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VIENT DE PARAÎTRE Caricatures de présidents 1848-2012 25 novembre 2013, 17 × 24, 280 p., 25 € ISBN 978-2-85944-758-8 ISSN 1262-2966 SOCIÉTÉS & REPRÉSENTATIONS 36 La satire visuelle visant les présidents de la République constitue un formidable laboratoire de réflexion et offre, grâce à un corpus innombrable, des possibilités comparatistes sans précédent. Les contributions réunies dans ce numéro de Sociétés & Représentations s’intéressent au rôle de la caricature politique et à sa mécanique sur le temps long, à partir d’un motif dont la présence transcende la vie politique française depuis le milieu du XIX e siècle. Caricatures de présidents 1848-2012, Guillaume Doizy et Pascal Dupuy Du « chapeau cabossé » de Loubet au « pif » du général de Gaulle, l’identité et la carrière carica- turales des présidents de la République française, Guillaume Doizy De président à empereur : Louis-Napoléon Bonaparte dans Le Journal pour rire, Michela Lo Feudo Jean Casimir-Perier, de la fortune financière à l’infor- tune caricaturale, Jean-Luc Jarnier Loubet le cabossé sous le crayon frondeur d’Orens Denizard, Bruno de Perthuis Poincaré dans la caricature allemande, Pierre Brouland On a bien blagué le pyjama de Deschanel, Agnès Sandras De Gaulle et Le Canard enchaîné : je t’admire, moi non plus, Laurent Martin De de Gaulle à Mitterrand : l’assaut de Charlie Hebdo (1869-1982), Stéphane Mazurier La caricature à l’épreuve du « printemps arabe », Souheil Fakhfah et Rachida Tlili Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques 75005 Paris Tél : 01 43 25 80 15 - Fax : 01 43 54 03 24 Courriel : [email protected]

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Caricatures de présidents 1848-2012

25 novembre 2013, 17 × 24, 280 p., 25 € ISBN 978-2-85944-758-8 ISSN 1262-2966

SociétéS & repréSentationS 36

La satire visuelle visant les présidents de la République constitue un formidable laboratoire de réflexion et offre, grâce à un corpus innombrable, des possibilités comparatistes sans précédent. Les contributions réunies dans ce numéro de Sociétés & Représentations s’intéressent au rôle de la caricature politique et à sa mécanique sur le temps long, à partir d’un motif dont la présencetranscende la vie politique française depuis le milieu du xixe siècle.

Caricatures de présidents 1848-2012, Guillaume Doizy et Pascal DupuyDu « chapeau cabossé » de Loubet au « pif » du général de Gaulle, l’identité et la carrière carica-turales des présidents de la République française, Guillaume DoizyDe président à empereur : Louis-Napoléon Bonaparte dans Le Journal pour rire, Michela Lo FeudoJean Casimir-Perier, de la fortune financière à l’infor-tune caricaturale, Jean-Luc JarnierLoubet le cabossé sous le crayon frondeur d’Orens Denizard, Bruno de PerthuisPoincaré dans la caricature allemande, Pierre BroulandOn a bien blagué le pyjama de Deschanel, Agnès SandrasDe Gaulle et Le Canard enchaîné : je t’admire, moi non plus, Laurent MartinDe de Gaulle à Mitterrand : l’assaut de Charlie Hebdo (1869-1982), Stéphane MazurierLa caricature à l’épreuve du « printemps arabe », Souheil Fakhfah et Rachida Tlili

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Dossier : Caricatures de présidents 1848-2012Caricatures de présidents 1848-2012Guillaume Doizy et Pascal Dupuy 9

Du « chapeau cabossé » de Loubet au « pif » du général de Gaulle, l’identité et la carrière caricaturales des présidents de la République françaiseGuillaume Doizy 17

De président à empereur : Louis-Napoléon Bonaparte dans Le Journal pour rireMichela Lo Feudo 35

