Serious Games et SMA - Application à un supermarché...

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Serious Games et SMA - Application à un supermarché virtuel P. Mathieu philippe.mathieu@lifl.fr D. Panzoli david.panzoli@lifl.fr S. Picault sebastien.picault@lifl.fr Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille, UMR CNRS 8021 Université Lille 1, France Résumé La pertinence des systèmes multi-agents (SMA) a été démontrée à de nombreuses reprises dans la conception de simulations informatiques ou de jeux vidéo où un certain nombre d’entités au- tonomes évoluent dans un environnement com- plexe et dynamique. Les Serious Games (SG) re- présentent une discipline nouvelle, à la frontière de la simulation et du jeu. Nous pensons qu’une catégorie de SG, ayant pour vocation l’immer- sion de l’apprenant dans un environnement 3d, représente un banc de test particulièrement in- téressant pour les SMA car ils introduisent des problématiques nouvelles et stimulantes pour la communauté. Dans cet article, nous explorons les défis lancés à l’approche SMA par ces SG immersifs. Particulièrement, nous démontrons que l’approche multi-agents orientée interac- tions I ODA, dont l’aptitude à faciliter la concep- tion de simulations a déjà été établie, permet de répondre efficacement à ces nouvelles problé- matiques. Nous illustrons notre argumentaire en nous basant sur un projet de SG développé dans notre équipe. Mots-clés : Serious Game, Système Multi- Agents, Adaptativité, Interactions Abstract In this paper, we claim that immersive 3d Se- rious Games (SG) represent an interesting test- bed for multi-agent systems to prove their abi- lity to model compelling and user-enticing si- mulations. We explore the different challenges arising from the use of an interaction-oriented methodology such as I ODA for modelling a rea- listic population of autonomous virtual charac- ters able to behave and interact with the lear- ner in an adaptive fashion. Our argumentation is illustrated with many examples from our own experience in the development of a SG applica- tion. Keywords: Serious Game, Multi-Agent System, Adaptivity, Interactions 1 Introduction Les simulations multi-agents (MA) s’appliquent avec succès à de nombreux domaines, mais sur- tout sont capables de répondre à des objec- tifs variés : la compréhension des mécanismes sous-jacents à des phénomènes naturels (de la biologie [6], des écosystèmes [4]) ou humains (l’animation de mondes artificiels [3], la si- mulation de comportements sociaux [7] ou la finance [1]) ; la prédiction de comportements (gestion de catastrophes [16], simulateurs de conduite Scanner [13] et ArchiSim[8]) ; ou en- core, à vocation ludique ou artistique (anima- tion, jeux vidéos). 1 Issus du Kriegspiel, les Serious Games (SG) ont connu un essor très net ces dernières années, et s’inscrivent à la confluence de plusieurs objec- tifs : ludique bien sûr, mais aussi éducatif ou in- formatif, en assurant en général une forme d’en- traînement dans un contexte réaliste. Or, bien que ces fonctions recoupent assez lar- gement les emplois de la simulation MA, cette dernière reste peu ou pas employée pour la réa- lisation de SG. Notre propos ici est d’abord de montrer en quoi un certain type de SG peut constituer un banc d’essai privilégié pour la mise à l’épreuve des techniques de simulation. Nous souhaitons également montrer des pistes concrètes pour s’attaquer à leur réalisation, no- tamment à travers une approche orientée inter- actions qui est particulièrement adaptée. Nous illustrerons notre propos à travers des exemples tirés d’un SG réalisé dans l’équipe SMAC, le projet F ORMAT-S TORE. 2 État de l’art Un serious game (SG) est un jeu destiné à la formation d’un public d’apprenants (également 1. http ://www.massivesoftware.com/

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Serious Games et SMA - Application à unsupermarché virtuel

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Laboratoire d’Informatique Fondamentale de Lille, UMR CNRS 8021Université Lille 1, France

RésuméLa pertinence des systèmes multi-agents (SMA)a été démontrée à de nombreuses reprises dansla conception de simulations informatiques oude jeux vidéo où un certain nombre d’entités au-tonomes évoluent dans un environnement com-plexe et dynamique. Les Serious Games (SG) re-présentent une discipline nouvelle, à la frontièrede la simulation et du jeu. Nous pensons qu’unecatégorie de SG, ayant pour vocation l’immer-sion de l’apprenant dans un environnement 3d,représente un banc de test particulièrement in-téressant pour les SMA car ils introduisent desproblématiques nouvelles et stimulantes pour lacommunauté. Dans cet article, nous exploronsles défis lancés à l’approche SMA par ces SGimmersifs. Particulièrement, nous démontronsque l’approche multi-agents orientée interac-tions IODA, dont l’aptitude à faciliter la concep-tion de simulations a déjà été établie, permet derépondre efficacement à ces nouvelles problé-matiques. Nous illustrons notre argumentaire ennous basant sur un projet de SG développé dansnotre équipe.Mots-clés : Serious Game, Système Multi-Agents, Adaptativité, Interactions

AbstractIn this paper, we claim that immersive 3d Se-rious Games (SG) represent an interesting test-bed for multi-agent systems to prove their abi-lity to model compelling and user-enticing si-mulations. We explore the different challengesarising from the use of an interaction-orientedmethodology such as IODA for modelling a rea-listic population of autonomous virtual charac-ters able to behave and interact with the lear-ner in an adaptive fashion. Our argumentationis illustrated with many examples from our ownexperience in the development of a SG applica-tion.Keywords: Serious Game, Multi-Agent System,Adaptivity, Interactions

