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Fondements culturels Du retard de l’Afrique Noire

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Fondements culturels

Du retard de l’Afrique Noire

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SHANDA TONME

Fondements culturels

de l’arriération de l’Afrique Noire

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© L’Harmattan, 2009

5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com

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ISBN : 978-2-296-07781-2

EAN : 9782296-07781-2

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SOMMAIRE

Introduction ................................................................................9

I Le complexe éternel d’esclave et de race inférieure ..............13

II L’enfermement dans des traditions obscurantistes ...............19

III Traditions ancestrales et germes de dictature ......................29

IV Quand l’immoralité devient la référence.............................37

V L’impossible conservation du patrimoine.............................43

VI Règne du sectarisme annihilateur de progrès ......................51

VII La psychologie malheureuse de l’aide obligée ..................59

VIII Echange inégal et non-réciprocité ....................................69

IX Sadisme et affairisme ou nationalisme ? .............................79

X Le destin d’une société sans capacité critique ......................87

XI Le prix de l’indépendance et de la liberté ...........................95

XII Hypocrisie certainement, fraternité et solidarité non !.....101

XIII Les leçons de Nelson Mandela et de Barack Obama......111

XIV Culture de soumission et institutions de plagiat .............121

XV Inadaptation chronique des systèmes éducatifs ...............127

XVI Représentation obsolète et inconséquente ......................135

XVII Désertion et démission collectives ................................145

Conclusion..............................................................................153

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Introduction

En 2007, lors d’une mission de consultation pour lecompte d’une organisation internationale au Bénin, petitpays plein d’ardeur, de vitalité, de chaleur et de traditionssitué sur la côte ouest de l’Afrique, j’étais invité avec legroupe d’experts dont je faisais partie, à assister à unereprésentation des scènes de vaudou en fin de journée.Cette sorte de théâtre de récréation était surtout censéenous relaxer après un dur labeur et nous décompresserl’esprit. Ce à quoi nous assistâmes finalement, n’avait riende récréatif et était au contraire une petite entreprise qui sevoulait magique, torturante pour nos méninges et à lalimite de l’impressionnisme. En effet, c’est une équipebien décidée à mystifier leurs hôtes qui était en action. Il yavait sur place des acteurs, des parrains, des serviteurs, despremiers rôles, des seconds rôles, des porteurs de sacs, descollecteurs de fonds, des chargés des relations publiquesqui expliquaient chaque geste, chaque acte, chaque parole,chaque objet mis à contribution.

En réalité, le tout ressemblait à une sorte de revanchesur nous, une mise en scène destinée à nous montrer qu’ily avait des choses que nous ne maîtrisions pas, qu’il yavait des gens très puissants au-dessus de notre science,loin de nos croyances et de nos certitudes logiques. Pourbien faire passer la pilule, quelques badauds triés sur levolet n’hésitaient pas à nous rassurer sur la puissanceabsolue du vaudou et sur les craintes que leurs influencesinspirent partout dans le pays et jusqu’aux détenteurs dupouvoir d’Etat. Si nous avions un doute sur cetteprésentation de puissance, nos amis béninois de mêmerang, donc des experts d’un niveau universitaire etprofessionnel élevé, étaient également de service pour

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nous dire combien ces choses avaient un caractère vrai,magique et transcendantal. Voici donc que, des amis surqui nous comptions pour relativiser ces croyancesmystiques, apportaient plutôt la preuve de leur entièreadhésion au camp des maîtres du vaudou.

Le même soir, j’ai regardé une émission sur une chaînede télévision européenne qui montrait des artistes opérantpresque de la même façon que les maîtres du vaudoubéninois, et sans que personne ne soit emporté dans lemysticisme condescendant et superpuissant. Ici, il n’étaitquestion que de manipulateurs habiles, capables de mettreen œuvre d’habiles manipulations grâce à la dextérité desgestes, à la ruse et à une certaine rapidité d’exécution.D’un côté, il y a donc l’Afrique, faisant de quelquesmontages intelligents une science absolue, et de l’autrel’Occident, ramenant ce genre de théâtre public à unebanale mais respectable entreprise d’artistes entraînés quien ont sans doute fait un métier. Du vaudou, j’en avaisentendu parler avant cet après-midi au Bénin, mais jamaiscomme une si puissante machine d’embrigadement et decontrôle de la société au point de réussir à réduire mêmedes universitaires coriaces à un suivisme d’esclavesinterdits de toute critique.

Evidemment, il suffisait de bien se concentrer et derechercher toutes les ficelles de départ pour reconstituerchaque scène présentée comme magique, transcendantaleet surhumaine. Durant les trois jours de travaux qui nousrestaient, je m’efforçai d’observer et d’analyser lesinterventions et les réactions des amis béninois qui avaientmanifesté une adhésion aveugle à la puissance du vaudou.Je me rendis ainsi compte que ceux-ci développaient unepropension naturelle à la suspicion, s’exprimaient peu,prenaient rarement une position claire et tranchée, etprivilégiaient au contraire le secret. En effet, il me fut

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facile par la suite, de reconstruire les schémas mentaux demes amis et d’aboutir à une dialectique d’extraversion etde subordination à des forces invisibles extérieures à leurscapacités naturelles d’expression.

Cette scène m’a brutalement rappelé une autre, vécuecette fois au Cameroun, dans la ville balnéaire de Kribi.L’occasion était quasiment semblable à celle du Bénin.Pour relaxer un groupe de cadres d’une organisationinternationale qui tenait un séminaire dans un hôtel de laplace, les responsables du programme avaient invité unetroupe de danse locale de la tribu batanga. A priori, il n’yavait rien d’impressionnant par rapport à tout ce qui sevoit en Afrique souvent : pagnes noués autour de la tête oude la hanche, tam-tams, bouts de bois que l’on manipulepour produire divers sons, amulettes, masques, etc.

Pourtant, à un moment de la danse, une jeune fille s’esteffondrée et est entrée dans une sorte de transe morbide.On la voyait s’agiter, trembler de tous ses membres etdonner l’impression de ne plus se contrôler, d’être à moitiéivre, étourdie ou installée dans un processus de comaviolent. Evidemment, nous avons eu droit aux explicationsde ses acolytes, comme au Bénin, des gens placés là pournous convaincre. Voici en somme le discours, livrécomme une confidence rare : « ah, comme vous la voyez,ce n’est plus elle. C’est une autre personne. Elle est déjàdans un autre monde. Elle est en communication avec desêtres invisibles, des dieux de la mer et des ténèbres. Ellepeut s’en aller pour toujours les rejoindre. Nous devonsfaire des choses pour la ramener à nous, dans le mondedes êtres vivants, de ceux que nous voyons. La suite futque trois gaillards bardés d’amulettes vinrent transporter lajeune fille pour une destination inconnue. Et voilà lemanège, pour entretenir quel mystère, et surtout à quelles

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fins, pour quelle démonstration de puissance oud’intelligence ?

Au fond, je repassai par la suite dans mon esprit, le filmde mes voyages en Afrique et des débats notoires sur notreplace dans le monde, sur notre contribution àl’avancement de l’humanité, et sur les causes de notreconstante régression. L’histoire du vaudou va plus loin etcomporte une véritable question d’éthique dans laprojection de l’Afrique noire dans la modernité. Ce n’estpas d’une simple question de mal développement et degouvernance que souffre cette partie du monde, le malvient de loin et ses causes s’enracinent dans uneperversion culturelle qui demeure impénétrable à destransformations radicalement innovantes.

C’est de l’évocation des contours de ces taresculturelles, de leur manifestation et de leurs implicationsprofondes, qu’il est question dans nos efforts ici etmaintenant. Comment se présente fondamentalement leproblème ?

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I

Le complexe éternel d’esclave et de race inférieure

Il n’est plus, à proprement parler, besoin d’inventorierles faits, les signes, les gestes et les présentations à partirdesquels, il est possible aujourd’hui de conclure à untraumatisme profond de l’Africain au Sud du Sahara.L’esclavage et le colonialisme ont profondément détruit lepsychique du Noir et installé dans son subconscient, unsentiment d’infériorité chronique. Quoique le Noir fasse,quoiqu’il devienne et où qu’il parvienne dans sonévolution, il conserve dans ses rapports aux mondes, auxautres cultures et civilisations, une sorte de dette,d’excuse, de reconnaissance inexplicable. Tout se passecomme si, parvenu justement au sommet de la science etde la maîtrise des arts, le Noir devrait encore se justifier,se faire accepter et valider son crédit.

La vérité est devenue à tel point cruelle, que rien nepeut dans le bons sens, expliquer certaines tares ouvertesqui caractérisent le Noir compte non tenu de sa classesociale, de ses origines familiales et de son niveaud’instruction. Il faut remonter le temps pour s’interrogersur notre propension à copier, à délaisser ce qui nousidentifie, nous différencie et nous caractérise, pour allerchercher chez les autres ou pour épouser les traits et lesformes des autres. Aucune démonstration de fierté, ni depuissance, ne nous évitera l’humiliation suprême queconstitue le rejet de la couleur de notre peau. Les imagesde Michael Jackson sont suffisantes pour crucifier le Noirdans toute situation de débat entre les races et les cultures.Cet individu, tout en étant libre de faire ce qu’il veut de

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son corps avec son immense fortune, projette aujourd’huiaux autres peuples de l’univers, la démonstration dequelqu’un qui au bout de sa propre réflexion, a pris ladécision de changer de race. Le célèbre artiste adulé etchéri ne le serait véritablement que dans les manifestationspubliques où ses productions musicales enchantent desgénérations entières. Il n’y a pas de doute que dansl’arrière-cour, des centaines de millions de personnesdoivent se poser cette question élémentaire : avait-ilbesoin de changer de peau pour être un artiste célèbre ?

Au-delà de l’artiste, le phénomène de ladépigmentation chez les Noirs, traduit la condamnation dela race et sa conséquence logique qui porte l’inférioritéculturelle. Il n’y a historiquement aucune raison d’avalisercette mort de la race par le rejet de la couleur, que cellequi consiste à mettre en exergue, pour en faire une maladieinguérissable, les souffrances et les injustices nombreusesdont le Noir a été victime, et qui en ont fait un sous-êtrehumain. Le renvoi de tout ce qui est échec, effrayant,lugubre, et morbide à la couleur noire, a fini par construiredans la psychologie collective, l’idée de la malédiction dela race. En classe de sixième, dans un collège catholiquedirigé par des religieux canadiens, je fus sanctionné dès lepremier cours de catéchisme et renvoyé plus tard del’établissement, pour avoir demandé au professeurpourquoi Jésus-Christ est représenté en Blanc et le diableen Noir.

Evidemment, l’inverse ne peut pas, ne pouvait pas, etne sera jamais possible. La sainte Bible perdrait de sasubstance, de son importance et de son influence sur leschrétiens, si les apôtres et toutes les images quil’encombrent si pieusement et si heureusement, devraientprendre la couleur noire. Le Noir, pour n’avoir pas inventéle christianisme, pour n’avoir pas inventé l’islam ni

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aucune autre religion d’ampleur universelle, s’est rangé àla traîne du monde et a relégué ses propres couleurs ou sacouleur au rang de la honte, de la malédiction et de preuvede la condamnation au rôle inférieur.

Comment expliquerons-nous cet engouement desfemmes noires pour la transformation de leurs corps et deleurs cheveux. Celles qui n’ont pas pu ou n’ont pas choiside se blanchir la peau, ont fait le saut dans le jeu des fauxcheveux. Le spectacle qu’offrent les femmes noires estahurissant et trahit une envie insaisissable et cruciale pourles cheveux de la femme blanche. Elles ont toutesdorénavant des cheveux greffés, des assortiments variés defibres d’origines variées qui leur sont posés, cousus outressés sur le crâne pour effacer toute trace de leurscheveux naturels. La gêne atteint le sommet lorsque l’onrencontre dans les transports en commun en Europe, uneNoire assise à côté d’une Blanche. Il arrive que la Noireait des cheveux encore plus lisses et plus longs, au pointde vous faire regretter le jour où vous avez découvert quevous êtes de la race.

En fait, ces cheveux qui tombent et bercenttranquillement les joues des femmes, s’envolentdoucement à certaines occasions et luisent naïvement ausoleil, représentent pour des millions de femmes noires, laporte d’entrée dans une beauté attribuée à la race blanche.Que les meilleurs africanistes qui savent tant défendre larace, entrent dans les livres d’anthropologie, convoquentles états généraux de la culture, et lèvent le peuple savantde la race, pour apporter donc une solution ou au moinspour trouver un remède, une parade, à ce qui est déjà leculte de l’imbécilité et de l’infertilité philosophiques. Apartir du moment où des personnes rejettent leur identité etcondamnent leurs âmes, en préférant celles des autres, ilfaut convenir qu’ils ont définitivement reconnu leur

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infériorité et livré leurs cultures sans combat sur l’autel dela compromission. L’embêtant c’est que le phénomène nesemble déranger personne et tout se passe au contrairecomme si changer la couleur de sa peau, greffer des fauxcheveux, relèvent de la norme. Un fringant président d’unerépublique francophone d’Afrique centrale se décape lapeau au point d’en faire un exemple pour tous ses citoyensqui s’y adonnent comme s’ils obéissaient à desprescriptions de la charte fondamentale du pays.

La communauté afro-américaine, si prompte à conduiredes luttes et à revendiquer son intégration sans préjudicesraciaux ni discrimination quelconque, n’a pas cru devoirs’émouvoir devant la construction monstrueuse d’unpersonnage artistique célèbre en son sein. La perte de larace et la malédiction de la communauté ne sont pas mieuxtraduites dans cette image grotesque et dérangeantequ’ailleurs. D’ailleurs, rien ne symbolise mieux l’ironie etla contradiction qui déchirent les tentatives de sortie de cecomplexe que l’image d’un James Brown, au faîte de sagloire, qui chante « say it loud, i am black and proud »(dites-le à haute voix, je suis Noir et fier), avec lescheveux défrisés. Il fut un temps aux Etats-Unis où toutNoir qui avait réussi épousait une femme blanche oumétisse.

Du côté des universitaires, un autre constat troublants’impose. Les Africains estiment que la meilleure façon devaloriser leurs travaux ou de leur donner plus de lisibilité,c’est de citer abondamment des spécialistes européens etaméricains, bref des étrangers puisés partout sauf enAfrique. Il est encore plus courant d’aller solliciter desgrands noms d’Européens pour préfacer les ouvrages. Or,bien souvent, des scientifiques autrement plus qualifiéstrônent sur le continent ou même dans le pays. Si dans lesannées 1960 et même 1970, il était possible de trouver une

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excuse dans le fait que les universitaires africains derenom n’existaient pas en grand nombre, ce n’est paspossible aujourd’hui.

Le complexe d’infériorité des Noirs d’Afrique estfranchement sans limites et l’état de domination politiqueet économique n’en est que la conséquence et non pas lacause comme certains esprits tenteraient de proclamer. Ilfaut essayer de s’interroger sur les autres raisonspersonnelles qui pourraient expliquer la propension àadmirer l’image d’autrui et les cheveux d’autrui, pour seconvaincre de l’inutilité d’une quête de réparation dessouffrances de l’esclavage. Si en dernier ressort, c’est lapeau blanche qui plaît au Noir, les cheveux des Blancs queles Noirs adorent et la caution des Blancs que lesintellectuels noirs recherchent, autant se ranger à laconclusion selon laquelle, l’esclavage et la colonisation nefurent que des découvertes heureuses pour des gens quiavaient mal à leur peau et doutaient de leur propre valeur.N’importe quel anthropologue pourrait se hasarder dans detelles déclarations sans susciter la levée de boucliers s’ilmet de la méthode dans sa démonstration et si sonargumentation est construite à partir du vécu quotidien duNoir, des réactions développées par celui-ci dans sesrapports courants avec les Blancs.

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II

L’enfermement dans des traditions obscurantistes

En Afrique noire, on admet rarement l’idée d’une mortnaturelle. Chaque décès est provoqué directement ouindirectement par quelqu’un. Les ravages que cetteperversion entraîne sont indescriptibles. Au Congo, lesgens se livrent ouvertement à des massacres dès qu’il y aun décès. Un mort entraîne, dans au moins cinquante pourcent des cas, un autre mort voire d’autres morts. Si lephénomène ne touchait que les classes non instruites oupeu instruites, ce serait encore négligeable et contrôlable.Hélas, toutes les classes sociales sont touchées et lespouvoirs publics ont l’air de baisser les bras alors qu’ilsont la responsabilité de la sécurité des biens et despersonnes. Lorsque des morts ne suivent pas d’autresmorts, des familles se déchirent de façon radicale. Ontrouve ainsi des enfants d’une même famille qui ne separlent plus et qui se vouent une haine tenace, sur la basedes accusations de sorcellerie que les tribunaux sontprompts à enrôler et à juger. Sous la pression descoutumes et des traditions obscurantistes, les législationsnationales ont intégré la sorcellerie au rang des délits,même si c’est très rarement que des preuves irréfutablessont produites dans les affaires qui s’ensuivent.

L’Africain au Sud du Sahara vit complètement tournévers des ombres, des visions et des supputationshallucinantes qui l’enferment dans une méfiancepermanente et le rejet de toute démarche logique. La veilledes concours et examens est une occasion propice pourenrichir marabouts, sorciers et guérisseurs dont certains

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ont pour tout remède, une habileté manipulatoire capablede détruire psychologiquement leur semblable. Desfemmes se rendent chez des marabouts pour solliciter despotions magiques afin d’assurer la fidélité de leurs époux,ou pour amener un homme à quitter son épouse légitime àleur profit. Des gens bien éduqués y vont pour gagner eninfluence dans la société ou pour être nommés dans leGouvernement.

En réalité, des réseaux d’escrocs bien huilésentretiennent une foire permanente de dupes qui prendtoute la société en otage. Pendant mes vacances enAfrique, les seules que j’avais pu m’offrir durant monséjour d’étudiant à l’étranger, ma grand-mère me conduisitchez un de ces faiseurs de miracle. Elle me prévint que ledéplacement était d’une importance capitale pour masurvie, ma tranquillité et mon succès. L’endroit était uneconcession normale dans laquelle, une petite case retiréeau fond de la cour servait de bureau d’accueil et demanipulation pour le maître des lieux. Dès que je prisplace avec ma grand-mère à mes côtés, j’eus droit à undiscours de conditionnement plutôt bon à retenir :

« Alors, fiston, c’est toi qui es au pays des Blancs ? Tuas la chance d’avoir une maman qui est avisée et quit’aime bien. Les choses que j’ai entendues sur ton comptede diverses sources, ne laissent aucun doute sur le fait quesi tu n’es pas méticuleusement protégé, nous allons teperdre. Mais comme notre Dieu ne dort jamais, il m’aindiqué quelques chemins pour te protéger. Je ne réussiraipas peut-être totalement, et dans ce cas, je vous indiqueraiquelqu’un d’autre qui sera en mesure de parachever letravail.

Bon, approche-toi et ferme les yeux. Ce que je vaisfaire va te mettre à l’abri de toutes les agressions, de toutes

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les provocations, de tous les empoisonnements. Tu serasprotégé même plus que le président de France. Après toutce que je vais faire, tu ne craindras ni couteau, ni bâton, nimauvaise boisson. Si par hasard quelqu’un vient à mettreune potion maléfique dans ta boisson, le verre exploseradès que tu le toucheras ».

Autour du manipulateur, des cornes de bêtes, desossements divers, des calebasses remplies de poudre dedifférentes couleurs, des tissus déchiquetés, des bouts debois taillés pour représenter des formes, des bouteillesremplies de liquides bizarres. Le décor était organisé poursortir de l’ordinaire et faire croire à une puissanceextraordinaire. Le monsieur n’avait vraiment pas à se fairedes soucis pour sa crédibilité, tant ma grand-mère luivouait un culte démesuré :

« Merci, merci, merci. Tu es mon sauveur. C’est monseul fils sur qui je compte et qui porte mes rêves, monsommeil, mon cœur. Travaille avec toutes tes forces pournotre enfant et afin que toutes les mauvaises choses despays de Blanc ne l’attrapent pas ».

Evidemment, la facture était hors de propos et elle futpayée cash, sans discussion. Et avant de prendre congé,l’adresse de quelqu’un d’autre situé dans une autre ville àenviron cent kilomètres nous fut donnée. C’est celui quiallait terminer le travail commencé par l’officiant du jour.Il n’y a aucun doute que nous étions en présence decomplices organisés pour plumer les idiots, les instablesd’esprit et les ambitieux en mal de repères. Ce genre descène est courant en Afrique noire et règle la vie demillions de personnes.

Je vécus presque la même chose après mon mariage.Mon beau-père m’amena avec mon épouse chez unindividu censé nous blinder et nous protéger contre toutes

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les tentations, les méchants. Je connaissais trop bien lemanège et je ne m’en offusquai point. La différence cettefois, c’est que le sorcier fut pris de panique lorsqu’ilconstata que j’avais un regard dédaigneux par rapport àtoutes ses manipulations. Il appela mon beau-père enaparté pour lui dire ceci : « Ton beau-fils là mérite quel’on le surveille très bien. Il m’a l’air un peu compliqué. Ace que je vois, il est insensible à toutes les invocations. Jete le dis parce que tu es mon ami et je te connais depuisdes années ».

Mon beau-père me révéla la teneur de cetteconversation, mais pour tout de suite ajouter que « cesgens sont très utiles, mais il leur arrive parfoisd’exagérer ». Ici, on sent la gêne, l’embarras. Le beau-pèreest sceptique, et pourrait même être retourné contre lesorcier, mais il refuse de franchir le pas, car ce seraitécrouler trop de dogmes, trop d’idées reçues.

En fait, chaque fois que quelqu’un essaye de se montrerréservé à l’égard de ces pratiques, il court des risquesénormes. Il peut même être tué dans certains cas. Etlorsqu’une personne connue pour sa réserve décède ou estvictime d’un malheur, les mafieux feront vite de répandrequ’il paye le prix de sa désobéissance, de soninsoumission, de son ignorance des codes et des valeursfondamentaux de la société. En fait de code et de valeurs,il s’agit de vérités biaisées et manipulées des adeptes deces sectes d’un autre genre et d’un autre âge. Il vaut doncmieux se montrer obéissant pour ne pas se mettre entravers des clans de menteurs et de profiteurs quiconstruisent des châteaux sur la naïveté des autres.

Les pratiques mystiques constituent aussi l’excusefacile face aux échecs, aux déboires et aux défaillances desindividus. Un employé absentéiste, improductif, nocif ou

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incompétent qui finit par être licencié, n’aura aucune peineà répandre des explications selon lesquelles il est victimedes pratiques maléfiques de certains collègues jaloux. Etlorsque le contexte familial s’y prête, cas de mésententeavérée par exemple, on cherchera l’auteur du malheur parlà. C’est toujours la faute de quelqu’un qui a des raisonsde vous détester et de rechercher votre perte.

Voici reprise dans son intégralité, une histoire paruedans le quotidien camerounais Le Jour du 02 avril 2009 :quatre jeunes dames étaient jugées en appel pour tentativede meurtre de leur oncle, après avoir été condamnées dansun premier temps à 10 ans d’emprisonnement ferme.Interrogées sur les mobiles de leur acte, les quatre damestoutes nièces de la victime, ont déclaré « qu’elles enavaient assez des multiples décès survenus au sein de leurfamille. L’oncle avait déjà été accusé, selon elles, d’ensavoir quelque chose sur la disparition de son propre filsfidèle, mort accidentellement en 1998. Le décès desparents des condamnés était donc la goutte d’eau de trop.Rendues à Bamenda (une autre ville du pays) ont-ellesexpliqué, les quatre orphelines ont appris de la bouched’un voyant qu’elles étaient les prochaines cibles de leuroncle. D’où leur décision d’en découdre avec lui. C’estainsi que le dimanche 22 janvier 2009, Joséphine, JosianeMarthe, Louise et Catherine, toutes des natives de Loum etdomiciliées à Douala, font un déplacement dans cetteunité administrative qui les a vues naître. Officiellementc’était pour prendre part à une réunion des ressortissantsde leur village établis à Loum. Mais, saura-t-on plus tard,les nièces avaient un tout autre plan. Elles comptaient, eneffet, régler quelques comptes à l’oncle. Elles frappent àla porte arrière du domicile du sexagénaire le dimanche22 avril 2006 aux environs de 05h30 minutes. Curieusecoïncidence, car à ce moment précis, le vieux qui avait

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noué une serviette autour de la taille, sortait de sa maisonpour se rendre aux toilettes. Il devait se rendre à l’église,par la suite. Puis, l’oncle reconnaît les deux premiersvisages qui l’y attendent. Il court spontanément vers laporte d’entrée principale. Précaution inutile, car deuxautres femmes y sont postées. Sans attendre, ellesmusellent le vieil homme à l’aide de leurs mains et letraînent jusque dans le salon. D’après la victime, sesbourreaux ont ensuite injecté dans son corps, un poisonchimique dont la nature n’aurait pas été déterminée parl’hôpital Saint Jean de Malte de Njombé où il a été admis.Prise à témoin par le ministère public qui poursuit lesincriminées, Doret Leumi, la fille de la victime, a déclaréque deux fragments d’aiguilles, probablement desseringues cassées, ont été retrouvés dans la cour de lavictime ».

Des histoires comme celle-là, les cours et tribunaux enAfrique en débattent à longueur d’année.

Le recours aux plantes naturelles pour développer unepharmacopée traditionnelle existe dans toutes les sociétéset ne constitue un mystère pour personne. En Afrique auSud du Sahara, les anciens ont toujours su y recourir pourtraiter des maux comme les morsures des serpents, lafièvre jaune, les diarrhées, ainsi que de nombreusespathologies courantes. Mais alors, les déviationsvolontaires alliées à la culture de la suspicion, ontbouleversé la raison dans ce domaine et compromis lasanté des populations dans certains cas. Les ravagesengendrés par les pathologies liées au VIH-SIDA sont engrande partie dus au manque de confiance dans lamédecine moderne et au recours excessif à des croyancesmystiques dévoyées. Deux phénomènes dangereux seretrouvent ici. Les dénonciations calomnieuses résultantde la conviction que des tiers sont toujours responsables

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des malheurs que l’on subit d’une part, et l’adhésion à unemédecine hasardeuse du petit marabout de la familled’autre part. Même avec le développement et le succès desantirétroviraux, les décès continuent d’être importantsparce que trop de malades préfèrent, soit s’abandonner à lamort sous le fallacieux prétexte qu’ils sont victimes de lasorcellerie, soit déserter les hôpitaux pour aller se livrer àdes sorciers qui clament sur tous les toits qu’ils sont enmesure de soigner et de vaincre toutes les maladies.

Un enseignant de profession a été inculpé à la prisoncentrale de Yaoundé en avril 2009 pour tentatived’homicide volontaire sur la personne de son épouse pourles faits suivants : l’enseignant aurait contracté le virus duSIDA en 2003 et était depuis lors sous antirétroviraux, àl’insu de son épouse qui continuait à dépérirphysiquement. Pour continuer à garder le secret jusqu’à ladate de son arrestation, l’enseignant a bénéficié de lacomplicité du médecin de la famille, en fuite après ladécouverte du pot aux roses, et de la désinformation duguérisseur qui, pendant six années, a fait admettre à ladame qu’elle souffrait de problème de sorcellerie. Raisonpour laquelle, expliquera la jeune dame, elle aussienseignante, elle n’a pas jugé utile de subir des examensmédicaux. Son époux les lui déconseillait vivement alorsque, lui prenait chaque jour, à son insu, des cachets pourretarder l’évolution de son mal, la laissant mourir.

Dans certains cas, les malades sont effectivement bienrenseignés sur la nature et les causes de leurs souffrances,mais ils choisissent de cacher, de mentir et de laisser librecours aux supputations sur un quelconqueempoisonnement. Ce qui est grave, c’est que despersonnes instruites et d’un haut niveau de responsabilitésociale se livrent aussi à ce jeu, conscientes de ce qu’il estplus facile de croire à la jalousie et à la haine d’autrui,

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qu’à la faute personnelle. La honte de la maladie poussedonc à la consécration de l’obscurantisme et d’un certainillogisme médical.

Il n’est pas rare en Afrique de voir le maladehospitalisé jouer à un double jeu. Il existe toujours unmembre de famille qui arrive à un moment bien choisipour administrer discrètement des potions reçues desguérisseurs du village. Et si dans ce cas, le malade s’ensort, ce n’est pas vers les soins prodigués par l’hôpital queles honneurs seront dirigés, c’est le sorcier ou encore letradi-praticien, comme on aime bien les appelerofficiellement, qui se verra attribuer tout le mérite. Onobserve souvent des malades qui font des va-et-vient entrel’hôpital et les cachettes des marabouts, conduisant parfoisà la compromission des protocoles des soins pourtantefficaces. Mon meilleur ami d’enfance en est mort.Laurent qui avait contracté la tuberculose était hospitaliséau principal hôpital public de Douala qui dispose d’uncentre de traitement de cette maladie, et dont le succès estreconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).Alors que les soins se déroulaient normalement, unmembre de sa famille est venu du village pour le sortir del’hôpital et le conduire chez un guérisseur. Evidemment,les herbes dont on l’empiffrait n’ont produit aucun résultatet les poumons sont entrés dans une phase dedécomposition avancée. Mon ami fut ramené encatastrophe à l’hôpital, suscitant la colère des médecinsqui, lorsqu’ils l’avaient admis la première fois, étaientcertains qu’il en sortirait guéri. Laurent est mort car il étaittrop tard pour le sauver.

