SÉQUENCE 1 : L’expression du désir - AEFE Proche ... · Paroles et Musique: Jacques Brel 1962...

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OBJET D’ÉTUDE : DIRE L’AMOUR SÉQUENCE 1 : L’expression du désir Document 1 : Cantique des cantiques 1 Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes ! 16 Que tu es beau, mon chéri, combien gracieux ! Combien verdoyante est notre couche ! 17 Les poutres de notre maison sont les cèdres, et nos lambris, les genévriers. […] 4 7 Tu es toute belle, ma compagne ! De défaut, tu n'en as pas ! 8 Avec moi, du Liban, ô fiancée, avec moi, du Liban tu viendras ; […] 9 Tu me rends fou, ma soeur, ô fiancée, tu me rends fou par une seule de tes oeillades, par un seul cercle de tes colliers. 10 Que tes caresses sont belles, ma soeur, ô fiancée ! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes ! 11 Tes lèvres distillent du nectar, ô fiancée ; du miel et du lait sont sous ta langue ; et la senteur de tes vêtements est comme la senteur du Liban. 12 Tu es un jardin verrouillé, ma soeur, ô fiancée ; une source verrouillée, une fontaine scellée !

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OBJET D’ÉTUDE : DIRE L’AMOUR

SÉQUENCE 1 : L’expression du désir

Document 1 : Cantique des cantiques 1 Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle !

Tes yeux sont des colombes ! 16 Que tu es beau, mon chéri, combien gracieux !

Combien verdoyante est notre couche ! 17 Les poutres de notre maison sont les cèdres,

et nos lambris, les genévriers. […] 4

7 Tu es toute belle, ma compagne ! De défaut, tu n'en as pas !

8 Avec moi, du Liban, ô fiancée, avec moi, du Liban tu viendras ; […]

9 Tu me rends fou, ma soeur, ô fiancée, tu me rends fou par une seule de tes oeillades, par un seul cercle de tes colliers.

10 Que tes caresses sont belles, ma soeur, ô fiancée ! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes !

11 Tes lèvres distillent du nectar, ô fiancée ; du miel et du lait sont sous ta langue ; et la senteur de tes vêtements est comme la senteur du Liban.

12 Tu es un jardin verrouillé, ma soeur, ô fiancée ; une source verrouillée, une fontaine scellée !

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Document 2 : Pierre Ronsard PIERRE DE RONSARD (1523-1585)

Ode à Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avait déclose Sa robe de pourpre au soleil, A point perdu cette vesprée Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignonne, elle a dessus la place, Las, las ses beautés laissé choir ! Ô vraiment marâtre Nature, Puisqu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que votre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir votre beauté. Document 3 : Titre : À une femme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les feuilles d'automne (1831).

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Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire, Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre, Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire, Pour un regard de vous ! Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes, Les anges, les démons courbés devant ma loi, Et le profond chaos aux entrailles fécondes, L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes, Pour un baiser de toi ! Victor Hugo.

Document 4 : Jacques Brel, « Une île » Paroles et Musique: Jacques Brel 1962

1. Une île

Une île au large de l'espoir Où les hommes n'auraient pas peur Et douce et calme comme ton miroir Une île Claire comme un matin de Pâques Offrant l'océane langueur D'une sirène à chaque vague Viens Viens mon amour Là-bas ne seraient point ces fous Qui nous disent d'être sages Ou que vingt ans est le bel âge Voici venu le temps de vivre Voici venu le temps d'aimer

2. Une île Une île au large de l'amour Posée sur l'autel de la mer Satin couché sur le velours Une île Chaude comme la tendresse Espérante comme un désert Qu'un nuage de pluie caresse

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Viens Viens mon amour Là-bas ne seraient point ces fous Qui nous cachent les longues plages Viens mon amour Fuyons l'orage Voici venu le temps de vivre Voici venu le temps d'aimer

3. Une île Une île qu'il nous reste à bâtir Mais qui donc pourrait retenir Les rêves que l'on rêve à deux Une île Voici qu'une île est en partance Et qui sommeillait en nos yeux Depuis les portes de l'enfance Viens Viens mon amour Car c'est là-bas que tout commence Je crois à la dernière chance Et tu es celle que je veux Voici venu le temps de vivre Voici venu le temps d'aimer

