Six mois, six jours - Karine Tuil

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Six mois, six jours - Karine Tuil

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  • Editions Grasset & Fasquelle, 2010.978-2-246-75839-6

  • Tous droits de traduction, de reproduction et dadaptationrservs pour tous pays.

  • Pour Ariel

  • Le sexe nest pas seulement une chose divine etsplendide ; cest une activit meurtrire. Au lit, les

    gens se massacrent. Norman Mailer

  • Le corps avait t retrouv dans la neige quelqueskilomtres de lusine. Au sol, on discernait des traces profondescomme les abattures dun animal. La nature semblait fige dansla glace ; le temps, objet dun effacement temporaire. Quandreprendrait-il son cours criminel ? Au loin se dressaient lesmontagnes azurescentes, tmoins silencieux du drame qui sedroulait l, au cur dun paysage liss par le froid et labarbarie humaine. Mais restait-il encore des hommes ? Combiende mois staient couls ? Six mois, six jours le tempsquexigeait la destruction dun monde.

  • les faits, rien que les faits, vous me demandez, et de faonmthodique, sans oubli de ma part, vous avez t trs officielle l-dessus, je vous ai dit je me souviens je me souviens, je nai rieneu dautre faire pendant toutes ces annes passes lesseconder/servir/protger, bonjour madame, bonjour monsieur, sen rendre malade, mais je ne suis pas ici pour parler de moi, jaiuvr pour la famille Kant pendant plus de quarante ans, jai tfidle, un homme de lombre ; si je navais pas t aux relationsparticulires en qualit de conseiller, je serais assassin peut-treou diplomate, jai le got du secret, je suis discret, effac,incolore disent certains, et cela mest bien gal, mon ge, on nequte plus lapprobation sociale et il y a longtemps quon estbrouill avec soi-mme.

    Qui tes-vous ? Que faites-vous ici ? Qui vous envoie ?Approchez De liris, de lambre, de lgres notes de tuberculeet non, pas trop prs, lintimit me rpugne, un acte brutal, larigueur, quelque chose de violent et de rapide comme unedcharge de chevrotine mais pas de baisers, de caresses, toutesces niaiseries affectueuses que la psychologie occidentale nous aimposes comme condition pralable au bonheur le bonheur, jemen tape Pardonnez-moi, je ne suis plus lanimal social quejai t autrefois. Depuis quelques mois, je manque dexerciceEnfin nous sommes en France, dans la suite dun petit htelparisien au charme discret je peux y mettre les formes. Asseyez-vous, ne restez pas comme a, debout, les bras en croix. Quevoulez-vous savoir ? Je mappelle Karl Fritz, je suis allemand,jai soixante-dix-huit ans mais jen ai moins sans prtention aupremier coup dil, je nai ni femme ni chien ni enfants, ma mresest teinte du ct de Berlin, mon pre sest supprim en 45 auxfins de justification, je ne suis pas possessif et je le dis avec

  • terreur : je nai jamais aim personne. Ah, si, jai aim les mots !Plus que les hommes les langues surtout, que je parle par quatreou cinq selon lhumeur Cest une passion que je tiens de monpre. Lalcool aussi il fallait bien quil me lgut quelquechose

    Quoi dautre Jai fait mes tudes de droit lUniversit deBle avant de pratiquer des fonctions alimentaires comme vendeurde parapluies sur Alexanderplatz, guide au Kunstgewerbemuseum,jai mme traduit Giono il y a des annes mais ctait une erreurde jeunesse, puis jai rencontr Philipp Kant, dans les annes 60, Marrakech, et cen tait fini de ma carrire littraire. Kantdirigeait alors la socit BATKA, une entreprise spcialise dansla fabrication de piles et daccumulateurs lectriques, et venait desauver de la faillite lentreprise K&S, premier constructeurautomobile allemand, dont la famille tait actionnaire depuis lesannes 20. Jtais sur place pour conseiller un industriel franaisqui aimait beaucoup les enfants. Il avait chang sa prsencecontre la somme de 4 000 deutsche Marks et un garon de moinsde quinze ans. Cela vous choque ? Oh, jen ai vu dautres pendanttoutes ces annes au service des Kant ! Croyez-moi, les Allemandsaussi ont du savoir-faire

    Kant, Marrakech, je lai dtest sans prliminaires. Je lai haparce quil tait la premire puissance dAllemagne, entour defemmes poudres qui laissaient dans leur sillon des parfums demusc blanc vous brler la tte. Je lai ha de ne pas tre lui.Largent, les femmes, le pouvoir, la renomme il les avait, etdans lordre, un chauffe-la-couche, comme son pre, Gnther qui,dans les annes 20, navait pas su refuser une deuxime offre decorruption conjugale avec celle qui le quitterait pour lexcuteur

  • des basses uvres, Notre Docteur cela ne vous dit rien ? Voustes trop jeune ! Quel ge avez-vous ? Vous navez pas connu laguerre tant pis pour vous !

    A notre retour en Allemagne, Kant mavait contact. Ilrecherchait un homme de confiance qui dfendrait les intrts de lafamille, oh les affaires, bien sr, mais ils taient nombreux cesavocats, conseillers les meilleurs dAllemagne , quiconstituaient sa garde rapproche ; qui protgerait sa sphre intimesurtout Que je fusse diplm, polyglotte, g dune trentainedannes, tait sans importance. Mon profil lavait sduit pour uneseule raison : jtais clibataire et veillais le rester quitte rater sa vie, autant le faire seul. Mes fonctions : professionnelles,uniquement. Reproductives, jy avais renonc, sciemment, duncoup dun seul, ds lge bte. Vous me trouvez cynique ? Je lesuis. Et infrquentable aussi, mais personne ne vous demande devivre avec moi. Dailleurs, vous ne le supporteriez pas : je suisinsomniaque, jai lobsession de lordre et de la propret, je nepeux pas me rveiller au ct de quelquun ou alors dun mort,cela mest arriv une fois pendant la guerre, ctait une sensationtrange, comme de pntrer dans un abattoir. Une vie au servicedes Kant, faites ceci, faites cela, javais mes appartements privsdans la grande demeure familiale, trois pices spacieuses avec unpapier peint en tissu beige, du beau, pas comme chez moi, Berlin mon propritaire attend quje crve pour librerlappartement, il le veut pour sa fille, cest ce quil a dit ; enruines, je le lui rendrai, vitres clates, papiers peints arrachs,parquet dfonc et jy mettrai le feu pour conclure. JCRVERAIPAS ! Je lai dit sa femme, mes voisines, je lai rpt augardien et mon psychiatre, JCRVERAI PAS ! Je ne suis pas unlibrateur, je nai pas dexploits mon actif, pas de croix de

  • guerre pingler sur le revers de ma veste Oh, je nai pas t unnazi non plus jtais trop petit. On recrutait dans mon villagepour intgrer la Verfgungstruppe, une arme de rserve, onfaisait quatre ans au lieu de deux au service militaire classiquemais on avait lassurance dobtenir un poste de fonctionnaire afaisait rver mon pre qui mavait contraint me prsenter.Javais pass les tests de slection et t recal : trop petit avait dit linstructeur, 1,65 m, le menton relev, je tenais a demon pre et ctait bien fait pour moi jai la haine des uniformes,les vareuses en drap vert deux poches de poitrine plis Watteau,fermant par six boutons avec passepoil blanc sur le devant, pattesdpaule cousues lemmanchure, manches parements, doublureintrieure en tissu vert ; a ne sduit que les cons. Et vous ? Vousavez lge des broches ttes de mort portes sur des blousons enjean dchir, vous avez deux toiles au ski que vous arborezfirement votre anorak rose fuchsia Quels risques avez-vouspris ? Quels choix avez-vous faits ? Votre C.V. prcise que vousprparez une thse sur Martin Heidegger et Hannah Arendt. Lacorruption rotique, a vous excite ? Ah, vous avez crit deuxromans ? Vous prtendez tre crivain mais je nai rien lu devous O sont vos livres ? Malaparte, Joyce, Cline Des pansentiers dans la tte. Mais vous Vous avez accept de rdigermes mmoires parce que vous ne gagnez rien vos livres sevendent mal. Vous votez gauche, votre compte est dbiteur, vouscrachez sur la mondialisation, le capitalisme, le patronat, lelibralisme, vous prnez louverture des frontires, vous militezau sein dune association humanitaire pour vous endormir laconscience blanchie par vos crachats. Vous appartenez au campdes juges, des dfenseurs de la morale vous npargnezpersonne. Le code pnal, la Bible, sont vos livres de chevet, vousdfendez la veuve et lorphelin, vous aimez ltranger et le faitesbruyamment savoir. Le nationalisme vous fait horreur vous tes

  • une dmocrate, une libertaire. Vous dfendez la dmocratie,cherchez limposer, ft-ce par la force. Prcisons : vous tes unepacifiste, une humaniste, la dtresse des autres vous console de lavtre. Parlons-en, vous tes incollable sur la chronologie de laDeuxime Guerre mondiale, vous connaissez les dates, les faits,quelle lve ! Ah Staline ! Rptez aprs moi : Je sais combienla nation allemande aime son Fhrer ; en consquence, jevoudrais boire sa sant. Buvons ensemble ! Incollable, oui,vous avez tout lu dans votre chambre miteuse, vous avez lu aveceffroi mais vous poussez un cri quand une gupe bourdonne au-dessus de votre tte vous appartenez la communaut deshritiers aux mains propres. Vous me dtestez ? Tant mieux, vouscrirez enfin quelque chose de valable.

    O en tais-je ? Les Kant ce sont eux qui vous intressentce sont eux qui font vendre Leur fortune leur puissance leurlgendaire discrtion pas un scandale, pas une photo Onnexhibe rien. Ni son argent. Ni son cul. La saga Kant a faitrver dans les loges de concierge et au-del, a sent le soufre,largent frais, le sang coagul, les cendres, a sent le sexe, leschemises amidonnes, les chambres closes, les parfums capiteux,a sent la mort et moi, moi, moi au milieu deux dans la grandedemeure familiale de Bad Homburg, prs de Francfort, une bellebtisse de vingt pices plante au milieu dun parc de vingthectares. Vous voulez voir des photos ? Aidez-moi me lever. Osont-elles ? Dans le premier tiroir de la commode, l, oui derriremes pilules, donnez-les-moi. Quoi, encore ? Ne me regardez pascomme a, avec cette distance respectueuse, je ne suis pas votreprofesseur, je ne veux pas tre votre pre, votre compassion medgote, vous tes austre, rcalcitrante je vous le disdemble, vous navez aucune chance avec moi : la seule qualit

  • que je recherche chez une femme, cest sa disponibilitsexuelle. Soyez adulte, nous sommes ici pour crire un livre, unlivre et rien dautre, une association de malfaiteurs, en somme,orchestre par un diteur franais quel professionnel allemandoserait prendre une initiative aussi risque ? On survit comme onpeut Combien y aura-t-il de rendez-vous ? Cinq, six Nousavons moins dune semaine Puis nous ne nous reverrons plus,cest peu et cest bien assez. Nous avons cette chambreconfortable notre disposition, je parle, vous enregistrez, notez,nous aurons ventuellement une aventure qui durera quelquesheures, rien de plus, et nous laissera aussi insatisfaits que nousltions avant. Et maintenant, donnez-moi a, les Kant, vous lesavez dj vus ? Je nai apport que quelques photos, jen possdetellement, chez moi je pourrai les intgrer mon livre, lademande de lditeur, mais je veux quil y ait des photos de moi,une dizaine, tous ges, vous ne le croiriez pas, enfant jtais trsbeau, un bb rond et rose comme une poupe russe, vous voulezvoir ? L, cest moi, dix ans, rachitique, obsd par mon poids,la tentation de la disparition, une inclination leffacement, ouijavais les cheveux bruns, coups trs court, mon pre me lesrasait la lame, ah ! la peur dtre gorg ! il buvait trop et l,approchez, la petite trentaine, droit comme un i, engonc dans moncostume triqu, on dirait un capitaine dinfanterie, lanne o jairencontr Philipp Kant, maigre faire peur, je mange rarement etde petites quantits, oh le visage creus, le nez un peu trop long, labouche lippue, et mes yeux, verts ou bleus selon lhumeur, gris enphase mlancolique, oui, les cheveux, jen avais encore beaucoup lpoque, a na pas dur, vivre avec les Kant, je me suisrendu malade et voil o jen suis, prs de quatre-vingts ans,encore plus frle, une tige, un souffle et pff

  • Oui, les Kant, jai compris, restons groups les voil Alextrme gauche de la photo, vous le reconnaissez ? Cestlarrire-grand-pre, Anton. A la fin du xixe sicle, il pouse uneriche hritire et se retrouve la tte dune entreprise textile dansle Brandebourg drapier drapant, tisserand de langes, tondeur dedraps, arms de croix de chardons. A sa mort, il laisse troissocits son fils Gnther, le voil, juste ct, le blond avec salongue mche quil enroule autour de son crne comme unecouronne mortuaire on lappelle lAnchois . Approchez-vous.Un physique de bon pre de famille, nest-ce pas ? Tout enrondeurs. Propre sur lui. Comme son fils, Philipp Le voil, plusfin que son pre, plus aristocratique. Cette photo a t prise lpoque de son premier mariage. Ah, l, cest lui, sur le siteindustriel de K&S prs de Berlin dans les annes 70.