1 Introduction

Les simulations multi-agents (MA) s’appliquentavec succès à de nombreux domaines, mais sur-tout sont capables de répondre à des objec-tifs variés : la compréhension des mécanismessous-jacents à des phénomènes naturels (de labiologie [6], des écosystèmes [4]) ou humains(l’animation de mondes artificiels [3], la si-mulation de comportements sociaux [7] ou lafinance [1]) ; la prédiction de comportements(gestion de catastrophes [16], simulateurs deconduite Scanner [13] et ArchiSim[8]) ; ou en-core, à vocation ludique ou artistique (anima-tion, jeux vidéos). 1

Issus du Kriegspiel, les Serious Games (SG) ontconnu un essor très net ces dernières années, ets’inscrivent à la confluence de plusieurs objec-tifs : ludique bien sûr, mais aussi éducatif ou in-formatif, en assurant en général une forme d’en-traînement dans un contexte réaliste.

Or, bien que ces fonctions recoupent assez lar-gement les emplois de la simulation MA, cettedernière reste peu ou pas employée pour la réa-lisation de SG. Notre propos ici est d’abord demontrer en quoi un certain type de SG peutconstituer un banc d’essai privilégié pour lamise à l’épreuve des techniques de simulation.Nous souhaitons également montrer des pistesconcrètes pour s’attaquer à leur réalisation, no-tamment à travers une approche orientée inter-actions qui est particulièrement adaptée. Nousillustrerons notre propos à travers des exemplestirés d’un SG réalisé dans l’équipe SMAC, leprojet FORMAT-STORE.

2 État de l’art

Un serious game (SG) est un jeu destiné à laformation d’un public d’apprenants (également

1. http ://www.massivesoftware.com/

considérés comme joueurs 2) à un métier ouleur sensibilisation à un thème particulier (pa-trimoine culturel, écologie, sécurité, etc). Le SGa pour ambition d’incorporer dans une simu-lation certains aspects propres au jeu, dans lebut de favoriser l’engagement de l’apprenant,et ainsi renforcer l’impact du SG. Nous nousintéressons à la catégorie des SG immersifs,dans lequel l’immersion du joueur est considé-rée comme la condition primordiale à cet enga-gement. Comme illustré en gras dans la figure 1,l’immersion est assurée d’une part par le réa-lisme visuel du jeu et d’autre part par la scé-narisation des interactions entre le joueur et lespersonnages non-joueurs (PNJ).

Dans certains SG immersifs [2, 15], l’accent estplacé sur le réalisme visuel. L’apprenant se dé-place librement dans un environnement 3d peu-plé de personnages virtuels autonomes se com-portant de manière réaliste et cohérente. Dufait de la difficulté de scénariser les interac-tions dans ce contexte de liberté, les PNJ secontentent d’offrir des informations factuelles,comme des indications ou des objectifs dequête.

D’autres SG font primer la scénarisation sur leréalisme visuel. La liberté de l’apprenant et lacomplexité du comportement des PNJ sont ainsiréduites au profit de dialogues scriptés dans unenvironnement contrôlé. Le projet Banque Can-tonale Vaudoise, développé par Daesign 3 pourla banque éponyme, place l’apprenant dans unesituation de dialogue interactif pour le formerau placement de produits financiers pour desclients revêtant divers profils. The Sales Gamede PIXELearning 4 offre une scénarisation plusriche où l’apprenant apprend à construire sonréseau professionnel ou enrichir sa base declients. Knowledge Drive, développé par Cas-pian Learning 5 pour Volvo Car UK, entraîne levendeur à construire un argumentaire de vente àpartir d’une discussion avec un client. Bien quel’apprenant soit laissé libre de se déplacer dansune restitution d’un showroom accompagnédu client, le comportement de ce dernier estextrêmement simpliste.

Idéalement, intégrer une simulation multi-agents des PNJ devrait permettre d’éviter detransiger entre réalisme et scénarisation. Dans la

2. Nous employons les termes “joueur” et “apprenant” comme sy-nonymes dans le reste de cet article.

3. http ://www.daesign.com4. http ://www.pixelearning.com/services-the_sales_game.htm5. http ://www.caspianlearning.co.uk/

pratique cependant, c’est peu souvent le cas carun SG est développé par un studio de jeux vidéopour des experts qui fournissent le contenu pé-dagogique, et aucun de ces deux acteurs ne pos-sède les compétences pour appréhender l’aspectmulti-agents, voire l’aspect agent. Réciproque-ment, nous allons voir que les problématiquesde jeu et de pédagogie induisent des contraintesimportantes sur la façon de concevoir et de réa-liser la partie simulation et contribuent à fairedes SG un banc d’essai novateur pour la mise àl’épreuve des méthodologies et des techniquesde simulation MA.

3 Spécificités des SG du point devue SMA

Fondamentalement, la conception d’une simula-tion MA nécessite la définition d’un modèle dé-crivant les connaissances et les hypothèses de-vant être incorporées dans la simulation, puisla spécification des comportements locaux etdes propriétés des agents de la simulation per-mettant de les représenter efficacement. Pourrendre possible l’utilisation de la simulation MAdans un contexte de SG, un certain nombre decontraintes liées aux aspects jeu et pédagogiedoivent être prises en compte. La figure 1 re-cense l’ensemble de ces problématiques, en pla-çant l’accent sur leur interdépendance.