Document 5 : Chimène Badi, « Dis-moi que tu m’aimes » J' voudrais qu'on m' trouve belle, qu'on se voit dans mes dents blanches Etre un Top Model dès que j'ai l' moral qui flanche Y'a des jours avec mais avec quoi, je sais pas J' connais les jours sans, les jours où j' fais les sans toi J' veux être super-femme, super-moi, super qu'qu' chose Pas celle qui sait pas mais celle qui peut, celle qui ose Etre comme j'étais pas lorsque je t'ai rencontré Etre bien dans ma peau pour qu' t' aies envie d'y entrer Dis-moi que tu m'aimes Ça me suffira Dis-moi que tu m'aimes Et ça suffira Et ça suffira J' voudrais qu' tu goûtes l'eau qui coule au fond de mes yeux

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Quand tu m' dis ces mots d'amant jamais amoureux Quand j'essaie de fuir, je me fais vite rattraper Par le souvenir de tous les mots qu' tu m' chantais Dis-moi que tu m'aimes Ça me suffira Dis-moi que tu m'aimes Et ça suffira Et ça suffira Ça me fait mal de rester là Te voir ne pas me regarder Si tu pouvais rien qu'une fois Te retourner, me rassurer Dis-moi que tu m'aimes Ça me suffira Dis-moi que tu m'aimes Et ça suffira Et ça suffira J' voudrais qu'on m' trouve belle Qu'on se voit dans mes dents blanches Document 6 : Amine Maalouf, L’Amour de loin Jaufré La femme que je désire est si loin, si loin, Que jamais mes bras ne se refermeront autour d’elle. Les compagnons (moqueurs) : Ou est-elle donc, cette femme ? Jaufré (songeur, absent) : Elle est loin, loin, loin. Les compagnons : Qui est-elle, cette femme ? Comment est-elle ? Jaufré Elle est gracieuse et humble et vertueuse et douce, Courageuse et timide, endurante et fragile, Princesse à cœur de paysanne, paysanne à cœur de princesse, D’une voix ardente elle chantera mes chansons… (Pendant que Jaufré énumère ainsi les qualités supposées de la femme lointaine, un homme à l’allure imposante fait son entrée, s’appuyant sur un bâton de pèlerin, portant un long manteau

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sans manches. Il contemple avec bienveillance le troubadour, qui ne le voit pas encore, et qui poursuit sa litanie.) Jaufré Belle, sans l’arrogance de la beauté, Noble, sans l’arrogance de la noblesse, Pieuse, sans l’arrogance de la piété… Les compagnons : Cette femme n’existe pas, dis-le-lui, Pèlerin, Toi qui as parcouru le monde, dis-le-lui ! Cette femme n’existe pas ! Le Pèlerin (sans se presser) : Peut-être bien qu’elle n’existe pas Mais peut-être bien qu’elle existe. Un jour, dans l’Outre-mer, j’ai vu passer une dame… (Jaufré et le chœur se tournent vers lui et s’accrochent à ses lèvres pendant qu’il reprend calmement son récit) C’était à tripoli, près de la Citadelle. Elle passait dans la rue pour se rendre à l’église, et soudain il n’y a plus qu’elle… Les conversations sont tombées, les regards se sont tus envolés vers elle comme des papillons aux ailes poudreuses qui viennent d’apercevoir la lumière. Elle-même marchait sans regarder personne, ses yeux trainaient à terre devant elle comme à l’arrière trainait sa robe. Belle sans l’arrogance de la beauté, noble sans l’arrogance de la noblesse, pieuse sans l’arrogance de la piété… Jaufré (demeure un moment sans voix, et quand il parle à nouveau, c’est seulement pour dire) : Parle-moi encore, l’ami, Parle-moi, Parle-moi d’elle…

Document 7 : Ovide, Amour, I, 1 Questuseram, pharetra cum protinusillesoluta legit in exitiumspiculafactameum, lunavitquegenusinuosumfortiterarcum, ‘'quod'’ que ‘'canas, vates, accipe'’ dixit ‘'opus!'’ Me miserum! certashabuitpuerillesagittas. uror, et in vacuopectoreregnat Amor. Sex mihisurgat opus numeris, in quinqueresidat: ferrea cum vestris bella valetemodis! cingerelitoreaflaventiatemporamyrto, Musa, per undenosemodulandapedes!

