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O n ne saurait, aux horizons 2030 et 2050, peindre un pano- rama prospectif exhaustif des évo- lutions sociales possibles dans le monde. On peut, en revanche, in- sister sur des tendances extrême- ment structurantes. On en retien- dra quatre. Le monde sera, demain, moins pauvre. La perspective d’ex- tinction de la pauvreté extrême n’est 77 Sociétés et modes de vie dans le monde G RANDES TENDANCES D ÉVOLUTION ÀL HORIZON 2030-2050 PAR JULIEN DAMON 1 S’il n’est pas possible, compte tenu de la disparité des sociétés et des contextes propres aux différents pays du monde, de déterminer avec précision, et exhaustivement, quelles seront les évolutions so- ciales du monde dans les prochaines décennies, un certain nombre de tendances lourdes et structurantes, en revanche, peuvent être relevées en cette matière. Comme le montre ici Julien Damon, à par- tir de sa contribution au Rapport Vigie 2016 2 , quatre grandes ten- dances méritent attention : le recul de la pauvreté dans le monde ; la poursuite de l’affirmation des classes moyennes dans les pays émergents, et les conséquences qui en découlent en termes de consommation ; la progression de l’urbanisation ; et un renforce- ment du poids des religions. Ces tendances, certes, affectent de ma- nière très différente les pays pauvres et les pays riches ; elles n’en demeurent pas moins déterminantes s’agissant de l’évolution du monde et des sociétés qui le façonneront demain. S.D. 1. Professeur associé à Sciences Po Paris, consultant et ancien chef du service Questions sociales au Centre d’analyse stratégique, conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de la sécurité sociale, membre du comité de rédaction de Futuribles et conseiller scientifique de Futuribles International. 2. Jouvenel François (de) (sous la dir. de), Rapport Vigie 2016. Futurs possibles à l’horizon 2030- 2050, Paris : Futuribles International, 2016, 540 p.

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On ne saurait, aux horizons2030 et 2050, peindre un pa no -

rama prospectif exhaustif des évo-lutions sociales possibles dans lemonde. On peut, en revanche, in -

sister sur des tendances extrême-ment structurantes. On en retien-dra quatre. Le monde sera, demain,moins pauvre. La perspective d’ex-tinction de la pauvreté extrême n’est

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Sociétés et modes de viedans le monde

GRANDES TENDANCES D’ÉVOLUTIONÀ L’HORIZON 2030-2050

PAR JULIEN DAMON 1

S’il n’est pas possible, compte tenu de la disparité des sociétés etdes contextes propres aux différents pays du monde, de détermineravec précision, et exhaustivement, quelles seront les évolutions so -ciales du monde dans les prochaines décennies, un certain nombrede tendances lourdes et structurantes, en revanche, peuvent êtrerelevées en cette matière. Comme le montre ici Julien Damon, à par-tir de sa contribution au Rapport Vigie 2016!2, quatre grandes ten-dances méritent attention!: le recul de la pauvreté dans le monde!;la poursuite de l’affirmation des classes moyennes dans les paysémergents, et les conséquences qui en découlent en termes deconsommation! ; la progression de l’urbanisation! ; et un renforce-ment du poids des religions. Ces tendances, certes, affectent de ma -nière très différente les pays pauvres et les pays riches!; elles n’endemeurent pas moins déterminantes s’agissant de l’évolution dumonde et des sociétés qui le façonneront demain. S.D. !

1. Professeur associé à Sciences Po Paris, consultant et ancien chef du service Questionssociales au Centre d’analyse stratégique, conseiller scientifique de l’École nationale supérieurede la sécurité sociale, membre du comité de rédaction de Futuribles et conseiller scientifique deFuturibles International.2. Jouvenel François (de) (sous la dir. de), Rapport Vigie 2016. Futurs possibles à l’horizon 2030-2050, Paris!: Futuribles International, 2016, 540!p.

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pas utopique, même s’il faut conser-ver à l’esprit le sujet de la pro -gression des inégalités. Deuxièmedynamique, les classes moyennesémergentes vont très probablementcontinuer à s’affirmer, avec leursnouvelles aspirations et d’impor-tants potentiels de consommation.Troisième mouvement, l’urbanisa-tion va poursuivre sa progression,sous ses deux formes très contras-tées de la métropolisation (concen-tration des richesses et des activitésdans les grands centres urbains) etde la bidonvillisation (extension deshabitats dégradés). Enfin, quatrièmeévolution majeure, le monde seraplus religieux qu’attendu. Ces phé-nomènes affecteront très différem-ment pays pauvres (plus religieuxet en cours de « moyennisation »)et pays riches (moins religieux etaffectés par une certaine «! dé -moyennisation!»).

Le «!désappauvrisse-ment!» du monde

La pauvreté, à l’échelle interna-tionale, est mesurée à l’aune d’unindicateur devenu classique! : leseuil dit «!à un dollar!US par jour!».Depuis un premier rapport de laBanque mondiale, paru en 1990!3,les experts de la Banque et du Fondsmonétaire international (FMI) cal-culent des taux de pauvreté danstous les pays du monde. Plus préci-sément, ils s’intéressent aux paysen développement et à l’extrêmepauvreté. Sous le seuil retenu parles institutions internationales, on

trouve en effet très peu de pauvres,voire aucun, en France ou aux États-Unis. L’instrument de mesure de lapauvreté, qui se situe désormais,après avoir été réévalué en 2005, à1,25 dollar US en parité de pouvoird’achat (PPA), sous un seuil de 1,9dollar!US, est une approche abso-lue du dénuement, désignant descapacités de consommation extrê-mement faibles.