Un SG est avant tout un jeu, ce qui se traduitpar la nécessité d’intégrer l’apprenant en tantqu’acteur, ainsi que la volonté de lui proposerun environnement immersif. Dans la conceptionde la simulation MA, ces deux contraintes s’ex-priment à travers trois problématiques :1. La simulation doit être participative en pre-

nant en compte l’élément humain dans lagestion des agents. L’humain interagit avecles agents, au même titre qu’ils interagissententre eux, mais pas nécessairement selonles mêmes modalités et la même tempo-ralité. En outre, ses interventions sont im-prévisibles. Réciproquement, il est souventnécessaire de pouvoir lancer le jeu sansjoueur humain (pour éditer des documentsà usage pédagogique ou vérifier la validitédu comportement des PNJ) ou au contraireavec plusieurs humains (compétition ou tra-vail collaboratif). Cela ne doit pas nécessi-ter de changement majeur et le joueur hu-main doit donc être appréhendé comme in-terchangeable avec un agent autonome.

2. Le comportement des agents doit être réa-liste et cohérent pour favoriser l’immersion

Jeu Pédagogie

Simulation

SG

intégration de l'humain

simulationparticipative

expertise

évaluationflexible

comportements

scénarisation

interactivitérévisabilité

modularité

intelligibilitéadaptativité

réalisme

immersion

modèle

contenus pédagogiques

1

2

3

4

5

6

7

8

FIGURE 1 – Interdépendance des problèmes soulevéspar un serious game immersif. Les trois composantesd’un tel SG (pédagogie, jeu, réalisme) prises séparémentengendrent leurs propres problématiques, mais la résolu-tion de ces dernières est considérablement compliquée parle nécessaire équilibre qui doit être établi entre ces troisobjectifs. Ainsi par exemple, l’immersion du joueur passepar un soucis de réalisme, qui fait appel à une modélisa-tion appropriée du comportement des PNJ (problème desimulation), mais aussi par la mise en scène des contenuspédagogiques à travers des agents, des comportements etun environnement spécifiques.

du joueur dans le jeu, c’est à dire le degréavec lequel le joueur adhère à la simulation.

3. Le comportement des agents doit être adap-tatif car l’environnement est extrêmementdynamique, du fait de leurs actions res-pectives mais également de la présence dujoueur et de son imprévisibilité.

Les aspects pédagogiques sont caractérisés pardeux enjeux. Les experts doivent pouvoir expri-mer des recommandations quant aux caractéris-tiques des PNJ (profils) ou leur comportement(plans, capacités d’interactions). Parallèlement,ils définissent des objets pédagogiques (des in-formations, des dialogues) qui doivent pouvoirêtre intégrés dans ces comportements. Ces en-jeux se traduisent par les problématiques sui-vantes :

4. L’architecture comportementale des agentsdoit être modulaire pour regrouper et arbi-trer au sein d’un système unique des capaci-tés de complexités différentes : se déplacer,interagir, raisonner, communiquer, etc.

5. Les comportements doivent être suffisam-ment intelligibles pour que l’expert puisse

s’assurer de la bonne intégration de ses re-commandations, voire y participer.

6. L’évaluation de la simulation ne pouvantse faire que de manière expérimentale (parl’observation macroscopique de la simu-lation) et incrémentale (par modificationssuccessives), il est nécessaire que le mo-dèle de la simulation soit aisément révi-sable, idéalement par le biais d’un proces-sus de conception interactif.

Enfin, deux dernières problématiques sont is-sues de la combinaison des aspects liés à la pé-dagogie et au jeu.7. Dans un SG, l’apprenant est évalué durant

la session de jeu, quelle que soit la ma-nière dont le résultat lui est communiqué(par un score en cours de session, par un bi-lan en fin de session ou de manière hybride).Dans le but d’accommoder la grande diver-sité des situations possibles, cette évalua-tion doit donc revêtir un caractère flexibleen étant proposée à des temps différents, etsous des formes différentes.

8. Dans une volonté d’immersion de l’ap-prenant, la présentation des contenuspédagogiques doit être scénarisée. Bien queles approches centrées agents facilitent leurcontextualisation, en permettant aux agentsd’incarner des situations pédagogiques,leur scénarisation (au sens strict, par utili-sation d’un script) est rendue délicate parl’autonomie des agents dans un SMA.

Individuellement, la prise en compte de chaqueproblématique introduite par le SG ne présentepas d’écueil particulier, comme le résume le ta-bleau 1. Mais c’est bien la conjonction dansune même application de toutes ces probléma-tiques qui rend l’exercice difficile. En ce sens,le SG représente un banc d’essai stimulant pourla mise à l’épreuve des techniques et des outilsde la communauté simulation MA. Pour notrepart, nous pensons qu’une méthodologie orien-tée interactions telle que IODA, dont nous rappe-lons les principes dans la section suivante, offreune bonne réponse aux défis issus du SG : nousallons l’illustrer en expliquant comment un SGconcret (le projet FORMAT-STORE) est réaliséau moyen de IODA (cf. section 5).

4 IODA : Une méthodologie deconception orientée interactions

IODA est née en 2001 [14] de la volonté de pro-poser une méthodologie multi-agents à la fois

# Problématiqueserious game

Illustration SMA (méthodes etexemples)

1 Simulationparticipative

Immersion d’un humain [8]ou situations à problèmes pré-sentées à un groupe [16]

2 RéalismeSimulations explicatives [1, 4, 6]Simulations immersives [8]Comportements diversifiés [13]

3 Adaptativité Environnements dynamiques[5, 16]

4 Comportementsmodulaires

Bibliothèque d’interactions in-dépendante des agents [12]

5 Comportementsintelligibles

Règles (interactions [12] ounormes [13])

6 Modèlerévisable

Homogénéité des enti-tés/comportements [11]Conception incrémentale [7]

7 Évaluation del’apprenant

Observations des réactions departicipants humain [8, 16]

8 Scénarisation Mise en scène de problèmes [16]

TABLE 1 – Tableau résumant les problématiques intro-duites par un SG immersif, et quelques exemples de tech-niques ou d’applications SMA qui répondent à quelques-unes de ces problématiques isolément.

simple à utiliser pour le concepteur et puissanteen terme de complexité des simulations réali-sables.

