Simplifier la gestion atrophie transversale mandibulaire

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33 N°60 - novembre 13 L S S CAS CLINIQUE : Le cas présenté est celui d’une femme de 49 ans, sans antécédent médical, non fumeuse, désireuse de remplacer son stellite mandibu- laire par une solution fixe. Elle présente un édentement encastré dans le secteur 4 (absence de 45-46-47, la 48 étant en position légèrement mésialée). Le parodonte est fin, avec de nombreuses récessions gingivales, et les racines vestibulaires des premières molaires maxillaires (16-26) font saillie au travers des tables osseuses vestibulaires. Les dents 12 et 25 sont porteuses de cou- ronnes céramo-métalliques mal adaptées. Dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique globale, plu- sieurs soins sont réalisés, notamment les extractions de 16-26, leur remplacement, et la réfection des couronnes de 12 et 25. Nous nous concentrerons sur le secteur 4. La radiographie panoramique montre que la hauteur osseuse au- dessus du canal alvéolaire est exploitable (Figure 1c). En revanche, l’épaisseur de la crête alvéolaire semble cliniquement insuffisante (Figure 1b); ce qui est confirmé par un examen tomodensitomé- trique avec guide radiologique qui permet de mesurer une épais- seur variant de 2 mm (site de 45) à 4mm (site de 47) (Figure 2). Les diamètres implantaires standards étant compris entre 3 et 5 mm, et les règles de placement implantaire tridimensionnel suppo- sant de ménager un volume osseux minimal d’1 mm sur toute la (...) Implantologie SIMPLIFIER LA GESTION ATROPHIE TRANSVERSALE MANDIBULAIRE N. ALNO, O. HENRY-SAVAJOL, P. MISSIKA, G. KHOURY Plusieurs approches ont été décrites pour la prise en charge implantaire d’un secteur mandibulaire atrophié. Les greffes osseuses sous forme de blocs autogènes, ou plus récemment allogènes, ainsi que les régénérations osseuses guidées, sont des techniques fréquemment utilisées, avec des résultats intéressants bien qu’ils restent peu prédictibles. Dans certains cas d’insuffisance trans- versale, l’expansion osseuse via une ostéotomie peut constituer une alternative plus simple. Cette technique, qui peut être assimilée à la production d’une « fracture en bois vert », utilise les mécanismes de cicatrisation des fractures osseuses, combinés aux principes de régénération osseuse guidée. L’objectif est d’obtenir un élargissement de la crête par clivage d’un volet osseux vestibulaire, basculé dans un second temps et maintenu par la pose de vis d’ostéosynthèse ; l’es- pace ainsi créé étant comblé par de l’os autogène, un biomatériau de substitution, ou un mélange des deux. Figure 1 a,b,c : Situation initiale Figure 2 a,b,c : Scanner avec guide radiologique

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Parution Lettre de la Stomatologie 60 - Novembre 2013

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CAS CLINIQUE :Le cas présenté est celui d’une femme de 49 ans, sans antécédentmédical, non fumeuse, désireuse de remplacer son stellite mandibu-laire par une solution fixe. Elle présente un édentement encastrédans le secteur 4 (absence de 45-46-47, la 48 étant en positionlégèrement mésialée). Le parodonte est fin, avec de nombreusesrécessions gingivales, et les racines vestibulaires des premièresmolaires maxillaires (16-26) font saillie au travers des tablesosseuses vestibulaires. Les dents 12 et 25 sont porteuses de cou-ronnes céramo-métalliques mal adaptées.

Dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique globale, plu-sieurs soins sont réalisés, notamment les extractions de 16-26, leurremplacement, et la réfection des couronnes de 12 et 25. Nousnous concentrerons sur le secteur 4.

La radiographie panoramique montre que la hauteur osseuse au-dessus du canal alvéolaire est exploitable (Figure 1c). En revanche,l’épaisseur de la crête alvéolaire semble cliniquement insuffisante(Figure 1b); ce qui est confirmé par un examen tomodensitomé-

trique avec guide radiologique qui permet de mesurer une épais-seur variant de 2 mm (site de 45) à 4mm (site de 47) (Figure 2).

Les diamètres implantaires standards étant compris entre 3 et 5mm, et les règles de placement implantaire tridimensionnel suppo-sant de ménager un volume osseux minimal d’1 mm sur toute la

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SIMPLIFIER LA GESTION ATROPHIE TRANSVERSALE MANDIBULAIRE

N. ALNO, O. HENRY-SAVAJOL, P. MISSIKA, G. KHOURY

Plusieurs approches ont été décrites pour la prise en charge implantaire d’un secteur mandibulaire atrophié. Les greffes osseusessous forme de blocs autogènes, ou plus récemment allogènes, ainsi que les régénérations osseuses guidées, sont des techniquesfréquemment utilisées, avec des résultats intéressants bien qu’ils restent peu prédictibles. Dans certains cas d’insuffisance trans-versale, l’expansion osseuse via une ostéotomie peut constituer une alternative plus simple.

