Sf Bernardin de Siena

24
Philippe Jansen Un exemple de sainteté thaumaturgique à la fin du Moyen Âge : les miracles de saint Bernardin de Sienne In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 96, N°1. 1984. pp. 129-151. Résumé Philippe Jansen, Un exemple de sainteté thaumaturgique à la fin du Moyen Âge : les miracles de saint Bernardin de Sienne, p. 129-151. À partir d'un Livre de miracles de saint Bernardin de Sienne, de la deuxième moitié du XVe siècle, conservé à la Bibliothèque nationale de Paris, l'étude d'un culte thaumaturgique important à la fin du Moyen Âge en Italie est tentée, en s'attachant à déceler les nouvelles formes de recours, de rites et dévotions. La clientèle d'un saint essentiellement guérisseur apparaît très traditionnelle dans sa compostion clinique, mais concerne une majorité de femmes et d'enfants. Les pratiques teintées de superstition, contact magique des reliques dans les sanctuaires, offrandes substitutives, persistent, mais apparaissent en forte régression face aux guérisons obtenues à distance par l'expression d'un vœu. La pratique du pèlerinage est encore très vivante, alors qu'une dévotion très fervente et charitable distingue les cercles proches des Franciscains. Citer ce document / Cite this document : Jansen Philippe. Un exemple de sainteté thaumaturgique à la fin du Moyen Âge : les miracles de saint Bernardin de Sienne. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 96, N°1. 1984. pp. 129-151. doi : 10.3406/mefr.1984.2747 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1984_num_96_1_2747

description

referat

Transcript of Sf Bernardin de Siena

  • Philippe Jansen

    Un exemple de saintet thaumaturgique la fin du Moyen ge :les miracles de saint Bernardin de SienneIn: Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 96, N1. 1984. pp. 129-151.

    RsumPhilippe Jansen, Un exemple de saintet thaumaturgique la fin du Moyen ge : les miracles de saint Bernardin de Sienne, p.129-151.

    partir d'un Livre de miracles de saint Bernardin de Sienne, de la deuxime moiti du XVe sicle, conserv la Bibliothquenationale de Paris, l'tude d'un culte thaumaturgique important la fin du Moyen ge en Italie est tente, en s'attachant dcelerles nouvelles formes de recours, de rites et dvotions. La clientle d'un saint essentiellement gurisseur apparat trstraditionnelle dans sa compostion clinique, mais concerne une majorit de femmes et d'enfants. Les pratiques teintes desuperstition, contact magique des reliques dans les sanctuaires, offrandes substitutives, persistent, mais apparaissent en fortergression face aux gurisons obtenues distance par l'expression d'un vu. La pratique du plerinage est encore trs vivante,alors qu'une dvotion trs fervente et charitable distingue les cercles proches des Franciscains.

    Citer ce document / Cite this document :

    Jansen Philippe. Un exemple de saintet thaumaturgique la fin du Moyen ge : les miracles de saint Bernardin de Sienne. In:Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 96, N1. 1984. pp. 129-151.

    doi : 10.3406/mefr.1984.2747

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1984_num_96_1_2747

  • PHILIPPE JANSEN

    UN EXEMPLE DE SAINTET THAUMATURGIQUE LA FIN DU MOYEN GE :

    LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE*

    L'idal de perfection chrtienne incarn par les saints, dont l'influence sur les actes des hommes au Moyen ge a t reconnue depuis longtemps par les historiens, n'a fait l'objet d'tudes approfondies que trs rcemment1. Les livres de miracles, longtemps considrs comme genre mineur, les dpositions des tmoins aux procs de canonisation compltent les images de saintet diffuses par les rcits hagiographiques. Ces sources apportent des informations sur le culte rendu au saint, sur la place que celui-ci tient dans la vie et les croyances des chrtiens mdivaux. Du XIIe au XIVe sicle, la figure de la saintet s'pure, abandonne en partie l'aspect magique de sa puissance thaumaturgique ; elle se spiritualise, devient celle d'un intercesseur qui gurit les plaies et surtout renforce la foi vritable, celle du converti. Au terme de l'volution rvle par ces tudes, un manuscrit de la Bibliothque nationale de Paris nous offre la possibilit de cerner les attitudes religieuses au milieu du XVe sicle, d'valuer en elles la permanence des cultes traditionnels ou au contraire l'apparition de nouvelles dvotions.

    * Je remercie vivement, pour les conseils qu'ils m'ont prodigus et l'attention qu'ils ont bien voulu porter ce travail, M. Pierre Toubert, professeur l'Universit de Paris I, et M. Andr Vauchez, professeur l'Universit de Paris X.

    1 Nous nous rfrons surtout, pour cette tude, aux travaux de A. Vauchez, La saintet en Occident aux derniers sicles du Moyen ge, Rome, 1981 ; P. A. Sigal, Le miracle aux XIe et XIIe sicles dans le cadre de l'ancienne Gaule, d'aprs les sources hagiographiques, thse dactylographie, 3 vol., Universit de Paris I, 1981; du mme, Maladie, plerinage et gurison au XIIe sicle : les miracles de saint Gibrien Reims, dans Annales E.S.C., 1969, p. 1522-39; J. Paul, Miracles et mentalits religieuses populaires Marseille au dbut du XIVe sicle, dans Cahiers de Fanjeaux, 1 1 , 1976, p. 61-90.

    MEFRM - 96 - 1984 - 1, p. 129-151.

  • 130 PHILIPPE JANSEN

    Le livre des miracles de saint Bernardin de Sienne conserv dans le fonds des Nouv. Acq. Lat.2, manuscrit en parchemin de 194 feuillets, prsente d'abord, sous le titre Vita et canonizatio sancii Bernardini, quelques pices relatives la procdure de canonisation du grand prdicateur franciscain fondateur de la branche rforme de l'Observance, et la Vita auctore Johanne a Capistrano3. Ds le feuillet 18 commence un norme Liber miraculorum o l'on dnombre 2517 miracles. Le pre F. Delorme fut le premier tudier le manuscrit et en publier de larges extraits, choisis parmi les rcits les plus circonstancis4.

    La multiplication des miracles, l'exceptionnelle rapidit de la procdure de canonisation conclue en 6 ans alors que les procs au dbut du XVe sicle se prolongeaient frquemment pendant 15 20 ans5, soulignent la vigueur de la renomme de saint Bernardin. Les Italiens du milieu du XVe sicle taient nombreux se confier l'intercession d'un personnage dont la stature spirituelle exceptionnelle s'tait rvle, d'abord Sienne lorsque, encore lac, il coordonna les secours aux pestifrs de 1402; ensuite dans toute l'Italie du Centre et du Nord o sa prdication familire, exhortant la rconciliation des factions et l'amour du Christ, attirait les foules sur les places publiques6. Les miracles commencrent de son vivant le Liber rapporte le plus ancien la date de

    2 Cote 1763. L'inventaire d'Omont (Acquisitions des annes 1896-97, p. 17) ne prcise pas la date de composition du manuscrit; mais l'criture, de toute vidence, est du milieu ou de la deuxime moiti du XVe sicle. Une note moderne au bas de f lr indique qu'il a appartenu au couvent franciscain de Capestrano dans les Abruzzes.

    3 Rsum introductif de la procdure et bulle de canonisation de Nicolas V sont publis par : Wadding, Annales Minorum, 1450, n II et III, Rome, 1731 ; P. J. Delehaye, S. Bernardini senensis ordinis seraphici minorum opera omnia, t. I, Paris, 1635, p. XLIII-XLVIII; La Vita auctore Johanne a Capistrano, B.H.L., 1190, d. P. J. Delehaye, op. cit., p. XXL VU-XL; etActa sanctorum Maii V, Anvers, 1643, p. 303-315 (extraits).

