Shakespeare : le génie de l'Angleterre

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www.histoire.presse.fr entretien henrY rousso : faire l’histoire du temps présent shakespeare Le génie de l’Angleterre DOSSIER SpécIal 3:HIKLSE=WU[ZUU:?a@d@s@o@g; M 01842 - 384 S - F: 6,50 E - RD MENSUEL DOM 7,50e BEL 7,50e CH 13,00 FS CAN 10,50 $ CAN ALL 8,20e ITL 7,50e ESP 7,50e GR 7,50 e PORT CONT 7,50 e MAR 63 DHS LUX 7,50 e TUN 6,70 TND TOM/S 970 XFP TOM/A 1620 XFP MAY 8,90 e ISSN 01822411

description

« L’Angleterre a eu Shakespeare quand elle a pu se l’offrir », écrivait Keynes. Le dramaturge arrive à Londres au moment où la capitale connaît un âge d’or. Mais sur les Tudors plane aussi l’ombre de la guerre civile. Génie de son siècle, Shakespeare a donné à l’Angleterre une histoire et au monde une incomparable leçon sur la folie du pouvoir. Par Roger Chartier, Jean-Philippe Genet, Aude Mairey, François-Joseph Ruggiu, Olivier Spina.

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www.histoire.presse.fr

entretien henrY rousso : faire l’histoire du temps présent

shakespeareLe génie de l’Angleterre

DOSSIER SpécIal

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’sommaire

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’actualitéon en parle18 La vie de l’édition - La femme en vue - en tournage

portrait 20 Patrick fridenson, l’usine au cœur Par Daniel Bermond

livre 22 Cachemire Connection Par Emmanuelle Loyer

23 Agenda : les rencontres du mois

24 fustel rue d’Ulm Par Hervé Duchêne

25 internet : les sites du mois

cinéma 26 Le destin des « công binh » Par Antoine de Baecque

27 Chant du cygne

anniversaire 28 stalingrad : les erreurs allemandes Par Nicolas Werth

archives 30 Les secrets des boîtes Cauchard Par Jean-Pierre Bat

médias 32 Le putsch d’Alger en animation Par Olivier Thomas

33 Mort d’un ministre Par Bruno Calvès

expositions 34 Dés interdits Par Juliette Rigondet

35 Bagdad sur seine Par Huguette Meunier

bande dessinée 36 enfants de staline Par Pascal Ory

’feuilletonfévrier 1913 100 Barrès sur la colline Par Michel Winock

’GuiDela revue des revues102 « outre-Mers » : colonies, passage en revue

102 La sélection du mois

les livres104 « Les Bas-fonds » de Dominique Kalifa Par Christelle Taraud

105 La sélection du mois

le classique112 « La Garçonne » de victor Margueritte Par Yannick Ripa

’Carte BlancHe114 Droit de réponse Par Pierre Assouline

couverture : Portrait de William Shakespeare dit de Chandos, du nom de son dernier propriétaire (Londres, The National Portrait Gallery ; Atlaspix/Alamy-Photo12).

retrouvez page 37 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 113Ce numéro comporte cinq encarts jetés : Robert Four Tapisseries d’Aubusson, Société française des monnaies, Manière de voir (sélection d’abonnés), L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’événement8 Peut-on faire l’histoire du temps présent ? Entretien avec Henry Rousso Longtemps suspecte, voire rejetée, l’« histoire du temps présent » a acquis une place prépondérante dans l’espace public et à l’Université. Mais de quel présent parle-t-on ?

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www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°384-février 2013

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’recherche80 Le monde selon idrisi Par Emmanuelle Tixier du Mesnil prince musulman de sicile, idrisi renoue au xiie siècle avec l’ambition de réaliser une géographie universelle et illustrée.

86 Le reich a perdu la guerre industrielle Par Olivier Wieviorka La puissance industrielle de l’allemagne nazie : un mythe, selon les derniers travaux des historiens.

94 Le triste destin de la noblesse vénitiennePar Jean-Claude hocquet enquête sur un phénomène peu connu : le suicide social des aristocrates de venise au xviiie siècle.