Jean Casimir-Perier, de la fortune financière à l’infortune caricaturale

Jean-Luc Jarnier 51

Loubet le cabossé sous le crayon frondeur d’Orens DenizardBruno de Perthuis 65

Poincaré dans la caricature allemandePierre Brouland 77

« On a bien blagué le pyjama de Deschanel »Agnès Sandras 91

De Gaulle et Le Canard enchaîné : je t’admire, moi non plusLaurent Martin 109

De de Gaulle à Mitterrand : l’assaut de Charlie Hebdo (1969-1982)Stéphane Mazurier 125

La caricature à l’épreuve du « printemps arabe »Souheil Fakhfah et Rachida Tlili 143

SOMMAIRE

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Lieux et ressourcesVisite(s) au Louvre-LensÉvelyne Cohen et Pascale Goetschel 169

Regards croisésLa parole judiciaire : entre silences et polyphonie médiatiqueÉmeline Seignobos 181

TramesGélatines de GysisMaria Yanaros 197

Retours sur…Jean d’Arcy et le développement des télévisionsMarie-Françoise Lévy 207

ActualitésL’Histoire de France racontée par la publicité : les affiches du roman national, au xxe siècle, exposées à la bibliothèque Forney du 30 janvier au 28 avril 2013 : brèves réflexions sur les usages de l’iconographie populaire dans la France contemporaineChristian Amalvi 221

Grand entretienEntretien avec Robert MilinBertrand Tillier 239

Hors cadreLes registres de la grâceEdwige de Boer 253

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Guillaume Doizy et Pascal Dupuy, « Caricatures de présidents 1848-2012 », S. & R., no 36, automne 2013, p. 9-16.

Laissons le soin aux politologues et aux futurs spécialistes de déterminer le bilan de l’action, avérée ou illusoire, de la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce dont nous pouvons en revanche témoigner, et cela sans ambiguïté, c’est de l’importance de son passage à l’Élysée en tant que figure médiatisée ! Les mul-tiples polémiques déclenchées, soit en raison de ses foucades, soit à propos de ses initiatives politiques controversées, ont permis à de nombreux analystes du dessin satirique de mener une réflexion plus profonde sur les mécanismes qui fondent la caricature et sous-tendent le dessin de presse. Son style d’expression orale, peu châtié mais percutant, son comportement et ses tics, ont donné à sa présidence une allure très « décomplexée ». Doublée d’une hyperprésence médiatique, aux limites de la vulgarité, les attitudes du président Sarkozy ont sans nul doute modifié, aux yeux du public « citoyen », la représentation de l’acteur politique telle que le définissait Michel Debré en 1958 sous la qualifi-cation de « clef de voûte » des institutions républicaines, songeant à l’évidence à ce qu’incarnait Charles de Gaulle. Dans Le Monde daté du 2 octobre 2012, Plantu expliquait, dans un court entretien, que Sarkozy lui manquait :

Son départ a été une catastrophe pour moi. Je n’ai jamais connu un homme politique qui, à ce point, soit une caricature de lui-même […]. Sarko, ajoutait-il, je lui dois de l’argent, tellement il m’a facilité le travail. Le dessin venait tout seul, le crayon courait sur le papier.

En effet, comme le caricaturiste du quotidien du soir l’énonçait, le pré-sident qui ne laissait à personne d’autre le soin d’expliquer sa politique, relé-guant son premier ministre au rang de « collaborateur », a suscité très vite une forme de détestation presque irrationnelle mais très répandue, qui semblait

Guillaume Doizy et Pascal Dupuy

Caricatures de présidents 1848-2012

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se nourrir de l’énergie dépensée par le président lui-même, dans une sorte de course folle et sans fin. En exploitant jusqu’à l’excès l’espace médiatique et le storytelling, Nicolas Sarkozy et ses conseillers en communication ont paru confondre la capacité à agir sur le monde avec la justification des choix for-mulés. Cette faille a permis à leurs détracteurs de mettre en exergue les fai-blesses et les échecs, les approximations et les calembredaines, rendant ainsi naturellement le président responsable de la plupart des maux qui frappaient une France en crise. Le résultat de cette machine de guerre en communication devenue parfaitement incongrue, fut un déferlement de réactions hostiles dont la satire visuelle présente sur les supports de la presse écrite, de la télévision et de l’imagerie diffusée par internet, en France comme à l’étranger, a fait son miel.

