ou du juste, maiségalement celle du vrai et de la science. La sphère publique, dans la mesure oùelle est aussi sphère savante ou demi-savante, établit une transitionintellectuelle et sociale entre la communauté scientifique et la société civile,que l’on peut étudier à travers des lieux de sociabilité, des réseaux ou desmédias qui permettent la circulation des savoirs (presse, revues,dictionnaires).C) L’espace franco-britannique. Notre équipe associe des chercheurs françaiset britanniques, ainsi que des chercheurs dont le travail comporte unedimension comparative franco-britannique. Ce terrain paraît particulièrementapproprié pour les deux thèmes de recherche privilégiés. C’est dans ces deuxpays qu’émerge précocement une sphère publique dans laquelle l’économiepolitique et l’histoire jouent un rôle majeur. La comparaison permet toutefoisde mettre en valeur deux évolutions différentes des rapports entrecommunautés savantes et société civile : alors que l’économiste est très tôtune figure centrale du débat politique en Angleterre et en Ecosse, et qu’il saitnégocier le maintien de ce statut privilégié au moment où la scienceéconomique est profondément redéfinie à la fin du XIXe siècle, le débat civiquefrançais est plus réticent, dès le XVIIIe siècle, à mêler registre politique etregistre savant. Si le républicanisme français a sa sociologie et son histoire, ilpeine à définir son économie politique – et le libéralisme britannique connaîtune évolution exactement inverse. L’espace franco-britannique est égalementun terrain de recherche particulièrement approprié pour une étude del’internationalisation de la vie intellectuelle. On a pu en effet parler, au sujetde la position de Paris, de Londres et des grandes villes écossaises dansl’espace européen, d’un condominium franco-britannique, nourri à la fois parune intense vie de relations, une proximité objective de niveau dedéveloppement et de perspectives idéologiques, à partir des Lumières, et uneconcurrence acharnée entre des élites intellectuelles et politiques porteusesde projets à vocation mondiale partiellement antagonistes.

14 2. Etat d’avancement

L’objectif final de notre projet est la publication d’un livre réunissant desétudes nouant à chaque fois, autour d’un thème précis, les différents fils denotre problématique : une histoire comparée mais aussi une histoirerelationnelle ou « histoire croisée », une histoire intellectuelle des savoirs

68

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation en Franceet en Grande-Bretagne, 1700-1950.

mais aussi une histoire sociale de leurs appropriations, une histoire enfin quiarticule différentes échelles d’analyse, de l’échelle locale des groupes quiconstituent la société civile à l’échelle internationale de savoirs qui se veulent« cosmopolites » en passant par le niveau national, niveau stratégique de laconstitution des frontières culturelles qui polarisent et filtrent la circulationdes idées. Pour arriver à ce résultat, nous devions constituer une équipe detravail autour de thèmes de recherche et d’une méthode commune (premièreétape), puis déterminer le sujet précis et les auteurs de chacune descontributions (deuxième étape), avant de pouvoir discuter collectivement dechacun des travaux lors d’une table ronde finale (troisième étape).Le séminaire organisé cette année à l’Ecole Normale Supérieure (2 séances parmois), et qui correspondait à la première étape de ce projet, avait donc troisobjectifs : la formulation d’un langage conceptuel et méthodologique commun,la constitution d’un groupe de travail franco-britannique, le choix de thèmesde recherche empirique pour mener à bien notre étude comparée et mettre enpratique nos objectifs méthodologiques.A) MéthodologieLa discussion sur les concepts et les méthodes de l’histoire intellectuelle et del’histoire des savoirs a donné lieu à plusieurs discussions et débats, parfoisvifs, toujours riches. La critique de l’histoire intellectuelle par les historiensdes pratiques et des normes économiques (Julian Hoppit, Philippe Minard,Claire Lemercier, Renaud Morieux) a permis d’identifier les limites d’uneapproche purement discursive et théorique des savoirs, compte tenu de notreprojet de recherche centré sur la notion d’appropriation par des groupesconstituant une société civile. Toutefois la discussion approfondie desobjectifs et des méthodes de « l’Ecole de Cambridge » (Vincent Bourdeau,Sudhir Hazareesingh, James Thompson, Julien Vincent) a permis également demettre en valeur les limites d’une histoire socio-culturelle des conditions depossibilité du savoir qui ne s’aventurerait jamais dans l’étude des agencementsconceptuels et des règles de la pensée qui sont caractéristiques de savoirsconstitués comme l’économie politique ou l’histoire. L’accord s’est finalementcréé autour d’une réinterprétation du programme de « l’Ecole de Cambridge »en fonction de nos objectifs spécifiques. Nous reprendrons à notre comptel’étude des savoirs comme « langages normatifs » structurés en réseaux deconcepts, et leur mise en contexte au sein de réseaux englobants de croyance(webs of beliefs) qui sont la première étape de toute appropriation. Cetteétude, toutefois, considérera une seconde forme de l’appropriation : la mise enpratique de savoirs abstraits dans des règlements et dans des pratiquessociales. En outre, l’étude des savoirs comme langages normatifs prendra appuisur des données prosopographiques. Celles-ci mettent en valeur les dynamiquessociales sous-jacentes et permettent de ne pas transposer artificiellement àl’étude de la société civile les termes et les concepts qui relèvent plutôt del’histoire des sciences.

69

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation etinternationsalisation en France et en Grande-Bretagne,

1700-1950.

14.1.1 B) Constitution d’un groupe de travail franco-britannique

Le séminaire organisé cette année était aussi l’occasion de nouer des liens avecdes chercheurs britanniques et de créer les conditions d’un véritable travailcollectif dès l’année prochaine. La collaboration du Centre for History andEconomics a été particulièrement précieuse de ce point de vue. Même si l’un denos invités a dû annuler son intervention pour des raisons de santé, tous nosinvités britanniques (Sudhir Hazareesingh, Julian Hoppit, James Thompson)ont déclaré être prêts à participer à un travail collectif. La discussion, avecces intervenants comme avec d’autres participants au séminaire, a aussi permisde considérer d’autres possibilités de collaborations, avec Stefan Collini,Gareth Stedman Jones, et Richard Whatmore, tous associés au Centre forHistory and Economics.

14.1.2 C) Identification de thèmes de recherche

Outre la réflexion méthodologique, la discussion d’objets plus précis nous apermis de tester nos hypothèses et de retenir certains thèmes de recherchepour l’année prochaine. La consultation de nos collaborateurs britanniques nousa poussé à abandonner notre projet initial, qui était de continuer nosrencontres sous la forme d’un séminaire, et de privilégier la journée d’étudeorganisée en deux ateliers d’une demi-journée chacun. Quatre thèmesd’ateliers (qui pourraient s’étendre à cinq ou six) ont été retenus. Ils portentsur des thèmes encore assez ouverts et feront l’objet de demi-journées detravail qui serviront à identifier un sujet plus précis, en vue d’articlessubstantiels d’histoire comparée d’une quarantaine de pages chacun, écrits àdeux ou à trois. Ces sujets seront choisis en fonction de leur nouveauté, maisaussi en fonction de leur capacité à articuler les différents aspects de notreproblématique.

15 3. Perspectives

Nous envisageons pour le moment la tenue de quatre ateliers, dontl’organisation et le contenu doivent être discutés plus en détail dans le courantdu mois d’avril. Les descriptifs ci-joint ne sont donc pas définitifs.

15.1.1 A) Commerce et Vertu

Responsables : Vincent Bourdeau et Julien VincentLa question des rapports entre « commerce » et « vertu » est un thèmetraditionnel de l’historiographie britannique depuis les travaux de John Pococksur la question. Les recherches les plus récentes suggèrent que la question desrapports entre les lois de l’économie politique et la « vertu » ne se serait paseffacée, contrairement aux suggestions de J. Pocock, à partir du moment où

70

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation etinternationsalisation en France et en Grande-Bretagne,

1700-1950.la conception de la liberté des Anciens fut supplantée par celle d’une libertémoderne. L’atelier comportera deux aspects :(1) Le premier aspect consistera en une étude des discours politiques en tantqu’ils sont porteurs de figures stéréotypées – on peut penser au AlbertHirschman de Deux siècles de rhétorique réactionnaire – mais aussi aux« conventions » langagières que la lecture de Quentin Skinner, notamment sesVisions of Politics: Regarding Method, invite à prendre en compte. En effet, ladiscussion des rapports entre commerce et vertu correspond à un typespécifique de productions discursives, qui mêlent économie politique,philosophie, théologie – bref un ensemble de langages régis par leurs propresnormes. Ces discours s’inscrivent dans d’intenses débats pour dessiner lesfrontières de ce que peut ou doit être une société civile, et sur ce quepeuvent ou doivent être ses modes de régulation.Si ce débat en France semble particulièrement marqué par les événements de1848 (Droit au travail, Ateliers Nationaux, etc…), la question n’est pasabsente des discussions publiques en Angleterre. Les Principles of PoliticalEconomy de J. S. Mill, parus en 1848, qui mettent en avant une distinctionnécessaire entre des lois naturelles de la production et des lois morales de larépartition, ouvrent un espace de réflexion sur la manière dont on peut pensercette répartition. Espace encore élargi lorsque les écrits de Thornton, en1869, remettent en question la théorie du wage-fund et portent le doutejusque dans la sphère de la production : les contraintes ne sont plus seulementnaturelles mais morales, sociales, historiques, etc. Il serait ainsi possible derepérer un certain nombre d’arguments, et de montrer comment l’argument dela vertu, traditionnellement porté par le républicanisme, se réactualise dansces débats. Pour ce premier aspect de l’atelier, nous pourrions inviter desspécialistes de la question aussi bien pour le domaine anglais que français,dont certains ont déjà participé au cours de l’année 2003-4 au séminaire :Sudhir Hazareesingh, Jean-Fabien Spitz, James Thompson (tous troisintervenus dans le séminaire), mais aussi Richard Whatmore, Gareth StedmanJones, Michael Sonenscher ou José Harris.

(2) le deuxième aspect concernera plus particulièrement les membres de l’ACIet constituera un deuxième volet du projet de l’atelier. A partir de laréflexion élaborée dans un premier temps, nous tenterons de coordonner tousles autres ateliers via la question des rapports entre « commerce » et« vertu ». Les participants seront donc les membres du séminaire eux-mêmes.

71

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation enFrance et en Grande-Bretagne, 1700-1950.

B) Le travail des enfants au Royaume-Uni et en France, autour de la genèsedes lois de 1833 et 1841Responsables : Claire Lemercier et Philippe MinardLe but de cet atelier est d'exploiter divers types de sources (débatsparlementaires, rapports d'institutions consultatives, pamphlets...) en traquantla place comparée qu’y occupent les langages économique, juridique, politique,moral, etc. et leurs rapports mutuels – et plus particulièrement le statut dulangage économique (intervention d'économistes "en personne" ou non,citations de livres de référence ou non...).Les débats concernant le travail des enfants (et, de façon inséparable àl’époque étudiée, le temps de travail en général) représentent un bon terrainpour une telle étude. En effet, les registres d’argumentation y sontparticulièrement mêlés : des arguments économiques (libre concurrence…),moraux (autorité paternelle, dépravation dans les ateliers…), éducatifs,juridiques (formes du contrat de travail et notamment d’apprentissage),hygiéniques, voire de défense nationale sont mobilisés par les acteurs trèsdivers qui interviennent : Société industrielle de Mulhouse (elle-même à la foissociété savante et lobby d’hommes d’affaires), institutions consultatives(Chambres de commerce, conseils généraux du commerce et desmanufactures), commissions parlementaires, savants et médecins (notammentVillermé), économistes… En outre, ce débat occasionne des divisions àl’intérieur de chacun de ces groupes ; en particulier, chez les économistes, ilest l’enjeu d’une controverse qui porte non seulement sur l’intervention del’État mais aussi sur les limites même de la science économique.Les remarques précédentes portent principalement sur la genèse de la loifrançaise de 1841, la plus étudiée, mais sur laquelle l’historiographie souffreprécisément d’une dispersion, selon les thèmes et les acteurs envisagés, qui n’apas encore permis de rendre réellement compte de l’ensemble des dimensionsdu débat6. L’objet de l’atelier sera de relire cette historiographie au prisme denos interrogations sur l’appropriation des différents savoirs constitués et demobiliser des sources encore inexploitées pour nourrir cette lecture.

6 Cf. pour des synthèses récentes : Robert Louis Koepke, « Educating child laborers in France: the enquête of 1837 », French HistoricalStudies, XV(4), Fall 1988, p.646-672 ; Philippe Sueur, «La loi du 22 mars 1841. Un débat parlementaire: l'enfance protégée ou la libertéoffensée», in Jean-Louis HAROUEL (dir.), Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, 1989, p.493-508 ; Lee ShaiWeissbach, Child Labor Reform in Nineteenth-Century France: Assuring the Future Harvest, Louisiana State University Press, Baton Rouge,London, 1989 ; Philippe Minard, « Une « préhistoire » de l’inspection du travail: les formes d’intervention de l’Etat dans l’industrie, del’Ancien Régime aux lois de 1841-1874 », dans Jean-Louis Robert (dir.), Inspecteurs et inspection du travail sous la III° et la IV° République,La documentation française ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 1998, p.20-33 ; Claire Lemercier, Un si discret pouvoir. Aux origines dela chambre de commerce de Paris, 1803-1853, Paris, La Découverte, 2003, chap. 9 ; Hervé Defalvard, « La théorie aokienne des institutions àl'épreuve de la loi de 1841 sur le travail des enfants », document de travail du Centre d’études pour l’emploi, mars 2003 ; Patrick Fridenson etBénédicte Reynaud (dir.), La France et le temps de travail, 1814-2004, Paris, Odile Jacob, 2004.

72

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation enFrance et en Grande-Bretagne, 1700-1950.

Il faudra, en outre, étendre l’enquête à la loi de 1874 en France et aux loisanglaises correspondantes, bien moins étudiées.Cette dimension franco-anglaise ne se limitera pas à une simple comparaison :en effet, dans les débats français de l’époque, la référence anglaise estomniprésente. Il s’agira donc de s’interroger sur le statut de cette référence :simple allusion rhétorique ou réelles formes de circulation et d’adaptation d’unmodèle ? La comparaison des débats dans les deux pays, quant à elle,permettra notamment de cerner la place différente qu’y tiennent lesarguments proprement économiques.Les participants britanniques pourraient être Hans-Joachim Voth, EmmaRothschild et Martin Daunton.

15.1.2 C) Consommation engagée et économie domestique

Responsables : Marie Chessel et Julien VincentCe thème d’atelier est issu de la séance du séminaire animée par Marie Chesselet Julien Vincent. La présentation de deux recherches en cours, l’une portantsur l’organisation et les réseaux des ligues d’acheteurs en France, l’autre surles fondements théoriques et religieux du « langage normatif de laconsommation éthique », a permis de définir une direction de recherche quiarticule chacun des axes définis par l’ACI. Julien Vincent a montré que lesdiscours en faveur de la consommation engagée ou éthique entre 1880 et 1914,au Royaume-Uni comme en France, puisent aux mêmes sources théoriques. Cesannées sont en effet celles de l’émergence d’une théorie de la consommationprofondément renouvelée chez les économistes en cours deprofessionnalisation. De son côté, Marie Chessel a mis en valeur la rencontrede groupes sociaux divers au sein des mouvements de consommation engagée :économistes et intellectuels, mais aussi évêques, prêtres et théologiens quiencadrent un mouvement majoritairement féminin. Dans cet atelier, ons’attachera à retracer la constitution d’un langage normatif au niveauinternational, autour d’auteurs comme Böhm-Bawerk (et son idée de « chaînedes échanges ») mais aussi Ruskin. On verra la manière dont ces idées sontappropriées par les mouvements de consommation engagée britannique etfrançais, en essayant d’expliquer les raisons de leur naissance précoce enAngleterre, mais de leur succès plus marqué et plus durable en France. Lesparticipants à cet atelier pourraient être, hormis Marie Chessel et JulienVincent : Matthew Hilton, Franck Trentmann, Martin Daunton.

73

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation enFrance et en Grande-Bretagne, 1700-1950.