Dans certaines situations, le ridicule ne fait même plushonte du tout. Ainsi, un jeune cadre de banque qui avaitperdu son emploi, vint me voir pour obtenir unerecommandation à l’effet de postuler aux mêmes fonctions

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dans un autre établissement bancaire de la place. Lorsqueje voulus connaître les motifs de son licenciement, il ne sefit pas prier avant de me sortir des histoires de sorcellerieet de jalousie de la part d’un collègue qui lui en voulait,parce qu’il était bien vu par ses supérieurs et que despromotions importantes l’attendaient à l’horizon. Pourtant,lorsque tout à fait par hasard, je rencontrai quelques joursplus tard un haut responsable de la banque qui était parailleurs un vieux camarade de collège, j’entendis uneversion différente. Le bonhomme avait été licencié pourfaute lourde, pris pratiquement en flagrant délit et auraitmême dû faire l’objet de poursuites pénales.

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III

Traditions ancestrales et germes de dictature

Des Zoulou d’Afrique australe aux Bantou d’Afriquecentrale et jusqu’aux Massa du Nord Cameroun et duTchad, la même hiérarchisation de la société traditionnelles’impose. Pour quelqu’un qui a pris le temps d’observerles peuples de l’arrière-pays au Mali, au Burkina Faso eten Centrafrique, la conclusion est sans appel : on est enface d’une organisation spatiale et familiale d’unehomogénéité admirable qui prend appui sur des codes deconduite rigoureux. Mais ce n’est pas tant l’organisationen elle-même qui est la principale source d’attention, c’estla sacralisation que revêt la vénération de certainspouvoirs érigés en dogmes divins.

Ce qui est vécu de l’extérieur surtout comme des modesoriginaux de gouvernance traditionnelle de la plupart dessociétés africaines, est en fait la base idéologique etdoctrinale d’une consécration des privilèges pour descatégories choisies tantôt en fonction du sexe, tantôt enfonction de la fortune, et tantôt pour la lignée familiale. Lechef chez les Malinké, les Zoulou, les Fang, les Bamiléké,ou les Bété, jouissent des mêmes privilèges exorbitants quileur permettent de régenter la société, de mettre à mort dessujets, de distribuer des titres et autant de pouvoirs à desindividus qui à leur tour, s’érigent en seigneurs et exercentsur le reste des citoyens, une influence dépersonnalisante.

Le notable bamiléké est du coup investi des plus largespouvoirs et censé jouir là, des plus amples privilègespartout où des personnes de même origine villageoise sontregroupées. En réalité, le problème ne se situe pas dans le

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choix de ces individus dont certains peuvent l’être pourdes services exceptionnels rendus à la communauté. C’estau contraire l’esprit qui se profile derrière les titres etdistinctions obtenus du souverain qui est un sujetd’interrogation. Il ne faut pas oublier que cette manie derecomposer ou de diviser la société traditionnelle en castesde puissants et de sujets corvéables à merci, entraîne laconception et la mise en place d’interdits, de droitsaléatoires et de systèmes de sanctions dont la finalité est lanégation des principes généraux, la négation de touteéquité, et le rejet de toute idée d’égalité des citoyensdevant la loi. Pour dénicher les travers de cetteorganisation, il faut se référer à certains interdits criants :de façon systématique, certains aliments, certains types deviande, de gibier, sont interdits aux femmes. Les prétextesrecouvrent un catalogue impressionnant de petiteshistoires présentées comme incontestables au fond. Unefemme qui consommerait tel ou tel gibier, ne pourrait plusprocréer ou deviendrait folle ; dans mon jeune âge, nousétions prévenus qu’un enfant qui mange la sardine oul’omelette, soit ne sera pas intelligent à l’école, soitdeviendra un bandit, un délinquant.

A l’observation, il s’agit tout simplement d’écartercertaines personnes d’une gastronomie succulente. Tout cequi peut apparaître rare, bon, et très appétissant tomberadans le domaine réservé des féodaux, des monarquestraditionnels puissants qui veillent à ce que des codesstricts s’en occupent et que ce soit su par tous.L’explication la plus courante donnée pour le crime del’excision est que l’ablation du clitoris empêche la jeunefille de connaître des jouissances, des sensations sexuellesfortes qui pourraient la conduire à tomber dans laprostitution. Les hommes qui avancent ces thèsesrétrogrades ne disent pas qui s’occupe de leur propre cas

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de vandalisme sexuel. D’office, l’homme est au-dessus dela femme, et pour cause, c’est lui qui sauvegarde la lignée,le clan. On ne manque pas alors de soutenir que la femmedoit être tenue à l’écart de certains secrets de la famille,puisqu’elle est destinée à s’en aller, et parce quefondamentalement, elle ne saurait succéder.

L’Africain que l’on revoit dans la cité moderne, dansles rouages d’une administration publique, est exactementle produit parfait de ces avatars traditionnels : peu enclin àpartager le pouvoir ; plus proche de son égo personnel ;plus disposé à soutenir les rois, les dictateurs et les fousdes privilèges, qu’à se ranger aux côtés d’idées novatrices.Du ministre au chef de service et au balayeur, que l’on soità Kampala, à Abidjan, à Nairobi, à Bangui ou à Addis-Abeba, on a affaire au même prototype de petit seigneurqui considère le périmètre de son bureau comme unroyaume où son pouvoir est absolu. Il n’est point besoinde le dire, de le crier ou de l’afficher. La façon dont sonttraités les usagers et les collaborateurs dit tout. Il n’y apresque aucune différence en termes de méthodes, entreles premiers monarques africains et les Chefs d’Etat quirègnent aujourd’hui sur le continent. Les premiers avaientau moins l’avantage de développer, pour quelques-unsd’entre eux, un nationalisme incorruptible qui les aamenés à opposer une résistance farouche à la pénétrationeuropéenne. Mais si au fond, on observe le rituel, lagestuelle et la finalité des pouvoirs, au regard del’éventualité du partage de celui-ci, de sa transmission etde son contrôle, on est surpris par la similitude.

On en vient donc à fonder le malheur d’une Afrique desdictatures, sur ces avatars qui sont ancrés dans unepratique et une extension barbares du pouvoir d’avoir lepouvoir, d’être au pouvoir, d’user du pouvoir, de donner lepouvoir, et enfin d’abuser du pouvoir. C’est à Abidjan que

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je constatai avec étonnement pour la première fois qu’unministre avait fait de l’entrée des usagers, son parking,mais il me fallut me rendre à l’évidence du mal devenu larègle en découvrant la même fâcheuse imbécilité àYaoundé, à Brazzaville, à Bangui, et à Kampala. Tousceux qui passent par quelques lieux, doivent être prévenussans qu’il soit besoin de pancarte ou de discours, de laprésence d’un chef suprême. Il en va de ces signes qui netrompent pas, comme il en va du budget mis à ladisposition du gestionnaire.

Comment voudrait-on, alors que la pratique construit lepouvoir d’administrer comme un pouvoir de se prévaloiret de prévaloir, envisager des alternances à tous lesniveaux de la société et plus grave, au plus haut niveau del’Etat et de la République ? La plupart des Chefs d’Etatafricains au Sud du Sahara se considèrent d’abord etsurtout comme des chefs traditionnels. La Républiquec’est le village et on fait comme au village : on ne chassepas le chef et le chef est chef jusqu’à la mort. Ladémocratie est acceptable, mais elle doit se limiter auminimum, pas remettre en cause l’existence, le pouvoir etles privilèges du chef. D’ailleurs, c’est régulièrement quel’on rappelle aux citoyens qu’ils ne doivent pas chercher àimiter les Blancs, et qu’ils doivent demeurer Africains,agir comme au village, vénérer le chef et lui obéir selonles enseignements traditionnels du village. Houphouët-Boigny ne ratait jamais une occasion pour rappeler qu’ilétait avant tout un grand chef baoulé et que chez lesBaoulé, on ne conteste pas un chef vivant.

On peut dégager deux constats de ce développement :la première c’est la tournure catastrophique qu’ont prisesles conférences nationales des années 1990 en Afrique. Ensomme, nous évoquons ici leur relatif échec moins d’unedécennie après leur quasi généralisation en Afrique noire

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francophone particulièrement. Des dictateurs à l’instard’Eyadema Gnassingbé (le père) du Togo ont vécu cettepériode plutôt en martyrs, et n’ont jamais accepté debouger la moindre aiguille dans leur manière defonctionner. Leur pouvoir n’était pas quelque chose denégociable d’autant plus qu’il ne comprenait pas qu’élupar Dieu et fondé par les coutumes locales à gouverner, ilvint à l’esprit de quelque Togolais bien renseigné (selonlui) sur lesdites coutumes, de vouloir sa place ou dedemander de partir. Les intentions furent les mêmespartout. Entre l’autre dictateur camerounais qui estima quela conférence nationale était sans objet, et le fringantSassou Nguesso qui dut recourir à ses réseaux françaispour reprendre le pouvoir, la différence ne tient à rien, etune idéologie commune de perception arbitraire dupouvoir les anime.

La rapidité avec laquelle les maigres acquis desconférences nationales ont été remis en cause et danscertains cas, balayés complètement, lève un pan de voilesur la nature primaire des systèmes de croyances qui necorrespondent pas du tout aux principes fondamentaux quigouvernent les droits des gens, et aux notions de libertésindividuelles qui sont devenues le moteur de la créativitétechnologique et par conséquent, la condition del’évolution du monde. Lorsque Jacques Chirac alorsPremier ministre, déclare lors d’une visite officielle àAbidjan, que la démocratie n’est pas faite pour lesAfricains, il est fort probable qu’il révèle en public, avecle cynisme d’un chargé de mission, la teneur desconfidences de quelques Chefs d’Etat africains. Il était eneffet mieux placé pour porter un tel message, lui qui lesfréquentait en ami, en complice et en confident depuis unquart de siècle au point de finir par perdre le respect pourlui-même et pour la majorité des Africains, en croyant

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bien sûr se situer du bon côté. L’histoire retiendra que luiau moins avait eu le courage de le déclarer publiquement,car les autres le disent autant sinon pire en privé.

D’ailleurs, il est important de noter à ce propos, que sicertains Africains ont longuement hésité avant decommencer à désapprouver publiquement les agissementsde Robert Mugabe, c’est parce qu’ils regardaient avecd’énormes suspicions, l’agitation des Européens.Comment, peuvent-ils se demander, ces Africains semobilisent-ils seulement maintenant et seulement contrecelui-là, alors qu’ils n’hésitent pas en privé, à cautionnercertains autres de la même trempe sur le continent ? Il fautdire que le dictateur zimbabwéen a magnifié jusqu’à unniveau de perfectionnement satanique, le modèle dudirigeant africain qui croit tenir son pouvoir de Dieu enrépétant à qui veut l’entendre qu’il n’y a aura aucunealternative au sommet de l’Etat tant qu’il sera vivant.

Le deuxième constat tient à la compréhension mieuxélaborée de l’étape qui a commencé immédiatement aprèsla décennie 1990 et qui s’est formalisée doucement maisméthodiquement pendant dix années pour enfin prendrecorps à partir de 2002. Tous les monarques qui ontsurvécu aux conférences nationales se considèrent hors detout danger jusqu’à la fin de leur séjour sur terre par unemort naturelle. La résolution a pris la forme d’unmouvement de grande ampleur qui prend dorénavant decourt toutes les stratégies révolutionnaires et découragenttoutes les initiatives d’opposition au plan international. Lasociété civile africaine est dépassée, assommée, etdéroutée devant le culot, l’assurance des dictateurs àl’instar des Bongo, Biya, et maintenant Wade. Ce n’est paspourtant compliqué de comprendre, s’il l’on reprend notreanalyse plus haut. Les dictateurs qui arrivent soit par leprocessus des élections à peu près acceptables, soit par les

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coups d’Etat en forme de rébellion armée, sont à leur tourconvaincus que la destinée du pouvoir en Afrique estfamiliale. Si on parvient à en accaparer, on fait lapromotion de la lignée, c'est-à-dire que l’on prépare le fils.Ils sont tous convaincus dorénavant, les anciens commeles nouveaux, que les traditions ancestrales des Africainsjustifient et protègent la confiscation du pouvoir etautorisent naturellement son transfert au fils.

Lorsque Paul Biya sort vivant du coup d’Etat avorté de1984, deux ans seulement après que Ahmadou Ahidjo lui agracieusement transmis le pouvoir, les cadres politiques dela tribu le blâment en lui reprochant de ne rien comprendrede la nature et de l’exercice du pouvoir en Afrique. Lenouveau président s’entend dire qu’on ne s’amuse pasavec le pouvoir et que son discours sur la démocratisation,l’ouverture et la moralisation procède d’une pure naïvetéintellectuelle. On sait comment les choses vont évolueraprès : le régime fit un virement à cent quatre-vingt degréspour ériger un tribalisme outrancier où les frères du villagesont nommés à tous les postes stratégiques à une cadenceeffrénée. Du côté des auteurs du coup d’Etat avorté, lemême raisonnement prime. Les cadres du nord reprochentà Ahidjo d’avoir bradé la chose du village (le pouvoir)sans procéder à une large consultation familiale.

Quand Lissouba qui est arrivé au pouvoir à la suited’élections démocratiques et transparentes est renversé parSassou Nguesso, il reçoit des réproches y compris de lapart d’intellectuels éminents du pays qui soient, qu’il n’arien compris de la gestion du pouvoir. En fait, on nedémissionne pas du pouvoir et on ne le donne pas àquelqu’un d’autre. Les exemples de transition pacifiquesont considérés comme des hérésies inacceptables.

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Ces deux constats cachent une autre conséquence, celledu positionnement institutionnel comme arbitre, et commeseul corps organisé insensible aux traditions et donc noninfluençable par le discours sur la prétendue sacralisationdu chef. Une telle affirmation se lit bien, pour ce qui est dela vérification de sa solidité, dans la place occupée par cecorps dans la dilapidation des fonds publics, la jouissancedes privilèges, et la construction des petits Etats àl’intérieur de l’Etat. Du Gabon au Sénégal en passant parle Cameroun, l’Ouganda, la Tanzanie et la Mauritanie, leschefs de l’armée sont entretenus gracieusement, disposentla plupart de temps de fonds secrets mis à leur dispositionpar le président de la République. Les épouses et lesenfants de ces bidasses vont et viennent dans les avionsqui sillonnent les quatre coins de la planète. Pourtant, cetteattention particulière ne suffit toujours pas face à descontextes mouvants et chargés de dangers. Comme il n’y aque les militaires pour se ficher vraiment des traditionsquand les mécontentements débordent et que les rumeursde complots se multiplient, il n’y a qu’eux pour inverserou compromettre de temps à autre, cette dialectiquecruelle que forment les traditions ancestrales avec lesgermes des dictatures.

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IV

Quand l’immoralité devient la référence

Les principaux indicateurs de développement humainpubliés annuellement par le Programme des nations uniespour le développement et par la Banque Mondialeconstituent une source intéressante pour apprécier lesmutations des sociétés africaines. En termes réels, lapauvreté n’a pas reculé dans la plupart des pays africainsau Sud du Sahara depuis un quart de siècle (le tiers desEtats est dorénavant producteur de pétrole). Une massedes cadres de très haut niveau est sortie des écoles deformation locales et étrangères, et le volume des richessesa été multiplié par vingt. Pourtant, il est patent de constaterque certains besoins élémentaires des populationsafricaines n’ont pas été satisfaits. Les infrastructurescourantes d’une société moderne de notre temps manquentcruellement. L’eau potable et l’énergie électrique sonttoujours des denrées rares auxquelles moins de 15% desAfricains ont accès.

Les cadres de qui l’on attendait une révolution dans lescomportements, la réflexion sociale et la transformationpolitique, se sont installés dans une opulence insolente quin’a produit que rancœur et désir de vengeance. En fait, lesvoies libres, équitables et égalitaires de la réussite ont étéobstruées, dénaturées, cassées, réduites à l’obscurité auprofit de la montée de la cupidité et de la tricherie.

Les marchés de Dakar, de Bamako, de Douala et deNiamey sont remplis de médecins, de pharmaciens, delicenciés et de docteurs de toutes les spécialités qui y onttrouvé refuge dans des activités sans aucun rapport avec

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leur qualification, pressés de survivre et d’entretenir unefamille.

Dans ce contexte, autant dire que l’école n’est plusperçue comme la voie royale du succès dans la vie, et lesdiplômes sont même devenus un motif d’embarras pourceux qui s’en prévalent sans pouvoir s’en servir pour senourrir. Ce qui est devenu la règle c’est la débrouillardise,en fait, le gain par tous les moyens et par toutes les voies àcondition d’afficher les retombées publiquement par untrain de vie mêlant gadgets de dernier cri avec voyages,villas, belles voitures 4x4, comptes fournis en banque etentretien d’une masse de courtisans dévoués. Deux voiesse sont dégagées : la première c’est l’exploitation et lepillage du budget de l’Etat. La République étant devenueune constellation de villages et les fonctions officiellesétant transformées en champs privés pour les détenteurs depostes, l’argent des projets, les fonds d’investissement ontpris le chemin des relations familiales ou amicales par lebiais des marchés fantaisistes. Les quartiers chics deYaoundé et de Douala au Cameroun sont parsemésd’immeubles flambant neufs dont les propriétaires ne sontque des prête-noms des hauts fonctionnaires et autrescomparses devenus subitement milliardaires sans passer nipar le commerce, ni par l’industrie, ni par des droitsd’auteur.

La deuxième voie c’est le crime commis à l’étranger,loin du pays, par une nouvelle race de gangsters qui setarguent d’user uniquement d’une intelligence alerte etmalicieuse pour gagner beaucoup d’argent. Il s’agit desimmigrés permanents ou occasionnels reconvertis dansl’argent sale, le blanchiment, la fausse monnaie faite demercure, les trafics des cartes de crédit, le détournementdes véhicules de location. L’essentiel pour cette catégoriede riches dont le Nigeria, le Sénégal et le Cameroun sont

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devenus le berceau, demeure de frapper des grands coupset de replier au pays.

Il n’y a plus de jeune qui ne rêve pas de prendre cesvoies hors du commun et il n’y a plus de parent qui nesouhaite pas voir sa progéniture faire partie de cesnouveaux riches. La logique est suffisamment établie dansla société pour être facilement compréhensible etanalysable. Ceux qui ne peuvent pas réussir par lapremière voie, se rabattent sur la deuxième. Ainsi trouve-t-on essentiellement des personnes d’origine pauvre ou trèsmodeste dans la voie du crime commis à l’étranger. Lepasseport dans ce cas vaut son pesant d’or et justifie toutesles falsifications et tous les risques dans la quête d’un visad’une ambassade européenne.

Concrètement, ce qui compte pour les populationscondamnées à la misère et à la maladie, c’est l’apport enbiens matériels immédiats. Celui qui donne à manger,paye l’école pour les membres de la famille, prend encharge les soins médicaux, et arrange le toit, est roi. Quel’on se demande comment il a obtenu sa fortune n’est pasà l’ordre du jour. Peu importe, que l’argent provienne ducrime de sang, des détournements monstrueux quijustement privent le pays des infrastructures primairestelles les routes, les adductions d’eau, les centralesélectriques, les salles de classe et autres. Comprendre quesi justement les salles de classe manquent et que si lesproduits font défaut dans les hôpitaux, c’est laconséquence de la délinquance des hauts fonctionnaires etdes courtisans qui jouent les gentils au village, estimpossible.

Résultat des courses, l’on en vient à se demander quiincarne mieux les valeurs nécessaires pour lestransformations sociales et pour une évolution politique

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favorable à l’émergence des institutions effectivementdémocratiques appropriées pour le développement. Il nefaut surtout pas critiquer ces voleurs et ces criminels quidistribuent la dîme et accumulent les lauriers populaires.Ce sont plutôt eux et non quelques puritains considéréscomme des traîtres, des jaloux et des empêcheurs detourner en rond qui sont portés au firmament de la sociétécomme des références. Leurs obsèques éventuelles sontl’occasion de dérouler des louanges infinies sur lesréalisations dans le village, sur les nombreux enfants ayantbénéficié de leur soutien, et sur le bonheur et lareconnaissance dont la communauté a été gratifiée. Dansce contexte, c’est peine perdue que d’envisager une miseen cause éventuelle des faiseurs de bonheur, par descampagnes de lutte contre la corruption, l’argent sale et lesatteintes à la fortune publique.

Lors des préparatifs de la participation de l’équipenationale du Cameroun à la coupe du monde de football en1994, un criminel international connu de la plupart desservices de répression contre les trafiquants et notoirementrépertorié par Interpol, est apparu à la télévision nationaleavec le Premier ministre dans une mise en scène montrantcomment il remettait sa contribution en petites coupuressorties tout droit des coffres de la Banque centrale.Comme il fallait s’y attendre, l’on apprit moins d’un anaprès que ce malfrat était en prison au Yémen. Iln’empêche que pour le citoyen ordinaire, le tour était jouédepuis longtemps et l’exemple gravé dans les esprits. Unautre bandit de la même trempe revenu de sa mission defrappes (entendez d’escroquerie) de l’étranger, avaitpoussé l’imagination plus loin en faisant peindre sur l’unde ses véhicules la phrase suivante : les derniers sontdevenus les premiers. Après enquête, il s’avéra quel’intéressé qui n’avait pas pu franchir la classe de

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troisième de l’enseignement secondaire, adressait ainsi unmessage à la fois vengeur et moqueur à ses anciens amisd’adolescence ayant fréquenté les universités.

On ne compte même plus le nombre de morts sur leschemins des aventures sans retour, des morts quisymbolisent la hargne des enfants de monter au front selonl’expression populaire consacrée, et pour revenir se fairerespecter. Nous sommes ici dans une logique similaire àcelle qui valide la prostitution tant que les revenus quecette activité procure, forcent la considération sociale etassoient une certaine notoriété.

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V

L’impossible conservation du patrimoine

Combien de pays africains au Sud du Sahara disposentd’un musée ? Combien d’Africains, riches ou pauvres,instruits ou non, de grande ou de petite formation,disposent de collections d’objets d’art ou tout simplementd’un masque, d’un tableau, d’un instrument ancien dansleur domicile ? Ces questions d’apparence banalesrévèlent un mal profond et traduisent l’ampleur de ladestruction des bases d’une construction cohérente etpositive de l’Afrique. Un peuple qui n’a pas la volonté oula tradition de la conservation des vestiges est-il en mesurede se projeter dans le futur ?

Il faut sur ce point être suffisamment clair pour ne paslaisser libre cours à la polémique ou à la confusion. Ce quiest en cause, ce n’est pas la capacité, la faculté, ou lalatitude de reconnaître et de valoriser le patrimoine. Ce quiest en cause, c’est l’existence d’une conscience généralepermettant d’édicter des règles et des politiques devalorisation de tout ce qui porte la marque de l’identiténationale. Les traditions et les coutumes dont l’Afrique seprévaut tant et que des écrits très nombreux s’efforcent demettre en exergue, ne seraient pas si protégées ou si bientraitées qu’il ne paraît dans la réalité. Les galeries d’art, lesvillages d’artistes, les expositions d’objets précieux, nesont pas très courants en Afrique. Si dans les grandesvilles, notamment les capitales, on rencontre quelquescentres spécialisés de moindre importance, ceux-ci n’ontjamais une signification au-delà d’une entreprise dedébrouillards désireux de recueillir des devises de

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touristes. D’ailleurs, il est très rare de voir des visiteursafricains dans ces endroits. C’est établi et connu que c’estpour les Blancs.

Pour ceux qui croient que nous nous plaignons ici dutraitement réservé à quelques bouts de bois taillés enmasques, il importe de préciser que ce dont il est questiontouche à la manière dont des générations se succèdent etprocèdent à la continuité de l’héritage, à la préservation del’intégrité de cet héritage, et à son intégration dans laformulation de leur destin.

En Europe, un bijou, en somme un collier, une bague,ou même une cuillère, peut passer entre les mains de troisà quatre générations d’une famille. En Afrique, c’estl’inverse qui est vrai. La vie des choses est le plus souventlimitée au premier acquéreur qui, en lieu et place d’uneconservation et d’une transmission en ordre, s’endébarrasse ou les laisse dépérir dans la désolation. Laplupart des objets africains présents dans les musées àtravers le monde ou conservés dans des collectionsprivées, ont été acquis pour presque rien, et pour certainssauvés des décharges publiques. L’absence de cohésion etde continuité entre les générations entraîne uneimpossibilité de construction de la richesse, dans lamesure où il faut recommencer tout le temps.

Un adage chez les Bamiléké du Cameroun dit que pourfaire une nouvelle clôture, il faut partir des limites del’ancienne. Hélas, dans la pratique, l’Afrique vit et fait lecontraire dans la plupart du temps. Dans ces conditions,l’accumulation est difficile pour ne pas dire impossible.Or, si l’accumulation n’est pas possible, la constitutiond’un capital n’entre pas dans l’ordre des projets à longterme. Une observation chez les Bamiléké du Cameroun,les Dioula de Côte-d’Ivoire, et les Ibo du Nigeria, peuples

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considérés comme les plus dynamiques, les plusentreprenants et les plus commerçants du continent,montre comment d’une génération à une autre, les fortunesdisparaissent. Les grandes familles fortunées quiproviennent de plusieurs générations en arrière sont rares.Certes, il est facile de soutenir que les Etats sont récents etil n’existait pas de possibilité de formation d’uncapitalisme local authentique sous la colonisation. Cetargument n’enlève rien à la pertinence du constat dedilapidation du patrimoine et du règne d’une mentalité deprédateur.

L’autre tentative d’explication pourrait recourir à lasituation d’indigence de la majorité de la population,laquelle n’aurait pas pour priorité de conserver ce qu’ellen’a même pas, et serait plus encline à obtenir tout ce quipeut lui permettre de subsister au quotidien. Il reste quepour l’essentiel, le constat qui est fait met en exerguel’absence d’une culture de protection et de reconnaissancede l’identité patrimoniale tant à l’échelle individuelle qu’àl’échelle collective. Dans toutes les localités européennes,il est possible d’admirer des monuments classés, desbâtiments aux architectures extraordinaires, futuristes,interrogatifs, et prospectifs qui marquent le temps,traduisent l’histoire, et symbolisent la beauté etl’intelligence culturelles des peuples. L’Afrique est unvéritable désert sur ce plan. Le sentiment chez nous c’estque personne ne travaille et ne pense, ni pour demain, nipour l’expression du génie collectif. Et lorsque par unhasard d’illuminations circonstancielles, quelquesmonuments ou quelques bâtiments ont pu être réalisés,leur état d’entretien fait pitié et dénote l’inconscience desdirigeants. Les grandes tours administratives d’Abidjanqui faisaient la fierté de toute la Côte-d’Ivoire etsuscitaient la jalousie des pays voisins, ne sont plus que

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l’ombre d’elles-mêmes. A Yaoundé, la majestueuse tourdu siège de la télévision nationale réalisée par l’entrepriseallemande Siemens à coups de dizaines de milliardssurfacturés peut être rangée dorénavant au rang despoubelles.

L’occasion ne peut pas être aussi belle pour reparler duZimbabwe sous le régime de l’apartheid dominé par lesBlancs racistes, et sous le régime des Africains dirigé parmonsieur Mugabe. La conclusion est tout simplementamère et devrait disqualifier tout Africain qui auraitl’intention de se donner de l’importance devant les racisteshonnis et dénoncés hier. Le pays flamboyant avec desartères qui n’enviaient rien à celles de Londres oud’Amsterdam, n’est plus qu’un gigantesque foyer deruines. Les Blancs leur ont tout laissé en termesd’infrastructures urbaines modernes, mais ils ont étéincapables d’entretenir, se contentant de jouir du pouvoir,de profiter des privilèges, et protéger leurs réseaux dedélinquants pompeusement appelés anciens combattants.

Le cas de la Côte-d’Ivoire peut également être évoqué,car nous ne sommes pas loin du parallèle zimbabwéen.Lors d’une mission à Abidjan, je fus informé par un hautfonctionnaire membre très actif de l’entourage politiquedu président Gbagbo, que le pays était engagé dans uneguerre de libération et non dans une guerre civile. Ilm’apprit que pendant le règne du vieux Houphouët, tousles postes importants à la présidence de la Républiqueétaient tenus par des coopérants français. Mais il ajoutacomme pour atténuer ses déclarations, que « ces gens ontmalgré tout travaillé et réalisé beaucoup de choses sur leplan des infrastructures ».