    4 Selon une numrotation plus rcente que le texte du manuscrit, en marge, mais htive, le total rel des rcits miraculeux est de 2547. Ferdinandus Delorme, Ex libro miraculorum SS. Bernardini Senensis et Joannis a Capistrano, auctore Conrado de Freyenstat, dans Archivum Franciscanum Historicum, XI, 1918, p. 399-441. Il exprime ainsi son tonnement devant une telle abondance : Habetur quasi sylva immensa seu mare magnum miraculorum. . . Est revera opus ingens, sua mole stu- pendum .

    5 A. Vauchez, op. cit., p. 155-158. 6 Sur la vie et l'uvre de saint Bernardin, on renverra la mise au point la

    plus rcente, avec une bonne bibliographie, due R. Manselli, dans le Dizionario biografico degli Italiani, t. IX, col. 214-225.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 131

    14247 t mais ils connurent une rapide propagation aprs sa mort, et sont relevs dans le manuscrit jusqu'en 1455 8.

    Les circonstances de la rdaction du manuscrit ont influenc la classification des miracles tablie par l'hagiographe. Le pre Delorme n'identifiait qu'un seul auteur : un disciple de saint Jean de Capestrano, frre Conrad de Freyenstat, dont le nom apparat plusieurs reprises comme celui d'un tmoin direct des miracles. Mais il n'est pas l'unique source d'information. Le manuscrit en mentionne explicitement d'autres9 et une confrontation attentive de l'identit des malades, des dates et lieux des miracles, permet de conclure une rutilisation au moins partielle des premires listes de miracles, dresses en vue de la canonisation de saint Bernardin, donc antrieures au Liber10. Ainsi retrouve-t-on 18 des 30 miracles survenus L'Aquila au lendemain des funrailles du saint, et consigns en hte par Barnabe de Sienne ds 1445 pour introduire l'ouverture de la cause. Il ne les avait cependant pas classs selon le modle biblique : au contraire, la liste refltait la spcialisation d'un sanctuaire de plerinage, vou la gurison de contracti et de claudi. Le prologue du Liber ne cite pas la Vita antiquior I, mais se rfre en revanche aux actes du procs : Describentur hic per ordinem secundum quem examinata fue- runt miracula pro canonizatione sancii Bernardini in tribus processi- bus ... . Une quinzaine de rcits a t recopie avec leurs protocoles notariaux : ces dpositions authentifies semblent avoir t releves au cours de l'enqute itinrante dans des villages trop loigns de Sienne ou de L'Aquila pour que les tmoins pussent venir y dposer devant le tribunal de l'Ordinaire. Les gurisons distance des reliques sont opres dans des circonstances trs diverses. La compilation de ces rcits a sans doute command la division en sept rubriques, fonde la fois sur la rfrence aux miracles bibliques, et sur le degr de gravit de l'affection, donc sur l'excellence dcroissante du pouvoir du saint11.

    7 Miracle n 27, f 25 ; Cosmas, jeune homme de Prato, ressuscit par saint Bernardin aprs avoir t pitin par un taureau.

    8 Mir, n 23, f 25 r; le fils du duc de Sora. 9 Au f 180v, aprs les miracles 2268-2269, le manuscrit se rfre une charte

    approuve par les notaires de la ville de Sienne. 10 Le terminus a quo est 1455 (cf. mir. cit la note 8). Deux sources sont donc

    antrieures : la Vita Antiquior I, de Barnabe de Sienne (1445), AA. SS. Maii V, p. 277-282, incluant 30 miracles survenus L'Aquila; les dpositions des tmoins au procs de canonisation, dit par C. Piana, dans AFH, XLIV, 1951, p. 87-160 et 384-445.

    11 Prologue, f 19r : Et quia a dignoribus et sollemnioribus miraculis dignum et iustum est initium sumere id circo primo ponemus miracula excellentiora.

  • 132 PHILIPPE JANSEN

    La rcollection se poursuit aprs la canonisation; les deux tiers des miracles inscrits sont en fait accomplis par la bndiction du frre Jean de Capestrano, donne au nom de saint Bernardin grce une relique du fondateur de l'Observance. Quelques-uns ont lieu encore en Italie ( Vicence, Vrone ils sont consigns par notaires), mais surtout ils se diffusent dans l'Europe Centrale, le long de l'itinraire du franciscain devenu lgat du pape, charg de combattre les Hussites. Ces relations bouleversent en partie l'organisation des rubriques de l'ouvrage, d'ingale importance: De mortuis suscitatisi 55 miracles; de beraus a periculo mortis : 180 miracles; de caecis illuminatis : 191; de claudis et assidiatis : 1065; de leprosis mundatis : 10; de surdis et mutis : 399; de variis et diver- sis languoribus : 627.

    Les miracles oprs par l'entremise de Jean de Capestrano envahissent ainsi la quatrime et la septime partie, tandis qu'on n'observe aucune gurison de lpreux et peu de rsurrections hors d'Italie. Le narrateur, frre Conrad de Freyenstat, absent des rcits tablis pour la canonisation adopte un ordre chronologique : il intercale de nombreux cas d'aveugles, sourds, muets et malades divers dans la srie des boiteux et paralytiques. Cependant il tente galement de respecter le parti originel de l'ouvrage, et l'on retrouve les doublets de ces rcits sous leur rubrique respective12. La source est ainsi moins fiable et doit tre expurge des rptitions avant le traitement statistique. En outre, si l'ensemble du Liber

    12 Cette particularit nous incite penser que le rdacteur du Liber miraculo- rutn diffrent du frre Conrad de Freyenstat a compos son recueil partir de deux ensembles de sources distincts : d'une part les miracles de saint Bernardin en Italie, relevs dans la priode de la procdure de canonisation ou immdiatement aprs celle-ci, et peut-tre dj remanis sous forme d'un premier liber mira- culorum; d'autre part le rcit du frre Conrad de Freyenstat, relatif des guri- sons qui sont autant l'uvre de saint Jean de Capestrano que de saint Bernardin. Nous tentons ici de montrer les diffrences formelles entre ces rcits, dont il faut tenir compte dans la typologie. Est-il possible d'approfondir l'analyse jusqu'aux buts apologtiques poursuivis par les diffrents rdacteurs, qui pourraient ainsi expliquer la prsence plus ou moins frquente de tel type de miracle?

    Une telle tude excderait le cadre de cet article, qui se limite une prsentation de quelques traits marquants d'une dvotion italienne au milieu du XVe sicle. Nous nous bornerons deux remarques sur ce problme :

    - pour comprendre l'intention de l'auteur des rcits, il faudrait replacer chacun de ceux-ci dans la situation de la rdaction originelle; or la concision de Barnabe de Sienne (par exemple) rend difficile la comparaison avec la retranscription du manuscrit (dans l'ensemble fidle) et claire peu la signification apologtique;

    - d'autre part, la fonction d'exemplarit du miracle ne peut tre dfinie que par la convergence de tous les lments du rcit retenus par le narrateur ; dans

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 133

    miraculorum fournit des informations sur les maladies et leur gurison, seuls les rcit des miracles advenus en Italie, environ la moiti du total, nous permettent d'analyser, dans la deuxime partie de cette tude, les attitudes de dvotion.

    I - L'action de la puissance thaumaturgique du saint

    Saint Bernardin appartient la longue ligne mdivale des saints thaumaturges. La vertu curative est le signe le plus vident de ses pouvoirs surnaturels d'intercesseur: 45 miracles sur 2517 (dont 2 seulement hors d'Italie) ne sont pas des gurisons, mme pas 2% du total13. Rapport l'aire strictement italienne, le pourcentage des phnomnes merveilleux divers s'lve 5,8%. Ce sont des manifestations qui concourent la gloire du saint et des dlivrances de prisonniers. Ne figure plus aucun de ces miracles mineurs ou jeux de saints, tels que dplacement d'objets, biens retrouvs, qui taient transcrits encore, non sans rticence, par les hagiographes des sicles prcdents14.