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40 portrait historique d’un génie Par François-Joseph ruggiu 43 un catholique caché ? 44 L’affaire richard ii 48 La vraie ophéliePar Cédric Michon 50 trois documents autographes Par roger Chartier

52 C’est l’acteur qui décide ! Par Olivier spina 56 visite au globe

58 Le moyen age et la folie du pouvoir Par Jean-Philippe Genet

60 généalogie : Lancastres contre yorks 62 un monde pourri par la contamination du meurtre 65 falstaff, l’anti-héros

66 richard iii ou le destin d’un monstrePar Aude Mairey

70 Comment il est devenu universel Entretien avec roger Chartier 72 La dette envers montaigne Par Yves saint-Geours

42 Chronologie

77 pour en savoir plus

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’événement histoire du temps présent

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Peut-on faire l’histoire du

temps présent ?Entretien avec Henry Rousso

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Vue de la ville de Dresde détruite par les bombardements alliés en 1945, depuis la tour de l’hôtel de ville. Seule, debout parmi les ruines, la statue apparaît comme l’allégorie du témoin de la destruction.

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L’ H i s t o i r e N ° 3 8 4 f é v r i e r 2 0 1 3 9

L’histoire du temps présent est devenue une évidence. Elle occupe même aujourd’hui une place importante. Cela n’a pas toujours été le cas. C’est avec le bouleversement de la Révolution de 1789 que l’histoire « contemporaine » devient une catégorie à part, en même temps qu’un problème scientifique pour la discipline. Au xxe siècle, les guerres mondiales créent à leur tour une rupture majeure, conduisant à s’interroger sur les spécificités d’une histoire sans recul, écrite sous l’œil d’acteurs encore vivants. Henry Rousso raconte cent cinquante ans de débats en France et à l’étranger dans son dernier livre.

l’auteurDirecteur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS), dont il fut le directeur de 1994 à 2005, Henry Rousso a travaillé sur le régime de Vichy, sur l’histoire de la mémoire collective et sur les rapports entre histoire et justice. Il a notamment publié avec Éric Conan Vichy, un passé qui ne passe pas (Fayard, 1994), avec Philippe Petit la Hantise du passé (Textuel, 1998) et la Dernière Catastrophe. l’histoire, le présent, le contemporain (Gallimard, 2012).L’Histoire : Quand la notion

d’histoire du temps présent est-elle née ? Quelle en est la genèse ?Henry Rousso : en fait, même si elle était déjà

dans l’air du temps, l’expression française est en-trée dans le langage de la discipline avec la créa-tion de l’institut d’histoire du temps présent (iHtP) en 1978. Lorsqu’il a été élu à l’école des hautes études en sciences sociales en 1975, Pierre Nora avait appelé sa direction d’étude « histoire du présent » avec l’idée de promou-voir une historiographie centrée sur l’événement, l’imaginaire des médias et les représentations contemporaines du passé.

françois Bédarida, fondateur et premier directeur de l’iHtP, pensait qu’il était nécessaire de trouver un vocable autre que celui d’« histoire contemporaine » pour définir l’étude du passé proche, du « contemporain » – au sens éty-mologique. Cela ne s’est pas fait sans hésitations. Dans les archives de l’iHtP, j’ai retrouvé un docu-ment attestant que la première appellation envisa-gée était « institut d’histoire contemporaine ». Mais le CNrs créait la même année une autre unité de recherche, l’institut d’histoire moderne et contem-poraine, pour travailler sur une période allant du xviie siècle au début du xxe. Par ailleurs, la tradi-tion historiographique française faisant commen-cer l’histoire contemporaine en 1789, cette ex-pression avait peu de pertinence pour désigner le projet de cette institution.

L’ambiguïté n’a d’ailleurs jamais été complète-ment levée entre les deux expressions. C’est même une des singularités de cette partie de la discipline historique que d’avoir une variété de termes pour la désigner : contemporary history et modern history en anglais, Zeitgeschichte, Neuere ou Neueste Geschichte en allemand. Cela traduit une même difficulté à

distinguer le moderne (littéralement : le présent) du contemporain (qui est du même temps).