La dynamique observée depuisplusieurs années est à une baissede la pauvreté dans le monde et àdes perspectives encore plus posi -tives dans la mesure où l’extinctionmême du phénomène est souventsignalée comme possibilité à l’ho -rizon 2030. Au-delà des querellesméthodologiques, il faut simple-ment avoir à l’esprit que passer demoins de 1,9 dollar US par jour en capacités de consommation à1,91 dollar US fait certes passer del’autre côté du seuil, mais laissetout de même dans des conditionsencore extrêmement fragiles. Iln’em pêche!: la dynamique est parti-culièrement évidente, le monde estde moins en moins pauvre. Le spé-cialiste du développement Jean-Michel Severino a trouvé une ex -pression heureuse pour désigner latendance : le «!désappauvrissementdu monde!4 ».

Pour avoir une idée de la baissede la pauvreté dans le monde, onpeut passer par trois graphiques quisignent bien les évolutions fortes et contrastées à l’œuvre. Le premierprésente les évolutions observées

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3. Rapport sur le développement dans le monde 1990. La pauvreté, Washington, D.C.!: Banquemondiale, 1990.4. Severino Jean-Michel et Ray Olivier, Le Grand Basculement. La question sociale à l’échellemondiale, Paris!: Odile Jacob, 2011 (analysé in Futuribles, n° 383, mars 2012, p. 176-178 [NDLR]).

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en ce qui concerne le nombre et la proportion des pauvres dans lemonde depuis 1990 jusqu’à 2015(graphique!1). Les chiffres 2015 sontdéjà des extrapolations à partir dedonnées dont la fiabilité s’amélioremais demeure sujette à bien desdiscussions.

Ces précisions à l’esprit, il n’enreste pas moins une dynamique trèsclaire. En un quart de siècle, alorsque la population totale augmenterapidement, le nombrede pauvres, dans lemonde, est di visé pardeux.

Cette tendance trèspuissante à la baisse estsingulièrement nourriepar la forte diminutionde la pauvreté chez cer-tains géants démogra-phiques de venus desgéants économiques.Il en va ainsi notam-ment de la Chine et duBré sil. L’évo lution ence sens ne concernece pendant pas tous lespays. Le graphique! 2montre clairement lachute de la pau vreté

en Asie de l’Est (division par cinqdu nombre de pauvres extrêmes) etson maintien, voire sa progression,en Afrique subsaharienne.

Depuis ces constats, et malgréles évaluations des conséquencesnégatives de la déflagration finan-cière de la fin de la première dé -cennie 2000, des projections etprévisions font état d’une baissecontinue encore à attendre de la

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Graphique 1 — Évolution globale de la pauvreté

2500

2000

1500

1000

500

0

50454035302520151050

Seuil de pauvreté : 1,25 dollar US par jour en PPA 2005.Source!: Banque mondiale, FMI.

1990 2005 2010 2015

Nombre de pauvres (millions, échelle de gauche)

Taux de pauvreté (%, échelle de droite)

Graphique 2 — Évolution du nombre de pauvres en Afrique

et en Asie (en millions)

1000

800

600

400

200

0

Seuil de pauvreté : 1,25 dollar US par jour en PPA2005.Source!: Banque mondiale, FMI.

1990 2005 2010 2015

Asie de l’Est et Pacifique

Afrique subsaharienne

Graphique 3 — 2030 : vers la fin de la pauvreté* (taux de pauvreté, en %) ?

70

60

50

40

30

20

10

0

*À 1,25 dollar US par jour en PPA 2005.Source!: CHANDY Laurence, LEDLIE Natasha et PENCIAKOVA Veronika, « TheFinal Countdown: Prospect for Ending Poverty by 2030 », Policy Paper,avril 2013, 21 p., The Brookings Institution.

1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030

Estimation officielleScénario tendancielÉcart basé sur le meilleuret le pire des scénarios

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pauvreté. On peut les présenter àpartir d’une courbe établie par laBrookings Institution (graphique!3)et relayée notamment en couverturede The Economist.

La projection centrale (qui est lechiffre le plus généralement com-muniqué) pourra pa raître très opti-

miste, notamment au regard du re -tournement de tendance ayantaffecté nombre de pays émergentsen 2013 et 2014. Reste que ce n’estpas l’éradication totale de la pau -vreté à 1,25!dollar US qui est an -noncée, car même dans le scénariole plus optimiste, il demeure toutde même près de 400 millions depauvres dans le monde. Dans cetexercice de projection!/ prospective,les bornes des différents scénarios

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Scénario Estimation officielle Scénario faible ou centrale élevé

1991 - 1 900 -2013 824 964 1 1122030 98 385 1 089

Source : CHANDY Laurence, LEDLIE Natasha et PENCIA -KOVA Veronika, op. cit.

Tableau 1!— Nombre de pauvres dans le monde (en millions)

Alors que la pauvreté extrême n’a jamais autant baissé, les plus aisés —!à com-prendre comme la population comptant parmi le 1!% d’individus les plus favo-risés!— le sont toujours davantage. Alors que les inégalités, de revenu commede patrimoine, avaient fortement baissé un peu partout dans les pays riches,jusque dans les années 1970, elles sont reparties à la hausse depuis. Il en vaainsi singulièrement aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Australie.

Vers 1900, aux États-Unis, le 1!% le plus favorisé comptait pour 18!% du revenutotal, ce n’était plus le cas que de 8!% en 1970, et le niveau de 18!% a été denouveau atteint en 2010. La France était dans la même situation en 1900, maisdemeure à environ 8!% en 2010, même si un frémissement est notable aprèsun plancher à moins de 7!% qui avait été atteint vers 1980. L’analyse nationaledu 1!% dans l’ensemble des pays riches marque ce renforcement.

À l’échelle du monde, l’ensemble des populations du 1!% des pays riches com-pose ce qui a été baptisé une «!hyperclasse!» à laquelle profite assurément ladynamique de mondialisation. Dans les pays en développement, ce 1!% est ty -pique non pas d’une économie de rente ou de stars, mais de systèmes de cap-tation et corruption qui ne se sont pas éteints. Entre les deux populations ex -trêmes, les peu favorisés qui sortent de la pauvreté, et les très favorisés, setrouvent des classes moyennes inquiètes (dans les pays riches) et désireuses dechangement (dans les pays pauvres).