Certains dessinateurs (ou humoristes) se sont eux-mêmes interrogés avec malice sur leur propension à décocher leurs flèches en direction d’un homme, le président, alors que sa politique était le fait d’un courant politique, d’un rassemblement plutôt large de formations politiques de droite et du centre. D’autres encore, plutôt hostiles à la réélection de Nicolas Sarkozy, se sont demandés quelle était la pertinence de ce pilonnage satirique, le jugeant même contre-productif au fur et à mesure de l’approche de l’échéance de 2012. Un doute croissant a commencé à se faire jour dès 2008 sur l’intérêt de réduire un discours souvent caricatural dans sa tonalité générale à quelques traits outran-ciers, répétés à l’envie pour discréditer le personnage, notamment son goût pour le luxe, le bling-bling, ou encore le fait de sa petite taille qu’il s’évertuait à camoufler, etc. N’était-ce point là des poncifs parfaitement réducteurs ?

Durant son mandat, Nicolas Sarkozy et ses conseillers se sont ingéniés à construire une image du président qu’ils ont cru initialement séductrice. Par la suite, en multipliant les virages communicationnels afin de faire évoluer cette construction pour en gommer les caractères devenus impopulaires, ils en ont compromis la pertinence aux yeux du plus large public. En réponse à cette construction, la partie de l’opinion hostile au président, quelquefois depuis un temps antérieur à son accession à la magistrature suprême, a pu bénéfi-cier de l’abondance d’un discours satirique, visuel et textuel, certes diversifié mais généralement destructeur. Face à ce flot dominé par la rhétorique de la péjoration ad hominem, le président a parfois lui-même répondu avec une maladroite brutalité, faisant appel aux tribunaux, multipliant les pressions plus ou moins directes ou occultes sur les directions de médias, comme ce fut de toute évidence le cas lors de l’éviction de Stéphane Guillon et de Didier Porte de France-Inter. Dans l’entretien au Monde déjà évoqué, Plantu rappelle les courriers et les coups de téléphone que Sarkozy envoyait et passait « à la

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rédaction en chef pour se plaindre » de ses dessins. Depuis le xixe siècle, l’opi-nion française juge toujours mal ce type de comportement.

Du point de vue du traitement singulièrement caricatural de Nicolas Sarkozy en tant qu’homme politique, on peut parler d’un avant et d’un après 2007. L’élection présidentielle a, en effet, notablement modifié la nature du type de satire produit à son encontre. À la différence de la situation qui avait prévalu en 1981, ou encore en 2002 avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac, en 2007, on est passé d’emblée à une caricature de type gouailleuse. Pour expliquer la nature spécifique de cette déferlante satirique attachée au personnage de Sarkozy, il faut envisager le processus dans sa dynamique même et interpréter les causes profondes d’une évolution paraissant irrésistible. Dans ce mécanisme, on peut légitimement s’interroger sur la part qui revient à la dégradation dans l’opinion de la majesté constitutionnelle, à celle qui a trait à la personnalité de l’homme public, sans oublier le contexte politique marqué par le rejet du modèle du « politicien » et, bien entendu, de l’usure d’un système lui-même. On passe vite de la mise en cause politique des responsables d’un système décrié à l’énoncé de leur possible culpabilité intrinsèque !

Toutefois, la part de la fonction présidentielle dans ce jeu de fléchettes aiguisées, cette crispation autour de l’image d’une institution incarnée par un individu, oblige à observer le passé caricatural du président pour mieux com-prendre l’évolution qui sera la sienne. Ce retour conduit également à comparer la production caricaturale touchant les présidents de la République antérieure à celle qui concerne Nicolas Sarkozy de manière à saisir invariants et évolu-tions, éléments non explorés jusque-là dans les études savantes.

Le large corpus construit à partir des images satiriques relatives aux vingt-trois derniers présidents de la République, permet de concevoir la caricature comme un phénomène dynamique, un mécanisme complexe, à la fois dépen-dant de la fonction politique et institutionnelle du caricaturé, mais aussi tra-versé par d’autres déterminations plus complexes ou même volatiles.

