Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

118
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- - 1 - La Dur@nce Septièmes Rencontres L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 Septièmes Rencontres de la Dur@nce L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui Réflexions et débats sur la recherche et la pratique enseignante Organisées par l’inspection pédagogique régionale d’histoire- géographie et le groupe La Dur@nce les 07 et 08 février 2007 au CRDP 31, boulevard d’Athènes – 13003 Marseille Ont participé à l’élaboration de cette brochure : Véronique BLUA, Jackie CHABROL, Dominique CHANSEL, Christine COLARUOTOLO, Daniel DALET, Murièle DEPORTE-MASSE, Véronique ETIENNE, Chantal FEVRIER, Stéphane GALLARDO, Pierre GENTELLE, Daniel GILBERT, José Christine LANGLOIS, Alexandra LOUIS, Brigitte MANOUKIAN, Jean Louis MARGOLIN, Claude MARTINAUD, Bruno MELLINA, Nicole MONTEIL, Patrick PARODI, Philippe PELLETIER, Frédérique PLATANIA, Dominique SANTELLI, Jean SERANDOUR, Alain SIDOT, Annabelle SOURISSEAU, Yves TARDIEU, Béatrice TINELLI. La Dur@nce est un bulletin d’information et de liaison des professeurs d’histoire, géographie et éducation civique de l’Académie d’Aix- Marseille, réalisé sous la responsabilité éditoriale de l’inspection pédagogique régionale. Pour contacter les différents auteurs, un lien est disponible à l’adresse suivante : http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo/contribu.htm

Transcript of Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

Page 1: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 1 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Septièmes Rencontres de la Dur@nce

L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui Réflexions et débats sur la recherche et la pratique enseignante

Organisées par l’inspection pédagogique régionale d’histoire- géographie

et le groupe La Dur@nce les 07 et 08 février 2007

au CRDP – 31, boulevard d’Athènes – 13003 – Marseille

Ont participé à l’élaboration de cette brochure : Véronique BLUA, Jackie CHABROL, Dominique CHANSEL, Christine COLARUOTOLO, Daniel DALET, Murièle DEPORTE-MASSE, Véronique ETIENNE, Chantal FEVRIER, Stéphane GALLARDO, Pierre GENTELLE, Daniel GILBERT, José Christine LANGLOIS, Alexandra LOUIS, Brigitte MANOUKIAN, Jean Louis MARGOLIN, Claude MARTINAUD, Bruno MELLINA, Nicole MONTEIL, Patrick PARODI, Philippe PELLETIER, Frédérique PLATANIA, Dominique SANTELLI, Jean SERANDOUR, Alain SIDOT, Annabelle SOURISSEAU, Yves TARDIEU, Béatrice TINELLI.

La Dur@nce est un bulletin d’information et de liaison des professeurs d’histoire, géographie et éducation civique de l’Académie d’Aix- Marseille, réalisé sous la responsabilité éditoriale de l’inspection pédagogique régionale.

Pour contacter les différents auteurs, un lien est disponible à l’adresse suivante :

http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo/contribu.htm

Page 2: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 2 -

AVANT-PROPOS

par Jean SÉRANDOUR,

Inspecteur d’Académie

Inspecteur Pédagogique Régional

L'affirmation de plus en plus sensible des espaces asiatiques orientaux –notamment de la Chine, de l’Inde et du Japon – sur les plans géopolitique et géoéconomique n'a échappé à personne. Ainsi ces territoires ont-ils pris une place conséquente dans les programmes des lycées. La refonte prévisible après 2007 des programmes du collège devrait nécessairement leur accorder un poids plus important en premier cycle.

Les 6° Rencontres « Guerres et paix » avaient, naturellement, fait la part belle à l'histoire. Notre rassemblement annuel de 2007 privilégie la géographie, sans pour autant négliger une approche historique des territoires de l'Asie : puissances affirmées aujourd'hui, la Chine, l'Inde et le Japon ne peuvent être bien appréhendées que par la prise en compte de leur épaisseur historique. Nous devons questionner le passé de ces territoires, leurs particularités culturelles, afin d'éclairer des situations qui se trouvent au cœur de l'actualité.

En faisant appel à Pierre Gentelle, Philippe Pelletier et Jean-Louis Margolin, il s’agissait pour nous de présenter la situation du continent d’un point de vue géopolitique mais également d’en éclairer les structures sociales et économiques et de réfléchir à la position des puissances asiatiques dans la mondialisation.

Au-delà du constat attendu des diversités (cf. programme de 5ème), pour comprendre l’Asie il est indispensable de repérer les points communs aux territoires en question. En effet, ces derniers apparaissent comme un ensemble géopolitique assez cohérent quand on les aborde sous l’angle de la colonisation, de la démographie, du développement ou du rapport à la guerre froide.

Dans le même temps, une place particulière doit être faite aux trois puissances (Chine, Inde et Japon) dont les modèles apparaissent si distincts. Explorer l’Asie revient alors à entreprendre une énumération de situations singulières plus qu’une véritable synthèse continentale.

L’Asie demeure un continent sous tension où les litiges frontaliers persistent et dont les conflits internes ne sont pas sans effet sur les relations internationales. Se pose notamment, la question du rôle des marges et des conflits périphériques complexes (ex. Asie centrale, Pakistan et Sibérie) qui constituent des enjeux d’importance pour les grandes puissances, tant au niveau continental que planétaire. Les espaces maritimes du sud et de l’est de l’Asie sont, par ailleurs, amenés à jouer un rôle de premier plan au niveau économique et géopolitique (problème des délimitations des eaux territoriales, des rapports de forces maritimes et des ambitions énergétiques), ils doivent donc être contrôlés.

S’intéresser à l’Asie aujourd’hui, au plan scolaire comme au plan personnel, c’est enfin se poser la question des espaces asiatiques dans la mondialisation, prendre en compte les stratégies de développement des trois puissances, aux modèles économiques et sociaux si distincts. Et pour rejoindre un débat essentiel en cette période, on est conduit à s’interroger :

Page 3: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 3 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

la croissance asiatique peut-elle être organisée dans une perspective de développement durable ou est-elle porteuse de déséquilibres et de conflits futurs ?

Les textes réunis dans cette brochure, et qui correspondent aux travaux proposés dans les différents ateliers des 7° Rencontres, s‘efforcent de prendre en compte l’ensemble de ces questions. Nous émettons le vœu qu’ils puissent aider chaque enseignant à explorer en classe, avec ses élèves, ces problématiques stimulantes.

Page 4: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 4 -

Ateliers pédagogiques

Page 5: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 5 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Atelier 1

Inde, notion de puissance entre local et mondial

Animation : Murièle Deporte-Massé

professeure au lycée Georges Duby, Luynes

Brigitte Manoukian

professeure au lycée Vauvenargues, Aix en Provence

ARGUMENTAIRE

-------------- --------------

-------------- --------------

-------------- --------------

-------------- --------------

-

Photographie d’un chantier de construction de bâtiments futuristes pour le complexe de haute technologie à Bangalore : contrastes entre modernité architecturale réalisée sans mécanisation, un travail manuel ancestral réalisé par une femme là où les hommes seuls interviennent dans les pays occidentaux.

Sources : http://www.cio.com/archive/120100/road.html

L’Inde est une terre de contrastes et d’inégalités où se côtoient richesse et pauvreté, modernité et archaïsme, étrange mélange entre occidentalisation et traditions indiennes. A l’heure de la mondialisation, elle s’impose à la fois comme une puissance économique et politique montante, une grande nation démographique et militaire ; et cependant toujours considérée comme en développement, voire sous développée. Toujours est-il que cette complexité ne doit pas empêcher d’étudier cet immense pays, source de diverses pistes pédagogiques.

Page 6: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 6 -

Bien que l’Inde demeure majoritairement rurale, l’articulation entre local et mondial, développement et puissance se fait dans les zones urbaines. Sont proposées ci-dessous deux approches sur deux lieux emblématiques de cet entre-deux indien : Bangalore et Bombay, deux très grandes agglomérations qui sont le siège de vives dynamiques. L’une « Silicon Valley » à l’indienne, spécialisée dans les services informatiques, l’autre mégapole siège de Bollywood, lieu de la plus grande production mondiale de films.

Dans quelle mesure leur développement spectaculaire, leur rayonnement international, sont-ils sources de développement local ?

Fiche d’Atelier

« L’Inde existe-t-elle ? »

OBJECTIFS à partir de 2 thèmes de travail et de 2 lieux Bombay et Bangalore Quelles problématiques peut-on élaborer sur l’Inde, en fonction du niveau de classe qui vous intéresse ? Comment articuler les notions de puissance et de développement pour ce pays, notions traitées habituellement de façon séparée ?

NOTIONS Puissance (émergente) Développement Contrastes et disparités Mondialisation et glocalisation Dynamiques et mutations

VOCABULAIRE pour la classe : Une diaspora L’indianité Bollywood Le G22 Les classes moyennes Les technopôles comme la Silicon Valley Les slums Le multiculturalisme

Page 7: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 7 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Page 8: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 8 -

INTRODUCTION L’Inde est sans conteste un pays émergent de l’Asie et une puissance régionale, comme sa voisine la Chine, et pas seulement sur le plan géopolitique. Connaissant une évolution économique depuis les années 90 en rupture avec le passé nehruvien, des taux de croissance voisinant 8%, l’Inde s’est engagée dans la voie du développement : l’émergence d’une classe moyenne forte de 300 millions d’Indiens en est la conséquence la plus visible. Mais son développement interroge, tiré par les services plus que l’industrie, appuyé par une ouverture aux marchés extérieurs tout en protégeant encore des pans entiers de son économie, marqué par une présence dans l’espace culturel grâce au succès de son industrie cinématographique ; les opérations de rachat de Mittal ou Tata nous dévoilent une autre image de l’Inde qui se superpose à celles des bidonvilles et des mendiants ; l’Inde a refusé l’aide internationale lors du tsunami de l’hiver 2004, organisant aussi les secours et l’entraide au niveau régional. L’Inde, une puissance ? Elle dispose de l’arme atomique, s’impose dans la production de logiciels informatiques ou l’industrie pharmaceutique, exporte des milliers de chercheurs, et

comporte encore 365 millions de pauvres1. La réflexion que nous avons choisie de mener dans cet atelier exclut volontairement certains thèmes (contrastes régionaux, campagnes) pour privilégier la question plus large de l’inscription de l’Inde dans l’espace mondial au travers de deux études de cas qui privilégient la ville, car les villes jouent bien sûr dans cette mutation un rôle essentiel dans le développement indien, conditionnant certainement les évolutions à venir. Notre choix s’est porté sur deux métropoles incontournables :

Bangalore, capitale de l’informatique, «Silicon Valley indienne »

et Mumbai2, mégapole et 1er pôle économique de l’Inde, exportée au niveau mondial grâce au succès de Bollywood.

Deux études qui nous permettent de montrer que l’Inde est à la fois fortement ancrée dans le local, et insérée aussi dans le mondial, avec des interactions fortes entre les deux échelles et des spécificités qui fondent une « voie indienne de développement ». I LE CAS DE BANGALORE, UNE « SILICON VALLEY » A L’INDIENNE Bangalore est la 5ème agglomération indienne avec une population estimée récemment à 5,7 millions d’habitants, c’est la capitale de l’Etat du Karnataka, les Indiens la surnomment «The garden city ». Elle est par ailleurs mondialement connue pour sa spécialisation dans les hautes technologies en particulier les services informatiques, d’où ses surnoms à l’étranger de «India’s Silicon Valley» ou «The pub city of India». 1 Comment Bangalore est-elle devenue la « Silicon Valley » indienne ?

a. Une situation avantageuse Cette agglomération se situe au centre sud de l’Inde, entre Madras et Bombay, deux des 4 premières agglomérations indiennes en situation d’interface sur l’océan indien, regardant respectivement vers l’Asie pacifique et du sud-est et l’Afrique. Son emplacement est stratégique dans la mesure où elle est loin des frontières avec le Pakistan.

1 Selon les critères internationaux (PNUD 2004) : 365 millions d’Indiens vivent avec moins de un dollar par jour, 840 millions avec moins de deux dollars. 2 Nous choisirons d’utiliser les noms de Mumbai, Chennai, Kolkota : Bombay, Madras, Calcutta ont été rebaptisées avec des noms plus conformes aux particularités culturelles locales.

Page 9: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 9 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Si les Indiens la surnomment «The garden city», c’est en raison d’un climat agréable, sur un plateau à 920 mètres d’altitude, lui conférant un air plus respirable, plus frais que celui des zones plus basses souffrant de la chaleur moite du climat tropical. Enfin, son fuseau horaire s’accorde ou plutôt est en décalage complet avec ceux des Etats Unis permettant à des sociétés américaines de fonctionner 24h/24h. b. Chronologie d’un décollage dû aux aménagements humains La première mise en valeur se fait sous les Anglais qui établissent un «cantonment » de 1831 à 1881, c’est-à-dire un quartier européen, principalement peuplé de militaires, profitant d’un poste d’observation et d’une relative fraîcheur due à sa situation en hauteur. Ce poste est à l’origine du développement des moyens de communication modernes que sont le chemin de fer et le télégraphe et favorise dès le 19ème siècle l’émergence d’une population indigène anglophone. Les bases de l’industrie de haute technologie sont jetées à partir de la seconde guerre mondiale avec l’implantation de l’industrie aéronautique (HAL : Hindoustan Aeronotic Limited) loin des frontières maritimes et terrestres, suivie par l’industrie électronique, le tout complétant une industrie textile de coton et de soie déjà existante. Dès 1947 et l’accès à l’indépendance, l’Etat indien joue un rôle décisif dans son développement industriel avec l’installation d’entreprises publiques dans l’équipement lourd, les machines outils, l’électronique, les communications avec par exemple I.T.I (Indian Telephone Industry). Sur cette base industrielle fournie et variée, vient se greffer dans les années 60 le développement d’instituts de recherches et d’universités avec par exemple l’Indian Institute of Science. Ce choix d’aménagement, toujours piloté par l’Etat indien, a pour but d’en faire une capitale intellectuelle ; politique réussie puisque qu’aujourd’hui 2000 chercheurs y travaillent, un des facteurs du retour des Indiens de la diaspora. Dans les années 80, l’Etat cesse d’être le seul entrepreneur de la ville en développant une politique de libéralisation économique et d’incitation fiscale basée sur des mesures en faveur des parcs technologiques, le développement des infrastructures (ce fut la 1ère ville indienne desservie par une communication par satellite). Les avantages fiscaux (à l’exportation par exemple) permettent à d’anciens salariés du public représentant une main d’œuvre qualifiée de créer leur entreprise qui sous-traite le travail des grands groupes nationaux. Les logiciels et l’exportation deviennent les fers de lance de l’industrialisation de la ville. Les années 90 voient l’implantation des FMN occidentales attirées par un marché de consommation prometteur, une industrialisation solide. C’est le cas par exemple de Volvo et Toyota, de Kentuchy Fried Chicken. La croissance du secteur informatique est très rapide avec en 2000 : 131 sièges sociaux d’entreprises de logiciels (Infosys, Microsoft, Accenture…) c. Rôle de la diaspora3 Si l’Inde est une terre d’émigration qui est à l’origine d’une diaspora notable en particulier dans les pays anglo-saxons, il est à noter que le rapide développement du pays et ses forts taux de croissance entraînent un mouvement de retour en particulier dans les grandes métropoles et plus encore dans celles comme Bangalore tournées vers l’étranger. Ce retour

3 Carte sur la diaspora indienne dans Inde, autoportrait, Courrier International, hors série mars-avril-mai 2006

Page 10: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 10 -

d’une partie de la diaspora est encouragé par le gouvernement qui offre des facilités de naturalisation à des Indiens d’origine. Ces immigrés ont particulièrement bien réussi, aux Etats-Unis par exemple, leur niveau de vie est largement au dessus de celui de l’Américain moyen. Ils investissent des capitaux rapatriés dans des entreprises à Bangalore. Ce sont des Indiens formés, offrant compétences et expertises, qui s’appuient sur des réseaux facilitant une interaction entre le local et l’international en particulier avec les pays de la Triade. Ils contribuent à accélérer l’intégration de Bangalore dans la mondialisation. L’émigration reflet du sous-développement est-elle en train de s’inverser avec le retour des Indiens de la diaspora, preuve de l’attraction d’une puissance émergente ? 2 Une industrie diversifiée, rayonnant à différentes échelles Complétant une base industrielle classique comme le textile, la mécanique, l’agglomération de Bangalore s’illustre dans trois domaines d’excellence que sont :

Les technologies de l'information et les services informatiques

Calendrier 2006 proposé par le site Bangalorebest sur lequel sont recensés 100 des plus grands groupes de haute technologie de Bangalore.

http://www.bangalorebest.com/eposters/siliconvalley/poster.asp

Page 11: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 11 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

L’aérospatial les biotechnologies Il est intéressant de noter que ces industries sont aussi bien le fait du secteur public que privé, et sont composées de sociétés locales, nationales (Tata) et internationales (Infosys étant le plus gros employeur de la ville).

3 La transformation de l’espace urbain de Bangalore avec son insertion dans la mondialisation

Bangalore a-t-elle le profil d’une agglomération de pays développé ou en développement ?

a. Typique d’une ville de pays en développement, la croissance urbaine est explosive. La population a été multipliée par plus de 3 en 30 ans, le nombre d’habitants étant passé de 1,7 million d’habitants en 1970 à 5,7 millions en 2000. b. Cet accroissement démographique s’est accompagné d’une extension spatiale remarquable, que l’on retrouve dans toutes les agglomérations du pays.

Source : Mappemonde n °70, 2003.2, article de Clarisse Didelon.

Page 12: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 12 -

L’agglomération a largement débordé le centre historique et s’est étalée le long des axes de communication en particulier vers l’est et le nord. Les espaces industrialisés sur le modèle de ceux occidentaux sont à la fois dispersés et aussi regroupés dans des parcs technologiques.

Dispersés le long du IT Corridor (= Information technology Corridor), le long de Airport road, à l’est et Hosur Road, au sud-est.

Regroupés dans des parcs technologiques situés entre 10 et plus de 30 km de Bangalore comme celui de Peenya, au nord-ouest ou le plus ancien l’International technologic park mi-public, mi-privé à Whitefield à l’est, dans une zone rurale.

Photographie de Steve Ranger de l’un des derniers bâtiments ultramodernes du campus géant d’Infosys se situant dans le parc industriel d’ «Electronic City ».

http://www.silicon.com

http://www.silicon.com/silicon/research/specialreports/insideindia/0,3800013641,39166045-1,00.htm

c. Des modes de vie sur le modèle américain Les comportements tant individuels qu’urbanistiques font écho à ceux de l’Amérique du nord et profitent aux employés et tenants des entreprises de technologies qui ont un niveau de vie très élevé comparé au reste des Indiens. Ainsi, les banlieues chics se sont multipliées sur le modèle des « gate communities », zones de résidence haut standing, grillagées et protégées, où une population en jeans, basket, minijupes aime fréquenter les fast-food adaptés aux goûts et au style de nourriture indiens et faire du shopping dans d’immenses « mall ». Du coup, le centre ville s’est internationalisé avec des cybercafés (le 1er de l’Inde est apparu à Bangalore, la ville ouverte sur l’extérieur), des pubs et restaurants branchés, des magasins de luxe indépendants ou rassemblés dans des temples de la consommation, où se mêlent marques indiennes et étrangères. Mais cette modernisation à l’occidentale, voire cette américanisation ne doit pas faire oublier que coexistent différentes populations, différents types de construction, de commerce. Sur Wikipedia, on trouve à l’article sur Bangalore des photographies datant de 2006 qui montrent

Page 13: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 13 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

le marché traditionnel aux fleurs, à même le sol, très coloré, et aussi de luxueux centres commerciaux, tout en verre, très modernes, avec de grandes marques de distribution occidentales, réservées aux classes aisées. Souvent il faut d’ailleurs pour y entrer montrer téléphone portable et/ou carte de crédit, preuve de sa participation à la société de consommation et à son niveau de vie à l’occidentale ! 4 Un développement compromis par de nombreux problèmes Encore plus criants que dans les villes occidentales, les problèmes liés à une récente et forte croissance urbaine sont pléthores et entravent un développement harmonieux, faisant de cette « Garden city », un lieu moins attractif pour les IDE. a. Infrastructures insuffisantes et bidonvilles Ainsi, il y a un cruel manque d’infrastructures modernes en bon état, aussi bien localement que pour les liaisons internationales, avec par exemple l’absence d’aéroport international, d’importantes défaillances des transports publics, en nombre très insuffisant et vétustes. Du coup, la ville est aux heures de pointe congestionnée par les automobiles et les deux roues, embouteillages à l’origine d’une pollution croissante. Les coupures d’électricité sont quotidiennes et plus ou moins fréquentes et longues selon le quartier occupé ! Même l’eau commence à manquer. Bangalore n’échappe pas aux problèmes de logement qui font la triste réputation d’autres grandes agglomérations. Faits moins médiatisés, voire complètement occultés : on y trouve aussi bien des habitants s’installant la nuit sur les trottoirs que des bidonvilles s’étalant entre les extensions industrielles et les nouveaux quartiers, où s’entasse une population marginalisée par le boom économique, délogée par les travaux d’infrastructures ou autres aménagements modernes. C’est la preuve d’une grande pauvreté qui n’est pas prise en compte alors même que le développement technopolitain entraîne enrichissement du coût de la vie. Les disparités sont donc très fortes et les coûts de gestion de l’immobilier croissants. b. Une position privilégiée concurrencée A l’image des NPIA, le développement rapide dans des domaines de haute technologie entraîne l’augmentation du coût de la main d’œuvre alors même que sa qualification peut être insuffisante. Des FMN ont trouvé que les avantages comparatifs apportés par une délocalisation d’une partie de leur activité à Bangalore n’étaient pas aussi intéressants qu’il y paraissait. Ce qu’elles gagnaient en coût de fonctionnement, elles semblaient le perdre en qualité. Par ailleurs, la zone d’influence régionale de Bangalore est limitée car l’agglomération a une situation périphérique, à l’extrême sud-est du Karnataka, et est sans liaison autoroutière avec le reste du pays, les grandes métropoles de Madras et Bombay. Cette dernière a plus de sièges sociaux d’entreprises informatiques que Bangalore et Delhi et ses environs presque autant. Elle doit donc faire face à une concurrence nationale, avec Chennaï au Tamil Nadu au sud et Hyderabad en Andhra Pradesh qui essayent de damner le pion à Bangalore. La menace vient aussi d’autres pays émergents comme la Chine et les NPI ; alors même que la trop forte dépendance au marché américain et qu’une trop grande spécialisation (70% des revenus viennent de la demande de développement de logiciels par les compagnies américaines) caractérisée par trop de sous-traitance et pas assez d’innovation en propre sont des faiblesses structurelles de Bangalore.

Page 14: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 14 -

Conclusion Le développement de Bangalore basé sur la mondialisation et les technologies de l’information ne serait-il pas remis en cause localement en raison des difficultés inhérentes à un PVD ? Infosys estime que Bangalore a 5 ans pour redevenir attractive et éviter des délocalisations d’entreprises qui sont à l’origine de son développement mais pourrait aussi y mettre fin. Sans développement local, l’Inde ne deviendra pas une grande puissance internationale, qui compte sur des dynamiques externes pour décoller : local et mondial sont indéniablement liés.

Page 15: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 15 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

II MUMBAI, « MAXIMUM CITY »

C’est le titre d’un best-seller écrit par le journaliste indien Suketu Mehta qui présente une ville impossible, fascinante, des personnages étonnants, des situations qui disent les drames et les dynamiques de cette ville que certains n’hésitent pas à qualifier de décadente, de crazy city. Mumbai a un passé de pêcheurs installés sur une presqu’île, un passé qui n’a pas complètement disparu car des quartiers de pêcheurs sont encore présents au milieu des grands immeubles.

Un quartier de pêcheurs… non loin du Taj Mahal hotel : entre la décharge à ciel ouvert et le village.

(source : B. Manoukian)

Page 16: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 16 -

Mumbai comptait 1,4 million d’habitants en 1941, elle en compte aujourd’hui 16,4 millions, 1ère mégapole devant Delhi et Calcutta. Sa croissance s’explique d’abord par un apport de population venue des campagnes du Maharashtra mais aussi de toutes les régions, ce qui en fait aujourd’hui un New York indien, une ville cosmopolite où vivent toutes les communautés, toutes les religions, avec une certaine tolérance (qui n’évite pourtant pas des émeutes violentes comme celles de 1993 entre hindous et musulmans). La ville s’est développée avec l’industrie textile, facilitée par la présence d’un port et le développement de la voie ferrée. Mumbai est aujourd’hui une ville mal reliée avec le reste du pays mais le projet d’autoroutes en cours, le « Golden quadrilatéral » dans le cadre du NHDP (national highway development programm) prévoit de relier Mumbai – Delhi – Chennai – Kolkata. La diversification de son industrie lui a permis de devenir le 1er pôle industriel de toute l’Inde. L’élément le plus représentatif de cette réussite est l’entreprise Tata qui a son siège à Mumbai. C’est le symbole parfait de l’évolution économique indienne : le groupe Tata est une firme familiale devenue firme globale. Jamsetji Tata, le fondateur, a été un fervent artisan de l’indépendance, a participé à la création du Parti du Congrès, a imposé une stratégie très paternaliste, attribuant près des 2/3 de ses bénéfices au développement du pays. Aujourd’hui, Tata développe une stratégie mondiale : le groupe vient de racheter cette année le sidérurgiste britannique Corus. Acier, automobiles sont les productions de base mais l’entreprise s’est orientée dans le secteur aérien, le tourisme, l’informatique, le consulting. Si Mumbai demeure un gros pôle industriel, elle est aussi un des plus grands centres financiers et d’affaires du monde avec une bourse (la ½ de celle de Hong Kong) et un développement rapide des activités de services.

Vue de la baie de Mumbai : paysage de ville moderne… et polluée

(source : B. Manoukian)

Cette tertiarisation est visible dans les mutations urbaines et les transformations des paysages. Les contrastes sont très forts et Mumbai se donne des allures de métropole à l’américaine alors que la moitié de sa population est mal ou non logée. La ville s’étale sur 60 km entre les quartiers sud, anciens quartiers coloniaux très british et les banlieues résidentielles et industrielles du Nord4. Entre les deux, des quartiers populaires surpeuplés, comme celui de Girgaum, anciens quartiers de filatures aujourd’hui en friches,

4 Lire pour plus de précisions l’article de Marie-Caroline Saglio, Mappemonde n° 62 (2001.2) avec une carte de Bombay.

Page 17: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 17 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

logements aux façades décrépies, mêlés aux grands centres commerciaux issus de réhabilitations partielles et en cours, à des espaces de bureaux, cabinets de conseils en marketing, agences de publicité… nouvelles activités de Mumbai ; d’autres quartiers sont plus marqués par les anciennes activités du textile, avec des cheminées d’usines et des logements sociaux (chawls de Worli et Parel par exemple). Plus au nord, les espaces résidentiels et industriels récents près des aéroports. La législation en matière d’urbanisme n’a pas permis un aménagement urbain cohérent : les activités industrielles se sont déplacées en périphérie, une ville nouvelle a été créée, Navi Mumbai, sans succès (elle devait accueillir 2 millions d’habitants : elle n’en compte que 500 000) car mal reliée au centre ville, les quartiers résidentiels mal équipés longent la voie ferrée. Les années quatre-vingt ont vu pourtant émerger un nouveau centre d’affaires près de l’aéroport de Bandra, à l’image des edge cities américaines. Et Mumbai poursuit ses rêves urbanistiques : « Déterminée à devenir la vitrine de «l'Inde moderne», Bombay veut s'offrir un lifting. Modèle : Shanghai. Budget : 6,5 milliards d'euros. Origine : Bombay First, un influent lobby d'hommes d'affaires qui a réussi à convaincre les autorités régionales d'adopter son projet «Vision Mumbai» (nouveau nom de Bombay depuis 1996) comme feuille de route pour transformer une ville chaotique en un centre international de la finance et des affaires. Ce document, réalisé par le cabinet de conseil McKinsey, vise à faire de la mégapole une «ville de classe mondiale d'ici à 2013». «Je partage cette aspiration. Transformer Mumbai [...] afin que les gens oublient Shanghai», a renchéri le Premier ministre, Manmohan Singh, en octobre, soulignant une nouvelle fois l'ambition grandissante qu'a l'Inde de concurrencer la Chine »5. La ville répond de façon désordonnée à un besoin de métropole mondiale, avec des fonctions de plus en plus tertiaires, elle s’équipe pour répondre aux besoins d’une classe moyenne qui demande à consommer ; mais elle se heurte aussi à des contraintes locales qu’elle devra pourtant résoudre.

Ces « logements s’étalent le long des boulevards sur des kilomètres : leurs habitants profitent des

pluies de mousson pour remplir leur bassines, se laver. (source : B. Manoukian)

Six millions de personnes n’ont pas de vrai toit à Mumbai ; plus de la moitié de la population de la ville vivrait sur les trottoirs ou dans un bidonville. Situé sur un site convoité par les promoteurs immobiliers, traversé par un égout à ciel ouvert, Dharavi, est le plus grand bidonville du monde : 700 000 personnes y vivent, certaines sont propriétaires, actives, même dans la mobilisation contre les politiques d’évictions forcées. La municipalité n’a pas trouvé de solution si ce n’est de détruire à coup de bulldozers toutes les constructions spontanées post 1995… qui surgissent à nouveau comme des champignons. Le bidonville, vue l’extension de la ville, est aujourd’hui en position centrale : des terrains

5 Libération, Pierre Prakash, Bombay flambe, 18 mai 2005

Page 18: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 18 -

bien adaptés aux ambitions de la ville, pour des logements de classe moyenne ou des bureaux. Hormis les habitants de Dharavi, nombreux sont les Mumbaykars vivants dans une petite cabane entre deux interstices laissés par des immeubles ou le long des immenses boulevards, sans eau ni électricité. Et les promoteurs sont confrontés à une force difficile à contrer qui est celle d’une société civile bien organisée : associations de quartiers, de femmes, de pauvres qui n’hésitent pas à mobiliser les médias, manifester et s’opposer aux projets de remodelage qui supposeraient leur éviction en périphérie ou leur retour à la campagne. Sans compter les réseaux de criminalité, de corruption qui font partie intégrante de la gestion de l’habitat.

Mumbai, c’est donc aussi Slumbay 6… elle a supprimé les rickshaw qui encombraient les rues mais pas les vaches, ni les pauvres… Nouvelles industries, nouveaux services, constructions urbaines, investissements étrangers sont autant de raisons qui ont transformé la ville, amplifié les contrastes.

Au cœur de Mumbai : des images contrastées de la ville. (source : B.

Manoukian)

Car Mumbai est aussi une vitrine du développement, un symbole de la shining India, l’Inde de la société de consommation, de la classe moyenne, des centres commerciaux, ces nouveaux temples climatisés du dimanche : on y montre sa carte de crédit ou on y laisse 10 roupies pour y rentrer. L’image des Indiens vivant une vie sommaire est dépassée par celle d’une société avide de profiter d’un confort de vie, des nouveaux produits, indiens et étrangers7. Tous rêvent de

6 Slum : terme anglais pour désigner les bidonvilles en Inde. 7 Lire à ce sujet L’idée de l’Inde, de Sunil Khilnani

Page 19: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 19 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

consommer. Et à ce jour, près de 300 millions d’Indiens consomment, classe moyenne constituée de jeunes nés dans les années quatre-vingt-dix, ayant fait des études, ayant profité de la croissance, de moins jeunes ayant investi dans l’ouverture aux marchés mondiaux. Même si les critères sont difficilement comparables d’un Etat à l’autre, il est possible d’identifier une classe moyenne en se basant sur une enquête effectuée entre 1986 et 1994

par le conseil national de recherche en économie appliquée8, enquête réévaluée. Cinq classes sociales sont distinguées dans la société indienne :

- Les très riches : de 8 à 10 millions de personnes qui constituent l’élite indienne de la consommation, gros entrepreneurs, politiciens et stars du cinéma ; une classe

déterritorialisée, selon Sunil Khilnani9, voyageant beaucoup, consommant à Bangalore ou Singapour, résidant à New York et Mumbai, dont les enfants vont grossir les chiffres de la diaspora indienne.

- Ceux qui consomment beaucoup et qui forment réellement la classe moyenne : 200 à 220 millions d’Indiens qui disposent d’appareils électroménagers, d’une voiture ou d’un scooter… et fréquentent les centres commerciaux le dimanche. On y trouve aussi les nouveaux riches des campagnes (les bullock capitalist). Ils représentent la shining India.

- Ceux qui vont accéder bientôt à cette classe moyenne et qui possèdent un poste de TV. Ils seraient autour de 275 millions.

- Les 275 millions de pauvres qui aimeraient y accéder ; certains ont pu s’offrir une radio, une bicyclette, ont une maison en dur.

- Et 210 millions mal logés et mal nourris, les plus démunis, en milieu rural et urbain. Pour Sunil Khilnani : la majorité de la classe moyenne reste une classe qui peut s’intéresser aux marques internationales mais reste ancrée dans le local, dans la culture et la langue régionales (même si l’anglais est reconnu comme un outil - au même titre que Microsoft - indispensable à la réussite) : ces Indiens consomment tous les produits du monde globalisé mais les femmes continuent à porter le sari, dans toutes les variantes du fusion wear. Ils parlent gujarati ou hindi très certainement mais les jeunes sont à l’aise dans l’hinglish, cette langue hybride anglais-hindi, langue de la publicité et de Bollywood, des lieux branchés des grandes villes, ce qui montre que l’Inde est encore capable d’absorber les influences extérieures, de les transformer sans perdre son intégrité. Conséquence de la mondialisation ? Phénomène de glocalisation où le global et le local s’imbriquent ? On doit se rendre à l’évidence : la mondialisation a des effets sur les territoires, sur le local, à toutes les échelles. Plus que de transformations radicales, il vaut mieux parler de recompositions où le local et le mondial sont interconnectés. « L’Inde n’a pas changé ces 4000 dernières années : elle s’adapte, adopte, absorbe mais elle ne change pas fondamentalement » (Rohit Bal, créateur de mode indien) Le cinéma indien de Bollywood est un autre domaine qui montre les recompositions sociales et économiques, culturelles, les interactions entre Occident et Inde, sans qu’il y ait forcément cloisonnement, bien au contraire.

8 Enquête effectuée par un organisme indépendant, citée dans les ouvrages de F. Jaffrelot 9 In L’idée de l’Inde

Page 20: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 20 -

III BOLLYWOOD OU LE CINEMA MASALA « L’Inde est comme la mariée du film de Mira Naïr (le mariage des moussons), elle se tient fermement dans un livre de Tagore et un exemplaire du Cosmopolitan »

Vijay Monany10 Le terme « Bollywood », né dans les années quatre vingt, permit de distinguer les productions américaines des productions indiennes mais il est devenu une sorte de label du cinéma indien, incluant tous les films, même s’ils ne sont pas produits dans les studios de Mumbai ! C’est «un glissement terminologique qui a renforcé l’image de Bombay comme un cas spectaculaire d’exception culturelle dans le paysage cinématographique mondial dominé par Hollywood ». 11 Première forme de divertissement indien avant le criquet, c’est aussi une industrie qui réussit, reposant sur 5 milliards de spectateurs (chaque jour, 14 millions d’Indiens vont voir un film dans une des 30 000 salles de l’Inde) ; la part du marché consacrée aux films américains est marginale (5 %). 900 films produits en 2004 (moitié moins aux Etats-Unis). Le cinéma indien a réussi à s’inscrire dans la tradition de l’image, de la danse et de la musique, du théâtre. Utilisant les techniques hollywoodiennes et les arts traditionnels de

l’Inde, il a su recycler des influences extérieures dans une forme unique, façon masala12. 1 Quels en sont les ingrédients ?