    Lentreprise, vous la connaissez un peu ? Il y a le pleautomobile, bien sr qui na jamais rv de rouler bord duneK&S ? , mais il y avait aussi dautres socits dont la puissanteBATKA. Avec laide de son pre, Gnther, puis seul partir desannes 50, Philipp a bti un empire, aujourdhui dirig par safamille : les enfants issus de son deuxime mariage ainsi que satroisime femme, Katrin, et leurs deux enfants : Juliana et Axel.Les premiers, je ne les ai vus que trois ou quatre fois dans mavie A la mort de Philipp Kant, en 1982, jai t charg deveiller sur les seconds, Juliana surtout, peine vingt ans aumoment des faits et des milliards accols aux lettres de son nomRegardez-la sur cette photo, grande, athltique, une chevelure dunblond platine Un pur produit de la bourgeoisie protestanteallemande, une fille droite, loyale, lesprit clanique. Vous avezvu son regard ? Une lame. Tranchante, acre, vous sectionnerles nerfs dun coup dun seul, clac. Et Axel, ici, son frre cadet, le

  • plus beau parti dAllemagne, quarante-quatre ans hier, toujoursclibataire, calme et rserv et quelle simplicit mon il vousle croiseriez dans la rue vous nimagineriez pas une seconde quilest lun des hommes les plus riches du monde les journalistessont pays pour crire ce genre de choses Cest lui qui, aprsdes tudes dconomie, a repris les affaires familiales. Il habiteseul dans un grand appartement, Cologne, il a quitt sa mrelanne dernire, la veuve noire, chevelure blanche, mousseuse,collier de perles trois rangs gliss autour dun cou de cane Ya qu serrer, serrer fort Madame, la troisime femme demonsieur, cest peut-tre celle que je connais le moins et encore,toujours avec le sourire. Le pre, le fils, la fille ils ontlongtemps t ma seule famille, vous comprenez ? Jai trahi mesparents, mes idaux politiques Jai trahi mes amis, ma patrieMais je nai jamais trahi les Kant. Do je viens, on mprise labourgeoisie de ne pas en tre. Et puis, un jour, par la grce deschoses, on est admis dans le cnacle, on devient ce quon dteste,on en est plus heureux Jaimais rester au ct de Juliana danslimmense parc bois de la proprit familiale. Jaimais entendreles cris que sa petite bouche lchait quand son pre rentrait de lachasse, les mains poisseuses du sang des btes troues, livres,biches, renards aux yeux crevs dont il caressait les fourrureshumides avec une excitation criminelle. Mais cest fini, cestfini

    A-partir-daujourdhui-Karl-nous-nous- passerons-de-vos-services-vous-avez-failli--vos- devoirs-je-compte-sur-votre-discrtion-vous- trouverez-l-votre-dernier-salaire-et-vos-indemnits-pour-solde-de-tout-compte.

    Clac. La dcapitation sociale. Et pourquoi ? Vous navez plus

  • toute votre tte, Karl, elle a dit Juliana, plus toute ma tte alorsque je me souvenais de tous les dtails, vous parlez trop, et lapresse, il faut vous taire, Karl, sinon nous vous y contraindrons,contraignez-moi, jai dit, contraignez, ma tte est une armecharge, une pe baonnette, prte tirer et pas blanc.

    Pendant des annes, javais t lun des hommes les plusinfluents, le dpositaire des secrets de la famille, jinspiraiscrainte et respect, haine et envie, a mexcitait dtre jalous ainsi,dtest peu importe, jexistais. Le personnage incontournableaffubl de surnoms ridicules qui trahissaient ma puissance et monflegme : le Pape , le Sphinx , le Parrain , ctait moi.Oui, pendant des annes, avec les chiens autour, javais t l les blanchir et avec quels rsultats, ouvrez les archives, montrezles photos, toujours l rder, remuer la boue les loups !javais dit voir le beau clich reprsentant la famille enpremire page des plus grands quotidiens internationaux avec cetitre en caractres gras : SCANDALE CHEZ K&S, voir Julianatenir son journal en pleurant de colre et de honte, et moi, derrire,toujours l nettoyer, gratter, effacer. Et pourquoi ? Pourquoi ?

    Alors, je raconterai tout, jai pens Oh pas pour largent !Depuis laffaire, on ma bien propos des sommes triple zro.Jai tout refus. Pas par scrupule, non, je nen ai plus, mais je naipas besoin dargent : je nai aucun got pour le luxe, jaime lesfilms dauteur, les grands classiques, les uvres dart tout celaest accessible gratuitement. Quant mon got pour les putes, jelassouvis de moins en moins et toujours en promotion. Non, jaidcid de raconter cette histoire par ambition personnelle, je rvede voir mon nom imprim sur la couverture dun livre. Delorgueil, bien sr, mais chacun a droit son heure de gloire, non ?

  • Car je savais tout : les secrets de famille, les numros decomptes bancaires, les trahisons, les jouets sexuels, les infamies,je savais quels cachets et quelle heure, codes et habitudes,rendez-vous officiels ou non, je savais la dissimulation, la ruse, laronde des chattemites, les questions pour plus tard, Mademoisellerentrera 15 heures, jamais de fruits de mer ni de noix de cajou, jesavais la peur du noir, les chats-huants, les parkings, les hommescagouls et les mots pleins dpouvante, je savais les objets dedsir et de haine, les anniversaires aux rythmes militaires et lesgots quels gots ! , les invits de la chambre 23 et les uvrescaritatives, sur le bout des doigts. A lchelle humaine. Au curdu systme Kant ah ce mlange de rigorisme moral et de cruautrotique ! Alors jai pens je raconterai tout en quittant lhtelparticulier o javais pass tant dannes de ma vie tout , encrasant les parterres de fleurs structurs comme des plans deguerre, espces menaces, thlyptres simulatrices, chardonscailleux, arrachant les plants taills, ce qui glissait sous ma main,proprit terrienne, foncire, sentimentale, pitinant, pitinant tout , en vomissant ma bile sur la carrosserie rutilante deMonsieur, le plus beau modle K&S, intrieur cuir, toutes options,peinture grise mtallise tout , en rayant les portes irises,brisant le pare-brise dun coup bref, qui volera en clats commemon cur prt rompre, dbris de verre plants l, dtruisant leurrussite, largent ! largent ! la bouche poisseuse de mpris et derage tout, puisque je navais plus rien.

  • Chaque famille a sa part dombre, ses secrets, maisdans la ntre, il ny a pas de linge sale laver.

    Axel Kant son porte-parole, pendant une partie detennis.

  • les faits jy viens laissez la porte ouverte, sil vousplat, je suis claustrophobe depuis que jai arrt de fumer,quelques semaines avant que Juliana Kant ne ft la connaissancedun homme avec lequel elle allait avoir une liaison quibouleverserait saccagerait, pulvriserait, serait plus juste savie. Une aventure sexuelle, la tentation du dsordre. Une escapaderotique sans aspiration conjugale Juliana tait dj marie Chris Brenner, un ingnieur de quarante-cinq ans issu de la grandebourgeoisie allemande : pas de tendresse, pas de sexualit oualors le minimum conjugal un associ procrateur, en somme.Elle lavait rencontr au cours dun stage quelle effectuait danslentreprise paternelle pour valider ses trois annes dtudesconomiques, un stage auquel elle stait prsente sous un fauxnom, Wittgenstein ne pas tre aime, juge, apprcie, dprcieen fonction de son nom et de la puissance quil voquait : lagrande affaire de sa vie. Brenner, son futur mari, navait dcouvertla vrit quau bout de six mois dune sage liaison. La fille dupatron ! Le gros lot ! Vingt ans plus tard, il sen flicitait encore.

    Cette vie rgle, ce mariage organis comme une entreprise,cette inclination naturelle au retrait, la contrition, leffacementde soi jusqu lannihilation dfinitive de ses dsirs, de sesinstincts primaires tels que manger, faire lamour, pleurer ; cetteconstruction intrieure que rien, ni les plaisirs quon lui proposait,ni les fantasmes quelle nourrissait, oh malgr elle, imagesromantiques conformes en tous points aux rveries des petitesfilles, que rien ne pouvait fissurer ; cette matrise delle-mme,ctait le fruit de son ducation protestante ou le prix de satranquillit ? Une vie ennuyeuse mais calme, sans tourments, sanspassion mortifre, une faon adroite et placide de glisser sur leseaux sans tre clabousse, sans risque de noyade. Et voil quil

  • avait surgi dans sa vie, cet homme llgance race, lapersonnification dun mythe chevaleresque dont on percevaitinstantanment la charge rotique. Herb Braun, vous avez vu saphoto dans la presse, nest-ce pas ? La rencontre, je mensouviens : jtais extrmement nerveux. Mais mon geObstruction des artres, a dit mon cardiologue Arrtez de fumerou vous crverez ! Oh ! Les faits Vous tes venue pour cela Ilmarrive de confondre les couleurs, les visages les faits, jamais.Des journaux de guerre, jen ai tenu et bien. Chaque lieu, chaquedate, et le nombre de morts en bout de ligne. Les noms, oui, ilsrestent vie , mais les visages un jet dacide dans la gueuleet

    donnez-moi boire, oui, du vin, un jus de fruits, a metuerait. Que voulez-vous savoir ? Ah, vous aimez ces histoires deperte, cest humain ces histoires damour un homme, unefemme, une passion obsessive jai tout vu, tout entendu, carjtais l quand Juliana a fait la connaissance de Herb Braun pourla premire fois, dans cet htel de luxe situ au cur des Alpestyroliennes. Un htel pour riches stresss qui promettait lumire,dtente, repos dans une langue mystique. Des Allemands, pour laplupart, venus pour se purifier. On leur dcape le clon, a lesrend moins mchants. Nous sommes arrivs un lundi, chacun danssa petite chambre intrieur sable. Un paysage sen brler lesyeux : des montagnes chenues et au milieu, cet tablissement touten baies vitres pour voir et tre vu. Juliana mavait demand delaccompagner, je voyageais toujours avec les Kant en dpit demon ge. Quest-ce qui les liait encore moi ? Laffectionrciproque, une certaine connivence intellectuelle ? Javais t siproche du pre, si loyal, lui sacrifiant tout, cherchant lui plaire.Au fil des ans, je mtais rendu indispensable. Ce que trahissait