15.1.3 D) Psychologie des peuples et histoire nationale

Responsables : Christophe Charle, Renaud Morieux et Blaise WilfertCet atelier se propose de faire émerger et d’analyser, dans les termes propresà l’histoire sociale et intellectuelle des savoirs, un corpus de textes peu luscomme tels par l’historiographie contemporaine, surtout pour la fin du XIXe

siècle et le début du XXe siècle, celui des nombreuses psychologies des peupleset psychologies nationales qui constituèrent, au cours du XIXe siècle pour unepart essentielle des penseurs, et fort avant dans le XXe siècle dans certainscantons du champ intellectuel, la principale forme de discours totalisantconcernant les sciences de la société. Sa marginalisation dans la vieintellectuelle ouest-européenne par l’affirmation progressive de la sociologie,de l’anthropologie, de l’histoire économique et sociale et desKulturwissenschaften ne doit pas faire oublier qu’en France et en Grande-Bretagne, la psychologie des peuples, mise en œuvre par Karl Pearson, HoustonStewart Chamberlain, Benjamin Kidd, Charles Letourneau, Alfred Fouillée,Edmond Demolins, parmi bien d’autres, a pu constituer en son temps undiscours à prétentions savantes tout à fait structuré. Il disposait d’une largeaudience, d’une bonne diffusion éditoriale, de positions institutionnellessignificatives et surtout d’un accès privilégié aux débats centraux quistructurèrent le champ du pouvoir au moment où l’affirmation des sociétésimpériales requérait une participation, au moins informelle, des professionnelsde la manipulation symbolique aux projets de légitimation du programme denationalisation culturelle mis en œuvre par ces Etats. Ces discours avaientpour caractéristique de se présenter comme des théories globales des peupleset des nations, présentées d’un point de vue anhistorique ou rétrospectif, danslesquelles convergeaient, selon des modalités plus ou moins stables, desdiscours savants d’origine diverse : anthropologie biologique, géographiephysique et des paysages, économie et histoire économique, linguistiquehistorique, histoire des productions culturelles, histoire diplomatique etmilitaire, sociographie des groupes, ethnologie empirique, descriptionpolitologique et histoire littéraire. Le tout aboutissait à des conclusionstypologiques, à des types nationaux médians et à des théories plus ou moinsexplicites de leur genèse. Ces textes, surabondants dans les années 1880-1900, ont par ailleurs une généalogie souvent mieux connue qu’eux-mêmes, quiremonte notamment à la théorie des climats de l’époque moderne dontMontesquieu fixa la vulgate ou à la comparaison culturelle de tonalitélittéraire, mise en œuvre par nombre d’auteurs dits romantiques, à partir de laconfrontation des littératures et des philosophies occidentales, autour de1800 ou de 1840.

74

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation enFrance et en Grande-Bretagne, 1700-1950.

Deux méthodes d’analyse seront mises en œuvre :• Une analyse globale de cette production – mise en série des ouvrages et de

leurs caractéristiques (auteurs, éditions, diffusion, postérité, réceptionnationale), étude de leurs circulations transnationales (inscription dans desdébats internationaux, place de la référence étrangère dans leursdéveloppements, flux de traduction, modalités de réception à l’étranger),analyse de leur place dans la transformation du système des disciplines desciences humaines et dans l’architecture des discours publics(institutionnalisation des auteurs et de leurs discours dans l’Université,statut de ces textes dans la grande presse culturelle, reprise de leursthématiques et de leurs conclusions dans les débats parlementaires, dansles entreprises diplomatiques, dans les organismes internationaux) ;

• une lecture intensive de certains cas particulièrement riches – analyse dessystèmes argumentatifs, des procédés rhétoriques, graphiques etparatextuels d’affirmation de la scientificité, repérage des régimes dediscours utilisés, déploiement de l’espace de réception supposé par le texteet produit par lui, recensement et classements des reprises et réemploisconceptuels, des références, des citations et des allusions, évaluation de laportée perlocutoire et illocutoire des énoncés conçus comme speech acts.

Ces deux projets permettront, notamment par leur renforcement circulaire,de donner à la fois une signification historique à un corpus peu lu ou étudié etde mettre à l’épreuve les différents aspects du programme de cette ACI.• La comparaison de textes français et anglais, l’attention portée à l’usage de

l’étranger dans chacun d’entre eux, la restitution de la dimensioninternationale de leur contexte de pertinence s’inscriront ainsi dans levolet concernant l’internationalité et l’internationalisation de la penséehistorique et politique.

• La restitution de la participation de ces textes aux efforts pour constituerla psychologie des peuples comme une discipline savante crédible, maisaussi pour en faire le langage même de la typologie des nations penséescomme civilisations, et donc de la compréhension des relationsinternationales au temps des nations impériales, s’inscrira dans la réflexioncollective sur les rapports entre discours savant, société civile et sociétépolitique, en portant tout particulièrement sur les enjeux de pouvoirimbriqués dans la production et la réception des discours savants.

• La réflexion sur les procédés proprement textuels et intellectuels deproduction de la croyance dans un domaine discursif en coursd’institutionnalisation et de normalisation permettra de poursuivre laréflexion sur le poids spécifique des contraintes liées à la cohérence et àla systématicité des langages savants, et donc d’intégrer les apportspropres à l’histoire intellectuelle dite de Cambridge à des analysesformulées en termes de champs, de stratégies intellectuelles et de capital

75

Savoirs et sociétés civiles entre nationalisation et internationsalisation enFrance et en Grande-Bretagne, 1700-1950.

• symbolique, plus courantes en histoire intellectuelle contemporainefrançaise. Elle permettra aussi de s’engager sur la voie de l’histoire de lalongue durée intellectuelle en travaillant sur la reprise, le réemploi et ladécontextualisation par les auteurs des textes du passé, dans la mesure oùla psychologie des peuples était un genre déjà ancien et puisait dans unrépertoire pluriséculaires de topoi plus ou moins savants, mais qui a étél’objet de réaménagements successifs et d’usages variés qui rendentpartiellement trompeuses les continuités de contenu.

Enfin, ce corpus sera mis en relation avec ceux, mieux connus, des histoiresnationales, telles qu’elles se sont constituées ou reconstituées entre la fin duXVIIIe et la première partie du XXe siècles, et qui proposèrent des formesdifférentes, narratives, téléologiques et légitimantes, d’articulation dudiscours national. Elles tendirent elles aussi le plus souvent, notamment parl’invention des « siècles d’or », à imposer l’idée d’un type national idéal et d’untype national médian. On aura dans ce domaine la possibilité de travailler avecprécision sur les migrations conceptuelles et thématiques entre des régimesde discours différents, mais aussi sur leurs éventuelles convergencesintellectuelles, sociales et politiques, entre société civile et société politique,alors que se déployait la nationalisation de la culture des sociétés impériales.

Laboratoire porteur : Institut d’Histoire Moderne et ContemporaineUniversité de Paris 1- Panthéon SorbonneProjet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Christophe CHARLES

76

APPROCHES PHILOSOPHIQUES DES SAVOIRS

LUNDI 24 MAI 2004

18H10-18H45 Pascal ENGEL Connaissance, révision et changement scientifique

MARDI 25 MAI 2004

9H00-9H35 Gilles CAMPAGNOLO L'école autrichienne et Menger,étude d'épistémologie sociale

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

77

APPROCHES PHILOSOPHIQUES DES SAVOIRS

Pascal ENGELConnaissance, Révision et changement scientifique

THEMATIQUE GENERALE

Le projet « Connaissance, révision des croyances, preuves et changementscientifique » a prend son point de départ dans les travaux contemporains dephilosophie de la connaissance s'inspirant des modèles formels – théorie de laconnaissance philosophique de tradition « analytique », théories de la révisiondes croyances – et vise à les confronter à la fois a l'histoire des sciences et ala psychologie.

Depuis plus d’une trentaine d’années la logique épistémique etl’intelligence artificielle modélisent la révision des croyances, proposant desmodèles de plus en plus complexes, qu’ils soient probabilistes ( « bayésiens »)ou qualitatifs ( théories dites « AGM ») [ voir apprendice par Denis Zwirn] .Parallèlement, on a assisté à un renouveau de la théorie de la connaissance(définition du savoir, de la croyance, et de la justification). Si la portéenormative de ces analyses et modèles ne fait aucun doute, quelle estexactement leur portée descriptive, notamment au regard de l’histoire dessciences ? .

Cette question est souvent posée, mais elle fait rarement l’objetd’examens approfondis. Le but ce projet est d’essayer de faire progressercette confrontation sur trois points spécifiques :

a) Les théories contemporaines de la connaissance formulées par lesphilosophes et les logiques de la révision des croyances ont-elles une basepsychologique ?b) Les approches « bayésiennes », et d’une manière générale les diversesapproches basées sur la logique épistémique de la confirmation des hypothèsesont-elles une portée explicative en histoire des sciences ?c) les théories de la révision des croyances peuvent-elles servir de base à uneanalyse de la preuve en logique et en mathématiques ?

PARTICIPANTS

Le projet associe des chercheurs français, un chercheur italien, et il reposerasur une coopération étroite avec des philosophes des sciences britanniques(London School of Economics) , allemands (Université de Constance)néerlandais (Université de Gröningen), et suédois 5Université de Lund)

Participants principaux au projet : Anouk Barberousse (CNRS, Resheis),Jerome Dokic (EHESS, IJN) Jacques Dubucs ( IHPST) Paul Egre (IHPST),Pascal Engel (Paris IV) , Lena Soler (Nancy, IHPST) , Gabriele Usberti

78

Connaissance, Révision et changement scientifique(Sienne) , Denis Zwirn ( IHPST) , Herve Zwirn (IHPST)

Participants associés : Luc Bovens (LSE) , Fabien Chareix (Paris IV) , StephanHartman (LES et Université de Constance) , Theo Kuipers ( Gröningen) , ErikOlsson (Lund et Constance)

MOTS CLEFS

Théorie de la connaissance, révision des croyances, logique epistemique,changement scientifique, histoire des sciences, Psychologie du raisonnement,psychologie cognitive, croyances

1) REALISATIONS HIVER 2003- PRINTEMPS 2004

le groupe de participants s’est réuni une première fois le 10 octobre 2003pour Discuter du projet ;En octobre 2003 un colloque à l’université Paris IV sur l’œuvre de FrankRamsey, l’un des fondateurs de la théorie contemporaine des probabilités etde la décision, a réuni plusieurs participants du projet (Dokic, Dubucs, Engel,Olsson) et a permis une première confrontation autour de la portée desmodèles probabilistes de révision des croyances ; les actes du colloqueparaîtront dans la revue DialecticaJérôme Dokic, Pascal Engel, et Paul Egre ont animé à l’Université Paris IV uneséminaire de DEA/ Doctorat sur le livre du logicien et philosophie britanniqueTimothy Williamson, Knowledge and its limits (Oxford 2000), qui proposed’analyser la plupart des problèmes de la justification rationnelle descroyances en termes de la notion primitive de connaissance, le 19 janvier 2004,ils ont organisé une rencontre-discussion sur ce livre en présence de l’auteurPascal Engel a dirige une journée d études a Caen le 21 janvier 04 a Caen ( encollaboration avec la Maison de la Recherche en Sciences de l Homme) sur l’ « épistémologie du témoignage » ( participants : Gloria Origii, CNRS ; RogerPouivet, Nancy ; Stephane Chauvier, Caen ; Pascal Engelau printemps 2004 , Pascal Engel est membre invite du Center for AdvancedStudies de l’Académie des sciences de Norvège et participe au projet« Towards a New Understanding of the Mental », qui réunit des philosophesautour de thématiques liées notamment à la théorie de la connaissance.Jérôme Dokic a présente ses hypothèses sur les croyances délirantes dans lecadre du séminaire qu il anime à l Institut Jean Nicod. Certains délires,comme le syndrome de Capgras, constituent un défi pour l'épistémologie, enparticulier pour la théorie des révisions de croyance. Les déclarations despatients atteints de ce syndrome semblent exprimer des croyances, maisceux-ci refusent de les réviser en dépit du bon sens ou d'essayer de lesmettre à l'épreuve par l'expérience. Une hypothèse explorée récemment par

79

Connaissance, Révision et changement scientifiqueJohn Campbell et par Naomi Elian est que les déclarations de ces patientsexpriment non pas des croyances au sens strict, mais des "certitudesprimitives" (Wittgenstein, De la certitude), c'est-à-dire des propositionsqu'ils tiennent pour vraies tout en les soustrayant à l'enquête. La psychologieet l'épistémologie du délire montreraient alors à nouveau les limites d'uneconception monolithique de la croyance et de la connaissance, en mettant enévidence la nécessité d'introduire des états mentaux comme les "certitudesprimitives" autour desquelles s'articule l'enquête.

2) PROJETS 2004

en juin 2004, les logiciens Hans Rott (Regensburg) et (sous réserves) WlodekRabinowicz (Lund) seront invités à présenter leurs travaux en théorie de larévision des croyancesles 13 et 14 décembre 2004, Pascal Engel co-organisera avec Stephan Hartman(London Schools of Economics) un colloque « Modèles formels de révision descroyances et changement scientifique », qui réunira, outre les auteurs durécent ouvrage Baysian Epistemology (S. Hartmann et Luc Bovens), desphilosophes et historiens des sciences londoniens (Donald Gillies, JohnWorrall) ainsi que les principaux participants au projet. Le colloque prendra laforme d’exposés venant d’une perspective « formaliste » ou d une perspective« historienne » sur le changement scientifique auxquels répondront lespartisans de la perspective « rivale » 5

4) PROJETS 2005 - un colloque « retour » du colloque de décembre 2004 sera organisé à laLondon School of Economics soit au printemps, soit à l’automne 2005printemps : invitation du psychologue italien Paolo Legrenzi ( Milan), et atelierautour de la psychologie des probabilitésUn colloque final, en décembre 2005, réunira tous les participants du projet.Sa forme est encore à déterminer, et dépendra en partie de l’avancement destravaux en 2004.

Publications à paraître associées au projet

Jérôme Dokic et Pascal Engel (dir) Numéro spécial de Dialectica sur RamseyJérôme Dokic, Paul Egré et P. Engel, étude critique de T. Williamson,Knowledge and its Limitspublication des actes du colloque de décembre 2004 ( à déterminer)publication des actes du colloque de décembre 2005 ( à déterminer)avec Julien Dutant (doctorant en philosophie de P.Engel, Allocataire à Paris IV)P. Engel dirige une équipe de traduction de textes fondamentaux de théorie dela connaissance contemporaine ( Editions Vrin)

80

Connaissance, Révision et changement scientifique

Appendice 1

PARIS / LONDON WORKSHOPON HISTORY AND PHILOSOPHY OF SCIENCE

FORMAL MODELS OF BELIEF AND THEORY REVISION AND SCIENTIFICCHANGE

ORGANISING INSTITUTIONS : London School of Economics Dpt of Logicand Scientific Method, Programme Histoire des Savoirs CNRS, Université deParis IV-EA Rationalités contemporaines, Institut d’histoire et de philosophiedes sciences CNRS-Université Paris I

Organisers : Pascal Engel (Paris IV Sorbonne), Stephan Hartmann (LSE)

Dates Monday DEC 13/ Tuesday DEC 14 2004

Venue : Paris, Sorbonne and Institut d’Histoire des sciences, 9 rue Du Four75005 Paris

Aims

For a number of years, logicians and philosophers of science havedevelopped models of belief revision, both in the probabilistic and Bayesiantradition and in the qualitative and so called « AGM » approach, and a largebody of literature now exists and is expanding, often associated with work onnon classical logics and computer science. In spite of the fact that many ofthese models are relevant to traditional issues in the philosophy andmethodology of science – such as the nature of confirmation, of scientificexplanation, of theory change or truth – there has been too little contactbetween these formal and logical approaches and more historically orientedwork in the philosophy of science. Recent work on belief revision systems, onBayesian epistemology and on such topics as incommensurability or truthapproximation suggests that a a dialogue between the two traditions can berenewed. The present workshop, which associates researchers from Paris andfrom London, is part of the project « Connaissance, revision, preuve etchangement scientifique » sponsored by the Program Histoire des Savoirs ofthe French CNRS, intends to make a move in the direction of exploring bothther merits and limits of these approaches. It could be the first step of amore regular cooperation between British, French and other Europenaresearchers in these fields. The format of the meeting will be that of targetpapers of about 50 minutes presenting an approach to these issues from oneperspective, and of replies of 15 minutes from a speaker developpingpreferably (but not necesarily) a rival perspective, followed by discussion.

81

Connaissance, Révision et changement scientifiqueProjected participants

Luc Bovens (LSE )Fabien Chareix (Paris IV )Jacques Dubucs ( IHPST, CNRS)Pascal Engel ( Paris IV)Donald Gillies (King’s College, London)Stephan Hartman (LSE )James Mc Allister (Leiden)Lena Soler ( Nancy and IHPST)Denis Zwirn ( IHPST, CNRS)Hervé Zwirn (IHPST, CNRS)John Worrall (LS E)

Appendice 2

Révision des croyances et Changement scientifiqueDenis Zwirn

La théorie de la révision des croyances a été dès l'origine et au moins enpartie, développée dans l'objectif de répondre à des questions de philosophiedes sciences, et plus particulièrement à la question du changement decroyances scientifiques. C'était notamment la motivation principale de IsaacLevi, puis de Gardenförs.

A.Une première série de réflexions peut donc concerner l'analyse des réponsesque la théorie de la révision des croyances initiale (AGM) fournit,intentionnellement et délibérément, à cette question ou à des problématiquesde philosophie des sciences connexes. On peut notamment mettre en avant lespoints suivants :

1. La théorie AGM apporte une réponse formelle à la question du "trilemne deFries", qui est dans la lignée des réponses de Neurath et de Quine. Grossomodo, la science progresse en s'auto-modifiant de manière continue face auxmessages apportés par l'expérience. Cette auto-modification repose sur une« maxime de mutilation minimale », traduite en un ensemble de principes précisde révision minimale de nos croyances initiales. La notion d'"enracinementépistémique", qui permet de reconstruire la théorie de la révision à partir depostulats duaux portant directement sur la comparaison entre les degrésd'enracinement de deux propositions, permet de donner un sens formel àl'idée que le changement - par exemple lorsqu'il s'agit de s'adapter à uneréfutation ou à une anomalie - s'appuie sur certaines parties de notre

82

Connaissance, Révision et changement scientifiqueconnaissance initiale, plus stables que d'autres. Dans la perspective du projet,il est bien sur tentant de faire un rapprochement entre la notion de croyanceenracinée et les notions de paradigme kuhnien ou de noyau dur d'unprogramme de recherche de Lakatos. On trouve la même idée notamment dansla dynamique du progrès scientifique décrite par Larry Laudan. La théorie de larévision des croyances fournirait ainsi un fondement logique clair àd'anciennes notions de philosophie des sciences, déjà elles-mêmes largementconfrontées à et/ou étayées par l'histoire des sciences, mais dont ladéfinition demeurait vague. Cette idée pourrait être systématiquementapprofondie (je ne connais pas de travaux ayant fait un travail de comparaisonsystématique avec cette famille de théories de la dynamique scientifique).