J.D.

PENDANT LA BAISSE DE LA PAUVRETÉ,L’ENRICHISSEMENT DES TRÈS AISÉS

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sont assez larges, puisque dans unefigure encore plus optimiste, il pour-rait ne demeurer que moins de 100millions de pauvres en 2030!; alorsque dans un scénario plus pessi-miste, il en demeurerait environ unmilliard, comme actuellement. Maisalors, tout de même, en proportion,la pauvreté serait moins importante.

L’affirmation mondialedes classes moyennes!

On signale à l’envi, en France etdans nombre de pays occidentaux,le déclassement relatif et l’inquié -tude des classes moyennes, tandisque dans les pays émergents, desclasses moyennes seraient en coursd’apparition, à l’aube d’une phased’expansion. D’une certaine façon,des dynamiques de «!moyennisa-tion!» caractériseraient les pays endéveloppement, comme elles ont pucaractériser, toutes proportions gar-dées, la France des Trente Glo rieuses.Parallèlement, des dynamiques de«!démoyennisation!» affecteraientles pays du Vieux Monde!5.

Depuis le XIXe siècle, de nom-breuses analyses tentent de déli -miter les contours des classesmoyennes. Célébrées, critiquées,courtisées ou méprisées selon lesépoques et les auteurs, elles font,tout spécialement maintenant, enFrance, dans l’Union européenne,aux États-Unis, mais aussi dans lemonde en développement, l’objetd’observations attentives. Situées,dans les pays riches, à l’épicentre des

questions sociales et des préoccu-pations électorales, elles inté ressent.Entre sécession des très riches et ex -clusion des très pauvres, ces strates,aux contours qui varient fortementselon les études, se trouvent au car-refour de bien des dynamiques etproblématiques. À l’échelle mon-diale, leur apparition dans les paysen développement révolutionne po -tentiellement les équilibres écono-miques et démocratiques, tant danschacun de ces pays qu’à l’échellemondiale.

Les études passant par des four-chettes et bornes de revenus dispo-nibles ou de niveaux de consom-mation permettant d’estimer lataille des classes moyennes émer-gentes proposent des intervalles dif-férents. L’approche peut être plusou moins restrictive, plus ou moinsproche des seuils de pauvreté etd’aisance. Quelques exemples! : laBanque africaine de développementet la Banque asiatique de dévelop-pement ont publié des études surles classes moyennes sur base derevenus compris entre 2 et 20 dol-lars!US par jour!; la Banque mon-diale a travaillé sur un intervalle 2-13 dollars!US par jour (correspon-dant, pour la limite inférieure, auseuil de pauvreté médian de 70pays et, pour la limite supérieure, àcelui des États-Unis)! ; le cabinetMcKinsey se base sur un revenudisponible situé au-dessus de 10 dol -lars!US par jour. Dans un des tra-vaux de l’OCDE (Organisation decoopération et de développementéconomiques) les plus fréquemment

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5. Pour plus de précisions, on se permet de renvoyer à Damon Julien, Les Classes moyennes,Paris!: Presses universitaires de France (Que sais-je!?), 2013!; et Le Marché des classes moyennesdans les pays émergents, Paris!: Eyrolles!/ CCIP (Chambre de commerce et d’industrie de Paris),2014.

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repris, les bornes vont de 10 à 100dollars!US de pouvoir d’achat quo-tidien. L’intérêt de raisonner sur unintervalle 10 à 100 dollars!US estd’exclure de la classe moyennemondiale, d’une part, les pauvresdes pays les plus pauvres et, d’autrepart, les riches des pays les plusriches.

Quelles que puissent être lesméthodes, les plafonds et les plan-chers, les sources et les modes decollecte des données, les conclusionsvont dans le même sens. Exper tiseset annonces rapportent et répètentune affirmation en cours des classesmoyennes dans les pays émergents.

On s’intéressera à l’un de ces tra-vaux de comparaison internationalequi fait référence. Il a ses laudateurset détracteurs, ses vertus et ses dé -fauts. Cette analyse, diffusée parl’OCDE, doit être considérée, elleaussi, avec précaution. Mais elle per-met une vision d’ensemble.

L’économiste Homi Kharas a ainsiréalisé un rapport OCDE qui a faitle tour du monde!6. Selon lui, lesclasses moyennes peuvent être dé -finies dans un intervalle de revenusqui va de 10 à 100 dollars!US depouvoir d’achat quotidien par ha -bitant. Ce document de travail del’OCDE, qui est l’une des rares études sur la stratification socialede la planète, porte sur 145 pays,représentant 98!% de la populationmondiale et 99!% du produit inté-rieur brut (PIB) mondial. Il recense,pour 2009, un peu plus de 1,8 mil -

liard de personnes au sein de la«!classe moyenne mondiale!».

La moitié des personnes comp-tées dans cette classe (soit environun milliard d’individus) vivent dansdes économies émergentes à fortecroissance. Les États-Unis, à euxseuls, en rassemblent 230 millions,l’Europe (au sens large) 664 mil -lions et l’Asie un demi-milliard.L’Afrique subsaharienne, dans sonentier, n’en compte qu’une trentainede millions, autant que le seul Ca -nada. La Chine, avec 157 millionsde personnes, abrite, derrière lesÉtats-Unis, la deuxième populationse situant dans l’intervalle de laclasse moyenne mondiale. Alors quecette classe moyenne mondiale esttrès largement majoritaire dans lapopulation des États-Unis, elle estencore très réduite en Chine (12!%de la population totale). Et certainscommentateurs pensent que le chif-frage est très exagéré. Il en va demême en Inde, où des experts lo -caux et des correspondants de jour-naux rapportent une classe moyennequi ne serait en réalité qu’une étroiteélite.