  • mon dvouement, je le savais sans oser lexprimer : je voulaisfaire partie du clan. Jy tais parvenu au-del de mesesprances

    Durant les deux premiers jours de vacances, Juliana passa sesmatines et ses aprs-midi boire des tisanes dpuratives. Lesoir, elle dnait lgrement dune soupe, et se couchait tt, vingtet une heures. Moi, dans ma chambre siroter un scotch en lisantles mmoires de Gnter Grass ses Pelures doignon mefaisaient pleurer. Enfin, le troisime jour, elle dcida de sereposer au bord de la piscine, pas pour nager, lair vous cinglait lapeau sen corcher les paupires La vue de leau lapaise oui, sous lunettes noires. Coup dil gauche, droite, personneen vue, elle sallongea sur une chaise longue, un livre la main. Jemen souviens parce quelle avait achet ce texte laroport, enformat poche. Ctait LAlchimiste de Paulo Coelho. Javaisemport avec moi quelques livres, je lui avais propos de lui enprter un Cervants, Shakespeare, Goethe mais elle avaitprfr cet achat ridicule du prt--lire, penser, vivre, a metuait. Elle se donnait en spectacle avec sa qute spirituelle dedispensaire, aimez-vous les uns les autres alors que les hommes sehassent quoi quils fassent. Pourquoi me regardez-vous commea ? Je choisis mes amis en fonction du contenu de leurbibliothque, cest ainsi depuis soixante ans et je nai jamais eu men plaindre. Quand serai-je invit chez vous ? Un crivain, monil, une espionne srement, envoye par un concurrent pourconnatre le fonctionnement de lentreprise, lespionnageindustriel, on a vu a. Montrez-moi vos papiers ! Oh, pardonnez-moi je perds un peu la tte quand La piscine, oui, reprenons,vos digressions me tuent, vous parlez trop et pour ne rien dire

  • Juliana tait allonge quand Herb Braun apparut, simplementvtu dun peignoir de bain blanc, un dossier sous le bras, lairabsent, vanescent. Braun est beau, il faut le dire car tout est l,concentr dans cet adjectif, la gloire et la tragdie, lattirance et ladpendance sexuelle, tout est annonc par sa seule prsence, cettesensualit que rien nentrave, ni le port de petites lunettes encaille ni ces espadrilles tailles dans une toile blanche un peupasse qui lui donnaient une allure sportive, simple, sans apprt. Ilmarchait lentement, dune faon lgre, athltique. Il y avait de ladouceur dans son regard de hros biblique mais une douceurcorruptrice o lon devinait linstinct de possession et lapossibilit de la violence. Grand, brun, mince avec des yeux pers,une peau laiteuse, quarante-cinq ans peut-tre, un ge abordable. Ilsassit, oh pas trs loin delle, commanda une bouteille deauminrale et ouvrit son dossier. Il en sortit des photos, de grandsclichs en couleurs ; de l o je me trouvais, je ne distinguais quedu rouge, le sang, a crevait les yeux. Des images de guerre prisespour branler les civils qui pousseront des cris dorfraie et irontse coucher le ventre plein. La terrasse tait presque dserte.Juliana lobservait, Braun sentait son regard, il prenait un airconcentr alors quil ne pensait qu la faon de laborder sans labrusquer. Au bout de quelques minutes, il leva les yeux vers elle,absorb, la scrutant comme sil sagissait dun objet dtude, unsourire accroch la commissure des lvres. Vous avez vu sesdents ? Droites, blanches, courtes et parfaitement alignes unsourire carnassier. Ils taient l, face face, intimes avant davoirchang un mot. Lattirance, le dsir, la passion venir onvoyait tout, ds le dbut il ny avait pas o se cacher Vousavez dj connu a ? Vous ntes pas le genre tout quitter paramour, a se devine tout de suite vous avez la trouille voustes lche, en somme. Comme moi. Embrassons-nous.

  • Juliana dtourna les yeux comme ces voyeurs qui contournent ungisant en se retournant de temps autre pour voir sil bougeencore A quoi pensait cette femme dans la force de lge aucontact de cet homme qui lui souriait et dans quel but ?Pressentait-elle la dvastation ?

    Le tlphone portable de Herb Braun se mit sonner, il se levaet commena parler assez fort, de bombardements, de lhorreur,cest ce quil disait, des victimes, des immeubles ventrs, jencoutais que dune oreille, a ne mintressait pas, la guerre, lesmorts, etc. Mais Juliana Fallait voir Les balancements de soncorps, ses mains qui sautaient comme des flins au combat,contre qui ? Jai les photos ! , il gueulait, pour quellelentende, sen crever les tympans. Puis, soudain, il raccrochabrutalement. Pardon davoir parl si fort, pardon de vous avoirimportune, je sais quil est recommand dteindre son portableici il rit , je reviens de Gorgie et Elle demanda : voustes journaliste ? Pas vraiment. Et vite, comme sil craignaitdtre entendu au-del, il ajouta : Je mappelle Herb, HerbBraun, je suis photographe de guerre.

    Et vous avez couvert quels conflits ? Rwanda, Bosnie, Gorgie entre autres et vous ? Des conflits familiaux, uniquement Ce sont les pires ! Laissez-moi deviner : vous tes

    psychologue, mdiatrice familiale, non, vous ne seriez pas lapiscine de cet htel au milieu de laprs-midi, vous tes crivain,dramaturge, peut-tre, une tragdienne ?

    Elle hochait la tte chaque rponse quoi jouait-elle ? Psychanalyste ? Conseillre dducation ? Avocate

    spcialise dans les affaires familiales ?

  • Elle rit. Allez, avoue ! Quon en finisse ! Son mtier, ctaitdtre la fille de Philipp Kant bien rmunr, temps plein, sansrisque de chmage avec mise pied ; son mtier, ctait dassister des assembles gnrales dont elle ne connaissait pas lordre dujour, de lire des rapports quelle navait pas rdigs et dhonorerde sa prsence des colloques sur des sujets aussi passionnants queLa situation bancaire en Allemagne ou La crise conomiqueeuropenne : enjeux et perspectives.

    Vous ne voulez pas maider un peu ? Disons que je suis dans les affaires. Et vous tes ? Vous ne vous tes pas prsente Juliana Wittgenstein. On vous a dj dit que vous ressembliez lactrice Liv

    Ullmann ? Oui ! Tout le temps ! Vous auriez pu tourner avec Bergman !

    a me terrifiait Ce ntait pas linfidlit venir qui mervulsait mais cet abandon total, cette soudaine absence dematrise alors quon lui avait appris se mfier, garder ladistance, elle connaissait les menaces : les escrocs, les affectifs,la mafia, la presse scandales, quinze ans, elle avait tkidnappe vous ne le saviez pas ? Vous tes mal informe, jentais sr. Une dbutante, a se voit tout de suite. Peu de gens sensouviennent mais pour moi, tout est rest intact, les dtails, chaquechose sa place comme la chambre dun mort. Les souvenirs, ava, a vient ceux-l, dans la chair, inscrits sur les pagessombres de lhistoire des Kant. Un matin, une dizaine de typescagouls ont fait irruption dans la demeure familiale et ont retenuen otages Juliana et sa mre. Danciens tortionnaires de la police

  • secrte. Des types massifs avec des yeux de tourbeux. Formspour perscuter, effrayer, taillader. Arrts quelques heures plustard par la police. Linsouciance, ctait fini. Depuis, elle nesortait pas sans tre accompagne de deux gardes du corps. Saufdans cet htel plus scuris quun bunker.

    Je la mis en garde : Juliana, mfiez-vous.

    Il lui raconta quil tait dorigine allemande. Quil habitait Zurich. Quil avait longtemps vcu Berlin, New York, Londres.Elle voyageait peu, ne supportait pas lavion, quittait rarement saville natale. Il lui parla en italien, en russe, en chinois elle neparlait que lallemand, comprenait langlais, mal , prcisa-t-elle. Il la faisait rire, elle qui ne riait jamais, si concentre,parfaite dans son rle de fille de, ternellement soumise aucontrle parental, encore quarante-cinq ans, orpheline, la fille papa, elle sesclaffait mme, elle dtendait la bride alors quil etfallu la maintenir, la serrer davantage.

    Que lisez-vous ?Il se pencha vers elle, observa la couverture du livre. LAlchimiste ? Cest mon livre prfr !Jeus une pulsion criminelle. Un homme dont le livre prfr

    tait LAlchimiste ne pouvait pas tre tout fait sain desprit. Et ilse mit en parler, en citer des extraits avec emphase la faondu critique littraire Marcel Reich-Ranicki prsentant son nouveaucoup de cur la tlvision, il y a trouv ceci, cela, et quellemerveille.

    La rencontre, Braun aurait pu la provoquer ailleurs, dans la

  • salle manger principale, dans un couloir qui menait auxchambres coucher ou au cur de limmense parc avec vue surles montagnes crayeuses, mais il avait choisi de laborder prs dela piscine. Lors dune premire rencontre, chacun cherche paratre sous son meilleur jour, nest-ce pas ? Regardez-vous :avec votre cache-cur nou sur la taille, qui cherchez-vous sduire ? Nous formerions un beau couple mais vous ntes pasmon genre. Et ces cheveux longs qui tombent sur vos paules afait nglig Attachez-les ! Quoique jaime bien cette frangenoire qui vous barre le front Vous ressemblez ces strip-teaseuses qui se trmoussent dans les bars louches pour quelquesdollars glisss dans la culotte en polyamide. Quoi encore ? Dansma bouche, cest un compliment. Juliana est assez fminine ohdune beaut classique : tailleur-jupe, sandales petits talons, bout rond, bien sr, cheveux coups au carr, lisss, peu demaquillage, des boucles doreilles, souvent, des clips quelleachte chez Chanel, rien de plus. Ce jour-l, elle portait une robenoire qui cachait ses genoux calleux, des ballerines plates et unchandail gris anthracite piqu de vert, assorti ses yeux. Braun luidemanda si elle avait lintention de se baigner. Non, il fait tropfroid et Allons, leau est dlicieuse Non. Juliana nese baignera pas. Elle dteste son corps. Moi non plus je naimepas me montrer en maillot, je suis trop maigre, et mme chez moi,quand la mtisse du premier degr vient me laver, jai un peuhonte de me dshabiller, non que je sois pudique cest parcoquetterie Mais Braun Quand il sest lev au moment oil a retir son peignoir, on sentait quil avait de lexprience, quillavait dj fait cent fois On ne voyait que a, ce corps parfait,muscl, un corps de trapziste. Sa peau tait blanche, lisse, sontorse, imberbe. Il y avait quelque chose de fminin en lui, quiexcluait la violence. Il se dirigea vers le bassin. Il ne tremblait pasmalgr la temprature trs frache. Il ny avait personne dans

  • leau. Si javais plong ce jour-l, je serais mort ; lui, rien, ilplongea dun coup, sans hsitation, il nagea avec rgularit etconstance. Juliana le regardait. Elle faisait semblant de lire maison sentait le trouble, le dsordre intrieur. Lorsquil sortit deleau, au bout dune quinzaine de minutes, elle rangea ses affaires.Il prit un grand drap de bain brod aux initiales de lhtel et, ensessuyant le visage, il savana vers elle. Il linvita dner lesoir mme, lhtel. Jentendais tout de l o jtais et je jubilais, lintrieur, car je connaissais sa rponse elle devait dner avecmoi, elle avait dit, Karl, ce soir, nous irons en ville. Oh oui ! ellelui avait dit, oui, vers 20 heures, au bar de lhtel et moi, plustard, je suis fatigue, Karl, je dnerai dans ma chambre. Cestcomme a que tout a commenc.