Les réalités ivoiriennes de nos jours constituent unmodèle parfait de la mentalité de prédateur des dirigeants

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africains. Depuis la mort de Houphouët-Boigny, le paysest entré dans un processus de ruine à ciel ouvert. Abidjann’est plus par endroits qu’un vaste dépotoir nauséabond.Les boulevards jadis entretenus avec soins et minutie sontdéfoncés, détruits, pleins de nids de poule. La seule villede l’Afrique francophone avec sa trentaine d’échangeurset son mini périphérique est devenue quelconque. Leshéritiers qui ambitionnent de décoloniser et d’occuper laplace des coopérants blancs à qui l’ancien président avaitconfié les rênes des grands travaux, n’ont pas ajouté unseul clou à ce qu’ils ont trouvé. Bédié a passé cinq ans àtravailler pour contrer Ouattara. Gbagbo ne travaille quepour se maintenir et contrer Bédié et Ouattara, sans oublierla peur d’un éventuel procès pour le meurtre lâche deRobert Guei.

De façon générale, la conservation, la protection et lapréservation des trésors ne semblent pas appartenir à laculture de l’Africain lorsque l’exercice porte l’estampillepublique. Les administrations publiques offrent partout auSud du Sahara, le spectacle de locaux et de couloirsencombrés par du matériel, qui ne demandent pas grand-chose pour être reformés. Ordinateurs, bureaux, véhicules,machines de toute nature, sont abandonnés souvent pourune vis, une cartouche d’encre, un petit rien. On préfèreacheter de nouveaux matériels pour réaliser des profitssubstantiels dans des combines sales avec les fournisseurs.Le pire est atteint lorsqu’une administration entière arriveà être paralysée faute d’entretien des équipements. Il n’estpas conseillé d’emprunter les ascenseurs dans cesconditions, ni se mettre en tête d’aller aux toilettes. Toutce qui est collectif, d’utilisation publique, et de gestioncommune, n’est jamais au point. Dans le cas desimmeubles de plusieurs étages, le danger est qu’uneéventuelle catastrophe rode en permanence dans les

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esprits. Dans le somptueux palais de marbre de laprésidence de la République de Yaoundé, il n’est pas rarede s’apercevoir que les herbes ont pris place sur des pansde murs qui ont perdu leur couleur originelle, le toutajouté à un éclairage approximatif. Lors d’une visite auministère togolais de la justice, je fus tellement surpris parl’état des lieux que le secrétaire particulier du ministre quis’était rendu compte de mes regards intrigués, lâcha : « ahmonsieur, c’est comme cela ici. Nous faisons avec ce quenous avons trouvé et nous vivons ainsi. Nous ne comptonsmême plus sur des améliorations. Regardez la chaise surlaquelle je suis assis, elle n’est pas très différente de celleque je vous ai proposée ».

L’individualisme, l’irresponsabilité et la cupiditéconstituent finalement un mélange explosif pour l’identitécommune et un cocktail de négation de toute valorisationdes richesses nationales. La mentalité qui consiste àconstruire son bonheur égoïste dans un petit carré, trahitune grave déformation culturelle, une tare congénitale, etune malédiction de toute la race. L’on pourraitlogiquement s’en remettre à la devise « je suis, nous nesommes pas ».

Une autre gangrène qui constitue le blocage de lapréservation du patrimoine c’est le sens rétrograde de lafamille. Objectivement, il faut reconnaître qu’il est trèsdifficile pour un Africain ordinaire, c'est-à-dire un cadreou même simplement un travailleur de classe moyenne, deconstituer un patrimoine cohérent à long terme. La vie del’Africain type est parsemée de demandes, desollicitations, d’exigences multiples et de responsabilités àl’égard de personnes qui se réclament directement ouindirectement de lui. Chaque Africain qui a un salaire peuts’occuper d’environ dix voire quinze autres personnes quiattendent tout de lui. Il n’y a pas d’épargne possible, et il

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n’y a même pas de véritable existence équilibrée possible.Il est généralement admis que les biens de l’Africainappartiennent à toute la famille, ce qui rend difficile voireimpossible, la projection dans le futur sur des bases forteset suffisantes.

En réalité, on retrouve ici la nuisance de certainescoutumes tant décriées, mais qui sont exploitées etmanipulées par des fainéants et des obscurantistes à desfins de perpétuation de l’indigence, du vol des fruits dutravail d’autrui, et de dilapidation.

Lorsque l’on sait que pour chaque individu, lameilleure réussite serait de fonder une famille, d’avoir uneactivité créatrice de revenus et surtout d’avoir une maison,l’on se demande comment dans le contexte des sociétéspar essence enfermées dans des dogmes aussi subjectifs,l’évolution vers le statut de propriétaire de sa résidence estenvisageable sans le recours parfois à des pratiquescondamnables. Au Sud du Sahara, il est possible desoutenir que la plupart des citoyens propriétaires de leurrésidence n’ont pas accédé à ce statut par leur seul salaire.C’est le cas pour la quasi totalité des hauts fonctionnairesqui, face à l’absence de politiques d’accès au créditouvertes et généreuses, recourent aux détournements et àdes malversations diverses pour se constituer une fortunesomme toute aléatoire. Sinon, c’est couramment aumoment où la retraite sonne à la porte, que le travailleurafricain se rend compte qu’il est démuni et qu’il a passé savie active à soutenir la nombreuse famille, à intervenirpartout pour sauver tel ou tel, à financer des demandes lesplus improductives, les plus fantaisistes et les pluséloignées de la problématique des garanties pour l’avenir.

Un autre phénomène, apparu ces dernières années est lesurinvestissement pour l’entretien des enfants que l’on

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expédie comme des appâts à l’étranger pour desformations sans lendemain. Avec la dégradation de lasituation politique dans plusieurs pays et les perspectiveschaotiques des régimes autocratiques régnants, de plus enplus de familles ont eu tendance à envoyer leurs enfants àl’étranger en s’endettant lourdement, ou en raclant lesfonds des caisses de leurs économies. Une double mépriseest à l’origine de cette cabale regrettable : il y a d’abord lapression des coutumes qui demeurent fortes dans lespratiques consistant à soutenir qu’il suffit qu’une seulepersonne réussisse et c’est toute la famille qui sera bien,hors de besoins ; il y a ensuite le phénomène des vasescommunicants qui consiste à entraîner tout un clanvillageois dans des imitations. Telle famille du carrévillageois a pu envoyer sa progéniture à l’étranger, il fautfaire la même chose à tout prix. Le résultat des coursesc’est la désolation de certaines familles après quelquesannées. On réalise, mais avec quelle amertume, que tousles biens de la famille ont été vendus d’abord pour payerune lourde caution exigée pour l’octroi du visa, et ensuitepour des envois d’argent indispensables dans certains cas.On réalise encore, et c’est plus grave, que les gosses surqui l’on avait placé tant d’espoir, s’éternisent à l’étranger.On attend, on attend, on attend, et on ne voit personnerevenir pour jouer le rôle de sauveur que l’on espérait. Lesquelques jours ou quelques semaines de vacances souventconnus ici ou là, ne sont même plus à l’ordre du jour decertains enfants devenus grands. Il y a ceux qui ont pufaire effectivement de bonnes études et se sont installésdéfinitivement à l’étranger, et il y a ceux qui n’ont pu rienfaire ou ont fait des choses pas très significatives, et viventde frustrations immenses, de honte les empêchant derevenir affronter les questions de la famille.

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VI

Règne du sectarisme annihilateur de progrès

Le constat pourrait paraître étrange voire provocateur,mais il est nécessaire de le relever : en dépit de l’explosiondes grandes métropoles et l’accélération de l’exode ruralqui a créé une population urbaine nombreuse, les paysafricains au Sud du Sahara demeurent globalement desamoncellements de villages dans les attitudes et lescomportements quotidiens. Ce n’est d’ailleurs passurprenant que l’on continue d’entendre par-ci et par-là,des discours à longueur de journée sur l’unité nationale,l’intégration nationale, la cohésion nationale et biend’autres slogans du même genre. En fait, l’Africain ne seprojette pas encore dans la société comme un citoyendébarrassé des attaches sectaires villageoises, il continuede se voir dans tout ce qu’il fait et dans tout ce qu’ildevient, en composante d’une souche de populationcoincée dans une identité réfractaire à une éventuelledilution dans un ensemble républicain.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il soit permis dedénoncer l’attachement à une identité ou à un cadre deréférence géopolitique spécifique. Ce qui est au centre denos préoccupations, c’est l’exploitation officielle de cetrait de conscience identitaire pour freiner ou gênerl’émulation des compétences et finalement du génienational. Lorsque ce n’est pas une loi, dans le pur style deslois des régimes racistes d’apartheid, qui dispose ainsi desrepères de l’exclusion, de la jalousie et de ladiscrimination, ce sont des réflexes individuels rétrogradesqui s’en chargent.

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Je n’oublierai jamais ma première surprise dans une ruede New York qui me fit saisir tout de suite une des clés desuccès et de prospérité de la société américaine. Je fuspresque interpellé par un passant qui eut ces mots : « ireally like your tie ». On peut traduire par, « vous avez unebelle cravate ou votre cravate me plaît ». La scène duramoins d’une fraction de seconde. Je suis alors resté plantéau même endroit, étonné et m’interrogeant si je venais derencontrer un fou, car mon admirateur, après sa remarque,avait continué son chemin sans jamais s’occuper encore demoi, de qui je suis, ce que je fais, d’où je viens. C’est plustard lorsque je racontai la scène à des amis américains, quej’appris que c’est ancré dans la mentalité et la cultureaméricaines: ce qui est bon est apprécié ouvertement etcelui qui émet le jugement est sincère.

Rendu dans notre contexte en Afrique, c’est un autremonde, une autre planète où l’on est prêt à compromettrevoire à dénigrer tout ce qui ne cadre pas avec ses humeurs,ses besoins, ses volontés arbitraires. L’un des facteurs dedisqualification des cadres institutionnels africains desinvestissements réside dans ce sectarisme souvent gratuit.Si l’apartheid a existé dans l’ancienne Afrique du Sudsous la forme d’un système d’exclusion raciste fondé surla peau, il fait rage aujourd’hui sur le continent et seprésente comme la cristallisation des politiques barbaresfondées sur le sectarisme radical des dirigeants et autantdes citoyens, qui agissent sans aucun égard par rapport auxurgences de développement.

Les mêmes tendances de compartimentation descitoyens en représentants des villages ou des régions quel’on retrouve à Abidjan, à Douala ou Kampala et Bamako,produisent les mêmes effets et traduisent la mêmeincapacité de l’Africain à quitter ses réflexes de jalousiepour embrasser un monde où le bonheur, l’entreprenariat

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et la réussite se conjuguent de façon impersonnelle. Desgouvernements édictent des normes orientées vers leblocage de projets ou la destruction de réalisations dontl’identité des promoteurs ne leur plaît pas, et n’hésitent pasà l’occasion, de frustrer voire de ruiner complètement lesapports des partenaires étrangers. Comment dans cesconditions envisager de façon cohérente, le progrès dupays et l’exploitation effective de toutes ses compétences ?

Certes, il est loisible de soutenir que les pratiquesdiscriminatoires et sélectives existent partout, mais ilfaudrait se garder de confondre ce qui ailleurs est uneexception, avec ce qui en Afrique revêt le caractère d’uneidéologie de restriction, de rejet, de pourrissement etd’extermination. Le nombre de projets, y compris certainsde très grande importance, qui seraient compromis justeparce que la tête du promoteur local ne plaît pas au chef del’Etat, au ministre ou au directeur pourrait surprendre plusd’une personne soucieuse du développement de nos pays.Mes voyages au cœur de la diaspora africaine m’ontpermis de rencontrer des fils et des filles du continent trèsattachants qui racontent comment ils ont été éconduits,déçus et humiliés dans leurs propres pays en s’étant vuscontrariés avec des projets qu’ils voulaient réaliser surplace. Evidemment, dans la plupart des cas, ces hautscadres, souvent recherchés et courtisés par les pays riches,renoncent définitivement à toute nouvelle tentative et àtout retour.

Le Guinéen, le Camerounais, le Congolais ou leBurundais qui monte une entreprise à succès, n’est jamaisque le produit et la fierté de son village, il n’est pas unélément de la fierté et du progrès de l’ensemble du pays.Cet individu court le risque à tout moment et pour peuqu’une occasion se présente, de voir ses installationsdétruites, quand ce n’est pas sa propre personne qui

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pourrait faire les frais des jalousies de ses concitoyens desautres villages. Dans le cadre de la lutte contre lesdétournements des deniers publics et la corruptionengagée par les autorités camerounaises, de nombreusesvoix se sont faites entendre pour tenter de casser le groupeFotso Victor en s’en prenant à son patron lors des enquêtesdans des affaires scabreuses. Le groupe Fotso Victor est lepremier groupe à capitaux entièrement africains et emploieplus de vingt mille personnes dans une trentained’entreprises disséminées aux quatre coins du monde. Legroupe est présent dans la finance, l’industrie, le négoce etles assurances. Pour beaucoup de détracteurs du groupequi ne se sont pas gênés de s’étaler dans la presse, il fallaitprofiter du bref passage de son principal dirigeant,monsieur Yves Michel Fotso, à la tête de la compagnieaérienne nationale dissoute, pour l’accuser dedétournements et le mettre sur le même banc des accusésque des hauts fonctionnaires notoirement corrompus. Lesmédias ont été instrumentés à vue d’œil pour faire avaliserde sa condamnation éventuelle et de son placement sousmandat de dépôt.

Ce qui est surprenant dans cette affaire, c’est que lepasseport du brillant capitaine d’industrie lui a été retiré, leplaçant dans l’incapacité de suivre ses affaires dansplusieurs pays, et le privant de fait de tout mouvementhors du territoire, y compris pour des soins de santé. Il estencore plus surprenant d’observer que malgré les appels àl’intervention du chef de l’Etat par de nombreuses sourcesinfluentes du monde des affaires et de la diplomatie, lepasseport est resté plus d’une année bloqué. Ici, le vraiproblème était que l’intéressé est Bamiléké, ethnie quirègne sur l’économie du pays et possède les trois quart despetites et moyennes entreprises, la totalité des banques nonétrangères, et commande plus de 70% de l’activité

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d’import-export. L’inaction du gouvernement et le silencedu chef de l’Etat, ont prouvé que les plus hautes autoritésdu pays ne se préoccupaient pas du tout de l’avenir desemplois en cas de faillite du groupe, et autant du sort desretombées fiscales, de l’image du pays vis-à-vis desinvestisseurs et partenaires du groupe. Tant que lepromoteur est Bamiléké, il n’y a aucun mal à se croiser lesbras pour le voir tomber en faillite, et il est même plutôtnécessaire de lui créer des ennuis au maximum. « Ils ontdéjà le pouvoir économique, et il est hors de question deles laisser accaparer le pouvoir politique. Et si ladémocratie devrait se traduire par l’accession d’unBamiléké au pouvoir, alors, pas question de démocratie.Enfin, si c’est possible, on les affaiblit économiquement, àdéfaut de pouvoir les casser complètement etdéfinitivement ». Ces déclarations ne sortent pas d’unimaginaire diabolique quelconque, elles sont récurrentesdans la presse, dans les salons huppés de Yaoundé, dansles cercles restreints jusqu’au sommet de l’Etat et de laRépublique.

Ce n’est ni nouveau, ni exceptionnel, ni unique, ni troppressé. Les Dioula de Côte-d’Ivoire en font l’expérience,et il n’a jamais été un secret pour personne, que la bêtisede la notion discriminatoire de l’ivoirité qui crée tous lesproblèmes du pays depuis la mort du vieux Houphouët, endécoule.

Ce qui vaut dans la vie économique vaut encore plusdans les centres de formation, les universités et les écolesspécialisées. Un ancien ministre, monsieur Issa Tchiromaqui est originaire de la région du nord du Cameroun, arévélé lors d’un entretien télévisé, que des professeursd’université lui avaient dit que les concours ne devraientpas être organisés sur la base du mérite, car les Bamilékérafleraient à chaque fois la quasi totalité des places

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disponibles. Effectivement, au nom de cette politique dited’équilibre régional pratiquée au Cameroun mais qui enfait n’est qu’une idéologie d’obscurantisme, deprévarication et de concussion, le niveau générald’expertise et de professionnalisme dans toutes lesstructures publiques du pays a chuté. Les administrationspubliques, les hôpitaux, les chaires des universités, lesreprésentations du pays à l’étranger et les délégations auxconférences et aux manifestations internationales, sontdorénavant envahis par des cadres médiocres qui fontregretter les années où le pays rayonnait véritablement etjouissait d’une large crédibilité sur la scène internationale.Beaucoup de malades décèdent dans les hôpitaux publicsvictimes de l’incompétence, de la négligence, du zèle, del’inconscience ou de l’insouciance d’un personnel recrutésur des bases subjectives.

En réalité, la culture de l’insouciance va au-delà desclivages tribaux et recoupe des fois la discrimination d’unautre type, celle à l’endroit de la femme. Parce qu’il estinconcevable dans les mœurs et les croyances rétrogradesqui sont prédominantes, que tout ce qui provient del’imagination, des prouesses et des efforts d’une femmesoit regardé avec condescendance, suspicion et moqueriepar le plus idiot des hommes africains autant que parcertains évolués que l’on considère a priori comme étantau-dessus de tels subjectivismes. Rendu à l’hôtel de villede Yaoundé pour expliquer à un haut responsable duservice d’urbanisme que les constructions du docteurFrançoise Mbango étaient destinées à héberger un scanneret que l’ordre d’arrêter les travaux n’était pas judicieuxcompte tenu de l’importance de cet équipement médicaldans une ville qui n’en compte point plus de cinq,j’entendis cette déclaration en guise de réponse :« d’ailleurs, où a-t-elle pris l’argent pour s’offrir un

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scanner. De toutes les façons, ces femmes qui commencentà trop investir sont inquiétantes ». Lorsque je voulusdonner de plus amples explications en soutenant que cemédecin radiologue était victime d’une pure jalousie etque rien ne l’empêchait légalement de faire ses travaux,surtout que l’intérêt pour la santé publique était capital,j’eus droit à une autre réponse, encore plus troublante :« mais vous pensez vraiment que son scanner va nousguérir du sida ? On a décidé de stopper les travaux etc’est tout. Le reste on s’en fout ».

Il se trouve que je connaissais très bien l’historique desefforts phénoménaux de cette jeune dame dans sa quête deréussite. Ce médecin femme réunissait en une seulepersonne, tous les problèmes et les expériences négativesendurées par les femmes africaines. Diplômée demédecine, spécialiste en radiologie, brimée dans sonménage, menacée et épiée dans son premier poste detravail dans une formation publique, elle s’est lancée avecpatience et détermination dans la création d’un centred’écographie et d’imagerie médicale. Mais ce n’est pastout, puisqu’il fallait encore se battre contre le fournisseurde ses premiers appareils qui était Européen, et contre lesdivers corps de métier qu’elle avait contactés pour réaliserles installations.

Ce modèle africain de promotion de la bêtise et du maldéveloppement, n’est même pas comparable au modèledes anciens pays communistes dont le systèmebureaucratique lourd et extravagant était entravant pour lacréativité et le progrès. Dès lors que même les stages, lesmissions de perfectionnement et les déplacements dansdes délégations sont soumis à ce sectarisme, l’ampleur desdégâts est inestimable. Des anecdotes courent sur cesreprésentants africains qui vont et viennent à travers lesfrontières pour des missions de représentation dont

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personne ne voit jamais les rapports, les comptes rendusde travail, et les retombées concrètes. Il faut aller voircertains membres des délégations africaines dormirprofondément lors des sessions de l’Assemblée généralede l’ONU à New York pour mesurer ce que signifie cettepratique et tout le mal fait au pays.

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VII

La psychologie malheureuse de l’aide obligée

Il y a toutes les raisons aujourd’hui de croire quel’Africain noir qui ne parvient toujours pas à sedébarrasser du syndrome de l’esclave, s’est laissé trahirpar un autre syndrome, celui de l’éternel assisté qui desurcroît, devrait recevoir des aides à l’infini. Tout concourtdans ces pays au Sud du Sahara, à faire avaliser des pluspetits aux plus grands, des instruits aux analphabètes, desjeunes aux personnes âgées, que les autres peuples, lesautres nations ou les autres continents seraient obligésd’aider l’Afrique. On a tellement écrit, disserté, plaidédans ce sens que même les plus optimistes et les plusbraves finissent par épouser le principe sans s’en rendrecompte. L’argument le plus souvent avancé est le pillagedont aurait été victime le continent par l’Europe. Mais onoublie de dire que l’Afrique a été tout simplement vaincuedans une épreuve de rapports de force en rencontrant lesautres continents ou au contact des autres peuples, etsurtout que l’histoire, fût-elle si douloureuse, ne sauraittenir de lieu de justificatif de toutes les carences, les tareset les défaillances criantes du continent au troisièmemillénaire.

Il faut sans doute faire l’économie du débatinterminable que suscite cette question dans les cerclesafricanistes pour avancer avec la réflexion vers les ravagesde cette psychologie négative.

A titre d’exemple, lorsque maître Akéré Muna, leprésident du conseil économique et social de l’Unionafricaine déclare le 26 mars 2009 à l’issue des travaux du

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panel consultatif de la société civile de l’organisationpanafricaine, que « les Européens ont l’obligation de nousaider », il est loin de mesurer les implications et toutes lesinterprétations de cette sortie médiatique.

Voici une réplique indirecte venant de l’artistemusicien Sibafo qui vit en Allemagne, et qui réagit sur latoile le 08 avril 2009, au discours de Ségolène à Dakar. Ils’adresse à son oncle Shanda Tonme :

Mon cher Oncle,

Je me pose quelques questions : penses-tu que si noussommes incapables de nous compter, fils et filles Binam(Bamiléké) vivant à l’extérieur du Cameroun, pourconnaître combien nous sommes, c’est le reste du mondequi, en venant développer l’Afrique, le fera pour nous ?

Faudrait-il encore accepter des accords d’aide àl’Afrique, pour des Africains conscients et convaincus ?

Si l’aide doit exister, sa nature et sa substancedevraient être celles du donateur ou les nôtres ?

Nous qui sommes à l’extérieur, nous avons quitté unsystème jugé insupportable et avons compromis notredignité pour la liberté selon la culture des autres.Sommes-nous en train de nous organiser pour être uneforce capable de venir en aide à ceux qui n’ont pas étécapables de s’échapper comme nous, par exemple enpermettant à nos frères, nos sœurs, nos papas et nosmamans, d’avoir au moins accès à des toilettes propres ?

Et si ce sont les autres qui le font à notre place, quelrespect aurons-nous ?

Se tenir de l’autre coin des USA et dire de quelle façonl’oncle Shanda devrait jouer sur place au pays lorsqu’ilaffronte les injustices et les misères quotidiennes et essaye

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de se battre, est la chose la plus acide que je n’arrive pasà avaler, même si ceux qui sont au pays, vivent peut-être,pour quelques-uns, grâce à ceux-là.

Excusez-moi, c’est parce que je n’ai pas d’autres motspour démontrer que l’on ne se développe pas avec l’aideempoisonnée, et que pour faire bien, on commence parmal faire, pour enfin un jour apprendre à bien faire.

Est-ce sur un épi charançonné comme l’est SégolèneRoyale, que l’Afrique doit espérer voir pousser des grainsde maïs sains ?

N’est-ce pas Mitterrand qui a armé et entraîné les Hutugénocidaires pour que des frères se découpent, semassacrent ?

Mes chers frères, quand allons-nous enfin oublierl’aide et nous mettre au travail ?

Quels sont les outils qui nous manquent pourtravailler ?

A chacun de répondre !

Le même son de cloche est donné par le présidentrwandais Paul Kagamé, lequel n’est pas moins undictateur comme les autres, lors de son message à sescompatriotes le 07 avril 2009, marquant lacommémoration du génocide de 1994 : « nous devonsnous donner les moyens de nous développer par nous-mêmes sans compter sur l’aide extérieure », (cité par RFIdans son bulletin Afrique du 08 avril 2009 à 6h30).

C’est dans le domaine des investissements desorganisations non gouvernementales qu’il convient dechercher quelques exemples suffisamment éloquents. En1995, une organisation humanitaire avait financé un projetd’information sur la prévention en milieu rural dans une

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petite localité non loin de Yaoundé. Lorsque l’audit de lagestion des fonds qui s’élevaient à environ 15 millions deFCFA fut réalisé, il s’avéra qu’une bonne partie avait étédétournée. Invité à s’expliquer, le gestionnaire s’emporta :« c’est pour une petite somme comme cela que les Blancsveulent nous faire passer au tribunal ? Ces gens doivent sesouvenir qu’ils nous ont exploités pendant longtemps etvolé nos richesses. Alors qu’ils aillent au diable ». Ce quiest bien plus grave, c’est que lors des enquêtes, certainespersonnalités officielles ne se gênèrent pas de prêter uneoreille attentive à ces errements motivés par le seul soucide trouver une échappatoire facile à un acte de vol.

Autre scène, même son de cloche : une ONGhumanitaire internationale qui avait vu deux de sesvéhicules être saisis en exécution d’une décision dutribunal de Bangui, malgré l’existence d’un accord desiège prescrivant des immunités d’inviolabilité des bienset des immunités de juridiction, se vit opposer desarguments similaires en douce par des officiels pressés detirer profit de l’affaire. L’affaire fit l’objet d’un débathouleux en conseil des ministres et deux camps seformèrent. Le premier camp se voulait légaliste et prônaitle respect des engagements pris par le Gouvernement dansl’accord de siège, pendant que le deuxième camp mettaiten avant tantôt la richesse de l’organisation internationale,tantôt le fait que de toute façon, les Blancs peuvent perdrede temps en temps quelque chose sans que cela ne lesruine complètement.

Ceci pourrait, comme de simples incidents isolés ou dessautes d’humeur, traduire un état d’esprit et une culture oùtout se justifie ; tout peut être changé, banalisé, accepté,sur la base d’une conception infantilisante des rapports del’Africain avec le reste du monde.

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Si beaucoup d’ONG sont présentes et très actives enAfrique, de nombreuses autres ont plié bagages après desmésaventures de cet ordre. Beaucoup d’Africains croienten toute sincérité à la thèse fantaisiste selon laquellel’Europe doit leur offrir sur un plateau, tout ce dont ilsauraient besoin pour se sentir bien. Par contre, quelquesmalins, des défaitistes chroniques, des malhonnêtesinvétérés, utilisent cet argument simplement pour seprotéger, pour justifier ou excuser leurs fautes, leursmanquements et leurs nombreuses tares. Quelle relation ya-t-il en effet entre la mauvaise gestion, les détournementsde fonds destinés à des projets sociaux, et la responsabilitéde l’Europe pour le pillage, la colonisation oul’esclavage ?

L’aide dont il est d’ailleurs question joue dorénavant unrôle anesthésiant, réduisant les Africains à de simplescontemplateurs des fruits du travail des autres, et lesmettant dans l’état de négation de leurs propres richesseset de leurs propres capacités de créativité, d’imagination etd’expertise. Après avoir visité les deux tiers des pays del’Afrique noire, je me suis rendu compte que partout, lesgrands travaux, en somme, toutes les grandes réalisationsinfrastructurelles, routes, ponts, hôpitaux, barrageshydroélectriques, sont estampillées fruits de la coopérationinternationale et financements internationaux. Cela revientà dire, au propre comme au figuré que, soit les budgetsd’Etat ne comprennent jamais des enveloppes destinées àde tels grands projets, soit que les enveloppes allouéessont détournées à d’autres fins par les responsablespublics. La réalité n’est pas loin de ce questionnement quise veut plus actuel que l’on ne pourrait le soupçonner.Mais alors, comment dans ce cas comprendre l’attitudedes bailleurs de fonds qui, depuis des lustres, défilent dansces pays pour délivrer des satisfécits de bonne gestion, de

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progrès et de pragmatisme. A chaque fois que les citoyenssont convaincus, au regard de l’accélération de lapauvreté, de la montée de l’inflation, de la proliférationdes actes de corruption et de détournements des denierspublics, qu’ils vivent sous des régimes définitivementmalfaisants et condamnables, ils sont surpris d’apprendreque la dernière mission de contrôle du FMI ou la Banquemondiale, a félicité le Gouvernement pour les progrèsréalisés dans l’amélioration de la gestion économique, lamaîtrise de la dette, le contrôle de l’inflation, la gestion dubudget.

La conclusion qui s’impose n’est pas loin de lapropagation de fausses nouvelles et de complotinternational pour maintenir les pauvres nègres dans unementalité éternelle d’assistés. Les capitales africaines sontinondées de véhicules, de petites cases de rien du tout, decentres de santé, de ci et de ça portant des inscriptionssuivantes : don de la coopération chinoise ; projet tel ettel ; financement tel, tel, tel…

Le comble c’est que pour une aide d’un million defrancs CFA, à peine mille cinq cent euros, des cérémoniessont organisées, des discours fusent, des remerciements àn’en jamais finir et à faire mourir de jalousie l’inventeurde la lampe à pétrole ou le découvreur de la pénicilline.Clairement, on fait croire aux populations, que sans cesaides, ce serait la mort, tout en entretenant au quotidien,un spectacle où l’on assiste à une démonstration insolenteet provocante de l’opulence des bourgeoisies locales. Oncomprend mieux avec ces exemples, que même lesfameux donateurs ne sont pas à la fin pressés de voir lesAfricains se ressaisir et se prendre pour autre chose quedes assistés. Ceux qui soutiennent que ces aides neseraient que le juste retour des richesses volées aucontinent n’auraient pas entièrement tort, mais comment

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entendent-ils gérer l’autre vol, actuellement plusimportant, opéré par les élites locales, les hautsfonctionnaires, les Chefs d’Etat voyous, les hommesd’affaires véreux qui ne sont de fait que les comparses desréseaux autrement plus nuisibles que les grands groupescoloniaux et néocoloniaux?