Ces nouvelles réserves à l’esprit,on peut revenir au travail de H. Kha -ras selon qui la taille de cette classemoyenne mondiale pourrait passerà 3,2 milliards d’individus en 2020et 4,9 milliards en 2030. L’essentielde cette croissance (85!%) provien-drait d’Asie. La taille de la classemoyenne nord-américaine devraitrester constante, ceci étant lié à deuxphénomènes qui se compensent! :

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6. Kharas Homi, The Emerging Middle Class in Developing Countries, Paris!: OCDE (Develop -ment Centre), Working Paper, n°!285, janvier 2010. Et pour pondérer les projections de H.Kharas, voir une autre expertise rapide de l’OCDE, en 2013, sur le « blues des classes moyennesémergentes »!: «!Emerging Middle Class Blues!», Insights, juillet 2013. URL!: http://oecdinsights.org/2013/07/01/emerging-middle-class-blues/. Consulté le 2 septembre 2016.

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des pauvres entrent dans la classemoyenne, tandis que des membresde la classe moyenne s’enrichissentet la quittent, statistiquement. L’Eu -rope verrait sa classe moyenne aug-menter jusqu’au début des années2020, mais décliner ensuite, en rai-son de la décroissance de la popu -lation dans quelques grands payscomme l’Allemagne ou la Russie.

Avec ces estimations OCDE eten fonction des projections de po -pulation de l’Organisation des Na -tions unies (ONU), on peut estimerque la classe moyenne globale re -présentait 27 % de la populationmondiale en 2009. Elle pourrait enreprésenter 42!% en 2020 et 59!%en 2030, quand le monde comp -terait 8,3 milliards d’habitants. Lemouvement est vertigineux. Paral -lèle ment, alors que l’Europe etl’Amé rique du Nord rassemblent,en 2009, plus de la moitié de cetteclasse moyenne mondiale, ces paysne compteraient plus que pour en -viron 20 % de la classe moyennemondiale en 2030. Là aussi, la trans -formation est considérable. Répé -tons tout de même que ces évalua-tions, et à plus forte raison encoreces projections, sont fonction de don-nées, d’hypothèses et d’évolutionsqui appellent à toujours prendre leschiffres avec précaution.

En ce qui concerne les donnéeselles-mêmes, c’est peu dire qu’ellesne sont pas totalement assurées.Les bases et méthodes de collectes’améliorent continuellement, maistous les pays ne disposent pas d’unoutil aussi puissant —! même siparfois discutable!— que l’Institutnational de la statistique et des études économiques (INSEE) enFrance. Donc, en ce qui concernemême la taille des classes moyennesaujourd’hui, à partir de fourchettesde niveau de vie, il va sans dire qu’iln’y a là qu’une estimation, sujettemême à caution.

En ce qui concerne les hypothèses,tout repose sur les conventions deséconomistes estimant que tel ou telplancher et tel ou tel plafond fontintégrer une population à la classemoyenne mondiale (une notion quin’a pourtant pas grand sens dansnombre de pays).

Enfin, les évolutions de la classemoyenne mondiale, telle que re -pérée dans chacun des pays, ne ré -sultent pas uniquement des trans-formations de structure sociale dansces pays, mais également, voiresurtout, au regard des instrumentsde mesure utilisés, des prix et destaux de change. Les parités de pou-voir d’achat ne rapportent qu’impar-

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2009 2020 2030

Amérique du Nord 338 18 % 333 10 % 322 7 %Europe 664 36 % 703 22 % 680 14 %Amérique du Sud 181 10 % 251 8 % 313 6 %Asie 525 28 % 1 740 54% 3 228 66 %Afrique subsaharienne 32 2 % 57 2 % 107 2 %Moyen-Orient et Afrique du Nord 105 6 % 165 5 % 234 5 %Monde 1 845 100 % 3 249 100 % 4 884 100 %

Source : OCDE ; KHARAS Homi, op. cit.

Tableau 2!— La classe moyenne mondiale : évaluation et projection (en millions d’individus, et en %)

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faitement ces phénomènes qu’ellescherchent à dépasser.

Prenant appui sur les travauxOCDE, le cabinet McKinsey s’estpenché sur le développement de la«!classe moyenne consommatrice!».Il aborde ainsi la classe moyenneémergente comme la catégorie dela population qui peut satisfaire desbesoins basiques, mais égalementdes besoins plus élaborés!7. Le seuilretenu par McKinsey est celui d’unrevenu disponible supérieur à 10dollars!US par jour. En 2010, cetteclasse compterait 2,4 milliardsd’individus (une estimation supé-rieure à celle de l’OCDE car ce sontles revenus et non le pouvoir d’achatqui sont pris en compte). Et McKin -sey d’estimer qu’en 2025 elle comp -terait 4,2 milliards de personnes.En 2025, la population mondiale se situerait à plus de 50 %dans cette classe de consom-mation. En 2010, cette der-nière représente déjà plus du tiers de la population duglobe.

C’est la progression qui,rétro spectivement, est im -pressionnante. En 1970, laclasse consommatrice —!alorssurtout présente dans lemonde développé — necomptait pas encore pour lequart de la population mon-diale. En 1950, elle n’en re -présentait que 13 %, et en1900 moins de 0,1 %. De1970 à 1990, la classeconsommatrice mondiale aaugmenté de 1,7!% par an.D’ici 2025, ce rythme pour-

rait plus que doubler (graphique 4).La classe moyenne consommatricesera de plus en plus située dans desvilles et, plus précisément, dans desvilles des pays en développement.

McKinsey estime que d’ici 2025c’est plus d’un milliard de per -sonnes supplémentaires qu’il faudracompter dans les classes moyennesurbaines des pays émergents. D’ici2025, l’essentiel de l’augmentationen volume de la classe consomma-trice se fera dans les villes des paysémergents (à 95 % selon McKin sey).D’où d’immenses be soins —!large-ment déjà présents!— à satisfaire,au risque de grandes frustrations etdésillusions, en ma tière de servicescollectifs d’eau, d’énergie, de santé,d’éducation.