  • Je refuse de me retrouver dans une situation o jedevrais me justifier, voire mexcuser dappartenir

    cette famille. Axel Kant, au cours dune conversation tlphonique

    avec son avocat.

  • Je les observais, de loin. Je suis un voyeur, jaime a, toute mavie surveiller, scruter, noter a fait ceci, a fait cela, jaurais putravailler pour les services secrets si je navais eu des gots deriche : sjours dans des palaces, voyages en classe affaires,visites prives dans les plus beaux muses dEurope suivies dedners dans des restaurants gastronomiques, oh ctait avant ladbcle, maintenant, un rien me suffit, un verre de vin, un tour dansune librairie, un bordel, et cest tout.

    Herb Braun avait choisi une table lcart, labri des regards,un endroit ombreux, clair la bougie. Une heure avant leurarrive, javais demand au responsable des rservations o setrouvait la table de monsieur Braun. Jy avais plac un petit micro Juliana, premire fortune dAllemagne, je rpte, une espce protger, oh je ntais pas vraiment dans mon rle maisa mamusait, je mennuyais, au bout de tant dannes decohabitation avec soi, on na plus rien se dire Jtais l quandBraun a fait irruption dans la salle manger, peu avant vingtheures, vtu dun costume en lin noir et dune chemise blanchepique de petits boutons en nacre irise. De lendroit o je metrouvais, il ne me voyait pas. Il ne montra aucun signe de nervositquand Juliana entra dans la salle, vtue dune robe en toile griserehausse dune rose en tissu et de petites ballerines bicolores son uniforme. Son visage tait peine fard : du mascara, de lapoudre beige et un rouge lvres transparent qui se fondait avecsa peau ple. Oh ! la gne ! Il y avait quelque chose de pathtiquedans le visage transfigur de cette femme qui courait sa perte, nele devinait pas, un drame se jouait sans quelle en et conscience,un drame par des atours de la comdie : il la ferait rire, puispleurer la voie dexcution de lamour. Juliana fut prise dunvertige lide quun journaliste les photographit ; bien que sa

  • famille ft dune discrtion obsessionnelle, elle savait que leursmoindres faits et gestes taient pis, analyss, jusque dans lespages des magazines. Les Allemands auraient aim la voir encouverture du Spiegel en combinaison de cuir noir bord duneK&S. Ou piger son frre Axel au bras dune princessecocanomane, dans la voiture dun travesti luxembourgeois, lasortie dun hpital psychiatrique. Mais a ? Ce romantisme petit-bourgeois, cette aridit conjugale, a les dprimait

    Braun commanda un bon vin, lui conseilla un plat ilconnaissait ses gots. Il lui parla de son exprienceprofessionnelle, lui raconta des rcits de guerre, a la fascinait, almouvait. LEtat policier, lEtat criminel Les enfants soldats,machettes la main, qui mutilent et dcapitent. Les gangs mafieuxcomposs danciens militaires, qui traquent, violent, pillent. Lesfemmes aux corps ventrs. La mort ? Il ne redoutait pas la siennemais celle des autres. Parler de la guerre, des disparus, dtendaitlatmosphre. On ntait pas dans la lgret corruptrice, onntait pas dans la sduction. On cachait son dsir sous le masquede la respectabilit sociale et de lengagement politique ctaitpropre. Juliana lcoutait attentivement, il y avait la guerre entreeux, des conflits lointains et trangers qui ne les concernaient pas,il y avait des morts, quon voquait avec une gravit artificielle enrptant cest terrible entre deux bouches dpinards. Ctaitun contexte idal qui lui permettait dtouffer le dsir qui sourdaiten elle. Elle mangeait avec apptit tandis quil parlait des horreursquil avait vues, elle buvait sans modration trinquons notredmocratique Europe ! Le Rwanda, le Darfour ?

    Comment des hommes ont-ils pu commettre de tellesatrocits ? demanda Juliana avec une lgret dsarmante.

    Un gnocide, dit Braun.

  • Je ne comprends pasIl y eut un long silence, puis Braun rpliqua : Pourquoi vouloir tout prix comprendre ce qui est

    inexplicable, indescriptible, irracontable ? Jaurais aim crer une fondation pour venir en aide aux

    victimes du Rwanda. Une fondation ? Avec quels fonds ? Braun cacha mal sa perplexit. Juliana, anantie par sa gne et

    le sang qui montait et la trahissait, baissa la tte o se cacher ? Ilne sait pas qui je suis cette pense lapaisa, elle naurait pas biaiser, composer, manipuler, tous ces comportements artificielsqui lui permettaient de maintenir un cran entre les autres et elle.Elle ne dirait pas : Je suis la fille de Philipp Kant. La filiation,tt ou tard en payer la note. Juliana navouerait rien, elle avaitmanqu se trahir, elle se ravisa : Jenvisage de rcolter desfonds en provenance dentreprises allemandes. Quelle candeurpolitique ! Quelle riposte compassionnelle ! A vous tirer deslarmes ! Et ce constat lexcita il aimait les oies blanches, lesfilles de bonne famille, les bourgeoises qui organisaient leur vieautour des 3 K : Kinder, Kche, Kirche , enfants, cuisine,glise. Il aimait les femmes frigides, pudiques, qui portaient desdessous en coton sous des chemisiers col Claudine. Elle aimaitles hommes dont llocution prcieuse, le charme emprunt,llgance raffine confirmaient lducation bourgeoise, la puretdes origines. Un produit de laristocratie allemande, comme elle.On est entre nous, cest rassurant.

    Il dit : Jai connu de grandes preuves. Il parla de son pre,un industriel allemand qui avait migr au Brsil dans lesannes 60, de sa mre, qui tait dcde des suites dune longue

  • maladie, lge de quarante-cinq ans. Juliana pensa que apourrait lui arriver a ne lui arriverait pas, elle tait enexcellente sant, une tension de jeune fille, mais elle eut peur demourir tout coup sans avoir rien vcu dexcitant, de dangereux,sans avoir t autre chose que la fille de Philipp Kant. Braunvoulait tout savoir delle : Que faites-vous ? O habitez- vous ?Vous aimez cet endroit ? Tout est calme, aseptis, une petite mort,non ? Et soudain je vous ai vue au bord de cette piscine, votrelivre la main Quest-ce quelle aimait en lui ? Le charme etla discrtion. Lhumour et la mlancolie. La culture et la sensualitsuggestive. Il sduisait, se pliait, sadaptait. Ils partageaientles mmes gots, les mmes valeurs, jusqu la dfense dunprotestantisme un peu austre qui les prservait, pensaient-ils, duchaos. Mais le danger venait deux et deux seuls. La dfinitionexacte ! Cherchez !

    TROUBLE : Etat, attitude de celui qui manifeste son motion,son angoisse (rougeur, tremblements, altration de sa voix,dcomposition des traits, etc.).

    Jaime votre voix Juliana glissa sa main sous la table de peurquil ne la lui caresst dans ltat dabandon o elle se trouvait,elle net pas os la retirer. La capitulation elle la sentaitproche. Pourtant, il ne fit rien. Aprs le dessert trois fruits dansune assiette, une tisane o flottait une feuille de menthe , ilprtexta la fatigue, il allait retourner dans sa chambre etslectionner ses photos, je suis dsol demain peut-tre. Ellepensait devoir se refuser lui, elle sy prparait mais non, il ne luidemanda rien, au revoir ; pas mme une invitation boire undernier verre. La frustration de ne pas avoir dire non. Elle taitl, presque offerte, dans cet tat dabandon qui annonait lamour,

  • elle tait l, en manque de lui, lhomme fantasm, rotis, dj,elle eut aim se laisser aller, le suivre, se donner alors quilstait mentalement loign delle. Bonne nuit ! A linstant durefus, il lavait possde.

  • Nous ne sommes responsables ni juridiquement nimoralement.

    Axel Kant, au cours dun djeuner familial.

  • Vous avez sommeil ? Allongez-vous, moi aussi jai desinsomnies, toutes les nuits revivre cette histoire, toutes les nuits tter la bote de somnifres, hop ! dix vingt cachets dun coup etpour finir o. Cette nuit-l, Juliana non plus ne trouva pas lesommeil. Le feu tait l, intact, en elle, il la dvorait et brlait cequi avait t construit par elle, jour aprs jour, cette harmonieconjugale factice, un jouet en plastique que les flammes lchaientet consumaient et dont il ne restait son rveil quune vaguedouleur frontale. Elle commanda son petit-djeuner dans sachambre, ne toucha pas aux croissants, avala quelques gorges decaf sans sucre en lisant le journal. Sur la table de nuit, elle vit lacarte de visite de Braun. Elle la prit, la regarda longuement puis ladchira dun geste sec. Pour vaine quelle part, cette mise distance de lobjet aim lui donnait lillusion de la matrise, vousnavez jamais test cela, lloignement, la passivit,lindiffrence ? Ah, la terreur de lattachement ! Vous ne savezpas Quand elle descendit dans le hall de lhtel, elle aperutBraun sur la terrasse Il fumait une de ces longues et finescigarettes, dune manire un peu fminine.

    Il tait mouvant, sensible un homme protger.

    Les femmes sont des hrones qui pensent sauver les hommes deleurs angoisses existentielles, leurs drobades, leur got pour lachasse, la pornographie sentimentale, quel orgueil. Et Braun.Rserv, comme elle, pudique, mystrieux, sans cette complexitnvrotique qui caractrisait ses relations avec les hommes quelleavait rencontrs jusque-l et en particulier les hommes de safamille dont laustrit physique refltait le despotisme. Il lisaitson journal, leva les yeux pour la surprendre. Il y avait duprdateur en lui, une force de captation qui trahissait lexigence

  • sexuelle, lrotisation de tous les rapports y compris les plusordinaires, le dsir de matriser les gens et les choses ; de ladouceur aussi, une forme de connivence immdiate quil instauraitnaturellement, sans effort. Juliana savana mcaniquement commesi son corps lui chappait, elle navait plus aucune prise sur sesbras, ses pieds, sa tte, elle slanait vers lui avec une lgretnouvelle, un optimisme naf elle laimait, dj. Braun lui adressaun signe de la main pour linciter le rejoindre. Elle marchajusqu lui mais, sa hauteur, elle flancha versatilit dessentiments amoureux qui soumet les plus forts aux mains des plusfaibles. Je suis fatigue, jai mal dormi. Il la fixa : Moi nonplus je nai pas dormi Il se tut un instant, puis reprit : Je naipas cess de penser vous. Juliana savait quelle devaitmaintenant partir, apprendre renoncer, sen dtacher puisque riennavait t scell mais quelque chose en elle rsistait, saccrochait ah cette aspiration pathtique au bonheur ! Etes-vous heureuse ?Juliana se tenait droite devant lui, rigide, bgaya une excuseincomprhensible, le ridicule de la situation entravait sa fuite : ilsclatrent dun rire nerveux. Ctait un rire matris, un rictussocial qui dtournait le dsir comme un enfant auquel on tend unhochet pour quil cesse de jouer avec son sexe. Restez. Savoix tait ferme, ses doigts serraient son poignet, elle nopposaaucune rsistance, ne dtourna pas son regard. Vous vouliez voirmes photos, je vous les ai apportes, restez, sil vous plat. Cettefaon dexiger, dordonner en exerant une petite pressionphysique Moi- mme je nai jamais pu repousser une femmequi me traitait mal

    Juliana sassit ses cts, le dos lgrement courb, saisit lesclichs. Ils reprsentaient un paysage cette fois, un terrain enfriche envahi de broussailles. Des tendues verdoyantes piques

  • de plantes sauvages : espargoute, mauve royale, ortie blanche,camomille allemande, dame-donze-heures, mille et une varitsqui semblaient avoir trouv la terre la plus inhospitalire et sytre propages. Au premier plan, on apercevait un panneau blancrehauss de rouge sur lequel taient nots ces mots en lettresnoires :

    NE PAS ENTRER. DANGER DE MORT Jaime ce contraste, murmura-t-il, entre cette image

    champtre, paisible, et ce panneau qui annonce un dangerinvisible, quon ne souponne pas Cest un petit paradis situprs de Hanovre, je vous y emmnerai un jour Elle rit : Nous ne nous reverrons jamais ! Nous nous reverrons, dit-il.Nous nous reverrons parce que nous ne pouvons plus rien changerau cours des choses.