Il ne faut surtout pas être surpris que le ministre ou lehaut responsable du gouvernement qui a présidé lescérémonies pompeuses de remise d’un don d’un million defrancs CFA, lorsqu’il rejoint son bureau après, s’occupe àconfirmer une commande de matériels ou de meubles deplusieurs dizaines de millions à Dubaï ou à Londres poursa nouvelle résidence en finition. Dans un pays africain oùnous avions assisté à ce genre de cérémonie, j’avais étéfort embarrassé le lendemain dans l’avion qui nous menaità destination d’une capitale européenne, de constater quel’ambassadeur de la grande puissance qui avait délivré ledon la veille avait pris place en classe économiquependant que le ministre récipiendaire se trouvait enpremière classe. On ne compte plus la fréquence de cegenre de paradoxe qui laisse interrogatif sur lesperspectives d’émancipation réelle et totale de l’Afriqued’une part, et sur l’existence d’une volonté honnête etengagée des partenaires extérieurs, bilatéraux etmultilatéraux, en faveur d’un changement des idéologiesde précarisation et de prévarication qui dominent lacoopération internationale lorsqu’il s’agit de certainspeuples, certains pays, et certaines régions, d’autre part.

On en vient à s’interroger sur ce qui se passerait, sitoutes les aides étaient stoppées, laissant chaque peuple sedébrouiller avec ses propres moyens, ses propresintelligences, ses propres forces et ses propres ressources.Il n’y a pas pire paradoxe que celui qui consiste à vanterles richesses du sol et du sous-sol du continent, en

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continuant à le tenir en laisse comme un animal étourdi oudangereux ayant absolument besoin de maître. Certainsont dans ces conditions parlé de l’aide à la recolonisation,mais ce n’est pas la vraie signification à donner à cettedépendance. Comment qualifie-t-on un enfant gâté qui,parvenu à l’âge adulte, continue d’attendre des bonbons,une prise en charge de la plupart de ses besoins, et aupoint de donner l’impression de n’avoir jamais grandi ?Chacun est libre de donner une réponse, de trouver unqualificatif adapté à la situation de l’Afrique dont nousparlons ici.

Le mauvais refrain de la mondialisation qui serait uncomplot des pays riches ne marche pas non plus et prenddes allures d’alibi improductif dorénavant. Il faut entendretous ces dirigeants africains se plaindre en public sur lepeu de cas réservé à leurs problèmes lors des sommets despays riches. Le sommet du G20 tenu à Londres les 2 et 3avril 2009 a encore offert une belle occasion de se rendrecompte que l’Afrique n’aboutira franchement à rien avecdes complaintes sans fin et surtout une propension à jouerle bébé qui veut être cajolé et bercé. Il n’y a pas et il n’yaura jamais de pitié pour qui que ce soit dans les relationsinternationales. L’ironie voudrait que pendant qu’onsollicite des aides à Londres, des plaintes soient enexamen devant les juges à Paris à propos des biensimmobiliers colossaux amassés par des Chefs d’Etatafricains avec l’argent puisé dans les caisses publiques.

Nous l’avions déjà souligné, pour ne pas dire gravédans notre ouvrage consacré à l’Afrique et lamondialisation (Harmattan, 2009) : « Ce n’est pas lamondialisation qui est une menace pour l’Afrique, c’est aucontraire l’Afrique qui est une honte, un embarras, et unemenace pour la mondialisation. L’Afrique n’a plus qu’unemission urgente : refonder ses sociétés modernes ; se

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débarrasser de tous ses gouvernants fous ; redonner desbases saines à ses systèmes éducatifs ; développer deslaboratoires dignes de renom ; libérer ses génies enproclamant leur indépendance et en leur donnant desmoyens de travail. La mondialisation dans sa traductionenvahissante et impériale, n’est une fatalité que pour lespeuples amorphes, incapables de repenser positivementleur destin ainsi que leur contribution à la construction età la consolidation de l’unité culturelle et technologique dumonde ».

Cette approche très critique mais programmatique, estencore plus étoffée voire tout simplement révolutionnairedans un livre au titre fort évocateur, Pour la dignité del’Afrique, laissez-nous crever, du journaliste camerounaisEtienne de Tayo, publié aux éditions Menaibuc en 2007.Voici la présentation que l’auteur fait lui-même de sonlivre en quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’unmarché de dupes passé entre les Chefs d’Etat africainspromoteurs du NEPAD et les dirigeants du G8. Dans cemarché là, il y a un groupe qui ment impunément et est entrain de tromper l’autre.

Les premiers, habités par une naïveté incompréhensiblemais de bonne foi, ont cru devoir soumettre les projetsstratégiques de développement de leur continent auxseconds, foncièrement de mauvaise foi, en sollicitant lefinancement. Et c’est ici que se produit le dialogue desourds. Mieux, la duperie du siècle.

Pour les dirigeants du G8, le NEPAD est un acte desoumission et une acceptation par les Etats africains, de ladomination du modèle de développement occidental, uneadhésion sans réserve au consensus de Washington. Aussis’ouvre l’ère des promesses fallacieuses, des menacesvoilées, et du paternalisme rampant.

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Les Chefs d’Etat africains promoteurs du NEPADparlent du passage de la coopération-soumission, aupartenariat-égalité. Ils veulent croire aux miroirs, auxalouettes, et pensent, à tort bien sûr, que l’aide promisepar le G8 contribuera au développement de l’Afrique. Oui,le G8 soutiendra l’Afrique, mais plutôt comme la cordesoutient le pendu, c'est-à-dire en l’étouffantcontinuellement.

Pour autant, l’Afrique n’a aucune intention de s’isoler.Non, la coopération citoyenne devrait suppléer auxcarences de la coopération des Etats qui a montré seslimites, afin que cesse enfin le cirque ridicule ».

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VIII

Echange inégal et non réciprocité

Dans le milieu de la décennie 1970, décennie charnièrepour les relations internationales, la coopération entre lesnations et la coexistence pacifique entre des systèmesidéologiques et doctrinaux différents, l’Afrique esttraversée par un fort courant d’introspection culturelle queles principaux meneurs appellent alors authenticité. C’estseulement aujourd’hui que nous comprenons la pleinesignification et l’importance dans notre propre processusd’émancipation politique.

Certes, les Mobutu, Eyadema, Bongo et autres quis’affichèrent comme les champions de cette quête devalorisation des fondamentaux de nos identités culturelles,n’étaient pas des exemples à suivre sur tous les points deréférence, ni des défenseurs loyaux et intègres de notrepersonnalité, mais leur apport à ce moment précis de notrehistoire et la recherche d’une reconquête d’une partie denotre respectabilité sont indéniables. L’Africain qui estpourtant héritier de grands royaumes guerriers, semblen’avoir rien retenu des multiples chocs et d’autant dedéceptions issus de son contact avec les autres peuples.Nous fûmes bernés, trompés, abusés certes, mais avons-nous retenu de ces malheurs, toutes les leçons de l’art de laguerre, tous les enseignements, toutes les implicationsmatérialistes. Nous semblons manquer de maîtrise face àla dialectique impitoyable d’un monde où les bonnesrelations sont tributaires des capacités de nuisance, derétorsion et de représailles. Ce n’est pas du nombre d’Etatsni de la superficie de notre espace vital que dépend la

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crainte que nous inspirons à d’autres, c’est plutôt de notreniveau de violence, notre capacité à faire mal, à ridiculiseret même à réfuter tout ce qui pourrait faire penser à notrefaiblesse et à notre infantilisme.

C’est donc quoi, ces Africains qui donnent à leursenfants les noms de Giscard, Mitterrand, Delmas etautres ? Je m’étais déjà interrogé fortement sur madécision prise tout seul à l’âge de 16 ans, de meprénommer Jean-Claude. Je ressentais comme unetrahison de trop de choses, de trop de symboles et de tropd’histoires. Depuis le choix de cet âge plein de fraîcheur etde sensations d’aventure, les générations qui m’ont suivicontinuent donc dans la même voix, celle qui malgré lapeau, les enseignements d’une histoire douloureuse,croient toujours que ce qui vient de là-bas, de l’anciennemétropole, de la grande Amérique, vaut plus sinon mieuxque ce qui se conjugue par l’authenticité rêvée etenseignée passionnément.

Derrière des apparences anodines, c’est un vrai drame,un échec anthropologique et une catastrophe culturelle quise manifestent dans la décision d’un parent de donner desnoms européens à son enfant. Quand verra-t-on un couplefrançais donner le nom de Lumumba, de Steve Biko, deSankara, de Ruben Um Nyobè à sa progéniture ? Il nes’agit pas de baptiser des rues, des théâtres, des bâtimentsde ces noms, il s’agit de choisir de se fondre dansl’histoire de l’Afrique et de valider son admiration et sonrespect à des gens qui ont marqué à leur manière le destinde l’humanité. Nous savons, nous avons toujours su, nouscontinuerons de savoir, que ce n’est pas possible. D’oùvient le problème en réalité, sinon d’une insuffisanteaffirmation culturelle et d’une dépersonnalisationidentitaire ?

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Nous avions traité les tenants du retour auxauthenticités africaines de pauvres cons qui étouffaient decomplexes et de frustrations, et cherchaient un moyenpour distraire la galerie ou pour se faire remarquer. Nousavons dépassé cette vision et tous ces jugements liés à laqualité, la stature morale et l’équilibre mental de quelquesindividus, fussent-ils Chefs d’Etat. C’est à uneinterpellation vive, émotionnelle voire passionnelle quenous nous livrons ici. Que cessent donc ces façons de separer des bijoux d’autrui au point de vouloir entrer deforce dans sa concession familiale, et d’exiger bientôt uneplace dans le caveau de ladite famille. Les parents quiaffublent leurs enfants de ces noms puisés sansautorisation dans la culture d’autrui ont-ils conscience dece que ceux-ci dessinent, construisent, préservent etcontinuent des arbres généalogiques ? La réalité c’est quel’on demanderait à un jeune africain qui a aujourd’huivingt ans pourquoi il porte le nom Mitterrand qu’il nesaurait par quel bout commencer pour donner uneexplication. Pourtant, et tout bêtement, le parent qui a ainsicouronné son fils croyait se situer dans une mouvancehistorique, dans l’air du temps, son temps, mais surtout letemps de l’ancien président français, l’époque de sonpouvoir. Comme les Africains en ont l’habitude, l’ancienprésident fut quelque chose de spécial par sa stature, sesbelles promesses qui enivrèrent quelques naïfs et surtoutles foules à l’inauguration de son premier mandat. C’estcet homme qui, à La Baule, promettait de changer la facedes relations franco-africaines, d’en finir avec lacoopération style paternaliste. Peu importe ce qu’il fitréellement. Ce que l’on sait ou ce que l’on constata etconstate mieux maintenant, c’est que les masses africainesvirent en lui un messie au point de se précipiter à gratifierleur progéniture de son nom. Après tout, c’est le grand

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blanc gentil et célèbre, président de la France, la mèrepatrie enseignée, louée et bercée depuis les bancs del’école primaire.

Ainsi va l’Afrique, dans ce moule de contradictionsculturelles tantôt insaisissables, tantôt relativementjustifiées, mais dont les implications laissent toujours destraces indélébiles dans notre analyse du monde, notreapproche des lois brutales et impitoyables gouvernant lesconfrontations d’intérêt d’où nous sortons chroniquementperdants.

Il n’y a pas, il ne peut y avoir, et il ne pourra jamaisavoir de tendresse, de mot, de fait ou de geste insignifiantdans la compétition. Le principe des noms d’importationpasse pour une preuve d’évolution, une fleur d’ouvertureet un argument de qualité, de référence. Les métropolesafricaines font parfois penser au visiteur, que l’amour,l’envie, l’admiration de l’Africain pour l’Occident est sanslimite. Les noms des grands magasins, des boutiques deluxe, des avenues, des places de Paris, Bruxelles, Londreset autres, sont présents à Dakar, Douala, Kinshasa,Libreville, ou Accra. Peu importe le niveau d’éducationdes promoteurs. Ce qui est commun à tous ceux qui selivrent à ces transpositions, c’est une sorte de recherche dutruc distinctif, marquant, symbolisant leur élévation parrapport aux réalités locales. Même le sport n’est pasépargné. Les équipes de football ou de basket sont siheureuses de porter les noms des équipes de premièreligue européenne. Et pourtant, lors de mes voyages enEspagne, et en Italie, pays où le football est une véritableindustrie, j’ai eu la surprise de vivre les plus grossièresinjustices concernant les meilleurs joueurs africains. Lesboutiques des équipes fleurissent partout dans les villes, etl’on y trouve mille et un gadgets souvent frappés deseffigies des stars. Les cafés, les promeneurs, les taxis, les

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centres d’animation arborent ces objets autour desquels sedéveloppe un culte extraordinaire. Nulle part je n’ai vuque l’on mettait en exergue les talentueux nègres. Je suisarrivé à Barcelone l’année où mon compatriote SamuelEto’o Fils était sacré meilleur buteur et je m’attendais àvoir son effigie en vedette partout. Hélas, Samuel en dépitde son talent incontestable et de tout le travail abattu pourla gloire de son équipe, n’était même pas dans lesboutiques. Ceux qui étaient mis en vedette étaient lesautres, les Blancs bien moins compétents et moinsauréolés internationalement. On évoquera sans doute lecas de quelques brésiliens métis, mais c’est tout à faitautre chose.

Voilà donc comment se traduit cet échange inégal, cetteamabilité et cet amour unilatéraux, inconséquents etpourquoi pas vexants. C’est depuis ou à partir de cessignes, qu’il faudrait commencer à travailler pourl’avancement du continent, pour le respect des Africains,et non au moyen des écrits polémistes diligentés parquelques érudits africanistes des académies européennes.Beaucoup de gens perçoivent les outils de la dignité sousle prisme politique étroit des constructionsinstitutionnelles hâtivement ou subjectivement qualifiéesde nationalistes. Les enjeux vont au-delà et recouvrent unepléiade de conventions juridiques et philosophiques, car cedont il est question, ne saurait conférer la reconnaissance,le respect et le bonheur, en l’absence d’une forteconviction collective. Il n’y a pas d’avancement possiblesans la réalisation à la fois individuelle et collective, de lafierté identitaire, et l’appropriation des instrumentsd’expansion matérielle et morale. Ce qui fait la réussiteéconomique, c’est d’abord l’état psychologique desacteurs sociaux et cet état est intimement lié au sentimentde suffisance, de possession des moyens et des capacités

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de production. C’est tout cela que nous tuons en achetantdes références ailleurs, et en rejetant nos propresréférences. Rien ne nous empêche pourtant de faireautrement sinon, la situation de défaitiste que nous avonsconstruite dans nos têtes.

Des questions et des réponses devraient conditionnertoute démarche et tout rapport aux autres.

Que donne-t-on ?

A qui donne-t-on ?

Pourquoi donne-t-on ?

Quand donne-t-on ?

Comment donne-t-on ?

Que reçoit-on en retour, de qui, et comment ?

Avec quoi donne-t-on et avec quoi reçoit-on ?

Comment les autres apprécient-ils ce que nousdonnons, et comment devrions-nous apprécier ce que lesautres nous donnent ?

Que l’Afrique soit dirigée par des gouvernementsdémocratiques ou totalitaires, on observe une permanencedans l’étalage d’un folklore enivrant et dépersonnalisantlors des visites des dignitaires européens. Femmes,enfants, vieillards, handicapés, sont mobilisés, enfiévrés,et conditionnés à l’extrême pour dit-on, réserver à l’hôteun accueil amical et fraternel, selon la formule consacrée.La réciprocité n’est pourtant pas vraie, à savoir que lesdignitaires africains en visite en Europe, qu’ils aientaccédé au pouvoir par la voie des urnes ou par celle descoups d’Etat sales, sont reçus de façon quelconque,furtive, timide.

Il y a dans cette absence de réciprocité, un message, unappel que même les sourds et les aveugles des relations

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internationales, comprennent facilement. A ceux quiveulent soutenir que les peuples ont, chacun, leur manièrede recevoir, j’oppose l’urgence de la dignité et l’exigenced’équilibre dans les rapports entre les institutions, lesnations et les Etats. Rien ne justifie qu’une visite d’unprésident français à Brazzaville mette le pays tout entieren congé avec les pertes que l’on imagine pourl’économie, pendant que c’est à peine si les journauxmentionnent la présence sur le sol français d’unhomologue africain. Les écoliers d’à peine une dizained’années que l’on masse au bord des routes pourovationner les grands chefs blancs vivent cette scène avecla conviction imposée selon laquelle, le Blanc dépassetoujours le Noir et commande toujours le Noir. C’est parceque le grand chef blanc est supérieur à tous les grandschefs noirs qu’il a droit à un accueil de cette importance etde cette contenance protocolaire. L’écolier, l’adolescent,l’étudiant ou le citoyen, grandit, évolue et meurt avec cetteprésentation déformée des rapports entre les peuples et desmultiples préjugés dégradants et infantilisants.

Un jeune africain est plus exposé aux noms et auxfigures glorieuses qui font l’histoire de l’Europe, l’histoiredes oppresseurs de ses ancêtres, de ses grands-parents etparents, qu’aux noms et aux figures de son propre pays. Ilpourra parcourir aisément des livres et des bibliothèquesentières, en se voyant imposer par une flopée de manuels,les images des Kennedy, de Gaulle, Mao et les autres,mais pas Lumumba, Samory, Steve Biko. Les rues, lesplaces publiques, les monuments de sa ville, sont pour laplupart offerts en cadeau de baptême, aux mêmespersonnes, aux mêmes étrangers. Ceux qui gèrent Paris,Londres, New York, Amsterdam ou Helsinki, nes’encombrent pourtant pas de nos héros et martyrs.

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Ces folklores étalés à tort et à travers sont une véritableerreur stratégique. L’image du Nègre, dans l’esprit et lesubconscient de l’Européen, n’a fondamentalement jamaisdépassé les scènes multicolores où l’on voit des danseurss’exhiber à tue-tête. Ce sont toujours les mêmesreproductions racistes des peuples indiens ivres et dansantde façon saccadée à la vue du brave, puissant, beau etriche blanc dans les films américains. C’est cela qu’il fautcombattre et c’est cela aussi qui travestit toute réflexiondans notre quête d’un développement convenable quipasse par la formation de citoyens avisés, renseignés, etsoucieux autant de la nature que du statut de tous lesrapports de force. L’Europe a aussi son folklore, sesdanseurs, ses acrobates et ses écoliers, mais ils ne serontjamais privés de leur leçon de littérature ou de science,pour être massés sur le parcours d’un roi nègre en visite.Paris non plus ne s’arrêtera jamais de travailler pouraccueillir qui que ce soit.

Même le plus calme et le moins réactif des êtreshumains peut se retrouver hors de tout contrôle danscertaines situations qui exposent ces inégalités. Ma fille devingt ans, étudiante en sciences politiques qui a découvertune photo du professeur Cheikh Anta Diop pour lapremière fois dans mon bureau, m’a posé la question desavoir qui il est pour que je la mette en si bonne placeparmi d’autres sommités marquantes du monde. J’airépondu que c’est un savant dont les travaux sont d’unetrès grande importance. Une semaine plus tard, la pauvrevint me voir, pour me faire remarquer que le dictionnairede son ordinateur portable, ignorait totalement monsavant. J’ai feint de ne pas comprendre, prétextant d’êtretrès concentré sur ce que j’étais en train de rédiger. Deuxjours plus tard, je suis revenu sur le sujet à table lors durepas en famille et j’ai offert la seule réponse que je

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pouvais, la plus honnête que possible, mais aussi la plustriste : pour ta question de l’autre jour, je m’excuse den’avoir pas répondu tout de suite. Je peux maintenant lefaire : « Bon, écoute, c’est tout simple. Ton ordinateur n’arien de magique, ni d’autonome, ni d’universel. Il est leproduit de celui qui l’a pensé et l’a construit en yintégrant les bases de données de sa guise. Comme cen’est pas un produit d’Africains, ne t’attends pas à y voirintégrées ou programmées les histoires de ton village, nique ceux qui sont nos héros y figurent ». La réaction de lajeune fille fut aussi brutale que déconcertante : « mais cen’est pas normal ». On peut multiplier les exemples àl’infini.

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IX

Sadisme et affairisme ou nationalisme ?

La faillite et la disparition de la compagniemultinationale Air Afrique a fait couler beaucoup d’encre,mais l’essentiel n’a pas été dit sur les implications pourl’Afrique noire. Certes, trop de questions ont été poséessur les causes strictement économiques ou managériales,et trop de querelles ont émaillé les relations entre lesdifférents intervenants, mais a-t-on vraiment eu l’occasionde réfléchir en profondeur à la signification culturelle d’untel échec ?

De toutes ces belles intelligences diplômées desmeilleures écoles de commerce et de gestion de la planète,on peut légitimement se demander aujourd’hui ce quel’Afrique en a fait. L’Afrique est-elle prête pour lacompétition féroce qui bat son plein dans le vaste villagecommercial planétaire ? L’Afrique dispose-t-elle vraimentdes génies du savoir et de la maîtrise de soi qui en touteliberté, déblaient avec une patience de fourmis, les ruellesétroites du négoce pour les transformer en boulevards destechnologies nouvelles et des cités nouvelles ? L’exemplede la compagnie Air Afrique n’est pas sollicité au hasard.Tout comme le diplôme ne fait pas le professionnel, l’outilne fait pas forcément le travailleur. Il ne suffit pasd’aligner dix, vingt, cent avions pour faire une compagnieaérienne. C’est dans la tête, dans la considération dechacun et de tous, dans la philosophie d’approche duservice et dans l’utilité de l’affaire, que l’on envisage etparvient au succès de l’entreprise.

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L’ambiance qui règne à l’embarquement et audébarquement des vols en provenance ou à destination descapitales africaines est symptomatique d’une culture delibertinage latent et d’abus généralisé de privilèges.

Passager de la première classe dans le vol d’unecompagnie aérienne africaine à destination de l’Europe, jefus malgré moi impliqué dans un incident regrettable àl’arrivée à destination. En effet, l’hôtesse qui durant duvoyage, m’avait parue très professionnelle, se précipitapour me barrer la voie alors que je m’apprêtais à sortir del’avion.

- « Monsieur, attendez s’il vous plaît, le ministred’abord !

D’abord surpris, je me repris en une fraction deseconde pour réagir.

- Mais madame, je ne comprends pas ce que vous dites.

- Je dis que le ministre doit sortir avant.

- Ecoutez madame, j’ai payé pour être passager de lapremière classe et je crois bien, jusqu’à preuve ducontraire, qu’il s’agit d’un vol commercial et non d’un volde votre gouvernement. Je ne tiens pas compte de laqualité des gens ici. Nous sommes tous passagers et c’esttout ».

Cet échange provoqua une stupéfaction de la part desautres passagers de la même classe qui ne comprenaientpas le bien-fondé du comportement de l’hôtesse. J’eusgain de cause et pus quitter l’avion avant monsieur leministre et son protocole. C’est un peu plus tard, pendantque nous attendions de récupérer les bagages, que jecompris la portée de mon action et le degré de déceptionde certains passagers. Je fus en effet approché par un

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Européen qui laissa couler sa colère : « merci monsieur,pour ce que vous venez de faire. Il faut des Africainscourageux comme vous pour changer les choses chez vouset mettre fin à ces pratiques incompréhensibles. Chaquefois que je prends des vols des compagnies africaines, jesuis confronté aux mêmes espèces de problèmes. Les gensen Afrique doivent comprendre qu’un avion commercialn’est pas le lieu où l’on vient troubler la quiétude desclients avec des inutilités officielles. Si l’on veut que leministre ne soit gêné par personne ou qu’il se comporte etsoit traité comme dans son palais, il serait plus avisé decommettre un avion pour lui tout seul. Je connaisbeaucoup d’amis qui ont déserté les compagniesafricaines à cause de ces pratiques ».

Le haut responsable africain type est très disciplinélorsqu’il voyage avec une compagnie étrangère. On le voittrès rangé à l’embarquement de l’Europe vers l’Afrique :courtois, poli, rangé, respectueux, souriant quand il le faut.Mais lorsqu’il s’agit d’une compagnie africaine, lecomportement change du tout au tout. A Roissy, il affichedéjà des prétentions, cherchant à jouir d’un traitementextraordinaire. Généralement, monsieur a un surplus debagages qu’il veut imposer par tous les moyens. Le grandrang protocolaire n’est pas un motif de retenu et decivilités, bien au contraire, monsieur le ministre oumonsieur le directeur, madame l’épouse de tel hautdignitaire du régime des tropiques, est trop important pourque l’on lui refuse quelques demandes.

Une fois dans l’avion, le pire commence. Ce qui seprofilait déjà dans la salle d’embarquement, tourne àl’étalage de la puissance et des exigences de souverainetépersonnelle des princes et des reines habitués à dominerleur environnement. En fait, le pays, l’Etat sauvage, lepouvoir insolent et absolu, sont recréés dans l’avion. Alors

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que tous les passagers avaient un sentiment d’égalité dansle hall d’enregistrement et un peu aussi dans la salled’embarquement, la peur et une inexplicable prudencepour ne pas dire réserve dans le langage, envahissentl’atmosphère. On sent très vite que les gens ont changé demine, de langage, de regard. Sait-on jamais, il ne faut pasprendre le risque de vexer involontairement un de cespuissants serviteurs des dictatures, bref des régimespoliciers que l’on habille sous des habits de démocratie enhaillons. Il s’agit d’éviter, une fois parvenu à destination,de prendre plutôt le chemin d’un des nombreux lieuxd’interrogatoire et de détention arbitraires du régime, quele chemin de son domicile familial.

Un diplomate, éminent diplomate africain aujourd’huidisparu (paix à son âme), l’ambassadeur Salomon Bakoto,frustré pour toutes ces raisons, n’hésita pas à me confierun jour : « chaque fois que j’entre dans l’avion àdestination du pays, je commence à devenir triste. Et dèsque j’arrive à destination, je tombe pratiquement maladeà l’idée de savoir que je suis retourné dans notrebarbarie, notre logique du désordre et de n’importequoi ».

Le gros porteur d’une autre compagnie africaine qui adepuis fait faillite avec fracas, fut retardé lors d’un de sesvols au départ d’un aéroport européen parce que l’onattendait le fils du chef de l’Etat qui, ayant arrosé sa soiréeau champagne, avait prolongé son sommeil au petit matin.Il se passa deux bonnes heures avant que le fringant princede brousse ne se présente pour qu’enfin l’avion avec sestrois cents passagers décolle. A plusieurs reprises, lesbagages des passagers ont été abandonnés pour ne suivreque sur un prochain vol, parce que le fret de la présidencede la République avait occupé toute la soute. Très souventencore, on a entendu parler de bagages de la famille

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présidentielle, de bagages de la première dame, de bagagesde la famille de la première dame, de boissons pour la fêtenationale, de fret du protocole d’Etat.

Les plus mal en point devant ce spectacle sont lespréposées des aéroports européens qui assurent lesopérations d’enregistrement. Elles sont souvent prisesentre le marteau et l’enclume. Le spectacle auquel ellessont confrontées, rompt avec toutes les exigencesdéontologiques de leur métier et des consignes généralesreçues, mais elles sont tenues à ne réagir que de façon trèsprudente. Lors de l’un de mes voyages, me rendantcompte de l’embarras d’une hôtesse, à l’embarquementface à la méconduite troublante d’un Africain qui étaitmanifestement hors de propos, j’ai approché la jeune damequi avait dû quitter son poste de travail afin de se calmer.

« - Madame, je vous comprends et je vous présente messincères excuses pour ce monsieur. N’en faites ni un grandproblème ni une généralisation à tous les Africains.

- Ah, monsieur ! C’est toujours la même chose.Embarquer pour les compagnies africaines est toujours unproblème. Nous ne savons plus comment nous comporteravec vous. Beaucoup de collègues préfèrent perdre leurtravail que de travailler dans ces conditions. Certaines semettent en maladie pour éviter vos vols. Imaginez quenous nous fassions insulter et nous ne pouvons même pasrépondre, de peur d’être accusées de racistes. Ce n’estpas normal. En tout cas, je ne retourne pas à mon posteavant l’arrivée du responsable de la sécurité et duresponsable de l’embarquement de ce vol ».