2. La théorie de la révision des croyances a été utilisée, là aussi délibérément,pour tenter de donner une définition logique à d’autres concepts de philosophiedes sciences qui ont jusque là résisté à une définition philosophique claire, enparticulier : l'explication (par Gardenförs lui-même), la verisimilitude(notamment par Ryan & Shobbens, à inviter ?), la confirmation, l'abduction(Flach, Pino-Perez, Boutillier et d'autres…). L’évaluation de ces apportsformels par des philosophes des sciences « classiques » ayant produit desanalyses (récentes) de ces différents concepts serait évidemmentintéressante, par exemple Peter Lipton, qui a écrit Inference to the bestexplanation à la fin duquel il en appelait à de nouveaux outils logiques pourformaliser les analyses du concept d’explication. La force du modèle AGMsemble être de ce point de vue sa capacité à fournir une représentationunifiée d’un ensemble de concepts et d’approches, notamment celles baséespar ailleurs sur la logique monotone la plus « aboutie », c’est à dire le modèlede Kraus-Lehman-Magidor. Un élément essentiel de la critique de laphilosophie des sciences traditionnelle (« déductiviste ») est en effet l’idéeque, même dans les sciences, le raisonnement est toujours non monotone. C’estHempel « lui-même », inventeur du modèle D-N, qui a mis en avant l’idée quetoute théorie scientifique était assortie de provisos qui rendaient leraisonnement irréductiblement non déductif (et qu’il distingue des clausesceteris paribus). Dans la mesure où la théorie AGM est capable de représenterla logique KLM, elle devrait donc être capable de servir de base à cette visionnon-déductiviste du raisonnement scientifique. Peut on par exemple remplacerle modèle D-N ou le modèle I-S (bayésien) par un modèle de raisonnementscientifique non déductiviste basé sur la théorie AGM ? Cette approche peutêtre présentée comme rivale du bayésianisme dans la mesure où elle reposesur l’idée que les scientifiques acceptent des théories dans le cours de leurtravail en rejetant des hypothèses contraires « qui ne peuvent pas êtresérieusement considérées » (Isaac Levi), alors que le bayésianisme considèreque toute croyance est affectée d’un degré. Les logiques auxquelles celaconduit sont très différentes et la théorie AGM semble avoir des résultats quipermettent de sortir de plusieurs impasses du bayésianisme. Ce point est

83

Connaissance, Révision et changement scientifiqueévidemment à discuter avec les bayésiens…ainsi que la question des relationspossibles entre les deux modèles (justification de la règle de Bayes par lathéorie AGM vs fondements bayésiens des modèles de probabilité nonadditives permettant de fournir une sémantique à la théorie AGM).

B.Une deuxième série de réflexions peut concerner les limites rencontrées parla théorie AGM initiale et les développements ultérieurs, qui la complètent oula contredisent. Dans quelle mesure ces évolutions conduisent elles à raffinerla vision du changement scientifique liée à la théorie AGM - ou plusradicalement à la modifier ou à être circonspect sur son apport réel ? De cepoint de vue, voici quelques thématiques qui pourraient être évoquées :

- Comment la théorie AGM peut elle représenter correctement leraisonnement scientifique si elle n'est pas apte - comme le montre sonincapacité à satisfaire le test de Ramsey - à représenter le raisonnementconditionnel, qui constitue un élément important du raisonnement scientifique? Le raisonnement conditionnel est bien sur lié à des concepts essentiels enphilosophie des sciences, comme ceux d'énoncés ou termes dispositionnels, oucomme le concept de loi scientifique. L'opposition, mise en avant par certainset contestés par d'autres, entre "revising" et "updating" est une autrefacette de cette question (étant donné le fait que seul l'updating estcompatible avec le test de Ramsey). Faut il différencier la question duchangement du monde (ou de la simulation) et celle du changement decroyances sur le monde ? Ou faut il amender la théorie de la révision pourconstruire une théorie unifiée qui fasse l'économie de cette distinction ? Estce possible ?

- Comment la théorie AGM peut elle prétendre représenter formellement ladynamique scientifique si elle ne fournit pas de modèle satisfaisant pourl'itération de la révision ? La science ne s'arrête pas au premier message !Plusieurs modèles ont été proposés pour la révision itérée (depuis Darwiche &Pearl), avec notamment une bonne synthèse et des propositions intéressantespar Benferhat, Papini, Pino-Perez et Konieczny (à inviter ?). L’idée de départcommune de ces modèles est de considérer que la révision n'affecte passeulement un ensemble de croyances propositionnelles, mais un "étatépistémique" qui comprend également les relations d'ordre ou d'enracinementépistémique utilisées pour réviser (ce qu'on pourrait traduire par : lechangement de théorie scientifique ne consiste pas seulement à adopter unenouvelle théorie mais plus profondément à modifier la "primauté" accordée àtels ou tels sous-ensembles de notre connaissance). Il serait intéressant deconfronter ces modèles à la philosophie et/ou à l'histoire des sciences pourévaluer la pertinence de certains de leurs principes, par exemple le suivant :Si je reçois un message A qui contredit un message initial B, alors ma croyance

84

Connaissance, Révision et changement scientifiquerévisée (K*B)* A est telle que tout se passe comme si je n'avais jamais reçu lemessage B.Est ce que les scientifiques ne retiennent jamais rien des résultatsd'expériences contredits par des résultats ultérieurs ?

- La théorie AGM repose sur l'hypothèse qu'on accorde une priorité absolue aumessage sur la croyance initiale. Cette hypothèse semble très forte au vu del'histoire des sciences, le message étant parfois lui-même révisé par lacroyance initiale. Il faudrait alors considérer plutôt des modèles de fusion debases de connaissance, comme ceux (encore eux) de Pino-Perez et Konieczny,qui semblent plus réalistes pour s'appliquer au raisonnement scientifique.Cette question est en partie liée à la précédente dans la mesure où il sembleque la limite des modèles actuels de révision itérée tienne à la nécessité deprendre en compte la "force" du message (modèle de Spohn par exemple).

- La théorie AGM est une théorie "cohérentiste" qui suppose que l'objectif duprocessus de révision est de restaurer la cohérence au sein des croyances.L'idée d'un noyau de croyances qui formerait une "base" sur laquelles'appuieraient des croyances dérivées, qu'elles justifieraient est considéréecomme formellement - donc théoriquement - inutile. Pourtant des théories plusrécentes (Alexander Bochman, à inviter ?) montrent que la théorie AGM peutelle-même être considérée comme un cas particulier d'une théorie"fondationnaliste faible". Cette approche ne conduit pas à réhabiliter l'idéed'un fondement (empirique) de la croyance scientifique mais peut-être ànuancer l'idée strictement cohérentiste par celle d'un fondement - statiqueet pas seulement dynamique - de nos croyances par nos croyances, dontcertaines sont des croyances plus "basiques" (à confronter avec le traitementdu problème de la base empirique par des popperiens pure souche comme ElieZahar ?)

- Le cohérentisme de la théorie AGM soulève un autre problème du point devue de la philosophie des sciences : son expulsion du problème de la vérité. Onpeut alors se demander dans quelle mesure une théorie qui fait l’impasse surcette question peut fournir des réponses complètes à la philosophie dessciences et en particulier à la question de la vérisimilitude. Les approches deNiinuluoto et de Kuipers, qui replacent la théorie de la verisimilitude au centredu modèle, peuvent elles alors être considérées comme des alternatives ?

- La théorie AGM suppose que la croyance initiale et la croyance finale sontuniques. Au contraire, la théorie de Alexander Bochman conduit à distinguerentre des "admissible belief states" et des "belief sets", ouvrant la porte à lapossibilité d'ensemble de croyances cohérents multiples. Cette idée a t elleun sens pour l'activité scientifique ? Pourrait on donner des exemples ? Elleest également reprise par Lindström et Rabinowicz (à inviter ?) qui soulèvent

85

Connaissance, Révision et changement scientifiquepar ailleurs une autre lacune de la théorie AGM : il n'est pas possible d'yreprésenter, comme en logique épistémique, les croyances d'un agent sur sespropres croyances. On peut alors étudier le modèle de « logique doxastiquedynamique » de Lindström et Rabinowicz, pour se demander dans quelle mesureune théorie complète du changement de croyances scientifiques requière quel'on soit capable de formaliser les croyances que les scientifiques ont sur leurspropres croyances, entre lesquelles ils peuvent par exemple hésiter.

- Enfin, toujours dans la perspective d’évaluer les apports de la théorie de larévision à la philosophie des sciences, on peut remarquer qu’une de ses plusimportantes limites tient au fait que le critère de rationalité retenu est à lafois conservateur et réducteur. Il est conservateur dans la mesure où lathéorie repose essentiellement sur des principes de révision minimale visant àpréserver au mieux les croyances initiales et à restaurer la consistance face àdes contradictions de nouveaux messages. Toute la nouveauté vientnécessairement de l’extérieur. On peut donc se demander comment lesprocessus de création d’hypothèses / d’invention scientifique pourraient êtreappréhendés par cette approche ? Cela pose le problème de la pertinence desréponses apportées au traitement de concepts comme l’abduction (hum…). Ilest réducteur parce que la philosophie des sciences a mis en avant l’importanced’autres critères de choix rationnel entre les théories : la valeur informative,le pouvoir explicatif, la simplicité, la précision…dont la théorie de la révisionne semble pas capable de rendre compte (bien que selon Levi les degrésd’enracinement épistémiques représentent leur valeur informativecomparative, ce qui a des conséquences sur les types de principes de révisionacceptés…). Est il alors possible d’enrichir la théorie pour y représenter cesdifférents critères de choix rationnel des théories ? Franz Huber parexemple (à inviter ?) propose une analyse de la confirmation (« Logic of theoryassessment »), avec un critère mixant la vraisemblance (« likeliness ») et lepouvoir explicatif (« loveliness ») des théories - dans un cadre formel utilisantnotamment les fonctions ordinales de Spohn (elles-mêmes utilisables pourreprésenter la théorie AGM ou des théories de révision itérée plusélaborées).

Cette question, et certaines des précédentes, est liée d’une manière plusgénérale à une autre critique du modèle AGM pointée notamment parFriedman & Halpern : le caractère obscur des fondements « ontologiques »d’une part de la représentation de la croyance sujette à révision (ensemble decroyances propositionnelles ? ensemble d’ensembles de croyances possibles ?état épistémique incluant des relations d’ordre ?), d’autre part des relationsd’ordre et d’enracinement épistémique sous-jacentes au processus de révision(relations de similarité ? de plausibilité ? de valeur informative ?…). De cepoint de vue, la philosophie et l’histoire des sciences pourrait être utiliséepour éclairer en retour la théorie de la révision des croyances.

86

Connaissance, Révision et changement scientifique

Eléments de Biblio

Alexander Bochman - Entrenchment versus Dependence: Coherence andFoundations inBelief Change. Journal of Logic, Language and Information 11(1):3-27 (2002)

Alexander Bochman - A Foundation theory of belief and belief change,Artificial Intelligence 108, 1999, 309-352

Nir Friedman, Joseph Y.Halpern - Belief revision : A critique, 1998

Franz Huber - The Logic of Theory Assesment, miméo 2004

S. Benferhat, S. Konieczny, O. Papini, R. Pino Perez - Révision itéréebasée sur la primauté forte des observations, Journées Nationales sur lesModèles de Raisonnement (JNMR'99).

Pino Perez et Sébastien Konieczny - De la révision à la fusion de bases decroyances, Révision des croyances (Traité des sciences cognitives), sous la dir.de Pierre Livet, 2002

Pino-Perez, r., Uzcategui, c. - Jumping to explanations versus jumping toconclusions, Artificial Intelligence, 111, 131-169, 1999

Mark Ryan, Pierre-Yves Shobbens - Belief revision and verisimilitude, NotreDame Journal of Formal Logic, Vol 36, N°1, 1995

Sten Lindström, Wlodeck Rabinowicz - Dynamic Doxastic Logic unlimited :accomodating iterated beliefs within DDL, Erkenntnis, 1998

Laboratoire porteur : l’EA 3559 Rationalités contemporaines, UFR de philosophie -Université Paris IV SorbonneProjet de recherche d’une durée de 2 ansCoordination : Pascal ENGELPartenaires : Institut d’Histoire et de philosophie des sciences et des techniquesIHPST (Paris I/CNRS - UMR 8590)Institut Jean-Nicod EHESS-ENS

87

APPROCHES PHILOSOPHIQUES DES SAVOIRS

Gilles CAMPAGNOLOL'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale

I. Rappel des grandes lignes du projet

L’étude du cas économique de l’école autrichienne comme expression de lapostérité de l’œuvre de Carl Menger (1840-1921) doit permettre aux membresdu projet :

- de mettre au point des outils conceptuels d’analyse en épistémologiesociale – notamment en vue de définir l’ « école », le « groupe », le « savoirsitué », etc. Des relations d’influence entre les modes sociaux de constitutiondes savoirs et leur validité scientifique – sans se réduire à une dépendanceidéologique – doivent être mis en évidence.

- de repérer des instruments de diffusion du savoir – notamment par lamanière dont se compose un corpus de textes auquel une école fait référence,et dans quelle mesure elle l’utilise pour des objectifs propres évolutifs en lerévisant. Une approche de philologie comparée complète ainsi l’approchephilosophique de l’évolution des concepts.

L’analyse porte sur :1) le caractère contextuel de la production de ce savoir particulier :

herméneutique d’une école de pensée économique qui constitue l’un desprincipaux courants « hétérodoxes ».

2) la manière dont se forme et évolue un « groupe dépositaire dusavoir » : de la Vienne 1900 à la Grande-Bretagne de l’Entre-deux-guerres puisaux États-Unis de l’après Seconde guerre mondiale, l’évolution de ce groupe àtravers l’exil présente un exemple paradigmatique de relation évolutive dusavoir dont il est détenteur par rapport au cadre d’élaboration et de sonrenouvellement sur lequel élaborer et tester les concepts d’épistémologiesociale.

3) le caractère polémique dans lequel s’est constituée cette école (contrele classicisme et l’historicisme dès son origine chez Carl Menger, contre lemarxisme et le keynésianisme dans l’évolution connue au XXème siècle) : ilpermet d’étudier les structures argumentatives et rhétoriques auxquelles,contrairement aux positions du mainstream économique, cette école s’esttoujours particulièrement attaché et qu’elle s’est elle-même appliqué àdévelopper.

4) les ressorts subjectifs de l’action économique, soulignés par Menger,et repris au fondement de sa praxéologie par Mises (parallèlement à une basea-priori) : ils impliquaient dès l’origine un rapport de l’école à la scienceéconomique sous une approche « cognitive » (considérant temps, ignorance,

88

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie socialeetc.) aujourd’hui réactivée dans les trois disciplines couvertes: philosophie dessciences cognitives, économie expérimentale, sociologie de la connaissance.

Les productions envisagées sont :a) la mise au point de concepts d’épistémologie sociale (articles et

numéros de revues).b) l’établissement du corpus de référence du fondateur de l’école

autrichienne, Carl Menger, avec notamment l’exhumation de textes rares etleur mise à disposition de la communauté scientifique, tantfrançaise (traduction et édition critique de l’œuvre maîtresse (les Grundsätzeder Volkswirtschaftslehre de 1871), qu’internationale (traductions en anglais)et tant classiquement éditoriale qu’ « interactive » (création d’un CD-Rom avecliens hypertexte donnant les correspondances entre les notes portées sur sonmanuscrit et les ouvrages de sa bibliothèque, en collaboration avec le Centred’archives conservées au Japon).

c) la constitution de réseaux, non seulement européens (Autriche,Allemagne, Italie, Angleterre), mais aussi étendus à des équipes en Amériquedu Nord et au Japon (archives).