  • Il est frquent que nous, tres humains, endossionsla responsabilit de ce dont nous ne sommes en rien

    coupables. Gnther Kant, Mmoires

  • Laprs-midi, Herb Braun lui proposa une randonne enmontagne, jadore a et vous ? Marcher, marcher, lesprit divague,digresse, il ny a plus que cet effort, le corps entirementconcentr vers son objectif, et quel paysage, dit Braun, quelsentiment de libert, allons-y. A cette poque de lanne, destendues verdores recouvraient les montagnes, le ciel, quellepuret, venez, je vous en prie. Et Juliana acquiesa dun rirefactice, forc, alors quelle nattendait plus que cela, lheure delvasion, le moment o ils se retrouveraient seuls. Elle le suivitcontre mon gr ; je flairais le danger comme un chien de chasse.Les tres trop bien levs, propres sur eux, faut bien quils lacachent quelque part leur merde, on en est tous l. Les typescomme moi, a se voit tout de suite, ds lchange de regards, levice, la mchancet, il ny a pas chercher. Mais Braun : une mertale, une feuille vierge, sa seule prsence suffit potiserlexistence, on en redemande. Sil avait les cheveux longs, ilressemblerait Jsus les personnages messianiques me foutentla trouille, ils annoncent la fin du monde. On ne le connaissait pas,ce Braun, il avait une bonne bouille mais quand mme, unkidnappeur, peut-tre, la tte pensante dun gang mafieux, un sbirede terroristes, le reprsentant dun syndicat de salaris vengeurs ethystriques, on en connat. Les grands patrons tout le monde veutleur peau, dsormais. Faut quils crachent. Juliana obit sapremire intuition : elle avait vu en Braun un aventurier politique,un humanitaire idaliste, jai confiance en lui, elle le suivit sansangoisse, vous voyez le mal partout, comment lui en vouloir ? Cequelle ressentait pour cet homme, je nen imaginais pas la porte discrte, rserve, je lai dit, presque renferme, on neremarquait pas, au premier abord, le cur passionn, tendre, lafantasmagorie rotique, le sentimentalisme contenu, tout ce quiprcipiterait une mre de famille respectable vers les abmesdune liaison destructrice. Elle savait que je ne pouvais pas la

  • suivre : jtais en miettes. Huit organes se dlitaient lunisson. Acette poque, je laccompagnais encore lors de ses dplacementsparce quelle navait pas la force morale de me renvoyer laretraite, a me foutait le cafard et je le lui rptais, la mise enquarantaine, a me tuerait, mais on ne dupait personne, je ntaispas plus redoutable quun tigre empaill. Alors moi dans les colsescarps avec mon arthrose non ! Si je devais crever autant lefaire dune manire politiquement incorrecte, la Flix Faure, afait viril, on sinscrit dans lHistoire, on lit son nom dans lapresse, un entrefilet ce nest pas rien Et puis Braun avaitdemand : Qui est cet homme qui vous accompagne partout ? il navait pas dit vieux par fraternit et Juliana avait rpondudu tac au tac : Cest mon grand-pre , conseiller spcial trahissait linfluence jtais broy javais encore deuxmatresses lpoque, oh des filles tarifes mais quand mme, afonctionnait. Je navais pas de petits-enfants, je navais jamais eude dsir denfant oh peut-tre une fois, vite, vers quarante ans,comme une envie de pisser , jtais hostile la perptuation dema race pour des raisons sociales.

    Ce jour-l, elle partit avec lui, enveloppe dans sonimpermable bleu marine taille 2, trop large pour elle cacherquoi ? Je restai lhtel boire des tisanes aux clous de giroflequi me perforaient lestomac, je les imaginai, longeant desruisseaux, empruntant des routes sinueuses que la pluie avaitvermicules, manquant glisser et lui qui la retenait ne craignezrien, je suis l. Je le voyais, tendre et rassurant, protecteur etractif, ils riaient, a me rendait nerveux, violent, oh contre moi-mme un coup de carabine dans la gorge et Ah, cette pitidangereuse dans votre regard, je ne vous envie pas, vous tespurile.

  • Cest a, prenez vos affaires et partez, jcrirai moi-mme, jelai dit lditeur et vous savez ce quil ma rpondu ? Vous avezbesoin de quelquun qui mettra de lordre dans vos ides. Delordre ! Pourquoi ma tte ne reflterait-elle pas le chaos dusicle ? Il ny a qu menregistrer et retranscrire, jai tant dechoses dire, raconter, oh, comme les autres, toujours parlerde vous, jai fait ceci, jai fait cela, alors quon vous demande devous taire, de rendre des comptes, de tmoigner de ltat dumonde, dcrire vous tes l pour a : lhistoire des Kant estcelle dun monde condamn, le monde de labstinence et dumensonge, du capitalisme meurtrier et de la connivence, asseyez-vous, et coutez.

    Quand Juliana rentra de sa balade champtre, jen tais l. Ellefranchit le hall de lhtel o je lattendais depuis des heures, unchien sans matre, elle avait les joues stries de veinulesrougeoyantes, a bouillonnait lintrieur comme la lave dunvolcan, son bonheur claboussait tout le monde, ctait rvoltant.Sa lgret minquitait. Presque factieuse ce ntait pas elle.Elle minvita dner dans un des petits restaurants de la ville ctes de porc et pure maison, arroses dun bon vin, archauffait. Au cours du dner, elle me montra le clich que Braunlui avait offert. Il reprsentait le paysage quelle avait aim, cettenature sauvage, luxuriante. Il ne lui avait pas donn de photos deguerre corps mutils, dchiquets, fragments dobus alors quilmenait une expdition punitive, il voulait sa peau, son cur, lecorps de son peuple, la voulait totalement et ternellement. Cestbeau ! scria-t-elle. Sublime , rpliquai-je alors que jetrouvai cette image hideuse. Plus tard, ce clich ornerait sonbureau. Cette dformation critique engendre par ltat amoureux :

  • pathtique, nest-ce pas ? Je navais rien lui dire et, vingt etune heures, on tait au lit. Moi, jy tais, elle, je ne savais pas,avec Braun peut-tre, cest ce que je me disais, quelle angoisse.Une faute professionnelle et ctait la porte. Un enlvement, pasdeux. Je fis la grue dans le couloir qui menait sa chambre, on meprit deux fois pour le concierge, non, je ne savais pas o trouverun troisime oreiller jai une tte de proxnte ? , puis jallaime coucher. Une heure plus tard, on tambourina ma porte.Jcarquillai un il, je manquai me fracasser le col du fmur,jouvris la porte, elle tait l, le visage en larmes, le peignoir debain entrouvert, dans cet tat daffolement qui prfigurait le pire.Je pensai que Braun tait mort dans ses bras, avait toujours tlangoisse de Philipp Kant, crever pendant lacte, un arrtcardiaque ds le premier cot, a fait mauvais genre, je magitai,me contorsionnai, o est-il ? Prt balancer le cadavre du haut dela montagne, ctait mon rle aprs tout, nettoyons, purifions, oest-il ? Mais non, ctait autre chose, elle se calma, plit, o taitle rose qui lui montait aux joues ? Elle venait de recevoir unmessage de son mari, nous devions rentrer Berlin par le premieravion. Il tait cinq heures du matin, javais sommeil, dpchez-vous, Karl, un esclave, vous dis-je. Elle murmura : Il sait. Il saittout. Des photos ont t prises qui nous compromettent. On nousvoit bien. On ne voit que nous. Je suis perdue, Karl, perdue. Jene pouvais pas la prendre dans mes bras, je vous lai dit, latendresse me dgote alors je lui ai tapot lpaule, doucement,comme a, ne vous dgagez pas Elle rptait : Il sait, il sait. Je fis ma valise, mhabillai la hte et hop, en bas, la guetter.Une heure plus tard, elle tait prte, engonce dans une veste entoile noire qui cachait son corps, son cou, les pieds plants dansdes bottines bout rond, soumise sa discipline, ses principes, son code de conduite, elle sy conformerait dsormais, allons-y,dit-elle, nous sommes en retard, nous sommes presss, partons.

  • Avant de quitter lhtel, elle prit soin de laisser un mot dadieu Braun rdig la va-vite sur une feuille blanche. A ct de sonprnom, elle avait not son numro de tlphone portable etpourquoi, jai pens, pourquoi ?

  • Pourquoi me sentirais-je coupable ? Je ntais pasn.

    Axel Kant sa sur Juliana, au cinma.

  • Les mots, elle ne les trouva pas ce matin-l. Elle tait dsole ce fut tout ce quelle trouva dire son mari, ds son arrive, jesuis dsole, comme si les excuses prives annulaient la faute et lemoment des excuses publiques qui viendrait et vite. Pendant letrajet, mari et femme svitrent, jtais assis entre les deux,hochant la tte de gauche droite comme une marionnettelectrique, jtais nerveux, javais envie de fumer, dans ces cas-l,je peux tre agressif, je peux tuer. La radio diffusait les Nocturnesde Chopin, a me donnait envie de pleurer, vous vous sentez bien,Karl ? Javais limpression dtre la place du mort dans unevoiture funraire, arrtez-vous ! Karl fait un malaise. Jtais l,inspirant, expirant, au bord de la crise cardiaque quand soudain, lemari dit calmement : Jai appel notre avocat. La pluieclaboussait la vitre. Juliana ne cilla pas mais on voyait bien quea dbordait. La voiture simmobilisa un instant. Le chauffeursortit du vhicule, ouvrit un grand parapluie, sapprocha de laportire. Au moment o son mari sapprta poser le pied sur letrottoir balay par la pluie, Juliana le saisit par le bras et, dunevoix dtache, articula ces mots avec effort : Est-ce que tu vasdemander le divorce ?

    Il la regarda longuement sans rpondre, repoussa son treinte, iljugeait pathtique son refus davouer, daffronter ce qui avait tfait, il exigeait la contrition rdemptrice, les dclarationsofficielles, la mcanique de la rparation, il participait luvredclaircissement des faits, coup de projecteur braqu dans lesyeux, regardez-les, jugez-la, puisque les mdias dvoileraient lavrit. Il sloigna sans se retourner. Juliana sapprta le suivre,mais je lempoignai mon tour : Restez ici ! Dans lertroviseur, javais remarqu quun vhicule nous suivait. Desjournalistes sont l, qui vous traquent et vous photographient , lui

  • dis-je, et Juliana ne bougea plus, figea son regard derrire seslunettes noires.

    Depuis quelques mois, ma fonction relevait moins du conseilque de lassistance personne en danger. Par moments, jeremarquais que Juliana me considrait comme un pre desubstitution, un tuteur ; elle mintroduisait davantage dans leursphre affective et mloignait de la sphre conomique etjuridique. Je jouais le rle quelle massignait, jen tais flatt, aufond, je me pavanais son bras alors que je savais, je savaisdepuis toujours, quon ne devrait jamais voquer des liensaffectifs une fiche de paye la main.