L’H. : Reste qu’il semble un peu paradoxal, pour qui pense que l’histoire ne traite que du passé, d’associer les trois termes « histoire », « temps » et « présent ». H. R. : Cette association vient pour une part

des démocrates-chrétiens d’avant-guerre, une tradition dont s’est nourri françois Bédarida. Michel Winock m’a fait remarquer que, parallè-lement à emmanuel Mounier qui fonda la revue Esprit en 1932, un courant social-chrétien créa en 1934 autour de stanislas fumet un hebdoma-daire appelé Temps présent. C’était une façon de privilégier l’aujourd’hui par rapport à l’au-delà ou par rapport au passé de la tradition. L’expression « temps présent » reflète ainsi la volonté de s’oc-cuper de notre temps tout en s’occupant de l’uni-versel. Le présent n’est pas seulement le contexte dans lequel l’historien travaille, il est aussi son objet d’étude.

Par ailleurs, l’iHtP est issu du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, lequel appar-tient à une lignée d’institutions européennes1 nées après 1945 pour faire l’histoire de cet événement sans précédent. et lorsque l’iHtP naît en 1978, il a un grand frère, l’institut für Zeitgeschichte de Munich créé en 1949, dont le nom signifie « institut pour l’histoire du temps », c’est-à-dire « de notre temps ». Dans les années 1970-1980, ces organis-mes ont été à la base d’une véritable institution-

« Une his­toire à la fois néces­saire et impossi­ble »

Bédarida, le pionnier

en 1978, il fondait l’iHtP.

françois Bédarida (1926-2001), an-

cien résistant, spé-cialiste de la société britannique de l’épo-que victorienne et du xxe siècle français, fut le premier directeur de l’institut d’his-toire du temps pré-sent (iHtP), jusqu’en 1990. Cette unité de recherche du CNrs est l’héritière di-recte du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale créé en 1951. elle s’ins-talle même dans ses locaux et regroupe es-sentiellement des chercheurs travaillant sur la guerre, avant de s’ouvrir à d’autres thèmes spécifiques de l’histoire contempo-raine (les totalitarismes, la décolonisation, l’histoire culturelle, les rapports passé/pré-sent ou le rôle des historiens dans la cité).

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Note 1. a amsterdam, Bruxelles, Milan, Moscou, varsovie, etc.

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Le Moyen Age et la folie

du pouvoir Une succession sanglante de vengeances et de meurtres :

telle est l’histoire de l’Angleterre racontée par shakespeare. Une façon héroïque, violente et universelle d’aborder

la question du pouvoir sans jamais parler de politique.

Par Jean-Philippe Genet

l’auteur Professeur d’histoire médiévale à l’université Paris-I, Jean-Philippe Genet travaille sur la naissance de l’État moderne à la fin du Moyen Age. Il a notamment publié la Genèse de l’État moderne. Culture et société politique en angleterre (PUF, 2003).

’spécial shakespeare

Sorcièresles Sorcières de Macbeth peintes par Füssli en 1783. Ce sont ces « trois sœurs fatales » qui ont poussé Macbeth et sa femme vers leur fin tragique.

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La fin du xvie siècle est temps d’angoisse en Angleterre. La défaite de l’invincible Armada en 1588 a provisoirement écarté la menace

espagnole, mais le « poison » du catholicisme est toujours virulent, et les dissidences puritaines sa-pent l’autorité de la hiérarchie anglicane et la lé-gitimité du roi, chef de l’église : tous savent que la paix civile et la prospérité que le règne de la reine élisabeth a procurées à l’Angleterre risquent de disparaître lorsque lui succédera l’écossais Jacques ier stuart, réputé autocrate. Plus que ja-mais, les Anglais scrutent le passé, cherchant dans le « roman national » des raisons d’espérer et des leçons pour déchiffrer un avenir incertain.

La question du pouvoir est au cœur de trois grou-pes de pièces écrites par shakespeare. Parmi elles, le sujet le plus populaire, mais aussi le plus brû-lant parce qu’il touche à l’avènement des tudors, concerne l’histoire récente de l’Angleterre (cf. ci-contre). shakespeare lui-même a pu voir en 1587 à stratford les Queen’s Men (la compagnie où il aurait commencé sa carrière d’acteur) jouer des pièces sur le roi Jean ou sur richard iii. La postérité n’a retenu que le fascinant Édouard II de Christopher Marlowe, mais en réalité tous les rois anglais ont eu leur Historie, d’Henri ier (Chettle) à Henri vii (Wilson), en passant par richard Cœur de Lion (Chettle), édouard ier (Peele), ou édouard iv (Heywood).