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7. Voir Court David et Narasimhan Laxman, «!Capturing the World’s Emerging MiddleClass!», McKinsey Quarterly, juillet 2010. URL!: http://www.mckinsey.com/industries/retail/our-insights/capturing-the-worlds-emerging-middle-class. Consulté le 2 septembre 2016.

Graphique 4 — La progression de la « classe consommatrice » mondiale

selon McKinsey (en milliards d’individus)

9

8

7

6

5

4

3

2

1

0

Source!: Urban World: Cities and the Rise of the Consuming Class,San Francisco : McKinsey Global Institute, juin 2012.

1820 1870 1900 1950 1970 1990 2010 2025Dans la classe consommatrice (> 10 dollars US/jour)Pas encore dans la classe consommatrice (< 10 dollars US/jour)

10,05

1,2

0,1

1,5

0,1

2,2

0,3

2,8

0,9

4

1,2

4,4

2,4

3,7

4,2

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Une population mondiale toujoursplus urbaine

Le développement des classesmoyennes s’accompagne de la pro-gression d’une de leurs caractéris-tiques sociologiques!: l’urbanisation.Tous les deux ans depuis 1988, laDivision de la population de l’ONUpublie des projections relatives àl’évolution des populations urbaineset rurales. Depuis 2008, la popu -lation mondiale serait majoritaire-ment urbaine. Cette proportion estestimée à 54!% en 2015 et projetéeà 66!% en 2050 (tableau!3).

De 2015 à 2050, la combinaisonde la croissance démographiquemondiale et du processus d’urbani-sation devrait conduire à une aug-mentation de 2,5 milliards d’urbains.Cette croissance démographiqueurbaine serait à 90 % concentréeen Asie et en Afrique, tout particu-lièrement en Inde, en Chine et auNigeria. Ces trois seuls pays comp-teraient pour 37!% de l’augmenta-tion projetée. En 2050, l’Inde pour-rait compter 404 millions d’urbainsde plus (en étant d’ailleurs tout justeà majorité urbaine alors), la Chine292 millions, le Nigeria 212 mil -lions. C’est dire, une nouvelle fois,l’ampleur des défis, en termes d’in-frastructures, de logements, d’éner -

gie, mais aussi de services sanitaireset éducatifs.

Les constats et dynamiques sontmaintenant connus. La populationurbaine mondiale a augmenté rapi-dement, de 746 millions en 1950 à3,9 milliards en 2015. Les urbainspourraient être six milliards en 2045.L’Asie, malgré un taux d’urbanisa-tion relativement faible, abrite au -jour d’hui 53!% de la population ur -baine mondiale, suivie par l’Europe(14!%) et l’Amérique latine (13!%).

Les travaux de l’ONU mettentl’accent sur les grandes aggloméra-tions, comme expression du phéno-mène essentiel de métropolisation.Les «!mégacités!» (comme l’ONUles appelle) de plus de 10 millionsd’habitants prennent de l’impor-tance. On en comptait trois seule-ment en 1970, 10 en 1990, pour untotal de 153 millions de personnes(moins de 7!% de la population ur -baine totale). En 2014, on recense28 mégacités, pour 453 millions depersonnes (environ 12!% de la po -pulation urbaine mondiale). En2030, l’ONU estime que l’on comp-tera 41 villes de cette taille.

Au titre de ces plus grandesagglomérations mondiales, les ré -centes données confirment extrê-mement nettement une évolutionconnue. De 1830 à 1925, la plusgrande ville du monde est restée

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Monde Afrique Asie Europe Amérique latine Amérique du Nord Océanie

1950 30 14 18 52 41 64 622015 54 40 48 74 80 82 712050 66 56 64 82 86 87 74

Source : DPNU (Division de la population des Nations unies), World Urbanization Prospects: The 2014Revision, New York!: Nations unies, 2014.

Tableau 3!— Évolution du taux d’urbanisation (part des personnes vivant en zone urbaine, en %)

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Londres (avec unepopulation allantd’un à huit millionsd’habitants) devant,notamment, Pékin.Elle fut ensuite dé -passée par New York,elle-même ensuitedépassée par Tokyo.Mais on peut le direautrement et plusgénéralement! : lemonde des grandesvilles était, principa-lement, un mondeeuropéen au XIXe

siècle, américain auXXe. C’est, au XXIe

siècle, un monde essentiellementasiatique et africain.

Si l’on se concentre souvent dansles constats et interrogations sur cesgigantesques villes, qui prennentdonc de l’importance, il n’en restepas moins que la moitié des ur -bains (soit près de deux milliardsde personnes) vivent, en 2014, dansdes villes de moins de 500!000 ha -bitants. Et il devrait en être encorede même en 2030.

L’urbanisation mondiale en coursse caractérise par une concentra-tion et densification croissantes, et,dans ce cadre, par la prolifération etl’extension des bidonvilles. Les Na -tions unies ont estimé et annoncéque le nombre de personnes vivantdans des bidonvilles avait dépasséle milliard en 2007 et qu’il pourraitatteindre 1,4 milliard en 2020, voiredeux milliards en 2050. La préci-sion statistique est assurément im -possible, mais les ordres de gran-deur ont leur part de validité.

Plus d’un être humain sur septvivrait donc aujourd’hui dans unbidonville (aussi diverses puissent

être les définitions et situations deces quartiers particuliers). Si toutdevait continuer de la sorte, ce se -rait un être humain sur six en 2020.Une expression s’impose : l’urbani-sation du monde est, pour une largepart, une «!bidonvillisation!».

Les définitions et traductions sontpeu assurées. Les termes «!taudis!»,«! bidonvilles! », «! habitats infor-mels!», «!établissements informels!»,«!quartiers informels!», «!squats »ou bien foyers à «!faibles revenus!»sont souvent employés de manièreinterchangeable. À l’échelle mon-diale, ONU-Habitat a proposé, en2010, sa propre définition à traversun indicateur à cinq variables. Ladéfinition du bidonville, plus opé-rationnelle qu’officielle, d’ONU-Habitat se concentre sur les carac-tères physiques (mauvaise qualitédes logements, absence d’accès àl’eau et à l’assainissement) et juri-diques (illégalité de l’occupation dusol et de la construction).