Les personnes impliquées sont : CEPERC : Gilles Campagnolo (responsableet rapporteur ; [email protected]), Pierre Livet ([email protected]);GREQAM : Aurélien Lordon (doctorant ; [email protected]), JeanMagnan de Bornier ([email protected]), Marc Ohana (doctorant ;[email protected]), Jean Rosio ([email protected]), Miriam Teschl(doctorante, [email protected]), Gilbert Tosi ([email protected]); LAMES : Alban Bouvier ([email protected]), Nicole Ramognino([email protected])

II. Réalisations de la première année du projet

Le cas de l’école autrichienne en économie s’est révélé aussi fécond queles espoirs portés sur lui le laissaient espérer. Outre certains résultatsattendus (dans la définition du savoir situé par rapport aux paradigmes contrelesquels il se fonde), ce sont notamment les « déviations » du projet origineltel qu’il avait été formulé dans les années 1870-80 par Carl Menger qui ontsuscité l’attention du groupe, car ils permettent de pointer la pertinence, maisaussi les faiblesses du concept d’ « école » généralement retenu. Ainsi, il estpossible de peaufiner les outils conceptuels d’épistémologie sociale élaboréspar exemple, à propos de l’école physicienne de Copenhague (objet derecherches antérieures, dans un autre cadre que l’ACI : point 1 supra). Mais ilest aussi nécessaire de porter attention aux obstacles que les théoriesopposées à l’école autrichienne en constitution ont portés au tournant duXIXème au XXème siècle (point 3 – le travail de doctorants sur ce point est àsouligner).La constitution d’un corpus de textes servant de référence faisant foi du

89

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale projet originel conçu par Menger, jugée utile, s’est révélée indispensable

devant les proclamations de la postérité « autrichienne » d’allégeance, danslesquelles il faut faire un tri. Les « claims » de l’école installée aux États-Unisapparaissent parfois surprenants au regard des textes du fondateur (point 2 :sur la place de l’État dans l’émission de monnaie, etc.). Il s’agit toutefoisévidemment moins de dénoncer une possible « captation d’héritage » que dedécouvrir les mécanismes d’une évolution marquée par un contexte de combatsconceptuels (et pratiques) menés par les membres de l’école ; par conséquent,au-delà d’une distinction factuelle entre trois grands courants (kirznérien,rothbardien, lachmannien, héritiers des traditions qui ont divergé dès lagénération de l’Entre-deux guerres, que ce soit avec Hayek, Mises, etc.), on acerné les enjeux d’une diffusion des savoirs des mécanismes de laquelle Hayekavait lui-même cherché à rendre compte. En lui appliquant ses proprescritères, que reste-t-il des prétentions et des fidélités? Ce qu’on croit del’école autrichienne et ce qui en est, diffèrent. Enfin, dans les théoriescontemporaines, en économie évolutionniste d’une part, et en théorie del’argumentation, couplée à une approche de sciences cognitives, d’autre part, ilest possible de tirer parti de cette mise au clair des concepts autrichiens(point 4).

Philosophes, économistes et sociologues partagent, dans le cas présent,un même objet d’enquête au travers du cas d’une école qui s’y prête ensuscitant des enjeux plus larges que la seule technique – soit : quant à laméthodologie économique (individualiste), quant à la place des prises depositions ontologiques (subjectivistes), quant à la lutte pratique dans le champpolitique des « conseillers du prince », etc. – Leur travail concerté a permisune approche à la fois libre (chacun utilisant les outils conceptuels auxquels ilest habitué) et féconde (les critiques des autres incitant à adapter sespropres outils). Cette interdisciplinarité de fait se double, l’objet étant uneécole de pensée européenne qui a émigré, d’un rapport spontané aux équipesétrangères, en particulier autrichiennes et allemandes (c’est bien l’objet !),anglaises et nord-américaines (théorie de l’épistémologie sociale) ou japonaises(archives de Menger).

A. Les activités internes : le groupe a tenu 10 réunions internes, dedeux types :

- 4 séances de mise au point et de pilotage du projet pour mesurer saprogression : les 10 septembre 2003 (mise en place définitive), 18novembre et 9 mars. La dernière séance est prévue le 12 mai avant leprésent colloque de compte-rendu.

6 séances de travail de recherche : 4 (8 oct., 18 janvier 2004, 9 mars, 31mars) ont servi à chacun de présenter et de soumettre à la critique l’état desactivités de sa recherche, et 2 autres ont été des conférences d’intervenantsextérieurs invités: F. Varenne (philosophie) en nov. 2003 et B. Conein(sociologie) en mars 2004. Une

90

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale- 7ème séance présentera le contrepoint historiciste à l’école en cours

de constitution autour de 1900: conférence de Heino Nau (Gœthe-Universität, Francfort/Main)

Les résultats des réunions internes de pilotage ont été une orientationassez précise du projet, tout en restant non directive : les décisions pratiquesont permis notamment

- la constitution d’un fonds de ressources propres concernant l’écoleautrichienne : principalement des ouvrages, mais aussi d’autressupports (microfilms, textes scannés, etc.). Ont été prises en compteles ressources disponibles sur place par ailleurs (bibliothèqued’économie d’Aix-Marseille II, dont G. Tosi, membre de l’équipe estpar ailleurs un responsable, et bibliothèque de droit d’Aix-MarseilleIII, dont la richesse peut être mise à profit quoique n’existe pas delien institutionnel avec l’ACI). Cette « mini » bibliothèque est trèsspécialisée (c’est le but) et très utilisée (turn-over des ouvrages).

- outre diverses missions à titre individuel (colloques et visites decontacts), la participation concertée à des manifestationsinternationales, donnant de la visibilité au groupe en tant que tel.C’est ainsi que deux présentations ont eu lieu dans le cadre d’unemême séance spéciale « Autrichiens » du colloque annuel de l’EuropeanSociety for the History of Economic Thought (« Money andMarkets », fév. 2004). L’une portait sur Böhm-Bawerk et elle estsusceptible de créer une collaboration en Italie (Université dePadoue), l’autre sur un texte rare de Menger (« La monnaie mesure devaleur », Revue d’économie politique, 1892) débouchera (publicationacceptée par la première revue internationale dans le domaine,History of Political Economy, à paraître en été 2005) avec latraduction en anglais et la présentation au public international d’untexte rare de Menger qui, quoique court, n’est pas mineur car ilpermet de contester certaines positions « autrichiennes »ultérieures. De même que dans le cas de la deuxième édition desGrundsätze par Karl Menger (le fils de Carl), il est ainsi possible dediscuter sur un cas précis la pertinence de la diffusion du savoirmengérien dans l’école autrichienne). Or, une discussion en séanceinterne précédait : la méthode de travail se montre productive.

B. Les activités ayant un impact externe sont (travaux réalisés ettravaux en cours) :FONDS / CORPUS : édition critique et traduction des Grundsätze derVolkswirtschaftslehre (1871), avec réalisation d’un CD-Rom (avec lienshypertexte donnant les correspondances entre les notes portées sur son textemanuscrit et les ouvrages de son fonds en collaboration avec le Centre desarchives, Japon). (G. Campagnolo, M. Teschl,

91

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale

- collègues autrichiens et japonais).

- OUVRAGES : o Concepts autrichiens et courants évolutionnistes en économie

contemporaine. (titre à définir, deux chapitres rédigés lors decette année du projet) (J. Magnan de Bornier / G. Tosi)

o De l’herméneutique en économie selon Rothbard, trad., prés. detextes de l’auteur, à paraître en 2005 aux Presses de l’ENS.Conférence prévue à Lyon (séminaire de l’ENS-Lettres) (G.Campagnolo)

o numéro spécial de la revue Raison pratique en préparation :épistémologie sociale et théorie de l’argumentation, not. dansle cas autrichien (A. Bouvier)

- ARTICLES : o « Money as Measure of Value. An English Presentation… »,

HOPE, à paraître, été 2005. Suite à la conférence de l’ESHET2004 (G. Campagnolo)

o « Trois pistes pour comprendre l’évolution de l’écoleautrichienne », Œconomia, à paraître. Suite à une conférencetenue aux journées internationales Menger (Saint-Étienne,CREUSET) (G. Campagnolo)

o « Peut-on justifier le raisonnement en seuls termesd’ordinalité chez Menger ? » (P. Livet)

o Une justification des études empiriques chez Carl Menger ?(confrontation avec les économistes de son époque –historicistes, et regain de l’expérimentation dans les théoriesactuelles). (A. Lordon/ M. Ohana)

o Trois articles sur la notion d’école en épistémologie sociale (A.Bouvier)

o Entrée « épistémologie sociale », Encyclopédie des sciencessociales (A. Bouvier)

- CONFÉRENCES : o ESHET 2004 : Money and Markets: «The Nature of Böhm-

Bawerk’s Capital Market » (J. Magnan de Bornier); « Money asMeasure… »(G. Campagnolo)

o IHPST : La conception scientifique du monde 1918-1938 : « DeCarl Menger à Karl Menger » (G. Campagnolo)

o Association Française de Sociologie : épistémologie sociale (A.Bouvier)

o autres présentations données par les membres du groupeContacts internationaux noués – ou renoués grâce à l’ACI : (indiqué :

contact privilégié)

92

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale- Japon (Tokyo) : Centre du fonds des archives Menger (G.

Campagnolo)- États-Unis (Université Duke) : département de philosophie, Pr.

Rosenberg (P. Livet), département d’économie et archives Perkins (G.Campagnolo)

- Angleterre (Cambridge) : département de sociologie (A. Bouvier) ; surplace en séjour en 2003-04 (M. Teschl)

- Autriche (Vienne) : départements de philosophie et d’économie etcontacts avec l‘éditeur Peter Lang Verlag (G. Campagnolo)

- Allemagne (Francfort/ Main) : département de sciences sociales de laGœthe-Universität (G. Campagnolo)

- Italie (Padoue) : département d’économie (J. Magnan de Bornier)

(Les travaux cités comme les contacts évoqués sont évidemment iciseulement ceux permis en rapport direct avec l’ACI, et ils ont été discutés enséance de pilotage interne ; il va de soi que leurs auteurs les signent en leurnom, mais leurs remerciements vont à l’ACI, rendant visible le groupe qu’elleconstitue. La plupart des travaux sont en cours, certaines publications ayantdéjà fait l’objet d’acceptation par les éditeurs)

Résumons : 1°) les activités ayant un impact externe sont bien ancréesdans celles mises en place au plan interne. 2°) le cadre de l’ACI et les moyensqu’elle a mis à disposition de ses membres sont nécessaires (et pas seulementutiles) pour les réalisations pratiques, notamment éditoriales, tant en termesde moyens financiers (par exemple, le travail sur les archives est facilité parl’équipement en imprimante/scanner, et les missions pour aller chercher lesarchives et exposer les résultats) – rapport financier joint – qu’en tant quelabel qui ouvre des portes ; 3°) le travail étant en cours, c’est à l’avenir qu’ilsera visible mais dès maintenant, les contacts extérieurs sont assurés pour lavisibilité future. Le travail d’auto-réflexion des sciences humaines sur leurconstitution suscite un intérêt certain à l’étranger (appel d’offres enAllemagne, propositions en Italie) ; le choix d’un « cas d’école » permet uneétude précise.

Ceci nous conduit à souligner que les réalisations de cette première annéen’ont de sens que dans la stabilité du cadre mis en place, d’autant plus qu’elledevrait être facilitée par le fait qu’un membre de l’AC (Pierre Livet) devient,en octobre 2004, directeur du CEPERC, unité responsable et gestionnaire de lacoopération entre les trois laboratoires concernés. Les réalisations futures nese limitent pas à ce qui est déjà entrepris. C’est le point majeur : la suite.

III. Réalisations programmées pour la suite du projetLes listes des travaux en cours de réalisation et des contacts noués ont déjàmis en évidence que notre projet ne se conçoit que dans la continuité ;

93

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale

c’est pourquoi ce compte-rendu demande le renouvellement pour l’année 2004-2005 de l’Action Concertée - Histoire des savoirs : L’école autrichienne etMenger, étude d’épistémologie sociale.

Mais non seulement pour mener à leur terme les travaux présentementengagés (ouvrages, articles en cours de référés), nous demandons lareconduction des conditions permises par le cadre de l’ACI : il s’agit encoreaussi de développer notre projet. Le mener à bon port signifie également desdéveloppements neufs. Sont envisagés:

o le développement de l’analyse subjective en prenant l’approcheautrichienne comme étude de cas : proposition d’article (N.Ramognino souhaite s’impliquer dans cette deuxième partie/deuxième année)

o la poursuite vers une application aux théories contemporainesdes concepts retrouvés aux origines de l’école autrichienne(deuxième article des doctorants du GREQAM) et suite del’ouvrage (Magnan de Bornier/ Tosi)

o une monographie consacrée à Menger à partir d’autres inéditsde ses archives (qui serait peut-être proposé aux Éditions duC.N.R.S.) (G. Campagnolo)

- se donner de la visibilité au plan international :o du point de vue relationnel : le groupe commence à se faire

connaître. D’Amérique du Nord, le Pr. Rosenberg (Universitéde Duke) dans le cadre du Roundtable for Social Philosophy,d’une part, le Groupe de recherche en épistémologie comparéede l’UQÀM (Montréal), d’autre part, intéressés par notrethème, proposent des contacts en 2004-2005.

o du point de vue éditorial : les liens tissés avec les collèguesautrichiens et allemands et les éditeurs (Peter Lang, Springer)doivent porter leurs fruits à terme sous forme de possiblescontrats d’édition (à Vienne, malgré quelques difficultéslégales et pratiques) et de participation à des programmes derecherche sur le thème de l’autoréflexion des sciencessociales. Le projet de CD-Rom avec les collègues japonais doitêtre réactivé car il connaît du retard.

94

L'école autrichienne et Menger, étude d'épistémologie sociale

Dans tous les cas, les moyens et le label C.N.R.S. sont décisifs pour poursuivreces relations.

- donner de la visibilité au groupe en tant que tel, à Aix-en-Provence,France :

o des journées régulières en interne, comme cela a été faitjusqu’ici, pourraient soit être plus fréquentes, soit être plusouvertes. Il faut cependant tenir compte des impératifs dechacun, préférer la mesure, et ne pas diluer l’objet de larecherche. C’est pourquoi, pour un public plus large,conviendraient :

o une journée de bilan à mi-parcours (des trois annéesdemandées lors du dépôt du projet) permettrait au printemps2005 de faire un bilan des résultats qui seront alors d’ores etdéjà acquis.

o surtout une grande manifestation (journée, colloque de deuxjours, éventuellement invitations d’étrangers) à l’occasion de laparution des ouvrages prévus (cf. supra) et de l’éditionfrançaise du texte de Menger, devra marquer le moment deparution, montrer l’importance de l’événement.

Le caractère à la fois d’emblée interdisciplinaire et international de l’objetchoisi, comme sa modestie (l’étude d’un cas précis) permettent d’obtenir desrésultats réguliers (en termes des colloques et de publications), en ayant putester leur pertinence dans le petit groupe qui s’est réuni – en émulation avecl’activité de chacun dans son laboratoire principal.

Laboratoire porteur : CEPERC, UMR 6059 - Aix-en-ProvenceProjet de recherche d’une durée de 2 ansCoordination : Campagnolo Gilles- Livet Pierre

95

SAVOIRS SITUES SUR LES SOCIETES AUTRES

9H35-10H10 Pierre-Antoine FABRE Savoirs missionnaires dans le monde ibérique(XVI°-XVII siècles)

10H10-10H45 Alain LERNOULDL'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude

interdisciplinaire sur les processus de différenciationscientifique des disciplines dans le domaine de l'Antiquité.

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

96

SAVOIRS SITUES SUR LES SOCIETES AUTRES

Pierre-Antoine FABRESavoirs missionnaires dans le monde ibérique

(XVI°-XVII° siècle)1. Le projetDès la fin du XVIème siècle, des milliers de religieux quittent l’Europe pourl’Afrique, l’Amérique et l’Asie. Ils emportent avec eux des dogmes et demultiples savoirs. Ils rencontrent d’autres dogmes et d’autres savoirs.Comment ces hommes se représentent-ils les horizons vers lesquels ils sedirigent et qui ne restent pas longtemps inconnus ? Quelle image de leurpropre univers produisent-ils et reproduisent-ils dans les lointaines contréesoù ils l’exportent ? Dans ce moment une culture du monde s’invente, espace decirculation des savoirs, de relation et de relativité des dogmes, espace d’unmonde un et multiple. C’est à une nouvelle découverte de cette culture quel’équipe réunie souhaite s’engager, à partir de l’exploitation d’une sourceexceptionnelle et qui n’a jamais fait l’objet d’une enquête rigoureuse : lesmilliers de lettres adressées par des membres de la Compagnie de Jésus ausupérieur général de leur Ordre pour leur demander l’envoi « a las Indias ».Pourquoi, en fonction de quelles informations - sur les autres et sur eux-mêmes, en possession de quels bagages, techniques, scientifiques,théologiques ? Pour le savoir, il fallait réunir des chercheurs des deux rives,bons connaisseurs de la première modernité européenne et familiers des« terres de mission ». C’est ce que tente ici le Groupe de recherches sur lesmissions ibériques modernes, réunion de spécialistes français, italiens,espagnol et brésilien de l’Asie, de l’Amérique et de l’Afrique. Familiers dutravail commun, ce groupe de chercheurs a prévu une mise en valeursystématique de ce fonds et d’autres sources connexes, avec l’ambition derépondre à la question : la mobilité des religieux missionnaires n’est-elle quel’instrument d’un point de rencontre entre des savoirs hétérogènes ou est-ellele lieu d’un double questionnement de ces savoirs situés, au bénéfice d’uneexpérience de la situation de l’homme dans le monde ? La culture missionnaireest-elle une culture ethnographique , ou a-t-elle un horizon proprementanthropologique ?Les historiens, nombreux, qui croisent dans leurs travaux, quel que soit leur nature(histoire religieuse, histoire culturelle, histoire sociale des migrations, histoireéconomique de l’expansion européenne) l’itinéraire de ces religieux , se heurtent àce problème, et se heurtent surtout peut-être à la difficulté de devoir penser desréponses différentes à cette question en fonction des univers auxquels ils ontaffaire. Les sources nouvelles que nous voulons faire connaître les y aideront.