Cette réaction plutôt modérée et suffisamment calibrée,limitée à l’appréciation objective des faits, estcertainement très loin de celle que la jeune dame aura unefois rentrée chez elle. Face à des amis à qui elle pourrait

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être amenée à raconter l’incident, les mots nemanqueraient pas d’être très durs, sales, vraiment racistes.A qui la faute dans ce cas ?

Pour toute personne habituée à un minimum deraisonnement rationnel, ce qui choque c’est la propensiondes Africains, dans ces cas de comportements inadéquats,à invoquer le nationalisme, la fierté nationale, la dignité,l’indépendance et toutes sortes de slogans creux reprisdepuis la nuit des temps. Tout se passe comme sil’Africain avait maîtrisé l’adage selon lequel il faut bienétreindre pour mieux étouffer, tuer, détruire, ruiner. Parlerde sadisme en lieu et place de nationalisme n’est pasexagéré.

Il faut parcourir les pays africains au Sud du Saharapour mesurer à quel point les meilleures initiativesd’entreprises, y compris dans des secteurs stratégiques, ontété mises en faillite sur l’autel des mêmes pratiquesdécriées dans le cas d’Air Afrique. Lorsque l’Africain nevit pas entièrement et uniquement au temps présent, ilconstruit le futur complètement à l’envers des besoinsréels des générations à venir et des exigences decontinuité. Ce n’est même plus de la corruption ou desdétournements des fonds publics qu’il s’agit, c’est unemonstrueuse défaillance culturelle. Qu’est-ce qui peutfondamentalement amener des personnes qui sont pères,mères, éducateurs et éducatrices, à se détourner de touteprévision et de toute attitude de préservation etd’expansion des acquis ? Comme d’habitude, on va nousopposer les ravages sur l’environnement del’industrialisation à outrance des pays développés ouencore, la rapide dégradation de l’eau, de l’air, et desterres en Chine. Il n’y a aucun parallèle à faire avec uneAfrique qui sort à peine du sommeil et donne l’impressionchaque jour de vouloir cette fois entrer dans un fossé

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ténébreux. Entre ceux qui pensent et programment l’aveniravec la participation des citoyens à travers desconsultations électorales démocratiques et ceux qui gèrentau quotidien selon les caprices solitaires etdiscriminatoires des dictateurs obscurantistes, il n’y a pasde rapprochement possible.

L’Africain ne fait presque pas de différence entrel’avion dont le moindre incident, la moindre surcharge,peut mettre en danger des centaines de vies humaines, etles taxis de brousse qui relient les villages enclavés ducontinent et fréquentent les pistes rocailleuses ou boueusesavec plus de dix fois leur poids normal autorisé. Duministre au planton et du sieur instruit à l’illettré, on pensegénéralement que l’on peut s’offrir le contenu de tous lesétalages des magasins discount de Londres et de Paris, ettrouver toujours de la place dans les avions pour lesacheminer au pays. Dans l’autre sens, ce sont toutes lesrecettes culinaires du village qui encombrent de lourdssacs au départ des vols pour l’Europe. Les discussions, lesnégociations, les élévations de voix à l’embarquementdonnent aux aéroports africains, une ambiance féerique.Personne ne se soucie de savoir si cet oiseau du ciel tantsollicité, a vraiment des limites à respecter s’agissant desbagages à emporter, ni s’il existe des risques de problèmespour la sécurité des passagers à bord. De quelle culturerelève cette machination d’une fougue irrésistible ?

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X

Le destin d’une société sans capacité critique

La seule capacité critique qui semble permanente,régulière et commune à la plupart des Africainsdorénavant, c’est la capacité de critiquer l’Occident,d’élever des plaintes sans fin contre l’esclavage, lecolonialisme, le néocolonialisme. Il y a comme une mortlente de la capacité critique des sociétés africaines si l’onobserve attentivement la tendance chez les intellectuels.La littérature de combat des années 1950, 1960, et même1970, tend à disparaître pour laisser la place à unelittérature de plaisance, d’amusement et de simpledistraction. Les Mongo Béti, Cheikh Anta Diop, AiméCésaire, pour englober le monde noir, n’ont pas encore dedignes successeurs. Tant en volume qu’en substance, lesstatistiques de publications calculées en pourcentage parrapport aux époques de considération, et compte tenu de lamasse de cadres existants, sont nettement défavorables.Par ailleurs, si les romans participent de l’entreprisegénérale de pensée, d’éveil et d’enrichissement de l’œuvrehumaine, il convient aussi de reconnaître qu’à moins qu’ilne s’agisse de romans instructifs sur le vécu quotidien etvoués à l’émancipation politique des citoyens, ce n’est passurtout de cela dont l’Afrique a besoin en priorité ou engrand nombre.

L’écriture chez des peuples oppressés, souillés,humiliés, enfermés dans des régimes politiques anti-démocratiques, doit être combattante, alerte, engagée etmobilisatrice. La révolution industrielle de l’Europe quel’on appelle le vieux continent, je ne sais d’ailleurs pas

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pourquoi, puisque l’Afrique peut autant être considéréecomme un vieux continent, doit beaucoup au géniecontestataire et à l’engament de l’écriture et de la parole.Si l’on perd l’habitude, la faculté ou la latitude decritiquer, de contester, d’interpeller et de corriger, onsombre dans un état de ruine culturelle à long terme.

La tentation de l’accommodation avec des situationsincongrues inacceptables de tous les points de vue et danstoutes les projections morales universelles, est en train degangrener les sociétés africaines. En mars 2009, lors d’unevisite de quatre jours du pape Benoît XVI au Cameroun, lemonde entier à travers la télévision a assisté à des scènesdignes de harcèlement du souverain par le coupleprésidentiel camerounais. On n’avait jamais vu uneprésence aussi envahissante et aussi embarrassante del’épouse d’un Chef d’Etat aux différentes articulations dela visite d’un souverain étranger. Le protocole normalvoudrait que si le souverain en visite n’est pasaccompagné de son épouse, son hôte s’abstienned’impliquer la sienne. Mieux, dans le cas du pape qui n’apoint d’épouse parce que sa vocation religieuse exclutcette faculté, son hôte n’a pas à mélanger les genres enemmenant sa première dame partout et pour tout. Leséjour du souverain catholique à Yaoundé fut un véritablescandale à ce propos. On a vu l’épouse du chef de l’Etatpartout, prenant parfois les devants et jouant des rôles qui,dans un système de gouvernance normale et dans uneconstruction culturelle raisonnable, respectueuse decertaines coutumes constitutionnelles, seraient revenus auPremier ministre.

En réalité, si des critiques indignées avaient surgi dansla presse locale dès le premier jour, le président duCameroun aurait sans doute corrigé le tir et laissé safemme à la maison. La curiosité vient de ce que sur place,

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il y avait plus de mille responsables de l’église catholiqueafricaine et personne de tout ce monde n’a eu le couragede faire cesser les scènes embarrassantes imposées par lecouple présidentiel à leur patron. Les choses secompliquent et se confirment dans cette sorte de lâcheté etde perdition générale sur le continent, lorsque l’ons’aperçoit à la lecture des journaux des autres paysafricains, lesquels ont suivi et abondamment commenté lavisite du souverain pontife, que cet aspect que nousévoquons, en somme le désordre entretenu par la présenceenvahissante de l’épouse du chef de l’Etat, n’a pas semblépréoccuper les journalistes. Pourtant, sous d’autres cieux,les adeptes de la plume d’inquisition ne se seraient pasgênés de rappeler le président camerounais à l’ordre voirede le mettre en demeure de cesser ce cinéma de mauvaisgoût.

Il faut certainement aller chercher l’explication ailleurs,dans l’espèce de paresse et d’amnésie politique quicaractérisent de plus en plus tous ceux qui savent manierle verbe et la parole en Afrique. Ils ont perdu l’ultimevaleur et la suprême culture, celles qui mettent l’individuen position de gendarme permanent par rapport à lui-même, par rapport à son environnement, et par rapport auxinstitutions afin de ne pas laisser sans réagir, le fait, l’acteou la déclaration susceptible de compromettre ou dedésorienter le cours de son destin. Parce qu’en réalité, lesAfricains se comportent en vaincus désespérés, ni l’argent,ni la bonne éducation, ni la maîtrise des dogmes etthéorèmes des sciences modernes ne sont plus d’aucuneutilité pour les délivrer de la prison dans laquelle ilss’estiment enfermés par l’histoire.

L’autre vérité cruelle c’est que, en lieu et place del’histoire, nous sommes en face d’une prison deconstruction fraîche, contemporaine, édifiée au gré des

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complaisances et des excuses. Il faut ainsi comprendre queles Africains, à force de perdre la capacité de révoltedevant les dictateurs, ont fini par adopter pour valeur, toutce qui est censé être proscrit, condamné, rejeté. La culture,la vraie, a foutu le camp depuis, pour laisser la place à cesscènes déplorables où une épouse de Chef d’Etat, grille etdésorganise tout l’ordonnancement protocolaire etdiplomatique. Au risque de heurter quelques sensibilitésféministes, comment pourrait-on concevoir, dans unesociété dont la dominance est patriarcale, qu’une épousede Chef d’Etat se pavoise aussi grossièrement et aussilégèrement, à une occasion aussi solennelle et aussireligieuse ? Le chef de l’Etat camerounais était-il animéd’un malicieux dessein de faire regretter au chef del’église catholique son célibat, ou voulait-il toutsimplement faire découvrir aux centaines de journalistesprésents, sa jeune et ravissante épouse ? Entre la fauteintentionnelle, l’erreur protocolaire, et le cynisme, toutesles hypothèses valent pour une tentative d’explication.

Notons que, à défaut de renverser les tyrans installés àla tête de leurs pays, les Africains quoiqu’ils en disent, etmême s’ils s’en défendent, flirtent un amour bizarre avecceux-ci au point de ne plus réaliser que ces premièresdames parachutées dans l’arène politique, imposées dansles protocoles d’Etat, et gratifiées du titre pompeux demaman de la république, sont un handicap à la fois pour lasérénité du processus démocratique, et partant pour ledéveloppement. Ces mascottes d’un autre âge ne devraientpas avoir de place à l’heure de la gouvernancetransparente.

Le drame c’est que l’opposition politique, constituéesouvent d’opportunistes et de politiciens de petite vertu, acomplètement perdu non seulement le pied maiségalement la tête dans la perception du sens des choses et

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du mouvement du monde. Les épouses de Chefs d’Etatjouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans la viepolitique, économique et sociale en Afrique, en violationde la loi fondamentale et de tous les codes de conduite.Elles se mêlent de tout, interviennent souvent pourinstaurer l’illégalité, faire avaliser des passe-droits,ordonner des dépenses, engendrer des décaissementsillégaux, dicter aux membres du gouvernement et auxdirecteurs généraux des entreprises publiques, faireadmettre des candidats dans des écoles professionnellessans passer par la voie des concours. Ces dames sontdevenues des pôles budgétivores et des sourcesd’illégalités criantes, de discriminations et deprévarication. Face à tout cela, l’opposition observebouche bée, donnant le sentiment et sans doute plus que lesentiment, d’avaliser, d’accepter, de se conformer.

Au nom d’une volonté de tirer ces gentilles dames del’anonymat et de l’oisiveté, des projets qui coûtentannuellement plusieurs milliards aux caisses de l’Etat etdes entreprises publiques, sont concoctés en leur nom,avec grand bruit. Mais si tout s’arrêtait à ces sorties et àces gabegies, on ne s’en plaindre peut-être pas trop. Leseuil de rupture morale et institutionnelle est atteint parl’organisation des cérémonies de présentation des vœuxaux premières dames, ce qui les place au même niveau queles principaux pouvoirs républicains. Des membres ducorps diplomatique, de la presse nationale etinternationale, sont ainsi invités à aller faire allégeanceaux épouses des Chefs d’Etat africains chaque année,selon un rituel abondamment médiatisé.

Si l’unité des Africains ne se manifeste plus quelorsqu’il faut diligenter des charges contre l’étranger, alorsil faut convenir que la fuite en avant est devenue la règle et

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l’art premier d’une véritable école de pensée de défaitisteset de lâches.

Le sursaut réalisé par quelques intellectuels africainsaprès le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, a déjà valuaux éditeurs de sortir une dizaine de livres en guise deréponse très critique, véritable démonstration après tout,d’une haute sensibilité à l’amour propre et à la dignité del’homme noir. L’embêtant, c’est que le registre desaffaires ou des situations qui mettent à mal la dignité etl’amour propre de l’homme noir, est rempli d’urgences etde situations latentes à propos desquelles, aucun de cessavants et redresseurs des torts nègres ou plus largementafricanistes, n’a cru devoir se prononcer en commettant unlivre. On a rien vu sur le massacre de plus de trois centsréfugiés congolais sur le beach à Brazzaville. Il fautrappeler qu’il s’agit d’une affaire assez grave, un crimequi devrait logiquement faire l’objet d’une enquête etd’une inculpation par le tribunal pénal international, duprésident congolais Denis Sassou Nguesso. Trois centsréfugiés rentrés dans leur pays après des promesses fermesde garantie de leur sécurité, ont été anéantis. L’Occidentn’usant et n’abusant des pouvoirs du tribunal pénalinternational que selon une géométrie stratégiquediscriminatoire, tous les recours et plaintes des famillessont restés sans grand effet à ce jour. Or, une levée deboucliers en rang serré des intellectuels africains, ceux-làmêmes qui se sont mobilisés en un quart de tour contre lediscours de Dakar, aurait constitué une formidablepression pour obliger les maîtres justiciers et argentiers dela planète, à faire autre chose que de garder un silencelourd de complicité implicite.

Il y a le Zimbabwe, autre cas désolant qui dure depuisdes années et qui a empiré. Une population de plus devingt millions d’âmes est livrée aux folies destructrices et

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sanguinaires d’un dictateur qui s’accroche au pouvoir etproclame à qui veut l’entendre, qu’il n’y aura jamaisd’autre dirigeant de son pays que lui, tant qu’il sera vivant.Symbole d’une honte et d’une humiliation sans pareil del’Afrique et des Noirs depuis très longtemps, il n’a pas étéle moindre du monde, interpelé ou dénoncé par une levéede boucliers en ordre des intellectuels africains. Cedictateur qui renvoie au reste du monde, l’imagetroublante et compromettante d’une Afrique de sauvageset de barbares, mériterait pourtant mieux que monsieurSarkozy, une mobilisation des intelligences sensibles etalertes.

Au Cameroun, un autre dictateur, dont le régime aadmis officiellement avoir causé en trois jours, la mortd’une quarantaine d’enfants qui manifestaient contre lacherté de la vie, le chômage et la misère, n’a pas étéinquiété par une quelconque pétition des intellectuelsafricains.

De façon plus générale, la multiplication des violationsconstitutionnelles sous le sceau des révisions de la duréedu mandat présidentiel, a ramené le continent dans sespires records de barbarie et de dictature, ouvrant la voie àl’instauration des présidences à vie. Il s’agit de lacondamnation pure et simple des citoyens africains à unecondition éternelle d’esclaves. Ces révisionsconstitutionnelles préparent les prochaines guerres civiles,les prochains génocides, les prochaines désolations. Maisoù sont ces intellectuels africains qui savent si vite et sibien se pencher sur le discours de Dakar ?

Je veux croire que les gens sont sérieux !

Je veux croire que l’Afrique et ses intellectuels ne sontpas qu’un mauvais roman !

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Je veux croire que ces intellectuels ne sont pas unproblème pour l’Afrique !

Je veux croire que rien de tout ce que font cesintellectuels n’est trop calculé !

Je veux croire qu’ils ne sont pas à leur tour malorientés !

Je veux croire que la critique reste alerte etgénéralisée !

Je veux croire que rien dans leur respiration n’est troploin des réalités !

Je veux croire que viendra le jour de leur révoltegénérale !

Je veux croire que comme ailleurs, nous nous lèveronset marcherons pour la vraie indépendance, la vraiesouveraineté et la vraie liberté !

Je veux croire que nous serons enfin critiques !

Je veux croire que nous n’avons pas un problème deculture !

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XI

Le prix de l’indépendance et de la liberté

S’il existe un reproche que l’on peut faire aujourd’huiaux Africains sans risquer d’être taxé de raciste, deméchant ou de provocateur, c’est leur passivité et leurabsence de détermination dans la lutte pour uneémancipation effective, qualitative et libératrice. Rien nejustifie en effet, que le continent soit dorénavant la terrefertile de consécration des dictatures les plus bêtes et lesplus obscurantistes. Il y a une vraie curiosité dans le faitque le continent se soit doté en moins d’un demi-siècle decadres de très hauts niveaux couvrant les disciplines lesplus en vue dans tous les secteurs des sciences et destechniques, tout en demeurant dans un effroyable retard ence qui concerne la définition, la construction et lastabilisation de cadres institutionnels démocratiques.Certes, le seuil de réussite démocratique ne saurait semesurer ou s’apprécier en fonction du nombre depersonnes de hautes qualifications, mais tout de même, sihier on considérait le manque de ressources humaines dequalité pour régler certaines tares du sous-développement,il est logique que l’on considère que la situation devrait ouaurait dû être bien meilleure aujourd’hui. Lorsque l’on sepenche sur des pays à l’instar de la Centrafrique, duCongo Démocratique et du Cameroun, on prend peur endécouvrant le fossé qui existe entre la masse des cadresformés depuis l’indépendance formelle en 1960, et leniveau de culture civique, d’instruction civique, et deconscience nationale.

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En fait, les Africains semblent globalement choisir demener un autre combat plutôt que celui de la vraieindépendance, de la dignité et de la liberté. La facilité aveclaquelle les despotes émergent et se maintiennent étonne etcontrarie même les esprits les plus optimistes sur le sort ducontinent.

Ce que représentaient des personnages bouffonscomme Idi Amin Dada, l’empereur de Centrafrique ouencore le maréchal Mobutu, révélait peut-être une natureprofonde de l’Africain dont les Biya, Bongo, Mugabe,Museveni et autres sont les dignes héritiers etcontinuateurs. On a beau célébrer et féliciter Wade, ilvéhicule dans ses méthodes, son discours, son ambition detricher avec son fils et ses proches, la même maladie dontles origines se situent dans une distorsion culturelledifficilement réfutable. Nous sommes enclins maintenant àpousser la réflexion aussi loin qu’il le faut dans les tempsderrière nous, pour tenter de comprendre l’autre vérité quise cache dans cette facilité avec laquelle l’Occident a putraiter les Noirs avec une telle inhumanité, les enchaînantcomme des moutons récalcitrants, les déversant par-dessusbord en haute mer, les usant et abusant d’eux dans desplantations infectes où bon nombre crevaientd’épuisement, de malaria, de piqûres d’insectes, demorsures de serpents, et tout simplement de maltraitement.

Le sang de la révolte coule-t-il vraiment dans les veinesdu Noir ? Je ne veux ni réciter les histoires glorieuses deToussaint Louverture en Haïti, ni évoquer le grand chefzoulou Chaka, et encore moins faire appel à la mémoiredes Samory, Soundiata Kéita et autres braves Africainsconnus. Je veux interroger l’étape contemporaine de notreêtre, pour sonder dans les gestes, les actes, les

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déclarations, ce que nous avons été capables de fairedepuis, et ce que nous ne faisons pas aujourd’hui.

Si les guerres sont le plus sûr moyen d’éduquer lespeuples et d’affermir les nationalismes, doit-on conclureque l’Afrique souffre pour n’avoir pas connu assez deguerres et les Africains pour n’avoir pas suffisammentcombattu ? Il ne faut point invoquer quelques guerresd’indépendance d’ailleurs vite étouffées, ni reprendre pourexemple les pénibles et très ennuyeuses guerres descolonies portugaises, de même qu’on se gardera de ne pasramener dans nos souvenirs les affres du Rwanda ou duDarfour.

Notre guerre, celle qui fonde la dignité des peuples etcommande leur acceptation et leur respect chez les autresnations, sans ressembler à la longue marche de Mao, ni larévolution Bolchevique, et encore moins la guerre menéepar les treize colonies britanniques d’Amérique du Nordpour aboutir aux Etats-Unis, doit pouvoir entraîner pourl’ensemble de l’Afrique au Sud du Sahara, la destructiondes germes de la compromission et de la perdition. C’estune guerre qui appelle l’abnégation, la souffrance desjustes, l’engagement des érudits, et le serment des pères etdes mères de toutes les possessions matérielles.

Les Africains souffrent de s’être trop contentés desfruits des aventures de la civilisation industrielle bâtie parun Occident qui chante les versets du capitalismeoutrancier. L’Occident a construit son système deconsommation accélérée, appuyé sur une vitessed’innovation technologique vertigineuse, et nous couronsaprès ses retombées comme de pauvres nains sans jambestoujours complexés, toujours en retard d’une jouissance,jamais satisfaits ni rassasiés, et jamais conscients de ceque nous avons finalement sacrifié l’essentiel de notre

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dignité et de nos valeurs, dans une épreuve d’enduranceinappropriée, empoisonnée et sans doute au-dessus de noscapacités.

Il faut encore s’étonner qu’à chaque fois que dansl’histoire de l’humanité, les cloches de la guerre desintérêts et des positions ont sonné, les Noirs, car il s’agitsurtout d’eux et pas de tous les Africains, ont perdu sur lechamp de bataille, et ont parfois été défaits avant mêmed’avoir pu combattre. L’on se serait attendu qu’après lesemblant de pacification du monde au lendemain de la finsupposée de la guerre froide, les Africains enfindébarrassés du poids des obligations de leurs différentsmaîtres des deux camps idéologiques, se prennentvéritablement en main, fassent exploser leurs génies, etrattrapent le temps perdu en érigeant des sociétés garantesde toutes les libertés et triomphantes sur les plansdémocratiques et économiques. Nous assistons à l’inverse.Les intellectuels, les cadres, les savants revenus en ordredispersé des académies prestigieuses éparpillées à traversle monde, ont tourné le dos à cette perspective, préférants’installer dans le confort alléchant autant que facile etaléatoire des régimes de pouvoir autocratique.

Ainsi, alors que les masses tendent toujours les brasvers le ciel, dans l’espoir de voir germer les combattantsaux esprits lumineux et désintéressés qui vont les encadrerdans une offensive contre les gabegies totalitaires, le bilanne laisse pas la place au moindre doute : trahison desélites ; inconscience des politiques ; pacte diabolique avecl’ennemi extérieur ; braderie des richesses du sol et dusous-sol ; tricherie généralisée ; élections truquées ;générations entières sacrifiées.

Pourquoi la majorité des intellectuels au Sud du Saharase retrouve-t-elle explicitement ou implicitement derrière

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les régimes totalitaires, jouant les premiers rôles dansl’articulation des programmes de mauvaise gouvernance,ou meublant les antichambres pour tisser des complots ensilence, et formuler les doctrines de la présidence à vie ?Ce n’est pas pour avoir manqué de repères idéologiques etdoctrinaux valables, ni manqué des références et desexemples salutaires, que les élites dans cette partie dumonde ont tant démissionné et pour certains, croisé toutsimplement les bras pour s’enfuir dans des exilsmoralement intenables. L’intelligence universelle etl’histoire commune de l’humanité offrent toutes les clés dela révolte, du soulèvement violent, et des mutationsradicales devant lesquels, aucun régime sale, aucunedictature, aucune tentative de présidence à vie, aucunetricherie constitutionnelle, ne pourraient résister. C’estdans la vie et la mort des kamikazes japonais d’hier etarabes d’aujourd’hui qu’il faut aller se ressourcer. C’estdans les testaments des étudiants sud-coréens quis’immolent par le feu ou se jettent dans le vide depuis lessommets des tours, qu’il faut penser le coût de la liberté etde la dignité. Il faut pouvoir accepter de rester vingt-septans cloîtré dans une île perdue au milieu de l’océancomme Mandela, pour espérer allumer le feu de la libertédéfinitive et de l’indépendance transparente. Il faut payerle prix tout court. Notre culture a-t-elle inclus cetteéventualité ? Notre culture a-t-elle programmé unerésistance aussi longue et aussi laborieuse que celle desartisans de la longue marche de Mao, des partisans deFidel Castro jusqu’à la prise de La Havane, du Chejusqu’à son assassinat dans la jungle, des défenseurs deStalingrad jusqu’à la déroute des armées d’Hitler ?

Je ne demande à personne de construire des bombes etde les poser dans les marchés, dans les autobus, dans lesstades bondés.

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Je ne demande à personne de laisser sa prière dudimanche pour rejoindre des camps d’entraînementclandestins dirigés par Al Qaida, ni de tronquer soncostume trois pièces contre le treillis des mercenaires deLaurent Kunda.

Je souhaite ardemment que chacun oppose une réponseadéquate aux maux résultant de la mauvaise gouvernance,et soit disposé à accepter le sacrifice ultime dans la quêtede la liberté, de l’indépendance et de la dignité.

Je souhaite que nous nous présentions au monde avecune culture qui épouse toutes les contradictions, livretoutes les guerres, conquiert tous les intérêts, et cimentenotre respect dans les cœurs.

Je demande que de notre intelligence, s’élève ledépassement de la peur, de la faim et de la misère, afin quetous les oppresseurs et leurs soutiens, soient convaincus denotre résolution à les détruire, au prix de tous lessacrifices.

Je veux que nous payions le prix, et entamions l’hymned’une nouvelle culture, la culture des libérateurs de Paris,la culture des partisans yougoslaves rangés derrière Tito,la culture des libérateurs de Phnom Pen, la culture desvainqueurs de Dien Bien Phu emmenés par le généralGiap.

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XII

Hypocrisie certainement, fraternitéet solidarité non !

L’Afrique ne serait donc qu’un grand villagehomogène, une famille unique de laquelle descendraienttous ses fils et filles. Tous les Africains ne seraientfinalement que des frères et des sœurs, unis par des lienstellement forts qu’ils ne connaîtraient entre eux que depetites querelles et jamais de véritables luttes d’influence,de guerre, de confrontations mortelles. Par ailleurs, ce quicaractérise les Africains le plus, serait une étonnantehabileté à résoudre tous leurs différends pacifiquement,selon un bon sens légendaire et une abnégationextraordinaire moulés dans une palabre toujoursconciliatrice et non vexante.

Voilà formulés en deux phrases, le soubassementdangereux de l’infantilisation du monde noir, et le codeidéologique de sa marginalisation, de son exclusion de lasphère du raisonnement logique et du comportementrationnel. Ce que cette thèse induit, c’est une formidableméprise de l’homme noir, où l’on retrouve l’Africainincapable de discerner les classes sociales et de construireune démarche à partir des intérêts en jeu. Cette thèse quin’est pas loin de mener aux justifications des ineptiesracistes mises en exergue par certains intellectuelseuropéocentristes dès le 13ème siècle pour soutenir lesconquêtes, la traite des Noirs, les missions civilisatrices etplus tard la colonisation, produit deux types deconséquences. La première, contrairement à ce que l’onpourrait croire, prospère à partir d’une culture de

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l’hypocrisie entretenue par les Africains eux-mêmes. Pourun non Africain ayant parcouru l’Afrique ou ayant côtoyéles Africains en dehors de leurs foyers originels, lapremière surprise c’est la facilité avec laquelle les Noirsdonnent l’impression de développer une affectionspontanée entre eux. Si dans la réalité, les liens de famille,de clan et de village demeurent très forts, peut-être plusforts qu’ailleurs, il ne s’agit en réalité que de laconséquence d’une promiscuité matérielle qui débouchesur une interdépendance obligée de laquelle les gens ontdu mal à se soustraire.

Les Africains sont très loin aujourd’hui, de l’imaged’une société de compassion et de générosité quitransparaît dans la présentation fantaisiste des dépliantstouristiques et des témoignages hallucinants de quelquestouristes qui, fatigués de la société de vitesse et d’ultraconsommation occidentale, croient retrouver le refuged’un état de nature par ici. Les sociétés africainesconnaissent une lutte des classes féroce avec toutes lesconséquences obsessionnelles et matérialistes. D’ailleurs,au plus loin en arrière que l’on puisse remonter, les chosesne furent jamais si différentes. Certes, des discussions ontpu prospérer par exemple sur les distinctions entre laféodalité africaine et la féodalité européenne, avec desdénégations et des contradictions sans intérêt fondamentalde notre point de vue, sur le statut de la terre et le statutdes personnes.