«A Bombay, on appelle couramment « formula forty four » (formule 44) la masse des automatismes qu’il est bon de maîtriser si l’on veut faire un film comme il faut, c’est à dire un film total, qui donne à voir de tout (action, amour, comédie) et satisfait le plus grand nombre. Rares sont ceux qui peuvent en définir précisément le contenu. Même si certains gourous de Bollywood prétendent révéler la formule dans des manuels, ce que les débutants viennent chercher chez ces maîtres ne se réduit pas à ce qu’on appelle « les conventions narratives». C’est un savoir-faire infiniment plus concret, plus éclaté et en même temps plus secret que des règles dramaturgiques. Car faire un film impose de brasser une masse d’objets qui n’ont pas le même statut, des configurations narratives, certes, mais aussi des accessoires, des décors, des costumes, des sons, des corps et des paroles… les cinéastes rassemblent un monde (…) ».13 Quels sont les ingrédients indispensables pour faire un bon film Bollywood ? Soit un film formaté codifié, d’allure niaise selon nos critères occidentaux, mais qui n’en demeure pas moins extrêmement riche. Il s’agit de viser le grand public d’où la nécessité de toucher tous les thèmes, de proposer une sorte de film agglomérat qui ignore la distinction des genres : il y aura bien sûr une coloration romantique, ou aventure, ou humour… mais la forme est identique. Pas moins de 2 h 30 à 3 heures avec un entracte au milieu car on est au spectacle ; 6 chansons : les filmi gheet que l’on entend avant même que le film ne sorte dans toutes les échoppes et les taxis (et qui prédisent le succès du film, conditionnent même sa réussite financière : de nombreux films sont financés par des maisons de disques). Danses et chansons n’ont souvent rien à voir avec l’histoire et les changements de costumes et de décors et répondent juste à l’esthétique et aux plaisirs des sens (« changer de costume est plus signifiant que d’en porter

un 14»). Le scénario est simplifié à l’extrême et les personnages sont proches des archétypes.

10 Article publié sur le site bollywoodien de Philippe Schuler

(http://pschuler.club.fr/Cinema/Bollywoodpopulaire.htm) 11 Jaffrelot, 12 Le masala est un mélange de condiments variés utilisé dans la cuisine indienne. 13 Emmanuel GRIMAUD, Bollywood film studio ou comment les films se font à Bombay, CNRS Editions 14 E. Grimaud -

Page 21: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 21 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Couvertures de DVD indiens : entre tradition et modernité, Indiens de l’Inde ou de la diaspora, chacun y trouve son compte Vijay Monany analyse clairement cette forme kitch du cinéma : « La multiplicité des langues interdit au cinéma indien d’accorder trop d’importance aux dialogues. La trame narrative est révélée bien davantage par les gestes et par l’expression des visages. Pour être compris, les acteurs sont obligés de surjouer, mais cette technique est en même temps ce qui sauve Bollywood (…) Le cinéma indien est peut-être le seul aujourd’hui à mériter l’adjectif de culturel. Si pour l’Occident, le cinéma est un art, il est pour l’Inde un artifice. (…) Les acteurs surjouent, ils sont doués non pas quand ils sont naturels mais quand ils sont artificiels, c’est-à-dire quand ils sont culturels ». Ainsi le public peut-il s’identifier au héros, comprendre le message, s’animer aussi en hurlant « Allez ! Donne lui une leçon, vas-y ! Tu as raison !». Les salles indiennes de cinéma sont à la fois des espaces de liens entre communautés éclatées, de cohésion sociale entre classes sociales séparées, des lieux de rêves, des espaces d’exutoire où s’expriment tous les refoulements, les fantasmes : entre morale et sentiments, on suggère l’amour, les baisers ne sont jamais montrés, mais il y a quelques places pour des scènes d’érotisme du sari mouillé… qui suggèrent bien plus.

Le cinéma n’est pas seulement une « usine à rêves sucrés»15, c’est aussi le reflet de la société indienne et de ses mutations, c’est un phénomène social, une référence qui montre les modèles à suivre avec des thèmes éternels : la famille, l’argent, la morale, les traditions, le mariage… des thèmes qui sont souvent bousculés car l’Inde bouge. Aux productions romantiques, épiques des premiers temps se sont succédées les créations plus violentes dans les années quatre vingt, dénaturées par le style Hollywood, puis les comédies familiales et boîtes à rêves ont fait leur retour, bien ancrées dans les évolutions socio-économiques de l’Inde. «Je ne sais jamais où me mettre quand j’entends les hommes qui sifflent les actrices comme des bêtes. Moi aussi je porte des jeans et je sais maintenant comment me considèrent les hommes qui passent. Urmila ne fait que faire ce que toutes les filles de mon milieu font : elle passe en jean dans la rue et elle se fait remarquer, on lui fait des commentaires». Si le port du vêtement est un acte qui pèse déjà lourd dans la vie, la projection l’alourdit encore en stylisant ce qu’il faut siffler, fixant dans sa machinerie le poids social de l’habit. L’habit devient costume. En générant à partir d’une scène courante de la vie bombayite une autre scène où les hommes sifflent comme des bêtes, Rangeela ne détruit pas le malaise de la

15 Expression utilisée par Alob B. Nandi et Fabrice Bousteau dans un article de la revue beaux-Arts, mars 2007

Page 22: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 22 -

porteuse de jeans, il le transfère sur un autre support où il devient un style profondément connoté et explicitement déclencheur de désir ».16 Les films Bollywood restent légers et accessibles à tous mais font passer les messages de modernité, ils sont revisités avec de nouveaux thèmes : rapports hommes-femmes et égalité, la famille nucléaire, la réussite sociale, l’importance des diplômes, le refus de la corruption. Le reflet non pas de toute la société indienne (les pauvres ne se montrent pas) mais d’une partie de la société : la classe moyenne qui se met en scène dans des décors somptueux ou des maisons bien équipées et propres. Il s’agit de séduire. Avec Amitabh Bashan, Shahrukh Khan ou Aishwarya Rai, l’Inde de Bangalore triomphe de l’Inde du Bihar. Pour sourire : Intérieur équipé et téléphone portable

http://www.youtube.com/watch?v=R70lFrlKZq0

Scène épicée avec le célébrissime Amitabh Bashan

http://www.youtube.com/watch?v=frXcy2NOQPU

Pub pour …. Aishwarya Rai fait le tour du monde

http://www.youtube.com/watch?v=obyBXBH9Kbk

et les trois réunis : classe moyenne et les 2 stars du cinéma bollywoodien

http://www.youtube.com/watch?v=ByVP_mlai94

2 Culture traditionnelle, culture filmi ou culture indienne, culture mondiale… « The world is becoming global, peut-on entendre dans un film de Mira Naïr. L’Inde ne peut certainement vivre la mondialisation que comme une épreuve (…) mais cette épreuve peut permettre l’affirmation d’une nation, et le cinéma donne les moyens esthétiques d’une telle affirmation. (…) Par sa façon originale de manier l’art du cinéma (…), je suis convaincu que l’Inde est en train de renouveler durablement la notion de culture populaire.» (V. Monany) Bollywood est une image de la culture indienne qui a su se réapproprier le cinéma hollywoodien : pour certains, c’est une victoire de la culture indienne sur la culture américaine ; pour d’autres, une déformation de la culture américaine. L’Inde s’inscrit dans la culture globalisée, c’est indéniable aux vues des succès de Coup de foudre à Bollywood, Monsoon wedding, Devdas… et bien d’autres productions cinématographiques. Pourtant, il n’y a pas acculturation mais absorption. L’Inde a d’ailleurs toujours su s’adapter aux apports extérieurs, ou les a adaptés à sa propre culture. Et le label Bollywood se vend aussi très bien à l’étranger : il capte non seulement le public de 20 millions d’Indiens de la diaspora mais un public plus large en Europe et aux Etats-Unis : il suffit d’y inclure quelques éléments spécifiques de l’environnement social et culturel de la diaspora indienne. Ces films n’en demeurent pas moins très typés, mais aussi très universels dans les thèmes (la famille, l’amour), dans les formes d’expression (musique et danse) et dans les émotions. Au-delà du kitsch, c’est en somme un cinéma mondial capable d’être adopté partout. Le sari côtoie la minijupe et le téléphone portable sonne dans le quartier des Dhobi walla (laveurs de linge) au cœur de Mumbai. Deux exemples de scénarii : 17

Bunty aur Babli (2005) : Rakesh (Abishek Bachchan) est fils de contrôleur de train, mais il veut faire des affaires et surtout éviter une vie de gagne-petit. Vimmi (Rani Mukherjee) est en âge de se marier, mais elle veut être Miss India et surtout faire du cinéma. Ils ne se

16 E. Grimaud – à propos du film Rangeela (la frivole). 17 D’après le site http://pschuler.club.fr/Cinema/Bollywood-Boulevard.htm

Page 23: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 23 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

connaissent pas mais ont beaucoup de désirs en commun : fuir leur destin trop banal, vivre leurs rêves, aller à Bombay. Partis à l'aventure, leurs illusions se heurtent bien vite à la réalité et au cynisme des gens qui abusent de leur naïveté. C'est alors qu'ils se rencontrent sur un quai de gare, en plein désarroi. Ils décident de faire route commune et de contre-attaquer en étant aussi dénués de scrupules que ceux qui ont cassé leurs rêves et les ont bernés. Ils deviennent Bunty et Babli, des arnaqueurs professionnels. Dotés d'une imagination débordante, d'un sang-froid issu d'une belle inconscience et de talents de comédiens hors pair (et pour cause), ils réussissent des coups de maître, gagnent des sacs entiers de billets sans jamais utiliser la violence, et disparaissent à chaque fois en signant leur acte "Bunty aur Babli".

« Bonnie and Clyde » façon masala

Paheli (2005) La jolie Lacchi (Rani Mukherjee) quitte la maison familiale juste après la cérémonie du mariage avec sa belle-famille, de riches marchands du Rajasthan. Son mari Kishan (Shah Rukh Khan) est plongé dans ses comptes. La route est longue, le cortège s'arrête pour une halte dans un village. Autour d'un arbre étrange, des poupées sont attachées, de drôles de poupées qui parlent...Un de ces esprits s'éprend de Lacchi. Le cortège arrive à destination, la jeune mariée s'apprête pour sa nuit de noce, mais son mari lui apprend qu'il part le lendemain matin pour un voyage d'affaire de cinq années, et qu'il doit faire ses comptes avant de partir. Fresque historique, danses et érotisme du sari mouillé

Page 24: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 24 -

Le cinéma indien puise dans la culture et les traditions mais a su s’adapter à la modernité et intégrer les apports extérieurs. Entre la culture du grand écran et la culture quotidienne, il y a

place pour une nouvelle culture, la culture filmi, terme utilisé pour désigner tout ce qui a un rapport avec le cinéma : langage, attitude, mode, design, quartiers… temples nouveaux dédiés aux stars. Acculturation ? Ou réinvention culturelle ? Ou recompositions culturelles plutôt… à la sauce masala, un moyen pour l’Inde de résister, encore, culturellement à l’Occident.

Scène de Bharati, spectacle haut en couleur, musique et danses

(http://www.bharatitheshow.com/ Picture gallery)

Bharati : spectacle musical qui a fait un triomphe dans sa tournée européenne 2006-2007. “The wonder that is India”. Une transposition sur scène du cinéma Bollywood. Bharati est l’héroïne et représente l’Inde éternelle ; Siddaharta est le héros et représente les Indiens de la diaspora : il vient tout droit des Etats-Unis. Ils s’aiment mais le père s’oppose à leur amour. Le Dôme à Marseille où se produit le spectacle : une salle comble, des exclamations quand le père de la belle Bharati repousse son amoureux, des sifflements quand la belle s’approche de son amoureux… à croire que l’Inde est capable de susciter les mêmes réactions à Marseille comme à Mumbai. Bharati est bien un pur produit de l‘Inde globalisée et ça marche !

La mondialité sera t’elle indienne ?18

18 Titre d’un article de Frédéric Landy sur le site des Cafés géographiques

Page 25: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 25 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Annexe n° 1 : Bangalore et Bombay dans l’espace mondialisé.

Page 26: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 26 -

Annexe 2 : L’Inde entre local et mondial

Page 27: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 27 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Annexe n° 3 : L’Inde dans les programmes de géographie et d’histoire du collège et du lycée

Sixième : Les grands types de paysage

Une métropole d'un pays pauvre. Un delta rizicole en Asie.

Cinquième : l’Asie

L'Union indienne, la Chine

À partir des éléments examinés précédemment, l'analyse porte, en se gardant de toute étude exhaustive, sur ce qui fait la particularité de chacun des deux États. Ainsi, la diversité culturelle, le poids du nombre et les problèmes sociaux, les contrastes régionaux et les rythmes de développement sont-ils examinés dans leurs traits spécifiques en Union indienne et en Chine.

Troisième Histoire : La croissance économique, l'évolution démographique et leurs conséquences sociales et culturelles. Géographie : Les échanges, la mobilité des hommes, l'inégale répartition de la richesse et l'urbanisation. La croissance économique et ses fluctuations, les évolutions démographiques contrastées depuis 1945 ont des conséquences sociales variables selon les Etats et les continents : transformation du travail, des niveaux et des modes de vie. Ces évolutions ont aussi des conséquences géographiques à différentes échelles : - l'accroissement de la circulation des hommes et des biens est étudiée à l'échelle mondiale ; - en utilisant différents critères pour définir richesse et pauvreté, des cartes permettent de présenter et d'expliquer les contrastes entre les continents, entre les Etats (grandes puissances, pays émergents, pays pauvres) et au sein des sociétés ; - l'accélération de l'urbanisation est étudiée à l'échelle de la planète et, à d'autres échelles, à partir de quelques exemples de paysages urbains.

Seconde L’Inde peut figurer dans tous les thèmes :

Plus de six milliards d'hommes sur la Terre. Nourrir les hommes. L'eau, entre abondance et rareté. Dynamiques urbaines et environnement urbain. Les sociétés face aux risques. Les littoraux, espaces attractifs. Les montagnes, entre traditions et nouveaux usages.

Terminales

I - Un espace mondialisé (ES-L-S)

1 - Mondialisation et interdépendances

Page 28: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 28 -

L'espace mondial se présente aujourd'hui comme un système marqué par la multiplication de flux de toute nature (hommes, marchandises, capitaux, informations) qui ont des effets sur les sociétés. Ces flux sont organisés par des acteurs spatiaux comme les États, les entreprises multinationales, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, les organisations illicites. L'intensité de ces échanges favorise l'émergence de lieux de la mondialisation à différentes échelles, notamment les métropoles mondiales disposant d'un pouvoir de commandement.

2 - Autres logiques d'organisation de l'espace mondial

La mondialisation est l'objet de débats concernant ses modalités de mise en oeuvre, sa relation avec la question du développement et avec les enjeux environnementaux. Par ailleurs, le processus de mondialisation ne constitue pas la seule clé de lecture du monde. D'autres logiques d'organisation du monde se juxtaposent et interfèrent : les aires de civilisation (cultures, langues, religions), les États, les organisations économiques régionales.

III - Des mondes en quête de développement (ES-L)

1 - Unité et diversité des Sud

L'inégal développement à l'échelle du monde est tout d'abord rappelé. Les États du Sud présentent des traits communs, liés au sous-développement. Ils se différencient toutefois de manière croissante, en fonction de politiques de développement inégalement efficaces. On étudie ensuite l'exemple du Brésil pour montrer les contrastes spatiaux du développement à l'échelle du pays et à celle des villes.

Page 29: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 29 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Atelier 2

Les enjeux de la stabilité d’une marge asiatique : l’Asie centrale

Animation : Christine Colaruotolo

professeure au lycée Marseilleveyre, Marseille

Daniel Gilbert

professeur au lycée d’altitude, Briançon

ARGUMENTAIRE

INTRODUCTION

Une marge asiatique, l’Asie centrale. De quoi parle-t-on ? De cinq Etats indépendants depuis peu, regroupés sous une appellation. Faiblement développée, peu peuplée, peu ou mal dotée en infrastructures, traversée de tensions intérieures ethniques, instrumentalisée par divers courants religieux, cette région est l’enjeu d’un affrontement géopolitique mettant aux prises les intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine. Car l’Asie centrale ex-soviétique est aujourd’hui l’objet des luttes d’influence entre puissances régionales et extérieures. D’abord rattachés à l’orbite des pays musulmans (Turquie, Pakistan, Emirats), les pays de cette région se sont rapprochés de l’Occident après le 11 septembre 2001, avant de prendre leurs distances quand la condamnation du caractère autocratique des régimes en place et des violations des droits de l’homme est devenue plus pressante chez leurs nouveaux alliés. Mais la restauration possible de l’influence russe sur ces espaces en quête d’ancrage se heurte aux visées chinoises sur une région aux riches ressources en hydrocarbures… Après l’étude de la vallée du Ferghana, vallée exemplaire des problèmes et des enjeux de la stabilité de cette région, nous examinerons successivement différents facteurs (politiques, économiques, écologiques…) qui font de cet espace un terrain de crises et de rivalités, avant de conclure sur la mise en perspective de l’Asie centrale en tant qu’enjeu dans la recherche d’un nouvel ordre mondial.

I CINQ ETATS EN QUETE DE RECONNAISSANCE

Quels sont ces Etats ? 1 Le Tadjikistan. 6,7 millions d’habitants. Un pays pauvre, notamment en raison des conséquences de la guerre civile (1992-1994), et du fait que le pays ne dispose que de très peu de ressources naturelles exploitables. Le PIB par habitant avoisine les 1100 dollars. 2 L’Ouzbékistan Pays doublement enclavé, avec une population de plus de 26 millions d’habitants et d’importantes réserves de gaz, de pétrole et de minerai. PIB par habitant : 2300 dollars.

Page 30: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 30 -

3 Le Turkménistan 2e Etat d’Asie centrale par la superficie, et peuplé d’environ 6 millions d’habitants, le Turkménistan dispose d’importantes réserves de gaz naturel et de pétrole. PIB par habitant : 4520 dollars. 4 Le Kirghizstan Malgré les efforts de la communauté internationale, la situation économique dans le pays reste extrêmement précaire depuis l’indépendance (31 août 1991). Le PIB par habitant atteint seulement 280 dollars, ce qui en fait l’un des pays les plus pauvres du monde. Son développement est entravé en particulier par son enclavement, son manque de ressources naturelles, une corruption endémique et, depuis la « révolution des tulipes » en mars 2006, une instabilité générale, en partie alimentée par la recrudescence du terrorisme dans le sud du pays et par la criminalité organisée. Certains chefs de gangs notoires ont d’ailleurs réussi à se faire élire aux dernières élections. 5 Le Kazakhstan 2,7 millions de km² pour 15 millions d’habitants (soit 5,7 habitants par km²). Une zone de transit de plus en plus importante en raison de son étendue, de sa situation géographique et de ses infrastructures. Le transport est de plus en plus développé avec le reste de l’Asie centrale, la Chine et la Russie (cf. doc. 13, dossier 1). Son niveau de développement est le plus élevé de la région (PIB par habitant de 8400 dollars). II LA VALLEE DU FERGHANA Au carrefour de trois républiques la vallée du Ferghana, un espace fragmenté au coeur de l’Asie centrale.

Depuis l’effondrement de l'URSS en 1991, la situation géopolitique de l'Asie centrale a grandement évolué. Les anciennes républiques soviétiques ont accédé au statut d'état souverain. A travers une analyse géographique des configurations frontalières centrasiatiques, nous réfléchirons aux problèmes soulevés par la fragmentation de cet espace et par le passage de frontières administratives et nationales à des frontières de rang international qui peut engendrer un risque de déstabilisation. L’exemple de la vallée du Ferghana permettra de cerner les conséquences induites par le tracé des frontières de la vallée pour ses habitants et l’économie au travers de deux questions : d’abord la question de la gestion de l’eau, dont l’utilisation croissante dans un contexte régional de semi-aridité et de forte de pression démographique devient un enjeu de négociations entre les républiques d’Asie centrale et peut constituer un facteur aggravant dans les tensions ethniques ou les disputes territoriales déjà existantes. Le problème de l’enclavement ensuite qui est une source de fragilité pour la cohésion de jeunes Etats dépourvus de tradition nationale avec notamment la présence de plusieurs petites enclaves territoriales au sein des trois Etats de la vallée du Ferghana déjà enclavés, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. 1 La vallée du Ferghana, une région hydro-conflictuelle ?

a. Le Ferghana : une unité géographique et historique Située entre la chaîne de montagne du Tian-Chan au Nord et de l’Alaï au sud, la vallée de Ferghana constitue une unité géographique homogène. C’est une dépression de 100 km de

large et 70 km de long d’une superficie de plus de 22 000 Km soit la superficie de l’état d’Israël. Elle est drainée par le cours moyen du Syr Darya qui constitue la seule voie d’accès en direction de l’ouest. Cette région, dont la prospérité repose sur la culture irriguée du

Page 31: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 31 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

coton, constitue le cadre de vie de plus de 10 millions d’habitants. Elle est une des régions les plus densément peuplées d’Asie centrale. Cette région est, par ailleurs, caractérisée par la diversité de la population et un enchevêtrement extrême des communautés ethniques : si 60 % de la population de la vallée est ouzbek, la population kirghize et tadjike représentent respectivement 19 % et 13% de la population, les 6% restant étant constitués de Russes, Biélorusses et d’Ukrainiens. C’est donc une population majoritairement musulmane qui y vit. Les habitants de la vallée sont marqués par des siècles de vie commune : le Khanat

(émirat) de Kokand (1710-1876) qui prend ses origines dans la ville de Ferghana se situe

sur les territoires ouzbek, tadjik et kirghize actuels. Lorsque l’empire russe s’en empare en 1874, il y maintient une unité territoriale qui transcende largement les divisions ethniques entre les populations.

b. Le Ferghana : « diviser l’indivisible » Daniel Balland Cette unité géographique ne correspond à aucune unité politique : entre 1924 et 1936, sous Staline, la vallée de Ferghana est découpée en trois parties inégales attribuées à trois républiques l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, et le Kirghizstan. C’est l’appartenance ethnique qui constitue officiellement le principal critère de découpage du territoire. Le Ferghana étant majoritairement ouzbekophone, la plus grande partie de la vallée est attribuée à l’Ouzbékistan. C’est toujours au nom de ce critère ethnique que la partie aval du riche bassin cotonnier, l’oblast de Khodjent, a été rattachée en 1929 au Tadjikistan, région autonome devenue république, la population tadjike y étant majoritaire. Dans la pratique, d’autres considérations ont pesé : l’essentiel de son territoire offrant peu de ressources, il s‘agissait de donner les apparences d’un Etat économiquement viable à cette nouvelle république. Enfin, à l’autre extrémité du Ferghana, la région autour de la ville d’Osh et de Jalal Abad est attribuée à la république du Kirghizstan, dès 1924, sur la base d’un peuplement Kirghiz très faiblement majoritaire. Ce sont là encore des considérations géoéconomiques qui ont prévalu dans le tracé des frontières en attribuant une partie de la riche plaine à un district essentiellement montagnard. A l’heure actuelle, le Ferghana ouzbek concentre 27 % de la population nationale sur 4% du territoire national et représente 1/3 du P.I.B en 2002. Aussi modestes soient-elles, les portions tadjike et kirghize du Ferghana pèsent respectivement pour 60 % et 30 % dans les P.I.B nationaux en 2002. Elles constituent pour chacun des trois Etats un enjeu économique important. L’existence de neuf enclaves de très petite taille ne fait qu’accroître encore l’extrême complexité du découpage au point que l’on a pu parler d’une « balkanisation » du Ferghana. Ce sont des « îlots » entourés par le territoire de l’Etat voisin dont la composition ethnique de la population ne coïncide pas totalement avec celle des Etats qui en sont propriétaires. Parmi elles, citons l’enclave ouzbek de Sokh (325 km2, 53 000 habitants en 2002) en territoire kirghiz sous souveraineté ouzbek peuplée exclusivement de tadjiks ou l’enclave tadjik de Voroukh en territoire kirghiz dont 95% de la population est kirghize et 5% tadjike. Au total, ces limites imposées par les autorités soviétiques ne respectent aucune ligne géographique ou ethnique. Au contraire, ces découpages permettent de ne pas créer d’entités trop homogènes ou trop compactes pour faire obstacle à l’émergence d’une identité régionale et éviter tout risque éventuel de séparatisme. «Le Ferghana est demeuré une région trans-républicaine unie durant la période soviétique, la complexité du tracé des frontières n’étant alors qu’une question secondaire à l’échelle locale» ajoute le géographe

Julien Thorez.19

19 J. Thorez, «Enclaves et enclavement dans le Ferghana post-soviétique», CEMOTI, n° 35, 2003,

pp. 29-39.

Page 32: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 32 -

Avec l’effondrement de l’URSS en 1991, les frontières administratives de l’époque soviétique deviennent des frontières internationales entraînant un renforcement des tensions. Ces découpages vont avoir des conséquences sur le partage des ressources de la vallée, et en premier lieu l’eau, qui devient un enjeu capital dans un contexte de semi-aridité et sous l’effet de la pression démographique. Les densités de population peuvent atteindre jusqu’à 250 habitants au km2 dans la partie ouzbek de la vallée. c. Entre conflits et partage : la question de l’eau dans la vallée du Ferghana Premier constat : une inégale répartition des ressources en eau entre les trois républiques d’Asie centrale. Les pays montagneux, le Tadjikistan et le Kirghizstan, concentrent à eux seuls 80 % de l'eau disponible dans le bassin de l'Aral mais leur consommation reste limitée en raison de l'étroitesse des terroirs agricoles. A l'inverse, l’Ouzbékistan, état situé en aval a une consommation largement supérieure à la ressource formée sur son territoire. C’est là, en effet, que se localisent les principaux périmètres irrigués de coton : sur les 99,5 km3 d'eau disponibles annuellement, seuls 12,2 km3 se forment sur le territoire national. Le territoire est donc très dépendant des apports extérieurs en eau. Dés lors, la localisation des têtes de barrage s’avère déterminante sur le plan technique et surtout politique. Ainsi, le réservoir de Toktogul, situé au Kirghizstan, alimente en eau 1,3 million d'hectares notamment dans le Ferghana. Depuis les années 1970, il était utilisé pour stocker l’eau et équilibrer les débits entre la saison sèche et la saison des pluies, l’eau étant destinée à l’irrigation des terres en Ouzbékistan notamment : les trois-quarts de l’eau environ sont libérés pendant l’été et un quart en hiver. L’électricité produite lors des vidanges d’été est également exportée. Le Kirghizistan reçoit échange du charbon et du gaz de l’Ouzbékistan. Conçus sous l’ère soviétique, les aménagements hydrauliques ont été pensés à l'échelle de la région, l’ensemble du système de production reposant sur les spécialisations régionales et l'interdépendance entre les républiques.

Avec l’implosion de l’URSS, les intérêts particuliers des nouveaux Etats indépendants s'opposent souvent et remettent en cause la finalité des aménagements soviétiques. Par ailleurs, le tracé et le nouveau statut des frontières complexifient encore la gestion des ressources hydriques. Conscientes de l’enjeu que représente l’eau dans une région semi aride, les cinq républiques ont crée en 1992 un organisme de gestion régional de l’eau chargé de réguler la consommation d’eau par l’attribution de quotas à chacun des nouveaux Etats. L’agence qui a en charge le bassin du Syr Daria a maintenu les choix de répartition de l’ère soviétique privilégiant l'irrigation des terres agricoles situées en aval en particulier en Ouzbékistan. Toutefois, ces querelles pour l’eau s’intègrent dans un climat régional tendu et depuis la fin des années 1990, on assiste d’année en année à une aggravation des tensions entre Kirghizes et Ouzbeks notamment. Depuis l’accès à l’indépendance, le Kirghizstan est confronté à des difficultés économiques et à une crise énergique récurrente en hiver en raison de ruptures d’approvisionnement en gaz en provenance d’Ouzbékistan, motivées par des ruptures de paiement. En conséquence, pour faire face à la pénurie énergétique et exercer une pression croissante sur les autorités ouzbek, le Kirghizstan a augmenté les lâchers d’eau à Toktogul pour accroître sa production d’électricité en hiver enfreignant, par la même, les quotas. Le changement de régime d’exploitation du barrage a eu des conséquences directes sur les terres en aval entraînant des inondations en hiver. Pendant l’été 2001, le Kirghizstan limite au contraire à moins d’un tiers les volumes d’eau prévus détruisant ainsi une grande partie des récoltes ouzbéques. Par ailleurs, les autorités kirghizstanaises souhaitant développer des périmètres irrigués, remettent en cause l’accord de 1992 concernant les quotas d’utilisation de l’eau dans le bassin du Syr Daria qui n'accordaient jusque là qu'une part infime de la ressource au Kirghizstan alors que se forme sur son territoire 75% du stock du fleuve. Elles demandent, en outre, à l’Ouzbékistan une participation financière pour contribuer à l’entretien du barrage de Toktogul dont le coût dépasse 15 millions de dollars chaque année. Ces exemples montrent comment la poursuite des intérêts nationaux prend le pas sur une politique de coopération et illustrent la rudesse des rapports entre Etats voisins. Outre sa

Page 33: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 33 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

dimension internationale, la question de l’eau prend une dimension ethnique : dans l’enclave de Batken, en territoire kirghiz, les incidents se multiplient entre Tadjiks et Kirghizes depuis le début des années 1980 pour le contrôle de la terre et de l’eau. De même, dans l’enclave ouzbek de Sokh, le partage de l’eau empoisonne les relations entre Ouzbeks et Kirghizes. Or, la situation est appelée à se dégrader dans les années à venir du fait de la pression démographique : la quantité d’eau disponible en 1999 est de 660 m3 par habitant en Ouzbékistan. Elle devrait atteindre 488 m3 par habitant en 2025. Au total, la désarticulation entre les données naturelles et les frontières politiques ouvre une compétition interétatique pour le contrôle de l’eau.

2 La vallée du Ferghana et la question de l’enclavement

a. L’enclavement, une source de contraintes pour le Ferghana Intégrés à l'ensemble économique et politique soviétique, les cinq Etats d’Asie centrale, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan qui nous intéressent ici plus particulièrement se retrouvent enclavés après l’effondrement l’URSS du fait de l’absence d’accès à la mer. La présence de plusieurs enclaves territoriales au sein de ces trois Etats de la vallée du Ferghana, déjà enclavés, va accroître le problème de l’isolement dans lequel se trouve cette aire, située dans un milieu montagneux mal desservi par les infrastructures de transport. Dix ans d'indépendance ont abouti à la fragmentation de cet espace régional et conduit à l'apparition de trois Ferghana distincts. L'enclavement est donc une notion relative, fluctuante dans le temps et s’avère être plus une construction historique et politique même si cette construction s'appuie sur une configuration géographique et économique précise. L’Ouzbékistan est plus particulièrement confronté à ces problèmes de communication intérieure : privé de Khodjent, son exutoire naturel, le Ferghana ouzbek n’est rattaché au reste de la république que par un corridor de 31 Km de large au travers des monts Kuruma avec une médiocre route de montagne franchissant un col à 2000 mètres d’altitude qui assure le désenclavement du territoire. Cette partie de l’Ouzbékistan ne peut être reliée au reste de la république sans passer par le territoire tadjik. Les villes ouzbéques de Namangan et d’Andijan, respectivement troisième et quatrième villes du pays, sont donc situées dans un véritable cul de sac ce qui les place en marge du territoire national et pose un problème pour l’approvisionnement. De même, les voies ferrées et les routes reliant Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan, aux trois provinces ouzbéques de Ferghana passent par Leninabad dans la partie nord du Tadjikistan. Le Tadjikistan est confronté au même problème : les routes entre Khodjent, deuxième ville du Tadjikistan, et la capitale tadjike, Douchanbe, passent par Samarkand, au coeur de l’Ouzbékistan à majorité tadjike. L’enclavement est aussi une entrave au développement économique : le village de Barak, enclave kirghize située en territoire ouzbek, a été confronté à un problème majeur : transporter le coton, principale source de revenu de la population, vers le Kirghizstan. Or, les autorités ouzbéques n’ont autorisé les habitants du village à transporter le coton de l’autre côté de la frontière qu’après la fin de leur propre récolte. Les enjeux peuvent également revêtir un caractère d’ordre stratégique : ainsi l’enclave de Severnyï Sokh abrite des gisements d’hydrocarbures et permet un contrôle des transports vers la partie la plus occidentale du Kirghizstan. L'Asie centrale ressent aujourd'hui d'autant plus fortement l'enclavement qu'elle ne l'a pas subi du temps de l'URSS qui assurait, à des fins politiques, le financement du réseau de transport qui répondait à une logique de désenclavement et d’interconnexion des capitales. Depuis l’effondrement de l’URSS, les nouvelles républiques se trouvent confrontées à une carte des transports inadaptée qui néglige la desserte interne des Etats. b. Un nouveau défi pour les trois républiques centrasiatiques : désenclaver les régions périphériques à partir des capitales

Page 34: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 34 -

Les enjeux actuels portent sur la rénovation et la construction du réseau de communication. Ainsi, une autoroute a été construite entre les villes ouzbéques de Tachkent et Andijan pour éviter le territoire tadjik. De même, pour désenclaver le Ferghana kirghiz, une autoroute a été construite à plus de 3000 mètres d’altitude entre Osh et Bichkek. Jusque-là, l’unique liaison ferroviaire entre les deux villes imposait un voyage de trente-deux heures, en passant par Tachkent la capitale de l’Ouzbékistan ! Les autres corridors s’inscrivent dans une logique régionale d’interconnexion et d’ouverture vers la Chine. La rénovation de l’axe routier Bishkek-Osh, s’inscrit dans une perspective d’ouverture routière vers la Chine, par la rénovation de l’axe Osh-Sary Tash-Irkeshtam, l’Ouzbékistan cherchant à trouver de nouveaux marchés pour ses productions de la vallée du Ferghana. c. La question des frontières : un obstacle à l’intégration régionale La question de l’enclavement est différemment perçue par les trois républiques centrasiatiques objet de notre étude. Ainsi, l’Ouzbékistan dans son discours politique met en avant une perception positive de l’enclavement car elle la place au centre d’un vaste dispositif régional qu’il entend contrôler. On voit ici comment cette notion d’enclavement peut être instrumentalisée à des fins politiques pour asseoir les ambitions régionales de cet Etat. L’Ouzbékistan est d’ailleurs la république qui émet le plus de revendications territoriales dans la région remettant en cause le tracé frontalier avec ses voisins. Quelques 150 points de litige (à l’exception des enclaves) sont comptabilisés le long des frontières communes entre le Kirghizstan et l’Ouzbékistan. Pourtant de simples déplacements de tracés permettraient souvent d’inclure ou d’exclure telle portion de route ou de canal du territoire voisin. Les négociations échouent devant les conditions imposées par l’Ouzbékistan difficilement acceptables par ses voisins: fermeture unilatérale des frontières ou imposition de visas coûteux, fortification ou minage unilatéral des frontières, remise en question des accords d’échange de gaz et d’électricité… On assiste ces dernières années à un accroissement des tensions entre Etats sur fond de montée de l’islamisme. Haut lieu des mouvements islamistes, financés par la vente d’armes et de drogue en provenance d’Afghanistan, la vallée du Ferghana est devenue une zone de transit pour ces trafics illicites en direction de la Russie et de l’Europe. Accusant le Tadjikistan et le Kirghizstan d’abriter les bases arrières des mouvements islamistes, l’ Ouzbékistan en profite, depuis les attentats du 11 septembre 2001, pour renforcer la fermeture de ses frontières et renforcer ainsi l’autorité du pouvoir central et se protéger contre la concurrence des pays voisins. Tachkent a ainsi miné ses frontières avec Bichkek. Les contraintes frontalières constituent donc une source de fragilité pour la cohésion de ces jeunes Etats dépourvus de tradition nationale et constituent un terreau favorable aux revendications autonomistes voire séparatistes. Ces différends frontaliers constituent également un obstacle à la mise en oeuvre d’une véritable coopération économique régionale, l’Ouzbékistan étant entré dans une logique de «forteresse». Face à ces fragilités, les puissances extérieures voisines ont manifesté un intérêt grandissant pour la stabilité de cette région. La Russie, dans sa lutte contre les Tchétchènes, veut empêcher que la région ne serve de soutien aux mouvements séparatistes et terroristes. Il en est de même pour la Chine qui est confrontée au séparatisme des Ouïgours, peuple turcophone et musulman, vivant dans sa province du Xinjiang. C’est dans cette optique que la Chine propose la création en 2001 de l’organisation de coopération de Shanghai qui regroupe, à ses côtés, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et leTadjikistan avec pour objectif de lutter contre le terrorisme et les mouvements indépendantistes en Asie centrale.

Conclusion

Partie la plus peuplée d’Asie centrale, à la convergence de trois États, la vallée du Ferghana constitue bien une région « sous tension ». Des tensions multiples sont induites par le

Page 35: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 35 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

découpage arbitraire des frontières, réalisé sous Staline, leur nouveau statut international depuis l’effondrement de l’URSS en 1991 et par l’imbrication de populations différentes sur fond de montée des mouvements islamistes. La question du partage des ressources en eau, dans ce contexte, peut donc constituer un facteur aggravant les risques d’instabilité au sein de cette région, véritable poudrière, les rivalités de puissance entre les trois républiques se cristallisant autour de la gestion des ressources hydrauliques. Elles peuvent être de nature à déstabiliser les relations interethniques et l’équilibre régional à l’échelle de l’Asie centrale.