97

Savoirs missionnaires dans le monde ibérique (XVI°-XVII° siècle)

2. EvolutionEn poursuivant le dépouillement systématique d’un premier ensemble d’unmillier de lettres environ écrites entre 1581 et 1615 par des jésuitesespagnols, italien s et portugais, l’équipe est parvenue à deux constatsprincipaux :a) l’une des questions les plus difficiles, mais aussi les plus centrales pourl’intelligence de cette sources, est celle de la fracture entre d’une part ce quenous pouvons connaître de la circulation en Europe d’un premier savoir sur lesmondes extra-européens (à travers les récits écrits ou oraux desmissionnaires eux-mêmes, mais aussi ceux des marins, marchands, soldats,etc.), et d’autre part ce que les lettres Indipetae relaient de ce savoir – c’est-à-dire très peu de choses. Comment comprendre ce hiatus ? La réponse àcette question nous apparaît de plus en plus nettement comme un élémentfort pour rendre compte des mobiles de la vocation missionnaire dans cettepériode, mais aussi pour percevoir les raisons pour lesquelles ce savoir n’étaitpas complétement assimilable par une conscience européenne.b) la poursuite de l’enquête dans cette direction demande deux compléments :le premier, synchronique, pour replacer rigoureusement les Indipetae dans lecontexte de leur production (avec d’autres correspondances, des chroniquesdes collèges concernés par les demande de départs, etc.), le second,diachronique, pour mesurer les évolutions de ce hiatus.

Aussi l’équipe a-t-elle décidé de lancer une seconde série de dépouillements,pour la période 1687-1705. Cette période présente en effet un tripleavantage :- elle permet, à l’autre extrémité du XVIIe siècle, de marquer leschangements our les continuités, sur ce sujet particulier comme sur l’ensembledes données rhétoriques, spirituelles, admisnistratives, géopolitiquesattachées à ces lettres ;- elle correspond au généralat du jésuite espagnol Tirso Gonzalez, dont lacarrière est entièrement marquée par l’activité missionnaire et dont legénéralat est également fortement animé par cet horizon, comme l’avait étécelui de Claudio Acquaviva (1581-1615), qui correspond à notre premier sériede lettres dépouillées ;- enfin, les lettres de cette seconde période déploient un espace partiellementdifférent, puisqu’elle ne sont plus seulement luso-hispano-italiennes, maiségalement françaises, belges, allemandes, bohémiennes : elles permettentdonc, outre une comparaison terme à terme entre, par exemple l’Espagne de1600 et celle de 1700, une comparaison entre des espaces culturelsdifférents, dont l’implication dans l’expansion européenne est depuis le départdifférente.

98

Savoirs missionnaires dans le monde ibérique (XVI°-XVII° siècle) Le choix de ces deux périodes rend possible l’exploitation systématique desdeux séries de lettres, et rend aussi possible la constitution d’un contexteapprofondi. C’est donc dans ce cadre que l’enquête se développera , avec lecalendrier précisé ci-dessous. Elle aboutira, à partir de la source desIndipetae, à faire pour la première fois une histoire concrète des voies parlesquelles les savoirs progressivement constitués par les religieuxmissionnaires sur les mondes extra-européens ont conflué vers l’Europe,comment ils ont modifié la perception européenne du monde, à travers quellesévolutions ils ont pénétré la culture européenne. Elle aidera à réintroduire unpan entier et méconnu de la circulation des savoirs à l’époque moderne dans laculture historienne.

3. Réalisationsa) passées- Une première journée d’étape (avec la participation de deux descorrespondants étrangers de l’équipe, Federico Palomo et Paolo Broggio) a étéorganisée à l’intiative de Pascale Girard et avec le soutien du Départementd’histoire de l’Université Marne la Vallée le 7 février 2004 : elle a permis un« test » de la fonctionnalité des dépouillements effectués, en soumettant à labase en cours d’élaboration une série de questions, portant sur le nombre desdemandes, les catégories de demandeurs (âge, grade, niveau de culture...).Cette étape technique a permis, dans les semaines qui ont suivi, d’affiner lequestionnaire et de parvenir à une formulation largement définitive.- Deux premières présentations de l’enquête en cours ont été faites, lapremière à Lyon II en octobre 2003 (par Aliocha Maldavsky), la seconde àRome en février 2004 (par Charlotte de Castelnau) : cette dernièreintervention avait lieu dans le cadre d’une semaine d’études doctoralesorganisée à l’Ecole Française de Rome sur « Le phénomène des missionsd’évangélisation dans l’histoire du christianisme », et a permis de mettre enévidence, dans la longue durée, les ruptures et les continuités dans les formesde savoir accumulés par les religieux missionnaires. La longue durée fait mieuxvoir la teneur scientifique de la culture missionnaire moderne, et, inversement,la réalité des cadres de compréhension religieux dans les savoirs coloniaux del’époque contemporaine. La présentation de l’enquête en cours dans lecontexte de ces journées a confirmé sa pertinence pour une histoire dessavoirs.

b) actuelles- Parallèlement , les Indipetae correspondant à la période 1687-1705 ont étérépertoriées aux Archives romaines de la Compagnie de Jésus. Les CDRomcorrespondant sont en cours de réalisation et permettront la poursuite dudépouillement à Paris.

99

Savoirs missionnaires dans le monde ibérique (XVI°-XVII° siècle)

c) à venir- la limitation raisonnée de la chronologie de l’enquête et l’engagement de deuxmembres de l’équipe (Hervé Pennec et Jean-Paul Zuniga) à prendre en chargela gestion informatique des données rendent possible et utile la constitutiond’une base systématique, publiable et destinée à d’autres chercheurs pour lapoursuite de l’exploitation de la source des Indipetae, qui, rappelons-le, est iciexploitée pour la première fois à cette échelle (2000 lettres environs pour lesdeux périodes considérées).- cette base, qui pourra à terme être installée sur le site du Centre

d’anthropologie religieuse européenne (CARE, centre d’accueil de notreACI), sera présentée lors d’un colloque international en cours deprogrammation a la Casa de Velazquez de Madrid, avec la collaboration del’Ecole Française de Rome. Ce colloque accueillera par ailleurs une série decontributions issues de l’exploitation de cette base, ainsi que d’autreschercheurs, ayant rencontré avec d’autres objectifs et d’autres méthodesla même source des Indipetae. Ce colloque, prévu pour le premier trimestre2006, marquera le terme de nos travaux. Il pourra être publié encollaboration entre Madrid, Rome et Paris (EHESS), avec un soutienfinancier de l’ACI.

Précisons enfin que le prochain déménagement du CARE (au printemps 2004)dans des locaux plus vastes qu’à l’heure actuelle favorisera l’implantation d’unposte de travail permanent pour l’équipe et de bonnes conditions de travail etd’utilisation du matériel informatique acquis pour l’élaboration de la base.

Laboratoire porteur : EHESS - ParisProjet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Pierre-Antoine FABRE

100

SAVOIRS SITUES SUR LES SOCIETES AUTRES

Alain LERNOULDL'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude

interdisciplinaire sur les processus de différenciation1. LES GRANDES LIGNES DU PROJET

Le projet a pour objet l’étude de la tradition classique en Europe.Cette limitation à la culture classique européenne n’est bien sûr pasl’expression d’un repli sur soi, en réaction à une situation de crise des étudesclassiques en Europe. Le geste narcissique d’une auto-célébration de notretradition classique ne ferait qu’entretenir et même aggraver de fait lasituation de crise. Le projet a pour vocation de s’ouvrir sur une vastecomparaison de différentes traditions classiques (notamment chinoise,juive, arabe) de manière à dégager ce qui est spécifique à chacune. Le projetactuel doit donc être considéré comme constituant une première étape,préparatoire à une enquête plus vaste «decentrée». En même temps leprojet , de par son objet même, se présente comme répondant à la nécessitéde promouvoir une réflexion interdisciplinaire sur le processus demodernisation des disciplines classiques qui a conduit à un éclatement de lascience de l’Antiquité (die Altertumwissenschaft) en une multitude desciences spécialisées ne communiquant pratiquement plus entre elles.Certes, la séparation de disciplines enfermées dans leur spécialités n’estpas en elle-même facteur de crise (de fait dans le domaine des sciences dites«dures» spécialisation extrême ne rime pas nécessairement avec crise).Mais dans le domaine des sciences humaines l’analyse du processushistorique de différenciation des disciplines est un moyen de répondre àdes questions plus générales intéressant l’ensemble des sciences historiqueset sociales : par exemple, peut-on parler de l’unité d’une culture, quelledifférence établir entre histoire et évolution, que signifie établir un rapporttransculturel entre une société (celle des historiens, philosophes ou encorephilologues actuels ) et une autre (celle qu’ils étudient) ?

2. ÉTAT D’AVANCEMENT DU PROJETLa mise en œuvre du projet est passée par les trois opérations

suivantes que j’ai assumées : 1) la mise en route d’achats réguliers et suivisd’ouvrages pour la constitution d’un fond de documentation spécifique auxtravaux menés dans le cadre du projet . 2) la constitution d’un premier noyaustable de chercheurs travaillant dans des disciplines diverses et venantde différents pays européens. 3) L’organisation d’une première rencontre le

101

L'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude interdisciplinairesur les processus de différenciation

4 décembre 2003, dont je donne ci-dessous le programme :

Journée d’étude. Jeudi 4 décembre 2003 L’ANTIQUITE ET LES DISCIPLINES SCIENTIFIQUES

(organisateur : Alain Lernould. CNRS. UMR 8519. Lille)

Université de Lille 3. Maison de la Recherche (Salle 104)

15.2 Matin

• 10h15 : Accueil• 10h30 : Alain Lernould (Lille). Ouverture et communication

introductive : les propositions lilloises.

• 11h-12h : Valéria Andò (Palerme). « Le modèle historico-philologiqueallemand. Anthropologie et philologie. Le programme palermitain derecherches interdisciplinaires ».

• 12h-13h : Gabor Betegh (Central European Univ. -.Budapest). «Lesétudes

classiques en Hongrie».

15.2.1 Après-midi

• 14h-15h : G. Karsaï : (CEU – Budapest). «Le projet MultiplesAntiquities»

• 15h-16h : Pierre Judet de La Combe (EHESS Paris). «La missionministérielle

sur les études classiques en France et en Europe».• 16h-17h : Catherine Darbo-Peschanski (CNRS. Centre L. Gernet.

Paris). «La question de la traduction».• 17h-18h : Glenn Most (Scuola N.S. Pise). «Bilan des travaux menés

dans le cadre programme Aporemata. Krtitische Studien zur Philologiegeschichte».

Ce programme constitue une première approche d’un thème central dans

102

L'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude interdisciplinairesur les processus de différenciation

le cadre du projet, à savoir : «Les images construites de l’Antiquité».C’est ainsi que dans ma communication introductive je rappelle, en, guise depréliminaires, la distinction qu’établit Max Weber entre les trois approches dupassé :

(1) L’approche historique proprement dite, où il s’agit d’intégrer l’objetcomme élément dans une relation causale au sein d’un ensemble réel.Le critère de reconnaissance du fait historique est la mise enévidence (de manière démonstrative) d’un effet réel (d’une influencecausale ) sur une quelconque époque postérieure. Telle décision deThémistocle, par exemple, dont les répercussions sont encoresensibles aujourd’ui. Weber associe à cet intérêt la catégorie de«raison d’être (Realgrund) ».

(2) Un fait peut aussi être étudié non pas parce qu’il constitue unchaînon dans un ensemble historique réel, mais parce qu’il nouspermet de construire les concepts génériques (abstraits) , qui sontnos moyens de connaissance. Weber parle alors de «raison deconnaître» (Erkenntnisgrund).

(3) L’approche «axiologique», où l’objet est considéré en lui-même dansson rapport aux valeurs, pour être «interprété». La valeur conférée àl’objet peut être affirmée comme absolue, intemporelle. C’est le pointde vue humaniste , «classique», qui voit dans la culture antique unmodèle dont l’efficacité ne relève pas du fait historique, mais d’uneinfluence que cette culture doit avoir sur notre éducation. Ou bien aucontraire, d’un point de vue moderne, la culture antique est perçuecertes comme idéal, mais comme idéal définitivement révolu, etcomme une culture nous étant étrangère dans sa singularité.

A partir de là, et dans le cadre du thème général des «Figuresconstruites de l’Antiquité» se présente tout ensemble de questions et d’axesd’études, tels que :

- l’histoire des concepts (par exemple celui de «site» en archéologie) - la recherche du réel (avec l’attraction exercée par l’archéologie) - le thème de l’esthétique , par exemple avec la notion de «classicisme» oude «classique» comme sentiment ou «sentir»; ou encore l’esthétisme de laraison ou du raisonnement (chez les philosophes) versus l’esthétisme du mot(chez les philologues)

- et d’une manière plus générale : l’imaginaire dans les démarches qui seveulent scientifiques.

La question de la construction des images de l’Antiquité ne renvoie passeulement aux phénomènes bien connus d’approriations nationales del’Antiquité (par exemple la Grèce dorienne allemande versus la Grèce inoniennefrançaise). Elle renvoie aussi, entre autres, à la nécessité, contre lestendances «déconstructionnistes», à légitimer la construction elle-même.

103

L'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude interdisciplinairesur les processus de différenciation

D’autres questions encore , liées au thème général des «images construites del’Antiquité», se posent, notamment :

- la question de la traduction- l’ouverture des disciplines vers le mondain, le public cultivé

- ou encore : le «concept» de Renaissance.

Comme on peut le voir, la rencontre du 4 décembre 03 a perrmis d’aborderplusieurs de ces points et les discussions menées tout au long de cette journéeont débouché sur l’adoption du thème qui fera l’objet d’un prochain colloque enjuin.

3. OPERATIONS PREVUES

I . Colloque du Vendredi 25 juin 2004 à Lille.

Un prochaine rencontre, organisée par moi-même, aura lieu à Lille leVendredi 25 juin 2004 sur le thème suivant :

« Les justications des études classiques du XIVè s. à nos jours. LesAnciens sont-ils bons à penser et quels Anciens ? »

L'idée est de prendre 3 ou 4 textes par période et d'examiner à chaquefois dans leur contexte propre les modes d'argumentation. Il ne s'agit pasd'une étude exhaustive mais d'un premier balisage qui nous permette de nousorienter en procédant à une historisation de cette question de la légitimationdes études anciennes

Les textes confrontés peuvent aussi bien sûr être des textes donnantdes arguments contre les études classiques. Ils peuvent être des productionsacadémiques, mais aussi provenir de non-spécialistes (des journalistes parexemple). L'enquête proposée sur les argumentations développées pour (oucontre) les études anciennes depuis le Moyen-Âge permettra ainsi de mettreen perspective la crise des études anciennes qui a coïncidé avec la naissancemême des sciences humaines à l’aube du XIXè siècle.

Ont donné leur accord pour participer à ce colloque la plupart desparticipants à la journée de décembre 2003. D’autres, qui n’avaient pu assisterà cette première rencontre, se joindront à nos travaux , notamment ClaudeCALAME (Directeur d’Étude à l’EHESS Paris) et François LISSARRAGUE(Directeur du Centre L. Gernet ). Un dossier de textes est en cours deconstitution, qui vont donc du Moyen-Âge jusqu’à notre époque (Pavese,Calvino), en passant par la Renaissance (P. Cortesi, Pic de la Mirandole).

II. Le séminaire commun Lille (UMR 8519 «Savoirs et Textes ») - Paris(Centre Louis Gernet).

104

L'antiquité grecque et les disciplines scientifiques. Etude interdisciplinairesur les processus de différenciation

En accord avec François Lissarrague, Directeur du Centre Louis Gernet, leprojet va prendre prochainement (à la prochaine rentrée en automne 2004 ) laforme d’un séminaire commun qui associera Lille et Paris. Dans ce cadreinstitutionnel permettant des travaux réguliers selon un rythme plus resserréqu’une rencontre tous les six mois, le projet entrera dans une dynamiquenouvelle. Un des intérêts majeurs de cette association est qu’elle permettrade développer l’interdisciplinarité en réunissant la philologie, la philosophie etl’histoire des sciences de Lille 3 et Lille 1 avec l’anthropologie comparatistedu Centre Gernet , où l’Antiquité grecque et romaine a toujours été étudiéedans la perspective de son rapport ave le Proche Orient ancien, ou encore laChine et l’Inde anciennes, et où aussi l’étude des images s’est constituée endiscipline autonome grâce à Fr. Lissarrague.

Laboratoire porteur : CNRS, U.M.R. 8519 «Savoirs et Textes» Lille 3Projet de recherche d’une durée de 2 ansCoordination : Alain LERNOULD

105

SAVOIRS SITUES DE L'EUROPEMODERNE ET CONTEMPORAINE

11H00-11H35 Annie BRUTER

Le cours magistral : modalité et usages(XVI°-XX° siècles). Pratiques orales et pratiques écrites

dans la constitution et la diffusion des savoirs.

11H35-12H10 Hugues CHABOTD'Alembert et l'Académie des sciences : objets, formes

et enjeux des savoirs scientifiques à l'époquedes lumières.