IODA [10, 12] est une méthodologie de concep-tion orientée interactions (les méthodologies detype IOP [18] se concentrent prioritairementsur les interactions entre les agents, à l’in-verse des méthodologies type AOP [17] quis’intéressent au comportement intrinsèque del’agent) dont l’originalité est d’accorder unetangibilité logicielle aux interactions et de pro-poser une conception unifiée de la simulationMA. IODA est fondée sur un argument pro-venant d’observations expérimentales. Le pro-cessus de conception d’une simulation requiertla formulation d’hypothèses, indépendammentdu phénomène simulé. Dans un contexte multi-agents, lorsque le phénomène considéré est lerésultat évident des interactions d’une multituded’agents, la description de ces dernières consti-tue l’unique hypothèse objective pouvant êtreformulée. L’ensemble des processus internesmis en œuvre par les agents ne peut qu’être de-viné. Dans le but d’éviter l’introduction d’unbiais trop tôt dans le processus de conception,une approche prudente consiste à établir lesbases du modèle sur des caractéristiques obser-vables, idéalement formulées par les experts dudomaine, puis à enrichir le modèle avec la pré-occupation constante de retarder le plus possiblel’introduction de nouvelles hypothèses. IODA

suit ce principe en proposant un certain nombrede recommandations.

4.1 Tout est agent

Le point de départ dans la conception d’une si-mulation MA consiste à identifier les agents par-ticipant à la simulation. Un agent dans un SMAest caractérisé par un degré minimal d’autono-mie, se traduisant par la capacité à déclencherune action ou une interaction de manière auto-nome. Généralement, les personnages “vivants”dans une simulation sont considérés comme desagents alors que les objets “inanimés” apparte-nant à l’environnement (arbres, meubles, etc.)ne le sont pas.

La première recommendation de IODA consisteà considérer toute entité participant à la simula-tion comme un agent [11]. La première étape dela conception consiste donc à lister les famillesd’agents, de manière à ce que chaque agent ap-partienne strictement à une famille, et que tousles agents soient représentés.

4.2 L’interaction réifiée

De la même manière que chaque entité dans lasimulation est représentée par un agent, chaquecomportement peut être décrit dans IODA parune interaction.

Contrairement à d’autres approches SMA, oùl’interaction est exprimée implicitement dansle comportement des agents, chaque interac-tion dans IODA est une composante logicielletangible qui occupe une place centrale dans laconception. Une interaction est une règle impli-quant deux agents : l’agent source exécute l’in-teraction alors que l’agent cible la subit. L’in-teraction est composée de deux parties : précon-dition et action, chacune reposant sur des pri-mitives de perception et d’action et étant doncindépendante de l’implémentation concrète desagents (on parle de réification des interactions).

En conséquence, IODA exhibe deux carac-téristiques uniques. D’abord, les interactionspeuvent être représentées indépendamment desagents, sous forme de librairies d’interactionspar exemple. Les interactions sont réutilisablesd’une famille d’agents à une autre, et d’une si-mulation à une autre. Elles sont allouées auxagents de manière transparente et intuitive (cf.la section 4.3 consacrée à la matrice des inter-actions). L’autre avantage de la réification des

interactions consiste en l’utilisation d’un pro-cessus générique et d’une boucle unique pourle traitement des agents, et ce indépendammentde leur nature (cf. la section 4.4 consacrée à lasélection de l’action).

4.3 Matrice des interactions

Une fois les familles d’agents identifiées,l’étape suivante dans la méthodologie IODAconsiste en la description de leurs interactions.Ceci implique également leur allocation dansune matrice des interactions.

Le tableau 2 présente un exemple de ma-trice des interactions. Les familles d’agentssont listées en abscisse et en ordonnée. Lesinteractions sont ensuite affectées de ma-nière à identifier visuellement les famillesd’agents source et cible. Une interaction se litnomInteraction(dist, prt). Lorsquel’agent cible de l’interaction est l’agent sourcelui-même, l’interaction est appelée dégénérée etse lit nomInteraction(prt). Une interac-tion possède les caractéristiques suivantes :– La distance dist définit la distance mini-

male entre l’agent source et l’agent cible pourque l’interaction puisse être considérée. Lesagents étant situés dans l’environnement, ladistance est donnée par une métrique préala-blement choisie.

– La priorité prt est utilisée pour trier les dif-férentes interactions réalisables, lorsque, pourun agent donné, il en existe plusieurs en com-pétition à un instant donné.

IODA permet également, à travers une secondematrice appelée la matrice de mise à jour, laprise en compte des changements d’états quine relèvent pas d’une interaction particulière(vieillissement d’un agent, usure, etc).

La matrice des interactions présente l’avan-tage d’être lue très naturellement par un non-informaticien. Malgré son apparente simplicité,elle décrit le comportement de chaque agentde manière exhaustive. En outre, exploitée parle mécanisme de sélection de l’action présentédans la section suivante, elle est fonctionnelle-ment équivalente à tout type de représentationdu comportement.

4.4 Sélection de l’action

L’expression de la matrice des interactions en uncomportement pour chaque agent est opérée parun mécanisme de sélection de l’action.