Une telle définition, dans l’hété-rogénéité de ses composantes, pour-rait, selon certains experts, tendre

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2014 2030

Rang Ville Population Rang Ville Population

1 Tokyo 37,8 1 Tokyo 37,22 Delhi 24,9 2 Delhi 36,13 Shanghai 23,0 3 Shanghai 30,84 Mexico 20,8 4 Mumbai 27,85 São Paulo 20,8 5 Pékin 27,76 Mumbai 20,7 6 Dacca 27,47 Osaka 20,1 7 Karachi 24,88 Pékin 19,5 8 Le Caire 24,59 New York 18,6 9 Lagos 24,2

10 Le Caire 18,4 10 Mexico 23,9

Source!: DPNU, op. cit.

Tableau 4 —!Les 10 agglomérations urbaines les plus peuplées dans le monde en 2014

et 2030 (projection), en millions d’habitants

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à sous-estimer les phénomènes.D’autres auteurs considèrent que lafiabilité de la donnée ne permet pas,en réalité, de dire grand-chose derigoureux.

Au sujet de ces territoires, deuxthèses s’affrontent. Certains y ob -servent un long processus d’amé-lioration des conditions de vie!; laville permettant l’accès progressif àdes réseaux améliorés (qu’il s’agissed’eau, d’éducation ou d’énergie).D’autres insistent sur la dégrada-tion des situations (notamment entermes d’insécurité). Territoires depauvreté, ces espaces urbains sontégalement des lieux d’innovationset de frugalité contraintes. Faut-il

célébrer ces innovations et peut-ons’en inspirer dans les pays dévelop-pés!? Cette première question estactuellement ouverte. Une autre in -terrogation est plus classique. Lesbidonvilles sont-ils, dans les paysen développement, des sas vers desvies meilleures ou des nasses danslesquelles sont piégés les habitants!?La thèse de la ville comme sas aconnu, ces derniers temps, un re gaind’intérêt. Mais l’absence de donnéesfiables doit conduire à s’interdire deconclure de manière univoque. Entout état de cause, le mouvementde concentration et d’agglomérationdans des zones ur baines va conti-nuer à passer mas sivement par leszones les plus dégradées.

SOCIÉTÉS ET MODES DE VIE DANS LE MONDE

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L’acronyme BOP, pour Bottom Of the Pyramid ou Base Of the Pyramid, a accédéà la célébrité. Il désigne la taille considérable que représentent les populationspauvres des pays pauvres, à la base de la pyramide de la distribution de lapopulation mondiale selon ses ressources. La plus grande partie de la popula-tion mondiale se trouve dans le BOP, si on prend un plafond à 10!dollars US parjour. À la fin des années 2000, ce sont presque 4,5 milliards d’individus qui viventavec moins de 10 dollars!US par jour. Mais si on prend comme plafond du BOPle seuil de pauvreté à 1,5 dollar US par jour en parité de pouvoir d’achat (passéà 1,9 dollar US en 2015), on dénombre un milliard, environ, de personnes.

Bien au-dessus du BOP, se trouve une population qui peut être baptisée TOP(pour Top Of the Pyramid ) dont on place le plancher de revenus à 100 dollars!USpar jour. Environ 500 millions de personnes se trouvent dans cette situation,principalement dans les pays riches. Enfin dans l’entre-deux, on trouve la classemoyenne mondiale, qu’un nouvel acronyme évident vient désigner!: MOP (pourMiddle Of the Pyramid ). Cette population MOP compte, grossièrement, deux mil -liards de personnes (moyenne de chiffres OCDE et McKinsey). Elle se trouve en -core majoritairement dans les pays riches. Mais dès 2020, l’Asie en abriteraitplus de la moitié.

Cette classe MOP présente des niveaux de vie sensiblement plus élevés queceux des pauvres. Les classes moyennes émergentes, réunies dans le MOP, ré -partissent leur budget différemment que les pauvres. Moins de dépenses ennourriture, plus en loisirs et en éducation. Majoritairement urbaines, et trèsreprésentées dans les grandes métropoles, elles habitent, pour une grande par-tie d’entre elles, dans des logements équipés de toilettes et téléviseurs. Assu -ré ment les MOP — si on peut dire — se trouvent dans des quartiers équipésmais aussi dans de l’habitat informel et des bidonvilles. Encore majoritairementruraux, les pauvres n’ont pas accès à ces commodités et équipements que pro-

BOP / MOP / TOP ! : LA STRATIFICATION SOCIALE MONDIALE

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Certains lecteurs pourraient trou-ver une contradiction dans une pers -pective qui envisage à la fois uneforte réduction de la pauvreté ex -trême dans le monde et une exten-sion des bidonvilles. La contradic-tion n’est qu’apparente. Elle procède,comme souvent, de problèmes dedéfinitions et de caractérisationsstatistiques.

Au regard des analyses sur lesconditions de vie dans les pays

riches, les habitants des bidonvillesdes pays pauvres sont incontesta-blement très défavorisés. Mais aure gard du seuil de pauvreté extrême,une très grande partie de ces «!bi -donvillois!» ne sont pas pauvres. Lapauvreté dans le monde en déve-loppement demeure, avant tout,une pauvreté rurale. Dans les villesdes pays en développement, lestaux de pauvreté sont plus faiblesque dans les zones rurales. Il peut,en un mot, tout à fait y avoir coïnci-

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cure la ville, même dans ses bidonvilles. Les populations MOP émergentes com-mencent à être salariées et couvertes socialement. Elles vivent dans des mé nagesplus petits, avec moins d’enfants, tout en investissant dans leur éducation. Surtous les indicateurs de développement —!revenu, espérance de vie, mortalitéinfantile, état de santé — elles se distinguent favorablement des populationsBOP.