III L’ASIE CENTRALE, UN CARREFOUR DE CRISES Essayons maintenant de changer d’échelle et d’examiner les différents facteurs étudiés dans le contexte de la vallée du Ferghana à l’échelle régionale. Car le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan sont en voie de dissociation mais s'inscrivent toujours dans un même ensemble régional. La montée de l'autoritarisme, une crise économique quasi générale, la connivence qu'y entretiennent politiques et mafieux, ainsi que l'ancrage social croissant de l'islam radical confirment l'importance du risque à long terme pour la région. 1 La dérive autoritaire et les « révolutions de couleur » Les cinq républiques partagent de nombreux traits communs : une certaine unité de culture, de langue et d'histoire ; le poids du legs soviétique ; un environnement géopolitique difficile à gérer. Néanmoins, ces nouveaux États ont connu des évolutions différentes, qui pourraient remettre en cause l'idée même de l'existence d'une entité Asie centrale : des différences culturelles importantes entre anciennes sociétés sédentaires et nomades ; des degrés de russification variés durant la période soviétique ; des choix politiques et économiques divers lors des indépendances. Au moment des proclamations d'indépendance qui suivent l'échec du coup d'État conservateur à Moscou en août 1991, les républiques d'Asie centrale se distinguent par le peu d'empressement de leurs dirigeants et de leur population à saisir la chance historique offerte. Entrés à reculons dans l'indépendance, les nouveaux États de la région proclament toutefois leur volonté d'établir un système politique démocratique, inspiré du modèle occidental, et de passer, plus ou moins graduellement, à l'économie de marché. Dans la première moitié des années 1990, trois voies se dessinent. Le Kazakhstan et le Kirghizstan entament de rapides transitions économiques inspirées de la « thérapie de choc » instaurée en Russie et mettent en place une vie politique diversifiée, avec une réelle opposition politique au président en place. Le Turkménistan et, dans une moindre mesure, l'Ouzbékistan s'enferment dans un système autoritaire et présidentialiste qui liquide rapidement toute opposition politique et hésitent à entamer une sortie de l'économie dirigiste. Le Tadjikistan, quant à lui, s'enfonce dans la guerre civile de 1992 à 1996. Dans les années 1990, malgré des différences de parcours importantes, tous connaissent une même évolution vers l'autoritarisme. Les oppositions politiques, si elles existent, sont en grande partie bâillonnées ; la « société civile » n'émerge que difficilement ; les médias sont très contrôlés ; les processus électoraux entachés d’irrégularités multiples ; les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire sont largement, voire entièrement, contrôlés par les chefs d’Etat et ces derniers sont régulièrement réélus au nom d'une prétendue volonté populaire orchestrée dans de grands référendums à la soviétique. Cette crispation politique est principalement justifiée par la menace islamiste : seul un pouvoir paternaliste et laïque comme celui des présidents actuels pourrait empêcher la région de basculer dans l'islam radical. En quinze ans, les nouveaux États sont également devenus des ethnocraties : les représentants des minorités nationales ont perdu leurs postes dans la fonction publique et celle-ci est aujourd'hui entièrement aux mains de la nationalité titulaire. Le système scolaire s'est rapidement dégradé, faute de moyens économiques, mais également parce que les

Page 36: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 36 -

États les plus autoritaires comme le Turkménistan et l'Ouzbékistan laissent se développer l'analphabétisme de la population pour mieux asseoir la dictature.

2 Une patrimonialisation du pouvoir généralisée

À l'instar du président azéri Heidar Aliev, qui a réussi à faire élire au poste de président son fils Ilkham, certains chefs d'État d'Asie centrale tentent, de leur vivant, d'assurer leur succession et d'ancrer le pouvoir au sein de leur propre famille. Ainsi le président kirghize Akaïev, avant son renversement en mars 2005, avait-il tenté de faire entrer en scène sa fille Bermet et son fils Aïdar. La fille aînée du président kazakh, Dariga Nazarbaeva, s'est lancée en politique avec son parti Asar, qui tente de recruter dans la jeunesse dorée, et elle se présente ouvertement comme le successeur de son père. En Ouzbékistan, les rumeurs concernant l'intronisation, par Islam Karimov, de l'une de ses filles ou de l'un de ses gendres, animent les discussions ; les critiques contre l'aînée, Gulnara Karimova, accusée d'avoir édifié un véritable empire financier sur la toute-puissance paternelle, sont particulièrement virulentes. L'omniprésence de la figure présidentielle s'appuie sur la maîtrise des «ressources administratives» : la mise de l'ensemble de l'appareil administratif au service du président, de son candidat ou de ses proches. Ce phénomène s'accompagne d'une confiscation par la famille présidentielle de l'ensemble des lieux de pouvoir, comme des ressources du pays, et entraîne une forte corruption, par le haut, de l'édifice étatique. Tous les présidents centre asiatiques détournent ainsi une partie de la manne pétrolière et gazière, et exigent le reversement de forts pourcentages des investisseurs étrangers souhaitant s'installer dans le pays, quel que soit leur domaine d'activité. L'une des personnalités les plus visées par ces accusations de corruption est Noursoultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan, dont la fortune est classée parmi les quinze premières du monde. Que le pays ait mis en place des programmes de privatisation au début des années 1990 (Kazakhstan et Kirghizstan) ou que les grandes entreprises soient restées aux mains de l'État, l'accaparement des richesses (qualifié par les organismes internationaux comme la Banque mondiale de « capture de l'État») est allé s'amplifiant depuis l'indépendance.

3 La crise économique et sociale Les richesses économiques des pays d'Asie centrale sont inégalement réparties et contribuent grandement à différencier les possibilités d'évolution des pays de la région. Le Kazakhstan, riche en pétrole et en gaz grâce à son sous-sol, et disposant d'un accès à la mer Caspienne, est le seul à bénéficier d'une réelle marge de manœuvre en matière de développement. Après le brutal effondrement dû à la rupture des liens entre républiques soviétiques, le pays a réussi à centrer son développement sur ses richesses en hydrocarbures et bénéficie depuis 2000 d'une croissance évaluée entre 5 et 10 % par an. Ce succès a donné naissance à une bourgeoisie satisfaite de son sort et confiante en l'avenir du pays qui demeure arrimé à la Russie par de nombreuses alliances douanières et économiques. Deuxième puissance potentielle grâce à ses gisements gaziers, le Turkménistan a été largement bridé par la politique isolationniste menée par le président Saparmourad Niazov et du fait de la dépendance du pays vis-à-vis de la Russie en matière d'exportation du gaz vers les pays clients. L'Ouzbékistan reste, en dépit d'un sous-sol riche mais peu exploitable, une puissance avant tout agricole (le pays est le deuxième exportateur mondial de coton), subissant aujourd'hui les importantes fluctuations de l'or blanc sur le marché mondial. Kirghizstan et Tadjikistan doivent se contenter d'un sous-sol riche en minerais et de leur puissance hydraulique. Châteaux d'eau de la région, ils monnayent les aides économiques et énergétiques dont ils ont besoin par leur position stratégique en amont des grands fleuves qui irriguent les zones agricoles des pays voisins. Malgré l'urbanisation rapide de l'époque soviétique, les sociétés d'Asie centrale demeurent assez largement rurales. La part des

Page 37: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 37 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

urbains dans la population totale est plus élevée au Kirghizstan (63 %) et au Kazakhstan (55 %), alors qu'elle est plus faible au Tadjikistan (26 % seulement) et en Ouzbékistan (37 %). L'enclavement géographique de la région est accentué par les mesures isolationnistes prises par le Turkménistan et l'Ouzbékistan : fermeture des frontières et instauration de systèmes de visas. L'appartenance des quatre républiques (le Turkménistan refuse tout

multilatéralisme) à la Communauté économique eurasienne20 ne permet pas de faire contre-poids à cet enclavement, même si les économies du Kazakhstan et du Kirghizstan restent soutenues par leur intégration dans l'espace économique post-soviétique initié par la Russie. Le développement du phénomène migratoire vient d'ailleurs renforcer le lien unissant les pays de la région à l'ancien « grand frère» : un cinquième des hommes du Tadjikistan et du Kirghizstan travaillent hors de leur république, principalement en Russie, et le nombre de travailleurs saisonniers ouzbeks y est également très important. Ces migrants transforment en profondeur l'économie de leur pays d'origine, raffermissent les liens avec la Russie et pourraient se révéler, sur le long terme, porteurs de revendications politiques encore inexprimées. À l'exception du Kazakhstan, les républiques de la région sont donc soumises, depuis quinze ans, à une rude crise économique et sociale. L'arrêt de la manne financière venue de Russie, la difficulté à réformer la monoculture du coton, la difficile viabilité économique des deux petits États que sont le Kirghizstan et le Tadjikistan, ainsi que le développement d'une corruption généralisée, se combinent pour appauvrir les populations. Pour celles-ci, la démocratisation attendue durant la perestroïka n'a pas vraiment eu lieu et l'économie de marché a signifié, avant tout, l'effondrement du niveau de vie, contribuant à ancrer une profonde nostalgie pour le régime soviétique. 4 Des sociétés fragilisées Les régimes en place conservent nombre de traits hérités du régime soviétique : le paternalisme, la croyance en la nécessité d’une idéologie forte, diffusée au peuple sous diverses formes, une frilosité, voire une hostilité envers toute association non contrôlée ou toute individualité non conformiste, un ethnonationalisme déjà en vigueur dans les dernières décennies du régime précédent, enfin une inflation du discours sur le bien-être national qui semble aller de pair avec la détérioration du niveau de vie de la population. La disparition de l’État providence soviétique sur le plan social s’est donc bien souvent conjuguée à une nouvelle omniprésence idéologique de l’État et à un fort culte de la personnalité. La population demeure dans l’idée qu’un pouvoir solide est un pouvoir fort ; elle n’a que peu investi la sphère publique depuis les années de perestroïka, même si la situation évolue sans doute dans certaines républiques, comme l’ont montré les événements du Kirghizstan en mars 2005. La rapide dégradation du système scolaire et la chute du taux d’alphabétisation constituent des éléments de long terme aliénants pour la population et qui ont toute chance de porter préjudice à l’État lui-même. La faible organisation de la société civile, hors des structures de l’État, des réseaux familiaux et des factions traditionnelles, est un des héritages les plus prégnants de l’époque soviétique. Dans l’ensemble de l’Asie centrale, les associations (de veufs, d’anciens combattants, de combat contre l’alcoolisme, de femmes, etc.) sont presque inexistantes ; les syndicats, comme les institutions professionnelles, sont muselés par le pouvoir ; les mouvements écologistes, un temps présents dans le domaine public, sont de plus en plus astreints au silence ; les regroupements par affinités ou pour les loisirs demeurent eux aussi rares.

20 La Communauté économique eurasienne (EvrAzEs) qui regroupe la Russie, la Biélorussie, le

Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, fondée le 10 octobre 2000, établit une union douanière entre ces

Etats, une régulation des tarifs et, à plus long terme, un marché économique commun. En octobre 2005, elle a

accueilli l’Organisation de Coopération centrasiatique, et en janvier 2006, l’Ouzbékistan. Dorénavant, les quatre

pays d’Asie centrale (le Turkménistan restant isolé) constituent un espace économique en partie unifié avec la

Russie et le Biélorussie et peuvent être considérés comme partie intégrante du processus d’intégration impulsé

par la Russie au sein de l’espace post-soviétique.

Page 38: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 38 -

La crise économique post-soviétique a conduit à un renforcement du système clientéliste : les factions régionalistes et claniques ont confirmé leur maîtrise des jeux politiques internes, de l’administration publique, et gèrent l’accès des citoyens aux services de l’État. Ce système de patronage contribue au développement d’une corruption généralisée à tous les niveaux de la société : toutes les fonctions administratives doivent être achetées, bien évidemment dans des domaines cruciaux, comme la justice et la police, mais également dans la petite administration, l’enseignement supérieur, les postes économiques, agricoles ou industriels. La corruption des fonctionnaires constitue un problème endémique et bénéficie d’une impunité généralisée. L’organisation non gouvernementale (ONG) Transparency International classe les pays d’Asie centrale parmi les plus corrompus du monde, le Turkménistan et le Tadjikistan étant, selon le rapport 2004, à un indice de 133, le Kirghizstan et le Kazakhstan de 122, l’Ouzbékistan de 114 sur un maximum possible de 145. À l’exception du Kazakhstan, quinze ans d’indépendance n’ont donc pas amené à la masse des populations richesse ou bien-être, sans parler de démocratie, mais ont durci les conditions de vie et aggravé le ressentiment envers des élites politico-économiques, qui se sont illégalement enrichies au vu et au su de tous. Dans les quatre républiques, l’espoir placé en une promotion sociale des générations futures a diminué et l’avenir, tant individuel que collectif, est analysé sombrement par une majorité de la population.

5 L’Asie centrale, plaque tournante du trafic de drogue C'est une véritable chaîne du crime qui s'est mise en place en Asie centrale, région de transit et de plus en plus de consommation, de l'héroïne venue d'Afghanistan : la culture du pavot dans ce pays y est en forte hausse, malgré les tentatives d'éradication, la production d'opium représente désormais 90 % du total mondial, sa transformation s'effectue pour l'essentiel sur place dans des laboratoires clandestins, grâce à des importations de substances réactives d'Inde, de Chine et de Russie. Le marché de la drogue représenterait la moitié du PIB afghan et aurait rapporté 2,14 milliards de dollars en 2005, aux trafiquants afghans. La drogue est transportée le long de trois itinéraires principaux, dont la «route de la Soie», pour atteindre la Russie, puis l'Europe occidentale (principal marché), en passant par les Balkans ou l'Europe centrale. Le premier pays concerné est le Tadjikistan, à la frontière afghane, mais aussi le Kazakhstan, la région-clé du trafic se situant au sud du Kirghizstan dans la région d'Och et la vallée du Ferghana. A ce trafic sont intrinsèquement liés ceux des êtres humains, des armes, la prostitution et les actions des groupes «terroristes», dont on sait que les incursions et les attentats sont le plus souvent situés sur les routes de la drogue. Ces activités gangrènent des institutions déjà faibles, au pire criminalisent les milieux politiques, favorisent la corruption à tous les niveaux, sur fond de grande pauvreté, développent une économie parallèle qui étouffe les secteurs officiels, au point que certains experts évoquent un risque de déstabilisation totale de la région, d'ici cinq ans pour les plus pessimistes, si rien n'est entrepris. La coopération régionale en la matière est faible, et seuls le Kazakhstan et la Russie sont parvenus à des résultats. De même les institutions internationales peinent à imposer un début de contrôle des trafics, dans des régions montagneuses et désertiques aux milliers de km de frontières. Last, but not least, on constate une forte montée des cas de VIH/Sida, liée à celle de la consommation locale de drogue par injection, alors que les systèmes sanitaires sont généralement délabrés.

6 La corruption Une partie des fonds accumulés par les réseaux mafieux sert au trafic d'influence et à la corruption des agents de l'autorité publique pourtant chargés de les éliminer. Le phénomène est endémique aux frontières centre asiatiques avec l'Afghanistan, mais aussi entre les pays de la région. Certains douaniers et policiers, dont les salaires mensuels sont pourtant de 50 à 100 dollars, jouissent d'un niveau de vie très élevé, avec voitures et villas de luxe, etc. Les interpellations d'officiers des services douaniers et de police sont fréquentes, surtout au Tadjikistan, mais aussi au Kirghizstan et en Russie. L'argent facile lié aux trafics alimente une corruption qui sape les efforts des organisations internationales et des gouvernements

Page 39: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 39 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

de la région, quand ces derniers n'y sont pas eux-mêmes directement impliqués. Dans certains pays comme le Turkménistan et le Tadjikistan, des sources mettent en cause des responsables politiques locaux de haut niveau, tandis qu'en Afghanistan de nombreux indices laissent penser que la production et la transformation de la drogue bénéficient de protections très haut placées. Selon Transparency International, le Turkménistan figure parmi les pays les plus corrompus de la planète (155e sur 158 pays répertoriés), suivi de près par le Tadjikistan (144e rang).

7 L’islamisme, entre mythes et réalités L'islamisme est appréhendé par les pouvoirs en place comme la principale menace de déstabilisation de la région - un discours renforcé depuis les événements du 11 septembre 2001 et la nouvelle politique de sécurité initiée par les États-Unis dans la région. Les pays d'Asie centrale, et particulièrement l'Ouzbékistan, ont bien eu à faire face à de multiples actions islamistes : série d'attentats contre les lieux symboliques du pouvoir dans la capitale, Tachkent, le 16 février 1999 (la thèse « islamiste » n'a toutefois jamais été vraiment prouvée) ; incursions du Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) au Tadjikistan et au Kirghizstan à l'été 1999 et en 2000 ; attentats à la bombe sur des marchés au Kirghizstan en 2002 ; atten-tats-suicides en mars et avril 2004 à Tachkent et Boukhara contre des instances du pouvoir, en particulier la milice, puis en juillet contre les ambassades des États-Unis et d'Israël. Le seul parti islamiste reconnu dans la région est le Parti de la Renaissance islamique (PRI) du Tadjikistan, membre du gouvernement de coalition mis en place à Douchanbé lors des accords de paix de juin 1997. Il s'est depuis rallié au régime du président Emomali Rakhmonov, ne constitue plus qu'une opposition formelle et est dépassé par des mouvements officieux plus radicaux. Le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, qui revendiquait le renversement du pouvoir ouzbek par la force, a quasiment disparu de la scène depuis l'effondrement du régime taliban, qui constituait sa principale base arrière et son soutien logistique. Son mode d'action violent semble avoir été repris par le mouvement « Djihad islamique » qui a revendiqué les attentats de 2004. Le principal courant islamiste aujourd'hui en expansion reste le Hizb ut-Tahrir qui, officiellement, prône un accès pacifique et démocratique au pouvoir. Ses liens avec le djihadisme internationalisé sont difficiles à saisir : si une partie des financements proviennent de mouvances étrangères, le Hizb ut-Tahrir fonctionne principalement sur les dons de ses fidèles, prône un discours islamo-nationaliste très éloigné de l'objectif rhétorique du califat mondial, et est ancré dans des problématiques sociales et politiques internes bien plus que strictement religieuses. Le Hizb ut-Tahrir recrute dans les couches les plus démunies de la population ainsi que parmi les professions intellectuelles dévalorisées, grâce à des activités éducatives et caritatives. Il est principalement présent en Ouzbékistan, ainsi que parmi les minorités ouzbeks du Kazakhstan et du Kirghizstan, et semble également attirer à lui de plus en plus de Kirghizes. Il faut toutefois rappeler qu'une très large majorité des habitants d'Asie centrale restent en faveur du maintien de régimes laïques. Bien que le poids du facteur islamiste en Asie centrale reste limité, il s'ancre dans les réalités sociales et politiques de la région. L'autoritarisme du régime ouzbek lui confère involontairement le statut de principal mouvement d'opposition au pouvoir. L'aggravation de la situation économique au Kirghizstan, en particulier dans les régions méridionales, lui assure un terreau favorable. Le haut degré de corruption des pouvoirs dans les cinq États ainsi que l'injustice judiciaire dont se nourrit le pouvoir karimovien en Ouzbékistan contribuent à faire écho aux revendications islamistes de justice sociale et de rétablissement de la morale dans la vie publique.

8 La crise écologique Crise écologique sans frontières en Asie centrale Les remèdes à la crise écologique qui frappe l'Asie centrale, en continuité avec celle qui prévalait durant l'époque soviétique, sont encore loin de pouvoir être appliqués. Le modèle de développement économique, associé à la nature autoritaire et clanique des régimes politiques, adopté depuis l'indépendance des cinq républiques, ne fait que l'entretenir, voire

Page 40: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 40 -

l'aggraver. Pour des raisons en grande partie dues à l'urgence de faire tourner la machine, au début des années 1990, les nouveaux dirigeants, en fait issus du sérail soviétique, n'ont eu d'autres solutions que de relancer l'extraction et la production des matières premières (coton, minerais, pétrole et gaz). Toutes activités pourtant à l'origine d'une profonde crise sanitaire et environnementale, faute de prise de conscience, de connaissance des dangers ou d'application de normes strictes. Les plus choquants et visibles sont sans doute les stocks chimiques et déchets radioactifs abandonnés, depuis parfois des dizaines d'années, quasiment à l'air libre. Sans compter la mer d'Aral sacrifiée sur l'autel de la culture extensive du coton et l'intense gaspillage de l'eau en général. La gravité de cette crise est accentuée par le contexte chaotique de la transition : manque de moyens financiers, départ des cadres russes, corruption, irresponsabilité, chômage et grande pauvreté, indifférence à la misère humaine ont conduit à systématiquement faire passer développement durable sinon l'écologie même au second plan, voire à les ignorer. Quant aux victimes, déclarées ou potentielles, elles ont, comme autrefois, peu droit à la parole, contrairement à ce que laisse entendre le discours ambiant en Asie centrale, volontiers repris en Occident. Ces dommages sont aussi le fait de compagnies étrangères, qui, en position de force, négocient souvent des

«rabais» environnementaux...

9 Une région complexe L’Asie centrale ex-soviétique, région de quelque 6,6 millions de km2 peuplée de plus de 56 millions d'habitants turcophones (hormis les Tadjiks de langue iranienne, farsi) est donc aujourd’hui constituée de cinq Etats indépendants qui sont l'exacte réplique des cinq républiques créées artificiellement par les Soviétiques : Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan. En fait il y a peu de régions au monde qui, jusque-là excentrées, marginalisées et presque hermétiquement verrouillées à toute influence externe durant soixante-dix ans, aient été aussi soudainement propulsées sur le devant de la scène internationale pour devenir aussitôt un enjeu géopolitique majeur. D'aucuns annoncent le retour du « Grand Jeu », qui revient comme un leitmotiv chez les auteurs de cet ouvrage, selon l'expression demeurée célèbre de Rudyard Kipling ; jeu par lequel au 20ème siècle les intérêts des Russes, qui progressaient en Asie centrale, et ceux des Britanniques, qui contrôlaient l'Empire des Indes, en étaient arrivés à s'opposer pour se heurter directement aux confins de l'Afghanistan. Par la suite, le Grand Jeu prit une nouvelle dimension idéologique et universelle, les bolcheviks soutenant en Asie le processus de décolonisation afin de saper les positions de l'Occident par une manœuvre oblique coupant les économies européenne et américaine des sources de matières premières et surtout d'énergie. Ce même jeu perdura, d'ailleurs, au moins indirectement, pendant la Guerre Froide, les Américains se substituant aux Britanniques, profitant de la querelle sino-soviétique des années 1960-1980 et s'efforçant avec succès de limiter le poids de l'axe Moscou-New-Delhi par celui du triangle Washington-Pékin-Islamabad. Au moment de la guerre contre l'invasion soviétique en Afghanistan, les États-Unis s'employèrent à jouer la carte de l'islamisme sunnite à la fois contre le communisme russe et contre le fondamentalisme chiite qui venait de triompher avec la révolution khomeyniste en Iran. Ce fut la « Green Belt », la « ceinture verte » de l'étendard de l'islam proposée par le général Zia Ul Haq, censée encercler la frontière sud de l'URSS et la noyauter de l'intérieur. Cette alliance avec les islamistes leur fut amèrement reprochée par la suite à l'heure du 11 septembre et de Ben Laden. Avec la décomposition de l'URSS et la proclamation consécutive de l'indépendance de ses républiques asiatiques, le Grand Jeu a-t-il changé de nature, de règles et de sens ? On a d'abord pensé au vide ! Ceci renvoie tout d'abord à la grande fragilité initiale des États d'Asie centrale. Il était permis d'emblée de douter de la capacité de ces pays à adapter aux normes internationales les systèmes politiques et économiques existant et, partant, de leur viabilité même. Bien qu’apparaissant assez différents du point de vue de leurs ressources et potentialités économiques respectives, ces États se sont trouvés brutalement en situation de transition à tous les niveaux. Ayant accédé à l'indépendance sans préparation véritable et

Page 41: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 41 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

dans la précipitation, ils ont été contraints de mettre simultanément en place des structures politiques, d'édicter un minimum de règles et de normes nouvelles, de se faire reconnaître par la communauté internationale tout en édifiant en même temps, et de toutes pièces, une politique étrangère qui respecte néanmoins de bonnes, sinon suffisantes, relations avec la Russie qui conservait la défense aérienne et des frontières. Ils devaient aussi faire fonctionner une économie devenue nationale en refusant de poursuivre l'ancien système de solidarité soviétique et tout en préparant la transition d'une économie étatique à une économie de marché. Des transitions aussi cruciales ne pouvaient manifestement être entreprises dans un climat de stabilité parfaite et, de fait, se sont le plus souvent accompagnées d'une augmentation sans précédent de la criminalité, de l'extension de la gangrène mafieuse et l'amplification de tous les trafics illicites. Du point de vue politique, la situation respective de ces États d'Asie centrale tend à refléter un modèle dominant inclinant vers l'autoritarisme musclé (même dans des pays a priori marqués à leur début par une petite ouverture démocratique comme le Kirghizistan), voire la dictature pure et simple, autocentrée, dont l'exemple type reste le Turkménistan. C'est dans un contexte complexe, bouleversé par l'invasion de l'Afghanistan, que doit être envisagée la stabilité géostratégique globale de l'Asie centrale face aux risques majeurs auxquels cette région se trouve aujourd'hui confrontée. Le premier de ces risques est constitué par l'islamisme radical, même si cette mouvance reste souvent nébuleuse, souterraine et protéiforme. Elle est également instrumentalisée par certains pouvoirs locaux21 qui agitent la menace comme un épouvantail pour mieux se conforter. Il n'en demeure pas moins qu'au cours de la dernière décennie, l'islamisme est devenu un danger réel en Asie centrale. Sans doute, l'influence de l'islam a-t-elle toujours été vivace dans cette région, en dépit de la répression constante exercée par le pouvoir soviétique, avec des poches de religiosité fervente telle que la vallée du Ferghana ou encore les diverses confréries soufies ouzbeks ou tadjiks. Néanmoins, la période qui a suivi l'indépendance des États d'Asie centrale a donné lieu à un indéniable essor de l'islamisme, notamment parmi les jeunes. L'afflux régulier de capitaux et de missionnaires musulmans en a été le moteur le plus efficace. La vitalité de l'islamisme a ainsi pu être observée à travers la construction de mosquées, l'ouverture de madrasas, la distribution d'ouvrages religieux, la prise en charge des populations locales par des ONG caritatives plus ou moins transparentes et, plus généralement, par un prosélytisme actif. Il va de soi qu'un tel phénomène aurait eu beaucoup plus de mal à se développer s'il n'avait pas trouvé un terreau socio-économique favorable, à savoir le chômage et une paupérisation galopante conjugués à des inégalités croissantes. Enfin, ce contexte n'a pu qu'être attisé pendant une longue période par la proximité de l'Afghanistan des talibans où les combattants de l'islam pouvaient trouver base arrière de repli, camps d'entraînement et armements. Les événements du 11 septembre 2001 ont eu pour conséquence, il est vrai, de clarifier cette situation. Ils ont entraîné ou accéléré une répression indifférenciée (parfois prétexte à briser toute opposition politique) à l'égard des islamistes (notamment contre le prosélytisme transnational du parti islamiste clandestin Hibz ut Tarhir). Ils ont accru l'action armée contre les maquis d'origine mi-locale mi-étrangère comme en Ouzbékistan22. De plus, la promotion

par chaque État d'un islam officiel se démarquant du «Wahhabisme »23 et insistant sur les spécificités d'un islam centre asiatique, présenté comme modéré, a été encore développée. À cet égard, la déroute des talibans et la pacification de l'Afghanistan ont permis d'affaiblir en partie ces mouvements radicaux qui avaient affronté dans de sanglants combats les troupes ouzbeks et kirghizes en 1999 et 2000, dans la vallée du Ferghana. Mais si la victoire

21 Pour une analyse fine des pouvoirs nationaux/locaux et leurs liens aux réseaux mafieux/familiaux, voir

Olivier Roy, L'Asie centrale contemporaine, op. cit. chap. m, pp. 43-52 22 Namangani le chef du MIO, mouvement islamique radical ouzbek, a été tué par le général Dostom en

novembre 2001 à Kunduz et son adjoint, qui avait repris les rênes du mouvement, aurait été abattu ou grièvement

blessé en mars 2004 ; pour Namangani, voir Catherine Poujol, L'Asie centrale : vers la nouvelle donne, Ellispes-

Mise au point, Paris, 2001, p. 78. 23 Terme générique utilisé en Russie, dans le Caucase et en Asie centrale pour qualifier les mouvements

islamistes radicaux.

Page 42: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 42 -

alliée a conduit à l'interdiction partielle du sanctuaire afghan et s'ils ont dû courber un temps l'échine, ces mouvements sont à même de se déployer sous une forme terroriste comme l'ont montré les attentats en série en Ouzbékistan ayant frappé Tachkent et Boukhara en

mars 200424. Le second paramètre caractéristique de l'Asie centrale se décline beaucoup moins en termes de risque que d'enjeu et se rapporte à ses ressources en énergie. À cet égard, la tentation a parfois été forte de faire de cette région un nouvel « eldorado » et une sorte de « Proche-Orient » du 21ème siècle.

24 "Terrorist blamed as 19 die in Uzbekistan", Seth Mydans, International Herald Tribune du mardi 30

mars 2004, pp. 1 et 2.

Page 43: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 43 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 1 : Pistes d’exploitation pédagogique Etude de cas : la vallée du Ferghana Niveau : géographie seconde Entrées dans le programme :

- Plus de six milliards d'hommes sur la Terre L'espace terrestre organisé par les sociétés humaines

« L'espace mondial se divise en États toujours plus nombreux. Les frontières qui les délimitent sont des discontinuités majeures de l'espace : elles donnent lieu à des formes spécifiques d'aménagement, de gestion de l'environnement et d'organisation de l'espace ; elles induisent des enjeux géopolitiques, voire des conflits concernant des ressources internationales (fleuves, ressources minières et énergétiques...). Les enjeux environnementaux ignorent les frontières et impliquent une gestion internationale à laquelle les États, d'inégale puissance, adhérent plus ou moins. » Notion : organisation de l’espace Objectifs

- Montrer qu’une frontière est un processus d’appropriation de l’espace

- Montrer que les critères qui ont présidé au tracé des frontières sont complexes, qu’ils relèvent d’un rapport de force à un moment de l’histoire

- Montrer que le changement de statut des frontières induit des conséquences sur la gestion de l’eau

- Cerner le problème de l’enclavement et ses conséquences sur le développement d’un espace

L'eau, entre abondance et rareté

- Inégalité de répartition et d'accès à la ressource - Maîtrise de l'eau et transformation des espaces - Une ressource convoitée et parfois menacée

Notions : environnement, aménagement, ressources Objectifs - Comment la question environnementale peut-elle peser sur la stabilité et la sécurité des Etats ? - Montrer comment l’eau est devenue un enjeu majeur dans cette région et une cause de conflits potentiels entre républiques.

Page 44: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 44 -

ANNEXE 2 : Corpus documentaire

DOC.1 Carte de l’URSS à la Communauté des états indépendants. Manuel de terminale Es L s, Hachette, 2004

DOC.2 A Carte de l’Asie centrale post-soviétique. Source : Marc Ferro (sous direction de) l’état de toutes les Russies, La découverte, 1993.

DOC. 2B Carte le Ferghana. Source : Marc Ferro (sous direction de) L’état de toutes les Russies, La découverte, 1993.

DOC.3 La vallée du Ferghana : topographie et hydrographie. Source: Environment and Security: Transforming risks into cooperation - Central Asia, Ferghana / Osh / Khujand area

www.osce.org/eea/publications.html

DOC. Carte des densités de population dans la vallée du Ferghana. Source: Environment and Security: Transforming risks into cooperation - Central Asia, Ferghana / Osh / Khujand

area www.osce.org/eea/publications.html

DOC.5 Dynamique frontalières - enclaves autour de la vallée de Ferghana. Source : Observatoire européen de géopolitique. Emmanuel Gonon et Frédéric Lasserre, une critique de la notion de frontières artificielles à travers le cas de l’Asie centrale, Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, numéro 132, Décembre 2003.

http://www.erudit.org/revue/cgq/2003/v47/n132/008090ar.html DOC.6 Minorités et majorités dans la vallée du Ferghana. Source : Observatoire européen de géopolitique. Emmanuel Gonon et Frédéric Lasserre, une critique de la notion de frontières artificielles à travers le cas de l’Asie centrale, Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, numéro 132, Décembre 2003. http://www.erudit.org/revue/cgq/2003/v47/n132/008090ar.html

DOC.7 Formation et utilisation des ressources en eau dans le bassin de l'Aral par pays. Source : Julien THOREZ et Pierre THOREZ, le partage des eaux dans les Républiques d’Asie centrale, une manifestation des tensions post-soviétiques.

http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2003/thorez/article.htm

DOC.8 Les quotas attribués en 2000 par le MKVK (1) par pays et par bassin (en %) Source : Julien THOREZ et Pierre THOREZ, le partage des eaux dans les Républiques d’Asie centrale, une manifestation des tensions post-soviétiques.

http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2003/thorez/article.htmAtelier 3

Projets cartographiques pour les façades pacifiques

Animation : Claude Martinaud

professeure au lycée Thiers, Marseille

ARGUMENTAIRE

Page 45: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 45 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

A partir des cartes existantes, sur le net ou dans les manuels du secondaire, comment peut-on réaliser et faire réaliser à des élèves du secondaire, un croquis sur les problématiques de terminale concernant à la fois le Japon, les Etats-Unis et la Chine ?

I UNE INTEGRATION COMMERCIALE ET FINANCIERE EN MARCHE Consultation des cartes suivantes : Atelier de Sciences Po : le commerce mondial de marchandises 2003:

http://cartographie.dessciences-po.fr/recherche.php5

Trafic de conteneurs ISEMAR sources Containerisation international.

http://www.isemar.asso.fr/fr/ressources/cartographie.php

Les ports conteneurs millionnaires en 2000 ISEMAR sources idem Opérateurs mondiaux de manutention ISEMAR ; localisation des terminaux. Les 500 premières firmes multinationales : atelier de Sciences Po. Centres et périphéries dans le monde actuel. La part des échanges s'est encore accrue dans l'économie mondiale. Les échanges commerciaux dans le monde ont continué d'augmenter en 2006 à un rythme cependant moins élevé, du fait du ralentissement de l'activité économique en Europe et aux États-Unis et du coût exponentiel des transports dus à la hausse des prix du pétrole. Mais de l'Europe à l'Asie, l'Afrique ou l'Amérique latine, toutes les grandes zones économiques du monde ont vu leur trafic, leurs échanges s’intensifier, selon le rapport annuel de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les échanges de biens et services pour l'année 2005. Les exportations mondiales auraient progressé de 6 % en 2006, un rythme plus rapide que la croissance mondiale elle-même (de l'ordre de 5 %) mais en net ralentissement par rapport aux 11 % environ enregistrés l'année précédente. 1 Deux axes majeurs d'échanges commerciaux. - A l’Est : l'Asie représente 27,4 % des exportations et 24,7 % des importations. Il faut souligner que la Chine, responsable à elle seule de 7,5 % des exportations mondiales et de 6,3 % des importations, est devenue la troisième puissance commerçante du monde. - A l'Ouest : Des courants de plus en plus forts se nouent de l'Australie, de Nouvelle Zélande, des pays de l'ASEAN vers le Japon et les 4 Dragons pour les produits bruts et en sens inverse pour les produits manufacturés. Dans le Pacifique Nord, les relations entre Amérique du Nord et Japon-Chine (=atelier du monde) ainsi que les NPI, donnent lieu à des flux Ouest Est plus importants pour les EU que pour ceux qui relient ces derniers au Vieux Continent. Plus des 2/3 du commerce de la Californie se font vers le Pacifique qui est aussi porte d’entrée des influences et des migrants asiatiques. La poussée du trafic conteneurisé des ports traduit le glissement du commerce vers le Pacifique. Quelques exemples : Sur les 7 premiers ports à containers, 6 sont du Pacifique: Singapour 1 Hong Kong 2 Shanghai 3 Shenzen 4 Pusan (Corée) 5 Kaoshiun (Taiwan) : 6 Rotterdam 7 2 Les échanges technologiques et de capitaux.