    L'lection divine de saint Bernardin se manifesta de son vivant par diffrents prodiges lumineux : nous n'avons pas affaire une adaptation d'pisodes traditionnels des lgendiers ; la signature du notaire garantit la sincrit des tmoignages, sinon la ralit des phnomnes, comme ces visions de flamme sortant de la bouche du saint pendant qu'il prchait. La plupart des habitants de Lucques affirment avoir vu une comte; ce phnomne naturel reoit sa valeur merveilleuse de la concidence entre

    l'ensemble du recueil, il nous semble difficile de dfinir des rapports rguliers entre la typologie nosographique et l'attitude envers le saint sans compter l'extrme scheresse des narrations du frre Conrad de Freyenstat sur ce dernier point.

    13 Contrairement la classification adopte par P. A. Sigal dans sa thse, nous ne sparons pas les miracles relatifs aux accouchements difficiles et aux cas de strilit des gurisons proprement dites : une action d'ordre mdical s'observe en effet dans tous les cas; en outre, ces miracles sont proches des phnomnes de rpit, inconnus aux XIe-XIIe sicles. La proportion des miracles non thaumaturgi- ques est infrieure celle que A. Vauchez a releve pour le XIVe sicle : 1 sur 9 (op. cit., p. 544 sq.).

    14 Une exception : le cas d'un pauvre paysan dont la jarre de vin, renverse par un cochon, se vide de son contenu. Aprs qu'il ait invoqu le saint, elle se remplit miraculeusement, en telle abondance que tout le village peut en boire. L'analogie avec l'pisode des Noces de Cana explique que le rcit ait trouv grce aux yeux de l'hagiographe.

  • 1 34 PHILIPPE JANSEN

    son observation et la prsence du saint dans la ville15. De son vivant galement, le saint chtie plusieurs incrdules, qui tombent malades aussitt aprs avoir profr blasphme ou moquerie son gard. Dans un cas, vengeance et pardon se succdent : un certain Vilistinus, couvreur de son mtier, s'tant moqu de l'ne qu'enfourchait saint Bernardin, fut jet bas du toit par un coup de vent. Reconnaissant son pch, il se fit porter auprs du saint et demanda faire pnitence. La bndiction du franciscain lui rendit la sant16. Dans les miracles post mortem le chtiment frappe des malades qui n'accomplissent pas le vu promis : la maladie les atteint nouveau jusqu' ce qu'ils aient fait pnitence et ralis un deuxime vu.

    L'action de justice du saint est galement posthume : il libre des prisonniers victimes de fausses accusations, ou capturs au combat par des ennemis. L'exercice de cette intercession, dont certains bienheureux d'Italie centrale s'taient fait une spcialit, est assez frquent en raison des troubles du milieu du XVe sicle 17. L'action de saint Bernardin prend surtout la forme d'une vision qui encourage le captif s'vader. Les prodiges sont rares, mais quelques rcits les accumulent : tel le frre Ambroise de Hongrie, qui saute de sa fentre, situe vingt coudes dev hauteur, les chanes aux pieds, et atterrit sans aucun mal sur un sol rocailleux, tandis que les chanes se dissolvent par enchantement 18.

    Les manifestations merveilleuses et la prpondrance des actes thau- maturgiques s'inscrivent dans une longue tradition hagiographique mdivale. Il est galement difficile, et sans doute vain, de dceler une nouvelle conception de la gurison divine, qu'influenceraient les progrs de la thrapeutique humaine au XVe sicle. Le mdecin, prsent dans la plupart des rcits, est la seule rfrence une forme de connaissance trangre au genre hagiographique. Le malade consulte le mdecin assez systmatiquement, et fait parfois appel l'avis de plusieurs spcialistes19.

    15 Les flammes sortant de la bouche du saint. Rcits n 1913 et 1921, f 151 et 152; la comte : n 1912, f 151v et 2087, f 165v.

    "N" 1915, f 152r; Delorme, AFH, 1918, p. 411. 17 On se rappellera en particulier le bienheureux Rainier Rasini, de Pise, dont

    le pouvoir librateur lui permettait de traverser les murs des prisons ; une intressante reprsentation figurait l'exposition des retables italiens prsente au Muse du Louvre en 1979. Saint Bernardin ralise 12 librations, principalement en Ombrie et en Toscane.

    18 Mir. n2271, f 180-181. 19 Lorsque le miracle se produit ayant la consultation mdicale, certains mala

    des font vrifier la gurison par un homme de l'art : ainsi la mre et la grand-

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 135

    L'hagiographe se rfre leur jugement, mais uniquement pour prouver la gravit du mal, non pour en rechercher les causes. Le diagnostic ngatif port par les mdecins qui se rcusent idiffidatus ab omnibus medicis), ne laisse plus d'espoir que dans la grce divine.

    L'origine de l'infirmit n'est explique que lorsqu'il s'agit d'un traumatisme accidentel, survenu dans des circonstances dramatiques. Plusieurs enfants sont ainsi blesss en jouant : une petite fille tombe de sa balanoire et reoit la poutre sur le crne; un garonnet est borgn par la flche d'un camarade. Nombreuses galement sont les fractures conscutives une chute de cheval ou une blessure au combat. Ces dtails n'attestent aucunement d'un niveau de connaissance mdicale. Lorsqu'il s'agit de maladie, l'absence de description clinique est notable : elle tmoigne plus du dsintrt que de l'ignorance du narrateur pour le fait mdical : si la maladie est identifiable, il la nomme : 'febris pestifera ', 'morbus caducus', 'podagra', 'infirmitas quod vocatur Male de Bachi'; sinon, il ne tente aucun effort descriptif pour la reconnatre ; les formules nous semblent souvent plus vagues que celles tudies pour le XIIe sicle par P. A. Sigal, mme lorsqu'elles ne se rduisent pas des mentions laconiques comme : 'cum graviter infirmaretur ', 'acerbo morbo passuit ' que l'on dnombre 94 fois dans la septime rubrique.

    En tenant compte de ces insuffisances, le tableau I20 reprend la classification d'ensemble du manuscrit, prcise dans la mesure du possible, pour les maladies et accidents divers. L'abondance statistique des donnes permet cependant de souligner les tendances du recours l'intercession de saint Bernardin. Elles infirment en partie les volutions de la thaumaturgie sacre que l'on avait cru pouvoir dceler d'aprs les indices du XIVe sicle.

    Seule la diminution des maladies oculaires, depuis le XIIe sicle, se confirme. Au contraire, les cas de surdit et de mutit sont en augmenta-

    mre de la petite Demusdea, deux ans, qui s'est dmis le bras, dcident d'aller consulter un certain Laurent (mdecin, ou rebouteux?). En passant devant l'glise o se trouve la statue de saint Bernardin, elles dcident d'y porter l'enfant, appliquent le bras de la petite fille contre la statue; il se remet. Nanmoins, les deux femmes exeuntes iverunt ad domum dicti Laurentii, credentes os brachium suo loco repone- re (rcit n 579, f 83-84). Les cas o la confiance dans la grce divine s'oppose explicitement la mdecine des hommes sont rares : une mre afflige non potuit alium cisuram videre in filio, sed dixit vellet potius mortem pueri expectare ex iudi- cio Dei quant tot afflictiones in puero habere (n 2187, f 174 bis).

    20 Voir Appendice I, p. 1 50. Il nous a paru ncessaire de prciser un peu la typologie des maladies, par des termes mdicaux modernes : leur unique intrt est de permettre ensuite une dfinition plus prcise de la clientle des sanctuaires.