    Dans la voiture qui roulait vive allure, Juliana se tenaitrecroqueville sur la banquette arrire, mes cts. De temps autre, elle scrutait les ombres qui nous pourchassaient. Elle nesouhaita pas rentrer chez elle et, en une dizaine de minutes, nousfmes dans ses bureaux de Berlin o lattendaient ses avocats. Ilstaient au nombre de trois : Goldberg, Handke, Mayer. Veuillezpatienter. Ils se rassirent comme des poupes, sans sourciller. Auprix o ils taient pays, ils pouvaient bien attendre une journeentire. Goldberg surtout qui centralisait toutes les affairesjuridiques de la famille. Goldberg est un juif allemand sonprfr, une espce en voie dextinction, protger. EnAllemagne, chacun cherche son juif qui dculpabilise et tientchaud. Juliana sloigna sans un regard, le corps secou de lgersspasmes, je la suivis mais au seuil de la porte, elle me demanda derester dans le couloir, de lattendre, comme les autres, alors jefumai, en dpit des protestations du personnel, je fumai la seulefaon de me calmer. On avait peur de moi, je le sentais, amexcitait, un regard et ils tremblaient, je tenais des fiches sur toutle monde, a moccupait la tte, on minsultait, on me critiquait, on

  • pariait sur ma mort, ils me dtestaient, Goldberg surtout dont leregard semblait exiger de moi un certificat dexonration de toutpass nazi, et ctait trs bien ainsi, aucun dentre eux nosaitsadresser moi, le bras droit de la patronne, un trublion sadiqueet hostile cest plus fort que moi, quand je suis bien, jemmerdetout le monde.

    Longtemps, Juliana na eu confiance quen moi. Ctait avantque les choses ne tournent mal. Dj, ce jour-l, restez dehors,Karl.

    Quelques minutes plus tard, son tlphone sonna : elle reconnutinstantanment la voix de Braun, cette voix rauque et hypnotique : Vous avez t victime dun prestidigitateur ? Je vous ai laissehier et hop, vous avez disparu ! Elle rit : Jai d rentrer plustt que prvu. Rien de grave, jespre ? Non, non. Il y eutun long silence, puis il murmura : Je veux vous revoir. Elledit : Non, cest impossible, non, oubliez- moi. Il lui fitparvenir des messages. Lui tlphona cinq, six fois. Sa voixtremblait, elle peinait cacher son trouble. Est-ce quil cesseraitde lappeler si elle consentait lui accorder un rendez-vous ? Oui.Elle le retrouverait au bar dun petit htel de Berlin en fin dejourne.

    Elle rentra chez elle, plonge dans une sorte de torpeur muette,prit une douche, shabilla la hte, sans sduction, sans force,comme vous avant de venir ici, dites-le, du bleu marine, du grisfonc, se fondre, se cacher des regards imprcatoires, une armede juges lattendait dehors, vous attend peut-tre, en quelquesheures, un drame allait se jouer et plonger sa vie, la vtre, dans un

  • implacable chaos.

    Braun tait dj l quand elle pntra dans le hall de lhtel oelle lui avait donn rendez-vous, pour lui parler, dit-elle, alorsquelle ntait venue que pour cela : tre aime. Imaginez-la, lesyeux dissimuls derrire de grandes lunettes noires, un peuessouffle, le cherchant du regard, dfiant lobscurit facticequelle avait cre pour se cacher, cacher son dsir fou aux yeuxdu monde. Il tait vtu dun jean et dune veste en velours, beau etparfum comme un dandy. Il y avait un rotisme cru, une formedaudace transgressive dans sa faon de laccueillir et de seprcipiter vers elle comme si elle lui appartenait totalement, danssa gestuelle prcise : frlements de mains, clignements de lil ; ily avait de la manipulation aussi, le jeu de lacteur qui envote sapartenaire, qui en tombe amoureux pour quelle sabandonne sousle regard voyeur du metteur en scne complice qui filme, dirigedans lombre. Embrassez-moi, je deviens fou. Juliana se dgagea,eut un mouvement de recul : Ne mappelez plus, ne vousapprochez pas, je vous en prie, nous sommes peut-tresurveills, ne Il dit : Je vous adore, jai besoin de vous, jenarrte pas de penser vous. Elle regarda autour delle, craignitdtre remarque. Il avait besoin de la toucher, de respirer sonodeur : Est-ce que vous sentez mon trouble ? Il approcha sa jouede la sienne un frlement peine perceptible. Elle tait dans cettat dadoration qui figeait les membres et les sens, ttanise parla force de son dsir qui balayait tout.

    Jai rserv une chambre, montons. Cest impossible, je ne suis pas libre. La chambre, elle, lest.Elle sourit et avant quelle pt se rtracter, sur un ton qui

  • nautorisait aucune opposition, sur un ton o lon sentait poindre ledsir et la contrainte, lexcitation et la violence venir, il ajouta : Rejoins-moi. Maintenant.

  • Par le pass, nous nous sommes toujours efforcsde rester en retrait, de ne pas nous placer sous les

    feux de la rampe, et cela nous a plutt russi ! Katrin Kant, un journaliste allemand.

    Ctait une suite laquelle on accdait par une entre secrte,personne ne pouvait les surprendre, Juliana naurait qu lerejoindre, il avait rserv cette chambre sous un faux nom.

    Braun la prcda, commanda une bouteille de champagne,inspecta les lieux, tira lgrement les rideaux pour crer uneambiance plus intime, colla son oreille contre la paroi du mur : ct, tout tait calme qui pourrait les surprendre ? Il avait lesentiment dtre un enfant manipul par un pre tyrannique etpervers, il obissait mais quelque chose en lui stait fl, taitdfinitivement perdu : une innocence, le sens de lillusion, uneaptitude la rverie on en est tous l. Dans la salle de bains,pench au-dessus de la vasque en faence, il rina longuement sonvisage leau brlante, linquitude montait en lui par -coups, ilne savait pas comment elle ragirait quand elle se retrouveraitdans la chambre, avec lui, sous cette lumire tamise, devant ce litquil avait lgrement dfait, il ne savait mme pas si elle allaitvenir, si elle nallait pas renoncer la porte de la chambre, rongepar la culpabilit. Il resta un moment sobserver dans le miroircomme nous le faisons tous avec une fascination malsaine. Ilnimaginait pas la sduire aussi vite, une femme dont la puissanceconomique occultait tout le reste, une femme hermtique, presquehostile, quil faudrait amadouer, forcer peut-tre, au risque deleffrayer, au risque de la perdre, et quelle importance si vouspartez ? Il lattendit dans le petit salon, sassit sur le canap,alluma le tlviseur et changea frntiquement de chane jusquce quil lentendt frapper la porte. Son pouls sacclra tout coup, il teignit le tlviseur et lui ouvrit. Elle tait l, un peu trop

  • maquille, vote comme un animal traqu, posez cemagntophone. Il ltreignit, respira sa nuque, ses cheveux,dtends-toi. Elle se contracta, tonnamment rigide, prostre par lapeur de se trahir, de regretter, de mal faire, Juliana na pasdexprience des hommes ou si peu, laisse-toi faire, laisse-toialler. Une chaleur nouvelle, menaante, lenvahissait. Elle plaquases mains contre sa poitrine dans une posture dfensive, elle nesupportait pas quun homme lui toucht la poitrine et vous ? Ilpouvait la rassurer, lui parler, cesser ses caresses il hassait latendresse, comme moi , au lieu de cela, il la plaqua contre le muravec une brutalit inoue et lembrassa. Pas un mot ne fut chang.

    Dans lanonymat dune chambre dhtel, lune des femmes lesplus puissantes dAllemagne se donna un homme dont elle nesavait rien, quelle navait vu que deux fois dans sa vie, et quelleavait pourtant suivi sans lui poser aucune question, sans avoirobtenu le moindre renseignement, ignorante, inconsciente, sansrsistance, violant nos impratifs scuritaires, sa moralepersonnelle, ses convictions, elle lavait suivi parce quelle nepouvait pas lui dire non , mot abscons, imprononable, quilimite et restreint, elle avait perdu tout contrle, toute capacit dejugement, elle tait une proie, une poupe de chiffon, une chosemolle et sans volont entirement commande par sa matrice, elletait cette femme qui capitulait sans avoir t torture, violente,elle se rendait, se soumettait avec une jubilation nouvelle, uneexcitation guerrire, elle tait une machine aimer, qui hurlait,haletait, et sa voix tait un gmissement, un soupir qui gonflait,elle tait cette femme rsigne, grotante, genoux devant luicomme devant un prie-dieu, cherchant la protection, rclamant laservitude, infode au pouvoir dun dieu tranger, cette femme quise tranait terre, nue, hirsute, chevele voil pourquoi je

  • dteste lamour : les papillons redeviennent des larves.

    De dsir, elle crevait pour lhomme magnifi, prte passer lereste de ses jours dans lobdience mais que comprenez-vous cette attraction animale, cette comdie rotique ? Ah ! votre faondcouter sans minterrompre en amour aussi, une fonctionnairedu sexe et rien dautre. Elle ne pouvait pas lutter contre, millearguments sy opposaient, elle ne contrlait plus ses motions, sesinstincts, elle tait coupe de sa ralit intrieure, de son enfance,de ceux qui lavaient faite, leve, aime ; retranche du mondedes professionnels quelle ctoyait et dont elle avait oubli lesnoms, spare physiquement, mentalement, de son mari quinexistait plus que de manire elliptique, avait-il jamais exist,ampute de ses enfants, dbarrasse des angoisses maternelles,des liens professionnels, familiaux, amicaux, tait-elle encore unepouse, une mre, avait-elle un frre, une gnitrice, quel tait sonnom, sans identit la voil, la femme aimante, amoureuse, aimable,celle qui consent, participe, acquiesce, enroule, dlie, recroqueville, enveloppe par lui, par ce corps puissant, mince,musculeux, ce corps qui se mouvait avec lagilit dune panthre,qui tressaillait et sautait en elle, et o est le prdateur, pensait-elle, o est-il, il ny avait plus que cet animal sauvage et doux,tendre et froce qui la comblait et la blessait, la faisait jouir et lamaltraitait sans quelle en subt aucun sentiment dhumiliation,aucune douleur, et il la tenait fermement, pourquoi, demandez-vous, pourquoi, taisez-vous, vous tes l juger, de la moraleplein la bouche. Vous navez jamais aim, comme moi, vous tesseule, sche, vous navez jamais risqu votre peau, vous ne donnezrien, ouvrez, fermez, la mcanique sexuelle, rien de plus, bravo,vous tes des ntres.

  • Une femme discrte, glaciale, mfiante jusqu la paranoa, quinaccorde sa confiance qu quelques rares personnes, ne seconfie pas, une femme qui a t kidnappe, traumatise, cettefemme sest laiss sduire par Braun et sest offerte lui ds lelendemain de leur rencontre et comment, pourquoi, demandez-vous ? Ce que lattirance sexuelle a de mystrieux, je nen saisrien mais elle La frustration cathartique. Lobsession de latransgression. La condamnation des faiblesses humaines. Unprotestantisme froid, austre, dont le respect scrupuleux estorganis autour du devoir le devoir et rien dautre. Le plaisirsexuel ? On nest pas l pour a ! Le sens des responsabilits, oui.Lexcution des tches, le respect des convenances, la politisationde la vie conjugale, oui. La hirarchisation des sentiments avec, enhaut de la pyramide, la complicit conjugale. Deux partis oppossqui dcident de mettre leurs intrts en commun la dmocratiesentimentale. Mais la sensualit anarchique, non. La sexualithypnotique, non. Jusqu sa rencontre avec Braun. Cet homme atout fait voler en clats. Et comment, demandez-vous ? Comment ?Les Kant sont des gens influents, indestructibles, qui ont une faille,ne riez pas, le talon dAchille des Kant, cest le dsir sexuel.Placez un Kant dans un lit et vous obtiendrez un scandale, unebombe, un retournement historique, une guerre, un crime contrelhumanit. Le lit des Kant est devenu le thtre de toutes lesoprations humaines. Dans leur lit, le monde jouit et meurt. Vouspensez que je suis fou, je suis fou, cest pourquoi Juliana Kant marenvoy, rentrez chez vous, Karl, vous tes fatigu, surmen, jesuis fou, ils mont effac de leur mmoire familiale, ray de leurvie, je suis fou alors que je les ai servis, aims, entours,protgs, dfendus, alors que je les ai aims, aims

    Etes-vous relle ? Suis-je en train de vous parler ? Je perds la

  • tte par moments, depuis que jai t agress en pleine nuit par unhomme, un couteau sous la gorge et puis plus rien. Sept joursdhospitalisation, Juliana nest jamais venue me rendre visite, ellema fait livrer des macarons aux noix jy suis allergique. Noussommes l dans cet htel jaime Paris, je parle, vous mcoutez.Comment tre sr que vous transformerez mes paroles enlittrature sans les dformer, sans me trahir ? Comment saurez-vous dcrire ce premier change rotique entre Braun et Julianasans lavoir vu comme je lai vu, avec une certaine excitation etsans doute aussi un peu de dgot dtre dsormais du ct desvoyeurs, des inactifs, des retraits du sexe et de lamour ?