Cette technique, qui peut être assimilée à la production d’une « fracture en bois vert », utilise les mécanismes de cicatrisation desfractures osseuses, combinés aux principes de régénération osseuse guidée. L’objectif est d’obtenir un élargissement de la crêtepar clivage d’un volet osseux vestibulaire, basculé dans un second temps et maintenu par la pose de vis d’ostéosynthèse ; l’es-pace ainsi créé étant comblé par de l’os autogène, un biomatériau de substitution, ou un mélange des deux.

Figure 1 a,b,c : Situation initiale

Figure 2 a,b,c : Scanner avec guide radiologique

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circonférence de l’implant, nous sommes ici dans une situation d’in-suffisance transversale pour laquelle plusieurs techniques d’augmen-tation osseuse peuvent être proposées. Étant donné l’absence dedéficit vertical associé, l’ostéotomie transversale paraît être la tech-nique de choix.

Ce concept, initialement décrit par Tatum en 1979, a connu de nom-breuses modifications, l’expansion pouvant être réalisée au moyend’ostéotomes, de certains systèmes avec activation progressive, oupar « clivage » comme nous allons le décrire. L’objectif est de guiderla fracture de la table osseuse vestibulaire par la réalisation préa-lable de traits d’ostéotomie et de corticotomie pour éviter toute com-pression osseuse. Idéalement, une épaisseur crestale d’au moins 3mm est recommandée, néanmoins les progrès de la piézochirurgieautorisent désormais la réalisation de clivages plus fins dès lorsqu’un os d’allure spongieuse est visualisé sur les coupes tomodensi-tométriques.

Cette technique présente plusieurs avantages : conservation de l’in-tégrité du volet osseux cortical tout en lui autorisant un mouvementde bascule important, absence de site donneur, possibilité de poseimmédiate des implants. Elle est donc indiquée dans des situationsde crête étroite avec hauteur osseuse suffisante, particulièrement à lamandibule où l’élasticité osseuse est souvent plus faible.

CHIRURGIE D’OSTÉOTOMIE TRANSVERSALE

Un lambeau de pleine épaisseurest récliné. L’émergence du nerfalvéolaire inférieur au niveau duforamen mentonnier est mise enévidence et protégée de façon àéviter toute lésion ultérieure(Figure 3).

Un premier trait d’ostéotomiecrestale est réalisé, en mainte-nant l’axe de l’insert piézoélec-trique parallèle à l’inclinaison dela table osseuse vestibulaire.Une fois la profondeur souhaitéeatteinte, deux ostéotomies laté-rales et un trait de corticotomieapicale sont réalisés (Figure 4).

Ensuite, le volet osseux vestibulaire étant très légèrement mobilisé àl’aide d’un ciseau à os, les forages pour l’insertion des vis d’ostéo-synthèse sont réalisés. Le volet est alors complètement basculé et lesvis d’ostéosynthèse sont positionnées selon un ancrage bi-cortical.

Enfin, l’espace créé par la bascule du volet osseux vestibulaire estcomblé par un substitut osseux (poudre d’os spongieux humain debanque - BIOBank®) recouvert d’une membrane collagéniquerésorbable (membrane BioGide® – Geistlich Pharma) (Figures 5 et6).

La dissection du lambeau enépaisseur partielle permet de fer-mer le site par des sutures pas-sives et étanches sans aucune ten-sion tissulaire (Figure 7).

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Figure 3 : Lambeau de pleine

épaisseur, mise en évidence de

l’émergence du nerf alvéolaire infé-

rieur

Figure 4 : Ostéotomies crestale et

de décharge, corticotomie apicale Figure 7 : Sutures passives et her-

métiques

Figure 5 a,b : Maintien en volume du clivage par un vissage bi-cortical

Figure 6 a,b : Comblement par un substitut osseux allogénique

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SUITES OPÉRATOIRES

Les suites opératoires ont été assez simples : les douleurs, peuintenses, ont été correctement prises en charge par un antalgiquede niveau 1. Un œdème associé à un hématome sont apparus dansles premiers jours suivant l’intervention, tous deux ont régressérapidement. La patiente n’a souffert d’aucun trouble hypo ouhyperesthésique labio-mentonnier.

A 3 mois post-opératoires, un nouveau scanner confirme l’augmen-tation du volume osseux, et autorise la pose de trois implants dediamètres standard (un implant de dimensions 3.5x11 mm pour 45; deux implants de dimensions 4.0x9mm pour 46 et 47).