Je me plaignais encore, lorsque soudain celui-ci (= l’Amour), déliant son carquois, choisit les traits destinés à me percer; et d'un bras vigoureux il banda sur son genou son arc flexible. "Reçois, poète, me dit-il, un sujet pour tes chants." Malheureux à moi! Cet enfant avait des flèches bien sûres. Je brûle et l'Amour règne dans mon cœur qui était vide. Que mon œuvre s’élève sur six pieds et retombe sur cinq ! Adieu guerres cruelles avec vos rythmes ! Ceins tes tempes dorées de myrte maritime, Muse, qui module ton chant en onze pieds.

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LECTURE CURSIVE : Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne.

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SÉQUENCE 2 : De l’amour à la passion

Document 1 : Alain Fournier, Le Grand Meaulnes

On aborda devant un bois de sapins. Sur le débarcadère, les passagers durent attendre un instant, serrés les uns contre les autres, qu'un des bateliers eût ouvert le cadenas de la barrière... Avec quel émoi Meaulnes se rappelait dans la suite cette minute où, sur le bord de l'étang, il avait eu très près du sien le visage désormais perdu de la jeune fille ! Il avait regardé ce profil si pur, de tous ses yeux, jusqu'à ce qu'ils fussent près de s'emplir de larmes. Et il se rappelait avoir vu, comme un secret délicat qu'elle lui eût confié, un peu de poudre restée sur sa joue...

A terre, tout s'arrangea comme dans un rêve. Tandis que les enfants couraient avec des cris de joie, que des groupes se formaient et s'éparpillaient à travers bois, Meaulnes s'avança dans une allée, où, dix pas devant lui, marchait la jeune fille. Il se trouva près d'elle sans avoir eu le temps de réfléchir :

"Vous êtes belle", dit-il simplement. Mais elle hâta le pas et, sans répondre, prit une allée transversale. D'autres promeneurs

couraient, jouaient à travers les avenues, chacun errant à sa guise, conduit seulement par sa libre fantaisie. Le jeune homme se reprocha vivement ce qu'il appelait sa balourdise, sa grossièreté, sa sottise. Il errait au hasard, persuadé qu'il ne reverrait plus cette gracieuse créature, lorsqu'il l'aperçut soudain venant à sa rencontre et forcée de passer près de lui dans l'étroit sentier. Elle écartait de ses deux mains nues les plis de son grand manteau. Elle avait des souliers noirs très découverts. Ses chevilles étaient si fines qu'elles pliaient par instants et qu'on craignait de les voir se briser.

Cette fois, le jeune homme salua, en disant très bas : "Voulez-vous me pardonner ? - Je vous pardonne, dit-elle gravement. Mais il faut que je rejoigne les enfants, puisqu'ils

sont les maîtres aujourd'hui. Adieu". Augustin la supplia de rester un instant encore. Il lui parlait avec gaucherie, mais d'un

ton si troublé, si plein de désarroi, qu'elle marcha plus lentement et l'écouta. "Je ne sais même pas qui vous êtes", dit-elle enfin. Elle prononçait chaque mot d'un ton

uniforme, en appuyant de la même façon sur chacun, mais en disant plus doucement le dernier... Ensuite elle reprenait son visage immobile, sa bouche un peu mordue, et ses yeux bleus regardaient fixement au loin.

"Je ne sais pas non plus votre nom", répondit Meaulnes. Ils suivaient maintenant un chemin découvert, et l'on voyait à quelque distance les

invités se presser autour d'une maison isolée dans la pleine campagne. "Voici la 'maison de Frantz'", dit la jeune fille ; il faut que je vous quitte..." Elle hésita, le regarda un instant en souriant et dit : "Mon nom ?... Je suis mademoiselle Yvonne de Galais..." Et elle s'échappa.

Alain-Fournier - Le Grand Meaulnes - La rencontre avec Yvonne de Galais

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Document 2 : Maupassant, La rempailleuse Enfant, la rempailleuse, a été maltraitée par son entourage. Elle a manque d’argent et d’amour.