Dans ces pièces, légende et histoire font bon ménage : outre Brutus (Chettle et John Day), Arthur est l’un des favoris de la scène élisabéthaine, où se glissent des personnages imaginaires, tels le chevalier Guy de Warwick (thomas Dekker) ou robin des bois, anobli sous le nom de robert, comte de Huntingdon (Munday et Chettle) : on peut faire la liste d’une centaine de ces pièces entre 1580 et 1610.

Celles de shakespeare ont eu un immense suc-cès : Richard III, Richard II et Henri IV (1) ont cha-cune été publiées six fois isolément avant l’édition posthume de 1623, mieux que Roméo et Juliette (5 fois) ou Hamlet et Périclès (4 fois).

Légendes et vieux grimoireL’histoire d’Angleterre de shakespeare et de ses

contemporains n’était pas la nôtre. Depuis Geoffroy de Monmouth et son Historia Regum Britanniae (1135), dont il prétendait avoir trouvé la matière dans un vieux grimoire, elle s’ouvrait sur l’arrivée à Albion1, jusque-là peuplée par des géants, du prince troyen Brutus (d’où « Britannia »).

Bien que l’humaniste italien Polydore virgile ait commencé à saper les fondements de cette légende, elle reste le point de départ de l’histoire nationale au temps de shakespeare : il l’a lue dans l’une de ses sources favorites, les Chronicles of England, Ireland and Scotland de raphael Holinshed, dont la deuxième édition date de 1587.

Certes, un an auparavant, William Camden a réfuté les origines troyennes dans sa Britannia : mais la version anglaise de ce livre savant ne paraît qu’en 1610. et s’il fait justice de Brutus, Camden n’est pas plus sévère que Holinshed sur les rocam-bolesques péripéties de l’histoire celtique, notam-ment sur l’incertain roi Arthur.

L’intrigue de la première pièce historique élisa-béthaine, Gorboduc, écrite en 1562 par les juristes Norton et sackville pour être représentée devant la reine élisabeth pour la nuit des rois – le jour de l’épiphanie –, est empruntée au livre ii de l’Histo-ria Regum de Monmouth : c’est aussi la première écrite en blank verse ou vers libre, typique du théâ-tre élisabéthain.

shakespeare sait que les « histoires » de l’His-toria Regum, celles de Cymbeline, du Roi Lear et du fils de Brutus, Locrine – cette tragédie lui est parfois attribuée – sont d’une autre veine que

l’histoire récente de l’Angleterre. Mais l’absence de frontière en-tre histoire et légende fait ac-cepter l’intrusion du surnaturel : son public n’est pas plus surpris de la Jeanne d’Arc de l’Henri VI que des sorcières de Macbeth. Ce sont elles d’ailleurs qui li-vrent dans la pièce le message politique : elles révèlent que de

Malcolm, le vainqueur de l’illégitime Macbeth, sortira la lignée des rois d’écosse dont le dernier représentant n’est autre que Jacques ier stuart (1603-1625).

Pour son histoire du xve siècle anglais, shakespeare suit fidèlement les chroniqueurs, edward Hall et Holinshed, qui réorganisent le contenu des chroniques médiévales pour justifier l’avènement de la dynastie des tudors en 1485.

on peut résumer l’intrigue ainsi : richard ii (1377-1399) se comporte en tyran, cherchant à déposséder son cousin, le fils de Jean de Gand, duc de Lancastre, de son héritage. Ce dernier, Henri de Bolingbroke, le dépose et le fait assas-siner en 1400. il monte sur le trône sous le nom d’Henri iv, et règne jusqu’en 1413 malgré les ré-voltes des Percy et des Gallois d’owain Glyndwr.

son fils, le prince Hal (Henri v), lui succède : il bat les français à Azincourt en 1415 et épouse la fille du roi de france Catherine de valois. Après sa mort prématurée en 1422, son fils Henri vi devient, conformément au traité de troyes2, roi d’Angleterre et roi de france alors qu’il n’est qu’un bébé. Adulte, son incompétence lui fait perdre ses

notes1. Le terme Albion vient de l’historien romain Pline (Histoire naturelle, livre iv, § 102). il est censé évoquer la blancheur des falaises de Douvres. il est repris au viie siècle par Bède, et de là par tous les historiens et chroniqueurs anglais.2. Cf. « La guerre de Cent Ans », dossier, L’Histoire n° 380, octobre 2012.