Page 46: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 46 -

Ces échanges relient de plus en plus fortement les entités économiques du Pacifique. - Les flux technologiques entre Japon et EU, ne cessent de se développer, et leur solde est positif au profit du Japon. - Par contre, les flux financiers n'ont pas enregistré ce renversement. La bourse de Tokyo ou Kabutocho (= Tokyo Stock Exchange (TSE)) est le deuxième plus important marché d'actions au monde. 2 271 compagnies y sont recensées. Les bourses de Hong Kong et de Singapour (=2e place financière d'Asie après le Japon), connaissent un dynamisme remarquable. Un exemple : - L'intégration financière en marche entre pays riverains du Pacifique est bien illustrée par la répartition des investissements étrangers en Malaisie: 80% de ceux-ci proviennent, par ordre décroissant d'importance, du Japon et de Singapour, de Taiwan, des Etats Unis, d’ Australie et d’ Inde. Conclusion : Les façades pacifiques sont de plus en plus intégrées dans la mondialisation qui relie tous les lieux et cela concerne au premier chef, les lieux, d’espaces et d’échanges et parmi ceux-ci les façades littorales. II UNE VIVE CROISSANCE ECONOMIQUE Etude des cartes : L’organisation de l’espace de la mégalopole japonaise

http://clioweb.free.fr/carto/croquis.htm

http://www.google.fr/search?q=organisation+de+1%27espace+de+la+m%C3%A9galopole+japonaise&btnG=Rechercher&hl=fr Carte de l’Est japonais (Google) Pointeur 35 16 139 41 Photographie aérienne du port de Tokyo (Google) idem La Triade

http://www.ac-poitiers.fr/hist_geo/ressources/cartcentrimpuls/cartCentrimpuls.ppt Une carte de mise en valeur de l’espace coréen

http://perso.orange.fr/pascal.boyries/pedago/carto/autres/coree.htm

Carte du Monde diplomatique : En Asie, des projets de construction de voies d’acheminement du pétrole et du gaz ;

http://www.monde-diplomatique.fr/2005/05/KANDIYOTI/12220

Carte sur l’environnement californien ;

http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ographie_de_la_Californie

Le corridor asiatique ;

http://www.ac-grenoble.fr/histoire/tice/cartemois/n6/corridor-carte.htm

Sur les rives Nord Ouest de cet Océan: On a vu émerger depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, une multiplicité de pays industrialisés. Un exemple le Japon : Le miracle japonais date de l'ère Meiji (1868) et n'a cessé d'étonner et d'inquiéter ses concurrents. La façade littorale du Japon central domine l’Asie orientale et influence partiellement de nombreux pays. C’est un lieu étroit où se resserrent métropoles, industries, services. C’est le pôle majeur de la façade pacifique de l’Asie avec deux ensembles portuaires: Chiba + Yokohama + Kawasaki + Tôkyô = 500 Mt ; Kobe + Osaka = 280Mt ; Nagoya = 140Mt. Ce

Page 47: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 47 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

pôle fait commerce essentiellement avec l’Asie-Pacifique qui a dépassé le commerce Japon EU. C’est une source de capitaux : flux d’IDE vers l’Union européenne, les Etats Unis, l’Asie ; APD (60 % vers l’Asie). Le littoral est artificialisé : terre-pleins aménagés pour les combinats industrialo portuaires, aujourd’hui diversifiés pour recevoir bureaux, logements, espaces ludiques (ex. Daiba à T.) A l’intérieur de cet ensemble il faut noter l’importance de Tokyo. On remarque la concentration des fonctions métropolitaines : le cumul de valeurs ajoutées (en PUB, Tôkyô = 1/3 PIB japonais ; > PIB Italie !) ; c’est la capitale économique et financière (Bourse du Kabuto-chô, banques, sièges sociaux, hi-tech) ; c’est un lieu de rayonnement intellectuel : universités (Todai), médias : presse (Yomiuri Shimbun, Asahi Shimbun) et TV (NHK, NTT-Docomo…), cyberculture (quartier d’Akihabara) ; enfin c’est le siège du pouvoir politique (capitale d’un Etat centralisé) et de services stratégiques (Tôkyô est classée avec NY, Londres et Paris parmi les « villes globales »). L’ensemble littoral est relié par des axes de communication saturés : Shinkansen, autoroutes, voies aériennes, réseaux de télécommunication. Il y a des projets de désengorgement : Japan Corridor au nord avec un train à lévitation magnétique. Deuxième exemple les "4 Dragons". Les Dragons d’Asie orientale : Corée du sud, Taiwan, Singapour. Il est là difficile de parler de façade à grande échelle (présence de quelques ports ; productions intérieures) ; mais à petite échelle on peut parler de façade. En effet c’est par cette façade que l’on procède aux achats nécessaires de matières premières dans le reste du monde ; où l’on vend des biens de consommation et technologie au reste du monde ; voire où l’on investit. Cette façade a une aire d’influence d’importance seconde. Ces pays ont vu leur population franchir toutes les étapes de la transition démographique : la part des industries manufacturières dans leur PIB est comparable à celle des pays industriels ; leur rôle commercial en fait des concurrents redoutés à la fois pour les produits manufacturés banals, mais aussi pour les produits de technologie avancée. Troisième exemple : la Corée du sud. C’est l’un des dragons asiatiques (à ne pas confondre avec les 5 Tigres asiatiques). La Corée du Sud a connu une phase spectaculaire de croissance et d'intégration dans l'économie mondiale moderne. Dans les années 1970, son PIB par habitant était comparable à celui des pays les plus pauvres de l'Afrique et de l'Asie. Aujourd'hui, son PIB par habitant est approximativement 20 fois celui de Corée du Nord et égal à celui des petites économies de l'Union européenne. La Corée du Sud est à la 11e place des puissances économiques mondiales. Ce succès, à la fin des années 1980, a été obtenu par : - des liens étroits entretenus entre le gouvernement et le monde des affaires, (un système de crédit dirigé, restrictions sur les importations, financement de certaines industries). -il s'explique aussi par une très importante quantité de travail. Le gouvernement a encouragé l'épargne et l'investissement au détriment de la consommation. La crise financière asiatique de 1997 a frappé de plein fouet la Corée. La croissance a chuté de 6,6% en 1998, puis le pays s’est relancé : 10,8% en 1999 et 9,2% en 2000. La croissance est tombée de nouveau à 3,3% en 2001 en raison du ralentissement global de l'économie, la croissance en 2002 a retrouvé un taux dynamique de 5,8%. La Corée du Sud a diversifié ses partenariats commerciaux : en 2005, elle est le deuxième fournisseur de la Chine et ses exportations dépassent celles de Taiwan (74,6 milliards d'euros) et de l'Union européenne (73,6 milliards d'euros), derrière le Japon (100,5 milliards d'euros). La Corée du Sud fait partie de la Coopération Économique Asie Pacifique (APEC). Quatrième exemple : « les NPI de la 2°génération »

Page 48: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 48 -

(Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Philippines, membres avec Singapour de l'ASEAN (Association des Nations du Sud Est Asiatique à vocation plus militaire qu'économique). Une 3° auréole de croissance apparaît dans cette région avec ce que l’on appelle les NPI 3e génération. On voit apparaître le développement de façades littorales en Malaisie, Indonésie, Thaïlande. Les industries manufacturières, par exemple, augmentent à des rythmes compris entre 5 à 12% par an depuis 1965. L'ensemble de ces pays du nord-ouest pacifique est engagé dans une véritable "spirale de croissance". Dont l’exemple particulier de la Malaisie. C’est un tigre asiatique, qui est passé en 25 ans du stade de pays en voie de développement à celui de pays développé et cela grâce à la modernisation des transports, des communications et des infrastructures énergétiques, ainsi qu’au développement des zones industrielles et aux incitations fiscales pour les investisseurs dans des industries d’exportation. Japon, Etats Unis, Singapour sont les principaux partenaires économiques du pays. La Malaisie est dans les premières places mondiales en ce qui concerne la production de composants électroniques, en particulier les semi-conducteurs. En Asie du Sud-est, elle est le premier pays à concevoir et produire une automobile, la Proton, exportée aux quatre coins de la planète. Deux puissances continentales : Face à cette réussite économique (mais pas encore ? sociale) il ne faut pas négliger les puissances continentales telles que la Russie et la Chine qui se lancent elles aussi dans l'ouverture. - Exemple de la Chine. Elle tente de mobiliser ses immenses ressources naturelles et démographiques pour accélérer sa croissance. La création de ZES (zones économiques spéciales). Cinq des six zones économiques spéciales du pays sont situées en Chine méridionale (trois se trouvent dans la seule province de Guangdong) : il s'agit des zones de Shenzhen, Shantou, Zhuhai, Xiamen (dans la province de Fujian) et de l'île de Hainan. Dans les années 80, l’assouplissement des restrictions imposées aux investissements étrangers a contribué au développement des entreprises à capitaux étrangers. Dans les villes côtières, des ZDET (zones de développement économique et technique) ont été mises en place. Enfin, les EPZ (Export Provessing Zones) sont quant à elles des zones économiques utilisables uniquement pour les activités de travail à façon avant exportation. Ces créations ainsi que l’ouverture des provinces ont individualisé une bande côtière large de quelques dizaines de kilomètres où ont été concentrés les points d’échange avec l’extérieur, les investissements étrangers, les activités les plus modernes qui animent d’énormes villes en forte mutation : une bande qui se distingue de plus en plus, par de nombreux aspects et critères, des régions et villes plus intérieures. Exemple de la Russie Elle cherche depuis longtemps déjà à aménager et à accroître le poids de son débouché sur le Pacifique, et à développer de très nombreuses activités de pêche dans cette région. La reconversion de la Russie, traditionnellement puissance européenne, vers une coopération solide avec l'Asie lui permettrait de s'intégrer à un ensemble régional, et par là à un monde devenu multipolaire. -Remarque à propos de l’Océanie (Australie/Nouvelle Zélande et les milliers d'îles et archipels disséminés au Nord et au Nord Ouest de celles ci) : les progrès sont parfois remarquables. -L'Australie (1,6 million d'habitants) est un Etat Continent de 7,7 Millions de Km2 qui possède des ressources considérables, ainsi que, son voisin, la Nouvelle Zélande, aux dimensions plus modestes (270 000 Km2 pour 3,3 Millions d'hab.). Ce sont des pays industrialisés. Leur PIB est comparable à celui de la France pour la première et de l'Italie

Page 49: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 49 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

pour la seconde. Ces deux pays exportent des produits bruts, minéraux et agricoles pour l'Australie, agricoles seulement pour la Nouvelle Zélande. En revanche, les rivages du Centre Est et du Sud Est de l’Amérique apparaissent en retrait, peut-être en raison de l'exiguïté des pays d'Amérique Centrale et de leurs orientations trop exclusivement agricoles. Certains d’entre eux et notamment le Nicaragua et El Salvador sont fragiles politiquement. La façade américaine du Pacifique. L’Amérique du Nord par contre est tournée vers l’Asie avec deux « façades » : le Puget Sound, et la Californie. Exemple de la Californie. La Californie est l'Etat des Etats-Unis qui produit le plus de richesses. C’est un foyer économique majeur d'envergure mondiale. Elle concentre d'importants centres de production et d'activités diversifiées. La Californie dispose de ressources naturelles abondantes : minerais et bois, les fleuves et les hydrocarbures sont des sources d'énergie. Les upwellings sont à l'origine d'une faune aquatique riche qui alimente le secteur halieutique. L'histoire a également favorisé l'Etat. La proximité du Mexique a stimulé toute une partie de l'agriculture et de l'industrie. Les universités prestigieuses (Berkeley, Stamford.) et des travailleurs qualifiés sont à la base du succès économique. Enfin, la situation de la Californie, sur l'océan Pacifique, a donné lieu à un intense trafic maritime avec le Japon et depuis peu la Chine. Les deux principaux pôles économiques sont les agglomérations de Los Angeles et de San Francisco. Les deux métropoles californiennes concentrent l'essentiel des activités économiques de la région. La région la plus peuplée de l'Etat dépend de l'eau de la Sierra Nevada (San Francisco) ou du Colorado (Los Angeles). Les deux villes ont développé une puissante industrie dont les produits sont envoyés par porte-conteneurs ou par voie terrestre. Los Angeles se distingue par la production des hydrocarbures, les industries lourdes et l'importance du complexe militaro-industriel. La région de San Francisco se spécialise dans la haute technologie avec la Silicon Valley. Les deux villes partagent une vocation maritime : le port de Long Beach-Angeles est le premier port maritime américain avec un trafic de 107 millions de tonnes avec un taux de croissance de 15% par an (données 2004). Le port d'Oakland, dans la baie de San Francisco, constitue une interface entre l'intérieur de l'Etat et les autres pays de l'océan Pacifique. Conclusion partielle : les appréciations les plus favorables insistent sur l'importance des masses démographiques des pays riverains du Pacifique (2 Milliards d'habitants), et on peut également parler de la métropolisation de la façade pacifique. Il faut noter l'importance des ressources, l'essor industriel et le basculement des échanges mondiaux qui s'est effectué de l'Atlantique vers cet Océan. Deux exemples portuaires chinois. Hong Kong (en chinois= port parfumé) est situé sur la rive orientale de la rivière des Perles, sur la côte sud de la Chine. Elle comprend l’île de Hong Kong, la péninsule de Kowloon et les nouveaux territoires= 236 îles. Son port est très important : 230 000 000 t/an (à comparer avec Rotterdam 370 000 000 t/an) C’est une ville riche, son PIB est le plus important des villes d’Asie ; son économie est libérale, c’est un pôle majeur du commerce (11e entité commerciale du monde) et de la finance (13e centre financier). Colonie britannique de 1842 à 1997, elle est gouvernée comme une région administrative spéciale. La Chine a promis que Hong Kong garderait une relative autonomie jusqu’en 2047 (50 ans après le rattachement à la Chine). En 2004 Hong Kong est la quatrième ville de Chine après Pékin, Shanghai et Tianjin.

Page 50: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 50 -

Shanghai (en chinois = sur la mer) est une des villes chinoises les plus peuplées avec 20 000 000 d’habitants et une densité autour de 2800 habitants par km2. Elle se compose de deux parties Puxi et Pudong de part et d’autre de la rivière Huang Pu. C’est une ville riche : son PIB est de 110 milliards de dollars. Son port est le plus grand port du monde avec un trafic de 443 000 000 t/an, mais complètement engorgé. C’est également un port de conteneurs avec 18 000 000 TEU/an. Ne pouvant plus s’étendre, il a été décidé de construire un port en eau profonde sur les îles de Yangshan au large de Shanghai. Ce nouveau port est relié par un pont gigantesque : le pont de Donghai : 37,5km. Le train à suspension magnétique relie quant à lui l’aéroport au centre ville en 7 minutes. III UN ENSEMBLE FRAGMENTE ET ENCORE FRAGILE Cartes à consulter: Principaux processus d’intégration régionale 2005. Ateliers de cartographie de Sciences Po. (voir au début) Processus d’intégration dans les Amériques, d’après Robert GIMENO la documentation française 2005.

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/processus-integration-regionale-ameriques-2004.shtml Pôles et axes d’intégration économique GIMENO, MITRANO, VALLADAO 1997.idem Géopolitique de l’Asie du Sud Est.

http://jfbradu.free.fr/cartesvect/monde/asie-geop-large.gif Appétits rivaux en mer de Chine.

http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/spratlymdv1997

Dynamiques passées et actuelles du détroit de Corée.

http://www.erudit.org/revue/cgq/2004/v48/n135/011796ar.html Principales aides à la navigation dans le détroit de Malacca.

http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/transv/Mobil/images/FauAideNav.pdf Le canal de Panama.

http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/panamadpl1999

Géopolitique de l’Asie du Nord Est.

http://www.centretransatlantique.fr/pdf/rapport_Asie1_fr.pdf 1 La moitié de l'activité mondiale se concentre dans cette partie du monde Mais, il faut apporter des nuances à cette affirmation : - les populations et les économies des Etats-Unis, de la « Russie », de la Chine, du Canada, du Mexique, ne sont, en fait, que peu tournées vers cet océan, - les échanges sont surtout nord-sud : ils longent les côtes Ouest et secondairement Est, de cet océan, - la liaison Amérique du Nord / Japon et NPI est quasiment la seule de direction est-ouest. 2 Y a-t-il une façade pacifique ? En fait il y a plus de contrastes que de ressemblances. Les civilisations et les « mondes » sont très divers, ainsi les mondes chinois, indo-chinois, mélanésiens, polynésiens, micronésiens etc. Sur le plan économique, il existe des traités, des ensembles fonctionnels comme : - l’ANSEA qui regroupe la Birmanie, Brunei, Cambodge, Philippines, Indonésie, Laos, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Vietnam, Myanmar, Laos, - ANZCERTA avec Australie et Nouvelle Zélande,

Page 51: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 51 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

- la coopération économique pour l'Asie- Pacifique (APEC) : Australie (1989), Brunei (1989), Canada (1989), Corée du Sud (1989), États-Unis (1989), Indonésie (1989), Japon (1989), Malaisie (1989), Nouvelle-Zélande (1989), Philippines (1989), Singapour (1989), Thaïlande (1989), Chine (1991), Hong Kong (1991), Taiwan (1991), Mexique (1993), Papouasie-Nouvelle-Guinée (1993), Chili (1994), Pérou (1998), Russie (1998), Viêt-Nam (1998), - pour l’Amérique l’ALENA et le MERCOSUR. 3 Le Pacifique « chasse gardée » de l’Amérique ? Pendant longtemps le Pacifique a semblé être une chasse gardée de l’Amérique d'un point de vue géostratégique (l’encerclement de la Chine ?). Le jeu des alliances fait que les rivages « ouest » sont bien souvent composés de pays alliés aux Etats-Unis, ainsi l'ASEAN, dont on a déjà parlé, qui offre une série de bases aériennes et navales. Mais sur la même façade (du détroit de Béring, à Vladivostok), les îles Sakkarines et Kouriles, le Viêt-Nam; permettent à la « Russie » d’être présente sur le Pacifique. La Chine, quant à elle, possède une série de bases sur son littoral bien qu’elle ne soit pas (encore) une grande puissance maritime. Une des conséquences de ces « face à face » est le statu quo. L'Océanie quant à elle présente une très grande diversité de situations, (superficie, densités humaines, économiques, et culturelles). Un effort de coopération est tenté par le biais du Forum du Pacifique sous l'égide de l'Australie et de la Nouvelle Zélande et ce depuis les années 70. Mais tout n’est pas simple : des régions comme les Philippines, Timor (Indonésie), les Fidji sont des lieux d’affrontement. Le Pacifique Sud pourrait-il devenir une zone instable? La création des ZEE (Zone Economique Exclusive) permet à tous pays riverains d’une mer ou d’un océan, l'exclusivité de l'exploitation des ressources biologiques et minérales dans une zone qui s'étend jusqu'à 200 Miles marins à partir de ses côtes (soit 400 Km). Des axes de transports internationaux parcourent le Pacifique. Etude d’exemples. Détroit de Corée. « Le détroit qui passe entre la péninsule coréenne et l’archipel japonais fait partie des espaces mondiaux où les relations sont complexes entre les populations riveraines et leurs états », d’après Cécile Michoulet et Philippe Pelletier. Ce détroit de 250 km de long, parsemé d’îles, forme un angle droit vers la Chine. Pendant longtemps repaire de pirates, le détroit devient en enjeu stratégique entre le Japon et la Corée jusqu’en 1977. Des prospections pétrolières favorables augmentent également la tension entre les riverains. C’est la convention de Montego Bay qui apaise les différends. Le détroit est à l’extrémité de la route Europe Asie de l’Est. C’est le port coréen de Pusan qui semble être la porte d’entrée de la Corée sur le Détroit. A l’heure actuelle c’est une circulation transversale qui semble l’emporter : Corée Japon. Détroit de Malacca. Il s’agit selon l’expression de JC Lasserre, d’une véritable « porte océane ». Il est à la rencontre des lignes transocéaniques entre l’Océan Indien et le Pacifique, des lignes intra asiatiques, et des routes circumpacifiques. 300 navires l’empruntent en moyenne par jour. Son rôle stratégique est considérable aussi les marines nationales indiennes et américaines le surveillent-elles étroitement. En effet le détroit a été un enjeu entre l’Indonésie et la Malaisie jusqu’à la convention de Montego Bay en 1982 dont nous avons déjà parlé. Dans les années 80, la Chine à son tour s’intéresse au détroit. Ce dernier est une artère vitale pour le Japon en particulier.

Page 52: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 52 -

Le canal de Panama, lac-canal américain ? Il relie le Pacifique à l’Atlantique. Si sa construction a été une entreprise gigantesque, son impact sur le commerce maritime a été considérable. Rétrocédé au Panama, c’est néanmoins une artère vitale pour les Etats-Unis. 5% du trafic maritime mondial passent par le canal. Plus de 14 000 navires l’empruntent chaque année contre un droit de passage. Conclusion Les façades littorales sont, littéralement « créées » par les voies maritimes et les échanges mondiaux. Ces façades fonctionnent dans le cadre de la mondialisation. Ce sont des interfaces. Les plus actives de ces façades concernent les échanges avec la Triade. Les autres façades sont dans une position intermédiaire ou sous la domination des façades les plus actives.

Page 53: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 53 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 1 : CONSTRUCTION DES CROQUIS

Façades dominantes, les EU : trait rouge Centres d’impulsion mondiaux : cercle rouge noir Flux majeurs maritimes : trait bleu Influences : flèche rouge Façades dominantes de 2° rang : Japon, Influences : flèche violette Façades intégrées : Asie orientale: trait orange Ports majeurs : cercle orange/noir Influences : flèche orange Façades dominées, embryonnaires : trait vert Grands ports : cercle vert/noir Influences : flèche verte Ne pas oublier : titre, échelle, quelques noms. Les participants à l’atelier sont invités à confectionner un des deux croquis. Il leur est proposé deux croquis (voir en annexe 2 et 3)

Page 54: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 54 -

ANNEXE 2 : L’AIRE PACIFIQUE

Page 55: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 55 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 3 : LE JAPON DANS L’AIRE PACIFIQUE

Page 56: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 56 -

Page 57: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 57 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 4 : RAPPEL DES NOTIONS

D’après l’ouvrage de Paul CLAVAL, Géographie régionale - de la région au territoire, Collection U, Armand Colin, 2006,

Paul CLAVAL L’étude géographique des réseaux au croisement des théories de la

communication et des relations institutionnalisées.

Dictionnaire de géographie de P. Baud (Auteur), S. Bourgeat.

« Interface et façade océanique sont deux concepts utilisés dans les travaux d’analyse spatiale à petite échelle, développés dans les années soixante-dix. Ils mettent l’accent sur les échanges, les relations « horizontales » qui tendent à se développer entre les lieux et à se concentrer sur des bandes plus ou moins larges (quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres) au contact d’une discontinuité majeure, naturelle (littoral, limite de désert, montagne élevée) ou socioéconomique (frontière, clivage culturel, etc.). »

« On appelle interface tout espace étroit situé au contact de deux ensembles spatiaux différents, influencé par des échanges entre l’un et l’autre, et se distinguant par là même des deux espaces contigus, avec des caractères, des équipements, des activités qu’on ne trouve pas - ou pas au même degré - dans les deux espaces voisins. Une frontière totalement fermée n’est pas une interface. Mais dès que des passages existent, il se développe à proximité des magasins spécialisés, des activités de contrebande qui offrent aux populations des pays voisins des biens et des services qu’ils ne peuvent trouver dans leur propre pays. Un littoral est une interface naturelle entre la mer, le continent et l’atmosphère, et chacun de ces trois ensembles y est différent de ce qu’il est plus au large ou plus à l’intérieur sur quelques kilomètres de large. »

« La façade océanique d’un continent est une bande large de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres, située en bordure de l’océan, et où se concentrent des flux de produits et de personnes venant de l’intérieur (ou arrière-pays, hinterland) pour être exportés, des flux de produits et de personnes venant d’au-delà de la mer (avant-pays), des ports, des usines et raffineries traitant les produits importés ou exportés près du lieu de débarquement ou d’embarquement, des villes importantes animées par ces échanges ou les dirigeant même, une population souvent dense autour de ces villes. »

« Une façade maritime est un espace géographique d'intenses relations qui inclut : - l'espace littoral lui-même comportant de grands organismes urbains et portuaires ; - l'avant-pays (foreland) maritime des synapses portuaires ; - leur arrière-pays (hinterland) continental. Cet espace est avant tout fonctionnel et ne peut se réduire à des limites arbitrairement fixées. Les ports, notamment les main ports (Anvers, Rotterdam, Singapour, etc.) jouent un rôle clef dans l'interface terre - mer des façades et constituent des points nodaux incontournables des échanges internationaux et domestiques. Leurs infrastructures ont dû s'adapter, au fil du temps, aux évolutions économiques et technologiques. Leurs performances dépendent de la qualité et de l'étendue de leurs avant-port et arrière-port. »

Page 58: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 58 -

Atelier 4

Rêver l’Asie : l’imaginaire occidental ; petite histoire des représentations de l’Orient par l’Occident

Animation : Véronique Etienne

professeure au lycée Joliot Curie, Aubagne

Patrick Parodi

professeur au lycée Joliot Curie, Aubagne

ARGUMENTAIRE ------------------------------------------------------------------------------------------------- ---------------------

En guise d’introduction, l’Asie, une construction occidentale ? (A propos des constructions géographiques et culturelles) De façon encore trop caricaturale, les représentations françaises de l’Asie proposées par exemple par les médias et véhiculées par l’opinion montrent des Japonais vivant et travaillant comme des fourmis, ou des Indiens circulant parmi les vaches sacrées et des Chinois dans les rizières ou mangeant du chien. Si ces images comportent une part de réalité, elles sont très loin des autres réalités vécues par le Japon, l’Inde et la Chine, véritables puissances asiatiques. Quand on connaît les enjeux économiques et géopolitiques internationaux, et quand on sait qu’un japonais est parait-il plus au courant de l’actualité française qu’un français ne l’est de celle du Japon (aucun correspondant de télévision française à Tokyo), il semble intéressant de réfléchir à nos représentations de l’Asie. Aujourd’hui l’occidentalisation du monde est acceptée comme un fait normal, nous ne sommes pas émancipés des réflexes ethnocentriques engendrés par la puissance européenne du 19ème siècle. L’Europe a pensé le monde avant de se penser elle-même car cela allait de soi, elle était seule source de civilisation. Mais aujourd’hui par exemple dans le programme de géographie de Première, nous nous interrogeons sur « Qu’est-ce que l’Europe ? », cherchant à déconstruire une représentation géographiquement fausse (en termes de géographie « physique », l’Europe est en fait une petite partie du continent eurasiatique, une sorte de finistère d’aucuns disent même cul de sac), déconstruire aussi des représentations culturelles fermées (l’Europe « chrétienne »), pour finir sur une Union Européenne en plein élargissement vers l’est… De plus dans l’histoire du peuplement européen, une bonne partie des vagues migratoires viennent d’Asie : à l’exception des basques et finno-ougriens, le peuplement européen est en grande partie « indo européen » (terme qui fait référence à l’Asie centrale). Cela peut signifier que l’idée de l’Asie n’est pas une notion asiatique mais européenne, construite depuis l’Antiquité selon une représentation de l’espace et de l’histoire héritée des grecs, puis avec le renfort des sciences sociales des 18ème et 19ème siècles, définie par contraste et opposition avec l’Europe et intégrée à une vision téléologique de l’histoire ( selon laquelle le monde est un système de rapports entre les moyens et la finalité ; cf. Marx qui considérait l’histoire de l’Europe occidentale comme une époque de progrès dans le développement économique des société humaines) : opposition entre empires asiatiques multiethniques et despotiques voire « cruels » et Etats monarchiques souverains européens aux systèmes juridiques élaborés ; opposition ensuite entre mode de vie asiatique nomade

Page 59: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 59 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

et agricole, et l’européen urbain et commerçant. Autant de représentations erronées ou partielles que le cas chinois contredit complètement ! On verra dans la dernière partie ce qu’il en est réellement du développement historique de ces mondes (décalé, parallèle, conjoint ???) et de ce qu’en pensent les Asiatiques. Néanmoins les Européens relèguent pour longtemps l’Asie à un stade de développement politique, économique et culturel inférieur que l’admiration du luxe et des diverses voluptés asiatiques ne contredit pas. Quelle est donc l’histoire de cette construction de l’Antiquité à 1945 ? I HERITAGES ANTIQUES «La façon de découper l’espace géographique n’a rien de naturel et l’imaginaire y prend une part plus qu’importante ». Régis POULET commence ainsi son long article intitulé « L’Orient : généalogie d’une illusion ». La représentation de l’espace est un héritage culturel que les Grecs ont transmis à l’Occident en mettant en place une cosmologie qui perdure jusqu’au 19ème siècle. Cette dernière s’appuie alors sur l’idée que la Terre est isolée du ciel et qu’elle est forme de sphérique. Selon Homère, le monde est un bouclier qui entoure l’Océan vu comme un gigantesque fleuve, monde enveloppé par un espace en forme de sphère. Parallèlement, au 8ème et 7ème siècles avant JC, la cartographie se construit peu à peu de manière binaire, de manière quasi instinctive, opposant alors un Orient et un Occident, dont le centre est la Méditerranée et la Grèce. Hécatée est l’exemple même de celui qui représente le monde de manière

sphérique et circulaire, allégorie du ventre féminin. Cette représentation influence alors les

pythagoriciens et les platoniciens : ainsi, le monde originel androgyne disparaît sous la colère de Zeus et la division binaire voire ternaire en est la résultante. Ainsi, la dénomination des espaces terrestres, Europe, Libye (Afrique) et Asie, est une somme de différentes phases, esquisse d’un mythe théophanique de la totalité. Ces continents se complètent et Asie et Europe sont les deux tessères de l’androgyne originel. L’apport des Romains dans la construction imaginaire de l’Asie est en droite ligne de la cosmologie hellène. Les Romains ont conquis le pourtour méditerranéen et définissent ainsi un Occident où le soleil se couche et un Orient où il se lève. Ce dernier devient alors l’objet des rêveries occidentales, mêlant Afrique et Asie sous cette dénomination commune. Le christianisme renforce alors cette dyarchie. La séparation entre deux Empires en 395 et les difficultés de relations dès le 4ème siècle tendent alors à créer une opposition entre ces deux mondes, renforcée par l’expansion musulmane dès le 7ème siècle. Ainsi, la pensée européenne hérite alors d’une série d’antinomies :

ORIENT versus OCCIDENT

L’aurore versus Le couchant

Le matin versus Le soir

Le haut versus Le bas

La droite versus La gauche

L’extrême raffinement versus L’épaisseur opaque

La lumière versus La pénombre

Le but dernier versus L’oubli des buts de l’âme

L’âme versus Le corps et la matière

La régénération versus La dégradation

La connaissance libérée par l’illumination

versus

La connaissance obscurcie par les liens matériels

La patrie d’origine versus Le lieu d’exil

Page 60: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 60 -

Cette pensée perdure alors à l‘époque médiévale et à la Renaissance jusqu’au 19ème siècle et s’enrichit peu à peu avec la notion d’altérité. La notion d’altérité se construit autour de celle de la décadence. Les Grecs définissaient ce qui était Autre comme étant « Barbare » et le Même comme Grec. Cela recoupait de manière plus précise l’opposition entre Nature et Culture. Aux 5ème et 6ème siècles après JC, les invasions des peuples d’Europe qui mettent fin à l’Empire romain contribuent à fixer l’image du Barbare : le flot, la flamme et le sang. Petit à petit, du Moyen Age au 19ème siècle, le Barbare est identifié à l’Asiatique. II QUELLE REPRESENTATION DE L’ASIE AU REGARD DE L’EUROPE INDUSTRIALISEE, HEGEMONIQUE ET CONQUERANTE ? A la fin du 19ème siècle, Gobineau identifient prolétaires, toujours plus nombreux avec l’industrialisation, et Asiates. Mais, c’est la construction du mythe du Péril jaune qui est l’expression la plus évidente de la peur de l’Occident. Cette peur peut s’expliquer notamment par les angoisses provoquées par l’industrialisation en masse, par le maintien d’une croyance eschatologique ancienne et par la crainte d’un mal qui ronge l’Occident

Le mot eschatologie est composé du grec eschatos (ἔσχατος), le dernier. L'eschatologie

(Discours sur la Fin des Temps) relève de la théologie et de la philosophie en lien avec les

derniers temps, les derniers évènements de l’histoire du monde ou l’ultime destinée du

genre humain, couramment appelée la « fin du monde ». Dans de nombreuses religions,

la fin du monde est un évènement futur prophétisé dans les textes sacrés ou le folklore.

Plus largement, l’eschatologie peut embrasser des concepts qui sont liés tels que celui de

Messie ou des temps messianiques, l’après-vie et l’âme.

Le terme grec αιών (aïôn) signifie « âge » ; certaines traductions peuvent être comprises par

fin de l’âge au lieu de fin du monde. La distinction revêt également une signification

théologique, car les temps de la fin dans de nombreuses religions peuvent inclure la destruction de la planète (ou de tous les êtres vivants), mais avec la survie de la race humaine dans une forme nouvelle, mettant un terme à l’âge actuel de l’existence, et commençant un nouvel âge. La plupart des religions monothéistes occidentales ont des doctrines qui affirment que des membres « choisis » ou « dignes » de la seule vraie foi seront « épargnés » ou « délivrés » du jugement et de la colère de Dieu à venir. Ils seront envoyés au paradis avant, pendant, ou après ces derniers, en fonction du scénario des temps de la fin qu’elles retiennent. Aussi bien que la colère de Dieu à la fin de l’âge, il y a la colère de l’homme.

Ce mythe s’inscrit aussi dans une dialectique qu’Hegel met en évidence. Depuis l’Antiquité, l’Europe étant dépendante mythologiquement de l’Asie, l’Orient est le moteur dialectique de l’Occident. Pour Hegel, c’est le Christ qui est au cœur de l’histoire et du monde : pour qu’il se manifeste (le Verbe devient alors Réel), il faut que la dialectique aille à son terme. L’Occident idéal est alors le Christ et de fait, l’Orient l’Antéchrist. Cette vision hégélienne explique alors les visions négatives de l’Asie, notamment sur le plan moral. L’Asie est donc monstrueuse sur le plan des mœurs. Elle est jugée responsable de la décadence des mœurs romaines. Dès Sade, l’image des mœurs asiatiques s’érotise fortement : la sexualité asiatique apparaît alors comme cruelle mais aussi raffinée. Se construit l’image de la belle orientale, lascive, belle et cruelle comme Salomé. Le discours européen, avec Hegel, (puis avec les discours sur l’India-Mater et l’aryanisme) a aussi représenté l’Asie comme un point de départ : « l’Histoire du monde voyage d’est en ouest, car l’Europe est absolument la fin de l’Histoire, l’Asie son commencement…La première forme politique que nous observons dans l’histoire est le despotisme, la deuxième

Page 61: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 61 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

est la démocratie et l’aristocratie (les Grecs) et la troisième la monarchie » » (Hegel, La philosophie de l’Histoire, 1899.). Hegel classe les régions du monde selon la civilisation et la structure de l’Etat, le stade suprême de développement étant l’Etat-Nation européen. Dans « La richesse des nations » Adam Smith propose lui un classement par schémas économiques, quatre stades de développement –chasse, nomadisme, agriculture et commerce- qui correspondent à des régions et des races du monde. Marx fait la synthèse en distinguant aussi quatre stades de systèmes socio-économiques : asiatique, primitif, féodal et capitaliste !!! Selon Perry Anderson, (Lineages of the Absolute State, Verso, Londres, 1979, p. 472)., Marx aurait construit cette définition du monde asiatique en puisant dans une série de généralisations sur l’Asie depuis le 15ème siècle : propriété publique ou d’Etat du foncier (Harrington, François Bernier, Montesquieu), absence de contrainte légale (Jean Bodin, Montesquieu, Bernier), religion remplaçant les systèmes juridiques (Montesquieu), absence d’aristocratie héréditaire (Nicolas Machiavel, Francis Bacon, Montesquieu), égalité sociale s’apparentant à l’esclavage (Montesquieu, Hegel), vie communautaire villageoise isolée (Hegel), agriculture prédominante par rapport à l’industrie (John Stuart Mill, Bernier), stagnation de l’histoire (Montesquieu, Hegel, Mill), etc. Toutes ces prétendues caractéristiques de l’Asie sont considérées comme inhérentes au despotisme oriental. A partir du milieu du 19ème siècle, les Européens se lancent dans une conquête multiforme qui ne va guère laisser de blanc sur les cartes du monde. Au début du 20ème siècle fleurissent les métaphores sur le monde fini. Paul Valéry (Regards sur le monde actuel, Paris, 1931) constate le tournant historique qu’est l’entrée dans l’ère du mondial en diagnostiquant la « fin de l’isolé et du local ». Du point de vue des dirigeants il fallait intégrer le monde dans sa globalité : Guillaume II de Prusse annonce une « politique mondiale » (Weltpolitik) qui comprend l’espace Asie-Pacifique. L’Allemagne obtient un protectorat sur la baie de Jiaozhou en 1898. Ce

protectorat inclut la ville de Qingdao. Sa sphère d'influence en Chine s'étend sur toute la

région du Shandong et du fleuve Huang He s'installe aussi dans des îles du Pacifique.