  • 136 PHILIPPE JANSEN

    tion. Les affections auriculaires l'emportent nettement (75% des cas); les formules employes les dcrivent en gnral d'origine rcente, souvent accidentelle. Les catgories de muets et de sourds-muets comptent chacune une quarantaine de cas. Plus remarquable encore : les paralyss, loin d'tre en rgression, constituent la principale clientle du saint; certes, le terme claudus dsigne toute personne qui prouve une difficult se dplacer, quelle qu'en soit la cause (ainsi les cas de hernies sont-ils recenss dans cette rubrique). Cependant, au moins 176 cas sont dcrits comme une paralysie vritable, et au moins 14 grabataires sont destituii ab omnibus membris. Ces infirmes, population traditionnelle des livres de miracles, se pressent plus nombreux encore sur l'itinraire de la lgation de saint Jean de Capestrano que dans les sanctuaires italiens. Il est difficile d'expliquer cette abondance : archasme particulier au culte de saint Bernardin, ou au contraire renouveau du recours thaumaturgique pour ce type d'affection? Plus conforme l'volution d'ensemble des attitudes religieuses semble la rgression des cas de folie : 33 sur 46 sont attribus une possession dmoniaque (mme si les symptmes sont identiques ceux de la frenesis) et sont guris par un frre franciscain, gardien des reliques, selon une procdure d'exorcisme. Enfin, comme les autres saints de la fin du Moyen ge, Bernardin est implor pour obtenir le rpit, qui permet de baptiser les enfants morts-ns afin qu'ils chappent l'ternit vide des limbes. Dans ces 14 cas, la puissance curative de saint Bernardin accorde aux enfants une rsurrection complte et dfinitive.

    La vertu thaumaturgique du saint agit constamment avec une force fulgurante et incontestable; rares sont les malades qui expriment un doute21. Le dlai de gurison est calcul partir de l'acte qui tablit la relation avec le saint : attouchement des reliques ou expression du vu. Les premiers signes du rtablissement sont toujours immdiats (statim, proti- nus, repente) et la gurison est souvent acheve dans un dlai d'une semaine. Quelques cas sont exceptionnellement plus longs : deux blesss la tte sont guris aprs vingt jours, un enfant bouillant est rtabli en un mois22. L'hagiographe fait rarement tat de squelle; il associe toujours, on l'a vu, les rechutes la ngligence spirituelle des fidles.

    21 On ne relve qu'un exemple significatif d'incrdulit : un certain Antonius Manelli de Castro Podii Mojani, sourd de naissance, s'affirme guri aprs avoir touch la chsse du saint ; son fils et sa femme n'y croient pas : Non est possibile quia natus est surdus. quoi le miracul, ayant tout entendu, rpond: O stulti, infidles, et pharisii! Ego, audivi a vobis me non posse cur ari, et contra ego dico vobis que eius b. Bernardini meritis audivi et audio!.

    22 Les prcisions relatives au dlai de gurison disparaissent la fin du livre :

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 137

    En dfinitive, les affections pour lesquelles on fait appel la thaumaturgie sacre, et le mode d'action de celle-ci ne prsentent gure de traits qu'on n'aurait dj relev aux sicles prcdents. En revanche, la composition de la population malade prsente quelques nouveauts significatives.

    La rpartition des sexes est fournie par l'identit de la plupart des malades; la population fminine apparat particulirement sensible aux affections oculaires (63,8% des miracles de ce type), le dsquilibre provenant uniquement des maladies rcentes. On serait tent d'avancer l'hypothse d'une fragilit particulire aux maladies d'origine nerveuse, puisque l'on retrouve, quoique moins importante, une majorit de femmes et de filles parmi les boiteux et les paralyss (53,1% contre 49,6% d'hommes et de garons). Au contraire, la surdit et la mutit atteignent principalement le sexe masculin (53,3%). La diversit des maladies infectieuses ou pidmiques rend la rpartition moins significative; on notera cependant que les maladies fbriles frappent deux fois plus d'hommes que de femmes. Si les cas de hernies sont exclusivement masculins, la possession dmoniaque est uniquement fminine.

    Les mentions de l'ge, plus rares, montrent toutefois que la clientle des sanctuaires, qui aux XIe et XIIe sicles apparaissait dans une certaine mesure proportionnelle la population masculine adulte, fait dsormais une large place aux femmes et aux enfants. Ces derniers sont les principaux bnficiaires de l'action du siennois, puisque 49 des 55 rsurrections les concernent. On enregistre galement plus d'enfants que d'adultes (90 contre 76) guris alors qu'ils semblaient dj moribonds. Tandis que la socit fodale ne s'intressait l'enfant que dans la mesure o il deviendrait chef de famille, et ne recourait donc la thaumaturgie sacre que pour les garons, l'enfant a dsormais sa place en tant qu'tre vivant, fragile, trsor d'affection pour les parents23 : les petites filles sont galement mises sous la protection du saint, et en nombre souvent suprieur celui des garons: 29 rsurrections contre 1024; parmi les aveugles on relve

    le narrateur se contente de signaler que le malade, touch et bnit par saint Jean de Capestrano, sanus extitit.

    23 Plusieurs rcits rapportent les paroles de dploration des parents devant leur enfant gravement malade et illustrent la place importante qu'il tient dsormais dans les sentiments familiaux. On verra plus bas, p. 142, un exemple d'imploration, qui n'est pas une prire, mais l'expression de la douleur d'une mre devant son enfant mort (mir. n 32, f 27r).

    24 Nous incluons dans la statistique enfants et adolescents jusqu' 18 ans.

  • 138 PHILIPPE JANSEN

    19,3% de filles, 11,5% de garons; 60,2% des enfants boiteux ou paralyss guris sont des filles (proportion fminine trs suprieure celle observe chez les adultes). Au contraire, la prdominance masculine des sourds et des muets se retrouve parmi les enfants. Le recours des femmes au saint pour remdier la strilit ou obtenir son aide en cas d'accouchement difficile inconnu avant le XIVe sicle correspond cette attention plus grande accorde aux premires annes de l'enfance et la valeur de la vie de chaque individu.

    Moins du quart des rcits fournissent des renseignement sur le rang social ou le mtier. Pour les autres, mme si le miracul est originaire d'un village du contado en Italie ou d'une ferme (villa) dans le monde germanique, il est difficile de conclure assurment son appartenance au monde paysan. Les mtiers ou catgories sociales mentionnes semblent surtout urbains. Le titre de Dominus revient 25 fois, nobilis vir 31 fois, Magister 20 fois. 135 femmes sont qualifies de Domina. Le clerg est reprsent par 36 prtres sculiers, dont deux vques25, et 45 rguliers ou lacs tertiaires (dont 24 appartiennent l'un des trois ordres franciscains). Bouchers (17 cas), forgerons (16), et cordonniers (16) sont les mtiers du commerce et de l'artisanat les plus reprsents. Au bas de l'chelle sociale, 41 rcits mentionnent des servi ou des pauperculi.

    Saint Bernardin semble donc invoqu par toutes les catgories sociales, et ce dans toute la pninsule italienne, mais particulirement en Italie Centrale, de la Toscane aux Abruzzes26. L'axe du culte passe par Sienne et L'Aquila, principaux centres dtenteurs des reliques, o se produisent les gurisons en plus grand nombre : 197 miracles au tombeau du saint L'Aquila, et 24 dans les villages alentour : 83 Sienne, auxquels il faut ajouter 17 autres dans les environs immdiats, dont 12 au couvent de La Capriola qu'il avait fond et qui conservait sa robe de bure. L'influence demeure vigoureuse jusqu' Lucques au nord, et Sulmona dans les Abruzzes au sud. L'intensit du culte semble plus forte sur le versant adriatique de l'Apennin, dans les Marches. Aprs L'Aquila et Sienne, les prodiges les

    25 L'un est episcopus Hildenensis, non nomm. La date du miracle, dont le mois n'est pas prcis, laisse subsister un doute sur l'identification : l'vque Magnus von Sachsen-Luenburg meurt prcisment le 21 septembre 1452; il est aussitt remplac par Bernard von Braunschweig Lueneburg, qui tait son coadju- teur (Gams, Series episcoporum, p. 282), (fracture du bras mir. n 1480, f 126v). Le deuxime est l'vque d'Ariano, Angelus de Grassis, futur archevque de Reggio; il souffrait de fivres (mir. n 2257, f 179v).