C’est la raison pour laquelle dans l’intitulé de la journée d’études1 dont les actes constituent ce numéro de Sociétés & Représentations, nous posions la question de savoir si le président était bien une cible « comme les autres ». Naturellement, chacun sait que la caricature politique, par ses effets d’exagéra-tion, a prioritairement ciblé des personnalités en vue, notamment politiques,

1. « Le président de la République face à la caricature (1848-2012) : une cible comme les autres ? ». Journée d’études organisée dans le cadre du salon annuel du dessin de presse et d’humour de Saint-Just-le-Martel, le vendredi 5 octobre 2012.

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pour mieux les stigmatiser, voire pour les dénigrer, et cela, depuis son ori-gine. En revanche, on peut s’interroger sur la capacité du discours caricatural à s’automodifier en raison de la nature même de la cible. Finalement, on se demandera si la fonction du personnage caricaturé et sa manière d’en incarner la fonction ne font pas la caricature elle-même.

L’histoire et le travail des historiens peuvent apporter quelques réponses partielles à cette question. On a montré que Louis XVI fut durablement épar-gné, jusqu’en 1791, par les dessinateurs, contrairement à certains ministres ou personnages politiques du temps, parce qu’il jouissait d’une sorte d’immunité caricaturale, liée à la sacralité de sa fonction, une sacralité qui s’est finalement autoliquidée sur la route qui devait le mener aux frontières et à son arrestation à Varennes en juin 1791. La fonction royale protégeait le monarque, alors même que le siècle découvrait progressivement l’usage de la caricature poli-tique et sociale, comme on l’observait en Angleterre à l’époque, même si les différences entre France et Angleterre sont profondes. Louis XIV, le Roi-Soleil omniscient, avait lui aussi été épargné par les attaques satiriques et lorsqu’il ne le fut plus dans les pays protestants, son corps n’est jamais représenté, déformé, ni animalisé, probablement en raison d’une réserve de ses adversaires qui ne pouvaient guère, sans s’affaiblir eux-mêmes, transgresser le mythe de l’union symbolique du corps physique et du corps symbolique du roi. Autres temps, autres pratiques, même si des exemples tirés de la production satirique du xixe siècle pourraient également nous permettre d’avancer que la fonction de président de la République possède bien, à la différence des autres fonctions d’autorité antérieure, une part d’imaginaire, qui en raison de son accessibilité même, produit et attise la satire tout en lui donnant un devoir de respectabilité.

En tant que premier d’entre les citoyens, le président devient une cible privilégiée. Ce qui n’est pas sans risque pour la fonction elle-même, et plus généralement pour la représentation que l’on se fait du caractère « sacré » des institutions républicaines. À l’arrivée, on le mesure aisément : la mandature de Nicolas Sarkozy l’a bien montré, le président ne jouit plus ou presque d’un sta-tut protecteur, comme les anciens monarques d’Ancien régime. Au contraire, il focalise sur lui la lumière satirique. On peut dire que la satire et la carica-ture « aiment » le président. Il est en revanche plus difficile de comprendre les mécanismes de polarisation sur sa personne qui sont en jeu. Ainsi, comment distinguer le président du reste de l’exécutif ? Apparaît-il comme un symbole politique ou, au contraire, comme l’incarnation d’un système au travers de l’exercice de sa fonction si particulière ? Quelles différences de traitement entre l’image des présidents « forts » (1848 puis après 1958) et les présidents dotés

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d’un pouvoir limité (IIIe et IVe Républiques) ? Le faible pouvoir de ces derniers (Fallières, Deschanel, Lebrun, etc.) entraîne-t-il un criblage caricatural limité au détriment du président du Conseil ? Perçoit-on des évolutions depuis 1873 jusqu’à ce que René Coty appelle au pouvoir le général de Gaulle ? Quelle incidence l’élection présidentielle au suffrage universel a-t-elle eue sur la repré-sentation caricaturale du président ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons réuni dans ce numéro de Sociétés & Représentations des auteurs issus de disciplines connexes : historiens, historiens de l’art…