Un jour - elle avait alors onze ans - comme elle passait par ce pays, elle rencontra derrière le cimetière le petit Chouquet qui pleurait parce qu'un camarade lui avait volé deux liards. Ces larmes d'un petit bourgeois, d'un de ces petits qu'elle s'imaginait dans sa frêle caboche de déshéritée, être toujours contents et joyeux, la bouleversèrent. Elle s'approcha, et, quand elle connut la raison de sa peine, elle versa entre ses mains toutes ses économies, sept sous, qu'il prit naturellement, en essuyant ses larmes. Alors, folle de joie, elle eut l'audace de l'embrasser. Comme il considérait attentivement sa monnaie, il se laissa faire. Ne se voyant ni repoussée, ni battue, elle recommença ; elle l'embrassa à pleins bras, à plein coeur. Puis elle se sauva.

Que se passa-t-il dans cette misérable tête ? S'est-elle attachée à ce mioche parce qu'elle lui avait sacrifié sa fortune de vagabonde, ou parce qu'elle lui avait donné son premier baiser tendre ? Le mystère est le même pour les petits que pour les grands.

Pendant des mois, elle rêva de ce coin de cimetière et de ce gamin. Dans l'espérance de le revoir, elle vola ses parents, grappillant un sou par-ci, un sou par-là, sur un rempaillage, ou sur les provisions qu'elle allait acheter.

Quand elle revint, elle avait deux francs dans sa poche, mais elle ne put qu'apercevoir le petit pharmacien, bien propre, derrière les carreaux de la boutique paternelle, entre un bocal rouge et un ténia.

Elle ne l'en aima que davantage, séduite, émue, extasiée par cette gloire de l'eau colorée, cette apothéose des cristaux luisants.

Elle garda en elle son souvenir ineffaçable, et, quand elle le rencontra, l'an suivant, derrière l'école, jouant aux billes avec ses camarades, elle se jeta sur lui, le saisit dans ses bras, et le baisa avec tant de violence qu'il se mit à hurler de peur. Alors, pour l'apaiser, elle lui donna son argent: trois francs vingt, un vrai trésor, qu'il regardait avec des yeux agrandis.

Il le prit et se laissa caresser tant qu'elle voulut. Pendant quatre ans encore, elle versa entre ses mains toutes ses réserves, qu'il empochait

avec conscience en échange de baisers consentis. Ce fut une fois trente sous, une fois deux francs, une fois douze sous (elle en pleura de peine et d'humiliation, mais l'année avait été mauvaise) et la dernière fois, cinq francs, une grosse pièce ronde, qui le fit rire d'un rire content.

Elle ne pensait plus qu'à lui ; et il attendait son retour avec une certaine impatience, courait au-devant d'elle en la voyant, ce qui faisait bondir le coeur de la fillette.

Puis il disparut. On l'avait mis au collège. Elle le sut en interrogeant habilement. Alors elle usa d'une diplomatie infinie pour changer l'itinéraire de ses parents et les faire passer par ici au moment des vacances. Elle y réussit, mais après un an de ruses. Elle était donc restée deux ans sans le revoir ; et elle le reconnut à peine, tant il était changé, grandi, embelli, imposant dans sa tunique à boutons d'or. Il feignit de ne pas la voir et passa fièrement près d'elle.

Elle en pleura pendant deux jours ; et depuis lors elle souffrit sans fin. Document 3 : Mérimée, Carmen - Ainsi, lui dis-je, ma Carmen, après un bout de chemin, tu veux bien me suivre n'est-ce pas ?

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- Je te suis à la mort, oui, mais je ne vivrai plus avec toi. Nous étions dans une gorge solitaire ; j'arrêtai mon cheval. - Est-ce ici ? - dit-elle, et d'un bond elle fut à terre. Elle ôta sa mantille, la jeta à ses pieds, et se tint immobile un poing sur la hanche, me regardant fixement. - Tu veux me tuer je le vois bien, dit-elle ; c'est écrit, mais tu ne me feras pas céder !