Le graphique ci-contre tente de pré-ciser synthétique-ment ce qu’est leMOP par rapport auBOP et au TOP. Cettereprésentation gra-phique d’une sortede stratification so -ciale mondiale —!ty -pique des différentesanalyses traitant duBOP! — pourra pa -raître simpliste. Elleest simple. Et elledésigne une réa litécontemporaine.

Le point important! :une grande partiedes populations desbidonvilles sont plusMOP que BOP si l’on

fixe bien comme plafond du BOP et plancher du MOP le seuil international depauvreté à moins de 2 dollars US par jour.

À l’inverse si on prend une définition plus large du BOP, par exemple avec unplafond BOP à 10 dollars!US par jour (correspondant à peu près au seuil de pau-vreté des États-Unis), alors la quasi-intégralité des habitants des bidonvillesvivent dans le BOP.

J.D.

La tripartition de la pyramide économiquemondiale (2010)

TOPTop Of the Pyramid

0,5 milliard de personnes / Revenus

par jour > 100 dollars USMarchés murs

MOPMiddle Of the Pyramid2 milliards de personnes

10 dollars US < Revenus par jour < 100 dollars US Marchés émergents et convoités

BOPBottom Of the Pyramid

4,5 milliards de personnes Revenus par jour < 10 dollars US

Marchés de survie et d’innovation

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dence entre baisse de la pauvreté etaccroissement des bidonvilles carles ménages vivant en bidonville nesont pas forcément pauvres au sensmonétaire, et parce que les bidon-villes sont conçus et utilisés par lespauvres des zones rurales commedes espaces devant précisément per-mettre d’échapper à la pauvreté. Defait, nombre de résidents des bidon-villes ont des revenus monétairessinon stables du moins non négli-geables. Le fait de vivre en bidon-ville n’est pas un choix de qualité devie particulière mais, souvent, unchoix économique de minimisationdes coûts de l’habitat, ceci afin d’éco-nomiser personnellement et!/ ou derenvoyer de l’argent vers sa familleétablie ailleurs, dans d’autres zonesurbaines moins dynamiques ou enzone rurale.

Un monde en mutation religieuse

Aux projections démographiquessur les transformations de la popu-lation mondiale peuvent s’ajouterdes projections religieuses sur lesévolutions des populations croyantes.On ne saurait dire si l’estimation duvolume des populations religieusesdécrit précisément celles des croyantsou celles des personnes issues d’unecertaine tradition. L’essor de laspiri tualité compense le déclin de certains dogmes. Dans d’autres

contextes, l’affirmation fondamen-taliste prévaut.

En tout état de cause, au-delà des thèmes de stratification socialeet d’implantation territoriale, lesgrandes évolutions sociales en courset en devenir, les grands équilibresmondiaux pourraient être bous -culés par de puissantes transfor -mations des religions (nombre decroyants, importance relative des di -verses croyances). La statistique re -ligieuse (qui croit en quoi et avecquelles affiliations ?) relève souventde l’acro batie. Aux fantasmes etcraintes des uns répond le déni desautres. Grand remplacement ethnico-religieux d’un côté, vivre-ensemblejoyeux et bariolé de l’autre. Afin dese faire une idée raisonnée, au moinssur le plan des croyances déclarées,il existe de la donnée.

La revue Futuribles rend compteponctuellement, depuis des années,des tentatives de mesure des déve-loppements religieux dans le monde,avec leurs transformations!8. Parmiles quelques sources pour ces ana-lyses prospectives, le Pew ResearchCenter (un célèbre «!fact-tank » amé-ricain, comme il y a des «! think-tanks ») s’est imposé. Le Pew a livré,en 2015, une étude aussi sérieuseque copieuse!9. Le travail s’appuiesur les données disponibles, auxquatre coins du monde. Il agrègeles résultats d’une multitude d’en-quêtes nationales, aux méthodologies

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8. Pour des analyses documentées sur la prospective des religions, voir quelques articles deFuturibles sur la question!: Mabille François, «!Regard prospectif sur les religions dans lemonde!»!; Mayer Jean-François, «!Les courants religieux à l’horizon 2037. Les religions entremondialisation et individualisation!»!; et Lambert Yves, «!Vers une ère post-chrétienne ?!»,Futuribles, respectivement n°!393, mars-avril 2013, p.!63-74!; n°!332, juillet-août 2007, p.!55-69!;et n°!200, juillet-août 1995, p.!85-111.9. «!The Future of World Religions: Population Growth Projections, 2010-2050!», Pew Re -search Center, 2 avril 2015. URL!: http://www.pewforum.org/2015/04/02/religious-projections-2010-2050. Consulté le 2 septembre 2016.

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et questionnaires convergents. Iltraite des différentiels de féconditéet de mortalité, des phénomènesmigratoires et, opération plus com-pliquée encore, des conversionsd’une religion à l’autre. Ce dernierpoint constitue la nouveauté tech-nique, avec des évaluations des chan-gements à venir de religion, qu’ils’agisse d’abandons ou de nouvellesadhésions. La méthode est délicate,mais l’opération est importante caril faut se défaire d’une vision globa-lement héréditaire de l’appartenancereligieuse.

À quoi pourrait donc ressemblerla distribution religieuse du mondeen 2050!? Les chrétiens devraientrester majoritaires. L’islam, dans sadiversité, devrait grossir bien plusvite que toutes les autres grandesreligions. Sur la période, le nombrede musulmans (+!1,2 milliard) pour-rait croître de près de 75!%, contre35!% pour les chrétiens (+!750 mil -lions), 34 % pour les hindous. Àl’horizon 2050, le nombre de mu -sulmans (2,8 milliards, 30 % de l’hu-manité) serait à peu près équivalentà celui des chrétiens (2,9!milliards,31!%). Les inerties étant fortes, cen’est qu’en 2070 que le nombre demusulmans dépasserait celui deschrétiens.