CHIRURGIE DE POSE DES IMPLANTS

La pose des implants est réalisée selon un protocole classique. Unedéhiscence vestibulaire, prévisible d’après l’image tomodensitomé-trique, est observée au niveau de l’implant 45 (Figure 8). Unesimple technique de régénération osseuse guidée permet de gérerla situation.

A 3 mois, le contrôle radiographique autorise le dégagement desimplants confirmant leur ostéointégration (Figure 9). Les prothèsessupra-implantaires sont actuellement en cours de réalisation.

DISCUSSION

L’atrophie mandibulaire transversale est une situation fréquemmentrencontrée en implantologie. S’il existe plusieurs techniques d’aug-mentation pour y répondre, l’ostéotomie transversale a permis unegestion assez simple de ce cas, avec des suites opératoires tout àfait supportables pour la patiente. Les avantages par rapport auxtechniques de greffes osseuses sont multiples. En effet, que lesgreffes soient allogènes ou autogènes - avec dans ce deuxième casla nécessité du recours à un second site chirurgical et une plusgrande morbidité - leurs résultats restent variables et peu prévi-sibles d’après les données actuelles de la littérature. En revanche,dans une revue de littérature publiée en 2006, Chiapasco montreque l’expansion alvéolaire présente les meilleurs taux de succès etde stabilité implantaire parmi les autres techniques d’augmentationosseuse (Chiapasco, 2006).

Par ailleurs, contrairement aux greffes osseuses qui imposent deplacer les implants dans un deuxième temps, cette technique permetl’implantation dans le même temps opératoire. En effet, dans uneétude clinique regroupant 1715 implants placés suivant un mêmeprotocole d’expansion alvéolaire sur une période de dix ans, Braviobtient un taux de succès élevé de 95.7%, avec des résultats com-parables, que les implants aient été placés immédiatement ou lorsd’un second temps opératoire (Bravi, 2007). De même, une étuderegroupant 125 implants placés simultanément à une expansion decrête mandibulaire montre que tous les implants ont été correcte-ment ostéointégrés et ont pu être mis en charge après un délai de 4mois (Basa, 2004). Dans notre cas, la patiente étant traitée dans le

cadre d’une formation hospitalo-universitaire, ce n’est que dans unbut purement pédagogique que le séquençage des étapes chirurgi-cales a été préféré. Ainsi, une première intervention a permis l’élar-gissement de la crête alvéolaire, tandis qu’une deuxième interven-tion a autorisé la pose de trois implants dont les émergences et lesaxes sont conformes au projet prothétique.

Malgré l’apparent risque anatomique représenté par la proximitédu nerf alvéolaire inférieur, nous n’avons relevé aucun trouble dys-esthésique de la région labio-mentonnière, ce qui est attribuable àl’utilisation d’inserts piézo-électriques non traumatiques pour les tis-sus mous (Vercelotti, 2000).

Dans la technique princeps décrite par Tatum, il est recommandé dene lever un lambeau qu’en épaisseur partielle pour favoriser la vas-cularisation périostée et le processus de cicatrisation. Ceci est cer-tainement valable pour un os maxillaire de faible densité suscep-tible d’une résorption importante, mais plus discutable lorsqu’ils’agit d’un os cortical mandibulaire. En effet, il est peu résorbableet son épaisseur est généralement augmentée dans un contexted’atrophie. De plus, compte tenu de sa faible élasticité, le rapportbénéfice/risque est en faveur de la levée d’un lambeau de façon àpouvoir contrôler visuellement la propagation de la fracture.

Par ailleurs, une étude récente chez le chien indique que la levéed’un lambeau n’aurait que peu d’influence sur la résorption alvéo-laire (Beolchini, 2013).

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Figure 8 a,b : Ré-entrée à 4 mois et pose des implants, avec déhiscence vesti-

bulaire au niveau de l’implant 45

Figure 9 : Second temps chirurgical à 4 mois, croissance osseuse supra-

implantaire

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Enfin, certains auteurs recommandent une technique en deux temps, composée d’une ostéotomie initiale avec lambeau, suivie d’une ré-entréesans lambeau lors de la pose du ou des implant(s). Cette précaution paraît inutile, puisque tout lambeau entraîne une ischémie et un remode-lage, quelque soit le moment de sa réalisation. Dès lors, le fait de poser les implants dans un second temps ne change rien au remodelagedéjà initié.

Finalement, les différentes techniques d’augmentation osseuse usant de divers biomatériaux rendent les comparaisons difficiles. La réussite dutraitement réside dans le choix de la technique appropriée et de biomatériaux dont les caractéristiques répondent aux objectifs fixés pourchaque situation clinique.

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