Les Anglais scrutent le passé et cherchent dans le roman national des raisons d’espérer

À savoir

une histoire anglaise dix pièces sur le moyen Age

Henri VI (1, 2, 3) et Richard III, composées vers 1590-1593, se terminent par la victoire en 1485 du futur Henri vii tudor sur richard iii.

Richard II, Henri IV (1 et 2) et Henri V, composées dans les années 1594-1599, décrivent les événements de 1399, date de l’abdication de richard ii, à 1422, date de la mort d’Henri v.

Le Roi Jean et Henri VIII, écrites en collaboration, sont à part. elles concernent les règnes de Jean sans terre (1199-1216) et d’Henri viii (1509-1547).

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’spécial shakespeare

L’ H i s t o i r e N ° 3 8 4 f é v r i e r 2 0 1 3 70

Comment il est devenu

universelDès la fin du xviie siècle, shakespeare devient le poète national de l’Angleterre. Mais il faut attendre le sacre de l’auteur, au siècle des

Lumières, pour qu’il conquière le reste de l’europe.

Entretien avec Roger Chartier

L’Histoire : Shakespeare était-il célèbre de son vivant ?Roger Chartier : Avant les

années 1590, à l’exception de sa famille et de ses voisins, per-sonne n’a jamais entendu par-ler de lui. Ce sont ses deux poè-mes Vénus et Adonis (1593) puis Le Viol de Lucrèce (1594) qui lui offrent une certaine renommée. revendiqués par shakespeare dans sa dédicace à son protec-teur, le comte de southampton, ils acquièrent un immédiat lec-torat. Le premier shakespeare connu est donc poète.

ses pièces de théâtre com-mencent à être publiées dans les années 1590, mais sans que son nom appa-raisse sur la page de titre. L’habitude éditoriale consistait en effet à ne mentionner que le nom de la troupe. La première pièce qui porte au titre le nom de « shakespeare » est Peines d’amour perdues en 1598. Dès lors, sa réputation de dramaturge est croissante.

Même des œuvres qui seront ensuite exclues du corpus shakespearien paraissent à cette épo-que sous les initiales « W.s. » ou sous son nom. il faut comprendre que la dissociation est alors com-plète entre l’identité de celui qui écrit une pièce et la manière dont un imprimeur ou un libraire uti-lise un nom. Pour nous, il n’y a pas de distinction

entre le nom d’auteur et l’iden-tité de l’écrivain. on est aux xvie et xviie siècles dans un monde différent : un nom d’auteur peut être utilisé pour faire vendre une œuvre indépendamment du fait qu’il l’ait écrite ou non. Cela tra-duit en tout cas une réputation établie et solide et on peut donc en déduire qu’à partir de 1598 le nom de shakespeare est suffi-samment attractif pour être uti-lisé comme une « marque ».

L’H. Était-il connu à cette date en dehors de l’Angleterre ?R. C. : Non. Mais l’Angleterre elle-même était largement in-connue. Des troupes anglai-

ses ont sans doute joué en Allemagne le Titus Andronicus de shakespeare, comme le montre une gravure allemande des années 1620. Mais dans le reste de l’europe la méconnaissance était totale.

Cela n’a pas empêché le succès d’un motif litté-raire entretenu par des écrivains comme Anthony Burgess ou Carlos fuentes : la rencontre supposée entre shakespeare et Cervantès. Les deux auteurs sont morts le même jour et la même année, le 23 avril 1616. shakespeare connaissait sans doute Cervantès car les auteurs espagnols étaient traduits et lus en Angleterre. D’autre part, en 1604-1605, on sait qu’une ambassade anglaise s’est rendue à valladolid. Parmi les « servants » – les acteurs sont

l’auteurDirecteur d’études à l’EHESS, professeur de la chaire « Écrit et cultures dans l’Europe moderne » au Collège de France, Roger Chartier a notamment publié Cardenio entre Cervantès et Shakespeare. Histoire d’une pièce perdue (Gallimard, 2011).

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Le poèteDans les années 1590, ses poésies lui confèrent une certaine renommée. Frontispice de Vénus et adonis en 1593.