    26 Voir p. 139 et 141 les deux cartes qui proposent une synthse de cette rpartition pour l'Italie.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 139

    / / MILANO C_ VERCELLI VERONA^ ' ^ J PIACENZA ^_J ~v/ PARMA

    ^ -^ \i PRATO

    VOIR AGRANDISSEMENT

    \massa- Jmarittima (gross 1)

    . moins de 5 miracles de 5 10 miracles miracles accomplis Jean de Capestraro

    0 100 km R. GUARDI E.F.R.

    )

    TRENTO TREVISO VICENZA s-

    GEMONA UDINE

    y9 j 2-^ y X PADVA^ENEZIA ^

    FERRARA *

    F inoXWarko SIENA V MONTElCIANO T * I

    S.-SALVATORE / (

    \ 'murge ^^\

    \\ \ COSENZA (

    f) [REGGIO-/ ^CALABRH

    Miracles oprs en Italie par l'intervention de saint Bernardin de Sienne et de saint Jean de Capestrano (d'aprs Nouv. Acq. Lot. 1763).

  • 140PHILIPPE JANSEN

    plus nombreux se produisent R

    ome (33 m

    iracles), Arezzo (29), Rieti (15),

    Prouse et Spolte (13 chacun). Dans les contadi, bourgades et villages sem

    blent rivaliser qui recevra les bienfaits du saint, et une trame de

    miracles couvre toute la rgion sans qu'il soit possible, cause des p

    ro

    blmes d'identification des toponym

    es, d'en renouer toutes les mailles.

    L'image du nouveau saint est diffuse plus faiblem

    ent dans le sud, jus

    qu'en Cam

    panie et Calabre. Par contraste, la barrire des Apennins in

    te

    rrompt brutalem

    ent le culte, qui reparat, trs actif, dans les grandes villes padanes que le saint a illustres de sa prdication; dem

    eurent cependant les taches blanches de deux rgions qu'il avait pourtant longuem

    ent visites :

    la Rom

    agne et la Ligurie ; des cultes locaux plus vigoureux y rsisteraient-ils la diffusion de l'im

    age de l'Observant? Ou bien les trou

    bles qui agitaient ces provinces ont-ils empch l'enqute sur les m

    iracles? partir de V

    enise et Vicence, saint Jean de Capestrano relaie l'a

    ction

    thaumaturgique ; sur l'itinraire de sa lgation, les m

    iracles s'che

    lonnent en A

    utriche, en Bohme, jusqu' la rgion de Cracovie, de 1451

    1453. Mais un trange effet de perspective sem

    ble, dans ces rgions loignes de l'Italie, effacer les dtails des gestes et des rites, estom

    per les caractres des m

    aladies et de la rpartition des fidles. C'est au point de dpart et au foyer de diffusion du culte, en Italie, que nous devons rev

    enir pour tudier le m

    canisme de la relation qui s'tablit entre le m

    alade et le saint intercesseur et perm

    et au miracle de s'accom

    plir.

    II - Les rgles de l'action miraculeuse

    ET LES ATTITUDES RELIGIEUSES

    Deux formes essentielles de culte envers saint Bernardin coexistent;

    mais l'attouchem

    ent traditionnel des reliques rgresse nettement devant

    les gurisons obtenues distance, par l'expression d'un vu de la part du

    malade. Prs des trois quarts des gurisons sont ainsi obtenues sans c

    on

    tact avec le corps sacr27. Certains rcits noncent soigneusem

    ent les deux actes logiques qui instituent la relation entre le m

    alade et le saint : avant d'attirer sur lui la

    27 La prdominance des gurisons distance est telle qu'il n'est plus possible

    de suivre ici les rflexions de P. A. Sigal et d'associer ce type de gurison une catgorie sociale prcise, en m

    esure de se dplacer rapidement ou de dtenir des

    reliques. On verra plus bas quel point la diversit des relais du culte par les rel

    iques portatives, l'im

    age, etc., s'adresse tous les fidles.

  • 1 miracle de 2 5 miracles de 6 1 1 miracles de 15 50 miracles plus de 50 miracles

    LUCIGNANO- RAPOLANO 'D'ASSO CORTONA

    .TUORO TOCHO ?

    ABBADIA- # S.-SALVATORE

    TER AMO CIHAREALE

    CAMPOTOSTO MONTEREALE " SANMLO __._3ZOil ASSERICO

    f * (ASSERGI?) MOSCUFO SASSA^ -PAGANO 'CARPINETO ,,_, .RIPA CASTELS.PIETROTi *^ROIO BARISCIANO CHIETI" TEATINA FIAMIGNANO T0RNIMPARTE OFENA MONTELEONE -a ROCCA-OI-CAMBIO . -FONTECCHIO

    ROVERE

    CITTA- S- ANGEL PENNE

    LORETO

    Miracles oprs en Italie centrale par l'intervention de saint Bernardin de Sienne (d'aprs Nouv. Acq. Lot. 1763).

  • 142 PHILIPPE JANSEN

    force divine en touchant les reliques du saint ou en lui exprimant un vu, le malade a d'abord choisi son intercesseur Bernardin, et non un autre et lui remet sa confiance {se confidere) en lui adressant une invocation. Le choix est parfois conseill par un parent ou un voisin, lui-mme dvot du franciscain. Dans ce cas, l'infirme ainsi guid n'adresse sa demande personnelle de gurison qu'une fois parvenu au tombeau de L'Aquila, et touche simultanment les reliques.

    Lors des gurisons obtenues distance, la prire l'intercesseur n'est distingue que dans 123 cas : Seipsum mentis et precibus beati Bernardini quibus potuti devotissime recommisit ac fecit votum28. Le vocabulaire utilis permet de distinguer trois attitudes de prire ; l'oraison personnelle d'abord, adresse au saint, chez soi, dans une attitude toute intrieure29; recommendare, se confidere, orare se rapportent plutt la rcitation d'une prire connue, dans le sanctuaire; elle se diffrencie de l'invocation pressante, collective, adresse par l'entourage des moribonds, et qui peut aller jusqu' l'imploration vhmente, dcrite par les verbes invocare, vocare, clamare. Quelques formules de prires en latin trahissent l'laboration thologique par le rdacteur, car elles distinguent la recommandation envers les mrites de l'intercesseur de la foi en l'action curative qui mane de Dieu seul. Les paroles rapportes quelquefois en italien correspondent mieux l'expression spontane des fidles : si certaines semblent encore tre la rcitation d'une formule apprise : Beato Bernardino, si e vero che tu si sancto et facci miraculi, corno se dice, te voglio pregare me debie liberare de questa infirmita, portandovo uno voto de cera30 (l'incise conto se dice est-elle prcisment une insistance propos d'une formule entendue, ou traduit-elle une nuance d'incrdulit?) d'autres expriment la douleur poignante des parents devant leur enfant qu'ils croient mort : santo Bernardino che se e morta la p fare viva io te prego que no me ficci vedere tanto dolori31. Parfois, la prire, rpte tour de rle par chaque assistant, devient litanie magique dont la force permet de susciter l'action de saint Bernardin32.

    28 Mir. n 94, f 38r. 29 L'expression est de Jacques Paul dans Cahiers de Fanjeaux, 11, 1976, pour

    caractriser la prire individuelle par opposition l'attitude ritualiste extriorise dans les sanctuaires reliques.