Traditionnellement, la sélection de l’ac-tion consiste en une boucle interneperception→décision→action, opérée parl’agent lui-même selon le principe de l’auto-nomie comportementale. Évaluer la perceptiond’un agent consiste à recenser les agents dansson voisinage local. Les agents étant situés dansun environnement, le voisinage est donné parune métrique prédéfinie dans l’environnement.Des métriques possibles peuvent être la distancedans un espace euclidien ou les accointancesdans un espace social. Le processus de décisionpermet, à partir de la perception, de déciderd’une action appropriée. Celui-ci est plus oumoins complexe selon la nature de l’agent. Unagent réactif prend une décision relativementtriviale alors qu’un agent cognitif manipuledes buts internes et planifie de manière proac-tive des plans menant à ces buts. L’actionsélectionnée est ensuite exécutée.

Dans le cas de IODA, l’approche orientée inter-actions simplifie grandement ce processus. Àchaque pas de temps, ce dernier étant discrétisédans IODA, l’agent considère l’ensemble desinteractions possibles à partir de la matricedes interactions et des agents dans son voisi-nage. Chaque interaction est ensuite qualifiéede réalisable si la distance entre lui-mêmeet l’agent cible est inférieure à la garde dedistance de l’interaction et si les préconditionssont vérifiées. S’il existe plusieurs interactionsréalisables à l’issue de ce processus, l’agentexécute celle de priorité la plus haute. De fait,les agents dans la méthodologie IODA sont tousconsidérés comme réactifs.

En optant pour une méthodologie orientée inter-actions et en se libérant de l’hétérogénéité desprocessus de sélection de l’action des agents,IODA propose un mécanisme de gestion ducomportement extrêmement simple. Toutefois,celui-ci permet d’obtenir des comportementsextrêmement complexes, comme illustré dans lasection 5.3

5 Mise en œuvre d’un SG à traversl’approche orientée interactions

Dans cette section, nous examinons l’applica-tion de la méthodologie IODA à la réalisationd’un projet de SG, mené en collaboration avecdeux partenaires : Idées-3Com, un studio de dé-veloppement de jeux vidéo, et l’école de com-merce ENACO. Nous détaillons de quelle ma-

nière IODA répond aux problématiques définiesdans la section 2 et particulièrement commentsont simulés les comportements réalistes et co-hérents d’agents humanoïdes.

Le projet FORMAT-STORE est destiné à laformation d’étudiants en école de commerce.Il intervient en complément d’une formationtraditionnelle regroupant sur une plate-formepédagogique un ensemble de situations-problèmes rédigées par des professionnels dela vente, et relatives à la gestion de la rela-tion clientèle, des stocks ou du magasin. Cessituations-problèmes se présentent en pratiquesous la forme de dialogues interactifs entre unvendeur (l’apprenant) et un client, où chaqueréplique du vendeur donne lieu à un score et uncompte-rendu.

FORMAT-STORE a pour ambition de proposerune mise en contexte des situations-problèmes,permettant à l’apprenant d’appliquer dans unmagasin virtuel les connaissances acquises demanière traditionnelle sur la plate-forme, etd’expérimenter diverses façons de traiter un cas.En outre, il permet en parallèle l’apprentissagede compétences liées à la gestion du tempsou la priorisation des tâches. L’utilisation d’unSMA est motivée par la volonté de proposer àl’apprenant une expérience immersive dans la-quelle des clients virtuels aux profils différentssimulent l’activité et les problèmes de clientsréels. Par le biais de son avatar, l’apprenant as-sume le rôle d’un vendeur dans le magasin (voirfigure 2).

FIGURE 2 – Dans FORMAT-STORE, l’apprenant évoluedans un magasin à travers un avatar personnalisable qu’ilcontrôle avec les flèches de son clavier. Par le biais de sonavatar, il peut aussi interagir avec les clients et les articlesen utilisant la souris.

Dès son entrée dans le magasin, chaque clientse voit attribuer une liste d’articles à acheter.

De manière autonome, il se déplace dans le ma-gasin à la recherche de ces articles (cf. sec-tion 5.3), qu’il place ensuite dans son panier.Une ou plusieurs situations-problèmes peuventégalement être affectées à un client (cf. sec-tion 5.2), ce qui se traduit par la nécessité detrouver le vendeur puis d’engager un dialogue.En situation conversationnelle, comme l’illustrela figure 3, l’apprenant doit sélectionner les ré-ponses correctes aux questions des clients vir-tuels. À la fin du dialogue, et indépendammentdes réponses du joueur, le client retourne à sonactivité. D’autres situations-problèmes peuventainsi être cumulées durant l’activité du client,ayant pour cause des perturbations introduitesvolontairement (une allée peut être encombrée)ou non (un article peut se trouver en rupture,leur quantité étant limitée).

FIGURE 3 – Les dialogues des situations-problèmessont mis en scène lors d’interactions conversationnelles,par le biais d’une interface spécifique.

5.1 Intégration de l’expert dans la concep-tion

Dans la section 4, nous avons relevé l’impor-tance d’intégrer les experts dans le processus deconception de la simulation. La méthodologieIODA, à travers différents aspects, répond par-faitement à cette problématique.

Comme préconisé dans la section 4.1, toutes lesentités participant à la simulation sont repré-sentées par une famille d’agents. On retrouvedonc le Vendeur, les Clients, mais aussiles Articles, les Panneaux qui servent àl’orientation des clients et la Porte par la-quelle les agents entrent et sortent (voir ta-bleau 2 pour la liste complète des agents). Pourl’expert, participer à la première étape de mo-délisation consiste donc simplement à recenser

toutes les entités jouant un rôle dans la simula-tion, que ce dernier soit actif ou passif.