    Imaginez-les dans cette grande chambre dhtel, enlacs,embots, possds lun par lautre. Elle ne voulait pas dire cesmots Braun : Je suis la fille de Philipp Kant , elle se taisait,ctait un instant qui nengageait pas, qui ne promettait rien, cestce quelle se rptait tout en sachant quelle se mentait elle-mme, depuis le dbut, elle se sentait attire, aspire, happe parcet homme, son visage, ses mains, son corps, elle laimait dj,tait-elle aime, ils taient seuls au monde, seuls dans cettechambre aux murs beiges, riant, dansant, elle disait, je suis libre,demain, aprs-demain, toujours, et elle-mme, avec crainte,inquitude : suis-je vraiment aime ?

  • Nous agissons pour le bien de lentreprise. Nous necherchons pas tre aims.

    Gnther Kant son fils Philipp.

  • Le lendemain, lheure du djeuner, Braun lui donna rendez-vous au zoo de Berlin, le zoo, quelle ide, un lieu public. Pourtantelle ne dit pas : Je suis la fille de Philipp Kant, quelquunpourrait me reconnatre , elle murmura simplement : Le zoo,tes-vous sr que Braun linterrompit : Qui pourrions-nouscroiser part des enfants et des animaux ? Il est original,singulier, pensait-elle, diffrent des autres. De lenfance, Julianana connu que les contraintes dune ducation corsete lexcs,et vous ? Du plus loin quelle se souvienne, Juliana a toujours tune adulte, une fille responsable, mature, sans fantaisie, sans clat,la reprsentation parfaite de ce que ses parents exigeaient delle.

    Lorsquelle arriva devant la lourde grille du zoo, Braun taitdj l, des journaux sous le bras, il lui adressait de grands signes.Un homme lattendait, lappelait, Juliana se sentait dsire, tait-elle aime ? Il lui transmettait ce quelle navait jamais connu, quinavait pas de prix, ntait pas ngociable une certaineinclination la lgret : un passage secret sur lenfance. Il prit satte entre ses mains, lembrassa sur la joue dune faon paternelle,elle baissa les yeux, trouble. Il y avait une tendresse nouvelledans sa faon de laborder, une manifestation physique quitrahissait une volution affective, songeait Juliana. Alors elle selaissa guider comme une aveugle, elle sabandonna, suivant sonamant, acquiesant chacune de ses paroles, riant ses blagues.Ils sattardrent devant les cages comme des enfants indociles etcurieux. Jtais l, moi aussi, cach derrire les autruches, jentais pas pay pour faire a et pourtant je la guettais, je necherchais pas la protger je les enviais : cette complicitrotique, cette connivence intellectuelle Pourquoi pas moi ? Lespectacle de leur amour me semblait obscne, pathtique. Jepntrai dans le btiment rserv aux reptiles. Ctait lheure du

  • repas. Les soigneurs glissaient dans les cages de verre des sourisvivantes que les reptiles gobaient dun claquement de mchoire. Jevoyais la forme du rongeur encore vivant qui tressaillait,dformant la peau cailleuse. Cela ne dura que quelques secondes.Le reptile gisait, repu, indiffrent aux cris des enfants terrifis. Unprdateur, me rptais-je, en sortant du btiment et en apercevantBraun qui enlaait Juliana. Ils taient assis sur un banc en pleinsoleil. Les rayons les blouissaient.

    Je veux tout savoir de toi ! Parle-moi de ta famille ! Quelssont tes gots ? Do viens-tu ? Je veux tout savoir ! Tout !

    Braun embrassa Juliana au milieu des enfants qui se pressaienten hurlant et grimaant contre la cage des singes, elle se laissafaire, oubliant le danger, la rserve, oubliant tout, crase par lapuissance dun dsir quelle navait jamais ressenti. Parle-moide tes enfants ! Montre-moi des photos ! Quel ge ont-ils ? Et illcha cette phrase qui anantirait toutes ses rserves : Je lesaime dj.

  • Jai renonc lamour il y a trente ans et depuis jenai plus aucun problme cardiaque.

    Karl Fritz lditeur.

  • Javais offert Juliana un exemplaire dAdolphe de BenjaminConstant ainsi que Madame Bovary de Flaubert jesprais quela littrature la dtournerait de Braun, ctait ridicule, rien nepouvait plus lloigner de cet homme, ni les livres, ni la peur detrahir, ni les raisonnements affectifs ou moralisateurs, ni laperspective du chaos, ni la conviction intime quils ne vivraientjamais ensemble, ni mes mises en garde, ni Comprenez-moi :elle tait perdue, perdue pour le monde, et moi avec. Sonquotidien, son existence, nvoluaient plus quautour dune seuleet mme pense : tait-elle aime ?

    Suis-je aime ? Elle expertisait lamour, vrifiait lauthenticitdes sentiments du toc , rclamait des preuves, et quels risques,quelle mascarade pour a, quelques heures avec lui, quelquesminutes dune brutalit stupfiante comme sils rglaient leurscomptes avec qui ? Dans son lit avec la peur, le dsirer, liecomme une louve, nerveuse, vif, en manque de lui jusqulheure des rvlations sur sa famille, dix jours seulement aprsleur rencontre : Il faut que tu le saches maintenant. Je suis la fillede Philipp Kant, le propritaire de K&S. Ces initiales, lapuissance quelles incarnaient. Il savait ce que cela signifiait. Ildit : Je ne men doutais pas. La lgendaire discrtion des Kant.Ne pas sexposer. Ne pas rpondre aux interviews. Commentaurait-il pu savoir ? Il alluma une cigarette, passa sa main sur sapoitrine.

    Je couche avec la femme la plus puissante dAllemagne, cestterriblement rotique !

    Est-ce que les choses vont changer entre nous ? Oui, totalement ! Maintenant, je vais vouloir tout prix

    tpouser !

  • Je voudrais tre vue en tant qutre humain. Juliana Kant, au cours dune sance dacupuncture.

  • La suite est une succession de rendez-vous, un amour cach auxyeux du monde, la routine amoureuse applaudissez. De Braun,Juliana ne devinait rien, ce souci de discrtion lui convenait, ellene cherchait pas le possder, le contrler, ils ne vivraient jamaisensemble, elle nexigeait rien quil ne pt lui offrir, rien qui bristcet difice fragile quils avaient conu pour saimer saimer etrien dautre. Elle navait pas le sentiment de percer quoi que ce ftde ses gots, de sa personnalit, pas mme lorsquils seretrouvaient dans leur chambre dhtel, dans leur lit, Braun restaitun tranger jusque dans lamour un animal sexuel, et alors ? Ilsavait quelle tait marie, mre de famille, fortune ctaitassez.

    Pour lanniversaire de leur rencontre quatre mois dj quilsse retrouvaient en cachette, seuls au monde et moi derrire surveiller, je compte sur votre discrtion, Karl , Braun linvitachez lui. Il habitait un loft dans la banlieue de Berlin, un lieu ladcoration dpouille : une table, un canap, un lit, un bureaumtallique sur lequel sentassaient des magazines et des pochettesgrises. Au mur, des images transgressives, pornographiques,avaient t suspendues selon un ordre rigoureux. Des clichs deguerre aussi, reprsentant des corps dsarticuls, des paysagesdvasts par les bombes. Au-dessus du canap, en grand format,un exemplaire du clich que Braun avait offert Juliana. NE PASENTRER. DANGER DE MORT. Tu ne mas pas offertloriginal ? plaisanta Juliana. Braun tait assis en tailleur sur lecanap, vtu dun jean et dun tee-shirt blanc froiss. Un rotismefroid se dgageait de sa personne comme si la distance quilinstaurait suffisait susciter le dsir. Dshabille-toi , ordonna-t-il. Juliana savana vers lui et, sa hauteur, se figea. Elle avaithonte de dvoiler son corps sous cette lumire crue qui laveuglait

  • la manire dune torche. Dshabille-toi , insista Braun.Juliana hsita, resta un moment interdite, puis lui obit, sanssensualit, mcaniquement, tout en ne quittant pas la photographiedu regard. Elle ne portait plus que ses dessous : une combinaisonen dentelle crme quelle avait achete la veille. Elle eut envie depleurer tout coup : Ecoute, je ne sais pas ce que je fais ici,je Braun se leva, posa sa main sur sa bouche pour la fairetaire. Juliana ne bougea pas. Il la serra contre lui, caressa sanuque, laissa glisser ses doigts le long de ses reins. Il la fitpivoter, se plaqua contre elle. Il la serrait fortement Juliana nese dgagea pas. Il souleva sa combinaison et lui murmura loreille : Je veux tout de toi. Puis il la lcha, se dirigea verslextrmit de la pice et ouvrit la fentre. Un vent glacial pntradans le salon. Jai froid , dit Juliana mais Braun ne lcoutaitpas. Il retourna sasseoir sa place, sur le canap. Regarde laphoto, imagine que tu es dans cet endroit et dis-moi ce que turessens. Je meurs de froid. Juliana tremblait, sa peau taitpicote de rouge. Ferme, sil te plat, ferme cette fentre. Braun lui fit signe de le rejoindre et, quand elle fut sa hauteur,lattira sur lui. Quitte ton mari, je taime, je ne peux pas vivreloin de toi de la propagande amoureuse. Je te dsire trop. Jusqu quel point maimes-tu ? Prouve-le. Epouse-moi.

    Alors, elle pensa tout sacrifier, par amour. Cela vous paratridicule, nest-ce pas ? Quune femme de quarante-cinq ans,marie et mre de trois enfants, dcore de la Croix fdrale duMrite, une femme la tte dune fortune de plusieurs milliardsdeuros dont la notorit dpassait le cadre de lAllemagne,quune telle incarnation de la perfection fminine pt faireexploser le cocon o elle vivait depuis tant dannes pour unesimple passion sexuelle, cela vous laisse incrdule, cela vous

  • rvolte mme, je le vois bien votre regard moralisateur quirprouve et condamne Cette vie conjugale touffante,dbarrasse des contraintes de la sduction, cette existence morne,mcanique o le devoir prside toute chose, o rien ne compteque la place sociale, le regard social, cette mise en scne quellematrisait parfaitement mais qui dtruisait, jour aprs jour, ce quirestait dauthentique en elle, Juliana nen supportait plus le cours.Sans-toi-je-ne-peux-pas-vivre-sans-toi-je-ne-suis-rien.

    Quitte-le.

  • Je ne me sens ni coupable ni responsable. Axel Kant son psychanalyste.