    30 n 2282, f 181 ; A. Vauchez, op. cit., p. 537, cite une formule presque identique pour saint Charles de Blois, mais qui fait en outre rfrence l'intervention du Christ.

    31 Cas d'une petite fille noye, n 32, f 27v. 32 Mir. n 19, f 23 : Johannes dicti domini Pauli ibidem praesens haec verba

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 1 43

    De telles formules ne sont jamais cites lorsque le malade est guri en s'approchant de la spulture du saint, conserve dans l'glise Saint-Franois de L'Aquila, avant d'tre transfre dans la cathdrale ddie saint Bernardin, en 147233. Pour ce sanctuaire majeur, on possde de nombreuses indications chronologiques. Ds les trois premiers mois qui suivent les funrailles, des plerins surtout des paralyss, dont la gurison semble requrir le contact avec les reliques affluent non seulement des Abruz- zes (35% des malades rsident moins d'une journe de marche de L'Aquila34, mais galement d'Ombrie et de Toscane (Prouse, Spolte, et mme des environs de Sienne, malgr l'existence d'autres sanctuaires reliques dans la ville natale du saint). Les plerins romains apparaissent plus tard, en septembre 1445. Les infirmes venaient accompagns, ports par des parents ou des voisins de leur village. Dans l'glise, ils passaient le membre malade dans un trou pratiqu dans la spulture du saint, ou bien, lorsqu'il s'agissait d'infirmits graves, taient hisss sur le tombeau (ponitus, delatus super capsam), qui parat ainsi tre surmont d'une table d'autel35. Une telle opration n'tait pas sans difficult lorsqu'on amenait des possds : un tmoin, Lucas Cranchecti, raconte que le pre d'une petite fille, apparemment folle, criait aux personnes qui l'entouraient : Amore Dei ponatis isiam meam filiam super beatum corpus!. Le custode des reliques, frre Andr de Chieti, qui tait charg de relever l'identit des malades et la nature de leurs souffrances, y parvint non sans avoir t mordu et frapp par la petite muette36. La prsence d'une foule nombreuse, tmoin des gurisons spectaculaires, parfois dans un craquement de tendons et d'os lorsque le membre contract s'allongeait (mais il n'y a aucune mention d'hmorragie), est soigneusement souligne par le rcit.

    Le caractre public des miracles oprs dans les autres sanctuaires est moins apparent. Les couvents franciscains de Columbaria et de

    protulit : beate Bernardine restitue nobis istam zitellam; dictisque verbis etiam per dictum D. Paulum repentis.

    33 L'glise Saint-Franois tait pourvue, par la bulle de canonisation, d'une indulgence de 7 ans et 40 jours tout plerin qui la visiterait le jour de la saint Bernardin (20 mai). Pour le transfert, voir A.A. Sanc. Maii V, p. 258.

    34 Tous les villages situs dans un rayon de 30 km autour de la ville sont reprs aux environs (apud, circa).

    35 La diversit des termes relatifs au tombeau : capsa, limina, funus, archa, n'autorise gure une description prcise; il est notamment difficile de savoir si le corps du saint tait visible.

    36 Mir. n 1525, f 135r.

  • 144 PHILIPPE JANSEN

    La Capriola, prs de Sienne, possdaient des reliques reprsentatives : morceau de vtement ou ceinture du saint, qu'un frre appliquait sur les malades. Le contact des reliques, suffisant en lui-mme pour obtenir le retour la sant, est souvent complt par une offrande de luminaire, expression d'un remerciement, mais aussi d'une rciprocit dans la relation entre le malade et le saint.

    L'engagement en retour du malade peut lui seul provoquer l'action miraculeuse distance des reliques; les vux prononcs sont trs vers 37

    La forme la plus frquente est un plerinage rcognitif, soit au tombeau du saint L'Aquila, soit, lorsque le malade est press d'exprimer son remerciement, dans un lieu de culte proche de sa rsidence; il compense alors la faible distance par la rptition de la visite : la sur de Dominique Pucii, habitant aux environs d'Arezzo, fit vu de se rendre quotidiennement pendant quinze jours l'glise Saint-Franois de cette ville o est vnre une statue de saint Bernardin38. L'action de grce peut tre renforce par un geste de pnitence : un habitant de Tornimparte promet de venir au tombeau en chemise39. En se dplaant ainsi aprs sa gurison, le plerin donne une dimension spirituelle son geste; il contribue en outre la diffusion du culte : en effet, au terme de sa route, il raconte le miracle dont il a bnfici aux franciscains gardiens des reliques, et souvent en prsence d'une foule nombreuse ; le rcit fait reparatre le public des sanctuaires, ml des clops qui sont ainsi rconforts. On conoit ds lors que les religieux veillaient scrupuleusement l'accomplissement de la promesse confirmant l'existence du prodige sacr.

    Le vu de plerinage est concurrenc par la promesse d'une offrande matrielle dont la signification est bien diffrente. Au poids symbolique de cire, ou au cierge votif seule forme d'offrande atteste hors d'Italie , le donateur prfre souvent un objet en cire reproduisant la partie du corps malade, qu'il dpose au sanctuaire le plus proche. Ces dons continuent vhiculer une conception magique de la gurison, car l'image en cire est strictement substitutive de l'affection gurie. L'exemple le plus caractristique est donn par Gaspard Sinii, tondeur de laine d'Arezzo qui, s'tant dmis une cte, offrit une cte de cire; quelques temps aprs, en mangeant, il s'enfona une herbe dans la gorge : pour en tre dlivr, il fit vu d'une reproduction en cire du brin

    37 Voir tableau p. 151. 38 Mir. n 1925, f 152v, rpt au n 2076, f 164v. 39 Mir. n 105, f 39.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 145

    d'herbe!40 Matre Franois Francischini, de Rome, atteint de douleurs la tte et l'estomac, entreprit le plerinage L'Aquila en faisant vu d'une tte de cire; terrass en chemin par une douleur plus aigu, il promet alors une statue de toute sa personne41.

    En d'autres occasions, un tmoignage direct de l'affection disparue : bquilles, langes de mort-n ressuscit . . . est laiss. Plus rares, pratiqus par quelques citadins aiss, sont les dons en argent. Toutes ces offrandes, contre-dons plus ou moins magiques du bienfait du saint, sont promises surtout par des malades alits, des sourds-muets souvent guris longue distance des reliques, mais galement par des paralyss (elles s'ajoutent alors au plerinage).

    Lorsque le pril est pressant, c'est un engagement la conversion et la pnitence qui est exprim, sous forme de plerinage (promis par la moiti des moribonds), ou d'entre dans les ordres (ce vu n'est nonc que par 4,2% des moribonds, mais il est exceptionnel pour toutes les autres affections). Les parents de jeunes enfants sont prts s'astreindre des pratiques pnitentielles ou charitables : la mre d'un certain Jrme, de trois ans, bless au cours d'un jeu, promit de monter la garde auprs du tombeau du saint jusqu' sa canonisation, de jener continuellement pendant ce temps, et d'offrir des cierges. D'autres promettent de nourrir un pauvre une fois par semaine.

    Ces pratiques, attestes seulement en Italie, montrent une volution de l'attitude des fidles : l'accomplissement scrupuleux de rites destins se concilier les forces surnaturelles du saint, se substitue en partie une conception peccamineuse de la maladie; le saint est l'intercesseur qui transforme le Dieu vengeur en un Dieu qui pardonne; le receveur du bienfait divin doit s'en montrer digne et s'engager, par une conversion, dans la voie trace par saint Bernardin, selon une forme de ddition spirituelle.