Elle occupe l'archipel Bismarck dès 1884, ainsi que le nord de l'archipel des îles Salomon

en 1885 où elle impose son protectorat sur qui s'appellera Salomon septentrionales ou

Salomon du Nord. Le traité de 1899 les rattache au protectorat britannique des Salomon

méridionales créé en 1893 mais l'Allemagne conserve les 2 principales îles du nord, l'île Bougainville, l'île Buka. L'Allemagne va aussi occuper les îles Samoa, les îles Mariannes,

les îles Caroline et l'est de la Nouvelle-Guinée à partir de 1899. Les îles Marshall sont

colonisées en 1885 et Nauru en 1888.

En fait c’est un vrai défi pour l’Europe à la fin du 19ème s : elle domine technologiquement, économiquement, politiquement par ses colonies ; mais il lui fallait aussi organiser les relations avec les autres pays non colonisés, il lui faut produire un discours, une grille de lecture du monde : comment allaient se passer les réunions internationales, les conférences, les débats entre pays ? Il faut concevoir les relations internationales à l’échelle terrestre…Pour les Asiatiques en particulier l’empire chinois, cette vision occidentale du monde leur était totalement étrangère. Les Chinois, Japonais Coréens possédaient leur propre système international. A Pékin on a une vision du monde dont l’échelle n’est pas planétaire, la Chine en étant le centre (le système du tribut) : les pays tributaires Corée Japon, Annam appartiennent à la civilisation et les autres sont tout simplement hors du monde des barbares (« yi »). Puis la déconstruction des empires asiatiques s’est soldée soit par la colonisation soit par le protectorat ; le Japon au prix de grands troubles internes se réforme à partir de 1868 sur le modèle occidental. Les Chinois comprennent que « leur » monde n’est plus « le » monde (voir les 2 guerres de l’opium, l’ouverture de la Chine au commerce européen 1842 1848 et la révolte des Boxers en 1900). La grammaire internationale de l’Occident est intégrée pour ne pas être exclue du jeu mondial : en 1899 les

Page 62: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 62 -

Chinois, Siamois, Japonais, Perses, Turcs sont présents à La Haye pour la « Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. » III QUELQUES EVOLUTIONS DES REPRESENTATIONS DE L’ASIE DANS LES ANNEES 20 Depuis 1917 et l’engagement américain dans les conflits mondiaux, un autre modèle des relations internationales a été proposé par les Etats Unis : au contraire d’une Europe colonialiste, les Américains se battent pour la liberté et la paix ; Wilson a posé les bases d’un récit que ses successeurs ont largement utilisé, celui de la lutte du bien contre le mal : contre l’attaque de Pearl Harbour, contre le nazisme, contre le totalitarisme avec Truman, contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001. Pendant ce temps en Europe dans les années 20, dans le discours littéraire, le mot est « partir » mais beaucoup reviennent déçus: Kessel Conrad et Malraux pour ce qui concerne l’Asie, autant de voyageurs aventuriers dont les interrogations sur le monde réel, finalement uniforme, déplorant une terre bridée de rails de fer et de fils électriques, plus de Paul et Virginie ou de Robinson possibles, l’ailleurs est un peu désenchanté (sauf quand il sert le discours colonial) Mais surtout dans les années 20 se profile de nouveau un visage inquiétant de l’Orient qui cesse d’être l’étrange, le mystérieux, le pittoresque pour redevenir l’envers, le refus des valeurs de l’Occident, le barbare (ouvrages sur le « déclin » ou la « défense » de l’Occident ou encore sur le « réveil de l’Asie »). Exemple l’ouvrage de Oswald Spengler, Le déclin de l’Occident, 1917, ou autres qui identifient l’Occident à la chrétienté, à la race blanche, qu’il faut défendre. En réalité c’est un déplacement géographique de l’Asie : c’est la peur de la Russie bolchevique puis soviétique qui se cache derrière cette réapparition de l’ennemi asiatique ; l’Orient prend une signification révolutionnaire ; en même temps que « l’Occident » et ses valeurs émigrent vers les Etats Unis qui représentent la modernité et la liberté, la naissance d’un autre mythe. Où est l’Europe ? Sa propre représentation semble égarée… A partir de ce moment et jusqu’à la Seconde guerre mondiale, on peut relever 2 types de discours sur la représentation du monde qui s’appliquent aussi à l’Asie : - le monde comme système dans un projet « kominternien » ou internationaliste - le monde comme spectacle (Cela serait une paraphrase de Schopenhauer) Le monde comme système dans un projet « kominternien » ou internationaliste : - Nouvelle façon de penser le mondial à partir de la révolution russe, adhésion d’intellectuels au communisme, projets de révolution mondiale et soutien aux luttes comme la guerre du Rif (ex les surréalistes : pour Breton le mot Orient sert surtout d’agent destructeur des valeurs occidentales). Ce rêve universaliste inspire aussi les projets de la SDN mais quelle aide a été apportée aux Chinois venus se plaindre à Genève de l’invasion de la Mandchourie en 1931 par les Japonais ? En réalité la pensée politique reste enfermée dans les cadres nationaux du club des vainqueurs et de leurs intérêts. Il y a donc bien immobilisme des représentations en particulier sur l’Asie. - Très intéressante aussi est la contribution de la pensée asiatique à un internationalisme de la spiritualité et de la paix : taoïsme, confucianisme, bouddhisme, gandhisme…exercent une forte attraction sur les intellectuels européens. (on pourra prendre l’exemple des échanges que l’écrivain Romain Rolland d’abord biographe de Tolstoï eut avec Gandhi ; ils s’inquiètent ensemble de la situation en Allemagne, Rolland s’intéresse aux choix politiques de Gandhi pour l’inde.)

Page 63: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 63 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Le monde comme spectacle et puis justification de la colonisation : dans les années 20 se constitue une « cosmopolis littéraire » en particulier à Paris ou les artistes étrangers se rencontrent autour de maisons littéraires qui multiplient les catalogues de l’ailleurs (collections d’auteurs étrangers chez Gallimard et Plon). Ce cosmopolitisme culturel dans un contexte international nouveau des années 20 a permis de passer du besoin de merveilleux, d’exotisme à un besoin d’action voire du goût sportif de la performance ; les journalistes en mission, les nomades planétaires, les « bourlingages » se multiplient. Voir vite, de loin de haut, privilégier l’espace ; paquebots, chemin de fer, avion nous ramènent aussi des auteurs porteurs de nouveaux discours réalistes : Kessel (qui va en Asie après 1945), Albert Londres (Japon, Chine, Inde). Exemple de la Croisière jaune qui en 1928, veut relier l’Europe à Pékin à partir de l’ancienne Route de la soie, soit 30 000 kilomètres entre Beyrouth et Pékin, en passant par le Turkestan russe, le Sin-Kiang, le désert de Gobi jusqu'au fleuve Jaune. Marco Polo cède la place aux fous du volant. Un nouveau regard qui privilégie la géographie aux dépends de l’histoire. Mais cette vision de l’autre sert surtout à entretenir la culture de l’héroïsme et la supériorité des Européens. Le regard sur l’Asie passe aussi par les arts mineurs : dans les publicités, au cinéma dans la BD naissante, la musique…une succession de modes en témoignent (même si c’est vrai l’Asie y a une part moindre par rapport à l’Afrique comme avec la revue nègre) ; mais on pourra citer l’exemple de l’Indochine: Des études importants ont été faites sur le thème de l’Indochine dans l’imaginaire occidental montrant à quel point elle fut une construction voire même une fiction au service de la colonisation : la France a imposé une identité ethnique à une pluralité de peuples. Et l’iconographie a constitué pour cela un instrument privilégié : aussi bien dans les romans, les cartes postales (qui font l’inventaire des peuples découverts, photos de tribus, villages familles, un monde « sauvage » que la « civilisation va faire disparaître mais aussi qui facilite le travail des services de renseignements et de l’armée), les cartes, les dessins des naturalistes et des premiers photographes et anthropologues. Tout une série de types d’Indochinois sera définie : le guerrier moï de Cochinchine, le fumeur d’opium au Tonkin, la porteuse d’eau… Les affiches de l’exposition coloniale de Marseille en 1922 et 1932 sur l’Indochine entretiennent l’image d’indigènes travailleurs dans des paysages bucoliques, le thème du vestige (dessins des temples d’Angkor vestiges de civilisations brillantes mais détruites qui fascinent les Européens…). Les danseuses cambodgiennes sont gracieuses. Les visages des indigènes sont souriants. Même la flore et la faune ne sont pas toujours menaçantes. Comme si ces images paisibles, douces voire sensuelles pouvaient donner une aura d’innocence à la colonisation dans des espaces parfaitement domestiqués : la plantation d’hévéas, la rizière. Il s’agit d’effacer et d’occulter la réalité de l’expansion coloniale française qui se fait dans un contexte de graves et constantes (jusqu’à l’indépendance) révoltes autochtones.

Une Contre Exposition ouvre ses portes au public, le 19 septembre 1931. Elle comporte trois sections. La première offre une rétrospective de la colonisation. On y montre les crimes des conquêtes coloniales. On y parle des troupes coloniales mortes durant la guerre de 1914. On se sert des témoignages d’Albert Londres et d’André Gide sur le travail forcé ... Dans la seconde salle, entièrement consacrée à l’URSS, les organisateurs opposent « au colonialisme impérialiste l’exemple de la politique des nationalités appliquées par les Soviets ». La visite se termine par une présentation des problèmes culturels soulevés par le colonialisme. Restée ouverte jusqu’en 1932, la contre exposition n’eut pas le succès escompté par ses organisateurs.

Transition…..

Page 64: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 64 -

Le discours occidental sur l’Asie est donc un discours ancien qui peu à peu se modifie, notamment : le continent devient alors l’objet d’un discours sur l’Autre qui touche aussi l’Afrique. En suivant les travaux de Régis Poulet, on pourra donc travailler sur l’imaginaire de l’Occident sur l’Asie autour des thèmes suivants :

- le fabuleux : ex la Chine terre d’abondance, raffinement, culture luxe…et ses pendants, décadence, luxure et corruption.

- l’ailleurs : autre différent tentation désir de se perdre. - le sauvage, le primitif, l’authentique, le terrain vierge monde à construire à

civiliser - la transgression : l’ailleurs comme possibilité d’échapper aux contraintes de la

culture européenne, source de spiritualité ou de transgression (gandhisme, bouddhisme mais aussi drogues, tourisme sexuel)

- la menace : des Mongols au péril Jaune.

IV L’EXOTIQUE

1 Les cultures chinoises et indiennes dans la perception occidentale Chine et Inde représentent l’exotisme le plus absolu dans l’imaginaire européen. Pourquoi ? Ce sont des cultures qui se sont bâties sur des millénaires loin de toute présence occidentale et au Moyen Age, leur découverte par les Européens met en avant que nulle référence gréco-latine est nécessaire pour construire un mode de pensée, une expression artistique, une réflexion politique et géopolitique et des sciences et techniques développées. Alors que la découverte du continent américain contribue à la naissance du mythe du « bon sauvage », celle des civilisations indiennes et chinoises permet de voir des villes peuplées, riches et puissantes, avec un pouvoir civil, hiérarchisé, structuré. De plus, les missionnaires doivent se plier à leurs exigences : ainsi, en Chine, ils doivent apprendre le mandarin, les idéogrammes, respecter les rites et les codes d’attitude face à l’empereur. Cependant, Inde et Chine ne construisent pas la même image auprès des Occidentaux : la première offre l’image d’une civilisation complexe, faite d’apports linguistiques, religieux et intellectuels multiples et la seconde davantage un bloc plus cohérent avec une écriture et une langue de pouvoir, le mandarin, la permanence de l’Etat impérial et une centralisation plus poussée, une plus grande homogénéité ethnique avec les Han et au final une culture plus largement diffusée sur l’ensemble de l’Asie orientale. La Chine offre alors des techniques ou des sciences que les Occidentaux ne maîtrisent pas ou trouvent immuables : la médecine basée sur l’acupuncture, le massage et la phytothérapie, la poudre à canon, la boussole, le gouvernail, le papier, l’imprimerie, la céramique, le tissage de la soie, l’usage de la laque, etc. De fait, des arts chinois fascinent les Européens : la calligraphie, la peinture du paysage, l’architecture symbolisée par l’organisation hiérarchisée des villes ou des palais, par exemple. Comment se construisent les images d’exotisme absolu des cultures indiennes et chinoises ? Pour l’Inde, c’est en France que se construit le stéréotype du brahmane éduqué, sage et non violent. Cette image se construit au cours de la tentative des Français de détrôner les Anglais en Inde : la défaite de Plassey en 1757 met fin aux espoirs français et contribue à créer la figure de l’Indien pur et sage face à celle de l’Anglais concupiscent et brutal. L’Inde devient alors le théâtre de « rêveries orientales » chez les artistes comme Rameau, Bizet, Rameau (« Le roi de Lahore » 1877) ou La Harpe (« Les Brames » 1783). Dans cette pièce de théâtre, l’hindouiste est présenté en opposition au musulman : « Nourris dans la retraite et la simplicité, ils n’ont de passion que la vérité. Leurs préceptes sont sains et leurs mœurs épurées. D’un prêtre de Brama, tel est le caractère. Il n’avilit jamais son noble ministère. Dans les troubles publics, il ne va pas se mêler et sans troubler le peuple, il sait le consoler».

Page 65: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 65 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Cette image perdure encore de nos jours dans la littérature populaire comme par exemple « Le Nabab » d’Irène Frain. C’est évidemment l’image du Mahatma Gandhi, la « grande âme », populaire qui symbolise à l’extrême cette vision. Pour la Chine, se développe par contre l’image du modèle politique. Le système du mandarinat et des examens apparaît alors comme le gouvernement par les élites auquel aspire la bourgeoisie européenne au 18ème siècle. Voltaire en fait alors le pouvoir idéal. La culture chinoise est alors objet d’imitation. Le 19ème siècle marque un tournant dans cette idéalisation des cultures chinoises et indiennes. La domination coloniale met en avant les aspects considérés comme archaïques de ces cultures et finalement leur déclin face à une Europe qui s’industrialise et domine le monde. En Chine, la guerre de l’opium, la multiplication des traités inégaux et la multiplication des concessions européennes dans les villes entraînent l’ouverture forcée de l’Empire et est expliquée par un système bureaucratique corrompu et par la croyance, qualifiée d’absurde, des Chinois à se prétendre le centre du monde. L’Inde apparaît alors comme le monde dominé mais qui résiste toujours pacifiquement aux colonisateurs. Cette vision négative perdure jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Après 1945, l’image de la Chine apparaît toujours négative (voir passage sur le péril rouge et jaune) et celle de l’Inde comme un pays passéiste mais qui tente de développer la « puissance sans la force ». Cependant, c’est l’ouverture de ces pays dans les années 80 et 90 qui met en avant un retour en force de leur attrait culturel et qui donne une image plus nuancée et plus juste. Trois domaines mettent en avant cet attrait :

- la littérature : des auteurs chinois comme Liu Binyan («Entre hommes et démons» 1979), Zhang Jie (« Les ailes de plomb » 1985), Dai Sijie («Balzac et la petite tailleuse chinoise» 2000) et Gao Xinjiang, prix Nobel de littérature avec « La montagne de l’âme » en 2003 permettent de familiariser le lecteur occidental avec la Chine loin des paradigmes maoïstes. Les auteurs indiens sont moins connus sauf ceux de la diaspora de langue anglaise tels Salman Rushdie ou Vijay Singh,

- le tourisme international en plein développement. La Chine en est le premier bénéficiaire : plus de 10 millions de touristes non chinois entre 1980 et 2001. L’Inde reste une destination encore secondaire avec 2,5 millions de touristes entre 1980 et 2000,

- le cinéma. Le cinéma chinois fut pendant longtemps connu comme le cinéma des arts martiaux, dont la majorité vient de Hong Kong. Bruce Lee en est l’acteur fétiche et les films de sabre influencent alors le cinéma occidental avec la stylisation des combats à deux comme dans «Matrix», «Le seigneur des anneaux», etc. D’autres types de films apparaissent, plus esthétisants ou plus réalistes comme ceux de Zhang Yimou («Epouses et concubines» 1991), Ang Lee («Garçon d’honneur» Ours d’or à Berlin en 1993) ou War Kar Wai («In the mood for love» prix d’interprétation masculine à Cannes en 2000). Par contre, la production cinématographique reste davantage connu par sa quantité que par sa qualité, à travers le label Bollywood. Le genre reste très codifié avec danses, chants, costumes et scénarii au goût du public indien mais invente une modernité indienne. Depuis le milieu des années 90, le genre commence à s’exporter avec quelques films de meilleure qualité tel celui de Lagaan («Swades» 2001) ou certaines comédies musicales (« Bombay Dreams » 2004).

L’ouverture de la Chine et de l’Inde à l’économie mondialisée a permis donc l’exportation de produits culturels spécifiquement nationaux mais entraîne aussi une modification sensible de ces produits. Le succès des films ou objets culturels occidentaux permet à ces cultures de s’approprier de nouveaux canons esthétiques ou de pensée et de se réinventer. On ne peut donc pas parler d’asiatisation du monde ni d’occidentalisation chinoise ou indienne.

Page 66: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 66 -

2 Exotisme et aventure, goût du risque

La croisière Jaune : Dès 1928, Georges Marie Haardt rêve d'ouvrir à la circulation automobile le légendaire couloir au long duquel s'effectuaient les échanges commerciaux. Au fil du temps, des incertitudes politiques d'abord en URSS puis en Afghanistan entraînent les responsables de l'expédition, Haardt, Audouin et Point à modifier l'itinéraire et les obligent à traverser le Cachemire (5000 mètres d'altitude). De là aussi, l'idée de scinder l'expédition en deux groupes pour lui donner plus de chances de réussir : l'un partira de Beyrouth pour tenter l'ascension de l'Himalaya (groupe Pamir) et l'autre, parti de Tien Tsin, viendra à sa rencontre (groupe Chine). Après bien des vicissitudes et des tracasseries politiques mais aussi des grands moments d'émotion, le groupe Pamir, fort de 24 personnes et équipé de 6 Citroën Kégresse P17, spécialement adaptées pour les grands froids parvient à Aksou le 8 octobre 1931. Le groupe Chine, auquel s'est joint le père Teilhard de Chardin, l'y attend depuis quelques jours. Ses membres ont eux aussi vécu bien des aventures dans un pays en proie aux dissensions, jusqu'à être retenus en otage par un Seigneur de la Guerre pendant 3 mois ! Les deux groupes reprennent ensemble la route de Pékin où ils arrivent le 12 février 1932. Le quartier diplomatique leur fait un accueil grandiose. Haardt ne reverra jamais la France : épuisé, il attrape la grippe et meurt à Hong Kong le 15 mars 1932.

V LE MERVEILLEUX

Deux exemples de constructions mentales du Moyen Age : 1356 : Jean de Mandeville, qui n’a guère quitté Liège, rédige 250 manuscrits de fabuleux souvenirs de voyages. Jean de Mandeville lui-même échappe aux historiens : plusieurs identités ont été proposées depuis le XIXe siècle sans que rien de décisif ne puisse aujourd'hui clore cette question au reste de peu d'intérêt (l'auteur qui se présente dans le prologue comme un chevalier anglais, parti de Saint Alban pour faire un pèlerinage en Terre sainte, venu finir ses jours à Liège). Le livre fut longtemps considéré comme un récit de voyage, fatalement mensonger puisque l'auteur décrit des terres qu'il n'a pas vues et se livre au crime habituel des géographes du Moyen Âge, la compilation – crime d'autant plus grave que Mandeville a pillé des voyageurs « sérieux », Guillaume de Boldensele et Odoric de Pordenone. Le Livre des merveilles du monde est en fait une description du monde connu au 14eme siècle, qui renouvelle par la forme choisie, entre récit de voyage et traité savant, le genre des Images du monde. Le monde décrit par Mandeville est un espace ouvert, intégrant l'Asie extrême-orientale, discutant les possibilités toutes théoriques de circumnavigation du monde, s'attardant à décrire précisément des itinéraires, insérant histoires, légendes et mentions fabuleuses dans un récit entrelacé de références bibliques et

de considérations religieuses.25 Le royaume du prêtre Jean : un mythe polymorphe Depuis les premiers temps du christianisme, les fidèles d’Occident croient à l’existence d’un royaume chrétien dans les contrées les plus lointaines de l’Asie, ou au cœur de l’Ethiopie. A la tête de cet Etat se trouverait un mystérieux prêtre-roi, nommé Jean. Au milieu du XIIe siècle court le bruit que cet homme aurait, dans les Indes, organisé une Eglise autour du sanctuaire de l’apôtre Thomas. Depuis le Ve siècle, tous les chroniqueurs le répètent en se recopiant les uns les autres ; il est en effet tenu pour un fait acquis que le disciple incrédule a reçu pour mission d’aller évangéliser les contrées les plus orientales de l’Asie, et qu’il y a trouvé la mort au premier siècle de notre ère. Autour de ce tombeau se serait organisée une communauté chrétienne. Son chef, ce fameux prêtre Jean, serait également un roi et un chef

25 Jean de Mandeville, Le Livre des merveilles du monde, édition critique par Christiane Deluz, Paris, Éditions du CNRS, 2000 - Coll. Sources d'Histoire Médiévale)

Page 67: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 67 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

de guerre qui aurait tenté de secourir les chrétiens récemment établis en terre sainte ; il devient ainsi l’allié providentiel contre l’Islam, car tout ennemi du musulman ne peut être qu’un ami. Dans les mentalités occidentales, il devient le rempart de la chrétienté contre l’Islam, le centre de tous les rêves et de tous les espoirs. Otton de Freising en a entendu parler par un évêque de Syrie. De toutes façons, qui pourrait douter de l’existence de Jean, puisqu’il écrit à l’empereur byzantin Manuel Comnène : il fait une description de son royaume, qui correspond d’ailleurs aux clichés de l’Occident : un monde merveilleux, un trône de pierreries, une fontaine de jouvence… le parfait attirail du souverain merveilleux. D’aucuns affirment par ailleurs qu’il est un descendant des mages venus d’Orient pour porter leurs présents jusque dans la crèche du Christ. Les études historiques ont démontré que cette lettre est un faux, écrit par un chanoine de la cathédrale de Mayence : il l’a rédigée en plein accord avec sa hiérarchie, pour galvaniser les troupes en faveur de la terre sainte. Aller à la rencontre de Jean et découvrir son royaume constituent un but pour les voyageurs et les missionnaires qui partent en Asie au cours du 12ème et 13ème siècle. Nul ne le rencontre, nul ne le trouve et nombreux sont ceux qui sont déçus. La légende a néanmoins la vie dure. Il semble toutefois que le mythe du roi Jean aurait un fondement historique : il serait le chef des kara-khitaï, une tribu nomade issue d’une peuplade mongole, battue par Gengis Khan et peut-être christianisée superficiellement. Elle a mené de rudes batailles contre les Turcs Seldjoukides et contre les Perses. Marco Polo va jusqu’à affirmer que Jean est une déformation de khan et que Gengis est un descendant du fameux prêtre. En fait, chacun voit Jean à sa porte. A défaut de se trouver en Asie, rien interdit de penser qu’il est quelque part dans l’Inde d’Afrique. Cette piste éthiopienne n’est pas moins obscure. Au XIIe siècle, le terme d'Ethiopie est flou, imprécis, nué de mystère. Pourtant, des renseignements arrivent indirectement par le biais des moines du couvent éthiopien de Jérusalem. Mais aucune exploration occidentale n'est encore lancée : l'Egypte fait écran et verrouille l'accès à la mer Rouge et à la côte érythréenne. Par les moines on sait qu’il existe une église locale. Naguère rattachée au patriarcat d’Alexandrie, elle est désormais indépendante, et demeure monophysite. En lutte permanente avec leurs voisins arabes musulmans, les Ethiopiens partent au 15ème siècle à la recherche d’alliés en Europe. Leur roi, le négus, se présente aux Portugais comme le prêtre Jean. Il envoie à Rome des ambassadeurs qui participent aux travaux du concile de Florence (1442) en vue de l’union des églises. La légende ne sert ici que d’habillage à des vues purement politiques et militaires. Les explorateurs portugais n’en partent pas moins à la découverte de ce royaume mystérieux. La légende pluriséculaire du prêtre Jean, de son royaume et de ces richesses est un des mythes du Moyen Age. Il a alimenté bien des rêveries et bien des espoirs, mais a également suscité de belles pages dans les récits de voyages, et également contribué aux découvertes maritimes. VI LE SAUVAGE, LA BARBARIE 1er exemple, les femmes chinoises Au 19ème et 20ème siècles, l’Occident dresse progressivement un portrait stéréotypé des femmes chinoises retenant essentiellement la tradition des pieds bandés. Cette tradition du bandage des pieds aurait débuté avant l’an mille en Chine (seules des sources littéraires en parlent mais les sources archéologiques ne le confirment pas avant le 13ème siècle), au début de la dynastie des Song. L’empereur Li Yü (961- 975) fit construire un Lotus d’or pour une danseuse dont il était épris. L’opération consiste à compresser les orteils dans un bandage afin de donner un pied effilé (celui de la danseuse dans son chausson qui lui permet de faire des pointes). Avant que la fillette atteigne l’âge de six ans, on replie le pied sur lui-même dans un bandage très serré entraînant la brisure du coup de pied et l’atrophie des orteils. A l’âge adulte, au prix d’importantes douleurs, voire de maladies, d’infections ou de paralysie, les pieds n’atteignent pas une dizaine de centimètres de

Page 68: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 68 -

longueur et enfermés dans des souliers brodés et très pointus, ils ressemblent à des « boutons de lotus ». C’est au 14ème siècle sous la dynastie des Ming que cette pratique s’étend dans les couches sociales les plus favorisées et au 16ème siècle dans l’ensemble de la population, la pratique étant un élément permettant éventuellement de contracter un mariage socialement intéressant. Cependant, si elle s’étend dans la Chine du nord, elle trouve peu d’écho dans le sud, notamment dans les campagnes rizicoles, le bandage étant peu approprié pour le travail agricole. De plus, la dynastie mandchoue et les premiers missionnaires chrétiens au 17ème siècle tentent de limiter cette pratique. Lorsque les Occidentaux s’implantent au 19ème siècle en Chine, se multiplient alors les photographies montrant ces pieds atrophiés qui nourrissent la réputation d’un pays archaïque et arriéré. C’est en 1902 l’impératrice mandchoue Cixi qui en interdit la pratique, elle même n’ayant pas les pieds bandés car devant pratiquer des sports tels les arts martiaux ou l’équitation comme le veut la tradition dynastique. Cette tradition fige alors l’image de la femme chinoise comme celle d’une femme soumise et silencieuse, prête à affronter les pires souffrances pour satisfaire les fantasmes érotiques masculins. Elle oublie alors les changements, certes lents et incomplets, qui touchent les femmes chinoises dès le 19ème siècle. Ces changements peuvent se mesurer alors à travers des figures féminines de premier plan telles l’impératrice Cixi qui règne de 1861 à 1908, date de sa mort. Appartenant à la dynastie mandchoue, alors peu populaire, elle assiste au dépècement de son pays par les puissances occidentales. Intelligente, charismatique, n’hésitant pas à adopter des usages occidentaux elle combine les deux images de la femme dans la société chinoise : l’épouse respectable qui doit d’abord être mère et la «cainü», la femme talentueuse, sachant maîtriser la langue écrite. Après la guerre des Boxers, elle se rallie à l’idée de la nécessaire évolution du régime impérial dans le but de le sauver. C’est pourquoi elle multiplie les contacts avec les ambassades étrangères, prend des mesures destinées à ancrer la Chine dans la modernité (interdiction de la pratique des pieds bandés en 1902, création d’un parc zoologique à Pékin en 1906, financement de construction d’écoles destinées aux filles en 1907, etc.). Mais, cette volonté de modernisation se heurte à la réalité du pouvoir des Occidentaux qui deviennent les vrais maîtres de la Chine. La figure de Cixi joue un rôle essentiel dans la naissance de l’idée que les femmes asiatiques restent incapables de gouverner. Se construit alors une double image de la femme chinoise en Occident : - la femme invisible, la femme officielle, cachées dans son palanquin lorsqu’elle sort. Elle est silencieuse, soumise et reste l’image dominante de la femme chinoise - la femme visible, celle qui se montre à l’extérieur, la courtisane. Celle qui vit dans la maison d’un riche bourgeois ou mandarin reste un être inférieur par rapport à l’épouse et la mère officielle de tous les enfants du couple. Cependant, elle jouit en revanche d’un privilège, celui de se montrer une femme savante, intelligente, séduisante et sexuellement attirante. Ces courtisanes, parfois formées dès le plus jeune âge, disparaissent progressivement au 19ème mais elles sont le « modèle » d’un nouveau type de femme visible qui apparaît fin 19ème siècle et début 20ème siècle. Ces changements n’apparaissent pas uniquement sous la pression occidentale ; en effet, alors que le confucianisme apparaît comme une philosophie à l’origine des archaïsmes et des conservatismes chinois, il contient aussi l’idée essentielle de la nécessité des mutations. Ces dernières se manifestent partout et sont le moteur même de la vie : dans le métal en fusion, dans la vie. Le penseur Zhuangzi (vers 300-370), l’un des fondateurs du taoïsme philosophique, pense que la mort n’est qu’une transformation de plus comme la naissance. Pour la société, les changements viennent sous l’impulsion populaire quand la nécessité c’est à dire le malheur du plus grand nombre, l’impose. C’est pourquoi l’apparition de figures féminines, rompant avec les habitudes séculaires, est acceptée sans être forcément comprise. Ainsi, apparaît toute une génération de femmes, influencées par la pédagogue japonaise Shimoda Utako (1854-1936) qui met en place un cursus destiné aux jeunes filles dont le but est certes de former de bonnes mères de famille et de sages patriotes. Dès 1903, la mode

Page 69: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 69 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

des études au Japon s’implante dans la bourgeoisie chinoise et une cinquantaine de jeunes filles passe dans l’école de Shimoda Utako. Parmi elles, on peut recenser Chen Xiefen qui édita par la suite, au début des Cent Jours, le premier journal chinois, entièrement rédigé par une équipe féminine, le « Ne Xuebao », le Journal des femmes. Ce dernier est présenté ainsi dans un manifeste «Songez à la nuit dans laquelle est enfoncée notre Chine, aux dangers de la route qui s’ouvre à elle et, plus encore, à la noirceur absolue de la condition faite aux femmes ! Lamentable, dégradée ! Désespérée, je me lève, mue par la compassion ; j’en appelle à mes sœurs, aînées ou cadettes, ô mes compagnes à utérus, les suppliant de créer en Chine, une publication féminine. Et tout doucement, un rayon de lumière transperce les ténèbres de notre royaume, ferme de toutes arts depuis quatre mille ans […]. Je voudrais, de l’aube au crépuscule, discuter les affaires des femmes à travers le pays, faire courir jusqu’à elles les vagues éclaboussantes de l’indépendance. Je voudrais éveiller l’esprit des femmes pour qu’elles s’envolent, comme des oiseaux, vers un monde de lumière et d’éclat. Je veux qu’elles soient des chefs, des lions éveillés, des messagères de l’éducation et de l’intelligence ; qu’elles soient comme des radeaux traversant une passe ennuagée, des lampes dans une chambre obscure. Je voudrais qu’elles brillent, du cœur de notre pays, qu’elles resplendissent …, que, sur la terre entière, elles réveillent le cœur des hommes et attirent leur regard, que tous applaudissent et se réjouissent. Je voudrais, ô mes compagnes à utérus, que vous vous unissiez, que vous vous encouragiez mutuellement, que vous dépensiez toute énergie et que vous priez pour la naissance de ce magazine.». Ce magazine paraît de juillet à octobre 1898, puis quatre ans après mais dans une forme moins littéraire et plus combative, plus révolutionnaire et dans une langue plus populaire. Cependant, ce mouvement « des pédagogues » est un microcosme par rapport à la masse des femmes chinoises. Mais, il est l’iceberg des changements quotidiens et invisibles qui touchent les femmes chinoises à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Le parcours de Ge Jianhao (1865-1943) peut être mis en exergue. Née dans un milieu lettré, elle conserve malgré une éducation assez moderne certaines traditions : elle fait bander les pieds de ses deux premières filles mais pas de la troisième. A cinquante ans en 1915, elle se fait admettre dans un cours du Hunan et décide de devenir enseignante. En 1918, elle rencontre Mao et sous son influence, part avec des étudiants hunanais pour la France au printemps 1919 avec deux de ses enfants, son fils Cai Hensen et sa fille Cai Chang. Elle travaille dans une usine la journée à Montargis (avec Deng Xiaoping), suit des cours du soir et contribue à la naissance du Parti communiste chinois , crée à Shanghai le 01 juillet 1921 dont son fils fut membre du Bureau politique. D’autres figures peuvent être évoquées comme Qiu Jin (1875- 1907), Tang Qunying (1871-1937). De fait, ces pionnières témoignent des changements plus radicaux du 20ème siècle avec la naissance de banques féminines comme la Chinese Woman‘s Commercial and Savings Bank, fondée à Pékin en 1921, la Shangai Woman’s Commercial and Savings Bank en 1924 nationalisée en 1955 par le pouvoir communiste. Les évolutions sont plus rapides sous le régime communiste qui n’emploie plus qu’alors le terme de tongzhi «camarades» dès 1950 pour désigner hommes et femmes. Ces dernières deviennent même dans le discours politique les piliers du régime, chargées de la surveillance des villages et des quartiers, font l’objet de multiples représentations dans la peinture officielle (les petites filles heureuses, souriantes et éduquées en contrepoint de celles montrées au début 20ème siècle victimes des traditions barbares). Cependant, l’image entre en contradiction avec la réalité de la politique nataliste de la Révolution culturelle (de 1950 à 1975, la Chine passe de 540 à 950 millions d’habitants qui confère aux femmes le rôle traditionnel de mères. Mais, les transgressions sont nombreuses tout comme à l’époque à venir de l’enfant unique à la mort de Mao témoignant d’une profonde autonomisation de pensée et d’action de la femme chinoise, loin des stéréotypes véhiculés dans l’imaginaire occidental.

Page 70: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 70 -

2ème exemple : Le "SUPPLICE CHINOIS" comme mode de représentation de la Chine

Les réformes juridiques qui, en 1905, ont conduit à l'abolition des peines d'ancien régime en Chine, ont entraîné un curieux paradoxe : le thème du "supplice chinois" se développe en Europe, tout particulièrement en France, alors que lesdits supplices ne sont plus pratiqués en Chine. C'est alors que l'empire, puis la République, cherchent à appliquer un système à l'occidentale fondé sur la prison que la Chine apparaît comme le pays du "raffinement de cruauté". Ce mythe prend certes son essor dans la littérature, les auteurs raffinant sur ce modèle précoce qu'est le Jardin des supplices de Mirbeau (1899). Mais l'élément nouveau et essentiel est la photographie instantanée qui a permis de fixer les tous derniers supplices, en 1904 et 1905, et les moyens de reproduction de masse: la lithogravure dans la presse; la carte postale, qui connaît alors son "âge d'or" ; la photographie stéréoscopique sur plaque de verre, la représentation du supplice se greffant sur une "esthétique de l'horreur". Mais en fait, la Chine par l’abolition de 1905 est bien sortie d'une période - celle de "l'éclat des supplices" dans la terminologie de Foucault - pour rentrer dans celle des peines modernes ; reste à expliquer l'essentiel, c'est-à-dire l'existence de peines épouvantables, et leur maintien jusqu'à l'orée du vingtième siècle. Contrairement aux préjugés sur la "cruauté chinoise", le système de peines cruelles fut constamment ressenti comme "extraordinaire", exorbitant du droit commun, et contraire à la saine conception du droit qui doit prévaloir dans un État civilisé.