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L’ H i s t o i r e N ° 3 8 4 f é v r i e r 2 0 1 3 71

Héros japonaisL’affiche de Kumonosu-jo, traduit en français par « Le Château de l’araignée » ou « Le Trône de sang ». Dans ce film de 1957, Akira Kurosawa fait de Macbeth une brute grandiose.

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alors considérés comme des do-mestiques – qui l’accompagnent, se serait trouvée la troupe de shakespeare. il aurait pu à cette occasion rencontrer l’auteur es-pagnol qui aurait pu lui offrir un manuscrit de son Don Quichotte tout juste achevé…

il s’agit là d’un mythe fondé sur un contresens historique. s’il est bien certain que les dramatur-ges anglais connaissaient l’exis-tence de la littérature espagnole, inversement, les espagnols n’avaient pas la moindre idée de ce qui s’écrivait en anglais, dans cette île lointaine dont la langue était inconnue. Jusqu’au xviiie siècle, l’anglais était avant tout une langue de marchands.

L’H. : De quand datent ses premières biographies ?R. C. : on voit naître à la fin

du xviie siècle des compilations d’anecdotes, transmises par des traditions orales. La première Vie de Shakespeare, composée à partir de ces légendes, date de 1709. elle a été rédigée par l’an-glais Nicholas rowe en vue de son édition des œuvres du dra-maturge. Quant au premier tra-vail réellement biographique, il est le fait d’un éditeur de la fin du xviiie siècle, edmond Malone. Malone a mené une enquête à stratford-upon-avon pour re-trouver toutes les archives dispo-nibles. Publiée en 1821, sa Vie de Shakespeare est le premier effort pour écrire une biographie « ob-jective », au moment même où la notion d’authenticité prend de l’importance.

L’H. : Mais comment écrire la biographie d’un auteur avec si peu d’archives ?R. C. : shakespeare n’est pas seul dans ce cas.

Nous n’avons pas non plus de manuscrits autogra-phes ou de documents autobiographiques littérai-res pour cervantès, Molière, et beaucoup d’autres. il n’y a donc qu’une solution : pour placer les œu-vres dans la vie, il faut déduire la vie des œuvres. c’est un cercle fermé. aujourd’hui encore, les bio-graphes de shakespeare en sont réduits à cet exer-cice et, du coup, sont prudents dans leurs affirma-tions car il n’existe aucun document externe sur son processus créatif.

on connaît un shakespeare usurier, un shakespeare pro-priétaire de terres, mais pas de shakespeare écrivain. Les mys-tères shakespeariens sont large-ment tributaires de cette absence d’archives littéraires. aujourd’hui, au contraire, les étapes succes-sives de la réalisation d’une œu-vre sont pieusement conser-

vées. Mais c’est une tradition récente à l’échelle de l’histoire. La mode est née au xviiie siècle avec le sacre de l’auteur. rousseau et Goethe se sont faits les archivistes d’eux-mêmes et ont accumulé les brouillons successifs, les annotations sur des exemplaires imprimés, des copies manuscrites de leurs œuvres. shakespeare, comme cervantès et Molière, vivent à une autre époque.

L’H. : Comment alors est-il devenu un classique ?R. C. : La canonisation de son œuvre débute en

1623, sept ans après sa mort, lorsque deux anciens acteurs de sa troupe, John Heminges et Henry condell, persuadent quatre libraires-éditeurs de

« En 1598, son nom est suffisamment attractif pour être utilisé comme une marque »

Page 10: Shakespeare : le génie de l'Angleterre

’recherche idrisi

L’ H i s t o i r e N ° 3 8 4 f é v r i e r 2 0 1 3 80

En janvier 1154, le prince musulman Al-idrisi débute

la composition de son célèbre traité de géo-graphie universelle, le Kitab Nuzhat al mus-htaq fi-khtiraq al-afaq (« L’agrément de celui qui est passionné par la pérégrination à tra-vers le monde »). C’est un ouvrage de com-mande, écrit à la de-mande du souverain si-cilien roger ii. il lui est d’ailleurs dédié. roi de sicile à partir de 1130, roger ii impose une monarchie forte et am-bitieuse. A ses yeux, la science est l’ornement de la royauté. il s’en-toure donc d’intellec-tuels et encourage la réalisation de traités de géographie pour cartographier l’ensemble du monde habité.