    Les deux images du saint : modle de vie chrtienne, mais aussi rservoir de vertu magique qui mane de ses reliques coexistent dans toutes les couches de la socit. On voit aussi bien une femme anonyme, sans position sociale, grignoter un morceau du tissu couvrant le chsse du saint, pour calmer ses maux de gorge, qu'un seigneur de Sulmona, Nicolas de Galliardis, faire toucher son fils un morceau d'toffe ayant appartenu au saint42; Messire Lucas, cur de Saint- Just in Saltio cappam

    40 Mir. n 437, f 71v, rpt aux n 1927 et 2079. 41 Mir. n 1987, f 157v. 42 Mir. n 1948, f 154 et 58, f 33 r.

    MEFRM 1984, 1. 10

  • 146 PHILIPPE JANSEN

    cum manum tetigit, et ponila manu ad collum, statini extitit liberatus. L'abb Antoine de Bagno d'Aquila s'allonge comme tant d'autres boiteux sur la chsse; mais, soucieux tout de mme des sacrements d'glise, il se confesse ensuite43.

    En dfinitive, l'abandon des rites thaumaturgiques au profit d'une relation spirituelle, intriorise, avec le saint n'est manifeste que dans des milieux restreints, sans doute influencs par l'exemple de perfection chrtienne raffirm par le courant de l'Observance franciscaine.

    Cette dmarche est pratique par quelques aristocrates et membres du haut clerg : la duchesse de Sora, qui a en vain fait appel plusieurs mdecins pour sauver son fils atteint de frenesis, s'adresse Bernardin, genoux nus en terre en signe d'humilit, et promet d'aller en pnitence monter la garde des reliques pendant deux mois L'Aquila44. L'vque de Hildesheim, remis d'une fracture du bras, avait d'abord fait vu d'offrir un bras de cire de 12 talents la statue de saint Bernardin. Il se ravise et se contente d'un cierge allum lors de la fte du Corps du Christ; mais ensuite, dans une pratique plus fervente destine propager le culte, il fait composer un antiphonaire en l'honneur du saint et disposer 12 cierges la manire des rayons du trigramme I.H.S. diffus par le saint45.

    La dvotion au saint est encore plus ardente dans les groupes directement rattachs aux franciscains. L'exigence spirituelle s'y oppose explicitement aux pratiques entaches de superstition : lacs et surtout laques du Tiers-Ordre ne font pas offrande d'objets symboliques; s'ils accomplissent le plerinage au tombeau, c'est essentiellement pour sa valeur rdemptrice ; le jene pnitentiel est prfr. La pit des religieux franciscains est identique et elle s'exacerbe chez les clarisses, qui rpugnent au contact des reliques et ne s'y rsolvent que sur des instances pressantes46.

    Cette attitude influence, un degr moindre, d'autres milieux et contribue la rgression de rites traditionnels, tels l'incubation, qui a quasiment disparu. L'lvation des malades au-dessus du tombeau en drive,

    43 Mir. n 2207bis, f 175v et 543, f 81r. 44 Mir. n 23, f 24v, Nicolas, du lignage provenal des Cantelmo, venus en Ita

    lie avec Charles d'Anjou au XIIIe sicle, et largement possessionn dans les Abruz- zes, a t investi vers le milieu de XVe sicle, du duch de Sora par Alphonse d'Aragon, un des plus ardents soutiens de la canonisation de saint Bernardin.

    45 Voir ci-dessus, note 25. 46 Mir. n 126, f 43r-v : Piissimus Me pater a quo donum omne optimum obti-

    netur ipsius assistit menti pariterque suasit que si se tangi faceret aliquantulo illius vini cum quo medicorum iussu b. Bernardinus dum aduc in humants egit extitit bal- neatus a certo rediret ad salutem.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 147

    sans doute, mais trs peu de rcits y associent un phnomne de somnolence, suivi de gurison au rveil47.

    La diminution de l'influence du corps sacr s'explique par la multiplication des objets de diffusion du culte. Les reliques reprsentatives elles-mmes ne sont plus l'apanage des sanctuaires. Saint Bernardin, plus tard saint Jean de Capestrano, distribuent eux-mmes ces petits objets transportables, chargs de pouvoir sacr leur contact : ainsi une dame d'Arezzo possde une cordelette que saint Bernardin lui avait donne pour qu'elle en touche des enfants48. Ces reliques se passent de main en main; la famille dtentrice devient ainsi un relais de propagation des miracles. Une srie de rcits propos d'une autre cordelette Arezzo le prouve bien : le cordon fut apport par le frre Jean de Prouse un certain Donat, fils de Bertramonius de Brachiis. Il semble l'avoir en sa possession depuis quelque temps, lorsque Bertramonius est atteint de calculs urinaires. Le frre Jean de Prouse l'assiste, d'o ce dialogue : Ne t'es- tu pas confi au bienheureux Bernardin? Bertramonius rpondit: Si fait! Suffisamment. Et frre Jean lui dit : Pourquoi donc ne t'es-tu pas ceint avec le cordon que j'avais fait donner ton fils Donat? Il rpondit: Parce que je ne m'en souvenais plus. Et le frre Jean dit Donat : Va et apporte-le. Le cordon est pos sur Bertramonius et le gurit. Au miracle suivant, la sur de Donat, en mal d'enfant, est soulage par la relique pose par Bertramonius, qui semble l'avoir conserve par devers lui. On trouve plus loin un certain Pierre, fils de Robert, lainier d'Arezzo, priant Donat de venir toucher son fils fivreux avec le cordon49.

    L'image sculpte ou peinte du saint est un autre moyen de diffusion du culte, un double titre ; elle joue parfois le rle d'une relique reprsentative et dtient un pouvoir thaumaturgique : ainsi la petite Demusdea, dont la grand-mre a dmis le bras, est porte par sa mre l'glise Saint-Isaac de Spolte. Aprs avoir pri devant la statue de saint Bernardin, dictant puellam in brachio sic cum osse evulso ad figuram prelibati devotione magna adheserunt; et dictum brachium nudum ad pedes diete ymaginis posuerunt50. La vision de l'effigie du saint, peinte dans la propre maison du malade ou sur le mur d'une maison voisine et aperue au passage, dtermine souvent l'infirme faire appel Bernardin. Le rle

    47 Peut-tre le phnomne est-il dcrit par la formule suivante : ad b.B. corpus se conferrens, superque recumbens totum id. latus sensivisse sopitum dicebat; deinde descendebat, mirabiliter liberata evasit.

    48 Mir. n 2072, f 164r. 49 Mir. n 157-158, f 47 et n 2077, f 164v. 5 Mir. n 579, f 83-84.

  • 148 PHILIPPE JANSEN

    du modle iconographique est alors mis en avant; il inspire en outre les visions qui accompagnent 27 miracles, visions du saint identifi ou d'un religieux anonyme qui exhorte le patient invoquer saint Bernardin. Les descriptions, par leurs couleurs, la disposition des personnages, sont fidles aux reprsentations picturales du saint. Dans quelques rcits, ces images sont le support d'une vision mditative, sans intervention du merveilleux. C'est au total une assimilation des reprsentations proposes par l'encadrement ecclsiastique qui retient ici l'attention, et semble trs en retrait par rapport au climat d' invasion mystique qui caractrisait les modles de saintet au XIVe sicle51.

    La tendance des fidles intgrer le culte thaumaturgique dans une pratique chrtienne rgie par les prescriptions du clerg est manifeste aussi par une observance de plus en plus rpandue des sacrements; de nombreux malades se confessent et communient aprs leur gurison; l'importance du baptme pour les nouveaux-ns, raffirme par le Concile de Florence en 1439, suscite l'intervention de plus en plus frquente du saint pour le rpit : les parents prient ut meritis b. Bernardini dignare- tur (Dominus) puerum ita mortum suscitare saltern ut aqua baptismalis pro salute illius anime vaierei suscipere52.