Nous souhaitons nous en tenir à la seule division de lasociété en classes antagonistes, ce qui est une réalité aussibien dans l’Europe ancienne et actuelle, que dansl’Afrique ancienne et actuelle. Il se trouve que si la sociétéeuropéenne a connu plusieurs révolutions politiques etsociales, fruits des luttes qui l’ont profondémenttransformée et l’ont fait avancer, la société africaine a

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globalement stagné, évoluant au fil des siècles vers unmodèle endurci d’obscurantisme et de pouvoirautocratique qui consacre la loi du plus fort. Les causessont à rechercher dans des défaillances culturelles quenous avons sondées, analysées et critiquées à suffire dansles parties précédentes. L’Afrique offre plus que jamaisl’image non pas d’une famille où tout se règle sans heurtet où tout le monde aime tout le monde, mais davantaged’une espèce de foire aux lions rusés, maquillés enagneaux gentils. La voracité des parvenus, la ragematérialiste des élites envieuses et corrompues,l’insouciance des hauts fonctionnaires qui se sontappropriés les caisses de l’Etat, l’affairisme et lenépotisme ambiants, ont réduit à néant le peu deconsidération qui restait de l’être humain. Il ne fait pasbien être pauvre en Afrique, ni être sans soutien dans lahaute administration, pour ne pas dire dans les servicespublics tout court. C’est vrai que l’on peut encore sepromener dans les quartiers de Dakar et de Bamako ets’inviter sans formalité autour d’un plat de riz à l’occasiond’une fête de mouton, d’un baptême ou d’une banalecérémonie religieuse. Mais dans l’ensemble, on meurt defaim, de froid, d’indifférence et de négligence partout enAfrique au Sud du Sahara. A Douala, Brazzaville, Nairobi,Kampala, les trottoirs sont envahis d’enfants,d’adolescents faméliques, désorientés, perdus, et exclusque les gouvernants irresponsables se plaisent à fairepasser pour des délinquants, des voyous, des bandits. Ensomme, les vrais bandits du pouvoir ont tout gâté, toutcontrarié, et tout foutu en l’air.

Par ailleurs, il est important de signaler que les causesde la présence massive de ces jeunes désœuvrés dans lesrues des grandes métropoles africaines, ne tiennent pas dutout à une propension spontanée à la délinquance des

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générations. Il n’y a pas de délinquance subite, il y a unedélinquance préparée, travaillée, cultivée, motivée,organisée à partir des politiques irresponsables desdirigeants. C’est parce que tout le pays se réduit parfois àla seule capitale et peut-être à une ou deux autres villesmoyennes, que les familles de l’arrière-pays abandonné,oublié, marginalisé, se ruent par instinct de survie vers lesquelques rues éclairées des cités portuaires ouadministratives. Parce que l’on ne travaille que pour leprésent, parce que l’on ne fonctionne que pour la vue et lajouissance immédiate, parce que l’on ne pense ledéveloppement que pour un petit espace où se concentrentpouvoiristes, corrompus, et opportunistes de tous lesbords, la philosophie est résolument celle de prédateur.C’est dans l’arrière-pays, les zones rurales, que l’on réaliseà quel point les dirigeants africains sont égoïstes etirresponsables. Entre la capitale où siègent les institutionset se concentre la majorité des élites fourrées dans milledélices et l’arrière-pays, on découvre vite la fracture, larupture, voire une forme d’extraterritorialité contextuelle.Ce sont deux pays totalement différents, distants deplusieurs siècles en termes d’infrastructures. Ce scandales’offre à la vue souvent dans un rayon de moins de deuxkilomètres autour de la capitale.

Le plus difficilement imaginable est la réaction desdirigeants du pays de temps à autre, devant le phénomènede l’invasion massive de la grande métropole par lesindigents, les chômeurs, les agriculteurs appauvris.Lorsque les élites se sentent épiées, surveillées, gênéesdans leurs mouvements ou victimes de quelques braquagesrécurrents, elles se lancent dans des chasses à l’hommeimpitoyables. Les rafles succèdent aux bastonnades, et lesdestructions des installations fragiles de petits commercesaccompagnent les bastonnades. En somme, on en vient à

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brimer tous ceux qui ont cru pouvoir s’en sortir ou faireévoluer leur statut en pratiquant une petite activitécommerciale ou technique. Garages, ateliers de couture,vendeurs sur triporteurs, cabines de téléphone, sontdétruits sans ménagement et leurs propriétaires lacéréss’ils tentent une résistance. En un seul mois, celui de mars2009 à Yaoundé, près de cent mille personnes survivant deces petites activités, ont été projetées brutalement dansl’indigence et la misère, toutes leurs installations ayant étédétruites, et les biens emportés par des hordes de milicesquasiment droguées. Voici la réaction, dans un articlepublié dans le quotidien Le Messager n° 2829 du 03 avril2009, d’un des meilleurs analystes et homme politique del’opposition dans le pays, Abanda Kpama, membre dubureau politique du Manidem (Mouvement africain pourla nouvelle indépendance et la démocratie) dont le leaderest monsieur Anicet Ekané.

….. « La manière dont s’opèrent les destructions quirythment l’action du Délégué du gouvernement deYaoundé, relève de la barbarie et de la sauvagerie ....Qu’est-ce qui peut justifier un tel acharnement à punir lespauvres, les faibles, bref les déclassés sociaux ? Ledélégué répond qu’il a pour mission d’embellir la ville.Soit, mais qu’a-t-on prévu de faire de ces centaines demilliers de citoyens dont on a détruit outre le peu de biensqui entretenaient leur survie, mais plus grave, le peu dedignité humaine qui leur restait ? La mission dugouvernement ne consiste-t-elle pas à assurer auquotidien, sécurité et bien-être à l’ensemble des citoyens ?

… Ce qui intéresse véritablement le délégué dugouvernement à Yaoundé, c’est certes l’embellissement ducentre-ville et des quartiers chics, réservés à l’élite nantie,mais c’est surtout de chasser de la vue des riches,puissantes et nanties élites de la capitale, les gueux et les

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pauvres qui encombrent les chaussées, gênent lacirculation des grosses et luxueuses cylindrées, créent unsentiment d’insécurité et enlaidissent les beaux quartiersrésidentiels et centres d’affaires…

… Par leur ampleur, par la violence qui les acaractérisés, par les drames humanitaires qu’ils ontdéclenchés, ces actes de destruction de Ntaba, Etetak etceux de la période qui a précédé l’arrivée du Pape BenoîtXVI à Yaoundé, sont constitutifs de crime contrel’humanité ».

A Kinshasa, l’autorité urbaine a procédé à desdestructions avec la même rage, les mêmes humiliations,la même indignité, sous le prétexte de la construction d’unhôpital, et sans que les victimes soient ni prévenues àtemps, ni recasées, ni indemnisées.

La fameuse solidarité africaine est devenue un serpentde mer dont on cherche encore à connaître la forme de latête et la qualité des écailles. Ne serait-ce que parl’exemple du génocide rwandais, personne ne pourraitvalablement tenir un discours cohérent sur une quelconquefraternité africaine dorénavant. Nous convoquons ici,parlant de ce génocide, les cruautés du phénomène dutribalisme en Afrique, phénomène secrété, entretenu etmanipulé par les élites détentrices du pouvoir d’Etat. Onne connaît que trop l’interférence du tribalisme dans ledéveloppement de ces pays où les citoyens sont interpelés,listés, identifiés et considérés en fonction de leur origineethnique. Au Cameroun à titre d’exemple, le phénomène aconduit à détruire toute la structure centrale de la fonctionpublique et a livré celle-ci aux pires cancres. Dès lesécoles de formation des grands corps de l’Etat, unediscrimination féroce a mis le mérite et la compétenceentre parenthèses, pour donner la priorité à la coloration

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ethnique. Mieux, la Constitution adoptée en 1996, établitune relativité dans la citoyenneté, en érigeant desconditionnalités pour être éligible ou électeur, exactementcomme en Afrique du Sud du temps de l’apartheid.

La réalité de la vie politique en Afrique noire estréduite, depuis toujours, à la confrontation des ethnies, enlieu et place d’une compétition des doctrines et desprogrammes. Le citoyen au milieu de cette foire desauvages n’existe plus, ramené à un animal dont la tribufonde les droits, les devoirs, les joies et les malheurs. Iln’est pas rare d’entendre dire que le Blanc est la tribud’équilibre, comme en Côte-d’Ivoire ou au Cameroun. Laguerre civile fratricide qui a marqué la difficile transitionpolitique au Kenya en 2007, a encore mieux étalé lesdommages de cette inqualifiable dérive. Dans cesconditions, c’est peu dire que de soutenir que le génocidequi a eu lieu au Rwanda en 1994, est latent, virtuel, etsimplement en veilleuse dans les autres pays. Il estd’ailleurs surprenant que des habitués des combinesethniques sur le continent à l’instar de certains payseuropéens comme la France et la Belgique jouent auxanges consternés à l’évocation de ce drame.

La destruction du tissu familial dans la société africainemoderne, est le plus sûr gage de la perpétuation dunéocolonialisme et de l’avilissement de l’homme noir.C’est suffisamment préoccupant pour que les nouvellesgénérations se penchent sur les conséquences à longterme. Hélas, rien ne permet d’affirmer qu’une prise deconscience serait en cours. C’est parmi des intellectuels depremier plan que l’on trouve les meilleurs idéologues de ladiscrimination ethnique. Cela s’appelle réalisme chezcertains, comme si ces bouts de territoires consacrésentités géographiques homogènes par la triste conférence

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coloniale de Berlin de 1884-85, et plus tard mutés en« Etats souverains », demeuraient une jungle émiettée.

Le constat est effrayant lorsque l’on aligne lesconséquences et les victimes. Bien souvent, les auteurs deces attentats contre le bon sens élémentaire n’ont vu queles gains immédiats, et finissent par faire eux aussi lesfrais de leurs forfanteries. Ils n’ont pas pensé à la famille àlong terme, ni à leur propre progéniture, ni au destincollectif ; ils ont vendu leur âme pour quelques avantages,privilèges, et positionnements, comme des soldats qui nevoient d’ennemi, ou de force de l’ennemi, que la premièreface ou le premier fusil pointé, oubliant qu’il peut nes’agir que de tête de pont d’un bataillon aguerri.

Beaucoup d’Africains, surtout jeunes, ne croient plusaux valeurs de fraternité, de solidarité et de compassion,au regard de la méchanceté de leurs dirigeants. La fièvredu multipartisme dans plusieurs pays, consécutive auxconférences nationales des années 1990, avait laissé croireque de nouveaux hommes et femmes plus humains, plusnationalistes et plus loyaux, allaient émerger à la tête despartis d’opposition. Le bilan que l’on fait deux décenniesaprès, est un échec retentissant qui n’a fait qu’approfondirla déception et le désespoir. Les nouveaux leaderspolitiques ont dans la plupart des cas, utilisé et abusé dustatut d’opposants, pour engranger des prébendeslargement encouragées, tolérées et même arrangées par lesrégimes sales en place. Les opposants et grandes gueulesd’hier, se sont calmés, ramollis, transformés par unerichesse et une aisance subites à peine voilées. L’argentcoule en effet à flots dans la relation pouvoir et oppositionen Afrique, et prend plusieurs formes. Tantôt ce sont desévacuations sanitaires de complaisance, tantôt ce sont desaides personnelles à la suite de malheurs familiaux, tantôtdes soutiens ponctuels pour les enfants étudiant à

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l’étranger, tantôt des fonds officiels à l’occasion desélections, tantôt des loyers exorbitants pour des propriétésimmobilières que l’on fait louer par des entreprises d’Etat,et tantôt des rémunérations louches attribuées à desparlementaires.

Dans ces conditions, le petit peuple a souvent perdul’espoir d’une nouvelle humanisation et d’unemoralisation voire d’un redressement effectif de la viepolitique. Or, si c’est de là que le salut était espéré, oncomprend la lassitude, le découragement et les réflexionsqui peuvent en découler.

Découvrant sur le net une photo du président congolaisSassou Nguesso qui pleurait à chaudes larmes après ledécès de sa première fille, par ailleurs épouse de l’autre,Omar Bongo du Gabon, un jeune lycéen de quinze ans afait le commentaire suivant : « Tiens, tiens, je ne savaispas que ces présidents aussi peuvent pleurer à ladisparition d’un proche. Je les croyais insensibles à ladouleur et à la souffrance. Donc ils sont quand mêmeconscients de ce que le malheur existe vraiment. Jeregrette infiniment pour la mort de sa fille, parce qu’elleétait jolie et en plus médecin. Bon, mais les présidentsafricains font trop de mal aux gens. Il faut que de temps entemps, ils soient confrontés à ce genre de malheur, pourcomprendre la souffrance d’un être humain. Ils enprofiteront sans aucun doute pour changer, pourredevenir des êtres humains sensibles ».

Un adulte cette fois, a poussé le commentaire plus loin :« l’homme noir est le premier ennemi de l’homme noir.Nous sommes notre propre ennemi. Si par unextraordinaire retournement de l’histoire, l’homme noiravait colonisé l’homme blanc et non l’inverse, les Blancs

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seraient aujourd’hui réduits à moins que des cancrelats.L’homme noir est trop méchant ».

Ces déclarations sont certes excessives, mais elles n’entraduisent pas moins le sentiment du citoyen africain auSud du Sahara, confronté quotidiennement à des dérivescomportementales qui ne sont pas seulement le fait desgouvernants, mais qui sont perceptibles dans tous lesrapports sociaux. De toute façon, même si les livresreligieux écrits en Occident peignent le diable en Noir etJésus-Christ en Blanc, nous pouvons néanmoins nousconsoler avec l’idée selon laquelle, il n’existe aucunepreuve, au-delà des manipulations racistes, pour soutenirque le diable serait né en Afrique. Par contre l’état actueldes recherches situe, sans contestation, l’origine dupremier homme en Afrique.

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XIII

Les leçons de Nelson Mandela et de Barack Obama

Si l’on fait une analyse objective des événements lesplus significatifs dans la psychologie politique desAfricains durant les cinquante dernières années, lalibération de Nelson Mandela puis l’accession subséquentede la majorité noire au pouvoir en Afrique du Sud d’unepart, et l’élection de Barack Obama à la présidence desEtats-Unis d’autre part, figurent en tête. Mais seulement,ce que ces événements révèlent au plan critique parrapport à la conduite et la pratique politiques desAfricains, ne semble pas donner lieu à beaucoup decommentaires.

Si Nelson Mandela et Barack Obama peuvent êtreperçus comme des symboles, il est honnête de mettre enévidence, les autres raisons pour lesquelles ces deuxfigures sont par ailleurs les outils d’une honteusedémonstration de ce que les Africains ne savent pas faire,ne sont pas encore en mesure de faire, ou ne saurontjamais faire, tant une culture du dénigrement radical et del’annihilation de toute opposition par rapport à l’ordreétabli, les tient.

Dans quel pays africain un opposant irréductible aurait-il été gardé vingt-sept ans en prison ? Les Blancs qui ontinstauré et géré le régime d’apartheid en Afrique du Sudont certes commis des crimes ignobles, ne citons que lemassacre de six cents écoliers à Sowéto en 1976,l’assassinat de Steve Biko, de Dulcie September, et debien d’autres restés anonymes. Toutefois, le fait d’avoirgardé vivant le plus prestigieux, le plus connu et le plus

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influent leader noir du pays, témoigne d’une autre culture,d’un autre humanisme que les régimes barbares del’Afrique noire ignorent totalement. En pleine journée àAbidjan, le docteur Dakoury Tabley, frère cadet d’une desprincipales figures de l’opposition au président Gbagbo,fut enlevé en pleine consultation et assassiné. Lesassassinats du journaliste Norbert Zongo au Burkina Faso,et avant lui, de tous les trois camarades d’armes deCompaoré actuellement au pouvoir, sortent de l’ordinairede l’instinct criminel et rentrent dans une métaphysique dela haine sanguinaire. En réalité, la spirale des coups d’Etatsanglants et des lendemains de consultation électoralemeurtriers, appartient à une culture spéciale de négation detoute civilisation accordant la considération à l’autre.Lorsque les philosophes se seront penchés sur lephénomène dans les prochains millénaires, ils décriront lasituation comme une excroissance anormale dans lestraditions des grands singes d’Afrique. On conclura alorsqu’à cette époque, le monde ne réalisait pas exactement cequi se passait, et les scientifiques qui étaient très occupés àtrouver des solutions aux pandémies du sida, du diabète,du paludisme, de la tuberculose, du cancer, de la maladied’Alzheimer, n’avaient pas eu le temps ni l’attentionnécessaires pour se pencher sur le phénomène descomportements sanguinaires chez les dirigeants d’Afrique.L’on se rendra également compte que l’Europe jouait decomplicité, et s’accommodait de la situation pour sansdoute maintenir ces grands singes dans un état d’inférioritéet de dépendance chronique.

Comment l’esprit humain accepte-t-il si facilement lemassacre des centaines de personnes au lendemain dudécès du dictateur togolais Eyadema ? Il fallait absolumentplacer son fils au pouvoir, et pour cela, aucun crime, niaucune souffrance imposés au peuple togolais n’étaient ni

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de trop, ni choquants. Comment le monde juge-t-il lemassacre des dizaines d’enfants au Cameroun en février2008 lors des manifestations contre la cherté de la vie ? Aquoi assimile-t-on le massacre de plus de trois centsréfugiés sur les berges du fleuve Congo du côté deBrazzaville ? Les pays qui sont coupables de ces actescriminels auraient-ils gardé Mandela vivant durant vingt-sept années ?

On croyait l’époque de la barbarie qui fut marquée parles assassinats des Chefs d’Etat à l’instar de Olympio duTogo, Seyni Kountché du Niger, Sankara du BurkinaFaso, Samuel Doe du Libéria, et Marien Ngouabi duCongo révolue, en ce début d’année 2009. L’assassinat deNino Vieira de Guinée Bissau, est venu rappelerbrutalement au reste de l’humanité, que le gène de lasauvagerie et des tueries impitoyables qui dort dans lesang et dans la culture des Africains n’a pas encore trouvéd’antidote. Que ce soit pour la conquête du pouvoir, quece soit pour satisfaire certaines planifications extérieuresloin du continent, ou à cause des mauvais comptes de lamafia de la drogue, des trafics des minerais ou dublanchissement de l’argent sale, le mode defonctionnement qui recourt avec une telle facilité, une tellepermanence et une telle régularité au crime de sang, n’ad’autre explication qu’un grave dysfonctionnementculturel.

Si Mandela est devenu une icône très respectée danstoute l’Afrique et très populaire dans toutes les couchessociales, les Africains le célèbrent comme n’importequelle autre marque de bonbons ou de téléphone cellulaire.Très peu d’Africains honorent Mandela pour la longuerésistance qu’il a conduite depuis la prison pour amenerson peuple à la dignité et à l’indépendance. Les effigies duvénérable combattant pour la liberté trônent partout, et

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jusque dans les salons des pires dictateurs et corrompus ducontinent. J’ai demandé un jour à l’une de ces racailles dela mauvaise gouvernance en Afrique, pour quelle raison ilavait préféré la photo de Madiba pour apposer sur le murcentral de son somptueux bureau. Il a eu cette réponse :« je l’aime bien parce qu’il a apporté la liberté aux Noirset sauvé ceux-ci de l’humiliation ». Lorsque je lui fisremarquer que la situation dans son pays méritait aussi unelutte pour la dignité à l’instar de celle que Mandela àmenée, il se redressa et entra dans une colère à peinecontrôlable : « mais tu crois que c’est la même chose ici ?Nous sommes déjà libres et nous ne tolérons pas ledésordre des subversifs dont la seule raison dumécontentement est de prendre notre place ».

Voilà la logique typique en cours dans les dictaturesobscurantistes du continent. L’Afrique est toujours à part,et les dirigeants font toujours exception. Ils vivent avecl’idée selon laquelle, ils sont libres d’apprécierpositivement ou négativement ce qui se fait ailleurs, maisse refusent à tout parallèle avec leur propre situation.Mandela c’est bien, mais on ne souhaite pas voir des têtuscomme lui émerger par ici.

Pour Obama, sa montée fulgurante et sa victoire restentune épopée aux mille et une histoires et célébrations chezpresque tous les Africains. Au lendemain de laproclamation des résultats consacrant son élection et plustard le jour de son intronisation, le souffle des Africains apris un coup. On a fêté dans toutes les grandes capitalesafricaines à coups de klaxons, de musiques dans les rues,et de toutes sortes d’excès. L’on a entendu des Chefsd’Etat exprimer leur joie, des chefs dont il ne convient pasde juger de la légitimité, surtout pas. La fièvre qui s’estemparée du continent a fait croire à une nouvelleindépendance, à une révélation divine.

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Dans ce concert de célébrations, on a entendu très peude réflexions sur les structures politiques, le systèmesocial, les institutions politiques, le cadre électoral et le jeupluriculturel, qui a rendu possible l’arrivée d’un métis noirà la tête de la plus grande puissance du monde. Dans uneAfrique nourrie de haine, construite sur la discrimination,gouvernée avec la peur, et otage des dictateurs éternels etvieillissants, il fallait pourtant s’interroger sur les chancesde voir un marginal par nature, un fils de minorité paressence, réussir à prendre le commandement par les voiesdémocratiques. Ici, il ne faisait pas bien de poser desquestions autour de soi sur ce qui se passe sur place, ici etmaintenant, hier, avant-hier, aujourd’hui, et peut-êtredemain. Il ne faisait pas bien de se demander commentnous pouvons devenir Obama en Afrique ou fabriquer unautre Obama sur place. Non, ce qui intéressait lesAfricains, c’étaient la diversion, les facilités, la jouissancedes fruits du travail d’autrui. La mentalité de prédateur quinous habite et nous caractérise au plus haut niveau, voulaitque dans une jeunesse perdue, abandonnée et brimée, l’onne pense qu’aux visas américains qui seraient plus facilesà obtenir. Interrogé par téléphone sur une radiointernationale, le président du Mali s’exprimait avec unbonheur presque illimité. On aurait cru que le Mali venaitde commencer la production du pétrole ou de découvrirdans son sous-sol, la plus grande réserve de l’or noir dumonde. Hélas, c’était le style de nos genres d’émotions, unstyle qui privilégie la perception immédiate et renvoie toutce qui nécessite recherche de substance et réflexionapprofondie à plus tard, voire à jamais.

L’honnêteté intellectuelle voudrait que les Africainsreconnaissent que l’Afrique du Sud n’aurait jamais été lapuissance économique qu’elle est actuellement, si elleavait été gérée par les Noirs depuis quatre cents ans. La

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même démarche devrait naturellement conduire àreconnaître que si ce pays était subitement entièrementabandonné aux Noirs, il s’effondrerait en très peu detemps. Heureusement d’ailleurs pour cette Afrique du Sud,que les Blancs qui y ont régné longtemps ont construit lesbases solides d’un capitalisme financier et industrielmoderne, certes avec tous ses avatars sociaux et sesdisparités entre les citoyens, mais tout de même avec unrayonnement non seulement admirable, mais enviable. Onentend de plus en plus les Africains dire qu’ils vontrecevoir des soins médicaux de choix en Afrique du Sud,les mêmes soins pour lesquels ils étaient obligés de subirdes tracasseries et des soupçons d’immigration illégalepour aller les recevoir en Europe. Ces Africains qui neratent aucune occasion de se dire émerveillés par lamodernisation et le niveau de développement du pays deNelson Mandela et de Desmond Tutu, refusent d’expliquerpourquoi dans leurs propres pays qui sont censés êtreindépendants depuis des lustres, on n’a pas atteint unniveau de développement semblable.

Si quelqu’un aurait à l’esprit de se fâcher pour cespropos, je veux volontiers lui payer un séjour auZimbabwe de monsieur Robert Mugabe, non sans lui avoirauparavant, fait découvrir l’album photo du temps où lesBlancs géraient le pays. Les Noirs souffraient dans leurchair et dans leur amour propre, mais penser au gâchis quereprésente la politique d’un pouvoir bête et idiot pourl’avenir de plusieurs générations est tout simplementatterrant et laisse peu de doute au choix.

Comme pour corroborer cette assertion, les citoyens deMayotte, fragment de l’Etat insulaire des Comoresconfisqué arbitrairement par la France, qui en réalité n’ajamais rendu sa liberté à aucun des peuples qu’elle acolonisés (l’Algérie est l’exception qui confirme la règle),

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ont préféré rester Français lors du référendum organisé enmars 2009. Un journaliste de la radio d’Etat français a pufaire ce commentaire au lendemain de ce scrutinviolemment dénoncé par l’ONU, par l’Union africaine etpar l’Etat des Comores : « le choix n’était pas compliquépour les Mahorais, ils ne pouvaient pas faire autrementque de s’agripper à la France, car trop bien instruits desrésultats des Etats Africains sur le continent après desdécennies d’indépendance ».

Si nous poussons la logique très loin, il serait permis depenser que le même référendum, offert à des Africainsaujourd’hui, aboutirait au même résultat. Comment ne pasd’ailleurs déduire que les dizaines de milliers declandestins de tous les âges qui s’élancent dans l’aventuredu désert et de la traversée de la méditerranée pour la terrepromise de l’autre rive, expriment un vote, un choix, etune position encore plus virulents et plus radicaux que cequ’ont fait les habitants de Mayotte.

Barack Obama qui va présider aux destinées des Etats-Unis, un pays de trois cent millions d’âmes, représentantle quart des richesses mondiales, n’a rien de commun avecl’autre nègre qui sévit au Zimbabwe au nom de la race. Parailleurs, il sera impossible que les douze pour cent desNoirs d’Amérique, compromettent les fondements d’unesociété résolument libérale, capitaliste et profondémentidéaliste, bâtie par des pères fondateurs blancs. MonsieurObama est certainement la première personne à savoirqu’il n’aurait jamais accédé à ce niveau de pouvoir etd’influence, si l’Amérique était comme l’Afrique. Tant pispour les Africains s’ils l’ignorent ou feignent de ne pasavoir conscience de ce que nous ne sommes pas ou plus enprésence du même Noir, ni de la même logique de pensée,de prospectives, de vision et d’échelle des valeurs.

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Barack Obama est certes un fragment de l’Afrique,mais il n’est pas le produit de la culture des Africains, ilest le produit d’une culture authentiquement américaine, etcette culture américaine, c’est à la fois une partie, unegrande partie de l’Europe, une partie de l’Asie et du restedu monde y compris donc l’Afrique. Les Africains n’ontpas voulu le dire pour éviter l’embarras suprême, puisquele nouveau président est censé servir de présentoir de leuringéniosité sinon de leur émergence. Voilà donc la clé dela fièvre, de l’extrême excitation constatée au lendemaindu triomphe du métis africain et asiatique. Pour lesAfricains, la présence de cet homme à la Maison Blanche,devrait leur attirer le respect et la considération des autresraces. Un sketch présenté par un humoriste sur une chaînede télévision, a bien traduit le sentiment général, enmontrant un Africain descendant l’avenue des ChampsElysées avec la tête haute et le col dressé.

Il n’est pas non plus tout à fait raciste d’imaginer unBlanc s’exclamant avec dédain après avoir observé cettescène : « tiens, en voilà un qui rêve debout. Croit-il qu’ilva changer le monde avec si peu ? Il oublie que nous lestenons fermement comme de petits chiens de compagnie etde toute façon, que nous les savons chroniquementsauvages et incapables de se prendre en charge ».

Se sentir offusqué devant de telles déclarations n’estque peine perdue. La plupart des Européens ayant véculongtemps en Afrique n’accordent aucune considérationaux Africains dont ils ne connaissent que trop les travers.Ceux qui s’accrochent à l’Afrique savent, malicieusement,qu’un Blanc est toujours le chef, le maître, le vrai patronchez les Noirs, non pas qu’il s’impose, mais plutôt parceque ceux-ci cumulent tellement de complexes etfonctionnent sur des bases et une culture de circonstance

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tellement dépravées, qu’il suffit d’un peu de ruse pour lescommander.

Il faut d’ailleurs signaler à propos d’Obama, que lepauvre n’entend pas s’encombrer avec une Afrique quipourrait au contraire lui attirer des ennuis, lui causersoucis et embarras, en rappelant brutalement à quoi et àquelle culture renvoie l’autre couleur de sa peau. Dans cecontexte, c’est plutôt une bonne chose que la fêted’appropriation qui a gagné l’Afrique après son élection,soit retombée aussi vite qu’elle s’était fait sentir. LesAfricains eux-mêmes, aussi bien ceux du continent queceux de la diaspora, sont revenus dans l’ensemble à laraison et pour certains à la nécessaire réserve, se rendantcompte que rien ne valait tant de ferveur et d’excitation.

Le malheur a d’ailleurs voulu que le triomphe d’Obamaintervienne, au moment où le dictateur du Zimbabweinstallait son pays dans une répression féroce,accompagnée d’une effroyable épidémie de choléra. Lasituation au Zimbabwe a alors aidé à dévoyer l’inutilité etla vanité, creuset de l’éternelle équation conflictuelle ducouple Noirs-Blancs, qui alimente encore dans certainsesprits et écrits, l’arriération de l’Afrique noire.

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XIV

Culture de soumission et institutions de plagiat

S’il y a un service que l’élite intellectuelle africainedevrait rendre très rapidement aux générations futures,c’est l’organisation d’une autocritique en règle sur lestribulations du continent depuis plus d’un demi-siècleconcernant le choix d’un modèle de développement. Enfait de choix, il s’agit de désordre, d’incapacité à opérer undiscernement clair entre les objectifs de développement, etla tentation permanente subséquente, soit de verser dans leplagiat, soit d’épouser par défaut, des modèles inadaptés.Les élites africaines ont perdu un temps fou à vouloir sepositionner par rapport aux idéologies dominantes dans laguerre ouverte entre les systèmes capitaliste etcommuniste. Ce qui s’est passé ressemble plus à ladiversion pour masquer l’incapacité des dirigeants àrépondre aux attentes des populations formellementlibérées du joug colonial, qu’à un engagement concret àagir et à pactiser pour un camp quelconque. Il noussouvient à cet effet que les décennies 1960 et 1970 ont étémarquées par des débats intenses sur les modèles dedéveloppement et les choix de société qui en découlenttout naturellement. C’étaient le socialisme contre lecapitalisme, le libéralisme contre le dirigisme, lecollectivisme contre la propriété privée. Les Africains sontentrés pieds et poings liés dans tous les aspects du débat,sans jamais être en mesure de dire en quoi ils étaientconcernés, et sans pouvoir transcrire en termes accessiblespour les populations, le bénéfice réel ou supposé.