- Je t'en prie, lui dis-je, sois raisonnable. Écoute-moi ! tout le passé est oublié. Pourtant, tu le sais, c'est toi qui m'as perdu ; c'est pour toi que je suis devenu un voleur et un meurtrier Carmen ! ma Carmen ! laisse-moi te sauver et me sauver avec toi. - José, répondit-elle, tu me demandes l'impossible. Je ne t'aime plus ; toi, tu m'aimes encore, et c'est pour cela que tu veux me tuer. Je pourrais bien encore te faire quelque mensonge ; mais je ne veux pas m'en donner la peine. Tout est fini entre nous. Comme mon rom, tu as le droit de tuer ta romi ; mais Carmen sera toujours libre. Calli elle est née, calli elle mourra. - Tu aimes donc Lucas ? lui demandai-je. - Oui, je l'ai aimé, comme toi, un instant, moins que toi peut-être. À présent, je n'aime plus rien, et je me hais pour t'avoir aimé.

Je me jetai à ses pieds, je lui pris les mains, je les arrosai de mes larmes. Je lui rappelai tous les moments de bonheur que nous avions passés ensemble. Je lui offris de rester brigand pour lui plaire. Tout, monsieur, tout ! je lui offris tout, pourvu qu'elle voulût m'aimer encore ! - Elle me dit : - T'aimer encore, c'est impossible. Vivre avec toi, je ne le veux pas. - La fureur me possédait. Je tirai mon couteau. J'aurais voulu qu'elle eût peur et me demandât grâce, mais, cette femme était un démon. - Pour la dernière fois, m'écriai-je, veux-tu rester avec moi ? - Non ! non ! non ! dit-elle en frappant du pied, et elle tira de son doigt une bague que je lui avais donnée, et la jeta dans les broussailles.

Je la frappai deux fois. C'était le couteau du Borgne que j'avais pris, ayant cassé le mien. Elle tomba au second coup sans crier Je crois encore voir son grand oeil noir me regarder fixement ; puis il devint trouble et se ferma. Je restai anéanti une bonne heure devant ce cadavre. Puis, je me rappelai que Carmen m'avait dit souvent qu'elle aimerait à être enterrée dans un bois. Je lui creusai une fosse avec mon couteau, et je l'y déposai. Je cherchai longtemps sa bague, et je la trouvai à la fin. Je la mis dans la fosse auprès d'elle, avec une petite croix. Peut-être ai-je eu tort. Ensuite je montai sur mon cheval, je galopai jusqu'à Cordoue, et au premier corps de garde je me fis connaître. J'ai dit que j'avais tué Carmen ; mais je n'ai pas voulu dire où était son corps.

LECTURE CURSIVE : George Sand, La Petite Fadette.

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Langue et Culture de l’Antiquité

Pyrame et Thisbé

Mosaique de Thisbé et Pyrame Maison de Dionysos à Paphos

Découverte de Pyrame et Thisbé J. Mignard (1665) C.P. Pierre-claudeGautherot, Pyrame et Thisbé, 1769-1825

Document 1 : Ovide, Les Métamorphoses

«Pyrame et Thisbé», Ovide, Métamorphoses, livre 4, v. 55-166 Pyrame était le plus beau des jeunes gens, et Thisbé, la plus exquise des jeunes filles de l'Orient; ils habitaient des maisons contiguës, là où, dit-on, Sémiramis avait entouré sa ville de hautes murailles de briques cuites. Voisins, ils firent connaissance et grandirent ensemble ; avec le temps, l'amour grandit ; ils se seraient même mariés, mais leurs parents s'y opposèrent; ce qu'ils ne purent interdire, c'est que tous deux aient le coeur épris et brûlent d'une passion égale. Sans que personne ne le sache, ils se parlent par gestes et par signes, et plus il est caché, plus ce feu caché est ardent. Il y avait dans le mur mitoyen une fine fissure, qui remontait au temps de la construction. Ce défaut que, des siècles durant, personne n'avait remarqué, les