12H10-12H45 Davis AUBIN Savoirs et techniques de l'observatoire,fin XVIII°- début XX° siècles

12H45-13H20 Dominique TOURNES Les instruments du calcul savant

COLLOQUE "HISTOIRE DES SAVOIRS"

106

SAVOIRS SITUES DE L'EUROPEMODERNE ET CONTEMPORAINE

Annie BRUTER Le cours magistral : modalité et usages (XVI° - XX° siècle)

Dès lors que la transmission des savoirs s’est institutionnalisée, elle a pris laforme d’un maître qui s’adresse à des disciples. Cette forme d’enseignementn’a cependant fait jusqu’à présent l’objet d’aucune étude historique en tant quetelle, comme s’il s’agissait d’une pratique immuable quels que soient lescontenus enseignés et les contextes (institutionnel, matériel, scientifique)dans lesquels elle prend place. Il faut dire que le cours magistral estgénéralement considéré de manière péjorative : dans les recherches récentessur l’apprentissage, il apparaît souvent comme une forme d’enseignementarchaïque et inefficace. Pourtant, il n’existe aucune évaluation permettant defonder cette affirmation sur des données comparatives, et la notion même de« cours magistral » est incertaine et plus moins extensive (enseignementfrontal collectif, enseignement centré sur le professeur, et ainsi de suite).C’est ce terrain à peu près inexploré que l’équipe réunie autour de ce thème aentrepris de défricher, en se limitant aux enseignements visant à énoncer etfaire circuler des savoirs, c’est-à-dire à l’enseignement supérieur ou de find’études secondaire, à l’exclusion des niveaux plus élémentaires où l’objectifde formation voisine avec l’objectif de transmission, ou même l’emporte surlui ; ont été également exclues les formes non institutionnelles d’enseignement(conférences, universités populaires, etc.).

La constitution de l’équipe s’est faite sur la base d’une définition très large ducours magistral comme ensemble spécifique de pratiques orales et écrites àvisée didactique, de façon à regrouper des historiens des sciences et deshistoriens de l’éducation ayant travaillé sur des disciplines diverses. Lefonctionnement du séminaire qui s’est tenu cette année a montré la féconditéde cette approche : bien que la majorité (mais non la totalité) descommunications ait porté sur l’enseignement des sciences, la présence despécialistes d’autres disciplines a contribué à orienter un certain nombre dequestions et débats vers des thèmes proprement didactiques : niveau du courspar rapport à celui des élèves, moyens matériels de la prise de notes, partrespective de l’approche théorique et de l’approche pédagogique dansl’élaboration du cours par le professeur, etc.L’équipe avait défini ses tâches selon trois grandes directions : le recensementet la mise à disposition de sources, la constitution d’une méthodologie pourleur étude, l’élaboration de repères pour une histoire du cours magistral. C’est

107

Le cours magistral : modalité et usages (XVI° - XX° siècle) sur la première qu’a porté l’essentiel de l’effort en cette première année. Lessources, c’est-à-dire principalement (mais non exclusivement) les cahiersmanuscrits de professeurs et d’élèves, existent en nombre plus grand qu’on nele croit, mais leur grand défaut est d’être dispersées, et surtout nonrépertoriées – ce qui traduit le manque d’intérêt de la recherche pour lessources en question jusqu’à une époque récente : témoin les répertoiresregroupant plusieurs centaines d’items qui ont pu être constitués, à des datesdiverses, pour les cours manuscrits de rhétorique et belles-lettres (PierreAlbertini), ou pour les cours de chimie (Antonio García Belmar et José RamónBertomeu-Sánchez). Par ailleurs, plusieurs cahiers conservés dans desbibliothèques parisiennes (BIUM, BIUP) ont pu être photographiés en vued’une mise en ligne grâce à la compréhension des conservateurs concernés. Cetravail a débouché ou débouchera prochainement sur un certain nombre depublications en ligne (exposé sur les « feuilles classiques ; répertoire des coursmanuscrits de chimie, rhétorique et belles-lettres ; reproductions de cahiersde cours de Thénard et Rouelle) consultables à l’adresse suivante :http://www.inrp.fr/she/cours_magistral/index.htmCe mode de publication a en effet été retenu d’emblée comme le plus adaptéaux besoins des chercheurs (il s’est toutefois révélé extrêmementconsommateur de temps et de main d’œuvre, malgré l’embauche d’un vacataireà cet effet).Les problèmes méthodologiques ont été abordés en séminaire à l’occasion desexposés. Ils n’ont pas encore fait l’objet d’une synthèse du fait que l’examendes divers types de sources utilisables n’est pas encore exhaustif, bien qu’unbon nombre d’entre eux aient été présentés à l’occasion des divers exposés : àcôté des « feuilles classiques » étudiées par Marie-Madeleine Compère, cesont des manuscrits de professeurs (Lagrange, Varignon, Haüy) qui ont faitl’objet des exposés de Bruno Belhoste, Jeanne Peiffer, Christine Blondel ; descahiers rédigés par des auditeurs de cours de chimie ont d’autre part étéexaminés par Christine Lehman et d’autres doivent l’être par José RamónBertomeu et Antonio García Belmar ; plans des locaux, affiches, annonces dansles gazettes, iconographie, ont également été mis à contribution.Une première conclusion, qu’il peut être utile de rappeler face à la tentation deconsidérer l’exposé magistral comme un savoir clos sur lui-même, se dégagedès à présent : la nécessité de croiser les sources, de façon à en reconstituerle contexte aussi finement que possible (les plans montrant la dissociationspatiale entre amphithéâtre et laboratoire n’ont, par exemple, pas moinsd’importance que d’autres documents pour connaître l’enseignement de lachimie au XVIIIe siècle). Le recours à un registre de sources aussi étendu quepossible permet par ailleurs de prendre en compte les diverses phases del’élaboration d’un savoir donné (ainsi, le cours de Lagrange a donné lieu à desnotes préparatoires, à plusieurs exposés oraux successifs, à des publicationsimprimées qui ont été retravaillées, à des prolongements dus à certains de sesauditeurs, comme Fourier et Poisson).

108

Le cours magistral : modalité et usages (XVI° - XX° siècle) On rencontre, ce faisant, un certain nombre d’énigmes à résoudre : a ainsi étésoulevé le problème des conditions matérielles de la prise de notes (les cahiersd’élèves dont on dispose sont-ils le reflet direct de leur travail pendant lecours ou plutôt le résultat d’une mise au net ultérieure ?) et celui duvocabulaire employé (« lire » désigne-t-il au XVIIIe siècle un acte effectif delecture, supposant la dictée du cours, ou l’acte d’enseignement en général ?). Sices problèmes ne sont toujours pas résolus, leur mise au jour permet en toutcas de préciser le « questionnaire » de l’historien pour les recherches à venir.

Les repères pour une histoire du cours magistral ont été abordés dans unexposé introductif (Annie Bruter) s’essayant à situer l’origine de l’expression« cours magistral », laquelle apparaît tout à fait récente alors que « cours »est un très vieux mot hérité des universités médiévales. Il s’agissait d’étudierl’évolution qui a fait passer ce dernier mot du sens de « parcours au sein dusavoir » à celui de « leçon » ou de « classe ». Cette recherche se poursuit parl’exploration du vocabulaire des textes officiels sur l’enseignement, avecl’objectif d’établir quelques repères chronologiques précis.D’autres repères, d’ordre disciplinaire, ont pu être posés dans le cadre desdivers exposés. On voit par exemple, grâce au cahier sur lequel le surveillantgénéral contrôlait l’assiduité des élèves à l’École polytechnique, que le cours deLagrange, trop difficile pour la majorité d’entre eux, a rapidement étédéserté ; il est de fait devenu une sorte de séminaire mobilisant desmathématiciens de haut niveau, dont le travail sur les fondements du calculdifférentiel et intégral a joué un rôle considérable dans le développement del’analyse au début du XIXe siècle. Cent ans environ auparavant, et à un moindreniveau, le cours de mathématiques de Varignon apparaît, au début du XVIIIe

siècle, très fortement structuré ; il ne repose cependant pas sur lesdéfinitions euclidiennes mais sur d’autres, qui semblent choisies pour leurvaleur « pédagogique ». L’étude du cours de René-Just Haüy à l’École normalede l’an III a mis en évidence le passage de la physique « spectacle » qui étaitcelle du XVIIIe siècle à une physique explicative, plus austère – mais dont laprétention à se fonder sur les mathématiques apparaît davantage comme unerhétorique de légitimation que comme le reflet d’une réalité. La présentationdes cahiers des auditeurs de Rouelle et Venel a permis d’appréhenderl’extrême complexité des facteurs qui ont favorisé le rapprochement del’exposé théorique et des démonstrations dans l’enseignement de la chimie auXVIIIe siècle, depuis l’engouement pour la science jusqu’à l’intérêt pourl’exploitation du sous-sol en passant par les exigences liées à l’exercice desdiverses professions médicales. Dans un autre ordre d’idées, enfin, l’étude des« feuilles classiques » a montré la solidarité qui lie, à une époque donnée, unsystème économique et technique, celui de l’imprimerie moderne et de sesmodes de commercialisation, à un type déterminé d’enseignement, ici lapraelectio humaniste.La moisson de ce séminaire centré sur le cours magistral se révèle donc

109

Le cours magistral : modalité et usages (XVI° - XX° siècle)

fructueuse, combinant l’approche externe de la constitution et de la diffusiondes savoirs (conditions institutionnelles, matérielles, pédagogiques, sociales etculturelles de l’élaboration des cours) avec l’approche interne (étude ducontenu des cours et de ses transformations successives en fonction desconditions susdites). L’enseignement apparaît bien comme l’une des voies del’élaboration du corpus de connaissances propre à une époque donnée.

Les objectifs pour l’année 2004-2005 se situent dans la continuité de cepremier bilan.La collecte des informations sur les sources devra se poursuivre, à la fois àtravers le séminaire, qui sera l’objet d’un rééquilibrage des disciplinesexaminées en faveur des lettres, de façon à offrir un échantillonnage aussicomplet que possible des divers types de cours, et aussi en faveur d’époquesplus proches du présent (les exposés prévus porteront sur le XIXe ou le XXe

siècle) ; à travers le développement des contacts avec bibliothécaires etconservateurs, dont certains sont tout disposés à collaborer avec l’équipe ence qu’elle leur permet de valoriser leurs collections (par exemple à la BIUM) ;et par la tenue d’une journée d’étude rassemblant un nombre significatif dechercheurs non-parisiens, de province ou de l’étranger, dont il sera nécessairede couvrir les frais de voyage et d’hébergement.Il apparaît également souhaitable de poursuivre la recherche bibliographiquesystématique entreprise cette année grâce à l’embauche d’un vacataire(repérage de tous les cours figurant dans la base Opale plus de la BNF pour lapériode 1600-1900). Par ailleurs, le travail de mise en ligne, qui a pu être faitcette année grâce à l’infrastructure du Service d’histoire de l’éducation, seraappelé à se développer pour assurer tant la publication des exposés faits enséminaire que celle des répertoires de sources : l’embauche d’un secondvacataire disposant de connaissances suffisantes en informatique serait utilepour maintenir l’harmonie entre le rythme du travail et celui des publications.La synthèse des premiers résultats présentée ci-dessus devrait enfinpermettre de progresser dans l’établissement d’une méthodologie plus fined’exploitation des cahiers de cours et dans la constitution de quelques grandsrepères dans l’histoire du cours magistral, le tout débouchant sur unemeilleure connaissance du rôle de ce dernier dans la constitution et latransmission des savoirs.

Laboratoire porteur : : Service d’histoire de l’éducation, Institut national de recherchepédagogique - ParisProjet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Annie BRUTER

110

SAVOIRS SITUES DE L'EUROPEMODERNE ET CONTEMPORAINE

Hugues CHABOTD'Alembert et l'Académie des sciences : objets, formes et

enjeux des savoirs scientifiques à l'époque des LumièresPrésentation synthétique du projet

Ces dernières décennies ont vu un renouvellement des études historiques,sociologiques et archivistiques sur les académies du XVIIIe siècle, notammentsur l'Académie des sciences de Paris. Cependant, malgré quelques recherchesprometteuses un peu éparpillées, on a jusqu'ici peu croisé les contenus dessavoirs scientifiques liés aux académies et les conditions institutionnelles deleur production.Nous nous proposons de mener à bien cette étude de façon systématique surun cas central : l'oeuvre du plus prestigieux des savants français desLumières, Jean Le Rond D'Alembert. Nous examinerons les interactions entreses traités, mémoires, rapports, prix, éloges, réformes et leurs "transits" parles académies (celles de Paris et Berlin, mais aussi Turin, Montpellier, etc.).Ce projet prolonge des travaux dont certains d’entre nous ont été à l’initiative,notamment le groupe de travail qui a débouché sur le Guide des archives del’Académie Sciences et sur le colloque Règlements et usages à l’occasion dutroisième centenaire de l’Académie.Il se situe donc au croisement :-des études (plutôt institutionnelles) sur (et autour de) l’Académie dessciences de Paris, entre 1740 et 1785 ;-d’un travail le plus exhaustif possible sur l’œuvre mathématique et physico-mathématique de D’Alembert.En choisissant de nous limiter aux intersections entre l’œuvre de D’Alembertet l’Académie, nous voulons marquer notre volonté d’effectuer, dans un délairaisonnable, un travail sérieux et approfondi sur un corpus représentatif desavoirs scientifiques dont nous cherchons à caractériser la situation. Il s'agitdonc de comprendre en quoi le transit par l'Académie des sciences influe surles objectifs, les orientations, les contenus et les formes des écritsscientifiques de d’Alembert. Un des corpus privilégiés pour une telle enquêtehistorique est constitué par l’ensemble des rapports rédigés ou co-rédigés parD’Alembert (un peu plus de 140), ainsi que ses propositions de réformes del’institution académique.Ajoutons que ce projet doit aussi ouvrir des pistes pour ceux qui s’intéressentspécifiquement à l’un des deux niveaux de notre étude.

111

D'Alembert et l'Académie des sciences : objets, formes et enjeux dessavoirs scientifiques à l'époque des Lumières

Déroulement du projet

Nous avons programmé trois colloques qui sont les temps forts de notreprojet, à la fois occasion de faire le point sur l’avancement du projet etcontributions directes aux objectifs visés sous la forme de publications.

Les 3 et 4 septembre 2004, un colloque sur l’œuvre scientifique de « Fontaine» à Cuiseaux (Saône-et-Loire) ; ce sera en effet alors le tricentenaire de lanaissance d’Alexis Fontaine des Bertins, grand mathématicien souvent oublié,membre atypique de l’Académie des sciences, et dont les travauxs’entremêlent avec ceux de Clairaut, D’Alembert, Condorcet.

En septembre 2005, un colloque sur D’Alembert et ses collègues académiciens: ceci doit être l’occasion non seulement de comparer D’Alembert aux savantscélèbres mais aussi d’insister encore sur des personnages souvent omis à tort,comme Bossut, Lemonnier, etc. ainsi que l’abbé Rochon, Marguerie, Frisi, etc.

En 2006, un colloque de rencontre des éditeurs des œuvres de D’Alembert(CNRS-Editions), des Bernoulli (Bâle, Springer), d’Euler (id.), qui fera suite, enquelque sorte, à celui organisé pour le tricentenaire de la naissance de DanielBernoulli (Bâle, 2003). Il s’agira de confronter nos expériences, difficultés etréussites, aussi bien pour les éditions imprimées qu’électroniques, mais ausside comparer systématiquement les cadres académiques (Paris, Pétersbourg,Berlin,…) et leurs influences sur les travaux de plusieurs savants.

Ces colloques déboucheront sur des publications, mais surtout sur le volume XIde la série III de l'édition des Œuvres Complètes de D'Alembert intitulé« D’Alembert académicien des sciences ».

Actions réalisées

Dores et déjà, plusieurs journées de travail mensuelles ont été organisées deseptembre 2003 à juin 2004 dans différents lieux institutionnels.

25 septembre 2003 : « D'Alembert, la chaleur, le son, les fluides et lesprincipes » (Lyon, MAPLY)(contributions de F. Chambat, S. Nesme, G. Jouve, J. Chêne, A. Guilbaud, Y.Karim)

24 novembre 2003 : « D’Alembert et les Académies » (Paris, REHSEIS)(contributions de P. Crépel, I. Passeron, M. Jacob, H. Chabot)

112

D'Alembert et l'Académie des sciences : objets, formes et enjeux dessavoirs scientifiques à l'époque des Lumières

13 décembre 2003 : « Journée Éloges » (Lyon, ENS-lsh) (contributions de C.Volpilhac-Auger, L. Perret, J. Peiffer, A. Coste, S. Mazauric, O. Ferret, S. BenMessaoud)

8 mars 2004 : « La dynamique de D’Alembert » (Lyon, École Centrale)(contributions de R. Nakata, P. Crépel, J. Viard, J. Souchay, J. Gapaillard)

1er avril 2004 : « Biographie de d’Alembert » (Paris, REHSEIS) (contributionsde J.-C. Vayssette, E. Badinter, J.-D. Candaux, I. Passeron, A. Branko)

26 avril 2004 : « D’Alembert et la musique » (Paris, REHSEIS) (contributionsde A. Charrak et A. Cernuschi)

24 mai 2004: « D’Alembert et Bourgelat » (Lyon, École vétérinaire)(contributions de P. Crépel et P. Jaussaud)

7 juin 2004 : « Figure de la Terre chez D’Alembert » (Paris, REHSEIS)(contributions de F. Chambat, S. Nesme, I. Passeron, O. Bruneau, J. Souchay,C. Letellier, M. Chapront-Touzé)

Un atelier de travail s’est en outre tenu à Luminy (Marseille) du 5 au 9 janvier2004 : « Rencontres D’Alembert » organisées par J. Souchay (Observatoire deParis). Les rapports académiques rédigés ou co-rédigés par D’Alembert ont étéremis à la vingtaine de collaborateurs réunis en vue de leur étude critique.Rappelons que l’édition commentée de ces rapports constituera un desmorceaux de choix du volume XI de la série III des Œuvres Complètes deD’Alembert.