Envisageant le traitement caricatural de l’ensemble des présidents de la République dans une visée comparatiste, Guillaume Doizy fait appel à deux notions connexes qui permettent de concevoir la mécanique satirique dans sa dynamique, l’identité caricaturale et la carrière caricaturale. L’auteur cherche à repérer les conditions de l’entrée d’un homme politique dans la caricature, les grandes étapes qui marquent la construction de son double satirique, parallè-lement aux crises politiques, à la carrière élective et aux fonctions exécutives. Il s’intéresse à la diversité des flux caricaturaux souvent cloisonnés et parfois concurrents, qui produisent l’identité caricaturale de l’homme public, en envi-sageant une hiérarchie de ces flux à chaque époque donnée, et l’influence de cette hiérarchie dans le processus de construction de l’identité caricaturale.

Les articles qui viennent ensuite abordent tous la question au travers d’études de cas spécifiques. Michela Lo Feudo analyse le traitement carica-tural du premier président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, dans un des plus fameux journaux satiriques de l’époque, Le Journal pour rire. Elle montre l’évolution dans ce traitement qui s’étale sur quelques années, et la rupture qu’a constitué l’accès à la magistrature suprême d’un personnage caractérisé jusque-là par un déficit d’images.

Jean-Luc Jarnier interroge, lui, la mandature écourtée de Casimir Perier. Élu à la suite de l’assassinat de Sadi Carnot, Casimir Perier subit un pilonnage sans précédent de la part de la presse d’extrême gauche et radicale mais aussi d’extrême droite, un criblage caricatural virulent et centré sur sa personne. Par l’analyse des dessins politiques parus dans une dizaine de journaux, dont le fameux Chambard socialiste, l’auteur restitue un « moment » de tension caricaturale particulièrement exceptionnel. Dans cette production intense, Jean-Luc Jarnier observe la circulation de quelques arguments visuels spéci-fiques que n’ont pas invoqué les dessinateurs contre d’autres présidents, ce qui interroge sur les rapports de la caricature à la personnalité du président. L’auteur montre également la partition très nette des arguments visuels entre

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une satire « anticapitaliste » qui dénonce la fortune et la lignée du président, et des journaux satiriques républicains, monarchistes ou bonapartistes qui s’abs-tiennent totalement de recourir à ces éléments à charge de caractère social.

Suite à la mort subite de Félix Faure, le républicain Émile Loubet occupe le Palais de l’Élysée. Malgré sa modération, sa position de chef de l’État l’en-gage dans l’affaire Dreyfus, suscitant la colère des nationalistes. Le 4 juin 1899, le président est victime d’un modeste attentat (un coup de canne sur sa tête, coiffée alors d’un chapeau haut de forme). La caricature antidreyfusarde ima-gine très vite d’associer à Loubet un attribut dépréciatif, évoquant le geste « héroïque » du baron Christiani, auteur du forfait. Bruno de Perthuis s’inté-resse à ce fameux chapeau cabossé au travers d’un corpus imagé très spéci-fique : les cartes postales satiriques du dessinateur Orens Denizard qui, à partir de 1902 et plus que tout autre dessinateur de cartes postales illustrées, reprend à son compte ce motif devenu quasiment identitaire.

Pierre Brouland s’intéresse de son côté à l’évolution du traitement cari-catural du président de la République puis président du Conseil, Raymond Poincaré, en se limitant au dessin satirique diffusé en Allemagne. Kladde-radatsch, Simplicissimus, Lustige Blatter, Der Wahre Jacob, Ulk, ainsi que les cartes postales satiriques publiées pendant la guerre, permettent de percevoir le changement de ton des satiristes entre les deux périodes définies par les deux fonctions successives auxquelles accède Poincaré dans des circonstances histo-riques exceptionnelles. Au mépris contre un chef d’État ridicule symbolisant la France, succède une haine graphique visant à discréditer un président du Conseil, responsable de l’occupation de la Ruhr. La caricature adapte sa rhé-torique à l’étendue du pouvoir de chacun, et donc à ses responsabilités dans la mise en œuvre d’une politique anti-allemande.