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amants furent les premiers à le voir. Leurs paroles passèrent par ce chemin, en toute sûreté. Souvent, quand Thisbé et Pyrame étaient installés, ils disaient : «Mur jaloux, pourquoi t'opposes-tu à notre amour ? Que t'en coûterait-il de nous permettre de nous rejoindre ou, si c'est trop, de t'entrouvrir pour que nous puissions nous embrasser ? Mais nous ne sommes pas ingrats; nous reconnaissons que c'est grace à toi que nos paroles ont pu arriver jusqu'aux oreilles de l'être aimé. » Après avoir échangé ces vains propos, assis en des lieux différents, ils se dirent adieu à la nuit tombée, et donnèrent chacun à leur côté de mur des baisers qui ne parvenaient pas en face. L'aurore suivante avait chassé les feux de la nuit, et les rayons du soleil avait séché les herbes couvertes de rosée ; ils se rendirent à leur rendez-vous habituel. Alors, après mille plaintes murmurées à voix basse, ils décident que dans le silence de la nuit ils tromperont la surveillance de leurs parents et tenteront de franchir la porte de leur maison; et, une fois sortis de la maison, ils quitteront même la ville; pour ne pas se perdre dans l'immensité de la campagne, ils se rencontreront près du bûcher de Ninus et se cacheront à l'ombre d'un arbre. Il y avait là un arbre chargé de fruits abondants, blancs comme neige, un haut mûrier, proche d'une source fraîche. Ce plan leur convient. Le jour leur parut long. À la faveur de l'obscurité, Thisbé avec précaution fait pivoter la porte, sort, en trompant la vigilance de ses proches, puis, le visage voilé, elle arrive au tombeau et s'assied sous l'arbre convenu. L'amour la rendait audacieuse. Mais voilà qu'arrive alors, pour étancher sa soif dans l'eau de la source toute proche, une lionne à la gueule écumante, tout humide du sang des bœufs qu'elle vient de massacrer. De loin, grâce au clair de lune, Thisbé la voit, et d'un pas craintif se réfugie dans une grotte obscure; mais dans sa fuite, elle perd le voile qui a glissé de ses épaules. Dès que la lionne féroce eut apaisé sa soif dans l'eau, elle retourna dans la forêt et sur sa route tomba, non sur Thisbé mais sur son voile léger, qu'elle lacéra de sa gueule ensanglantée. Sorti plus tard, Pyrame vit, profondément marqués dans la poussière, les traces de la bête sauvage, et son visage devint livide. Mais dès qu'il découvrit aussi le vêtement teinté de sang, il dit : « La même nuit perdra deux êtres qui s'aiment; de nous deux, elle était la plus digne d'avoir une longue vie. Je suis coupable. C'est moi, pitoyable amie, qui t'ai perdue, qui t'ai demandé de venir la nuit en un lieu qui fait peur, et je ne suis pas arrivé le premier. Déchirez mon corps et, de vos féroces morsures, dévorez les chairs du criminel que je suis, ô lions, vous tous qui habitez au pied de ce rocher. Mais c'est le fait d'un être lâche de souhaiter la mort». Il soulève le voile de Thisbé, l'emporte à l'ombre de l'arbre du rendez-vous, pleure et embrasse le vêtement qu'il connaît bien, et dit : «Maintenant reçois aussi le sang que je vais verser !» Alors l'arme qu'il portait à la ceinture, il se l'enfonça dans le flanc, et aussitôt, mourant, la retira de sa blessure brûlante. Il resta à même le sol, couché sur le dos et son sang jaillit bien haut. Les fruits de l'arbre, ainsi aspergés, se transforment, prennent un aspect sombre, et leur racine imbibée de sang teinta de pourpre les mûres suspendues à ses branches. Thisbé, encore effrayée, revient, pour ne pas manquer son amant, et, de tous ses yeux et de tout son cœur, cherche le jeune homme, brûlant de lui raconter à quels dangers terribles elle a échappé. Elle reconnaît l'endroit et la forme de l'arbre, mais la couleur des fruits la laisse perplexe :