    Si des chrtiens italiens du XVe sicle sont parfois plus soucieux de vivre selon les commandements ecclsiastiques que de vnrer les reliques dans leurs chsses53, c'est que dsormais se dveloppe l'ide de la valeur intrinsque des actes humains ; chaque individu peut concourir son salut, aussi bien spirituel que physique. Ainsi disparaissent les formes les plus contraignantes des vux de dpendance : l'assainteurement, cette ddition personnelle, totale, au service du saint, a disparu; nous n'avons relev que deux promesses de service, sous une forme trs attnue : la duchesse de Sora, dj cite, et Barthlmy Clementis de Carpineto, qui s'engage servir dans la chapelle du bienheureux et remplir les volonts du frre Jean de Capestrano 54. L'enfant guri n'est plus automatiquement vou comme oblat dans un ordre religieux. Une mre soumet le vu

    51 A. Vauchez, op. cit., p. 472-478. 52 Mir. n 25, f 25. 53 La transformation du vu d'un certain Baltasar, de Parme, nous semble

    symbolique de cette volution : il estime meilleur de renoncer au plerinage votif L'Aquila et de consacrer l'argent qu'il aurait dpens pour le voyage l'offrande d'une cappe aux franciscains. Mir. n 87, f 37r.

    54 Mir. n 116, f 41 : se adstrinxit per hoc sanitatem se serviturum obtulit et voto capette prefati beati viri obsequio prestiturum, iuxta mandata jr. Jo. de Capistra- no.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 1 49

    de faire entrer son fils dans les ordres l'acceptation future de celui-ci : et si annosus vellet ire ad ordinem S. Francisci omnium prestare! favorem filio hortando recte55. Plus frquemment, on fait porter symboliquement par l'enfant, pour une dure assez longue (un an en moyenne), la robe de bure franciscaine; le costume l'assimile aussi aux pnitents et mantellati du Tiers-Ordre. C'est la rgle de vie plus que le statut qui importe. Une charit attentive aux humbles (vux d'offrir un pain chaque semaine pendant toute la vie d'un ncessiteux; ou offrir un repas plusieurs pauvres le jour de la Saint Bernardin)56; un zle de pnitence souvent plus rigoureux que celui des religieux le jene confine parfois l'exploit asctique, par exemple dans le cas d'Agnelina Johanni Consi qui promet de faire maigre pendant une anne entire : les lacs se distinguent particulirement dans les tendances les plus neuves de la religiosit du temps, introduisant une relation spirituelle directe avec les saints57.

    Le culte spontan rendu saint Bernardin, tel qu'il apparat d'aprs l'observation du manuscrit 1763 des Nouv. Acq. Lot. de la Bibliothque nationale, semble singulirement plus proche des pnitents du XIIIe sicle que des mentalits comptables des marchands italiens contemporains. Les conclusions que nous proposons se diffrencient peu de celles d'tudes relatives aux sicles prcdents pour la nosographie et les tendances dominantes du culte. Nous avons insist sur les volutions qui nous semblaient les plus rvlatrices; elles sont encore minoritaires par rapport aux formes de culte des reliques. Il n'empche : les exigences religieuses plus fortes, une ferveur exprime plus intensment commencent rduire la part des pratiques rituelles presque magiques. Elles expriment surtout une adhsion des populations d'Italie, de toutes catgories sociales et dans lesquelles femmes et enfants tiennent une place plus importante, l'action d'un saint qui prchait la concorde et la rforme des murs, annonait la rgnration tant attendue de l'glise et du peuple chrtien au lendemain du Grand Schisme. Un saint qui n'tait plus seulement un membre de la cour cleste de l'glise triomphante, mais aussi un modle vivant pour l'glise militante.

    Universit de Bordeaux III Philippe Jansen

    55 N 2258, f 179v. 56 N 462, f 73r et 2258, f 179v. 57 Promesse du jene au rcit n 2040, f 162r.

  • 150 PHILIPPE JANSEN

    APPENDICES

    Tableau I

    TYPES DE MIRACLES D'APRS LE MANUSCRIT

    Type de miracle Nombre de miraculs '

    55 191

    1028 416

    9

    179 524 45

    Pourcentage du total

    2,20% 7,76%

    42% 17% 0,36%

    7,30% 21,49% 1,87%

    Rsurrections de morts Aveugles, borgnes, affections oculaires Boiteux et paralytiques Sourds, muets, sourds-muets Lpreux Maladies et accidents divers2

    - entranant pril de mort - sans pril de mort

    Recours divers

    TOTAL 2447 100%

    1 Les doublets sont dcompts, et les miracles inscrits hors rubrique pris en compte pour chaque catgorie.

    2 Informations regroupes des rubriques 2 et 7, plus miracles interpols dans les autres rubriques.

    Tableau II DTAIL DES MALADIES ET ACCIDENTS DIVERS1

    Types de miracle

    Affections neurologiques (pilepsie, maux de tte) Fivres et maladies infectieuses Tumeurs, plaies ouvertes2 Maladies digestives, vnriennes, hernies Affections mentales Maladies graves non caractrises Traumatismes accidentels, hmorragies

    Nombre de miraculs

    44 84 80 60 46

    176 93

    Pourcentage du total gnral

    1,86% 4,65% 3,26% 2,49% 1,87% 7,18% 3,75%

    1 La diffrence par rapport aux lignes 6 et 7 du Tableau I (3,47% du total) correspond des maladies bnignes (maux de dents, etc.) ou des maladies mal identifiables entranant des paralysies.

    2 Parmi elles, plus de 30 abcs qualifis de morbus pestiferis; mais la description de ces abcs peut correspondre bien d'autres maladies, syphilitiques en particulier.

  • LES MIRACLES DE SAINT BERNARDIN DE SIENNE 151

    Tableau III

    LA PRATIQUE DU CULTE

    A - VUX

    Plerinage L'Aquila dans une glise

    lvation sur autel

    Offrandes statues de cire cierges poids de cire diverses

    Vux doubles : plerinages avec offrandes Messes votives Pratiques pnitentielles et charitables .... Revtir bure franciscaine Entre dans les Ordres Personnes voues au saint

    (2 premires sries) Peindre image de saint Bernardin Non prcis

    TOTAL

    160 45 4

    131 53 18 44

    51 30 41 21 6

    11 12

    140

    20,9% 5,8% 0,5%

    17,0% 6,9% 2,3% 5,7%

    6,6% 3,9% 5,3% 2,7% 0,8%

    1,4% 1,6%

    18,2%

    26,3% 32%

    767 99,7%

    - GURISON PAR RELIQUES (en Italie)

    - Corps du saint dans son tombeau - Vtement, toffe appartenant au saint - Cappe ou capuchon - Cordon-ceinture - Reliques diverses (chapelets, morceaux de cer

    cueil, etc.) - Huile bnie, sang du saint, etc - Non prcises - lvation sur autel St-Bernardin - Guris en entrant dans la chapelle du tombeau

    TOTAL

    161 29

    1 34

    18 4

    17 10

    3

    285

    56,4% 13,3% 11,9%

    6,3% 1,4% 6,0% 3,5% 1,0%

    99,8%

    InformationsAutres contributions de Philippe JansenCet article cite :Pierre-Andr Sigal. Maladie, plerinage et gurison au XIIe sicle. Les miracles de saint Gibrien Reims, Annales. conomies, Socits, Civilisations, 1969, vol. 24, n 6, pp. 1522-1539.

    Pagination129130131132133134135136137138139140141142143144145146147148149150151

    PlanI - L'action de la puissance thaumaturgique du SaintII - Les rgles de l'action miraculeuse et les attitudes religieusesAppendices

    IllustrationsMiracles oprs en Italie par l'intervention de saint Bernardin de Sienne et de saint Jean de CapestranoMiracles oprs en Italie centrale par l'intervention de saint Bernardin de Sienne