  • Je suis condamn.

    Ils taient dans une chambre dhtel, nus, allongs sur leur lit,aprs lamour, quel romantisme, Braun savait choisir son moment,un fin stratge dont la singularit attractive masquait le calcul, ladtermination destructrice, il connaissait les gestes quiattendrissaient et capturaient, une faon de caresser le visage de lafemme aime, de poser la voix, je nai jamais su, moi, captiverainsi une femme, la faire mienne, cest comme a. Il tait auxcommandes, rus, attentif lautre, senroulant elle comme uneliane. Pourquoi ne se mfiait-elle pas de lui ? Une gueule dange,a voile le reste. La perversion, le vice, lintention de nuire, on nevoyait rien rien que ce visage parfait, rieur, avec des clatsdenfance qui vous sautaient aux yeux comme des fragmentsdobus.

    Il lui dit calmement : Cest la dernire fois que je te vois etavant mme quelle et pu voquer la rupture quelle redoutaitmais dont elle savait quelle adviendrait tt ou tard, avant mmequelle et tent de le retenir par tous les moyens, la persuasion, lechantage, la dclaration lgiaque, il nona ces mots en dtachantchaque syllabe : Je vais mourir. Elle en fut presque soulage,la sparation physique, elle pourrait la supporter conditionquelle ne ft pas le fruit dune dcision unilatrale, impose etvoulue par lui Juliana ne voulait pas tre quitte. Mais sa mort,comment y croire ? Elle ne comprit pas, questionna, harcela,nona les hypothses les plus improbables, ne lui laissant pas lapossibilit de sexprimer, comme si cette annonce devenait un jeu,un questionnaire la seule faon quelle et trouve de conjurersa peine. Braun se dtourna, il ne pouvait rien lui dire, elle devaitlaccepter : il navait plus que quelques semaines vivre, peut-tre quelques jours, quelques heures, comment savoir et moi aussi

  • peut-tre, finissons-en. Elle dit : Je vous aime, je taime, je nepeux pas vivre sans toi, je mourrai sans toi des aveux un peupathtiques, nest-ce pas ? Le beau visage de Braun devintmlancolique. Avec une lueur de gravit dans le regard, il rptaquil ne pouvait pas se confier. Du bout des lvres, il concdaquil ntait pas malade. Il ntait pas malade mais condamn une mort prochaine et impuissant en interrompre le processusdsormais inluctable, nattends plus rien de moi, je suis unhomme mort.

    Parle ! Je ten prie, parle-moi ! Il y avait de la sincrit danslacharnement amoureux de cette femme, une forme daudacesauvage qui trahissait son attachement. Parle ! Cette injonction letoucha, alors seulement, il commena raconter. Il faisait frais cesoir-l, les rideaux de leur chambre taient tirs, ils navaient pasallum le chauffage, la fentre tait entrouverte, lair, glac ; ils seserraient lun contre lautre. Moment dintensit amoureuse commenous nen avons jamais connu, nous autres qui naimons personne.Il raconta quun soir, New York, en sortant dune galerie dart, ilroulait trop vite, il navait rien bu, quelque chose avait t projetsur la route qui avait heurt lavant du vhicule et fait crisser lespneus, un obstacle surgi de nulle part, il ne voyait rien, il avaitacclr, ce devait tre un animal, il avait allum la radio pourcouvrir le silence de la nuit, essayant de dtourner son attention,ny parvenant pas, il navait plus que cela en tte, cette choseinerte et ventre au milieu de la route dont il avait peru la masseopaque travers le rtroviseur, quavait-il renvers ? Un faon ?Un cerf ? Il tait rentr chez lui, avait mal dormi. Toute la nuit, ilnavait cess de penser cet incident, revivant la scne, en songe.Dans la matine, il avait reu un appel dun inconnu, Je ne suispas de la police, et cet homme la voix spulcrale lui avait dit

  • quil avait t vu sur cette route, il avait t reconnu, ce ntait pasun animal qui avait dbuch, ctait une enfant, une petite fille, dixans peut-tre, dix ans, peu prs, cest a.

    Jai renvers la fille du chef de la mafia albanaise.

    Sa voix ntait quun tremblement, presque un rle, on eut ditquil allait touffer. Juliana frmit. Vrit ? Chantage ? Sesinterlocuteurs dont il ne connaissait pas les noms affirmaientque lenfant tait lhpital, dans le coma, quelle mourrait ouresterait dans un tat vgtatif, elle mourrait, rptaient-ils,rptait-il Juliana, par votre faute, ma faute, murmurait-il, la tteentre les mains de Juliana comme si cette treinte tendre etsoudaine le prservait de la menace du crime, vous tes coupable,je suis responsable, et pourtant, je nai rien vu, rien vu venir, je tele promets, et elle lui donna son abso lution, en le caressant,devenant sa complice. Ils me tueront, ils me lont dit, ils metueront. Une enfant, quelle horreur, songea Juliana.

    Je vais me rendre la police. Mais pourquoi ? Tu nas rien vu Jai senti la collision et jai reu des photos de

    lenfantBraun renversa sa tte entre les mains protectrices de Juliana.

    Je suis l, mon amour, je taime toute cette surenchre affective.Juliana semporta, enflamme tout coup, motive, jusqu cequil sortt une lettre de sa poche, un texte de menaces quinumrait les svices promis sil ne cooprait pas : torture,mutilation et meurtre. Il dtourna son regard, pris de vertige, ilavait peur maintenant, prs delle. Elle demanda :

  • Que veulent-ils ?Il ne rpondit pas. Que veulent-ils ?Mme silence obstin. Il restait fig dans son rle de martyr

    sacrifi sur lautel de la repentance, la rparation. Fier et beau,devant elle, implorante : Que veulent-ils ?

    De largent. Cinq millions deuros. En espces. Es-tu vraiment sr davoir renvers cette enfant ?Braun plit, lcha un oui inaudible. Que faisait-elle dans la nuit en pleine rue ? Ils te mentent peut-

    tre Ils sortaient dune salle de fte, elle a couru etJuliana caressa le visage de Braun, lencouragea parler. Ils sont prts renoncer aux poursuites si je paye. Comment peuvent-ils te rclamer une somme pareille ? Je ne sais pas. Oui, comment ? Je ne les possde pas. Savent-ils que nous sommes ensemble ?Il sembla surpris par sa question, ne rpondit pas. Cest peut-tre un pige Sils le savent, cest moi quils

    en veulent, ils pensent que je vais payer. Non, notre liaison est secrte. Personne ne sait rien. Elle tait rassure. Le degr de crdibilit de cette histoire

    rocambolesque ? Peu importe, elle ne voulait pas le perdre. Ellelaimait, vous comprenez, elle tait totalement dpendante de lui,elle lavait dans la peau, au sens strict, il lhabitait, chacun de sesorganes tait contamin par lui, elle ne pouvait pas sen dtacher,sen sparer ; sans lui, elle tait vide et largent ntait rien pourelle. Cette fascination malsaine, cette attirance morbide pour

  • Braun, je nai pas pu lanticiper, la prvenir. Ctait l, voil tout.Elle dit quelle allait payer. Il refusa son argent : il navait jamaisrien emprunt personne, pas mme son pre, il tait trop fierpour cela, il prfrait mourir ou finir en prison le reste de sa vieque de lui tre redevable, il ne pourrait jamais lui rendre cetargent. Il tait beau, drap dans sa dignit dhomme fautif. Ilassumait sa honte et son crime. Juliana insista : Laisse-moi payerla ranon. Accepte Pour moi Alors seulement, il accepta. Pour toi.

  • a me heurte quand je suis uniquement juge parrapport largent. Largent ne dit rien sur ce que je

    suis. Cela met un rideau entre les autres et moi. Juliana Kant Herb Braun.

  • Lopration avait un nom de code cinmatographique :Scorsese. Apporte-moi cinq DVD de Scorsese ! exigeait lavoix au bout du fil. Juliana proposa Braun dinformer la policeallemande mais il refusa avec vigueur : Ils ont des informateurspartout, je suis sur coute. Nous agirons seuls. Juliana neutaucune difficult runir largent : cinq millions deuros en billetsde cinq cents. Je tentai de la dissuader dagir, cette histoire mesemblait suspecte en vain. Elle ncoutait plus mes conseils,mvitait : elle smancipait, enfin. Un instant, je songeai prvenir son frre, puis je renonai. Javais toujours gard lesilence au mpris des rgles morales. Jtais lhomme dunefamille. Ma loyaut restait sans faille. Je savais beaucoup dechoses oh, pas tout, il restait tant de zones dombres, de sujetstabous mais cette familiarit avec le pouvoir, cette connaissanceprcise dune dynastie influente et envie, me coupaient de mesaspirations profondes : je navais exist qu travers eux. Depuislapparition de Braun, je nexistais plus du tout.

    Le rendez-vous avec les matres chanteurs fut pris dans leparking de lhtel o ils staient revus et aims. Ils y avaient faitlamour et se retrouvaient dans un mauvais drame. Dans lachambre, Juliana avait remis Braun la mallette qui contenait lesliasses de billets. Ils taient l, quelques dizaines de mtres lunde lautre, elle dans sa voiture, lui dans un vhicule de location.Dix minutes scoulrent quand soudain une camionnette blanchestationna. Dans le rtroviseur, un appel de phares aveugla Braun.Ctait le signal. Je le vis sortir de la voiture, la mallette lamain, et se diriger vers la camionnette. La fentre du conducteursouvrit, un homme cagoul fit un signe Braun et, dun geste vif,sempara de la mallette. Il jeta aussitt terre une enveloppe.Lchange ne dura que quelques secondes. La camionnette prit la

  • fuite dans un cran de fume. Braun resta un moment immobile, leregard riv vers lhorizon, comme sil tait choqu, inconscient.Juliana sortit prcipitamment du vhicule o elle stait cache,enlaa Braun avec tendresse. Puis elle ramassa lenve loppe,louvrit fbrilement et lut le document qui exonrait son amant detoute responsabilit dans laccident de la petite fille. Ilssembrassrent. Je les observais. Il ltreignait avec force,pressait sa main sur sa nuque. De loin, a ressemblait delamour.

  • Mon pre tait un homme droit et responsable. Cequil a fait, il la fait pour lentreprise.

    Juliana Kant ses avocats.

  • Florence, les jardins de Boboli, les terrasses des glaciers, lesmuses et le sjour dans lhtel de charme quil avait choisi avecsoin le romantisme extraconjugal. Ensemble, dans les ruellesinondes de lumire, les chemins escarps, ils oubliaient lesmenaces et la ranon. Je naccompagnai pas Juliana cette fois-l,jimaginai un moment de grce absolue, partons ensemble. A sonretour, Juliana tait physiquement transforme, prte affronter lescandale mdiatique dont ses avocats repoussaient sans cesselchance, a viendrait et vite. Elle envisageait dsormais de sesparer quelque temps de son mari. Depuis quil lavait menacede divorcer oh, une fois parce quil craignait que touteinformation qui entacherait la rputation des Kant ne rejaillt surlui, depuis ce jour, leurs relations staient distendues, ils separlaient peu et pour se nuire. Mais quelques jours plus tard,pour le quarante- cinquime anniversaire de Juliana, son frre,Axel, runit sa famille dans la belle demeure de Babelsberg. Lesamis, les enfants, les frres et surs taient l, oubliant lesrvlations diffamatoires que la presse publierait bientt. Mmeson mari avait fait le dplacement, regrettant ses emportements,cherchant un rapprochement. Au moment o il ltreignittendrement oh une simple pression de lpaule , Juliana sutquelle ne le quitterait pas. Quelques jours auparavant, il staitenfin manifest aprs avoir trouv plusieurs lettres de Braun danslesquelles il voquait leur e