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« Est-ce bien celui-ci ? », se dit-elle. Tandis qu'elle hésite, elle voit des membres tremblants frapper le sol couvert de sang ; elle fait un pas en arrière et, le visage plus pâle que du buis, frémit comme la mer qui frissonne quand une brise légère effleure sa surface. Mais quand, après un moment, elle reconnut son bien-aimé, elle frappa de coups sourds ses bras, s'arracha les cheveux et, étreignant le corps adoré, emplit les blessures de ses larmes, mêlant ses pleurs au sang, et pressant de baisers le visage glacé. Elle s'écria : «Pyrame, quelle catastrophe t'a arraché à moi ? Pyrame, réponds ! C'est ta Thisbé bien-aimée qui t'appelle ; écoute et relève ton visage qui défaille ! » Au nom de Thisbé, Pyrame leva ses yeux alourdis par la mort, et, après avoir vu son amie, il replongea dans l'abîme. Quand Thisbé eut reconnu son voile, et aperçu le fourreau d'ivoire sans l'épée, elle dit : « Ta main et ton amour t'ont perdu, malheureux ! J'ai aussi une main vaillante, pour ce seul acte, j'ai aussi mon amour : il me donnera la force de me frapper. Je te suivrai dans la mort, et on dira que je suis la misérable cause et la compagne de ta mort. Et toi, qui ne pouvais m'être arraché que par la mort, hélas, tu ne pourras m'être enlevé, même dans la mort. Quant à vous, nos très malheureux pères, le mien et le sien, entendez nos prières : nous vous demandons tous deux une chose : à ceux qu'un amour solide a unis et que leur dernière heure a réunis, ne refusez pas qu'ils soient déposés dans un même tombeau. Et toi, ô arbre qui couvres un seul misérable cadavre de tes branches, bientôt tu en abriteras Deux ; conserve les marques de cette mort et porte toujours des fruits sombres, harmonisés aux chagrins, témoignages d'un double trépas.» Elle cessa de parler et, appliquant la pointe de l'épée sous sa poitrine, se coucha sur la lame, encore tiède de la mort de Pyrame. Ses vœux toutefois émurent les dieux, émurent les pères; car la couleur des fruits, dès qu'ils sont mûrs, est foncée, et les cendres des deux amoureux reposent dans une seule urne.»

OVIDE, Métamorphoses, LivreIV, Trad. de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2006

La muraille est symbole de :

Le mûrier est symbole de :

La fontaine est symbole de :

La lionne est symbole de :

Le fer est symbole de :

Le tombeau est symbole de :

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Nathalie Saadé, Collège Louise Wegmann, Beyrouth

William Shakespeare, Roméoet Juliette, 1595 Laurence, allant vers le tombeau. – Roméo ! (Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l'entrée du tombeau.) Hélas ! hélas ! quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce sépulcre ? Pourquoi ces épées abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre lueur sur ce lieu de paix ? (Il entre dans le monument.) Roméo ! Oh ! qu'il est pâle !... Quel est cet autre ? Quoi, Pâris aussi ! baigné dans son sang ! Oh ! quelle heure cruelle est donc coupable de cette lamentable catastrophe ?... (Éclairant Juliette.) Elle remue ! Juliette s'éveille et se soulève. Juliette. – Ô frère charitable, où est mon seigneur ? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être : m'y voici... Mais où est Roméo ? Rumeur au loin. Laurence. – J'entends du bruit... Ma fille, quitte ce nid de mort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans. Viens, viens, partons ! Ton mari est là gisant sur ton sein, et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté de saintes religieuses ; pas de questions ! le guet arrive... Allons, viens, chère Juliette. (La rumeur se rapproche.) Je n'ose rester plus longtemps. (Il sort du tombeau et disparaît.) Juliette. – Va, sors d'ici, car je ne m'en irai pas, mais, qu'est ceci ? Une coupe qu'étreint la main de mon bien-aimé ? C'est le poison, je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L'égoïste ! il a tout bu ! il n'a pas laissé une goutte amie pour m'aider à le rejoindre ! Je veux baiser tes lèvres : peut-être y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir... (Elle l'embrasse.) Tes lèvres sont chaudes ! Premier Garde, derrière le théâtre. – Conduis-nous, page... De quel côté ? Juliette. – Oui, du bruit ! Hâtons-nous donc ! (Saisissant le poignard de Roméo.) Ô heureux poignard ! voici ton fourreau...

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Nathalie Saadé, Collège Louise Wegmann, Beyrouth

(Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-moi mourir ! (Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.) Entre le guet, conduit par le page de Pâris. Le Page, montrant le tombeau. – Voilà l'endroit, là où la torche brûle. Premier Garde, à l'entrée du tombeau. – Le sol est sanglant. Qu'on fouille le cimetière. Allez, plusieurs, et arrêtez qui vous trouverez. (Des gardes sortent.) Spectacle navrant ! Voici le comte assassiné... et Juliette en sang !... chaude encore !... morte il n'y a qu'un moment, elle qui était ensevelie depuis deux jours !... Allez prévenir le Prince, courez chez les Capulets, réveillez les Montagues... que d'autres aillent aux recherches ! (D'autres gardes sortent.)