Le texte de certains de ces rapports manuscrits a été saisi et existent sousune forme électronique en mode image et en mode texte sur le sitehttp://maply.univ-lyon1.fr/dalembert/. Son accès est pour le moment réservéaux contributeurs au projet. D’autres morceaux choisis des œuvres deD’Alembert sont peu à peu mis en ligne sur ce site, ainsi que des outils detravail (tables analytiques, notices biographiques, bibliographies…). Le travailinformatique de maintenance et de mise à jour a été confié à AlexandreGuilbaud, élève ingénieur de l’École Centrale de Lyon, titulaire du DEAd’histoire des sciences de Lyon 1, qui prépare une thèse sous la direction dePierre Crépel.

Laboratoire porteur : LIRDHIST (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches en Didactiqueet HIstoire des Sciences et des Techniques) - Université Claude Bernard Lyon 1Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Hugues CHABOTPartenaires : LIRDHIST (EA 1658, Université Lyon 1) - MAPLY (UMR 5585, CNRS -Lyon 1) - REHSEIS (UMR 7596, CNRS - Paris 7) - SYRTE (UMR 8630, Observatoire deParis) - FORSCHUNGSZENTRUM EUROPÄISCHE AUFKLÄRUNG (Université dePostdam)

113

SAVOIRS SITUES DE L'EUROPEMODERNE ET CONTEMPORAINE

David AUBINSavoirs et techniques de l'observatoire,

fin XVIII° - début XX° siècleRappel des objectifs du projet :Comme nous l’expliquions l’an dernier, notre groupe de recherche avait ressentile besoin d’engager un effort de concertation soutenu afin de travailler à fairede l’observatoire une véritable unité d’analyse des pratiques et savoirsscientifiques entre la deuxième moitié du XVIII e siècle et le début du XX esiècle. Le but principal de notre projet est de développer un discoursthéorique sur les sciences de l’observatoire (astronomie, météorologie,géodésie, des parties de la physique et la statistique, etc.) qui permette defaire ressortir les grandes évolutions de leur histoire en les comparant avecles sciences développées en dehors de ce lieu particulier, et plus largement enles considérant en liaison avec les sociétés qui les hébergent.Dans cet effort, il nous est apparu pertinent de structurer notre réflexion lelong de deux axes principaux.•Caractériser le plus complètement possible les « savoirs et techniques del’observatoire » et leur évolution pendant la période choisie, en identifiant leséléments propres à la culture de l’observatoire et les fondements pratiques etépistémologiques qui fondent la cohérence des sciences de l’observatoire.•Etudier la très grande circulation des savoirs et techniques de l’observatoireà plusieurs niveaux : par la pratique du terrain, entre disciplines scientifiques,entre sphères sociales, et entre nations aux cultures et traditionsdifférentes.Quatre types d’initiatives étaient prévues :1. La constitution d’un groupe de travail composé de chercheurs membres duprojet et d’invités occasionnels, qui mettraient en commun les outils d’analysequi structurent leur travaux de recherches personnels concernant desobservatoires particuliers ou des sciences de l’observatoire particulières.2. La conception et la réalisation d’une base de données et d’un site webcompilant les renseignements provenant des enquêtes réalisées sur le terrainà la fin du XIX e siècle par les astronomes (éventuellement destiné à s’élargiren une initiative du type « archives de l’observatoire ») ;3. La possibilité de financer des voyages de recherches des différentsmembres du projet, afin qu’ils puissent étudier des matériaux rares oudifficiles d’accès (notamment extra-européens).

114

Savoirs et techniques de l'observatoire, fin XVIII° - début XX° siècle

4. La tenue d’une journée d’études internationale en juin 2004, qui, en plus desouligner un événement astronomique rare, le passage de Vénus devant lesoleil, sera l’occasion de poser un regard sur la science de la fin du XIX esiècle et la place qu’y tiennent alors les « savoirs et techniques del’observatoire ».

1. Groupe de travail – nouveaux membres :L’intérêt de notre groupe de travail était manifeste, puisque depuis que lademande d’ACI a été déposée au printemps dernier, cinq autres chercheursont exprimé le désir de se joindre à nous et participent dorénavant à nosactivités. Il s’agit de :•Jean-Marie Feurtet, élève à l'Ecole des Chartes, qui a choisi pour sujet dethèse l'histoire du Bureau des longitudes de sa création en 1795 à 1854, et quiprépare concurremment un DEA d’histoire des sciences, au centre AlexandreKoyré de l'EHESS, sous la direction M. Bruno Belhoste.•Mickaël Fonton, qui prépare actuellement une thèse de doctorat au sein del’équipe REHSEIS, sous la direction de Marie-Noëlle Bourguet. Son thème estl’histoire de la météorologie entre 1870 et 1914 et se centre particulièrementsur les rapports entre météorologues et physiciens français.•Colette Le Lay, titulaire d’un doctorat et qualifiée maître de conférences en72 e section, qui a soutenu une thèse intitulée « Les livres de vulgarisation del'astronomie (1686-1880) » qui avait été dirigé par M. Jacques Gaspaillard.Son travail vise à étudier les continuités et les ruptures dans les livres devulgarisation de l’astronomie depuis Fontenelle jusqu’à Arago.•Nicolas Lesté-Lasserre, qui prépare actuellement un mémoire de DEA dirigépar Marie-Noëlle Bourguet sur les journaux d’observations astronomiques duXVIII e siècle, et plus précisément sur l’erreur d’observation telle qu’elle estcomprise par l’observateur et la place des images dans ces journauxd’observations.•H. Otto Sibum, directeur du groupe de recherches sur l’histoireexpérimentale des sciences à l’Institut Max-Planck d’histoire des sciences deBerlin, qui avait déjà collaboré avec David Aubin et Charlotte Bigg pour latenue d’une conférence sur le thème des techniques de l’observatoire, Berlin,décembre 2002 et qui est co-directeur des actes en voie de publication.Trois réunions du groupe de travail auront eu lieu en 2003-2004 (24 octobre,12 décembre 2003 et 24 avril 2004). Notons d’amblée que le pari quiconsistait à réunir des chercheurs dont les travaux croisaient l’observatoiremais dont les préoccupations principales et les approches pouvaient être trèsdifférentes, soit parce qu’elles s’attachent à des sciences diverses, soit parcequ’elles débordent largement sur une étude sociale et culturelle plus large, estréussi. L’atmosphère de nos discussions est détendue et très inspirante.

115

Savoirs et techniques de l'observatoire, fin XVIII° - début XX° siècle Le résultat le plus frappant de ces réunions reste l’émergence presquenaturelle de thèmes transversaux à nos recherches. Très vite il est apparu quela question du nombre et de l’image structurait une bonne partie de nostravaux. Les savants de l’observatoire sont parmi ceux qui ont le plus fait pourtransformer les sciences physiques et sociales en des pratiques où laquantification joue un rôle de premier plan. De même, l’attention qu’ils portentaux questions de représentations est remarquable, en autres à cause deseffets très importants qu’elles ont au XIX e siècle, quand la découverte et ladiffusion d’un grand nombre d’instruments optiques nouveaux (en particulier, laphotographie) bouleversent l’expérience visuelle des gens.La réunion du 24 avril est donc intitulée « Le nombre et son traitementmathématique : analyse et statistique ». Guy Boistel nous dressera uneébauche d’épistémologie et d’histoire de la mécanique céleste. Fabien Lochernous montrera comment s’articulent des représentations diverses enmétéorologie : le nombre, la carte et le récit. David Aubin parlera du rôle destechniques statistiques à l’observatoire et l’impact qu’elles ont eu sur lastatistique sociale.Les réunions du groupe de travail, bien qu’elles soient difficiles à organiser àcause des emplois du temps des membres du projets, sont très stimulantes etse poursuivront l’an prochain. Nous consacrons une séance au thème de «l’image et la mesure », deux pratiques qui s’opposent parfois et se combinentsouvent dans les techniques de l’observatoire. Plusieurs des membres duprojet étant en train de rédiger mémoires et thèses, nous consacreronsquelques séances au commentaire serré des textes qu’ils rédigent. Lesmembres du projet envisagent également de préparer une retraite àl’observatoire d’Abbadia, à Hendaye, dont le but serait de travailler à unepublication commune et d’exploiter les ressources offerte par cetobservatoire.2. Site web et base de données :En ce qui concerne le projet informatique, l’année 2003-2004 a été consacréeà l’évaluation de sa faisabilité et à sa conception. David Aubin et LaetitiaMaison ont tenu plusieurs réunions avec l’équipe HSL du CRHST (Pietro Corsiet Stéphane Pouyllau) et avec le personnel de l’Observatoire de Paris (enparticulier, Mme Laurence Bobbis).Ce projet occupera dorénavant plusieurs chercheurs de l’ACI. Nous prévoyons,à partir de l’année prochaine, de concevoir un site web (voir la figure ci-dessous) dont le but sera de mettre à disposition des chercheurs en histoiredes sciences un corpus de manuscrits et d’imprimés concernant les savoirs ettechnique de l’observatoire de la fin du XVIII e siècle au début du XX esiècle. Ce site couvrira l’ensemble des disciplines et des techniques mise enoeuvre dans les observatoires à cette époque (astronomie, astrophysique,météorologie, métrologie, et physique du globe).La première étape de la réalisation du site sera la numérisation de l’enquêteréalisée par Charles André, Georges Rayet et Alfred Angot et publiée sous le

116

Savoirs et techniques de l'observatoire, fin XVIII° - début XX° siècletitre L’Astronomie pratique et les observatoires en Europe et en Amériquedepuis le milieu du XVII e siècle jusqu’à nos jours, 5 vols., Gauthier-Villars,Paris, 1874-1881. Cette publication sera numérisée en mode image et en modetexte. Une base de donnée synthétisera les diverses informations concernantles observatoires à la fin du XIX e siècle, incluant dates de fondation, statuts,sites géographiques, disposition des bâtiments, et instrumentation. Les perspectives de développement du site sont les suivantes : numérisationde documents d’archives concernant les observatoires (Observatoire de Pariset autres observatoires français dans un premier temps), leurs statuts légaux,la correspondance des astronomes et autres scientifiques de l’observatoire,les procès-verbaux du Bureau des longitudes (1795-1854).Le site servira également de portail en liaison avec les ressourcesdocumentaires importantes existant sur internet : sites d’observatoires, siteshistoriques, et quelques bases de données remarquables comme la base Palissy,la base bibliographique de la NASA et a base de donnée « AstronomiaeHistoria » de la Commission 41 de l’Union astronomique internationale (IAU).Soulignons toutefois que le site qui sera développé par les membres de l’ACI,tout comme son projet scientifique, reste unique dans le monde.Pour la réalisation du site, en plus des partenariats avec l’équipe HSL etl’Observatoire de Paris, on envisage de contacter le Bureau des longitudes, laSociété astronomique de France (observatoire de Juvisy), et Météo France.3. Voyages de recherche :Après avoir soutenu une thèse de doctorat consacrée en grande partie auxgrandes entreprises géodésique françaises de la fin du XIX e siècle et dudébut du XXe siècle et à l’utilisation de ces savoirs et techniques pendant laPremière Guerre mondiale en France et en Italie, Martina Schiavon a effectuéune mission de près de trois mois à Bogotá en Colombie.C’est à Bogotá qu’a été établi le plus ancien observatoire public d’Amérique duSud créé en 1803, à l’issue de l’expédition botanique espagnole de Mutis. Lasituation privilégiée de cette ville à 2600 mètres d’altitude explique laprécocité de cette fondation, bien que le climat nuageux y constitue unhandicap sérieux à la pratique de l’astronomie d’observation. Cette ville a aussicompté de nombreux autres observatoires, dont un petit observatoire privédans une maison particulière, nommé « Observatoire Flammarion » et unobservatoire jésuite qui s’est par la suite converti plus spécialement dansl’étude de la sismologie et a conduit à la fondation de l’Institut sismologiquedes Andes en 1930.Mme Schiavon a exploité un grand nombre d’archives et de bibliothèques.1Malgré les difficultés importantes liées à la conservation déficientes desarchives et les pertes dues aux nombreuse guerres civiles (en particulier en1948), Mme Schiavon a tiré grand parti de cette mission. A partir des années1930, on peut dire que les pratiques de conservation de documents d’archivesen Colombie devient comprable à celles qui existent en Europe.Soulignons quatre aspects particuliers qui permettent d’affirmer l’importance

117

Savoirs et techniques de l'observatoire, fin XVIII° - début XX° siècle de missions de ce type :1 Archives de l’Observatoire national de Bogotá dans deux sites : le sitehistorique (au coeur du palais du Président de la République) et à l’Universidadnacional de Colombia (bibliothèque et archives) ; les Archives générales de lapontificia universidad ajeriana (observatoire jésuite) ; les Archives généralesde la Nation ; Bibliothèque nationale de Colombie, la bibliothèque de la sociétégéographique de Colombie, la bibliothèque de l’université nationale deColombie, et la bibliothèque Luis Angel Arango.2. La consultation d’une quantité importante de documents qui ne se trouventpas ailleurs ou sont difficiles à repérer en Europe.3. Une meilleure prise de conscience des rôles sociaux et politiques joués parles observatoires dans un pays qui cherche à se développer, et des modalitésde leur fondation et fonctionnement. Nous reviendrons sur cet aspect qui, ànotre avis, est le plus important.4. L’identification de sources d’archives supplémentaires, en Europe, qu’ilserait difficile de penser de consulter à priori et dont l’exploitationcomplétera a le voyage sur le terrain en vue d’éclairer les questions liées audéveloppement des sciences de l’observatoire en Amérique du Sud (e.g.,archives de Flammarion à Juvisy ; archives de l’observatoire de San Bartolomé,à Barcelone ; archives de l’expédition botanique de Mutis, à Madrid).Avantageusement5. L’établissement de contacts fructueux avec les chercheurs et étudiants deColombie. La mission de Mme Schiavon permet en effet de mieux appréhenderla fonction d’un observatoire dans une société en développement.L’établissement, ou même les difficulté de développement d’un observatoiredans ce contexte, font apparaître les liens entre diverses préoccupationsscientifiques : astronomie, météorologie, médecine, botanique... L’étude deMme Schiavon montre qu’il est nécessaire de comprendre le fonctionnement deces établissements dans le cadre de préoccupations politiques à propos dudéveloppement du pays pour l’élite créole (transport, économie, agriculture,communication). La dimension symbolique de l’observatoire semble égalementplus facile à mettre en évidence dans un pays comme la Colombie, oùl’observatoire central, construit dans l’enceinte du Palais présidentiel, sertparfois de prison, mais surtout de puissant symbole de la rationalité du pouvoirgouvernemental. L’étude de Mme Schiavon souligne enfin l’importance desréseaux de communication internationaux dans la mise en place des sciences del’observatoire.D’autres voyages en archives françaises et européennes ont été etcontinueront d’être soutenu par l’ACI.6. Journée d’études (4 juin 2004) : « L’événement astronomique du siècle ?Une histoire sociale des passages de Vénus, 1874–1882 ».