si, dans l’Antiquité, la géographie était grecque, au Moyen Age, elle est arabe. Dès le ixe siècle, à Bagdad, capitale du califat abbasside (750-1258), des savants ont recueilli l’héritage de la géographie antique. ils ont traduit les auteurs grecs et s’en sont inspirés pour cartographier l’ensemble du monde habité, et surtout le domaine de l’islam, le Dar-al-Islam. Après l’An Mil, ces traités sont délaissés en orient au profit des journaux de voyages, des mo-nographies régionales ou des dictionnaires géogra-phiques. Mais, dans l’occident du monde musul-man, surtout en Al-Andalus (espagne musulmane), l’art des traités de géographie universelle perdure. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’œuvre d’idrisi.

Comment expliquer la présence d’un intellectuel musulman auprès de la dynastie des rois normands de sicile, roger ii (1130-1154) puis Guillaume ier (1154-1166) ? Pour le comprendre, il faut se souvenir de ce que fut l’histoire de la sicile dans les siècles précédents. Après avoir été romaine puis byzantine, l’île est conquise par les armées arabo-musulmanes dans les années 830. Une riche culture s’y développe, l’arabe s’im-pose comme la langue du pouvoir et des sciences. Après la disparition du dernier émir kalbide, vers 1053, la sicile est dé-chirée par les rivalités qui opposent en-tre eux les princes musulmans. en 1060, l’un d’eux fait appel aux Normands qui dominent le sud de l’italie. Ceux-ci de-viennent, à partir des années 1060-1090, les nouveaux maîtres de l’île.

A dire vrai, on ne sait pas grand-chose sur la vie d’idrisi, faute de sour-ces. Descendant du prophète Mahomet, il est apparenté à la grande famille qui fonda fès en 789. on ne connaît pas la date exacte de sa naissance, sans doute

en sicile, à la fin du xie siècle. il se serait éteint en 1175-1176. Les travaux récents d’Annliese Nef (cf. Pour en savoir plus, p. 85) ont cependant contribué à remplir quelque peu les vides laissés par les ta-bleaux lacunaires des auteurs médiévaux.

Un monde qUadrillérédigé en arabe, le traité d’idrisi témoigne du

rayonnement que continuait à avoir la culture ara-bo-musulmane en sicile, un siècle après la perte de l’île par l’islam. sa rédaction nécessita au préa-lable une minutieuse collecte d’informations, dans les livres de ses prédécesseurs, auprès de marins, de marchands et même d’envoyés spéciaux du roi roger ii que le géographe aurait ensuite interro-gés. Après une quinzaine d’années (1139-1154)

le monde selon idrisi

Prince musulman résidant en sicile, idrisi rédige au xiie siècle un traité de géographie universelle. Une œuvre remarquable par

ce qu’elle choisit de montrer comme par ce qu’elle tait.

Par Emmanuelle Tixier du Mesnil

Décryptageemmanuelle tixier du Mesnil s’est intéressée à idrisi lors de sa thèse sur la géographie arabe médiévale entre xe et xive siècle. son objectif : comparer les descriptions de l’espagne à l’époque, Al-Andalus étant un territoire qui se rétracte. idrisi est resté l’un des géographes arabes les plus célèbres en occident, traduit précocement, peut-être parce qu’il vivait à la cour de sicile, peut-être aussi à cause de la beauté de ses cartes. Au rebours d’une géographie qui, à partir du xe siècle, devient de plus en plus littéraire, idrisi renoue avec l’ambition de réaliser une géographie universelle illustrée, comme celle du Grec Ptolémée.

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l’aUteUrMaître de conférences à l’université Paris-Ouest-Nanterre, Emmanuelle Tixier du Mesnil a publié, avec Brigitte Foulon, al-andalus. anthologie (Flammarion, 2009) et, avec Annliese Nef et Benoît Grévin, Chrétiens, juifs et musulmans dans la méditerranée médiévale. études en hommage à Henri Bresc (De Boccard, 2008).

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Si, dans l’Antiquité, la géographie était grecque, au Moyen Age, elle devient arabe, recueillant l’héritage des auteurs antiques, notamment celui de Ptolémée

Mappemonde d’Idrisi. Le nord est en bas. Au centre, la péninsule arabique. Le monde est entouré d’un vaste océan. Les montagnes sont dessinées par une tresse jaune. Des parallèles rouges définissent sept climats.