De la même manière, la formulation du com-portement des agents sous forme d’interactionsest très naturelle pour l’expert, et son place-ment dans la matrice (cf. section 4.3) très in-tuitif. Prenons l’exemple d’une requête de l’ex-pert concernant l’orientation des clients : « Lesclients localisent la position des articles qui lesintéressent en lisant les panneaux d’informa-tions situés dans le magasin, et se rendent en-suite vers le plus proche ». La traduction decette requête en interaction est quasi triviale :Une première interaction Informer est po-sitionnée dans la matrice à l’intersection duPanneau (source) et du Client (cible). Unedeuxième interaction dégénérée Aller versest placée dans la cellule adéquate de la lignedu Client. Pour chaque interaction, les condi-tions d’exécution sont uniquement déterminéespar les préconditions et la distance. Par exemple,un Client sera informé par tout panneau àune distance inférieure ou égale à 10, à lacondition que l’article désigné par le panneausoit sur sa liste de courses. Il sera capabled’Aller vers tout article à la condition qu’ilen connaisse la position.

L’intégralité du comportement de chaque agentest ainsi représenté de manière extrêmement in-telligible (5). Pour chaque agent, sa ligne dansla matrice regroupe les interactions qu’il peutexécuter (respectivement sa colonne celles qu’ilpeut subir). Par exemple, un Client peut (parordre de priorité décroissante) Repérer unvendeur, Sortir du magasin, Sortir de lafile d’attente, Payer à la caisse, Se placeret Entrer dans la file d’attente, Prendre unarticle, Aller vers une position donnée dansle magasin ou Errer. Le Client est informépar un Panneau, un Article, la Caisse oula Porte par la même interaction, compte tenudu caractère polymorphe des interactions, lié àleur réification.

La matrice des interactions constitue l’uniquemodèle des comportements de la simulation,et il est très simplement révisable (6) grâce àdeux modules additionnels de IODA : JEDI etJEDI-Builder. JEDI est une API Java qui as-sure une implémentation rigoureuse d’un mo-dèle conceptuel IODA. JEDI-Builder est un ap-plet Java qui assure deux rôles : fournir uneinterface intuitive permettant la création ou lamodification d’un modèle IODA directement àla souris, et traduire rapidement et automati-quement un modèle IODA en application JEDI.

Grâce à ces outils, les paramètres de chaque in-teraction, à savoir les familles d’agents source etcible, les préconditions, la distance et la priorité,peuvent être positionnés ou modifiés très facile-ment par action sur la matrice, traduits automa-tiquement, et testés immédiatement.

Bien que la conception et la révision d’un mo-dèle IODA ne requière pas de compétences spé-cifiques en programmation informatique, l’im-plémentation des parties condition et action dechaque interaction nécessite tout de même l’in-tervention d’un informaticien, lorsque celles-ci ne font pas déjà partie d’une libraire exis-tante (ce qui est souvent le cas puisque JEDI in-clue nativement un ensemble d’interactions gé-nériques).

5.2 Intégration des contenus pédagogiques

L’implémentation d’une interaction peutprendre plusieurs formes, de la plus triviale àla plus complexe. Par exemple, dans FORMAT-STORE, le joueur (dans le rôle d’un Vendeur)peut réapprovisionner un produit ou dialo-guer avec un Client. Alors que l’interactionRéapprovisionner consiste simplementà augmenter la quantité de l’article cible,l’interaction Dialoguer implique une suitecomplexe d’opérations comprenant l’utilisationd’une interface spécifique, la capture des ré-pliques sélectionnées par le joueur, l’attributiond’un score et l’affichage d’une notification.De fait, la modularité des comportements (4)est assurée par la possibilité de définir desinteractions de complexité différente.

De la même manière, la problématique dela scénarisation (8), consistant à intégrer lescontenus pédagogiques dans le comportementdes PNJ, est rendue accessible par la méthodolo-gie centrée interactions. Dans FORMAT-STORE,les situations-problèmes qui constituent le cœurde la pédagogie, se présentent sous la forme dedialogues contextualisés entre l’apprenant et unclient hypothétique. Nous présentons une implé-mentation volontairement simple, n’ayant pasvocation à doter les PNJ de propriétés propresaux ACA, dans laquelle chaque dialogue est re-présenté par une interaction entre un Client etle Vendeur, et son contexte par les précondi-tions de l’interaction (par exemple : un Clientne peut pas accéder à une allée, un Client nepeut pas prendre un Article), ainsi éventuel-lement qu’une autre interaction (par exemple,l’Article Génère une tache qui obs-true l’allée, l’Article Périme).

!!!!!!!!!!SourceCible ! Vendeur Client Porte A!chage Caisse FileAttente Article Tache Carton

VendeurDialoguer(1,0) Oter(5,0) Nettoyer(3,0) Ranger(3,0)

Reapprovisionner(5,0)

Client

Errer(0) Reperer(10,9) Sortir(1,8) Payer(5,6) Entrer(2,4) Prendre(5,2)

AllerVers(1) Patienter(2,3) SePlacer(1,5)

Sortir(1,7)

Porte GenererClient(1) Informer(10,0)

A!chage Informer(10,0)

CaisseInformer(10,0)

Encaisser(2,1)

FileAttente

Article

Perimer(3) Informer(10,0)

GenererTache(4) Contrarier(1,1)

GenererCarton(4) AvertirRupture(1,2)

Tache Contrarier(1,0)

Carton Contrarier(1,0)

Une interaction degeneree se lit nomInteraction(priorite). Une interaction simple se lit (+)nomInteraction(distance, priorite). Le ’+’ devant une interaction simple caracterise une interaction non bloquante, qui ne desactive pas la source. En pratique, celasignifie que la source peut lancer une nouvelle interaction par la suite.