Géographiquement, les boulever-sements sont potentiellement consis -tants, même s’il n’apparaît pas pos-sible de mesurer globalement lesévolutions infranationales de laségrégation et de la spécialisationterritoriales. Géopolitiquement, lesépicentres de la chrétienté et de l’is-lam pourraient bouger. L’Inde res-tera à majorité hindoue mais on ytrouvera, en 2050, la plus grandepopulation musulmane nationale,devant l’Indonésie. En Europe, lesmusulmans compteraient pour 10!%du total de la population. Et 40!%des chrétiens vivraient en Afriquesubsaharienne.

Le croisement des deux trajec -toires chrétienne et musulmane ré -sulte des taux de fécondité actuels,qui vont de 1,6 enfant par femmepour les bouddhistes à 3,1 pour lesmusulmans en passant par 2,7 pourles chrétiens, 2,4 pour les hindousou 1,7 pour les «!non-affiliés!». Cesderniers (athées, agnostiques, sansidentification religieuse) vont voirgonfler leurs rangs (de 1,1 à 1,2 mil -liard d’individus) mais ils vont aussivoir leur part relative baisser (de16!% à 13!%). Dans certains pays, etpas des moindres, la progression dela non-affiliation sera, au contraire,la principale caractéristique des

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Nombre d’individus (milliards) Proportion de la population globale (%)

2010 2050 2010 2050

Chrétiens 2,17 2,92 31,4 31,4Musulmans 1,6 2,76 23,2 29,8Non-affiliés 1,13 1,23 16,4 13,2Hindous 1,03 1,38 15 14,9Bouddhistes 0,49 0,49 7,1 5,2Juifs 0,01 0,02 0,2 0,2Autres religions 0,46 0,51 6,7 5,5

Source : « The Future of World Religions », op. cit.

Tableau 5!— Évolution des populations selon les différentes religions dans le monde

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trans formations. Il en ira ainsi auxÉtats-Unis et, singulièrement, enFrance. Anciennement dite filleaînée de l’Église, celle-ci est encoremajoritairement (63!%) chrétienneen 2010. Comptant 7,5!% de mu -sulmans, elle devrait en compter11!% au milieu du siècle. Mais lechangement le plus puissant tientdu passage de 28!% de non-affiliésà 44!%. De plus en plus donc denon-croyants dans un monde deplus en plus croyant. Sur une pla-nète qui pourrait devenir à majoritémusulmane à l’aube du prochainsiècle, l’exception française sera éga-lement religieuse.

Reste que tous ces chiffres ne sontque des prévisions, généralement éta-blies en prolongeant les ten dancesà l’œuvre. Tout ceci ne dessine pasforcément le monde des religionstel qu’il sera exactement. Faire de laprospective, c’est s’intéresser auxprojections. C’est aussi imaginer desscénarios contrastés, des ruptureséventuelles. Les religions traitentde transcendance, mais ne sont paspour autant constantes. Elles évo-luent. Si les grandes dynamiques dé -mographiques recomposent assuré-ment le monde, l’avenir des grandesreligions conserve de grandes partsd’incertitude. !

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Intervenants Romina Boarini, économiste senior, directrice de l’équipe de recherche sur la mesure du bien-être et du progrès social, au sein de la direction des statistiques de l’OCDE.

Bruno Hérault, sociologue, chef du Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’Agri -culture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, et conseiller scientifique de Futuribles International.

Cécile Jolly, chef de projet Avenir du travail à France Stratégie.

Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant en prospective et stratégie.

Jacques-François Marchandise, directeur de la recherche et de la prospective à la Fing.

Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite de l’université Paris-Est, collaborateur de l’Institut pourla ville en mouvement.

Thibaut de Saint Pol, sociologue et administrateur de l'Insee, professeur à l’École normalesupérieure de Cachan.

Jean-François Tchernia, directeur de Tchernia études conseil et spécialiste des questions liéesaux valeurs.

Objectifs" Comprendre comment évoluent les modes de vie, le rapport que les individus entretiennentavec l’espace, le temps (leurs conséquences, par exemple, en termes d’habitat et de déplacements)et les autres ; et quels sont les ressorts de l’évolution des modes de vie. Cette session présenterales tendances lourdes et émergentes pouvant avoir un impact sur l’évolution des modes de vieappréhendée au travers de ses dimensions économiques (revenus, consommation), sociales(travail) et culturelles (croyances, valeurs).

" Elle s’adresse tout spécialement aux directeurs du marketing et des ressources humaines, ainsiqu’à tous ceux qui s’intéressent au changement social et aux formes nouvelles de sociabilité.

Programme" Les tendances et mutations de la société française " Mobilités et territoires : quellesévolutions ? " L’avenir du travail et de la protection des actifs " L’évolution des revenuset des inégalités en France " Numérique, transitions et usages " Les évolutions de laconsommation des Français " L’évolution des systèmes de croyances " Comprendre le bien-être en France

PrixLes frais de participation sont de 1320 euros HT (1584 euros TTC, TVA à 20 % incluse)*, payableslors de l’inscription à Futuribles International (déclaré organisme de formation). Ils comprennentla participation à l’ensemble de la formation, les déjeuners et le dossier remis aux participants.

Renseignements complémentairesProgramme détaillé consultable sur le site Internet http://www.futuribles.com/fr/formation/ ou envoyé sur demande auprès de Corinne Roëls, Futuribles International - 47, rue de Babylone - F-75007 Paris • Tél. + 33 (0)1 53 63 37 71 • Fax + 33 (0)1 42 22 65 54 • E-mail : [email protected]

*Remise de 10 % en cas d’inscription multiple dès la deuxième participation, dispense de frais pour les membres parte nairesde Futuribles International (valable pour une personne par formation).

PROSPECTIVE DES MODES DE VIE ET DE LA CONSOMMATION

Session de formation • 8 et 9 décembre 2016 Futuribles International • Paris