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Que de temps perdu et que d’énergie gaspillée en fait,et pour découvrir au bout du compte que l’essentiel étaitailleurs, dans le besoin élémentaire de maîtrise desdonnées sur l’état des lieux d’une part, et la capacité deconcevoir des solutions simples et appropriées d’autrepart.

On a assez vu ce que pouvaient faire les intellectuelscousus de théories gonflantes importées des pérégrinationsà travers le monde, et on connaît suffisamment ce que lesoppresseurs successifs arrivés dans les valises de lacolonisation ont légué comme institutions et orientationséconomiques. La réalité s’impose maintenant avec uneembêtante interpellation. Ce dont les peuples africains ontbesoin n’a rien à chercher dans les idéologies et lesdoctrines des écoles. Ce dont les peuples misérables etaffamés ont besoin, c’est un minimum de facteursdéveloppants. Fallait-il ou faut-il s’en remettre à unequelconque science de la pensée ou à une certainestratégie de guerre entre les puissances dominantes de laplanète ?

Les peuples affamés n’entendent que le bruit de leurventre vide et les cris des enfants mal nourris, mal soignéset privés de scolarisation. Les peuples africains ne croientqu’aux routes, aux hôpitaux, aux écoles, à l’eau potable, àl’énergie électrique pour s’éclairer et soutenir de petitesactivités de production. Qu’a-t-on fait de plus d’un demi-siècle d’indépendance pour que l’on en soit encore à vivredes scènes de désespoir au cœur du continent ?

Il faut aujourd’hui avoir le courage de se désolidariserfermement des discours sans appel pragmatique et sansemprise sur les problèmes. La culture de la discussionstérile et d’un certain intellectualisme branlant et croulant,doit définitivement être larguée dans la poubelle. Le

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complexe de la libre entreprise qui conduirait aucapitalisme sauvage et à l’oppression de classes, doit subirune juste critique et une nécessaire reformulation, afin dene pas continuer à perdre des intelligences dans le débatstérile anticapitaliste.

L’Afrique qui n’a pas su exploiter ses richesses ou quien a été privée, doit comprendre que sans libertéd’entreprise et sans libération du génie, rien ne se fera, etrien ne se construira. Nous devons siffler la fin de larécréation, celle qui a plongé certains dans la léthargie etcondamné d’autres à la tricherie, la discrimination, laparesse et la fainéantise. L’antiaméricanisme pratiqué etenseigné par des générations issues des mouvementsrévolutionnaires des lendemains des indépendances acausé un tort immense au développement du continent. Sila Chine et la Russie se retrouvent en plein dans lecapitalisme financier et industriel, c’est que la seule voiede réussite, la seule voie raisonnable de travail et deconstruction du bonheur de la société, passe par la libreentreprise que nos envolées doctrinales ont longtempsvouée aux gémonies. Certes, l’on objectera que la crisefinancière et économique déclenchée en septembre 2008aux Etats-Unis, a montré les limites d’un système bâtijustement sur le règne d’une libre entreprise aveugle etoutrancière. Mais devrait-on arrêter de conduire ou deconstruire des véhicules, parce que deux ou trois fous ontmal joué avec leur accélérateur et terminé la course dansun cercueil ?

C’est maintenant, qu’il faut combattre la tentation folled’un égalitarisme et d’un communautarisme improductifs,ruineux, obscurantistes et antiéconomiques. L’Afrique doitchoisir sans complexe la voie et la solution du progrès, del’exploitation efficiente du génie, de la célébration descompétences et du mérite. On ne peut pas partager la

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misère, ni construire la solidarité et la compassion sur levide. Tant qu’une idéologie de la compétition et duprogrès n’aura pas réellement pris le pas en Afrique sur leshabitudes rétrogrades de mendicité internationale etd’accusation stérile, aucune stratégie cohérente dedéveloppement à long terme ne pourra voir le jour.

Ce qui est en cause, c’est la défaite des dirigeants quele continent a eus depuis un demi-siècle. Le modèle dedéveloppement s’il en faut un, ne peut reposer que surl’exploitation judicieuse et honnête des atouts locaux, tantmatériels qu’humains et naturels. C’est ce que ThomasSankara avait compris et avait commencé à déployer auBurkina Faso, et c’est sans doute pour cela qu’il a étébrutalement éliminé par les agents patentés del’impérialisme international.

Bien évidemment, tout changement de cap vers unevalorisation des atouts nationaux et une rupture effectiveavec les institutions d’emprunt reçues du colonisateur,passe par une révolution radicale. Il ne s’agit plus d’unerévolution dogmatique creuset de quelques voyous enquête de reconnaissance. L’Afrique n’a plus besoin dugenre de mégalomanes qui ont claironné des slogansmarxistes léninistes de complaisance dans les décennies1960 et 1970 en profitant du contexte international deguerre froide. Nous ne connaissons que trop les calamitésde ces expériences au Bénin, au Congo, à Madagascar, enEthiopie. Il faut réapprendre aux sociétés africaines àreconnaître le mérite et à récompenser la compétence danstoute sa plénitude et avec toutes ses conséquences.

L’axe principal des nouvelles avancées dépendintimement de la célérité avec laquelle une nouvellesociété civile courageuse, imaginative, entreprenante etengagée, pourra émerger des cendres des pouvoirs

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autocratiques qui écument le continent. Aucune révolutionne sera productive pour le changement à long terme, si ellen’est pas l’émanation des syndicats, des associations, desgroupes d’intérêts communautaires, des rassemblementsprofessionnels ponctuels et des unités de veille ruralesimpliquant effectivement les paysans, les jeunes, lesfemmes, les personnes âgées. Aucun pouvoir conséquent,porteur de projets ambitieux conformes aux besoinseffectifs de construction du bien-être des citoyens, nepourra se maintenir, déployer son programme et conserverla confiance des citoyens, s’il ne procède pas par unecollaboration honnête et permanente avec la société civile.Ce que l’on constate à la lumière de l’expérience, c’estque tous les régimes qui se sont improvisésrévolutionnaires sur le continent, ont systématiquementdétruit toutes les structures de la société civile et jeté enprison, contraint à l’exil ou même assassiné, les leadersd’opinion les plus populaires.

Nous comprenons ici que la seule orientationacceptable est celle qui favorise le développement intégralde l’homme, privilégie l’ouverture de la société, et garantitles libertés fondamentales et les droits des individus.Aucune société s’accommodant du totalitarisme ne peutvalablement engranger le bonheur matériel et moral pourses citoyens. Le choix du modèle ne devrait donc plus êtreau centre des débats sulfureux et inconséquents. Parexemple, lors de l’ouverture d’un colloque international àl’université protestante d’Afrique centrale de Yaoundé le06 avril 2009, le ministre camerounais de l’Enseignementsupérieur le professeur Jacques Fame Ndongo déclare :« A partir de Yaoundé, l’Afrique peut lancer un message àl’humanité entière, à savoir qu’il faille passer d’unecivilisation de la recherche frénétique de l’avoir, à lacivilisation du bien de l’être, une civilisation qualitative

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parce que c’est à cause du bien-être matériel que naissentles conflits ». A sa suite, le docteur Tagou, lecoordonnateur de la rencontre et secrétaire académique dela faculté des sciences sociales et des relationsinternationales emboîte le pas : « il est question de donnerla possibilité aux étudiants africains de s’inspirer de noscultures, de nos traditions pour proposer desalternatives » (Cameroon Tribune, 07 avril 2009, page11).

L’on voudrait avec toute la bonne foi y comprendrequelque chose sinon, on prendrait le risque de se faire malaux méninges. Les Africains continuent de discourir sur larecherche tantôt d’une nouvelle voie de développement,tantôt d’une troisième voie, tantôt d’une voie originale. Onn’a que trop entendu ces cohortes d’expressions et de motsalignés pour encombrer les galeries des séminaires,conférences et symposiums facturés à des milliers demilliards, ou pour encombrer les rayons des bibliothèquesde thèses surréalistes. La période de la guerre froide avaitfavorisé l’irruption d’un discours sur la troisième voie,comme un vrai alibi d’idiots en mal d’explication des étatsde folie chronique. C’est terminé, l’unité du monde, etnous l’avons déjà souligné, s’est faite sur un consensus del’utilité matérialiste. La probabilité d’une évolutionqualitative dépend aujourd’hui, de la capacité d’épouserles seules valeurs du travail, du rendement, de l’économieet de la performance.

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XV

Inadaptation chronique des systèmes éducatifs

La majorité des responsables africains de l’éducation,est incapable de dire sur quelles bases, quelles éthiques etquelles orientations, l’encadrement, la formation, etl’émancipation des élèves et étudiants sont assurés.L’Afrique cherche encore sa voix, et peut-être qu’elle necherche même rien du tout, se contentant de reproduire cequi lui vient des autres, ou de continuer tranquillement ceque la colonisation lui a laissé. Il existe une grossièreinadéquation entre les enseignements et les programmesd’une part, et les besoins de développement et de prise encharge effective des besoins élémentaires du pays, d’autrepart.

Tout est fait dans une généralité abêtissante etinconsciente. On va à l’école comme au tout début, c'est-à-dire comme le premier jour où les Blancs ont créé lespremiers centres de formation rapide et précipitée despremiers cadres locaux. Si hier, les colons avaient aumoins le souci de la recherche d’une certaine qualité,aujourd’hui la confusion et les déformations propres à nossystèmes de prédation ont donné une image et unecoloration plus que tristes à l’éducation.

Entre 1960 et 1975, on peut estimer que le continentdisposait, au Sud du Sahara, d’institutions de formationsde très bon niveau, tant que l’encadrement et lesprogrammes demeuraient sous une certaine surveillancedes anciens colonisateurs, et tant que par ailleurs, lenombre d’étudiants n’excédait pas un seuil critique. Lesuniversités de Dakar au Sénégal, Makerere en Ouganda,

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Ibadan au Nigeria, Yaoundé au Cameroun, pour ne citerque celles-là, jouissaient d’un prestige largement justifiépar la qualité des formateurs, le contenu desenseignements, et le sens de la sélection baséessentiellement et effectivement sur le mérite.Malheureusement, au fur et à mesure que ces institutionsont gagné en autonomie et au fur et à mesure que lagouvernance générale des pays a viré au désordre et àl’autoritarisme, les institutions universitaires ont vu leurprestige et leur qualité tomber en désuétude. Trop depolitique et trop de nationalisme de prédation ontcompromis les structures et freiné le processus dematuration.

Il est possible de situer le processus de faillite àplusieurs niveaux. Le premier peut effectivementconcerner la modification des cadres et des contenus de lacoopération dans le domaine de l’éducation, entre lesanciennes puissances coloniales et les jeunes Etats. Ledeuxième pourrait prendre en compte plutôtl’augmentation importante du nombre de personnesentrant dans les centres de formation. Le troisième enfin,pourrait se concentrer sur une mauvaise prise en comptedes exigences de coordination entre les programmes desdifférents niveaux et des différents âges de formation.

En fait, et comme toujours, rien n’a presque été pensé,et tout est arrivé dans une incompréhension et uneimpréparation déstabilisantes. En Afrique, une analyse desprogrammes des différents niveaux de formation dans laplupart des pays laisse pantois sur les besoins decompatibilité et de complémentarité. Tout se passe commesi les enfants de la maternelle sont destinés à un pays, ceuxdu primaire à un autre, et ceux du supérieur à tout un autreencore. Il n’y a donc ni souci de continuité, de jonction, oud’harmonisation, ni souci de créer les conditions

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d’émergence d’un sentiment nationaliste à partir des bancsd’école. Ce constat est encore plus dévastateur lorsquel’on va vérifier les programmes d’enseignement d’histoire.

Lorsque l’on interroge aussi bien les parents que lesenfants sur les buts poursuivis à l’école, la réponse esttoujours la même, la quête de l’influence et la garantied’une vie de bonheur, en fait la recherche de gains.L’école c’est le moyen de gagner de l’argent, beaucoupd’argent et c’est tout. Le décor n’est pas loin deressembler à celui d’une foire aux prostitués et auxproxénètes. Le résultat est simple à percevoir : en Afriqueon ne forme pas des citoyens, mais des mercenaires, desirresponsables ou mieux, des cadres complètementextravertis, tournés vers un luxe distant, et voués à laconcussion. Il n’est dès lors pas surprenant que les jeunesdiplômés au chômage, s’estiment pris au piège etexpriment une insatisfaction et une déception à la hauteurde leurs premières turpitudes et de l’inadaptation desprogrammes. Quand on est allé à l’école sans perspectivespersonnelles crédibles et motivé juste par les promessesartificielles de faire partie des gouvernants et des riches,on ne supporte pas de se retrouver nantis de tous lesparchemins mais abandonné à la misère, tenu à la marge etcontraint à la survie.

Il faut aller chercher une des causes profondes de cetteinadéquation généralisée dans l’absence des politiquesd’orientation et de personnels spécialisés dans le domainede l’orientation. Si l’on peut observer que les pays avancésne font plus rien en matière d’éducation et de formationsans passer par une programmation rigoureuse et desstratégies d’orientation, la conclusion de la perdition del’Afrique ne fait plus de doute. C’est un vrai naufrage.

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A ce propos, il y a lieu de craindre que le fossé avec lespays avancés, se creuse davantage avec le temps, étantdonné que même en ayant pris conscience des besoins etdes exigences de programmation, les gouvernements soittardent à élaborer des solutions appropriées, soitn’appliquent pas de façon méthodique les solutionsélaborées. A titre d’exemple, on a vu apparaître dansquelques écoles de formation des formateurs, une filièrede conseiller d’orientation, mais en lieu et place d’unesélection rigoureuse et d’un entraînement scientifique, ona privilégié le subjectivisme, la corruption, ladiscrimination et le tribalisme dans le choix des futurscadres d’orientation. Finalement on a plutôt saisil’occasion de la création de cette nouvelle spécialité pourrecruter massivement des enfants de riches, des amis, desfrères et des sœurs qui croupissaient au chômage, pourensuite les affecter à des tâches purement administrativesdans les ministères.

En réalité, les pays africains ont pris très peud’initiatives dans le domaine de l’éducation, ils se sontcontentés la plupart du temps, de copier bêtement ce qui sepasse ailleurs, en Europe et aux Etats-Unis. Cette tactiquechoquante met les systèmes éducatifs africains à la traînedu reste du monde, et aggrave un système déjàterriblement inadapté. D’ailleurs, il est essentiel dementionner que les seules réformes visibles depuis lesindépendances des années 1960 dans le domaine del’éducation, peuvent être ramenées à la mise en place dece que l’on pourrait appeler une éducation censitaire.Dépassés par les conséquences d’une explosiondémographique qui a vu le nombre de postulants à uneformation progresser de façon phénoménale, lesgouvernements ont limité l’accès aux institutionsexistantes, soit par une sélection arbitraire sous le prétexte

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des notes obtenues par-ci et par-là, soit ouvertement par unsystème de taxation de l’ambition de connaissance.L’école est toujours payante de la maternelle à l’universitédans la plupart des pays africains.

Evidemment, dans cette cabale gouvernementale, on aencouragé la création des institutions privées, lesquelles nesont pas réservées pour les enfants de villageois ou dedockers. C’est donc clair, tout a été mis en œuvre,explicitement ou implicitement, jusqu’au tiers des jeunesdésireux de recevoir une formation. L’animation des ruesaux heures de travail par des hordes d’adolescents quigèrent au mieux leurs ennuis et guettent la moindreoccasion pour se faire entendre, en dit long.

Une autre préoccupation et une égale inquiétude, voireune même logique de culture de l’arriération, peuvent êtredécelées dans l’absence des politiques des recherches dansla conception, la gestion et la projection de l’universitéafricaine. Il est depuis longtemps établi que les instituionsuniversitaires ne valent que par leurs capacités derecherche, et les structures installées à cet effet. Ladomination technologique des Etats-Unis sur le reste dumonde provient d’abord de la puissance des centres derecherche de leurs universités, lesquelles sont toutesdotées de structures de pointe qui fonctionnent à pleinrégime sur des programmes voulus, financés et soutenuspar le secteur privé. Voici alors exposée, une rupture quiexprime et explique la perdition de toute la chaîne deformation, rupture qui ressort de l’absence de relationsétroites et par conséquent de collaboration entre les centresde lecture théorique, et les centres d’application pratique,en somme entre l’école et l’entreprise. La plupart desAfricains désireux de se lancer dans la recherchescientifique de haut niveau désespèrent à longueurd’année, apparaissant comme des extraterrestres dans une

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contrée de primitifs. De nombreux universitairestalentueux dont les travaux sont mondialement reconnus,choisissent soit de s’exiler, soit de se limiter à unminimum, avec du matériel obsolète au mieux.

Il n’est donc pas surprenant que les universitaires jadisengagés dans des recherches, se retrouvent emballés dansle costume trois pièces de ministres ou de hautsfonctionnaires contraints à la paperasse des bureaux. Leschaires des facultés sont en conséquence désertées et lesétudiants abandonnés à eux-mêmes ou limités à quelquesheures de cours. Au Cameroun, une enquête a montré quecertains enseignants n’assurent même pas 30% de leursheures de cours. C’est le cercle vicieux del’irresponsabilité des gouvernants, l’absence d’incitationspour la recherche, le découragement des enseignants, laformation au rabais, la déroute des étudiants, et ladécrépitude subséquente du système.

En réalité, les universités ont été créées un peu à lahâte, sans une réflexion approfondie sur leur organisation,leur équipement, et leur objectif. Beaucoup d’universitésafricaines dépassent à peine les collèges et lycées enmatière d’équipements. Rares sont les facultés dessciences où l’on peut trouver de véritables laboratoiresd’expérimentations. Et là où des efforts d’équipementsexistent, l’entretien laisse à désirer. Le revers de lamédaille, c’est évidemment l’absence de publications et lepeu de contribution réelle à l’avancement de la science.Comment peut-on rayonner, s’imposer, être connu etrespecté quand on ne commet pas des ouvragesrégulièrement dans sa spécialité ? Comment peut-onvalablement se présenter au monde, comme unecomposante positive et non pas comme de simplesprédateurs à l’affût des réalisations, des découvertes, etdes inventions des autres, si aucune initiative structurée

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n’existe pour une stratégie à long terme dans larecherche ?

Il existe une relation dialectique étroite entre la misèredes enseignants et la propension des jeunes à se lancerdans des aventures d’émigration. Dès lors que celui qui estchargé de leur éducation, de les préparer à entrer dans lavie active, de les conduire vers le statut de citoyen et deresponsable, affiche le désintéressement, le délabrement etle découragement, les jeunes de tous les âges ne croientplus à un destin heureux dans leur pays. Un entretien avecdes jeunes de Dakar, de Douala, de Kinshasa ou deKampala, fait ressortir les mêmes récriminations.« Pourquoi s’emmerder ici quand même les profs tirent lediable par la queue ? » Avec ce raisonnement, on a vitefait de quitter les bancs pour aller grossir les rangs tantôtde petits débrouillards, tantôt d’une délinquancerancunière, tantôt d’aventuriers prêts à toutes les illégalitéspour atteindre leurs fins. Le cercle vicieux tourne au crimeparfait, lorsque l’on se rend compte que les propresenfants des dirigeants du régime, mettent en cause lacrédibilité du système éducatif et des structures deformation, pour construire des alibis d’expatriation. Ainsidonc, ceux-là mêmes qui tuent la recherche, clochardisentles enseignants et réduisent l’université à une coquillevide, s’empressent d’envoyer leurs enfants loin àl’étranger. Et comme un crime ne vient jamais sansconséquences collatérales, le pillage des caisses de l’Etat,la corruption et les détournements massifs, servent àfinancer les séjours dorés de ces étudiants spéciaux dansles grandes métropoles européennes et américaines. C’està l’heure des comptes que l’on s’aperçoit que tel hautcommis de l’Etat qui est mis en cause dans des actes dedétournements de deniers publics, entretient unenombreuse progéniture hors du pays.

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Pourtant, il suffisait seulement d’élaborer une politiquesolide et ambitieuse de l’éducation et de la formation en yconsacrant tous les investissements nécessaires sur unelongue période, pour éviter cette chaîne de conséquencesnégatives et compromettantes.

Les multiples initiatives privées dans le secteur del’éducation et de la formation que l’on observe danscertains pays africains depuis le début de l’année 2000,vont sans doute permettre d’inverser la tendance. Mais ilfaudrait encore restructurer les programmes depuis lesclasses maternelles pour espérer enfin entrevoir dans unfutur bien lointain, un réel retournement de la situation àl’avantage du développement local. Le drame, il faut lereconnaître dès les programmes du premier âge scolaire.C’est là que la conception, l’élaboration et le choix desprogrammes s’avèrent cruciaux pour le système éducatif.Dans le supérieur, même s’il est incontestable que lesuivisme est de règle, c'est-à-dire que l’on copie souventbêtement les réformes européennes et américaines, ildemeure possible, s’agissant d’adultes, de compter sur lesursaut individuel de chaque acteur académique pouratténuer les éléments d’extraversion et intégrer une dosede facteurs locaux.

Il faut à ce propos, signaler la différence très netteobservée entre les pays francophones et les paysanglophones au Sud du Sahara. Alors que les premiers secomportent comme des prisonniers du système français,les seconds font preuve de plus d’initiative, de plusd’indépendance, de plus d’originalité et de plus d’audace.

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XVI

Représentation obsolète et inconséquente

L’on se serait légitimement attendu à ce que, plus d’undemi-siècle après l’accession formelle d’une masse d’Etatsafricains à la souveraineté internationale, l’image dumonde noir change grâce aux efforts coordonnés etsystématiques des dirigeants de ceux-ci. L’on se seraitréellement attendu à voir émerger d’autres paramètresinduisant une nouvelle considération et une revalorisationdu continent, de son principal peuple, à travers unenouvelle culture d’externalisation de ses atouts. Hélas, leconstat aujourd’hui n’est pas si différent de celui desannées 1960 ou mieux que celui des années 1980.Décennie après décennie, les stratégies les plus en vuedans la démarche des Etats font davantage la promotion durecul que celle des avancées. C’est un pas en avant et troisen arrière.

Si l’on se hasarde à demander à un adolescenteuropéen, chinois ou américain qu’est-ce qui symbolisemieux l’image de l’Afrique entre un ordinateur portable etune sculpture en bois délabrée, il pointera sans hésiter ledoigt sur la sculpture. En fait, la représentation del’Afrique noire reste coincée dans une conception et despréjugés de primitifs. Ce qui est très parfait, moderne,marqué de prouesse technologique, est perçu commeéloigné des capacités, de la culture et de l’intelligence del’Africain. Le problème ici, c’est que cette perceptionnégative et raciste n’est pas forcément le fait unilatéral desautres, des non Africains. Les Africains eux-mêmes ne secomportent pas de manière à laisser penser ou connaître

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qu’ils sont plus que ce que les autres pensent d’eux, ouqu’ils ne sont pas seulement un passé bloqué, fixé dans letemps et dépendant des vestiges primitifs, des artsrudimentaires.

Nous nous sommes étendu peu avant, dans un chapitreprécédent concernant l’échange inégal, sur les ravages deces images de folklore déployées à chaque visite d’unChef d’Etat européen. Il ne faudrait pas croire que notreimage dans l’esprit de certains de ces interlocuteurs, va au-delà de ces trémoussements de statuettes et de tam-tamsqui font vibrer des torses nus. On ne cessera jamais de lerépéter, à savoir que personne, aucun peuple, aucunenation, ou aucun Etat, ne mérite dans le monde, plus que lareprésentation et l’image qu’il ou elle construit etentretient.

L’Europe et l’Amérique distillent toutes les valeurs, lesrécompenses, et les reconnaissances qui servent à fixerdans l’esprit de l’humanité, les noms, les objets, et lessymboles dignes de vénération et de respect pour telle outelle autre raison. De la littérature en passant par lessciences et les arts de toute sorte, l’Afrique doit attendrede Paris, Londres, Washington, ou encore Stockholm, lanouvelle qui lui dit le nom du maître, du premier, dupuissant, du savant. On a vite compris que, selon que vousplaisez ou non à l’Occident, vous serez fait roi etrécompensé. De Lech Walesa en passant par le DallaiLama, on peut sonner la cloche du mérite pour la paix. Etles prix de littérature, jamais on n’a donné à un MongoBéti, car jugé déplaisant, traité d’opposant et de dangerpour les intérêts des tenants des idéologiescommanditaires de l’esclavage, du colonialisme, dunéocolonialisme, de l’impérialisme, de l’oppression, del’exploitation de l’homme par l’homme. A tous cessavants noirs qui ont osé dire la fierté de ce qu’ils sont, de

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ce qu’ils savent faire, des théories qu’ils maîtrisent à l’insuou au vu de l’Occident, il faut fermer la porte du panthéonuniversel.

Voilà ce qui manque en fait, une prise en charge parl’Afrique de la promotion de sa propre image, uneinvention de ses propres instances et institutions dereprésentation dans le monde, dans les sciences, les arts detoute sorte. Si vous vous faites premiers, vous serez traitéscomme tel, du moins dans le champ de compétition quifait de l’auto-élection et de la proclamation claire desintentions et ambitions, la clé de la considération.

Les diplômes ne comptent donc pour rien, face auxpréjugés têtus de l’histoire. Il faut, non pas combattre defaçon faussement réactive ou ponctuelle comme lemontrent ces colères hystériques qui ont suivi le discoursde Nicolas Sarkozy à Dakar, mais plutôt travaillersérieusement à détruire les racines, les causes voire lessources des défaillances culturelles qui favorisent encoreces préjugés. Et puisqu’il n’y a pas un autre acteurinstitutionnel plus nanti de moyens que les Etats, il fautalors songer à mettre à leur commande, des gens mieuxpréparés et plus outillés aussi bien intellectuellement quemoralement. Il faut arriver à concurrencer l’Occident surle terrain qui lui sert pour se positionner toujours aupremier rang, en donneur de leçons, en censeur du monde,en gendarme de la probité morale, et professeur de toutesles sciences. Pourquoi faut-il que ce soit l’UNESCO quihéberge en son sein, un prix Félix Houphouët-Boigny pourla paix ? Pourquoi faut-il que ce soit en Suède, que l’onreconnaisse le mérite de l’archevêque sud-africainDesmond Tutu pour la recherche de la paix ?

Trop d’interrogations conduisent à croire que leproblème va au-delà d’une banale planification

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néocoloniale qui a abouti à imposer et à entretenir despotentats à la tête de la plupart des pays de l’Afrique noire.Il faut craindre que nos soupçons, mieux nosdémonstrations des tout premiers chapitres, ne trouvent iciune matérialisation quasi diabolique, insurmontable. Aufait, avoir été colonisé voudrait-il dire que l’on a perdutout sens de l’invention, de la créativité et de l’audace. LesNoirs n’ont jamais, que je sache, signé un pacte dereddition qui les condamne définitivement et éternellementdans les seconds rôles, ou pire, dans le silence etl’absence.

Il faudrait absolument casser cette dynamiquehistorique de vassalisation et de défaite. L’Afrique devraitpouvoir ériger ses monuments somptueux, ses panthéons,ses champs d’expérimentation, ses prix, ses étalons dereconnaissance. Qui a dit que nous devrons toujours allerchercher et recevoir des prix à Paris, Londres ouWashington ? Le comble est atteint lorsque, de pauvresnègres récompensés certainement pour leur docilité, leurservilité, et leur complicité, sont célébrés sur le continenten héros, en génie. Piètres individus qui aggravent ladésolation et l’arriération de leur peuple ; ils sont tout,sauf Aimé Césaire ou Mongo Béti. Ils sont tout, saufTchundjang Pouémi et Cheikh Anta Diop.

Nous parlions des Etats et des moyens. Il se trouvequ’en nous souvenant de ce que fait un Etat pour sonimage, pour son extériorisation et pour sa considération, lamission diplomatique apparaît comme la locomotivestructurelle à l’étranger. C’est en effet à partir de lalogistique de la représentation officielle, que se mettent enœuvre concrètement quelques axes des stratégies devisibilité. Les Africains qui l’ignorent encore, devraientêtre instruits de ce que rien dans les centres culturelsfrançais et américains, les Instituts Goethe, les British

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Council, ne relève du hasard ni de la trop bonne volontéd’aider les Nègres à lire et à écrire. Ces institutions sontdes outils, des instruments organiques de politiques depénétration, de démonstration, et de conquête. On ne vendpas seulement l’image, on en impose et on veut que cela sesache, soit respecté et intégré.