Interview de Jerôme BOURGON par Laurent MAGET : « La souffrance physique du chinois est une source de jouissance esthétique pour l’occidental ».

htpp://pia.ish-lyon.cnrs/Supplice.Chinois.htm

JB : Oui, c’est-à-dire que toutes ces images qui ont circulé au cours de la belle époque rentrent dans la fameuse esthétique de l’horreur, c’est-à-dire que l'on considère un supplice qui a réellement eu lieu où quelqu’un ait réellement souffert d’une mort atroce. On ne fait pas tellement la différence avec toute une série d’autres spectacles du type train fantôme ou ce genre, ou fête foraine. Et le plus frappant c’est de voir que ces supplices ont pu devenir des cartes postales, il y a une série qui a été imprimée à Tientsin (Tianjin) par des Français, avec un sous-titre français : les supplices chinois, numérotée de 1 à 12. Et ces cartes ont été publiées et surtout elles ont été envoyées, elles ont été timbrées. Envoyées par des gens à d’autres personnes, par exemple de leur famille, pour envoyer des bons vœux ou pour dire "Embrasse maman pour moi",sans aucune référence à ce qu’il y avait de l’autre côté. C’est-à-dire que quand on lit le texte on a affaire à une carte postale tout à fait banale et quand on la retourne, on voit une scène d’horreur. Et ça je veux dire que c’est une des grandes énigmes pour moi de la Belle Epoque, c’est un des problèmes intéressants de la Belle Epoque sur lequel je voudrais essayer d'apporter quelques éclaircissements mais pour le moment…. LM : On l’utilise comme carte postale de paysage ? JB : On l’utilise, je dirais plutôt, comme scène typique ou comme scène de coutumes, un petit peu comme on enverrait des pieds bandés ou une beauté locale. Et moi ma thèse, c’est de dire, voilà donc, que des photos qui avaient 4 ou 5 ans de créneau temporel pour êtres réalisés et que ça a tout changé, ça a été une révolution dans la perception de la Chine. Parce que l'on n’avait pas, disons que la Chine cruelle, cette image du supplice chinois, Chine cruelle, etc., elle n’existait pas avant, je dirais, 1895 1900. Et c’est à partir de cette photographie que vraiment ça c’est consolidé, condensé et que la Chine est devenue cruelle pour tout le XXe siècle. …Il y a deux mots qui se confrontent dans cette histoire : il y a le mot « supplice » et il y a le mot « exécution ». L’un semble, « exécution »: lié à la réalité de la scène, et l’autre semble être une invention : « supplice » ? JB : Oui, alors exécution c’est le terme le plus fonctionnel qui soit, une peine a été décidée, on l’exécute, bon. Le terme de supplice m’intéresse beaucoup dans la mesure où c’est toute

Page 71: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 71 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

une élaboration occidentale qui est à la fois bien sûr, qui a avoir avec l’exécution, qui a avoir avec une peine, c’est aussi une peine légale. Mais surtout c’est tout ce que l’on en fait sur un plan religieux et, je dirais, social, hein, puisque le supplice avec un grand S c’est celui du Christ. Nous vivons dans une civilisation ou dans tous les lieux publics jusqu’à une période récente et encore aujourd’hui on avait une scène de supplice, par exemple un crucifix. Donc, pour nous le supplice, c’est quelque chose d’extrêmement quotidien et quelque chose qui a beaucoup marqué notre civilisation. Il se trouve qu’en Chine c’est assez différent. Et donc lorsque l’on applique le terme de supplice à une exécution chinoise, on fait une interprétation. On plaque un certain type d’appréhension culturelle, enfin un certain type de schéma culturel sur une réalité d’une autre culture. Alors ça marche jusqu’à un certain point, je pense qu’il faut le faire et c’est intéressant de le faire. Mais il faut le faire en étant conscient de ce que cela signifie et en essayant de rechercher aussi les points où cela ne convient pas, où il s’agit d’autre chose.

Le supplice chinois apparaît alors comme l’expression atavique de la race chinoise. L’Occident met alors des mots sur une définition essentiellement à la fin du 19ème siècle, à une époque où le classement en catégories raciales est général. C’est la révolte des Boxers durant l’été 1900 qui «éclaire » cette définition. Les membres de la secte « Poings de la justice et de l’harmonie » dite des Boxers, appelés ainsi en raison de leur goût pour la boxe et les arts martiaux, s’en prennent alors aux délégations étrangères et aux Chinois chrétiens considérés comme des traîtres. Leur révolte culmine avec le siège du quartier des légations, l’assassinat d’un diplomate allemand le 20 juin et la déclaration de guerre aux étrangers faite par l’impératrice Cixi qui soutient alors le mouvement. Le mouvement est réprimé grâce à l’arrivée d’un corps expéditionnaire européen de manière violente, le siège levé et cela aboutit en septembre 1901 à la signature d’un protocole par la Chine qui la rend encore plus dépendante des puissances établies sur son territoire.

Cette guerre, violente et inattendue, contribue alors à forger la réputation de la race chinoise pourtant alors largement discutée : ainsi, Jean Baptiste Reygasse se demande «comment il peut y avoir dans notre pays des hommes assez pervertis pour donner en exemple la prétendue civilisation d’individus astucieux et menteurs, sanguinaires et fanatiques, lâches et superstitieux » alors que Urbain Gohier est certain que « les Chinois sont le peuple le plus raisonnable de la terre ».

Cette vision de la race chinoise se construit dans le sillage du colonisé : les métaphores se multiplient : «Les Chinois sont des rats, sales, pullulants, carnivores. Il a une queue, des dents avancées et ces yeux impitoyables, ricaneurs, curiosité intelligente, éternellement renouvelée, sans tact, sans pudeur, sans initiative, fuyant brusquement, puis acharnés en légions, se ruant à l’assaut ». (Paul Claudel). C’est l’expression alors de la peur latente de l’eveil d’une immense fourmilière. La comparaison avec l’animal n’est pas anodine mais révèle le génie de l’intrigue, la mise en scène permanente du Chinois toujours prêt cependant à jeter le masque et montrer le poing. Ces caractères le rapprochent de l’indigène colonisé mais ne font pas oublier ses traits spécifiques intégrés dans le « mythe de l’immobilité ». «Il faudra plusieurs générations et une éducation constante pour arracher à leur léthargie les cellules cérébrales des Chinois et les adapter à des vibrations nouvelles » (Jean Jacques Matignon). Cette phrase témoigne des interrogations européennes face à une civilisation qui sait repousser les entreprises coloniales et conserver son originalité culturelle. Pierre Leroy Beaulieu dans « la Revue des Deux Mondes » compare les structures étatiques chinoises à un cube dont l’aspect reste inchangé quelle que soit la face sur laquelle on le renverse et conclut à la nature « conservatrice, patiente des Célestes grâce à laquelle ils supportent allégrement une existence qui apparaîtrait à d’autres comme un effroyable fardeau ». «L’indifférence à la mort semble être chez eux un caractère presque physique qui provient du peu d’excitabilité de leur système nerveux. Cette absence de nerfs se traduit par la facilité à demeurer une immobilité absolue et prolongée, inconnue des Occidentaux, à attendre indéfiniment sans donner signe d’impatience.» Cette capacité expliquerait alors

Page 72: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 72 -

«l’horrible coutume de déformer les pieds des femmes, les tortures variées et les affreux châtiments infligés par les tribunaux puisqu’ils paraissent assurément moins terribles à supporter aux Célestes qu’ils ne seraient pour des Européens ». Etre insensible, capable de supporter les intempéries climatiques ou la faim, le Chinois devient ainsi un artiste de la torture, ravi de voir un supplice durer. Mais, capable aussi de sortir de sa torpeur dans de soudains excès de violence. Le patriotisme chinois (comme celui des Boxers) est donc réduit à une somme de comportements pathologiques, ses excès à une réaction de race proportionnée supposée de la résistance à la douleur.

VII LA MENACE La pensée judéo-chrétienne dualiste renforça les préjugés hérités des Gréco-romains : L’Autre, celui qui est différent, selon les Grecs le monde barbare, ne peut être que menaçant. Surtout quand cet autre, jusqu’au 19ème siècle, est jugé responsable de la chute de l’Empire romain (invasions barbares). Du Moyen age au 18ème siècle (Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, 1776-88), on identifie le barbare à l’Asiatique (même si cet asiatique se confond vite avec « l’oriental », l’Occident s’étant inventé un double imaginaire appelé «Orient »). Au 19ème siècle, le développement du prolétariat y compris en Asie (Russie Chine Japon) et les peurs politiques qui en résultent, font bien vite le trait d’union : le Péril Jaune serait alors le prolongement direct du mythe des barbares. 1 De la Menace Mongole dans le contexte de l’expansion de la Chrétienté au Moyen Age : un péril « détourné » pour apprendre à connaître l’Asie Lors des invasions « barbares » du Moyen-âge les populations arrivantes se sédentarisent et se christianisent ou ne sont pas restées se détournant vers d’autres buts : c’est le cas des peuples venus d’Asie (Huns au 4 et 5èmes siècles, Mongols au 13ème siècle). Les Mongols sont un peuple établi en Haute Asie qui depuis le début de notre ère opère des raids sur l’Asie orientale. Unifiés en 1206 par Gengis Khan, ils décident de partir à la conquête du « monde ». En août 1227, le Grand Khan meurt laissant un empire qui s’étend de la Mandchourie à la mer Caspienne. Ses successeurs poursuivent les conquêtes, soumettant la Perse, brûlant la Russie, ravageant la Hongrie, campant aux portes de Vienne et forçant celles de l’Italie du Nord. Aux yeux des Occidentaux, les Mongols sont tout d’abord perçus comme de redoutables barbares, cruels, ambitieux, dont les chevauchées annoncent la venue de l’Antéchrist, c’est-à-dire la Fin des Temps. A partir de ces faits, beaucoup de représentations imaginaires se sont construites sur la peur de l’asiatique, de l’oriental et ont perduré jusqu’à nos jours. Mais la réalité historique est plus nuancée comme le montre la suite des évènements. Après la mort du grand Khan Oegodei, fils de Gengis Khan, ils se détournent de l’Europe et partent conquérir la Chine, et le danger semble écarté. De surcroît, les chrétiens nestoriens qui connaissent bien les Mongols, les "dé-diabolisent" et affirment leur tolérance religieuse. Dès lors, les missionnaires Franciscains et Dominicains accourent auprès des différents khans et tentent d’obtenir la conversion des populations. C’est le but auquel tendent les différents ambassadeurs missionnaires nommés André de Longjumeau, Jean du Plan Carpin en 1245 ou du franciscain Guillaume de Rubrouck en 1253-55 En 1245, le Pape Innocent IV décide d’envoyer un ambassadeur à la cour du grand khan des Mongols. Son choix se porte sur la personne de Jean de Plan Carpin, un franciscain originaire de Pérouse, âgé d’une soixantaine d’années. Cet homme s’est acquis une réputation de diplomate lors des missions qu’il a mené en Saxe, en Pologne et en Hongrie. Parti de Lyon à la fin de l'année 1245, il parcourt près de 5 000 kilomètres et arrive en juillet 1246 à Qaraqorum, où il assiste au couronnement du nouveau Khan, Guyuk. Ce dernier fait

Page 73: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 73 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

fi des offres d’alliances proposées par le pape, et des intentions pacifiques affichées par l’Occident. Loin de les recevoir cordialement, il adresse à Innocent IV une fin de non recevoir, lui signifiant la volonté des Mongols de dominer le monde et une invitation pour les nations occidentales à se soumettre à lui et même à lui payer tribut. La mission de Plan Carpin peut donc être considérée comme un échec si l’on ne prend en compte que les aspects diplomatiques. Elle est pourtant riche d’enseignements car l’envoyé pontifical est apparemment un fin observateur, et il a consigné par écrit ses expériences de voyage. Sur ses carnets, il brosse des descriptions très précises des lieux qu’il traverse et des peuples qu’il rencontre. Ses carnets de voyage permettent de tordre le cou aux légendes absurdes et apportent une véritable connaissance sur les mœurs des Mongols, leur religion et leurs coutumes. Ses écrits connaissent un grand succès et une grande diffusion. Ils sont sans doute lus par Guillaume de Rubrouck, qui suit ses traces huit ans plus tard. Ce dominicain n’est quant à lui pas envoyé sur des terres lointaines par le pape, mais par une autre haute figure de la chrétienté : le roi de France Louis IX, déjà auréolé de la réputation qui lui vaut plus tard d’être canonisé. Rubrouck participe à la VIIe croisade, ce qui lui permet de se faire remarquer par le roi. Une fois rentré en France, Louis IX lui confie une mission qui lui tient à cœur : partir chez les Mongols, tenter de les convertir, et essayer de s’en faire des alliés contre les Sarrasins. Les Mongols sont considérés comme des alliés potentiels d’une grande importance, car ils campent désormais aux portes de la terre sainte. En 1253 Rubrouck quitte la France. Il chemine jusqu’à Constantinople, puis traverse la Mer Noire, puis arrivé en Crimée, il poursuit sa route vers l’Est. Pendant ce temps, en 1258, le petit-fils de Gengis Khan, Hulagu, s’empare de Bagdad et supprime le califat. Aux yeux des Chrétiens, ce peuple inconnu un siècle auparavant revêt un prestige immense, acquis en battant un ennemi commun, l’Islam. La papauté continue donc d’envoyer des frères prêcheurs sur la terre des Mongols que l’on peut croire un temps au bord de la conversion : mais pas plus que du pape, le khan des Mongols ne se soucie du roi de France ; le grand khan choisit l’Islam, en 1295, ce qui est conforme au choix de la majorité de ses sujets. La géographie doit beaucoup aux carnets de Rubrouck, qui donnent un aperçu clair et fidèle de ce qu’est la Chine mongole au milieu du XIIIe siècle. Le franciscain décrit avec précision les conditions de vie, l’écriture, les manufactures de soie, le papier-monnaie, l’organisation sociale, la culture du riz, les connaissances des physiciens. Les informations qu’il recueille lui permettent également de brosser un tableau complet des différentes ethnies qui vivent sous la domination mongole. Enfin ses observations religieuses permettent de mieux connaître la religion de ses hôtes et soulignent notamment leur tolérance en cette matière. Au travers des lignes de Plan Carpin et de Rubrouck point une sympathie envers les Mongols et leurs coutumes, nonobstant le fait qu’il s’agisse de païens. Issus d’ordres mendiants et missionnaires, ces deux religieux sont peut être indirectement à la base des missions qui se sont succédées en Extrême-Orient. Elles sont menées dans un esprit très différent de ce qu’ont été les croisades. Aux yeux de la papauté, il s’agit avant tout d’évangéliser et de baptiser plus que de combattre une autre croyance par les armes. Les connaissances apportées par Roubrouk vont favoriser les voyages et expéditions qui suivent : 1261-1269 : Premier voyage des frères Polo, marchands vénitiens établis à Constantinople : ils découvrent la Chine et font la connaissance de Koubilaï, grand khan des Mongols. 1271 : Second voyage des frères Polo. Ils emmènent avec eux leur fils et neveu Marco et séjournent jusqu’en 1295 en pays mongol.

1291 : Départ du missionnaire Jean de Montecorvino. Il reste en Orient, puis devient

archevêque de Pékin. Il meurt dans cette ville en 1328. Voici donc comment du sentiment d’être menacé, on est passé à la nécessite de tenter l’évangélisation de l’Asie. L’Orient terre pour les missionnaires ? Malgré les échecs cela signifie encore que l’Autre oriental est un des moteurs de l’histoire européenne. L’Asie devient alors le prétexte pour l’Occident de parler de lui-même en diffusant ses

Page 74: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 74 -

valeurs, sa culture, en voulant imposer sa religion. L’Asie pensée comme adversaire militaire ou religieux permet à l’Europe d’entretenir la construction de sa propre identité.

2 Un exemple : le Péril Jaune dans « Le Lotus Bleu » d’Hergé et le cinéma occidental.

Les aventures de Tintin en Extrême Orient furent publiées pour la première fois en 1934, quelques mois après qu'André Malraux ait reçu le prix Goncourt pour « La Condition Humaine », alors que la Chine subissait de plein fouet la politique de grignotage territorial mise en place par les Japonais et qu'elle s'enfonçait dans l'anarchie interne. Ainsi, « Le Lotus Bleu » est étroitement lié à l'histoire de l'Extrême Orient entre 1931 et 1933,

Hergé se voulant le porte-parole des problèmes chinois. Au début du XXe siècle, l'Europe de l'Ouest connaît mal la Chine et le Japon. En effet, les Européens, qui ont longtemps méprisé « la race » asiatique, ont pris subitement conscience en 1905 du potentiel de cette région et de la puissance de l'Empire japonais qui vient d'écraser les Russes à Port Arthur, Moukden et Tsushima. En un an et demi, un peuple supposé inférieur a battu, pour la première fois de l'histoire, l'une des plus importante armée d'Europe. Le Japon, qui avait déjà acquis suite à la guerre sino japonaise l'île de Formose et les îles Ryuku, obtient au traité de Portsmouth en septembre 1905 la ligne de chemin de fer transmandchourienne, Port Arthur et la Corée. Cependant, les Occidentaux (principalement Américains et Anglais) vont rapidement s'inquiéter de la puissance nippone dans l'aire pacifique et de sa mainmise sur la Chine. En effet, le Japon avait formulé dans les « 21 demandes » ses revendications au gouvernement chinois qui fut contraint de les accepter, et avait pris un tel ascendant économique sur l'Asie Orientale, que les Occidentaux allaient tenter d'en limiter les effets. L'opinion publique des puissances occidentales perçoit avec pessimisme l'expansion du Japon et intègre cela dans une crainte du péril jaune, du panasiatisme, qui sera renforcé par un impérialisme japonais en Chine, teinté de nationalisme et de militarisme dans les années trente. Afin de préserver la Chine de l'impérialisme japonais, l'histoire de l'Empire du Milieu et sa culture millénaire furent revalorisées. La Chine apparaissait alors comme le sanctuaire de valeurs morales sensées se rapprocher de celles de l'Occident et qui étaient naturellement opposées à celles du Japon, uniquement matérielles. Le Japon était pourtant proche de l'Occident dans son organisation politique mais surtout l'élite japonaise s'occidentalisait de manière radicale. Ainsi dans «Le Lotus Bleu», tous les Japonais civils portent un pardessus, une jaquette, un chapeau de feutre, une cravate ou un nœud papillon, et sont vêtus de la même manière que les Européens. Qui plus est, ils parlent de la même manière que ces derniers, ont les mêmes voitures…En définitive, il est quasiment impossible de différencier Européens et Japonais, si ce n'est par la couleur de leur peau. « Le Lotus Bleu » a tendance à accentuer la crainte du péril jaune et à rendre les Japonais haïssables. En effet, Hergé se plait à peindre les Japonais comme des êtres fourbes, sans scrupules, vils, malfaisants et menteurs. Si toute l'histoire du « Lotus Bleu » tourne autour de l'opposition Japonais/Chinois, Hergé tire profit de son dessin pour caricaturer physiquement le peuple nippon. Ainsi, les visages japonais sont anguleux, maigres, ascétiques et particulièrement antipathiques avec leurs dents longues, leurs cheveux coupés en brosse, et leur petite moustache taillée « à l'autrichienne ». Autant les Japonais sont détestables, autant les Chinois en sont l'exacte antithèse. Le pays est présenté de manière tout aussi caricaturale que le Japon, mais évidemment sous un angle opposé. Si dans « Le Lotus Bleu », tous les Japonais sont des crapules, tous les Chinois sont des héros courageux, intrépides et sages. L'image type du Chinois est le personnage de Tchang, sauvé de la noyade par Tintin, pour qui il a une admiration et un

Page 75: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 75 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

attachement sans bornes. Dans l'imaginaire d'Hergé, le Chinois est soit jeune et brave soit vieux et sage tel Wang Jen-Ghié. Hergé pousse la caricature jusqu'au manichéisme le plus total puisque dans « Le Lotus Bleu», il n'y a absolument aucune nuance : les Japonais sont coupables de tous les maux et incarnent le mal, alors que les Chinois sont tous des victimes en dépit de leur bienveillance naturelle. Ceci est parfaitement explicite à travers la manière dont Hergé dessine les Chinois : le visage humain, plaisant, souriant et expressif. Qui plus est, quasiment tous les Chinois sont vêtus de costumes traditionnels par opposition aux Japonais qui portent des vêtements à l'européenne, voyagent en pousse-pousse, boivent du thé… « Le Lotus Bleu » est l'illustration parfaite de ce que pouvait être la Chine de l'entre-deux-guerres dans l'imaginaire occidental : un pays de traditions immuables, où le temps n'a pas balayé, comme en Occident, les valeurs les plus élémentaires. Les Chinois étaient cependant vus comme un peuple d'arriérés aux traditions brutales et violentes. Hergé tourne en dérision cette vision de la Chine et change évidemment sa façon de voir ce pays : « Beaucoup d'Européens s'imaginent que tous les Chinois sont des hommes fourbes et cruels […] qui passent leur temps à inventer des supplices […], que toutes les petites filles chinoises subissent mille tortures destinées à empêcher leurs pieds de se développer normalement… » La Chine est donc victime du Péril Jaune qui est alors vu comme japonais. Pendant la Seconde guerre mondiale, le cinéma américain sert la propagande : après Pearl Harbour le Japonais devient la figure de l’ennemi ; les Japonais sont qualifiés de « monkeys » « baboons » «rats»; les Américains d’origine japonaise sont victimes de la paranoïa qui s’empare des EU et parqués dans des camps pendant la guerre (réhabilités par ce même cinéma à partir des années 70 et surtout par le film de Alan Parker, Bienvenue au Paradis, 1990). Ce mythe du Péril Jaune change après la Seconde guerre mondiale : le Japon battu et humilié après Hiroshima est très vite intégré dans le camp occidental avec la Guerre froide alors que la Chine devenue communiste en 1949 apparaît alors comme une menace. Se combine alors le « péril jaune » avec « la menace rouge » ce qui est lié au contexte de la Guerre froide. Le Chinois apparaissait déjà, notamment dans le cinéma américain, dans les années 20 et 30, comme l’image du mal menaçant. En 1913, un roman de Sax Rohmer crée le personnage de Fu Manchu, Chinois malfaisant qui complote contre les Blancs, d’autant plus dangereux qu’il a reçu une éducation occidentale et qu’il a été confronté à la violence de l’impérialisme (sa famille est massacrée pendant la révolte des Boxers). Ce personnage assoiffé de vengeance et figure du Mal remplace alors Dracula dans le cinéma hollywoodien des années 30 et est incarné dans de nombreux films par des acteurs tels Boris Karloff en 1932 dans « Le Masque de Fu Manchu », puis plus tard par Christopher Lee ou Henry Brandon. En 1962, c’est au personnage du Docteur Yen Lo dans le film de John Frankenheimer « The Mandchourian Candidate » que revient le rôle du méchant, pratiquant le lavage des cerveaux, le contrôle mental des prisonniers pour en faire des exécuteurs serviles de ses projets déments. …La Détente des années 60 met fin à cette vision du Péril Jaune incarné par les Chinois mais d’autres films témoignent a posteriori de cette vision : ainsi en 1997, Richard Gere dans «Kundu» ou Jean Jacques Annaud dans «Sept ans au Tibet» mettent ils en avant la répression chinoise au Tibet. L’Asie reste cependant pensée comme une menace mais économique : le Japon d’abord, puis la concurrence des NPI source de délocalisations et autres malheurs des économies occidentales, puis la croissance formidable de la Chine et son coût politique et social. Les géographes cherchent à articuler leur discipline aux évolutions géopolitiques et s’interrogent puisqu’en15 ans ils sont passés de concepts en concepts : « Asie-pacifique » puis « Asie Orientale » et « autres Asie » ; on cherche leurs points communs (croissance, travail productivité et surtout « menace ») ; on ne se « rassure » pas de leurs divisions ou des freins à leur intégration. (cf. programme de terminale)

Page 76: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 76 -

VIII COMMENT L’OCCIDENT VOIT-IL L’ASIE AUJOURD’HUI ? LES ASIATIQUES ONT-ILS LA CONSCIENCE D’APPARTENIR A UN SEUL ET MEME CONTINENT ? Le discours produit par les asiatiques sur leur continent a lui-même évolué entre deux conceptions : celle liée au concept d’empire et celle liée au concept d’Etat -nation. Depuis la fin du 19ème s et au début du 20ème s, le Japon a d’abord essayé de « sortir » de l’Asie, espace considéré comme homogène autour du confucianisme, en se transformant en Etat-nation, pour constituer un nouvel axe dans l’Asie ; la grande sphère de coprospérité asiatique a alors servi à légitimer l’invasion japonaise en Asie. Tandis que les chinois se sont faits les champions des mouvements de libération nationales : Sun Yat-sen, président de la 1ère République chinoise dans un discours sur le « grand asianisme » (Kobe 1924) distingue 2 Asies : une ancienne qui ne compte aucun état indépendant et une nouvelle incarnée par le Japon puisque victorieux de la Russie grand état blanc (guerre de1904-05), incarnant l’espoir des autres nations asiatiques. Puis au temps du communisme chinois et de la guerre froide, c’est autour de la révolution socialiste anti colonialiste et anti impérialiste que se construit l’idée d’Asie par les Chinois. Aujourd’hui dans un nouveau contexte, post guerre froide et mondialisation économique, que réinventer ? Parmi les intellectuels asiatiques un débat est engagé sur l’idée de l’Asie et ses implications géopolitiques, débat comme en Europe autour de la constitution d’entités régionales fortes capables de contrebalancer la puissance américaine. Par exemple la Chine avait envisagé d’adhérer à l’Asean (Association des nations de l’Asie du Se) ; autre exemple : l’Asie reste priorité du Japon longtemps allié et partenaire des EU ; la menace de la guerre froide étant passée, le développement de l’Asie étant lancé, depuis la crise financière de 1990, le Japon se concentre sur cette aire d’influence. Ou encore création de l’ASEM crée en 1994 qui se réunit tous les 2 ans pour nouer un dialogue Europe/Asie.

Cependant l’exemple de la Chine est particulier et montre la difficulté de parler d’une même voix en Asie :(résumé article de Fr Jullien in Questions Internationales mars-avril 2004): voici un pays qui n’a cessé d’exercer une fascination sur l’Occident (Marco Polo, Turandot de Rossini, Tribulations de jules Verne, le Tintin du Lotus bleu, la révolution Culturelle…) et qui semble une autre humanité impénétrable puisqu’elle a même réussi à « opacifier » le communisme…

Page 77: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 77 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Devenue l’usine du monde s’est-elle banalisée dans nos représentations ? Pas du tout car elle exprime encore une profonde originalité par rapport aux modes de pensée européens : le monde est pensé en terme d’ordre et de désordres qui se traduit sur le plan international par stabilité et chaos ; une conception moniste du pouvoir (place actuelle du PCC) auquel on se soumet (on ne pense pas le droit ni la liberté); une attitude qui refuse le frontal mais l’obliquité (visible dans art de la guerre ou la gestion des crises politiques) ; déstructurer l’ennemi plutôt que l’abattre ; un développement économique pensé non en termes d’aboutissement ou de progrès mais de transformations : attentive aux transformations « silencieuses » la Chine a montré un rôle croissant sur les affaires du monde sans qu’il n’y ait d’évènement très particulier ; un développement sur ses « deux jambes » : agir et penser dans une certaine mesure à l’occidentale n’empêche pas la Chine d’opérer à sa façon et même de façon autonome dans l’évolution du processus de développement économique de l’Asie du SE. ON PEUT TROUVER UN DEBUT DE REPONSE EN S’INTERROGEANT SUR LA GEOPOLITIQUE DE CE

CONTINENT ET LA PLACE QUE PEUVENT Y OCCUPER L’INDE ET LA CHINE. Comment caractériser l’Asie sur le plan géopolitique ? Quelques éléments peuvent constituer une certaine unité pour le continent :

- l’importance de l’armement nucléaire : la Chine est le seul pays reconnu par le Traité de non prolifération nucléaire de 1967 comme puissance nucléaire ; cependant, certains pays comme le Pakistan, l’Inde ont acquis l’arme nucléaire. Un autre est soupçonné de vouloir l’acquérir : la Corée du Nord,

- l’importance des conflits territoriaux liés au maintien des idéologies ou à l’importance des nationalismes. Si les différents frontaliers territoriaux trouvent le plus souvent des arrangements ou des solutions entre les Etats (fin du conflit en Assam en Inde par exemple) sauf au Cachemire, les revendications d’espaces maritimes restent vives : îles Paracels, îles Spratly, plate forme continentale de la mer de Chine septentrionale, etc. Ces conflits servent le plus souvent à mettre en exergue un nationalisme sourcilleux qui peut détourner l’attention des opinions publiques. En effet, aucun Etat asiatique n’est homogène sur le plan ethnique ou religieux ce qui peut déboucher sur des conflits internes parfois violents. Par exemple, le 06 décembre 1992, des dizaines de milliers de pèlerins hindouistes, excités par la propagande des partis politiques, rasent la mosquée Babri Masjid à Ayodhya dans l’Uttar Pradesh. Cette mosquée avait été érigée au 16ème siècle par les Moghols musulmans sur le site d’un temple dédié à Rama qui avait alors été détruit. Cet événement a mené un cycle de violences entre hindous et musulmans qui provoquent plus de 2000 morts et les tensions perdurent. En 2002, des musulmans incendient un train de pèlerins hindous ce qui entraînent des manifestations antimusulmanes faisant 2000 morts et plus de 150 000 sans abris. Les tensions s’apaisent grâce à la politique du nouveau gouvernement dirigé par le parti du Congrès en 2004 qui met en place une démarche judiciaire pour déterminer les responsabilités et qui achète le terrain de l’ancienne mosquée bloquant toute construction postérieure,

- le jeu d’équilibre entre Chine, Inde et Etats Unis. Depuis la disparition de l’Urss, l’Inde est devenue un partenaire privilégié des Etats Unis en Asie : transfert de technologies, aides financières pour mettre en place une flotte navale importante permettant de sécuriser l’Océan Indien. L’objectif est de contrebalancer l’influence grandissante de la Chine sur la scène internationale, dirigée par le Parti communiste vu comme une survivance de la Guerre froide. Convaincu que la prospérité d’un pays dépend de son intégration économique et commerciale et non de conquêtes territoriales, le PCC développe la théorie de « l’émergence paisible » : il s’agit de devenir un acteur global assez important pour être partie prenante dans la résolution des problèmes mondiaux et régionaux, assez puissant pour que les solutions trouvées prennent en compte ses intérêts et assez influent pour que sa médiation,

Page 78: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 78 -

ses propositions, ses arbitrages soient acceptés. C’est pourquoi à l’échelle régionale la Chine cherche à régler ses différents frontaliers (en Arunalchal et Sikkin avec l’Inde par exemple) mais n’hésite pas à montrer son intransigeance sur la question de Taiwan et des revendications maritimes. Elle a aussi profité de l’affaiblissement économique du Japon dans les années 90 pour le remplacer en Asie du Sud Est en signant des accords économiques. A l’échelle mondiale, la Chine se montre influente en Afrique et au Moyen Orient afin de sécuriser ses approvisionnements énergétiques et de matières premières et maintient des relations avec des pays isolés diplomatiquement comme l’Iran, la Syrie, la Libye, le Zimbabwe ou la Corée du Nord. Cependant, cette politique montre ses limites car la Chine est encore objet de méfiance de la part des Occidentaux en raison des ambiguïtés de sa diplomatie.

L’Asie n’est donc pas uniforme dans sa politique internationale : les divisions qui la traversent restent nombreuses et les stratégies restent avant tout nationales.

CONCLUSION : Rêver l’Asie, c’est aussi de rêver soi-même car l’Asie a été, est et semble rester le

miroir de l’imaginaire européen : on y projette nos illusions mais l’image renvoyée est celle de nos troubles et de nos peurs. C’est un rêve récurrent dans l’histoire européenne.

Page 79: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 79 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE : CORPUS DOCUMENTAIRE COMMENT L’ASIE EST-ELLE PERÇUE DU MOYEN AGE À NOS JOURS ?

Pour le programme de 5ème : on peut intégrer cette séquence dans une approche interdisciplinaire. «Les convergences entre les programmes d'histoire et de géographie et les autres programmes du cycle central du collège sont multiples. Les démarches intellectuelles inséparables de l'acquisition des connaissances historiques et géographiques (lire, observer, identifier, mettre en relation, rédiger) sont également mises en oeuvre par d'autres disciplines. Les contenus des programmes croisent les contenus de presque toutes les disciplines. » précise le Bulletin Officiel du 13 février 1997 présentant les programmes de 5ème et 4ème. Pour la classe de Terminale : réfléchir à la question suivante : comment intégrer l’histoire des représentations à nos programmes ?

On peut s’appuyer sur le corpus documentaire suivant :

Quelques éléments chronologiques

327-325 av JC: Campagne de l’Inde par Alexandre le Grand (descente de l’Indus et retraite) puis constitution de divers royaumes grecs aux 3 et 2èmes siècles : voir statuaire gréco-bouddhique qui en a découlé : par exemple les bouddhas de Bamiyan, détruits en 2001)

166 de notre ère : Des Romains auraient abordé le rivage chinois. Le géographe Marin de Tyr – cité par Ptolémée – rapporte le récit des aventures d’un riche marchand de l'Orient romain, Maes Titianos.

1206 : Gengis Khan décide de partir à la conquête du « monde ». En août 1227, le Grand Khan meurt laissant un empire qui s’étend de la Mandchourie à la mer Caspienne. Peu de regards vers l’Europe.

1245 : Le Pape Innocent IV décide d’envoyer un ambassadeur, Jean de Plan Carpin, franciscain originaire de Pérouse, à la cour du Grand Khan des Mongols.

1261-1269 : Premier voyage des frères Polo, marchands vénitiens établis à Constantinople : ils découvrent la Chine et font la connaissance de Koubilaï, Grand Khan des Mongols.

1271 : Second voyage des frères Polo. Ils emmènent avec eux leur fils et neveu Marco et séjournent jusqu’en 1295 en pays mongol.

1291 : Départ du missionnaire Jean de Montecorvino. Il reste en Orient et devient

archevêque de Pékin. Il meurt dans cette ville en 1328.

1356 : Publication du Livre des merveilles du monde de Jean de Mandeville

1614 : Arrivée dans le comptoir établi par les Portugais à Macao, au sud de la Chine, des premiers missionnaires jésuites qui entendent entreprendre l’évangélisation du Vietnam.

1842 : 1ère guerre de l’opium ; 29 août 1842 : Traité de Nankin par lequel la Chine cède à l’Angleterre l’île de Hong Kong, à proximité de Macao et de Canton, grands ports du sud chinois désormais ouverts au commerce britannique (les ports de Amoy, Foutchéou, Ning Po et Shanghai le sont également). En octobre 1844, la France obtient, par la convention de Wham Poa des privilèges analogues dans les mêmes ports, ainsi qu’un droit de protection des missions catholiques.

1884 : La Prusse en Asie, weltpolitik de Guillaume II.

1887 : Constitution administrative de l’Union indochinoise.

1900 : Guerre des Boxers.

1922 et 1932 : Expositions coloniales à Marseille.

1928-1932 : La croisière Jaune, expédition organisée par André Citroën qui retraça la route de la soie de Beyrouth à Pékin en franchissant les hauts cols du Karakorum au cœur de l'Himalaya.

1941 : Pearl Harbour

1945 : Proclamation de l’indépendance de l’Indonésie par Sœkarno, début de la décolonisation en Asie.

1946-54 : Guerre d’Indochine

Page 80: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 80 -

1994 : Création de l’ASEM (Asia Europe Meeting) qui se réunit tous les 2 ans pour nouer un dialogue Europe/Asie.

29-30 novembre 2004 : Sommet de l'ASEAN qui réunit les dirigeants des dix pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est ainsi que la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. L'ASEAN et Pékin signent la première phase de l'établissement d'un accord ouvrant la voie à la création en 2010 d'une zone de libre-échange de près de 2 milliards d'habitants. Deux nouveaux pays non membres de l'ASEAN, la Russie et la Corée du Sud, signent un Traité d'amitié et de coopération (TAC), pacte de non-agression déjà signé hors ASEAN par la Chine, l'Inde, le Japon, le Pakistan et la Papouasie-Nouvelle Guinée.

12-14 décembre 2005 : 1er sommet de l'Asie orientale qui rassemble seize pays asiatiques, dont la Chine, l'Inde et le Japon, ainsi que les dix pays de l'ASEAN, en présence de la Russie qui y assiste en tant qu'observateur, les Etats-Unis n'ayant pas été conviés. L'objectif est de lancer une Communauté d'Asie orientale de libre-échange, mais les tensions sino-japonaises ne permettent pas d'avancée concrète. Quelques grands projets sont cependant lancés, notamment contre la grippe aviaire.