Source/Target ! Employee Customer Door Sign Checkout Queue Item Stain Crate

EmployeeConverse(1,0) Remove(5,0) Clean(3,0) PutAway(3,0)

Supply(5,0)

Customer

Wander(0) Locate(10,") Exit(1,12) Pay(5,10) StepIn(2,7) Take(5,2)

GoTo(1) Wait(2,3) MoveOn(1,8)

WalkOut(1,11)

Door SpawnCustomer(1) Acknowledge(10,")

Sign Acknowledge(10,")

CheckoutAcknowledge(10,")

CheckOut(2,0)

Queue

Item

Expire(1) Acknowledge(10,")

MakeStain(1) Upset(1,")

SpawnCrate(1) Ack OutOfStock(1,0)

Stain Upset(1,")

Crate Upset(1,")

1

TABLE 2 – La matrice des interactions détaille les interactions possibles entre familles d’agents. Chaque interactionest positionnée dans une cellule dont la ligne représente la famille source et la colonne la famille cible (les interactionsdégénérées sont placées dans la colonne ∅). Chaque interaction est associée à une priorité (du point de vue de la source)ainsi qu’à une garde de distance (sauf interactions dégénérées).

Bien que les interactions complexes comme lesdialogues semblent au premier abord les plusimportantes pour assurer le réalisme du compor-tement, l’intérêt même d’une simulation MA re-pose sur la multiplicité des interactions simples,comme expliqué dans la section suivante.

5.3 Comportements réalistes

Au même titre que la scénarisation, le réalismedu comportement des agents autonomes consti-tue le deuxième aspect de l’immersion de l’ap-prenant dans le serious game.

La vision orientée interactions proposée parIODA offre une implémentation originale duconcept d’affordance. Dans [9], Gibson établitque les possibilités d’interaction (les fonctions)d’un objet dans l’environnement sont princi-palement suggérées par l’objet lui-même (saforme, sa position, etc). Dans les simulationsde l’animation comportementale ou les jeux vi-déo où un personnage virtuel doit interagir avecles objets de son environnement, une interpréta-tion de cette théorie est traditionnellement em-ployée. Elle consiste à attacher à chaque objetd’une part les algorithmes de l’interaction (decette manière l’objet lui-même décrit au PNJcomment il devrait être manipulé, dans quellescirconstances, et quel est le résultat de la mani-pulation) ainsi que les animations. Par exemple,un PNJ voulant ouvrir une porte est informé parla porte elle-même de la position à laquelle ildoit se tenir, de l’animation qu’il doit jouer etde l’état final de la porte. Ce mécanisme per-met avant tout d’éviter tout défaut dans l’anima-

tion en ajustant avec précaution les positions desentités en interaction et en synchronisant leursanimations respectives. Plus important, il per-met de libérer le PNJ de ces connaissances pourse concentrer sur ses objectifs internes et la re-cherche dans l’environnement d’objets lui per-mettant de les satisfaire. Traditionnellement ce-pendant, le PNJ reste à l’origine de l’interaction,et toute interaction exécutée est nécessairementle résultat d’un processus de décision souventcomplexe et chronophage exécuté par un méca-nisme de sélection de l’action cognitif.

L’idée que les capacités cognitives de l’agentpuissent également être distribuées au seindes possibilités d’interaction offertes à l’agentconstitue un postulat de l’approche SMA, etplus particulièrement de l’approche IODA quiconsidère qu’un comportement intelligent peutêtre exprimé par un agent réactif. Cette ar-gument est proche de l’idée développée parBrooks dans [5], postulant que l’intelligencen’est pas le résultat d’une planification ou d’unraisonnement (à l’instar d’un agent mettant enœuvre un script ou un système expert) mais aucontraire que l’apparence de processus cogni-tifs est le résultat du comportement réactif d’unagent dans un environnement dynamique.

Pour illustrer ce principe, prenons l’exemple del’activité d’un client dans FORMAT-STORE. Unclient possède un profil (parmi 10 profils ini-tialement fournis, correspondant à 5 catégoriesd’âge, multipliés par 2 sexes) ainsi qu’une listed’articles à acheter (le nombre d’articles étantfonction du profil). Un client virtuel entrant dansle magasin considère toutes les interactions pos-

sibles (décrites dans le tableau 2) par ordre depriorité décroissante jusqu’à en trouver une réa-lisable (cf. section 4.4). Sortir du magasin dumagasin n’est possible qu’après avoir réglé sesarticles. Payer nécessite préalablement d’oc-cuper la première place dans la file d’attente.Entrer dans la file d’attente n’est possible quelorsque tous les articles de la liste ont été récol-tés. Prendre un article suppose d’être à portéede celui-ci. Aller vers un article s’appuiesur des algorithmes de pathfinding et de naviga-tion, mais n’est possible que lorsque la positionde cet article est connue. Le client est Informéde la position des articles par les panneaux d’af-fichage situés dans le magasin. Les panneaux nepeuvent être lus que lorsque le client Erre dansle magasin (ou se déplace vers un autre article).