Une ambassade c’est donc déjà une arme pacifique, unetête de pont visible à laquelle sont assignés des objectifsprécis d’ailleurs reconnus et validés par le droitinternational par ces conventions de 1961 sur les relationsdiplomatiques et de 1963 sur les relations consulairessignées à Vienne. A l’observation, la plupart des Etatsafricains ont à peine conscience de cette réalité. Sil’ambassadeur se plaît à l’étranger dans les nombreusesréceptions et cérémonies protocolaires, le reste de sescollaborateurs, quant à eux, se transforment facilement encomptoirs d’affaires, organisant des trafics légaux etillégaux qui leur rapportent des fortunes. La promotion del’image du pays est reléguée au second plan.

La dimension consulaire est encore la plus négligée,pour ne pas dire oubliée lorsqu’il s’agit de la protectiondes nationaux. Qu’un Européen ou un Américain soitvictime d’un accident, d’une injustice quelconque oumême d’une brève arrestation justifiée, et son pays se fenden communiqué menaçant ou rassurant. L’Africain émigréest proprement un orphelin dans la mesure où il ne peutpas compter sur le soutien de son pays. Généralement,c’est à travers les informations générales que les famillesdes victimes peuvent être informées de leur malheur. Pourqu’il y ait un commencement de préoccupation officielle,il faut que le concerné soit un membre de famille d’unhaut dirigeant du pays. En fait, irresponsabilité, ignorance,peur, opportunisme et carriérisme se mélangent pour créerune diplomatie de démission, suivant en cela, la

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vassalisation globale de l’Etat, et l’instinct permanent desubordination.

Il est important également, de mentionner, aprèsanalyse, que le manque de perception de l’intérêt d’unepromotion de l’image par une représentation plusprofessionnelle et tous azimuts, est ici aussi, inséparablede la nature, du statut, et du type de légitimité desdirigeants. C’est cependant une thèse qui a souvent étébattue en brèche ailleurs dans le monde, mais pas enAfrique. L’on se souvient que des voix officielles s’étaientélevées au Gabon et au Congo Brazzaville, pour suggérerla révision des accords de coopération avec la France, ceciaprès que les tribunaux parisiens ont ouvert des enquêtessur les biens immobiliers de Omar Bongo et SassouNguesso. En réalité il ne s’agissait que de menaces sanslendemain, eu égard au degré de soumission etd’inféodation des régimes des deux pays auxplanifications géopolitiques et stratégiques de la France.Comment deux Chefs d’Etat qui doivent leur survie à lamère patrie, pourraient-ils logiquement faire vibrer unefibre nationaliste face à cette dernière, quels que soient ledegré, le moment et la nature de l’affront ?

Ce sont en fait les représentants illégitimes de l’Afriquenoire qui renvoient au monde l’image du masque brut,appauvri, primitif, sans aucun génie digne d’admiration, nide curiosité scientifique. Il faut voir comment lesAfricains essayent de s’approprier les trésors et le génie del’Egypte ancienne, pendant que les Européens font toutpour les en dissocier. Personne dans le gotha scientifiqueet intellectuel occidental, ne souhaite présenter l’Afriqueautrement que dans les bas-fonds de la création et de lapensée moderne. On préfère célébrer le footballeursénégalais ou camerounais, mais pas le mathématiciencongolais, le philosophe nigérian, le brillant ingénieur

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camerounais de Microsoft, le malien spécialiste de laplanète mars de chez la NASA.

C’est donc tout simple à concevoir et à valoriser dans laprésentation publique. L’Afrique n’a que les matièrespremières, et ce que l’on doit connaître de la Côte-d’Ivoirepar exemple, doit se limiter au cacao brut, même pas auchocolat. Il en est de même du Congo Démocratique. Ici,il n’est pas autorisé de penser que ce pays peut offrir autrechose au monde en dehors des minerais bruts du Katanga.Les usines, les industries, même toutes petites oumoyennes, les activités de transformation et de recherche,ne nous ressemblent point. Tout ce qui est calculé,réfléchi, mécanisé, manufacturé, serait loin de noscapacités et de notre culture. Non seulement nous nefaisons rien pour battre en brèche ces croyances dignes dessectes maléfiques, mais plus graves, nous lesencourageons. Le mal réside dans une attitude de tous lesjours, dans une démission qui en réalité concernedorénavant toutes les couches, tous les âges et tous lesniveaux de responsabilité. Nous sommes incapables denous projeter au-delà de leur miroir, ce miroir manipulépar l’Occident qui nous revient sous la forme de plusieurssupports didactiques et emblématiques : livres, films,publicités, symboles, devises, chants, danses. C’est de toutcela que résulte notre suprême religion des vaincus. Cen’est même plus seulement comme disait Césaire dans sonmélancolique Cahier d’un retour au pays natal, uneaffaire de « ceux qui n’ont inventé ni boussole ni machineà vapeur », c’est une affaire de ceux qui ne savent pas cequ’ils sont, ce qu’ils veulent et comment ils doiventobtenir ce qu’ils veulent.

J’ai souvent fréquenté les musées les plus en vue àl’étranger à l’instar du Louvre à Paris, et consacré untemps important à parcourir les galeries d’art où sont

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régulièrement exposés ce que l’on appelle là-bas lestableaux des grands maîtres. Au bout du compte, je n’enreviens presque pas en faisant le constat selon lequel,certains tableaux entretenus négligemment en Afriqueméritent une égale considération. Pour une peinturepresque banale, les Européens la positionneront dans uncadre spécialement conçu et en feront tout un programme.Il suffirait pourtant de changer de nom d’auteur pour queles appréciations changent radicalement de ton et que lesspéculateurs fassent varier la valeur du simple auquintuple et vice versa. C’est toute une culture à laquelle,l’Afrique noire n’a pas encore accédé, et tarde même à encomprendre l’importance, la substance et la signification.

Qu’est-ce qui empêche réellement deux ou trois Etatsafricains de créer à Paris, Londres, New York, Moscou ouPékin, des centres culturels, des vitrines marchandesspécialement aménagées pour promouvoir une imagepositive de leurs cultures, de leur savoir-faire, de leurmanière d’être ? Des sommes exorbitantes sont pourtantdilapidées pour entretenir des comparses dans les réseauxdes médias étrangers, avec une propagande mensongère demauvais goût uniquement destinée à célébrer la gloire desrois nègres, lesquels n’auraient jamais mérité une seuleligne positive dans une édition. Des journaux aussirespectés que le Monde, international herald Tribune etbien d’autres, n’ont jamais résisté à ces tentations, jouantde cupidité sur le dos des pauvres africains pour lesquelsils se prennent de temps en temps de pitié. Des histoirestelle celle qui met en exergue un Chef d’Etat africain ayantpayé plus de cinq millions de dollars à un cabinet de lobbyà Washington pour arranger une rencontre avec leprésident américain ne sont que la face visible d’un vastescandale.

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On découvre un autre aspect de la représentationinconséquente lorsqu’il s’agit de vérifier les compétencesde l’entourage des Chefs d’Etat africains en séjour àl’étranger. C’est une véritable catastrophe. Ceux-ci sontrarement accompagnés de leurs compatriotes les pluscompétents et les plus disants sur les plans professionnelet moral. Les cadres valables étant généralement tenus loinà l’écart des affaires, et de toute façon ne souhaitant pourcertains aucune implication dans des régimes sales, ce sontles gens de petite vertu qui sont le plus souvent assis à latable de négociation, des gens facilement corruptibles,facilement impressionnés et trompés, dupés avec quelquescadeaux empoisonnés voire des comptes et des résidencesclés en main. Comment dans ces conditions espérer mieux,en somme s’attendre à autre chose qu’à la moquerie et ladéconsidération permanentes ?

Ceux qui fréquentent les administrations desorganisations internationales ont pu se rendre compte quesur dix fonctionnaires internationaux africains, sept aumoins sont généralement imposés par les Etats, parfoisdirectement par la présidence de la République. Le Chefde l’Etat a dû négocier avec le directeur général, lesecrétaire exécutif ou le secrétaire général, selon ladénomination en cours dans l’organisation. Evidemment ilserait plus qu’illusoire, de s’attendre à voir un de cesChefs d’Etat illégitimes et contestés, choisir pour sa suite,des nationalistes hautement conscients des intérêtsnationaux du pays, ou des intellectuels prêts à claquer laporte d’une négociation pour affirmer la dignité d’unpeuple. Il n’y a pas lieu ici, d’évoquer une quelconqueélégance, un quelconque respect des circonstances, ouquelques obligations voire des usages protocolaires.L’expérience a démontré que les plénipotentiaires desgrands pays ne se gênent pas de quitter la table des

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négociations, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits du sortréservé à leurs intérêts nationaux. Tout est donc questiondes prédispositions d’esprit, des qualités intrinsèques desreprésentants, et surtout de la qualité de la relationentretenue avec le plus haut représentant de l’exécutif dupays, en somme le chef de l’Etat.

Le message en retour à une jeunesse déçue et devenueaccrochée à tout ce qui peut mener rapidement à la gloire,c’est que, pour aller travailler à l’ONU ou à l’Unionafricaine, il faut lécher les bottes du président, de sesproches, de son épouse ou de son parti. On oublie mêmeque des voies d’accès directes, certes difficiles, maisuniquement fondées sur la compétence, existent aussi.

Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, lavéritable représentation de l’Afrique noire reste àconcevoir, à construire et à valoriser. Il faudrait quitter laculture des bouts de bois sculptés pour embrasser celle desmatériaux transformés et des produits finis. Que cessentdonc ces cadeaux malheureux et décidément obsolètesavec lesquels les dignitaires africains encombrent lesmallettes de leurs hôtes européens. L’Afrique produit bienautre chose et peut offrir autre chose.

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XVII

Désertion et démission collectives

Il aura fallu du temps, beaucoup de temps, pour que jecomprenne, et pour que d’autres Africains comme moicomprennent et réalisent certaines de nos déformationsculturelles, à partir des noms choisis pour les enfants. Deprime abord, il me fut difficile de trouver une explicationau fait que tous les membres d’une famille européenne,portent le même nom. En me référant à la pratiqueafricaine, je penchais plutôt à croire que c’est nous quiétions dans la bonne direction en donnant des nomsdifférents, éparpillés, aux enfants d’une même famille,d’une même lignée.

Il faut essayer de réfléchir aux implications de lapratique africaine, pour mesurer quelques retombéesdéplorables, par exemple les mariages entre personnes dela même lignée, de la même descendance. Par ailleurs, lesconséquences vont encore plus loin, et influencentnégativement la constitution et la préservation dupatrimoine, défaillance sur laquelle nous avons consacréun précédent chapitre. On retrouve facilement en Afrique,dix enfants de noms totalement différents, et donc avecdes probabilités en cas de longue séparation, de ne pas sereconnaître comme étant de la même famille. Si l’onconsidère une situation de catastrophe naturelle ou pire, ungénocide qui contraint des milliers de gamins à laséparation avec leurs géniteurs, il n’y a presque pas dechance de réussir à reconstituer intégralement les famillesplus tard en temps de paix retrouvée. Voici donc révélée,une des failles cruciales des traditions familiales

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africaines. Les noms étaient et sont encore donnés enAfrique noire, pour satisfaire à des commodités, des rites,voire des exigences de circonstance sans aucun rapportavec une réelle politique de la préservation de l’identité dela famille. Une épouse de mon père, lui ayant étépratiquement donnée par quelqu’un en récompense d’unservice rendu, il fut décidé que le premier enfant né decette femme, porterait le nom de son grand-père maternel.Chez les Bamiléké du Cameroun, la tradition deshomonymes bat toujours son plein. Il arrive même que lesaccouchements successifs dans un couple, soient liés à lavolonté, et peut-être même la nécessité, de satisfaire despersonnes influentes des deux côtés. Il faut un homonymepour les deux beaux-pères, les deux grands-mères, lesoncles, les personnes qui comptent dans la société. L’onenseignait que cette pratique rendait riche, et qu’en termesde moyens de survie et d’éducation des enfants, leshomonymes souvent bien placés, s’en occuperaient.

Il est aisé d’en déduire qu’en fait, plus l’on est riche,puissant, influent et marquant dans la société, plus leshomonymes afflueront. Evidemment, ceux qui n’ont rienou ne sont véritablement rien dans la logique del’influence sociale, ne s’attendent pas à avoir deshomonymes.

Si seulement l’on pouvait considérer que les dégâts selimitent à ce niveau, l’on comprendrait. L’embêtantaujourd’hui c’est qu’avec le départ massif des jeunes etmême des adultes pour l’étranger, la situation perdure etmenace de plus belle la préservation de tout patrimoinefamilial. De plus en plus de parents africains ont choisid’envoyer leurs enfants à l’extérieur sans mesurer lesconséquences réelles pour la survie de la famille. On lesentend soutenir que tout ce qui peut faire le bonheur deleur enfant les arrange, même si celui-ci, au bout de sa

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formation, ne revient pas et se fait citoyen d’un autre pays.Mesure-t-on seulement le drame qui se profile àl’horizon ? Il s’agit d’une forme de démission associée àun égoïsme et une inconscience des plus condamnables.Un richissime homme d’affaires camerounais au soir de savie, regrettait à haute voix, que ses enfants ne soientprésents pour recevoir son testament oral, ses dernièresvolontés. Il y a mieux, le cas des châteaux, des fortunesabandonnées dans l’anonymat par manque de suivi.Demain, personne ne pourra plus jurer que deux cousinsne se sont pas mariés en Allemagne, en France ou auxEtats-Unis dans l’ignorance totale de leur affinitéfamiliale. Si seulement la science a déjà tranché le sort desenfants issus de ce genre de couple, alors il faut convenirque les Africains sont les premiers à en payer un prixélevé.

Ce problème mériterait que les gouvernants africains leprennent en charge et diligentent des campagnesd’explication, de sensibilisation et d’éducation. Hélas,pour celui-ci comme pour beaucoup d’autres, uneopération de rectification n’est pas pour demain. Ce queles jeunes cadres instruits et alertés par le phénomène font,c’est de donner deux ou plusieurs noms à l’enfant. Latechnique consiste à donner d’abord le nom de famille enpremier, et d’ajouter le nom du proche choisi. Mais en cequi concerne ceux qui s’expatrient, il n’y a pas vraimentde solution. Lorsque l’on sait que certains partis pourétudier ne reviendront jamais, il y a de quoi invoquer unétat d’urgence sur la question. A propos justement de cetteexpatriation des enfants, les grands cadres, lesintellectuels, participent à la construction du drame. Trèspeu de dirigeants africains pensent aux conséquences decette pratique, et très peu réfléchissent au-delà du seulprestige et de la fausse importance que leur procurerait la

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présence de leur enfant dans les universités huppéesétrangères. La culture de la suffisance dans son milieunaturel n’existe pas, et la fatalité, alliée à une démissioncollective, tend à développer une vision réductrice etbanalisante des atouts de l’environnement immédiat.Certaines causes de cette mentalité d’extraversion ont étéétayées dans un précédent chapitre consacré à l’éducation.

Certes, on ne peut pas s’empêcher d’évoquer toutes lesimperfections qui entretiennent une frustration permanentedans l’esprit de nombreux membres valeureux de ladiaspora, et les incitent à se détourner de leur foyernational. La question qui demeure pourtant, c’est celle desavoir si en tournant définitivement le dos à son histoire, àsa source d’inspiration culturelle originelle, on contribue àfaire autre chose qu’à s’installer dans une désolation etune démission encore plus cruelles. S’il arrivait àquelqu’un d’évaluer ou de transformer en capitalisationboursière la somme des compétences africaines disperséesà travers le monde, il y a fort à parier que celareprésenterait une force de frappe industrielle, financièreet technologique suffisante pour prendre le contrôle deplusieurs multinationales de premier plan. Voilà unénorme patrimoine sacrifié, dilué dans les arcanestentaculaires d’une globalisation qui ne procure pas tout lebonheur mérité ou attendu à l’Afrique. Il y a dans ceconstat de manque et de perdition, une inconsistancepropre à la culture des sociétés qui n’ont pas su ou pudévelopper un certain orgueil.

La précision à propos de l’orgueil est importante, pourbien signifier qu’il ne s’agit point de parader ou defanfaronner sur des bases malsaines, non plus d’exposerou de s’entêter de faire valoir des qualités, des acquis etdes critères qui s’effondreraient à l’examen de leursubstance réelle. Ce qui est invoqué ici, c’est plutôt le

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souci de privilégier d’abord ce qui est nôtre, ce qui siedmieux et de façon naturelle à nos capacités, à notreintelligence. Les Asiatiques nous administrent la meilleurepreuve de cette intelligence du pragmatisme et dupossible, mais aussi de projection et de conquête dans letemps. En moins d’un demi-siècle, les dragons d’abord etla Chine ensuite, ont transformé l’industrie mondiale et lecommerce, sans rien changer à leur manière de vivre et depenser, et sans détruire ni même seulement altérer lesfondamentaux de leurs richesses culturelles. De la Chinede Mao Tsé Toung et Deng Xiaoping, de celle de larévolution culturelle à celle des puissants organisateursdes Jeux olympiques de Pékin de 2008, l’on peutsimplement remarquer que le col Mao a cédé la place aucostume de coupe occidentale. Le parallèle avec l’Afriqueenseignerait autre chose, une opposition brutale entre uneculture complètement faite d’emprunt, d’adaptation etd’imitation dans la période moderne, avec une culture faitede réserve, de valorisation de soi, et de pénétrationintelligente des espaces étrangers.

Cette grande Chine que l’on craint dorénavant et quel’on lutte pour contenir, ne s’est jamais souciée d’afficherune grosse tête, et encore moins de chercher à masquercertaines des conditions à partir desquelles, elle tient saforce. Pendant qu’à Pékin, les vélos sous la forme la plussimplifiée continuent de discuter la voie publique auxvéhicules de luxe coûteux et rutilants, des irresponsablesinstallés illégitimement à la tête de certaines villesafricaines, votent des lois scélérates pour proscrire lesdeux roues dans les centres urbains. Nous revivons àtravers cet exemple le paradoxe longuement décrié audébut de ce livre, et lequel ressort de la course effrénée desAfricains vers des biens de luxe sans aucune mesure avecleur niveau global de développement et les besoins

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essentiels de leur société. Les choses commencentd’ailleurs à se présenter comme si l’Afrique avait fait leserment de tronquer son patrimoine contre un patrimoinealéatoire et superficiel totalement déconnecté de sesréalités culturelles et anthropologiques. Il règne en Afriquenoire une volonté de chasser le naturel sans discernementqui ne résulte ni de l’esclavage, ni de la décolonisation, nide l’ordonnancement matériel, scientifique, politique etdiplomatique du monde.

Hier, on ne regrettait que l’invasion des produitseuropéens qui sont les voisins les plus proches.Aujourd’hui, le constat selon lequel l’Afrique est à la foisle champ d’expérimentation de toutes les aventures et laplus importante poubelle de la planète, s’impose sanscontestation. Jusque dans les villages les plus reculés, ilfaut apprendre à consommer ou à utiliser des produitsasiatiques dont certains représentent un danger à la foispour l’écosystème et pour la survie des espèces humaineset animales. Il faut s’habituer dans les villes africaines, etce depuis que la crise a changé la donne dans laconsommation des ménages américains, à des tas degadgets suspects made in USA. Les exigences deprotection de l’environnement, notamment la réductiondes émissions des gaz dans l’air, ont transformé desmillions de gros véhicules 4x4 en quincailleries bonnespour la casse, mais aussi et du coup, bonnes pour une éliteafricaine inconsciente, pressée de paraître, presséed’épouser une face du monde dépassée, pressée de goûterau plaisir des bourgeoisies inutiles et mafieuses des citésbalnéaires occidentales. C’est ainsi que des marques et desmodèles de véhicules américains dont les Africainsn’avaient connaissance de l’existence qu’à travers lesfilms, encombrent dorénavant les chaussées étroites deDouala, Dakar ou Kampala. Ces véhicules destinés en fait

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à la casse et livrés au premier idiot à vil prix, ont trouvéune nouvelle gloire au royaume des laissés-pour-compte etdes adeptes de la culture de l’inconséquence.

L’Afrique noire est devenue, tantôt le cimetièrehonorable de corps proscrits ailleurs, tantôt le marchéfaussement noble et accessible des poulets à la dioxine,des carcasses de vaches folles, des résidus déclassés desstocks de réserve des armées occidentales, des déchets defuel lourd sortis des cuves des navires marchands, desfarines périmées, des déchets chimiques toxiques, desmatériaux bourrés d’amiante. A cause de la prévalence dela culture de jouissance immédiate, la culture du vivre auprésent, du vivre pour aujourd’hui et tant pis pour demain,chacun peut venir ici se débarrasser de ses ordures les plusrépugnantes, car pour une poignée de devises trébuchanteset sonnantes, n’importe quel maître des lieux est prêt àvendre son âme et à livrer ses semblables au diable.

Ici aussi, les prédateurs confortablement installés aupouvoir, ne pensent pas assumer une quelconqueresponsabilité dans la prostitution de toute l’économie àune si mauvaise école, et pour des récompenses de sitroublantes perspectives.

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Conclusion

Le spectacle qu’offre l’Afrique au monde à la fin de lapremière décennie de l’an 2000 est pitoyable et incite àtoutes sortes de réflexions, d’observations et deconclusions. En dépit d’un état des lieuxincontestablement lamentable, rien ne semble indiquer queles Africains dans leur grande majorité ont une idée exactedes causes profondes du mal. Si les masses ruralespointent facilement du doigt les élites politiques,d’affaires, et intellectuelles, elles ne soupçonnent pas unseul instant qu’elles sont elles aussi responsables pour êtrerestées attachées à quelques traditions obscurantistes peupropices à l’épanouissement de la société et àl’amélioration pas seulement de leurs conditionsd’existence, mais également et surtout de l’expression deleurs droits citoyens et les libertés en général. Les élitesintellectuelles, quant à elles, jouent à dribler lesparamètres qui les exposent à une critique sévère, pour serefugier dans l’argumentation trop facile et obsolète dumal venu de l’étranger.

Ce qui est fondamentalement en cause dorénavant,recouvre une interrogation sincère sur la capacité desAfricains à briser les tabous d’une autocritique en règle,pour accepter enfin un inventaire objectif des forces et desfaiblesses de leur culture. Continuer de soutenir quel’évolution catastrophique de l’Afrique noire doit quelquechose à quelqu’un d’autre qu’à elle-même c’est toutsimplement abdiquer devant l’urgence d’unereconstruction psychologique et morale. Nous n’allons pasrefaire l’histoire, mais nous avons les moyens de sonder,d’interroger, d’interpeller et de corriger sinon d’adapter

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notre culture. Culture s’entend ici, un état d’être, de faire,de penser, d’organiser, de se présenter et de s’extérioriserqui façonne, conditionne, et détermine finalement notreexistence.

Dans cette optique, il faut s’écarter des illusionnistesqui font la promotion d’une école dite de la renaissance del’Afrique. Il est trop tentant de se fondre dans le mouled’un cadavre pour appeler à une réinvention de lamédecine dans l’espoir de redonner vie à des morts. Laseule invocation de la renaissance suppose la validation etl’exploitation de l’étape de la gloire, qu’il reste à trouver, àexpliciter substantiellement et à situer dans le temps. Non,nous ne saurions être en quête de renaissance, nous nepouvons qu’être en quête de réajustement par rapport aumouvement global du monde qui semble nous échapper. Ils’agit de compter en acteurs, en décideurs, en producteurset en conducteurs dans tous les processus d’expression del’humanité et non plus seulement en consommateurs, enspectateurs en chairs à canon, en éternels mendiants, enresponsables des plus grandes désolations.

L’Africain noir peut-il changer, se défaire de ceslourdes tares, de ces frustrations qui ont marqué etmarquent toujours son temps, ses temps ?

Toutes les études réalisées sur l’Asie aboutissentaujourd’hui à fonder sans aucune contestation possible, sesmutations positives successives à des traditions culturellessolides. Nous n’étions pas si loin ou si différents les unsdes autres, mais nous sommes dorénavant si loin et sidifférents les uns des autres. L’Asie était si loin et sidifférente de l’Occident, mais elle est dorénavant si procheet si considérée par l’Occident.

Faudrait-il donc définitivement désespérer pourl’Afrique noire, si tant est que le mal ressort d’une culture

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aux antipodes du progrès universel ? La réponsen’appartient plus à notre génération. C’est aux prochainesgénérations qu’il reviendra de statuer.

Mais quoi qu’il en soit, l’Afrique noire a un graveproblème d’identité, de projection, et d’intégration dans lemonde moderne, dont les fondements sontincontestablement culturels. Et si c’est aux prochainesgénérations qu’il appartient sans doute, sans douteseulement, d’apporter quelques réponses à desinterrogations vives d’aujourd’hui, il est encore plusincontestable, que la génération d’intellectuels et dedirigeants noirs actuels, ne peut pas se contenterd’analyser, de sonder, de diagnostiquer et d’exposer leproblème ou les problèmes du continent. Chaquegénération a pour elle, la mission de contribuer àl’avancement des sciences, à la modernisation de lasociété humaine et à l’amélioration subséquente desconditions d’existence des gens. Une telle approchedynamique du rôle et de la place des générations dansl’histoire, implique le courage de la dénonciation, de lacontestation, de la proposition et de la révolution. Certes,les révolutions ont un coût, celui des tas de cadavres et desmontagnes de destructions, mais il relèverait d’uneinsoutenable et d’une haute trahison, si nous ne nousprononcions pas instantanément, contre la peste desrégimes politiques sales, des présidences à vie, des élitescorrompues, des relations injustes d’exploitation avec lesanciennes métropoles, et des projets de reconversion desrépubliques dictatoriales en monarchies sauvages où,comme au Togo, des fils nourris par les mamelles d’un desplus sanguinaires dictateurs du continent, se disputent lepouvoir en plein jour et au grand dam d’une populationanesthésiée.

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Il faut croire, en dépit de quelques marges derespectabilité et de courtoisie pour l’espèce humaine, quel’Afrique s’assombrit chaque jour un peu plus, par despratiques qu’aucune civilisation, aucune traditionculturelle ni aucune logique politique, ne toléreraient.L’Europe aurait-elle pu accepter de voir siéger dans uneassemblée du peuple le fils d’un sanguinaire à l’instar demonsieur Zanga Mobutu au Congo Démocratique ? Nousne sommes ni dans une logique de pardon institutionnel, nidans une consécration de la puissance des stratégies desurvie politique. Ce que le triomphe public des rejetonsdes dictateurs signifie ici et là au Sud du Sahara, c’est laprofonde faille existant dans la traduction culturelle denotre échec général face aux exigences de la consciencedes classes antagonistes et des intérêts divergents entre lesfamilles de ceux qui dirigent et oppressent, et les famillesde ceux qui sont dirigés et oppressés.

Si les certitudes de notre défaillance globale naissentdes avatars de notre culture, les tentations de pérennisationdes dictatures elles, résultent de notre démission collectiveet de notre passivité chronique. La somme de ces deuxnégations induit, dans une relation étroite et intimerelation dialectique, notre défaite. Ce n’est ni la faute d’undemi-millénaire d’esclavage, ni la faute d’un siècle decolonisation, ni la faute du néocolonialisme et del’impérialisme. L’Afrique noire est congénitalementmalade, indolente.

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Du même auteur

chez le même éditeur Mémoires d'un diplomate africain, 2009 Réflexions sur l'état du monde (2007), « Points de vue », 2008 L’Afrique et la mondialisation, « Points de vue », 2009 Pouvoir politique et autoritarisme en Afrique, « Points de vue », 2009 La crise de l'intelligentsia africaine, « Points de vue », 2009 Réflexions sur les crises de la société camerounaise, « Points de vue », 2009 La politique africaine de la France en question, « Points de vue », 2009 L’intelligentsia camerounaise : autopsie d'une décrépitude, 2008 Afrique : l'inéluctable effondrement des dictatures, 2008 Avancez, ne nous attendez pas !, « Points de vue », 2008 Ces dinosaures politiques qui bouchent l'horizon de l'Afrique (2003), « Points de vue », 2008 Coexistence contentieuse entre les nations (1985-1998), « Points de vue », 2008 Le crépuscule sombre de la fin d'un siècle tourmenté (1999-2000), « Points de vue », 2008 Droits de l'homme et droits des peuples dans les relations internationales, « Points de vue », 2008 L’orée d'un nouveau siècle (2001), « Points de vue », 2008 Pensée unique et diplomatie de guerre (2002), « Points de vue », 2008 Réflexions sur l'universalisme (2005), « Points de vue », 2008 Repenser la diplomatie (2004), « Points de vue », 2008 Un Africain au musée des Arts premiers, « Points de vue », 2008 Nécessité d'un profond changement dans le Cameroun d'aujourd'hui, 2004 Jeux et enjeux des Etats dans l’ordonnancement géostratégique planétaires, « Points de vue », 2009 La France a-t-elle commis un génocide en Afrique ?, « Points de vue », 2009

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