Laboratoire porteur :Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : David AUBIN

118

SAVOIRS SITUES DE L'EUROPEMODERNE ET CONTEMPORAINE

Dominique TOURNESLes instruments du calcul savant

Grandes lignes du projetLe projet intitulé «Les instruments du calcul savant», conçu en juin 2003 etprévu pour trois ans, réunit une équipe internationale et pluridisciplinaire desix chercheurs : Dominique TOURNÈS (REHSEIS, UMR 7596, CNRS etuniversité Paris 7), Marie-José DURAND-RICHARD (REHSEIS et équipe«Sciences, légitimités et médiations», université Paris 8), KonstantinosCHATZIS (Laboratoire «Techniques, Territoires et Société», École nationaledes ponts et chaussées), Ahmed DJEBBAR (AGAT, UMR 8524, CNRS etuniversité de Lille 1), Joachim FISCHER (Institut für Philosophie,Wissenschaftstheorie, Wissenschafts- und Technikgeschichte, TechnischeUniversität Berlin) et Galina ZVERKINA (Chaire de mathématiques appliquées,Université d’État ferroviaire de Moscou). Le contexte scientifique de ceprojet, ses objectifs, les modalités de travail retenues et les retombéesconcrètes envisagées ont été longuement exposés dans le texte initial qui aété rédigé au printemps 2003 et que chacun peut consulter en ligne sur la pagedu programme «Histoire des savoirs».Nous nous contenterons donc d’enrésumer ci-dessous les grandes lignes.L’histoire des mathématiques accorde désormais une attention accrue auxalgorithmes et aux calculs, ainsi qu’à l’analyse des pratiques mathématiquesdifférenciées que l’on peut rencontrer dans des lieux géographiques et desgroupes sociaux divers. Notre projet se propose de contribuer à cetteapproche par l’entrée des instruments du calcul savant (nous entendons par làtous les instruments employés à la réalisation de calculs numériques plusélaborés que les opérations arithmétiques élémentaires). À travers l’étude decertains de ces instruments, en particulier ceux qui ont jusqu’ici peu retenul’attention des historiens comme les tables de fonctions spéciales ou lesinstruments du calcul graphomécanique, nous espérons mettre à jour, enparticulier dans les communautés d’astronomes, de physiciens et d’ingénieurs,des savoirs et des pratiques mathématiques négligés par l’historiographietraditionnelle. Les conditions économiques, scientifiques et technologiques dela conception et de la fabrication des instruments porteurs de ces savoirs, lacirculation de ces mêmes savoirs entre les différents corps de métiers etentre les différentes traditions nationales, leurs modes de transmission etd’apprentissage, leur interaction avec les savoirs académiques, tant dans lacréation de nouveaux objets mathématiques abstraits que dans la conceptionde nouveaux algorithmes de calcul, voilà autant de questions auxquelles notre

119

Les instruments du calcul savant équipe cherche à apporter des éléments de réponse. Pour cela, nous tentonsd’identifier et d’exploiter des corpus nouveaux comme les instrumentsconservés dans les musées ou les laboratoires des universités, les traités demathématiques appliquées, les revues de sciences de l’ingénieur, voire destravaux mathématiques académiques jusqu’ici délaissés. Ce travail de fonddevrait aussi contribuer, du moins nous l’espérons, à combler certaines lacunesactuelles de l’histoire de l’analyse numérique en portant un nouveau regard surles conditions d’apparition des algorithmes classiques, en sortant de l’oubli destechniques de calcul, comme le calcul graphique, qui ont joué un grand rôle dansle passé et en accordant une place relative plus juste aux différents typesd’instruments qui ont précédé l’ordinateur.Actions déjà réalisées et actions envisagéesIl est bien évident qu’après seulement un semestre de recherche, il estdifficile de mettre en avant des réalisations considérables. Nous nous situonsencore, pour l’essentiel, dans une phase préparatoire consistant à inventorierce qui a déjà été fait, à explorer des corpus de documents, à définir des axesde réflexion et à multiplier les contacts en vue d’actions futures. C’est surtoutlors de la seconde année, et plus encore de la troisième, que notre travaildevrait porter pleinement ses fruits. Voilà pourquoi, dans l’état des lieux ci-dessous, nous avons présenté simultanément, en les organisant selon quelquesColloque HDS TOURNES - page 2 grands axes, une description des actionsdéjà réalisées et une estimation de leurs prolongements prévisibles. On pourracomparer utilement cette présentation aux objectifs détaillés annoncés dansla version complète du projet.• Tables numériquesUne journée d’étude internationale sur les tables numériques a été organiséele 15 mars 2004 par D.TOURNÈS dans le cadre du séminaire «Calculs,algorithmes, opérations et algèbre » de REHSEIS.Cette journée, réunissant quatre spécialistes du sujet (Eleanor ROBSON :tables mathématiques assyro-babyloniennes, Glen VAN BRUMMELEN : tablestrigonométriques et astronomiques de l’Islam Médiéval, Alexander CRAIK :tables de logarithmes calculées par Edward Sang et ses filles, D.TOURNÈS :tables d’intégrales elliptiques de Legendre) et une vingtaine d’autresparticipants, fut l’occasion d’un travail collectif fructueux qui a conduit àmieux préciser la problématique transversale des recherches sur les tables : lanotion de table mathématique est-elle bien construite ? Quels sont lesdifférents types de tables ? Quels sont les savoirs spécifiques liés à l’usagedes tables ? Comment se faisait l’apprentissage de ces savoirs? Commentsituer les tables par rapport aux autres instruments de calcul ? Quels sont lesoutils (linguistiques, statistiques, mathématiques...) sur lesquels peut s’appuyerl’historien pour reconstituer, dans le cas où ceux-ci ne nous sont pas parvenus,les secrets de fabrication et le mode d’emploi d’une table ?Une seconde journée sur les tables numériques sera organisée en 2004-2005,afin de reprendre l’étude de ces questions à travers l’examen de tables

120

Les instruments du calcul savant mathématiques issues d’autres époques, d’autres milieux professionnels oud’autres aires géographiques (tables égyptiennes, tables astronomiqueschinoises, tables de navigation...). Par ailleurs, M.-J. DURAND-RICHARD, D.TOURNÈS et Christine PROUST présenteront au séminaire de bibliographiede REHSEIS, le 8 juin 2004, une analyse critique de certains ouvrages récentssur l’histoire des tables mathématiques, en mettant en évidence les biais dontils sont entachés (faible prise en compte des traditions non occidentales et, ausein même des mathématiques occidentales, faible prise en compte destraditions non anglo-saxonnes).• Instruments de mathématiques en généralD. TOURNÈS est intervenu le 27 novembre 2003 au séminaire «Analogie dansles sciences : fécondités et obstacles» de l’université de Lille 1. Il en estrésulté une réflexion sur les instruments de calcul analogique qui a permis depréciser comment ces instruments, dont le but est de réaliser des calculsnumériques en s’appuyant «par analogie» sur des phénomènes géométriques oumécaniques, voire électriques, hydrauliques ou chimiques, ont pu interagir avecle développement de certains concepts et de certaines théoriesmathématiques. En particulier, on s’est intéressé au rôle qu’ils ont joué dans laréflexion sur les liens entre algèbre, géométrie et mécanique. Ce passage àLille permit également un travail approfondi avec A. DJEBBAR sur larecherche d’anticipations possibles du calcul graphomécanique dans lesmathématiques arabes.M.-J. DURAND-RICHARD, quant à elle, présentera au congrès de la SFHST àPoitiers, du 20 au 22 mai 2004, une communication sur l’historiographie del’informatique. Elle tentera de comparer l’historiographie du calcul, desinstruments et de l’informatique, telle qu’elle a pu être pratiquée au XIXe etau XXe siècles dans les pays suivants : France, Allemagne, Italie, Angleterre,États-Unis, Russie.La réflexion générale sur les instruments de calcul sera poursuivie pendant uncolloque international de deux journées organisé dans les locaux de REHSEISles 14 et 15 juin 2004. Ce colloque réunira dix participants d’horizons variés(C. PROUST : pratiques non écrites du calcul en Orient ancien, KarineCHEMLA : reconstitution de l’usage de la surface à calculer de la Chineancienne, François CHARETTE : instrumentation mathématique en Islamoriental et préhistoire de la nomographie, Catherine JAMI : pinceau et autresinstruments de calcul en Chine aux XVIIe et XVIIIe siècles, Agathe KELLER :arithmétique tabulaire et surfaces de travail dans le sous-continent indien,Pierre VANDER MEULEN _: règles à calcul, Dominique MONTI : machines deCoradi pour le calcul des coefficients de Colloque HDS TOURNES - page 3Fourier, M.-J. DURAND-RICHARD : machine de Babbage et marégraphe deTait, D. TOURNÈS :analyseurs différentiels, Luc TROUCHE : approche cognitive de la constitutiondes instruments mathématiques dans les environnements informatisésd’apprentissage). Au cours de ce colloque, nous tenterons d’appréhender le rôle

121

Les instruments du calcul savant exact des instruments de calcul dans la constitution des objetsmathématiques et dans l’application en retour des mathématiques au réel. Parl’analyse croisée des fécondités et des obstacles liés aux auxiliaires de calculemployés depuis l’Antiquité dans plusieurs aires géographiques, nouschercherons notamment à dégager d’éventuels invariants épistémologiquescaractéristiques de l’instrumentation mathématique et, plus généralement, àmieux comprendre la complexité cognitive de l’interaction homme/machine.• Instruments d’intégrationParmi les instruments de mathématiques, il en est qui retiennent plusparticulièrement l’attention de notre équipe : ce sont les instrumentsd’intégration (curvimètres, planimètres, intégraphes, analyseurs harmoniques,analyseurs différentiels). Ces instruments, dont l’étude a été esquissée par J.FISCHER (pour les instruments généraux destinés à calculer les intégrales) etpar D. TOURNÈS (pour les instruments spécifiques destinés à l’intégration deséquations différentielles), sont porteurs de savoirs théoriques et pratiquesvariés qui, pris dans leur ensemble, nous révèlent une facette largementméconnue de l’histoire du calcul intégral. Un des grands objectifs de notreprojet est de réaliser, pendant l’année 2006, une exposition au Musée des artset métiers autour de ces instruments.J. FISCHER, qui a été conservateur au Deutsches Museum de Munich, sechargera naturellement de la superviser. D.TOURNÈS, lors d’une interventionà Nantes, le 16 mars 2004, dans le cadre du séminaire d’histoire des sciencesdu Centre François Viète, a pu présenter une première classification globaledes instruments mécaniques d’intégration, préfigurant le plan de la futureexposition, et s’est interrogé sur les problèmes historiques ethistoriographiques posés par ces instruments.Pour les années à venir, D.TOURNÈS se fixe pour objectif plus particulierd’effectuer un inventaire complet des instruments mécaniques conçus pour letracé des courbes intégrales des équations différentielles. Dans un article quivient d’être publié dans Historia Mathematica en novembre 2003, intitulé«L’intégration graphique des équations différentielles ordinaires», et quiconstitue une sorte de programme de travail, il a présenté une chronologie etune première liste de ces instruments, en les situant par rapport aux autresméthodes graphiques d’intégration. Des appareils mécaniques de ce type ontété imaginés et fabriqués, d’une part, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIesiècle, d’autre part à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec unecurieuse rupture totale de tradition entre les deux époques, ce qui constitueun exemple particulièrement significatif de non-circulation des savoirs.Toute l’équipe s’efforce actuellement de repérer des lieux en Europe oùpourraient être encore conservés certains exemplaires de ces objets et où l’ontrouverait des archives instructives : G. ZVERKINA poursuit des recherches àMoscou et à Saint-Pétersbourg (analyseur différentiel de Krylov) ; J.FISCHERs’occupe bien évidemment de l’Allemagne, où, de par ses anciennes fonctions,

122

Les instruments du calcul savantil connaît parfaitement les musées et les collections privées ; M.-J.DURAND-RICHARD doit effectuer en avril 2004 une mission à Londres, Cambridge,Manchester et Glasgow, à la recherche de documents sur les intégraphes deLord Kelvin et de son frère James Thomson, et sur les analyseursdifférentiels de Douglas Hartree ; D. TOURNÈS, enfin, projette une missionen Italie en 2005 pour étudier les archives inédites de Giovanni Poleni,conservées à Venise et à Padoue, ainsi que les instruments d’Ernesto Pascal,dont il reste des exemplaires à l’université de Naples et dans d’autres lieux.D.TOURNÈS étudie également les travaux théoriques méconnus effectués auXVIIIe siècle pour expliquer le fonctionnement des instruments d’intégration.Il prépare, en particulier, une traduction et une analyse d’un mémoire deVincenzo Riccati sur la construction des équations différentielles par l’emploidu mouvement tractionnel (1752). Ce mémoire, qui établit rigoureusement quetoute équation différentielle peut être construite, en fait, par un instrumentmécanique, est l’exemple même d’une oeuvre importante ignorée parl’historiographie traditionnelle, probablement car elle mêle de trop près lesmathématiques théoriques à des considérations instrumentales. Ce travail surVincenzo Riccati, inséré dans une histoire générale de la construction deséquations différentielles par le mouvement Colloque HDS TOURNES page 4tractionnel, pourrait faire l’objet de la parution d’un livre en 2006, à la fin duprojet. La moitié de ce livre est déjà rédigée.• Mathématiques des ingénieursD. TOURNÈS et K. CHATZIS ont entrepris un travail sur les savoirsmathématiques des ingénieurs, notamment à partir de la bibliothèque et dufonds d’archives de l’École nationale des ponts et chaussées. Deux articles,reprenant en partie des recherches antérieures non publiées, ont pu êtreachevés dans le cadre du projet et ont été acceptés par la Revue d’histoiredes mathématiques pour une publication courant 2004. K.CHATZIS, dans untexte intitulé «La réception de la statique graphique en France durant ledernier tiers du XIXe siècle», parvient à préciser les origines de la statiquegraphique, notamment par l’étude des cours inédits de Poncelet, de Camus etd’autres ingénieurs français du début du XIXe siècle, et à décrire la curieusecirculation des savoirs qui conduisit la statique graphique à se développerd’abord en Allemagne et en Italie avant de revenir en France vers la fin duXIXe siècle. D. TOURNÈS, quant à lui, par son article «Junius Massau etl’intégration graphique», fait sortir de l’oubli les savoirs théoriques etpratiques liés à l’intégration graphique par le trait, et étudie la circulation deces savoirs entre ingénieurs de différentes spécialités (génie civil, géniemaritime, artillerie) et de différentes nationalités (Belgique, France,Allemagne, Italie, Grande-Bretagne).K. CHATZIS a également présenté, le 4 mars 2004, dans le cadre du séminaireanimé par M.-J. DURAND-RICHARD à l’université Paris 8, une étude sur lesmathématiques pratiquées par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Jules Dupuit

123

Les instruments du calcul savant(1804-1866). Cette étude a révélé que Dupuit s’était notamment distingué parla création d’une «roulette» destinée à mesurer approximativement, demanière simple et pratique, l’aire d’une surface. De telles recherches, jointes àcelles de D. TOURNÈS sur l’intégration graphique par le trait et celles de J.FISCHER sur les planimètres et intégraphes, constituent autant d’élémentsqui devraient permettre d’aboutir, à moyen terme, à une vision globalelargement renouvelée des savoirs pratiques des ingénieurs liés au problèmedes quadratures. Pour poursuivre dans cette direction prometteuse, D.TOURNÈS et K. CHATZIS envisagent d’organiser, en 2005, une journéed’étude sur les mathématiques des ingénieurs. Plusieurs spécialistes del’histoire des sciences de l’ingénieur ont été contactés et deux thèmes ontd’ores et déjà été sélectionnés en vue de cette journée : les outils de calculgraphique utilisés dans les chemins de fer, l’enseignement des mathématiquesdans les écoles d’ingénieurs. Par ailleurs, il est prévu d’approfondir la réflexionsur la diffusion internationale des mathématiques des ingénieurs _: K.CHATZIS étudiera comment les techniques graphiques créées en Allemagne,en France et en Italie se retrouvent dans la formation et les pratiques desingénieurs grecs, tandis que D. TOURNÈS poursuivra une collaboration avecAinsley EVESHAM pour scruter le milieu des ingénieurs français et anglaistravaillant en Égypte à la fin du XIXe siècle.• Calcul graphique et graphomécaniqueÀ côté d’une exposition sur les instruments d’intégration au Musée des arts etmétiers, la publication d’un livre collectif sur l’histoire du calcul graphique etgraphomécanique reste le second objectif majeur de notre projet. Un tel livre,synthétisant une grande partie des recherches dont il a été questionprécédemment, comblerait un manque dans l’historiographie et servirait decadre de référence pour des études ultérieures.Dans ce livre, G. ZVERKINA et A. DJEBBAR étudieront tout d’abord en quoiles méthodes géométriques et graphomécaniques des ingénieurs etmécaniciens grecs et arabes peuvent constituer une sorte de «_préhistoire _»du calcul graphique moderne. En particulier, A._DJEBBAR et ses étudiantsrecherchent actuellement des manifestations anciennes dans les sciencesarabes et européennes de la représentation graphique des fonctions et del’utilisation de tables graphiques cotées. Ici, on pense avant tout à l’astronomie(astrolabes, cadrans solaires et lunaires...) et à la navigation (plans des carènesde navires par coupes successives...). Dans ce contexte, l’intervention deF. CHARETTE sur la préhistoire de la nomographie, prévue lors de nosjournées de juin 2004 sur les instruments mathématiques, seraparticulièrement utile.Toute l’équipe contribuera aux chapitres généraux qui présenteront ensuite ledéveloppement du calcul graphique proprement dit à partir du XVIIe siècle, enlien avec le courant de la résolution géométrique des problèmes par tracé etintersection de courbes, courant provenant des mathématiques gréco-arabes,se poursuivant avec Descartes, Newton et les géomètres de la première moitié

124

Les instruments du calcul savant

du XVIIIe siècle, avant de se perpétuer jusque vers 1970 entre les mains desingénieurs. K. CHATZIS et D. TOURNÈS s’occuperont plus particulièrement dechapitres sur la nomographie et la statique graphique, ces spécialités du calculgraphique qui alimentèrent le quotidien du travail mathématique des ingénieurspendant près de deux siècles. J. FISCHER et D. TOURNÈS rédigeront, de leurcôté, tout ce qui concerne l’intégration graphique, que ce soit par le trait ou àl’aide des instruments mécaniques d’intégration.M.-J. DURAND-RICHARD, enfin, essaiera de comprendre pourquoi le calculgraphique, répandu de bonne heure en France, en Allemagne et en Italie, n’apénétré que très tardivement en Grande-Bretagne, et se consacreraégalement à l’aspect historiographique du sujet, en tentant d’analyser lesraisons qui ont conduit les historiens à minorer, voire ignorer la place du calculgraphique et graphomécanique, plus généralement celle du calcul analogique, ausein d’une histoire du calcul le plus souvent réduite au seul calcul digital.Plusieurs chapitres de ce futur livre sont déjà quasiment rédigés. Nousenvisageons de terminer le manuscrit vers la fin 2005 ou le début 2006, envue d’une publication courant 2006. G. ZVERKINA et J. FISCHEReffectueront chacun deux séjours de travail à Paris d’une dizaine de jours, en2005 et 2006, afin que toute l’équipe soit réunie pour un travail collectif sur larédaction du livre, la préparation de l’exposition au Musée des arts et métiers,et la participation à divers séminaires et colloques.

Laboratoire porteur : REHSEIS, UMR 7596,CNRS et université Paris 7Projet de recherche d’une durée de 3 ansCoordination : Michel TOURNES