Alors qu’il évolue dans le magasin, le clientsemble suivre un plan, à l’instar d’un agentcognitif. Pourtant, chaque interaction est indé-pendante de la suivante et leur séquence dé-coule seulement des priorités qui ont été établiesentre elles. Non seulement ce mécanisme per-met l’obtention de comportements réalistes (2),mais il garanti aussi leur adaptativité et leur va-riabilité [10].

Le comportement adaptatif (3) du client est ex-primé à travers sa robustesse aux perturbationsde l’environnement. La capacité des clients àtrouver les articles et remplir leur panier ne dé-pend pas d’une carte prédéfinie du magasin. Lesproduits peuvent être déplacés, retirés, les alléesobstruées, sans que leur capacité à remplir leurobjectif ne soit altérée. De même, la faculté desclients à trouver le vendeur dans le magasin, dèsqu’un problème survient, et malgré les dépla-cements imprévisibles du joueur, constitue unautre exemple d’adaptativité.

Du fait de l’adaptativité du comportement desclients, nous défendons l’idée que la différencia-tion comportementale peut être obtenue sans sereposer uniquement sur l’aléatoire de certainesinteractions, telle que Errer. Dans les deuxexemples du paragraphe précédent, la variabi-lité des comportements est illustrée par la possi-bilité d’affecter des listes d’articles différentesà chaque client, ce qui se traduit par un par-cours indéterminable du magasin par le client,et la possibilité d’introduire des perturbationsdans le magasin durant la session de jeu, de ma-nière aléatoire et sans possibilité d’anticiper lenombre de clients impactés, occasionnant desréactions variées.

L’adaptativité des PNJ et la variabilité de leur

comportement sont deux propriétés essentielleslorsque l’élément humain joue un rôle actif dansla simulation.

5.4 L’humain dans la boucle

Dans une simulation participative (1), les agentsautonomes cohabitent avec le joueur, dont lamodalité et la temporalité des actions sont dif-férentes. En plus de la robustesse du compor-tement des agents autonomes, l’enjeu consisteà proposer une intégration non bloquante dujoueur.

Dans FORMAT-STORE, comme illustré dans letableau 2, le vendeur est présent dans la listedes agents bien qu’il soit l’avatar de l’apprenantdans le jeu. Le contrôle exercé par le joueur estrépercuté sur l’agent, qui se déplace ou agit enconséquence, mais en l’absence d’action de lapart du joueur, la simulation suit son cours nor-malement. Une autre conséquence de ce fonc-tionnement permet à l’agent contrôlé par lejoueur d’être substitué par n’importe quel autreagent dans le jeu. Concrètement, si les objectifspédagogiques en exprimaient la contrainte, il se-rait aisé de placer le joueur dans la peau d’unClient et de le voir confronté par exemple àun Vendeur autonome. D’ailleurs, pour testerles comportements des PNJ, nous lançons la si-mulation MA sans la présence du joueur.

Une autre problématique inhérente à la présencede l’apprenant dans la simulation consiste à pro-poser une évaluation flexible (7) de sa perfor-mance. L’évaluation de l’apprenant prend encompte deux variables, pour chaque client. Pre-mièrement, en raison de notre choix dans lascénarisation, l’apprenant est évalué immédiate-ment à l’issue de chaque dialogue avec un client,et en fonction de ses réponses. La variabilité descomportements des agents, décrite dans la sec-tion précédente, garantit que l’apprenant n’estjamais évalué de la même manière (les pro-blèmes des clients sont nombreux et éventuelle-ment soulevés durant leur évolution dans le ma-gasin au gré des problèmes qui surviennent), etjamais au même moment (car chaque rencontreentre l’apprenant et un client est imprévisible).Deuxièmement, et indépendamment, le score dujoueur prend aussi en compte le niveau de sa-tisfaction de chaque client qui sort du magasin.La satisfaction d’un client décroît par exemplelorsqu’un article désiré est manquant ou une al-lée obstruée. Dans ce cas également, le nombrede clients affectés par chaque problème dans lemagasin, ainsi que l’impact du problème sur le

client (qui dépend de la tolérance associée auprofil du client) sont imprévisibles.

6 Conclusion et perspectives

Nous avons montré dans cet article que les Se-rious Games soulèvent des problématiques dejeu, de pédagogie et de simulation étroitementcouplées, qui en font un défi aux approchesutilisées classiquement pour la simulation MA.Si chacune des problématiques d’un SG estsouvent présente dans une simulation à based’agents, leur combinaison en revanche met àl’épreuve les qualités de modularité, d’expressi-vité, de reformulation de modèle, d’intégrationdynamique de l’humain, dont font preuve ounon les méthodes de simulation. À travers notrepropre expérience de réalisation d’un SG, nousavons illustré ces difficultés et montré commentl’approche orientée interactions (IODA), conçuepour des simulations plus classiques, est parti-culièrement adaptée pour répondre aux problé-matiques SG, grâce notamment à une séparationdes entités et des comportements ainsi qu’uneimplémentation originale de la théorie des affor-dances. Nous avons montré également commentprendre en compte un joueur humain “plug andplay”, pouvant être remplacé par des agents au-tonomes ou vice-versa. Cette versatilité suggèreque les SG immersifs pourraient constituer uneforme de “Test de Turing” pour les simulationsMA et la définition de comportements réalistes.

Remerciements

Le projet FORMAT-STORE a été financé par leministère de l’Économie, des Finances et del’Industrie, dans le cadre de l’appel à projet “Se-rious Game” de 2009, en collaboration avec lessociétés Learn’Ingenierie et Idées-3Com. Lesimages du jeu sont la propriété de Idées-3Com.Les auteurs remercient également Jean-BaptisteLeroy pour son implication dans le projet.

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