Agnès Sandras concentre son travail sur un fait divers qui a marqué le mandat présidentiel de Paul Deschanel : sa chute d’un train. Il s’agit de comprendre pourquoi un événement de cette nature, tellement médiatisé à l’époque, a suscité une avalanche de textes humoristiques, mais très peu de caricatures dessinées. Plusieurs facteurs sont interrogés pour expliquer cette disharmonie : quid de l’identité caricaturale de Deschanel ? De sa maladie mentale ? De sa vie privée d’homme public jouissant d’une position particuliè-rement respectable en République ? Le jeu imaginatif s’en trouve très étendu.

Les deux articles suivant portent sur la Ve République. Laurent Martin, spécialiste du Canard enchaîné, étudie le criblage caricatural opéré par le fameux « palmipède » à propos de la personne du général de Gaulle. Son étude permet de dégager une modulation du discours satirique envers un homme

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qui fut chef du gouvernement provisoire, puis en retrait de la vie politique, « rappelé » dans des circonstances exceptionnelles, enfin élu président de la République selon différents types de scrutin. Le propos vise à comprendre l’influence de la « présidentialisation du régime » sur le traitement satirique de l’homme qui l’incarna si fortement.

Stéphane Mazurier concentre son attention sur la manière dont le pre-mier Charlie Hebdo a brocardé quatre présidents emblématiques successifs : de Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand. L’auteur observe avec une par-ticulière attention la manière dont les dessinateurs de ce journal s’efforcent surtout par la caricature de condamner une façon de gouverner, une idéologie, voire les institutions de la Ve République, en ce qu’elles ont établi une sorte de « monarchie républicaine ». L’esprit « bête et méchant » tend à enfreindre divers tabous protégeant jusque-là l’image des hommes d’État.

Enfin, pour clore ce dossier, Rachida Tlili et Souheil Fakhfah s’intéressent à la représentation d’un président de la transition, Moncef Marzouki, dans la Tunisie de l’après « printemps arabe ». À partir d’un corpus neuf et peu connu en France, les images satiriques numériques de caricaturistes tunisiens, les auteurs s’interrogent sur la portée de ces nouvelles armes du combat poli-tique et questionnent leur contribution au développement d’une conscience politique préparant à l’élaboration d’un projet de société aux antipodes de l’ancien système.

L’ensemble de ces travaux permet de mieux cerner les mécanismes qui sous tendent la caricature politique. La satire visuelle visant les présidents de la République constitue un formidable laboratoire de réflexion, offrant un corpus très large et des possibilités comparatistes sans précédent. Si les dessina-teurs sont inspirés par l’exercice d’une même fonction publique éminente, ils se montrent sensibles à la manière différentielle dont elle est incarnée par des personnalités spécifiques, cela saisi sur un temps relativement long. Si le rôle du président évolue tout au long de cette période (pouvoir « fort » puis faible et de nouveau fort), on perçoit combien le tempérament de celui qui occupe le Palais de l’Élysée influe sur la caricature, elle-même largement déterminée par l’état réel des supports médiatiques. Les flux caricaturaux produits selon les mouvements de l’histoire contemporaine ne sont pas sans agir sur la forma-tion des grandes tendances de la représentation de tel ou tel président, telles qu’elles s’élaborent au fil des publications. Les contributions que nous avons réunies dans ce numéro de Sociétés & Représentations permettent d’envisager un aspect sans doute encore trop peu relevé : le rôle des « tabous » collectifs qui balisent le champ du criblage caricatural, la question des limites de la

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satire étant généralement et progressivement moins envisagée en termes de censure que d’autocensure qui relève de la conscience des dessinateurs. De toute évidence, qu’il s’agisse de la mort de Félix Faure ou de la dégénérescence mentale de Paul Deschanel, la retenue des dessinateurs invite à réfléchir – pour tenter de l’expliquer – à l’appartenance des dessinateurs et caricaturistes aux différents médias qui instrumentalisent l’art de la satire. Une interrogation qui s’étend à l’ensemble du discours caricatural, dont les mécanismes profonds et les stimuli restent, nous en sommes persuadés, encore largement méconnus et peut-être mal compris.

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