Document n°1 : carte du voyage de Marco Polo (extrait de « Marco Polo et la Route de la soie », Découvertes Gallimard)

Page 81: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 81 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Document n°2 : un horizon onirique « «L'océan Indien, exotisme de l'Occident médiéval, lieu de ses rêves et de ses défoulements. » Le premier rêve indien de l'Occident médiéval, c'est celui d'un monde de la richesse. Dans ce domaine indigent de la Chrétienté occidentale - latinitas penuriosa est dit Alain de Lille -, l'océan Indien semble regorger de richesses, être la source d'un flot de luxe. Rêve surtout lié aux îles, les innombrables « îles fortunées », îles heureuses et comblées, qui font le prix de l'océan Indien, mer parsemée d'îles. «En cette mer de l'Inde, dit Marco Polo, il y a douze mille sept cents îles... Il n'y a nul homme au monde qui, de toutes les îles de l'Inde, puisse conter la vérité... C'est tout le meilleur et la fleur de l'Inde... » Le symbolisme chrétien entoure encore les îles d'une auréole mystique, puisqu'elle en fait l'image des saints gardant intacts leur trésor de vertus, vainement battus de toutes parts par les vagues des tentations. Iles productrices des matières de luxe: métaux précieux, pierres précieuses, bois précieux, épices. L'abondance est telle que, de mai à juillet, selon Marco Polo, au royaume de Coilum, qui est la côte indienne au sud-ouest de Malabar, ce ne sont que moissons de poivre: «on le charge en vrac sur les nefs, comme chez nous on charge le froment». Le royaume de Malabar est riche de si «grandissimes quantités» de perles pêchées en mer que son roi va tout nu, couvert seulement de perles de la tête aux pieds, « cent quatre des plus grosses et des plus belles» à son seul cou. Iles qui ne sont parfois tout entières qu'or pur ou argent pur, ainsi les îles Chryse et Argyre... De toutes ces îles, la «meilleure», c'est-à-dire la plus grande et la plus riche, c'est Taprobane, qui est Ceylan. Horizon mi-réel, mi-fantastique, mi-commercial, mi-mental, lié à la structure même du commerce de l'Occident médiéval, importateur de produits précieux lointains, avec ses retentissements psychologiques. A ce rêve de richesse est lié un rêve d'exubérance fantastique. Les terres de l'océan Indien sont peuplées d'hommes et d'animaux fantastiques, elles sont un univers de monstres des deux catégories. Comme le dit Honorius Augustodunensis : « Il y a là des monstres dont certains sont classés dans l'espèce humaine, d'autres dans les espèces animales… » A travers eux, l'Occident échappe à la réalité médiocre de sa faune, retrouve l'inépuisable imagination créatrice de la nature et de Dieu. Hommes aux pieds tournés vers l'arrière, cynocéphales qui aboient, vivant bien au-delà de la durée de l'existence humaine et dont le poil, dans la vieillesse, noircit au lieu de blanchir, monopodes qui s'abritent à l'ombre de leur pied levé, cyclopes, hommes sans tête qui ont des yeux sur les épaules et deux trous sur la poitrine en guise de nez et de bouche, hommes qui ne vivent que de l'odeur d'une seule espèce de fruit et meurent s'ils ne peuvent plus la respirer. Anthropologie surréaliste comparable à celle d'un Max Ernst... A côté de ces hommes monstrueux, pullulent les bêtes fantastiques. Celles faites de pièces et de morceaux, telle la «bestia leucocroca ». qui a un corps d'âne, un arrière-train de cerf, une poitrine et des cuisses de lion, des pieds de cheval, une grande corne fourchue, une large bouche fendue jusqu'aux oreilles d'où s'échappe une voix presque humaine; et celles qui ont face humaine comme la mantichora, à trois rangs de dents, au corps de lion, à la queue de scorpion, aux yeux bleus, au teint empourpré de sang, dont la voix siffle comme celle d'un serpent, plus rapide à la course qu'un oiseau volant, anthropophage au demeurant. Rêve de foisonnement et d'extravagance, de juxtapositions et de mélanges troublants, forgé par un monde pauvre et borné. Monstres qui sont aussi souvent un écran entre l'homme et la richesse entrevue, rêvée, désirée: les dragons de l'Inde veillent sur les trésors, sur l'or et l'argent et empêchent l'homme d'en approcher. Rêve qui s'élargit en la vision d'un monde de la vie différente, où les tabous sont détruits ou remplacés par d'autres, où l'étrangeté sécrète l'impression de libération, de liberté. Face à la morale stricte imposée par l'Église se déploie la séduction troublante d'un monde de l'aberration alimentaire où l'on pratique coprophagie et cannibalisme, de l'innocence corporelle où l'homme, libéré de la pudeur vestimentaire, retrouve le nudisme, la liberté sexuelle, où l'homme, débarrassé de l'indigente monogamie et des barrières familiales, s'adonne à la polygamie, à l'inceste, à l'érotisme. Par-delà encore, rêve de l'inconnu et de l'infini, et de la peur cosmique. Ici l'océan Indien est le mare infinitum, l'introduction au monde des tempêtes, à la terra senza gente de Dante.

Page 82: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 82 -

Mais l'imagination occidentale se heurte ici aux frontières de ce monde qui est bien en définitive le monde clos où son rêve tourne en rond. D'un côté, il se heurte aux murs qui contiennent provisoirement l'Antéchrist, les races maudites de la fin du monde, Gog et Magog, il débouche sur son propre anéantissement apocalyptique. De l'autre, il retrouve sa propre image renversée, le monde à l'envers ; et l'anti-monde dont il rêvait, archétype onirique et mythique des antipodes, le renvoie à lui-même. » Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen Age, Gallimard, 1979 Document n°3 : Je t'ai parlé de toutes les villes que je connais Né en 1923 à San Remo, ltalo Calvino est l'un des romanciers italiens les plus attachants de notre époque. Dans son livre, Marco Polo, ami et confident d'un Grand Khan mélancolique se laisse aller à décrire des villes imaginaires qui n'ont leur place sur aucun atlas... « - T'est-il jamais arrivé de voir une ville qui ressemble à celle-ci? demandait Kublai à Marco Polo. Et il avançait sa main baguée hors du baldaquin de soie du bucentaure impérial, et il montrait les ponts arqués par-dessus les canaux, les palais princiers dont les seuils de marbre baignaient dans l'eau, le va-et-vient des bateaux légers qui voltigeaient en zigzags sous la poussée de longues rames, les chalands qui déchargeaient les corbeilles de légumes sur les places des marchés, les balcons, les terrasses, les coupoles, les campaniles, les jardins dans les îles qui verdoyaient sur le gris de la lagune. L'empereur, accompagné de son dignitaire étranger, visitait Hangschow, antique capitale de dynasties détrônées, dernière perle enchâssée dans la couronne du Grand Khan. - Non, sire, répondit Marco, je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse exister une ville semblable à celle-ci. L'empereur voulut le regarder dans les yeux. L'étranger abaissa son regard. Kublai resta silencieux toute la journée. Après le coucher du soleil, sur les terrasses du palais royal, Marco Polo exposait au souverain le résultat de ses ambassades. Habituellement, le Grand Khan terminait ses soirées en savourant, les yeux mi-clos, ces récits jusqu'à ce que son premier bâillement donnât à la suite des pages le signal d'allumer les torches pour conduire le souverain au pavillon de l'Auguste Sommeil. Mais cette fois Kublai ne paraissait pas décidé à céder à la fatigue. - Parle-moi d'une autre ville encore, insistait-il. Marco recommença à parler et à énumérer les noms et les coutumes et les commerces d'un grand nombre de terres. Son répertoire pouvait être dit inépuisable, mais ce coup-ci ce fut à lui de se rendre. C'était l'aube quand il lui dit : - Sire, désormais je t'ai parlé de toutes les villes que je connais. - Il en reste une dont tu ne parles jamais. Marco Polo baissa la tête. - Venise, dit le Khan. Marco sourit. - Chaque fois que je fais la description d'une ville, je dis quelque chose de Venise. - Quand je t'interroge sur d'autres villes, je veux t'entendre parler d'elles. Et de Venise, quand je t'interroge sur Venise. - Pour distinguer les qualités des autres, je dois partir d'une première ville qui reste implicite. Pour moi, c'est Venise. - Alors tu devrais commencer tous tes récits de voyage par leur point de départ, en décrivant Venise telle qu'elle est, et tout entière, sans rien omettre de ce que tu te rappelles. L'eau du lac frisait tout juste ; le reflet des branches de l'antique cour des Song se brisait en réverbérations qui scintillaient, comme des feuilles flottantes. - Les images de la mémoire, une fois fixées par les paroles, s'effacent, constata Polo. Peut-être, Venise, ai-je peur de la perdre toute en une fois, si j'en parle. Ou peut-être, parlant d'autres villes, l'ai-je déjà perdue, peu à peu. » Italo Calvino, les Villes invisibles, Seuil, 1974

Page 83: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 83 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Document n°4 : Comment Cinchin fut le premier Khan des Tartares. « Or il advint que vers l'an de l'Incarnation du Christ 1178, les Tartares prirent pour Roi un des leurs qui avait nom Cinchin-Khan. Il fut homme de grande valeur, de grand sens et de grande prouesse; et quand il fut élu Roi, tous les Tartares qui étaient répandus dans cette contrée, quand ils le surent, vinrent à lui et le tinrent pour Seigneur. Et il maintint très bien sa seigneurie... Et que vous en dirai-je? Il vint tant de Tartares que c'en était merveille. Et quand le Seigneur vit qu'il avait tant de monde, il fit préparer une grande quantité d'armes, comme dards et javelots, et d'autres armes à leur usage, et partit conquérir les entours, ce qui était bien huit provinces. Et quand il avait fait ces conquêtes, il ne faisait aux gens nul mal ni aucun dommage à leurs biens, mais il laissait là une partie de ses hommes et emmenait le reste avec lui pour conquérir d’autres provinces. De cette manière, il en conquit beaucoup. Et quand ceux qu’ils avaient conquis voyaient qu’ils n’avaient reçu nul dommage, par la grande débonnaireté du Seigneur, ils allaient très volontiers avec lui et étaient très fidèles. Et quand il eut amassé une si grande foule que toute la terre en était couverte, il pensa à conquérir une grande partie du monde, et envoya des messagers au Prêtre Jean. Et ce fut en 1200 du Christ. Il lui mandait qu’il voulait avoir sa fille pour femme. Et quand le Prêtre Jean entendit que Cinghis Khan lui demandait sa fille pour femme, il en eut un grand dépit et dit aux messagers : - Comment n’a-t-il grand vergogne de demander ma fille pour femme ? Il sait bien qu’il est mon homme et mon vassal. Retournez à lui et dîtes que je ferais plutôt brûler ma fille que de la lui donner, et qu’il convient que je le mette à mort, comme traître et déloyal à son Seigneur ! » Marco Polo, Le Devisement du monde, texte intégral mis en français moderne par A. t’Serstevens, Editions Alin Michel, 1968 Document n° 5 : Le Lotus Bleu Hergé, Tintin le Lotus Bleu, 1936

Page 84: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 84 -

Document n°6 : les pieds bandés : photo prise vers 1900

(source : http ://www.dinosoria.com/pied_chine.htm )

Document n° 7 : la Croisière jaune (par Ariane Audouin-Dubreuil, Paris, Glénat, 2003)

Page 85: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 85 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Document n° 8 : Fu Manchu : 1ère image film de 1968 2ème image 1966, les 13 fiancées de Fu Manchu

(source : http://www.fantasfilm.com:80/image/SITE-10-105-PERIL JAUNE.html)

Document n°9 : Images coloniales, expositions de 1906 et 1922 (source : Pascal BLANCHARD, Nicolas BANCEL, De l’indigène à l’immigré, Découvertes Gallimard, Paris, 2002)

Page 86: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 86 -

Document n°10 : La Chine, puissance émergente « La Chine: en la matière, l'imaginaire occidental a longtemps été plus riche- c'est-à-dire plus pauvre -que la connaissance. Entre celle du régime impérial -Turandot, Les Tribulations de Jules -Verne, l'inquiétude de la duchesse de Guermantes, Le Jardin des supplices d'Octave Mirbeau, Le Lotus bleu -puis les fantasmes autour de la Chine maoïste -la révolution permanente, de la révolution dans la révolution, de la révolution culturelle, de La Chinoise de Godard - des groupuscules soixante-huitards, puis du retour au principe de réalité avec les ouvrages désenchanteurs mais lucides de Simon Leys, elle n'a cessé d'exercer sur les esprits 1es plus variés la fascination de l'extrême, voire de l'excessif. Dans les catégories de l'exotique, elle n'occupait cependant pas la place du merveilleux, plutôt dévolu au monde arabo-persan des Mille et Une Nuits. Encore moins celle du bon sauvage: plutôt celle de l'étrange et de l'impénétrable, dont la civilisation traditionnelle, raffinée, supérieure à beaucoup d'égards à celle de l’Europe ancienne, mettait en question la prétention à l'universalité du message chrétien - voyez Pascal - ou des Lumières - voyez Montesquieu. Elle ne s'inscrivait pas dans leurs cadres, restait rebelle à leurs prétentions, échappait à la colonisation sinon à l'impérialisme, semblait être une autre humanité plutôt qu'une autre société -jusqu'au communisme qui, loin de l'occidentaliser, lui donnait comme une nouvelle opacité. Aujourd'hui la Chine paraît se banaliser. La mondialisation n'entraîne-t-elle pas pour elle une forme de normalisation? C'est-en termes de produit national brut, de taux de croissance, de capitalisme émergent, de marchés à conquérir, d'investissements, de délocalisations industrielles, que l'on tend à la considérer- comme tout le reste. Son originalité radicale n'était pas soluble dans des influences religieuses, culturelles ou politiques, mais ne résisterait pas au triomphe universel de l'économie libérale, désormais seul instrument d’intelligibilité, d'échange et de transformation généralisés. Devenue ainsi un espace économique comme un autre, usine du monde, la Chine ne serait plus différente que, quantitativement, par l'énormité de sa population et l'ampleur des promesses de sa puissance virtuelle. Dès lors on la considère aussi sous l'angle du défi qu'elle pourrait lancer

Page 87: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 87 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

à la puissance américaine, pour laquelle elle serait le seul compétiteur possible et du même coup obligé. Et pourtant, l'évolution est-elle si simple, si linéaire? La Chine ne conserve-t-elle pas une originalité irréductible, rentre-t-elle dans ces cat6gories en définitive paresseuses? Est-elle en course pour une puissance mondiale ou n’a-t-elle pas ses objectifs propres? Notre dossier s'ouvre ainsi par un entretien avec l'un des meilleurs spécialistes de la"pensée chinoise, François Jullien, qui souligne les différences radicales qui séparent de façon permanente les modes de pensée occidentaux et chinois. C'est à la lumière de cet éclairage que les:analyses qui suivent doivent:aussi être appréciées. » Serge Sur, éditorial, Questions internationales, n°6, mars- avril 2004 Document 11 : Une nouvelle vision de l’histoire mondiale, « Quand l’Asie réinvente l’Asie » L’Inde et la Chine ont entamé le 23 janvier des discussions sur les questions frontalières, suspendues depuis 1962. Parmi les intellectuels asiatiques, un débat est engagé sur l’idée de l’Asie. Face à l’empire américain, certains veulent surtout construire un système régional. D’autres, comme Wang Hui, cherchent à transcender le nationalisme et à donner un sens à l’identité asiatique, qui échappe à la dichotomie « Orient contre Occident ». « En Asie comme en Europe, le débat autour de la construction d’entités régionales fortes, capables de contrebalancer la puissance américaine, prend de l’ampleur. En effet, la mondialisation libérale et le « nouvel empire » – deux notions apparemment différentes – forment désormais la trame des traités militaires, des associations économiques et des institutions politiques internationales. Conjointement, elles établissent un ordre global renfermant les sphères politique, économique, culturelle et militaire – ordre que l’on peut appeler « empire » ou « impérialisme néolibéral »[…]Les sociétés européennes tentent de s’en protéger à l’aide d’une forme de régionalisme […] suivant trois grands axes : former une société civile européenne, instaurer une sphère publique politique au niveau de l’Europe et créer une culture politique que tous les citoyens de l’Union européenne (UE) puissent partager. De son côté, la Chine a envisagé il y a quelques années d’adhérer au traité de l’Association des nations de l’Asie du Sud-est (Asean) selon la formule du « dix plus un », et le Japon lui a immédiatement emboîté le pas en suggérant la formule du « dix plus trois » (Chine, Japon et Corée du Sud). En 2002, une agence de presse japonaise affirmait que, « si l’unification de l’Asie s’accélère, (...) le sentiment de distance entre le Japon et la Chine tendra à disparaître tout naturellement au cours de l’unification régionale ; une conférence réunissant les dirigeants de l’Asean, du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud, qui saisirait la première occasion d’engager des négociations régionales excluant les Etats-Unis, finirait peut-être par aboutir à une version asiatique de la réconciliation entre la France et l’Allemagne ». […] Mais il faut savoir ce que les Asiatiques entendent lorsqu’ils parlent de l’Asie. Ce qui soulève trois questions. Premièrement, depuis le XIXe siècle, les différents aspects de l’« asianisme » ont toujours été étroitement liés aux différentes formes de nationalisme. Deuxièmement, l’idée de l’Asie recouvre deux notions opposées : le concept colonial japonais axé sur la « grande sphère asiatique de coprospérité » et la conception socialiste de l’Asie reposant sur les mouvements socialiste et de libération nationale. Dans le contexte de l’effondrement du mouvement socialiste et d’une reconstruction des représentations de l’Asie, que faire de l’héritage de ce mouvement ? Troisièmement, si nous cherchons à dépasser l’Etat-nation, la réinvention de l’Asie implique de substituer la représentation de l’Etat supranational à celle du XIXe siècle […] Les représentations de l’Asie déjà évoquées révèlent l’ambiguïté et les contradictions que comporte l’idée de l’Asie. Celle-ci est à la fois colonialiste et anticolonialiste, conservatrice et révolutionnaire, nationaliste et internationaliste ; elle trouve son origine en Europe et façonne l’interprétation que l’Europe a d’elle-même ; elle est étroitement liée à la question de l’Etat national et recoupe la vision impériale ; c’est un concept de civilisation en contraste avec celui de l’Europe, et une catégorie géographique établie dans les relations géopolitiques. Lorsque nous étudions l’indépendance politique, économique et culturelle de l’Asie actuelle, il nous

Page 88: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 88 -

faut tenir compte sérieusement du fait que l’idée de l’Asie est apparue dans les glissements, l’ambiguïté et les contradictions. Nous ne pourrons trouver les clés pour transcender ou surmonter ces glissements et ces contradictions qu’en saisissant les relations historiques particulières qui leur ont donné naissance […] La critique de l’eurocentrisme devrait chercher non pas à confirmer l’asiacentrisme mais à éliminer la logique égocentrique, exclusive et expansionniste de la domination. Il nous sera impossible de comprendre l’importance de la modernité asiatique si nous oublions les conditions et les mouvements historiques décrits plus haut. C’est pourquoi les nouvelles représentations de l’Asie doivent dépasser les objectifs et les projets des mouvements socialistes et de libération nationale du XXe siècle. Dans les circonstances historiques actuelles, elles doivent réfléchir sur les projets historiques non réalisés de ces mouvements. Le but n’est pas de créer une nouvelle guerre froide, mais d’abolir l’ancienne et ses formes dérivées ; il n’est pas de rétablir le rapport colonial, mais d’en éliminer les vestiges et d’empêcher que se développent des formes naissantes de colonialisme. La question de l’Asie ne concerne donc pas seulement l’Asie géographique, mais l’« histoire mondiale ». Reconsidérer l’« histoire asiatique » nécessite de reconstruire l’« histoire mondiale » et de dépasser l’ordre du « nouvel empire » du XIXe siècle et sa logique. » Wang Hui (Historien des idées, rédacteur en chef de Dushu, Pékin.) in le Monde diplomatique p20-21, février 2005

Page 89: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 89 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Atelier 5 Russie, 69ème PIB, cherche géostratégie mondiale ?

Animation : José Christine Langlois

professeure au lycée Adam Benoît, Isle sur Sorgue

Alain Sidot

professeur au lycée Adam Benoît, Isle sur Sorgue

ARGUMENTAIRE

Cette année, le groupe La Durance se penche sur l’Asie. Outre les questions immédiates qui surgissent sur l’émergence dans l’économie mondiale de cette région du monde, se pose le problème de la définition de l’Asie : quels pays la composent ? Nous avons choisi d’étudier à titre d’exemple la construction d’un pays qui s’est toujours trouvé écartelé entre des aspirations européennes et asiatiques, la Russie. De l’Empire russe à l’actuelle Russie le problème s’est posé : comment se positionner ? Et cela reste particulièrement vrai à l’heure actuelle où le pays vit des ventes de ses richesses naturelles extraites en Orient et vendues en Occident ; toujours vrai avec la nouvelle géostratégie d’un pays qui refuse sa marginalisation dans un monde américain et qui a, peut être, une carte à jouer entre les Etats Unis d’Amérique et le futur leader mondial ( ?), la Chine. Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de voir le 69ème PIB par habitant chercher à développer une géostratégie mondiale. Après quelques apports factuels, nous tenterons d’élaborer une carte mettant en lumière les enjeux de la stratégie du Kremlin. I LA CONSTRUCTION DE L’EMPIRE RUSSE 1 Avant le XIXème siècle

Les princes moscovites devenus tsars (Ivan le Terrible, 1547) se sont très tôt intéressés à l’au-delà de l’Oural, et l’on peut dire qu’aux 16ème et 17ème siècles, la Sibérie est conquise : Okhotsk atteint le Pacifique et la mer qui porte son nom en 1645. La mer sera même franchie puisque les Russes (par l’entreprise de Vitus Bering) pénètrent en Amérique et prennent pied en Alaska en 1741 ; celui-ci sera vendu aux Etats-Unis en 1867 pour 7,2 millions de dollars. La fondation de postes devenus des villes importantes jalonnent cette prise de possession : Tobolsk : 1587 Tomsk : 1604 Kranoiarsk : 1628 Iakoutsk : 1632 Irkoutsk : 1652 Au sud est, ils se heurtent vite aux Mandchous sur le fleuve Amour (17ème siècle).

(Voir Annexe 1)

La construction de l’empire russe ; fin 19ème

Page 90: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 90 -

2 Le XIXème siècle

Les difficultés avec l’Occident (guerre de Crimée), entre autres, poussent les Russes vers l’Asie. La Chine est le premier obstacle vaincu car, entre 1858 et 1860, ce sont les territoires au nord de l’Amour et à l’est de l’Oussouri dont les Russes prennent possession ; ils y fondent Vladivostok (maître de l’orient) en 1860. En 1875, ils se rendent maîtres de Sakhaline, laissant les îles Kouriles au Japon. En 1878, les déceptions du Congrès de Berlin (les Allemands et les Anglais ne tiennent pas à donner trop d’avantages aux Russes en Europe balkanique), les envoient à nouveau en Asie. 1881 : Turkménistan 1885 : Pendjeh : ouverture sur l’Afghanistan et l’Inde anglaise 1892 : Pamir partagé avec Chine et GB 1895 : Chine vaincue par le Japon : les Russes construisent le Transmandchourien en 1896, et le Sudmandchourien en 1898. 1898 : ils obtiennent le droit d’occuper Port Arthur pour 25 ans 1905 : le Japon récupère Port Arthur qui retourne à l’URSS en 1945.

3 Une administration coloniale

1822 : le gouvernement de la Sibérie qui est divisée en deux gouvernements généraux est modifié : - l’est avec comme ville principale Irkoutsk, amputé en 1884 du Gouvernement de l’Amour - l’ouest est alors supprimé : l’extrême ouest est rattaché aux autres provinces russes - 1867 : création du gouvernement général du Turkestan - 1882 : création du Gouvernement général des Steppes incluant la Sibérie occidentale. Jusqu’en 1880, on ne peut parler véritablement de colonisation : les paysans libérés du servage sont peu encouragés : ils reçoivent 15 hectares, mais doivent se débrouiller seuls : 450 000 paysans passent l’Oural. - 1896 : création du bureau des migrations : 4 millions de départs, car l’Etat délimite des lots, fournit des renseignements pratiques et octroie des tarifs ferroviaires spéciaux. Les « Sibiriaks » qui sont 10 millions en 1913 ont peu ou prou les mentalités des conquérants du far west.

4 Les transsibériens

(Voir Annexe 1) Projetée dès 1870, sa construction commence en 1891, sous l’influence du comte Witte, premier ministre d’Alexandre III ; les nécessités en sont, bien entendu, civiles et militaires : acheminer des troupes en Extrême-orient en évitant la flotte britannique. Les travaux commencent à la fois depuis l’Oural (Tcheliabinsk) et Vladivostok où le futur Nicolas II pose le premier rail en 1891 : 7021km. Il était pratiquement achevé en 1904. La victoire japonaise et l’expulsion des Russes de Mandchourie les contraignent à une nouvelle construction, plus septentrionale, sur la rive gauche de l’Amour. La ligne a été doublée dans les années 30. C’est également à partir des années 30 que commence l’aventure du Baïkal_Amour- Magistral (BAM). Long de 4234 km, il relie Taïchet (à l’ouest du Baïkal) à la rivière Amour qui se jette dans le Pacifique.

Page 91: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 91 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Il a été construit comme itinéraire alternatif au transsibérien trop vulnérable car trop proche de la frontière. Il a été construit en utilisant des voies spéciales et durables puisque la plus grande partie de son itinéraire repose sur le pergélisol. Le tronçon le plus ancien (Taïchet-Bratsk) est l’œuvre des déportés du Goulag (+ de 10000 morts) ; le tracé oriental date des années 44-46 et est l’œuvre des mêmes. L’essentiel a été cependant construit entre 1972 et 1984 et a été un véritable gouffre financier. L’élargissement continue, actuellement vers Iakoutsk. II LA PERIPHERIE AU SERVICE DU CENTRE

1 Les migrations intérieures

Carte projetée

Mouvements de population en Russie et migrations : les territoires attractifs. Dans les années 1980, la Russie compte plus de 5 millions de migrants intérieurs, notamment vers l’Asie pionnière très attractive en matière salariale notamment. Actuellement la mobilité est faible (moins de 2 millions) ; le seul flux d’importance est l’exode des régions du nord et de l’est désertées aujourd’hui pour cause de chômage et d’abandon des avantages : les primes soviétiques ont été supprimées si bien que ces populations vivent au-dessous du seuil de pauvreté, à tel point qu’au Kamtchatka, le phénomène est si important qu’il est un handicap pour tout projet de développement. La Russie est de plus en plus une terre d’immigration, mais essentiellement pour les populations de la CEI. Toutefois, les territoires attractifs sont les régions centrales de Moscou à la Volga, dans le nord-Caucase, et le sud-sibérien. Les économistes appellent de leurs vœux un renforcement de cette immigration pour pallier le déficit naturel : le pays perd chaque année 1,5 million d’habitants et l’espérance de vie recule. Mais le potentiel de retour des Russes vivant dans la CEI se réduit et l’opinion publique est largement hostile à l’arrivée de migrants non Russes, même s’ils parlent la langue ; le délit de faciès est courant et souvent encouragés par les autorités. Dans la semaine du 15 janvier 2007, le gouvernement a fait de rudes contrôles d’identité sur les marchés moscovites qui visent à faire partir les « Caucasiens et autres Tchétchènes » ; une campagne de presse ultranationaliste a été orchestrée pour exalter le nationalisme russe : « affameurs », les non Russes prennent le travail des Russes. En Sibérie, on a assisté à des campagnes anti-chinoises ; les tensions sont vives.

2 Le pétrole et le gaz

Annexe 2 Ressources pétrolières en Russie : infrastructures et gisements

L’essentiel de la production est extrait de l’ensemble Volga-Oural, mais surtout de Tioumen qui représente 67 % du total qui a été relié à l’oléoduc « Droujba » qui ravitaillait les pays–frères ; une branche septentrionale conduit aux ports baltes. Près de la moitié du brut est directement exportée ; le reste, raffiné en Russie est aussi destiné à l’exportation ; plus de 85 % sont destinés aux pays hors CEI. Chez la plupart des grands pays producteurs, il n’existe qu’une grande compagnie nationale publique ; la production est ici assurée par une dizaine d’entreprises, restées sous contrôle russe ; jusqu’en 2004, Lukoil et Ioukos dominaient le secteur avec chacune 20 % de la production nationale. Ioukos a été démantelée par l’état russe au profit de Rosneft, groupe public. Il faut cependant noter que le transport, et de fait, l’accès aux marchés étrangers est

Page 92: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 92 -

le seul segment qui soit entièrement sous le contrôle de l’Etat, par l’intermédiaire de Transneft et Transnefteprodukt, deux monopoles d’Etat. Compte tenu de l’épuisement progressif des capacités des principaux bassins actuellement en exploitation, les possibilités d’extension de la production dépendent de la mise en valeur de nouveaux gisements. Les estimations actuelles placent la Russie au 8ème rang des réserves mondiales, avec 50 à 60 milliards de barils ; ce chiffre est fortement sujet à caution en raison des méthodes utilisées, non conformes à celles des Occidentaux, et elles sont situées en Sibérie orientale, en Extrême-Orient et dans la Sibérie septentrionale ; les investissements devront être massifs. L’activité de prospection et de renouvellement des réserves s’est fortement réduite depuis 15 ans ; les investissements sont insuffisants. Les réserves prouvées sont faibles et si la tendance ne s’inverse pas, la production totale ne tardera pas à baisser. Il en est de même sur le segment des transports. Tout d’abord, les compagnies d’Etat sont suspectes de discrimination ; de plus, le réseau semble totalement saturé alors que des segments sont sous-exploités : les investissements sont insuffisants. L’Agence Internationale de l’Energie table sur une très légère augmentation des capacités de production de la Russie, la faisant reculer dans le classement mondial. Une solution possible de développement est la participation d’entreprises étrangères à la prospection et à l’exploitation des nouveaux gisements, mais les autorités fédérales résistent à céder ce qu’elles considèrent comme une ressource stratégique : ces participations ne peuvent concerner que 30 % des réserves nationales. Seuls trois accords sont actifs actuellement, Sakhaline 1 et Sakhaline 2 et un dans le territoire des Nenets. BP, Totalfina Elf et Exxon Mobil sont les trois compagnies étrangères les plus actives, notamment par des alliances stratégiques avec des entreprises russes. Au niveau des transports, les principaux projets consistent à développer les capacités d’exportation des huiles par oléoducs et par les ports pas toujours russes !

Annexe 3 Ressources pétrolières en Russie : projets d’extension des capacités d’exploitation

Tout cela est soumis aux fluctuations de politiques du centre. L’affaire Ioukos a tout gelé. Mais le sous-sol est encore plus riche en gaz. Premier producteur et premier exportateur, la Russie bénéficie des premières réserves prouvées du monde. Elle fournit actuellement 25 % de la consommation de l’Union européenne ; le marché est donc lucratif. Une seule compagnie, d’état, Gazprom détient 60 % des réserves et assure 90 % de la production. Ce géant est le principal pourvoyeur de devises de l’Etat. Toutefois, la production baisse là encore faute d’investissements. Il faudrait 10 milliards par an pendant 10 ans pour permettre l’augmentation de 10 % de la production en 2020, espoir de l’entreprise ; ils sont actuellement hors de proportion avec ces chiffres. Les prix domestiques sont extrêmement faibles contrairement aux prix à l’export ; ils étaient inférieurs à la moitié des coûts de production, et sont désormais à 80 %. Les exportations sont indispensables au budget fédéral puisque les recettes d’exportation représentent 20 % du PIB. Il est impossible en effet d’envisager d’augmenter les tarifs gaziers à l’intérieur du pays en raison de l’extrême pauvreté d’une grande partie de la population dans un pays particulièrement rigoureux. Par ailleurs, la Russie souffre du « syndrome hollandais » soit une trop grande polarisation des investissements sur le secteur des hydrocarbures, ce qui se fait au détriment du reste de l’activité économique. Cette richesse fait de la politique énergétique de la Russie un enjeu particulièrement important. Or, celle-ci est peu lisible ; libéralisation débridée dans les années 90, suivie d’une reprise en main par l’Etat ; en outre, l’avenir est compromis par les sous investissements et la consommation intérieure débridée.

Page 93: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 93 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

3 L’hypercentralisation récente Vladimir Poutine est le tombeur des oligarques, du moins de ceux qui ont tenté de lui faire de l’ombre comme Mikhaïl Khodorkovski, propriétaire de Ioukos. Devenus milliardaires en dollars pendant les années de grande privatisation, certains ont tâté de la politique ; Vladimir Potanine a été vice-premier ministre en 1996. Khodorkovski s’est vu déposséder de son empire et jeté en prison pour fraude fiscale. Ceux qui restent vont-ils être les moteurs de la restructuration nécessaire du tissu industriel russe ? Leurs sociétés sont plus actives et plus productives, mais il faut de la confiance pour les affaires et les valses-hésitations du pouvoir central semblent peu propices au développement et à la modernisation de la Russie. Après 1989, le risque d’éclatement avait prévalu ; on avait alors mis en place un « fédéralisme asymétrique » : l’Etat central avait négocié avec les républiques des droits en matière d’appropriation des ressources, de fiscalité et d’organisation des pouvoirs qui avaient conduit certaines républiques à revendiquer à leur tour des droits égaux : le fédéralisme à la carte faisait que certaines règles locales étaient en contradiction avec la constitution centrale. La volonté de l’autorité centrale de réduire les autonomies régionales conduit à mettre à l’écart les responsables des régions de l’activité de la chambre haute du Parlement. La création, en 2002 de « districts fédéraux » qui rassemblent les 89 « sujets de la Fédération » qui avaient vu le jour lors du traité fédéral de 1992, en sept sous-ensembles dirigés chacun par un représentant plénipotentiaire du Président va dans ce sens. Les gouverneurs ne sont plus des personnalités élues au suffrage universel mais des personnes choisies par les assemblées régionales à partir de propositions faites par le Président : c’est l’instauration de la « verticale du pouvoir ». Une caricature des Izvestia montre les sept districts fédéraux découpés à la hache et regroupés en quatre catégories. Cette remise en cause des prérogatives des républiques intervient dans une période de tendances xénophobes exacerbées qui pourrait faire craindre aux populations allogènes un retour aux pratiques impériales, ce qui n’est pas sans risque pour la fédération.

III LA RUSSIE ET LE RESTE DU MONDE.

1 L’économie au service d’une stratégie de rééquilibrage.

a. Le problème central des hydrocarbures. - La Sibérie occidentale s’épuise, ce qui rend nécessaire l’exploitation de l’Extrême Orient : les réserves gazières russes sont considérables (47,7 trilliards de m3), l’option russe consiste à approvisionner la Chine à partir de deux nouvelles zones de production (en dehors de la Sibérie occidentale), celle de la Sibérie orientale et de l’île de Sakhaline. Pour la Sibérie orientale, 3 grands bassins émergent : * ceux de la république de Sakha (Iakoutie) * de la région d’Irkoutsk * la région de Krasnoïarsk Sur ces 3 secteurs, les réserves prouvées et potentielles de gaz ne sont pas négligeables puisque évaluées entre 3,7 et 5,3 trilliards de m3. Selon le plan énergétique de long terme de la Russie, elles permettent d’envisager en 2010 une production variant entre 25-30 et 50 milliards de m3 (scénario optimiste) et en 2020, une production variant entre 55 (scénario modéré) et 110 milliards de m3 (scénario optimiste) . - Cette région est également potentiellement exportatrice de pétrole. L’objectif du gouvernement est d’assurer une production en Sibérie orientale de 80 millions de tonnes de pétrole par an en 2020 à partir de la République de Sakha, de la région d’Irkoutsk et celle de Krasnoïarsk.

Page 94: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 94 -

Le développement de Sakhaline constitue quant à lui un cas à part puisqu’il est essentiellement le fait des compagnies pétrolières internationales au travers d’accords de partages de production pour des exportations prévues à partir de 2005-2006. Pour Sakhaline I : pour l’occident : Exxon Mobil 30%, des sociétés japonaises 30% et, du coté russe, Sakhalinmorneftegas-Shell 3%, Rosneft 17%. Pour Sakhaline II : Shell 27,5%, Mitsui 12%, Mitsubishi10%, Gazprom 50% (Le Monde du 23 décembre 2006).

(Voir Annexes 2 et 3) b. La Russie « pivot » (Locatelli)

a I) Un risque : la Chine sans la Russie.

- La dépendance énergétique de la Chine tant en matière gazière que pétrolière est appelée à croître très fortement dans les années à venir. Elle est le 2e importateur mondial de pétrole derrière les EUA, et devant le Japon, et pourrait dès 2020, importer près de 8 millions de baril / jour (c’est à dire la production pétrolière russe actuelle), et sa dépendance en matière gazière devrait s’affirmer avec des importations de l’ordre de 40-100 milliards de m3 de gaz en 2010. Se pose donc incontestablement la question de ses fournisseurs potentiels avec le risque de modifier les équilibres mondiaux. L’approvisionnement énergétique de la Chine sera donc une question de géopolitique majeure dans les années à venir. Jusqu’à présent, les autorités de ce pays ont cherché à préserver l’indépendance énergétique en ayant massivement recours au charbon. La diversification des fournisseurs d’hydrocarbures est une réponse possible au problème de sa dépendance énergétique. Les choix effectués seront sans doute largement fonction de la stratégie d’insertion internationale qu’elle entend poursuivre tout particulièrement en Asie.

(Voir Annexe 4) Carte 1 : Hydrocarbures

- La région de la Caspienne : les pays concernés par les exportations potentielles vers la Chine sont en premier lieu le Kazakhstan et le Turkménistan ; les réserves gazières du Kazakhstan varient entre 1 600 et 2 600 milliards de m3, celles du Turkménistan sont plus considérables encore avec des estimations entre 2.700 et 2.900 milliards de m3. Les prévision de production en 2015 sont de 100 milliards de m 3 de gaz au Turkménistan pouvant culminer à près de 130 milliards de m3 ; quant au Kazakhstan sa production pourrait atteindre 30 milliards de m3 dès 2010 pour culminer à plus de 50 milliards de m3 en 2020. Les réserves pétrolières sont également très importantes au Kazakhstan (9 milliards de barils / jour) lui permettent d’envisager d’être un exportateur significatif d’hydrocarbures et un acteur essentiel du commerce régional. - A partir de la Caspienne, 2 voies d’exportation sont envisageables en matière gazière : l’option turkmène à destination de Shanshan dans la province du Xinjiang soit une distance de 6000km pour exporter 30 milliards de m3/an. L’option kazakhe à destination de Shanghai, soit une distance de 3370 km porte sur des volumes exportés de l’ordre de 25 milliards de m3/an. En matière pétrolière, un oléoduc, le « West China - West Kazakshtan Oil Pipeline » (construction de tronçons et réhabilitation de tronçons existants) doit permettre de relier l’ouest du Kazakhstan à la frontière chinoise. Ceci a permis à la Chine d’importer dans un 1e temps 10 millions de tonnes de brut en 2005, et sa capacité pourrait doubler d’ici 2010.

b II) La Chine et la Russie.

Page 95: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 95 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

- Si la Chine et la Russie suscitent l’intérêt de la communauté internationale, c’est aussi parce qu’elles apparaissent de plus en plus comme des puissances majeures pour ce qui concerne l’évolution possible du marché mondial de l’énergie et leurs positions respectives apparaissent complémentaires. Depuis 2000, la production pétrolière russe se situe au deuxième rang mondial (environ 9 millions de barils / jour) ; la Russie est également le premier producteur mondial de gaz. La Chine émerge en tant qu’importateur de premier plan. Ces deux pays sont en position de déstabiliser les équilibres internationaux en matières d’hydrocarbures (il y a toutefois des interrogations en raison de l’insuffisance des investissements déployés en vue de renouveler la réserve russe, et sur la place accordée aux investisseurs étrangers).

(Voir Annexe 5) Carte 2 : des hydrocarbures pour l’Asie

- De fait la relation énergétique avec la Chine s’inscrit directement dans la stratégie de Moscou visant à transformer ses ressources énergétiques, atout économique, en «arme politique ». La politique vis-à-vis de la Chine intègre l’objectif de la Russie de rééquilibrer vers l’Asie sa stratégie énergétique, alors qu’aujourd’hui essentiellement les exportations se font vers l’Europe ; il s’agit ainsi de poser la Russie en pivot entre l’Europe et l’Asie, d’où le choix de construction d’oléoducs vers l’Asie, et d’établir un réseau de gazoducs vers la Chine. Donc la Chine est un élément dans la stratégie de rééquilibrage de la politique énergétique russe. De même il s’agit pour Moscou de se positionner comme un acteur incontournable des échanges gaziers, que ce soit vers l’Asie ou vers l’Europe. Aujourd’hui la Russie ne veut plus être dépendante de l’Europe en matière d’exportation gazière.

(Voir Annexe 6) Carte 3 : des coopérations tous azimuts

- Les projets d’ordre politique et géopolitique ; les deux pays sont tentés de jouer la carte des alliances stratégiques afin de limiter l’influence américaine (GUAM : Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) + Kirghizstan, sur le continent asiatique, et particulièrement sur les républiques asiatiques de l’ex-Union soviétique. Par ailleurs, la Russie et la Chine ont des intérêts communs à stabiliser leurs frontières. Elles ont tout à craindre de l’instabilité politique des pays d’Asie centrale et des risques de déstabilisation de leurs minorités régionales (le NO de la Chine et les républiques d’Asie Centrale sont turcophones et musulmanes) qui pourraient advenir : d’où l’intérêt des accords visant à développer des marchés régionaux qui aideraient à stabiliser leurs frontières. Différentes organisations de coopération regroupant la Russie, les pays d’Asie Centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Turkménistan) et la Chine ont ainsi vu le jour. Il s’agit en particulier du groupe de Shanghai créé en 1996 qui est devenu « Shanghai Coopération Organisation » en 2001 qui regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, et l’Ouzbékistan. De même la Russie a adhéré récemment en septembre 2004, à l’organisation de coopération des pays d’Asie Centrale, à laquelle pourrait également participer le Japon ; d’où une intégration commerciale plus forte entre ces pays, mais aussi une nouvelle influence stratégique de la Russie sur des pays de son étranger proche. - En 2000, la Russie obtient une place d’observatrice auprès de l’ASEAN et crée la surprise en proposant de devenir observatrice de la conférence islamique : c’est sa volonté de jouer un rôle plus diversifié dans tout le continent en pleine mutation.

c III) Rien sans elle - Les compagnies pétrolières chinoises ont tenté, à plusieurs reprises d’accéder aux ressources en hydrocarbures de la Russie, soit grâce à une prise de participation directe

Page 96: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 96 -

dans une compagnie pétrolière russe soit au travers d’une participation au développement d’un gisement avec la signature d’un accord de partage de production ; la Chine souhaiterait investir plus de 10 milliards de dollars dans le développement des ressources énergétiques et des infrastructures en Russie (22/09/2004). Ainsi en 2002, la China National Petroleum Corporation avait manifesté son intention de participer à la vente aux enchères des 75% d’actions détenues par l’Etat dans la société Slavneft. L’état russe a rapidement opposé son veto à cette proposition. La Chine souhaiterait également pouvoir intégrer le consortium qui exploite les gisements du Sakhaline II.

(Voir Annexe 5)

Carte 2

- Pour exporter le gaz vers la Chine, la première voie susceptible de se matérialiser à l’horizon 2015 part du gisement de Kovytka (Irkoutsk). Ce gazoduc permettrait d’exporter 20 milliards de m3 / an et éventuellement 10 milliards de m3 vers la Corée du Sud. - En matière pétrolière, la principale voie consiste en un oléoduc entre Angarsk, à coté d’Irkoutsk et Pékin, via Daqing, dont la capacité serait de 20 millions de tonnes / an. Ce projet fait face aujourd’hui à des contraintes car c’était la compagnie pétrolière Ioukos qui l’exploitait : faillite et démêlés avec la justice laissent planer des doutes sur une réalisation prochaine. - Ce projet est en concurrence avec la livraison de pétrole au Japon. Ce projet, à partir de Nakhodka est soutenu par Transneft, compagnie publique qui garde le contrôle des exportations pétrolières russes. Concurrence également avec la Corée du Sud : il s’agirait en particulier du développement du bloc offshore de Veninsky dans l’île de Sakhaline (Sakhaline III) et de la zone ouest du Kamchatsky dans la mer d’Okhostk. (22/09 /2004). Les concurrences entre ces projets ne font que refléter les prémisses de ce qui pourrait être une rivalité entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud, qui recherchent une diversification de leurs approvisionnements. - La prise de contrôle par Gazprom de Sakhaline II, pourrait permettre au géant gazier russe d’exporter, à partir de l’été 2008, du gaz naturel liquéfié (article du Monde du 23/12/06)

2 A la recherche d’une stratégie mondiale a. Des intérêts locaux.

(Voir Annexe 7) Carte 4 : des intérêts locaux, un héritage de l’URSS

- L’Afghanistan : le nord du pays est habité par les mêmes populations que certaines républiques d’Asie Centrale ; en outre, la région a toujours intéressé l’URSS, comme en témoigne la guerre de 1979, dans sa recherche partagée avec l’Empire russe, d’un accès aux mers chaudes. - L’Iran : la Russie a obtenu le contrat de la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr pour un montant de 800 millions de dollars. En négociant avec Téhéran un accord sur le rapatriement en Russie du combustible usagé, Moscou assure avoir reçu la garantie que la production de la centrale ne sera pas détournée à des fins militaires. - Le Japon est le seul pays avec lequel la Russie a un problème territorial. Le Japon réclame

Page 97: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 97 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

les îles occupées par la Russie depuis la fin de la 2e guerre mondiale : les îles d’Etorofu, de Shikotan, de Kunashiri, et les îlots d’Habomaï, inhospitalières certes, sont stratégiques ; elles verrouillent en quelque sorte la mer d’Okhotsk et protègent ainsi les côtes sibériennes de la Russie. Toutefois, les Russes des Kouriles semblent tourner leurs regards vers ce Japon si proche et capable de leur apporter confort et développement économique. Les Japonais espèrent tisser toujours plus de liens avec leurs voisins en créant des relations culturelles et économiques : le Japon tente d’entraîner ces quatre petites îles dans son orbite. En 1993 et 1996, la question des Kouriles a joué un rôle dans les campagnes électorales russes. Il en est de même au Japon, ce qui explique les tensions persistantes malgré une coopération économique accrue (projet d’oléoduc). Sous Vladimir Poutine, il y a eu une tendance à renverser l’ordre des priorités : au lieu de lier la coopération économique à la solution de la souveraineté sur les Kouriles, il propose de relancer la coopération bilatérale : développer en commun les Kouriles du Sud en matière d’infrastructures mais aussi construction d’usines de conditionnement de poisson. Le Japon a pour l’instant, refusé d’aller plus loin sans engagements géopolitiques fermes de la part de Moscou. La Russie tente d’attirer les investisseurs japonais sur les îles sans lâcher sur le terrain politique. Combien de temps les Japonais résisteront-ils à cette offre alléchante ? La perspective d’une exploitation même commune des vastes richesses halieutiques des Kouriles finira peut-être par assouplir la position nippone ? Malgré le problème intervenu le 16 août 2006 où, pour la première fois depuis 1956, les tensions ont abouti à la mort d’un marin japonais tué par une balle perdue lors des tirs de sommation des gardes-côtes (voir l’article de Libération du 16 /08/2006). - Le Vietnam : les relations ont repris au début de 2000 ; Poutine réaffirme l’importance de développer des relations stratégiques avec le Vietnam et de discuter des coopérations technique, commerciale et militaire. Les Russes ont décidé de développer les investissements pétroliers via une compagnie mixte Vietnam-Russie.

b. Moscou en panne de stratégie internationale.

- Le constat est amer et révélateur : l’effondrement de l’Union soviétique a été le désastre géopolitique majeur du siècle. Pour la nation russe, ce fut « un véritable drame » déclarait Poutine lors de son discours annuel au Parlement, le 25 avril 2005, témoignant ainsi du désarroi du Kremlin face au déclin de la puissance et à la perte des conquêtes territoriales accumulées depuis 3 siècles. Alors que l’on avait assisté à un spectaculaire rapprochement avec les Etats Unis et l’Union européenne au lendemain du 11 septembre, les facteurs de tensions n’ont cessé de s’accumuler depuis la fin de l’année 2003, notamment à la suite de la «Révolution des Roses» en Géorgie et de la «Révolution orange» en Ukraine ; quelle position pour la Russie ? Doit elle poursuivre le partenariat stratégique avec l’Occident ? Ou se rapprocher de la Chine ? - Les attentats du 11 septembre 2001 fournirent à Vladimir Poutine l’occasion d’engager un partenariat stratégique avec les Etats Unis et les Européens s’articulant autour de 4 axes : - lutte commune contre le terrorisme islamiste, - gestion partagée de la zone de crise en Asie centrale, -coopération de la Russie avec l’OTAN, -coopération énergétique, ce qui a conduit au -soutien de Moscou aux Etats Unis en Afghanistan, -au développement de projets de coopération pétrolière et gazière, -à l’ouverture de bases militaires américaines en Ouzbékistan (fermées en 2007) et au Kirghizstan, -à la création du Conseil OTAN- Russie, -à l’acceptation de l’élargissement de l’Alliance atlantique aux Etats baltes.

Page 98: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 98 -

En contrepartie, le Kremlin demande à l’Occident : -son silence sur la guerre en Tchétchénie au nom de la lutte contre le terrorisme, -son silence sur les évolutions de la politique intérieure russe -sa reconnaissance des intérêts de la Russie dans l’espace ex-soviétique. Lorsque les relations avec Washington se dégradent, Moscou a tendance à se tourner vers l’Europe, et vice versa. La politique européenne de voisinage (PEV) destinée aux nouveaux Etats frontaliers de l’Union (Biélorussie, Ukraine, Moldavie), et Etats du Caucase, suscite de l’inquiétude à Moscou, qui voit en elle une tentative supplémentaire de réduire son influence dans l’espace postsoviétique. - Marteau américain, enclume chinoise : Or, au fil des années, les critiques de Washington, et de Bruxelles se sont multipliées tant sur la guerre en Tchétchénie que sur les atteintes aux libertés et au pluralisme en Russie. L’accumulation des facteurs de tension avec les pays occidentaux et les échecs de la diplomatie russe en Géorgie comme en Ukraine suscitent à Moscou un changement de stratégie politique. Le rapprochement avec la Chine, opéré au cours de l’année 2005, dans le cadre de l’organisation de coopération de Shanghai, conduit à mener, pour la première fois, en août 2005, des manœuvres militaires communes, mais cette coopération se développe principalement en matière de formation des personnels : les Chinois seraient intéressés en particulier par les opérations interarmées et les pratiques de commandement, ainsi que dans le domaine de la lutte contre le terrorisme en Asie centrale. La coopération militaro-technique entreprend-elle un saut qualitatif ? Depuis 1992, la Russie est le principal fournisseur d’armes et de technologies militaires de la Chine (entre 40 et 50% des exportations russes d’armement pour la période 1992-2004), ce qui représente évidemment une manne pour la Russie, qui a cependant toujours défendu des positions allant dans le sens de la prudence qualitative. Les Chinois pourraient prochainement ne plus se contenter d’armes conçues dans les années 1980, sachant que les armes vendues par la Russie à l’Inde sont d’un niveau technologique supérieur. Donc la Russie ne sera t-elle pas conduite à proposer au marché chinois des systèmes plus sophistiqués, compte tenu de la détermination marquée de la Chine face à Taiwan, sachant que l’on prévoit qu’en 2020, la Chine aurait le deuxième budget militaire après les Etats Unis d’Amérique ? Toutefois, les relations entre les deux pays sont marquées par une méfiance réciproque : la Chine est engagée dans une montée en puissance rapide, tant sur le plan économique que militaire, pendant que la Russie peine à freiner son déclin et à redevenir une puissance régionale. Une coopération étroite pourrait, en cas de conflit entre les Etats Unis et la Chine, placer la Russie entre le marteau américain et l’enclume chinoise, configuration dans laquelle, Moscou doit éviter de se retrouver. A mi parcours de son second (deuxième ?) mandat, Vladimir Poutine semble en panne de stratégie. Celle qu’il a choisie au lendemain du 11 septembre 2001 n’a pas produit les résultats escomptés. Moscou souffre de faiblesses structurelles, comme le déclin démographique, une économie de rente, une centralisation excessive du pouvoir conjuguée à la faiblesse de l’Etat, et l’absence de réels contre-pouvoirs. Tous ces manques en font un acteur de second rang sur la scène internationale, en dépit de ses armes nucléaires, de son siège permanent au Conseil de sécurité et de son appartenance au G8. De même l’immense coût humain et financier de la guerre sans fin en Tchétchénie a atteint son image. c. Russie-Asie de nouvelles cartes à saisir.

- Ce n’est finalement qu’en Asie que le nouveau pouvoir peut montrer quelques succès. L’intérêt russe pour l’Asie est une constante depuis l’époque tsariste. Le tournant est pris dès

Page 99: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 99 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

Gorbatchev qui lance depuis Vladivostok, un appel à la coopération aux pays du Pacifique. Les négociations engagées alors avec Pékin vont mener au règlement des conflits frontaliers et à la signature en 2001, d’un traité de bon voisinage, alors qu’une détente s’instaure avec le Japon. Poutine prolonge cette nouvelle politique : de l’Iran à la Corée, en passant par l’Inde et la Chine, il multiplie les voyages et les contrats de coopération, civile et militaire, sans hésiter à contredire les positions américaines (sur le nucléaire en Iran, sur la guerre en Irak). Il a obtenu une place d’observateur auprès de l’ASEAN et créé la surprise en proposant que la Russie devienne observateur de la conférence islamique, ce qui témoigne de sa volonté de jouer un rôle plus diversifié dans tout le continent en pleine mutation.

(Voir Annexe 8)

Carte 5 : Russie-Chine, des intérêts communs

- L’Asie devient donc chasse gardée des stratégies russe et chinoise. En effet, le 25 Août 2005, répondant au nom de code Mission de paix 2005, pour la première fois, les armées russes et chinoises ont réalisé en commun des exercices militaires à grande échelle. Les opérations ont mobilisé prés de 10.000 hommes (dont 1800 Russes, seulement ( ?)) et de nombreux navires, avions, et véhicules amphibies. Elles se sont déroulées en 2 temps : d’abord à Vladivostok, port d’attache russe dans le Pacifique et ensuite autour de la presqu’île de Shandong, en mer Jaune, où trois scénarios différents avaient été ébauchés : - un blocus maritime - un débarquement amphibie - l’évacuation de population avec la participation de bombardiers russes et chinois. Dans quel but ? - d’un hypothétique scénario d’invasion de l’île nationaliste de Taiwan ? Mais la Russie ne va pas pour autant risquer une détérioration de ses relations avec les Etats Unis ! - au Japon, on suppose que la Chine et la Russie préparent petit à petit l’occupation conjointe de la Corée du Nord en cas de circonstances qui conduiraient à la disparition du pouvoir actuel. - les exercices à grande échelle de la Russie et de la Chine ont démontré que ces puissances peuvent désormais elles-mêmes assurer la stabilité dans la région de l’Asie Pacifique, et d’Asie centrale, qu’elles considèrent toutes deux comme une source majeure de dangers et d’insécurité.

d. La Russie, un pont entre l’Europe et l’Asie Si l’espace eurasiatique représente pour la Russie un enjeu pour son existence comme puissance régionale voire impériale, l’espace euro-atlantique, tête de pont de l’Eurasie, représente un enjeu au moins aussi important pour Moscou : celui de la puissance globale, celui du devenir de la super puissance déchue. Du coup, une des préoccupations principales de la Russie est bien de démonter qu’elle est un pays qui ne peut être contourné pour construire cet espace nouveau et qu’elle représente un trait d’union indispensable entre les deux parties de cette masse continentale : elle reste donc très vigilante à l’égard de tout projet susceptible de la marginaliser. Tout en rappelant sa double appartenance et sa spécificité à la fois européenne et asiatique, la Russie compte défendre ses intérêts propres en Eurasie. C’est dans cette perspective que Moscou cherche à réaliser une voie commerciale, à faire d’elle, le lieu de passage obligé.

(Voir Annexe 9) Carte 6 : le « Pont » : relier les pôles de la Triade

Page 100: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 100 -

Selon plusieurs experts, il existe 3 possibilités de restauration d’une voie continentale des échanges commerciaux entre Asie et Europe. Deux passent par la Russie, la troisième la contourne par le Sud : la route historique de la soie. Le premier argument avancé par ces experts vise à démontrer que le transit continental des marchandises entre l’Orient et l’Occident serait plus rentable que le transit par voie maritime par lequel s’effectue jusqu’à présent, l’essentiel des échanges entre les deux grands ensembles de l’UE et de l’APEC. La Russie propose donc de réhabiliter la voie terrestre qui offre de nombreux avantages : coût et rapidité, notamment pour le transit par voie ferroviaire pour lequel la Russie dispose du seul réseau terrestre existant : le transsibérien (l’accélération des délais d’acheminement réduits de 3 à 4 fois le surcoût occasionné par ce moyen de transport.) Le transport aérien représente une perspective importante, avec l’apparition d’une nouvelle génération d’avions gros porteurs. Le survol de la Russie permettrait de gagner un temps considérable. La « voie maritime nord » qui s’est développée à l’époque soviétique avec l’apparition de brise-glace à propulsion nucléaire pourrait connaître un nouvel essor. La réhabilitation de cette voie serait rendue possible par la multiplication de ces bateaux mais aussi par l’utilisation de sous-marins (sic), dont dispose la marine russe, qui pourraient être transformés en bâtiments marchands. Ce trajet du Nord réduirait de 2 à 3 fois la distance à parcourir pour les marchandises qui passent par le canal de Suez ou celui de Panama. Dans cette même logique de liaison Asie-Europe mais aussi Europe-Asie-Amérique a été lancée l’idée de la construction d’un tunnel traversant le détroit de Béring qui relierait la Russie au continent américain par l’Alaska. De même il existe un « réseau exceptionnel d’oléoducs et de gazoducs » à travers la Russie permettant de faire transiter le pétrole de la Caspienne et qui devrait permettre de faire de la Russie une voie de passage indispensable. Tous ces projets représentent donc pour la Russie bien plus que de simples avantages commerciaux. Ils constituent pour elle des enjeux géopolitiques essentiels concernant l’avenir de l’Eurasie, impliquant non seulement les pays concernés Chine, Turquie, Iran, Pakistan mais également les grandes puissances, l’UE les EUA et le Japon. Ces projets pensés à Moscou font de la Russie une voie de passage obligé en la replaçant au centre de l’espace euro asiatique. Mais il existe d’autres projets de tracés pour le trafic de marchandises qui cherchent résolument à la contourner : la route de la soie passerait au sud de l’actuel territoire de la Russie. Elle relierait ainsi la Chine à l’Europe en favorisant les anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale et du Caucase ; dès lors, a Russie serait isolée. Conclusion

- La Russie et l’Europe ?

La Russie a incontestablement cessé d’être un acteur international majeur. Si elle reste la deuxième puissance nucléaire au monde, force est de constater que ce facteur ne joue plus le même rôle aujourd’hui qu’à l’époque de l’affrontement Est-Ouest. La formation d’une vaste zone euro-atlantique sous influence américaine contribue à la perte d’influence de la Russie non seulement à l’échelle globale mais à l’échelle régionale. Mais la Russie dispose d’une formidable manne que constituent pour l’économie les cours élevés du pétrole. Compte tenu de l’instabilité au Proche Orient, les Européens comme les Américains, désireux de diversifier leurs sources d’approvisionnements, vont accroître leurs importations d’hydrocarbures russes.

Page 101: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 101 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

La Russie devient difficilement contournable, et c’est un atout majeur, mais, et c’est le revers de la médaille, la Russie risque de se transformer un peu plus en un Etat rentier. Par ailleurs, les nombreux problèmes sont sans solutions actuellement : quels tracés ? À quel prix ? Quelle intégration à l’économie mondiale ? D’autant plus que les secteurs stratégiques russes (hydrocarbures, mines et métallurgie) demeurent largement fermés aux compagnies internationales et que le raidissement en politique intérieure ne favorise pas l’amélioration de l’image internationale du pays.

- La Russie et l’Asie ?

L’intérêt russe pour l ‘Asie est une constante depuis l’époque tsariste. Il s’agit aussi pour Moscou de se positionner comme un acteur incontournable comme exploiteur des ressources et comme exportateur de ses ressources. Aujourd’hui la Russie ne veut plus être dépendante de l’Europe en matière d’exportation d’énergie, d’où sa stratégie de rééquilibrage sur l’Asie. Le statut de fournisseur incontournable l’incite à jouer un rôle plus grand encore, en s’impliquant directement dans le domaine militaire, en renforçant la coopération et la coordination entre la Russie et la Chine et en adhérant à la coopération du groupe Shanghai pour combattre le terrorisme et l’extrémisme au niveau de l’Asie centrale. Elle se positionne comme actrice incontournable de la région, face aux préoccupations américaines en Asie centrale : en Irak et en Iran, et en Afghanistan. La Russie traverse une période de choix décisifs. Parviendra-t-elle à redéfinir ses relations en tenant compte des nouveaux rapports de force, des nouvelles influences qui s’exercent dans la région ? Une proposition d’exercice de cartographie a été ensuite faite : Quelle légende et quels symboles pour représenter les atouts et contraintes géostratégiques de la Russie ?

(Voir Annexes 10, 11, 12) Proposition d’une carte et d’une légende

Russie : atouts et contraintes géostratégiques.

Page 102: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 102 -

ANNEXE 1

La construction de l’Empire russe à la fin du 19ème siècle.

Légende Asie Centrale En pointillé : territoires annexés en 1871 En hachure large : territoires annexés en 1876 En hachure serrée : territoires annexés en 1881 Asie extrême –orientale En hachure serrée: territoires annexés en 1858-1860 En aplat de couleur : territoires annexés en 1875 En pointillé : territoires annexés en 1896

Page 103: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 103 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 2

Ressources pétrolières en Russie : infrastructures et gisements (source : La Russie entre deux mondes, Documentation photographique, n°8045)

Légende

Cercle avec aplat de couleur : sites d’extraction actuels avec le pourcentage représenté pour la production totale Triangle : principales raffineries Trait continu : principaux tronçons d’oléoducs actuels Cercle en caractère gras : gisements découverts non encore exploités Etoile : zone de conflit affectant l’utilisation des installations

Page 104: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 104 -

ANNEXE 3

Ressources pétrolières en Russie : projets d’extension des capacités d’exportation

(source : La Russie entre deux mondes, Documentation photographique, n°8045) Légende

Trait continu : principaux tronçons d’oléoducs actuels Cercle : projet d’extension des capacités Etoile : zone de conflit affectant l’utilisation des ressources

Page 105: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 105 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 4

Légende Triangle : hydrocarbures Pointillé : oléoducs en projet Trait continu: oléoduc West China West Kazakhstan Oil Pipelum

Page 106: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 106 -

ANNEXE 5

Des hydrocarbures pour l’Asie centrale

Page 107: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 107 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 6

Des coopérations tous azimuts

Légende

En hachure : turcophones ou musulmans Influence des Etats Unis d’Amérique En aplat de couleur : Guam et Kirghizistan Figuré linéaire sur le tracé des frontières : coopération d’Asie Centrale En pointillé : le groupe Shanghai Cercle : conférence islamique

Page 108: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 108 -

ANNEXE 7

Des intérêts locaux, l’héritage de l’Urss

Légende En pointillé : l’Asie Centrale En pointillé : les îles Kouriles En pointillé : la PEV

Page 109: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 109 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 8

Russie- Chine, des intérêts communs ?

Légende

Figuré linéaire sur le tracé des frontières : membres de la Conférence islamique En hachure : resserrement des liens

Page 110: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 110 -

ANNEXE 9

Le pont, relier les pôles de la Triade

Page 111: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 111 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 10

Page 112: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 112 -

ANNEXE 11

Page 113: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 113 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

ANNEXE 12

Page 114: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 114 -

BIBLIOGRAPHIE

LIVRES ECRITS PAR LES CONFERENCIERS Pierre GENTELLE

L’Etat de la Chine et de ses habitants, Editions La Découverte, 1989

Hong Kong, Belin, 2003.

Traces d’eau : un géographe chez les archéologues, Belin, 2003.

Géographie universelle, Volume 5 : Chine, Inde, Corée, Belin, 1994.

Chine, un continent et… au delà ? , Belin, 2001.

Etat de la Chine, Etat du monde, La Découverte, 1989.

Eaux d’Asie, Belin, 2003.

Chine, peuples et civilisations, La Découverte, 2004.

Chine et « Chinois » d’outre mer à l’orée du XXIème siècle, SEDES, Paris, 1999.

Géopolitique de l’Asie, Nathan, 2005.

Philippe PELLETIER

Le Japon, une puissance en question, Documentation Photographique n°8029, La Documentation Française, Paris, octobre 2002.

Japon, crise d’une autre modernité, La Documentation Française, collection « Asie plurielle », 2003.

Géographie universelle, Volume 5 : Chine, Inde, Corée, Belin, 1994.

Le Japon, Idées reçues, Editions Cavalier Bleu, 2004.

Grandeurs et mesures de l’oecoumène, Economica, 2006.

Nouvelles organisations régionales en Asie Orientale, Editions Indes Savantes, 2003.

Le Japon : géographie, géopolitique et géohistoire, Sedes, 2007.

Géopolitique de l’Asie, Nathan, 2006.

Japon : crise d'une autre modernité, Belin, 2002.

LIVRES HISTOIRE GEOGRAPHIE

Les ouvrages en caractère gras ont été signalés plus particulièrement par les conférenciers et

les animatrices et animateurs des ateliers pédagogiques.

Sur rêver l’Asie

CHIENG André, « La pratique de la Chine » Grasset, 2006.

CORM Georges, « Orient-Occident, la fracture imaginaire » Paris, La Découverte, 2002.

DREGE Jean-Pierre, « Marco Polo et la route de la Soie »Découvertes Gallimard,

ELISSEEFF Danielle, «20ème siècle. La grande mutation des femmes chinoises », Bleu de Chine, 2006.

GAUCHON Pascal (dir.), « Inde, Chine à l’assaut du monde », Rapport Antheios, 2006, PUF.

GOODY Jack « L'Orient en Occident », Paris, Le Seuil. 1999.

Page 115: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 115 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

KHILNANI Sunil « L’Idée de l’Inde », Fayard, 2005

POULET Régis, « L’Orient : généalogie d’une illusion », Presses universitaires du Septentrion, 2002.

VARMA Pavan K., « Le défi indien », Actes Sud, 2005.

« L'Asie à Hollywood » Sous la direction de : Charles TESSON, Claudine PAQUOT et Roger GARCIA, Cahiers du Cinéma / Festival International du Film de Locarno, 2001.

BLANCHARD Pascal, BLANCHOIN Stéphane, BANCEL Nicolas, BOËTSCH Gilles et GERBEAU Hubert « L’autre et nous, Scènes et Types »,. ACHAC/Syros, Paris 1995.

« Le livre de Marco Polo ou le Devisement du Monde », texte intégral mis en français moderne et commenté par A. t’ SERSTEVENS, Albin Michel

Sur la Russie

CHOMETTE Guy Pierre : Plus d’un siècle de discorde russo-japonaise autour des Kouriles, in Le Monde Diplomatique, septembre 2001.

FACON Isabelle: La politique de sécurité de la Russie entre continuité et rupture, Ellipses.

FACON Isabelle: Russie-Chine, enjeux des coopérations militaires et du partenariat stratégique, janvier 2005, Fondation pour la Recherche Stratégique.

LOCATELLI Catherine : L’enjeu énergétique des relations entre Chine et Russie, CNRS, Université de Grenoble 2, octobre 2004.

RADVANYI Jean : La Nouvelle Russie, Colin, 2004.

RADVANYI Jean : La Russie entre deux mondes, Documentation Photographique 8045.

ROMER Jean-Christophe : Géopolitique de la Russie, Economica, 1999.

RUCKER Laurent: Moscou en panne de stratégie internationale, in Le Monde Diplomatique, novembre 2005.

CHAUVIER Jean-Marie : La « nouvelle Russie » de Vladimir Poutine, in Le Monde Diplomatique, février 2007.

Sur l’Inde

ASSAYAG Jackie, La Mondialisation vue d’ailleurs, l’Inde désorientée,Seuil, 2005

CADENE Philippe, Atlas de l’Inde, une fulgurante ascension, collection Atlas du Monde chez AUTREMENT, (sortie en librairie en mars)

KHILNANI Sunil, L’idée de l’Inde, Fayard, 2005

HOCHRAICH Diana, Pourquoi l’Inde et la Chine ne domineront pas le monde de demain ? Ellipses, 2007

JAFFRELOT Christophe (sous la direction de), L’Inde contemporaine, Fayard CERI, 2006

LANDY Frédéric, L’Union indienne, Editions du temps, 2002

MANIER Bénédicte, Quand les femmes auront disparu : L'élimination des filles en Inde et en Asie, La Découverte, 2006

PAVAN K.VARMA, Le Défi Indien : pourquoi le XXIème siècle sera-t-il indien ?, Actes Sud, 2005

QUESTIONS INTERNATIONALES, L’Inde une grande puissance émergente, La Documentation française, n°15 – octobre 2005

RAPPORT ANTHEIOS 2006, Inde, Chine à l’assaut du monde, PUF, 2006

ROY ARUNDHATI, Le coût de la vie (essais polémiques), Arcades Gallimard, 1999

Page 116: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 116 -

SAGLIO-YATZIMIRSKY Marie-C (sous la direction de), Population et développement en Inde, Carrefours de Géographie, Ellipses, 2002

SUKETU MEHTA, Bombay maximum city, Buchet-Chastel, 2006

Articles - revues :

DIDELON Clarisse Bangalore, ville des nouvelles technologies , Mappemonde, n°70, 2003.2

SAGLIO M. Caroline, Mumbai, mutations spatiales d’une métropole en expansion, Mappemonde n° 62, 2001.2

Courrier International, hors série, Inde, autoportrait, mars-avril-mai 2006

Géo, Hors série, Redécouvrir l’Inde éternelle, 2006.

Le Monde, Dossiers et Documents, Chindia, l’irrésistible ascension, octobre 2006.

Télérama n°2958, 20 sept 2006, un dossier sur l’Inde dans le cadre des animations autour de l’Inde à Lille dont un entretien avec Pavan K. Varma, «Le boom Karma ».

Quelques romans

Loin de Chandigarh, Tarun j TEJPAL, Buchet-Chastel, 2005

Le vendeur de saris, Rupa BAJWA, Edition des deux terres, 2006-12-05

Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire, VIKAS SWARUP, Belfond, 2006

La colère des aubergines, Bulbul SHARMA, Picquier poche, 2002

Mariages arrangés, Chritra Banerjee DIVAKARUNI, Picquier Poche, 2006

Compartiment pour dames, Anita NAIR, Picquier Poche, 2004

Le Dieu des petits riens, Arundathi ROY, Poche

Sur les façades pacifiques

BOUTEILLER, FOUQUIN, Le développement économique de l’Asie orientale, La Découverte, collection Repères Pris, édition 2001.

Sous la direction de PELLETIER Philippe, ANQUETIL Nicole, BOQUERAT Gilles, GENTELLE Pierre, WEISSBERG Gabriel, Géopolitique de l’Asie, Nathan, 2006.

GENTELLE Pierre., Chine et Chinois d’outre mer à l’orée du 21e siècle, SEDES, 1999.

PELLETIER Philippe., Le Japon une puissance en question, Documentation photographique n°8029, 2002.

Sur l’Asie centrale

RASHID Ahmed, Asie centrale, champs de guerres, Autrement collection Frontières, 2002.

KARAM Patrick, Asie centrale : le nouveau grand jeu : l'après-11 septembre, L'Harmattan, 2002.

DAGUZAN Jean François et LOROT Pascal (sous la direction de), L’Asie centrale après la guerre contre la terreur, L’Harmattan, 2004.

PELLETIER Philippe (sous la direction de), Géopolitique de l'Asie, Nathan, collection Nouveaux continents, 2006.

LARUELLE Marlène et PEYROUSE Sébastien, Asie centrale, la dérive autoritaire : cinq républiques entre héritage soviétique, dictature et islam, Autrement, CERI, 2006.

Articles et revues :

Page 117: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

- 117 - La Dur@nce Septièmes Rencontres -« L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février

2007

THOREZ Julien et THOREZ Pierre, le partage des eaux dans les républiques d’Asie centrale, une manifestation des tensions post-soviétiques

http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2003/thorez/article.htm

Revue Hérodote, le cercle de Samarcande, N° 84, 2e semestre, 1997.

Le courrier des pays de l'Est, Asie centrale, un enjeu géostratégique, la documentation française n° 1057, sept-oct 2006

Politique Etrangère 2006-2, L'Asie centrale quinze ans après l'indépendance, IFRI-Armand Colin 2006

GONON Emmanuel et LASSERRE Frédéric, une critique de la notion de frontières artificielles à travers le cas de l’Asie centrale, Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, numéro 132, Décembre 2003.

http://www.erudit.org/revue/cgq/2003/v47/n132/008090ar.html

Page 118: Septièmes Rencontres de la - ac-aix-marseille.fr

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Dur@nce Septièmes Rencontres - « L’Asie : puissances d’hier et d’aujourd’hui » - février 2007 - 118 -

Table des matières

Avant- propos ................................................................................................................. 1

Ateliers pédagogiques

Atelier 1 : L'Inde, notion de puissance, entre local et mondial .................................... 05 Atelier 2 : Les enjeux de la stabilité d’une marge asiatique : l’Asie centrale ............... 30 Atelier 3 : Projets cartographiques pour les façades pacifiques ................................. 43 Atelier 4 : Rêver l’Asie, l’imaginaire occidental ........................................................... 59 Atelier 5 : Russie, 69ème PIB, cherche géostratégie mondiale ..................................... 89

Bibliographie ............................................................................................................... 114